Contents

« Prev OPERA EXEGETICA ET HOMILETICA Next »

IOANNIS CALVINI

OPERA EXEGETICA ET HOMILETICA

AD FIDEM

EDITIONUM AUTHENTICARUM

CUM PROLEGOMENIS LITERARIIS

ANNOTATIONIBUS CRITICIS ET INDICIBUS

EDIDIT

THEOLOGUS ARGENTORATENSIS

VOL. XIII.

SERMONS SUR LE LIVRE DE JOB

TROISIEME PARTIE CHAPITRE XXXII À XLII.

SERMONS SUR LE CANTIQUE DU ROI EZECHIAS.

SERMONS SUR LA PROPHETIE D'ESAÏE. CHAP. LIII.

CONTINENTUR HOC VOLUMINE:

SERMONS SUR LE LIVRE DE JOB

TROISIEME PARTIE CHAPITRE XXXII À XLII.

SERMONS SUR LE CANTIQUE DU ROI EZECHIAS

SERMONS SUR LA PROPHETIE D'ESAIE. CHAP. LIII

LE CENT ET DIXNEUFIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XXXII. CHAPITRE.

1. Ces trois hommes se deportent de parler à Iob, pource qu'il s'estimoit estre iuste en soi. 2. Et Eliu fils de Barachel Buzite, de la famille de Ram, fut courroucé, et fort indigné contre Iob, d'autant qu'il se disoit iuste par dessus Dieu. 3. Il fut aussi courroucé contre les trois amis d'icelui d'autant qu'ils n'ont point eu de response, et toutes fois ont condamné Iob.

Pour faire nostre profit de ce qui est ici recite, de ce que nous verrons doresenavant, il nous doit souvenir de ce que desia nous avons veu: c'est assavoir, que Iob ayant à demener une bonne cause, s'y est mal conduit: et ceux qui estoyent venus pour le consoler, ayans une mauvaise cause, ont eu de bons argumens et raisons apparentes, dont on pouvoit recueillir doctrine utile. Et pourtant il y a eu faute en eux, d'autant qu'ils n'ont point basti sur un bon fondement: il y a eu faute en Iob, pource qu'il a mal edifié, ayant un fondement qui estoit bon de soi. Et voila pourquoi maintenant il est dit, qu'Eliu Buzite a esté fasché, et a esté enflammé en courroux, pource que ceux ici n'avoyent point redargué Iob, et cependant toutes fois qu'ils l'avoyent condamné: qu'il s'est aussi fasché contre Iob, pource qu'il s'est voulu iustifier par dessus Dieu. Ainsi nous voyons que ce courroux d'Eliu n'a pas esté sans cause tant contre Iob, que comme contre ses trois amis, qui estoyent venus pour le consoler. Car Iob s'estoit par trop desbordé, combien qu'il eust une querelle iuste et raisonnable: les autres avoyent resisté à Dieu, combien qu'ils eussent usé de bonnes raisons: car

c'estoit mal a propos. Or cependant il est dit, Que les trois amis de Iob se sont deportez de plus disputer contre lui, d'autant qu'il cuidoit estre iuste en soi. Nous avons veu que Iob n'estimoit pas tellement sa iustice, qu'il ne pensast qu'il y avoit beaucoup à redire en lui: au

contraire il a protesté qu'il estoit un povre pecheur: mais tant y a qu'il ne vouloit point se condamner à l'appetit de ceux qui iugeoyent mal de son affliction. L'opinion et phantasie des trois amis de Iob estoit, Voici un homme reprouvé de Dieu, d'autant qu'il est si durement traitté. Or il est dit que nous devons iuger prudemment de celui que Dieu corrige: car il ne faut pas conclure qu'un chacun soit puni selon ses offenses. Quelquesfois Dieu espargne les meschans, et dissimule à leurs iniquitez: et c'est pour leur condamnation plus griefve la bonté de Dieu leur sera bien cher vendue, quand il les aura attendus en patience. Si donc quelquesfois Dieu ne fait point semblant de punir ceux qui l'ont merite, ne pensons point pour cela qu'ils en ayent meilleur marché, et ne les iustifions point d'autant que Dieu les espargne. A l'opposite quand nous verrons un homme estre batu des verges de Dieu, n'estimons point pour cela qu'il soit plus meschant que tout le reste du monde: car possible que Dieu veut esprouver sa patience encores qu'il ne le chastie pas pour ses pechez. Or Iob ne s'est point voulu accorder à la folle doctrine de ses amis: voila pourquoi il leur a semblé qu'il se faisoit iuste, combien que sa pensee ne fust point telle. Et ainsi gardons-nous (comme il a esté remonstré ci dessus) de prendre une mauvaise querelle (car nous serons aveuglez et nous semblera que si un homme ne s'accorde avec nous, il est tellement condamné qu'il ne faut plus tenir propos avec lui) mais devant qu'entrer en dispute, que nous soyons bien asseurez de la verité. Il n'y a rien pire que de nous haster: nous savons que le proverbe se pratique tousiours, Que la hastiveté nous transporte, et qu'il ne sortira d'un iuge hastif, qu'une sentence folle et a l'estourdie. Puis qu'ainsi est, apprenons de nous tenir comme en suspens, iusques a ce que la verité nous soit bien cognuë. Et cependant notons qu'il adviendra souvent que

SERMON CXIX.

3

devant les hommes nous serons condamnez à tort: voire combien que ceux qui detractent contre nous, ayent la bouche close, et n'ayent point raison pour nous convaincre, ils ne laisseront pas pourtant d'estre menez d'un tel orgueil qu'ils nous diffameront, et ietteront des meschans propos à l'encontre de nous . Par cela nous sommes admonnestez, que si les hommes sont ainsi malins à nous condamner, n'ayans nul argument, nous ne devons point estre par trop faschez: car cela n'est pas nouveau, puis qu'il est advenu à Iob, un serviteur de Dieu si excellent: comme auiourd'hui nous voyons que les Papistes se contentent d'avoir determiné que leurs erreurs, superstitions, et fausses doctrines sont bonnes. Car ils y procedent avec un style magistral, Que c'est assez d'avoir pensé: il n'est point question d'entrer en dispute, ne de s'enquerir par raison comme il en va: car il leur semble qu'ils ont toute authorité, là dessus ils foudroyent contre nous. Or cependant si savons-nous que la verité est de nostre costé, et nous en sommes assez resolus. Resistons donc à une telle tentation, et qu'elle ne nous estonne point, veu que de tout temps il en a esté ainsi, que ceux qui n'avoyent nulle raison pour eux, n'ont pas laissé toutes fois de condamner hardiment et sans scrupule une bonne cause. Voyans donc que le diable les aveugle ainsi, que nous allions tousiours nostre train, et adherions constamment à la verité qui nous est cognuë. Et de nostre costé aussi que nous soyons advertis, de cheminer en plus grande modestie, quand nous aurons este un peu trop hastifs: comme quelques fois il adviendra que les enfans de Dieu auront des bouillons, qu'ils ne se contiennent point assez. Alors donc que nous ne poursuivions point, et que l'obstination ne soit point coniointe avec la temerité. Il est vrai que c'est une chose difficile (car celui qui s'est ietté aux champs sera opiniastre le plus souvent) mais si faut-il que quand nous aurons failli, nous ne continuions point au mal, mais plustost que nous apprenions de nous retenir: I'ai ici excedé mesure ie cognoi bien que ie ne me suis pas retenu en telle moderation que ie devoye. Qu'est-il de faire? O ; ne faut pas que ie soye endurci, mais que ie tourne bride voyant que i'ai prins un mauvais chemin. Voila donc comme à l'exemple des amis de Iob l'Esprit de Dieu nous advertit en premier lieu d'estre modestes, afin de ne prendre point querelle contre Dieu à la volee: et puis s'il nous est advenu de faillir, pour le moins que nous ne soyons point obstinez, que nous ne perseverions point au mal: mais qu'en cognoissant nostre faute nous taschions plustost de la corriger.

Touchant d'Eliu dont il est ici fait mention, ce n'est point sans cause que l'Escriture nous monstre de quelle race il est descendu: comme il est nommé

4

Buzite, de la maison de Ram. Car ici nous voyons l'ancienneté en premier lieu, de laquelle ci dessus nous avons touché: et c'est le principal aussi que Dieu nous a voulu declarer, qu'il y estoit demeuré quelque bonne semence de religion entre ceux qui estoyent enveloppez en beaucoup de vaines phantasies. Or c'est un article bien notable: car nous savons comme le monde s'est tantost revolté, et que tous s'estoyent destournez à corruptions et mensonges. Ie di apres le deluge, combien qu'il y eust une vengeance de Dieu si horrible, et digne de memoire, et que les enfans de Noé qui estoyent eschappez, ayans vescu long temps apres, pouvoyent instruire leurs enfans et successeurs, comme Dieu s'estoit vengé de la malice du monde. Tant y a donc que cela n'a point empesché que tous ne se soyent revoltez, et n'ayent laisse la droite religion pour se destourner à mensonges, à idolatries, et à tous desbordemens. Et en cela voyons-nous que les hommes sont si fragiles que rien plus, et qu'il n'est rien plus difficile que de les retenir en la crainte de Dieu, et en la bonne religion. Il est vrai que quant au mal nous ne sommes que par trop constans, on ne nous peut faire fleschir: et quand on voudra corriger le mal en nous, on ne sait par quel bout commencer, on n'en peut venir à bout, d'autant qu'il y a une telle durté que c'est pitié: voire, mais du bien nous le perdons tantost, il ne faut rien pour nous en desbaucher. nous avons un beau miroir de cela, qui nous est monstré en ce que tantost apres le deluge les hommes se sont ainsi esgarez, et ont laissé la pure cognoissance de Dieu, combien qu'elle leur fust monstree.

Or cependant nous voyons en cest exemple de la personne d'Eliu, que Dieu toutes fois a laissé quelque bonne semence au milieu des tenebres, et qu'il y a eu quelque doctrine bonne et saincte. Et pourquoi? Afin que les incredules fussent rendus inexcusables, tellement qu'il ne faut point alleguer l'ignorance qui regnoit par tout. Car à qui a-il tenu que Dieu n'ait esté purement servi et adoré, sinon que les hommes lui ont tourné le dos? Et ne l'ont point fait par une simplicité, à laquelle ils puissent donner couleur honneste: ç'a este plustost une malice certaine. les hommes ne veulent point qu'on les trompe, ni n'en font le semblant: mais quand il est question de servir à Dieu, ils ferment les yeux, il esteignent toute clarté qui luisoit, ils ce demandent sinon de s'addonner à toutes tromperies. cela donc nous est ici declaré. Or nous devons bien peser ce qui a este traitté par ci devant, qu'en ores que ceux-ci n'eussent esté Prophetes de Dieu, si est-ce que la doctrine qui est sortie d'eux avoit une telle maiesté qu'elle estoit bien digne de la personne des Prophetes. Vrai est

IOB CHAP. XXXII.

5

(comme nous avons dit) qu'ils l'ont mal appropriee: mais cependant si est-ce qu'il y a ou un esprit excellent en eux. Et de fait (comme nous avons declaré) ce qui a esté deduit ci dessus ne doit pas estre autrement rocou que de l'escole du sainct Esprit. Or combien que ces personnages ici fussent si excellens, si est-ce qu'ils n'avoyent point esté instruits en la Loi de Moyse, ils estoyent separez de l'Eglise de Dieu: car si la Loi estoit publiee de ce temps-là (ce qui est incertain) si est-ce qu'ils estoyent bien destournez de ce pays de Iudee, et n'avoyent là nulle communication, pour estre participans de la doctrine que Dieu avoit simplement destinee à son peuple. Nous voyons donc des gens qui n'avoyent eu nulle Escriture, qui n'avoyent eu sinon la doctrine que Noé ou ses enfans avoyent publiee apres le deluge: nous voyons ceux-là estre Prophetes de Dieu, avoir un esprit excellent: et combien qu'ils habitassent en divers pays, toutes fois si voyons nous comme Dieu leur avoit donné une cognoissance qui pouvoit estre pour edifier tout le commun peuple. Voila donc comme le monde n'a peu estre excusé en son ignorance: car combien que l'idolatrie ait regné du temps de Tharé et de Nachor, et qu'eux-mesmes ayent esté idolatres (comme il est dit au dernier chapitre du livre de Iosué) et que ceux qui en estoyent descendus les ensuivissent: si est ce que cest Eliu qui estoit de la famille de Ram, et ces trois autres ont esté exempts des corruptions communes de ce temps-là: tellement que nous voyons que la pure religion n'a point esté abolie entre eux: mais qu'il y a eu une doctrine suffisante pour les mener à Dieu, et pour convaincre le monde de son obstination, et de l'ignorance en laquelle il a esté. Voila ce que nous avons à noter en premier lieu.

Et ainsi quand nous oyons qu'il est dit, que Dieu a laisse cheminer les hommes en perdition, notons bien que c'est d'autant qu'il n'a point fait ceste grace à tous de leur donner la doctrine especiale qu'il avoit reservee à son peuple et à son Eglise: mais ce n'est pas pour les excuser. Dieu donc a laissé courir les hommes à l'esgaree, et se sont tous abysmez en perdition: mais tant y a qu'il est demeuré quelque semence en leurs coeurs, et qu'ils ont esté convaincus, tellement qu'ils ne pouvoyent pas dire, Nous ne savons que c'est de Dieu, nous n'avons eu nulle religion: d'autant que nul ne s'en pouvoit exempter: car cela est demeuré engravé en la conscience, que le monde ne s'estoit point formé de soi, qu'il y avoit quelque maiesté celeste à laquelle-il se faut assuiettir. Vrai est que sainct Paul (Rom. 1, 20) parle notamment du tesmoignage que Dieu a imprimé aux creatures, d'autant que l'ordre du monde est comme un livre qui nous enseigne, et nous doit mener à Dieu: mais

6

cependant si nous faut-il revenir à ce qui est traitté au second chapitre des Romains (v. 14. 15) que Dieu a enregistré en nos consciences une certitude telle, que nous ne pouvons point effacer la cognoissance que nous avons du bien et du mal. Chacun n'aura pas ce que nous oyons aux trois amis de Iob: mais tant y a que nous ne trouverons iamais homme si rude ne si barbare, qui n'ait encores quelque remors en soi, qui ne sache qu'il y a quelque Dieu, et qui n'ait quelque discretion pour condamner le mal, et approuver le bien. Ce sont donc des traces que Dieu a laissé au coeur des plus ignorans, à fin que les hommes ne se puissent couvrir d'aucune excuse, mais qu'ils soyent condamnez par le procez qu'ils auront là dedans caché. Et cependant notons que c'est folie que les hommes ayent combatu contre Dieu pour soustenir la doctrine laquelle avoit regné entre eux. Car comment est-il possible, veu que la cognoissance de Dieu reluisoit si claire au monde (comme nous avons veu par cy devant) que tous en pouvoyent estre esclairez, qu'ils se soyent adonnez à une brutalité si lourde d'adorer les bois et les pierres, d'adorer le soleil et la lune, qu'ils en ayent fait des marmosets, et n'ayent plus cognu que c'estoit du Dieu vivant Comment cela a-il peu advenir? Car c'est autant comme si un homme en plein midi s'alloit heurter à son escient, et qu'un yvrongne se fourvoyst, combien que devant ses yeux il vist le droit chemin. Nous voyons donc que les hommes ne se sont point desbauchez par simplicité, mais qu'ils ont despité Dieu par certaine malice: pourtant notons-le bien, à fin que nous ne recourions plus à ces subterfuges accoustumez, pour dire, O voila, si les hommes sont tellement esblouis qu'ils ne cognoissent point que c'est de Dieu, cela ne leur doit-il point servir d'excuse? Au contraire quand aucuns allegueront cecy, prenons pour response ce qui est dit en sainct Iean (1, 5), Que la clarté a tousiours luit en tenebres, et nous le voyons par l'exemple present: car il eust esté impossible que les hommes se fussent ainsi esgarez en des superstitions si lourdes et enormes, s'ils ne s'y fussent iettez de leur bon gré. Il y a eu donc de la malice et de la rebellion avec l'ignorance, quand les hommes ont delaissé le droit chemin de salut, et se sont adonnez à leurs idoles. Voila ce que nous avons à retenir

Et c'est à fin que nous soyons tant plus attentifs à cheminer, cependant que la clarté nous dure. I'ay desia dit, que si Dieu nous fait la grace de nous monstrer le chemin, il nous faut haster, et n'est point question de dormir, et tant moins de former les yeux à nostre escient. Auiourd'huy nous voyons comme une obscurité grande qui do mine sur la plus part du monde: les povres Papiste

SERMON CXIX

7

s'en vont à l'esgaree, et ne savent que c'est qu'ils font. Et pourquoy? Car Dieu les a abandonnez, comme ils en sont dignes, il faut que sa vengeance soit comme un deluge qui les couvre, et qui les mette en perdition, puis qu'ils ont mis en oubli la verité. Or de nostre part nous avons Iesus Christ qui est le soleil de iustice lequel luit sur nous: il ne faut point donc que nous ayons icy les yeux clos, mais cheminons pendant que le iour nous dure, suivons l'exhortation qui nous est faite, et que nous ne soyons point coulpables d'avoir effacé à nostre escient la cognoissance qui nous est auiourd'huy donnee. Voila donc ce que nous avons à retenir en premier lieu de ce passage.

Or quant au courroux d'Eliu, notons qu'il n'est pas icy blasmé comme d'une passion exorbitante: mais c'est une indignation bonne et louable, d'autant qu'elle procede d'un zele qu'Eliu avoit envers la verité de Dieu, voyant Iob qui se veut iustifier en sorte qu'il s'estime iuste par dessus Dieu. les amis de Iob n'avoyent point ceste cognoissance-la: car ils debatoyent contre luy, qu'il estoit un meschant: Iob declare que non, et la verité est telle, mais (comme nous avons dit) il excede de mesure, et combien que sa cause soit bonne, il la gouverne mal, et a pris une mauvaise procedure. Eliu donc regarde à ce que Iob s'estoit par trop desbordé et qu'il a quelquefois murmuré par impatience: et en cela il s'est voulu faire iuste par dessus Dieu. Et puis il se fasche contre ceux qui entreprennent une mauvaise cause a la volee et n'en peuvent venir à bout, et demeurent là confondus quand ce vient au besoin. Voicy donc Eliu qui est enflammé d'ire, mais ce n'est pas sans cause. D'autant donc que son zele est bon, voyla pourquoy le S. Esprit approuve l'ire et le courroux qui a esté en luy.

Or cependant il nous faut noter ce mot que Iob s'est voulu iustifier par dessus Dieu. Vray est que son intention n'a pas esté telle, et il eust mieux aimé cent fois que la terre l'eust englouti, ou n'avoir iamais esté nay au monde, que d'avoir pensé un tel blaspheme. Et defait, nous avons dit, toutes fois et quantes qu'il s'est desbordé, que ce n'a pas esté pour faire une conclusion, mais il a ietté ses bouillons: comme il est difficile aux hommes de se retenir, qu'il ne leur eschappe beaucoup de passions souventesfois. Voila comme Iob en a este: et aussi en la fin tousiours il s'est condamné: et s'il y avoit de la faute, il ne l'a point voulu excuser. Comment donc est-il dit, qu'il s'est voulu iustifier par dessus Dieu? Or ce mot contient une bonne doctrine et bien utile: car nous sommes icy enseignez, qu'en n'y pensant point nous pourrions souvent blasphemer Dieu. Et en quelle sorte? Contestans contre luy. Si nous ne trouvons bon tout ce que Dieu fait, voire sur tout quand il nous afflige, il

8

est certain que nous voulons estre iustes par dessus luy. Il est vray que nous ne le dirons pas, et aussi nous n en aurons pas une telle persuasion en nous: mais la chose le monstre: cela suffit pour nostre condamnation quand nous ne donnons point gloire à la iustice de Dieu, pour le iustifier. Cecy sera mieux entendu par l'exemple. Voicy Iob qui cognoist que Dieu est iuste, voire il le cognoist sans feintise: quant à luy il se confese un povre pecheur, et qu'il y a beaucoup à redire en luy, et mesmes s'il veut quereller contre Dieu, qu'il sera convaincu mille fois devant qu'il ait respondu à un seul article. Iob donc ne se veut pas directement iustifier par dessus Dieu, ny mesmes faire egal. Or cependant que dit-il? Ie m'esbahi pourquoy Dieu m'afflige ainsi, et qu'y a-il à redire en moy? Et puis, Ie suis une povre creature, pleine d'infirmité: et faut-il que Dieu desploye son bras robuste contre moy? Que ne me fait-il mourir du premier coup? Quand Iob s'abandonne ainsi à tant de murmures et despitemens, il n'y a nulle doute qu'il ne se face iuste par dessus Dieu. Et pourquoy? Il luy semble que Dieu n'a point de raison de l'affliger ainsi: et pource qu'il ne cognoist point pourquoy cela se fait, il ne demande sinon que Dieu vienne là comme sa partie adverse. Et puis il se despite en second lieu, de ce que Dieu ne le consume pas du premier coup, et qu'il ne l'envoye aux abysmes. Quand donc Iob a des passions si vehementes, il n'y a nulle doute qu'en ce faisant il ne se face iuste par dessus Dieu. Et c'est ce que i'ay desia dit, que nous blasphemerons souvent en nos passions sans y penser: et cela nous doit rendre tant plus avisez de ne point lascher la bride à nos passions à fin de n'estre point si miserables que de blasphemer Dieu sans que nous y pensions. Ceste doctrine donc nous est bien utile. Quand le sainct Esprit prononce que tous ceux qui se despitent et murmurent en leurs afflictions, tous ceux qui ne se peuvent assuiettir à la main forte de Dieu pour confesser que tout ce qu'il fait est-iuste et raisonnable, que tous ceux-la se font iustes par dessus Dieu: et encores qu'ils ne le disent pas, mais qu'ils protestent cent fois qu'ils ne le voudroyent iamais penser, la chose est telle neantmoins. Et voicy un iuge competent qui en a donné l'arrest, il n'est point question de regimber à l'encontre: car nous n'y gaignerons rien. Ainsi donc que reste-il, sinon que nous apprenions de nous condamner devant toutes choses, et quand nous venons devant Dieu, que tousiours nous apportions nostre procez fait pour dire que nous sommes povres pecheurs? et au reste quand les iugemens de Dieu qu'il exercera sur nous, nous sembleront trop aigres, que nous les portions patiemment, sans faire plus grandes enquestes. Si nous trouvons estrange que Dieu

IOB CHAP. XXXII.

9

nous traitte en trop grande rigueur, et que nous ne voyons point la raison pourquoy il le fait, s'il nous semble que le mal dure trop, et que Dieu D'espargne point nostre fragilité, qu'il n'ait point pitié de nous comme il doit: que nous ne laschions point la bride à telles phantasies pour y consentir, mals que tousiours cecy nous vienne en memoire, Dieu est iuste, quoy qu'il en soit. Il est vray que nous n'appercevrons point la raison de ce qu'il fait, mais d'où procede cela, que de nostre infirmité et rudesse? Faut-il que nous mesurions la iustice de Dieu par nostre sens? Où seroit-ce aller? Quel propos y auroit-il? Ainsi donc que nous apprenions de glorifier Dieu en tout ce qu'il fait: et combien que sa main nous soit rude, que nous ne laissions pas tousiours de confesser, Helas Seigneur si i'entre en procez avec toy, ie say bien que ma cause est perdue. Voila comme y procede Ieremie (12,1), et nous monstre le chemin de ce que nous avons à faire: car combien que les confusions fussent si grandes, qu'il pouvoit estre effarouché avec le reste du peuple pour murmurer, toutes fois il use de ceste preface, Seigneur, ie say que tu es iuste: il est vray que ie voudroye entrer en dispute contre toy, ie suis solicité de mon appetit charnel: et quand ie voy les choses estre si confuses, ie voudroye bien m'enquerir pourquoy c'est que tu besongnes en telle sorte. Ie suis donc tenté de cela: mais Seigneur devant que me donner ceste licence de m'enquerir pourquoy tu le fais ainsi, desia ie proteste que tu es iuste, que tu es equitable, et que rien ne peut sortir de toy qui ne soit digne de louange.

Voila donc la procedure que nous devons tenir, toutes fois et quantes que les iugemens de Dieu incomprehensibles nous vienent au devant: c'est à savoir que nous cognoissions que nostre esprit n'est point capable de monter si haut, et que ce sont des abysmes trop profonds pour nous. Et sur tout pratiquons cela en nos personnes: car pource que les hommes sont pleins d'hypocrisie, ils cuident tousiours estre purs devant Dieu et innocens: et s'ils ne se font à croire cela du tout, si est-ce neantmoins qu'il leur semblera bien que Dieu n'a point occasion de les poursuivre en si grande rigueur: chacun se flatte pour amoindrir ses pechez, encores qu'il en soit convaincu. Et bien, il est vray que ie suis pecheur, dira-on, mais si ne suis-ie point des pires du monde. Et pourquoy ne cognoissons-nous point la grandeur de nos pechez? C'est pource que nous mettons des bandeaux devant nos yeux. D'autant donc que nous sommes enflez d'orgueil, il faut que nous pratiquions ceste leçon, sur tout quand Dieu nous afflige, de ne point entrer en querelle contre luy, encores qu'il nous semble que ses chastimens soyent rudes par trop:

10

mais cognoissons qu'il y a mesure en tout ce qu'il fait, et qu'il n'est point excessif: à fin que cela nous apprenne de nous renger paisiblement à sa volonté. Et mesmes quand Dieu ne nous punira point pour le regard de nos pechez, sachons que c'est autant de grace qu'il nous fait, que c'est un privilege especial qu'il nous donne: car il auroit tousiours iuste raison de nous punir encores que nous fussions les plus iustes du monde. Or est-il ainsi que nous sommes bien loin d'une telle perfection. Qu'est-ce donc que Dieu nous pourroit faire? Cependant s'il nous visite pour esprouver nostre patience, qu'il nous face mesme ceste grace de souffrir pour son nom, encores qu'il nous peust chastier pour nos pechez: cognoissons qu'il nous fait un trop grand honneur, et là dessus humilions nous: et qu'un chacun en son endroit ait ceste modestie-la de dire, Et bien, ie voudroye que Dieu me traittast d'une autre façon, et me semble bien qu'il passe mesure en m'affligeant: mais si est-ce que ie cognoy qu'il ne le fait point sans cause, et si ce n'est pour mes pechez qu'il m'afflige, c'est autant de grace qu'il me fait: car i'en ay merité d'avantage: et pourtant il faut que ie baisse la teste me submettant du tout à sa bonne volonté.

Voila donc comme Dieu sera glorifié par nous, et que nous luy attribuerons la iustice qui est sienne c'est à savoir quand nous aurons la bouche close, comme aussi sainct Paul en traitte au troisieme des Romains (v. 19): A fin, dit-il, que toute bouche soit close, et que tout le monde se cognoisse redevable à Dieu, et que luy seul soit iustifie. Comment est-ce que Dieu sera iustifié par nous selon sainct Paul? A savoir quand nous demeurerons tous condamnez, et que nous n'aurons point ceste hardiesse de nous rebecquer contre luy: mais que nous confesserons librement que nous luy sommes tous redevables. Si donc nous en venons là alors Dieu sera iustifié, c'est à dire sa iustice sera approuvee de nous avec telle louange qu'elle merite. Mais au contraire, si les hommes s'eslevent et qu'ils ne cognoissent point qu'ils sont redevables pour se condamner, et qu'ils ne confessent la dette de laquelle ils sont obligez devant Dieu: combien qu'ils protestent de vouloir iustifier Dieu, c'est à dire de le confesser iuste, si est-ce neantmoins qu'ils le condamnent. Au reste, quand il est dit, qu'Eliu a esté ainsi enflammé, notons qu'il y a grande difference entre un courroux qui procedera d'un zele de Dieu, et celuy que chacun de nous aura, ou pour ses biens, ou pour son honneur, ou pour le regard de soy. Car celuy qui se courrouce et se despite d'une passion privee n'a nulle excuse: et encores qu'il allegue que sa cause est bonne: tant y a qu'il offense Dieu en se courrouçant: car nous sommes trop aveugles en nos passions. Voila

SERMON CXIX

11

donc pour un Item, qu'il nous faut tenir la bride courte à tous courroux: voire quand nous sommes incitez à nous fascher contre nos prochains au regard de nos personnes. Mais il y a un courroux qui est bon, c'est à savoir qui procede du sentiment que nous avons quand Dieu est offensé. Quand donc nous sommes enflammez d'un bon zele, et que nous maintenons la querelle de Dieu, si nous sommes courroucez, o nous ne sommes pas coulpables en cela: mais notons que ce courroux ici est sans acception de personnes. Si quelqu'un est courroucé d'une passion charnelle, é celui-la a regard à soy, et se veut maintenir: et puis il veut monstrer qu'il porte faveur à ses amis, et qu'il fait plus pour eux que pour les autres, il y a donc acception de personnes, d'autant que nous avons regard à nous. Plustost il faut que nous nous courroucions contre nous, si nous voulons que Dieu approuve nostre ire et nostre courroux. Et c'est ce que sainct Paul dit (Eph. 4, 26): car il allegue notamment ce qui est dit au Psaume (4, 5), de nous courroucer, voire sans offenser. Et comment cela se fait-il? C'est quand l'homme entre en soy, et qu'il s'espluche à bon escient, et qu'il n'a point tant regard aux autres qu'à soy pour se condamner, et pour batailler contre toutes ses passions. Voila donc comme il nous faut courroucer, et par quel bout il nous faut commencer nostre courroux, si nous voulons qu'il soit approuvé de Dieu: c'est à savoir qu'un chacun regarde à soy, et qu'il se despite contre ses pechez et contre ses vices: et que nous iettions là nostre colere, voyans que nous avons provoqué l'ire de Dieu contre nous, voyans que nous sommes pleins de tant de povretez. Que donc nous soyons faschez et despitez de cela, que nous commencions par un tel bout: et puis que nous condamnions le mal par tout où il sera trouve, et en nous et en nos amis: et que nous ne soyons point menez de quelque haine particuliere: que nous ne iettions point nostre rage sur quelqu'un, d'autant que desia nous sommes preoccupez de quelque affection mauvaise contre luy. Voila comme nostre courroux sera louable et monstrerons qu'il procede d'un vray zele de Dieu. Vray est que nous ne pourrons point encores tenir mesure: car combien que le zele de Dieu domine en nous si est-ce qu'encores pourrions nous faillir excedans mesure, n'estoit que Dieu nous retint. Il faut donc que nous ayons et prudence et moderation en ce zele. Mais tant y a (comme i'ay desia dit) que ce courroux de soy sera louable, quand il viendra de ceste source, c'est à savoir que nous haissions le mal par tout où il sera trouvé, et fust-ce en nos personnes.

Or maintenant donc qu'est-ce que nous avons à noter de ce passage? En premier lieu c'est que

12

nous ne devons point condamner tout courroux: quand nous voyons qu'un homme s'eschauffe et se colere, il ne faut point que nous attribuons tousiours cela a vice: comme nous voyons des moqueurs de Dieu qui diront, se faut-il ainsi tempester? Se faut-il courroucer? Ne sauroit-on user d'une façon paisible? Ils blasphemeront Dieu meschamment ils le despiteront: comme on en voit beaucoup qui voudroyent renverser toute bonne doctrine, ne demandans sinon de mettre telles corruptions par tout, qu'on ne cognust plus que c'est de Dieu, et que sa verité fust ensevelie. Or ayans fait cela, ils voudroyent qu'on dissimulast, ou bien qu'on approuvas tout ce qu'ils font, et qu'en chaire on ne fist que conter des fables, qu'il n'y eust nulles reprehensions. C'est bien à propos, (diront ils) ne sauroit-on precher sans se courroucer? Et comment? Est-il possible que nous voyons qu'une creature mortelle et caduque s'esleve ainsi contre la maiesté de Dieu, pour fouler au pié toute bonne doctrine: et cependant que nous portions cela patiemment? Nous monstrerions bien par cela que nous n'avons nul zele de Dieu: car il est dit au Psaume (69, 10), Que le zele de la maison de Dieu nous doit manger. Car si nous avions un ver qui nous rongeast le coeur, nous ne devrions point estre tant esmeus, que quand il y a quelque opprobre qui est fait à Dieu, que nous voyons que sa verité est convertie en mensonge. Ainsi donc apprenons de ne point ainsi dissimuler aux vices: mais discernons entre le zele de Dieu, et entre le courroux charnel dont les hommes sont esmeus et enflammez pour leurs querelles propres: comme ici il est dit, qu'Eliu a este enflammé d'indignation, qu'il s'est courroucé ardemment, et cela toutes fois luy est reputé à vertu: car c'est le sainct Esprit qui parle. Cognoissons, di-ie, par cela qu'il ne nous faut point du premier coup reietter tout courroux, mais que nous devons discerner la cause pourquoy un homme sera enflammé: car quand il luy fait mal qu'on offense Dieu, et que la vérité est renversee, considerons que cela procede d'une bonne fontaine. Et au reste apprenons (suivant ce que i'ay desia dit) de desployer nostre colere, quand nous voyons que l'honneur de Dieu est blessé, et qu'on tasche d'obscurcir sa vérité, ou de la desguiser que nous soyons esmeus de cela, que nous soyons enflammez, pour monstrer que nous sommes enfans de Dieu: car nous n'en pouvons pas donner meilleure approbation. Et cependant toutes fois, que nous tenions mesure, tellement que nous ne meslions point nos passions excessives parmi le zele de Dieu, que nous ayons ceste prudence de discerner: et apres, combien que nous hayssions les vices et les detestions, que toutes fois nous taschions d'amener les personnes à salut. Or il est vray que

IOB CHAP. XXXII,

13

la pratique de ceci est difficile: mais Dieu nous y guidera moyennant que nous souffrions d'estre conduits par son sainct Esprit, et que nous luy donnions toute autorité sur nous. Cependant nous devons bien noter ceste doctrine, d'autant qu'auiourd'huy nous voyons des occasions infinies pour nous courroucer si nous sommes enfans de Dieu. D'un costé voila les Papistes qui ne demandent que d'aneantir toute religion. Il est vray qu'ils feront bien semblant de maintenir la Chrestienté: mais quoy qu'il en soit, si ne demandent-ils sinon d'opprimer la maiesté de Dieu. Nous voyons comme sa verité est desciree par pieces, on voit les blasphemes execrables qui sont desgorgez par eux. Ie vous prie, quand ces choses ici ne nous toucheront point au vif, que nous n en serons point navrez, comme Si on nous donnoit des coups de dague: ne monstrons-nous point par cela que nous ne savons que c'est de Dieu, et que nous ne sommes pas dignes d'estre avouez pour ses enfans? Nous sommes si delicats quand nostre honneur est blessé, que nous ne le pouvons pas endurer: et cependant l'honneur de Dieu sera exposé à tout opprobre et ignominie, et nous ne ferons semblant de rien? Et ne faut-il pas que Dieu nous reiette, et qu'il nous monstre que nous n'avons nulle affection à son honneur pour le maintenir? Voila pour un Item.

Or il ne faut point encores aller si loin qu'aux

Papistes mais entre nous quand nous voyons ces chiens et porceaux qui ne demandent qu'à tout infecter, qui viendront ietter leur groin sur la parole de Dieu, et qui ne taschent que de renverser tout, que nous voyons ces mocqueurs de Dieu, que nous voyons ces vilains prophanes qui viendront convertir tout en risee et en mocquerie que nous voyons les meschans ainsi desguiser les choses, et qu'ils corrompent et pervertissent tout par leurs

14

fausses calomnies, que nous voyons des heretiques semer leur poison pour tout perdre: voyans toutes ces choses-la, ie vous prie, n'en devons-nous point estre touchez? Il est dit que quand on se dresse ainsi contre Dieu, c'est autant comme si on le navroit mortellement. Ils sentiront, dit-il (Zach. 12, l0), celuy qu'ils ont percé: Dieu declare qu'on luy vient donner des coups de dague: et cependant il ne nous en chaudra? Dieu declare que son Esprit est contristé, et comme languissant: et nous n'en ferons que rire? Apres, nous orrons ces blasphemes execrables, que le nom de nostre Seigneur Iesus sera desciré par pieces: il n'est question que de mespris auiourd'huy, et le nom de Dieu sera en opprobre, tellement que si on estoit entre les Turcs on en auroit honte: nous voyons les vilenies qui se commettent d'un costé les paillardises, les dissolutions, d'autre costé les outrages les violences. Bref, on voit tout estre desbordé iusques au bout: et quand nous n'en faisons autre conte, declarons-nous que nous soyons enfans de Dieu et Chrestiens? Quelle approbation donnons-nous de nostre Chrestienté D'autant plus donc nous faut-il adviser d'avoir un autre zele, que nous n'avons pas eu par cy devant: et quand chacun de nous sera fasché que ce soit à cause de nos pechez et sur tout quand nous voyons que Dieu est griefvement offensé. Voila comme nous aurons un courroux que Dieu approuvera, comme celuy duquel il est icy parlé, et que le S. Esprit louë. Et cependant toutes fois d'autant qu'il nous est facile de decliner, que nous ne laschions point la bride à nos passions: mais que nous prions Dieu qu'il nous gouverne tellement par son sainct Esprit, que nostre zele soit du tout pur, à fin qu'il soit approuve de luy.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON CXX

15

LE CENT ET VINGTIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXII. CHAPITRE.

4. Eliu attendit que Iob eust mis fin à ses propos, d'autant que tous estoyent plus anciens que luy 5. Et Eliu voyant ces trois hommes n'avoir nulle raison fut esmeu de courroux. 6. Eliu donc fils de Barachel Buzite respondant dit, Ie suis moindre que vous en aage, vous estes anciens: pourtant i'ay craint et redouté de mettre en avant mon advis. 7. Car i'ay pensé, les ans parleront, et la longueur du temps produira sagesse: 8. Mais c'est l'Esprit de Dieu qui est aux hommes, et l'inspiration du Tout puissant donne intelligence. 9. les grans ne seront point sages pourtant, et les anciens n'auront point iugement. 10. Et pourtant ie di, Escoute moy, et ie monstreray aussi ma doctrine.

Nous traittasmes hier du zele d'Eliu, lequel nous est ici loué par le sainct Esprit, et monstrasmes à quoy cest exemple nous doit servir: c'est à savoir, que quand nous voyons la verité de Dieu estre obscurcie et son nom blasphemé, cela nous doit navrer le coeur. Aussi nous monstrasmes, que si nous avons quelque affection à Dieu et à son honneur, alors entant qu'en nous est, nous devons maintenir sa verité. Il est vray qu'un chacun n'aura point doctrine pour ce faire: mais tant y a que selon nostre portee et mesure il nous faut monstrer que nostre intention est de resister au mal, et n'y point consentir. Or cependant il fut touché que ce zele doit estre moderé avec raison: qu'il ne faut pas que nous soyons esmeus d'impetuosité trop grande, mais qu'il y ait quelque bon regard meslé parmi. Et c'est ce que maintenant nous avons leu, Qu'Eliu ne s'est point hasté par trop, mais a presté l'aureille à tous les propos qui estoyent mis en avant: et en cela il a monstré sa modestie. Notons bien donc que si un homme s'avance à la volee, ne sachant s'il est besoin qu'il parle ou non, cela ne luy sera point reputé à zele. Pour exemple, nous en verrons beaucoup qui ne demandent que d'avoir lieu pour parler: toutes fois possible qu'il y en a qui pourroyent deduire beaucoup mieux les propos qu'eux: mais il leur semble que iamais ils n'y viendront à temps. Ceste hastiveté-la ne peut estre iamais approuvee. Et qu'ainsi soit, celuy qui parle pour instruire les autres, que fait-il s'il y en a qui le puissent faire beaucoup mieux? Il auroit besoin d'estre enseigné, et il s'ingere d'estre maistre. Or il y a encores une faute seconde: car si un homme ignorant, ou

16

qui ne sera pas trop bien fondé, babille, il ferme la bouche à ceux qui avoyent plus de grace, et le moyen de mieux edifier. Notons bien donc que où il n'y a point de modestie, le zele sera volage, et n'est point gouverne par l'Esprit de Dieu. Car l'Esprit de Dieu nous dessertira bien de ses graces, mais il n'est iamais contraire à soy. Puis qu'ainsi est donc qu'il est nommé Esprit de prudence, il faut que nous discernions quand il sera besoin de parler, ou de nous taire. Il est vray qu'un homme pourra bien avancer quelque bon propos, combien qu'il ne soit point des plus habiles, et qu'il y en aura qui le passent: mais cependant Si faut-il que ce soit en crainte, et qu'il monstre qu'il est venu prest et appareillé de profiter, et qu'il aime mieux estre disciple que maistre. Quand un homme y procedera ainsi, combien qu'il parle devant tous, il ne laissera pas d'estre modeste et humble: mais si un homme file ses propos, et qu'il n'y ait point de fin, et qu'il determine de toutes choses: en cela monstre-il qu'il y a quelque ambition vaine en luy, et au reste qu'il ne donne point lieu à la grace de Dieu comme il devroit.

Voila donc ce qui nous est monstre en l'exemple d'Eliu quand il dit, Qu'il a attendu les propos iusques à ce qu'il y eust fin: car il ne savoit pas encores où la chose devoit venir. Et cependant il adiouste, Qu'il a porté l'honneur à l'aage: car il voyoit et Iob et ceux qui parloyent avec luy estre gens anciens: et pource que l'asge apporte avec soy experience et gravité, Eliu ne s'ingere point, sachant que Dieu ayant laissé vivre long temps en ce monde un homme, luy donne grace de pouvoir profiter à ceux qui sont plus ieunes: car il a plus veu, et cependant aussi il doit estre plus posé, et avoir acquis quelque prudence. Voila donc ce que nous avons à observer en second lieu: c'est à savoir qu'Eliu cognoissoit que ceux qui parloyent devant luy, estoyent plus aagez. Or ici les ieunes gens ont une bonne leçon et utile, moyennant qu'ils la puissent bien pratiquer. Car (comme desia nous avons dit) si un homme a vescu longuement, il doit avoir retenu ce que Dieu luy a monstré par usage: et cela luy doit servir non seulement pour soy, mais aussi pour donner bons advertissemens aux autres qui ne sont pas tant expérimentez. Il y a aussi la gravité quant et quant: car les ieunes gens doivent penser, Encores que Dieu nous ait donné quelque esprit, tant y a que nous n'avons

IOB CHAP. XXXII

17

point beaucoup veu, et que c'est un grand deffaut. Si un homme n'a l'usage, il est certain que tous les coups il se iettera, à la volee: car il ne regarde point l'issue des choses, il ne sait par où il faut commencer: et outre plus ceste colere qui est aux ieunes gens, est du tout contraire à raison et bonne intelligence. Quand un ieune homme sera bien reglé, et qu'il aura savoir quant et quant, si est-ce toutes fois que la ieunesse precipite les gens, et il y a en leur nature des bouillons tels qu'ils ne se peuvent pas retenir. Nous voyous que sainct Paul exhorte Timothee de n'estre point suiet aux appetits de ieunesse (2. Tim. 2, 22). Or il n'entend point par les appetits de ieunesse, d'estre desbauché ou en ieux, ou en paillardises, on en yvrongnerie, et autres dissolutions. Timothee estoit un miroir et patron de toute saincteté en soy, il faut mesmes que sainct Paul l'exhorte à boire du vin (1. Tim. 5 23): or toutes fois il luy parle d'appetis de ieunesse. Et pourquoy? Car d'autant qu'il estoit ieune d'aage, il pouvoit encores estre trop hastif en d'aucunes choses. Ainsi donc s'il a fallu que Timothee receust ceste admonition ici, luy qui surmontoit les anciens en prudence et en gravite: que sera-ce du commun peuple? Et ainsi que les ieunes gens regardent à eux: car s'ils n'ont ceste honesteté d'escouter ceux qui sont plus aagez, et d'apprendre d'eux, et de suivre leur conseil: il est certain que quand ils auroyent toutes les vertus du monde, ce seul vice sera pour les contaminer, et souiller toutes. Or si est-ce un vice fort commun que ceste presomption: car les ieunes gens, d'autant qu'ils n'ont point senti les difficultez qui sont en beaucoup de choses, marchent hardiment: car rien ce leur couste, rien ne leur est impossible. La ieunesse donc emporte tousiours presomption avec soy, et c'est un mal ordinaire et par trop: tant y a que si n'est-il point à supporter. Car (comme nous avons dit) si un ieune homme a beaucoup de vertus au reste, et qu'il se fie en soy, et mesprise les gens aagez, et qu'il luy semble qu'il est assez habile pour mener le reste: Dieu le confondra en tout son orgueil, et toutes les graces qui estoyent en luy seront abolies. Et d'autant plus ceux qui sont ieunes, et qui n'ont pas encores beaucoup veu, se doivent tenir en bride. Et mesmes quand nous voyons qu'auiourd'huy le monde est si desbordé, que les ieunes gens ont cueilli une audace diabolique, qu'il n'est point question de recevoir ny doctrine ny rien qui soit: ceux qui ont quelque crainte de Dieu doivent tant plus batailler contre eux-mesmes, à fin qu'ils ne soyent point transportez à la façon commune. Nous verrons ces ieunes rustres, si tost qu'ils ne sont plus suiets aux verges, ils feront des hommes: et toutes fois ils ne sont pas dignes encores d'estre appelez

18

enfas. Ce sont comme ieunes poussins esclous de trois iours, et si est-ce qu'ils veulent estre grans. Et en, on devroit encores les tenir sous la verge dix ans: mais les voila hommes formez, ce leur semble. Et en quoy? En audace: il y a une impudence de putain, ils ne veulent plus estre suiets à nulle discipline ne correction: on voit cela. Or ceux à qui Dieu a fait quelque grace, doivent bien penser à eux, quand un vice est si commun, et que c'est comme une maladie contagieuse, et prendre garde de n'y estre point enveloppez: car il fa droit qu'ils en fussent transportez comme les autres, si Dieu ne leur tenoit la main forte.

Ainsi donc que les enfans de Dieu soyent sur leurs gardes, et qu'ils sachent quand ils seront modestes, que ce sera beaucoup, encores qu'il n'y ait point de si belle monstre: et combien que ceux qui se veulent avancer les mesprisent pour cela d'autant qu'ils ne vont point le front levé, qu'ils sachent qu'ils sont beaucoup plus approuvez de Dieu, et qu'il benira ceste honesteté qui est en eux, et fera qu'ils profiteront plus en deux ans, que ceux qui seront par trop hastifs en quatre. Nous voyons ce qui advient aux fruicts: quand un fruict sera bien tost meur, et qu'il aura tantost cueilli sa couleur, il passe aussi incontinent: mais un fruict qui sera plus tardif, est de longue duree. Ainsi en est-il de ceux qui se veulent avancer outre le temps: il est vray qu'ils auront belle monstre, et y prendra-on quelque goust: mais cela n'a point de fermeté en soy. Au contraire ceux qui auront quelque vergongne et honesteté, qui n'auront nulle presomption pour s'avancer hastivement, il est vray que ceux-la seront tardifs: mais cependant nostre Seigneur leur donne vertu qui dure plus long temps. Voila donc un bon poinct à retenir de oc passage. Il est vray que la modestie est une vertu convenable à tous: mais tant y a que les ieunes gens doivent observer ce qui est icy dit, qu'ils portent honneur aux anciens, cognoissans que de leur costé ils pourroyent avoir des bouillons trop excessifs, et qu'il est besoin que d'autres les retienent: car ils ne sont point assez posez de leur nature, et puis ils n'ont point l'usage pour estre prudens comme il seroit requis. Or au reste quand un ieune homme s'est porté ainsi modestement, si faut-il qu'en temps opportun il desploye ce qui lui est donné de Dieu: voire et fust-ce entre les vieilles gens: car l'ordre de nature n'empesche pas quand les anciens ne s'acquitteront point de leur devoir, que les ieunes ne suppleent en cest endroit-la: et mesmes iusques à faire honte à ceux qui ont long temps vescu, et lesquels auront mal employé le temps que Dieu leur avoit donné, et l'auront du tout perdu. Voila donc le moyen que nous avons à tenir: c'est que la reverence

SERMON CXX

19

que les ieunes gens portent aux plus aagez ne doit pas empescher que tousiours la verité ne soit maintenue, que Dieu ne soit honoré, et que les vices ne soyent reprimez. Car il pourra advenir que les plus aagez seront destituez de l'Esprit de Dieu, ou gens malins qui n'auront en eux que fraude et desloyauté: ou bien ce seront gens opiniastres en escervelez. Alors faut-il que les ieunes gens soient tellement retenus sous le ioug, que par l'autorité des anciens ils soyent destournez de Dieu, et de sa parole, et de ce qui est bon et sainct? Nenny.

Ainsi donc notons que ceste modestie n'emporte pas que les ieunes gens s'abrutissent, pour ne rien iuger ne savoir: mais il suffit qu'ils ne presument point d'eux-mesmes, pour s'escarmoucher et ietter leurs escumes devant le temps. Qu'ils escoutent, qu'ils soyent dociles, qu'ils soyent tousiours prests de faire silence, quand quelque bon propos sera mis en avant: et mesmes qu'ils se gardent d'occuper la place d'autruy. Ont-ils fait cela? S'ils voyent que les anciens ne monstrent pas bon exemple, mesmes qu'ils pervertissent le bien le tournans en mal: alors il faut (comme i'ay desia dit) que l'Esprit de Dieu se monstre où il sera. Comme de nostre temps, ceux qui avoyent esté nourris aux superstitions de la Papauté, d'autant plus qu'ils avoyent vescu au monde, tant moins avoyent-ils de doctrine. Or d'attendre que Dieu se fust voulu servir d'eux, il n'estoit pas besoin: ie di du commun. Voila donc les gens aagez qui avoyent eu longue experience. Mais quoy? Ils ont esté plongez en tenebres, il n'y a eu nulle cognoissance de Dieu, nulle pureté de religion. Qu'est-ce donc que l'aage pouvoit apporter à telles gens, sinon une opiniastreté plus grande? Car ils ont esté confits en erreurs, ils y ont esté adonnez tellement qu'il sembloit qu'il n'y eust moyen de les reduire. Or si Dieu a voulu appeler des ieunes gens, qui fussent pour mettre en avant sa parole, il ne falloit pas que le sainct Esprit fust ainsi bridé, et que les ieunes gens ne parlassent, et que les anciens ne fussent prests de les ouir. Il est vray que Dieu encores s'est voulu servir des anciens, comme il en a appellé de toutes sortes: mais tant y a qu'il a declaré que sa verité n'estoit point attachee à l'aage. Ainsi donc nous voyons maintenant quelle modestie doit estre en tous hommes generalement, et aux ieunes sur tout: c'est à savoir qu'ils se rendent paisibles pour apprendre tant que l'occasion leur sera donne, et qu'ils n'appetent point de se faire valoir, qu'ils n'ayent point une folle cupidité de monstre: mais qu'en silence ils reçoivent ce qui sera mis en avant par les autres, et qu'ils ne se prisent pas tellement qu'ils ne cognoissent qu'ils ont besoin d'estre conduits et gouvernez

20

par ceux qui ont plus d'experience. Cela est-il fait? O il ne faut point que sous ombre d'ancienneté nous soyons retenus pour ne plus iuger, et que nous allions comme povres bestes, et quand les gens aagez nous auront dit, Il faut ainsi faire, nous tenions comme un oracle tout ce qui sera sorti de leur bouche. Car la discretion doit estre coniointe avec le zele: comme nous avons desia declaré, que l'Esprit de Dieu contient en soy tous les deux. Ainsi donc s'il y a modestie aux hommes, il faut qu'il y ait et zele et discretion: et non seulement il ne faut pas que nous soyons bridez a, l'autorité de ceux qui ont long temps vescu: mais mesmes quand il est question de nous amener tout le monde, l'ancienneté ne doit apporter nul preiudice à ce qui est droit et utile. Comme quoy? I'ay desia dit, que si toutes les vieilles gens de la Papauté avoyent conspiré contre l'Evangile, et qu'ils voulussent qu'on se tint à leur façon accoustumee é il n'est pas dit que cela ferme la porte à Dieu et à sa parole.: que les ieunes gens soyent empeschez de maintenir la verité, si les anciens sont contre, et quand ils auront nourri long temps le mal, qu'ils vueillent qu'on s'y tienne: car ceux à qui Dieu aura fait meilleure grace se doivent opposer à cela. Mais il faut maintenant passer plus outre à savoir que si on nous dit, Comment? Il y à cent ans que nous peres et nos ancestres ont ainsi vescu, il y a cinq cens ans, voire mille que cela a este observé, qu'on l'a tenu pour une loy et une regle infallible: quand, di-ie, on nous alleguera ceste ancienneté du temps, voire qu'on nous ameneroit iusques en la creation du monde, si ne faut-il point que la verité de Dieu soit opprimee sous

ceste ombre-la. Ainsi donc nous voyons maintenant qu'il n'est point question d'estre povres aveugles pour estre modestes: mais que nous devons tenir moyen et mesure.

Et c'est ce qu'Eliu adiouste. I'ay dit, L'auge parlera, et la multitude des ans annoncera science: mais c'est l'Esprit de Dieu qui habite aux hommes, et l'inspiration du Tout-puissant donne intelligence. Voila donc l'ordre de nature qui va devant, c'est à savoir que nous devons escouter les anciens. Car quand on a, à choisir des gouverneurs en une ville ou en un pays, de prendre des ieunes fols, volages, et escervelez, qui ne savent que c'est de gouverner leurs personnes, qui soyent là pour estre iuges et conducteurs: c'est pervertir l'ordre de nature, c'est une honte, et il semble qu'on vueille despiter Dieu toutes fois et quantes que cela se fait. Quand donc on pourroit choisir gens posez, gens de bonne gravité, et meure, et on laisse ceux-la croupir en leurs maisons, et cependant on prend des esventez, des petis escargots qui sont d'une nuict, et les va-on colloquer au siege de iustice, et ils ne savent

IOB CHAP. XXXII.

21

que c'est de tout cela, c'est comme si on marioit des petis enfans. Ils seront bien aises d'estre aux nopces: on leur dira, Vous mangerez du rost, du pasté, é ils s'accorderont bien à cela: mais est-ce un mariage pourtant? Ainsi, di-ie, en est-il de ceux qui sont au siege de iustice, quand il D'y u en eux ne prudence ne raison moins qu'en des pet enfans, d'autant qu'on n'a point d'esgard de choisir ceux qui ont plus de gravité et d'experience. Ain donc il faut que l'ordre de nature soit observé en premier lieu: c'est quand nous avons gens aagez ausquels Dieu a fait grace, que ceux-la ayent l'office de conduire les autres, et que les ieunes gens s'humilient sous eux. Car c'est une honte quand les ieunes gens voudront ici faire des grands, et qu'ils ne daigneront pas recevoir doctrine de ceux qui ont plus longuement vescu. Ceste fierté-la ne s'adresse point aux hommes mortels, mais c'est resister à Dieu qui a constitué cest ordre de nature et veut qu'on l'observe. Autant en est-il de nous, et de l'estat de porter et annoncer la parole de Dieu: que s'il y a un homme bien experimenté, et qui ait quelque prudence en soy, qui ait esté esprouvé: si on ne daigne s'en servir, et qu'on prenne un homme à la volee, et que sera-ce? Il faut donc que nous ayons en recommandation ce t ordre ici. Mais ce n'est pas pour en faire une regle certaine: car il adviendra quelquefois que Dieu aura donné plus de grace beaucoup aux ieunes gens qu'à ceux qui ont vescu au double. Or donc il ne faut point que cest ordre que nous avons dit, empesche que l'Esprit de Dieu ne soit receu là où il se monstre, et que les graces selon qu'il les distribue ne soyent appliquees en usage. Et voila pourquoy sainct Paul a choisi Timothee, combien qu'il y eust des anciens beaucoup alors. Car quand il a veu cest homme excellent (comme il avoit tesmoignage non seulement des hommes, mais aussi du sainct Esprit) il l'a preferé à ceux qui estoyent plus aagez. Ainsi maintenant en use Eliu, lequel apres avoir escouté, dit, qu'il cognoist que c'est l'Esprit de Dieu qui est aux hommes: comme s'il disoit, Il est vray que nous ne devons pas (sans avoir cognu comme il en va) iuger que les vieilles gens soyent radotez, ou qu'il ne leur faille donner ne lieu ne place: mais nous devons porter cest honneur-la, à l'aage pour dire, Et bien, l'homme qui a beaucoup veu nous pourra enseigner: mais si nous cognoissons qu'il ne s'acquitte point de son devoir, ou qu'il ait perdu son temps auquel il a vescu au monde alors si l'Esprit de Dieu est en un ieune homme, il faut qu'il s'avance. Retenons bien donc que quand l'ordre de nature sera observé, ce n'est point à ceste condition, que tousiours les ieunes gens quand Dieu les aura douez des quelques graces ne servent à son Eglise, et qu'ils n'enseignent non

22

seulement leurs pareils et compagnons, mais les plus vieux. Et par consequent il faut que les vieux ne s'arrestent point à leur asge pour estre impatiens, et reietter toutes admonitions, pour dire, Et comment? I'ay si long temps vesou, et qu'un ieune homme me monstre ma leçon? Mais qu'ils cognoissent, Non, ie devroye avoir profité en sorte que ie fusse le conducteur des autres: mais ie voy maintenant que i'ay besoin d'estre conduit, que ie suis un ieune enfant au prix de ceux qui devoyent estre enseignez par moy. Et puis qu'ainsi est que Dieu m'a destitué de la grace qui est requise à un conducteur, il faut que ie soye disciple, et non pas maistre. Voila donc comme les vieilles gens se doivent renger, quand ils voyent que Dieu a eslargi plus amplement de ses graces à ceux qui devroyent les ensuivre, et non point cheminer devant.

Maintenant de ce que nous avons deduit cy dessus nous avons une bonne doctrine à pratiquer, c'est à savoir que l'Esprit de Dieu domine par dessus l'ordre de nature. Or pour mieux encores comprendre ce qui est ici contenu, notons qu'Eliu disant, Que c'est l'Esprit de Dieu qui habite aux hommes, veut ici exprimer que c'est un don especial que Dieu fait comme par privilege, quand il luy plaist qu'un homme soit mieux entendu que les autres. Il est vray qu'en general Dieu nous a fait creatures raisonnables, et c'est en cela que nous differons d'avec les bestes brutes. Dieu donc a bien donné à tous hommes sans exception quelque iugement et esprit: mais cependant nous voyons que l'un est tardif et lourd, l'autre sera agile, l'un sera esventé l'autre aura bonne gravité en soy. D'où procede cela? Cognoissons que Dieu tient ses graces en sa main, et les distribue à sa volonté à qui bon luy semble. Voila ce qu'Eliu a voulu ici signifier, à fin que les hommes ne pensent point avoir un heritage de nature qu'ils ayent apporté du ventre de leur mere, qu'ils ne pensent point avoir une chose qui leur soit deuë et acquise. Voici Eliu qui prononce, Dieu nous a tous creez, il est vray que nous aurons quelque raison, voire mais ce sera par mesure: cependant si un homme a savoir, s'il a prudence, il faut qu'il cognoisse que Dieu luy a tendu la main par especial, et qu'il se cognoisse estre tant plus tenu et obligé à Dieu. Or quand cela nous est dit, c'est à fin que nous ne soyons point eslevez en arrogance et que nous ne pensions pas mieux valoir quand nous aurons intelligence et esprit: cognoissans que s'il a pleu à Dieu nous faire ceste grace, il nous faut cheminer en tant plus grande crainte: car nous luy sommes tant plus redevables: et cependant s'il nous a voulu eslargir de ses biens, c'est aussi afin que nous en communiquions à nos prochains. Si donc nous n'en

SERMON CXX

23

savons user pour glorifier nostre Dieu, et pour edifier ceux qui en ont besoin, il est certain que nous sommes tant plus coulpables. Voila ce que nous avons ici à noter pour un Item.

Or cependant il nous faut aussi faire ici comparaison de deu degrez, c'est à savoir, Que si c'est Dieu qui donne intelligence especiale aux hommes pour discerner des choses qui appartienent à ceste vie caduque: que sera-ce de la doctrine de l'Evangile, de la vraye religion et pure? Aurons-nous cela de nature? Le pourrons nous acquerir par nostre industrie? Helas! il s'en faut beaucoup. S'il est question qu'un homme soit bon maistre d'escole pour enseigner les enfans, qu'il soit bon advocat ou medecin, qu'il soit bon marchant de ville, ou bon laboureur des champs, encores faut-il que l'Esprit de Dieu besongne en tout cela. Un homme aura besoin d'estre aigu en une chose, comme les arts mecaniques requerront aucunesfois plus grand esprit, que ne fera pas la marchandise. Or donc en toutes ces choses-la qui semblent estre vulgaires de soy et de peu de prix, si faut-il que Dieu distribue de son esprit aux hommes. Maintenant si nous venons à la doctrine de l'Evangile, voila une sagesse qui surmonte tout sens humain, mesmes qui est admirable aux Anges: voila les secrets du ciel qui sont contenus en l'Evangile: car il est question de cognoistre Dieu en la personne de son Fils: et combien que nostre Seigneur Iesus soit descendu ici bas, si est-ce qu'il nous faut comprendre sa maiesté divine, ou nous ne pouvons pas nous fonder, et reposer nostre foy en luy. Il est question, di-ie, que nous cognoissions ce qui est incomprehensible à la nature humaine. Or donc s'il faut que Dieu quant aux arts mecaniques, quant aux sciences humaines qui concernent la vie transitoire, nous distribue de son sainct Esprit, par plus forte raison ne pensons point par nos subtilitez de cognoistre que c'est de Dieu et des secrets de son royaume: mais il faut qu'il nous instruise: et cependant il faut que nous devenions du tout fols quant à nous, comme dit sainct Paul (1. Cor. 3, 18), pour estre participans d'une telle sagesse. Car voila la sentence qu'il en donne (1. Cor. 2, 14), Que l'homme sensuel ne comprend iamais la doctrine de Dieu: c'est à dire cependant que les hommes demeurent en leur naturel, ils ne savent que c'est de Dieu, et ne peuvent iamais gouster sa parole: qui pis est elle leur est folie, dit sainct Paul (1. Cor. 1, 18): car il semble que ce soit une doctrine sans raison, et pourtant il n'y a que le seul Esprit de Dieu qui nous donne la foi, et qui nous illumine. Et ceci doit bien estre note, car nous sommes souvent esblouys quand nous voyons qu'il y en a tant peu qui cognoissent que c'est de Dieu, et mesmes que beaucoup de gens qui sont en aage. et qui ont

24

long temps vescu au monde, sont enragez en leurs superstitions, et qu'ils combatent fierement contre la doctrine de l'Evangile: nous sommes estonnez de cela.

Voire, mais voici un passage qui nous doit armer contre un tel scandale: C'est l'Esprit de Dieu qui habite aux hommes, c'est l'inspiration du Tout-puissant qui donne intelligence. Voyons-nous les hommes estre povres aveugles, et tellement plongez en ignorance, qu'ils ne puissent approcher de l'Evangile? ne nous esbahissons point de cela. Et pourquoi? Car c'est le naturel de l'homme, de ne rien iuger des secrets de Dieu iusques à ce qu'il soit illuminé. Mais au contraire quand nous voyons un homme qui cognoist que c'est de Dieu, soit ieune ou vieil, quand nous voyons quelqu'un ancien qui aura esté long temps comme abreuvé de ces sottises papales, qui vient à la droite religion: cognois. sons que Dieu a fait là un miracle. Si nous voyons aussi les ieunnes gens, cognoissons qu'il faut que Dieu les attire à soi d'une façon merveilleuse, pource qu'ils ne reçoivent pas aisement le ioug, d'autant qu'ils sont pleins de presomption, comme nous avons dit. Si donc Dieu les dompte, et qu'il les rende docile, c'est sa main vertueuse qui a passé par là Ainsi, nous voyons que ce passage nous doit servir en deux choses. La premiere est, que voyans que de nostre esprit nous ne saurions iamais parvenir si haut que de cognoistre Dieu ne sa verité, nous soyons vuides de tout nostre sens, et y renoncions. Et c'est ce que sainct Paul appelle Estre fait fol. Il faut donc que nous soyons faits fols, si nous voulons que nostre Seigneur nous remplisse de sa sagesse: c'est à dire, Il ne faut point que nous apportions rien du nostre, que nous cuidions avoir ne ceci ne cela: car ce seroit fermer la porte à Dieu. Ainsi donc si nous voulons que Dieu continue la grace de son sainct Esprit, quand il nous en aura distribue quelque portion, il faut que nous apprenions de l'exalter et magnifier comme il en est digne, et cognoistre qu'il n'y a point en nous une seule goutte de bonne intelligence, iusques à ce que Dieu l'y ait mise. Et puis que cela soit pour nous tousiours faire persister en son obeissance, et cheminer en plus grande crainte et solicitude: voyans que si Dieu esteint la clarté qu'il a mise en nous, nous serons en tenebres, voire et en des tenebres si horribles, que nous n'en pourrons iamais sortir. Voila le premier usage de ce lieu ici. Le second est que si nous voyons la plus grande multitude du monde se desbaucher, et que personne à grand peine se vueille ranger à Dieu: nous ne trouvions point estrange que les hommes soyent ainsi desbordez, et qu'ils facent des bestes sauvages. Et pourquoi? Car c'est l'Esprit de Dieu qui donne intelligence. Que cela donc nous soit

IOB CHAP. XXXII.

25

comme un argument pour magnifier tant mieux la grace que nous aurons recuë: et cependant que nous ne soyons point transportez voyans telles rebellions. Et quoi? les hommes suivent leur naturel, ils suivent leur teste: et cependant ils resistent à Dieu, mais c'est d'autant que la doctrine de l'Evangile surmonte tout sens humain, et qu'il faut que Dieu besongne par son sainct Esprit, qu'il ouvre les veux, ou les hommes demeureront tousiours en leur bestise.

Au reste Eliu là dessus conclud que les grands donc ne sont pas tousiours sages, et que les gens aagez n'ont quelquesfois ni intelligence, ni savoir, ni prudence plus que les autres. Il est vrai qu'Eliu ne veut pas ici pervertir l'ordre de nature (car il proteste ci dessus, qu'il a voulu escouter les anciens, et qu'il estoit tout prest de s'assuiettir à Leur doctrine) mais il signifie ce que desia nous avons touche, que Dieu n'est point lié à l'aage ni aux estats ni aux qualitez des hommes. Quand il plaira, à Dieu d'eslever un homme en dignité, bien, s'il s'en veut servir pour le salut de son peuple, il lui fora grace de se pouvoir acquitter de son office: mais autrement il le destituera, et d'autant qu'un homme sera en degré eminent, on le cognoistra double beste. Exemple. S'il y a un homme qu'on eslise pour annoncer la parole de Dieu, et bien, si Dieu veut faire grace à son Eglise, il douëra cest homme-là de son Esprit, il lui donnera intelligence de sa parole, et dexterité pour la savoir appliquer à l'usage du peuple, et en recueillir bonne doctrine, il lui donnera zele, et les autres choses qui sont requises: et Dieu se monstre là si manifestement, que nous. pouvons dire qu'il a le soin de nous, quand il distribue ainsi de ses graces aux hommes en ce qui est requis pour nostre profit. Autant en est-il de ceux qui sont en la iustice: selon qu'ils ont besoin que l'Esprit de Dieu soit double en eux, aussi quand Dieu s'en veut servir il leur donee une vertu puissante pour s'acquitter de leur devoir. Au contraire, si Dieu est courroucé contre nous, ceux qui seront pour annoncer sa parole seront des bestes qui n'entendront rien, on les mesprisera d'autant qu'ils desguiseront les choses, que la bonne doctrine sera denigree et profanee sous eux: bref à grand peine pourront-ils estre disciples, tant s'en faut qu'ils soyent bons maistres.

Voila donc ce qu'Eliu a ici voulu monstrer en disant, que les grands ne seront oint sages, et que les anciens ne seront pas mieux entendus: comme s'il disoit, il ne faut pas faire ici une mesure esgale pour dire, C'est homme est eslevé en estat et dignité, il s'ensuit donc qu'il est savant: il ne faut point tirer une telle consequence de cela. Et pourquoi? Car Dieu peut bien destituer les plus grands, tellement que ce seront des grosses bestes, et

26

d'autant plus qu'ils auront vescu long temps, ils auront despendu beaucoup de pain, estans nourris aux despens de Dieu: tellement qu'il vaudroit mieux par maniere de dire qu'un boeuf eust esté nourri: cela seroit plus supportable. Ainsi donc apprenons, d'autant que Dieu distribue de son Esprit à ceux qu'il veut appliquer à son service, que d'autant mieux s'y doivent-ils employer soigneusement et en crainte de Dieu. Que s'ils en font autrement, ceux qu'on estimera les plus sages on verra qu'ils seront du tout aveuglez, quand ils ce cognoistront point Dieu, comme notamment il en fait la menace par son Prophete Isaie, disant (29, 14), Que les anciens ne verront plus goutte, que les sages s'abbrutiront, et seront du tout eslourdis. Nous voyons donc comme Dieu declare une vengeance plus horrible sur les grans et sur les anciens, et sur les gouverneurs, que sur le commun peuple. Par cela nous sommes admonnestez qu'il ne nous Leur faut point attribuer une autorité infaillible, comme si iamais ils ne pouvoyent errer, et mal conduire Les autres. Or si Dieu aveugle ainsi les anciens et Les grans, et ceux qui sont en autorité (ie vous prie) quand il ne Leur donne point de son sainct Esprit, que seront-ils plus? Et notons bien la cause pourquoy Dieu fait une telle menace. C'est pour l'hypocrisie des hommes d'autant qu'ils l'ont servi par contenance, et que leur coeur estoit loin de luy: que de bouche ils ont protesté de le vouloir servir, et cependant ils se sont addonnez aux traditions des hommes: c'est à dire que Dieu n'a point dominé luy seul par sa parole, mais que Les hommes ont la vogue. Or Dieu ne peut souffrir que son autorité soit ainsi amoindrie. Voila pourquoy il dit, qu'il aveuglera les sages, qu'il ostera l'Esprit et la raison aux anciens. Apprenons donc si nous voulons que Dieu nous gouverne, et qu'il regne au milieu de nous, et iouir des graces qui nous sont necessaires à salut, qu'il luy faut laisser la domination et maistrise sur nous tous, et que grans et petis se rengent à son obeissance. Et au reste que nous ayons sa parole pour nostre regle, et que nous souffrions d'estre gouvernez par icelle: sachans qu'autrement nous ne pouvons pas attendre que le sainct Esprit besongne en nous. Et pourtant que nous cerchions tous les moyens qu'il est possible estre enseignez. Dieu a voulu qu'il y eust des Pasteurs en son Eglise qui annonçassent sa parole, et que nous receussions correction et admonition d'eux. Cela ce se fait-il point en telle vertu qu'il faut? Prions à Dieu qu'il luy plaise suppleer à un tel deffaut. Que donc nous cheminions on telle humilité, que nous ne demandions sinon que Dieu seul ait toute preeminence sur nous: et sachons que nous ce ne pouvons avoir ne raison ni intelligence sinon en

SERMON CXXI

27

tant que nous serons illuminez par son S. Esprit. Voila comme iamais il ne souffrira que nous soyons desbauchez: mais s'il a commence à nous conduire et enseigner, il fera que de plus en plus nous serons confermez en toute sagesse: comme S. Paul dit au premier chapitre de la premiere aux Corinthiens, Que puis que Dieu a une fois commencé en nous,

il ne permettra point que rien nous defaille iusques au dernier iour où nous aurons pleine revelation des choses que nous cognoissons maintenant en partie.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

28

LE CENT VINGT ET UNIE E SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXXII. CHAPITRE.

11. Voici i'ai attendu vos paroles, prestant l'aureille cependant que vous-vous prepariez, et que vous cherchiez propos. 12. Alors ie vous consideroye: mais il n'y a eu nul d'entre vous qui ait reprins Iob, et qui ait respondu à ses propos. 13. Or à fin que vous ne disiez, nous avons trouvé la sagesse: Dieu l'a ietté, et non point l'homme. 14. Il n'a point adressé paroles à moi: et si ne lui respondrai pas selon vos propos. 15. Ils ont craint, et n'ont rien respondu, ils ont cessé de parler. 16. Or i'ai attendu, ils ne parloyent point: ils s'arrestoyent, et ne respondoyent point. 17. Ie respondrai aussi à mon tour et monstrerai aussi mon advis. 18. Car ie suis plein de paroles, et l'esprit de mon ventre me contraint. 19. Voici mon ventre comme le vin qui n'a point d'essort, et est comme les nouveaux barils qui se rompent. 20. le parlerai donc, et aurai respiration: i'ouvrirai mes levres, et si respondrai. 21. Ie n'accepterai pas maintenant la personne de l'homme: et ne donnerai point de titres à l'homme. 22. Car ie ne sai si ie flattoye, si mon Facteur me perdroit point incontinent.

Comme il fut hier declaré que nul ne se doit advancer trop hastivement, mais que plustost nous devons cercher d'apprendre que d'enseigner les autres, sinon que la necessité nous y contraigne: aussi maintenant il nous est ici monstré que nous ne devons point nous fourrer en quelque propos incognu devant qu'avoir bien entendu le merite de la cause, comme on parle. Et de fait nous voyons comme ceux qui veulent disputer d'une chose qui ne leur est pas assez cognuë s'esgarent, et parlent à la traverse: et en cela nous cognoissons nostre povreté. Nous avons donc à observer encores ce qui nous est ici monstré en l'exemple d'Eliu: c'est que nous n'avancions point quelque propos à la volee, et que nous ne soyons point trop hastifs

pour donne sentence d'une chose qui nous est cachee et de laquelle nous ne sommes pas deuëment informez Il est vrai que ceste leçon appartient sur tout à ceux qui sont constituez en estat de iustice. Ils doivent bien s'enquerir d'un fait, devant qu'en iuger: mais si est-ce que chacun en son endroit doit observer ceste regle. Voila donc le premier que nous avons ici à noter, suivant ce qui fut hier declaré: et tousiours nous voyons ce qui fut dit, c'est assavoir que l'Esprit de Dieu quand il gouverne un homme, tout ainsi qu'il lui donne zele, et l'esmeut quant à la religion, aussi il lui donne prudence et discretion: tellement que l'un ne va iamais sans l'autre, et si un homme n'a un zele reglé, il ne peut pas s'attribuer nulle vertu: et si l'Esprit de Dieu domine en lui, il cognoistra que ces choses sont inseparables. Et d'autant plus avons nous à prier Dieu, que s'il nous fait grace de maintenir sa verité: il nous monstre aussi quand il sera temps de parler, ou de nous taire, et qu'il nous donne intelligence et raison, afin que nous n'allions point à la volee par inconsideration: car l'excuse est trop maigre quand nous dirons, Ie cuidoye bien faire, i'avoye entendu la chose estre telle. Il est vrai qu'il n'y a celui qui ne faille: mais d'autant plus devons-nous estre sur nos gardes: et voyans l'infirmité de nostre esprit, que nous cerchions d'estre gouvernez de Dieu et par sa main, tellement qu'en ayant bon zele nous ayons aussi la raison pour le bien moderer et regir.

Venons maintenant à ce que dit Eliu. Il monstre que sa dispute ne sera pas telle que celle des autres, Ne dites point, Nous avons trouvé sagesse car Dieu a renversé Iob, et non point les hommes. Ici Eliu signifie qu'il aura un autre moyen pour disputer contre Iob, que n'ont pas eu les autres. Car quel moyen ont-ils tenu? Tu es affligé de la main de Dieu, et non point sans cause: il

IOB CHAP. XXXII.

29

faut donc conclure que tu es un meschant. Ton affliction est si grande et si exorbitante, qu'on DC voit point au monde un homme si pressé que toi: il s'ensuit donc que tu surmontes tous hommes en iniquité. Voila quel a esté le fondement qu'ont prins les amis de Iob en le voulant redarguer. Or Eliu proteste qu'il n'en sera point ainsi. Et de fait on voit, que s'il eust continué le propos, c'estoit tousiours empirer le mal. Car nous avons declaré que Iob pouvoit maintenir son integrité, d'autant qu'il avoit cheminé en la crainte de Dieu, et qu'il n'a failli sinon on ce qu'il n'a peu arrester du tout son esprit en l'obeissance de Dieu, et qu'il a trouvé son affliction estrange: mais tant y a que quant au principal sa cause estoit bonne et iuste. Vrai est qu'aucuns entendent ce passage, comme si Eliu disoit, Ne dites point qu'en vous taisant vous soyez sages, et que Dieu le confondra assez sans que les hommes mortels s'en meslent. lais si on regarde de pres, on trouvera que le sens naturel est celui que i'ai dit, c'est assavoir qu'Eliu se mocque des amis de Iob: car notamment il leur reproche qu'ils ont cuidé avoir trouvé la sagesse: comme nous disons en proverbe, qu'un homme pense avoit trouvé la feve au gasteau, quand il aura quelque subtilité, et qu'il pourra se fourrer en quelque compagnie pour mettre on avant son opinion et ce qu'il aura inventé, qu'il lui semblera qu'il ait une raison invincible, combien qu'elle soit frivole. Ainsi maintenant parle Eliu: Il vous semble que ce soit le noeud de la matiere. Que quand Dieu a ainsi pressé Iob, qu'il l'a affligé si durement, il lui est ennemi: vous estimez, di-ie, que voila un fondement si bon et si ferme que rien plus. Or ce n'est rien qui vaille dit-il: comme desia nous avons declaré qu'il ne s'ensuit pas qu'un homme soit meschant, si Dieu le visite. Car combien que Dieu ait menace les transgresseurs de sa Loi, de les punir et en leurs personnes et en leurs biens, et en leurs enfans: si est-ce que Iob n'estoit point ainsi persecuté, il y a eu un autre raison. Or si Dieu menace les transgresseurs, ce n'est pas à dire qu'il ne se reserve ceste liberté de pouvoir, quand il voudra, exercer la patience des fideles: et encores qu'il n'ait point esgard à leurs offenses qu'ils ont commises, si est-ce qu'il se monstrera rude envers eux. Et pourquoi? Pour les humilier. Quand il n'y auroit que

ceste raison-là, elle doit bien suffire. Et puis Dieu veut que ses serviteurs soyent en exemple aux autre". Il y a d'avantage qu'il est besoin de mortifier leurs affections eternelles: car quelquesfois nous avons des vices secrets en nous, ausquels Dieu remedie devant le coup: quand il nous envoye des afflictions, quelquefois nous ne savons point pourquoi, mais il voit plus clair que nous. Ainsi donc, cela nous doit estre resolu, que Dieu affligera les

30

bons, et que ceux qui n'ont pas provoqué son ire, il ne laissera pas neantmoins de se monstrer aspre envers eux, et d'exercer une grande rigueur, tellement qu'il semblera qu'il les vueille du tout abysmer. Est-ce à dire qu'on les doive tenir pour meschans? Nenni. Voila donc un argument frivole, combien que les amis de Iob s'y soyent fondez, et ayent cuidé avoir trouvé la sagesse en ce poinct: si est-ce, di-ie, que ç'a esté une chose puerile.

Ainsi donc retenons de ce passage ce que nous avons touché ci dessus, c'est d'estre prudens quand Dieu afflige les hommes et que nous ne iugions point à la volee, que celui qui sera batu des verges de Dieu soit à condamner, et qu'on doive mesurer les pechez par les afflictions: car de faire une regle generale de cela, ce seroit proceder temerairement et à l'estourdie. Qui donc? Cognoissons que Dieu a diverses raisons, d'affliger les hommes. Il est vrai que c'est son iugement ordinaire, que de punir les pechez: mais cependant si est-ce que quelquesfois qu'il voudra esprouver l'obeissance des bons, et de ceux qui l'ont servi, et ont appliqué leur estude à suivre ses commandemens, ceux-là seront traittez en plus grande rigueur, que non pas les plus meschans. Et pourquoi? Car Dieu les veut enseigner que c'est d'humilité et d'obeissance. Puis que coste raison-là y est, il nous faut tenir en suspens, quand quelqu'un sera affligé: car Dieu veut preserver aussi les siens de quelque tentation qui leur envoyera. Vrai est que s'ils l'ont provoqué en quelque maniere que ce soit, il remedie à un tel mal en les affligeant. Mais iugerons-nous là dessus, que ceux qui sont les plus mal traittez sont les plus meschans? Que seroit-ce? Ne voit-on pas que nous procederions tout au rebours de Dieu, et tout à l'opposite de son intention et conseil? Au reste, que nous appliquions ceci tant à nos prochains qu'à nous-mesmes. Si donc nous voyons des gens qui soyont tourmentez de beaucoup de maux, regardons à leur vie en premier lieu, et ne nous hastons pas de prononcer sentence sur eux, mais regardons comme ils ont vescu. Si un contempteur de Dieu, un homme desbauche un homme addonné à des vices enormes est affligé grandement, que nous cognoissions, Voila Dieu qui nous monstre comme en peinture que c'est de sa vengeance: là nous avons iuste occasion de iuger. Et pourquoi? La chose parle. Quand un homme aura mesprisé Dieu, et qu'il aura esté desbordé en toute sa vie, et que nous verrons que Dieu l'afflige, é là il n'y a nulle doute, les choses ne sont pas obscures ne difficiles. Ainsi donc nostre iugement ne sera pas trop hastif quand nous y procederons ainsi. Mais au contraire, si apres nous estre enquis, nous ne voyons point la raison pourquoi Dieu afflige les hommes (comme

SERMON CXXI

31

si quelqu'un a cheminé droitement) là il nous faut tenir bridez. Et pourquoi? Car nous ne saurons que c'est de ce conseil de Dieu, iusques à ce qu'il nous l'ait revelé. Voila comme il nous faut iuger quant aux autres.

Et cependant si nous voyons les meschans estre corrigez comme ils l'ont merité, ne les condamnons pas seulement, mais appliquons cela, à nostre usage, comme S. Paul aussi nous le monstre (1. Cor. 10): c'est que nous cheminions en crainte de Dieu estans instruits aux despens d'autrui. Voila Dieu qui punist les paillards, les larrons, les rebelles: or c'est afin que nous apprenions de cheminer en son obeissance, et que nous ne provoquions point son ire, comme ceux qui nous voyons estre si durement traittez. C'est donc ce que nous avons à faire, quand Dieu nous donne à contempler sa vengeance en ceux qui lui ont esté du tout rebelles. Si nous voyons les bons estre ainsi visitez, il nous faut penser, Helas! si le bois verd est ainsi ietté au feu, et que sera-ce du sec? Quand nous ferions comparaison de nous avec ceux qui sont comme à demi trespassez, nous verrons de plus grandes vertus en eux: et toutes fois ils sont traittez plus grievement beaucoup que nous. Il faut donc dire que Dieu nous supporte: car s'il n'avoit pitié de nous, que seroit-ce? Et quand nous sommes resveillez par ce moyen, cognoissons que c'est afin de ne nous plus donner liberté de mal faire, mais que nous soyons retenus et comme liez, afin de nous assuiettir pleinement à nostre Dieu. Avons-nous ainsi consideré les verges et les corrections que Dieu envoye sur nos prochains? Que de nostre ceste, quand nous aurons nostre tour, et que Dieu nous punira, voire pour nos pechez, nous cognoissions, O il ne faut pas d'autres tesmoins que nostre conscience propre, c'est un iuge assez suffisant pour nous condamner. Mais si puis apres, Dieu quelquesfois nous est rigoureux, et que nous ne voyons point la raison pourquoi, et bien, ne perdons point courage, ne disputons point avec Dieu pour nous troubler, s'il ne fait à nostre appetit: mais que nous apprenions plustost à nous consoler: et combien qu'il semble que Dieu nous soit ennemi mortel, et qu'il foudroye contre nous, esperons toutes fois en lui, comme nous avons veu ci dessus que Iob parloit. Voila donc comme il nous faut estre prudens à iuger des chastimens que Dieu nous envoye, aussi bien que nous devons estre moderez envers nos prochains. C'est ce que nous avons à retenir sur ce passage d'Eliu, quand il dit, Que c'est folie, si les hommes se veulent amuser aux afflictions presentes pour dire, Voila Dieu qui a renverse une creature, quand sa main sera si cruelle sur lui, qu'elle sera si dure et si aspre. Il ne faut pas dire, que nous suivions ceste regle generale.

32

Et pourquoi? Car nous y serons trompez tous les coups, ainsi que nous avons desia monstre

Or là dessus Eliu reproche aux amis de Iob qu'ils ont esté confus. I'ai attendu, dit-il, et ils n'ont plus parlé, ils ont quitté leurs propos. En ceci il signifie, que d'autant qu'ils avoyent esté mal fondez, ils sont demeurez confus: car nous savons que la verité sera tousiours invincible. Vrai est que celui qui aura bonne cause, ne sera pas tousiours ouy, comme nous voyons qu'une bonne cause sera opprimee par des gens escervelez et enragez quand ils auront la vogue (car ils clorront la bouche à ceux qui auroyent iuste occasion de parler) mais tant y a que si les choses sont conduites par bon ordre, quand un homme aura bonne cause, Dieu lui donnera aussi dequoi la maintenir: car la verité (comme nous avons dit) sera victorieuse. Ainsi donc ce n'est pas sans cause qu'Eliu se mocque des amis de Iob, lesquels sont demeurez confus au milieu du chemin. Pourtant sachons quand nous aurons bien cognu une chose estre vraye, que Dieu nous donnera aussi argumens et raisons pour tenir bon, afin que nous ne soyons point vaincus par ceux qui taschent de mettre bas la verité, et la convertir eu mensonge. Dieu, di-ie, nous fortifiera en telle sorte, que nous ne serons iamais destituez de raison. Et c'est une doctrine qui est bien à noter: car qui est cause souvent que nous n'osons pas prendre une bonne querelle, sinon d'autant que nous n'avons pas le moyen ni l'adresse pour savoir resister constamment, comme il seroit requis? Or afin qu'une telle timidité n'empesche, que nous ne soyons zelateurs pour maintenir la verité, comme il appartient: notons que Dieu ne delaisse pas ceux qui ont courage de maintenir les bonnes causes: mais leur donne en la fin la victoire. Ouy, combien qu'ils soyent opprimez par cautele, et par astuces (ainsi qu'il adviendra, comme nous avons dit) si est-ce que iamais ne seront confus, quoi qu'il en soit. Confions nous donc en ceste promesse, et remettons-nous à Dieu, et nous trouverons que ceci n'est point dit en vain. Vrai est que devant toutes choses il nous faut bien discerner si la cause que nous sou tenons est bonne. Car Dieu punit la legereté de ceux qui entreprennent une querelle sans savoir ni pourquoi ni comment: il les laisse la bouche ouverte: et faut qu'ils demeurent ridicules, qu'ils soyent mocquez de chacun. Voila un iuste payement de ceux qui s'avancent par trop. Mais quand la bonté d'une cause nous sera cognuë, appuyons-nous sur ce qui nous est ici dit, c'est assavoir que Dieu nous fortifiera tellement que nous ne serons point vaincus. Et au reste, quand nous verrons le plus souvent que ceux qui devroyent maintenir une bonne cause, font les canes, et que quand ils pourroyent avancer quelque propos, ils

IOB CHAP. XXXII.

33

demeurent là comme morts et confus, notons que Dieu punit ceste deffiance, et qu'ils n'ont point une telle magnanimité qu'ils devroyent, pource qu'ils ne l'ont point invoqué, et ne se sont point attendus à lui, pource qu'ils n'ont point estimé que le sainct Esprit seroit assez suffisant pour leur donner vertu. Ainsi donc l'incredulité se monstre auiourd'hui d'autant que s'il y a une bonne cause, elle sera mise sous le pied. On voit les meschans qui ont du courage tant et plus pour faire valoir leurs mensonges, et que la verité ne pourra venir en avant. Et pourquoi? Car les meschans ne faillent point à s'appliquer tant qu'il leur est possible pour renverser tout, pour mettre les choses en confusion, et cependant il n'y a personne qui s'y oppose, au moins en telle vertu qu'il seroit requis. Et pourquoi? Car ceux qui desirent le bien, et y ont quelque affection, ne laissent pas d'estre povres incredules: et de fait s'ils se fioyent en Dieu, il est certain qu'ils ne souffriroyent point que tout fust ainsi confus comme il est. Voila donc ce que nous avons à retenir quand Eliu se mocque des amis de Iob qui sont demeurez confus: c'est autant comme s'il disoit, que par cela on voit qu'ils ont en mauvaise cause, et qu'ils l'ont mal combattue à l'encontre de Iob.

Or il adiouste, Qu'il parlera aussi à son tour Ce mot, Aussi, doit estre pesé, pource qu'Eliu signifie que c'est en temps opportun qu'il met en avant ses propos. Pourquoi? Nous avons desia dit, qu'estant ieune il devoit porter reverence aux gens agez: car c'eust este pervertir l'ordre de nature. Il a donc fallu que ceste modestie precedast, et qu'Eliu laissast parler ceux qui estoyent plus d'aage que lui, et qu'il les escoutast. Cela est-il fait? Puis que Dieu lui donne grace de mieux distinguer la cause que ceux là n'ont fait, il parle à son tour. Nous voyons donc qu'il ne se precipite point, c'est à dire, il ne s'ingere point à la volee: mais apres avoir attendu que le temps opportun soit, alors il parle. Et c'est un poinct que nous devons encore bien noter: car nous savons que le tout doit estre traitté en l'Eglise de Dieu par bon ordre et decentement, comme dit sainct Paul (1. Cor. 14, 40). Il y a donc deux choses requises en la façon d'enseigner: c'est que l'ordre soit observe en premier lieu: et puis avec l'ordre qu'il y ait une honnesteté, que les choses soyent decentes et convenables. Puis qu'ainsi est retenons l'exemple d'Eliu, et tenons-nous à la doctrine que sainct Paul nous donne en ce passage que i'ai allegue: c'est qu'il n'y ait point de confusion entre nous, comme aussi sainct Paul dit en l'autre endroit du passage allegué (v. 27 ss.), qu'encores que Dieu ait suscité beaucoup de Prophetes en son Eglise, qu'il y ait beaucoup de gens qui sachent

34

que c'est de parler, et qui ayent mesmes de quoi pour enseigner, il n'est point question que tous mettent en avant ce qui leur est donné: car il y faut ordre, il y faut mesure, et puis il y a quelque honnesteté qui doit estre gardee. Voila donc ce qui nous est ici monstre à l'exemple d'Eliu, quand il dit qu'il parlera, voire, mais c'est quand il voit que les choses ont esté mal conduites, que les amis de Iob ont desguisé la verité, et qu'ils ont soustenu un principe qui estoit mauvais et faux. Car combien qu'ils ayent eu de belles raisons et apparentes pour le colorer: si est-ce neantmoins que le fondement sur lequel ils ont basti, n'estoit pas bon: et Iob de son ceste combien qu'il eust iuste cause toutes fois il l'a mal demence, et a usé de propos exorbitans.

Eliu donc apres avoir paisiblement escouté, maintenant qu'il voit que Dieu lui donne entree et accez, il en use. Et outre cela il y est contraint aussi comme il le monstre quand il adiouste, que son esprit est angoissé, et qu'il est semblable à un baril plein de moust. Quand on mettra du vin nouveau en un baril, et qu'il sera enserré, et n'aura point d'issue, le baril se rompra quand le vin boust: ainsi Eliu dit, que son esprit est enserre, comme si un baril estoit plein de vin nouveau, et qu'il n'en peust plus, et qu'il fallust que tout esclatast. Par cela il signifie, que la necessité le contraint d'avancer son propos, afin que la cause qui a esté mal debatue soit deduite maintenant par raison. Or pource qu'Eliu parle ici avec une grande vehemence, aucuns ne cognoissans pas la cause ont cuide que ce fust un homme d'un esprit hautain, et plein de vanterie. Mais en premier lieu nous voyons que Dieu ne l'a point condamné: il condamne Iob, il condamne ses amis, et monstre que tous ont erré on en une sorte, ou en une autre. Eliu cependant est iustifié. Puis que Dieu ne le condamne point, qui sera l'homme mortel qui voudra ici usurper ceste authorité de iuger par dessus Dieu? C'est donc une folie par trop grande. Et au reste ceci ne doit point estre trouvé si nouveau: car nous devons retenir ce qui a esté declaré par ci devant, c'est assavoir qu'Eliu n'estoit pas comme les Prophetes qui ont este en l'Eglise de Dieu. Apres que Dieu a publie sa Loi par la main de Moyse il a aussi donne la promesse, que iamais le peuplé d'Israel ne seroit destitué qu'il n'eust des Prophetes. Car il est escrit au dixhuictieme du Deuteronome, Tu n'iras point aux sorciers ni aux devins: tu n'auras point de revelations telles que les Payens cerchent: tu ne courras point apres beaucoup de scie ces, tu ne cercheras point aussi de t'informer des morts. Car ton Dieu te suscitera tousiours un Prophete du milieu de toi, comme s'il disoit, que les Payens enquierent, et cerchent beaucoup de

SERMON CXXI

35

moyens d'estre enseignez. Et pourquoi? Car ils ne savent où ils en sont, ils n'ont point de Prophete, ils n'ont point de doctrine certaine pour estre conduits et guidez. Mais il n'est point ainsi de vous disoit Dieu aux enfans d'Israel. Ie vous donnerai tousiours quelque Prophete tellement que i'habiterai privement au milieu de vous, et ma verité vous sera cognuë. Voila donc les Prophetes qui ont esté en l'Eglise de Dieu, suivant sa promesse, et ç'a esté une chose toute commune. Mais Eliu habitoit au milieu de ceux qui n'avoyent point la Loi ne les promesses de Dieu, et nostre Seigneur ne s'estoit point allié avec ces gens-là: car ou ils estoyent devant la Loi, ou ils estoyent au milieu des idolatres: comme nous avons dit, que Tharé et Nachor qui estoyent les grands peres ou ancestres d'Eliu estoyent idolatres.

Ainsi donc quand Eliu a este institué de Dieu pour savoir parler, comme nous voyons, ç'a esté une chose extraordinaire: pourtant il ne faut point trouver nouveau s'il y a grand changement en lui, et que Dieu monstre ici une vertu qui n'est point accoustumee, et qu'Eliu se sente comme changé: car mesmes afin que les propheties eussent plus d'autorité, nous voyons que Dieu y a mis par fois quelques marques patentes. Comme de Saul quand Dieu l'a voulu appeller au royaume, il l'a changé et renouvellé, tellement qu'on voit un homme tout autre et tout divers qu'il D'avoit esté auparavant. Et Saul est-il aussi bien entre les Prophetes? comme le texte le porte. Si donc Dieu a ainsi touché au vif les Prophetes qui estoyent appellez en cest estat, combien qu'ils y fussent selon sa promesse, et que ce fust comme un ordre accoustumé s'il les a, di-ie, ainsi changez tellement qu'on voyoit qu'ils estoyent des hommes ravis: par plus forte raison quand il a besongné en quelque Payen qui estoit hors de son Eglise, il a bien fallu qu'il y eust une marque notable, et qu'on cognust que la main de Dieu estoit là dessus. Or comme le diable a esté tousiours un singe de Dieu, et a contrefait ses oeuvres, les faux prophetes des incredules qui ont apporté revelations au nom des idoles, ont eu le semblable: car ils ont esté transportez. Si on venoit s'enquerir de quelque chose secrette aux idoles qui avoyent le bruit et renom de deviner les choses à venir, et bien, ils avoyent là leurs prophetes ou hommes ou femmes, qui estoyent comme à demi morts, quand il estoit question de respondre à ceux qui s'estoyent enquis: ils se trainoyent comme ceux qui sont tombez du haut mal: il y avoit les escumes, les yeux tournoyent en la teste. Et notamment cela s'est fait, pource que le diable a voulu esblouir les yeux des povres ignorans, et les a abbrutis en telle façon qu'ils estoyent esmeus de reverence maugré qu'ils en

36

eussent. Comment? Il faut bien qu'il y ait ici une vertu celeste quand on voit les hommes et les femmes ainsi changer. Mais tout cela (comme i'ay dit) s'est fait selon l'artifice de Satan, lequel par une fointise a contrefait les oeuvres de Dieu, et s'est transfiguré ainsi afin qu'on ne discernast point, mais qu'on cuidest que ce qui est d'enfer, estoit procedé du ciel. Tant y a que nous voyons bien qu'il ne faut lus trouver estrange qu'Eliu ait eu une telle vehemence en son esprit: d'autant que Dieu l'avoit institué, voire, et l'avoit institué afin qu'il entreprint un combat contre Iob et contre ses amis. Et mesmes il falloit que Dieu besongnast d'une façon nouvelle envers cest homme. Et pourquoy? La ieunesse de soy ne sera point escoutee entre les anciens: comme les vieilles gens se prisent en leur aage, et leur semble qu'ils ont peu acquerir vertu, qu'ils sont sages: et cela les rend plus arrogans, et ils sont là preoccupez d'une folle opinion tellement qu'ils ne se peuvent rendre dociles qu'avec une grande difficulté, et comme par force. Ainsi donc il falloit bien que Dieu touchast Eliu au vif, et qu'il y eu t un grand changement d'esprit en luy, afin que la doctrine fust mieux receuë entre les anciens, et qu'elle eust quelque entree. En somme Dieu a voulu ici rendre Eliu authentique, quand il luy a donné une telle vehemence d'esprit. Mais il y a aussi la raison que nous avons touchee, c'est qu'il voyoit la verité estre opprimee: veu que Iob a mal maintenu sa querelle, combien qu'elle fust bonne: que les autres aussi ont desguisé les choses, et qu'ils faisoyent un mauvais fondement, et ont prophané la parole qui estoit de Dieu, d'autant qu'ils ont amené des raisons bonnes et sainctes pour approuver un mauvais fondement qu'ils avoyent prins. Voyant cela donc, il a esté esmeu d'un zele qu'il a conceu en soy: son esprit a esté comme bouillant: et cela l'eust fait fendre, sinon qu'il se fust deschargé. Or cecy nous doit servir à double usage. Car en premier lieu, puis que nous voyons que Dieu a ;D primé une telle marque en la doctrine d'Eliu, et que l'Esprit celeste est apparu en sa bouche, tant plus devons nous estre incitez a recevoir ce qu'il dit. Car pourquoy est-ce que Dieu l'a ainsi marquee, sinon afin qu'elle ait plus de reverence envers nous?

Ainsi donc ce qu'Eliu deduira ci apres recevons-le, non point comme d'un homme mortel, veu que Dieu y a adiouste son seau, et qu'il a voulu que la doctrine nous fust rendue plus certaine. Que donc nous apprenions par cela de nous y assuiettir, sachans que nostre foy ne sera point fondee sur la doctrine d'une creature, d'autant que c'est Dieu qui parle par la bouche d'un homme, et s'en sert comme d'un instrument. Voila ce que nous avons à observer. Mais il nous faut passer plus outre.

IOB CHAP. XXXII

37

Que si ceste marque qui a esté obscure en Eliu, nous doit servir, afin que sa doctrine soit receuë en pleine obeissance: et que sera-ce des approbations si grandes et magnifiques, comme Dieu les a donnees à sa Loy, et à toutes ses Propheties? Il est vray qu'Eliu porte la pure parole de Dieu, et que ce qui est procedé de sa bouche il faut que nous le tenions comme venu du sainct Esprit. Et pourquoy? Pource que Dieu l'a ainsi incite à une telle vehemence; Mais si nous regardons comme Dieu a magnifié et approuvé sa Loy: et la doctrine des Prophetes, nous verrons là une façon bien plus magnifique. Car quand la Loy fut publiee, l'air en a retenti, le ciel est esmeu en tonnerres et esclairs, la trompette a sonné aux nues, la terre en a tremblé, les montagnes se sont remuees comme brebis à la voix de Dieu: bref, il n'y a eu element qui n'ait donné tesmoignage à ceste doctrine, monstrant qu'elle estoit du tout celeste: les miracles ont suivi aussi quand les Prophetes ont parlé: ç'a esté tousiours avec si grande approbation, que la vertu celeste qui est là apparue, nous devroit crever les yeux par maniere de dire, si nous ne la contemplons. Et pourtant apres que nous aurons cognu, que Dieu par une seule marque qu'il a donnee à Eliu, a voulu que sa doctrine fust receuë comme authentique: cognoissons quand il est question de la Loy et des Prophetes, que là nous devons bien estre plus esmeus et incitez: comme ceci qui est dit d'Eliu, n'est qu'un accessoire. Voila donc ce que nous avons à retenir en premier lieu.

Or pour le second il nous faut aussi noter, que tout ainsi qu'Eliu a esté esmeu de zele voyant qu'on desguisoit la verité de Dieu, et qu'on falsifioit sa parole, il faut que nous ayons une semblable affection pour le moine. Quand donc les faux prophetes se viendront eslever pour obscurcir la bonne doctrine, que les meschans desguiseront leurs blasphemes pour induire le monde au mespris de Dieu et de sa parole, qu'une mauvaise cause sera maintenue, qu'on voudra renverser le droit: que nous ne soyons point muets ni nonchalans, mais que nous ayons ceste vehemence en nous, telle qu'elle nous est ici monstree. Car si nous n'avons ce zele de Dieu à sa verité, nous montrons que nous ne sommes point ses enfans. Et ainsi retenons bien l'exemple qui nous est ici proposé en la personne d'Eliu. Et mesmes faisons comparaison de nous avec luy: car si un homme qui n'avoit point esté nourri en l'escole de Dieu, qui estoit là enveloppé parmi les incredules, a esté ainsi esmeu de zele, quand Dieu l'a touché, qu'il a esté là angoissé, comme s'il devoit estre fendu, iusques à ce qu'il ait deschargé sa conscience: et ie vous prie que sera-ce de nous, quand Dieu nous

38

enseigne si privément en sa parole? Pourrons-nous estre excusez, quand nous ne luy rendrons point tesmoignage devant les hommes, lors que nous verrons le bien estre obscurci, voire renversé du tout, et que nous ne nous y opposerons pas? Quand donc nostre Seigneur nous appelle à cela, qu'il nous impose une telle charge, si nous sommes muets, et que nous ne tenions conte de maintenir le bien, ou plustost que par nostre silence nous aidions aux meschans: ne sommes nous pas traistres à Dieu et à sa verité? Il est bien certain. Ainsi donc d'autant plus nous en faut-il estre esmeus, quand nous voyons qu'un homme qui n'avoit point esté enseigné en la Loy de Dieu, et qui n'estoit point du corps de son Eglise, toutes fois a voulu ainsi maintenir la verité et a esté comme forcé. Il est vray que ceste force ici est volontaire: car Dieu ne transportera point les hommes quand il se veut servir d'eux pour les faire aller par contrainte. Ie di de ses Prophetes et vrais serviteurs: car il se servira bien des meschans maugré qu'ils en ayent: mais ie parle maintenant de ceux ausquels il donne l'Esprit de prophetie, ô il ne les fait point servir, qu'il ne leur donne bonne affection. Il a bien parlé par la bouche de Balaam et cependant nous voyons qu'il n'a pas laissé d'estre un seducteur, et le sainct Esprit le met en opprobre et infamie: mais quant à Eliu, Dieu l'a suscite comme son Prophete qui l'a servi de son bon gré, c'est à dire, qu'il a surmonté tous les empeschemens qu'il avoit, qui le pouvoyent destourner de maintenir la verité. Et ainsi donc auiourd'hui quand nous verrons que la verité sera opprimee, que les uns se mocqueront de nous, que les autres tascheront à nous mordre, voire à nous devorer à cause que nous maintenons la verité: que nous bataillions contre telles tentations: car voila la contrainte qui doit estre en nous. Quelquefois nous aurons honte de maintenir une bonne querelle, d autant que nous voyons qu'on ne s'en fait que mocquer, que ces gaudisseurs qui se mocquent de Dieu, pourront bien aussi avoir l'audace de nous tirer la langue, et convertir en risee tout ce que nous mettrons en avant. Or il ne faut point que la verité de Dieu nous soit contemptible, combien que le monde la reiette. Que ces tentations donc ne nous empeschent point, que nous ne bataillions vertueusement à l'encontre: si nous voyons que les haines nous soyent tout apprestees, qu'on machine contre nous quelque mal pour avoir maintenu une bonne querelle: ne la laissons point pourtant: il es vray que cela sera pour nous tirer tout au rebours, et pour nous clorre la bouche: mais il nous faut batailler à l'encontre d'une telle tentation à l'exemple d'Eliu. Voila donc comme les serviteurs de Dieu se doivent resoudre, pour n'estre

SERMON CXXII

39

point esbranlez de rendre confession à la verité, quand la necessité le requiert ainsi.

Or finalement Eliu dit, Qu'il n'aura point acception de personnes, et qu'il n'usera point de flateries, pource que s'il vouloit iustifier les hommes, il ne sait si son Createur le perdroit. Eliu veut dire en somme, qu'il ne sera point bridé par l'autorité humaine, qu'il ne parle franchement quand il sera question de maintenir la verité de Dieu. Mais cecy ne pourroit pas estre deduit tout au long à present, il suffira donc que nous ayons en somme l'intention d'Eliu. Il est vray que ce n'est pas une chose mauvaise, ne du tout à condamner, d'appeler un homme par un titre honorable: mais pource que cela le plus souvent nous empesche, et que nous sommes comme abbatus devant le coup, et n'avons point telle liberté qu'il seroit requis, pour faire nostre devoir, pour parler a pleine bouche quand il en est question: voila pourquoi Eliu dit, qu'il n'attribuera point de titre aux hommes, c'est à dire, qu'il n'exaltera point les hommes tellement que la verité ne soit par dessus. Ainsi donc retenons, combien qu'il soit licite de porter honneur aux hommes, et que mesmes il le faille, et que non seulement nous devons honorer ceux qui sont egaux a nous, ou qui sont superieurs, mais ceux qui sont moindres (comme l'Escriture nous le commande) toutes fois soit envers nos pareils, soit envers nos inferieurs, soit envers ceux qui nous surmontent en dignité, qu'il faut tousiours que la verité soit preferee aux

hommes. Et combien qu'en particulier nous attribuons à chacun l'honneur qui luy appartient, et qu'il merite: que nous ne laissions pas de tousiours franchement parler sans acception de personnes: comme nous savons que Dieu veut quand nous parlons en son nom, que ce soit sans feintise. Si donc nous voulons faire à Dieu l'honneur qu'il requiert, et duquel il est digne, il faut que nous tranchions franchement le propos quand nous parlons au:; hommes: et (comme i'ay dit) cela n'empeschera point que l'honneur ne soit rendu à un chacun. Mais tant y a, que si ne faut-il point, que nous ayons la bouche close, mais que nous suivions tousiours chacun sa vocation, et que quand il sera question de parler, nous parlions en verité. Voila donc ce que nous avons à retenir en somme de ceste derniere sentence d'Eliu: afin que ceux qui sont en charge publique, regardent bien de parler franchement comme ils doyvent: et aussi que chacun (combien que tous n'ayent point l'office d'enseigner, ne de prononcer sentence en public) neantmoins quand nous serons requis de dire la verité, que nous la confessions franchement: sachans que Dieu accepte cela, comme un sacrifice d'honneur qui luy est rendu. Et que si nous faisons cela, que ce ne soit point seulement pour observer la regle qu'il nous a donnee, mais que ce soit pour l'adorer et l'eslever par dessus toutes creatures

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

40

LE CENT ET VINGTDEUXIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XXXIII. CHAPITRE.

Ce sermon est encores sur les trois derniers versets du chapitre precedant,

et puis sur le texte ici adiousté.

1. Pourtant Iob cy mes propos, et enten toutes mes paroles. 2. Voici i'ay ouvert ma bouche, ma langue parlera en mon palais. 3. Mes paroles sont la droiture de mon coeur, et mes levres prononceront doctrine pure. 4. L'Esprit de Dieu m'a creé, et le souffle du Tout-puissant m'a vivifié. 5. Si tu peux, respon moy et t'adresses ici contre moy, et que tu debates vaillamment ta cause. 6. Voici, ie suis envers Dieu comme toy (ou selon ta bouche) ie suis formé aussi bien de bouë. 7. Il n'y a point crainte de moy pour te troubler, et encores que ie te presse, ce ne te sera point un fardeau pesant.

Nous avons commencé à deduire ceste protestation que faisoit Eliu, de parler droitement sans avoir esgard à l'homme mortel: et (comme il a esté declaré) il faut bien qu'un homme qui voudra parler droitement selon Dieu, ait les yeux fermez pour n'accepter point les personnes: car si nous sommes menez ml de haine ou de faveur, il n'y aura rien de bien reglé en nous, il n'y aura plus que trouble. Sur tout quand il est question d'enseigner au nom de Dieu, il faut bien adviser que nous soyons destournez de toute affection charnelle. Et notamment Eliu disoit, Que Dieu le pourroit exterminer, s'il

IOB CHAP. XXXIII.

41

avoit ainsi regard à la grandeur des hommes. Or de prime face ceci pourroit estre trouvé dur, que Dieu oste un homme pour avoir seulement magnifié la grandeur de quelqu'un. Mais notons en premier lieu, quand lieu nous fait ceste grace de parler en son nom, qu'il faut bien que nous donnions autorité à sa parole, et que nous la facions valoir. Que si nous sommes tellement divertis par le regard des creatures, que nous ne parlions point franchement comme nous devrons, n'est-ce pas faire deshonneur a, Dieu? Si un homme est envoyé de quelque prince terrien, et qu'il souffre qu'on le mesprise, et qu'il face de la cane, et n'ose point porter le message qui luy est commis: voila une lascheté qu'on ne pardonnera point. Or Dieu nous reçoit à son service, nous qui ne sommes rien que poudre devant luy, qui sommes du tout inutiles: il nous met en ceste commission tant honorable de porter sa parole, et il veut qu'elle soit portee avec toute autorité et reverence: voila un homme qui nous fera trembler, tellement que nous deguiserons la verité de Dieu pour la convertir en mensonge ou bien nous la farderons en sorte qu'elle n'aura plus son droit naturel. Ie vous prie ne voila point un opprobre trop grand qu'on fait à Dieu? Et ainsi donc si la parole de Dieu ne se porte (comme i'ay dit) en telle rondeur et liberté, que les hommes luy facent hommage, il ne se faut point esbahir si la punition est apprestee, comme Eliu en parle. Et ainsi nous avons à recueillir double instruction de ce passage. L'une c'est pour ceux qui annoncent la parole de Dieu, qui sont en cest office pour enseigner comme Pasteurs: que ceux-la se doivent resoudre en telle constance, qu'ils ne fleschissent pour rien qui soit: comme il est dit à Ieremie, qu'il faut qu'il prenne un front d'airain pour batailler: d'autant. que le monde ne sera iamais sans grande rebellion, et que ceux qui sont eslevez en quelque dignité ou estat honorable, ne se peuvent captiver vous l'obeissance de Dieu, mais dressent tousiours les cornes. Et quand les hommes se mescognoissent tellement, qu'ils ne peuvent s'assuietir à celuy qui les a creez et formez, il faut que nous ayons une constance invincible, et que nous facions nostre conte d'avoir des inimitiez et des picques quand nous ferons nostre devoir: cependant neantmoins que nous poursuivions sans fleschir.

Voila ce que nous avons à retenir de nostre costé, nous, di-ie, qui sommes constituez Pasteurs pour annoncer la parole de Dieu. Or il faut aussi que tout le peuple reçoive une instruction generale. Quand donc nous venons pour ouir le sermon n'apportons point ici une telle hautesse pour nous rebecquer contre Dieu, quand nous serons redarguez en nos vices. N'apportons nulle amertume

42

pour estre faschez quand on grattera nos rongnes: et ne soyons pas fols et outrecuidez de penser que Dieu se doive taire pour nous: et ne demandons point d'estre espargnez sous ombre qu'il y a quelque qualité en nous. Quand nous serions et Rois et Princes, si faut-il baisser le col pour recevoir le ioug de Dieu: car il faut que toute hautesse soit abbatue, comme dit sainct Paul en la seconde des Corinthiens (1O, 5). Car voila pourquoy l'Evangile est presché: c'est afin que grans et petis se rengent à Dieu, et se laissent gouverner par luy. Ce qui ne se peut faire, que nous n'abaissions (comme sainct Paul traitte en ce lieu-la) toute hautesse qui s'esleve contre la maiesté de nostre Seigneur Iesus Christ. Or il ne faut point que nous attendions qu'on nous force, et contraigne d'obeir a Dieu: mais qu'un chacun le face de son bon gré. Ceux donc qui sont en quelque estat cognoissent, que s'ils estoyent plus que Rois, encores faut-il que leurs personnes s'humilient quand on presche la verité de Dieu. Et pourquoy? Car il faut qu'ils sachent, Celuy qui parle, de quel maistre est-il envoyé? de celuy qui a l'empire souverain sur tout le genre humain, et auquel chacun doit suiettion. Quand donc nous serons d'estat moyen (ie vous prie) n'est ce pas une folie par trop enragee de vouloir qu'on nous supporte, et qu'on dissimule, et que nos vices soyent convertis, et mesmes que la verité de Dieu soit falsifiee en faveur de nous? Dieu se peut-il transfigurer? Or est-il ainsi, qu'il veut que sa parole soit son image vive. Quand donc nous demandons qu'on nous flatte, c'est autant comme si nous requerions que Dieu changeast de nature, et qu'il se renonçast, à fin de nous complaire. Ne voila point une temerité par trop diabolique? Apprenons donc de venir avec toute humilité et modestie pour ouir la parole de Dieu, sachans qu'il faut que nostre obeissance soit esprouvee en cest endroit, que nul ne soit espargné, mais que les fautes soyent remonstrees en droite liberté comme il appartient.

Venons maintenant à ce qu'Eliu adiouste. Iob dit-il, escoute moy. Or il est vray que ie parle dé la langue, et que ie prononce mes paroles de moi palais: mais cependant mes propos sont la droiture de mon coeur, et tu n'orras de ma bouche que chose veritable et droite. Voicy une protestation que fait Eliu pour estre escouté, c'est assavoir qu'il parlera non point en feintise et comme un homme double, mais selon qu'il a cognu les choses, et qu'elles luy ont esté revelees, qu'il les mettra purement en avant. Voila pour le premier. Pour le second il adiouste, Me voici quant à Dieu comme toi: ou bien selon ta bouche. Le mot dont il use signifie proprement Bouche, mais aucunesfois il se prend pour Mesure. Or nous avons veu par cy devant, que

SERMON CXXII

43

Iob demandoit que Dieu vint à luy sans luy apporter une frayeur telle comme il la sentoit. Si Dieu estoit comme mon pareil (disoit Iob) ie luy pourroye respondre: et combien qu'il ait toute autorité sur moy, si est-ce que ie pourroye maintenir ma cause. Voila comme Iob parloit. Ainsi ce passage se pourroit exposer, Me voici selon ta bouche, c'est à dire selon ce que tu as demandé: ou bien, Me voici selon ta mesure, c'est à dire, Ie suis semblable à toy quant à Dieu. Toutes fois la sentence demeurera tousiours une: et ainsi il ne nous faut pas trop insister sur ce mot. Regardons tousiours là où Eliu veut revenir, c'est assavoir qu'il n'est pas Dieu qu'il puisse effrayer Iob, mais qu'il est creé de bouë comme Iob: c'est à dire qu'il est une creature mortelle et caduque, et qui n'a en soy nulle vertu. Car c'est dit-il, l'Esprit de Dieu qui m'a formé, et le souffle du Tout-puissant qui m'a donné vie. En somme nous voyons qu'Eliu declare ici à Iob qu'il parlera contre luy en telle raison que Iob en sera vaincu. Tu ne pourras plus alleguer, dit-il, que c'est Dieu qui t'espouvante, qu'il a sa gloire qui t'est espouvantable, et que tu ne peux avoir droit de luy: tu ne pourras dire cela. Qui suis-ie? le Voici une povre masse de terre et de fange. Il est vray que i'ay esprit et vie, mais ie le tien de Dieu: tant y a que me Voici plein de fragilité comme toy. Ainsi donc il n'y aura que la raison qui domine entre nous deux, et faudra que tu demeures confus. Nous voyons en somme les deux poincts qui sont ici contenus. Le premier c'est, qu'Eliu declare que ses paroles sont la droiture de son coeur, et qu'il ne dira rien que ce qu'il a pensa et conceu en soy. Ceci est bien digne d'estre noté: car nous en pouvons recueillir, comme celuy qui porte la parole de Dieu doit estre disposé: c'est assavoir qu'il n'ait point un babil au bout de la langue, et qu'il ne iette point des propos à la volee: et mesmes iouë une farce: mais que selon qu'il est enseigné de Dieu, il communique à ceux qui lui sont commis en charge, ce qui est imprimé là dedans. Ainsi donc voulons-nous purement servir à Dieu en nostre office? Il nous faut devant toutes choses retenir nostre langue, qu'elle ne parle sinon ce que nous aurons imprimé dedans le coeur. Et de fait, nous oyons ce qui est dit par David, et que S. Paul allegue (Pse. 116,10; 2. Cor 4, 13), l'appliquant à tous ministres de la parole de Dieu, I'ay creu, et pourtant ie parleray. Vray est que cela est commun à tous Chrestiens et enfans de Dieu: mais sur tout il doit estre observé de ceux que Dieu a establis comme organes de son sainct Esprit. Quand nous parlerons, voila Dieu qui veut estre escouté en nos personnes. Puis qu'ainsi est donc qu'il nous a fait un si grand honneur, c'est pour le moins que nous ayons sa

44

doctrine imprimee en nous, et qu'elle ait prins sa racine là dedans, et puis que la bouche rende tesmoignage de ce que nous saurons: bref, il faut que nous ayons esté enseignez de Dieu, devant que nous puissions estre maistres ne docteurs: et mesmes quand nous preschons, que ce ne soit pas seulement pour les autres mais que nous soyons comprins au nombre et en la compagnie. Voila, di-ie, ce que nous avons à observer.

Et defait, un homme qui parlera sans avoir senti la vertu de la parole de Dieu en soi, que fait-il sinon qu'il iouë une farce? Et quel sacrilege est cela? Quelle pollution de la parole de Dieu? Ainsi donc pensons diligemment à nous: et toutes fois et quantes que nous montons en chaire, que nous ayons bien premedité ceste leçon qui nous est ici donnee, c'est assavoir, Que la droiture de nostre coeur se monstre en la langue. Et cependant aussi, quand nous verrons une doctrine estre droite, et que l'homme qui parle, tasche à nous edifier: sachons que nous sommes ingrats à Dieu, et du tout rebelles, si nous n'oyons en toute humilité ce qu'il nous propose. Or quand Eliu use d'une telle preface, il ne parle point humainement: mais il monstre comme Dieu nous veut retenir à soy. Et par quel moyen? Me voici, dit-il, escoute moi: car il n'y a que droiture en mes propos. C'est autant comme s'il me toit une regle au nom de Dieu, Que si une doctrine qui est mise en avant, est saincte, et que nous en soyons convaincus: si nous ne sommes humiliez en toute crainte pour nous y renger, nous ne serons point coulpables d'avoir resisté à l'homme qui parloit à nous: mais c'est autant comme si nous despitions le Dieu vivant. Et ainsi donc, que chacun soit attentif quand la parole de Dieu se presche: et que puis qu'il nous fait la grace de nous susciter des hommes, par lesquels il nous declare privement sa volonté: que nous ne luy soyons point sauvages, mais rendons nous dociles à ce que nous cognoissons estre procede de luy. Et d'autant que la Loy, et les Prophetes, et l'Evangile nous ont este apportez par ceux dont la droiture nous est assez cognuë et testifiee, notons que quiconque ne s'assuiettira, à ceste doctrine, il ne luy faut point d'autre procez pour sa condamnation. En somme notons que nostre Seigneur a autorisé ses Prophetes et Apostres, à fin que la doctrine qu'ils nous ont donnee ne soit plus en doute, mais que nous la tenions comme un arrest irrevocable. Voila donc pour un Item. Or cependant nous sommes advertis, qu'il ne faut pas que les fideles s'abbrutissent à leur escient pour recevoir tout ce qu'on leur dira: mais qu'ils doivent examiner la doctrine, si elle est de Dieu on non. Et voila pourquoy il est dit, qu'on esprouve les esprits. Et ceci est bien à noter: car nous voyons

IOB CHAP. XXXIII.

45

comme les povres Papistes se laissent mener sans aucune discretion, et la foy qu'ils ont n'est sinon une pure bestise, qu'il faut boucher les yeux, qu'il ne faut avoir nulle raison en soy. Au contraire, Dieu veut que nous ayons esprit et prudence, pour n'estre point abusez ni seduits par les fausses doctrines que les hommes nous apporteront. Comment cela se fera-il? Il est vray qu'il ne faut point que nous presumions de iuger de la verité de Dieu selon nostre sens et phantasie: car plustost il nous faut captiver toute nostre raison et intelligence, comme l'Escriture nous monstre: cependant neantmoins nous avons à prier Dieu, qu'il nous donne prudence, pour iuger si ce qu'on nous propose est bon et droit. Et au reste qu'avec toute humilité nous ne demandions, sinon d'estre gouvernez par luy, et sous sa main, estans certains que par ce moyen nous pourrons savoir s'il y a droiture aux propos qu'on nous mettra en avant.

Et c'est aussi ce que nostre Seigneur Iesus amene, quand il veut qu'on reçoive ce qu'il dit. Ie ne cherche point ma gloire, dit-il (Iean 8, 50), mais la gloire de celuy qui m'a envoyé. Il faut donc que nous enquerions tousiours, où c'est que l'homme qui parle à nous, tend. Car si nous voyons que son but auquel il aspire, soit qu'on glorifie Dieu, et qu'il domine sur tous, é il ne faut plus disputer d'avantage, il se faut arrester là pleinement. Mais au contraire si une doctrine est pour obscurcir la gloire de Dieu, si elle est pour nous destourner de son service, si elle ne peut valoir qu'à ambition et vanité, qu'elle ne nous edifie point pour estre vrais temples de Dieu, si en icelle nous ne sommes point fondez pour nous remettre du tout à Dieu et l'invoquer purement, pour nous fier et reposer en sa grace, et en sa bonté paternelle: alors nous voyons bien qu'il n'y a nulle droiture. Vray est que nous serions ici bien empeschez, sinon que Dieu nous eust monstré en premier lieu quelle est ceste droiture: mais quand nous avons les principes qu'il nous a donnez, iamais nous ne pouvons faillir, s'il ne tient à nous. Voila Dieu qui nous declare, qu'il veut estre exalté, et qu'on recognoisse que tout bien vient de luy: apres, il veut aussi avoir toute maistrise pour dominer sur nostre vie, et y tenir une telle bride que nous soyons gouvernez par luy, et selon sa bonne volonté: il veut que les hommes soyent du tout abbatus et vuides de fiance de leur iustice, et sagesse, et vertu: il veut que nous venions puiser en nostre Seigneur Iesus Christ, comme en la fontaine de tout bien: il veut estre invoqué purement de nous: il veut que les Sacremens qu'il a ordonnez soyent receus comme tesmoignages de sa grace, et comme des moyens et aides pour nous soliciter à le servir d'un coeur tant plus franc et

46

plus ardent. Voila des choses où il ne faut point de glose, et n'y a rien d'obscur ni difficile. Et ainsi donc, que nous ayons tousiours ceste adresse-la, quand il est question d'esprouver une doctrine: et nous saurons si elle est droite, ou tortue: si elle est vraye ou fausse: si elle est pure ou s'il y a de la corruption et du meslinge, selon que Dieu nous a monstre quelle est la vraye droiture. Il ne faut plus, di-ie, que nous soyons ici enveloppez de doutes: seulement ouvrons les yeux, et au reste prions Dieu qu'il nous guide par son S. Esprit: d'autant que sans cela nous vaguerons tousiours, et ne serons point suffisans pour discerner, moins que de petis enfans: comme aussi S. Paul en parle (Eph. 1, 18), qu'il faut bien que l'Esprit de Dieu soit comme une lampe qui nous esclaire, ou iamais nous ne comprendrons que c'est des secrets de Dieu: ils sont spirituels, et de nostre nature nous ne sommes que chair et terre, nous tendons tousiours en bas. Mais si Dieu nous illumine par son S. Esprit, nous iugeons de la doctrine, alors nous discernons tellement que nous ne sommes point trompez par toutes les tentations de Satan: et combien qu'il nous envoye des seducteurs, qu'il suscite beaucoup de brouillons qui taschent à tout pervertir, cela ne pourra rien gaigner contre nous, moyennant que l'Esprit de Dieu soit nostre clarté comme nous avons desia dit. Et au reste combien que quelquefois Dieu parle par la bouche des meschans: comme il est dit, que le royaume de nostre Seigneur Iesus Christ sera avancé quelquefois par occasion, que les hypocrites on gens qui n'ont nulle crainte de Dieu, qui seront menez de vaine gloire et d'autres vanitez, pourront servir pour un temps, et Dieu fera valoir leur doctrine au salut de ses eleus, combien que ce soit à leur plus grande condamnation, combien donc que cela puisse advenir quelquefois, si est-ce que l'ordinaire n'est pas tel. Car si Dieu veut que nous soyons edifiez en luy, quant et quant il nous suscitera gens qui parlent de coeur et de zele: et mesmes il donnera une telle marque à la parole qui sort de leur bouche, qu'on y cognoistra la vertu du S. Esprit: comme aussi S. Paul en parle. Et voila pourquoy ceux qui sont en office d'annoncer la parole de Dieu, doivent tant mieux pratiquer ce que i'ay desia dit, c'est à savoir d'estre enseignez devant que rien mettre en avant, tellement que le coeur parle devant la bouche. Pour ce faire, qu'ils prient Dieu qu'il les touche au vif, tellement qu'ils ayent sa parole bien enracinee en leurs ames, à ce qu'ils puissent servir à leurs prochains, et cognoissent qu'ils ne se iettent point à la volee, mais qu'ils sont poussez du S. Esprit. Voila donc ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or en second lieu Eliu proteste, Qu'il est

SERMON CXXII

47

homme caduque et fragile, tellement qu'il ne pourra point espouvanter Iob: mais qu'il ne le veut gaigner que par raison et verité. Devant que venir au principal, nous avons à noter en passant ceste façon de parler dont il use: c'est Que l'Esprit de Dieu l'a creé, et que le souffle du Tout-puissant l'a vivifié: au reste qu'il n'est que boue et fange. Or cecy est bien à noter à tous hommes: car si nous avions bien retenu ce qui est ici monstre, il est certain que tout orgueil seroit comme enseveli en nous. Car qui est cause, que les hommes se glorifient tant, et qu'ils sont ainsi outrecuidez, sinon qu'ils ne peuvent cognoistre leur origine en premier lieu, et puis ils ne savent apprehender à bon escient, que ce qu'ils ont ils le tienent de Dieu, et que ce n'est pas un heritage, mais d'autant qu'il plaist à Dieu de les conserver, qu'ils ont et vie, et tous les accessoires d'icelle? Si donc les hommes pouvoyent en premier lieu avoir souvenance d'où ils sont sortis: et secondement que tout le bien qui est en eux, ils le tienent de la pure grace de Dieu: il est certain qu'ils seroyent vrayement humiliez. Il est donc dit, que nous sommes formez de fange et de bouë: allons nous maintenant glorifier, faisons-nous valoir tant que nous voudrons: mais si est-ce que nous ne pouvons pas changer nostre naturel. Il faut donc quand un homme se trouvera tenté d'arrogance, et qu'il se voudra par trop eslever, qu'il entre en soy, et qu'il regarde, Et d'où est-ce que ie suis sorti? D'où est-ce que Dieu m'a prins? Quand nous avons seulement nos piez fangeux, il nous semble que nous en valons moins: que si la fange nous touche, il nous semble que nous sommes souillez, voire seulement de nos souliers. Or tant y a que nous sommes formez de boue. Il ne faut pas donc que nous mettions tellement en oubli nostre issue dont nous sommes procedez, que tousiours ceci ne nous vienne au devant, Tu n'es que terre et poudre. Il est vray que le mot est assez vulgaire, et qu'un chacun le confesse: mais cependant personne ne le cognoist Or il ne faudroit qu'une telle apprehension pour nous purger de tout orgueil: Qu'est-ce que la presomption et l'outrecuidance qui est aux hommes, sinon un vent, d'autant qu'ils sont enflez d'ignorance, qu'ils oublient quels ils sont? D'autant plus donc nous faut bien peser ce mot où il est dit, Que nous sommes creez de fange et de bouë. Il est vray qu'il y auroit de la dignité et excellence en nostre nature qui seroit à priser, voire si nous estions entiers: mais encores ne nous seroit-il pas permis de nous enorgueillir. Estans corrompus en Adam (comme nous sommes) il est certain que nous devons estre doublement confus. Et pourquoy? Nous avons esté creez à l'image de Dieu: et coste image-la quelle est elle? Elle est desfiguree: nous sommes tellement pervertis,

48

que la marque que Dieu avoit mise en nous pour y estre glorifié, est tournee en son opprobre: et toutes les graces qui nous estoyent conferees, nous sont autant de tesmoignages pour nous rendre coulpables devant Dieu: d'autant que nous les polluons, et que l'homme demeurant en son naturel ne fera qu'abuser des biens qu'il a receus, et les appliquera, à tout mal. Et ainsi voila tousiours nostre confusion qui s'augmente par tous les dons que Dieu nous aura communiquez. Mais encores prenons le cas, que nous fussions en ceste integrité où nostre pere Adam a esté premierement: faudroit-il que nous presumissions de nous, sous ombre que Dieu nous auroit ainsi annoblis? Or nous tenons tout de luy. Qui est-ce qui nous separe d'avec les bestes brutes, et qui nous rend plus excellens? Avons-nous cela de nostre industrie? L'avons-nous acquis par nostre vertu? L'avons-nous d'heritage de nos ancestres? Nenny: mais nous l'avons d'autant que Dieu nous l'a donné par sa bonté gratuite. Ainsi donc qu'est-il question de faire sinon de nous humilier?

Voila ce que nous avons à retenir en general de ce passage, où Eliu confesse qu'il a esté creé de fange, et que l'esprit et la vie qu'il a, il les doit à Dieu, pource qu'ils luy sont communiquez de sa pure bonté. Or cependant ceux desquels Dieu se voudra servir en estat honorable, doivent tant mieux recorder ceste leçon. Car ce n'est point à fin que les hommes s'eslevent, quand Dieu leur tend la main, et qu'il les met en quelque degré d'honneur: mais plustost à ce qu'ils cognoissent combien ils sont tenus à luy, qu'ils soyent tant mieux incitez à l'honorer, et qu'ils s'aguisent, et appliquent tous leurs sens et toutes leurs affections à faire tellement, que Dieu soit honoré par eux: comme il est dit qu'une chandelle ne doit point estre cachée, mais on la mettra sur un buffet, afin qu'elle luise par toute la maison. Ceux donc ausquels Dieu fait ceste grace de les eslever en quelque vocation plus digne et plus haute, doivent estre tant plus enflammez pour esclairer leurs prochains et leur donner tel exemple que la grace qu'ils ont receuë ne soit point comme estouffee. C'est ce que nous avons ici a observer en second lieu. Or cependant notons en general, que les hommes ne peuvent point attribuer à Dieu la gloire qui luy est deue, sinon en se desnouant du tout. Or tant que nous pretendrons de reserver à nous quelque peu que ce soit, la gloire de Dieu sera d'autant amoindrie. Que faut-il donc? Quand nous aurons bien espluché le bien qui est en nous, que nous facions autant d'Items en nos contes de ce que nous aurons receu, et qu'il n'y ait rien qui nous soit propre. Voila comme les hommes ne despouilleront Dieu de sa louange: c est quand ils s'estudieront

IOB CHAP. XXXIII.

49

à se cognoistre, qu'il ne leur peut demeurer une seule goutte de bien, mais qu'il faut que tout soit enregistré, comme aussi ils en sont contables envers Dieu. Et au reste, quand nous serons ainsi aneantis en nous-mesmes, nous n'y aurons nul dommage: car nous ne laisserons pas d'estre revestus: voire nous serons plus riches beaucoup, que ceux qui sont ainsi outrecuidez, pensans avoir ie ne say quoy à eux comme en heritage, si nous sommes vrayement conioints à Dieu, et que nous luy attribuons la louange qui luy est deuë. Ainsi donc ne craignons point d'estre diminuez, quand nous serons ainsi vuides de toute gloire: car nostre Seigneur ne veut point que nous soyons desprouveus d'aucun bien: mais tant y a qu'il faut que nous soyons ainsi confus comme i'ay dit. Et cependant apres que nous aurons cognu que nous ne pouvons rien sinon ce qui nous est donné d'enhaut, que nous advisions d'appliquer tout ce que Dieu aura mis en nous, à tel usage comme il nous le commande. Car nostre Seigneur ne nous a point douëz des vertus de son S. Esprit, qu'il ne vueille que cela soit applique à bon usage: il ne faut pas que cela soit inutile. Advisons donc que ce que nous avons receu soit presenté et offert à Dieu comme en sacrifice: et puis qu'il veut que le salut de nos prochains en soit avancé, que sur tout nous ayons esgard de nous edifier les uns les autres. Voila ce que nous avons ici à retenir.

Or venons maintenant aux propos que tient ici Eliu, et à la substance. Il avoit dit, l'Esprit de Dieu? n'a creé son souffle m'a donné vie. Ainsi donc (adiouste-il il n'y aura point de frayeur en moy pour t'espouvanter, mais la seule raison dominera. Ici Eliu monstre quel est l'office d'un bon docteur, c'est qu'il se regarde bien, et qu'il se mire et contemple, devant qu'ouvrir la bouche. Et pourquoy? Car ceux qui n'ont pas bien cognu leur fragilité, n'auront point de compassion de leurs prochains: et quand ils voudront redarguer ceux qui ont failli, ils y iront avec une violence telle, que ce sera pour esgarer plustost que de reduire au droit chemin les povres errans. Et quand il sera question de consoler, ils n'auront nul moyen de ce faire: quand il sera question d'enseigner, ils le feront avec un desdain. Il faut donc si nous voulons enseigner la parole de Dieu comme il appartient, que nous commencions par ce bout de cognoistre nos infirmitez: et les ayans cognues, que cela nous mene à une modestie et mansuetude, que nous ayons un esprit debonnaire pour annoncer la parole de Dieu. Il est vray que d'autant qu'il y en u beaucoup qui sont pleins de fierté et de rebellion, il faut que la parole de Dieu à ceux-la soit comme un marteau qui brise et rompe ceste durté: mais cependant en premier lieu nous devons enseigner ceux qui se rendront

50

dociles. Et comment le pourrons-nous faire, sinon ayans cognu le besoin que nous avons de les supporter? Or cela ne se pourra faire que nous ne sentions combien nous sommes fragiles: car celuy qui ne cognoist point ses povretez, n'a point de compassion pour se conformer à la tristesse d'autroy, et pour y respondre. Ainsi donc voulons nous fidelement enseigner les ignorans? Il faut que nous cognoissions qu'il n'y a qu'ignorance en nous, et que ce seroit pis que de tout le reste, si Dieu ne nous voit donné ce que nous avons receu de luy. Apres, voulons-nous consoler les povres affligez? Que nous sachions que c'est de l'estre, que nous ayons passé par là, et que nous soyons touchez d'affliction et de tristesse pour nous consoler avec ceux qui sont tristes, et pour les savoir supporter. Si mesmes nous voulons redarguer ceux qui ont failli, que nous ne le facions point avec trop grande violence, plustost que nous ayons pitié de leur perdition. Il est vray qu'il faudra bien par fois que la vehemence soit aussi coniointe quant et quant: quand nous verrons les povres ames perir, il n'est point question d'amadouër là: si les hommes sont obstinez en leur rebellion, é il n'est point question de les picquer tant seulement, mais il les faut navrer au vif Voire: mais cependant si faut-il que nous ayons cela devant, à savoir, que nous ayons cognu nos infirmitez, et qu'il nous face mal quand nous viendrons en esprit de rigueur: comme un pere, combien qu'il frappe sur ses enfans, combien qu'il use de paroles beaucoup plus aspres qu'il ne seroit point envers les estrangers: toutes fois si est-ce qu'il a son coeur sanglant, quand il faut qu'il se transfigure ainsi. Notons donc que iamais un homme ne sera propre à enseigner, sinon qu'il ait vestu une affection paternelle, et qu'il ait en premier lieu cognu ses infirmitez, à fin de se renger à une telle compassion, qu'il ait pitié de toua ceux ausquels il a affaire. Voila ce qui nous est ici monstré par Eliu.

Et au reste que toua ceux qui sont constituez en autorité, regardent bien qu'il ne faut point qu'ils abusent de leur puissance en tyrannie, pour opprimer ceux qui sont inferieurs à eux: car ils auront double conte à rendre devant Dieu si sous ombre de leur autorité ils veulent qu'on les craigne et redoute, et ne cerchent pas principalement l'honneur de Dieu avec le salut de ceux qui leur sont commis. Et voila comme Ezechiel (34, 4) parle dès mauvais pasteurs qui ont foulé le peuple de Dieu par tyrannie: il dit, qu'ils ont dominé en puissance, et avec toute autorité. Voire: mais au contraire il nous est ici monstré que tous ceux qui voudront s'acquiter loyaument envers Dieu, et envers leurs prochains, quand ils seront constituez en degré superieur, il ne faut point que pour cela

SERMON CXXIII

51

ils s'eslevent, mais qu'ils cognoissent plustost que s'ils veulent apporter un effroy pour espouvanter les povres gens, é il faudra que Dieu leur monstre, que son intention n'a pas esté de mettre ici des bestes sauvages qui effarouchent le troupeau, d'y mettre des boucs qui heurtent des cornes, qui troublent l'eau, comme il en parle en ce passage d'Ezechiel (v. 18). Dieu donc monstrera, que ceux ausquels il a donne le glaive au siege de iustice, et ceux qu'il a mis en chaire pour annoncer sa parole, il ne les a pas là constituez pour estre des boucs, pour fouler et opprimer les povres brebis. Voila ce que nous avons à noter en ce passage Or cependant Eliu monstre, comment c'est que nous devons recevoir la doctrine: c'est que si nous cognoissons qu'elle soit vraie et droite, combien que nous ne soyons point forcez, ny contraints, neantmoins il est question de passer par là sans contredit.

Voila donc ce que nous avons à retenir quant à la circonstance du lieu et du propos: c'est assavoir que quand on nous propose une doctrine, et bien, voila un homme mortel qui parle. Or voyons-nous qu'il y ait raison et verité? Sachons qu'en repliquant nous bataillons non seulement contre Dieu, mais contre nostre conscience qui est un iuge suffisant pour nous condamner. Et de ceci nous avons bien à recueillir une admonition fort utile: c'est que toutes fois et quantes que nous venons pour estre enseignez au nom de Dieu, quand nous voyons que la doctrine qu'on nous presente est droite, il ne faut plus repliquer. Car nous ne gaignerons rien en plaidant: s'il y a raison, il s'y faut assuiettir. Au reste cela ne doit point empescher que la maiesté de Dieu ne nous vienne devant

les yeux: car il ne faut point que nous iugions de la doctrine qu'on nous propose, selon nostre sens et phantasie. Il faut donc qu'il y ait ici deux choses meslées: l'une c'est, Que nous ayons tout conclud, que nous sommes prests d'obeir à Dieu, que nous ayons prins ceste conclusion en nous, O il faut que nostre Createur ait toute maistrise, et que nous luy soyons suiets. Voila le preparatif qui doit estre. Et puis, que nous entrions en iugement, c'est à dire que nous examinions la doctrine, voire non point avec une fierté, non point en cuidant estre assez sages, mais prians Dieu qu'il nous y gouverne par son sainct Esprit, pour suivre la doctrine qu'il nous aura monstree. Voila donc deux choses qui doivent estre coniointes: et ce meslinge n'apporte nulle confusion: car celuy qui sera preparé d'obeir à Dieu, ne laissera point pourtant d'ouvrir les yeux, et cognoistre comme il doit discerner le mensonge d'avec la verité. Mais cependant apprenons de n'estre point tellement effarouchez, que nous ne regardions à l'homme qui parle, et recognoissons que Dieu nous fait une grande grace quand il luy plaist d'user de ses creatures, qu'il s'abaisse ainsi à nous, à fin que nous ayons plus de loisir de considerer sa parole. Car nous serions perdus, s'il venoit à nous en sa maiesté: mais quand il se presente par les hommes? il s'accommode à nostre infirmité, à fin que plus commodement nous puissions cognoistre sa verité qu'il nous propose. Voila donc en somme ce que nous avons à retenir de ce passage, en reservant le reste pour ci apres.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

52

LE CENT VINGTTROISIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXXIII. CHAPITRE.

8. Si est-ce que tu as dit à mes aureilles, et i'ai ouy ceste voix de tes propos, 9. Ie suis pur et sans peché: ie suis net, et n'y a point d'iniquité en moi. 10. Il a trouvé occasion contre moi, et m'a tenu pour ennemi. 11. Il a mis mes pieds aux ceps, il a prins garde à toutes mes voyes. 12. En cela tu ne seras point iustifié: ie te respondrai que Dieu est plus grand que toi. 13. Pourquoi debas-tu contre lui? car il ne respondra point à toutes paroles. 14. Dieu parle un coup et deux sans qu'on s'en avise.

Il nous doit souvenir de ce qui fut hier traitté: c'est assavoir, que Dieu nous fait un grand bien, quand il lui plaist de condescendre à nostre infirmité iusques là, qu'il parle à nous privément par la bouche d'un homme mortel qui est nostre semblable. Car c'est afin que n'estans point effrayez de sa maiesté, nous ayons meilleur loisir de mediter ce qu'il nous propose, que nous ayons l'esprit paisible et de repos pour bien comprendre la doctrine que nous oyons, et en faire nostre profit.

IOB CHAP. XXXIII.

53

Vrai est que si Dieu parloit à nous du ciel, cela seroit pour nous esmouvoir tant plus, et par consequent la doctrine seroit plus d'authorité: mais cependant nous serions comme esperdus et ainsi nous n'aurions pas nostre esprit à delivre pour penser à ce qu'il diroit. Mais quand un homme parle, nous pouvons mieux à nostre aise gouster et digerer ce qui est dit. Voila donc en quoi Dieu nous supporte. ne fait nous voyons que le peuple d'Israel, quand la Loi deust estre publiee, disoit Que le Seigneur ne parle point à nous: car nous sommes perdus s'il faut que nous l'oyons. Et pourquoi? Depuis que Dieu eust commencé à monstrer sa maiesté, voila un espouvantement tel qui saisit leurs coeurs, que ces povres gens ne savent que. devenir: tellement qu'ils concluent que Dieu les abysmera en parlant. Quand Moyse vient, encores faut-il qu'il mette un voile devant ses yeux, pource que Dieu lui avoit donné une marque de la gloire, et que les Iuifs ne le peuvent porter. Ainsi donc nous voyons quand Dieu nous suscite des hommes par lesquels nous soyons enseignez, qu'en cela il a esgard à nostre foiblesse: et qu'il ne desploye point sa vertu envers nous, afin que nous n'en soyons par trop abbatus, mais que nous ayons nostre esprit à delivre pour estre edifiez en la doctrine, et qu'elle nous soit plus familiere, et que nous ayons tant plus grand loisir d'y bien penser, et appliquer nostre estude. Or par cela nous sommes admonnestez de ne point mespriser la parole de Dieu, quand un homme parlera, à nous: car ce seroit une ingratitude trop vilaine, Que Dieu se face comme petit, et qu'il se demette de sa grandeur, afin de s'accommoder à nostre portee: et que nous prenions occasion de cela de ne tenir contre de ce qui nous est dit. Et pourtant combien que ce thresor de salut, c'est à dire la parole de Dieu nous soit proposee en des vaisseaux fragiles, c'est à dire par des hommes mortels, qui n'ont en eux sinon toute infirmité: si est-ce qu'il nous le faut tousiours priser comme il le merite, cognoissans que les hommes ne parlent point en leur nom, mais que c'est Dieu qui nous les envoye, et qui veut estre escouté en leur bouche.

Venons maintenant aux reproches que fait ici Eliu à Iob. Si est-ce que tu as dit (moi oyant) et i'ai ouy ceste voix de tes propos, Que tu es iuste, que tu es sans peché, et que tu n'es point coulpable d'aucune iniquité. n cela donc tu ne te pourras point iustifier, c'est à dire, tu ne pourras maintenir ta querelle que tu n'ayes mal fait. Et qu'ainsi soit, Comment respondras-tu à Dieu, veu qu'il est plus grand que toi? Tu l'accuses de ce qu'il a prins occasion de t'affliger, et qu'il a mis tes pieds aux ceps, tellement que tu n'as plus liberté de maintenir ta cause. Or ne cuides point eschapper par

54

cela: car il faudra que tu sois condamné, et que Dieu te face sentir que c'est bon droit qu'il t'a ainsi affligé. Ici nous avons à examiner en premier lieu, si Eliu accuse Iob à tort ou à droit, de ce qu'il s'est voulu iustifier: car il semble bien de prime face qu'il ait mal prins le propos que Iob avoit tenu, et qu'il le destourne par calomnie en un sens divers. Et qu'ainsi soit Iob n'a iamais voulu s'attribuer une telle perfection, qu'il n'y ait point de peché en lui, nous avons veu le contraire: il semble donc qu'ici Eliu falsifie les propos qu'il a ouy, et qu'il les applique tout au rebours. lais d'autant qu'il n'est point redargué de Dieu (ainsi que nous verrons) et mesmes que nous avons desia ouy qu'il protestoit de ne point assaillir Iob à la façon des autres: notons qu'ici il prend ce que Iob avoit dit comme il l'a entendu, c'est assavoir que Iob regardoit à l'affliction presente, comme s'il disoit, Il est vrai que ie suis un povre pecheur, ie ne puis pas nier que ie n'aye commis beaucoup de fautes devant Dieu, mais en ceci ie me trouve iuste, et Dieu use de sa puissance absoluë envers moi, quand ie ne voi point de raison pourquoi il me tourmente ainsi: car l'affliction est par trop grieve. Combien donc que Iob ne s'est point voulu iustifier en general: si est-ce qu'en la cause de son affliction il a voulu estre iuste. Or il semble encores qu'Eliu en cela lui face tort: car nous avons dit qu'à la verité Dieu n'avoit point voulu punir Iob pour ses pechez, combien qu'il le peust iustement faire: que c'estoit assez qu'il vouloit esprouver sa patience. Et quand Iob a cognu cela, n'a-il pas eu raison? Car il se conformoit au conseil et à la volonté de Dieu. Mais la response est, qu'en recevant les afflictions que Dieu nous envoye comme des espreuves de nostre obeissance, et apres avoir cognu que Dieu ne nous punit point pource que nous l'ayons offensé, pource qu'il soit courroucé, contre nous, mais seulement qu'il nous veut humilier, et veut savoir si nous lui serons suiets en tout et par tout, qu'il veut aussi mortifier nos concupiscences. Quand nous avons ceste adresse-la, il faut quant et quant avoir une autre consideration: c'est que neantmoins quand il plairoit à Dieu, il trouvoit bien dequoy nous punir. Combien donc que Dieu nous espargne, et qu'il ne vueille point user de sa rigueur contre nous à cause de nos pechez: si est-ce qu'il le pourroit faire, et il y a tousiours iuste raison. Pourquoy donc ne le fait-il pas? C'est à cause de sa bonté: et cependant il nous afflige pour un autre regard. Voila pour un Item.

Or le second est, Que si Dieu ne nous declare point pourquoy il nous afflige, il nous faut tenir la teste baissee iusques à ce qu'il nous approche de soy, et qu'il nous face sentir pourquoy il nous a

SERMON CXXIII

55

ainsi traittez. Nous devons donc demeurer en suspens, et ne point murmurer, ne lascher la bride à nos passions. Iob a failli en ces deux choses-la. Car combien qu'il se cognust pecheur: si est-ce toutes fois qu'il n'a point donné à Dieu telle gloire qu'il luy est deu. La raison? C'est qu'il n'a point assez medité cest article-la, Que Dieu le pouvoit affliger plus rigoreusement beaucoup (s'il eust voulu) voire à cause de ses pechez mesmes. Et puis nous avons veu qu'il s'est ietté comme aux champs, qu'il s'est despité en soy, Et que veut dire Dieu? et ie suis ici une povre creature, et faut-il qu'il desploye son bras contre moy? et y a-il nul propos? Il sembloit donc qu'il voulust accuser Dieu de quelque tyrannie: non pas qu'il fist ceste conclusion-la, mais il en a esté tenté neantmoins.

Voila en quoy Iob a failli: et pourtant ce n'est point sans cause qu'Eliu lui dit, Comment? qui t'es voulu iustifier, comme si tu estois sans iniquité, si tu estois pur et net. En cela (dit-il) tu ne seras iamais absqus et ne gaigneras point ta cause. Or donc pour faire nostre profit de ceste doctrine, retenons que si Dieu nous punit à cause de nos pechez, il faut en premier lieu passer condamnation. Et c'est le plus expedient que cela: car si nous voulons estre iustifiez devant Dieu, que faut-il faire, sinon de regarder à nostre vie, et cognoistre quand nous avons offensé nostre Dieu en tant de sortes, que nous sommes bien dignes d'estre batus de ses verges? Toutes fois si Dieu a quelque autre regard pour nous affliger, et qu'il nous traite plus rudement qu'il ne fait pas ceux qui sont du tout desbordez à mal, ceux qui se mocquent pleinement de sa maiesté: notons que ce n'est point à cause de nos pechez qu'il le fait. Pourquoy donc? Il veut nous esprouver, il veut savoir si nous sommes du tout siens: car cependant que les choses vont à nostre appetit, que savons-nous Si nous sommes prests de servir à Dieu, ou non? Mais quand il nous faut renoncer à nostre volonté, qu'il faut captiver tout nostre sens naturel, bref, qu'il faut batailler contre nos affections, voila quel est le vray examen si nous servons à Dieu.

Or donc quand cela y sera, cognoissons, il est vray que mon Dieu me pourroit abysmer cent mille fois: car combien qu'il m'ait fait la grace de cheminer en sa crainte, et que i'aye tasché de le servir: tant y a que cela ne seroit rien, ie ne pourroye pas consister une minute de temps, n'estoit qu'il nous supportast par sa bonté infinie. Or il me veut supporter, mais cependant si est-ce qu'il m'assuiettist sous sa main, et me monstre que ie doy estre du tout à luy. Et bien, il le fait pour bonne cause: il faut en cela que nous ayons la bouche close. Et puis il nous faut tenir cois: tellement, qu'apres avoir enquis, Et pourquoy est-ce

56

que Dieu me tormente si durement? Pourquoy est-ce qu'il me persecute iusques au bout? Ie ne say: si nous n'entendons point la raison, si faut-il conclurre, O mon Dieu, tes conseils sont incomprehensibles, i'attendray patiemment que tu me faces cognoistre pourquoy, quand ie ne puis pour le present cognoistre d'avantage pour ma rudesse, et l'infirmité de mon Esprit. Ainsi, Seigneur, apres que i'auray demeuré ici comme un povre aveugle, tu m'ouvriras les yeux, tu me feras sentir où ces choses tendent, quelle en doit estre l'issue, et i'y profiterai mieux qu'à present. Voila donc la prudence qui doit estre en tous fideles, c'est d'avoir ceste modestie en eux de tousiours confesser que Dieu est iuste, encores qu'ils n'apperçoivent point la raison de ses oeuvres. Et cependant aussi ils doivent avec toute humilité se confesser povres pecheurs: voire, et que Dieu trouveroit assez de raison pour les exterminer du tout, n'estoit qu'il les voulust supporter par sa pure grace Voila en somme ;e que nous avons à retenir de ce passage.

Or venons à ce qui est adiouste. Dieu a prins occasion contre moi (ou querelles) et cependant a mis mes pieds aux ceps, et me tormente, et prend garde à tous mes sentiers: il m'espie, il a l'oeil sur moi, tellement que ie ne puis pas remuer un doigt qu'incontinent ie n'aye commis une faute. Il est vrai que Iob n'entendoit pas d'accuser Dieu d'iniustice, et que sans propos il l'affligeoit. Mais cependant notons bien qu'il a esté transporté en ses passions, en sorte qu'il lui est sorti par bouffees des rebellions lesquelles ne sont point à excuser, et nous avons noté tout cela quand l'opportunité l'a requis, c'est à dire en son lieu, car nous avons monstré que Iob s'escarmouchoit par trop à l'encontre de Dieu: et encores qu'il fust patient, et qu'il eust tousiours ce but de le glorifier, si est-ce qu'il estoit troublé par fois, et qu'il a esté si bas qu'il ne s voit où recourir. Or ceci est bien à noter, et en pouvons aussi recueillir une bonne doctrine: c'est, Que combien que nous ne soyons point tellement transportez que de vouloir blasphemer Dieu: tontes fois si nous avons quelque peu de liberté, é incontinent nous sommes hors des gonds (comme on dit) et il n'y a point de mesure en nous. C'est pitié que de l'homme: car il est tellement farci de mal que si tost qu'il se donne quelque peu de licence, le voila renversé d'un costé ou d'autre, et il ne tiendra point le droit chemin: le voila esgaré, voire sans qu'il y pense. Il est certain quand on eust demande à Iob, Dieu cerche-il occasion contre toy pour te traitter cruellement? Non, il est iuste. Il eust ainsi respondu, voire sans hypocrisie. Toutes fois il lui est ici reproché, et non sans cause, qu'il a contesté contre Dieu, comme s'il eust cerche des causes frivoles. Comment cela se fait-il? et pour

IOB CHAP. XXXIII.

57

quoy, C'est d'autant que Iob a esté agité en sa tristesse, et que par fois il n'a point esté retenu comme il devoit.

Ainsi donc notons que quand un homme seroit avancé en la crainte de Dieu, et qu'il aimeroit mieux mourir que d'avoir prononcé un blaspheme: si est-ce toutes fois que nous ne pouvons pas lascher la bride à nos passions, qu'incontinent il ne nous eschappe quelque mot mauvais, et à condamner: sur tout quand nous sommes pressez de maux, la tristesse est une passion si vehemente qu'il n'y a point d'attrempance: voila un homme qui s'escarmouche tellement qu'il hurte à l'encontre de Dieu, et ce n'est qu'à sa ruine finalement. Quand nous voyons cela, en premier lieu cognoissons que nostre nature est plus que vicieuse et perverse. Voila donc un poinct que nous avons à noter, c'est assavoir qu'il faut bien que nous soyons corrompus, que nous ne pouvons rien penser de Dieu sans lui faire tort et iniure. Et au reste nous sommes aussi admonnestez que nous entrions en une autre consideration, c'est assavoir de nous tenir là suiets toutes fois et quantes que Dieu nous affligera, que nous cognoissions, Helas! il est vrai que te Voici dispose à recevoir l'affliction. Quand Dieu nous a fait la grace de venir là, sachons que nous avons bien profité quand nous serons prests d'obeir à cela, de recevoir patiemment les coups de verges: mais si Dieu nous a amenez iusques à ceste raison-là, encores ne faut-il point que nous soyons desbauchez, mais plustost nous devons dire, Et bien, tu es desia obligé à ton Dieu de ce qu'il t'a ainsi bien preparé à recevoir les chastimens qu'il t'envoye, mais cependant encores il y a tant d'infirmitez en toi, qu'il ne faudra que tourner la main que tu seras incontinent impatient, et feras du rebelle à l'encontre de lui, et sans y penser tu l'auras incontinent blasphemé.

Ainsi donc apprenons de nous tenir suspects en telle sorte que nous soyons sur nos gardes pour prevenir les tentations. Et avons-nous fait cela? Cognoissons encores, que nonobstant le bon vouloir que nous ayons eu de nous ranger à Dieu, et porter patiemment les afflictions qui nous viennent de lui, si est-ce que nostre patience n'est point parfaite, qu'il y aura eu à redire: car combien nous viendra-il de phantasies mauvaises au cerveau? et encores que nous n'y adherions point, ou mesmes que nous les detestions, et que nous ayons tousiours ce but pour dire, Voici mon Dieu me gouvernera il sera maistre sur moi, et il faut que i'aye ceste modestie de m'humilier sous lui, voire quand il me voudroit fouler au pied, mesmes quand il me voudroit mettre au plus profond des abysmes, si faut-il que ie me range à lui. Quand nous aurons cela, encores nous viendra-il beaucoup de mauvaises

58

phantasies: et puis si nous parlons, il y aura tousiours ie ne sai quoi, et nous n'aurons iamais nos propos tellement bridez court, qu'il n'y ait tousiours des choses de nostre chair, et de nostre sens naturel entortillees parmi. Apprenons donc de nous condamner encores que nous ayons esté patiens, et puis que Iob en ce passage est si grievement redargué par Eliu, cognoissons que nous serons trouvez beaucoup plus coulpables, voire quand nous n'aurons tasche d'obeir à nostre Dieu, et que nous ne lui aurons point rendu l'honneur qui lui appartient. Voila ce que nous avons à noter sur ce passage.

Or cependant si Iob est ici condamné d'avoir blasphemé contre Dieu, et que sera-ce quand nous serons tellement transportez, qu'il n'y aura plus de patience en nous, comme on le voit le plus souvent? Alors comment pourrons-nous porter ceste condamnation, comme si nous avions conteste contre Dieu, comme s'il cerchoit des couvertures vaines et frivoles pour exercer sa rigueur contre nous? Or il est certain que tous ceux qui ne confessent point librement et d'un franc vouloir que Dieu est iuste en ses afflictions et qui n'ont point cela tout conclud et arresté, que c'est autant comme s'ils disoyent, Et voire, voici Dieu qui est un tyran, ils ne prononceront point ce mot, mesmes il leur seroit execrable, mais tant y a qu'ils y tendent: car il n'y a point ici de moyen quand nous ne glorifierons point Dieu en sa iustice, cognoissans que tout ce qu'il fait est fondé en raison, equité et droiture, c'est autant comme si nous lui reprochions qu'il exerce tyrannie contre nous. Il est vrai que les blasphemes ne seront point tousiours esgaux, et aussi il n'y aura point un consentement tousiours. Iob n'estoit point venu iusques là de dire, Il n'y a point de raison pourquoi Dieu m'afflige, mais d'autant qu'il a eu ses bouillons qui l'ont transporté (comme nous avons veu par ci devant) voila comme il faut que l'Esprit de Dieu le condamne en ce passage. Advisons donc que nostre condamnation sera beaucoup plus grande quand nous ne serons point du tout paisibles en nos afflictions, mais qu'il nous adviendra de murmurer, encores que la bouche ne sonne mot, quand nous aurons là dedans des angoisses, que nous serons comme si une mule rongeoit son frain. Quand donc nous aurons ainsi ces amertumes à l'encontre de Dieu, c'est autant comme si nous l'accusions d'avoir cerché des couvertures frivoles sans qu'il nous affligeast iustement.

Touchant ce qui est ici dit, Dieu a mis mes pieds aux ceps, Eliu recite les propos de Iob comme il avoit entendu. Car Dieu ne lui donnoit plus nulle liberté: comme quand on tiendra un criminel aux ceps, voila une espece de torture pour lui faire

SERMON CXXIII

59

confesser maugré qu'il en ait, ce qu'il ne voudroit pas. Iob donc avoit usé de ceste comparaison, disant que Dieu ne lui donnoit plus nul moyen de maintenir su querelle, combien qu'elle fust bonne. Or il est vrai que Iob cependant avoit cela en soi que Dieu savait bien la raison pourquoi il l'affligeoit: mais tant y a, qu'il n'a pas laisse de s'esbahir, et se despiter en son mal, comme si Dieu le pressoit par trop. Si on lui eust demandé, L'entens-tu ainsi? Il eust respondu, Non, il se fust retracté incontinent: mais tant y a qu'il a eu ses passions vehementes, lesquelles l'ont picqué en sorte, qu'il lui est eschappé ce mot sans y avoir pensé. Or si Dieu a redargué si asprement un propos que Iob avoit tenu à la volee et par inadvertance: que sera-ce quand nous serons obstinez et endurcis, et que nous n'aurons point dit seulement un mot sans y penser, mais que nous l'aurons premedité de longue main, et que nous serons opiniastres? voire là où Dieu nous admonneste mesmes, et nous monstre que nous avons failli: si nous ne voulons point recevoir les advertissemens qu'il nous donne, mais suivons tousiours nos sens et phantasies naturelles (ie vous prie) ceste rebellion-là ne sera-elle point pour nous condamner cent fois autant, comme a esté ceste inadvertance qui estoit en Iob? Et ceci est bien digne d'estre noté, Que quand nous pensons à la puissance de Dieu, il DC faut pas que nous lui attribuons une puissance tyrannique pour dire, O voila, Dieu fera de nous tout ce qu'il voudra, nous sommes ses creatures: il voit bien qu'il n'y a que fragilité en nous, et cependant il ne laisse pas de nous tormenter sans propos. Quand nous parlons ainsi, il n'y a point seulement de l'excez, mais ce sont des blasphemes execrables. Et pourtant conioignons la iustice de Dieu avec sa vertu et puissance. Il est vrai que la vertu de Dieu m'est espouvantable, m'en voila tout troublé: mais si est-ce que mon Dieu ne laisse point d'estre iuste: c'est avec iustice qu'il fait toutes choses. Voila donc ce que nous avons à retenir de ce passage. Que quand nous serons estonnez, que nous sentirons des tormens si horribles que nous n'en pourrons plus: si ne faut-il pas pourtant que nous disions que Dieu soit exessif en nous affligeant, ne qu'il veuille monstrer ce qu'il peut faire: gardons-nous de cela: car que seroit-ce? cognoissons mesmes aux plus grandes extremitez que nous puissions sentir, que Dieu nous supporte, et qu'il adoucist sa vertu tellement que nous n'en soyons point consumez du premier coup. Et cependant cognoissons, combien que les afflictions soyent dures de nostre costé, et qu'elles nous soyent si pesantes que nous n en puissions plus, que neantmoins Dieu ne laisse point d'estre iuste. Voila encores ce que nous avons à retenir de ce passage. Et si Dieu

60

guette nos pas, cognoissons qu'il ne le fait point sans cause.

Or venons maintenant à l'argument dont use Eliu pour reprendre Iob: Tu ne seras point absous en cela, dit-il. Pourquoy? Car Dieu est plus grand que toy. Il semble que ceste raison ici soit bien froide pour convaincre Iob, et pour decider la cause presente. En premier lieu qui est-ce qui ne sait que Dieu est plus grand que les hommes? Et qui est celuy si enragé qui ne confesse sa grandeur, et qui ne la cognoisse en luy? Nous verrons des gens fantastiques qui despiteront Dieu: mais tant y a qu'ils ce laissent point toutes fois d'estre convaincus que Dieu est plus grand. Eliu donc ne dit rien de nouveau: et encores que ce propos ne fust point si vulgaire: toutes fois qu'est cela? Dieu est plus grand que nous, il s'ensuit donc que nous ne gaignerons rien à maintenir nostre cause. Il semble plustost qu'Eliu reviene à ce que Iob avoit dit, c'est assavoir, O Dieu exerce une telle rigueur contre moy, mais c'est pource qu'il le peut faire: il est grand, et ie ne puis venir à bout de luy: il est mon Createur, et ie ne suis qu'un povre pot de terre, il n'y a qu'infirmité en moy. Il semble donc plustost qu'ici Iob vueille attribuer une puissance absoluë à Dieu pour dire, O Dieu usera de son droit contre les hommes sans avoir ne raison ni equité. Or notons qu'il nous faut prendre ceste sentence autrement que les mots ne chantent: car quand il est parlé de la grandeur de Dieu, c'est en conioignant tout ce qui est en lui. Et defait, il ne nous faut point separer les vertus qui sont en Dieu, pour e qu'elles sont son essence propre. les hommes auront bien quelques vertus en eux, lesquelles leur pourront estre ostees: mais ce n'est pas ainsi de Dieu. Quand nous parlons de sa puissance, ou iustice, ou sagesse, ou bonté, nous parlons de lui-mesme: ce sont choses inseparables et qui ne se peuvent point discerner de son essence; c'est à dire pour en estre ostees. Car elles sont tellement coniointes, que l'une ne peut estre sans l'autre. Dieu-est-il puissant? Aussi il est bon. Sa puissance ne desrogue point à sa bonté, ni à sa iustice. Quand donc Eliu dit ici, que Dieu est plus grand que l'homme, il n'entend pas qu'il soit grand seulement pour pouvoir: mais il entend qu'avec ce te grandeur et vertu il a aussi une iustice infinie, une sagesse infinie, que tout est infini en lui. Et qui sommes-nous en comparaison? Voila donc le sens naturel de ce passage.

Maintenant nous voyons que l'argument est bon pour imposer silence à tous hommes, et les faire renger en humilité, afin qu'ils ne contestent plus contre Dieu. Et pourquoy? Car qui est cause que nous murmurons en nos afflictions? que nous ne pouvons souffrir que Dieu nous traitte à sa

IOB CHAP XXXIII.

61

volonté? qu'il nous semble que c'est assez ou trop? que nous enquerons curieusement, pourquoi c'est que Dieu use d'une telle rigueur contre nous? Qui est cause de tout cela? Pource que nous ne pensons point à sa grandeur: car il est certain que si l'homme pensoit que c'est de Dieu, il seroit là retenu du premier coup et enserré: é il ne prendroit plus licence de murmurer, ne de repliquer en façon que ce fust. Notons bien donc que toutes nos affections trop grandes et excessives, tous nos murmures, toutes choses semblables procedent de ce que nous ne cognoissons point que c'est de Dieu, et que nous le despouillons de sa maiesté entant qu'en nous est. Voila une chose execrable, il n'y a celui qui n'en ait horreur: mais sans y penser il nous adviendra, et l'experience le monstre. Car si tost que les choses ne viennent point à nostre souhait, ne sommes nous point escarmouchez pour entrer en dispute contre Dieu? Voila, nous voudrions que tout allast bien. Ie pren le cas que nostre zele soit bon: mais si est-ce qu'encores nous voudrions ranger Dieu à disposer les choses selon que bon nous semble: et s'il advient tout au rebours, nous voila incontinent effarouchez. Et pourquoi est-ce que ceci advient? que nous ne demanderions sinon que Dieu nous donnast congé de parler privément à lui, il nous semble que nous lui pourrions remonstrer que les choses devroyent aller autrement, et si nous n'avons cela, si est-ce que sa volonté ne nous peut contenter. En somme il nous faut là retenir, routes choses se gouvernent par la providence de Dieu, or il nous semble que tout devroit aller à l'opposite. Voila donc entrer en procez et en querelle contre Dieu, c'est comme si nous le despouillions de sa grandeur entant qu'en nous est, et lui ravissions son droit.

Ainsi ce n'est point sans cause qu'Eliu use de ce principe à l'encontre de Iob, Dieu est plus grand que toi, et comment entens-tu de plaider ainsi contre lui? Or par cela nous sommes advertis en premier lieu, Que toutes fois et quantes que nous serons par trop faschez en nos afflictions, et que nous voudrions que les choses allassent autrement, et ne pouvons souffrir que Dieu nous gouverne selon son plaisir, c'est autant comme si nous le voulions faire nostre pareil et compagnon, apres l'avoir despouillé de son droit, que nous voulussions qu'il n'eust plus de maistrise ne de superiorité par dessus nous. Nostre intention ne sera pas telle, mais tant y a que nous en sommes coulpables. Et ainsi d'autant plus devons-nous gemir en nous recueillant, voyans qu'il y a une telle hautesse en nous, que nous ne pouvons estre bien mattez pour glorifier Dieu en tout ce qu'il nous envoye: et que nous voudrions bien que les choses allassent tout au rebours, et serions contens de sommer Dieu à faire ce que

62

nous desirons: car c'est autant comme si nous lui voulions oster sa grandeur. Voila pour un Item. Au reste notons que ce n'est point assez d'avoir conceu en general que Dieu est grand: mais il faut considerer ceste grandeur. Autrement nous confesserons assez que Dieu est tout-puissant, que comme il a creé le monde, aussi il a toutes choses en sa main et en sa conduite: cela ne nous coustera gueres: mais ce sont des confessions volages et pendantes en l'air: nous n'en ferons point nostre profit, si nous ne passons outre. Que faut-il donc? Il faut que nous appliquions ces miracles de Dieu à nostre usage: que cela nous vienne en memoire, Comment est-ce que Dieu doit estre grand? A ce que nous soyons du tout addonnez à lui obeir: quoi qu'il face, que nous le trouvions bon: comme qu'il dispose de nous, que nous nous y accordions, confessans qu'il est iuste: combien qu'il nous transporte et çà et là, que nous demeurions tousiours fermes en ceste resolution, Qu'il ne nous envoye rien qui ne soit equitable. Voila donc ceste grandeur de Dieu comme elle doit estre recognuë, c'est qu'il ait toute authorité de faire de nous ce que bon lui semblera: et non seulement de nos personnes: mais en general de toutes ses creatures. Maintenant donc nous savons que c'est de confesser, que Dieu est tout-puissant, voire à bon escient et sans feintise. Mais encores iamais les hommes ne se pourront ranger à l'obeissance de Dieu, et iamais ne lui donneront la gloire qu'il merite, sinon en cognoissant que c'est d'eux, et que c'est de Dieu. Quand nous aurons fait ceste comparaison, que nous ne sommes rien du tout, et que Dieu sur monte tout ce que nous pouvons penser, et qu'il a en soi une gloire infinie: quand, di-ie, nous aurons cognu cela, alors nous n'aurons plus ceste vaine confiance pour nous avancer, nous ne ferons plus des chevaux eschappez, comme nous avons de coustume: mais nous apprendrons d'attribuer à Dieu une grandeur infinie, et de cognoistre cependant que nous ne sommes rien qui soit.

Or pour mieux exprimer cela, Eliu adiouste Que Dieu ne respond point à toutes paroles. Ceci emporte une grande substance: car Eliu nous veut monstrer que nous ne pouvons pas maintenant comprendre toutes choses, d'autant que Dieu ne nous les veut point reveler. Voila en somme ce qu'il a entendu. Or il nous faut observer, que Dieu se manifestant à nous en partie, ne veut point faire que nous ne soyons enseignez de ce qui nous est bon et propre: mais si est-ce qu'il cognoist nostre capacité: Dieu donc nous revele sa volonté selon nostre portee: cependant il se reserve à soi ce que nous ne comprendrions pas, pource qu'il surmonte nostre entendement. Quand nous aurons retenu ceste leçon, nous aurons beaucoup profité

SERMON CXXIII

63

pour un iour. Voici Dieu qui a prins la charge et l'office de nous enseigner: et bien, il ne faut pas là dessus que nous soyons lasches à l'escouter: puis qu'il nous fait la grace d'estre nostre maistre c'est pour le moins que nous lui soyons escoliers et que nous soyons attentifs à ce qu'il nous dira. Mais cependant notons quand il fait office de maistre envers nous, que ce n'est pas pour nous reveler toutes choses dont nous pourrions douter, et dont nous pourrions nous enquerir. Qui donc? Ce qu'il cognoist estre on edification, c'est à dire, ce qu'il cognoist nous estre utile.

Et ainsi il nous faut observer trois choses. L'une c'est, que nous devons avoir les aureilles dressees pour recevoir la doctrine que Dieu nous enseigne: qu'il ne faut pas que nous soyons comme bestes quand il lui plaist nous faire cest honneur que de nous enseigner, mais que nous appliquions nostre estude à profiter sous lui. Voila donc le premier Item. Il ne faut pas que nous facions comme les povres Papistes, qui ne veulent rien savoir: O voila c'est une chose dangereuse de s'enquerir des secrets de Dieu. Il est vrai qu'il y faut venir en humilité et reverence: mais cependant faut-il que nous ayons les oreilles bouchees ou sourdes, quand Dieu parle à nous? Ainsi donc apprenons de tousiours estre prests et appareillez de recevoir ce qui nous est dit et propose au nom de Dieu. Voila quant au premier.

Pour le second notons, Que Dieu ne veut point maintenant nous declarer toutes choses, mais qu'il nous faut pratiquer ce que dit sainct Paul en la premiere des Corinthiens, c'est assavoir, Que maintenant nous cognoissons en partie, que nous voyons comme par un miroir, et on obscurité, nous ne sommes pas encores venus au iour de pleine revelation. Car combien que l'Evangile soit appellé une clarté de plein midi: toutes fois cela se rapporte à nostre mesure. Dieu nous esclaire là suffisamment, nous voyons sa face en nostre Seigneur Iesus Christ, et la contemplons pour estre transfigurez en icelle: mais quoi qu'il en soit, nous ne voyons pas auiourd'hui ce qui nous est appresté au dernier iour: il faut que nous croissions tousiours en foi. Or la foi presuppose que les choses nous sont encores cachees, comme nous avons mesure de foi, ainsi que l'Escriture en parle. Si nous en avons mesure, ce n'est point donc perfection. Voila ce que nous avons à retenir, que les fideles durant ceste vie presente se doivent contenter d'avoir goust de la volonté de Dieu, et d'en cognoistre quelque portion, et non point le tout: car si nous avons ceste folle cupidité pour dire, Ie veux tout savoir, et ne rien ignorer, é voila une sagesse enragee, il vaudroit beaucoup mieux que nous fussions ignorans du tout. Ainsi donc notons qu'il

64

faut que les fideles se contentent de ce qui leur est revelé, et que voila une sagesse plus grande et meilleure beaucoup, que s'ils vouloyent s'enquerir du tout indifferemment. Voila pour le second.

Or le troisieme est que Dieu nous tient ainsi non pas qu'il soit chiche de nous declarer plus outre sa volonté, mais il cognoist ce qui nous est propre. Et ainsi donc notons bien que Dieu nous enseigne pour nostre edification. Qu'est-ce donc que de la mesure de foi? Qu'est-ce de la doctrine de l'Escriture saincte, C'est une regle que Dieu cognoist nous estre bonne à salut: et il ne faudra point que les hommes se plaignent quand ils auront cognu ce qui est contenu en l'Escriture saincte, et que tous les ours on nous declare aux sermons. Quand les hommes auront cognu cela, é il ne faut pas qu'ils se plaignent, comme s'ils n'avoyent point assez entendu: car tout ce qui nous a este bon et propre nostre Seigneur nous l'a declaré. Ainsi donc quand nous voyons que Dieu a commandé sa parole nous estre portee, et qu'il ne nous a rien voulu cacher de ce qui ostoit pour nostre salut: nous avons tant plus à lui rendre graces de ce qu'il s'est revelé privément à nous, nous avons dequoi nous contenter, et non point estre curieux: comme nous on voyons beaucoup qui se veulent enquerir outre mesure: et les Papistes ont eu cela, que d'un costé ils disent, O il ne se faut point enquerir des secrets de Dieu: et ils ont reietté l'Escriture saincte sous ceste ombre là: et d'autre costé ils ont eu ceste folle curiosité de s'enquerir des choses qui ne leur appartiennent pas: ils ont eu ces folles resveries, pour dire, Et qu'est-ce de telle chose? Comment cela se fait-il? Bref, ils ne se sont contentez de rien, mesmes toute l'Escriture saincte ne leur a esté sinon un A, B, C. Car ils n'ont point eu honte de desgorger ce blaspheme diabolique, Que quand nous avons ce qui est en l'Escriture saincte, ce n'est point encores assez, mais qu'il y a eu des mysteres que Dieu a reservez a son Eglise. Et où ont-ils forgé tout cela? Tout ainsi que Mahumet a dit que son Alcoran estoit la grande perfection: aussi le Pape dit qu'il y a des secrets qui luy ont esté reservez par dessus l'Escriture saincte. Quelle honte? Or cependant nous sommes ici advertis pourquoy c'est que nostre Seigneur a compassé la doctrine qu'il nous donnoit, à nostre portee et mesure, qu'il nous en faut contenter, qu'il ne faut point que nous apportions ici nos appetits volages, pour dire, Et comment ceci va-il? Car qui sommes-nous? Et ainsi escoutons Dieu parler, ouvrons les yeux, et recevons ce qu'il nous monstre, et ce qu'il nous dit par sa parole. Et puis sommes-nous venus au bout de cela? Tenons-nous cois: car il nous monstre comme il nous faut mettre

IOB CHAP. XXXIII.

65

nostre fiance en luy, comme il nous faut vivre, et comme il faut que nous l'invoquions. Nous a-il monstré cela? Et bien, arrestons-nous y du tout, et nous contentons de ce qu'il nous revele en l'Escriture saincte: car il cognoit ce que nostre entendement porte: et aussi ce qu'il nous a declaré n'est point trop obscur, moyennant que luy facions cest honneur de le recevoir en toute humilité, et que nous ne soyons point si enragez ou outrecuidez de vouloir entendre ce qu'il nous veut cacher, et de ne point accorder qu'il soit iuste sinon qu'il nous monstre pourquoy Comme nous voyons qu'il y en a qui diront, O ie n'en croy rien, car cela surmonte ma portee. Vilain crapaut, que tu oses ainsi blasphemer à l'encontre de Dieu, d'autant

qu'il ne te vient point rendre conte de tout ce qu'il fait? et que tu ne daignes recevoir ce qui t'est caché, et que tu ne peux comprendre pour ta bestise? Ainsi donc que nous ne soyons point enflez d'un tel orgueil qui seroit pour nous faire heurter à l'encontre de Dieu, mais contentons-nous de ce qu'il nous declare, attendans on patience ce grand iour, où les choses que nous cognoissons maintenant on parti, que nous ne faisons que gouster, et que nous contemplons comme on un miroir, nous soyont revelees face à face, et en toute perfection.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

66

LE CENT ET VINGTQUATRIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXXIII. CHAPITRE

14. Dieu parlera une fois et deux, sans qu'on l'entende: 15. En songe, en vision de nuict, quand le sommeil saisist les hommes, et qu'ils reposent au lict: 16. Alors il ouvre l'aureille aux hommes, et seelle son chastiment sur eux: 17. Afin qu'il retire l'homme de son ouvrage, et cache l'orgueil des hommes.

Icy Eliu poursuit le propos que desia il avoit tenu au sermon prochain: c'est assavoir, que Dieu ne rendra point conte aux hommes mortels de tout ce qu'il fait ou qu'il dit. Or nous avons à noter ce que desia i'ay declaré, c'est assavoir qu'icy Eliu ne traitte point de la doctrine de Dieu laquelle nous doit estre claire et facile. Car Dieu (comme il le proteste par son Prophete Isaie [45, 19l) ne parle point a nous en cachette: ce n'est point en vain qu'il dit, Cerchez moy: et quand sa parole nous est obscure, ce n'est point qu'elle soit telle de soy, cela ne procede sinon de nostre aveuglement que nous avons nos esprits eslourdis: car la doctrine que Dieu nous propose et qui est contenue en l'Escriture saincte, est vrayement nommé Clarté. Ici donc Eliu parle des statuts que Dieu fait en son conseil estroit. Car il est certain que quand Dieu nous met sa parole au devant comme il a esté dit, il regarde à nostre portee qui est bien petite: et cependant il se reserve en son conseil ce que nous ne pouvons encores comprendre, pource qu'il ne seroit pas utile pour nostre salut: non pas

que Dieu prene plaisir à nostre ignorance mais il cognoist ce qui nous est bon, et il nous faut contenter de la mesure qu'il nous donne, attendans que-ce iour soit venu de pleine revelation lors que nous cognoistrons ce qui nous est caché. Pourtant, que maintenant nous profitions selon qu'il plaira, à Dieu nous le donner, iusques à ce que nous contemplions face à face ce qui nous est auiourd'huy obscur. Voila donc en somme ce que nous avons a retenir de ce passage: c'est assavoir qu'il n'est point icy trait é de la parole de Dieu que nous oyons tous les iours, et qu'il veut qu'on nous enseigne: mais de ses secrets lesquels ils retient vers soy, et ne veut point encores manifester aux hommes, pource qu'ils n'en sont point capables. Il avoit dit ci dessus, Que Dieu ne respondra pas de toutes les paroles: c'est à dire il ne faut pas que les hommes qui ne sont rien, presument que Dieu leur doive ren Ire conte de ses oeuvres, et qu'il faille qu'ils sachent pourquoi il besongne ainsi ou ainsi.

Maintenant il adiouste Que Dieu parlera une fois et deux, et or ne l'entendra point c'est à dire qu'il y a beaucoup de sentences de Dieu, qu'il monstre par effect, desquelles toutes fois la raison est incognuë, et mesmes encores que Dieu parle comme de sa bouche, quelquesfois il n'est point entendu: assavoir quand il est question de ce que les hommes ne comprennent point encores, et de ce qui leur est comme enseveli iusques au dernier iour.

SERMON CXXIV

67

Il est vrai que ce passage ici est exposé diversement. Aucuns entendent que Dieu parlera une fois, c'est à dire qu'il dira le mot, et qu'il se faut là arrester: et que deux viendront à l'opposite, et qu'il ne les daignera pas regarder. Et ainsi qu'il ne faut point que les hommes pensent retracter le conseil de Dieu: car il demeurera tousiours en son entier. Cela est vrai: mais quant au propos d'Eliu, i'ai desia dit qu'il nous faut continuer ce que nous avons veu au sermon prochain, Que Dieu ne rendra point conte de toutes ses paroles. Ainsi il lui attribue une liberté, qu'il parle et dise ce qu'il voudra, voire tellement que les hommes n'y pourront mordre.

Il y en a aussi qui rapportent ceci à ce qu'Eliu adiouste, Que Dieu parle aux: hommes en visions de nuict, quand le sommeil les trouble: et qu'il parle aussi par chastimens. Il leur semble que voila deux façons de parler dont Dieu use envers nous: quelquefois qu'il se revele par inspirations, quelquefois aussi qu'il nous touche de sa main. Mais cela est mal à propos, et est un sens contraint. Au reste il ne faut point nous amuser beaucoup à cercher diversité d'expositions, quand le sens naturel nous est manifesté. Suivons donc ce que desia nous avons declaré: c'est, Que Dieu parlera une fois et deux, voire sans qu'il soit entendu. Desia nous savons qu'Eliu veut dire: il reste d'appliquer ceci à nostre instruction. Et comment? Qu'en premier lieu nous cognoissions nostre petitesse. Car qui est cause que les hommes ont ceste folle outrecuidance en eux, de vouloir cercher et esplucher tellement que rien ne leur eschappe, sinon qu'il leur semble qu'ils sont bien suffisans de s'enquerir de ceci et de cela? Mais quand l'homme aura esté bien matté, en sorte qu'il ne s'attribue rien, il n'y aura plus ceste fierté et hautesse, pour cercher par trop les secrets de Dieu et outre sa mesure. Ainsi donc pour bien faire nostre profit de ce passage, en premier lieu humilions nous, voire sachans que nostre esprit est bien petit et bien rude. Voila pour un Item.

Or de l'autre costé cognoissons aussi, que c'est un terrible abysme que des secrets iugemens de Dieu, que ses voyes sont incomprehensibles, qu'il n'est point licite aux hommes de les souder par trop, mais qu'il nous faut contenter de ce qu'il nous en declare. Voila donc pour le second ce que nous avons à observer: c'est quand nous pensons à la hautesse de Dieu, que nous soyons ravis pour l'adorer, et que nous concluyons, qu'il ne faut pas presumer, que nous puissions cognoistre et comprendre tout ce qui est en lui. Où seroit-ce aller? Nous rampons ici sur la terre, et nous savons de combien il surmonte les cieux. Puis qu'ainsi est donc, que nous adorions ses secrets iugemens, voire

68

sachans que tousiours il aura ceste autorité, maugré tous contredisans, de parler et prononcer ce qu'il voudra: voire, et quand il parlera et une fois et deux, c'est à dire, qu'il monstrera son plaisir, sa volonté, qu'on n'y cognoistra rien, que les hommes sont trop rudes pour entendre en un mot ce que Dieu a en son conseil: mais que tous les iours ils verront une mesme chose, et toutes fois ils y seront tout nouveaux: et au bout d'un an, au bout de dix, qu'encores seront-ils là esblouis: que combien que souvent ils ayent veu une chose, si est-ce que la raison leur en sera cachee. Ceci nous est assez confermé par experience, n'estoit la fierté qui est en nous, que iamais nous ne venons à raison que par force, que tousiours nous voulons estre sages: voire combien que nostre ignorance se monstre tant et plus. Or si est-ce que nous ne sommes point advertis sans cause en ce passage, que Dieu aura ses iugemens comme ensevelis et cachez. Nous voyons l'effect tous les iours, et cependant nous ne savons que dire, sinon que c'est une chose admirable, et qu'il nous faut là tenir court, en attendant que nostre Seigneur nous le revele en plus grande perfection: ce qui ne sera pas, iusques à ce que nous soyons despouillez de ceste chair mortelle. Voila donc ce que nous avons ici à retenir.

Or suivant l'article que i'ai desia touche, notons aussi qu'il n'est parlé que des iugemens que Dieu nous veut cacher, d'autant qu'il n'est point utile que nous en ayons auiourd'huy pleine cognoissance. Il est dit au Pseaume soixantedeuxieme (12), que Dieu parle une fois, et que David proteste qu'il l'escoutera deux fois, c'est qu'il y a puissance en Dieu et misericorde. Là il n'est point traitté comme ici, des iugemens admirables de Dieu. Quoy donc? Plustost de ce que nous apprenons par sa parole, de ce qui nous est reduit en memoire et proposé continuellement: car Dieu nous veut faire sentir sa puissance, afin que nous le craignions, et cheminions selon sa volonté: d'autre part, il nous donne sa misericorde, afin que nous soyons consolez et resiouis en icelle. Qu'apprenons-nous iournellement en la parole de Dieu? sinon qu'il est le maistre auquel il nous faut estre suiets, et qu'il ne faut point que nous vivions à nostre appetit, mais que Dieu domine par dessus nous, et que sa Loy soit une bride, que nous soyons instruits sous icelle. Voila le premier, c'est de servir à Dieu, et de savoir ce qu'il demande et approuve. Le second est, que nous le cognoissions estre nostre pere et nostre Sauveur, afin de mettre nostre confiance pleinement en luy. Et comment le cognoistrons-nous? Nous fondans sur sa pure misericorde, ce cognoissans qu'il n'y a que peché en nous et perdition, cognoissans qu'il nous a retirez de la mort

IOB CHAP. XXXIII.

69

par sa pure bonté, au nom de nostre Seigneur Iesus Christ. Voila quant à ce second poinct deux choses où il nous faut estre confermez, c'est, Qu'il nous faut avoir nostre refuge à luy: et puis, Que quand tous les iours on nous propose sa misericorde, nous ne doutions point que nous serons receus par luy. Ainsi donc ce passage-la de David ne parle point de ce qui nous est incognu et caché, mais de ce que Dieu nous veut declarer et apprendre. Il dit donc, Dieu a parlé une fois: c'est à dire, Dieu en parlant nous a tellement manifesté sa volonté, qu'il ne faut plus qu'on doute, qu'on replique à l'encotre de ce qu'il a dit. le l'ay ouy deux fois, dit-il. En cela il signifie, que ce n'est point assez d'avoir escouté Dieu en passant, mais qu'il nous faut mediter sans cesse ce qu'il aura dit: et combien qu'il ne parlast qu'un coup, si ne faut-il point que nous laissions couler sa doctrine, mais qu'elle nous vienne en memoire: et que nous apprenons de l'imprimer en nos coeurs: et pource que nous avons courte memoire, que nous y pensions et de soir et de matin.

Ainsi donc nous voyons maintenant quel est l'office des fideles, c'est assavoir de s'employer du tout à bien escouter ce que Dieu Leur monstre par sa parole, et que là ils appliquent toute leur estude, estans certains que Dieu leur donnera, à cognoistre ce qu'il leur dit, et promet pour Leur salut. Voila pour un Item. Mais cependant gardons nous de nous enquerir d'avantage, n'appetons point d'estre plus sages que Dieu ne veut. Et comment cela? C'est que nous apprenions en son escole: et s'il se reserve des iugemens secrets à soy, que nous ignorions ce qu'il nous veut estre incognu, iusques à ce qu'il nous ait retirez de ce monde. Exemple. Il nous sera dit que Dieu gouverne tout par sa providence: et c'est à ce propos qu'Eliu parle. Voila donc Dieu qui dispose de toutes ses creatures il tient tout en sa main, et rien n'adviendra en ce monde de cas d'aventure mais c'est selon sa volonté. Voila une doctrine qui nous est donnee en l'Escriture saincte, et il nous la faut recevoir sans contredit. Or si nous enquerons maintenant, Et comment? Et pourquoy? et que nous vuoillions qu'à chacun coup que Dieu besognera, il nous rende raison de ce qu'il fait, et que nous entrions en dispute pour nous rebecquer contre luy: nous passons nos limites. comme nous voyons ces crapaux qui sont pleins de venin, qui viendront desgorger leurs blasphemes contre la providence de Dieu: Et si Dieu dispose de tout, et il est donc auteur de peché, le mal donc luy doit estre imputé. Voila une chose detestable: car il nous falloit tenir en ceste mesure que l'Escriture saincte nous donne: et d'autant que nous n'apperçevons point la raison pourquoy Dieu fait toutes

70

choses, et que nous Ils trouvons estranges, il nous faut là retenir. Comme aussi quand il est dit en l'Escriture que Dieu a eleu devant la creation du mon e ceux qu'il luy a pleu, les autres sont reprouvez: c'est bien raison qu'on reçoive cela en toute reverence, et que nous cognoissions que nostre salut procede de la bonté gratuite de nostre Dieu, puis qu'il nous a choisis de ceste masse perdue et damnee. Au reste si nous allons sur ce poinct voltiger en des speculations trop hautes, nous y serons confus, et à bon droit. Et pourquoy? Car là nous voulons plus savoir que Dieu ne nous donne: et c'est comme batailler à l'encontre de lui. Et pensons-nous qu'une telle rage demeure impunie? Voila donc comme nous avons à pratiquer ce passage, quand il est dit, que Dieu parlera et une fois et deux, sans qu'on l'oye: c'est à dire sans qu'il soit entendu, pource que l'esprit des hommes est par trop infirme.

Or maintenant venons à ce qu'Eliu adiouste. Il dit, Quand le sommeil abbat les hommes, et qu'ils reposent et dorment au lict: Dieu parle, et ouvre leurs aureilles, ouy, pour les retirer (dit-il) de leur ouvrage, et pour donter, ml cacher l'orgueil qui est aux hommes: c'est à dire pour le mettre bas et l'ensevelir: ou bien pour sceller (dit-il) sa discipline, son instruction en chastiant les hommes. S'il les voit durs et qu'ils ne reçoivent point la simple doctrine où instruction qu'il Leur a donnee, il faut qu'alors il frappe, et qu'avec LES verges il les donte, et dispose à estre enseignez en sa verité. Voila en somme ce qui est ici traitté. Or Eliu parle selon son temps: car nous avons desia dit qu'il n'estoit pas de ce peuple que Dieu avoit eleu pour luy communiquer sa Loy. Car si luy, et ceux dont nous avons ouy parler, et Iob mesmes ont esté depuis Moyse (ce qui est incertain) si est-ce qu'ils estoyent eslongnez de l'Eglise de Dieu, et ce qu'ils avoyent de cognoissance elle leur estoit donnee d'une façon extraordinaire entant qu'il plaisoit à Dieu de les inspirer. Voila pourquoy il dit, que Dieu inspire les hommes, voire par songes: quand ils sont assoupis, que Dieu Leur vient comme tirer l'aureille, et les advertir afin qu'ils pensent à Luy. Vray est que Dieu nous inspire bien: et encores que nous oyons sa parole pour estre instruits, que nous ayons l'Escriture saincte laquelle nous pouvons lire, Dieu ne laisse pas de nous admonnester et nous donner beaucoup de remords: et ce sont autant d'adiournemens par lesquels il nous rappelle à soy, quand nous sommes comme esgarez. Car nous voyons que les hommes ensevelissent ceste cognoissance, ils ne demandent que de mettre Dieu en oubli: or Dieu nous vient sonder là dedans. Quand donc nous avons des pointes et des pensees qui nous solicitent: cognoissons que c'est Dieu qui

SERMON CXXIV

71

se ramentoit à nous, d'autant que nous sommes enclins. à le mettre en oubli, et à devenir comme brutaux. Principalement de nuict quand nous sommes comme retirez, et que nos esprits sont reouoillis, que nous ne vaguons point ne ça ne là: Si alors il nous vient des pensees plus profondes, et qui nous pesent, voire iusques à nous faire suer, à nous faire trembler, ou bien que nous soyons là on destresse comme si nous estions en une torture: c'est Dieu qui besongne là, et nous adiourne, d'autant qu'il voit que nous sommes comme fugitifs, ainsi qu'un enfant qui s'en ira ietter la plume au vent, qui delaisse la maison de son pere Dieu donc voyant que nous sommes ainsi esgarez, nous rappelle à ces visions de nuict. Vray est qu'elles ne seront pas telles comme ont eu Eliu, Iob, Eliphas, et les autres. Et pourquoy? Nous avons une aide de laquelle ils estoyent destituez, c'est assavoir, la parole de Dieu qui est preschee, et que nous oyons. Voila Dieu qui se revele à nous, d'autant que nous avons sa Loy, ses Prophetes, et son Evangile en main, d'autant que nous avons les aureilles incessamment batues de la doctrine qu'il veut qu'on nous presche: pourtant il ne faut point que nous soyons enseignez à la façon de ceux qui n'ont eu ni Escriture ni predication, mais encores si voit-on par fois neantmoins, que Dieu y besongne aucunement en ceste sorte-là

Or en somme nous avons ici à observer, si Dieu ne nous envoye des visions telles qu'ont eu les peres anciens, qu'il ne faut pas que nous soyons mal-contens de cela pour en murmurer: car ce seroit une ingratitude trop grande, puis qu'ainsi est que Dieu s'est voulu communiquer à nous par un autre moyen lequel nous est plus propre. Il y en a des curieux qui demandent, Et pourquoy n'apparoist-il du ciel, comme il a fait le temps passé? Pourquoy est-ce que ce qu'il dit par Moyse n'est accompli, qu'il parlera aux Prophetes en visions, et figures, et en songes? Et c'est d'autant qu'auiourd'huy nous avons pleine revelation de sa volonté. Ne seroit-ce pas chose superflue, que Dieu nous apparust comme il a fait iadis, veu qu'il nous a donné autre moyen, et que quand nous ne mespriserons point la parole que nous avons entre mains, là nous serons instruits à suffisance et en perfection? Ainsi donc apprenons de nous contenter de ceste façon que Dieu a ordonnee pour nous instruire. Et au reste notons quand il est apparu du ciel par visions aux peres anciens, que c'estoit d'autant qu'ils n'avoyent pas encores la Loy escrite: ou bien quand il est apparu aux Prophetes, que c'est pource qu'il estoit besoin d'avoir declaration plus ample de ce qui estoit encores obscur. Maintenant puis que la verité de Dieu nous est assez claire et patente, il faut que nous prenions les

72

visions du temps passé pour confermer nostre foy, sachans qu'elles sont venues de ceste source-la: et cependant que nous cheminions en la simplicité en laquelle Dieu nous veut tenir. Voila pour un Item. Or pour le second, cognoissons la bonté de Dieu, d'autant qu'apres nous avoir donné sa parole par escrit, et suscité gens qui nous l'exposent, encores il nous touche, il nous solicite là dedans par son sainct Esprit, il nous donne des remords et des inspirations Cognoissons donc le soin qu'il a de nostre salut, quand en toutes sortes il nous attire si doucement à soy. Voila ce que nous avons en somme à recueillir de ce passage.

Or quand Eliu adiouste, Que Dieu seelle son instruction aux hommes en les chastiant de sa main, c'est un article bien memorable: car il nous est ici monstré qu'il faut que Dieu parle à nous avec coups de poing, comme on dit. Et pourquoy? Il nous fait ceste grace de nous convier doucement par sa parole: apres, voyant que ceste douceur ne profite pas, il use de plus grande vehemence pour nous donter: car il nous redargue de nos pechez, il fait là un effroy, il nous adiourne à son iugement, afin que nous advisions de nous retenir, afin que nous soyons comme abbatus sous luy, pour confesser nos povretez, pour luy en demander pardon, pour gemir, afin qu'il nous purge de nos fautes. Or Dieu a-il usé de ces moyens-la, assavoir a-il tasché de nous amener à luy par douceur et par rudesse de paroles? nous demeurons tousiours tels que nous estions, nous sommes comme obstinez en nostre dureté. Il faut donc qu'il leve sa main forte, et qu'il rue sur nous, qu'il frappe comme d'un marteau sur une enclume, voyant que nous sommes ainsi endurcis, et que sa parole n'entre point en nos oreilles. Voila ce qu'Eliu a voulu dire.

Vray est qu'il a dit cy dessus, que Dieu ouvre l'aureille des hommes (voire, car nous savons bien que Dieu besongne d'une vertu secrete en nous, quand il nous envoye ces inspirations desquelles il a esté parlé) mais il adiouste ceci maintenant pource que nous voudrions bien estre tellement eslourdis, qu'il ne fust question que de nous donner du bon temps. Nous voyons comme les hommes fuyent, entant qu'en eux est, la presence de Dieu, qu'ils ne demandent sinon s'esgarer en toutes vanitez. Or Dieu donc ouvre nos oreilles, quand il nous touche tellement, que nous sommes contraints de penser à nous. Un brigand mesmes qui sera endurci en son mal, et qui voudroit que toute memoire de il iustice fust abolie, ne laissera pas cependant d'avoir des pointes et des remords qui l'aiguillonneront. Et d'où vient cela? C'est que Dieu luy a ouvert les aureilles. Mais notons qu'il y a double ouverture d'aureilles que Dieu fait en nous:

IOB CHAP. XXXIII.

73

car il nous ouvre aucunefois les aureilles, afin que nous soyons contraints de sentir que c'est luy qui parle: mais cependant nous ne laissons pas d'estre obstinez, de repousser la doctrine et les corrections qu'il nous fait, et de ne recevoir nul chastiment de luy pour nous amender. Il y a une autre ouverture d'aureilles qui est meilleure: c'est quand Dieu amollist nos coeurs, et que nous recevons volontairement ce qu'il nous dit, et que nous sommes attentifs à nous addonner du tout à sa doctrine. Quand il est ici dit, que Dieu ouvre les aureilles, ce n'est pas à dire que tous indifferemment se rendent dociles à luy, et que tous soyent disposez à luy obeir. Nenny: mais il est parlé tant des reprouvez comme des enfans de Dieu. Car les reprouvez auront bien quelque ouverture d'aureilles: voire en despit de leurs dens il faut qu'il sentent que Dieu parle à eux: mais pource qu'ils repoussent ceste pensee-la, et la mettent sous le pié, ils demeurent tousiours comme sourds. Cependant les bons en font leur profit, ils cognoissent qu'il n'est point question de se robecquer à l'encontre de Dieu. Or quand Eliu adiouste, Que Dieu seelle son instruction, il parle de ceux qui sont si durs à l'esperon, et si revesches que Dieu ne les peut donter par sa parole. Ceux-la donc qui repoussent ainsi toute doctrine, il faut qu'ils oyent Dieu parler d'une autre guise: c'est assavoir qu'ils soyent batus, et qu'à grand coups Dieu les instruise: et leur monstre qu'il est maistre par dessus eux. Voila donc comme ce passage doit estre entendu.

Cependant notons bien ceste façon de parler dont use Eliu: c'est que Dieu signe ou seelle son instruction par chastimens. Car par cela il monstre que les chastimens sont pour rendre l'instruction authentique, quand les hommes la reiettent, ou qu'ils n'en tienent conte: et cela ne pourroit estre sinon que l'instruction de parole fust coniointe avec les chastimens de Dieu. Car si Dieu frappoit tant seulement, et qu'il n'envoyast nulle cognoissance de sa volonté, que seroit-ce? Il faut donc qu'en frappant il nous instruise. Et pourquoy? Si un pere bat son enfant, et qu'il le tire par les cheveux, et qu'il le foule au pié, et qu'il ne luy sonne mot: l'enfant sera là tout esperdu, il ne sait à qui le pere en veut, et pourquoy ceste colere luy est venue: cela donc ne servira de rien à l'enfant. Mais si le pere luy dit, Meschant garçon, regarde que tu as fait, et sur cela qu'il frappe dessus: l'enfant cognoist que l'instruction du pore luy est à profit, et d'autant qu'il n'a point obei comme il devoit, il cognoist sa faute: Voila mon pere qui seelle l'instruction qu'il m'avoit donnee, pource que ie ne l'ay point receuë de simple parole. Ainsi Dieu en fait-il envers les hommes: non pas qu'il face ceste grace à tous, que sa verité leur soit

74

preschee, qu'ils lisent l'Escriture saincte: mais il leur donne ces remords que nous avons dit: car il n'y a celuy qui ne porte tesmoignage en sa conscience, comme sainct Paul le monstre au 2. chap. des Rom. et nous l'experimentons assez de nature. Ainsi donc Dieu revele sa volonté aux hommes, entant qu'il est besoin pour les rendre inexcusables: et cependant pource qu'il voit que les hommes ne souffrent point d'estre enseignez de luy, et qu'ils bouchent leurs aureilles, ou bien qu'ils tiennent sa doctrine comme frivole, que des advertissemens qu'on leur fait ils n'en font que se mocquer: d'autant donc que les hommes s'oublient ainsi, il faut que Dieu seelle sa doctrine, et la rende authentique: tellement que quand les hommes sont affligez, ils cognoissent, Et bien, voici Dieu lequel me monstre sa vertu: et pource que ie ne l'ay point adoré, et que sa maiesté ne m'a pas esté en telle reverence comme il appartenoit, maintenant il faut que par force ie le cognoisse, et que ie pense mieux aux instructions qu'il m'avoit donnees. Car qui est cause que i'ay esté affligé, et que le mal m'est venu assaillir sans que i'y pensasse? Pource que ie me faisoye à croire, que ie pourroye eschapper de la main de Dieu. Or maintenant il me tient enserré: voila donc comme sa doctrine m'est autorisee, c'est à dire qu'elle m'est rendue telle, qu'il faut en despit de mes dens que i'y pense, et que ie l'honnore m ieux que ie n'ay pas fait. Et ainsi apprenons toutes fois et quantes que Dieu nous afflige, qu'il nous envoye quelques chastimens: cognoissons, di-ie, que ce sont des seaux qu'il imprime aux admonitions qu'il nous avoit donnees auparavant. Si une lettre n'est pas seellee, on en fera doute: si on la produit, elle n'aura point de foy, pource qu'elle n'est point authentique. lais si le seau y est apposé, la lettre est indubitable, voila un instrument solennel, il le faut recevoir. Notons donc que Dieu en besongne ainsi en nous affligeant, il scelle la doctrine. Car si l'Evangile n'estoit point presché entre nous, que nous n'eussions mesmes ne loy, ne rien qui soit, qu'il n'y eust que nostre conscience, ainsi qu'ont les Payens et les Turcs: si est-ce que des a nous serions assez advertis de la volonté de Dieu, et en aurions assez de cognoissance, sinon que nous la vinssions estouffer par nostre malice.

Or puis qu'ainsi est qu'il parle à nous si privement et en sa Loy et en ses Prophetes, et sur tout qu'il a parlé par la bouche de Iesus Christ: si on voit que de nostre costé nous soyons si durs et si revesches, que nous ne vueillions rien comprendre: faut-il s'esbahir si nostre Seigneur frappe à grans coups, et qu'il nous solicite de venir à luy? Et ainsi maintenant que nous ne soyons point par trop troublez des afflictions: comme il y

SERMON CXXIV

75

en a beaucoup qui s'escarmouchent, quand Dieu les afflige plus que s'ils n'avoyent iamais cognu la parole de Dieu. Or il faut que ceste cognoissance que nous avons nous soit tant plus cher vendue, d'autant que Dieu a ainsi parlé, et qu'il nous a solicitez de sa bouche sacree de venir à luy, et que nous en reculons, et ne daignons marcher un pas: mesmes quand il n'est question que de regimber, ne faut-il pas que nous soyons affligez au double? Ainsi donc apprenons de recevoir d'un coeur paisible des chastimens que Dieu nous envoye: cognoissons que ce n'est pas en vain qu'il nous afflige. Et pourquoy? Regardons si sa doctrine nous est authentique comme elle merite, c'est à dire si nous sommes dociles et debonnaires pour suivre nostre Pasteur comme brebis et agneaux. Si tost que Dieu parle, nous devrions avoir sa parole imprimee en nos coeurs pour y adherer: or nous ne demandons que l'effacer, ou nous faisons des aureilles sourdes, ou bien ce qui est passé par une aureille s'escoule par l'autre. Voyans donc que les uns n'ont gueres de reverence à la parole de Dieu, les autres se rebecquent ouvertement à l'encontre, les autres s'en mocquent, il faut bien que Dieu la seelle quand elle est ainsi mal receuë par nous. Et comment? par afflictions. Voila donc les seaux de Dieu, que toutes les adversitez qu'il nous envoye.

Mais afin que ces chastimens qui de nature nous sont durs et fascheux, nous soyent rendus amiables, notons bien ce qu'Eliu dit, c'est assavoir, Que Dieu veut retirer les hommes de leur ouvrage, et cacher l'orgueil. En ceci il exprime que Dieu scellant sa doctrine par afflictions, ne regarde pas seulement à magnifier sa parole, afin qu'elle ait sa maiesté, mais qu'il procure quant et quant le salut des hommes. La fin donc à laquelle Dieu pretend quand il nous afflige, doit estre comme un succre, qui est pour adoucir l'amertume qui autrement se monstre aux afflictions. Voila des afflictions de Dieu qui sont fascheuses à porter: voire, car nous fuyons tout ce qui est contre nostre appetit. Et puis il y a d'avantage, que ce nous est une chose espouvantable que l'ire de Dieu: or toutes fois et quantes que Dieu nous punit, c'est un signe qu'il nous donne d'estre courroucé contre nous: et ainsi il ne se peut faire que nous ne soyons effrayez, et tormentez et angoissez. Mais Dieu adoucit tout cela, quand il nous monstre la fin où il pretend, c'est qu'il nous veut renger à soy, qu'il ne demande sinon que nous le suivions pour Luy obeir.

Voila donc ce qu'Eliu adiouste, en disant, Que Deu veut retirer l'homme de son oeuvre. Or quand il parle ici d'oeuvre, ce n'est pas generalement de tout ce que les hommes entreprenent, mais de ce qu'ils veulent faire par temerité et par arrogance. Car nous savons que Dieu nous a creer pour travailler:

76

il ne veut point que nous soyons oisifs, ou fay-neants: mais qu'un chacun s'applique à ce qu'il pourra: que nous regardions en quoy nous pourrons servir et à Dieu et à nos prochains, et que chacun s'y employe selon la faculté qu'il aura receuë. Dieu ne nous veut pas donc retirer de nos oeuvres, quand il nous afflige, c'est à dire nous rendre inutiles du tout. Il est vray que quand nous serons abbatus par maladies, nous avons et bras et iambes comme rompues, il faut qu'on nous serve, que le monde soit empesché de nous et que nous ne puissions faire nul service: mais ce n'est pas que Dieu nous retire de toute oeuvre: car la patience est une oeuvre que Dieu prise sur toutes choses. Ainsi donc en somme Dieu ne nous veut pas retirer de toutes oeuvres en nous affligeant: mais il est question ici des folles entreprinses que les hommes font. Car si Dieu nous laisse la, et qu'il nous mette la bride sur le col, combien sommes-nous hardis pour machiner ceci et cela? Rien ne nous couste, tellement que nous voudrions remuer le ciel et la terre: Il faut que ie face ceci, il faut que i'aille là Nous verrons auiourd'huy les princes faire de telles entreprinses, que s'ils ont les choses en main, ils voudroyent quasi creer dixhuict mondes tout nouveaux: mais l'orgueil qui se monstre ainsi aux grans, ne laissera pas d'estre aux plus petis: ce seront des scorpions qui remueront leurs queues pour ietter leur venin. Il n'y a celuy de nous tant petit qu'il soit, qui ne face des entreprinses à l'esgaree. Il est donc besoin que Dieu nous ramene ainsi, c'est à dire qu'il nous retire de nos entreprinses volages par les afflictions qu'il nous envoye. Ainsi nous avons (comme i'ay dit) bonne occasion de nous consoler quand Dieu nous afflige. Car puis que nostre nature est si revesche, que nous ne venons iamais à luy d'une franche volonté, que seroit-ce sinon que nous fussions retenus par force? Ainsi donc attendu que les hommes de leur naturel vont tout au rebours de la volonté de Dieu, et qu'ils se iettent là à l'esgaree comme bestes sauvages: cognoissons qu'il est besoin que Dieu nous reprime: et cognoissans cela, que nous luy donnions gloire de ce qu'il ne permet point que nous soyons comme chevaux eschappez, mais que tousiours il nous tient en bride sous son obeissance, voire et quand il voit qu'il y a de l'impetuosité trop grande en nous, qu'il la donte par afflictions. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Mais notons bien ce qu'Eliu adiouste pour la fin, Que Dieu veut cacher l'orgueil des hommes: car il monstre ici la source de toutes nous entreprinses, c'est assavoir l'orgueil qui est en nous. Qui est cause donc que les hommes sautent ainsi, et qu'ils se iettent en l'air, et font de telles ruades? Ceste presomption folle qui les aveugle. Car les hommes

IOB CHAP. XXXIII.

77

en se cognoissant seroyent assez tost dontez: mais il leur semble que c'est merveilles d'eux, qu'ils peuvent tout: ils ne cognoissent point qu'ils sont nais et creez à ceste condition d'obeir à Dieu. Iusques à tant donc que l'orgueil soit rompu en nous, il est certain que nous serons par trop hardis pour nous esgarer. Et ainsi quand Dieu nous veut retirer de nos entreprinses, il faut qu'il remedie premierement à ceste maladie d'orgueil laquelle domine par trop en nous. Et notamment il est parlé de Cacher l'orgueil: non point qu'il suffise de l'ensevelir, afin qu'il ne se monstre point: mais ici Eliu a usé de ceste similitude de laquelle nous userons souventesfois envers les hommes pour leur faire honte: comme si on disoit, Va-t'en cacher vilain, quand un homme voudra ici faire du brave, et qu'on luy viendra mettre telles reproches en avant, qu'il ne s'ose plus monstrer, et qu'il faut qu'il s'en aille comme ensevelir en sa maison. Voila comme son orgueil est comme rembarré. Or Dieu en besongne ainsi envers nous. Car combien que nous vueillions faire des sages, si est-ce que nostre folie se descouvre: et Dieu aussi ne permet pas que nostre orgueil soit tousiours celé qu'il ne se monstre. Et bien, quand cela est cognu, qu'est-ce que Dieu fait? Il nous afflige pour nous humilier: mais il le fait en telle sorte que nous sommes confus, c'est à dire, il nous vient souffleter, et alors il nous fait tel opprobre que nous appercevons nostre turpitude,

et faut que nous allions nous cacher comme des vilains qui se sont voulu eslever par trop et sans raison.

Voila donc ce qu'Eliu a entendu. Ce n'est pas pourtant que Dieu couvre l'orgueil des hommes: mais il monstre qu'il l'abbat et le met sous le pié, voire en telle sorte que les hommes sont confus, au lieu qu'ils estoyent par trop hardis, pensans faire merveilles. Ainsi donc maintenant notons, que si Dieu parle à nous, il nous fait une grace singuliere, veu que nous serions comme povres bestes brutes, si nous n'estions enseignez par luy. Et puis quand il nous envoye des remords, qui nous picquent au vif, et que si cela ne profite, nous sommes puis apres affligez de sa main: cognoissons que c'est que nous sommes par trop durs et obstinez, et qu'il faut que nous soyons dontez comme bestes sauvages. Cependant toutes fois sachons, que tout cela sont les seaux de Dieu, par lesquelles il seelle et ratifie les admonitions qu'il nous avoit faites par sa parole. Et pourtant, que nous les magnifions, que nous les recevions patiemment: veu que par ce moyen il procure nostre profit et salut. Et ainsi que nous ne demandions en toute nostre vie, sinon de nous monstrer vrais enfans envers luy, et nous adonner du tout à son obeissance et service.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

78

LE CENT VINGTCINQUIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XXIII. CHAPITRE.

Ce sermon est encores sur les versets 16 et 17 et puis sur le texte ici adiousté.

18. retire son ame du sepulchre, et sa vie a/in qu'elle ne viene point au glaive. 19. Il chastie l'homme par tormens sur son lict, et brise ses os avec chastimens: 20. Tellement que son ame reiette le pain, et sa vie la viande desirable. 21. Sa chair est consumee qu'on ne la voit plus: et ses os aussi qu'on ne voit point, esclissent. 22. Son ame approche du sepulchre, et sa vie de ceux qui suivent à la mort. 23. S'il y a messagier eloquent (un d'entre mille) qui declare à l'homme sa droiture: 24. Que Dieu ait pitié de luy, et dise, Delivre-le, an qu'il ne descende en la fosse: i'ay trouvé reconciliation: 26. Sa chair deviendra fresche plus que celle de l'enfant: et retournera aux iours de sa ieunesse.

Nous vismes hier comme il faut que Dieu nous retire par force de nos folles entreprinses, d'autant que de nature nous sommes si outrecuidez, qu'il n'y a rien que nous ne vueillions faire. Si Dieu seulement nous admonnestoit d'estre modestes et de ne point nous ingerer par trop, cela ne seroit point assez: car il y a une audace enragee aux hommes, laquelle ne peut estre retenue en obeissance, sinon avec grande violence, comme si on enchainoit une beste sauvage. Il faut donc que Dieu en use ainsi comme il nous est monstré en ce texte, que iamais l'homme ne sera destourné de ses entreprinses, sinon que Dieu le donte à grans coups. Et qui est cause de cela? L'orgueil, comme

SERMON CXXV

79

il en a este parlé. Iusques à tant donc que l'orgueil soit abbatu et mis sous le pié, lequel est en la nature des hommes, il faudra qu'ils s'esgayent tousiours, et voltigent de costé et d'autre, et mesmes soyent transportez comme bestes brutes. Et ainsi notons bien que le principal que nous avons à faire en nos afflictions, c'est d'apprendre à nous humilier, et à n'estre plus si fols ne si hardis d'entreprendre plus que Dieu ne nous permet: mais que nous cheminions sous sa conduite, interrogans tousiours sa bouche pour nous tenir à ce qu'il nous commande, et n'attribuans rien à toutes nos forces et vertus. Voila donc la leçon qu'il nous faut recorder et soir et matin, quand Dieu nous afflige. Or Eliu exprime d'avantage ce que nous avons touché: c'est à savoir, que Dieu par ce moyen procure nostre salut, quand il nous humilie. Et comment cela? Pource que c'est la ruine et perdition des hommes, que d'estre ainsi enflez, et s'avancer plus qu'il ne leur est licite. Il n'y a donc autre remede pour nous retirer de la fosse, et empescher que nous ne tresbuchions d'une cheute mortelle, sinon que Dieu par afflictions nous retiene. Voila qui est cause que nous ne tombons point au sepulchre, c'est assavoir, que Dieu nous afflige.

Or cependant Eliu monstre combien ceste medecine est rude, quand il dit, que c'est iusques à consumer nostre chair: que nous n'avons plus quasi figure d'homme, mas que nous sommes semblables à des morts qu'on aura retirez de terre: que les os esclissent par dehors, que nous ne pouvons plus respiter, que nous sommes en tormens continuels: que nous n'avons nulle relasche, mais que Dieu nous persecute si vivement, que nous n'en pouvons plus. Il monstre donc que Dieu ne peut pas gaigner du premier coup sur les hommes ce qui seroit à desirer, c'est assavoir qu'ils se cognoissent miserables, pleins d'infirmité pour baisser la teste: mais il faut que de longue main, et par tormens continuels ils soyent convaincus, ou iamais ils ne se pourront assuiettir ny renger Voila deux poincts que nous avons à noter. Or quant au premier, apprenons d porter patiemment les afflictions, veu que nous voyons querelles nous servent de medecine. Est-ce peu de chose que nous soyons retirez du sepulchre? Il n'est pas ici question seulement de la mort corporelle qui passe, mais par similitude la damnation eternelle est ici nommee Fosse. Nous sommes donc prests à tomber, non point pour nous casser ou bras ou iambes, non point seulement pour nous rompre le col, mais pour perir à iamais, pour estre raclez du livre de vie, pour estre retranchez du royaume des cieux. Voila en quel estat nous mene nostre arrogance: car cependant que nous voltigeons ainsi en l'air, et que nous cuidons avoir quelque

80

vertu, et que sur cela nous bastissons par phantasie: cependant donc que nous sommes ainsi occupez de folle presomption, nous sommes prests à tresbucher et perir à tousiours. Or Dieu ayant pitié de nous, envoye des remedes qu'il sait estre convenables: il nous afflige, nous sommes batus de ses verges. Si nous murmurons, et que nous ne puissions estre patiens quand Dieu nous chastie ainsi: n'est-ce pas une ingratitude trop grande, de ne pouvoir souffrir que Dieu remedie à nostre perdition, et nous en retire? Ainsi donc notons bien qu'ici le sainct Esprit nous a voulu rendre les chastimens de Dieu doux et amiables, afin que nous soyons paisibles pour les porter quand il nous seront envoyez. Voila pour un Item.

Il est vrai que ceci sera trouvé fort estrange du sens charnel. Car Dieu ne pourroit-il mieux prouvoir à nostre salut qu'en nous tormentant ainsi? Faut-il qu'il nous mene à la mort pour nous appeller à la vie? Voila une maniere de proceder qui est incroyable, quand l'homme disputera selon la raison: il pensera que ce n'est que folie, que Dieu nous tue en nous pardonnant. Car que sont-ce que les afflictions? Signes de son ire: comme nous savons que toutes maladies sont messages de mort: nous savons que toutes les tristesses que nous concevons sont pour nous abismer. Or nostre Seigneur nous amene à tristesses, à maladies, à tourmens, il nous tient là comme en torture, que nous n'en pouvons plus, que nous languissons en sorte que nostre vie approche du sepulchre: comme il en est ici parlé. Car il n'est point question de ces petites afflictions ausquelles nous sommes accoustumez, mais que Dieu nous amene iusques à une extremité si grande, qu'il n'y a plus esperance qui soit en nous. Et comment cela? Faut-il que Dieu nous iette iusques au plus profond de la mort, afin de nous en retirer? Or il en besongne ainsi, et ne faut point que nous plaidions contre luy: car nous perdrons tousiours nostre cause. Et de fait voila pourquoi l'Escriture sainte lui attribue cest office de mortifier devant qu'il vivifie, et de mener au sepulchre devant qu'il en retire. Cognoissons donc que Dieu veut ici exercer nostre obeissance, quand il nous examine iusques à l'extremité, et que nous n'en pouvons plus, non pas mesmes ravoir nostre halaine, qu'il s'emble que nous soyons suffocquez du tout. Quand donc nostre Seigneur nous amene du tout iusques là, C'est afin de savoir si nous sommes du tout siens, et si nous pourrons souffrir d'estre gouvernez par sa main. Quoy qu'il en soit, quand nous serons tentez en nos troubles et fascheries, que ceste sentence nous viene au devant pour nous resiouir, Voila il est dit, que Dieu menant les hommes au sepulchre, les en veut retirer: qu'en minant leur chair, il les veut restaurer:

IOB CHAP. XXXIII.

81

qu'en les tormentant iusques au bout, il les veut resiouir, et les amener à repos. Puis qu'ainsi est, apprehendons ceste consolation, et qu'elle nous suffise pour adoucir toutes nos tristesses: que nous ne perdions point courage, encores qu'il semble que nous soyons du tout perdus: qu'en vertu de ceste doctrine nous passions tousiours plus outre: que nous apprenions de nous relever, quand. nous serions abbatus voire iusqu'eux abysmes. Voila donc ce que nous avons à retenir.

Or il y a puis apres quand Eliu fait une si longue description des chastimens de Dieu, que c'est pour nous monstrer combien son ire est espouvantable. Et ce nous est encores une admonition bien utile: car qui est celui de nous qui pense à la grandeur de l'ire de Dieu, selon qu'il en est parlé en l'Escriture saincte? Il est dit au Pseaume nonantieme au Cantique de Moyse (v. 11), Qui est-ce qui saura la grandeur de ton ire? Et de fait combien que l'ire de Dieu soit un feu qui est pour nous consumer du tout: si est-ce que nous n'y pensons point, mais nous passons outre. Il nous en sera traitté en sermons, nous en lirons de si beaux passages: mais nous n'en sommes point touchez, et nul ne s'y arreste. D'autant donc que nous n'estimons poin; les iugemens de Dieu, et qu'il nous semble que ce n'est quasi qu'un ieu: nous devons bien noter les advertissemens que nous donne le sainct Esprit: comme en ce passage il est dit, Que Dieu mine les os, voire qu'il use d'une violence si grande, qu'il n'y a force aux hommes qui ne soit du tout consumee, que leur chair se mange, qu'elle s'esvanouyst, qu'on ne voit qu'image de mort, qu'il y a des tormens continuels, que l'homme est là comme trespassé. (le n'est point sans cause que tout ceci nous est mis au devant: mais c'est afin de nous resveiller, et que nous pensions mieux quand Dieu en son ire desploye ses iugemens contre nous, afin de nous faire sentir nos pechez, que ce sont des tormens plus espouvantables qu'on ne les pourroit exprimer: comme nous voyons aussi que l'Escriture saincte use de tant de comparaisons. Pourquoi est-ce qu'elle fait Dieu semblable à un lion qui rompt et casse avec les dents, qui dissipe avec les ongles? Ce n'est point pour attribuer à Dieu une cruauté, laquelle ne lui convient pas: mais c'est pour nous humilier, d'autant que nous sommes stupides, et ne savons que c'est de craindre Dieu, pour avoir horreur des punitions qu'il envoye sur ceux qui se sont eslevez contre lui. Afin donc que nous ne soyons plus preoccupez d'une telle stupidité, l'Escriture sainte nous propose Dieu, comme un lion qui vient là avec les dents et les ongles: pour nous faire entendre que quand il est questions

82

qu'il se veut monstrer contraire aux hommes, il n'y a frayeur si grande que ceste-ci ne surmonte.

Voila donc à quel usage nous devons appliquer ce qui est ici dit, et comme une telle admonition nous doit servir avant la main: aussi quelquesfois si nous sommes en tormens, et que Dieu se rue ainsi contre nous, il faut que nous pratiquions ce qui est ici dit: sachans que nous ne sommes pas des premiers. Et mesmes voici un lieu memorable, quand il est dit, que Dieu consume toute la chair, Dieu brise et casse, Dieu engloutit, Dieu occit l'homme. Et pourquoi? Pour le vivifier. Et ainsi combien que son ire nous soit terrible, quand il nous visite en rigueur, et qu'il faille que nous experimentions les choses qui sont ici contenues: si est-ce qu'encores nous esclaire-il de ceste esperance de salut qui est le seul moyen pour nous mener à vie. Ainsi donc souffrons d'estre comme engloutis en tristesse, et d'estre là aux abysmes: puis qu'ainsi est que nostre Dieu nous laisse bonne esperance, et que nous voyons qu'il ne commence point auiourd'hui par nous, mais qu'il a ainsi traitté les siens de tout temps. Et de fait nous voyons qu'Eliu n'en parle point sans cause, suivant ce qui nous est monstré en ce Cantique de Moyse que i'ai desia allegué. Voila donc comme en double sorte ce passage nous doit servir: c'est quand nous sommes à repos, que nous prenions loisir de mediter combien l'ire de Dieu est espouvantable, afin de cheminer en crainte et solicitude, et nous ranger sous sa main. Pour le second, que nous ne soyons point trop effrayez quand Dieu nous visitera ainsi rudement, cognoissans qu'il en a ainsi usé envers ceux desquels il a procuré le salut. Il ne faut point donc trouver nouveau ce qu'il fait en nous: mais apprenons de nous conformer à ceux qui ont attendu que Dieu les resiouyst pleinement apres les avoir contristez, voire apres les avoir engloutis d'angoisse. Or cependant notons aussi la longueur, de laquelle parle ici Eliu, que Dieu met en nos afflictions: car il ne dit pas qu'en un moment Dieu affligera seulement un homme tellement qu'il semble qu'il soit perdu, et que tantost apres il le releve. Non: mais au contraire quand Dieu aura mis sa main sur ceux qu'il veut affliger, il l'appesantist de plus en plus: tellement que si auiourd'hui une pauvre creature est bien tormentee, demain ce sera au double, et puis en augmentant: en sorte qu'il n'y aura ne fin ne mesure (ce semble) et cela est de si longue duree qu'un homme passera par une centaine de morts, devant qu'il semble que Dieu le vueille alleger. Tant s'en faut donc que nous soyons delivrez de nos afflictions si tost que nous les aurons senties, qu'il faut qu'elles s'augmentent de plus en plus: car le bon plaisir de Dieu est tel

SERMON CXXV

83

iusques à ce que nous ayons bataillé contre beaucoup de morts.

Or il est vrai que ceci nous semble fort dur: mais notons, qu'à rude asne, rude asnier (comme on dit) et d'autant que nous sommes un bois dur, il nous faut des chevilles bien dures, il nous faut de grands coups de marteau. Il est vrai que nous ne pensons point estre rebelles à Dieu: mais si nous pensions à ce qui en est, sans nous datter, nous trouverions que ce n'est point une chose petite ne commune que d'avoir nourri la malice en nous. les uns rongent leur frain à l'encontre de Dieu, tellement qu'encores que les afflictions croissent, ils ne laissent pas de tousiours grincer les dents, et d'estre là comme des bestes sauvages: les autres auront bien quelque signe d'humilité: mais quoi? Ils sont volages, que du iour au lendemain il ne leur en souviendra point. Cependant qu'un homme sera tenu enserré, é il est vrai qu'il dira, l'ai offensé mon Dieu, il faut que ie change: et non seulement il fera semblant devant les hommes par hypocrisie de se vouloir amender, mais il cuidera lui-mesme estre tout changé, et qu'il n'y a plus en lui nulle affection mauvaise. Mais quoi? Si Dieu le delivroit le lendemain, il seroit pire qu'il n'a esté, ou il seroit tout un. Voila comme nous en sommes. Et ainsi ne trouvons point estrange que Dieu rabbatte ainsi les coups: s'il voit que nous ne pouvons estre gaignez à lui, mais qu'il y ait une telle fierté qu'il faille qu'il nous corrige de longue main: il faut qu'il y besongne plus rudement. Comme quand une maladie sera enracinee, et bien, il est vrai que le malade pensera estre quitte, ayant prins quelque breuvage, quelque pilule, ayant eu quelque saignee: il lui semble, di-ie, qu'il est sain du tout: mais la racine de la maladie n'est pas encores du tout arrachee: et pourtant il faudra qu'il prenne des medecines bien rudes et bien ameres qu'il face la diette, et qu'il soit sous la main du medecin un mois et deux, voire un an entier. Voila comme il faut que Dieu nous purge par divers remedes, et par une longue cure: d'autant que ce vice d'orgueil est trop enraciné en nous, et qu'il a percé iusques à la moëlle des os, que tout en est infecté, tellement qu'il n'y a rien de sain en nous, mais tout est corrompu, sinon que Dieu le renouvelle. Voila donc pourquoy il est ici parlé de ceste longueur qui nous dure en nos afflictions, tellement que nous n'en pouvons plus: et mesmes qu'il faut que Dieu use de remedes divers: qu'il ne nous afflige point d'une seule façon, mais qu'il envoye maintenant une espece, maintenant l'autre, et que nous sachions qu'il ne le fait point en vain: car il ne prend point plaisir à tormenter ses pouvres creatures. Nous savons que son naturel

84

est de nous faire sentir sa bonté: mais cependant puis qu'il voit que nous n'en sommes point capables, c'est raison qu'il change, et qu'il se transfigure par maniere de dire, afin de se conformer à ce qu'il voit nous estre propre.

Et voila pourquoy il est dit, Il chastie l'homme de tormens sur son lict. Quand Eliu parle ainsi, c'est pour monstrer que si Dieu nous persecute a bon escient, il n'y aura nulle relasche il n'y aura nulle trefve qui soit. Car il entend que quand nous cercherons repos nous ne le trouverons pas si Dieu nous est ennemi, c'est à dire si nous apprehendons son ire. Car quand l'Escriture dit, que Dieu nous est ennemi, et qu'il est corroucé contre nous, elle n'entend pas qu'il le soit à la verité: mais il se monstre tel, à cause qu'il est besoin que nous soyons estonnez, pour nous faire desplaire en nos pechez. Ainsi donc notons bien, que quand un homme sera ainsi tormenté, il faut qu'il ait la guerre sans fin, et s'il pense avoir quelque allegement il ne le trouvera pas. Et pourquoy? Car la main de Dieu est trop longue: nous n'en pourrons point eschapper, iusques à ce que nous soyons reconciliez avec luy. Voila ce qui doit estre entendu en ce passage. Or si Dieu nous donne quelque relasche, cognoissons qu'il supporte d'autant nostre infirmité. Et mesmes ceci nous doit bien servir d'une consolation singuliere: car combien que Dieu nous examine rudement et que nous soyons au bord du sepulchre: si est-ce qu'il nous donne encores quelque goust de sa bonté parmi, et que nous respirons. Il est ici dit, qu'il n'a point fait ceste grace à toue, mais qu'il en a persecuté d'aucuns en sorte qu'ils n'ont eu nul repos. Et que veut dire cela? Il ne parle point seulement des reprouvez mais de ceux que Dieu avoit choisis, et desquels il avoit procuré et avancé le salut par ce moyen-la. Ainsi donc cognoissons que Dieu a regard à nostre foiblesse, quand il ne permet point que nous soyons trop durement affligez, mais qu'il nous donne seulement quelques petis coups, pource qu'il voit que nous sommes par trop debiles.

Au reste quand il dit, Que l'homme reiette la viande, voire qu'il ne prend point goust à la viande appetissante, et qu'il voudroit estre sorti de ce monde: c'est pour nous monstrer que quand nous sommes touchez du sentiment de l'ire de Dieu, et que nous l'apprehendons au vif, nous ne pouvons prendre goust à rien qui soit. Qu'est-ce donc qui nous donne saveur à tous les benefices que nous recevons en ce monde de la main de Dieu? C'est sa grace. Il est vray que les gens prophanes, comme tous contempteurs de Dieu, ceux qui sont confits en leurs pechez, et qui y sont abbrutis du tout, et qui n'ont plus de doleance, ceux-la prendront assez goust à toutes leurs delices, voire leurs delices

IOB CHAP. XXXIII.

85

brutales: car ils n'apprehenderont point l'ire de Dieu: mais ceux qui sentent que Dieu leur est contraire, il faut qu'ils soyont desgoustez de tout ce qui est desirable de sa nature, et qu'ils on soyont faschez. Et pourquoy? Ils ne peuvent pas prendre mesmes plaisir à leur vie Combien que ceste vie soit pleine de beaucoup de povretez, et qu'elle soit comme une mer de toutes miseres: si est-ce que nous la devons estimer precieuse d'autant que Dieu nous y a mis et nous y conserve, afin que nous l'y cognoissions nostre Createur et nostre Pere: comme defait nous sommes creez à ceste fin-la, et sommes maintenus on ceste vie caduques afin que nous cognoissions que c'est Dieu qui nous y entretient, et sentions sa bonté paternelle quand il luy plaist d'avoir le soin de nous, et de nous gouverner. Ainsi donc nostre vie nous doit estre precieuse pour ce regard-la: mais quand Dieu se monstrera courroucé, il faut que nostre vie nous soit amere: car il est impossible qu'un homme sentant cela, ne desire d'estre abismé: comme il est dit, qu'ils diront aux montagnes, Couvrez nous. Voila où nous on sommes. Et pourtant apprenons de prendre goust en premier lieu à la bonté de nostre Dieu, afin que le reste des biens qu'il nous fait nous soit desirable, et que nous y prenions saveur. Or ie di Prendre goust en la bonté de Dieu: c'est que nous ne soyons point adonnez tellement aux choses de ce monde, que nous n'ayons le principal but pour dire, Or ca que nous cerchions d'obeir à nostre Dieu, et de nous ranger paisiblement sous sa main. Voila donc ce qu'il nous faut desirer. Avons-nous cela? Quand nous iouyrons des biens qu'il nous eslargist, soit on beuvant ou mangeant, et en tout le reste de nostre vie: que nous demandions de nous resiouir tellement que nous rapportions nostre ioye à cest usage de cognoistre la bonté paternelle de nostre Dieu: pour dire, Voici Dieu qui nous declare bien le soin qu'il a de nostre salut, puis qu'il veut mesmes pançer nos povres corps. Voici des charongnes, et Dieu encores en veut estre le nourricier. Voila donc comme il nous faut boire et manger en telle sorte, que nous pensions tousiours à la bonté de nostre Dieu.

Et au reste, quand nous serons degoustez de tout, et tellement saisis d'angoisse, que nostre vie mesme nous sera en haine: que nous cognoissions d'où cela procede. Et c'est que Dieu a caché son visage, et que nous ne sentons plus sa faveur paternelle, laquelle est pour donner goust et saveur à tous ses benefices. Et ainsi donc quand nous gemissons, et que nous sommes en perplexité et angoisse: que nous prions Dieu qu'il lui plaise nous faire sentir sa bonté qui nous est maintenant incognue. Et quand nous l'aurons sentie, que cela

86

soit pour nous faire non seulement respirer, et nous mettre en repos: mais pour nous restaurer en sorte que nous ayons cueilli vigueur nouvelle, et que nous soyons comme on fleur d'aage (selon qu'il est ici dit consequemment) au lieu que nous estions du tout abbatus au paravant. Voila donc ce que nous avons à retenir.

En somme il est dit, Que la chair de l'homme s'esvanouira, qu'on ne dira plus qu'il est vivant. Or si ceci est, qu'il nous faille estre comme aneantis, et que Dieu nous deffigure: regardons de nous armer de patience, et que nous n'entrions point en dispute, encores que nous venions à ceste extremité-là Et pourquoy? Car il est dit, que Dieu traitte ainsi ses esleus. Il n'est point question de ceux qu'il veut perdre et ruiner: mais de ceux qu'il a ordonnez à salut et qui sont on sa main, et lesquels il conduit: il veut toutes fois rendre ceux-là difformes, tellement qu'on les iugera estre du tout perdus. Puis qu'ainsi est, prions-le que si nous sommes semblables à trespassez, il tienne toutes fois nostre vie cachee en sa main. Or il en est bon besoin: car combien que tous ne soyent pas si durement affligez, comme il en est ici parlé par Eliu, et que Dieu use d'une telle rigueur là où il lui plaist: tant y a qu'on general si faut-il que nostre vie soit une espece et figure de mort, comme S. Paul on parle au troisieme des Colossiens (v. 3): et comme nous voyons que les arbres en hyver n'ont ne fleurs ne feuilles, ne vigueur aucune: mais que la vie en est retiree au dedans: aussi faut-il que nostre vie soit cachee en la main de Dieu. Et quand nous lui aurons fait cest honneur de la lui remettre il nous fera sentir en la fin qu'il a esté bon gardien et fidele. Et pourtant s'il lui plaist de nous rendre tellement confus pour un peu de temps, que nous n'appercevions nul signe de sa grace, qu'il semble que nous soyons du tout eslongnez de lui: et bien, que nous attendions encores, et que nous gemissions iusques à ce qu'il nous rende ceste vigueur de laquelle il est ici parlé. Or apres qu'Eliu a ainsi disputé des afflictions que Dieu envoye à ses fideles et a monstré qu'il faut qu'ils soyont comme ruinez devant que Dieu les restaure: il adiouste, Que quand Dieu leur veut faire sentir sa bonté et sa grace, il use de sa parole envers eux.

Voici donc le moyen par lequel Dieu vivifie ceux qui sont comme eslongnez: c'est qu'il leur en oye un messager qui à grand peine se trouvera entre mille: et celui-là apporte message de droiture: il apporte le message, que Dieu iustifie le pecheur, et qu'il le reçoit et recueille on sa grace. Voila donc comme nous sommes restaurez, apres que nous estions comme trespassez. Or Voici un beau passage et excellent, pour nous monstrer, que si Dieu nous

SERMON CXXV

87

envoye message de sa bonté, que ses promesses nous soyent declarees, c'est autant comme s'il nous tendoit la main pour nous retirer du sepulchre. Que voulons-nous plus? Ainsi donc notons bien ce qui est ici dit, Que l'homme cueillira vertu nouvelle, quand il aura tesmoignage de la bonté de Dieu. Et comment? Car (comme desia nous avons dit) nostre Seigneur a donné ceste proprieté à son Evangile, qu'en oyant les promesses qui y sont contenues, nous nous esiouyssions en lui, estans asseurez qu'il nous y convie. Il est vrai que ceci est difficile aux hommes: car si nous avons a batailler contre toutes les tentations de nostre chair, le plus grand combat est contre l'infidelité: et sur tout quand nous sentons quelque chastiment de Dieu, alors nous sommes comme en tenebres, tellement que les tristesses nous esblouyssent les yeux. Et combien que les promesses de Dieu nous soyent mises au devant: si est-ce que nous ne les pouvons appliquer à nostre usage: il nous semble qu'il y a tousiours quelque entredeux, et que ce n'est point à nous que cela appartient. Voila où nous en sommes, et chacun le doit sentir par son experience propre. Et de fait Satan se vient là entrelacer. Il est vrai que nous ne nierons pas les promesses de Dieu: mais nous serons là comme en suspens, Et i'oi ceste promesse qui est si belle, elle doit ressusciter un monde. Mais quoi? Ie demeure tousiours languissant, pource que ie n'enten pas que cela doive estre approprié à moi. Ainsi donc d'autant mieux nous faut-il noter ce qui est ici dit, assavoir, que si Dieu nous envoye un homme qui nous certifie de sa bonté, c'est autant comme s'il nous tendoit la main, et qu'il nous dist, Me Voici: iusques à maintenant ie vous si tormenté, toutes fois si ç'a esté en grande rigueur, ie ne l'ai pas fait comme un iuge qui voulust punir vos mesfaits selon que vous l'avez merité: mais i'ai esté un medecin. Il est vrai que vous ne l'avez pas senti du premier coup, il a fallu que i'aye usé de bruslures, de cauteres, que i'aye sonde les os, que i'aye usé de remedes bien violents: mais tant y a que i'ai cependant procuré vostre salut: cognoissez donc en cela ma bonté.

Voila comme toutes fois et quantes que Dieu nous donnera le livre de l'Escriture saincte en main et que nous trouverons là quelque promesse de sa misericorde, et qu'il nous envoyera un homme lequel nous soit tesmoin qu'il nous veut pardonner nos fautes: il nous faut resoudre, Qui qu'il en soit, mon Dieu aura pitié de moi: et il le monstre de fait quand il m'envoye ce tesmoignage ici: et sur tout quand nous avons ce bien que l'Evangile nous est presché. Car nous savons quel est l'usage de la predication, c'est que nous soyons desliez en

88

terre, afin d'estre desliez au ciel. C'est la principale fin pourquoi Dieu veut que sa parole nous soit administree: assavoir, Que puis que nous sommes tous captifs, detenus sous la damnation eternelle ceux qui nous sont ordonnez Ministres de la parole de Dieu nous deslient, qu'ils nous remettent nos pechez c'est à dire qu'ils en soyent tesmoins pour nous certifier. Nous savons que c'est le propre office de Dieu de nous pardonner nos fautes: cela n'appartient point aux hommes: mais nostre Seigneur Iesus a voulu exprimer la vertu et efficace qui est en ceste predication, disant que là nos pechez nous sont pardonnez, voire par les hommes mortels. Et voila pourquoi notamment sainct Paul dit (2. Cor. 5, 18), que c'est l'ambassade de reconciliation qui nous est commise. Quand donc nous sommes en une Eglise Chrestienne, et que l'Evangile y est purement annoncé: cognoissons que Dieu a mis en garde les clefs du royaume des cieux, aux hommes qui portent ainsi sa parole. Et pourquoi? Afin que la porte de salut nous soit ouverte. Cognoissons qu'il leur a donné authorithé de rompre nos liens: comme il avoit esté predit au Prophete Isaie (61, 11), que Iesus Christ seroit envoyé pour annoncer delivrance aux povres captifs. Il n'a point fait cela seulement en sa personne ayant accompli ceste promesse: mais il le fait encores tous les iours par ses Ministres. Il est vrai que Iesus Christ nous a desliez de la servitude de peché, et de la damnation eternelle en laquelle nous estions de nature: mais si est-ce qu'il a commis ceste charge à tous Pasteurs d'Eglise. Voila donc ce que nous avons à retenir quand ici Eliu nous monstre le moyen par lequel Dieu restaure ceux qu'il avoit mis iusques aux enfers, et qui estoyent comme abysmez: c'est qu'il leur donne un messager qui sera pour leur declarer la droiture.

Or notamment il parle de droiture, non pas que ceux qui nous doivent consoler, usent de flatteries, pour nous faire à croire que nous sommes iustes, et nous preschent nos vertus et nos merites. Nenni: mais la droiture dont il est ici parlé, c'est que Dieu se reconcilie avec nous. Et comment? D'autant qu'il ne nous impute plus nos pechez. Nous sommes donc droits, non pas en nous-mesmes, non pas de nos vertus: mais d'autant qu'il plaist à Dieu de nous pardonner. Et c'est un poinct que nous devons bien noter. Car quand le monde cerche ceste droiture, c'est pour apporter à Dieu des merites, et il imagine qu'encores qu'il ait failli, il lui pourra apporter quelque satisfaction. Voila l'usage commun, ou plustost l'abus auquel les hommes se trompent. Car s'ils sont tormentez de quelque angoisse, et qu'ils sentent la vengeance de Dieu: ils regardent, Et comment? Et n'ai-ie

IOB CHAP. XXXIII.

89

point bien vescu? N'ai-ie pas servi à Dieu comme ie devoye; Et si i'ai commis quelque faute, n'y a-il pas encores quelque chose pour la recompenser? Et i'ai fait ceci et cela. Voila di-ie, comme les hommes voudront tousiours mettre quelque barre à Dieu, afin qu'il n'ait point d'advantage sur eux. Ils cercheront donc leur droiture en leurs merites. Or Dieu use bien d'un style tout contraire, quand il nous veut donner une droiture par laquelle nous subsistions devant lui: c'est que cachant nos pechez il nous recognoist comme iustes, et nous advouë pour tels. Où est-ce donc que nostre droiture sera appuyee? C'est en la misericorde gratuite de nostre Dieu: d'autant qu'il efface nos pechez, et qu'il ne nous impute point nos offenses, apres qu'il a nettoyé nos macules par le sang de son Fils apres qu'il nous a delivrez de damnation de mort par le payement que nostre Seigneur Iesus a fait en la croix. Voila la droiture qui nous est là annoncee par les messagers de Dieu, c'est quand nous sommes iustifiez. Et ce n'est point sans cause que l'Escriture saincte aussi use tousiours de ce mot de Iustifier. Il pourroit bien estre dit, que nous trouvons grace quand Dieu nous pardonne (comme aussi il en est souvent parlé) mais le sainct Esprit ne se contente point d'user de tels mots. Et pourquoi? Car cependant que nous sommes pecheurs, il faut que Dieu nous haysse: nous savons qu'il est la fontaine de iustice: et il n'y a point de convenance entre lui et l'iniquité. nous sommes donc detestables à Dieu, et faut que nous soyons reiettez de lui, cependant que nous sommes pecheurs: bref, nous n'avons point accez à Dieu iusques à ce que nous soyons iustes et droits. Or maintenant comment le somme-nous? C'est d'autant que Dieu ne veut point avoir esgard à nos pechez, d'autant qu'il les ensevelist, d'autant qu'il les cache et qu'il nous en purge. Voila donc nos pechez qui sont effacez en la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, tellement que nous sommes reputez iustes, que Dieu ne trouve plus d'iniquité en nous, quand il nous accepte ainsi au nom de son Fils. C'est ceste droiture de laquelle il est parlé en ce passage.

Au reste, quand notamment il est dit, que ce messager qui nous resiouyt ainsi, est un d'entre mille: c'est pour nous faire priser d'avantage ce bien dont nous ne tenons gueres de conte, c'est assavoir le moyen de nostre reconciliation. Il est donc declaré, que ce n'est point chose vulgaire que ceci. On ne pourra pas tousiours rencontrer, que nous ayons un homme que Dieu nous envoye pour tesmoin de nostre salut, qui soit pour moyenner nostre reconciliation avec lui: pourtant ce n'est point une chose que nous devions ietter au pied. Et

90

voila aussi pourquoi le Prophete Isaie dit (52, 7), Combien les pieds de ceux qui nous annoncent la paix sont desirables! Or par les Pieds le Prophete entend la venue et la presence: comme s'il disoit, Si le monde savoit quel bien c'est quand Dieu lui declare sa misericorde, il aimeroit et priseroit ceux qui lui annoncent l'Evangile: et cognoistroit que Dieu leur a commis un thresor qui surmonte tous les biens que nous pourrions souhaitter. S. Paul aussi alleguant ce passage (Rom. 10, 15), l'applique pour monstrer que c'est un don singulier de Dieu, quand l'Evangile nous est presché. Ne pensons pas donc que cela vienne des hommes: mais soyons tout asseurez et resolus que Dieu nous cerche quand l'Evangile nous est presché. Il faut que Dieu bastisse cela il faut qu'un tel bien procede de lui: pourtant si nous l'attribuons aux hommes, c'est une ingratitude trop grande.

Apprenons donc de ne point obscurcir la bonté de Dieu: et quand nous avons cest ordre d'Eglise, que nous avons les predications et tout le reste: sachons que c'est autant comme si Dieu nous venoit cercher pour nous amener à salut: et Cognoissons cependant qu'il ne fait pas ceste grace et ce privilege à tous. Et defait voila les pays que nous prisons, et qui aussi selon le monde sont à priser plus que nous, lesquels toutes fois n'ont pas ce message de salut. Qu'on aille circuir par tout le monde, qu'on cerche toutes les nations les plus excellentes qui ayent esté le temps passé, qu'on aille cercher la Grece, où toutes les sciences du monde estoyent encloses, ce sembloit: qu'on aille en Italie, en France qui est maintenant en quelque estime, qu'on aille en Hespagne: et qu'y trouvera-on sinon toute desolation? Car la non seulement ceux qui devroyent estre messagers de salut sont du tout muets: mais qui pis est, on oit des chiens mastins abbayer pour blasphemer contre Dieu, on voit que les povres ames y sont menees à perdition, et que le diable chasse-là Car de fait autant de prescheurs qui montent en chaire, ce sont autant de chiens pour courir, et pour accueillir, afin d'amener tout aux filets de Satan, et que les povres ames s'en aillent toutes à perdition. Or ici nous avons les promesses de Dieu qui nous sont annoncees afin qu'elles nous conduisent à salut. Nous voyons donc que ce n'est point sans cause qu'il est dit, Qu'un messager fidele de la grace de Dieu est un d'entre mille, que c'est un benefice si rare que nous le devons bien priser. Car cela n'est point dit afin de nous faire priser les personnes: mais c'est pour mieux nous faire recevoir et avec plus grande reverence le bien qui nous est administré par eux: c'est assavoir la grace de Dieu, quand il lui plaist de nous retirer à soi, et nous testifier

SERMON CXXVI

91

son amour paternelle: nous monstrant que combien que nous soyons povres et miserables, qu'il n'y ait que mort et damnation en nous: toutes fois il ne nous y veut pas laisser, mais qu'il nous en veut

delivrer par le moyen de nostre Seigneur Iesus Christ.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

92

LE CENT VINGTSIXIEME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE XXXIII. CHAPITRE.

Ce sermon est encores sur les versets 23, 24, 25 et sur ce qui est ici adiousté.

26. Il priera Dieu, et l'appaisera, et regardera sa face en triomphe, et sa iustice sera rend? e à l'homme.

Nous vismes hier, quand Dieu nous afflige, que par ce moyen il procure nostre salut, combien qu'il ne le semble pas. Vrai est que les meschans seront aussi bien affligez: mais ils ne se font qu'endurcir et despiter contre Dieu: et tant s'en faut que les afflictions leur profitent, que c'est pour descouvrir tant plus leur iniquité, et l'amener au comble. Mais quand Dieu visite ses esleus, il les matte et mortifie en telle sorte qu'ils tremblent devant sa maiesté, et sont confus, et sont là comme à demi trespassez, tellement qu'il n'y a plus d'espoir de vie quant à eux et quant au monde: il ne leur reste sinon que Dieu les regarde en pitié. Or Eliu expose le moyen par lequel Dieu fait profiter ses chastimens aux fideles, c'est assavoir quand il les console par sa bonté, et leur declare qu'il est prest de leur pardonner leurs pechez: car combien que les afflictions nous soyent profitables, et nous servent de medecines (comme il en fut hier traitté) cela neantmoins n'apparoist point que par l'issue. Or l'issue nous est ici demonstree, c'est que Dieu nous tend la main en nous certifiant qu'il nous veut estre propice, quoi qu'il en soit, encores qu'il nous ait durement traittez. Notons bien donc que la vie de nos ames consiste en la parole de Dieu, quand il lui plaist de nous rendre tesmoignage de sa misericorde et de sa bonté envers nous. Et afin que nous prisions ce bien-là comme il le merite il est dit, Que celui qui nous est tesmoin de là remission de nos pechez, est comme un entre mille, qu'on ne trouvera point cela, à l'aventure, c'est un thresor que Dieu reserve à ceux que bon lui semble. Cependant nous avons declaré que Dieu en promettant aux hommes qu'il leur pardonne leurs pechez: baille charge et commission aux Ministres de la parole de Dieu de les retirer de la

mort: comme il est dit notamment, Que les clefs du royaume des cieux sont donnees à ceux qui preschent l'Evangile. Pourquoi? Pour pardonner les pechez: non point en leur authorité, mais afin que les povres pecheurs soyont tant mieux asseurez de leur salut, et qu'ils ne doutent point que Dieu ne les reçoive à merci: et desia en son nom on leur prononce qu'ils sont absous devant son siege iudicial.

Voila pourquoi notamment il est dit, Que Dieu aura merci de (homme, quand il lui envoyera un bon docteur et fidele, et qu'il baillera ceste charge et office a ceux qu'il ordonne, de racheter et delivrer la povre creature qui estoit en perdition. Mais afin que tout soit mieux entendu, il y a ici trois poincts à observer. L'un c'est qu'Eliu nous monstre la cause et le fondement de la remission de nos pechez, c'est assavoir d'autant que Dieu nous est pitoyable, et que par sa bonté infinie il ne veut point que nous perissions. Voila un Item. Le second c'est, que l'office de ceux qui preschent l'Evangile est de retirer les povres ames de la mort, et de les delivrer. Le troisieme c'est, que cela ne se fait pas que Dieu n'en donne commission expresse: comme aussi il n'appartient pas à un homme mortel d'usurper une chose si haute, et qui est par dessus nostre faculté. Quant au premier donc, nous voyons que le sainct Esprit nous ramene ici à ceste source de la grace que nous obtenons de Dieu. Quand il nous pardonne nos pechez, pourquoi est-ce? Non pas que nous en soyons dignes, non pas que nous le puissions prevenir, que nous lui apportions rien pourquoi il doive estre esmeu envers nous: mais pource qu'il nous regarde en pitié En somme le sainct Esprit attribue ici la remission de nos pechez à la pure bonté de Dieu et gratuite, d'autant que nous sommes miserables, qu'il n'y a en nous que perdition. Voila Dieu qui nous veut subvenir, et le fait non point pour rien qu'il trouve en nous sinon des miseres infinies, mais

IOB CHAP. XXXIII.

93

sa bonté l'induit à cela. C'est donc un Item que nous devons bien noter, afin que quand nous venons à Dieu pour obtenir pardon, nous ne cuidions point l'appaiser par nos merites, ni estre en partie cause de la remission de nos pechez, mais regardions ce qui nous est ici dit, c'est assavoir, Quand Dieu aura pitié de nous, qu'alors il nous recevra, à merci quant et quant. Et ainsi Eliu nous veut ici advertir, que Dieu ne nous fait pas tousiours sentir ceste bonté-là: voire combien qu'il nous porte amour, et qu'il vueille prouvoir à ce qu'il cognoist nous estre utile, si est-ce que nous n'en aurons point tousiours l'apprehension, mais tout cela nous est caché. Comme quand Dieu nous afflige, il est dit, qu'il nous tourne le dos, ou bien qu'il ne nous daigne pas regarder, ou bien que son visage nous est obscur, et que nous ne le pouvons pas contempler. Notons bien donc que les fideles par fois seront esperdus, et qu'ils cercheront Dieu sans le pouvoir trouver: non pas qu'il les ait mis en oubli, non pas qu'il les ait reiettez, mais d'autant qu'il ne veut pas pour lors leur faire sentir son amour.

Voila pourquoi notamment Eliu dit, Que Dieu nous est pitoyable quand il nous envoye tesmoignage par sa parole de la remission de nos pechez: non pas qu'il ne l'ait esté auparavant, mais d'autant que nous en avons alors certaine experience, et entrons comme en possession de sa bonté qui nous estoit pour un temps incognuë. Or il y a pour le second, que l'office de ceux qui preschent l'Evangile est de pardonner les pechez. Et c'est un article memorable, d'autant que sans cela nous sommes perdus et desesperez: il n'y a autre moyen pour nous donner esperance de salut, sinon que nos pechez nous soyent pardonnez devant Dieu, et que nous soyons absous: car c'est aussi (comme il a esté dit) la droiture par laquelle nous lui sommes aggreables. Cependant que nos pechez nous sont imputez, il faut que Dieu nous haysse. Et qu'est-ce que l'ire de Dieu sur nous, sinon un abysme de toute malediction? Au reste quand nous sommes reconciliez avec lui, la porte de paradis nous est ouverte, il nous recognoist pour ses enfans, l'heritage celeste nous est tout appresté. Et comment cela se peut il obtenir? C'est que nous ayons des bons docteurs et fideles qui nous annoncent l'Evangile: car voila, à quoy Dieu pretend, assavoir de s'appointer envers nous comme S. Paul le declare, quand il exprime quel est le propre de l'Evangile, assavoir d'estre une ambassade d'appointement de Dieu avec les hommes: c'est que Iesus Christ qui ne savoit que c'est de peché, qui estoit l'agneau sans macule, s'est assuietti à la malediction de nos pechez, afin que nous soyons trouvez iustice de Dieu en luy: c'est à dire qu'apres nous estre plongez en son sang, et venus

94

mettre sous ce sacrifice qu'il a offert, nous sommes tenus et reputez pour iustes, à cause que ce sacrifice-la a eu ceste vertu pour abolir toutes nos fautes et offenses. Voila ce qu'il nous faut ici observer.

Toutes fois et quantes donc que nous lisons en l'Escriture saincte ou bien que nous venons au sermon, quand quelque promesse de la bonté de Dieu nous est mise au devant: que nous sachions, Voici Dieu qui nous rend tesmoignage de son amour, afin que nous soyons delivrez de la mort en laquelle nous estions plongez. Et combien que nous n'oyons qu'un homme mortel qui parle, et que sa voix ne soit qu'un son qui s'espard et s'esvanouist en l'air: si faut-il que nous concluyons que Dieu besongnera par sa vertu en telle sorte, que ceste doctrine sera suffisante pour nous delivrer de la damnation en laquelle nous sommes, et de la servitude de peché: que nous sortirons des liens de Satan, que nous serons absous devant nostre Dieu, que ceste parole ne nous peut faillir, Tout ce que vous aurez deslié en terre, sera aussi bien deslié aux cieux. Et ainsi nous voyons de quelle importance est ce mot, quand il est dit, Delivre le pecheur: car c'est autant comme si la voix de Dieu resonnoit du ciel quand il donne charge expresse à ceux qui parlent à nous, qu'ils nous retirent des abysmes de mort pour entrer en paradis. Et defait saint Iaques parlant à des personnes privee dit (5, 20), Que celuy qui admonneste son frere, sauvera une ame qui estoit perduë. Si cela est en tous ceux qui reduisent au bon chemin les desbauchez: que sera-ce quand nous aurons ceste signature especiale, que nostre Seigneur Iesus a donné à sa parole, lors qu'elle nous est preschee par les Pasteurs de l'Eglise? c'est assavoir que leur office est de remettre et pardonner les pechez comme desia nous avons allegué de S. Iean: et de lier et deslier, comme nous avons allegué de S. Matthieu. En somme nous voyons quelle est la vertu de l'Evangile, quand nous recevons par foy les promesses qui y sont contenues: que c'est autant comme si Dieu nous tendoit la main du ciel pour nous faire sortir des abysmes de mort.

Or notons cependant pour le troisieme article, que ceci ne se fait sinon d'autant que Dieu l'a ordonné. Et c'est pour distinguer l'Evangile d'avec les blasphemes du Pape: car le Pape dira bien que Il y et sa Prestraille ont les clefs du royaume des cieux, qu'ils ont l'office de pardonner. Mais quelle commission ont-ils de tout cela? Car ils attachent la remission des pechez à leur confesse. Et où est-ce que iamais Dieu a declaré, qu'il se faille confesser de tous ses secrets en l'aureille d'un homme pour obtenir merci? Dieu declare que quand le pecheur gemira, il le regardera en pitié. Or voila un homme mortel qui presume d'imposer une loy, et de clorre la porte de paradis, sinon qu'on l'observe.

SERMON CXXVI

95

Ne voila point usurper notoirement la puissance de Dieu? Apres, le Pape aura ses bulles, ses indulgences et pardons et choses semblables pour fonder la remission des pechez, il meslera aussi le sang des martyrs, comme s'il vouloit expressement deroguer à la vertu de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ. Cependant il n'a nulle promesse de l'Evangile, il n'y a que des badinages, des ceremonies de sorciers, force croix sur le dos, et ceci et cela: bref, ce ne sont que singeries de Satan. Or au contraire il est dit, Que la remission des pochez ne peut estre sans message de Dieu, c'est à dire sans predication et doctrine. Le Pape quand il pardonne les pechez est muet, il n'apporte point un seul mot de la parole de Dieu, il n'a que ses charmes et sorcelleries comme il a esté dit. D'avantage il impose loix tyranniques pour pervertir le moyen que nostre Seigneur a ordonné: apres il oste mesmes la liberté à Dieu, et ne tient pas à luy qu'il ne l'empesche de recevoir les pecheurs à merci. Voila donc l'Eglise Papale, ceste synagogue diabolique qui est destituee de la remission des pechez, et par consequent elle est damnee, cependant qu'elle se tient aux traditions de cest Antechrist: car il est impossible qu'elle puisse estre reconciliee à Dieu. Mais au contraire nous disons que les pechez sont pardonnez aux hommes, d'autant qu'ils resoivent le message de l'Evangile, et qu'il n'est point question ici de ceremonies que les hommes ont controuvé, et de loix qu'on aura inventé à plaisir: mais seulement que nous suivions l'ordre et la regle que nostre Seigneur Iesus a establi, luy qui a la remission de nos pechez en main. Il nous a donne le moyen comme il veut qu'elle soit faite, c'est que l'Evangile soit publié, qu'on le reçoive en certitude de foy. Quand donc nous aurons ceste simplicité-la, nous pourrons estre asseurez que ceste commission vient d'enhaut, et que les hommes n'entreprenent et n'usurpent rien ici de leur phantasie propre.

Voila ce que nous avons à observer sur ce mot, quand il est dit, Dieu aura pitié de luy, et le delivrera. Il faut donc que tout cela viene d'enhaut, et qu'il n'y ait que Dieu seul qui besongne ici en sa bonté gratuite: comme aussi il le proteste par son Prophete Isaie (43, 25), Ce suis-ie, ce suis-ie moy qui efface tes iniquitez Israël. Il faut donc qu'un tel benefice procede de luy: comme ce n'est point à la creature de nous le donner. Nous voyons maintenant quelle substance il y a en ce passage moyennant qu'il soit bien entendu.

Or il est dit quant et quant Afin que son ame n'entre point en la fosse. Desia nous avons veu ci dessus que les povres pecheurs sont prochains du sepulchre, les voilat respassez et comme aneantis du

96

tout, cependant que Dieu les poursuit en sa rigueur: mais maintenant Eliu adiouste, Que Dieu nous envoyant ce message de la remission de nos pechez, previent ce mal-la que nous ne tombions au sepulchre, c'est à dire, que nous ne perissions: car il n'est point question ici seulement d'une mort temporelle, mais de la perdition où nous serions abysmez, n'estoit que Dieu anticipast, et nous en preservast par sa bonté infinie. Notons donc que cependant que nous sommes affligez, nous sommes couverts des tenebres de mort, et semble bien qu'il n'y a nulle issue: mais toutes fois durant ce temps-la Dieu nous soustient comme en cachette: et combien que nous n'appercevions pas que nous soyons appuyez sur luy si est-ce toutes fois qu'il nous fait ceste grace. Car sans que nous le cognoissions, il faut bien que Dieu y besongne, sans que nous le puissions apprehender. Et defait quand nous commençons par foy d'apprehender sa bonté, ce n'est pas qu'il nous faille là mettre le premier poinct de nostre salut: mais il faut monter plus haut, assavoir que devant que nous fussions nais il nous a choisis à soy, et que suivant cela il continue tousiours sa bonté envers nous. Ainsi donc notons que Dieu nous choisit par sa bonté, d'une façon secrete, et qui est incomprehensible à nostre sens naturel. Et puis, quand il luy plaist de nous manifester sa bonté, ce qu'il fait quand son Evangile nous est presché, alors il nous monstre qu'il veut que nous soyons delivrez du sepulchre. Nous appercevons donc nostre delivrance, et nostre salut, quand nous goustons les promesses de son Evangile, non pas que cela se face tout à un coup en perfection, mais Dieu nous en donne quelque petit goust, et de plus en plus il nous y conferme, iusques à ce que nous voyons la porte de paradis qui nous soit ouverte pleinement, et que nous soyons delivrez du sepulchre. Voila ce que nous avons à retenir sur ce mot.

Au reste quand Eliu dit, Que Dieu a trouvé reconciliation: notons qu'ici il nous veut encores mieux exprimer ce qu'il a touche n'agueres: c'est assavoir qu'il nous faut attribuer à la bonté gratuite de nostre Dieu l'appointement qu'il fait avec nous: et que c'est luy qui besongne, voire devant que nous puissions avoir une pensee ni affection d'approcher de luy. Car il faut qu'il nous cerche cependant que nous sommes esgarez, et que nous l'avons mis en oubli: selon ce qui est dit au Prophete Isaie (65, 1). Vray est qu'il nous est assez commandé que nous cerchions Dieu, et quand nous l'avons offensé, que nous retournions à Luy. Mais quoy? Cela ne se peut faire sinon qu'il nous instruise là dedans, et qu'il nous touche au vif, en sorte que nous soyons contraints de nous desplaire en nos pechez. Et puis, qui est-ce qui nous donne

IOB CHAP. XXXIII.

97

quelque esperance, et qui fait que nous recourons à Dieu pour y avoir nostre refuge? N'est-ce pas luy qui nous illumine en la foy? Ainsi donc ce n'est point sans cause qu'Eliu adiouste, Que Dieu a trouvé reconciliation. Et pourquoy? Quand il nous afflige, desia il nous prepare pour recevoir la grace qu'il nous veut faire: car cependant que nous sommes enflez d'orgueil, la bonté de Dieu n'a point d'entree en nous: cependant que nous sommes endurcis en nos pechez, nous repoussons ceste grace-la bien loin: cependant que nous sommes confits en nos ordures, il est certain que nous ne pouvons gouster que c'est de ceste reconciliation qui a esté faite par nostre Seigneur Iesus Christ. Il faut donc que Dieu besognes ici, et que l'ouvrage soit sien. Et Comment est-ce qu'il y besongne? En premier lieu quand il nous amene à la cognoissance de nos pechez par tant de remords qu'il nous donne: comme il a esté dit cy dessus, qu'il nous envoye des effrois là dedans, comme s'il sonnoit une trompette pour nous adiourner devant son iugement.

Voila donc comme Dieu par inspirations secretes nous appelle à soy quand il voit que nous en sommes esgarez et distraits. Et puis, il nous ordonne gens qui nous admonnestent, qui nous redarguent. Et voila encores un grand bien, quand nous avons de bons docteurs et fideles, qui nous remonstrent nos pechez au vif, qui nous menacent de la perdition eternelle. Au reste, si cela ne suffit (comme nous voyons que nous sommes tant durs à l'esperon, qu'il faut que Dieu nous picque et nous poigne plus asprement) il adiouste des corrections de sa main, et il nous afflige. Et voila Comme il nous faut faire profiter les corrections, afin que nous ne soyons point comme des enclumes pour repousser les coups. Mais encores c'est luy qui pour ce faire nous donne des coeurs de chair, et nous amollist ceste dureté qui est en nostre maudite nature. Et bien, Dieu a-il fait valoir ses corrections? Alors c'est le temps opportun de nous manifester sa misericorde, et nous la faire gouster. Ainsi donc nous voyons bien que c'est luy qui trouve reconciliation, que nous ne pouvons pas anticiper de nostre costé, et mesmes nous ne faisons que reculer de luy. Quand Dieu nous instruit, où en sommes-nous? Et s'il nous laisse là, ne sommes-nous pas Comme enyvrez en nos cupiditez sans iamais penser à luy? Mais encores qu'il nous envoye des bonnes remonstrances, et que nous soyons convaincus de nostre mal: si est-ce que nous taschons d'ensevelir le tout, afin qu'on n'en voye rien. les autres grinceront les dents et se despiteront quand on leur remonstre leurs iniquitez, tellement que tant s'en faut qu'ils puissent souffrir cela, qu'il n'est question que de mordre et de regimber.

98

les autres seront comme insensibles: il y aura une telle stupidité, que pour tout ce qu'on leur dira il n'y a point d'amendement. Il faut donc que nostre Seigneur besongne en cest endroit ici: et puis, quand il nous aura affligez iusques au bout, si est-ce qu'il n'y aura point encores une droite obeissance on nous: et mesmes quand nous serons confus, encores pourrons nous estre comme povres phrenetiques: ainsi que nous voyons qu'il en est advenu et à Cain et à Iudas. Voila quelle seroit nostre condition, si Dieu n'y besongnoit. Et pourtant si nous n'avions ce message de salut, que deviendrions-nous? Encores que nous fussions bien dontez, et que nous ne fissions que souspirer et gemir: si est-ce qu'il n'y auroit que desespoir en nous.

Ainsi donc il faut que ce temps agreable vienne, comme il en est parlé au Prophete Isaie on un autre lieu, Voici le temps agreable, voici les iours de salut. Et pourquoy appelle-il le temps de salut, agreable? Pource que Dieu l'a choisi par sa pure bonté. Et voila pourquoy aussi il est dit on l'autre passage d'Isaie, Consolez, consolez mon peuple, dira le Seigneur. Si est-ce que c'est à luy à faire, de nous consoler en nos afflictions: ou autrement nous serons engloutis en tristesse. Et pourtant il adiouste qu'il se repent tant et plus d'avoir affligé les lesions, et que le temps est venu de les resiouir. En quoy nous voyons une declaration plus certaine de ce qui est ici touché en bref, c'est assavoir que c'est le propre office de Dieu de trouver reconciliation. Mais tant y a que Dieu le veut faire par ses Ministres. Et ainsi toutes fois et quantes que le promesses de l'Evangile nous sont offertes, où Dieu nous appelle à soy, et nous monstre qu'il nous est propice au nom de nostre Seigneur Iesus Christ, et qu'il nous fait ceste grace que nous goustons une telle bonté, et que nous sommes certains qu'il est prest de nous recevoir à merci: cognoissons sons que voila le temps opportun qu'il a ordonné de nostre salut. Humilions-nous donc, sachans que nous ne l'avons point provenu, mais que c'est luy qui nous a cerché. Et cependant ne defaillons point à une telle occasion: comme aussi S. Paul alleguant ce passage que i'ay touché d'Isaie, nous monstre que nous devons estre prests à venir quand nostre Seigneur nous exhorte: et qu'il ne faut point que nous attendions du iour au lendemain quand la reconciliation est trouvee et se presente à nous.

Or sur cela Eliu conclud, Que l'homme estant ainsi consolé par le message que Dieu lui envoye raieunist, qu'il est restauré, que sa chair devient plus fresche que d'un enfant. En quoi il monstre le vrai moyen de nous resiouir, c'est assavoir non pas d'oublier Dieu, et de cercher des vanitez frivoles

SERMON CXXVI

99

pour nous enyvrer, mais que nous soyons certifiez de la bonté de Dieu. Et c'est encores un article que nous devons bien noter. Nous voyons comme les hommes taschent de se resiouir c'est assavoir en oubliant Dieu: car il leur semble que c'est melancholie que d'y penser. Et defait, combien y en a-il qui se diront assez Chrestiens, et toutes fois quand ils se veulent resiouir il faut qu'ils chassent toute pensee de Dieu, et de la vie eternelle: et non seulement cela, mais qu'ils despitent Dieu comme de propos deliberé. Et pourquoi? Ils ne se peuvent resiouir qu'en mal-faisant. Voyans donc le naturel des hommes estre tel, et que nous serions entachez de la mesme maladie, regardons à nous: et pensons bien que nostre ioye ne sera point benite d'enhaut, sinon que nous soyons certifiez de la remission de nos pechez. 6i donc nous avons Dieu propice afin de le pouvoir invoquer (comme Eliu adioustera tantost) voila où consiste nostre vraye ioye, et que Dieu approuve, et qui est permanente, et nous conduira, à salut. mais cependant que nous ne savons comment c'est que nous en sommes avec Dieu, et que nous ne cerchons point d'estre reconciliez avec luy, et que nous demeurons là croupissans en nos ordures: d'autant plus que nous desirons à nous esiouir, c'est pour enflammer la vengeance de Dieu contre nous: c'est pour augmenter tousiours le feu de son ire: c'est pour nous plonger d'autant plus profond aux abysmes Voici donc une chose plus qu'utile, quand il nous est monstré que pour estre restaurez, il faut que nous ayons certitude que Dieu nous est propice. Et voila pourquoy aussi l'Escriture saincte nous ramene tousiours là, quand il est question de nous donner ioye et de nous esiouir, qu'elle nous propose la grace de Dieu, Voici vostre Dieu qui vous est propice, esiouissez-vous: voici vostre Redempteur qui vous cerche pour vous conioindre et unir à Dieu son Pere, resiouissez-vous, soyez paisibles, ayez repos en vos consciences. Par cela nous sommes admonestez, qu'il faut que nous soyons en trouble et inquietude, cependant que nous ne savons où nous en sommes avec Dieu. Il est vray que les meschans cercheront assez de s'esiouir, et defait ils s'esgayent (comme on voit) en despitant Dieu: mais quoi qu'il en soit, si est-ce que Dieu leur envoye des pointures qui les tormentent tellement, qu'ils sont là enserrez, et s'ils sautent, c'est à la façon qui est dite en Moyse, que neantmoins tousiours le peché est à la porte, qu'il tient là bon comme un chien qui attend son homme. Voila donc les meschans qui se pourront esgarer:

mais tant y a qu'ils ne peuvent sortir qu'ils ne soyent rongez en leur conscience, et faut que Dieu j les tiene là enserrez. D'autant plus donc devons nous penser à ceste doctrine. c'est assavoir de ne

100

tourner point le dos à Dieu, de n'ensevelir point nos pechez, quand il est question d'avoir paix: mais que nous ayons tousiours quelque promesse de Dieu qui nous console. Et quand nous voyons que Dieu nous convie à salut, esiouissons nous sur cela: car lors nos ioyes seront benites, et moyennant que nous ayons ce goust-la que Dieu nous est Pere, c'est pour sanctifier toutes nos ioyes: mais aussi sans cela il faut que nous deffaillions du tout, il n'y a nul moyen pour nous resiouir. Voila pour un Item.

Or pour le second, nous avons aussi à observer que la seule grace de Dieu nous doit bien suffire, encores que nous ayons beaucoup de tristesses meslees, comme Dieu nous voudra exercer. Car il ne nous envoyera point une pleine ioye, tellement que nous puissions rire à pleine bouche, comme on dit. Tant y a qu'il nous faut contenter de ceste certitude que nous avons qu'il nous est Pere, et que nous trouverons merci envers luy. Quand donc nous avons ce privilege de pouvoir invoquer nostre Dieu, estans asseurez que la porte nous est ouverte, et que nous y aurons bon accez au nom de nostre Seigneur Iesus Christ: quand, di-ie, nous avons ceste hardiesse-la, non point de nostre temerité, mais pource qu'il a bien daigné ouvrir sa bouche sac ce pour nous rendre tesmoignage de son amour (ce qu'il fait quand son Evangile est publié) cognoissons que c'est où il nous faut arrester du tout, encores que nous ayons des tristesses, des fascheries. Il nous faut passer outre, et surmonter tout cela, pour nous glorifier en nos miseres et tribulations puis que cest amour de Dieu est imprimé en nos coeurs par son sainct Esprit: c'est assavoir que Dieu nous veut estre Pere et Sauveur, et qu'il nous l'a monstre non seulement de parole, mais aussi par effect en la personne de son Fils unique: lequel il n'a point espargné, mais l'a exposé à la mort pour nous. Voila donc ce que nous avons à noter quand il est ici dit, Que l'homme cueillera vigueur nouvelle, qu'il sera restauré, que sa chair viendra fresche comme en son enfance. Car c'est pour declarer, que combien que nous sentions tous les maux du monde (comme il est certain qu'en passant par ceste vie caduque, il faut que nous ayons beaucoup de povretez) toutes fois Si ne laisserons nous pas d'avoir une ioye qui surmonte, et est victorieuse par dessus tout, quand nostre Seigneur nous console en sa bonté. Et c'est ce que dit S. Paul (Philip. 4, 7), Que la paix de Dieu qui surmonte tout sens humain obtiene la victoire en vos coeurs. Quand il parle de ceste paix de Dieu, il entend la resiouissance qui nous est donnee par la remission de nos pechez. Et au reste il dit, que ceste paix-la surmonte tout sens humain: et puis il adiouste, qu'il faut qu'elle obtiene

IOB CHAP. XXXIII:

101

la victoire et la palme en nos coeurs. Or il signifie que vivans en ce monde nous aurons beaucoup de troubles et de fascheries, que mesmes nous serons environnez de la mort à chacun coup: mais si faut-il que ceste paix de Dieu viene au dessus, et qu'en combatant nous soyons victorieux. Et de fait quand nous voyons que nostre Seigneur nous esclaire, cela nous doit suffire: comme il en est parlé au Pseaume quatrieme (v. 7), que toute l'abondance du monde ne resiouira point tant ceux qui sont charnels, et qui desirent les choses d'icy bas, lesquels s'esgayent s'ils ont bonne annee, et qu'ils ayent à boire et à manger à force. Vray est que les voila bien esiouis: mais si Dieu fait luire sa face sur nous, il faut que nostre ioye surmonte tout ce que les mondains ont accoustumé de desirer.

Or quand Eliu a ainsi parlé, il adiouste quant et quant, L'homme priera Dieu, et l'appaisera, ou le trouvera favorable. Voici encores un article qui emporte beaucoup: pource que sans ceste invocation du nom de Dieu, nous ne cognoissons point droitement le fruict de ceste ioye de laquelle il est ici parlé. Car en quoy est-ce que consiste tout nostre bien? C'est quand nous pouvons venir hardiment à Dieu, et avec ceste liberté que nous pouvons nous reposer comme en son giron quand nous sommes affligez, que nous savons qu'il nous veut estre propice selon qu'il nous l'a promis. Voila, di-ie, le souverain bien des hommes cependant qu'ils vivent ici bas: car defait l'oraison est pour nous approcher de Dieu. Il nous faut cheminer ici par foy, et Dieu nous est absent quant à la veuë: et combien qu'il habite en nous par sa vertu, et qu'il nous face sentir sa grace: tant y a que maintenant nous sommes comme eslongnez de luy quant à l'apparence. Mais en le priant nous montons au ciel, nous venons nous presenter devant sa maiesté, bref nous sommes conioints à luy. Voila donc un lien de privauté qui est entre Dieu et les hommes, en ceste liberté qu'il nous donne de l'invoquer. Or tant y a que nous ne le pouvons prier comme il appartient, sinon que nous ayons cognu sa bonté: comme il est dit au Pseaume cinquieme (v. 8), l'adoreray en ton temple, Seigneur, en la multitude de ta bonté. Iusques a, tant donc que nostre Dieu nous ait certifiez qu'il nous est Pere il n'est point possible que nous osions venir à luy. nostre bouche sera close, nostre coeur sera enserré: bref, nous serons du tout privez et exclus de ce privilege de l'invoquer. Et voila pourquoy il est dit, Que nous avons le sainct Esprit qui nous signe nostre adoption, afin que nous puissions crier Abba, Pere, estans certains qu'il nous veut exaucer. Et en un autre lieu sainct Paul dit, que Dar Iesus Christ nous avons la foy en Dieu. et

102

que ceste foy engendre confiance afin qu'en toute hardiesse nous venions devant ie throne de Dieu pour le prier.

Voila donc ce qui nous est ici monstre, que quand l'homme aura esté ainsi resioui par les promesses de l'Evangile, quant et quant il invoquera Dieu, et le trouvera propice. Et ainsi notons en premier lieu, que toutes les prieres que les hommes font sans avoir gousté la bonté de Dieu, ce n'est que pure fointise, et mesmes cela n'est qu'abomination. Vray est que nous ne pouvons pas estre asseurez comme il seroit requis, et combien que nous prions Dieu nous n'avons point une foy parfaite: mais ie di que si nous n'avons ceste resolution en nous, d'aller à Dieu comme à nostre Pere, d'autant qu'il nous y convie, d'autant que nous sommes fondez sur ces promesses: en le priant nous ne faisons que polluer son nom, et toutes nous oraisons nous seront converties en peché. Et par cela voit-on combien la condition des Papistes est maudite et miserable. Et nous y devons bien penser, afin de gemir voyans leur perdition, et de magnifier tant plus la bonté de Dieu, de ce qu'il nous a retirez d'un tel abysme. les Papistes cuideront prier Dieu assez devotement: voire, mais cependant ils auront ceste maxime qu'il faut estre incertain de la grace de Dieu: et mesmes il n'est point question de gouster ses promesses, mais ils y vont tout à l'aventure. Et voila pourquoy ils font tant de circuits, pourquoy ils cerchent tant de patrons et d'advocats, pourquoy ils inventent tant de moyens d'aller a Dieu: car ils ne luy font pas cest honneur de se ranger à sa parole, et d'y adiouster pleine foy. Ainsi donc voila les Papistes qui sont tousiours en doute, et mesmes ils veulent douter. Et ainsi tant s'en faut qu'ils ayent ce privilege d'invoquer Dieu pour estre exaucez, que plustost ils seront tousiours reboutez: car comme dit S. Iaques (1, 7), quand un homme viendra en doute pour requerir Dieu, il ne faut pas qu'il pense iamais rien obtenir. Et pourquoy? Car il faut que nos oraisons soyent fondees en la parole de Dieu. Et pourtant nous voyons que ce n'est point sans cause qu'Eliu dit ici, que l'homme estant ainsi resioui priera Dieu.

Or maintenant notons, que nous ne pourrons iamais estre disposez à prier, iusques à ce que nous ayons cognu que Dieu nous appelle. Il y a une raison generale qu'il nous faut tenir, suivant ce qui est dit au Prophete (Osee 2, 23), Ie diray, vous estes mon peuple, et vous me respondrez, Tu es nostre Dieu. Il faut donc que Dieu commence et qu'il entonne: si nous voulons estre asseurez de nostre salut, il n'y aura point une bonne melodie, sinon que Dieu ait entonné, c'est à dire que par sa promesse il nous ait donné la hardiesse de le

SERMON CXXVII

103

pouvoir reclamer comme nostre Dieu. Et ainsi toutes fois et quantes que nous avons à prier, que nous commencions par les promesses qui sont contenues en l'Escriture saincte: cognoissons que Dieu nous appelle à soy, qu'il nous promet de nous exaucer, que nous pouvons hardiment aller à luy. Voire, mais que nous ne laissions pas cependant de cheminer en crainte, cognoissans que nous avons à nous presenter devant la maiesté de nostre Dieu. Que cela, di-ie, nous induise à humilité et reverence, comme il est dit en ce passage que ie vien d'alleguer du Pseaume cinquieme, I'entreray en ton temple Seigneur, et t'adoreray là en crainte. Ainsi donc cognoissans la maiesté de nostre Dieu, que nous craignions, abaissons-nous, et nous submettons à luy en toute humilité. Et toutes fois

que nous ne laissions pas tousiours de prendre courage et nous enhardir. Et pourquoy? D'autant qu'il a pleu à ce bon Dieu de nous appeller à soy, et nous promettre que ce ne sera point en vain quand nous viendrons à luy. Voila donc ce que nous avons à noter, Que combien que nous ayons conceu une certitude de la bonté de Dieu, et que nous soyons tout asseurez qu'il nous recevra: toutes fois nous ne laissions pas de nous abaisser en toute humilité devant luy, sachans que nous le trouverons tousiours Pere pitoyable et propice envers nous, quand nous le cercherons tenans le droit chemin tel qu'il nous le monstre.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

104

LE CENT ET VINGTSEPTIEME SERMON,

QUI EST LE VI. SUR LE XXXIII. CHAPITRE.

26. Il priera Dieu, lequel luy sera propice: il verra sa face en ioye: il rendra, à l'homme (ou retournera) sa iustice. 27. regardera les hommes, et dira, I'ay peché, ie me suis destourné du bien, et ne m'a point profité. 28. Il a racheté mon ame, afin qu'elle ne descendist au sepulchre, et ma vie afin qu'elle vist clarté.

Suivant ce qui fut dit hier, ici Eliu nous monstre que quand les hommes sont reconciliez avec Dieu, ils le peuvent invoquer d'une conscience paisible et du tout asseuree. Et c'est le vray fruict de la foy, d'avoir un tel repos que nous sachions que Dieu nous aime, et que nous puissions avoir nostre refuge à luy: car sans cela aussi nostre condition est du tout maudite. Et defait encores que nous ayons tous les biens du monde, nous ne serons point asseurez d'en iouir une minute de temps, sinon que Dieu nous maintiene en la possession d'iceux. D'avantage prenons le cas qu'un homme deust estre à son aise et à son plaisir tout le temps de sa vie: si est-ce que toutes les graces de Dieu luy seront converties en damnation et ruine, sinon qu'il en use purement, et soit asseuré de ceste amour paternelle de Dieu. Nous voyons donc, que si nous ne pouvons invoquer Dieu avec telle certitude que nous serons exancez de luy, et que nos prieres luy seront agreables, c'est pitié de nostre vie. D'autant plus donc nous faut-il

bien observer l'ordre qui est ici monstre par le sainct Esprit: c'est que quand Dieu nous aura certifiez de sa bonté envers nous, ayans cognu qu'en cela il nous est propice, qu'il nous veut pardonner nos pechez, alors nous le pouvons requerir, et nous presenter hardiment devant sa face.

Et voila pourquoy il est adiouste au texte, Que Dieu luy monstrera sa face, et que sa iustice retournera vers luy par ce moyen: ou bien que l'homme verra la face de Dieu. Et il ne nous faut point beaucoup arrester au mot, veu que le sens est tout clair. C'est donc autant comme s'il estoit dit, que les hommes, cependant qu'ils sont redarguez en leur conscience, ne peuvent penser à Dieu qu'avec toute frayeur, et qu'ils voudroyent bien iamais ne sentir rien que soit de luy, et qu'on ne leur en par st plus, qu'on ne leur en fist aucune mention. Et nous voyons defait que les pecheurs, cependant qu'ils sont endormis en leur mal, ne demandent qu'à mettre Dieu en oubli, et quand on en fait memoire, ce leur est un torment insupportable, comme si un malfaicteur estoit amené devant son iuge. Voila donc comme les povres creatures, cependant qu'elles sont ensevelies en leurs pechez, ne peuvent regarder Dieu qu'avec angoisse. Mais quand nous avons tesmoignage de la remission de nos pechez, alors nous venons hardiment à Dieu, nous pensons à luy, nous en oyons volontiers parler, et mesmes nous contemplons sa face

IOB CHAP. XXXIII.

105

avec ioye. Et c'est ce que sainct Paul dit, que nous trouvons paix envers Dieu quand nous sommes iustifiez par foy. Or par ce mot il signifie, que les meschans ne reposent point, sinon quand ils sont assoupis, ou plustost eslourdis en sorte qu'ils ne regardent point à Dieu. Voila comme les gens prophanes, et ceux qui ne demandent qu'à se nourrir en leurs vices taschent d'oublier Dieu, et là dessus ils se reposent: mais quand Dieu se ramentoit, ils sont esveillez, voire pour estre tormentez. Au contraire si nous sommes certifiez que Dieu nous reçoit à merci (comme la foy nous en est un bon tesmoignage et seur) nous allons hardiment à Dieu, et avons paix avec luy: et d'autant plus que nous approchons de sa maiesté, d'autant plus avons-nous de confiance de nostre salut, voyans qu'il ne demande sinon de nous estre Pere, comme il l'a monstré defait.

Or le propos qui fut hier tenu nous est encores conformé derechef, quand il est dit, que la iustice sera rendue à l'homme. Eliu avoit dit ci devant, Que si une povre creature est en affliction, qu'elle sente l'ire de Dieu et sa vengeance, il n'y a moyen de la resiouir, et mesmes de luy restituer la vie, sinon que l'Evangile soit presché, que Dieu envoye gens qui annoncent purement sa parole, par laquelle le povre pecheur quand il seroit abysme, cognoisse que la porte de paradis luy est ouverte. Eliu en traittant cela disoit, que celuy qui annonce l'Evangile declarera, à celuy qui est ainsi traitté, sa droiture. Et quelle est ceste droiture? Nous avons declaré que ce n'est pas que les hommes en eux-mesmes soyent droite, ne qu'ils puissent consister devant Dieu: mais ceste droiture est quand Dieu ensevelist leurs fautes, et ne les leur impute point, d'autant qu'il les en nettoye par sa bonté gratuite. car le sang de Iesus Christ est le lavement spirituel de nos ames, voire quand elles sont arrousees par le sainct Esprit ainsi que sainct Pierre le monstre (1. Pier. 1, 2). Voila aussi comme ce passage ici doit estre entendu, que la iustice est rendue à l'homme, ou qu'elle reviendra vers luy. Car cependant que Dieu nous poursuit comme iuge, et nous adiourne pour rendre conte, nous sommes accablez de nos offenses: il ne faut point d'autre procez, ne tesmoins contre nous. Mais quand Dieu nous rappelle à soy, et nous monstre qu'il y a un bon remede pour estre delivrez de l'obligation de mort en laquelle nous sommes, c'est de mettre toute nostre fiance en la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, et recevoir et embrasser les promesses de salut qui nous sont donnees: voila comme nostre iustice retourne vers nous, laquelle auparavant en estoit eslongnee et de laquelle nous estions du tout desnuez Ainsi donc, apprenons de ne plus nourrir

106

nos pechez en nostre sein: car nous ne gaignerons rien voulans mettre des emplastres pour couvrir nos vices: la puantise s'augmentera tant plus: il faudra que nous en crevions en la fin, et que nous soyons du tout infectez. Il n'est point donc question de nous flatter, et cercher de vains subterfuges mais venons droit à Dieu, souffrons d'estre redarguez par luy. Et. quand nous aurons quelques remords de conscience, que nous recevions cela pour nous humilier, pour nous desplaire en nos iniquitez: si nous avons mal profité aux admonitions que Dieu nous aura envoyé, pour le moins ne soyons point incorrigibles quand il nous chastiera: et quand nous serons batus de ses verges, que nous en soyons tellement abbatus en nous, qu'il ne nous reste sinon de cercher sa pure misericorde, voyans que nous sommes du tout abysmez, s'il ne nous subvient. Voila donc comme il nous en faut faire. Et par ce moyen ne doutons point que la iustice ne nous soit rendue: comme il est dit par le Prophete Isaie (1, 18), que quand nous serions tout sanglans en nos pechez, que mesmes la teinture seroit confite en nous, Dieu nous blanchira comme neige, moyennant que nous retournions à luy en pureté de coeur. Et là dessus ne pensons point que Dieu nous pardonne nos pechez pour nous laisser comme endormis: mais c'est afin que nous le requerions, et que nous facions valoir ce privilege qu'il nous donne, c'est d'avoir la hardiesse de l'invoquer comme nostre Pere, et d'estre asseurez qu'il nous exaucera.

Or Eliu ayant ainsi parlé adiouste, Il regardera aux hommes, et dira, I'ay peché, ie me suis destourné du bien, et il ne m'a rien profité: il a delivré mon ame de la fosse. Ce passage est exposé par aucuns, comme si Eliu parloit de Dieu, disant qu'il regarde ainsi les hommes: et si quelqu'un dit, I'ay failli, qu'alors Dieu delivre son ame de la fosse, et luy rend la clarté de vie, au lieu qu'il estoit aux tenebres de mort. Mais pource qu'il y a de mot à mot, Il regardera les hommes, et dira, I'ay failli, ie me suis destourné du bien, et ne m'a rien servi, ou cela ne m'a pas esté equitable ou convenable: on voit et peut-on facilement recueillir qu'Eliu continue son propos, monstrant que ceux qui auront esté ainsi humiliez iusques à sentir leurs fautes, iusques à estre au bord du sepulchre: quand Dieu leur fait ceste grace de les rappeller, et qu'il leur donne esperance de vie, et mesmes qu'il resiouist leurs coeurs afin qu'ils le puissent invoquer en vraye certitude de foy, puis apres se convertissent aux hommes et leur declarent leurs povretez, afin de magnifier la bonté infinie de Dieu, laquelle ils ont sentie. Et c'est le second fruict de la remission des pechez, Que quand le povre pecheur cognoist que Dieu ne l'a point du tout reietté, mais

SERMON CXXVII

107

qu'encores il luy donne ouverture et accez pour venir à luy: tout ainsi qu'il s'appuye là dessus pour invoquer Dieu, et qu'alors il fait valoir le fruict de la foy, aussi il faut qu'il confesse ceste bonté de Dieu envers les hommes, et qu'il n'ait point honte aussi de monstrer la povreté en laquelle il estoit, iusques à ce que Dieu l'en ait delivré par sa misericorde. Bref, tout ainsi qu'apres que Dieu nous a envoyé les promesses de son Evangile, nous avons à le recognoistre et requerir: aussi faut-il que nous gemissions devant les hommes. Car ce n'est point assez qu'un chacun en son privé prie Dieu: mais il faut que sa gloire soit magnifiee par nous, et qu'un chacun s'employe à inciter ses prochains, et que nous soyons ainsi edifiez les uns par les autres: et que celuy qui aura experimenté combien Dieu est bon et pitoyable, le monstre aux autres, et qu'on y prene exemple: et quand nous aurons un tel accord entre nous, qu'aussi nous preschions les louanges de Dieu par ensemble: comme chacun est tenu et obligé à luy, et n'y a homme mortel qui ne puisse bien confesser à bon droit, que Dieu l'a retiré cent fois du sepulehre, et l'a vivifié. Voila donc en somme l'intention d'Eliu. Or pour mieux faire nostre profit de ce passage, notons qu'il nous faut tousiours entrer en nous-mesmes, et puis aller à Dieu, et puis venir à nos prochains. Voila donc trois choses qui sont à observer, et c'est un ordre que nous devons bien tenir.

Le premier c'est, que les hommes examinent bien leurs consciences, et qu'ils regardent à toute leur vie. Et pourquoy? Pour estre confus en toutes leurs iniquitez: car iusques à tant que nous ayons bien apperceu que nous sommes plus que miserables, comment aurons-nous nostre recours à Dieu? Nous ne serons point esmeus pour le requerir et luy demander pardon. Ainsi donc il est besoin de commencer par ce bout que i'ay dit, c'est assavoir de sentir nos fautes combien elles sont grieves, de sentir aussi et apprehender l'ire de Dieu, afin que nous soyons comme esperdus, que nous voyons les enfers comme ouverts pour nous engloutir, que nous soyons tout estonnez pour demander, Helas! qu'est-il de faire? Que nous n'ayons nul repos en nous-mesmes, mais que languissans pour nos miseres nous venions d'un zele ardant cercher le Seigneur. Voila donc le premier degré par où il nous faut monter.

Or le second est, que nous venions à Dieu, et que voyans qu'il n'attend pas que nous le cerchions, mais que par sa bonté infinie il nous previent: voire d'autant qu'il nous inspire, afin que nous le requerions, et que nous ayons nostre refuge à sa misericorde, que nous venions là: quand donc nous avons quelque promesse de sa bonté qui nous est

108

mise au devant, voyans qu'il cerche les pecheurs pour les ramener de mort à vie, que nous prenions ces promesses-la, et que nous les appliquions à nostre usage: Et bien, mon Dieu, tu declares que tu veux recevoir les povres pecheurs à merci: m'en Voici l'un et mesmes ie suis tant esperdu que ie ne say pins que faire. Ie ne doute point donc Seigneur, que tu ne me faces sentir ta grace et bonté. Ainsi Seigneur ie m'arresteray là: et combien qu'il y ait beaucoup de troubles et de fascheries qui m'environnent, et qui seroyent pour me destourner de toy: si est-ce Seigneur que ie m'arresteray à tes promesses, et là dessus ie t'invoqueray, sachant que tu me fortifieras contre toutes les tentations de Satan. Voila donc comme il nous en faut faire.

Il y a pour le troisieme, ha conclusion dont Eliu parle ici: c'est que nous declarions à nos prochains la bonté de Dieu, entant que besoin est pour les edifier: et qu'il soit aussi loué d'un commun accord, et que tous confessent qu'il n'y a salut qu'en sa misericorde, et que nous sommes tous damnez, sinon que nous ayons ce seul remede de la bonté de nostre Dieu. Voila, di-ie, les trois degrez qu'il nous faut tenir. Or i'ay dit qu'il nous faut commencer par nous-mesmes Et pourquoy? Nous en verrons beaucoup qui prescheront à pleine bouche les louanges de Dieu: mais ils ne les ont pas bien meditees en leur coeur. Il y en a qui pensent s'estre acquittez, quand ils se feront bien ouir O mon Dieu aye pitié de moy, é i'estoye ceci, i'avoye fait cela. Il est vray qu'encores telles gens auront quelque sentiment en eux, et ne parlent point du tout par hypocrisie: mais si est-ce qu'il y a du vent beaucoup, et qu'ils auront la bouche plus large que le coeur. Car à grand peine auront-ils gousté la misericorde de Dieu: et ils voudront qu'on pense qu'ils l'ont sentie iusques au bout, et qu'ils en sont tout pleins et rassasiez. Or il y a de la vanité et de l'ambition en telles gens, quand ils eslargissent ainsi leur bouche pour bien parler, et que cependant ils n'ont point medité comme il appartient la grace de Dieu pour la sentir, afin qu'elle fust bien imprimee en leur conscience, et qu'ils en fussent vrayement nourris. Voila pourquoi i'ai dit, que devant que parier il faut que nous ayons bien apprehendé ce que nous avons veu par ci devant: c'est assavoir que nous ayons bien enquis sur nos pechez, que nous ayons esté diligens à cognoistre combien nous sommes miserables, et que nous soyons venus iusques là d'estre comme engloutis aux abismes d'enfer. Et puis apres, qu'estans ainsi confus, nous embrassions les promesses de Dieu pour en avoir un tel sentiment et si vif, que nous le puissions invoquer en pleine confiance. Il est vray que cela ne sera

IOB CHAP. XXXIII.

109

point en perfection: mais tant y a qu'il nous y faut venir, il nous faut avancer là, il nous y faut efforcer. Et bien avons-nous fait de tels efforts? O le temps est d'ouvrir la bouche, et magnifier la bonté de Dieu: afin qu'à nostre exemple chacun soit attiré à luy, et que tous cognoissent, qu'il n'y a autre attente de salut, qu'en sa bonté infinie, quand il luy plaist faire valoir la mort et passion de son Fils pour abolir nos offenses, afin que nous soyons reputez iustes devant luy, que nous soyons lavez de nos macules et pollutions. Or ici il n'est point question d'une confession des Papistes: mais c'est la confession Chrestienne, laquelle devroit estre mieux pratiquee entre nous qu'elle n'est pas.

Nous avons declaré cy dessus, que c'est un blaspheme execrable en la Papauté d'attacher la remission des pechez à une confession qui se fait en l'aureille d'an homme: car Dieu n'a iamais requis cela. Et defait il est impossible que les hommes puissent cognoistre la centieme partie de leurs fautes, ie di des plus lourdes. Et que sera-ce donc, s'ils veulent nombrer les offenses qu'ils commettent sans y penser? C'a donc este comme un gouffre d'enfer que la confession qui est entre les Papistes. Mais il y a une confession Chrestienne laquelle est approuvee par la parole de Dieu: c'est assavoir qu'en general nous confessions nos pechez, et que quand nous aurons commis quelque scandale, un chacun recognoisse ses fautes pour reparer le mal. Voila, di-ie, ce que nous avons à faire, quand Dieu nous aura affligez. et que puis apres il aura remedié à nos maux: il n'est point question d'aller souffler en l'aureille d'un homme, pour dire là tous nos pechez: ny aussi de monter sur un eschaffaud pour raconter par le menu les fautes que nous aurons commises, et quelles elles sont. Nenni: mais il faut seulement que nous confessions en general nos povretez: et puis, que nous facions ceste conclusion, Que nostre Seigneur nous a obligez à 60y tant et plus, de ce qu'il a donné une issue desirable et heureuse à nos afflictions, qui estoyent pour nous accabler, sinon qu'il nous eust tendu la main, et qu'il nous eust redresse. Or il y a aussi quand nous avons offensé nos prochains, que nous avons donné mauvais exemple: que nous cognoissions nos fautes, et que nous n'ayons point de honte de les confesser estans confus en nous. I'ai dit que ceste confession ici estoit bien mal pratiquee entre nous: car nous voyons l'orgueil qui est en la plus part. Vray est qu'ils n'osent pas dire, Nous sommes iustes: mais il n'y a qu'un manteau d'hypocrisie quand ils se confessent pecheurs: ils disent, Tous hommes le sont: et chacun devroit sentir son mal, au lieu que nous venons nous couvrir du manteau des autres. Et c'est se mocquer de Dieu que cela. Ainsi donc quand nous voulons confesser en verité

110

comme nous sommes tenus à Dieu, et nous humilier devant luy: que nous parlions, selon que nous l'avons senti en nos consciences et la povreté où nous estions plongez, et de quelle mort Dieu nous a fait sortir. Voila pour un Item.

Il y en aura aussi d'autres: que quand ils auront commis quelque scandale, Dieu aura esté blasphemé, une paillardise aura infecté une rue: si on les reprend, ils diront qu'on les veut ramener en la Papauté, pource qu'on leur remonstre leurs fautes. Voire, comme si Dieu vouloit que les scandales fussent nourris, et que celuy qui aura mis trouble en l'Eglise, le gaignast par sa durté et obstination. Ainsi donc notons, quand Dieu descouvre nos pechez, que c'est afin que si nous avons fait un trouble ou scandale, nous taschions de le reparer, et que nous n'ayons point honte d'ouvrir la bouche pour cognoistre l'offense que nous avons commise. Et c'est ce qui nous est maintenant monstre, Que le pecheur quand il requerra Dieu pour obtenir pardon et puis qu'il ira a luy privément, le tenant pour son Pere, se confiant en sa misericorde: il s'adressera aussi aux hommes: et ne priera point seulement en cachette, il ne parlera point seulement en son coeur pour dire, l'ay peché et pour demander pardon, et se retourner à Dieu: mais il se tournera aussi envers ses prochains. Et qu'au lieu qu'auparavant il eust voulu tromper Dieu, il eust voulu endormir sa conscience, il concevra en soy une desplaisance et une confusion telle que Dieu en sera glorifié, que ceux qui estoyent comme endormis se resveilleront que ceux qui estoyent degoustez prendront quelque goust en la grace de Dieu, ceux qui estoyent engloutis en angoisse cognoistront, Voici Dieu qui nous ouvre la porte pour venir à luy: bref, que ceux qui estoyent comme desesperez, recouvreront esperance de vie et de salut. Voila donc ce que le S. Esprit en somme nous a voulu declarer en ce passage, Que quand nous prierons Dieu chacun en son privé et en secret, il faut pareillement que nous luy facions un sacrifice general devant les hommes, en cognoissant combien nous sommes tenus à sa bonté, et en nous humiliant en nos pechez, sentans que nous estions creatures damnees, si Dieu n'eust en pitié de nous. Il est donc dit, Il regardera aux hommes.

Or il nous faut noter cest ordre duquel i'ay desia fait mention. Car Eliu n'a point commencé par ce bout: mais il a dit d'entree, le pecheur sera resveille, voire quand Dieu luy envoyera des remords de conscience. Et s'il ne reçoit point cela, et ne fait point son profit des admonitions qu'il aura receuës, qu'il ne craigne point le iugement de Dieu pour les menaces qu'on luy aura faites: il sentira sa main si dure et Si pesante, qu'il sera contraint de sentir sa confusion pour gemir, qu'il sera là

SERMON CXXVII

comme trespassé. Et puis quand il sera question de le vivifier, Dieu fera que l'Evangile lui sera presché, que les promesses de salut lui seront offertes: et il les recevra et en fera son profit. Sur cela il invoquera son Dieu, et concevra une telle confiance, que sans aucune doute il viendra, à Dieu comme à son Pere pour dire, Puis que Dieu m'a adopte au nombre de ses enfans, ie puis bien avoir ceste liberté de venir à lui: et quand il me convie aussi doucement ie ne doi pas douter qu'il ne me vueille recevoir. Cela est-il fait? Il est temps de regarder aux hommes. Si nous regardions aux hommes en premier lieu, et que nous fissions de belles confessions devant qu'avoir gemi et estre bien touchez là dedans, ce seroit pervertir l'ordre de nature: mais apres avoir bien senti les troubles du iugement de Dieu, et que puis apres nous pouvons recevoir les promesses de l'Evangile, et invoquer nostre Dieu, nous fier en lui, et nous appuyer sur sa misericorde et bonté paternelle, quand nous avons senti qu'il nous veut estre propice, et qu'il est prest de nous recevoir à merci: apres que nous avons fait tout cela, il est temps de regarder les hommes, c'est à dire d'edifier nos prochains en second lieu. Ceci donc est inferieur à ce qui a esté declaré par ci devant.

Or en regardant les hommes qu'est-il de faire? Dire, I'ai peché, Ie me suis destourné du bien, i'ai este un homme miserable. Ici donc il nous est monstré comment Dieu doit estre glorifié de nous: c'est assavoir que nous ne recognoissions que lui seul estre iuste, et qu'il n'y a en nous qu'iniquité, comme sainct Paul en parle au troisieme des Romains (v. 4). Car quand il dit là, Que Dieu est iustifié, il entend qu'il faut que nous soyons condamnez en premier lieu. Si Dieu estoit reputé iuste, et nous avec lui: que seroit-ce? Il auroit une iustice commune et meslee parmi les hommes. Mais quand nous sommes tous convaincus, et que nul n'ose s'exempter, mais qu'au contraire nous passons condamnation volontaire, et que nous avons nostre recours à la seule bonté de Dieu, cognoissans que c'est à lui qu'il appartient de nous iustifier d'autant qu'il est la fontaine de toute iustice: voilà comme il est recognu iuste. Ainsi donc apprenons de faire ce qui nous est ici monstré: car c'est une regle generale pour tous fideles, qui n'est point donnee d'un homme mortel, mais du sainct Esprit. Voulons-nous donc publier la bonté de Dieu, laquelle il nous a monstree en nous pardonnant nos pechez? Il faut faire ceste confession de bouche à salut: comme aussi S. Paul en parle au dixieme des Romains (v. 10), Que nous croyons de coeur à iustice, et faisons confession de bouche à salut. Et S. Paul est un bon expositeur et fidele de ce passage ici: car (comme desia nous avons declaré) si

112

nous commençons par la bouche, il n'y aura que vent et fumee: mais il faut que nous croyons de coeur, c'est a dire que chacun se recueille à Dieu et qu'il entre en soi, et puis qu'il medite les promesses, afin d'avoir son refuge à Dieu et en sa pure misericorde. Avons nous fait cela? Il faut que la bouche suive en second lieu. Nous ferons donc alors confession de bouche à salut, quand nous aurons ainsi creu de coeur à iustice. Tant y a que si faut-il, que ces deux choses soyent coniointes comme nous voyons qu'elles sont inseparables.

Or quand il est dit, I'ay peché et me suis destourné du bien, et ne m'a rien profité: le sainct Esprit nous monstre qu'il nous faut faire une confession pure en franche, qu'il ne faut point que nous parlions à demi, comme ces hypocrites qui diront, O il est vrai que tout le monde est pecheur, et tous sont coulpables: les voila bien acquitez, ce leur semble. Or il n'est point question de se iouer ainsi avec Dieu: mais il faut que nous aggravions nos pechez, c'est à dire, que nous sentions que ce nous est un fardeau insupportable: comme nous voyons aussi que Daniel en fait (9, 5), Seigneur, nous avons peché. Est-ce tout? Nenni: mais il adiouste, Nous avons fait meschamment, nous avons transgressé desloyaument ta Loi, nous avons este malins et pervers. Pourquoi est-ce que Daniel adiouste tant de mots, et qu'il fait là un tel amas? C'est pour nous monstrer, que ceux qui se veulent ainsi acquitter envers Dieu à la legere, disans un petit mot de leurs fautes, ne sont qu'hypocrites, et que iamais ils n'ont senti que c'est de leurs offenses. Ainsi donc notons bien qu'il n'y a rien de superflu en ce passage, quand Eliu apres avoir monstré que le pecheur qui aura este absous de Dieu, confessera sa faute, ne dit point seulement, I'ay peché, mais il dit, Ie me suis destourné du bien. En quoi il signifie que l'homme ne doit point craindre de confesser la dette entierement, pour dire, I'ay este du tout pervers et malin, ie m'estoye desbauché, ie m'estoye aliené du chemin de salut, ie m'estoye dresse contre Dieu, ie m'estoye addonné à Satan entant qu'en moi a esté. Voila donc comme il nous en faut faire: et non point par contenance, mais que le coeur parle devant Dieu: et puis que nous ayons un accord aussi de la bouche, pour confesser devant les hommes ce que nous avons senti en nous. Voila donc en somme ce qui nous est ici monstré.

Or maintenant appliquons ceci à nous, et regardons quel accez nous donnons à Dieu de desployer les thresors de sa bonté envers nous. Car on ne verra par tout qu'une durté et impudence. Auiourd'hui combien y en a-il qui s'humilient? Au contraire tous sont bestes sauvages, et les plus coulpables seront les plus effrontez à maintenir leur

IOB CHAP. XXXIII.

113

iniquité, et pour venir heurter des cornes toutes fois et quantes qu'on les veut corriger: et ceux là neantmoins ne laissent point dé se vanter de l'Evangile. O la reformation ne leur couste gueres: mais qu'est ce que l'A B O des Chrestiens, et quelle est la premiere leçon qu'il nous taut recorder, sinon ceste-ci? Que nous soyons esclairez pour cognoistre l'ire de Dieu, et sentir nos pechez combien ils sont enormes, pour nous y desplaire, et y estre du tout confus: pour embrasser la misericorde de Dieu, et l'apprehender, afin d'estre reconciliez avec lui au nom de nostre Seigneur Iesus Christ, et par le moyen de sa mort et passion: et puis finalement de confesser devant les hommes nos povretez, afin que la louange de tout soit rendue à Dieu, comme elle lui appartient. Voila, di-ie, en quoi nous devrions estre tout accoustumez. Mais quoi? comme i'ai desia touché, si un homme a failli, et non point legerement, mais l'un sera un yvrongne, l'autre un paillard, l'autre un blasphemateur, l'autre sera plein de malice et de cruauté, l'autre aura batu un qui ne lui demande rien: or si on leur remonstre leurs fautes, qu'est-ce qu'on verra la? Des bestes sauvages qu'on ne peut nullement dompter, qui mesmes ne font que se mocquer de toutes les admonitions qu'on leur fera: car à grand peine de dix l'un y en aurait, qui ait quelque humilité et modestie on soi, pour confesser la dette quand il aura failli. Et puis qu'ainsi est, ne fermons-nous point la porto à nostre Dieu? No reiettons-nous point la grace qui nous est offerte par l'Evangile? Bref, nous ne pouvons souffrir que Dieu nous pardonne nos fautes. Et ainsi voyons-nous, qu'il faut que l'Evangile se preche à beaucoup de gens pour leur oster toute excuse, et les abysmer au profond d'enfer, d'autant qu'ils n'en peuvent faire leur profit. Tant y a que le sainct Esprit nous solicite à recevoir l'exhortation qui nous est ici faite. Ainsi donc combattons contre l'orgueil, et l'hypocrisie qui est on nous: car ce sont doux choses qui nous empeschent de nous humilier devant Dieu, et de confesser la dette devant les hommes. L'hypocrisie fait que nous taschons tousiours de couvrir nos pechez, et faisons semblant de nous addonner au bien, cependant que nostre coeur on est eslongné, et que nous allons tout au contraire. Et puis il y a l'orgueil, que nous voulons tousiours estre on bonne reputation, helas! nous cercherons estre estimez des hommes, ou bien pour le moins estre exemptez de reproche: encores que nous cognoissions nos pechez, si ne voulons-nous pas qu'on nous les remonstre: et cependant voila nostre condamnation qui s'augmente et redouble devant Dieu et devant ses Anges. Et ainsi apprenons de dompter cest orgueil iusques à ce qu'il soit pleinement abbatu, tellement qu'on toute humilité nous venions à nostre Dieu: et non seulement

114

que devant lui nous confessions nos miseres, mais que nous taschions d'edifier nos prochains. Si on demande, Et pourquoi est-ce qu'il nous faut parler ainsi devant les hommes? Il y a doux raisons. L'une c'est, que Dieu soit cognu lui seul iuste, comme i'ai dit, et que sa grace apparoisse et reluis . Combien que Dieu se puisse passer de nostre confession, si est-ce neantmoins qu'il veut que cela soit tout patent et notoire, Que nous lui sommes redevables: et nous voyons qu'il est impossible que sa bonté soit cognuë envers nous, sinon que nous soyons pleinement abbatus et comme desesperez.

Voila donc la premiere raison, pourquoy nous devons confesser envers nos prochains la bonté que nous avons sentie en Dieu, quand il nous a retirez de la mort, et de la perdition où nous estions plongez. Et puis il y a la raison seconde: c'est que les autres soyent edifiez par nostre exemple. I'ay esté exercé en affliction, et Dieu m'en aura retiré, il m'a fait ceste grace: il est bon que les autres en soyent advertis, et quand Dieu les affligera, à leur tour, qu'ils sentent, Voici la main de Dieu sur moy, il m'adiourne. Et pourquoy? Car i'estoye comme enyvré on mes pochez, i'estoye comme une beste esgaree. Or ie voy maintenant qu'il me veut retirer à soy, il me veut remettre au chemin de salut. Il est donc bon que les autres soyent advertis de l'oeuvre de Dieu que nous aurons sentie en nous: comme de fait nous voyons que le confessions qu'ont fait les fideles du temps passé, nous servent auiourd'huy de doctrine. Si nous n'avions l'exemple de David en tant d'afflictions qu'il a senties, et desquelles il est venu à bout: si tost que nous sentirions quelque petit mal, nous serions comme au desespoir. Mais quand nous voyons que l'issue a esté bonne et profitable à David, et qu'il confesse que ce luy a esté une chose necessaire d'estre ainsi affligé et chastié de la main de Dieu: et bien, nous esperons en Dieu, et recourons à luy, sachans que son office est de retirer du sepulchre apres qu'il y aura plongé les hommes. Ainsi donc quand nous confessons nos pechez, et que nous recitons comme Dieu nous a visitez pour un temps en rigueur, et puis qu'il nous a vivifiez: c'est pour instruire nos prochains afin qu'ils ne soyent nouveaux, et ne trouvent estrange quand Dieu les visitera en leur rang, et que (comme i'ay dit) ils se cognoissent povres pecheurs, et se cognoissans tels ils cerchent le remede, c'est assavoir de mettre leur fiance en la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ et que de plus en plus ils soyent incitez à le servir et adorer, quand ils auront experimenté sa bonté et misericorde, de ce qu'il les aura ainsi receus à merci. Voila donc comme ce qui est ici monstré n'est point inutile: car

SERMON CXXVIII

115

par l'exemple d'un homme il y en a cent d'edifiez et instruits. Et pourtant apprenons de n'estre point nonchalans, quand nostre Seigneur nous aura fait grace, que nous ne magnifions ceste bonté-la devant les hommes, et qu'elle ne soit preschee d'un commun accord.

Or il est dit puis apres pour conclusion: Il a delivré mon ame de la fosse, et ma vie qu'elle n'entrast point au sepulchre. Il est vray que ceci ne se pourroit pas du tout depescher maintenant: mais il suffira que nous en ayons un petit sommaire, selon qu'il est mestier de conioindre ceste partie à ce que desia nous avons declaré. Il a este parlé de la confession des pechez, que les hommes ne doivent point avoir honte de se condamner. Or cela est-il, Il faut adiouster quant et quant la louange de Dieu en ce que nous avons cognu sa bonté. Il est donc dit, I'ay peché, ie me suis destourné du bien: voire, et cela ne m'a rien profité: mais mon Dieu m'a retiré de la fosse. Comme donc le sainct Esprit nous a enseignez à recognoistre nos miseres pour y estre confus: il veut quant et quant que nous preschions la misericorde de Dieu, selon que nous l'avons sentie, et qu'il n'a point permis que nous perissions, comme il en fust advenu, sinon qu'il y eust remedié. Or notons bien qu'il est ici dit aux pecheurs, qu'ils ne profitent rien cependant qu'ils resistent à leur Createur. Que gaignerons-nous donc, cependant que nos pechez seront couverts et que nous n'y penserons point, et que mesmes

nous les nourrirons par vaines flateries? Helas! helas! c'est tousiours à nostre plus grande perdition Ma quand Dieu descouvre nos iniquitez, qu'il nous les fait sentir, voila comme il procure, nostre profit: car par cela il nous incite de recourir à luy. Voila donc en premier lieu ce que nous avons à noter en ce passage. Et au reste notons aussi que quand nous sommes reiettez de Dieu que le mal nous est imputé, il n'y a plus de remede que nous ne soyons perdus, iusques à tant que nostre Seigneur nous ait receus à merci, et qu'il nous soit pitoyable. Et ainsi toutes fois et quantes que Dieu nous pardonne nos pechez, c'est autant comme s'il nous avoit ressuscitez: tellement qu'il faut conclure que quand nous sommes ainsi reconciliez avec Dieu, voila une resurrection qu'il a faite de nous. Nous estions morts, il n'y avoit nulle esperance de vie quant à nous: et il nous a tendu la main pour nous remettre en vigueur, et nous faire approcher de luy. Ainsi donc apprenons de magnifier la grace de la remission de nos pechez, cognoissans que Dieu nous vivifie toutes fois et quantes qu'il luy plaist nous recevoir à merci: et selon que nous voyons que Satan ne cesse de nous destourner d'un tel bien, que nous soyons tant plus enflammez et incitez de l'exalter haut, comme il le merite.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

LE CENT VINGTHUICTIEME SERMON,

QUI EST LE VII. SUR LE XXXIII. CHAPITRE.

29. Voici, Dieu fait par trois fois toutes ces choses à l'homme. 30. Pour retirer son ame du sepulchre, pour estre illuminé en la clarté d e vie. 31. Enten Iob, escoute moi: tai-toi, et ie parlerai. 32. Et si tu as propos, respons moi, parle: car ie desire de te iustifier. 33. Sinon, escoute moi, tai-toi, et ie t'enseignzerai sagesse.

CHAPITRE XXXIV.

1. Et Eliu parlant derechef dit, 2. Vous sages oyez mes propos, et vous gens entendus escoutez moi. 3. Car l'aureille esprouve les paroles, et le palais iugera des viandes.

Nous avons veu par ci devant comme Dieu prouvoit à nostre salut. Car d'autant que nous sommes creatures miserables, il faut bien que de

son costé il remedie à nos vices, ou autrement il n'y a nulle esperance. Nous voila donc tons perdus et ruinez, sinon que Dieu ait pitié de nous. Or le moyen nous a esté declaré: c'est qu'il nous apprend à recevoir sa grace, maintenant par chastimens qu'il nous donne, maintenant par afflictions, et avec grands coups de verges: et s'il voit que nous soyons durs et tardifs, il renforce les coups, tellement que nous sommes contraints de venir à lui, comme estans du tout defaillis, et que nous n'en puissions plus. Sur cela, il nous console en

IOB CHAP. XXXIV.

117

telle sorte, que nous pouvons venir à lui, nous le pouvons invoquer, et sentons qu'il nous est propice: et ayans senti une telle grace, nous la cognoissons envers les hommes, et y sommes tant plus confermez, et y confermons aussi nos prochains. Or Eliu ayant traitté tout cela, adiouste, Que ce n'est pas pour un coup que Dieu nous iustifie ainsi mais qu'il reitere ceste instruction. Et pour" quoi? Et d'autant que nous ne sommes pas si bons escoliers, que nous profitions assez du premier iour, il faut donc que Dieu continue à mortifier les passions qui sont en nous pour nous attirer à soi, pour nous humilier, et puis pour nous consoler. Or Ri cela se fait pour un coup, nous l'avons tantost oublié, et retournons à nostre nature, ou bien il n'y aura pas une telle vertu, que nous cheminions comme il appartient. Nous avons maintenant l'intention d'Eliu, ou plustost du sainct Esprit. Et ce nous est une doctrine bien necessaire: car outre ce qu'en la Papauté on a comme enseveli la iustice gratuite, par laquelle Dieu nous sauve, quand il y a eu des gens plus moderez: encores ont-ils obscurci et enveloppé ceste doctrine en telle sorte, que ce leur a este assez de dire que Dieu nous iustifie par sa bonté: mais que cela est seulement pour un coup, et que quand nous sommes ainsi reconciliez avec lui, c'est à nous de meriter, et de nous tenir en possession de la grace que nous avons receuë. Or par cela l'homme est du tout desesperé: car si nostre Seigneur nous tend la main pour un iour seulement, et qu'il ne face que nous mettre au bon chemin (ie vous prie) comment poursuivrons-nous iusques au bout, attendu la fragilité qui est en nostre chair, et de laquelle nous ne sommes que par trop convaincus? Et aussi la grace de Dieu nous seroit inutile, sinon qu'il la continuast iusques en la fin, et que ce fust tousiours à recommencer, comme il en est besoin.

Au reste, nous voyons que nostre chair s'esgaye par trop: encores que pour un temps nous ayons esté domptez, et qu'il semble que nous soyons tout disposez à porter le ioug, ne cerchans sinon d'obeir a Dieu: nous sommes tout esbahis qu'en un rien nous sommes changez, qu'il y a des rebellions qui nous sont cachees qui s'eslevent, et Satan qui sait les moyens comme nous serons desbauchez, vient à nous seduire par astuces. Que seroit-ce donc, si Dieu nous corrigeoit seulement pour une fois, et qu'il nous laissast là pour tels que nous sommes? que seroit-ce s'il nous consoloit un iour, et puis de nous-mesmes nous fissions valoir la consolation que nous aurions receuë? Il est certain que tout s'escouleroit, voire et bien tost. Et ainsi il est plus que necessaire que Dieu recommence à chacun coup, veu que nous retournons à nos desbauchemens, veu que ses verges ne sont

118

pas si bien imprimees en nous, que nous en ayons telle memoire comme il seroit requis, veu que nous ne sommes pas ardens à l'invoquer, mais que nous voltigeons plustost, et extravagons en nos vanitez: au lieu de cercher en lui nostre salut, nous sommes transportez çà et là: que nos esprits sont si volages, qu'ils ne se peuvent arrester où ils devroyent, il faut donc qu'ils vaguent continuellement et sans cesse. Et quand Eliu met ici trois fois il entend plusieurs fois à la façon commune de l'Escriture saincte: non point pour determiner un certain nombre, mais pour monstrer que nostre profit est que Dieu nous ait ainsi affligez: car nous sommes par trop muables et inconstans, il faut donc qu'il retourne derechef à nous, ou ce qu'il aura fait ne servira rien. Or il conferme le propos qu'il avoit tenu quand il a retiré nos ames du sepulchre, et nous a vivifiez en la clarté de vie, c'est encores pour nous adoucir la rigueur des chastimens que nous sentons de la main de Dieu: car il est impossible que nous ne les fuyons entant qu'en nous est, pource qu'ils sont contraires à nostre nature. Nous voudrions bien que Dieu nous traittast selon nostre appetit, et que iamais il ne nous fust rude, que iamais nous ne fussions troublez en nos esprits, que nous eussions tousiours nos aises, et qu'il nous entretint en ioye et en repos. combien, mais suivant ce que nous avons dit, il n'est pas bon que Dieu nous traitte à nostre phantasie, mais qu'il ait son iugement par dessus, et qu'il nous envoye ce qu'il sait nous estre expedient. Ainsi donc regardons la fin et l'issue de nos afflictions pour nous y consoler: c'est qu'elles nous servent de medecines. Voila pour un Item.

Ainsi donc combien qu'elles nous soyent ameres de primeface, si faut-il que nous les recevions de la main de Dieu sachans que ce sont tesmoignages de son amour, qu'il a le soin de nous, et qu'il veut procurer nostre salut. Voila, di-ie, qui doit appaiser tous murmures en nous, que nous ne soyons point impatiens quand Dieu nous chastie. La raison? Car il nous est utile qu'ainsi soit. Or ce n'est point assez d'avoir cognu que les afflictions nous servent de medecines: mais il faut regarder en quelle maladie c'est: car nous les priserons tant plus. Si un homme est gueri d'une petite maladie et legere et commune, il est vrai qu'encores prisait-il le remede qui lui est donne, mais s'il est abandonné du tout, et qu'on le tienne pour mort, et toutes fois qu'il reschappe, le remede qu'il a eu lui sera tant plus prisé. Ainsi en est-il de ce qui est maintenant monstré par Eliu: car il ne dit pas seulement que Dieu remedie à nos vices en nous affligeant: mais qu'il nous retire du sepulchre, et nous vivifie. Par cela il monstre que c'est fait de

SERMON CXXVIII

119

nous, et que nous sommes abysmez en perdition, sinon que Dieu nous reduise à soi, et qu'il use mesmes de violence: pource qu'il n'en viendroit point a bout autrement, attendu nostre durté, ou bien que nous sommes tant addonnez à nous pechez, qu'il n'est pas facile de nous en desvelopper. Puis qu'ainsi est donc que Dieu nous ressuscite (comme aussi il en fut hier traitté plus amplement) cognoissons que nous ne pouvons assez estimer la bonté qu'il monstre envers nous, quand il lui plaist de nous chastier. Voila donc le second poinct que nous avons à observer.

Le troisieme est qu'il faut passer par là: car ce qu'il dit afin qu'il retire, il monstre une necessité urgente. Il est vrai que Dieu pourroit bien sans ce moyen nous sauver: et il n'est pas ici question aussi de disputer de sa puissance, mais Eliu a eu esgard à nostre condition. Et c'est là aussi où il nous faut arrester. Et ainsi apprenons que si Dieu nous traittoit plus doucement, et qu'il nous laissast en paient que nous fussions endormis en nos pechez sans estre resveillez: cela seroit cause de nostre perdition. Il est donc besoin, que nous soyons traittez en telle rigueur comme il le fait souvent: et mesmes s'il ne supportoit nostre fragilité et foiblesse, il est certain qu'il faudroit bien qu'il usast d'une plus grande rudesse envers nous. Tant y a que selon que chacun est afflige, il doit porter tout cela patiemment, cognoissant que Dieu ne le fait point sans cause, voire sans cause necessaire. Et cependant aussi nous avons à observer la comparaison qui est mise entre le sepulchre, et la clarté de vie. Quest-ce quand Dieu nous retire de la mort, et pourquoi est-ce qu'il nous met en la clarté de vie? Voila un mal extreme, voila aussi un bien souverain de l'autre costé. Et ainsi apprenons que si Dieu nous laisse suivre nos appetits nous ne tendons qu'au sepulchre: c'est à dire; nous ne faisons que nous plonger du tout en perdition, de laquelle iamais nous ne pourrions sortir. Voila donc . que fera l'homme quand Dieu lui lasche la bride.

Or par cela nous aurons bien occasion de nous desplaire, voyans la perversité qui est en nous. Il est vrai qu'un chacun dira qu'il desire d'aller à Dieu, et de parvenir à salut: mais cependant que faisons-nous? Qu'on regarde nostre vie, toutes nos pensees, tous nos actes: il semble que nous soyons comme forcenez pour cercher nostre ruine: car nous ne cessons de provoquer l'ire de Dieu, et nous semble que iamais nous ne viendrons assez tost au profond de nostre mal. Puis qu'ainsi est donc, que de nature nous sommes addonnez à tout mal, comme si nous voulions perir à nostre escient: qu'un chacun de nous se cognoisse, et se desplaise s'estant cognu: et là que nous souffrions d'estre

120

gouvernez de Dieu voyans qu'il y a une si povre conduite et si malheureuse en nous: et oublions toutes ces folles presomptions dont le monde est abbreuvé, qu'un chacun cuide estre assez sage pour avoir son franc-arbitre. Voila comme les hommes s'abusent, se faisans à croire qu'ils ont et de la prudence et de la vertu beaucoup. Or au contraire nous voyons qu'il faut que Dieu corrige par force ceste maudite affection qui est en nous, de savoir plus qu'il ne nous appartient. Cependant de l'autre costé cognoissons où c'est que Dieu nous appelle, quand il nous retire du sepulchre à la clarté de vie: il ne nous met pas en un estat moyen pour dire, Vous ne serez pas du tout morts, vous ne ferez que languir: mais il nous appelle à la clarté de vie, c'est assavoir à ceste nouveauté par laquelle nous sommes regenerez en une vie incorruptible et celeste. Il n'est donc point question que Dieu nous delivre seulement de la mort, mais il nous conduit en son royaume eternel. Et combien que nous cheminions ici bas parmi beaucoup de corruptions, et que nous en soyons environnez, mesmes qu'elles habitent en nous, et qu'elles soyent en nos os et en nos moëlles: si est-ce que Dieu nous veut conduire et gouverner, iusques à ce que nous parvenions en son royaume. Voila donc une comparaison qui est pour confermer beaucoup mieux ceste grace infinie de nostre Dieu, afin que nous soyons tant plus incitez à le cercher: et quand il nous aura introduits au droit chemin, que nous mettions peine de nous avancer tous les iours: et quand il nous aura retirez, que nous souffrions d'estre enseignez, demandans à Dieu qu'il continue.

Et cependant notons aussi, qu'il ne nous faut point descourager, si par plusieurs fois nous retombons, et qu'il semble que nous soyons comme escrevisses: et quand Dieu nous aura mis en bon train, et que nous serons comme domptez, s'il advient par fois que les vices de nostre chair dominent tellement en nous, que nous serons bien tost eslongnez de lui, que l'infirmité recommence avec l'infidelité, et que nous soyons couverts de tenebres, ne perdons point courage pourtant. La raison? Car il est dit, Que Dieu besongnera en l'homme plusieurs fois, afin de l'amener à la clarté de vie. Quand donc nous serons approchez de Dieu, que nous aurons eu certaine esperance de salut: si quelquesfois nous sommes en trouble et en angoisse, qu'il semble qu'il y ait un orage qui nous opprime: ne laissons pas pourtant de nous fier en Dieu. Et pourquoi? Car il est dit qu'il recommencera encores son oeuvre en nous, non point qu'il nous faille lascher la bride, gardons-nous de cela: mais cependant si faut-il que nous pratiquions ce qui est dit au Prophete Isaie (35, 3), c'est d'affermir

les iambes qui tremblent. et de fortifier les courages

IOB CHAP. XXXIV.

121

debiles. Si un homme est robuste pour despiter Dieu, pour ne tenir conte de sa grace, é il est besoin qu'il sente le iugement de Dieu, et qu'il en soit frappé au vif et navré. Mais quand nous sommes debiles et tremblans, que nos genoux crouslent, et que nous n'avons plus de force: c'est le propre et le naturel de l'Evangile de nous r'enforcer: comme il est dit par le Prophete Isaie, quand il est commandé à tous ceux qui ont la charge d'enseigner en l'Eglise qu'ils renforcent les iambes debiles, qu'ils affermissent les courages, et fortifient les genoux tremblans. Puis qu'ainsi est donc, il faut que nous suivions cest ordre-là, comme aussi l'Apostre l'applique à chacun fidele. Le Prophete Isaie avoit parlé de ceux qui ont la charge publique d'enseigner: mais l'Apostre en l'Epistre aux Hebrieux (12, 12) monstre, que chacun doit estre son docteur en cest endroit. Ainsi donc regardons à nous, et quand nous serons estonnez du iugement de Dieu, que cela ne soit point pour nous mettre en des phantasies mauvaises, et faire tomber comme en desespoir: mais si nous sentons nos genoux trembler, que nous ayons les bras et les iambes comme cassees et rompues, que nous soyons tellement affligez que nous ne sachions plus que faire: ne laissons pas pourtant de nous fortifier de iour en iour.

Or Eliu ayant ainsi parlé adiouste, Iob escoute moi, sois attentif, ouy bien sinon que tu ayes propos pour m'alleguer à l'encontre, car ie ne te ferme point la bouche: parle, si tu as dequoi te iustifier: sinon tai toi, et escoute moi que e parle, et que ie t'enseigne en sagesse, car e desire de te iustifier. Comme s'il disoit, Ie ne demande sinon que tu sois absous: si tu as de bonnes defenses et valables produi les: sinon que tu ayes la bouche close. Or ici nous sommes exhortez derechef en la personne de Iob, de faire silence quand on nous propose la verité de Dieu, et que nous n'ayons point de repliques à l'encontre. Et c'est une admonition bien utile, attendu la durté des hommes, et la fierté qui est en eux: car il est plus que difficile de nous assuiettir à Dieu nous voyons qu'il y a tousiours des contradictions, que nos esprits ne se rangent point en telle humilité que nous devrions. Car si on nous met en avant une chose qui soit bonne et saincte, nous ne sommes pas si modestes que de la recevoir: mais nous avons une fierté, que nous voudrions bien n'estre point assuiettie à rien qui soit, qu'à nostre volonté propre. Voila donc le naturel des hommes: c'est de s'eslever contre Dieu et de tousieurs regimber contre sa parole. Veu que nous sommes suiets à un tel vice si meschant et detestable, notons bien l'admonition qui nous est ici donnee, c'est assavoir d'estre dociles quand Dieu fait qu'on nous propose sa verité. Et c'est

122

ce que sainct Iaques dit (1, 21), qu'il nous faut recevoir la parole de Dieu avec un esprit debonnaire. Ce n'est point sans cause qu'il a exprimé ce moyen-là Voulons-nous donc declarer comme nous profitons en la parole de Dieu? Il faut sur tout que nous ayons un esprit debonnaire et paisible: car si nous avons un esprit de pointe, il est certain que nous convertirons tout à mal, que iamais nous ne prendrons goust à la parole de Dieu: mais nous renverserons le bien et la clarté nous sera convertie en tenebres. Que faut-il donc? Que nous facions silence quand Dieu parle. Or n'attendons pas qu'il se monstre visiblement du ciel: mais toutes fois et quantes que la parole de Dieu nous est annoncee, que ce qu'on nous propose nous le tenions vrai et bon, sachans qu'il est procedé de Dieu. Que si nous repliquons à l'encontre, ce n'est point faire la guerre à une creature mortelle: mais c'est nous eslever d'une presomption diabolique contre le Dieu vivant. Il se faut donc taire afin d'estre enseigné. En somme, toute la vraye sagesse des hommes est de se rendre dociles à Dieu, et de s'assuiettir pleinement a ce qui leur est proposé en son nom et en son autorité. Voila en premier lieu ce que nous avons à observer en l'exhortation que fait ici Eliu à Iob: car il parle tellement a un homme, que sous sa personne nous sommes tous admonnestez de nostre office, comme i'ai desia dit. Or sur tout notons, qu'il nous faut faire silence quand on nous parle de la iustice de Dieu, et que nous sommes redarguez de nos iniquitez.

Voici donc une circonstance que nous avons encores à observer, outre ce qui a esté dit. Qu'estce qu'Eliu traittoit iusques à maintenant? il monstroit à Iob que Dieu est iuste, voire en telle sorte qu'il faut que les hommes soyent du tout gouvernez par luy, que c'est à luy de les retirer du sepulchre, que c'est à luy de les guider à la vie, voire leur tenant tousiours la main forte iusques à ce qu'il les ait amenez à leur perfection. Or c'est en ceci principalement que les hommes s'abusent. Pourquoy? Ils ne peuvent glorifier Dieu demeurants du tout confus en eux: les hommes se veulent tousiours attribuer ie ne say quoy: encores qu'ils deussent cognoistre leur turpitude, et en avoir honte, tant y a qu'ils sont tousiours enflez de quelque presomption, ils s'esblouissent de quelque vaine phantasie, Et n'ay-ie point ceci? n'ay-ie point cela? Et encores que ie ne soye point du tout iuste, si est-ce que ie ne suis pas destitué de tout bien. Voila donc comme les hommes se voulans reserver quelque chose, ne peuvent attribuer tout à Dieu. Et cela est cause que nous ne pouvons pas recevoir pleinement la doctrine de la iustice gratuite, pour monstrer

SERMON CXXVIII

123

que nous sommes receus de Dieu par sa pure misericorde, et qu'il nous reçoit, non pas qu'il ait regard à nos oeuvres qui sont du tout vicieuses, mais d'autant qu'il luy plaist de nous laver et nettoyer au sang de son Fils unique, qu'il nous tient et avoue pour ses enfans, combien que de nature il n'y ait que povrete et malediction en nous. Pour ceste cause Eliu ayant ici monstré comme nous sommes obligez à Dieu de tout ce que nous avons, tellement que l'honneur luy en doit estre attribué, comme c'est luy qui commence et qui parfait tout: adiouste, qu'on escoute cela, et que tous hommes ferment la bouche, comme sainct Paul aussi en parle au troisieme des Romains (v. 19) que nous avons allegué ces iours passez. Or quand Eliu dit, qu'il desire que Iob soit absous, par cela il monstre qu'il n'y va point d'un esprit d'aigreur ne par contention, et ainsi qu'on a accoustume de s'adresser à une partie adverse, ne qu'il vueille despiter l'homme. Nenny: mais il voudroit que Iob peust maintenir sa iustice: au reste quand il n'a dequoy, il veut qu'il s'humilie devant Dieu.

Or notons qu'Eliu parle ici comme organe de l'Esprit de Dieu: et par cela soyons advertis que Dieu toutes fois et quantes qu'il foudroye contre nous en l'Escriture saincte, n'appete pas nostre confusion, pour nous oster ce qui nous appartient, comme s'il nous portoit envie, et que nous eussions quelque chose digne de louange. Nenny: car qu'est-ce que cela luy apporte de dommage? Dieu seroit-il diminué quand nous aurions quelque chose de nostre costé à la verité? Non: mais pource qu'il est necessaire que nous soyons pleinement abbatus, d'autant que nous ne pouvons recevoir le bien qu'il nous offre, si nous ne sommes vuides de toute presomption et vanité: voila pourquoy il nous despouille en premier lieu de toute vaine gloire, et nous monstre que nous n'avons que vergongne, et toute vilenie, que nous sommes comme infectez et pourris en nos ordures. Il faut, di-ie, que Dieu nous amene iusques là: non point qu'il soit fasché de nostre iustice (car on sait bien qu'il n'en a point de faute) mais c'est pour nostre profit. Ainsi donc que reste-il sinon de nous humilier, et de recevoir les promesses qui nous sont donnees de nostre salut? Et d'autant que le diable nous solicite a nous esgarer hors de l'obeissance de nostre Dieu, et que nous ne l'escoutions paisiblement: tenons nos esprits bridez, et en bride courte pour dire, Si est-ce qu'il faut que ton Dieu domine, et qu'il soit ton maistre, et que tu luy soit disciple, recevant de luy tout ce qui t'est proposé en son nom. Voila en somme ce que nous avons à retenir de l'exhortation que fait ici Eliu à Iob. Et de là aussi nous pouvons recueillir ce que i'ay

124

desia touché, Que iamais nous ce profiterons iusques à ce que nous ayons apprins de nous taire. Et qu'est-ce de ce silence dont parle Eliu? C'est que nous ne soyons plus sages en nostre cerveau, que nous ne soyons point subtils pour repliquer à l'encontre de Dieu, et pour dire, Comment ceci, comment cela? Car il nous faut contenter de ce que Dieu nous monstre, d'autant que l'obeissance luy plaist sur tout Et voila le principal de la foy: c'est qu'elle soit paisible avec Dieu. Car cependant que les hommes sont si arrogans de vouloir par leur propre raison conclure de ce qu'ils doivent tenir, il est certain que Dieu les aveuglera, et qu'il faudra qu'il punisse un tel orgueil. Qu'est-il donc de faire? Il nous est commandé de nous preparer à silence: c'est que toute ceste fierté qui est en nostre nature soit abbatue, que nous ne cuidions point avoir nulle prudence de nous, mais que nous la demandions à Dieu, et que nous souffrions d'estre enseignez de luy, et d'y profiter.

Venons maintenant à ce qu'Eliu adiouste en general. Il dit, Vous sages escoutez moy, vous entendus oyez moy: car le palais iugera des viandes si elles ont saveur ou non, et l'aureille est pour esprouver les propos. Ici Eliu premierement monstre et advertist que este doctrine n'est pas seulement pour les rudes et les idiots, mais qu'elle pourra servir à tous: et pourtant qu'il ne faut point que nul s'en exempte, comme si desia il estoit assez instruit: car les plus sages pourront ici encores estre confermez, et sentiront qu'il n'auront point perdu leur temps en oyant ce qui est dit ici et contenu. Et de fait si nous cognoissions ce qui est en nous, nous serions plus attentifs à escouter la doctrine qui nous est iournellement preschee. Et en premier lieu n'est-ce point repousser Dieu, si nous ne daignons estre enseignez, comme s'il avoit institué une chose inutile? Voila Dieu qui veut que l'Evangile se presche, et qu'on l'oye, et qu'on l'escoute. Or a-il dit que cela se doit faire seulement à ceux qui sont encores ignorans, et qui sont comme à l'AB(? Nenny. C'est à tout le corps de son Eglise, tellement qu'il veut que et grans et petits suivent ces regle. Et sainct Paul monstre (Ephes. 4, 13) qu'il faut que nous continuions en cest ordre, iusques à ce que nous soyons venus en aage parfait, et en l'asge de nostre Seigneur Iesus Christ. Or cest homme parfait où se trouvera-il? Il ne se trouvera pas en ceste vie mortelle: il faut que nous soyons despouillez de ce corps, et que Dieu nous ait retirez à soy, devant que nous venions a ceste perfection. Ainsi donc puis que Dieu a voulu que tout le corps de son Eglise fust enseigné, voire les plus parfaits, et excellens: ne sera-ce point une outrecuidance trop vilaine, quand il nous semblera que la doctrine nous soit superflue, et que nous

IOB CHAP. XXXIV.

125

n'en aurons plus de besoin? Mesmes regardons à l'exemple de sainct Paul, lequel a esté un miroir d'une saincteté Angelique, et toutes fois il dit qu'il s'efforce encore tous les iours. Estant prochain de la mort, ayant combatu vaillamment pour l'honneur de Dieu: si est-ce qu'il oublie tout ce qu'il avoit fait: combien qu'il eust servi loyaument à Dieu qu'il eust souffert beaucoup de choses pour son nom: si est-ce qu'il regarde à ce qui luy reste pour dire, Il ne faut point que ie regarde que i'aye fait ceci ou cela, pour m'endormir cependant et que ie ne doive plus passer outre: mais il faut que ie m'avance, et m'efforce de parvenir à ce qui reste. En cela, di-ie, sainct Paul nous monstre bien ce que nous avons a faire. Ainsi donc notons que nous ne devons point estre trop delicats pour reietter la doctrine qu'on nous propose, comme si elle ne nous servoit plus de rien, comme si nous y estions desia assez enseignez: car notamment ici l'Esprit de Dieu exhorte les sages et les plus entendus à escouter et recevoir ce qui est dit. Ainsi nous voyons que la sagesse de Dieu est si infinie, que iamais elle ne se comprendra du tout: cependant que les hommes vivent en ce monde, c'est assez qu'ils en ayent quelque goust, et y profitent iournellement. D'autre costé notons bien que quand nous aurons apprins une chose, nous la retenons mal, et nous l'aurions tantost oubliee. Il faut donc qu'elle nous soit ramenteuë: et Dieu nous fait ceste grace de nous proposer sa misericorde afin que nous ne demeurions point vuides, et comme desesperez pour n'avoir point d'esperance en luy. Car ce n'est point le tout que nous ayons entendu une chose en nostre cerveau: mais il faut qu'elle nous soit imprimee au coeur. ceste doctrine n'est point speculative (comme on dit) comme sont les sciences humaines: car là c'est assez d'avoir conceu ce qui en est, mais de ceste-ci, il faut qu'elle soit enracinee en nos coeurs. Or regardons maintenant, si nous avons une telle persuasion de la volonté de Dieu, que nous n'ayons besoin que tous les iours on ne nous la recorde et monstre? Et ainsi il faut conclure, que les sages et gens entendus sont ici admonnestez d'escouter et de prester l'aureille: et par cela (comme i'ay dit) il faut que toute arrogance soit mise bas, et que nous tendions à estre enseignez de Dieu. Et d'autant plus nous faut-il suivre la regle qui nous est ici donnee, que nous voyons le monde estre degousté de la parole de Dieu. Les ignorans, pource qu'ils ne savent que c'est, se ferment la porte, et ne veulent iamais approcher de la bonne doctrine: les volages quand ils en ont ouy quelque mot en passant, cuident estre si grans docteurs que ce leur est assez, et là dessus ils passent outre: comme nous en voyons auiourd'huy trop d'experience. Combien y en a-il

126

qui ont les aureilles bouchees, et combien que la parole de Dieu resonne, et qu'ils peussent estre participans de la doctrine de vie et de salut, toutes fois n'en tiennent conte? Et pourquoy? Car ils n'y ont nul goust. On voit ceux qui ont entendu ie ne say quoy de l'Evangile, qui se font à croire d'estre si grans clercs, qu'ils n'ont plus besoin de rien ouir. Combien y en a-il de ces phantastiques de ces Chrestiens volages qui diront? O moy i'enten la verité il y a tant d'ans que ie say que c'est de l'Evangile. Et qu'est-ce qu'ils en savent? Qu'on peut bien manger chair en vendredi, qu'on n'est point tenu de se confesser: là dessus ils en babillent et meslent des blasphemes execrables parmi ce qu'ils ont entendu ie ne say comment. Et pourquoy? Car ils n'ont pas daigné apprendre en l'escole de Dieu. Quand donc nous voyons que Dieu punist ainsi la nonchalance des hommes: tant plus devons-nous estre attentifs à ceste doctrine, notans bien ce qui est dit par Salomon (Prov. 1, 5), Que le sage en oyant sera tousiours confermé en sagesse. Et si Dieu punist ainsi la nonchalance des hommes, leur legereté: que sera-ce de cest orgueil quand à leur escient ils se ferment la porte à toute bonne doctrine, et qu'ayans conceu un desdain, estans enflez comme crapaux ils ne veulent nullement estre enseignez?

Or Eliu apres avoir exhorté les sages et gens entendus à l'ouir, adiouste la raison: Car le palais, dit-il, est pour gouster les viandes, et l'aureille pour esprouver les propos, et pour en iuger. Par ceci il signifie, que ceux qui ne daignent prester l'aureille à Dieu et à sa verité pour estre enseignez, et quand ils ont desia esté instruits, ne cerchent d'estre conformez de plus en plus, pervertissent l'ordre de nature, mesmes qu'ils sont comme monstres et pires que les bestes brutes. Et pourquoy? Car une beste suivra son naturel. Or voila un homme qui se dira sage, ayant raison et discretion, qu'il a est creé à l'image de Dieu pour estre illuminé en toute verité: cependant il aura bien cest advis de boire et de manger tous les iours: mais de profiter, non. Il a cela de commun avec les bestes brutes (car elles se nourrissent par la viande) et ne passent point plus outre. Voila un homme qui voudra estre plus excellent que les Anges de paradis: et toutes fois il ne laissera pas de boire et de manger comme une beste, et cependant il ne daigne point user de l'aureille qu'il a receuë à une chose plus noble et plus precieuse que le boire et le manger: car cela est pour nous maintenir en ceste vie caduque, mais l'autre est pour nous donner esperance de vie et de salut. Si donc l'homme ne vent user d'un tel don de Dieu, ne faut-il pas qu'il soit estimé comme un monstre contre nature (comme nous avons dit) ou une double beste, Nous voyons

SERMON CXXVIII

127

maintenant quelle est l'intention d'Eliu: car il nous dit, Mes amis si quelqu'un refuse d'estre enseigné, regardez qu'il fait. Car quand Dieu nous a creez, il nous a donné le palais pour savourer les viandes, afin que nous recevions pasture iournellement de sa main. Or voila un bien que nous devons priser quand nostre Seigneur nous nourrist, mais ce n'est pas le principal bien: car il nous a donné aussi l'aureille. Et pourquoy? Pour estre instruits. Ce n'est pas pour communiquer ensemble seulement pour acheter des chausses, des souliers, des bonnets, du pain, du vin: l'usage de la langue et des aureilles est bien plus noble: c'est assavoir que nous soyons conduits par le moyen de la parole en la verité: que nous sachions que nous sommes creez incorruptibles: que quand nous serons passez par ce monde, il y a un heritage qui nous est appresté là haut: que bref nous venions iusques à Dieu. La foy vient de l'ouye, comme dit sainct Paul (Rom. 10, 17). Puis qu'ainsi est donc que Dieu a destiné nos aureilles à un usage si excellent, c'est qu'elles nous eslevent iusques au ciel pour nous faire contempler nostre Dieu, et le contempler comme Pere, et que nous ayons tesmoignage qu'il nous reçoit comme ses enfans, que nous voyons qu'au milieu des corruptions qui sont en nous, il y a mis la semence de vie incorruptible: quand donc nous pouvons obtenir un tel bien par l'aureille, et faut-il que nous facions des sourds, ou que nous ayons les aureilles bouchees quand on parle à nous, et qu'on nous propose la verité, laquelle nous cognoissons estre à nostre salut? Et n'y a-il point une trop grande brutalité en nous, quand cela se fait?

Ainsi donc il ne faut plus qu'un homme se glorifie d'estre parfait, d'estre sage et entendu, quand il ne peut souffrir qu'on l'enseigne. Au contraire il est pire que toutes les bestes du monde, comme nous avons monstre, Or combien que ceste sentence de soy n'ait point besoin de longue exposition: si est-ce que nous avons mestier d'estre picquez et incitez à la cognoistre. Car nous voyons comme nous en sommes: chacun sera assez occupé à ce qui concerne la vie presente: mais de nostre salut et de la gloire de Dieu on ne nous peut amener à y penser. Nous aurons un soin de boire et de manger, non pas pour l'apprester trois ou quatre heures devant seulement, mais nous ferons provision de longue main, voire pour quatre vies: car les hommes auront une solicitude si grande de se pourvoir des biens caduques, à ce que iamais ils n'en ayent faute, que tousiours ils seront apres: et quand ils en auront assez pour se nourrir leur vie durant, encores leur semble-il qu'ils en auront faute, mesmes apres leur mort. Voila donc comme nous sommes addonnez aux choses caduques de ce

128

monde, sans regarder que Dieu ne nous a pas creez comme bestes brutes, mais qu'il y a une chose plus excellente en nous que le corps, c'est assavoir l'esperance de la vie eternelle que nous attendons. Voyans donc que de nature nous sommes si brutaux, d'autant plus nous faut-il observer ce qui nous est ici monstre: c'est assavoir, Que puis que Dieu nous a creez et formez et qu'il n'y a nulle partie ni en nostre corps ni en nostre ame qui soit oisifve, mais que tout se doit appliquer en usage, que nous sachions faire profiter tout ce que Dieu nous donne. Voyans aussi que nous sommes tant occupez a nos solicitudes terriennes, que les uns se corrompent à boire et à manger, et qu'ils sont apres leurs gourmandises et intemperances, que les antres sont apres leurs avarice et chicheté, qu'ils ne demandent que d'amasser de plus en plus, que les autres sont apres leurs paillardises, les autres apres leur ambition pour se faire valoir et estre en credit en ce monde: que nous pensions mieux à nous.

Voyans donc que nous sommes ainsi retenus ici bas, que faut-il faire? Que nous advisions a, nous destourner de toutes ces distractions ici: et que nous regardions, Pourquoy nos yeux sont-ils creez? Est-ce seulement pour contempler les choses qui nous peuvent servir pour ceste vie, et que nous appetons comme elles nous sont desirables selon nostre chair? Nenny: mais le principal est, que nous contemplions les oeuvres de Dieu, par lesquelles il nous appelle à soy. Et nos aureilles quoy? Est-ce seulement pour traffiquer ensemble de nos affaires et negoces terriennes? Nenny: mais c'est afin d'estre enseignez pour venir à nostre Dieu, pour adherer pleinement à luy, et parvenir à sa gloire celeste. Or puis que nostre Seigneur au milieu des corruptions de nostre corps a mis des moyens qui sont pour nous conduire à ce bien incorruptible, assavoir quand il nous a donné l'ouye: ne faut-il pas que nous en usions ainsi? Et quand nous n'en ferons en telle sorte, il est certain que nous n'aurons plus d'excuse. Et ne faut point que nous alleguions ce que beaucoup mettent en avant, O ie ne say que c'est de la parole de Dieu: car elle est trop haute et trop obscure pour moy: ie n'y puis mordre. Voire, mais cependant nous defions-nous, que Dieu ne nous donne iugement et discretion pour recevoir ce qui nous est utile à salut? Car nous avons la promesse qu'il instruira les humbles. Et ainsi defions-nous de tous nos sens, confessons que nous sommes povres bestes: et il nous illuminera par son sainct Esprit: confions-nous en ceste promesse qu'il a donnee Qu'il sera maistre des humbles et des petits pour les instruire à salut, que quand nous souffrirons d'estre gouvernez par luy il nous mettra au droit chemin,

IOB CHAP. XXXIV.

129

et quand il nous y aura une fois introduits, qu'il nous avancera de plus en plus: et encores que quelquefois nous soyons escartez, il nous dressera: encores que nous tombions il nous relevera de sa main. Voila donc encores ce. que nous avons à retenir de ce passage: car il n'est pas dit seulement que l'aureille orra, c'est à dire qu'elle est creée à cest usage d'ouir: mais il est dit qu'elle iugera des propos: comme si Eliu disoit, que nostre Seigneur ne nous a point donné ouverture aux aureilles pour recevoir la doctrine qui nous est mise en avant, comme une poison: mais il nous a donne l'aureille, afin que la doctrine nous serve de nourriture spirituelle pour nos ames: tout ainsi que quand nous prenons le pain et le vin, nous ne craignons pas de boire et de manger pour dire, O que say-ie s'il y a du poison? Il est vray qu'il nous faut garder de poison, et devons prier Dieu qu'il nous en preserve:

mais les hommes seront-ils Si fols de s'afamer, et de ne vouloir ne boire ne manger, de peur qu'on empoisonne la viande? Nenny: car ils discerneront de la viande, pour savoir si elle est empoisonnee ou non. Ainsi donc cognoissons, que nostre Seigneur ne nous a point donné l'usage des aureilles afin que nous craignions de recevoir la doctrine, pour autant que nous l'estimons trop haute et trop obscure pour nous: mais il faut que nous prions Dieu, qu'il nous donne esprit de discretion et de prudence, afin que nous puissions appliquer à nostre profit ce qui nous sera proposé de sa parole: et que cependant il nous gouverne tellement par son sainct Esprit que nous soyons prudens pour discerner ce qui nous est bon et utile.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

130

LE CENT ET VINGTNEUFIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XXXIV. CHAPITRE.

4. Elisons un iugement, et regardons entre nous ce qui est le meilleur. 5. Car Iob a dit, Ie suis iuste, et Dieu a renversé mon droit. 6. le suis aussi menteur en mon equité: ma flesche est grieve sans aucun peché. 7. Qui est l'homme semblable à Iob? il boit la mocquerie comme eau. 8. Il chemine avec ceux qui font iniquité, il chemine avec les meschans. 9. Car il dit, L'homme ne plaira point à Dieu en cheminant avec luy. 10. Et pourtant gens de coeur oyez moy, Ià n'advienne qu'il y ait iniquité en Dieu et quelque malice au Tout-puissant.

Quand il est question de rendre conte de nostre vie, il ne faut point que nous pretendions avoir autre Iuge que Dieu, lequel sans appel prononcera de nous ce qu'il aura cognu: et sur cela nous aurons beau repliquer: car nous n'y gaignerons rien. Mais cependant pource que les hommes sont rebelles, et qu'ils ne peuvent confesser que Dieu soit iuste sinon par force, Dieu use d'une façon de parler en l'Escriture saincte, Qu'il est content d'entrer en arbitrage avec nous, et qu'il y ait comme un iuge moyen establi: non pas que cela se puisse faire, mais c'est afin que nous soyons tant plus redarguez et convaincus, qu'encores que nous peussions plaider contre luy, cela ne profiteroit

rien. Et il en parle ainsi en son Prophete Isaie (1, 18), Choisissons gens, dit-il, qui iugent entre vous et moy. Il est vray (comme nous avons dit) que ce n'est pas raison que Dieu s'abaisse iusques là: mais seulement il veut monstrer qu'encores que nous eussions la liberté de l'adiourner pour plaider nostre cause contre luy, si demeurerons-nous tousiours vaincus.

Autant en est-il en ce passage quand Eliu dit Choisissons iugement: comme desia ci dessus il ., mit protesté qu'il ne parleroit point en frayeur. Pource donc que Iob s'estoit plaint, que Dieu l'espouvantoit de sa maiesté, et qu'il n'avoit point audience, Eliu sur cela dit Et bien, le ne veux point t'effrayer tellement que tu allegues ceste couleur, qu'il n'y a nulle raison pour toy: mais ie viendray paisiblement à toy, et il te sera licite de parler comme tu voudras: si tu as rien pour te defendre, que tu l'allegues, que tu le mettes en avant, que tout soit debatu. Maintenant puis que nous avons le sens naturel de ce passage, advisons de l'appliquer à nostre doctrine. Nous avons donc à recueillir en premier lieu, combien que Dieu ait toute puissance sur nous, neantmoins qu'il nous iuge en telle equité, qu'il n'y a que redire: et quand nous aurions lieu de plaider nostre cause,

SERMON CXIX

131

si faudra-il que nous demeurions confus. Et c'est ce qui desia a este traitté plusieurs fois, que Dieu ne desploye point sa vertu contre nous à la façon d'un tyran qui ne discerne point entre le bien et le mal, mais qui veut esprouver ce qu'il peut. Dieu donc n'a pas une puissance absolue, comme on dit, mais sa puissance est tellement infinie qu'il est tousiours equitable et iuste en ce qu'il fait. Vray est que nous n'appercevrons pas tousiours la raison de ses oeuvres, et aussi il ne faut pas que sa iustice soit enclose en si petite mesure qu'est nostre sens: mais tant y a que nous devons tousiours avoir cest article resolu, c'est que Dieu est tellement puissant qu'il dispose tout en iustice et equité. Au reste, que nous ne presumions point de l'appeller en cause, sachans qu'il nous faut passer condamnation devant toutes choses. Mais cependant notons aussi, quand nous aurions la liberté de plaider, que ce ne seroit point à nostre profit: que tousiours il faudra que nous soyons trouvez coulpables: et encores qu'il ne fust point nostre luge, si est-ce que nostre conscience propre nous condamnera. Et ainsi apprenons de nous humilier devant Dieu, sachans que tellement il a toute puissance sur nous, qu'il nous peut confondre et abysmer iustement, et en telle equité que nous n'aurons nulle replique en la bouche, laquelle il ne reprouve quand il voudra. Or venons maintenant à ce que traitte ici Eliu principalement. Il accuse Iob de ce qu'il se plaint que sa playe estoit grieve, et que ç'a esté sans peché, et que Dieu avoit tellement perverti son droit, qu'il falloit qu'il fust trouvé menteur, combien qu'à la verité il avoit dequoi se iustifier. Voila en somme ce qui est ici reproché à Iob par Eliu.

Or advisons si l'intention de Iob a este telle. Nous avons declaré ci dessus, que Iob n'a point voulu blasphemer directement contre Dieu: mais tant y a qu'il a excedé mesure en ses passions. Voici donc en quoy Iob a failli: il se cognoist pecheur, il s'est confessé tel, il n'a point dit que Dieu n'eust nulle cause de l'affliger: mais cependant si est-ce qu'il faisoit comparaison de soy avec les autres, et luy semble que Dieu le traitte trop rudement. Voila sur tout en quoy Iob a failli, c'est qu'il apprehende une telle rigueur de Dieu, qu'il lui semble que c'est par trop, et que Dieu ne le devroit point tant presser, attendu qu'il estoit une povre creature fragile, que sa vie et sa vertu n'estoit que fumee. Or en cela nous ne le pouvons pas excuser: car aussi nous avons dit, qu'en demenant une bonne cause il n'a pas suivi un bon ordre: comme ses parties adverses ont demené une mauvaise cause, et ont usé de bons argumens et de raisons qui estoyent bonnes. Quant à luy donc, combien qu'il eust iuste cause, il l'a mal conduite.

132

Et pourquoy? Car combien qu'il fust patient, qu'il se deliberast de s'assuiettir à Dieu: toutes fois si est-ce qu'il n'a point retenu ses passions qu'il n'y ait eu de l'excez: comme quand l'homme Chrestien travaille à se donter et à se tenir captif en l'obeissance de Dieu, il ne peut faire cela en telle perfection, que cependant il ne cognoisse ce qui est dit (Gal. 5, 17; Rom. 7, 19), Que la chair resiste à l'esprit et, que nous ne faisons pas le bien que nous voudrions: comme sainct Paul ne parle point là de ceux qui sont charnels, et qui se laschent la bride à tout mal: mais de ceux qui ont le meilleur zele de servir et complaire à Dieu: comme defait il se propose pour exemple, disant que combien qu'il s'efforçasts, tant qu'il estoit possible à un homme mortel, d'estre du tout conforme à la volonté de Dieu: si est-ce qu'encores n'en pouvoit'il venir à bout. Car quand les tentations sont grandes et violentes, comme elles ont esté eu Iob, il est impossible que nous soyons si constans, que nous ne soyons esbranlez, et qu'en ces combats que nous avons contre nostre chair nous ne fretillions, et qu'il n'y ait de l'infirmité beaucoup. Nous voyons comme il en est advenu à Iacob: il a lutté avec l'Ange, et en est appelle Israël, c'est à dire victorieux avec Dieu: toutes fois si est-ce qu'il en cloche, et faut que sa hanche soit hors de son lieu tant qu'il vit, afin qu'il sente qu'il n'a point eu ceste victoire tellement qu'il n'y ait eu de la foiblesse en luy. Et ce nous est un exemple et patron, Que combien que Dieu nous fortifie par sa vertu, tellement que nous venions au dessus de nos tentations, cela ne se fait point, point qu'il n'y ait des marques de nostre infirmité. Ainsi donc en est-il advenu à Iob, et c'est à bon droit qu'Eliu le redargue ici.

Or cependant Eliu n'entend pas que Iob ait voulu accuser Dieu d'iniustice et de cruauté simplement: mais il luy monstre qu'il n'a point attribué à Dieu la gloire de iustice telle qu'il devoit. Vray est qu'il parle asprement, et semble qu'il destourne les propos de Iob, et qu'il les face pires qu'ils n'ont esté: mais notons que c'est bien raison que le sainct Esprit descouvre les vices qui sont en nous, encores qu'ils ne nous semblent pas grans. Exemple, Voila Iob qui en general a confessé que Dieu estoit iuste, et l'a recognu tel, mesmes en sa personne: mais cependant si est-ce qu'il a este agité si rudement de ses passions, qu'il luy eschappe de dire, Et pourquoy est-ce que Dieu m'afflige ainsi? Il n'y a point de propos, et quand i'auroye à plaider, ie monstreroye que ie n'ay point merité qu'il fust si violent contre moy. Il eschappe à Iob de parler ainsi, sans qu'il sache qu'il dise. Or si on examine son intention, elle n'a pas esté des plus mauvaises: il y a eu seulement ces bouillons-là qui l'ont transporté,

IOB CHAP. XXXIV.

133

comme il estoit impossible qu'il ne fust tellement agité de ses passions qu'il s'escarmouchast ainsi à l'encontre de Dieu. Pourquoy donc est-ce qu'Eliu maintenant le redargue avec telle severité? Et c'est pource que la moindre doute que nous puissions avoir de la iustice de Dieu, la moindre dispute que nous ferons avec luy, est un blaspheme, encores qu'il ne nous le semble pas. Notons bien donc qu'ici le S. Esprit descouvre le mal qui estoit comme caché, afin que nous entendions, que quand il nous vient des phantasies en la teste, qui sont pour obscurcir la iustice de Dieu, ou pour detracter de sa gloire en façon que ce soit, combien que nous n'y pensions pas: si est-ce que ce sont des fautes horribles, et que nous ne pouvons assez condamner: que ce ne sont point des pechez veniels comme les Papistes en font. Car ils disent, quand un homme doutera si Dieu est iuste, et mesmes quand il luy viendra beaucoup d'imaginations execrables, que moyennant qu'il ne s'y accorde point cela n'est pas peché mortel. Or c'est une doctrine par trop brutale: si est-ce qu'entre les Papistes on la tient pour toute conclue. Au contraire, notons bien qu'ici le sainct Esprit foudroye contre les apprehensions qui nous vienent au cerveau, encores que nous ne cognoissions pas qu'elles soyent si contraires à la gloire de Dieu: et puis, qu'encores que nous n'ayons point ceste intention directe d'accuser Dieu, toutes fois si ne pouvons nous estre excusez, quand nous sommes ainsi entortillez en des mauvaises pensees, es que nos passions nous auront agité ça et là, que nous ne sommes point paisibles pour glorifier Dieu, pour luy estre obeissans en tout et par tout: que nous meritons d'estre redarguez, comme si nous avions voulu estre iustes, et que Dieu fust coulpable au pris de nous, comme si nous luy avions attribué iniquité, nous voulans maintenir comme s'il n'y avoit nulle faute en nous. Et ceci nous doit admonnester, quand nous avons affaire à Dieu, de passer tousiours condamnation sans aucune dispute: car combien que nos subterfuges puissent estre approuvez des hommes, et que nous ayons aussi ceste coustume de nous y endormir: tant y a qu'en la fin nous sentirons en despit de nos dents, que Dieu en un mot saura renverser toutes nos longues repliques, et toutes les belles couleurs que nous pretendrons. Et ainsi quand il nous vient quelque mauvaise pensee qui est pour amoindrir la gloire de Dieu, et pour nous faire douter de sa iustice: que nous cognoissions que nous sommes desia en train de blasphemer, et que nous sommes à condamner tant et plus voire combien que cela nous passe tantost, et que nous n'y pensions point. Et puis, quand nous aurons quelque pensee qui ne sera point à nostre advis pour accuser Dieu: tant y a que si nous

134

voulons nous iustifier contre luy, c'est un blaspheme. Que faut-il donc? Apprenons de confesser Dieu estre iuste en nous condamnant nous-mesmes: car ce sont deux choses incompatibles quand les hommes se veulent absoudre, qu'ils puissent cependant glorifier Dieu comme il appartient, et qu'il en est digne. Iamais donc Dieu n'a son droit entier, sinon que nous demeurions confus, et que cela soit tout raclé, que nous n'avons nulle defense contre luy, mais qu'il ne reste sinon que nous baissions la teste. Voila ce que nous avons à retenir en premier lieu de ce passage.

Mais encores afin que ceci nous soit tant mieux imprimé au coeur, notons ce que dit Eliu, Que Iob a cheminé avec les meschans. Et comment? Eliu accuse-il Iob d'avoir esté un contempteur de Dieu, et d une vie desbordee, veu que ci dessus il a protesté d'avoir cheminé en telle perfection, qu'on ne sauroit trouver à grand peine un homme semblable à luy? Car nous avons veu qu'il a esté l'oeil des aveugles, qu'il a servi de iambes aux boiteux, qu'il a esté le pere des orphelins, que sa main n'a esté close aux povres, qu'il n'a point souffert que les costez de ceux qui avoyent froid le maudissent, que sa maison a tousiours esté ouverte à ceux qui avoyent necessité, qu'il a bien fait aux estrangers: qu'encores qu'il eust credit, iamais il n'en a abusé: combien qu'il eust esté supporté en iustice, toutes fois qu'il a cheminé si simplement, qu'il n'a foulé personne. Comment est-ce donc que maintenant Eliu l'accuse d'avoir cheminé avec les meschans? Or c'est suivant le propos qu'il a tenu, Que l'homme en repliquant à l'encontre du iugement de Dieu ne chemine point avec luy. Ainsi notons bien que quand un homme n'aura point esté ne paillard, ne larron, n'yvrongne, ny meurtrier, ny bateur: toutes fois qu'il ne laisse pas d'estre complice de la plus grande meschanceté qui soit, quand il n'aura point glorifié Dieu, mais qu'il aura eu quelque orgueil en lui pour ne se pouvoir assuiettir à la iustice de Dieu et à sa droiture et bonté. Quand donc nous ne rendons point à Dieu l'honneur qui luy est deu, nous sommes meschans en cela, quand nostre vie au reste seroit Angelique. Et c'est un poinct que nous devons bien noter: car il nous semble qu'un homme soit iuste, moyennant qu'on ne luy puisse rien reprocher selon le monde, et qu'il ait mené une vie vertueuse Or cependant pensons-nous qu'il n'y ait point de peché, quand un homme ne sert point à Dieu en telle humilité qu'il doit? Quand nous aurons rendu à nos prochains ce que nous leur devons, et que Dieu aura esté frustré et despouillé de ce qui luy appartient, faudra-il que nous soyons iustes pourtant? Nenni: car si i'ay desrobbé quelqu'un, ie suis coulpable: et si i'ay merité la mort eternelle pour cinq soulz: quand

SERMON CXXIX

135

i'auray ravi à Dieu son honneur, que i'auray tasché d'aneantir sa maiesté, en cela n'y a-il point un crime beaucoup plus enorme, que ne sont point tous les larrecins du monde, ou toutes les paillardises, tous les meurtres, tous les empoisonnemens, tous les pariures, et toutes ces choses-la? Ainsi donc notons bien, quand Eliu reproche ici à Iob, qu'il a cheminé avec les meschans, que ce n'est pas pour des vices qui fussent apparens quant au monde, ce n'est pas qu'il ait esté meurtrier, ny paillard, ny larron: mais pource qu'il n'a point glorifié Dieu, cognoissant qu'il estoit iuste: ains à l'opposite il l'a voulu condamner: voire, non pas qu'il le fist droitement: mais pource qu'il estoit tormente de son mal, il a murmure repliquant contre Dieu: et ceste impatience-la, encores qu'elle fust meslee avec patience, si est-ce qu'elle est à reietter comme un blaspheme, et Iob en est condamné comme meschant. Or par cela nous sommes admonnestez de vivre tellement sans nuire, et sans faire ne fraude, ne dommage, ne tort aucun à nos prochains: que cependant nous ayons nostre principal regard à Dieu, et que nous cheminions devant luy en telle humilité, que tousiours sa louange resonne et en nos coeurs et en nos bouches: que de coeur, di-ie, nous le glorifions et de bouche pareillement: et quand il nous viendra des fascheries, des troubles, qu'incontinent nous passions condamnation, n'attendans pas que nous soyons condamnez d'ailleurs, que Dieu nous envoye des iuges qui prononcent une sentence solennelle et patente contre nous N'attendons point aussi qu'il foudroye du ciel: mais qu'un chacun cognoisse le mal qui est en luy, et que nous en detestions les moindres pensees, et les plus volages qui nous pourroyent entrer en phantasie: que nous sachions, di-ie, que ce sont des crimes enormes et mortels. Cependant notons bien, que Dieu ne laissera pas de nous recevoir à merci, moyennant que nous soyons aussi prompts et volontaires à nous condamner: mais ceux qui font des revesches, et qui veulent disputer et se rebecquer, en la fin sentiront que leur opiniastreté ne sera que pour les rendre confus au double. Et ainsi nous voyons, que ce n'est point sans cause que Dieu a distingué sa Loy en deux tables, pour nous monstrer que son service et l'honneur que nous luy devons, va devant: et puis, qu'il y a le devoir que nous avons envers nos freres. Il faut donc que le service de Dieu soit comme le fondement de toute nostre vie: que nous le glorifions, sachans que c'est à cela qu'il nous a creez, et nous entretient et nourrist: et puis, que selon que nous sommes obligez les uns aux autres, nous taschions d'aider et servir à nos prochains sans aucune nuisance. Voila donc ce que nous avons à retenir en ce passage.

136

Or maintenant regardons aussi les façons de parler qui sont ici contenues. Quand Eliu reproche à Iob qu'il a dit, Ie suis iuste, et Dieu a renversé mon iugement: ce n'est pas (comme desia nous avons dit) que Iob voulust ainsi plat et court accuser Dieu qu'il eust renversé son droit: mais notons quand un homme mortel maintient ainsi precisément son droit, que cela ne se peut faire qu'il ne detracte de Dieu, et qu'il ne s'esleve contre sa iustice: et pourtant c'est un article qui doit bien estre observé: car il sera trouvé qu'il n'y a celuy de nous qui par fois ne prene ceste audace de dire, que Dieu a renversé son droit. Or cependant notons bien, que nous voulons estre iustes, quand nous entrons en ceste extremité-la: comme aussi sainct Paul quand il parle de glorifier Dieu, et confesser qu'il est iuste, il veut que toute bouche soit close. Cependant donc que les hommes se rebecquent, et qu'ils aguisent leurs langues pour maintenir leur iustice, il faut qu'ils ayent Dieu pour partie adverse. Or est-il ainsi qu'ils s'eslevent contre Dieu toutes fois et quantes qu'il les afflige, et qu'ils ne peuvent s'humilier pour confesser qu'il est iuste en ce faisant. Voila donc ce que nous avons à faire, sinon que nous vueillions que Dieu s'oppose contre nous, et qu'il nous condamne comme estans coulpables de nous estre eslevez contre luy, et l'avoir accusé d'iniustice. Nous aurons beau protester que nous ne l'aurons point voulu faire: mais la chose est telle: que gaignerons-nous de tergiverser ici, quand le sainct Esprit en a prononcé son arrest? Voila donc quant à ce premier mot qui est ici contenu.

Or quand il dit, Ie suis trouvé menteur en mon droit. Par cela il signifie, qu'il n'est pas admis en ses defenses, et que c'est comme quand des iuges seront desraisonnables et cruels, et voudront opprimer par leur autorité quelque bon droit. Voila comme Eliu maintenant reproche à Iob qu'il a accusé Dieu: O voila il faut que ie soye tenu comme coulpable. Et pourquoy? C'est à l'appetit de Dieu: car il ne me veut point ouir en mes defenses. Il me presse, i'ay la bouche close: que si i'amene raison, elle n'aura ne lieu n'accez. Or Iob n'avoit point voulu se ietter hors des gonds iusques là: mais cependant retenons ce qui a este dit, c'est assavoir que si simplement nous ne confessons la dette, c'est comme si nous voulions dire que Dieu a une puissance tyrannique sur nous, et qu'il n'y procede point par raison ne par equité: mais d'autant que nous sommes à luy qu'il en dispose à tors et à travers. Combien donc que nostre bouche ne prononce point ces mots, que mesmes nous ayons horreur de les avoir pensé: tant y a que si nous n'avons ce poinct conclud, que nous n'avons nulle defense, et que nous sommes coulpables, tousiours nous entrons en

IOB CHAP. XXXIV.

137

procez avec Dieu, et faudra que nous soyons condamnez comme ayans detracté de sa iustice.

Touchant de ce qui est dit quant et quant, Que Iob boit la mocquerie comme eau: il s'entend qu'il est eslourdi tellement, qu'il n'aperçoit pas que les propos dont il a usé sont vilains et dignes d'estre reiettez, et qu'on s'en mocque, comme s'il estoit un homme insensé. Or cependant si avons nous veu que Iob a tenu des propos excellens, voire et qu'il a este organe du S. Esprit, tellement que nous pouvons recueillir une grande instruction de ce qu'il a dit. Puis qu'ainsi est donc, pourquoy est-ce qu'il luy est reproche qu'il hume la mocquerie comme eau? C'est pource qu'il ne se peut faire, qu'un homme ne soit tellement transporté, quand il est enflammé en ses passions, qu'il ne sait qu'il dit. Or si cela est advenu à Iob (ie vous prie) que sera-ce de nous! Sa patience nous est mise au devant pour regle, et nous avons dit que l'issue qu'il a eue, monstre qu'il n'y a rien meilleur que de s'attendre au bon plaisir de Dieu, en tous les chastimens en general qu'il nous envoye. Et toutes fois, si est-ce qu'il est ici accusé comme nu homme effronté, qui ne sait plus que c'est de honte, qui boit toute vilenie comme un poisson boira l'eau. Si cela luy est reproché, et à bon droit: et ie vous prie quand nous appercevrons que nous sommes impatiens cent fois plus que luy, et qu'il ne faut rien pour nous escarmoucher, et nous faire despiter à l'encontre de Dieu, et que sera-ce? Ne devons-nous pas bien penser que nous sommes plus qu'eslourdis? Ainsi en la personne de Iob nous voyons, que le sainct Esprit nous a ici voulu monstrer que c'est que de nous quand les maux nous tormentent par trop, et que nostre fragilité et foiblesse est meslee parmi, tellement que nous ne savons que devenir, que nous grinçons les dens, nous rongeons nostre frain, et sommes estonnez en sorte que nous ne tenons plus ne chemin ne sentier. C'est donc ce que nous avons à noter de ce passage. Or venons maintenant à ceste sentence qu'Eliu adiouste. Il accuse Iob d'avoir dit, Qu'il ne profitera rien à l'homme d'avoir cheminé avec Dieu. Ce mot ici Cheminer avec Dieu emporte que l'homme s'addonne tellement au service de Dieu, qu'il pense tousiours à rendre conte, qu'il cognoisse, Celui qui m'a creé et formé, me conduit et gouverne, ie ne puis pas fuir sa main, ni eschapper de son iugement: et ainsi il faut que ie lui soye present devant ses yeux, il faut qu'il cognoisse non seulement toutes mes oeuvres, mais aussi mes pensees.

Voila que c'est de cheminer avec Dieu. Et notamment l'Escriture saincte use de ceste forme de parler, pource que les hommes sont comme sacs à charbonnier (ainsi qu'on dit) que les uns noircissent

138

les autres. Et l'experience le monstre, que quand nous cheminons sans regarder à Dieu, il n'y a celuy qui ne prene licence de mal-faire sous ombre que les autres ne sont point meilleurs que luy: et cependant il donne aussi à d'autres de ses prochains occasion de mal faire: tellement qu'il n'y a auiourd'huy celuy qui ne soit en mauvais exemple en quelque sorte, comme nous avons tous nos vices propres. Et ainsi quand nous cheminons avec les hommes, n( 119 cheminons en confusion horrible: il n'y a qu'un meslinge, et un abisme si profond en nostre vie, qu'on n'y cognoist plus rien. Voila, di-ie, que c'est de cheminer avec les hommes. Or que faut-il? Puis qu'en cheminant selon le monde nous sommes corrompus, et chacun attire à mal ses prochains, et il les suit quant et quant: n'est-ce point là pervertir tout ordre? Il ne reste donc, sinon de ne 19 recueillir à Dieu, et nous conformer du tout à luy. Il est dit, qu'Henoch a cheminé avec Dieu. Et pourquoy? D'autant qu'il n'a point este perverti et combien qu'en ce temps-la tout le monde fust si corrompu que rien plus, si est-ce qu'Henoch s'est conservé en integrité. La raison? C'est qu'il a recueilli ses esprits pour ne point se lascher la bride, et desborder: et combien que l'iniquité fust comme un deluge sur la terre, il a cognu, O si est-ce qu'il me faut cheminer comme devant mon Dieu. Au reste ceci emporte aussi bien, que nous ne regardions pas à avoir quelques belles apparences: comme beaucoup se contentent d'estre prisez des hommes, et de s'estre abstenus de mal devant le monde: quand ils ont leurs mains pures en apparence, ce leur est assez. Or ce n'est rien, si nous n'avons nostre coeur pur devant Dieu. Et ainsi donc notons bien, quand l'Escriture nous parle de Cheminer avec Dieu qu'elle signifie que ce n'est rien d'avoir ordonné nostre vie exterieure en telle sorte que nos vices n'apparoissent point: mais qu'il faut aussi que nostre conscience responde, et que nous soyons exempts de toutes meschantes affections et perverses. Pour le troisieme nous avons à cheminer avec Dieu pour nous conformer du tout à sa Loy: car si nostre vie est approuvee des hommes, et qu'aussi nous-nous flattions en nos bonnes intentions, et que sera-ce? Rien: comme nous voyons qu'en la Papauté ceux qui sont devots selon leurs imaginations, é ils cuident que Dieu leur soit plus que redevable: mais cependant pource qu'ils mesprisent l'Escriture saincte, et qu'ils ont leurs inventions propres qu'ils ont basties à la volee, tout cela n'est que fatras et ordure. Et ainsi notons, que pour bien vivre, et avoir une regle droite et certaine, il nous faut cheminer avec Dieu, c'est à dire de droit fil: il nous faut conformer et nos pensees, et nos oeuvres à ce qu'il commande, et non pas à ce qui aura esté controuvé par les

SERMON CXXIX

139

hommes, et qui nous semblera bon. Voila donc quant à ce mot.

Venons au principal. Comment est-ce que Iob a entendu, qu'il ne servira rien à l'homme d'avoir cheminé avec Dieu? C'est pource qu'il s'est trouvé comme eslourdi en son torment, et qu'il n'a point cognu que Dieu luy assistoit d'autant qu'il l'avoit servi, et qu'il avoit conformé et reglé sa vie à toute droiture. Il est vray que Iob en general a bien cognu que Dieu estoit iuste, et qu'il ne faut point que nous estimions ou mesurions sa iustice selon l'estat present du monde, et les choses qui se voyent auiourd'huy à l'oeil. Car voila aussi le debat qu'il y a eu contre ses parties adverses, que les bons sont affligez et tormentez en ce monde, et que les meschans prosperent: et ainsi, que Dieu a un iugement plus haut qu'il s'est reservé: et que pourtant nous ne restraignions point nos esprits à ce qui se voit auiourd'huy, et que nous ne pensions point qu'en ce monde Dieu rende à chacun ce qui luy est appresté: car c'est une chose trop brutale d'avoir une telle pensee. Iob donc a debatu ceste querelle. Mais quoy? Cependant il n'a pas laissé d'estre comme esbloui, quand il est venu à penser à ses afflictions: il estoit tellement transporté, qu'il demande, Où en suis-ie? qu'est-ce que i'ay gaigné de m'adonner ainsi à l'obeissance de Dieu? D'autant donc que Iob s'est ainsi trouvé esperdu et esgaré, il luy est reproché à bon droit, qu'il a prononcé ce blaspheme, Qu'il ne profitera rien à l'homme d'avoir cheminé avec Dieu. Or par cela nous sommes admonnestez, de nous tenir en bride courte, quand nous contemplons les choses qui se font au monde, et que nous entrons en pensee pour dire, Et comment Dieu dissimule-il? Pourquoy est-ce qu'il permet que son Eglise soit ainsi tormentee? Et comment les violences sont-elles si grandes? Tenons nous, di-ie, court en bride. Et pourquoy? Car si seulement nous imaginons, que toutes ces choses soyent estranges, c'est autant que si nous allions blasphemer contre Dieu. Il est vray que nostre Seigneur ne nous impute point ce blaspheme-la, mais c'est par sa bonté: tant y a que nous en sommes coulpables. Et ici en la personne de Iob nous sommes redarguez par le S. Esprit, afin qu'un tel blaspheme nous desplaise, et que nous l'ayons en horreur: et que si tost qu'il nous viendra en pensee quelque mauvaise phantasie, nous la reiettions, sachans quelle seroit pour nous mener à un blaspheme plus grand, si Dieu ne nous retenoit. Et au reste notons, que tant plus devons nous estre sur nos gardes en cest endroit, quand nous voyons que les serviteurs de Dieu ont este ainsi agitez d'une telle tempeste. Il est vray que Ieremie (12, 1), quand il s'enquiert pourquoy les meschans prosperent, et pourquoy Dieu leur favorise selon

140

qu'il semble, proteste bien que Dieu est iuste, et que ses iugemens sont droits, et use de ceste preface-la, comme pour se brider, Ie say, dit-il, Seigneur, que tu es iuste: mais si est-ce qu'encores ne laisse-il point d'estre esbranlé. Nous voyons ce qu'en dit Habacuc aussi bien. Habacuc (1, 3) fait le semblable, et en cela monstre-il qu'il est retenu de la crainte et reverence de Dieu: mais tant y a qu'il est troublé en son esprit. David confesse (Ps. 73, 13) qu'il luy est advenu beaucoup d'avantage: car nous voyons qu'il disoit, C'est donc en vain que i'ai lavé mes mains, que ie me suis addonné à toute droiture, que i'ai mis peine de servir à Dieu: i'ai bien perdu mon temps. Quand David est venu iusques-là, que sera-ce de nous, ie vous prie? Et ainsi il est vrai qu'il se redargue, mais il confesse aussi que son pied a este sur la glace, et qu'il estoit tout prest à tresbucher. Et puis il adiouste, Seigneur ie suis une beste, ie ne suis plus homme, ne digne d'estre reputé une creature, raisonnable: mais me voici du tout abbruti, comme les asnes et les chevaux. Et ainsi Seigneur, il faut que tu me tiennes la main forte, ou autrement ie suis perdu. Quand David confesse qu'il n'a point esté exempté d'une telle tentation (ie vous prie) que sera-ce de nous, comme i'ai dit? Et voila aussi pourquoi Isaie prononce ce mot (3, 10), non point comme vulgaire, mais comme exquis, Dites, il y a fruict pour le iuste. Il exhorte les fideles de conclure et se resoudre qu'il y a fruict pour les iustes: c'est à dire, qu'ils ne perdront point leur peine en servant Dieu. Il semble que cela soit assez commun, et toutes fois le Prophete Isaie en fait une sentence exquise. Et la raison? pource qu'on voit les choses confuses au monde (comme elles seront entre nous tous les coups) et pourtant que les povres fideles seront esperdus en leurs sens pour dire, Et pourquoi est-ce que Dieu nous affligé d'une telle rigueur? O nous serions prests à murmurer incontinent: mesmes il nous adviendroit de blasphemer contre Dieu, n'estoit que nous fussions retenus, et que Dieu nous declarast que ce qu'il fait n'est point pour favoriser aux incredules. Ainsi donc encores qu'il semble qu'il nous ait mis en oubli, si est-ce qu'il faut s'assurer qu'il aura pitié de nous, et qu'au milieu de sa rigueur il adoucira ses verges, et que mesmes nous serons absous de sa main: comme aussi nous pourrions estre abysmez cent mille fois, et perir à chacune minute n'estoit qu'il nous preservast par sa bonté infinie. Voila quant à ce poinct, là où Iob est condamné d'avoir dit, Que l'homme ne profitera rien cheminant avec Dieu. Ce n'est pas que du tout il ait este persuadé de cela: mais pource qu'en ses angoisses il a esté confus, et n'a point cognu la conduite de Dieu, comme il devoit, et son conseil. Il

IOB CHAP. XXXIV.

141

est vrai qu'il a tousiours cognu en partie, mais encores est-il condamne pource qu'il ne s'est point tenu si paisible, ne si coi comme il devoit. Nous serons donc à condamner cent mille fois plus que lui, si nous n'apprenons d'estre nos iuges afin que nous soyons absous devant Dieu.

Or pour conclusion il est dit, Que a n'advienne qu'il y ait iniquité en )ieu, ni iniustice au Tout-puissant. Ici nous avons à noter quelle est la somme des propos d'Eliu, pour faire nostre profit de tout le discours que nous verrons en ce chapitre: c'est qu'il faut que nous glorifions Dieu comme iuste. Voila donc le sommaire de tout ce chapitre. Or il semble que ceci est par trop commun, et qu'il ne soit ia besoin d'en parler, pource que de primeface nul n'osera nier que Dieu ne soit iuste: mais tant y a qu'à grand peine de cent l'un en trouvera-on qui recognoisse la iustice de Dieu comme il appartient: et ceux-là mesmes encores y failles t. Ie di des plus iustes, que souventesfois ils seront solicitez de ces doutes que nous avons dit. Que sera-ce donc des gens prophanes et brutaux, qui ne sont point exercez à magnifier Dieu, et qui n'ont point addonné leur estude à cela? Et pourtant sachons, que celui qui aura retenu ceste doctrine de confesser que Dieu est iuste, et en sera bien persuadé, aura beaucoup profite: et non pas seulement pour un iour, mais pour cent ans, pour mille, quand il vivroit autant en ce monde. Mais il nous faut observer, comment c'est que nous confesserons Dieu estre iuste. Vrai est que ceste matiere ne se pourroit pas maintenant traitter au long: mais si en faut-il dire un mot pour donner ouverture à ce qui suivra. Comment donc est-ce que nous confessons Dieu estre iuste? C'est quand sa seule volonté et simple nous suffira pour toute raison, et que nous aurons cela bien persuadé en nous, que tout ce que Dieu fait, est bon et equitable, encores que nous ne cognoissions point la raison pourquoi. Car si l'homme veut confesser Dieu estre iuste selon qu'il le comprend en son cerveau, et non autrement, que sera-ce? Ne sera-il point assuietti à nous? Mais il faut que nous ayons cela tout conclu, pour dire, Dieu est iuste. Et pourquoi? Sa volonté est la regle de toute droiture, tellement que tout ce qui procede de lui il

142

nous le faut adorer, encores que nous le trouvions estrange à nostre phantasie: et combien qu'il nous semble qu'il ne devroit pas estre ainsi: toutes fois que nous soyons retenus de ceste crainte, pour confesser que d'autant que Dieu est la fontaine de toute iustice, tout ce qu'il fait il nous le faut trouver bon. Voila donc en premier ce que nous avons à noter. Et puis, que nous cognoissions ceste iustice en toutes choses qui nous viennent à la phantasie, tellement que tousiours cela nous vienne au devant, Dieu est iuste. Comme quoi? Nous voyons les meschans dominer et avoir la vogue: cela nous despite. Or Dieu cependant est là au ciel comme endormi, ce nous semble: quand il n'y remedie pas du premier coup, il nous semble qu'il ne fait pas son office. Tant y a qu'en tout cela il faut que nous confessions Dieu estre iuste. Apres quand nous serons tormentez et affligez, maintenant en nos biens, maintenant en nos personnes, que nous verrons toute l'Eglise en general qui sera foulee au pied, suiette à la tyrannie des meschans. Et qu'estce que ceci veut dire? Or si faut-il que nous cognoissions et confessions Dieu estre iuste: et puis qu'ainsi est, attendons qu'il nous declare pourquoi les choses vont si mal à nostre semblant, et sachons que ce n'est point sans cause qu'il en dispose ainsi. Et pourtant, que nous fermions les yeux quand les choses iront tout au rebours de nostre appetit: que seulement nous soyons resolus en cela, pour dire Seigneur tu es iuste, et ie me contenterai de ceste iustice iusques à ce que tu me faces entrer en ton sanctuaire, et que i'apperçoive pourquoi c'est que tu disposes ainsi l'estat du genre humain. Vrai est que si maintenant ie suivoye ma phantasie, ie murmureroye, voire et me despiteroye contre toi, de voir ici les choses ainsi confuses: mais puis que nous savons que tu gouvernes tout le monde en ta sagesse et iustice infinie, il faut que tu sois approuve, et que nous confessions que c'est à bon droit que tu disposes ainsi le tout, encores que nous n'appercevions point la raison. Voila donc comme nous devons pratiquer en somme ceste doctrine.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON CXXX

143

LE CENT TRENTIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXXIV. CHAPITRE.

10. Ia n'advienne qu'il y ait iniustice en Dieu, ou iniquité au Tout-puissant. 11. Car il rendra, à l'homme selon son oeuvre, il fait trouver à chacun selon ses voyes. 12. Dieu ne condamnera point en vain, et le Tout-puissant ne renversera point le droit. 13. Qui est-ce qui a visité la terre outre lu'? ou qui est-ce qui l'a mis sur le monde? ou qui l'a bastie? 14. S'il tourne vers lui son coeur, et retire son esprit et son souffle: 15. Alors toute chair defaudra ensemble, et l'homme retournera en poudre.

Nous avons à deduire ceste sentence qui semble estre assez commune, c'est assavoir Qu'il n'y a point d'iniustice en Dieu, chacun le confesse: mais il y en a bien peu qui le cognoissent pour en estre bien persuadez. Si nous sommes à repos, et que Dieu ne face sinon ce que nous desirons, il nous sera facile d'accorder qu'il est iuste: mais si tost que nous sommes faschez, qu'il y a quelque mal ou adversité qui nous trouble, nous entrons en murmure, et ne cognoissons plus la iustice de Dieu, laquelle auparavant nous avions confessee. Ce n'est point donc assez, qu'en un mot nous protestions que Dieu est iuste: mais le principal est quand ce vient à la pratique, que nous trouvions bon tout ce qu'il fait, que nous soyons volontiers suiets à sa puissance: que s'il nous afflige nous n'entrions point en procez contre lui, que nous ne soyons point despitez de ce qu'il gourverne autrement que nostre desir ne porte, Voila donc ce que nous devons retenir de ce passage, quand il nous est monstre qu'il n'y a point d'iniustice en Dieu. Bref, iusques à ce que nous soyons venus à ceste raison, d'estre paisibles et obeissans à Dieu en tout ce qu'il fait, encores que les choses ne viennent point à nostre phantasie et propos, ou iugement, nous l'accuserons obliquement d'iniustice. Et pourquoi? Il gouverne tout le monde, rien n'adviendra qui ne soit disposé de son conseil et de sa main: si nous trouvons à redire aux choses qui adviendront, n'est-ce pas nous dresser à l'encontre de celui qui a tout en sa puissance? Et ainsi donc apprenons de nous assuiettir à la providence de Dieu, confessans que tout ce qu'il fait est bon: et alors nous le tiendrons pour iuste, et lui rendrons la louange qui lui est deuë. Si nous repliquons contre lui, nous tormentans de ce qu'il fait, et y trouvans à redire, c'est autant comme si nous blasphemions contre lui l'appellans iniuste. Vrai est qu'en nos

144

afflictions il ne se peut faire que nous n'ayons quelque regret, mais tant y a qu'il nous faut dompter nos passions, et les tenir captives, et prendre ceste conclusion en nous, Que Dieu, puis qu'il est tout bon et sage, ne fait rien que par raison et droiture. Voila donc comme il nous faut batailler contre nos passions quand elles s'eslevent en nous, et qu'elles nous incitent à nous eslever contre Dieu.

Maintenant regardons comment Eliu prouve qu'il n'y peut avoir iniustice en Dieu. Il dit, Qu'il rendra aux hommes selon leurs oeuvres, et qu'il fera trouver à chacun selon ses voyes, Ceci doit bien estre noté: car ce n'est pas le tout de cognoistre que Dieu est iuste en soi, comme aussi sa iustice n'est pas enclose en son essence, tellement qu'elle nous soit incognue, mais elle s'estend par tout, et faut qu'elle soit cognue principalement en nous. Voulons nous donc cognoistre comme Dieu est iuste? Regardons çà et là, et nous pourrons bien contempler sa iustice, cognoissans que ce monde est gouverné par lui en telle equité qu'il n'y a que redire. Et de fait chacun quand il sera appellé en son rang, n'aura nulle occasion de se plaindre, mais il faudra que tous confessent que Dieu les a supportez par sa bonté infinie, et les a punis d'une iuste rigueur Voila ce que nous avons maintenant à retenir de este raison qu'Eliu allegue. Et c'est un article bien notable, comme i'ai desia touché: car quand il nous parle de la iustice de Dieu, n'imaginons point qu'il soit seulement iuste en soi: mais apprehendons sa iustice comme il appartient, et l'estendons comme il faut, c'est assavoir de tout le gouvernement du monde. Comment est-ce donc que Dieu est iuste? Pource que tout est conduit par lui en equité: que tout ce que nous voyons il nous le faut approuver comme iuste d'autant qu'il procede de lui. Ie n'enten pas les pechez qui se commettent des hommes, mais i'enten que Dieu en son conseil souverain dispose tellement toutes choses, que ce qui procede de lui il nous le faut trouver bon. Et pourtant quand chacun de nous viendra, à s'examiner, qu'il cognoisse qu'il n'a nulle couverture pour plaider contre Dieu, qu'on ne peut l'accuser de cruauté, et que nul ne peut dire qu'il l'ait mal traitté: mais que nous approuvions sa iustice en ce qu'il nous gouverne et manie. Au reste si nous voulons comprendre ce propos, et en estre bien persuadez, il faut en premier lieu qu'un chacun se sonde, et qu'il pense de pres quel il

IOB CHAP. XXXIV.

145

est. Car qui est cause que nous sommes ainsi despits, et quoi que Dieu nous face, qu'il ne nous peut contenter, que nous avons tousiours ceste audace de nous eslever contre lui, sinon que par vaines flatteries nous sommes aveuglez, et qu'un chacun cuide estre iuste ne pensant point à ses pechez? Et ainsi quand nous aurons ceste prudence en nous de bien cognoistre nos fautes, il est certain que toutes les repliques contre Dieu cesseront et seront soluës, qu'en humilité chacun viendra dire, Seigneur, tu m'as traitté en telle sorte qu'il faut bien que ie cognoisse ta iustice, et que ie te glorifie. Mais quoi? Nous ne pouvons pas nous tenir de nous tromper: et encores que nous cognoissions que nous n'avons nulle replique: si est-ce que nous voulons tousiours amoindrir les vices, voire et les couvrir, encores qu'ils soyent plus que notoires. Or sommes-nous ainsi endormis en nos fautes par nostre hypocrisie, Alors il nous est aisé de nous eslever contre Dieu. Et ainsi c'est le vrai remede, quand les hommes voudront recognoistre Dieu estre iuste, afin de lui attribuer la louange qu'il merite, qu'en premier lieu ils se facent leurs procez, qu'ils s'accusent eux-mesmes, et se condamnent. Alors il ne leur coustera rien de recognoistre que Dieu est iuste: car ils sont convaincus assez en eux qu'il ne les a pas mal traittez, et qu'il ne leur a fait nul tort: d'autant que s'il les a chastiez, ç'a esté pour leurs offenses, et encores qu'il ait exercé quelque rigueur sur eux, tant y a que tousiours il les a supportez par sa bonté et misericorde. Voila donc en somme ce que nous avons à retenir.

Or cependant notons quand il est dit, Que Dieu rendra, à l'homme selon ses oeuvres, et qu'il fera trouver à chacun selon ses voyes, que cela n'est pas entendu en telle sorte, Comme si Dieu du premier coup punissoit les transgresseurs de sa Loi, et qu'il maintint les bons: mais c'est pour monstrer que Dieu ne fait tort à nul. Il se pourra donc bien faire (comme il advient tous les iours) que Dieu pour un temps supportera les meschans: on voit qu'il dissimule quand les hommes se Sont desbordez à mal, et qu'il ne semble pas que Dieu y pense, ne qu'il les voye. Et voila aussi qui est cause d'endurcir les meschans, et de leur donner plus de hardiesse: car sous ombre que Dieu ne les punist point tantost, il leur semble qu'ils sont eschappez et quittes. Et ainsi donc Dieu ne punist pas incontinent les malefices, et aussi Eliu ne l'entend pas ainsi: mais tant y a qu'en la fin Dieu, apres avoir differé long temps, et avoir prolongé le terme aux meschans, leur monstrera que s'il les a attendus à repentance, il n'a pas oublié leurs forfaits, que tout a esté enregistré devant lui, et mesmes qu'ils se sont amassé un plus rand thresor de son ire.

146

Le terme donc leur sera bien cher vendu, quand ils auront ainsi abusé de la patience de Dieu, qui n'a pas voulu du premier coup les punir, afin qu'ils eussent loisir de cognoistre leurs fautes, et de se corriger d'eux-mesmes. Voila pour un Item: c'est que Dieu n'execute pas ses iugemens du premier iour en telle sorte, que nous puissions appercevoir à l'oeil qu'il rende à chacun selon ses oeuvres. Et de fait que seroit-ce quand il puniroit egalement les pechez? Nous n'attendrions plus d'autre iournee: car tout seroit accompli en ce monde. Et où seroit l'article de nostre foi qu'il nous faut ressusciter et venir devant le siege iudicial de nostre Seigneur Iesus Christ? Bref, il n'y auroit plus ne de loyer pour les bons, ni de crainte pour les meschans et rebelles. Et voila pourquoi aussi notamment en l'Escriture il est dit, Que Dieu rendra. Sainct Paul parlant de la iustice de Dieu ne dit pas qu'il rend tous les iours a chacun selon qu'il a desservi, mais il dit, Il rendra (Ro. 2, 6). Et quand? Au dernier iour. Eliu ne contredit point à ce te sentence: mais quand il dit, Que Dieu rend, il presuppose ce qui est vrai, qu'il nous faut tenir nos esprits en suspens iusques à ce que Dieu nous monstre ce qui nous est caché pour un temps. Il faut, di-ie, que nostre foi soit exercee en attendant patiemment ce que nous n'appercevons point encores: il suffit que Dieu nous donne quelques signes de sa iustice, qu'il nous en monstre des exemples notables, tellement que nous soyons contraints de sentir qu'il regarde les hommes pour les chastier en leurs offenses. Si Dieu nous donne quelques tesmoignages de cela, contentons nous: et cependant que nous soyons patiens, iusques à ce que nous cognoissions ce que maintenant il se reserve à soi. Voila donc comme il nous faut prendre ceste sentence, pour la bien appliquer à nostre usage.

Il y a un second poinct: c'est qu'Eliu n'entend pas que Dieu rende tellement à chacun selon ses oeuvres, qu'il ne supporte ceux qu'il punit, et qu'il ne monstre quelque bonté envers eux, combien que d'un costé il leur soit severe, et qu'il leur face sentir qu'il est leur Iuge. Mais c'est pour signifier que quant au monde Dieu ne regarde point de punir nos pechez en mesure egale: car que seroit-ce? Il ne nous envoyeroit point de maladies, des povretez et choses semblables: mais nous serions abysmez et foudroyez du premier coup, tellement qu'il ne seroit point question seulement de sentir quelque punition horrible, mais il faudroit qu'il s'armast en sa maiesté puissante pour nous confondre et abysmer. Car quels sont nos pechez? Ainsi donc notons que Dieu ne punit point les pecheurs, et qu'il ne leur fait point sentir sa vengeance en mesure egale, si tost qu'ils l'ont desservi: mais il les supporte, tellement que tous les

SERMON CXXX

147

chastimens que nous recevons en ce monde, ne sont qu'advertissemens que Dieu nous fait, nous donnant encores lieu de repentance. Non pas que cela profite à tous: car les meschans sont desia condamnez, d'autant qu'ils sont incorrigibles: et non seulement Dieu leur fait leur procez, mais il escrit leur condamnation, qui est toute preste à executer quand il voudra. Quoi qu'il en soit, si nous considerons bien tous les chastimens que Dieu

nous monstre en ce monde, ils ne sont pas à beaucoup pres à egaler nous pechez, mais il nous attend afin que nous y pensions. Voila donc encores un autre article que nous avons à noter en ce passage.

Or il y a pour le troisieme, Que Dieu ne rend pas tellement aux hommes selon leurs voyes, qu'il ne se reserve de pardonner à ceux que bon lui semble, quand il les veut reduire à soi. Dieu ne punist point ses esleus. Et pourquoi? Car il lui plaist de les recevoir à merci, et de se reconcilier par sa bonté gratuite avec eux: et en faisant cela il ensevelist leurs fautes, tellement qu'il n'entre pas (comme il est dit au Psaume [143, 2l) en iugement avec eux. Dieu donc a bien ceste liberté d'abolir nos offenses sans les punir: et cependant cela ne derogue en rien à sa iustice. Et pourquoi? Car quand Dieu nous veut pardonner nos fautes, comment en use-il? Ce n'est pas pour nourrir le mal qui est en nous: mais il nous en touche, et nous le remonstre, il nous fait sentir combien nous l'avons offensé, et puis il nous donne ceste affection de nous desplaire en nos pechez, et d'y gemir. Quand nous sommes touchez ainsi de repentance, nous sommes iuges de nos fautes, et les condamnons: et par ce moyen voila Dieu qui a exercé son office. Car c'est beaucoup plus quand l'homme se condamne que s'il estoit condamné de Dieu, et qu'il grinçast les dens, et qu'il demeurast incorrigible et obstiné en son mal. Dieu donc quand il nous retire à soy à repentance, n'oublie point son office: car il ne nous pardonne point nos pechez pour nous y flatter. u contraire c'est afin qu'il y ait double punition, que d'un costé nous sentions les ma IX que nous avons commis, de l'autre costé que la misericorde de Dieu reluise pour descouvrir les povretez où nous estions, iusques à ce qu'il nous en ait affranchis. Et ainsi donc notons bien, que Dieu en pardonnant les fautes à ses eleus ne derogue en rien à sa iustice, que ceste sentence en soit tousiours vraye, Qu'il rend aux hommes selon leurs oeuvres et leur fait trouver selon leurs voyes. Maintenant nous voyons ce que i'avoye touché: c'est que pour glorifier Dieu en sa iustice, il nous faut tousiours estre persuadez en nos afflictions, que nous ne souffrons rien a tort, et que eu a raison de nous chastier, que si nous entrons

148

en procez, nostre cause est perdue pour nous Et au reste que nous cognoissions, que Dieu nous supporte tellement par sa bonté, que nous avons tousiours occasion de sentir que nous sommes obligez tant et plus à luy, de ce qu'il n'exerce pas une rigueur extreme contre nous, ainsi qu'il luy seroit licite. En somme cognoissons qu'il nous espargne, encores qu'il nous face sentir sa vengeance: et encores qu'il se monstre rude et aspre que toutes fois il y a de sa bonté meslee parmi: et cependant, que tousiours il est iuste, tellement que les hommes ne gaigneront rien, quand ils penseront s'absoudre d'eux-mesmes, mais que le meilleur est quand nous voyons que Dieu nous appelle et nous solicite de venir à luy, que devant coup nous ayons senti nos fautes, voire pour nous y desplaire, pour en gemir, tellement que Dieu soit enclin à nous les pardonner. Voila en somme ce que nous avons à retenir de ceste sentence.

Or suivant cela Eliu pour confirmation plus grande dit, Que Dieu ne condamnera point en vain, et qu'il ne subvrertira point le droit. Il ne dit ici rien de nouveau, mais il ratifie son propos, voire respondant à ce qui avoit esté allegué par Iob. Il dit donc en premier lieu, Que Dieu ne condamnera iamais en vain: c'est à dire que les hommes ne pourront alleguer qu'il leur face tort, et qu'il leur face à croire qu'ils ont failli: comme souvent aux iustices terrestres un povre innocent sera opprimé, on luy mettra en avant une chose de neant où il n'y aura nulle faute: mais cependant si faudra-il qu'il passe par là, il y aura des faux tesmoins qui seront pour accabler un homme le plus iuste du monde. Là donc on punira souvent à tort et sans cause: mais ce n'est pas ainsi de la iustice de Dieu, il ne faut point qu'il monstre dequoy, qu'il ait de grans registres pour preuves, et pour s'excuser quand il seroit calomnié par les hommes: chacun porte son procez escrit et bien seellé en soy. Il ne faut point, di-ie, que nous ayons antre iuge que nostre conscience propre: et si maintenant chacun ne le cognoist, tant y a que Dieu en despit de nos dens nous resveillera bien, et quand nous aurons esté long temps à nous flatter, si faudra-il que nous retournions là d'estre convaincus, qu'il avoit iuste cause de nous punir.

Et voila pourquoy aussi Eliu adiouste, Que Dieu ne renversera point le droit: car quand nous ne pouvons mieux, nous venons à ce subterfuge, que Dieu est tout-puissant, et qu'il fait ce que bon

j luy semble, et pource que nous ne pouvons pas luy resister, qu'il y va, à tors et à travers. Et si nous ne parlons ainsi: si est-ce que nous aurons telles pensees obliques, Que nous voudrions sous

ombre que Dieu est tout-puissant, et que nous sommes povres creatures et fragiles, luy faire à

IOB CHAP. XXXIV.

149

croire qu'il nous tormente par trop. Mais au contraire il est dit que Dieu ne pervertist point le droit, c'est à dire qu'il ne punist point les hommes, que tousiours il ne regarde à les supporter, comme il cognoistra estre expedient: et s'il y avoit dequoy les espargner encores plus, il est certain qu'il le feroit, d'autant qu'il cognoist ce qui leur est propre. Ainsi donc pratiquons ceste doctrine, de nous humilier devant Dieu toutes fois et quantes que nous sommes chastiez de luy: ayons la bouche close pour ne point repliquer à l'encontre: et cependant soyons humbles, et que l'hypocrisie ne nous aveugle pas, pour nous flatter en nos transgressions. Voila donc en somme, comme il faut que nous apprenions à nous condamner, et là dessus que nous cognoissions que Dieu en nous punissant est iuste, et qu'il ne renverse point nulle equité qui soit en nous: que si nous avions bonne cause, elle seroit maintenue de luy, il ne faudroit ni procureur ni advocat, car luy-mesme nous seroit garant: il ne demande sinon de nous absoudre. Ainsi donc, si nous sommes condamnez par luy, il faut passer par là, cognoissans que nous l'avons bien desservi et merité. Il est vray que ceci se dira bien en general: mais tant y a qu'un chacun en son privé et au regard de sa personne, il faut qu'i ait ceste doctrine imprimee en sa memoire: et sur tout quand nous somme batus des verges de Dieu, et que l'un sera afflige de povreté, l'autre de maladie, l'autre aura quelque tort qu'on luy fera. ne quelque costé que le mal nous viene, que nous cognoissions, Voyci la main de Dieu qui nous visite. Et pourquoy? Il y a bien iuste raison: car nous sommes povres pecheurs, nous luy sommes rebelles tant et plue: et ne faut point que nous pretendions d'amoindrir nos fautes pour dire que les punitions de Dieu sont excessives, comme s'il n'avoit dequoy nous punir: mais au contraire quand il exerceroit une plus grande rigueur beaucoup, voire iusques à nous accabler du tout, confessons que ce ne seroit point trop, attendu que nos pechez sont venus iusques au comble. Voila donc comme nous devons entendre ceste sentence.

Or il met puis apres, Qui est-ce que Dieu a ordonné pour mettre sur le monde outre luy? combien que le mot dont use ici Eliu signifie quelquefois visiter: mais pource que la sentence est tousiours une, il ne nous faut pas arrester beaucoup au mot: en somme Eliu veut dire, qu'il n'y a que Dieu qui gouverne le monde, et qu'il n'a point de compagnon, et qu'il n'est point Createur pour avoir seulement basti une fois le ciel et la terre: mais qu'il a tout en sa main, et qu'il conduit et gouverne auiourd'huy ses creatures, tellement que rien ne se fait sans sa volonté. Voila en somme ce qu'a voulu ici dire Eliu. Or il semble bien que

150

ce te raison ne soit point propre pour maintenir la iustice de Dieu: car il n'est pas question ici de sa puissance: et encores (comme desia nous avons touché) les hommes quelquefois sous ombre que Dieu est tout-puissant le voudront accuser de tyrannie, et qu'il n'a point d'esgard à nostre infirmité et foiblesse. Voila donc comme les hommes prendront occasion de s'eslever contre Dieu en confessant sa puissance pour dire il est vray qu'il est maistre, mais cependant ce n'est point à dire qu'il se retienne et se modere comme il doit. Car combien qu'on fasche et qu'on tormente les siens, il semble qu'il ne s'en soucie, et qu'il n'y ait point d'esgard. Or au contraire Eliu pretend de monstrer, que Dieu est iuste. Et comment le monstre-il? Car lui seul, dit-il, gouverne le monde. Il semble que cela ne soit point à propos: mais quand tout sera bien consideré, c'est une raison peremptoire (comme on dit) et assez suffisante pour nous clorre la bouche.

Et c'est aussi ce qu'il adiouste tantost apres Celui qui est iniuste gouvernera-il? Il est vrai quant au monde, que les meschans quelquesfois pourront gouverner. Et pourquoi? Car voila les rois qui sont faicts dés le ventre de la mere, ils parviennent à la couronne par heritage: autant en est-il des princes. Apres ils donneront les offices à leurs maquereaux à gens de nulle valeur, comme on sait quels sont les courtisans: ou bien il les vendront, et ainsi toute la iustice sera ruinee. Là où on ordonnera par election et voix du peuple les gouverneurs, comment y procede-on? Ce n'est pas en crainte de Dieu, ni en reverence, pour dire, qu'on ordonne gens qui dominent en iustice: mais aux tavernes on briguera, on fera des entreprinses les plus vilaines du monde. Quand donc les rois et les princes, et leurs officiers, et les Magistrats, qui seront esleus parviennent par tel moyen diabolique à leur degré: il faut bien que les meschans dominent.

Mais ce n'est pas ainsi de Dieu. Et pourquoi? D'autant que de nature il a l'empire souverain du monde, et cela lui est deu: il n'a pas esté esleu par des canailles qui voudront que toute confusion regne, et qui esliront ceux qui les supporteront en mal, qui ne demandent qu'à renverser tout ordre et bonne police. Dieu donc n'a point esté esleu en des tavernes par brigues et par pratiques meschantes: il n'a point esté appellé en son office par faveur: il n'y a point succedé par heritage, comme si les estats lui eussent accordé qu'il succedast à un pere mortel: il n'y a rien de tout cela en lui. Quoi donc? ne nature il a le gouvernement du monde, tellement que ce sont deux choses inseparables que l'essence immortelle de Dieu, et l'authorité qu'il : de gouverner. Et c'est ce qui est dit au

SERMON CXXX

151

dixhuictieme chapitre de Genese par Abraham: car il argue que c'est une chose impossible que Dieu exerce quelque cruauté ou excez. Celui (dit Abraham) qui iuge le monde, pourra-il abysmer le meschant avec le bon? Or quand Abraham dit cela, il n'entend pas d'admonnester Dieu qu'il advise à soi: comme nous pourrions admonnester un homme mortel: ainsi que Moyse parle aux Iuges, et Iosaphat aussi, Advisez à vous: car vous ne tenez point ce siege de creature, mais c'est le Dieu vivant qui vous a appellez en son throne, et quiconque y sera assis ne dominera point comme homme, mais comme lieutenant de Dieu. Ainsi donc nous pourrons admonnester les iuges terriens de leur office. Et pourquoy, Car ils peuvent errer: et mesmes nous voyons comme les hommes declinent plustost au mal qu'ils ne se tienent au bien: pource qu'ils y sont du tout adonnez, et puis, pource qu'il n'y a point une telle vertu et constance à beaucoup pres comme elle devroit: et quand il y a bon desir, si est-ce qu'il n'y a point de zele tel qu'il seroit requis. Voila donc les iuges terriens qui ont besoin d'estre exhortez de leur office. Et pourquoy? Ils ne s'en acquittent pas comme ils doyvent. Mais quand Abraham allegue à Dieu, Assavoir si celuy qui iuge le monde condamnera le bon avec le meschant? il dit cela, à autre propos: c'est assavoir pour monstrer que Dieu ne se peut autrement transfigurer, qu'il ne soit tousiours iuste comme il est Dieu. Il n'y a donc rien plus propre à Dieu, que l'equité: et quand nous voudrons l'accuser d'iniustice, c'est autant comme si nous voulions aneantir son essence. Et pourquoy? Il n'est point Dieu pour estre une idole, pour estre chose morte et oisive: mais il est Dieu pour gouverner le monde: il a tellement sa maiesté souveraine en soy, qu'il faut qu'il soit Iuge: et estant Iuge, il faut qu'il soit tellement equitable qu'il n'y ait que redire en luy. Suivant cela il est dit maintenant par Eliu, Qu'il faut bien que tout ce qu'il gouverne soit iuste, et qu'il n'y peut avoir iniustice en luy. Et pourquoy? d'autant qu'il a creé le monde, et d'autant qu'il le maintient sous sa protection et conduite. Nous avons donc maintenant la vraye intelligence de ce passage: il reste de recueillir la doctrine qui nous est propre pour nostre instruction. Et en premier lieu notons bien, que Dieu n'a point creé le monde pour laisser les choses en confus, et tellement que tout se gouverne par fortune comme on dit, mais il veut continuer a maintenir ses creatures, comme il le fait. Quand donc nous appellons Dieu Createur du ciel et de la terre, ne restraignons point cela a un moment: mais cognoissons que Dieu ayant basti le monde, auiourd'huy a tout en sa puissance, et qu'il dispose des choses d'ici bas, tellement qu'il a le soin de

152

nous, et que les cheveux de nostre teste sont contez qu'il guide nos pas, que rien n'advient qui ne soit decreté par son conseil. Voila ce que nous avons à retenir en premier lieu.

Or notamment il est dit, qu'outre luy nul n'est ordonné sur le monde, nul n'est mis sur la terre: c'est pour signifier que ce sont deux choses coniointes que la creation et le gouvernement du monde. Si donc nous imaginons que Dieu ne gouverne point tout, mais qu'il advienne quelque chose par fortune: il s'ensuit que ceste fortune est une deesse qui aura creé une partie du monde, et que la louange n'en est pas deuë à lui seul. Et voila un blaspheme execrable si nous pensons que le diable puisse rien sans le congé de Dieu, c'est autant comme si nous le faisions createur du monde en partie. il apprenons, qu'il y a un lien inseparable de ces deux choses, c'est assavoir, Que Dieu a tout fait, et qu'il gouverne tout. Et voila pourquoi notamment il est dit, Dieu a basti le monde. Et pensons-nous donc qu'il appelle maintenant un compagnon pour lui aider à disposer de ses creatures? Vrai est que Dieu usera bien de moyens inferieurs pour gouverner le monde: mais si est-ce que ce n'est point pour amoindrir son autorité, ce n'est pas pour avoir quelque compagnon: car il domine tousiours par dessus. Que sont les plus grands rois, sinon les mains de Dieu? Et il s'en sert comme bon lui semble, ainsi qu'il le reproche par son Prophete Isaie à cest orgueilleux Sennacherib, qui cuidoit avoir tout fait par son industrie: Voire, et qui es-tu sinon une coignee en la main de celui qui frappe? Si un homme tient une scie, ou qu'il tienne un cousteau, qu'il en couppe, et qu'il s'en serve selon sa volonté: et l'instrument se peut-il dresser sur l'homme? Nenni: mais c'est pour monstrer que l'homme non seulement se peut aider de ses mains, et de ses bras: mais qu'il a aussi les choses qui sont hors de soy à son commandement. Y a-il nulle vertu aux creatures mortelles, que du Dieu vivant? ne tienent-ils point tout de luy? Nons ne sommes donc rien estans separez de Dieu, c'est en luy que nous vivons, que nous avons estre et mouvement. Cognoissons donc quand Dieu use des moyens de ce monde, et qu'il se veut servir des hommes comme d'instrumens, que cela n'est pas pour amoindrir sa puissance, ne pour la limiter: mais au contraire il monstre plustost qu'il en a la conduite. et qu'il ne faut sinon qu'il commande, et qu'il sible, comme il en parle, et il faut que les hommes marchent pour executer son vouloir: mesmes que les diables d'enfer sont contraints à cela: et combien qu'ils ne le vueillent pas, et que ce soit tout au rebours de leur intention, si est-ce que Dieu toutes fois les induit avec une puissance violente pour executer ce qu'il a

IOB CHAP. XXXIV.

153

ordonné en son conseil. Et ainsi maintenant nous voyons comme il nous faut considerer la providence de Dieu, c'est qu'il a le soin de ce monde, qu'il veille sur toutes ses creatures, non seulement pour prevoir ce qui adviendra: comme aucuns phantastiques pensent que Dieu regarde comme de loin les choses d'ici bas, et puis qu'il y prouvoit apres coup: non, mais il y a bien plus, c'est que rien ne peut estre fait que ce qu'il a determiné, tellement que sa volonté est la regle de toutes choses. Voila donc ce qui nous est monstré en ce passage.

Et pourtant il nous faut mediter la providence de Dieu, que quand il nous advient quelque affliction, nous venions tousiours à ceste cause premiere. Il est vray que quelquefois les hommes nous feront tort, ainsi que nous avons veu de Iob, qu'on luy avoit pillé sa substance. les hommes donc ou par fraude, ou par violence nous pourront despouiller de nos biens, on pourra par calomnies et meschancetez nous opprimer: mesmes on tuera quelqu'un voire et iniquement. En cela il nous faut cognoistre la providence de Dieu, comme Iob a fait. Il ne s'est point adressé aux brigands qui l'avoyent pillé, mais il a dit, Le Seigneur l'avoit donné, et le Seigneur l'avoit esté. Toutes fois Satan en avoit este l'auteur: mais il cognoist que Dieu qui a basti le monde veille tousiours pour le gouverner, et l'a en sa conduite, comme il est ici monstré. Et ainsi quand nous serons affligez, combien que cela procede du costé des hommes, qu'ils nous facent tort, et violence, sachons que Dieu par dessus tient la bride, et qu'il nous veut ainsi affliger, et qu'il faut recevoir cela de sa main comme de nostre iuge, pour entrer en cognoissance de nous pechez, et passer condamnation, ainsi qu'il en a esté parlé n'agueres. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage.

Et mesmes quand nous voyons les meschans dominer ici bas, cognoissons que c'est une portion de la iustice de Dieu. Pourquoy est-ce que les choses sont ainsi troublees, et que les uns parvienent aux offices par meschantes brigues et corruptions, les autres les achetent afin puis apres de se revenger sur le povre peuple, d'esgratigner l'un de devorer l'autre? Et c'est pource que Dieu voit que nous ne sommes pas dignes d'estre gouvernez par luy, il lasche la bride à Satan. Voila donc comme toutes les iniustices qui regnent sont autant de fleaux de Dieu, à cause de nos pechez, comme desia nous avons veu par ci devant. Puis qu'ainsi est, il nous faut mesmes cognoistre que si les princes et les iuges terriens sont meschans, Dieu nous veut donner plus grand lustre à sa iustice, et qu'elle soit cognuë de nous, pource qu'il nous afflige, et par ce moyen chastie les offenses que

154

nous avons commises, et nous monstre que nous ne sommes pas dignes qu'il approche de nous: mais plustost qu'il faut qu'il s'eslongne et nous face sentir que nous estans desbordez, ayans reietté son ioug, estans devenus comme bestes sauvages, nous avons merité que le diable regne sur nous, et les meschans qui sont ses supposts, et lesquels il aura suscitez. Ainsi donc nous voyons qu'en tout et par tout Dieu merite d'estre glorifié quelques troubles que nous voyons en ce monde: et qu'il nous faut tousiours revenir là, Puis qu'il est tout-puissant, il est impossible qu'il face rien d'inique: il n'est point prince du monde par le vouloir d'autruy, il n'a point esté eleu par pratiques meschantes et par fraude: mais il l'est de nature et comme il est Dieu, il faut aussi qu'il soit equitable: car sa iustice ne peut estre separee de sa puissance, comme desia nous avons dit.

Or cependant Eliu monstre, que si Dieu tourne son coeur vers nous, afin de retirer son esprit et son souffle, toute chair defaudra, et que nous serons incontinent du tout changez en poudre. Ici Eliu conioint la puissance de Dieu avec sa bonté. Il monstre donc quand nous sommes gouvernez par la main de Dieu, qu'il nous faut bien sentir qu'il est bon et pitoyable envers nous, d'autant que nous ne perissons pas à chacune minute de temps. Et pourquoy? Car que nous faut-il pour nous mettre en cendre, pour nous aneantir du tout, sinon un seul regard de Dieu? Il est dit, Que Dieu souffle sur les hommes, et voila leur verdeur qui se changera bien tost, elle sera flestrie, elle dessechera Le Prophete Isaie (40 7) parle ainsi de la vertu des hommes, quand il les accompare à l'herbe ou à une fleur: il dit que si Dieu souffle, il nous sera comme un vent qui desseche les herbages: ainsi serons-nous dessechez. Et c'est ce qui est dit au Cantique de Moyse. Vray est qu'il y a bien une autre comparaison: mais elle tend à une mesme fin, c'est que si Dieu retire à soy son esprit et son souffle, nous perissons: comme aussi il en est parlé au Pseaume cent quatrieme (v. 30). Et c'est aussi suivant ce que i'ay allegué du sermon de sainct Paul au dixseptieme chapitres des Actes (17, 27): C'est en Dieu que nous vivons, et avons nostre mouvement. Puis que nous ce sommes sinon d'autant qu'il plaist à Dieu de tenir son esprit espandu sur nous, s'il retire coste vertu-la, il faut bien que nous perissions tantost. Nous voyons donc, que les creatures ne demeurent point on leur estre, sinon d'autant qu'il plaist à Dieu de les soustenir: si tost qu'il aura recueilli ceste vertu, voila tout qui est reduit à neant. Pour conclusion ce que nous avons touché demeure: c'est que la puissance de Dieu est ici tellement coniointe avec sa bonté, qu'il nous faut cognoistre que iamais il ne desploye une telle

SERMON CXXXI

155

rigueur sur nous, que cependant encores nous ne soyons espargnez, d'autant que nous peririons à chacune minute de temps, s'il luy plaisoit retirer son esprit de nous. Car qu'y a-il en nous, quand nous viendrons à considerer nos vertus? Avons-nous quelque moyen de nous garder? Qui est-ce qui induit Dieu à nous maintenir? Mesmes, sommes-nous dignes de iouir des biens qu'il nous fait? Il n'y a rien de tout cela. Apres, quelle obligation est-ce qu'il a envers nous, ie vous prie? Et puis quelle est nostre puissance? Quels sont nos moyens? Il faut donc conclure que Dieu n'a point cause de conserver le monde, sinon pource que luy est bon, et la fontaine de toute bonté, qu'il n'est point induit par aucune raison d'ailleurs de nous eslargir tant de biens que nous recevons iournellement de sa main, sinon qu'il luy plaist de nous faire sentir par experience sa misericorde et sa grace. Voila donc comme la seule vie que nous avons, nous est un tesmoignage suffisant combien Dieu est benin et pitoyable envers nous: et encores que nous soyons traittez le plus rudement qu'il est possible, que nous ne facions que languir, que nous soyons troublez de maux et de miseres, toutes fois seule

ment en respirant nous sommes convaincus que Dieu nous fait sentir sa bonté. Et pourquoy? Car nous ne vivons qu'en luy et par luy: s'il retiroit son esprit, nous peririons incontinent, et irions en poudre. Or la vie est une chose precieuse, quoy qu'il en soit. Voila donc comme les hommes sont tousiours redevables à Dieu, comment qu'ils les traite et manie. Vray est que ceci merite d'estre deduit plus au long: mais pource que le temps ne le porte pas, il suffira que ce que nous avons touché chacun le medite, et que nous regardions de pres à nous: et que cognoissans que nous ne sommes rien du tout, nous estimions tellement la puissance de Dieu qu'il declare envers nous, que nous y conioignions sa bonté: et que sur cela nous soyons esmeus à le confesser tel qu'il est c'est assavoir de nous assuiettir pleinement à luy: et que nous sachions qu'il gouverne tellement le monde, qu'il ne fait rien que par poids et par mesure: qu'il est iuste et equitable en toutes ses oeuvres, et qu'il nous le faut confesser tel encores que cela nous semble estrange quant à nostre sens charnel.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

156

LE CENT TRENTE ET UNIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXXIV. CHAPITRE.

Ce sermon est encores sur les versets 14 et 15 et nuis sur le texte ici adiousté.

16. Si tu as entendement, escoute ce que ie di, preste l'aureille à mon propos. 17. Celui qui hait iugement gouvernera-il, et le meschant condamnera-il celui qui est iuste? 18. Dira-on au roy, luy es desloyal: et aux princes, Vous estes meschans? 19. Il n'accepte point la personne des grans, et ne regarde point au haut, n'au petit: car tous sont l'ouvrage de ses mains. 20. Tous mourront soudain, et a minuict les peuples seront ravis, ils periront, et ostera-on le fort, voire sans main.

Nous avons declaré cy dessus, qu'icy les hommes sont advertis de leur fragilité, afin qu'ils cognoissent que Dieu les espargne, et qu'en demeurant sur la terre une minute de temps, nous devons attribuer cela, à sa grace. Et pourquoy? Si nous avons quelque vie et souffle en nous, nous tenons tout cela de Dieu: et ainsi nous voyons qu'il nous maintient par sa pure bonté. Puis qu'ainsi est que

nous ne l'accusions point de trop grande rigueur: car n'auroit il point iuste occasion de nous exterminer tant que nous sommes? Qui est celuy qui puisse alleguer telle iustice, que Dieu n'ait dequoy pour le punir? Or cependant nous voyons qu'il conserve le monde, et chacun de nous est comprins en ce reng-la: ainsi nous sommes tous detteurs à sa misericorde. Et tant s'en faut qu'il use de trop grande rigueur sur nous, que plustost nous devons estre esbahis de sa patience, comme il peut souffrir qu'il y ait de telles iniquitez, et que du premier coup il ne foudroye sa vengeance, et qu'il ne racle tout. Puis qu'ainsi est, faut-il que nul murmure contre luy? Or si nous trouvons estrange que Dieu supporte les autres, nous pourra bien repliquer à l'opposite qu'il nous supporte aussi bien de nostre coste. Par cela donc apprenons de tousiours glorifier Dieu en sa misericorde, non pas moins qu'en sa vertu: car combien qu'il soit tout-puissant, si est-ce

IOB CHAP. XXXIV.

157

qu'il se modere d'autant qu'il nous aime. Or nous avons aussi à recueillir une autre exhortation bien utile de ce passage: c'est qu'en cognoissant nostre fragilité nous apprenions de remettre nos ames en la main de Dieu, que nous ne pensions pas vivre de nostre vertu, ni continuer nostre estat, mais que Dieu nous gouverne tant qu'il luy plaira, et que s'il luy plaist nous retirer de ce monde, nous soyons tousiours prests d'en partir.

Au reste, quel est le moyen de bien vivre? C'est que nous cognoissions, d'autant que Dieu nous possede, et qu'il nous vivifie par son S. Esprit, que c'est bien raison que nous tenions tout de luy, afin qu'en vivant et en mourant nous soyons du tout adonnez à son service. Et si ceste doctrine estoit bien imprimee en nos coeurs, il n'y auroit pas une telle stupidité comme on l'y voit. Car la plus part quand ils se levent du matin, leur souvient-il de se remettre entre les mains de Dieu? Et s'ils le font par ceremonie, est-ce qu'ils en soyent touchez au vif, cognoissans que leur vie n'est qu'un petit vent qui se peut esvanouir en une minute? Cognoissent-ils cela? Nenny. D'autant plus donc nous faut-il recorder ceste leçon qui nous est ici monstree, c'est que nostre vie n'est qu'un ombrage, qu'il n'y a que vanité. Et ainsi nous avons à nous remettre entre Les mains de celuy qui nous maintiendra selon son bon plaisir, et nous ostera aussi du monde quand le temps opportun sera venu. Mais comme nous sommes ici advertis de nous humilier, et de ne rien attribuer à nostre vertu: aussi à l'opposite nous avons en quoy nous reposer, sachans que nostre vie n'est pas en la main de chacun, mais de Dieu qui en est le protecteur. Et notamment l'Escriture dit, Que s'il retire son esprit et son souffle, nous mourrons tous. Cependant donc que Dieu nous voudra conserver, despitons hardiment et le diable et tous nos ennemis. Vray est quand nous regardons la violence des hommes, qu'il semble bien que ce soyent des loups ravissans, et nous des brebis: ils ont la gueule ouverte pour nous engloutir, mais tant y a qu'ils ne peuvent rien sur nous, sinon ce que Dieu leur permet. Or ce n'est point sans cause qu'il s'attribue et se reserve cest office, de retirer à soy le souffle qu'il nous a donné. Et ainsi donc contentons nous sachans que Dieu tient nostre vie en sa garde et protection, iusques à ce qu'il nous vueille retirer du monde, et nous ait fait achever nostre course Or si ou demandoit ici, assavoir si nos ames sont comme un vent, veu qu'il est dit que nous perirons quand Dieu retirera son souffle: notons combien que les hommes soyent immortels, toutes fois qu'ils n'ont pas cela de leur propre, mais de la bonté gratuite de Dieu. Au reste, qu'est-ce de la mort, sinon un departement de l'ame avec le corps? Dieu

158

donc retire son souffle à soy, quand il nous envoye en poudre et en pourriture et neantmoins il ne laissera pas de recueillir nos ames, et les garder iusques au dernier iour. En somme Eliu a ici voulu monstrer, que non seulement nous sommes infirmes et caduques, mais ce n'est rien de toute nostre force, sinon d'autant qu'elles est soutenue de la pure bonté de Dieu: et quand il nous dissipe quant à l'apparence, c'est à dire, par effect, il fait ce qu'il avoit decreté comme bon luy semble. Voila pourquoy nous devons tousiours retourner à luy, comme desia nous avons touché, et nous contenter en ce qu'il a le soin paternel de nous. Ainsi donc, que nous ne soyons pas comme ces gens volages, qui se confient en leur propre vertu, et pensent faire merveilles: que plustost avec humilité et solicitude nous venions nous cacher sous les ailes de nostre Dieu, le prians qu'il nous guide en sorte que nous vivions selon sa volonté.

Or Eliu ayant parlé ainsi, adiouste une exhortation, Si tu as entendement, escoute moy, et preste l'aureille à mes propos. Icy derechef il nous monstre que est le commencement de la vraye sagesse c'est de se rendre docile. Or au contraire ceux qui sont enflez de telle outrecuidance qu'ils ne peuvent recevoir nulle doctrine, qui sont tellement soulez qu'il leur semble qu'on ne leur pourra monstrer rien qui soit: ceux-la sont desesperez du tout. Et ainsi ce n'est point sans cause que nous disons que la premiere entree et le fondement de nostre sagesse, c'est de souffrir d'estre enseignez. Et pourquoy? Car regardons ce qui est en nous, assavoir si nostre raison est suffisante pour cognoistre et discerner tout ce dont nous avons besoin? Mais au contraire, Dieu prononce que nous sommes brutaux, et que tout ce qui semble estre apparent aux hommes n'est que vanité, et que Leur sagesse n'est que toute folie. Puis qu'ainsi est, cognoissons que nous avons besoin d'estre enseignez d'ailleurs que Dieu, di-ie, supplee à nostre deffaut: et pourtant ceux qui voudront avoir une sagesse bien fondee, qu'ils apprenent d'escouter la doctrine qu'on leur presentera au nom de Dieu, et qu'ils se rendent dociles et humbles pour la recevoir. Car si nous sommes preoccupez d'orgueil, nous aurons beau nous vanter devant les hommes, et mesmes nous pourrons avoir grande reputation d'estre sages mais voici Dieu qui declare que tout n'est que vanité et mensonge. Voila pourquoy notamment Eliu dit, Si tu es entendu, escoute: car il monstre il que si un homme a sens et raison, tousiours il souffrira d'estre enseigné, pour profiter tout le temps de sa vie. Au contraire donc il nous faut noter que si un homme poursuit à l'estourdie ce qu'il a conceu, et qu'il ne donne point loisir qu'on luy remonstre, qu'il n'escoute rien qui soit, il n'est qu'un

SERMON CXXXI

159

fol, voire pleinement enragé: car c'est bien une espece de rage, quand on ferme la porte à toute bonne doctrine, et qu'on pense estre si sage, qu'on n'ait plus besoin d'instruction, mesmes que nous repoussons tout, que nous mettons là une barre pour dire, Dieu n'approchera point de nous. Ainsi donc nous avons à noter une bonne doctrine de ce passage, c'est assavoir, que si nous voulons estre bien entendus, il nous faut monstrer dequoy, recevans paisiblement ce qui nous est dit et remonstré. Au contraire sachons, que Dieu nous condamne comme fols et insensez et desnuez de toute raison, si nous sommes farouches pour ne savoir prester l'aureille à ce qu'on nous dira, si nous reiettons loin les bonnes admonitions: nous voila, di-ie, comme bestes brutes, quelque apparence de sagesse qu'il y ait en nous. Or nous avons a pratiquer ceste doctrine en toute nostre vie, d'autant que nous cognoissons que nous sommes rudes: et mesmes ce que nous pouvons cognoistre n'est qu'en partie, nous avons seulement un petit goust d'intelligence, mais ce n'est pas perfection, helas, il s'en faut beaucoup. Voyans donc cela, que nous soyons tant plus esmeus à profiter: et d'autant que Dieu nous fait ceste grace de parler tous les iours à nous, et de continuer la doctrine qui est propre pour regler nostre vie, que nous continuions aussi à recevoir ce qui nous est proposé en son nom, et nous y exercer tousiours, afin que nous soyons instruits en sa volonté de plus en plus. Voila, di-ie, comme il nous faut pratiquer ceste doctrine.

Or là dessus Eliu pour continuer son propos fait une comparaison du plus petit au plus grand. Car il dit à Iob, Comment oserois-tu dire au roi, Tu es desloyal, et aux princes, Vous estes meschans? Si tu as un seigneur qui domine sur toy, tu le craindras en telle sorte que tu ne l'oseras point iniurier: or regardons maintenant si ce n'est point une rage diabolique aux hommes, de s'adresser à Dieu pour murmurer contre luy? Car quelle similitude y a-il? un roy, quelque maiesté qu'il ait, pourra estre meschant, et quand les princes et les gouverneurs seront meschans ils s'acquitteront tresmal de leur devoir: tant y a neantmoins qu'à cause de la dignité qu'ils ont, on les espargne. Voila Dieu qui n'accepte nulle personne, il brise tous ces grans lesquels sont honorez selon le monde, il les racle comme les plus petis, et monstre bien que ce ne luy est rien de toute la hautesse des creatures. Sur cela qui est ce qui osera ouvrir la bouche contre luy? Nous voyons donc maintenant quelle est l'intention d'Eliu. Or pou, mieux comprendre ce passage, notons qu'encores que les princes et les gouverneurs ne soyent pas tels qu'ils devroyent, Dieu veut neantmoins qu'ils soyent honorez: et s'ils

160

en sont indignes en leurs personnes, si est-ce que Dieu y a imprimé sa marque, et veut qu'on luy face cest honneur-la pour dire, Et bien Seigneur, ceux-ci dominent en ton nom: il faut donc que nous leur soyons suiets. Et c'est une espreuve qui n'est pas vaine, que ceste-ci: car si tous ceux qui ont autorité dominoyent comme bons peres, et que nous cognussions à l'oeil qu'ils n'ont autre soin sinon de nous bien gouverner, et que seroit-ce de leur obeir? Nous ferions cela au regard de nous: ce ne seroit pas pour obeir à Dieu, mais pour nostre profit tant seulement. Au contraire quand il y aura des malins et pervers qui auront autorité sur nous, et que nous S verrons des fautes notables: si neantmoins nous sommes modestes pour nous tenir sous leur bride et leur ioug: c'est signe que nous portons reverence à Dieu telle qu'il merite. Puis qu'ainsi est, à cause de lui nous sommes tenus d'obeir à ceux qu'il nous envoye, et lesquels il ordonne superieurs sur nous, combien qu'ils en soyent indignes. Et voila pourquoy il est dit en la Loy, Tu ne mesdiras point du prince de ton peuple (Exo. 22, 28). Dieu declare bien qu'il y aura des tyrans, et defait il menace son peuple d'une telle punition, quand notamment il dit, qu'il le chastiera envoyant des gouverneurs qui sel ont meschans, qui ne demanderont qu'à piller et opprimer, et qui domineront en tout excez: taut y a neantmoins qu'il commande qu'on les honore. Pourquoy? Car si les hommes ne meritent point qu'on les cognoisse pour superieurs, Dieu ne veut-il pas qu'en son nom on reçoive ceux qui toutes fois ne valent rien? Voila donc comme il nous faut assuiettir à ceux qui ont puissance et autorité publique, sachans que Dieu nous veut humilier en ceste sorte. Et nous voyons mesmes, qu'il a fallu que les enfans de Dieu se rengeassent sous la servitude des incredules, quand Dieu les a amenez iusques là Et defait nous voyons aussi l'exemple que Daniel nous monstre (9, 7. 13) car il cognoist quand les meschans dominent que c'est à cause de nos pechez, et qu'il faut que nous prenions cela comme une verge de Dieu: et si nous ne pouvons souffrir une telle confusion, que c'est nous rebecquer non point contre les hommes mortels, mais contre le Iuge celeste.

Ainsi en somme nous voyons, que nous devons honorer ceux qui ont quelque autorité publique. Et pourquoy? D'autant qu'ils ne sont pas eslevez à l'aventure, mais que c'est Dieu qui les ordonne: selon qu'il est escrit, qu'il n'y a puissance laquelle ne procede de luy: et Si nous y voyons de la confusion, il nous la faut imputer à nos pechez: et cependant puis que Dieu a establi cest ordre, qu'il soit gardé et observé entre nous, c'est assavoir que les princes et superieurs soyent obeis et qu'on

IOB CHAP. XXXIV.

161

s'assuiettisse à eux. Or toutes fois quand il est dit on la Loy, Qu'on ne mesdise point du prince de son peuple, ce n'est pas que Dieu vueille qu'on approuve le mal, ou qu'il soit: car la dignité d'un homme qui n'est qu'un ver de terre, doit-elle renverser la iustice de Dieu? Ceste sentence plustost ne doit-elle point avoir son cours Malheur sur ceux qui diront le mal estre le bien? Mais quand Dieu a commandé aux personnes privees, de ne point mesdire de ceux qui dominent, c'est afin que nous vivions en paix et sans trouble, et que le siege de iustice ait quelque reverence: car si cela n'estoit, non seulement il n'y auroit plus nulle police entre nous, mais nous serions pires que bestes sauvages. Voila donc à quoy Dieu a regardé. Cependant nous savons quand il a envoyé ses Prophetes, que ce n'a pas esté pour donner puissance aux rois et aux princes de mal faire sans qu'on leur remonstrast leurs pechez: mais plustost il est dit, Tu reprendras les montagnes, c'est à dire les plus hauts. Et notamment ie t'ay constitué sur les royaumes et sur Les principautez (dit Dieu à son Prophete [Iere. 1, 10) afin que toute gloire soit abbatue: pour monstrer que la parole de Dieu ne se peut prescher comme elle doit, sinon qu'on redargue les fautes de ceux qui polluent et prophanent le sainct siege de Dieu, qui abusent du glaive qui leur est mis en main. Quand donc il y a des mauvais gouverneurs et iniques, il faut qu'ils soyent reprins aigrement selon qu'ils ont merité. Et cela n'a pas este seulement pour les Prophetes, mais S. Paul declare (2. Cor. 10, 5) que nous devons observer le semblable en preschant l'Evangile, c'est assavoir d'abaisser toute hautesse qui se voudra eslever, dit-il, contre nostre Seigneur Iesus Christ. Ceux donc qui sous ombre de quelque autorité voudront qu'on les espargne, et qu'on ne touche point à leurs vices, qu'ils s'en aillent forger un Evangile nouveau. Comme nous voyons auiourd'huy les rois qui demandent d'estre sacrez, et qu'on ne gratte point leurs rongnes en façon que ce soit: mais qu'ils ayent licence de pervertir tout, sans qu'on ose sonner mot. Et ne faut point aller iusques aux rois, et aux grans princes: mais ceux qui ne sont rien par maniere de dire, s'ils ont quelque petit estat, il leur semble qu'ils soyent comme des idoles, et s'adorent, combien que cela soit ridicule mesmes selon le monde: combien qu'on voye qu'il n'y a dequoy (comme ce sont povres malotrus) tant y a encores qu'ils voudront fouler au pié toutes bonnes remonstrances, sous ombre qu'ils sont quelque peu eslevez. Or il faudroit donc qu'ils regardassent ceste leçon qui leur est donnee à l'opposite, c'est Que d'autant que ceste hautesse-la s'esleve contre Dieu, laquelle ne fait point hommage à ce grand Roi nostre Seigneur Iesus Christ. il

162

est question ici d'user de ceste liberté que Dieu nous donne.

Voila donc le moyen d'observer ceste doctrine, c'est assavoir, de ne mesdire point des rois et des princes: qu'il nous faut, entant qu'en nous sera, reverer ce siege de iustice, d'autant qu'il est pour procurer la paix et repos des hommes, et eviter troubles et se litions: mais cependant si faut-il que ceux qui faillent soyent redarguez, nonobstant leur estat et dignité. Car si Dieu les a eslevez, ce n'est point pour mal faire ne pour confondre toute honesteté: mais plustost pour tenir la bride, afin qu'ils empeschent toutes confusions. Or maintenant, puis qu'ainsi est qu'il nous faut porter ceste reverence à Dieu, qu'à cause de luy et à son regard nous soyons suiets à ceux qui seroyent egaux en condition avec nous, sinon qu'il les eust establis en son siege: que sera-ce quand nous viendrons à sa maiesté souveraine? Car les hommes quoy qu'ils dominent, soyent rois ou princes, ou gouverneurs ne laissent pas d'estre meschans si Dieu ne les retient par son Esprit. Or de Dieu c'est une autre chose: car de tout temps il a eu l'empire souverain sur tout le monde, il n'a point esté ordonné par meschantes pratiques, ce ne sont point de supposts de taverne qui l'ont colloque au ciel, ce n'a point este par brigues ie ne say quelles, ce n'a point esté par faveur ni corruption des personnes: et puis les meschans aussi ne l'ont pas eleu pour dire, Il nous supportera, nous aurons liberté de faire tout ce que nous voudrons. O, Dieu n'est point entré en son royaume par ce moyen-la, il n'y est point entré par heritage et succession humaine, ni à l'aventure: mais puis qu'il est Dieu eternel, il est aussi Roy et Iuge du monde. Puis qu'ainsi est maintenant qui osera ouvrir la bouche pour se rebecquer contre luy? Nous craindrons un roy: et bien, il est à craindre: nous craindrons des gouverneurs, et c'est aussi raison puis que Dieu les a honorez: mais qu'est-ce de tout le monde au pris de celuy qui tient tout en sa main? Et non pas qu'il faille qu'il ouvre la main pour tenir le monde: mais encores qu'il l'ait close, ainsi qu'il en est parlé au Prophete Isaie, il tiendra et les rois et les gouverneurs avec toute la multitude des hommes comme un petit grain de poudre. Et puis qu'ainsi est, oserons-nous maintenant nous eslever contre luy? Quelle audace? Et pourtant il ne faut point d'autre condamnation sur ceux qui se despitent et se drossent à l'encontre de Dieu, sinon ceste reverence qu'ils portent aux hommes. Ceux qui desgorgent ainsi leurs iniures, quand Dieu ne les manie point à leur appetit qui murmurent pour dire, Ie ne say comme Dieu l'entend, et faut-il qu'il m'afflige on telle sorte? pourquoy permet-il que les meschans facent du pis qu'ils peuvent. et

SERMON CXXXI

163

que les bons soyent tormentez, et cependant qu'il n'y remedie? Que ceux, di-ie, desquels on orra telles disputes, et qui osent ainsi blasphemer, qu'on leur demande s'ils oseroyent aller à ceux qui ont le glaive au poing, les iniurier, leur cracher au visage, pour dire, Vous estes meschans: O ie n'oseroye diront-ils. Et pourquoy? Tu craindras un homme mortel à cause que Dieu luy a donné une petite estincelle de sa gloire: et tu viendras t'eslever à l'encontre de celuy qui t'a creé et formé? Ta ne tiendras conte de la puissance de celuy devant lequel tout le monde n'est rien: tu te viendras rebecquer contre luy comme un homme enragé, et penses-tu avoir la victoire, Quand tu auras esté ainsi transporté ce sera, à ta confusion.

Voila donc comme il nous faut ramener ceux qui s'eslevent contre Dieu, à ceste similitude qui est ici couchee: et pareillement il faut qu'un chacun de nous s'y ramene de son bon gré, quand nous sommes tentez à nous fascher: comme ces tentations ici vienent à chacun, et toutes fois et quantes que nostre Seigneur ne fait pas ce que bon nous semble, nous sommes tentez de plaider contre luy. Quand donc nous sommes solicitez a cela, pensons, Et quoy? Tu n'oserois point parler contre un roy, ni un prince qui sera ton superieur, et celuy qui domine. La raison? Car tu es retenu de ceste crainte, d'autant que Dieu a là imprimé quelque marque de sa maiesté. Et comment donc oses-tu lever le bec contre le ciel? Qui es-tu povre creature? Il est dit e Daniel, que Dieu monstre bien sa providence en cela quand les rois et les princes sont obeis: car nous savons qu'il n'y a rien plus contraire à l'homme de son naturel, que de s'assuiettir. Ainsi donc n'estoit que Dieu donne autorité à ceux qu'il constitue en estat public, iamais on n'obeiroit à un homme. Et voila pourquoy notamment il est dit, Que Dieu met sa crainte en tous oiseaux du ciel, et es bestes de la terre: tellement que quand les hommes mesmes seroyent abbrutis, si faut-il qu'ils retienent encores ce sentiment-la, qu'il faut obeir à ceux qui sont eslevez au siege de iustice. Or toutes fois cela n'est qu'une bien petite portion de la gloire de Dieu. Irons-nous donc faire guerre ouverte à sa maiesté? N'est-ce pas pour nous rompre le col? Quand nous aurons saute trois degrez, c'est pour nous rompre: si nous sautons d'une fenestre, qu'il n'y ait qu'un estage entre deux nous voila morts: et nous voudrons sauter par dessus le ciel, et aller faire là des gambades, et regimber contre Dieu: et en viendrons-nous à bout?

Ainsi donc nous devons bien contempler quelle est la gloire infinie de nostre Dieu, afin de nous humilier sous luy mieux que nous ne faisons pas. Et notamment il est dit, Qu'il n'accepte point la per

164

sonne des grans: mais que sans considerer les riches ne les povres il met la main sur tous, et qu'il les extermine en une nuict: et que les plus forts mesmes seront ravis sans main. Quand nous oyons cela cognoissons en premier lieu, que ceux qui sont grans ne se doivent point confier en leurs richesses ny à leur credit, ny en leur savoir, ny en rien qui soit Vray est que selon les hommes ils seront honorez et semblera bien qu'ils se puissent maintenir, pource qu'ils sont riches, pource qu'ils ont bien dequoy, pource qu'ils sont favorisez: mais quant a Dieu, cela ne sera rien. Et ainsi donc que nul ne s'enorgueillisse en sa grandeur: car ceux qui se mirent ainsi comme des paons en leurs queues, ils ne font que se precipiter à leur confusion. Car selon qu'ils se flattent, ils se donnent tousiours plus d'audace de mal-faire: et ce n'est qu'allumer d'avantage le feu de l'ire de Dieu contre eux. Voila donc comme les grans se doivent exercer en ceste doctrine, de cognoistre que Dieu n'accepte point les personnes: et par ce moyen aussi ils doivent penser à eux de ne point fouler les petis, et ceux qui sont sous leur puissance. Or voila, à quoy ceste doctrine est appliquee, et à quel usage il est remonstré que Dieu n'accepte point les personnes. Et pourquoy? Afin que celuy qui aura des serviteurs ne les opprime point, mais qu'il use d'equité comme sainct Paul le declare: qu'un qui est en autorité publique regarde de gouverner ses suiets, tellement qu'il les cognoisse comme ses freres, d'autant que tous sont enlans de Dieu, et qu'il nous a honorez iusques là, de nous faire membres de nostre Seigneur Iesus Christ son Fils unique. Et ainsi donc que les grans de ce monde apprenent de ne point gourmander les petis, et d'user d'outrages sur eux: apprenons de ne nous point eslever par fierté contre ceux qui sont moindres. Et pourquoy? Car il n'y a point acception de personnes envers Dieu, et cependant que les hommes se confient ainsi en l'ombre de leurs richesses, et en leur credit, sachons que Dieu les iugera sans avoir esgard quels ils sont auiourd'huy: et mesmes qu'il a leur condamnation preste et appareillee, et qu'il faudra qu'ils sentent qu'ils sont une partie de la figure de ce monde qui s'esvanouist tantost, comme sainct Paul en parle (1. Cor. 7, 31). Or cependant notons bien ce qui est dit, Que et grans et petis seront ravis en moins de rien: et que Dieu a la minuict, du temps qu'on se repose, et qu'il semble qu'un chacun ait relasche, fera que tout sera rasé: voire, et que les plus forts seront ravis sans main, c'est à dire sans grand appareil. Il ne faudra point que Dieu arme force gens, qu'il se prepare beaucoup pour renverser les plus grans et les plus robustes: il ne faudra sinon qu'il souffle sur eux, ou bien qu'il tourne son coeur, afin de retirer son

IOB CHAP. XXXIV.

165

esprit, et tout defaudra, comme il en a esté traitté cy dessus. Par cela nous pouvons estre enseignez chacun en son endroit.

Ainsi donc que les grans cognoissent, que si Dieu les a eslevez, ce n'est point afin qu'ils mesprisent les autres, qu'ils se facent valoir en opprimant les petis: mais plustost qu'ils cognoissent qu'ils sont d'autant plus tenus à Dieu. Car qu'ontils de leur propre? Et si tout leur a este donné, ne faut-il point qu'ils recognoissent d'où il vient? Et sur tout qu'ils retienent ce que dit sainct Iaques (17 9): Que le frere, dit-il, qui est eslevé quant au monde, se glorifie en son humilité. Et pourquoy? Car si les riches et ceux qui sont honorez, ou les savans, ou ceux qui ont credit, si ceux-la se glorifient en leur hautesse, ils s'oublient quant et quant, et sont ingrats à Dieu, ils se precipitent en ruine. Il faut donc qu'ils regardent de plus pres à eux pour cognoistre qu'ils n'ont rien sinon de la pure bonté de Dieu: et qu'en tenant tout de là, il faut qu'ils se dedient pleinement à luy, et qu'ils ne prenent point occasion de fouler leurs inferieurs: mais qu'en s'abaissant ils s'accommodent à leur petitesse plustost: ainsi que sainct Paul nous exhorte de ce faire (Rom. 12, 16). Quant aux petis, vray est qu'ils ont bien à se glorifier en leur grandeur, puis que Dieu les a adoptez pour ses enfans: mais si ne faut-il pas pourtant qu'ils ferment les yeux à leur condition: et veu mesmes que selon le monde ils ne sont rien, qu'ils sont tant contemptibles, qu'ils recognoissent que devant Dieu ils sont moins que rien, sinon en ce qu'il luy plaist de les conserver par sa grace. Voila donc comme nous avons une leçon commune qui nous est ici apprinse à tous: et par ainsi que chacun en son endroit apprene de se remettre du tout à Dieu, et tenir de luy et sa vie et tous les accessoires d'icelle.

Au reste, quand il est dit, Que Dieu rasera sans main les plus robustes, c'est afin que nous apprenions à disoerner entre Dieu et les hommes. Car les plus grans princes se voulans venger de leurs ennemis ont besoin d'armer gens, de cercher des moyens pour venir à bout de leur entreprinse: mais Dieu ne se trouvera point empesché, quand il voudra abbatre tout le monde et le ruiner: il ne faudra point qu'il emprunte force d'ailleurs, qu'il prene gens à gage, qu'il soit occupé à fondre artilleries, et à se garnir d'autres munitions. Rien de tout cela: mais il pourra sans main d'homme, sans aide humain, sans effort, il pourra, di-ie, tout ruiner. Car il n'est question sinon qu'il souffle sur nous, qu'il ouvre les yeux, et nous voila accablez. Et defait, s'il fait decouler par son regard les montagnes et les rochers, faudra-il qu'il foudroye sur nous pour nous abysmer? Pourrons-nous soustenir ce regard de Dieu. quand il le iettera sur nous?

166

Pourrons-nous soustenir son souffle, quand il viendra a donner contre nous? Ne faudra-il pas que nous défaillions pleinement? Au reste, ceci est notamment exprimé, pour nous oster toutes ces vaines phantasies et presomptions, que nous avons quand nous sommes bien munis selon le monde. Car combien que les hommes n'osent pas dire qu'ils sont armez pour rembarrer Dieu, pour repousser les coups de sa main: si est-ce toutes fois qu'ils le pensent. Et qu'ainsi soit, quand on menacera un riche de povreté, il regardera, Et comment? I'ay ceci, i'ay cela. Il ne despitera point Dieu à pleine bouche: mais quoy qu'il en soit, il se confie en ses biens, et ne peut-on gaigner cela sur luy, de luy monstrer que ses biens ne le pourront pas garentir. Un homme qui sera robuste, qui sera en vigueur, et en fleur d'aage, ne pense point qu'il doive iamais venir en vieillesse: ceux qui sont honorez ne savent que c'est d'opprobre. Voila donc comme les hommes presument d'eux-mesmes: et on le voit sur tout en ce que les grans de ce monde se rebecquent ainsi contre Dieu, et ne peuvent estre dontez. Si dol c les hommes ont quelque faveur, quelque credit, il leur semblera qu'ils ont barre à l'encontre de Dieu, et feront rempart de ces moyens humains. Et non seulement cela: mais si on leur vient remonstrer leurs fautes, les corrections de Dieu ne pourront avoir ny lieu ny accez envers eux, il ne sera point question qu'ils les escoutent: bref, iamais les hommes ne seront humbles que par force. Et pourquoy? cause de ceste vaine confiance en laquelle ils s'enyvrent, quand ils cuident estre bien munis, et avoir des moyens pour se garder.

Or notamment donc il est dit, Que Dieu sans main destruira les robustes: afin que nous ne cuidions point eschapper, quand nous aurons fait nos munitions, que nous aurons prouveu de longue main à toutes nos affaires, tellement qu'il nous semble que Dieu ne pourra point approcher de nous. N'imaginons point donc toutes ces vaines phantasies: car Dieu nous saura bien attrapper par un moyen que nous ne pouvons pas concevoir: ce sera sans main, et sans moyen inferieur, que nous serons abysmez. Voila comme nous devons mediter ces sentences, quand il est question de craindre Dieu et son ire. Or cependant nous avons à nous consoler à l'opposite, quand il est dit, Que Dieu sauvera son peuple sans are, sans lance, et sans espee, et sans main d'homme. Tout ainsi donc que nous sommes ici apprins à nous humilier, et cognoistre que tous les moyens du monde ne nous profiteront rien, quand Dieu nous sera ennemi, et un chacun à se despouiller de ce vain orgueil duquel nous sommes enflez de nature: tout ainsi donc que nous sommes exhortez à ceste modestie, afin de nous presenter à Dieu, et de sentir que s'il est destourné

SERMON CXXXII

167

de nous, à chacune minute de temps il nous peut changer et reduire à neant, et abbatre les plus haut montez: aussi à l'opposite. quand nous sommes foulez ici bas et opprimez, que nous voyons de grandes mutations, que les tyrans sont comme des loups pour devorer les povres brebis, et le troupeau de Dieu: venons à ceste promesse, que Dieu ayant promis de sauver son Eglise sans main d'homme, praticquera cela iusques en la fin. Combien donc que nous soyons destituez de tous moyens humains, qu'il semble que nous soyons comme exposez en proye, et que nos ennemis soyent equippez de tout ce qu'il leur faut pour nous abysmer cent mille fois: et bien, confions nous en la puissance de Dieu laquelle est invisible quant au monde. Nous n'appercevons pas comme Dieu nous veut maintenir: et mesmes c'est une chose estrange comme il nous maintient auiourd'huy: mais c'est afin que nous soyons tousiours plus confermez en ceste doctrine-la, Que nous serons sauvez sans main d'homme: c'est à dire, que Dieu desployera une vertu qui nous est cachee, et que nous ne concevons point, quand il luy plaira de nous retirer de la gueule des loups, et nous maintenir. Or s'il faut que Dieu besongne d'une telle façon pour nous conserver en ceste vie temporelle: ie vous prie, que sera-ce de nostre salut, qui est une chose bien plus haute et precieuse? Dieu s'aidera-il de main

d'homme quand il est question de nous retirer du gouffre d'enfer, de nous affranchir de la tyrannie du diable, et du peché, de nous eslever en son royaume celeste, de nous garentir contre tant de tentations? Nenny: mais cognoissons qu'il le fait de sa propre vertu, et par sa pure bonté. Voila donc comme d'un coste il nous faut estre instruits à crainte et humilité, pour ne point estre enflez d'une vaine presomption pour despiter Dieu: mais plustost que nous tremblions sous luy, voyans que nous n'avons rien pour luy resister, et qu'il n'y a autre remede sinon de nous presenter devant luy, le prians qu'il nous regarde en pitié. Et puis, nous sommes-nous ainsi abysmez et abbatus? Que nous venions au second que i'ay dit, de nous resiouir, d'autant que Dieu a promis de nous sauver, voire sans main d'homme: et encores que nous n'appercevions pas que cela se puisse faire quant au monde, que nous ne doutions point pourtant qu'il ne puisse parfaire nostre salut. Car pource qu'il n'a point besoin d'aide, il ne sera point empesché d'accomplir ce qu'il nous a promis, et nous rendra sa promesse authentique, tellement que nous sentirons que ce n'est point en vain que nous avons esperé en luy.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

168

LE CENT TRENTEDEUXIEME SERMON,

FI EST LE III. SUR LE XXXIV. CHAPITRE.

21. L'oeil de Dieu est sur les voyes de chacun, il regarde tous les pas de l'homme. 22. Il n'y-a ne tenebres, n'obscurité si espesse, là ou se puissent cacher ceux qui font iniquité. 23. Dieu ne met point d'avantage sur l'homme, tellement qu'il chemine avec Dieu en iugement. 24. Il brise les forts sans inquisition, et en met d'autres en leur lieu?: 25. Car il amene en clarté leurs oeuvres, il tourne la nuict pour les briser. 26. Il les frappe comme meschans au lieu des voyans.

Nous vismes hier comment Dieu voulant punir les hommes n'a nul besoin de faire grand appareil, ne d'armer gens, ne d'emprunter force d'ailleurs: car de son seul regard il peut tout abysmer. Il ne faut point donc qu'il se serve de main d'homme, comme par necessité. Il est vray qu'il le fera souvent

mais c'est pour monstrer que tout luy est suiet, et qu'il n'y a creature qui ne s'employe à son service, et mesmes pour executer les punitions qu'il veut faire. Mais tant y a qu'il ne faut point qu'il se prepare de longue main pour nous chastier. Et par cela nous sommes admonnestez de nous humilier sous sa main forte, sachans que nous n'avons nul moyen en ce monde pour estre munis, quand il nous est contraire: mais qu'il pourra executer tout ce qu'il aura determiné sur nous en son conseil. Et ainsi les hommes ont beau s'eslever en fierté, si est-ce qu'en la fin ils sentiront qu'il n'est pas en eux de resister à Dieu.

Or suivant le propos que nous avons desia touche, Eliu adiouste que Dieu fait cela non point d'une puissance absoluë, mais d'autant qu'il cognoist les voyes des hommes, qu'il considere tous leurs pas.

IOB CHAP. XXXIV.

169

Ainsi donc quand ces grans chastimens adviennent qu'un peuple bien robuste sera abbatu, un royaume sera desconfit, cognoissons que Dieu ne desploye point une telle vertu sans propos, mais qu'il fait cela par sa iustice. Et si nous n'appercevons point les raisons pourquoy il exerce une telle rigueur, remettons luy la cognoissance de tout, comme elle luy appartient: contentons nous de savoir ce qui nous est ici monstré, Que les voyes des hommes luy sont cognues. Pourquoy est. ce que souvent nous entrons en dispute quant aux iugemens de Dieu, et qu'ils nous semblent estranges? Et c'est à cause que nous ne voyons pas si clair que luy. Mais puis que c'est son office de iuger des voyes des hommes, accordons nous avec luy, et encores que nous ne voyons pourquoy c'est, sachons que sa cause se trouvera tousiours bonne et iuste, puis qu'il doit ainsi chastier non seulement les personnes, mais tous les peuples et les pays. Ce mot est prins en l'Escriture en deux sortes, Que Dieu cognoist les pas des hommes: car cela quelquefois se rapporte à sa providence, d'autant qu'il a le soin de nous gouverner: mais en ce passage (comme aussi on beaucoup d'autres) il est dit Que Dieu regarde nos pas, d'autant que rien ne luy est incognu, mais il faut que toute nostre vie viene en conte devant luy.

Et ainsi apprenons de cheminer comme devant ses yeux: car nous aurons beau nous cacher, comme aussi Eliu adiouste, Qu'il n'y a tenebres n'obscurité si espesse, que là se puissent cacher les meschans. Or ce n'est point sans cause que ceci est adiousté. Nous voyons, encores que chacun confesse que Dieu apperçoit toutes nos oeuvres, et qu'il faut qu'il en soit Iuge: neantmoins que les hommes sur cela s'esblouyssent, et ne pensent point que Dieu les aperçoive. Et de fait ce n'est point en vain qu'il est dit au Pseaume (10, 11), Que les meschans se font a croire que Dieu ne verra goutte à leurs fraudes et malices, et aussi il leur est reproché par le Prophete Isaie, Qu'ils se fouyssent des trous par dessous terre, afin qu'ils se puissent cacher devant Dieu. Attendu donc que l'hypocrisie aveugle tant les hommes, il est besoin de noter ceste sentence, Qu'il n'y a tenebres si obscures, qui puissent cacher les meschans devant Dieu. Et pour mieux comprendre cela, il nous faut en premier lieu retenir ce que nous avons touché: c'est que les hommes, combien qu'ils soyent convaincus, qu'il faille une fois se trouver devant le siege iudicial de Dieu: neantmoins ne laissent pas de cercher des subterfuges, et là dessus s'endormir par trop en leurs cachettes, comme s'ils pouvoyent tromper Dieu. Voila quelle est nostre hypocrisie. Or cependant notons, que les hommes s'abusent en ce qu'ils s'eslongnent ainsi de Dieu: et quand ils

170

en ont perdu la memoire, qu'il leur semble qu'aussi il a le dos tourné, et qu'il ne pense point à leurs malefices. Ne nous seduisons point donc par telles imaginations: car combien que pour un temps il dissimule, en la fin si monstrera-il qu'il n'a point oublié son office, qui est d'estre Iuge de tout le monde: et non point pour amener seulement les oeuvres d'un chacun en clarté, mais toutes 108 pensees les plus profondes: comme son propre est de sonder les coeurs, et ce n'est point en vain qu'il s'attribue ce titre-là

Voila donc les deux articles que nous avons à retenir de ce passage. L'un est qu'il nous souvienne de ce vice qui est tant enracine on nous c'est assavoir que nous cuidons eschapper de là main de Dieu par nos subterfuges: et selon que nous sommes enyvrez on nos pechez, il nous semble aussi que Dieu aura les yeux clos ou bandes, ou qu'il y aura un voile devant lui, qu'il ne pourra point appercevoir ce que nous cachons. Mais cependant d'autre part (et pour le second) notons ce qui est dit, Que toutes nos tenebres seront descouvertes devant lui quand il lui plaira: et là dessus qu'aussi nous soyons advertis, de ne point estimer que nous ayons meilleur marché quand les hommes n'auront point cognu nos iniquitez: car voila qui est cause d'en mener beaucoup à perdition, quand ils pourront estre reputez gens de bien, ou pour le moins qu'ils clorront la bouche à ceux qui cognoissent leur vilenie: car lors ils feront leurs triomphes, et oseront despiter Dieu. Or sachons, que nous n'aurons rien gaigné quand le monde aura esté seduit par nous: car quelque belle apparence qu'il y ait eu, en la fin si faudra-il venir devant le Iuge celeste, lequel ouvrira les livres qui estoyent clos auparavant, lequel amenera son grand iour pour faire esclarcir toutes les tenebres qui rendent maintenant les choses confuses. Et voila pourquoi l'Escriture saincte en parle tant souvent. Ce n'est point en un lieu ni pour un coup, qu'il est dit, Qu'il n'y a nulles tenebres devant Dieu. Or pourquoi est-ce que ceste sentence est tant reiteree? C'est pource qu'on ne la nous peut persuader. Car quand nous aurons evité les reproches devant les hommes, il nous semble que Dieu ne doive point remuer toutes nos ordures, qu'il ne les doive point descouvrir: mais sachons qu'il en fera venir la cognoissance iusques au ciel. Puis donc que nous ne pouvons estre persuadez de cela, ce n'est point une chose superflue, que le sainct Esprit prononce tant de fois, que Dieu iugera d'une autre façon que ne font point auiourd'hui les hommes mortels. Et voila pourquoi notamment il est ici dit, Que là les pecheurs ne seront point cachez: comme si Eliu disoit, qu'il advient tous les iours que les hommes sont esblouys, et que les vices leur

SERMON CXXXII

171

sont pour vertus: mesmes qu'ils sont si malins, qu'ils sont bien aises de s'entreflatter: comme nous voyons quand le mal a la vogue, qu'il n'est plus question de condamner les vices, mais chacun s'y applaudist. Ainsi donc il pourra advenir, comme on le voit par experience, que les vices regneront, et qu'il y aura un tel deluge que tout sera confus entre les hommes, il ne sera plus question de iuger, et discerner: mais tant y a qu'il faudra devant Dieu que la chance soit tournee. Ainsi donc apprenons d'eslever nos yeux plus haut qu'au monde, et de contempler par foi le iugement de Dieu, lequel nous est auiourd'hui caché: sachons que là il faut que tout soit descouvert: comme il est dit en Daniel, que les livres seront manifestez, c'est à dire les registres seront alors mis en avant Et quels? Non point de papier ou par chemin: mais il faudra que la conscience responde, qu'un chacun porte son procez, non pas escrit, mais engravé si profond, qu'il ne sera plus question de rien desguiser. Et puis Dieu sera là en la personne de son Fils avec une telle clarté, que toutes choses seront cogoues, celles mesmes qui sont maintenant comme sous les grands abysmes: il faudra donc que tout cela soit en veuë et des Anges de paradis, et de toutes creatures. Qu'il nous souvienne de cela, afin de cheminer en autre crainte que nous ne faisons point, afin de nous despouiller de toute hypocrisie, d'autant que nous ne pouvons point advancer nostre marché en nous flattant, comme il a este dit. En somme apprenons de ne point compter sans nostre hoste: mais toutes fois et quantes qu'il est question d'examiner nostre vie, qu'un chacun s'adiourne devant la face de Dieu: et cependant que nous cognoissions CE qui est ici dit, Que puis que c'est bon office de sonder les coeurs et les pensees les plus profondes, si auiourd'huy nous sommes absous du monde, ce n'est rien fait, d'autant que par cela nous ne serons point eschappez de sa main.

Apprenons donc de nous examiner en telle sorte: et au reste souffrons que nos tenebres soyent esclarcies par la parole de Dieu, veu que cest office luy est aussi bien attribué. Il est dit en ce passage qu'il n'y a tenebres de mort, ny obscurité si espesse, qui puissent cacher ceux qui font iniquité. Ainsi voila l'Apostre aux Hebrieux qui testifie, que comme Dieu cognoist les coeurs, il veut que sa parole soit comme un glaive tranchant, pour discerner nos pensees et affections voire pour entrer iusques aux moëlles, pour descouvrir ce qui est caché en nous. Et c'est ce que dit sainct Paul, Que quand la parole de Dieu se presche, il faut que nous soyons redarguez, comme si on nous avoit escrit tous nos Items, et qu'on eust mis toute nostre vie on avant: que nous soyons convaincus et abbatus du tout, afin de glorifier Dieu, cognoissans

172

combien nous sommes coulpables devant lui. Et ainsi non seulement adiournons-nous devant le siege de Dieu, afin de corriger toute feintise: mais toutes fois et quantes que sa parole nous gratte les rongnes, et qu'elle nous reprend, souffrons cela en patience, et ne presumons point d'estre revesches. Car qu'y gaignerons-nous? Nous en verrons beaucoup auiourd'hui, qui se despitent et s'enveniment quand leurs vices leur sont touchez: car ils voudroyent qu'on les espargnast. Et c'est autant, comme s'ils vouloyent que Dieu n'eust plus nulle authorité sur eux, et qu'il ne fust plus leur iuge. Or s'ils regardoyent bien à ce qui est ici dit, ils ne seroyent pas tant stupides comme on les voit quand ils demandent tousiours, Qu'est-ce? Si on remonstre ce qui n'est que par trop cognu, ils viendront la si effrontez que rien plus. Et pourquoi? D'autant que iamais ils n'ont senti que valoit ceste doctrine, que là (c'est à dire devant le regard de Dieu) il n'y a nulles tenebres: mais ils se prophanent, ils ont le groin ietté en terre comme des porceaux, et s'assoupissent tellement, qu'il leur semble que ce n'est rien que de toutes leurs iniquitez, encores qu'il y ait un tel nombre, qu'il semble qu'ils soyent là comme confits. Mais leurs ordures ne leur puent point d'autant qu'ils s'y sont empunaisis. Il faudroit donc qu'ils pensassent un peu à ceste doctrine: et alors ils seroyent plus paisibles qu'ils ne sont, quand on leur monstre leurs vices. Et c'est merveilles, veu que l'iniquité de beaucoup de gens est notoire à tous, et que les petits enfans en peuvent estre iuges, qu'encores ils s'eslevent contre Dieu, et le mesprisent, et ne peuvent porter qu'on les redargue Et quelle impudence est-ce là? On ne parle point de choses incognues, il n'est point question ici d'examiner les pensees, et cercher sous terre ce qui est incognu des hommes: mais on voit le mal qui se desborde tant que c'est pitié. L'air en put: et cependant encores ces bons Catholiques, qui voudront estre reputez bons Chrestiens, et qui auront l'Evangile iusques aux dents, voire pour le mordre (comme ce sont des chiens mastins et enragez) si voudront-ils encores qu'on dissimule: et leur semble qu'on leur fait grand tort, quand on descouvre leur turpitude: laquelle, pour en bien dire, n'est point descouverte par nous, mais seulement on en parle pource que chacun la cognoist. Or tant y a neantmoins (comme nous avons dit) que ceux qui auiourd'hui ne peuvent porter que Dieu leur manifeste leur turpitude, afin qu'ils en ayent honte pour s'en repentir, sentiront en la fin que si faut-il venir devant son siege iudicial, où il n'y aura plus de tenebres ne d'obscurité.

Ainsi donc cognoissons que ce nous est un grand profit, quand auiourd'hui Dieu nous envoye sa parole. qu'il nous esclaire afin que nous pensions

IOB CHAP. XXXIV.

173

bien à nos pechez: voire. Et si pour un temps ils nous ont esté incognus, qu'ils nous viennent en memoire: et que nous pratiquions ce que nous avons allegue de sainct Paul, c'est de nous prosterner en bas et estre confus devant Dieu et nous condamner, sentans la malice qui est par trop enracinee en nous. Voila, di-ie, comme Dieu procure nostre salut c'est quand nous sentons une telle vertu et efficace en sa parole, que nous mettions peine de bien examiner toute nostre vie afin de nous desplaire. Mais ceux qui veulent faire des revesches, et qui despitent Dieu, et viennent comme transportez heurter contre lui et ne peuvent souffrir nulle admonition, il les faut remettre comme gens desesperez à ce iour dont parle ici Eliu, où il n'y aura nulles tenebres, où il D'y aura nulle cachette si obscure que tout ne soit manifesté, voire devant toutes creatures. Ils ne peuvent porter qu'auiourd'hui Dieu leur face quelque honte, afin d'ensevelir leurs pechez à iamais: mais en despit de leurs dents si faudra-il que et Anges, et hommes, et diables cognoissent leur turpitude, et qu'elle soit diffamee par tout, voire en vertu de ceste clarté qui descouvrira toutes cachettes. Voila donc comme nous devons appliquer ce passage à nostre instruction: car de fait nostre Seigneur ne menace point les hommes de ce grand iour, sinon afin qu'ils le proviennent: et ainsi le remede nous est tout appreste. Comme i'ai desia dit, Dieu n'attend pas que nous comparoissions devant lui pour faire nostre procez: mais iournellement il exerce sa iurisdiction par l'Evangile: comme aussi nostre, Seigneur Iesus en parle (Iean 16, 8), Que l'Esprit quand il viendra iugera le momie. Quand donc l'Evangile il est presché, voila une iurisdiction souveraine que Dieu exerce non point sur le corps proprement (ainsi qu'ils sont auiourd'hui) mais sur les ames, et veut que nous soyons là condamnez pour nostre salut. Et ainsi donc (comme i'ai desia touché) quand Dieu nous admonneste tant et si souvent qu'il nous faudra venir a ceste grande clarté en la fin, qu'auiourd'hui nous ne nous bandions point les yeux à nostre escient, que nous ne soyons point aveugles volontaires, quand il nous envoye sa parole qui est pour descouvrir nos ordures, et pour nous faire sentir que nous ne pouvons nous cacher de sa face.

Et ainsi faisons nostre profit de ce moyen qui nous est auiourd'hui donné. Mais si nous voulons taire des bestes sauvages, et que nous cerchions tousiours nos subterfuges: si est-ce que maugré nous en la fin nous sentirons que ce n'est point en vain qu'il est dit, Qu'il n'y a nulles tenebres devant; Dieu. Il nous fera donc contempler en sa face et, en sa maiesté glorieuse, ce que nous n'avons pas voulu auiourd'hui regarder au miroir de su parole. Or Eliu adiuste quant et quant, Qu'il ne:

174

mettra point d'avantage sur les hommes, tellement qu'ils viennent en iugement avec lui. Ce passage est diversement exposé: car aucuns le prennent comme si Dieu n'imposoit point à l'homme plus de charge qu'il ne doit, et aussi que l'homme ne peut porter: mais quand le fil continuel du texte sera bien regardé, nous trouverons que pource qu'il est ici question des iugemens de Dieu, Eliu maintient que Dieu ne nous afflige point en telle sorte, que nous ayons occasion de contester contre lui. Il faut tousiours regarder quel propos se demene: quand on veut savoir qu'emporte une sentence, qu'on regarde, il est question d'une telle chose, voila le suiet qu'on traitte, voila où tout se rapporte. Voici donc en ce passage le theme general, quand tout sera regardé: c'est assavoir, Que les hommes pourront bien murmurer contre Dieu, mais en la fin si se trouveront-ils confus Et pourquoi? Car si auiourd'hui il semble que Dieu nous traitte en trop grande rigueur: quand les choses seront bien cognues, nous aurons la bouche close, et Dieu sera iustifié, comme il en est parlé au Pseaume cinquante unieme. Notons bien donc, qu'ici il nous est monstré, que nous pourrons beaucoup plaider contre Dieu, mais que nostre cause sera perdue en la fin. Et pourquoi? Car il se trouvera que Dieu ne nous a point traittez iniquement, qu'il n'a point mis trop de charge sur nous: c'est à dire, qu'il ne nous a point affligez outre mesure. Car combien qu'il frappe quelquesfois sur les hommes plus qu'ils ne peuvent porter, ce n'est pas tontes fois plus que la raison, et qu'ils n'ont merité Or par cela nous sommes admonnestez d'orgueil qui est en nous, voire ou plustost la rage qui nous pousse de murmurer à l'encontre de Dieu. Car comment plaidons-nous avec lui? Il semble que nous ayons un iuge ou un arbitre, duquel il soit iugé, si Dieu avoit à rendre conte, serions-nous plus hardis à le despiter quand il ne nous traitte pas à nostre gré, et que les choses ne viennent point à nostre appetit?

Apprenons donc, que les hommes sont ici condamnez de ceste audace diabolique, qui les incite à plaider contre Dieu: mais cepandent si faut-il bien penser, que Dieu ne s'abbaissera point iusques à, de nous respondre quand nous l'appellerons en iustice: il ne sera point là comme nostre partie. Vrai est que nous avons expose par ci devant qu'il vient bien iusques là: mais pourquoi est-ce? C'est pour mous exprimer ce qui nous, nous est ici dit, c'est asaavoir qu'encores que nous eussions la puissance d'adiourner Dieu, et qu'il fust responsable, qu'il fust tenu de s'excuser de tout ce qu'il fait, que nous eussions la bouche ouverte pour lui pouvoir contredire: toutes fois cela ne servira rien: car en la fin tout conté et rabatu il se trouvera que Dieu ne nous charge

SERMON CXXXII

175

point par trop, et outre forme de raison. Et pourquoi? D'autant que nos pechez lui sont cognus, et cognus tels qu'il sait la mesure du chastiment que nous meritons: mais voila d'oh nous vient ceste fierté, assavoir, d'autant que nous voulons estre nos iuges pour nous iustifier. Et qui est-ce qui nous a donné ceste authorité si grande? Voila le iugement qui est donné a nostre Seigneur Iesus Christ: c'est à nous donc de venir devant lui avec toute humilité et reverence escouter et recevoir ce qu'il prononce de nous sans contradiction aucune. Or chacun veut estre creu en sa cause propre: nous n'attribuons point donc tant au Dieu vivant, qu'à des hommes mortels. Car il ne faudra point en une iustice terrienne, que celui qui est assis au siege soit iuge et partie: et toutes fois il iugera iniquement souventesfois, comme les hommes sont corruptibles: mais tant y a qu'encores ne changeons point là quant à l'exterieur cest ordre que Dieu a establi. Et que sera-ce donc, quand nous viendrons devant sa maiesté glorieuse? Ainsi donc nous voyons comme les hommes sont transportez de toute raison, quand ils murmurent ainsi à l'encontre de Dieu: et nous voyons aussi la cause dont le mal procede, c'est celle que i'ai touchee, Que nous estimons nos oeuvres selon nostre fantasie. Mais cependant voici Dieu qui se reserve le iugement: il dit, C'est à moi de considerer vos pas, ie VOUS marque et vous sonde iusqu'au dedans: il ne faut point que vous veniez ici vous mesler: car quiconque s'ingerera de vouloir iuger, celui-là usurpe ce qui ne lui est pas deu. Que faut-il donc? Quand nostre Seigneur nous afflige, que nous lui remettions nostre cause, sachans qu'il note en nous beaucoup de vices lesquels nous sont cachez. Voila, Seigneur, il est vrai que ie n'apperçoi point la centieme partie de mes fautes: mais pourquoi est-ce? C'est d'autant que i'y suis aveugle, d'autant mesmes que ie suis confit en mal, et le diable m'a comme ensorcelé. Ainsi Seigneur, que ie puisse en premier lieu mieux sentir les iniquitez que i'ai commises devant toi, pour me rendre coupable: et puis, encores que ie ne soye point iuge competant pour cognoistre de mes fautes, si est-ce Seigneur puis que tu me fais cest honneur de te constituer pour mon iuste Iuge, ie remets ma cause entre tes mains, sachant que tu vois ce qui m'est incognu. Voila pourquoi notamment il est dit en ce passage, Que quand nous irons en procez avec Dieu, si est-ce qu'il ne se trouvera point redevable. Gardons nous donc de presumer d'intenter procez contre lui: car quelque belle apparence et couleur que nous ayons devant les hou mes, quand ce viendra devant Dieu, nous demeurerons confus en tout ce que nous pretendrons. Voila donc en somme ce qu'Eliu a voulu dire eu ce passage.

176

Or cependant il adiouste, Que Dieu brisera les puissans, voire sans inquisition, et en mettra d'autres en leur lieu. Et pourquoi? Car il mettra leurs oeuvres en clarté, et tournera la nuict afin de les casser. Quand il dit, Que Dieu brisera les puissans sans inquisition, c'est afin de nous mieux faire sentir ceste authorité que nous mesprisons si hardiment, pource que nous sommes par trop stupides. Il est vrai qu'aucuns exposent ce mot d'inquisition, pour Nombre: comme s'il estoit dit, quand les puissans seroyent en nombre infini, toutes fois Dieu ne laissera point de les briser: mais de mot à mot il y a ainsi, il brisera les puissances, ou beaucoup de gens: car le mot emporte tous les deux: et puis Il n'y aura point d'inquisition. Puis que ce mot-là y est, et qu'il signifie proprement Cercher et faire enqueste, il n'y a nulle doute, qu'Eliu n'ait voulu dire, que Dieu n'a ia besoin de faire des enquestes, comme les iuges terriens feront. Pource qu'ils sont creatures, il y a de l'ignorance: il faut donc qu'ils s'aident de ces moyens: car ils ne peuvent pas deviner. Or d'autant que toutes choses sont patentes à Dieu, il iugera les hommes sans tenir une telle procedure, comme nous la voyons en la police d'ici bas. Mais encores il y a plus: c'est qu'Eliu a voulu signifier, que Dieu ne nous fera pas tousiours cognoistre pourquoi c'est qu'il exerce ses iugemens, nous y serons aveugles. ( este inquisition donc de laquelle il parle, se rapporte proprement à Dieu en chastiant les hommes: comme s'il estoit dit, Quand les iuges feront un procez, on en parlera, et la façon et le style sera observé, tellement qu'on cognoistra les choses: et puis le dicton sera publié, on sait les crimes du malfaicteur, et comme il a esté convaincu. Mais il ne nous faut point mesurer la puissance de Dieu ne son authorité à ces loix humaines. Et pourquoi? Car il brisera sans inquisition, c'est à dire sans nous monstrer pourquoi. Il ne prononcera pas tousiours sentence, les crimes ne seront pas là recitez pour deschiffrer pourquoi c'est qu'il nous punist: cela donc nous sera caché: mais cependant il ne laissera pas toutes fois de mettre à execution sa iustice. Nous voyons maintenant le sens naturel du passage.

Mais tant y a qu'il adiouste, que cela ne se fera point iniustement: Car Dieu, dit-il, mettra en avant leurs oeuvres. Combien donc que Dieu punisse sans inquisition, c'est à dire sans garder une telle formalité comme elle est requise en la police humaine: toutes fois si fait-il tout en raison et droiture. Et si cela n'est cognu du premier iour, attendons iusques à tant que tout soit descouvert, et qu'il esclarcisse ce qui est maintenant embrouillé et confus. C)r ici nous avons à nous exhorter, de ne plus nous flatter comme nous avons accoustumé de taire: car voila qui est cause de tousiours tirer

IOB CHAP. XXXIV.

177

nos cordeaux, quand il nous semble que Dieu nous espargne: et nous pensons avoir licence de malfaire, quand nous demeurons impunis. Cela est d'autant que nous n'appercevons point quand Dieu commence à nous chastier d'une façon commune, mais nous sommes preoccupez d'une stupidité, et asseurance charnelle. Mais puis apres quand il y vient en grand rudesse, nous sommes tellement effrayez, que nous ne savons où nous en sommes si tost qu'il foudroye soudain. Ce qu'il fait quand bon lui semble: car apres avoir dissimulé long temps, il ne faut sinon lever la main, et en une minute il faut que les hommes perissent, comme il en est ici parlé. Retenons donc ce passage, afin que chacun se solicite et soir et matin, quand il est dit, Que Dieu ne tiendra point une longue procedure pour nous punir, il n'est point aussi obligé a nulles loix. Cognoissons, di-ie, qu'il nous faut estre tousiours prests et appareillez et n'attendons pas qu'il frappe sur nous, mais plustost que par solicitude nous prevenions son iugement: comme il est dit, Que bien heureux est l'homme qui solicite son coeur. Et au reste, qu'il nous souvienne aussi de ceste menace horrible, Que quand les meschans diront, pas, et que tout va bien, la ruine tombera sur leur teste. Et ainsi donc, que les fideles cognoissent, que quand il plaira, à Dieu de les punir, il ne faudra point qu'il commence par un bout, pour suivre son oeuvre, et puis la dilayer, comme les hommes mortels font selon les empeschemens qu'ils ont. Et pourquoy? Il condamnera et executera sa sentence du premier coup: et ne faudra point qu'il s'employe pour nous faire long procez: nous n'aurons pas loisir de respirer, et ne ferons que languir en destresse, iusques à ce que nous soyons du tout ruinez de sa main: nous serons là confus: comme si le ciel estoit tombé sur nos testes. Si donc nous ne voulons point estre accablez de l'horrible vengeance de Dieu, sentons nos fautes: et au reste en les sentant, que nous sachions que nous avons aussi dequoy nous consoler en luy: voire moyennant qu'elles nous desplaisent, et que nous ne cerchions point de couvrir le mal, mais qu'il soit descouvert, et que nous gemissions pour nous condamner devant nostre Dieu, afin d'estre receus à merci. Car il est dit, qu'il absout ceux qui se condamnent, qu'il ensevelit les pechez de ceux qui les ont devant leurs yeux, et qui ne demandent sinon de les confesser. Quand donc Dieu verra que librement nous confessons nos fautes, ne doutons point qu'il ne les efface du tout. Voire: mais si faut-il que nous passions par là, c'est de retenir ceste sentence, Que Dieu punist sans inquisition, afin qu'un chacun de nous face cest office d'entrer en soy pour bien examiner sa vie, pour estre confus en nous, et pour nous humilier.

178

Or maintenant il est dit, Que Dieu ayant ainsi brisé les grans et robustes, en met d'autres en leur lieu: et puis il est dit-d'autre part, qu'il les punist a veue d'oeil, voire et les punist comme meschans I'ay desia dit, que quand il est parlé que Dieu descouvre leurs oeuvres, et qu'il les punist en telle qualité, c'est afin que nous craignions tousiours la iustice de Dieu, et ne venions point imaginer qu'il use de tyrannie ne de cruauté. Gardons-nous donc de penser une telle puissance en Dieu, laquelle il desploye outre raison. Il est vray que la raison qu'il tient nous sera incognue, et nous faut contenter de sa seule volonté et simple (comme aussi elle est la reigle de toute droiture) mais quoy qu'il en soit, n'ayons point ceste phantasie mauvaise que Dieu y aille à tors et à travers, et qu'il ne iuge point en raison: ains au contraire que nous ayons cela tout conclu, que combien que ses iugemens nous semblent estranges, toutes fois ils sont moderez selon ceste regle qui est la meilleure, c'est assavoir selon sa volonté qui surmonte toute iustice, c'est ce qu'Eliu nous declare en ce passage. Et cela nous doit servir principalement à nous Quand donc chacun sera affligé en sa personne, il doit tousiours considerer que Dieu est iuste, afin de se repentir de ses fautes: car iamais nous n'aurons une vraye repentance, que nous ne cognoissions que Dieu nous afflige droitement: et aussi nous ne pouvons glorifier Dieu confessans qu'il soit iuste, sinon nous estans condamnez en premier lieu, comme il a esté dit. Voila donc comme il nous faut appliquer à nos personnes ceste doctrine, Que Dieu descouvre les oeuvres, et qu'il les met en avant quand il les punist. Voire, combien que nous n'examinions pas de mot à mot les pechez et offenses que nous avons commises: tant y a que les chastimens que Dieu nous envoye, nous doivent profiter à ceste condition.

Et voila pourquoy il est dit que Dieu les punist au lieu des meschans, c'est à dire en telle qualité, pour signifier qu'ils ne pourront rien gaigner par leurs repliques, ils ne pourront pas mettre en avant qu'ils soyent iustes, quand mesmes ils n'apparoissent point tels devant les hommes. Voila pour un Item. Or l'autre est, quand il est dit, Qu'il en met d'autres en leur lieu: et c'est afin que nous cognoissions la cause des changemens qui adviennent souventesfois au monde: comme aussi il en est parlé au Psaume centseptiesme, lequel nous sera droite exposition de ceste sentence. Nous sommes comme ravis en estonnement, quand nous voyons qu'il adviendra une peste pour depeupler un pays, qu'il y adviendra des famines, que la terre qui avoit este bien fertile, deviendra sterile, comme si on y avoit semé le sel, ou bien que les guerres feront de tels troubles, que voila un pays desert,

SERMON CXXXIII

179

que les principautez seront changees. Quand nous voyons. tout cela, nous sommes estonnez. Et pourquoy? Car nous ne cognoissons point la providence de Dieu qui regne par dessus tous ces moyens humains: et aussi nous ne pensons pas aux hommes: car si nous cognoissions comme les hommes se gouvernent nous ne trouverions point estrange que Dieu les changeast ainsi, et qu'il fist de telles revolutions.

Voila donc pourquoy notamment il est dit, Que Dieu en met d'autres en leurs places, afin que si nous voyons que les choses changent au monde, nous ne trouvions point cela nouveau. Et pourquoy? C'est Dieu qui se monstre Iuge. Ne l'attribuons point à fortune: mais sachons que nostre Seigneur desploye ici son bras, d'autant que les hommes ne se peuvent maintenir en possession des biens qu'il leur faisoit. Et là dessus cognoissons quelle est nostre ingratitude afin de la corriger: car si tost que nostre Seigneur nous aura engraissez, qu'il nous aura fait du bien, nous-nous dressons comme les chevaux qui sont trop bien t reittez, pour regimber à l'encontre de lui. Et se faut-il esbahir, quand il y a un tel orgueil et une telle ingratitude, si Dieu met la main dessus? Qu'on

regarde maintenant quelle est la modestie des hommes. Quand Dieu leur fait du bien, se gouvernent-ils en sorte, qu'ils en puissent demeurer en longue possession? Mais au contraire ils veulent despiter Dieu afin qu'il les en despouille tantost Quand donc nous voyons l'orgueil et ingratitude estre si vilaine que i'ai dit, il ne faut point que nous murmurions si les choses changent, et s'il se fait beaucoup de revolutions. Et pourquoi? Car nous provoquons Dieu à cela. Mais ce n'est point assez de cognoistre que Dieu ravist un peuple, qu'il en met un autre en sa place, qu'il met de nouveaux habitans en un pays, qu'il remue ainsi mesnage. Ce n'est point assez, di-ie, de cognoistre cela, voire et qu'il le fait iustement: mais cependant que nous sommes en nostre estat, prions-le qu'il nous face la grace de iouyr de ses biens en telle sorte, que nous en demeurions tousiours possesseurs, et que nous soyons conduits par les benefices qu'il nous fait en ce monde, à tendre à cest heritage eternel qu'il nous a appresté au ciel. Voila donc comme nous avons à prattiquer ce passage, reservans le reste à demain.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

180

LE CENT TRENTROISIEME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE XXXIV. CHAPITRE.

26. Il les frappe comme meschans au lieu des voyans: 27. D'autant qu'ils se sort destournez de lui, et n'ont point consideré toutes ses voyes: 28. Pour faire venir le cri du povre iusqu'à lui: et faire ouyr la clameur de l'affligé: 29. Et quand il mettra repos, qui est-ce qui troublera? quand il cachera sa face, qui est-ce qui le verra, tant sur le peuple, que sur l'homme?

nous vismes hier comment c'est que Dieu punist sans enqueste ceux qui ont failli, et toutes fois il a iuste raison de ce faire tellement qu'on n'aura point dequoi l'accuser. Or notamment Eliu adiouste, Qu'il fait cela au lieu des voyans. En quoi il nous est monstre, que les iugemens de Dieu, nous doivent estre cognus et notoires, ouy pour nostre instruction. Car quand Dieu punist les pecheurs, ce n'est pas seulement afin que chacun cognoisse les offenses qu'il a commises, mais il faut

que tous y prennent exemple: comme il est dit, que la iustice viendra sur la terre, quand Dieu aura ainsi exercé des punitions pour corriger tant ceux qui ont failli, que les autres. Ainsi donc ce n'est pas en vain que ce mot est adiousté, c'est assavoir que Dieu chastie ceux qui ont transgressé aux yeux des hommes, ou au lieu des voyans. Or de là nous sommes admonnestez, d'estre plus attentifs que nous ne sommes pas, à bien noter et marquer les iugemens de Dieu. C'est une grand grace qu'il nous fait nous voulant instruire aux despens d'autrui. Or si nous fermons les yeux, ou que nous soyons stupides, quelle excuse? Et ainsi, toutes fois et quantes que Dieu punira les pechez, qu'un chacun y pense en son endroit, et que nous recevions une instruction commune, afin que ses verges ne soyent point perdues entre nous. Et de fait voila pourquoi, quand l'un a esté chastié, il faut que chacun ait comme son tour. Car si nous

IOB CHAP. XXXIV.

181

pouvions faire nostre profit de ce que Dieu nous monstre, un seul pourroit servir pour l'instruction de cinq cens, voire de mille: mais d'autant que nous laissons passer toua les advertissemens que Dieu nous donne, et que nous n'en tenons conte: voila qui est cause qu'un chacun est appellé en son rang, et qu'il faut que nous respondions toua en personne pour estre chastiez à cause de nos transgressions. Et ainsi nous voyons quelle est nostre ingratitude, quand il est dit que Dieu punist les meschans, et les brise au regard de tous. Car nous saurons bien parler de ce qui se dira, encores que nous ne le voyons point. Quand on traittera de quelque ville prinse, ou saccagee, de quelque deffaite, et d'autres choses: et bien, les nouvelles s'en porteront, on en dispute. Par plus forte raison; de ce que nous voyons devant nos yeux nous en saurons bien assez causer. Et cependant de quoi cela nous sert-il? Apprenons-nous de bien penser à nos fautes, et de nous humilier devant Dieu? Nenni: mais nous suivons tousiours nostre train: et combien que nous ne soyons point meilleurs que ceux que Dieu visite ainsi, et qu'il corrige si durement, il nous semble que les coups ne viendront iamais iusques à nous. Ne voila point donc une ingratitude trop grande et insupportable? D'autant plus nous faut-il bien noter ce qui nous est ici declaré, Que Dieu ne punist point en cachette ceux qui ont failli, tellement que nul ne le puisse appercevoir pour sa correction: mais il ne tient qu'a nous, que tous n'en facions nostre profit. Et pourquoi? Car si Dieu dressoit des eschaffaux pour faire ses chastimens, nous ne pourrions pas les appercevoir plus clairement: et ainsi, ce que nous y sommes aveugles, cela vient de nostre malice propre, et de nostre ingratitude, comme i'ai desia dit. Voila pour un Item.

Or la raison est aussi mise, Pource qu'ils se sont destournez de luy, et n'ont point consideré toutes ses voyes. Ici outre ce que nous avons desia veu, que Dieu ne frappe point, sur les hommes à tort, mais que c'est pour punir leurs pechez, il nous est monstré quelle est la source de tous maux: c'est assavoir, de nous eslongner de celuy qui est la fontaine de toute iustice. Car voila aussi comme nostre vie doit estre reglee, c'est d'obeir à Dieu, de le cercher et cheminer comme devant sa face: et ainsi quand on est retiré de luy, on ne peut aller qu'en toute confusion: et voila qui est cause de ruiner les hommes. Et ainsi nous avons une doctrine bien utile en ce passage, pour nous monstrer comme nous n'irons point à perdition: C'est nous tenans comme serrez sous les ailes de Dieu, estans conioints à luy, afin d'obeir à sa volonté. Quand nous aurons ceste prudence-la en nous, voila en quoy gist nostre salut: mais au contraire oublions-nous

173

bien à nos pechez: voire. Et si pour un temps ils nous ont esté incognus, qu'ils nous viennent en memoire: et que nous pratiquions ce que nous avons allegue de sainct Paul, c'est de nous prosterner en bas et estre confus devant Dieu et nous condamner, sentans la malice qui est par trop enracinee en nous. Voila, di-ie, comme Dieu procure nostre salut c'est quand nous sentons une telle vertu et efficace en sa parole, que nous mettions peine de bien examiner toute nostre vie afin de nous desplaire. Mais ceux qui veulent faire des revesches, et qui despitent Dieu, et viennent comme transportez heurter contre lui et ne peuvent souffrir nulle admonition, il les faut remettre comme gens desesperez à ce iour dont parle ici Eliu, où il n'y aura nulles tenebres, où il D'y aura nulle cachette si obscure que tout ne soit manifesté, voire devant toutes creatures. Ils ne peuvent porter qu'auiourd'hui Dieu leur face quelque honte, afin d'ensevelir leurs pechez à iamais: mais en despit de leurs dents si faudra-il que et Anges, et hommes, et diables cognoissent leur turpitude, et qu'elle soit diffamee par tout, voire en vertu de ceste clarté qui descouvrira toutes cachettes. Voila donc comme nous devons appliquer ce passage à nostre instruction: car de fait nostre Seigneur ne menace point les hommes de ce grand iour, sinon afin qu'ils le proviennent: et ainsi le remede nous est tout appreste. Comme i'ai desia dit, Dieu n'attend pas que nous comparoissions devant lui pour faire nostre procez: mais iournellement il exerce sa iurisdiction par l'Evangile: comme aussi nostre, Seigneur Iesus en parle (Iean 16, 8), Que l'Esprit quand il viendra iugera le momie. Quand donc l'Evangile il est presché, voila une iurisdiction souveraine que Dieu exerce non point sur le corps proprement (ainsi qu'ils sont auiourd'hui) mais sur les ames, et veut que nous soyons là condamnez pour nostre salut. Et ainsi donc (comme i'ai desia touché) quand Dieu nous admonneste tant et si souvent qu'il nous faudra venir a ceste grande clarté en la fin, qu'auiourd'hui nous ne nous bandions point les yeux à nostre escient, que nous ne soyons point aveugles volontaires, quand il nous envoye sa parole qui est pour descouvrir nos ordures, et pour nous faire sentir que nous ne pouvons nous cacher de sa face.

Et ainsi faisons nostre profit de ce moyen qui nous est auiourd'hui donné. Mais si nous voulons taire des bestes sauvages, et que nous cerchions tousiours nos subterfuges: si est-ce que maugré nous en la fin nous sentirons que ce n'est point en vain qu'il est dit, Qu'il n'y a nulles tenebres devant; Dieu. Il nous fera donc contempler en sa face et, en sa maiesté glorieuse, ce que nous n'avons pas voulu auiourd'hui regarder au miroir de su parole. Or Eliu adiuste quant et quant, Qu'il ne:

174

mettra point d'avantage sur les hommes, tellement qu'ils viennent en iugement avec lui. Ce passage est diversement exposé: car aucuns le prennent comme si Dieu n'imposoit point à l'homme plus de charge qu'il ne doit, et aussi que l'homme ne peut porter: mais quand le fil continuel du texte sera bien regardé, nous trouverons que pource qu'il est ici question des iugemens de Dieu, Eliu maintient que Dieu ne nous afflige point en telle sorte, que nous ayons occasion de contester contre lui. Il faut tousiours regarder quel propos se demene: quand on veut savoir qu'emporte une sentence, qu'on regarde, il est question d'une telle chose, voila le suiet qu'on traitte, voila où tout se rapporte. Voici donc en ce passage le theme general, quand tout sera regardé: c'est assavoir, Que les hommes pourront bien murmurer contre Dieu, mais en la fin si se trouveront-ils confus Et pourquoi? Car si auiourd'hui il semble que Dieu nous traitte en trop grande rigueur: quand les choses seront bien cognues, nous aurons la bouche close, et Dieu sera iustifié, comme il en est parlé au Pseaume cinquante unieme. Notons bien donc, qu'ici il nous est monstré, que nous pourrons beaucoup plaider contre Dieu, mais que nostre cause sera perdue en la fin. Et pourquoi? Car il se trouvera que Dieu ne nous a point traittez iniquement, qu'il n'a point mis trop de charge sur nous: c'est à dire, qu'il ne nous a point affligez outre mesure. Car combien qu'il frappe quelquesfois sur les hommes plus qu'ils ne peuvent porter, ce n'est pas tontes fois plus que la raison, et qu'ils n'ont merité Or par cela nous sommes admonnestez d'orgueil qui est en nous, voire ou plustost la rage qui nous pousse de murmurer à l'encontre de Dieu. Car comment plaidons-nous avec lui? Il semble que nous ayons un iuge ou un arbitre, duquel il soit iugé, si Dieu avoit à rendre conte, serions-nous plus hardis à le despiter quand il ne nous traitte pas à nostre gré, et que les choses ne viennent point à nostre appetit?

Apprenons donc, que les hommes sont ici condamnez de ceste audace diabolique, qui les incite à plaider contre Dieu: mais cepandent si faut-il bien penser, que Dieu ne s'abbaissera point iusques à, de nous respondre quand nous l'appellerons en iustice: il ne sera point là comme nostre partie. Vrai est que nous avons expose par ci devant qu'il vient bien iusques là: mais pourquoi est-ce? C'est pour mous exprimer ce qui nous, nous est ici dit, c'est asaavoir qu'encores que nous eussions la puissance d'adiourner Dieu, et qu'il fust responsable, qu'il fust tenu de s'excuser de tout ce qu'il fait, que nous eussions la bouche ouverte pour lui pouvoir contredire: toutes fois cela ne servira rien: car en la fin tout conté et rabatu il se trouvera que Dieu ne nous charge

SERMON CXXXII

175

point par trop, et outre forme de raison. Et pourquoi? D'autant que nos pechez lui sont cognus, et cognus tels qu'il sait la mesure du chastiment que nous meritons: mais voila d'oh nous vient ceste fierté, assavoir, d'autant que nous voulons estre nos iuges pour nous iustifier. Et qui est-ce qui nous a donné ceste authorité si grande? Voila le iugement qui est donné a nostre Seigneur Iesus Christ: c'est à nous donc de venir devant lui avec toute humilité et reverence escouter et recevoir ce qu'il prononce de nous sans contradiction aucune. Or chacun veut estre creu en sa cause propre: nous n'attribuons point donc tant au Dieu vivant, qu'à des hommes mortels. Car il ne faudra point en une iustice terrienne, que celui qui est assis au siege soit iuge et partie: et toutes fois il iugera iniquement souventesfois, comme les hommes sont corruptibles: mais tant y a qu'encores ne changeons point là quant à l'exterieur cest ordre que Dieu a establi. Et que sera-ce donc, quand nous viendrons devant sa maiesté glorieuse? Ainsi donc nous voyons comme les hommes sont transportez de toute raison, quand ils murmurent ainsi à l'encontre de Dieu: et nous voyons aussi la cause dont le mal procede, c'est celle que i'ai touchee, Que nous estimons nos oeuvres selon nostre fantasie. Mais cependant voici Dieu qui se reserve le iugement: il dit, C'est à moi de considerer vos pas, ie VOUS marque et vous sonde iusqu'au dedans: il ne faut point que vous veniez ici vous mesler: car quiconque s'ingerera de vouloir iuger, celui-là usurpe ce qui ne lui est pas deu. Que faut-il donc? Quand nostre Seigneur nous afflige, que nous lui remettions nostre cause, sachans qu'il note en nous beaucoup de vices lesquels nous sont cachez. Voila, Seigneur, il est vrai que ie n'apperçoi point la centieme partie de mes fautes: mais pourquoi est-ce? C'est d'autant que i'y suis aveugle, d'autant mesmes que ie suis confit en mal, et le diable m'a comme ensorcelé. Ainsi Seigneur, que ie puisse en premier lieu mieux sentir les iniquitez que i'ai commises devant toi, pour me rendre coupable: et puis, encores que ie ne soye point iuge competant pour cognoistre de mes fautes, si est-ce Seigneur puis que tu me fais cest honneur de te constituer pour mon iuste Iuge, ie remets ma cause entre tes mains, sachant que tu vois ce qui m'est incognu. Voila pourquoi notamment il est dit en ce passage, Que quand nous irons en procez avec Dieu, si est-ce qu'il ne se trouvera point redevable. Gardons nous donc de presumer d'intenter procez contre lui: car quelque belle apparence et couleur que nous ayons devant les hou mes, quand ce viendra devant Dieu, nous demeurerons confus en tout ce que nous pretendrons. Voila donc en somme ce qu'Eliu a voulu dire eu ce passage.

176

Or cependant il adiouste, Que Dieu brisera les puissans, voire sans inquisition, et en mettra d'autres en leur lieu. Et pourquoi? Car il mettra leurs oeuvres en clarté, et tournera la nuict afin de les casser. Quand il dit, Que Dieu brisera les puissans sans inquisition, c'est afin de nous mieux faire sentir ceste authorité que nous mesprisons si hardiment, pource que nous sommes par trop stupides. Il est vrai qu'aucuns exposent ce mot d'inquisition, pour Nombre: comme s'il estoit dit, quand les puissans seroyent en nombre infini, toutes fois Dieu ne laissera point de les briser: mais de mot à mot il y a ainsi, il brisera les puissances, ou beaucoup de gens: car le mot emporte tous les deux: et puis Il n'y aura point d'inquisition. Puis que ce mot-là y est, et qu'il signifie proprement Cercher et faire enqueste, il n'y a nulle doute, qu'Eliu n'ait voulu dire, que Dieu n'a ia besoin de faire des enquestes, comme les iuges terriens feront. Pource qu'ils sont creatures, il y a de l'ignorance: il faut donc qu'ils s'aident de ces moyens: car ils ne peuvent pas deviner. Or d'autant que toutes choses sont patentes à Dieu, il iugera les hommes sans tenir une telle procedure, comme nous la voyons en la police d'ici bas. Mais encores il y a plus: c'est qu'Eliu a voulu signifier, que Dieu ne nous fera pas tousiours cognoistre pourquoi c'est qu'il exerce ses iugemens, nous y serons aveugles. ( este inquisition donc de laquelle il parle, se rapporte proprement à Dieu en chastiant les hommes: comme s'il estoit dit, Quand les iuges feront un procez, on en parlera, et la façon et le style sera observé, tellement qu'on cognoistra les choses: et puis le dicton sera publié, on sait les crimes du malfaicteur, et comme il a esté convaincu. Mais il ne nous faut point mesurer la puissance de Dieu ne son authorité à ces loix humaines. Et pourquoi? Car il brisera sans inquisition, c'est à dire sans nous monstrer pourquoi. Il ne prononcera pas tousiours sentence, les crimes ne seront pas là recitez pour deschiffrer pourquoi c'est qu'il nous punist: cela donc nous sera caché: mais cependant il ne laissera pas toutes fois de mettre à execution sa iustice. Nous voyons maintenant le sens naturel du passage.

Mais tant y a qu'il adiouste, que cela ne se fera point iniustement: Car Dieu, dit-il, mettra en avant leurs oeuvres. Combien donc que Dieu punisse sans inquisition, c'est à dire sans garder une telle formalité comme elle est requise en la police humaine: toutes fois si fait-il tout en raison et droiture. Et si cela n'est cognu du premier iour, attendons iusques à tant que tout soit descouvert, et qu'il esclarcisse ce qui est maintenant embrouillé et confus. C)r ici nous avons à nous exhorter, de ne plus nous flatter comme nous avons accoustumé de taire: car voila qui est cause de tousiours tirer

IOB CHAP. XXXIV.

177

nos cordeaux, quand il nous semble que Dieu nous espargne: et nous pensons avoir licence de malfaire, quand nous demeurons impunis. Cela est d'autant que nous n'appercevons point quand Dieu commence à nous chastier d'une façon commune, mais nous sommes preoccupez d'une stupidité, et asseurance charnelle. Mais puis apres quand il y vient en grand rudesse, nous sommes tellement effrayez, que nous ne savons où nous en sommes si tost qu'il foudroye soudain. Ce qu'il fait quand bon lui semble: car apres avoir dissimulé long temps, il ne faut sinon lever la main, et en une minute il faut que les hommes perissent, comme il en est ici parlé. Retenons donc ce passage, afin que chacun se solicite et soir et matin, quand il est dit, Que Dieu ne tiendra point une longue procedure pour nous punir, il n'est point aussi obligé a nulles loix. Cognoissons, di-ie, qu'il nous faut estre tousiours prests et appareillez et n'attendons pas qu'il frappe sur nous, mais plustost que par solicitude nous prevenions son iugement: comme il est dit, Que bien heureux est l'homme qui solicite son coeur. Et au reste, qu'il nous souvienne aussi de ceste menace horrible, Que quand les meschans diront, pas, et que tout va bien, la ruine tombera sur leur teste. Et ainsi donc, que les fideles cognoissent, que quand il plaira, à Dieu de les punir, il ne faudra point qu'il commence par un bout, pour suivre son oeuvre, et puis la dilayer, comme les hommes mortels font selon les empeschemens qu'ils ont. Et pourquoy? Il condamnera et executera sa sentence du premier coup: et ne faudra point qu'il s'employe pour nous faire long procez: nous n'aurons pas loisir de respirer, et ne ferons que languir en destresse, iusques à ce que nous soyons du tout ruinez de sa main: nous serons là confus: comme si le ciel estoit tombé sur nos testes. Si donc nous ne voulons point estre accablez de l'horrible vengeance de Dieu, sentons nos fautes: et au reste en les sentant, que nous sachions que nous avons aussi dequoy nous consoler en luy: voire moyennant qu'elles nous desplaisent, et que nous ne cerchions point de couvrir le mal, mais qu'il soit descouvert, et que nous gemissions pour nous condamner devant nostre Dieu, afin d'estre receus à merci. Car il est dit, qu'il absout ceux qui se condamnent, qu'il ensevelit les pechez de ceux qui les ont devant leurs yeux, et qui ne demandent sinon de les confesser. Quand donc Dieu verra que librement nous confessons nos fautes, ne doutons point qu'il ne les efface du tout. Voire: mais si faut-il que nous passions par là, c'est de retenir ceste sentence, Que Dieu punist sans inquisition, afin qu'un chacun de nous face cest office d'entrer en soy pour bien examiner sa vie, pour estre confus en nous, et pour nous humilier.

178

Or maintenant il est dit, Que Dieu ayant ainsi brisé les grans et robustes, en met d'autres en leur lieu: et puis il est dit-d'autre part, qu'il les punist a veue d'oeil, voire et les punist comme meschans I'ay desia dit, que quand il est parlé que Dieu descouvre leurs oeuvres, et qu'il les punist en telle qualité, c'est afin que nous craignions tousiours la iustice de Dieu, et ne venions point imaginer qu'il use de tyrannie ne de cruauté. Gardons-nous donc de penser une telle puissance en Dieu, laquelle il desploye outre raison. Il est vray que la raison qu'il tient nous sera incognue, et nous faut contenter de sa seule volonté et simple (comme aussi elle est la reigle de toute droiture) mais quoy qu'il en soit, n'ayons point ceste phantasie mauvaise que Dieu y aille à tors et à travers, et qu'il ne iuge point en raison: ains au contraire que nous ayons cela tout conclu, que combien que ses iugemens nous semblent estranges, toutes fois ils sont moderez selon ceste regle qui est la meilleure, c'est assavoir selon sa volonté qui surmonte toute iustice, c'est ce qu'Eliu nous declare en ce passage. Et cela nous doit servir principalement à nous Quand donc chacun sera affligé en sa personne, il doit tousiours considerer que Dieu est iuste, afin de se repentir de ses fautes: car iamais nous n'aurons une vraye repentance, que nous ne cognoissions que Dieu nous afflige droitement: et aussi nous ne pouvons glorifier Dieu confessans qu'il soit iuste, sinon nous estans condamnez en premier lieu, comme il a esté dit. Voila donc comme il nous faut appliquer à nos personnes ceste doctrine, Que Dieu descouvre les oeuvres, et qu'il les met en avant quand il les punist. Voire, combien que nous n'examinions pas de mot à mot les pechez et offenses que nous avons commises: tant y a que les chastimens que Dieu nous envoye, nous doivent profiter à ceste condition.

Et voila pourquoy il est dit que Dieu les punist au lieu des meschans, c'est à dire en telle qualité, pour signifier qu'ils ne pourront rien gaigner par leurs repliques, ils ne pourront pas mettre en avant qu'ils soyent iustes, quand mesmes ils n'apparoissent point tels devant les hommes. Voila pour un Item. Or l'autre est, quand il est dit, Qu'il en met d'autres en leur lieu: et c'est afin que nous cognoissions la cause des changemens qui adviennent souventesfois au monde: comme aussi il en est parlé au Psaume centseptiesme, lequel nous sera droite exposition de ceste sentence. Nous sommes comme ravis en estonnement, quand nous voyons qu'il adviendra une peste pour depeupler un pays, qu'il y adviendra des famines, que la terre qui avoit este bien fertile, deviendra sterile, comme si on y avoit semé le sel, ou bien que les guerres feront de tels troubles, que voila un pays desert,

SERMON CXXXIII

179

que les principautez seront changees. Quand nous voyons. tout cela, nous sommes estonnez. Et pourquoy? Car nous ne cognoissons point la providence de Dieu qui regne par dessus tous ces moyens humains: et aussi nous ne pensons pas aux hommes: car si nous cognoissions comme les hommes se gouvernent nous ne trouverions point estrange que Dieu les changeast ainsi, et qu'il fist de telles revolutions.

Voila donc pourquoy notamment il est dit, Que Dieu en met d'autres en leurs places, afin que si nous voyons que les choses changent au monde, nous ne trouvions point cela nouveau. Et pourquoy? C'est Dieu qui se monstre Iuge. Ne l'attribuons point à fortune: mais sachons que nostre Seigneur desploye ici son bras, d'autant que les hommes ne se peuvent maintenir en possession des biens qu'il leur faisoit. Et là dessus cognoissons quelle est nostre ingratitude afin de la corriger: car si tost que nostre Seigneur nous aura engraissez, qu'il nous aura fait du bien, nous-nous dressons comme les chevaux qui sont trop bien t reittez, pour regimber à l'encontre de lui. Et se faut-il esbahir, quand il y a un tel orgueil et une telle ingratitude, si Dieu met la main dessus? Qu'on

regarde maintenant quelle est la modestie des hommes. Quand Dieu leur fait du bien, se gouvernent-ils en sorte, qu'ils en puissent demeurer en longue possession? Mais au contraire ils veulent despiter Dieu afin qu'il les en despouille tantost Quand donc nous voyons l'orgueil et ingratitude estre si vilaine que i'ai dit, il ne faut point que nous murmurions si les choses changent, et s'il se fait beaucoup de revolutions. Et pourquoi? Car nous provoquons Dieu à cela. Mais ce n'est point assez de cognoistre que Dieu ravist un peuple, qu'il en met un autre en sa place, qu'il met de nouveaux habitans en un pays, qu'il remue ainsi mesnage. Ce n'est point assez, di-ie, de cognoistre cela, voire et qu'il le fait iustement: mais cependant que nous sommes en nostre estat, prions-le qu'il nous face la grace de iouyr de ses biens en telle sorte, que nous en demeurions tousiours possesseurs, et que nous soyons conduits par les benefices qu'il nous fait en ce monde, à tendre à cest heritage eternel qu'il nous a appresté au ciel. Voila donc comme nous avons à prattiquer ce passage, reservans le reste à demain.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

180

LE CENT TRENTROISIEME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE XXXIV. CHAPITRE.

26. Il les frappe comme meschans au lieu des voyans: 27. D'autant qu'ils se sort destournez de lui, et n'ont point coinsideré toutes ses voyes: 28. Pour faire venir le cri du povre iusqu'à lui: et faire ouyr la clameur de l'affligé: 29. Et quand il mettra repos, qui est-ce qui troublera? quand il cachera sa face, qui est-ce qui le verra, tant sur le peuple, que sur l'homme?

nous vismes hier comment c'est que Dieu punist sans enqueste ceux qui ont failli, et toutes fois il a iuste raison de ce faire tellement qu'on n'aura point dequoi l'accuser. Or notamment Eliu adiouste, Qu'il fait cela au lieu des voyans. En quoi il nous est monstre, que les iugemens de Dieu, nous doivent estre cognus et notoires, ouy pour nostre instruction. Car quand Dieu punist les pecheurs, ce n'est pas seulement afin que chacun cognoisse les offenses qu'il a commises, mais il faut

que tous y prennent exemple: comme il est dit, que la iustice viendra sur la terre, quand Dieu aura ainsi exercé des punitions pour corriger tant ceux qui ont failli, que les autres. Ainsi donc ce n'est pas en vain que ce mot est adiousté, c'est assavoir que Dieu chastie ceux qui ont transgressé aux yeux des hommes, ou au lieu des voyans. Or de là nous sommes admonnestez, d'estre plus attentifs que nous ne sommes pas, à bien noter et marquer les iugemens de Dieu. C'est une grand grace qu'il nous fait nous voulant instruire aux despens d'autrui. Or si nous fermons les yeux, ou que nous soyons stupides, quelle excuse? Et ainsi, toutes fois et quantes que Dieu punira les pechez, qu'un chacun y pense en son endroit, et que nous recevions une instruction commune, afin que ses verges ne soyent point perdues entre nous. Et de fait voila pourquoi, quand l'un a esté chastié, il faut que chacun ait comme son tour. Car si nous

IOB CHAP. XXXIV.

181

pouvions faire nostre profit de ce que Dieu nous monstre, un seul pourroit servir pour l'instruction de cinq cens, voire de mille: mais d'autant que nous laissons passer toua les advertissemens que Dieu nous donne, et que nous n'en tenons conte: voila qui est cause qu'un chacun est appellé en son rang, et qu'il faut que nous respondions toua en personne pour estre chastiez à cause de nos transgressions. Et ainsi nous voyons quelle est nostre ingratitude, quand il est dit que Dieu punist les meschans, et les brise au regard de tous. Car nous saurons bien parler de ce qui se dira, encores que nous ne le voyons point. Quand on traittera de quelque ville prinse, ou saccagee, de quelque deffaite, et d'autres choses: et bien, les nouvelles s'en porteront, on en dispute. Par plus forte raison; de ce que nous voyons devant nos yeux nous en saurons bien assez causer. Et cependant de quoi cela nous sert-il? Apprenons-nous de bien penser à nos fautes, et de nous humilier devant Dieu? Nenni: mais nous suivons tousiours nostre train: et combien que nous ne soyons point meilleurs que ceux que Dieu visite ainsi, et qu'il corrige si durement, il nous semble que les coups ne viendront iamais iusques à nous. Ne voila point donc une ingratitude trop grande et insupportable? D'autant plus nous faut-il bien noter ce qui nous est ici declaré, Que Dieu ne punist point en cachette ceux qui ont failli, tellement que nul ne le puisse appercevoir pour sa correction: mais il ne tient qu'a nous, que tous n'en facions nostre profit. Et pourquoi? Car si Dieu dressoit des eschaffaux pour faire ses chastimens, nous ne pourrions pas les appercevoir plus clairement: et ainsi, ce que nous y sommes aveugles, cela vient de nostre malice propre, et de nostre ingratitude, comme i'ai desia dit. Voila pour un Item.

Or la raison est aussi mise, Pource qu'ils se sont destournez de luy, et n'ont point consideré toutes ses voyes. Ici outre ce que nous avons desia veu, que Dieu ne frappe point, sur les hommes à tort, mais que c'est pour punir leurs pechez, il nous est monstré quelle est la source de tous maux: c'est assavoir, de nous eslongner de celuy qui est la fontaine de toute iustice. Car voila aussi comme nostre vie doit estre reglee, c'est obeir à Dieu, de le cercher et cheminer comme devant sa face: et ainsi quand on est retiré de luy, on ne peut aller qu'en toute confusion: et voila qui est cause de ruiner les hommes. Et ainsi nous avons une doctrine bien utile en ce passage, pour nous monstrer comme nous n'irons point à perdition: C'est nous tenans comme serrez sous les ailes de Dieu, estans conioints à luy, afin d'obeir à sa volonté. Quand nous aurons ceste prudence-la en nous, voila en quoy gist nostre salut: mais au contraire oublions-nous

182

Dieu? eschappons-nous de sa main? nostre vie s'esgare-elle ou çà ou là? nous sommes perdus, nous voila en damnation: car il est dit, que Dieu punira, à veuë d'oeil, et d'une façon horrible tous aux qui se destournent de luy. Or notons bien qu'Eliu ne parle pas de ceux qui avoyent este enseignez en la Loy, qui avoyent des Prophetes, et ausquels la doctrine de Dieu fust privément enseignee: mais il parle des Payens, qui n'avoyent sinon quelque petit goust de clarté. Or tant y a, d'autant qu'ils s'adonnent à mal, qu'il est dit, qu'ils s'escartent de Dieu. Et pourquoy? Combien que Dieu ne leur fust pas si prochain qu'à ceux ausquels il avoit donné sa Loy: si est-ce qu'il nous faut tenir ceste regle generale, quand Dieu nous met au monde puis que nous sommes creez à son image, que selon l'ordre de nature nous devons tendre à luy, et avoir là nostre droit but. Quand donc nous venons à nous esgarer, et que nos cupiditez regnent, et que nous leur laschons la bride, c'est comme nous destourner de Dieu: voire, auquel nous devrions estre unis. Et ainsi C'est en ceste sorte qu'Eliu accuse les Payens de s'estre eslongnez de Dieu: car combien qu'ils n'eussent point la doctrine de la Loy, ils avoyent en eux ceste instruction de laquelle i'ay parlé: comme aussi sainct Paul en traitte au second des Rom. (v. 14) qu'il ne falloit point de papier escrit pour leur monstrer qu'il y avoit un Dieu, qu'il y avoit quelque discretion du bien et du mal: car chacun a cela engravé on son coeur. Mais si les Payons sont condamnez de s'estre eslongnez de Dieu, et retirez de son obeissance: que sera-ce de nous, ausquels Dieu est plus familier sans comparaison? Dieu ne se contente point de nous avoir creez à son image, et nous avoir imprimé là dedans quelque cognoissance du bien et du mal: mais nous avons aussi sa parole, il veut que tous les iours elle nous soit publiee. Là il nous monstre privement sa volonté: C'est le chemin (comme protestoit Moyse), nous ne pouvons pas errer, nous n'avons plus nulle excuse d'ignorance, mais voila nostre repos, comme il en est parlé au Prophete Isaie. Pourtant quand le chemin nous est tout fait, que nous savons où il nous faut tirer: si cependant chacun se desborde, et se donne congé de mal-faire, de vaguer en ses passions, et cupiditez: ne sommes-nous point beaucoup plus coulpables, que ceux qui n'ont iamais ouy un seul mot de bonne instruction? Si donc les Payens sont ici nommez apostats s'estans destournez de Dieu: et que sera-ce de nous, veu que nostre Dieu s'est tant approché qu'il fait office de maistre et docteur au milieu de nous, et nous tient en son escole, afin que nous apprenions de luy en la personne de ceux qu'il ordonne pour prescher sa parole en son nom? Ainsi quand nous ne tiendrons conte

SERMON CXXXIII

183

de la doctrine qui nous est donnee, ne faudra-il point que nous soyons condamnez comme doubles apostats? Il est bien certain. Que donc un chacun regarde à soy de pres, et cognoisse que vaut ceste grace de Dieu, et qu'elle emporte, quand nostre Seigneur a comme la bouche ouverte pour nous rendre tesmoignage de ce qui nous est bon, et propre pour nostre salut. Quand nous avons cela, encores que ce ne fust qu'à leiche doigt (comme on dit) cognoissons que nous ne pouvons pas mespriser une telle benediction que Dieu nous donne, que ce ne soit nous eslongner de luy. Par plus forte raison, quand nous avons tons les iours sa parole qui nous est exposee, nous en pouvons aussi avoir lecture d'autre costé: si cela ne nous tient en bride courte, et que nous n'adherions pleinement à nostre Dieu, que nous ne taschions à le servir, il faudra bien que sa main se desploye beaucoup plus rude, et plus horrible sur nous, que sur ceux qui n'ont eu que l'ordre de nature pour estre bien conduits. Voila quant ù ce poinct

Or il est dit quant et quant, Qu'ils n'ont point consideré toutes ses voyes. En quoy il nous est signifié, que les hommes ne sont iamais si ignorans ne si rudes, qu'il n'y ait de la malice pour les rendre coulpables, et leur oster tout subterfuge devant Dieu. Ici (comme desia il a este traitté) Eliu parle en general de tout le monde, car il n'estoit pas Iuif pour avoir la Loy, et parler de ses semblables. Or tant y a qu'il dit, que ceux qui n'avoyent sinon le sens que Dieu leur donnoit, comme à tous hommes, n'ont point consideré ses voyes. il ne dit pas qu'ils ont failli et erré, pource qu'ils ne pouvoyent pas mieux, pource qu'ils n'avoyent nulle clarté de doctrine: il est vray que cela se pouvoit dire: mais ici l'Esprit de Dieu veut presser les hommes, afin qu'ils cognoissent que leur condamnation est iuste, et qu'ils ne peuvent pas alleguer ceste couverture, qu'ils ayent failli en ignorance, pource qu'ils n'avoyent point eu qui les gouvernast, combien qu'ils eussent l'affection bonne et droite. Car si les hommes avoyent un desir pur et entier de venir à Dieu, il est certain qu'il ne leur defaudroit point de son coste. Et defait ceste promesse-la ne sera point frustratoire, Heurtez, et la porte vous sera ouverte: cerchez, et vous trouverez. Quand donc nous voyons les hommes vaguer ainsi à travers champs, et comme à l'esgaree, notons qu'ils n'ont point un desir pur et droit d'aller à Dieu. Il est vray qu'ils auront bien quelque apparence de devotion: comme nous voyons qu'entre les Papistes, beaucoup semblent estre les mieux affectionnez du monde, ils sont tout ravis (ce semble) en une devotion d'aller à Dieu, mais si on regarde de pres à ce qu'ils font, on trouvera qu'il n'y a qu'hypocrisie, et que Dieu ne

184

leur lasche point ainsi la bride, qu'il n'y ait iuste cause.

Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage, c'est combien que les povres Payens soyent en tenebres, et qu'on les puisse accomparer à des aveugles qui tastonnent et ne voyent point le chemin, et qu'il y ait de l'ignorance bien lourde, toutes fois ils ne sont point à excuser qu'ils n'ayent esté malins et rebelles, et qu'ils ne se soyent destournez du bien à mal de leur bon gré, et d'un propos deliberé, car il est escrit, qu'ils n'ont point consideré les voyes de Dieu. Cela n'est point attribué aux bestes brutes, ni aux pierres qui n'ont nul sentiment: il faut donc conclure, que ceux qui sont les plus rudes et les plus barbares, ceux-la, di-ie ont refusé d'aller droit, et que s'ils eussent eu un bon desir, ils n'eussent pas este destituez de la grace de Dieu. Ce n'est pas à dire pourtant, que nous puissions bien faire: et qu'il y ait une telle faculté en nous, que nous puissions cercher Dieu: nous ne disputons point de cela: et les Papistes quand ils font une telle conclusion, ils monstrent qu'ils sont pures bestes: car quand on dit que les hommes ne faillent point par ignorance, mais par certaine malice, les Papistes concluent, O puis qu'ainsi est, nous avons donc une raison suffisante pour nous bien gouverner, nous pouvons voir clair, bref nous avons liberté d'aller au bien ou au mal. Or c'est une bestise trop grande, d'arguer ainsi. Et pourquoy? Ce ne sont pas choses incompatibles, Que les hommes ayent comme les yeux crevez, et qu'ils ne puissent ne rien voir ne rien iuger, et cependant toutes fois qu'ils soyent du tout meschans. Tant y a qu'ils sont convaincus de n'avoir point consideré les voyes de Dieu, et d'autant que l'orgueil les a transportez ils n'ont point esté guidez au droict chemin.

Voila donc comme il nous faut accorder l'un avec l'autre: c'est qu'à cause du peché nous sommes tous despouillez de raison, et d'intelligence: voila l'heritage que nous avons de nostre pere Adam, c'est que nous sommes troublez et confus, et que nous ne pouvons cognoistre ce qui nous est propre pour nostre salut, mais nous tirons tout au rebours: comme il est dit, que nostre clarté mesmes est convertie en tenebres, iusques à tant que Dieu nous illumine par son sainct Esprit. Et neantmoins nostre ignorance n'est pas telle, que nous ne soyons corrompus en nos affections, et que nous n'effacions le bien que Dieu pourroit mettre en nous: pource que nostre nature est perverse, nous sommes ennemis de Dieu, toutes nos pensees, et phantasies sont autant d'inimitiez contre sa iustice, ainsi que sainct Paul en parle au huictieme des Romains (v. 7). Nous sommes donc ignorans et cependant nous ne laissons pas d'estre pervers:

IOB CHAP. XXXIV.

nous ne savons où il nous faut aller, et cependant nous errons volontiers. Et pourquoy? Car nous ne pensons point de venir à Dieu, voire, et faut que nous soyons forcez pour y tendre, ou bien qu'il nous inspire par sa grace, et qu'il nous illumine nos coeurs qui sont pleins de rebellion. Iusques à tant donc que Dieu nous ait ainsi reformez, il est certain que nous fermerons tousiours les yeux pour DC point considerer ses voyes. Or si ceci est dit de ceux qui n'ont point eu les moyens que Dieu nous donne, que sera-ce de nous? Car il faut derechef venir à ce poinct que i'ay touché. I'ay dit n'agueres, si les Payens se sont destournez de Dieu, qu'ils ne sont point excusables. Par plus forte raison nous sommes doubles apostats, nous, di-ie, que Dieu avoit attiré à soy.

Maintenant s'il est dit que les Payens n'ont point regardé au bien, et qu'ils n'ont point conversé et cheminé selon Dieu, ie vous prie, nous qui avons la cognoissance bien autre qu'elle ne Leur a esté donnee où en serons-nous? Car nostre Seigneur nous monstre au doigt par où nous devons aller. Et ce passage que nous avons touché de Moyse est de grande importance, Voici la voye, cheminez en icelle (Deut. 30, 19). Ie proteste, dit-il, devant le ciel et la terre, qu'ils me soyent tesmoins que ie vous ay monstre auiourd'huy la vie et la mort, et si vous allez mal, que vous serez inexcusables devant Dieu: car on voit que vous ne demandez qu'à perir. Et pourquoy? Quand vostre Dieu vous enseigne, qu'il vous fait ce privilege-la de vous declare sa volonté, c'est autant comme s'il vous mettoit la vie entre les mains': et vous la reiettez, et ne demandez que la mort. Et quand les hommes font un tel chois, ne faut-il pas qu'ils soyent du tout endiablez? Ainsi donc ceste protestation de Moyse nous doit percer le coeur, afin que nous pensions mieux à nous. Et quand nous voyons que nostre Seigneur comme en un miroir, et en une peinture vive nous propose la doctrine qui nous est utile, que nous ne facions point des aveugles, ou des borgnes, que nous ne mettions point un voile devant nous, afin d'ignorer ce qui nous doit estre cognu, comme defait il nous est assez patent. Et cependant notons quand Dieu parle à nous que ce n'est point pour nous laisser en doute, tellement que nous ne sachions ce qu'il veut dire: mais au contraire c'est afin que nous recevions bonne doctrine et instruction de sa parole. Et c'est encores un poinct digne d'estre observé. Car beaucoup pretendent que la parole de Dieu est si profonde, qu'on ne sait ce qu'on doit tenir ne suivre. Or c'est accuser Dieu, comme s'il se mocquoit de nous, en nous donnant un espoir lequel nous frustrast. Notons bien donc que quand Dieu parle, c'est à ceste fin que nous recevions

186

bonne doctrine, que nous soyons entendus et prudens pour suivre ce qui nous est bon: comme il est dit, Que la parole de Dieu donne sagesse aux ignorans, c'est quand ils cognoissent leur petitesse pour se renger à luy. Nous trouverons donc tousiours cest usage-la pour nostre profit en la parole de Dieu, quand nous aurons ceste prudence de vouloir nous guider et tenir au droit chemin de salut: et quand un homme se destourne pource qu'il n'a point consideré les voyes de Dieu, on ne peut pas dire qu'il ait erré pource qu'il ne pouvoit pas mieux: mais au contraire il est cause de tout le mal, et il luy doit estre imputé.

Il y a encores un mot à noter, c'est quand il est parlé de toutes les voyes de Dieu. En quoy nous sommes advertis, que ce n'est point assez de contenter Dieu en partie, et d'obeir à sa parole à demi: mais qu'il nous faut en tout et par tout conformer nostre vie à sa volonté: car il vaut bien aussi qu'on l'escoute en tout ce qu'il dira, et que sans exception on s'assuiettisse à luy, et defait ce sont choses inseparables que ses commandemens Comme Dieu ne peut estre divisé, aussi notons que sa iustice ne se peut pas diviser par pieces. Quelle est la iustice de Dieu? Il l'a comprinse en toute sa Loy. Il n'a pas dit seulement qu'on s'abstint de paillarder, il n'a pas defendu seulement le larcin, il n'a pas seulement condamné le meurtre: mais il a conioint dix preceptes, et a voulu qu'on se tint là maintenant si l'un obeist à Dieu estant chaste, l'autre s'abstenant de piller son prochain, l'autre se gardant de toute iniure et violence et qu'on se donne liberté de malfaire en une autre partie: ne voila point descirer la iustice de Dieu? Car nous avons dit que tous ces commandemens sont inseparables, et qu'il y a là un lien sacré qui doit estre tenu. Et ainsi notons bien que pour estre benis de Dieu, il ne faut point seulement estre attentifs à une partie de ses voyes, mais à toutes. Voila donc ce qu'Eliu a voulu ici noter. Or par cela voyons nous comme chacun doit estre diligent à penser à soy. Quand donc nous voudrons bien examiner nostre vie, prenons toute la Loy de Dieu, afin de compasser là et nos oeuvres et nos pensees: et quand nous n'aurons point cognu de peché exterieur et actuel en nous, que nous venions plus loin, assavoir si nous n'avons point eu de mauvaises affections: et sur cela apprenons de nous condamner, et prions Dieu qu'il nous purge du mal que nous sentons ainsi en nous. Voila comme nous avons à pratiquer ce passage. Or cependant il nous est aussi bien monstré, que quand les hommes ont commencé de se desbaucher, ils s'esgarent apres de plus en plus, et se dépravent iusques à ce qu'ils ayent pleinement renoncé à Dieu, et qu'ils l'ayent quitté du tout. Nous ne serons pas si rnalins, que

SERMON CXXXIII

187

du premier iour nous soyons adonnez à tous vices encores serons-nous retenus de la crainte de Dieu. mais si nous prenons licence de nous ietter à travers champs: et bien, Dieu dissimule-il à nos pechez et iniquitez? Satan prend possession et de nos ames et de nos corps, et sur cela il nous transporte tellement que nous sommes du tout incorrigibles. Voila donc comme les hommes apres ne s'estre point pleinement rengez à Dieu, et d'une vraye rondeur et simplicité, se corrompent tellement qu'il n'y a plus nulle consideration en eux: qu'ils despitent Dieu, non point en un seul peche, mais en tout en par tout: qu'ils reiettent pleinement toutes ses voyes. Or au reste nous voyons ici mieux encores qu'auparavant, combien la iustice de Dieu est equitable, quand il nous chastie. Et pourquoy? Ceux qui avoyent failli, encores sont-ils rebelles à Dieu: ils se sont retirez de luy, ils n'ont point voulu estre enseignez au bien, mais se sont adonnez au mal, voire de leur bon gré: n'est-il pas donc temps ou iamais que Dieu y mette la main pour les corriger? Puis qu'ainsi est, ayons tousiours cela resolu, Que iamais Dieu ne nous punist, qu'il ne soit courroucé tant et plus, et que nous n'ayons este dignes long temps auparavant d'estre foudroyez de sa main. Tant y a donc qu'apres avoir dissimulé, en la fin il nous faut venir à ce qui est ici contenu c'est Qu'il brisera, à veuë d'oeil et d'une façon notable tous ceux qui se sont ainsi destournez de luy. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il est dit quant et quant: Pour faire venir à luy le cri des povres, et pour faire ouir la clameur de l'affligé. Ici Eliu note une espece de pechez que Dieu punist aux hommes. Il est vray que nous l'offensons en beaucoup de sortes: mais pource que les hommes ne peuvent estre amenez à cognoistre leurs fautes, sinon qu'ils en soyent plus que convaincus: ici Eliu a mis une espece, qui est la plus patente, et la plus aisee à voir. Car quand il se commet des violences et extorsions, qu'on pille la substance d'autruy, et que ceux qui sont affligez n'ont nul secours qui soit: ils crient à Dieu, on oit les complaintes: et chacun en a pitié et horreur. Voila donc une espece d'iniquité qui nous sera assez cognue et à grans et à petis, quand nous verrons, Comment? il n'y a point de iustice, et le plus fort l'emporte, nous sommes comme en un brigandage: car celuy qui voudra piller, il ne luy chaut quand il aura fait toute meschanceté, il n'y a point de remede, il n'y a point d'ordre. Si cela donc est, chacun en sait à parler. Pour ceste cause ici le sainct Esprit a choisi le peché qui est le plus notable, afin que nous soyons tant mieux convaincus. Cependant notons que sous une espece, le tout est comprins. Car en quelque sorte que nous offensions

188

Dieu, il a tousieurs iuste raison de nous punir: et (comme des a nous avons declaré) sa Loy ne peut pas estre divisee, il faut qu'elle demeure en son union, et que ses commandemens soyent tellement liez ensemble, qu'il y ait une iustice entiere. Mais d'autant que nous sommes tant hypocrites, et qu'un chacun s'entortille comme un serpent afin de cacher ses fautes: Dieu nous veut ici attirer comme par force, afin que nous soyons contraints de confesser la dette. Car si nous avons fait quelque tort et excez à un povre homme, il en demandera vengeance, les complaintes en seront cognues: tellement que l'air en retentira. Or puis qu'ainsi est, pensons-nous que cela puisse estre caché devant Dieu? Pensons-nous qu'il puisse estre mis en oubli? Que faut-il donc? En premier lieu (comme i'ay desia touché) notons qu'encores que nul ne se plaigne de nous en ce monde, si est-ce que nos pechez crieront: et voila un son qui sera pour aller iusques au ciel, assavoir nos offenses. Si on remue quelque chose, nous voyons qu'il se fera grand bruit: et quand nous violons la iustice de Dieu, n'est ce pas plus que si nous renversions une maison? Estimons-nous chose plus precieuse, que cest ordre que Dieu a establi pour nous faire cheminer selon sa volonté? nous venons destruire tout cela. Et n'est-ce pas plus (comme i'ay dit) que si nous renversions quelque edifice? Et pensons-nous, que le bruit n'en vienne point iusques aux aureilles de Dieu? Notons bien donc toutes fois et quantes que nous transgressons sa Loy, que le cri en monte iusques au ciel, et que nos pechez demandent vengeance: car encore que les hommes soyent muets, et qu'ils ayent la bouche close, qu'ils n'en disent rien, ils ne laissent pas pourtant d'estre enregistrez devant Dieu. Voila en premier lieu ce que nous avons à noter.

Mais quand les hommes mesmes crient contre nous, et que nous sommes diffamez pour nos iniquitez, et que nous oyons les plaintes et les murmures: et pensons-nous par plus forte raison que Dieu n'oye point tous ces cris-la? Ainsi en toutes aortes notons, que ce n'est point sans cause qu'il est dit, le cri de Sodome est venu iusques à moy: ie suis donc descendu pour voir s'il estoit ainsi: et sachons que nostre Seigneur n'a point les aureilles sourdes, que tousieurs nos offenses ne viennent en cognoissance devant luy. Mais quand ce cri y est, et qu'il y a une telle confusion, il faut bien encore plus qu'il note tout cela. Car à la verité (comme i'ai desia touché) ce n'est point une chose de petite importance, que nous venions ainsi à destruire ce que nostre Seigneur avoit establi. Et de fait qu'est ce que la regle de bien vivre? N'est-ce point comme une image de Dieu, laquelle reluist entre les hommes? Et quand nous venons à pervertir

IOB CHAP. XXXIV.

189

cela, ie vous prie, quelle confusion est-ce? Et cependant toutes fois notons que Dieu ne laissera point impunis ceux qui auront affligé et molesté iniustement les povres. Il est vray que les gros prennent audace de mal-faire, quand ils voyent que les povres gens sont desnuez de support, qu'ils ne sont point secourus qu'ils n'ont point de parens ne d'amis: là dessus, di-ie, il leur semble que tout leur est licite: et voila pourquoy ils se desbordent. Mais notons bien qu'il est dit, que Dieu en a le soin: et ainsi selon que les povres seront exposez à toutes iniures, et que nul ne leur subviendra, Dieu declare qu'il s'en soucie tant plus pour en faire la vengeance. Si cela estoit bien considere, nous serions retenus mieux que nous ne sommes de ne point molester nos prochains, et sur tout ceux qui ne se peuvent revenger: car c'est comme violer la sauve-garde que Dieu a mise sur leurs personnes et faudra que nous sentions en la fin qu'il est nostre partie adverse. Voyons-nous donc un povre homme? Que nous soyons là comme attachez, pour n'attenter nulle nuisance, ne violence, ni excez contre luy. Et pourquoy? Car Dieu se mettra au devant, et encores que le povre homme endure patiemment l'iniure qui luy sera faite, le cri ne laissera point de venir au ciel, et d'estre exaucé de Dieu. Or comme ceste doctrine nous doit servir d'admonition, afin qu'un chacun se tienne en bride, s'abstenant de mal faire: aussi les povres doivent bien estre consolez, quand ils voyent que Dieu les a en sa protection: et que si les meschans les molestent et tourmentent, Dieu tient la bride à leur rage, et veille sur les povres, et monstrera en la fin que iamais il ne les a mis en oubli. Puis qu'ainsi est donc que Dieu prend ainsi nostre querelle, remettons-nous à luy: et que cela soit pour moderer nostre tristesse et fascherie, quand nous sommes affligez iniquement, que les hommes nous gourmandent, et qu'il n'y a point de remede, qu'il semble que nous soyons comme brebis en la gueule des loups. Et bien, nostre Seigneur a promis que le cri de toutes les extorsions qu'on nous fera viendra devant luy. Ayans cest appuy contentons-nous, et attendons qu'il declare par effect qu'il nous est prochain, et qu'il a le soin de nostre salut. Voila comme nous avons à pratiquer ce passage.

Il s'ensuit, Quand Dieu donne repos, qui est-ce qui troublera? Et quand il musse sa face, qui est-ce qui pourra regarder tant sur l'homme que sur tout un peuple? Ici Eliu veut reprimer en la personne de Iob toutes les querelles que nous intentons contre Dieu: car nous voudrions le contreroller en tout ce qu'il fait: et mesmes voudrions accorder avec luy, afin qu'il nous gouvernast à nostre phantasie. Il est vray que nous ne le dirons pas: mais cependant si voit-on que cest orgueil est en nous. Qui est

190

celuy qui ne fust content d'abaisser la maiesté de Dieu, afin que les choses vinssent à son appetit? Si tost que nous sommes faschez, quand Dieu fait autrement que nous ne desirons, c'est autant comme si nous mettions des barres pour dire, O ie n'enten pas que la chose se doive faire ainsi.

Voila donc pourquoy maintenant il est dit, Quand Dieu donne repos, qui est-ce qui pourra troubler? et quand il cachera son visage, qui est-ce qui le pourra regarder Or ce repos de Dieu qu'il donne, est en plusieurs sortes. Car les fideles ont ce repos dont l'Escriture saincte parle, c'est qu'ils s'appuyent en Dieu, et mettent leur fiance en sa bonté, et ne doutent point qu'il ne les gouverne. Sur cela ils peuvent dormir à leur aise: comme le Prophete en parle (Michee 4, 4), disant qu'un chacun dormira sous son figuier, et sous sa vigne, quand il sera ainsi en la garde de Dieu, et que nous le cognoistrons Et ceste paix-la est le vray fruict de la foy, comme l'Escriture en parle. Voila donc le principal repos que les hommes ayent, et dont ils puissent iouir: c'est de se remettre en la providence de Dieu, et que voyans le soin paternel qu'il a d'eux ils puissent dire, Mon Dieu ie te recommande ma vie: comme elle est en ta main tu en disposeras: cependant i'iray mon train. Voila pour un Item. Or cependant il y a aussi d'autres repos. Car Dieu espargnera les meschans, encores qu'il les bate au dedans, qu'ils soyent rongez tousiours en leurs consciences, selon qu'il en est parlé au Prophete Isaie (57, 20). Car combien qu'il soit la dit, Que leurs pensees sont comme des vagues qui se batent l'une l'autre (et voila un bourbier infect là dedans, pource qu'il faut que l'infidelité apporte tousiours inquietude) tant y a que Dieu les laisse assoupis, d'autant qu'il ne les punist point maintenant.

Ainsi donc il est dit, Que si Dieu donne repos, qui est-ce qui pourra troubler? Par cela il nous est monstré, que cependant que Dieu differe et prolonge les punitions des meschans il ne faut pas que nous soyons trop hastifs: car nous ne gaignerons rien, si nous venons plaider contre Dieu, pour dire Et pourquoy est-ce que du premier coup il ne punist ceux qui l'ont merité? Ce seroit vouloir troubler ceux que Dieu veut estre en repos. Et ainsi apprenons de nous assuiettir patiemment à la volonté de Dieu, et gardons-nous de nous precipiter ainsi. Car il est dit que ce n'est point à creature mortelle, de troubler quand Dieu veut donner repos Et cependant cognoissons, que ce n'est rien que de prosperer selon le corps, sinor que nous ayons Dieu propice, et qu'en sentant cela nous soyons paisibles en nos coeurs. Au reste si nous n'avons ce repos-la, cognoissons que c'est à Dieu de le donner. Car si la paix et les guerres

SERMON CXXXIII

191

sont en sa main, s'il peut troubler et appaiser (quand bon luy semblera) selon l'estat caduque de ce monde: il a le repos spirituel qui est bien plus grand, et plus excellent. cognoissons donc qu'il n'est pas en nous de nous appaiser quand nous sommes en trouble, mais qu'il faut recourir à Dieu: car c'est un thresor singulier et inestimable qui procede de luy, de nous tenir ainsi en paix, tellement qu'au milieu des confusions de ce monde nous demeurions tousiours sur nos pieds, qu'estans agitez comme en des grosses tempestes et orages, toutes fois nous ayons nostre ancre fichee en luy pour tenir bon. Voila, di-ie, comme un privilege singulier que Dieu fait à ses enfans. Et ainsi sommes nous troublez? Avons-nous des angoisses, des troubles, et des perplexitez? Qu'est-il de faire? Prenons ceste moderation, cognoissans qu'il reside entre nous. Il est vray qu'il nous faut tousiours cercher les moyens que Dieu nous presente, nous y tenir, et nous y efforcer: mais quoy qu'il en soit que nous ayons cela tout resolu que c'est l'office de Dieu de nous appaiser afin que nous soyons delivrez de toute inquietude. C'est donc ce que nous avons à noter. Or cependant combien que les fideles ayent ceste paix, comme il a esté dit, et qu'ils se reposent au milieu de toutes leurs afflictions, et de toutes les miseres de ce monde, et mesmes qu'estans tentez de desfiance ils se remettent tousiours à Dieu toutes fois cela n'est pas que leur vie ne soit suiette à beaucoup d'inquietudes. Et ainsi ne nous tempestons point quand il plaist à Dieu de nous agiter: car il n'est pas dit qu'il nous doive tellement traitter en ce monde qu'il ce nous faille vagueur et çà et là Mais cependant si faut-il que nous tenions ferme, tellement que nous ne soyons point du tout esbranlez par nos tentations. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or à l'opposite il est dit, Si Dieu cache son visage, qui este qui pourra regarder? En quoy nous sommes advertis, que ce n'est point à nous de sonder trop avant ce que Dieu fait: mais contentons nous de savoir ce qu'il nous monstre. Qu'est-ce

192

que le visage de Dieu? Ce n'est point une figure semblable au visage de l'homme, qui ait un nez, des yeux, et une bouche: mais la face de Dieu est le tesmoignage qu'il nous rend, quand nous cognoissons sa volonté. Or donc Dieu nous monstre sa face quand il nous declare pourquoy il fait ceci ou cela: c'est autant comme si nous le voyons devant nos yeux. A l'opposite il nous cache sa face, quand il nous afflige, quand les choses nous semblant estranges, et que nous ne savons point de raison pourquoy il besongne ainsi. Quand donc Dieu nous tient ainsi en ignorance, c'est autant comme s'il avoit le visage caché. Or notons bien ce qu'il dit, Que nous aurons beau nous efforcer à le regarder, nous n'y parviendrons iamais. C'est donc une presomption diabolique aux hommes, quand ils entrent ainsi en dispute des oeuvres de Dieu, et qu'ils se tempestent et se faschent si Dieu fait les choses autrement que bon leur semble, qu'ils voudroyent le renger a leur poste: voire, comme s'ils vouloyent regarder Dieu, en despit qu'il en ait quand il se cache: s'ils vouloyent l'attirer à eux. Et en viendront-ils à bout? Que faut-il donc, pour faire nostre profit de ce passage? Il est vray que ceste doctrine merite d'estre deduite plus au long: mais pour le present (afin que le propos ne demeure point interrompu) notons que si tost qu'il plaist à Dieu de se manifester à nous il faut que nous le confessions, et que nous pensions à ses oeuvres selon qu'il nous les monstre, et que nous soyons attentifs de noter la raison pourquoy il fait ainsi. Mais quand il besongne d'une façon estrange, et qui nous est incognue, adorons tels secrets, et cognoissons neantmoins qu'il est tousiours iuste quoy qu'il en soit: et que nous demeurions tousiours en ceste conclusion-la nous tenans tout coys, et attendans en patience iusques à ce qu'il nous revele plus à plein ce qui nous est auiourd'hui caché: sachans que durant ceste vie, il faut que nous cognois ions en partie tant seulement.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

IOB CHAP. XXXIV

193

LE CENT TRENTEQUATRIEME SERMON,

QUI EST LE VI. SUR LE XXXIV. CHAPITRE.

29. Et quand il aura mussé sa face, qui est celuy qui le pourra voir? il est sur les gens, et ensemble dessus les hommes: 30. De ce que l'homme hypocrite regne, et qu'il y a scandale au peuple. 31. (l'est à Dieu de dire, I'ay pardonné, ie ne destruiray point. 32. Mais ce que ie n'ay apperceu, toy enseigne-le moy: si i'ay meschamment fait, ie ne le feray plus.

Il fut hier exposé en partie comment c'est que Dieu cache son visage de nous, pour n'estre point regardé: c'est quand les hommes sont confus en ce monde, et que nous ne voyons ne raison n'issue en ce qui s'y fait: comme à l'opposite si Dieu nous fait la grace de contempler qu'il gouverne tout, et que nous voyons un bel ordre et bien disposé, alors c'est comme si sa face luisoit sur nous comme un soleil. Voyons nous donc l'estat du monde estre tant troublé, que nous ne sachions qu'en dire? c'est autant comme si Dieu avoit caché son visage. Or là que faut-il faire, sinon nous humilier? Comme il est dit au Prophete, qu'au temps d'adversité le sage mettra sa bouche en terre, qu'il se tiendra là tout coy. Voire, cognoissans que nous ne gagnerons rien à nous rebecquer, quand Dieu nous voudra traitter ainsi à l'extremité. Voila donc à quoy tend ceste sentence: c'est de nous exhorter à modestie et sobrieté: voyans que nostre esprit est par trop rude et grossier pour comprendre les secrets de Dieu: et d'avantage d'autant que notamment Dieu pretend à nous humilier, quand il se retire d'avec nous. Et cela se fait, dit Eliu tant sur un peuple, que sur un homme. En general et en particulier, Dieu pourra ainsi mesler les choses que nous n'y cognoistrons plus de raison: et si nous en voulons parler, nous ne savons par quel bout commencer.

Or pour mieux exprimer son intention, il adiouste, De ce que l'homme hypocrite regne. Vray est que ce passage ici se pourroit exposer diversement: mais le fil du texte monstre assez quelle est le sens, quand il y a, De ce que le meschant, ou detestable regne, et qu'il y a scandale au peuple, ou des filets tendus: car le mot emporte tous les deux. Voila qui est cause de nous troubler, quand nous voyons regner les meschans, qu'il n'y a que tyrannie, qu'il n'y a plus d'equité ne de droiture: nous sommes lors comme esperdus: Dieu n'apparoist point. S'il y a des enormitez qui se commettent,

194

qu'on bate, qu'on ravisse de tous costez, ou bien que les filets soyent tendus, et que les povres gens ne puissent par où eschapper: voila Dieu qui est comme retiré. Vray est qu'il ne laisse point de nous estre prochain, et avoir le soin de nous: mais nous ne le voyons pas. D'autre costé, quand nous ne pouvons pas considerer ce qui se fait, il nous semble que Dieu n'a plus d'esgard à nous, nous ne voyons que tenebres, la clarté qui nous doit guider ne luit plus. Or que faut-il sinon baisser la teste, avoir la bouche close, attendans en patience que Dieu remedie aux maux qui nous troublent? et aussi que nous ayons tousiours cela, de point nous enquerir plus outre, qu'il ne nous est licite. Il nous faut bien penser que Dieu ne fait point sans raison telles choses, mesmes il nous faut entrer en cognoissance de nos pechez: mais au reste quand nous voudrons curieusement disputer des secrets de Dieu, et de ses conseils incomprehensibles, c'est une arrogance qui ne fera que nous precipiter. Et ainsi apprenons (comme desia nous avons dit) de ne point estre trop sages, cognoissans que Dieu nous veut aucunefois conduire comme povres aveugles. Touchant de ceste sentence où il est dit, Que le meschant regne, notons combien que ce soit une tentation dure, quand nous voyons regner des gens desbordez, contempteurs de Dieu, adonnez à tout mal, si nous voyons qu'il n'y ait plus de loix qu'on ne sache où aller pour avoir son refuge: si donc tout cela est, il est vray que c'est une tentation grande et difficile à surmonter: mais notamment le S. Esprit nous l'a ici voulu mettre au devant, afin que nous soyons armez à l'encontre. Et ainsi l'iniustice a elle la vogue? les meschans ont-ils une telle hardiesse qu'ils confessent tout, et que les choses soyent demenees en telle corruption qu'il n'y ait plus de remede? Nous avons l'advertissement qui nous est donné par le sainct Esprit, Que Dieu veut ainsi cacher son visage pour esprouver nostre obeissance. Pourtant attendons qu'il nous esclaire, et alors nous cognoistrons que ce n'est pas sans cause qu'il a mis de tels troubles entre nous. Voila en somme comme nous avons à pratiquer ce passage.

Or Eliu adiouste que c'est à Dieu de dire, I'ay pardonné, ie ne destruiray plus. Comme s'il disoit, que Dieu tient les cordeaux en sa main pour conduire les hommes a son plaisir: et s'il luy

195

SERMON CXXXIV

plaist de nous punir pour nos pechez nous n'avons nulle replique qu'il ne faille passer condamnation: s'il nous supporte, mesmes qu'il nous vueille du tout espargner, qui est-ce qui y resistera? qui est-ce qui le pourra empescher de nous faire grace? Il est vray que ceci est estrange de primeface au sens humain: car nous demandons: Veu que Dieu n'accepte point les personnes, pourquoy pardonne-il plustost à l'un qu'à l'autre? Pourquoy supporte-il un meschant, quand on le voit estre desbordé du tout? nous pouvons bien donc estre solicitez en nos esprits, de nous enquerir pourquoy c'est que Dieu y procede ainsi: mais quelle conclusion faut-il faire, sinon que tout luy soit remis en son conseil, sachans que ce D'est pas à nous de le regler, et mesmes que nous ne sommes pas suffisans pour comprendre les choses par trop hautes? Or est-il ainsi, que quand Dieu nous veut humilier, il a des façons de faire qui ne conviennent nullement à nostre raison naturelle. Voila en somme ce qui nous est ici dit. Maintenant quand il nous est parle des iugemens de Dieu, par lesquels il chastie nos pechez, retenons ce qui a esté dit, c'est assavoir, Que le plus iuste se trouvera coulpable au double, voire cent fois plus qu'il ne souffre: et ainsi que nous n'avons dequoy nous plaindre. Au reste s'il plaist à Dieu de pardonner, cognoissons qu'il le fait non point pour nos merites, ne pour rien qu'il trouve en nous, mais par sa bonté gratuite. Et ceci doit bien estre noté, pource que ce que i'ay desia touché qui vient naturellement en phantasie aux hommes, a este cause qu'on a introduit des fausses doctrines et meschantes en la Chrestienté. Et les Papistes auiourd'huy sont abbreuvez de cest erreur, Que Dieu pardonne les pechez à ceux qui se convertissent, voire quand il voit quelque bon mouvement en eux. Quand les Papistes parlent de la remission des pechez, tousiours ils imaginent qu'il faut que l'homme de son costé se dispose, et qu'il acquiere une telle grace devant Dieu: et combien que ce ne soit point en dignité egale, toutes fois il y a, disent-ils, quelque concurrence, c'est à dire que cela est raisonnable, que Dieu voyant l'homme en quelque bonne disposition, luy aide ayant regard à cela. Et qui a este cause de mettre telles resveries en avant? C'est pource que l'homme ne comprend pas, que Dieu ait une telle liberté comme elle luy est ici donnee: c'est assavoir que c'est à luy qu'il appartient de dire qui il absoudra. Pource qu'on n'a point comprins cela, voila les Papistes qui ont forgé ceste imagination diabolique, Que Dieu pardonne à ceux qui sont aucunement disposez d'un bon motif, et qui se proposent de se repentir: et combien qu'ils n'ayent pas tant de merites qu'ils soyent dignes d'estre acceptez, toutes fois que Dieu

196

les reçoit à merci à cause de la bonne disposition qu'il trouve en eux.

Or au contraire retenons ceste doctrine qui est ici contenue, c'est assavoir, Combien que les hommes soyent tous esgaux, et que la perdition soit commune à tous et qu'ils y soyent enveloppez, que Dieu pardonnera, à l'un, et laissera l'autre en sa ruine en laquelle il estoit desia. Pourquoy le fait-il? Ce n'est pas à nous d'en disputer: retenons cela pour nous humilier, n'allons point forger en nos cerveaux des moyens desquels l'Escriture saincte ne parle point. Et defait qui est-ce qui donne un tel mouvement à l'homme de se desplaire en son vice, sinon que Dieu l'ait desia touché par son sainct Esprit? Car de nature nous aimons le mal, et l'ayans commis desia nous y sommes encores disposez plus outre, et l'hypocrisie nous aveuglera pour nous y flatter. Quand donc un pecheur se desplait en son vice, c'est signe que desia Dieu l'a touché. Vray est que Cain et Iudas ont bien esté tormentez sentans leur offense: mais ce n'estoit pas pour s'y desplaire plustost ils ont grincé les dents contre Dieu, et se sont endurcis au mal. Pourtant il faut conclure quand un pecheur a quelque contrition en soy, et est touché pour s'humilier devant Dieu, que c'est desia une marque du sainct Esprit. Or c'est donc signe que Dieu nous a fait merci quand il nous donne une affection ployable, et que nous approchons de luy nous desplaisans en nous-mesmes. Et defait ne voila point un bon gage de sa misericorde? Dirons-nous donc que l'homme ait merité, que Dieu luy pardonne son peché, à cause qu'il estoit disposé à cela? Nous voyons donc que les Papistes ont ici falsifie la doctrine de Dieu, et l'ont desguisee, attribuans à l'homme ce qui ne luy appartient point. Et d'autant plus nous faut-il bien noter ce passage, et le reduire souvent en memoire, Que si les hommes se iettent en ruine, et qu'ils soyent detenus en la servitude de peché, que Satan les possede, Dieu aura ceste autorité de dire, Ie pardonne. Et à qui? O il ne faut point que nous attachions sa grace ne ci ne là, mais que nous luy laissions user de son conseil, et qu'il dispose de tout selon sa bonté gratuite. Quand donc il pardonne à l'un, il pourra laisser l'autre en sa perdition: comme il est dit aussi en Moyse (Exo. 33, 19) et sainct Paul (Rom. 9. 15) allegue ce tesmoignage-la comme d'importance entre les antres, Ie pardonneray à qui ie pardonneray, et feray misericorde à qui ie la feray. Dieu en parlant ainsi monstre qu'il ne nous faut point enquerir pourquoy il le fait, et nous coupe la broche à toutes telles questions. A qui est-ce donc que Dieu pardonne? A qui il luy plaira. Ce n'est point un homme mortel qui use d'un tel propos: c'est le Dieu vivant qui prononce, que quand il fait misericorde, il ne faut

IOB CHAP. XXXIV.

197

point demander pourquoy il la fait, ny à qui, et si celuy-la estoit mieux disposé que l'autre, s'il y a point eu quelque merite, quelque bon mouvement, ou quelque autre moyen. Non: car Dieu veut qu'on se contente simplenent de ce qu'il fait. Pourtant s'il exerce sa misericorde envers les uns, et non pas envers tous, il faut que nous magnifions sa bonté: et s'il donne aussi quelque lustre à sa iustice, sachons qu'il n'est point tenu ny obligé à nous. Et defait ceste diversité nous monstre tant mieux, que s'il nous retire de la mort mesme, il ne le fait pas sinon gratuitement, et que de nostre costé nous estions perdus et damnez, si nous n'eussions este secourus pur luy. Voila donc comme nous pouvons estre plus incitez a glorifier Dieu, et cognoistre sa pure grace sur nous, et que nostre salut n'est fondé sinon en ce qu'il luy plaist nous recevoir à merci: assavoir quand au contraire il delaisse ceux que bon luy semble, et ne fait point une misericorde pareille à tous, mais qu'il en laisse aucuns derriere, tellement qu'ils ne sont point avancez à salut. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il adiouste, Qu'il ne destruira plus, quand i1 aura ainsi pardonné. Et en cela nous avons encores une bonne doctrine: c'est, que si Dieu espargne les pecheurs, il declare qu'il s'est reconcilié avec eux, qu'il les a appointez avec luy. Il est vray que quelquefois Dieu ne punist point les meschans: encores que leurs pechez leur soyent remonstrez, et bien ramentus, si est-ce qu'il semblera qu'ils soyent eschappez de sa main pour quelque temps. Or alors ce mot n'est point accompli, Que Dieu ne destruira pas. Et pourquoy? Car là il ne pardonne pas, mais il nourrist les meschans, comme on engraisse les boeufs et les porceaux afin de les tuer. Nous voyons qu'un boeuf, quand il n'aura iamais esté engraissé sa vie durant, si on le veut assommer on le traittera beaucoup mieux: autant en fera-on d'un porceaux pour le mettre en lard. Or le Prophete ([Ier. 12, 3, et 51, 40) use de ceste similitude-la, quand il veut signifier que la condition des contempteurs de Dieu et des reprouvez n'est pas meilleure, si du premier coup ils ne sont punis: comme nous l'avons veu tant en Ieremie qu'en Ezechiel, que ceux qui sont reservez à long temps, n'ont pas meilleur marché: mais que selon qu'ils sont pires devant Dieu, et qu'ils ont fait un plus grand amas de malediction sur leurs testes, il faudra aussi que Dieu desploye une plus grande rigueur sur eux. Et ainsi quand nostre Seigneur ne punist point les meschans du premier iour, ô il ne laisse pas toutes fois de les tenir là sous son ire et sa vengeance: et pourtant ce passage ne leur appartient point. Mais quand nostre Seigneur absout du tout les hommes, et qu'il ne

198

les veut plus punir, pourquoy est-ce? Et c'est à cause qu'il leur a pardonné leurs pechez. I'ay dit que coste doctrine ostoit tort utile. Et pourquoy? Car nous sommes en premier lieu tant charnels, qu'il ne nous chaut moyennant que Dieu ne nous face point sentir sa rigueur: combien qu'il soit courroucé contre nous, et qu'il nous reiette, et que nous soyons comme banni de sa maison, cela ne nous touche point: comme si un malade estoit comme pourri la dedans en son corps, et toutes fois moyennant qu'il ne sente point de mal ce luy est tout un. Quand un homme aura la fiebvre, s'il ne sent point d'alteration, ou de douleur de teste et de reins, et bien, il passe: et toutes fois le mal couvera au dedans, tellement que C'est un mal mortel. Au contraire si la soif le presse, il seroit bon de l'endurer quelque temps, pour remedier a la fiebvre qui est le mal principal: mais l'homme est tellement sensible qu'il ne luy chaut moyennant que le mal qui est en cest accident luy soit osté, et la passion qui le tormente. Ainsi en est-il de nous: car si Dieu est offensé il nous semble que se n'est rien, nous n'appercevons point cela, à cause de nostre stupidité. Et ainsi nous adioustons peché sur peché, et demeurons tousiours endurcis. D'autant plus donc nous faut-il noter ce qui est dit en ce passage, C'est assavoir que nous n'eschapperons point de la main de Dieu sinon qu'il nous ait pardonné nos pechez: il nous faut venir à la racine. Ne demandons point seulement à Dieu qu'il nous delivre de maladies, de povretez, de ceci et de cela. mais sur tout prions-le qu'il nous soit propice: et quand nous aurons cela, nous serons delivrez de tous nos maux. Et encores pour mieux comprendre ceste doctrine, notons que combien que nous soyons en prosperité, si cependant Dieu nous est ennemi, le mal nous demeurera tousiours, et le bien nous sera converti en mal. Usons nous donc des graces de Dieu en l'offensant? Il faudra que tout le bien qu'il nous aura eslargi nous tourne en plus grande condamnation: comme au contraire, quand nous serons reconciliez avec Dieu, et qu'il nous aura fait pardon de nos offenses, encores qu'il nous chastie, cela nous servira de medecine, tontes nos afflictions seront benites devant luy, tellement quelles nous tourneront à salut, comme S. Paul en parle au huictiéme des Romains (v. 27). Voici donc un article bien necessaire, de cognoistre que nous serons tousiours enclos sous la malediction de Dieu, iusques à tant qu'il nous ait pardonné nos pechez.

Or sur cela apprenons de ne point craindre seulement les maux et les adversitez: mais sur tout craignons ceste ire de Dieu, que nous ne cessons de provoquer: et quand nous aurons failli que nous ne commencions point par les afflictions externes

SERMON CXXXIV

199

pour dire, Il faut retourner à Dieu afin qu'il ne nous afflige plus: mais prions-le qu'il nous face la grace de nous purger et nettoyer de nous fautes, afin qu'il n'y ait plus rien en nous qui l'enflamme contre nous et qui l'offense. Vrai est que les chastimens et corrections que Dieu nous envoye, nous sont comme des coups d'esperon pour nous picquer: quand il voit que nous sommes trop tardifs, il nous attire par ce moyen-là a repentance: mais tant y a qu'il ne nous faut point demeurer si bas que de dire, Et bien, ie me contente moyennant que Dieu retire sa main de moi. Non: car nous aurons gaigné bien peu, quand il n'y aura que cela. Quoi donc? que nous allions iusques à nostre Dieu que nous le prions qu'il lui plaise nous reconcilier avec lui, et de faire tant que quand nous aurons este ainsi chastiez doucement, nous cognoissions sa bonté envers nous. Et de fait voila qui est cause que Dieu redouble les coups, et qu'il frappe sur nous beaucoup plus rudement. Et pourquoi? Si un homme est chastie, et bien, il sentira que Dieu le visite, i'enten tout au mieux aller. Voila donc un homme qui s'humilie quand il aura offensé Dieu: et bien, il desire d'estre delivré, et que Dieu oste le mal du premier coup: mais cependant la povre creature n'a point l'esprit d'entrer en soi, et sonder ses fautes, et venir iusques à ceste raison pour dire, Helas! il faut que ie cerche de rentrer en grace avec mon Dieu. Il lui semble que c'est assez de n'estre plus presse, et comme un chien qui a eschappé un coup de baston, il ne fait que secourre l'aureille. Cestui-là ne vient pas iusques où il faut venir: il s'arreste à l'exterieur. Pourtant Dieu poursuit à frapper encores. Ainsi donc voyons nous combien les hommes s'acquittent legerement quand Dieu les veut chastier pour les faire venir à repentance: car ils auront bien quelque apprehension, mais cela passe tantost. Or quand Dieu voit que l'ordure croupist au dedans, combien qu'un homme ne cognoisse pas son mal: il faut que Dieu le presse, afin qu'il cognoisse que le mal ne feroit qu'augmenter, sinon qu'il le purgeast vivement. Cognoissons donc que nous ne ferons qu'empirer, iusques à ce que Dieu nous ait fait merci. Et ainsi il ne faut pas que nous lui demandions seulement qu'il nous donne santé, qu'il nous donne guarison, qu'il nous donne tout ce que nostre chair desire: mais que nous lui demandions qu'ayant effacé nos fautes il nous gouverne par son S. Esprit, tellement qu'il n'ait plus dequoi se fascher contre nous. Et voila pourquoi David et les autres saincts Prophetes, quand ils se sont senti batus de la main de Dieu, et tormentez, ils n'ont pas dit seulement, Et Seigneur delivre moi de ceste affliction. Il est vrai qu'ils ont bien demandé cela, mais en premier lieu ils ont requis à Dieu,

200

Et Seigneur pardonne moi mes pechez, ne te courrouce plus contre moi. Et pourquoi est-ce qu'ils ont ainsi parlé? Ils voyoyent bien d'où les afflictions procedoyent, que ce ne sont que fruicts et tesmoignages de l'ire de Dieu, et ils sont venus à l'origine du mal. Ainsi nous en faut-il faire.

Et voila dequoi nous sommes admonnestez en ce passage, quand il est dit, Que Dieu ne punira point apres avoir pardonné. Vrai est qu'il ne s'ensuit pas que Dieu ne nous pardonne, Encores qu'il dissimule, et qu'il ait comme les yeux fermez à nos pechez, et mesmes que nous prosperions comme s'il nous aimoit, et qu'il nous fust favorable. C'est plustost alors que nostre perdition nous est prochaine: comme nous voyons que ceux de Sodome ont esté accablez alors qu'ils estoyent venus iusques au comble de leurs delices et voluptez, iusques à despiter Dieu et le monde: ils ont este enyvrez qu'ils n'y voyoyent plus goutte: et defait ils se donnoyent plus grande liberté, sous cest ombre que Dieu ne les a oit point visité de long temps: ils estoyent là comme sur leur lie, ainsi que les Prophetes en parlent. Et nous avons veu en Ieremie et en Ezechiel, que les meschans, quand Dieu les supporte, sont là comme couvans sur leur lie, et sont confits de plus en plus en leurs vices: et quand ils y sont tant abbreuvez que rien plus, il n'y a plus de remede, il n'y a plus de doleance, comme l'Escriture en parle. Pour ceste cause notons que si nous amassons le bois de l'ire de Dieu, encores que le feu ne soit point allumé du premier coup, il le faut attendre, et ne point penser que nous ayons rien gaigné, sinon nous estans reconciliez avec Dieu.

Or quand Eliu a ainsi parlé, il adiouste, Si ie n'ai apperceu, toi enseigne-le moi: si i'ai iniquement fait, ie ne le ferai plus. Ces choses ici sont adioustees comme par mocquerie: car Eliu introduit Dieu parlant à Iob, et s'offrant d'estre redargué et corrigé quand il aura failli. Vrai est pource que ces mots sont assez coupez, qu'on les a prins en un sens divers: mais voici l'exposition naturelle. Nous avons veu par ci devant qu'Eliu a exalté Dieu en telle liberté, et en un tel empire, qu'il faut que les hommes mortels baissent la teste vous lui, et que nul ne gronde: et qu'il ait privilege de faire comme bon lui semblera, et cependant que nous cognoissions que tout ce qu'il fait est iuste et raisonnable: non pas qu'il en monstre la raison: car il se veut reserver authorité par dessus nous. Eliu donc a monstré cela. Or maintenant il se mocque de l'outrecuidance de Iob pource qu'il avoit disputé contre Dieu, et qu'il avoit mal entendu pourquoi il estoit ainsi affligé. Non pas que Iob en somme n'ait recognu qu'il y avoit une iustice cachee en Dieu, laquelle ne se doit point mesurer

IOB CHAP. XXXIV.

201

à la phantasie des hommes. Iob a recognu cela: mais cependant nous avons veu qu'il estoit agité par ses passions pour se fascher contre Dieu, et qu'il y avoit quelquesfois des bouillons qui sont sortis, et qu'il parloit à l'esgaree: nous avons veu cela. Or maintenant Eliu le reprend: voire, mais c'est par mocquerie. Ie voi qu'il faudra que Dieu vienne à conte, et qu'il te die, Et bien, si i'ai failli, tu me pourras apprendre, et une autre fois ie ferai mieux, ie n'y retournerai plus. Voire, comme si Dieu estoit un petit enfant.

Au reste notons que ceci n'est pas tant dit à Iob, qu'à tout le monde et nous avons besoin d'une telle admonition. Car nous savons quelle stupidité il y a en nos esprits: si Dieu parle à nous à bon escient et en gravité, nous n'en sommes pas gueres esmeus comme nous voyons que les hommes sont acharnez à leur opinion, et quand ils ont conceu ie ne sai quoi, il n'est pas aise de les en destourner: et si on parle simplement de la maiesté de Dieu, qu'on nous monstre combien nous sommes fragiles, nous aurons tousiours nos repliques. Puis donc que les hommes ne sont point capables que Dieu leur declare leurs fautes posément et en gravité, et d'un style tel qu'ils soyent simplement amenez à raison: il faut quand Dieu les voit ainsi opiniastres qu'il se mocque d'eux, et qu'il les laisse là confus, comme gens qui ne sont pas dignes qu'on parle droitement à eux. Si ie voi un fol, et que i'aye tasché à le gaigner par bons moyens, et que ie m'y soye efforcé, et qu'en la fin il soit pleinement desesperé, et que mesmes il se desborde, et qu'il blaspheme contre Dieu, que ferai-ie? parleraiie à lui comme s'il y avoit quelque bonne discretion? Nenni, mais ie me mocquerai de sa bestise: ou bien Si ie voi qu'il s'esleve on trop grande fierté, il faudra que i'use de menaces. C'est ainsi donc maintenant que le sainct Esprit y procede. Il dit, Or çà, il faudra donc que Dieu vienne à vous, pour dire que s'il a failli il s'amendera, si vous le reprenez. Et de fait que nous peut-on dire, quand tous les iours nous arguons Dieu, ainsi que chacun cognoist qu'il aura beaucoup de plaintes en soi, il sera fasché quand les choses ne vont point à son desir, et quand en somme nous voudrions que Dieu tournast bride, et qu'il fist tout autrement qu'il ne fait. Quand donc nous sommes si audacieux (ie vous prie) en quelle sorte nous peuton manier, sinon que nous soyons mocquez et mis en opprobre avec une telle arrogance? Or ne faut-il pas que l'homme soit bien enrage quand il s'esleve ainsi contre son Createur? Et qui est-ce qui en fait doute ne scrupule?

Voila donc ce que nous avons a retenir c ce passage: car quand le propos est ainsi couché en mocquerie, il est certain qu'alors nous sommes

202

mieux convaincus que si on parloit par un style de doctrine ordinaire. Et pourquoi? Quand ce mot est prononcé: Et bien Dieu viendra, et dira Si i'ai failli, reprenez-moi, monstrez-moi ma leçon quand cela nous est dit, n'avons nous point honte? Il est certain. Quoi? que Dieu vienne ici bas pour confesser sa faute, et qu'il se submette à nostre correction? Or nous voyons que voila un monstre detestable, et qu'il n'y a celui de nous à qui les cheveux ne dressent en la teste quand cela est dit et toutes fois nous y tendons. Quand les hommes se despitent (comme i'ai desia touché) et qu'ils font leurs revolutions, et qu'ils voudroyent assuiettir Dieu à ce qu'ils ont imaginé, c'est comme s'ils vouloyent lui ravir son empire, et le submettre à ce qu'il leur plaira lui imposer loi, comme s'il estoit un petit enfant. les hommes donc feront obliquement ce qu'ils ne peuvent ouyr, et ce qu'ils ont en horreur. Et ainsi nous voyons que le sainct Esprit a tenu un bon moyen pour despiter l'audace diabolique qui est en nous quand nous murmurons ainsi contre Dieu, en disant; Or ça voici donc Dieu qui viendra, et vous demandera pardon, et se contentera d'estre enseigné de vous, et quand vous lui remonstrerez qu'il ne doit pas faire ainsi il n'y retournera plus. Quand donc le sainct Esprit parle en telle sorte, c'est pour monstrer aux hommes qu'ils sont bien endiablez d'oser ainsi lever le bec contre Dieu, et de murmurer quand il ne fait point à nostre appetit. Parquoi d'autant plus nous faut-il bien peser les mots qui sont ici contenus: et toutes fois et quantes que nous sommes chatouillez en nos entendemens de nous enquerir par trop de ce que Dieu fait, ou de lui vouloir imposer loi, cognoi sons où c'est que nous entrons, en quel labyrinthe: c'est autant comme si nous despouillions Dieu de sa maiesté, et que nous le voulussions abbaisser en ce monde ici, et l'assuiettir à ce que bon nous semblera. Helas! n'est-ce point le mespriser par trop, Où allons-nous? Et pourtant quand ceci nous doit venir au devant, si nous n'y pensons comme il appartient, que nous reduisions en me mire ceste sentence, Or tant y a que si tu murmures ainsi, tu te dresses contre ton Dieu. Voila le sainct Esprit qui en a desia prononce, et te monstre en quelle confusion tu te mets: c'est autant comme si tu voulois estre le createur de ton Dieu: et quand il n'y auroit que ceste audace-là n'es-tu pas digne d'estre abysmé au profond d'enfer, Car y-a il un orgueil plus grand que de vouloir obscurcir, voire aneantir la maiesté de Dieu? Povre ver de terre, malheureuse creature, povre charongne, tu es un abysme d'infection: faut-il que tu te viennes ainsi rebecquer contre ton Createur? Quand donc nous aurons ces choses en nous, que nous a visions de les oster, voire ensevelir du tout:

SERMON CXXXIV

203

et que nous fermions la porte, voire à toutes ces phantasies: que nous n'ayons rien meilleur, sinon de dire, Et Seigneur que tu sois glorifie en nostre ignorance: et que nous n'ayons que ce mot, Seigneur tu es iuste en tout ce que tu fais, encores que nous n'y voyons goutte pour le present, mais nous serons une fois illuminez par toi. Maintenant c'est une grande sagesse à nous, d'acquiescer simplement à sa volonté quand il nous veut tenir en ignorance pour un temps. Voila donc comme nous avons à pratiquer ce passage.

Et au reste quand il est dit que nous enseignons à Dieu ce qu'il n'a point apperceu, il nous faut ici faire comparaison de Dieu avec nous: car il a este de toute eternité, et nous sommes comme des escargots naiz en un iour, nous levons inconnent les cornes. Et quoi? Ce n'est qu'eau: comment est-ce que les limaçons se forment, et d'où procedent-ils? nous voila donc comme des limaçons, et nous sommes incontinent changez, et y ail propos que nous devions lever les cornes contre Dieu? Et quelle est nostre vertu et nostre vigueur? De quel temps sommes-nous? nous sommes seulement soixante ou quatre vingts ans en ce monde, ie parle des plus vieux: et quelle donc peut estre nostre intelligence? Au contraire, regardons dés quand est la sagesse et intelligence de Dieu? De toute eternité, devant que le monde fust creé toutes choses lui ont esté presentes: il n'a point augmenté en sagesse, il n'est point aussi diminué de rien, mais il a tout cognu, voire devant que le monde fust cree. Ainsi donc ne faut-il point que les hommes soyent plus qu'enragez quand ils laschent ainsi la bride à leur sens pour dire, Il faudroit que la chose fust ainsi. Et comment? Dieu n'a-il point advisé comme ceste chose se devoit faire? N'est-il point assez sage de soi? N'est-ce pas tout renverser et corrompre? Car il n'est pas comme les hommes mortels: car s'ils n'ont pas deliberé d'une chose, et sans nul conseil, ils ne peuvent point faire ce qui est bon et utile. Mais faut-il que Dieu consulte? Faut-il qu'il face beaucoup de discours? Et comment? Car (comme i'ai dit) toutes choses lui ont este presentes de tout temps. Que reste-il donc? Que nous souffrions d estre enseignez de lui, sachans qu'il n'y a nulle intelligence en nous, et que nous ne faisons que tracasser par ce monde, que nostre vie s'esvanouyst comme un songe. Nous sommes povres aveugles: et combien qu'il y ait quelque raison et intelligence en nous: ce n'est pas pour nous savoir conduire, et tant moins pour savoir donner advertissement à Dieu de ce qu'il doit faire: mais c'est pour nous rendre inexcusables. Ainsi donc ce que nous avons de raison, ne suffit sinon pour nous rendre convaincus et condamnez: et cependant l'Escriture saincte nous monstre que nous

204

sommes povres aveugles, et mesmes nous en sommes assez advertis par experience. Et pourtant si nous pretendons d'enseigner Dieu, où est-ce aller? Et voila pourquoy i'ay dit, qu'il nous faut en premier lieu savoir quelle est nostre ignorance: et puis cognoistre que c'est à Dieu de disposer de toutes choses: ayans donc cognu le defaut qui est en nous, que nous sachions que c'est à luy qu'il appartient d'y remedier. Avons-nous donc faute d'intelligence? Demandons la (dit sainct Iaques [1, 5) à celuy qui en est la source, et à celuy qui donne sans reproche: car Dieu n'use point de chicheté envers nous: comme quand un homme voit son bien diminuer, il se chagrigne s'il est importuné par trop. Or Dieu n'est pas ainsi: car il ne se lasse iamais de nous bien faire. Apprenons donc de nous presenter à luy, quand nous serons vuides de sagesse, et ne doutons point qu'il ne nous en eslargisse tant qu'il nous sera bon. Or ceste doctrine que nous avons touchee est plus que necessaire: car qui a esté cause de mettre tant de corruptions en la Chrestienté, en sorte que la bonne doctrine a es é pervertie et abastardie, sinon que les hommes ont voulu estre par trop sages, comme si Dieu ne se fust point advise du bien? Quand les hommes presument de mettre en avant ce qu'ils ont inventé pour dire, Et ceci sera bon, il faut encores faire cela, il faut remedier à telle chose. Et en quelle sorte? A Leur phantasie. Et Dieu n'avoit-il point preveu cela? comment est-ce qu'il n'est allé au devant? Nous voyons ce que Dieu prononce, et nous faut tenir là Il veut que nous recevions les choses qu'il nous dit comme bonnes et sainctes, et voici les hommes qui se mettent entre deux, et veulent moyenner et nager entre deux eaux. Et pourquoy? Ils veulent faire ceste iniure à Dieu, de dire qu'il n'a point este assez advisé, et qu'ils sont plus sages que luy. Et mesmes nous cognoistrons tant mieux cela, quand nous ne prendrons qu'un exemple d'une chose grossiere et aisee à entendre. C'est quand le Pape a voulu diviser ce que Dieu a conioint, c'est assavoir quand il a privé le peuple du calice en la Cene, et a dit qu'il se falloit contenter seulement d'une espece, assavoir de l'oblie et que le calice fust seulement pour le prestre qui chante messe. Qu'a-il allegué, O il y auroit beaucoup d'inconveniens. Il est vray que tous ces inconveniens-la sont fondez sur des superstitions brutales, de faire à croire que le vin n'est plus vin, mais qu'il est converti au sang de Iesus Christ. Voila donc que le Pape allegue. O il y pourroit avoir des inconveniens beaucoup, si le calice estoit presenté à tout le peuple: il suffira que le prestre boive au nom de toute la compagnie. En somme, c'est autant comme s'il disoit, Nous sommes plus sages que Dieu, nous voyons les choses qu'il n'a

IOB CHAP. XXXIV.

205

point veuës, et pourtant il y faut prouvoir. Et en quelle sorte? En voulant abolir l'ordonnance de Iesus Christ. Voila nostre Seigneur Iesus qui dit, vous boirez tous de ce calice. Notamment il dit, vous boirez tous: et voici le Pape qui viendra retrancher ce mot, O il est vray que cela est de l'ordonnance de Iesus Christ, mais ce n'est pas sans bonne raison que nous l'avons fait, c'est pour prouvoir aux inconveniens, ie l'ay ainsi preveu. Et le Fils de Dieu qui est la sagesse infinie, qui est la clarté du monde, n'a-il veu goutte en faisant ceste

institution? Nous voyons donc comme les hommes se desbordent ne tenans plue nul moyen, sinon qu'ils cognoissent que tout ce que Dieu fait est composé à une iustice et sagesse infinie. Tenons nous donc là, et suivons le chemin qu'il nous monstre, ne craignans point d'errer, quand il nous aura une fois manifesté sa volonté, et que nous souffrirons d'estre gouvernez paisiblement par icelle.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

206

LE CENT TRENTECINQUIME SERMON,

QUI EST LE VII. S JR LE XXXIV. CHAPITRE.

33. Dieu parfera-il la chose de par toy? Car tu l'as reprouvé. Or choisiras-tu et non pas moy? Que sais-tu? Di. 34. Hommes de coeur parlez, et que les sages m'escoutent: 35. Iob n'a point parlé en sagesse, et ses paroles ne sont point en intelligence. 36. Ie desire que Iob soit esprouvé iusques en la fin, afin qu'on voye les responses aux hommes d'iniquité. 37. multipliera ses pechez par iniquité, il s'esgayera entre nous, et multipliera ses paroles envers Dieu

nous avons veu ci dessus, comme Dieu pour se mocquer de la folie des hommes se presentoit a ouir conseil, disant, que s'il n'a pas entendu LES choses qu'on luy remonstre et s'il a failli qu'il n'y retournera plus: et là dessus nous avons touché que ce n'est point sans cause que Dieu se mocque ainsi de ceste arrogance: car nous voyons comme LES hommes s eslevent contre luy, et le veulent, controller à chacun coup: il est donc besoin que Dieu LES rudoye en telle sorte.

Or maintenant Eliu vient à declarer la maiesté de Dieu, disant, Parfera-il la chose de par toy? Tout ainsi donc que ci dessus il s'estoit comme ioué afin qu'on cognust mieux combien l'arrogance des hommes est ridicule, aussi à l'opposite il monstre qu'il n'est plus question de se iouer à un si grand maistre, comme Dieu: car quand nous aurons bien répliqué, qui sommes-nous? Faudra-il qu'il soit suiet à nos appetis? Faudra-il qu'il vienne demander conseil pour savoir ce qu'il a, à faire? Ne seroit-ce point pour renverser tout ordre de nature? Ainsi donc nous voyons comme le sainct Esprit apres avoir declaré que LES hommes ne sont pas

dignes qu'on parle à ceux on raison et en gravité, les touche maintenant vivement, voire Leur mettant devant les yeux quelle est la maiesté de Dieu, et que ce n'est pas à nous de luy imposer loy ne regle aucune. Voila qu'emporte ce mot, Parfera-il la chose de par toy? Car combien que LES hommes. travaillent, si ne gaigneront-ils pas cela que Dieu se submette à ceux, et qu'il s'assuiettisse à leur plaisir: il faudra donc en despit de leurs dens, qu'ils passent par ce que Dieu aura ordonné, comme il disposera les choses ainsi que bon luy semble, et non pas comme nous luy aurons dit: car ce n'est pas aussi à nous. Vray est qu'ici on pourroit alleguer qu'Eliu ne defend pas assez la iustice de Dieu quand il allegue sa Puissance: mais il nous faut retenir ce qui a esté desia declaré, quand Dieu est exalté en son siege que là il ne se glorifie point d'une puissance absoluë, mais qu'il est quant et quant luge du monde, et qu'il n'y a rien qui luy soit plus propre que l'equité et droiture, tellement qu'il n'en peut estre despouillé non plus que de son essence. D'autre part il n'est point question ici de monstrer ce lue Dieu veut, mais Dieu fait sentir aux hommes leur fragilité. Il y a donc ici une comparaison de choses contraires: car d'un costé Dieu monstre que toute puissance luy appartient sans contredit, et de l'autre il nous admonnesté que nous cognoissions bien que c'est de nous, et quelle est nostre iniquité, comment c'est que l'homme mortel, un ver de terre, s'attribuera une telle audace qu'il s'ose rebecquer contre son Dieu. et qu'il vueille usurper maistrise par dessus luy. Or nous

ne le cognoissons toutes fois et quantes que nous murmurons contre Dieu, et que nous ne pouvons

SERMON CXXXV

207

trouver bon ce qui est procedé de luy. Et ainsi donc notons bien que le S. Esprit ramene ici les hommes à leur condition: car iamais n'oseroyent pas s'enhardir iusques là de murmurer contre Dieu, sinon qu'ils eussent oublié que la ils sont. Voulons nous donc estre humbles et modestes pour glorifier Dieu comme il appartient? Entrons en nous, examinons bien quelle est nostre nature, et cela nous tiendra en bride courte pour ne presumer rien qui soit, quand premierement nous saurons que nous sommes hommes. Voila donc ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or cependant il est dit, Tu as reprouvé tu choisiras, et non point moi. Dieu derechef est introduit en ce passage se complaignant de la fierté des hommes quand ils plaident ainsi à l'encontre de lui: car defait ceux qui ne se peuvent contenter de la bonne volonté de Dieu reprouvent ce qu'il fait, et par ce moyen ils pretendent d'avoir le chois et l'élection comme s'il estoit en leur liberté de dire, Cela n'est pas bien fait, il faut que Dieu s'en deporte. Il est vray que nous aurons tels blasphemes en horreur: si on nous demande qui est celuy de nous qui pretendra d'empescher Dieu qu'il n'execute ce qu'il a determiné, chacun respondra, Ià Dieu ne plaise que i'attente de m'eslever ainsi: car c'est un orgueil diabolique, c'est un blaspheme trop vilain: mais cependant nous aurons le bec affilé pour trouver à redire en tout ce que Dieu fera si les choses ne nous viennent à gré: on nous voit grincer les dens, et nous faisons nos complaintes, et ne faut point que nous ayons esté à l'escole, pour estre grans rethoriciens, pour murmurer contre Dieu: et n'est-ce pas reprouver ce qu'il fait que cela? Car si les hommes n'acquiescent paisiblement à la bonne volonté de Dieu, où est-ce qu'ils en sont? No veulent-ils point avoir l'election de tout, pour dire, Il faut que Dieu face ainsi? Il sera donc nostre valet. Et ainsi voila un vice tant enorme qui regne par tout, et cependant on ne met point peine de l'abolir, ou bien le corriger. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ce passage, que Dieu vient maintenant en querelle contre nous, et dit, Et povres creatures que pretendez-vous? Car on n'oit que murmures iournellement. Voici le principal que voua aviez à faire d'obeir à ce que i'ordonne, et le trouver bon, et quand ie vous afflige d'avoir la bouche close et de vous humilier: tant s'en faut que voua le faciez, qu'il n'y a celuy qui ne s'esleve contre moy. Et faut-il donc que ie vous soye suiet? Quel droit alleguerez-vous que ie soye tenu à cela? Quand Dieu est ainsi introduit, il est certain qu'il faut que nous soyons plus que stupides si cela ne nous touche et ne nous esmeut: quand nous aurions les coeurs enflez comme crapaux, si faut-il que toute ceste ordure creve: quand

208

ils seroyent durs comme des rochers, si faut-il qu'ils se fendent. Mais quand Dieu adiouste, Quoy, vous reprouvez? Et que reprouvons-nous quand nous venons ainsi l'accuser? N'est-ce pas nous dresser contre sa iustice? Où est la fontaine de toute droiture? n'est-ce pas en Dieu? Et nous voudrons reietter ce qu'il aura fait? Et où est-ce aller? Et puis cela emporte quant et quant que nous voudrions avoir l'empire souverain par dessus luy, et qu'il ne fust plus en liberté, mais qu'il fist ce que nous aurions trouvé bon. Voila pourquoy il dit Tu choisiras donc, et non pas moi.

Et pour e que les hommes ne se peuvent condamner que par force, Dieu adiouste ici pour conclusion, Que sais-tu? Di-le. Comme s'il nous redarguoit de nostre ignorance: nous aurons la langue tant habile que rien plus, mais elle s'avance de parler devant que nous ayons conceu la chose. Or Dieu nous monstre que si nous avions une seule goutte de raison, que nous serions comme muets. Et pourquoy? Si un homme parle sans savoir qu'il dit, n'est-ce pas un certain tesmoignage de sa folie? Et toutes fois nous parlerons, voire et il ne faut sinon que nostre Seigneur nous envoye ce qui ne nous plaira point pour nous aguiser à murmurer contre luy. Or maintenant qu'on sache si nous savons bien pourquoy nous parlons. Quand on aura bien examiné tout ce qui est en nous, on ne trouvera qu'ignorance: tant de propos, et nul savoir: nostre langue sera habile tant et plus, et cependant nous aurons le sens tout eslourdi. Et quelle temerité est cela? Nous voyons donc combien ceste conclusion que Dieu fait est pesante, Et que sais-tu? Di-le: comme s'il disoit, Ie vous donne congé de parler, voire, moyennant que vous monstriez par effect que vous estes sages et entendus. Or est-il ainsi que vous estes fols, et qu'il n'y a qu'ignorance en voua et voua faut-il donc maintenant usurper une telle licence de parler veu que voua n'avez de quoi? Or quand nous pourrons faire nostre profit de ce passage, il contient une bonne doctrine: car en premier lieu nous voyons quelle est la regle de nostre vie, c'est de permettre à Dieu l'authorité qui lui est deuë, et qu'il dispose de nous, c'est à dire qu'il face la chose, et non point de par nous. Noua ne sommes point donc pour imposer loi à Dieu, et pour lui monstrer sa leçon, mais accordons nous, à tout ce qu'il fera. Voila pour un Item.

Vrai es que nous lui pouvons bien demander les choses que nous pensons estre bonnes pour sa gloire, et pour le salut de sou Eglise, ou pour nostre bien privé. Car il use de ceste privauté-là envers nous de nous dire: Deschargez vos courages, et vos solicitdes comme aussi S. Paul dit (Phil. 4, 6), Que nos desirs Iui soyent manifestes. Quand donc

IOB CHAP. XXXIV.

209

nous serons en quelque inquietude remettons nous à Dieu, et prions-le qu'il face ce que nous estimons estre bon, voire nous reglant tousiours selon sa parole: mais encores quand il ne lui plaira point de nous accorder nos desirs, si faut-il que nous usions d'action de graces comme il est dit en ce lieu de sainct Paul, que nos desirs ne soyent point si impetueux, que nous vueillions astreindre Dieu à faire ce que nous lui demandons: mais tout au rebours, encores qu'il nous reiette, et qu'il vueille en cela exercer nostre patience benissons tousiours son nom, et glorifions-le, confessans que tout ce qu'il fait est en iustice, en droiture et sagesse inestimable, et que nous n'avons point cognu ce qui est bon, que nous sommes povres aveugles, qu'il faut qu'il voye pour nous. Voila donc le premier que nous avons ici à noter pour bien pratiquer ce passage, qu'il ne faut point que Dieu face les choses de par nous. Or cela s'estend plus loing, c'est assavoir quand nous trouverons quelque chose en l'Escriture qui sera estrange à nostre sens. que nous concluions qu'il ne faut point tellement nous ranger à nostre raison que Dieu face ce que nous iugeons devoir estre fait. Et comment donc? que sa volonté domine, et que les hommes ayent la teste baissee, car ce n'est point a nous qu'il doit demander conseil. Il faut donc et que les Anges de paradis, et les hommes de la terre s'humilient et que Dieu seul domine par dessus, voire en telle liberté que tout ce qu'il fera on confesse qu'il lui appartient de le faire. Or d'autre part nous sommes admonnestez que nous ne saurions pis faire que de nous despiter contre Dieu, et de nous fascher quand les choses ne viennent point à nostre souhait. Et pourquoi? C'est reprouver la seule regle de iustice. Et qu'estce que cela? Si un homme s'adonne à mal, et bien, il faudra par fragilité, et cela n'est point excusable pourtant: mais quand un homme vient iusques à un tel comble de peché, qu'il ne se contente point d'offenser Dieu, de violer sa Loi, de rompre et abolir tout ordre, mais il veut mesmes que la iustice de Dieu soit esteinte, il veut que la clarté se convertisse en tenebres, qu'il n'y ait plus discretion entre le bien et le mal. Et où est-ce aller? Or est-il ainsi que toutes fois et quantes que les hommes se despitent contre Dieu, et qu'ils ne peuvent porter patiemment ce qu'il fait, et le glorifier, qu'en cela ils le reprouvent comme s'ils vouloyent usurper l'authorité sur lui de le iuger, et non seulement cela, mais de condamner sa iustice, qui est une chose par trop enorme et brutale.

Quand donc nous serons solicitez de nous fascher et d'estre impatiens, que ce passage nous vienne en memoire, Que fais-tu povre creature, en quel labyrinthe est-ce que tu entres? Il n'est point question ici d'une simple tentation, mais tu leves

210

les cornes contre Dieu. Penses-tu effacer sa droiture? A qui te prens-tu? Quand donc nostre chair sera si chatouilleuse que de nous faire dresser contre Dieu, que ceci soit comme une barre pour nous retenir. Or si cela ne suffit, encores adiustons ce mot, que c'est une trop grande audace à nous de vouloir choisir, voire ostant le chois à Dieu. Il y a deux choses incompatibles, que les hommes ayent liberté de dire, Cela se doit faire et que Dieu ait la maistrise pour gouverner comme bon lui semble. Et pourquoi? Nous sommes accordans avec Dieu, comme le feu avec l'eau. Nous le voyons bien: car nostre sens ne s'esteud pas un demi doigt, que nous sommes mesmes esblouys en voulant ouvrir les yeux, et le plus souvent ce qui est bon nous le iugeons estre mauvais, nos appetits sont corrompus, et toutes nos affections et pensees. Ainsi donc comment accorderons-nous avec Dieu, lui qui est la sagesse infinie et qui nous est incomprehensible, lui qui a son equité à laquelle il nous faut estre suiets? Puis qu'il y a une telle contrarieté entre Dieu et les hommes, si nous avons le chois, il faut que Dieu se deporte, et qu'il soit là comme attaché, et que nos appetits lui soyent comme des chaines ou des cordes pour dire, Tu ne bougeras Et où est-ce aller? Ainsi donc quand nous serons incitez à nous despiter en nos afflictions, ou en autre chose, quand l'estat du monde sera confus, que les choses ne viendront pas à nostre desir, que nous cognoissions, Voila il est vrai que ie souhaitteroye cela, et ton Dieu te permet bien de lui demander, moyennant que ce soit en humilité et suiettion. Mais as-tu fait ceste requeste? Il faut que tu te tiennes coi, quand les choses ne viennent point à ton gré: quand mesmes il semblera que ton Dieu te vueille despiter par force, si faut-il que tu te ranges-la, et que tu ne faces point ici de la beste. Puis qu'ainsi est donc notons bien ceste sentence quand nostre Seigneur dit, Quoi? Et où est-ce aller? Vous aurez le chois, et ie n'aurai plus rien. C'est autant comme si nous voulions despouiller Dieu de son essence, et l'abbaisser en sorte que nous fussions maistres par dessus lui. Or nature mesme nous enseigne le contraire de cela: et toutes fois et quantes que nous murmurons ainsi. et tempestons si tost que les choses ne viennent point à nostre souhait, c'est autant comme si nous voulions mettre Dieu sous nos pieds. Vrai est que nous n'y pensons pas, mais si ne faut-il point ainsi aller à l'estourdie. Pesons donc les choses, et entrons en ceste consideration, afin de n'estre plus ainsi rebelles comme nous sommes.

Or pour la fin notons bien aussi ce mot où il est dit, Que sais tu? Di-le: car (comme desia nous avons touché) si on veut reprocher à un homme qu'il soit fol, on dira, Tu ne sais que tu dis. Si

SERMON CXXXV

211

nous ne savons pas que nous disons il s'ensuit que nous ne savons rien. Et defait quand on aura bien espluché tout nostre savoir, et qu'on aura enquis et haut et profond quels nous sommes, on trouvera que nous n'avons que des resveries qui nous esgarent. Cependant toutes fois nous voudrons tousiours Caqueter, quoy qu'il en soit: ie parle de ceux qui suivent leur propre sens, car il est bien dit, l'ay creu, et pourtant ie parleray. Et voila comme nous pourrons parler sagement, c'est assavoir, proferans ce que nous aurons apprins en l'escole de Dieu et de sa parole. Voila donc un bon parler et que Dieu approuve, et mesmes ce luy est un sacrifice de bonne odeur, assavoir la confession que nous faisons, que tout ce qu'il nous a monstré est bon, et que nous acquiesçons pleinement à son dire, Voila donc comme nous avons à parler. lais quand l'homme s'avance et ingere, pour dire ce qu'il a imaginé en son cerveau: il se rebecque par ce moyen contre Dieu. Et que sais-tu? Qu'on esplelle bien toutes tes forces et toute l'intelligence de ton esprit: et on trouvera que ce n'est que pure folie. Ainsi donc toutes fois et quantes que nous avons la langue trop agile pour parler, retenons ce qui est ici dit, Et que sais-tu? Or il est certain que nostre Seigneur a voulu ici condamner tout le sens humain, comme aux autres lieux de l'Escriture saincte où il est dit, Que Dieu cognoist les pensees des hommes combien elles sont frivoles, et qu'il sonde tous leurs secrets, qu'il surprend les sages en leur astuce, et que les hommes ont beau se faire à croire qu'ils sont bien aigus et subtils: mais qu'il n'y a rien que fumee, et que tout s'esvanouist.

Ainsi donc en ce passage nostre Seigneur nous dit, Or ça si vous avez quelque sagesse, monstrez-le: mais si ainsi est que vous ne savez rien, pourquoy donc parlez-vous'? Ici nous avons une doctrine generale, c'est que nous ne devons attribuer à nostre esprit rien qui soit pour nous y fier. Toutes fois et quantes donc que nostre esprit s'esgaye, et que nous presumons de iuger des choses et d'en parler: sachons que le sainct Esprit s'oppose à cela comme nostre partie adverse, et nous monstre qu'il n'y a qu'une folle temerité en nous. Et pourquoy? Car nous ne savons rien. Il est vray que Dieu nous a donne raison et intelligence: mais c'est seulement pour imprimer en nous que la clarté de Dieu luit en nos tenebres, voire pour nous rendre inexcusables: tant y a que nous n'avons nulle science, sinon que Dieu ait parlé, et que sa parole nous esclaire. Et voila comme nous pouvons estre gens entendus: ainsi qu'il est dit au Pseaume (119, 98, ss.), que nostre sagesse est de profiter sous luy. Et ainsi notons qu'il nous faut defier de toute nostre raison, et savoir que

212

iusques à tant que nostre Seigneur nous ait esclairez par sa parole, nous sommes vuides de toute discretion, et n'y a nulle modestie ni honnesteté en nous. Voila ce que nous avons à retenir.

Cependant, quand nous parlons, que ce soit avec ceste asseurance que nostre Seigneur nous a. enseignez, et que nous tenons de luy ce que nous proferons, et que nous ne l'avons point imaginé à nostre phantasie. Si tout cela estoit bien pratiqué, nous verrions au monde un autre ordre, qu'on ne fait pas: car il y a deux choses qui pervertissent toute droiture: l'une c'est quand nous voulons estre sages on nous-mesmes: l'autre c'est, quand nous laschons la bride à nos passions et cupiditez. Or si nous avions bien cognu ce qui est ici dit, c'est assavoir que nous ne savons rien, et quand nous voudrons parler, que ce sera pour estre convaincus de folie: si nous estions bien persuadez de cela, il est certain que Dieu seroit exalte, et qu'un chacun se tiendroit à sa parole, qu'il y auroit un accord commun, et n'y auroit point tant de disputes et de ceci et de cela. Et qu'ainsi soit, pourquoy est-ce que les Papistes debatent tant de tous les articles, desquels nous sommes en differant? ce n'est pas seulement pource qu'ils ne se peuvent assuiettir à Dieu: mais pource qu'ils ont ceste audace, de s'ingerer tousiours pour faire leurs conclusions magistrales, et determiner, et obliger les consciences à ce qu'ils auront resolu. Si donc les Papistes se pouvoyent tenir à la pure simplicité de la parole de Dieu, il est certain que nous aurions en une minute de temps accordé tout ce qui est auiourd'huy en doute. Et puis, quant à ces phantastiques qui se trouvent entre nous pour polluer la pure doctrine (ie vous prie) d'où cela procede-il, sinon de cest orgueil diabolique, qu'ils ne peuvent recevoir paisiblement ce qui est dit en l'Escriture saincte? Qu'on demande à ces enragez qui auiourd'huy voudroyent aneantir et l'election gratuite de Dieu, et sa providence, et choses semblables, quelle raison ils ont. Ie trouve cela estrange, diront-ils. Et bestes, quand un homme seroit le plus aigu, et le plus savant, que ce seroit un patron de toute subtilité, et de toute doctrine: encores n'est-il qu'un povre ver de terre, pour trouver à redire en ce que Dieu fait. Or voici des pures bestes, qui n'ont que leur arrogance dont ils crevent, ils n'ont que leur venin puant: et toutes fois ils presument de renverser toute l'Escriture saincte sous ombre de ce mot qu'ils ne comprenent point cela. Et où en sommes-nous?

Ainsi donc (comme i'ay dit) que cest article soit observé, Que les hommes ne sachans rien se doivent taire, et faire silence, afin que Dieu seul soit exalté. Quand ceste doctrine seroit pratiquee, o il est certain qu'on verroit une obeissance paisible,

Iob CHAP. XXXIV.

213

et qu'il y auroit un Amen commun à tous, toutes fois et quantes que la pure verité de Dieu nous seroit mise en avant. Or il y a le second mal, c'est que nos passions sont exorbitantes, et nous leur donnons congé de s'esgayer. Quand donc Dieu nous affligera, on que les choses ne viendront point à nostre appetit, nous nous tempestons, et chacun se transporte: et qui pis est, encores n'est-ce point assez de nous donner licence de parler contre Dieu: mais il semble que nous cerchions les occasions de mesdire de sa iustice, sinon qu'elle soit equitable à nostre phantasie. Nous voyons cela tous les coups: d'autant plus donc nous faut-il bien noter ce que i'ay dit, c'est assavoir que si ce passage estoit bien pratiqué, on verroit un ordre Angelique en ce monde. Qu'est-il donc de faire que nous ne suivions point nostre raison, que nous n'attentions point des choses a nostre phantasie: mais contentons nous d'estre enseignez de Dieu. Et puis quand au contraire nos affections nous transporteront en amertume, que nous serons faschez et tormentez: que tout cela soit reietté, pource que c'est bien raison que Dieu domine, et qu'il ait toute superiorité sur nous, que nous luy soyons obeissans pour confesser que tout ce qu'il fait est bon et iuste. Car voila comme il sera glorifié de nous, c'est quand non seulement nous cognoistrons qu'il nous doit gouverner, mais qu'il le fait iustement. Voila donc ce que nous avons a noter.

Au reste toutes fois et quantes que nous trouvons des hommes qui seslevent ainsi contre Dieu: que nous cognoissions qu'ils sont comme desesperez et incorrigibles, puis qu'ils ne se peuvent renger à la bonne volonté de Dieu, pour la cognoistre bonne et iuste. Et ainsi apprenons de nous humilier à leur exemple pour dire, Helas! ce seroit autant de toy, sinon que ton Dieu te conservast: car d'où vient la modestie sinon de son sainct Esprit? Et tu vois ici quel est le naturel d'un chacun de nous. Puis qu'ainsi est donc, quand nous voyons ces esprits volages, qui s'eslevent ainsi, qui se desbordent à l'encontre de Dieu: que chacun pense Autant m'en prendroit-il, sinon que ie fusse retenu par l'Esprit de mon Dieu, qu'il me gouvernast afin que ie fusse debonnaire, pour le glorifier, et recevoir de luy tout ce qu'il m'envoye. Voila en somme tout ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il est dit consequemment, Que les hommes de coeur parlent, c'est à dire, les hommes entendus, et que les hommes sages escoutent. Ici il semble de primeface qu'Eliu dise des choses contraires: car Parler et Escouter ne s'accordent point. Mais tant y a que ce n'est point sans cause qu'il demande que les hommes sages parlent, et que les gens

214

entedus escoutent. Car iamais un homme ne parlera bien, qu'il ne soit prest d'escouter: iamais un homme ne sera propre pour enseigner, qu'il ne reçoive aussi volontiers bonne doctrine. Nous voyons donc qu'Eliu conioint ici deux choses qui ne se doivent iamais separer: et c'est ce que nous avons dit, Que nous pouvons parler, voire estans enseignes'. auparavant. I'ay creu, et pourtant ie parle ay, dit le Psaume (116, 10). Il faut donc que nous gardions ceste leçon-la: car comment croyons-nous, sinon que nous ayons escouté, et souffert d'estre enseignez? Car il nous faut estre dociles quand on nous propose ce qui est bon: comme aussi il est dit, e sage en escoutant profitera tousiours plus. Voila une sentence de Salomon (Prov. 1, 5), qui nous monstre bien que le parler n'empeschera pas que nous n'escoutions: comme aussi en escoutant nous ne serons pas empeschez de parler. Car pourquoy est-ce que nostre Seigneur est maistre, sinon afin que nous l'oyons, et qu'un chacun instruise ses prochains, et que nous facions valoir ce que nous avons receu? Si Dieu m'a fait quelque grace, ie suis tenu de remonstrer à mes prochains quand ie les voy faillir.

Ainsi donc ces deux: choses s'accordent tresbien, et qui plus est elles sont inseparables, de Parler et d'Ouir: voire moyennant que le tout soit bien disposé et consideré en bon ordre. Il est vray que le parler est ici mis devant: mais quand il dit, les gens sages, en cela Eliu presuppose que desia ceux qui parlent ayent apprins, et qu'ils sachent ce qu'ils doivent dire. Et au reste, quand il met en second lieu, qu'ils escoutent, c'est pour signifier que nous ne devons pas tellement parler, que toutes fois nous n'escoutions quand un autre le pourra faire, et que Dieu luy aura revelé plus qu'à nous: comme aussi sainct Paul met cest ordre-la en la prophetie (1. Corin. 14, 29). Que celuy, dit-il, qui est Prophete parle, et qu'il y en ait deux ou trois seulement, afin d'eviter confusion. Or quand il les nomme Prophetes, il monstre qu'il faut bien qu'ils ayent dequoy, et que nul ne s'avance qu'il ne soit appelé: comme il le dit au douzieme chapitre de la premiere des Corinthiens (v. 7), Que nous avons receu de Dieu ce que nous avons communiqué à nos prochains. Il ne faut pas donc que nul s'attribue office en l'Eglise, qu'il n'y soit appelle, et qu'il n'ait dequoy pour y fournir: car voila le tesmoignage que Dieu se veut servir de nous, quand par son sainct Esprit il nous distribue de ses graces. S. Paul donc remonstre et presuppose, que ceux qui parlent desia ayent dequoy: mais si adiouste-il,

Quand Dieu aura plus revelé à un autre, que le premier se taise, et qu'il donne lieu à l'Esprit de Dieu. Voila pourquoy maintenant il est dit, qu'encores.; les sages parlent, et que Dieu les advouë.

SERMON CXXXV

215

et qu'ils ayent aussi dequoy: neantmoins si faut-il qu'ils escoutent, et soyent patiens quand on leur remonstrera mieux. Car les Prophetes se rendront tousiours suiets au sainct Esprit, qui est la fontaine de toute intelligence. Aussi combien qu'un homme ait receu des graces bien amples, si est-ce que Dieu n'en distribue à personne qu'en mesure, afin que nous n'ayons point occasion de nous eslever par trop, comme si chacun se pouvoit contenter de sa personne. C'est donc le lien de charité que Dieu met entre nous, que nous ayons faute les uns des autres, et il nous faut entretenir par communication fraternelle. Pour ceste cause il faut bien (si nous ne voulons estre rebelles à l'Esprit de Dieu) que nous soyons prests de recevoir des autres bonne doctrine, encores que Dieu nous ait illuminez par sa parole. Or il est certain cependant qu'Eliu veut ici redarguer Iob: comme s'il disoit qu'il a monstre qu'il estoit mal enseigné. Et defait combien que Iob eust grande doctrine: toutes fois si est-ce qu'il estoit tellement transporté par ses passions, qu'il estoit comme eslourdi, et que ses propos estoyent esgarez. C'est ce qu'Eliu veut dire.

Or de ce passage nous avons à recueillir une bonne admonition. En premier lieu c'est, que si Iob est ici condamné comme un homme desprouveu de sens, luy neantmoins à qui Dieu avoit fait tant de graces: que toutes fois il soit dit, qu'il a este excessif en ses passions: voire, que combien qu'il s'efforçast de les reprimer, toutes fois il s'est donné trop de liberté, et on voit qu'il s'est esgaré en ses propos comme une beste: puis qu'ainsi est, di-ie, que sera-ce de nous? Advisons donc de prevenir ceste condamnation: et toutes fois et quantes que nostre esprit se trouvera par trop esbranlé, et que nous aurons este despitez contre Dieu, et aurons voulu entrer en dispute et en procez contre luy, souffrons en la fin d'estre redarguez du sainct Esprit. Et pourquoy? Car si Iob n'a point esté espargné, luy qui estoit un Ange au pris de nous, et que sera-ce? voire, attendu que nous sommes si impetueux et si exorbitans qu'en une chose que nous sommes contraints de cognoistre qu'elle procede de la main de Dieu, nous ne voulons point condescendre, mais nos esprits sont si hautains que nous voulons regler et le ciel et la terre, et par maniere de dire reformer les estats de Paradis. Puis qu'ainsi est donc que nous sommes si hardis, que sera-ce de nous? Ne serons-nous point redarguez cent fois plus que n'a esté Iob? Voila qui nous doit bien faire gemir, quand nous voyons que nos passions sont par trop excessives. Au reste en general nous avons aussi à noter, que iamais un homme ne sera propre d'enseigner, qu'il ne souffre en toute humilité qu'on luy remonstre quand il

216

aura failli. Voila comme Dieu nous veut tenir en bride par ce passage.

Et pourtant qu'un chacun l'applique à son instruction: car s'il est dit, Que les hommes entendus apres avoir parlé doivent escouter, que sera-ce de ceux qui n'entendent rien? Or toutes fois nous voyous auiourd'huy, qu'il n'est point question ne que les sages parlent, ne qu'ayans parlé ils escoutent. Qui sont ceux qui auront la vogue de parler, et qui auront le babil, et feront taire les autres? Gens insensez, ausquels il n'y a ne prudence, ne discretion, ne iugement. Un yvrongne, qui aura este eslourdi de sa gourmandise, tellement qu'en se levant du matin il n'a pas encores cavé le vin du soir: et puis c'est à rentrer quant et quant en une taverne, tellement qu'il sera abbruti tout le iour, et la nuict double beste. Un tel homme aura auiourd'huy la vogue: et faudra faire silence devant luy, et qu'il soit escouté. Et comment cela? Impudemment. On voit que les plus effrontez le gaignent: et de ceux qui sont entendus, ô il faut qu'ils ayent la bouche close, il n'est point question de les introduire. Gens volages et desbauchez auront la vogue: et puis (qui est le comble de tout mal) ce sont contempteurs de Dieu. Vray est qu'encores qu'ils eussent le meilleur esprit du monde, qu'il y eust un esprit posé et rassis en eux, qu'il y eust mesmes de la prudence beaucoup: sinon qu'il y ait ceste crainte de Dieu, il est certain qu'un homme sera tousiours abbruti. Mais voici des contempteurs de Dieu, voici des pures bestes, voici des yvrongnes et gourmans, voici des gens desbauchez qui n'ont nulle honnesteté ne vergongne, et auiourd'huy ceux-la (comme i'ay dit) feront des braves, ils parleront à leur appetit, et ne sera point question qu'on ose repliquer à l'encontre. Voila où nous en sommes.

Et puis d'estre escouté, comment auiourd'huy osera-on plus remonstrer aux hommes leurs fautes? Car si les pechez estoyent maintenant comme de grosses montagnes, encores n'y verroit-on goutte. Quand on viendra dire, Et comment? telles choses devroyent-elles estre souffertes? Et quoy? Qu'estce? Nous ne le voyons pas. Et povres bestes, si vous n'aviez des yeux, vous ne seriez point tant à condamner: mais vous en estes assez convaincus: et n'y a celuy qui n'ait ce remords de conscience. Bref encores qu'il ne fust point question ni de predication, ni d'advertissement, ni de rien qui soit: si est-ce que quand il n'y auroit que ce remords qui vous ronge là dedans vous pouvez bien voir qu'il n'y a que tout mal. Et cependant vous demandez, Et quoy? et où est-ce? Ainsi donc c'est bien loin de pratiquer ceste doctrine où il est dit, Que les sages parlent, et que gens entendus escoutent. Quand il n'y a que les fols, les insensez, les en

IOB CHAP. XXXV.

217

ragez, qui ont la vogue de parler, et d'imposer loy aux autres, on leur donne toute l'autorité: et cependant ils n'ont point d'oreilles pour ouir, ne pour recevoir correction: quand on remonstrera les vices, ils sont tels qu'ils ne peuvent souffrir aucune remonstrance. Or tant y a, que si nous allons contre ce que Dieu a establi, nous aurons beau faire si nous le voulons destruire. C'est une muraille trop dure pour nous: et ainsi ceux qui y heurtent, qu'ils sachent que c'est à leur confusion et ruine. Voila ce que nous avons à retenir. Et pourtant quand nous cognoissons comme les choses sont auiourd'hui confuses, que nous apprenions de retourner là où Dieu nous appelle: c'est que la doctrine ait lieu entre nous, qu'elle soit ouye, que nous soyons tous attentifs à la recevoir, et que celuy qui cognoist qu'il a failli, demande d'estre corrigé: et que par ce moyen nous facions tous hommages à celuy qui doit avoir la maistrise par dessus nous: et que nous cognoissions, que si Iob a este condamné pour s'estre trop lasché la bride, d'autant qu'il n'a point amorti ses passions, et qu'il ne les a pas tenu assez captives: Helas! que sera-ce de nous? Que donc nous pensions a cela, et que nous soyons confus, voyans les povretez qui ont regne par trop entre nous. Car (ie vous prie) quel propos y a-il que nous parlions de reformation d'Evangile, et cependant qu'on se rebecque ainsi à l'encontre de Dieu? Quand auiourd'huy le mal a pleinement la vogue, tant s'en faut qu'on le reprime, qu'il sera

soustenu à cor et à cri. Que si on entreprend de parler pour remonstrer les vices, ô voila l'agneau aura tousiours trouble l'eau. Il faudra que ces boucs infects qui se vienent mesler parmi l'Eglise de Dieu, troublent et polluent toute la saincteté que Dieu avoit mise entre nous par sa parole: et cependant on en viendra accuser les agneaux, comme s'ils estoyent cause du mal. Quand nous voyons cela, apprenons de nous fortifier et prendre courage: que si nous cognoissons le mal aux autres, prenons garde s'il est point aussi bien en nous. Et au reste, quand nous sentons que nostre Seigneur nous a fait la grace de nous renger à lui en toute modestie, que nous souffrions d'estre enseignez: et quand nous voyons que le mal domine, que non seulement nous n'y consentions pas, mais que nous y resistions vaillamment entant qu'il nous sera possible. Car celuy qui dissimule, ou qui met comme un voile devant ses yeux, quand le mal a la vogue, et que le diable transporte ainsi ses supposts, celuy-la est coulpable au iugement de Dieu comme s'il avoit soustenu le mal. Voila comme il nous faut pratiquer ceste doctrine, si nous voulons faire à Dieu l'hommage qui lui appartient, et cognoistre qu'il domine et qu'il a l'empire souverain par dessus toutes les monarchies et principautez de ce monde.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

218

LE CENT TRENTESIXIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XXXV. CHAPITRE.

1. Eliu poursuivit, disant, 2. As-tu pensé cecy droitement, quand tu as dit, Ma iustice est par dessus Dieu? 3. Car tu as dit, Que me proffitera-il, et quel fruict auray-ie de n'avoir point peché? 4. Ie respondray à toy et à tes amis semblablement. 5. Regarde les cieux et les contemple, regarde haut en l'air qui est par dessus toi. 6. Si tu peches, que feras-tu contre luy? et quand tes offenses se multiplieront, que luy nuiras-tu? 7. Si tu es iuste que luy donneras-tu? et que recevra-il de ta main?

Eliu persiste ici tousiours d'accuser Iob, de ce qu'il a blasphemé contre la iustice de Dieu: et le prend sur cest article, que Iob a voulu que sa

iustice surmontast Dieu: non point qu'il ait prononcé ces mots, ni aussi qu'il ait pretendu à cela: mais d'autant qu'il a tellement maintenu sa iustice, qu'il falloit que Dieu le tormentast sans cause et a tort. Or de là il s'ensuit que Dieu donc ne luy faisoit point raison, mais qu'il l'affligeoit outre mesure. Mais pour mieux comprendre ceci, il nous faut reduire en memoire ce qui a desia este exposé ci dessus. Quand Iob a parlé de sa iustice, c'estoit seulement a este fin, qu'il n'estoit point puni selon ses offenses, et qu'il ne falloit pas le iuger meschant pource que Dieu l'affligeoit si grievement, et plus que tout le reste: car nous avons declare, que Dieu en affligeant les hommes, n'a pas tousieurs ce regard

SERMON CXXXVI

219

de punir leurs pechez: mais il veut esprouver, leur patience, comme il en est advenu à Iob, quand Dieu a lasché la bride à Satan: car ce n'a pas esté que Iob se fust desbauché, et qu'il eust provoqué l'ire de Dieu par de grans crimes. Nenny, mais combien que Satan ne trouvast que redire en luy, si est-ce qu'il obtient le congé de le tormenter. Ainsi donc la raison que Dieu a eu d'affliger ainsi Iob, n'a pas este qu'il fust courroucé contre luy, mais il vouloit esprouver son obeissance, afin qu'il nous servist de miroir. Iob donc a tresbien combatu, disant qu'il n'estoit pas puni pour ses offenses, et qu'il y avoit un autre regard. Et en cela il ne merite point d'estre condamné, mais la faute a esté, qu'estant troublé de la vehemence de ses passions, il a on premier lieu pensé qu'il n'y avoit point de mesure, et que c'estoit par trop, et qu'une povre creature ne devoit pas estre ainsi chastiee: il y a eu donc là des murmures. Vray est que Iob ne s'est point flatté en ceste infirmité-la: mais cependant il ne s'est pas retenu comme il devoit. Et puis le grand mal a este, qu'il ne pensoit à rien qu'à ses angoisses, en sorte que par fois la foy estoit comme estouffee en luy, il ne regardoit plus à la vie celeste, ni au loyer qui est promis à tous fideles quand ils auront ainsi bataillé constamment: il ne pouvoit parvenir iusques là, d'autant qu'il estoit preoccupé de son mal et comme troublé et accablé du tout.

Voila donc Iob, qui confesse bien en general, que Dieu a preparé aux siens un heritage eternel qui ne leur peut faillir: et que les meschans aussi n'eschapperont point de sa main: s'ils s'esgayent en ce monde, et qu'ils y prenent tout leur plaisir, que cela leur sera bien cher vendu. Voila Iob qui a cognu ces choses en general: mais quand il veut appliquer la doctrine à soy il n'en peut venir à bout, pource que son coeur est enserré et se tempeste par trop: estant ainsi affligé, il regarde ca et là, et ne voit point trois pieds loin qu'il ne s'esblouisse, ses sens sont comme esvanouis. Voila qui est cause qu'il ne se peut consoler en l'attente du repos qui luy estoit promis. Car il eust adouci par ce moyen-la toutes ses angoisses, s'il se fust remis à Dieu pour dire, Et bien Seigneur, si ostee que i'ay tousiours esperé que tu me feras sentir, qu'en la fin ceux qui auront ici souffert patiemment leurs afflictions seront bien-heureux: Seigneur tu me donnes cognoissance, que ceux qui s'attendent à toy ne seront iamais frustrez de leur esperance: et mesmes encores prouvoiras-tu à tous leurs maux, tu y donneras bonne issue: et encores que ton secours n'apparoisse point si tost, si est-ce que tu ne leur pourras iamais faillir. Iob donc devoit penser à ces choses. Il ne l'a point fait: car ses passions l'ont tenu comme enserré et sa toy (comme

220

i'ay desia dit) a esté quasi estouffee. Comme s'il fait un temps fort trouble et obscur, il est vray que nous aurons bien quelque clarté: mais si est-ce que nous ne verrons gueres loin: car les nuees espesses nous vienent quasi crever les yeux, que nous n'appercevons rien. Ainsi donc en est-il, quand nous sommes affligez: comme l'experience le monstre, que quand un homme sera tormenté en sa conscience, il ne voit plus ne soleil ne lune, tout luy est obscur. Il est vray qu'il retiendra ces principes que doivent avoir tons fideles, qu'il cognoistra Dieu et sa bonté: mais cependant il ne se pourra consoler pour se resiouir au milieu des tristesses Car il ne peut faire ceste conclusion, Et bien, si passeray-ie plus outre: car mon Dieu me tiendra la main, et ie sortiray de ces difficultez si perplexes où ie me trouve. Un homme donc qui sera ainsi pressé d'angoisse quand Dieu le persecute, qu'il luy fait sentir ses pechez, il est espouvanté, il ne peut venir iusques là pour cognoistre, Et bien, Dieu a declaré qu'il retirera les siens du sepulchre: encores donc que ie semble estre du tout abysmé, é la puissance de Dieu n'est pas amoindrie envers moy. Voila comme Iob en a esté.

Ainsi donc combien qu'il cognoisse que la vie celeste nous soit apprestee, et que ce soit nostre vray heritage, et que là nous aurons une ioye permanente: toutes fois il ne s'y peut consoler en ses afflictions. Et pourquoy? Car il est saisi par trop de son affliction, qui luy fait sentir la main de Dieu luy estre contraire: il a les yeux comme bandez, il a ses esprits tellement captifs qu'il ne peut s'esiouir et se consoler, pour comprendre les promesses de Dieu, et y avoir un tel goust, que cela luy adoucisse tous ses maux. Et c'est une doctrine qui est bien à noter: car nous voyons tous les coups, que quand il y aura des tormens qui nous affligent nous serons tellement accablez, que ce sera comme si on nous avoit donné d'un coup de massue sur la teste. Mesmes que nous pouvons bien avoir quelque apprehension de cela en nos passions corporelles. En hyver s'il fait une grande gelee qui soit comme à pierres fendant nous voudrions que tout brulast. Et pourquoy Car nous n'avons que ceste passion presente devant les yeux, nous ne savons plus que c'est de chaleur. En esté tout le contraire, nous voudrions que tout fust plein de glace quand nous avons trop chaud. Or si nous venons à nos ames d'autant que les passions sont encores plus excessives, il n'y a nulle doute qu'elles ne soyent pour nous oppresser tant plus. Voila aussi nous avons à venir droit à Dieu, afin de nous resiouir en luy, et d'embrasser ses promesses qui nous eslevent par dessus tout le monde, qui nous facent contempler la gloire qui nous est maintenant

IOB CHAP. XXXV.

221

invisible: mais souvent nous ne pouvons pas parvenir à ce but du premier coup. Ainsi donc ceste doctrine nous est bien necessaire: car où est-ce que nous pouvons tomber quand nous n'apprehendons point le repos qui nous est appresté au ciel? Estans comme en desespoir, nous blasphemons contre Dieu.

Or il n'y a rien qui nous puisse amener à luy donner gloire, et confesser qu'il nous afflige iustement et en droiture, sinon que nous sentions que les afflictions presentes nous sont bonnes pour nostre salut, et que Dieu les modere en sorte qu'elles nous servent de medecine. Si nous n'avons cela, comment pourrons-nous glorifier Dieu? Comment pourrons-nous plier sous sa main forte, pour nous y renger en obeissance, comme sainct Pierre nous exhorte? (1. Pierre 5, 6.) Il est impossible: mais il n'est question à l'opposite, que de nous despiter, et grincer les dents. Si cela est advenu à Iob, que sera-ce de nous? Il est vray que Iob n'y a point pensé, et nous ce le voudrions pas faire non plus: mais cependant si sommes nous coulpables, comme si nous voulions plaider à l'encontre de Dieu, et nous faire plus iustes que luy. Et ainsi donc nous avons bien occasion de prier Dieu, que iamais il ne permette, quand nous affligera, que nous perdions le goust et saveur de ses promesses, que tousiours nous n'ayons ceste esperance en nous qu'il mettra fin à nous maux: et telle fin que nous aurons dequoy luy rendre louange, comme à un bon pere qui aura procuré nostre salut. Et au reste quand nous sentions nostre infirmité estre telle, que nous serons comme esblouis en nos afflictions, et que nous ne pourrons point monter là haut pour venir à ce repos qui nous attend: cognoissons que nous sommes en train de blasphemer Dieu, sinon qu'il y remedie: et quand mesmes nous ne le voudrons pas faire, sachons qu'en nos despite-mens, en nos murmures, nous tendons tousiours à ce but, c'est assavoir que nous voulons estre plus iustes que luy: et c'est un blaspheme execrable. Il nous faut donc condamner toutes nos passions, quand nous sommes ainsi faschez et angoissez, que nous ne savons de quel coste nous tourner: cognoissons die-ie, qu'il y a lors des bouffes plus que vehementes en nous, et pourtant elles sont condamnees par le S. Esprit. Iob eust bien peu repliquer à ceci, le n'ay iamais eu ceste intention de blasphemer contre Dieu, ne de vouloir magnifier ma iustice par dessus luy. Voire, mais cependant il l'a fait. Car comment est-ce que Dieu est iuste par dessus-nous, sinon d'autant qu'il nous faut avoir la bouche close afin de nous condamner: que nous n'apportions nulles excuses devant luy: que nous ne prenions point licence de murmurer quand il luy plaira nous affliger en quelque sorte que ce soit. Si donc nous

222

ne sommes ainsi abbatus, et que nous ne confessions que Dieu fait tout iustement, il est certain que nous voudrons eslever nostre iustice par dessus lui. Et c'est comme si nous voulions donner un coup de pied au soleil. Or puis que nous sommes instruits de cela, apprenons (comme i'ay dit) de prevenir un tel mal: et toutes fois et quantes que nous sommes affligez, que nous ayons ceste conclusion tout faite et resolus en nous, c'est que Dieu sait pou quoy il le fait, encores que nous n'en voyons point la raison. Et au reste, qu'il ne faut point que nous soyons tant troublez du mal qui nous presse, que tousiours nous n'ayons ceste esperance, que Dieu nous delivrera, puis qu'il a promis de iamais ne faillir aux siens. Que donc nous surmontions tous les troubles que nous avons devant les yeux, et qui nous empeschent de regarder plus loiu: que ceci soit pour nous consoler, pour dire, Si est-ce qu'en la fin Dieu aura pitié de nous : passons donc plus outre, et achevons nostre course hardiment. Voila ce que nous avons à noter de ce passage.

Or que le sens soit tel, il appert par la deduction que fait Eliu: car il s'expose, disant, Tu as dit, De quoy me servira-il de n'avoir point peché, et que me profittera-il? Voila donc en quoy Eliu reproche à Iob, qu'il s'est voulu faire plus iuste que Dieu: c'est d'autant qu'il a pensé que c'estoit une chose inutile d'avoir cheminé en la crainte de Dieu, et s'estre abstenu de peché. Car si nous presumons cela, où sera la iustice de Dieu? Elle sera comme aneantie: car la iustice de Dieu n'est pas seulement qu'il ne fait tort à personne: mais c'est qu'il gouverne le monde en equité, et qu'il dispose tellement de ses creatures, que si nous esperons en luy, nous ne serons point frustrez: si nous le servons en bonne conscience, nostre loyer nous est certain. Si donc Dieu abandonne ceux qui le craignent, et qu'il ne tienne conte de les remunerer au ciel, il ne sera plus iuste: comme aussi l'Apostre le declare en l'epistre aux Hebrieux (6, 10): Dieu n'est point iniuste qu'il ne luy souvienne, dit-il, de vos afflictions pour vous donner relasche: car il est fidele. Quand il dit, Dieu n'est point iniuste, il monstre que c'est une chose inseparable de l'essence de Dieu, que sa iustice. Combien donc qu'il puisse ici bas exercer les hommes par beaucoup d'afflictions quand ils se seront portez constamment en leur vocation: si faut-il qu'il les resiouisse comme il l'a promis. Et c'est un article bien à noter: car nous en verrons beaucoup qui imaginent Dieu comme endormi au ciel. Or sa deité n'est pas une phantasie vaine: mais elle emporte ce que i'ay touché du gouvernement et de l'empire du monde, Que Dieu, comme il a tout creé, aussi tout est en sa main et protection, et hommes et bestes, qu'il faut que pour les siens

SERMON CXXXVI

223

tout soit amené à bonne fin. Et combien qu'ici bas les choses soyent ainsi confuses, que cependant envers luy il n'y a iamais rien de desbordé: et s'il permet que les choses soyent autrement disposees que nous ne voudrions pas, qu'il ordonne mesmes qu'il y ait beaucoup de confusions, il saura bien remettre le tout en son entier. Voila donc ce qui appartient à Dieu, et qui est propre a son essence. Et ainsi notons, que pour glorifier Dieu et luy rendre la louange de iustice qu'il merite, il faut que nous contemplions sa main et sa vertu en toutes choses, et que nous ne doutions point qu'il n'ait iuste raison de faire ce qu'il fait, encores que nous ne sachions point pourquoy. Voila donc ce que nous avons à retenir en somme. Au reste les plus parfaits pourront bien quelquefois estre tentez de ceci, Quel profit te vient-il de n'avoir point peché? comme hier nous alleguasmes de David qu'il estoit entré en ce doute ici (Pie. 73, 13): I'ay donc bien perdu mon temps quand i'ay purifié mes mains, ie me suis gardé de me souiller en toute pollution, et ç'a esté un labour inutile. David est tenté de cela, et il ny a celuy des fideles qui ne soit agité aucunefois de telles phantasies: voire selon que les maux nous pressent comme nous sommes fragiles, et le diable viendra pour assaillir nostre foy voyant nostre incredulité, tellement qu'il est impossible que nous n'ayons beaucoup d'effrois, et entrions en ces doutes ici. Et bien, cependant que faut il faire? Il faut repousser cela et le condamner: et non seulement le condamner, mais l'avoir on detestation: Povre creature, il faut bien que tu sois pleine de vanité, quand tu oses ainsi lever les cornes contre ton Dieu. Et où est-ce aller?

Voila donc comme il nous faut reietter loin toutes ces phantasies mauvaises, dont le diable sache à nous pervertir. Mais quelquefois ce malla est si grand, que nous ne sommes point assez confermez pour repousser les combats: ainsi qu'il en est advenu à Iob. Car il a bien prins loisir de despiter, Et qu'est-ce que ceci? le voudroye estre au lieu où on ne pense plus à rien. Comment est-ce que Iob parle? Voila un homme prophane, voila un homme brutal, quand il dit, ie voudroye estre au sepulehre. Et pourquoy? Car ie ne sentiroye ne bien ne mal. Et où est donc l'esperance des fideles? Où sont les menaces que Dieu fait aux meschans, qu'il faudra en la fin qu'ils sentent sa main horrible? Iob ne comprend rien de tout cela, voire tant il est abbruti. Ainsi donc nous devons bien avoir nos passions suspectes, pour voir, Comment? Un homme si parfait, voire semblable à un Ange du ciel, qui a eu tesmoignage de la propre bouche de Dieu, tel que nous avons veu ci devant, neantmoins il est ainsi saisi d'angoisse: il ne peut penser qu'on vouant au sepulchre nous ne sommes

224

point là meslez en confusion, mais que Dieu separe les siens d'avec les reprouvez, et que leurs ames sont en sa garde, et qu'il en est bon protecteur. S'il faut que Iob n'ait point pensé à cela, que sera-ce de nous? Or il est vray que Iob n'a pas esté un infidele pour nier la resurrection, pour reietter toute doctrine de la vie immortelle. Non: mais il n'en a pas eu une pensee presente, pour dire, que cela luy vint en memoire toutes fois et quantes qu'il estoit besoin, il n'a pas tousiours eu les armes prestes. C'est comme aucunes-fois on sera surprins, et un homme sera si effrayé qu'il ne pourra pas desgainer son espee: il recule, il chancelle, il recevra mesmes quelque coup devant qu'il se puisse defendre. Ainsi est-ce donc que Iob en a esté. Il est vray qu'il voit espee et le bouclier: mais il est surprins en sorte que le diable a quelque avantage sur luy, et qu'il est là comme esvanoui, et ainsi que nous avons monstré par ci devant, il ne peut eslever son esprit iusques au ciel, pour contempler l'esperance que Dieu donne à ses fideles. Puis qu'ainsi est, apprenons de nous tenir pour suspects, et de cognoistre qu'il y a une telle fragilité en nous, que nous serions abbatus en sorte, que iamais nous ne pourrions nous relever n'estoit que nostre, Seigneur eust pitié de nous, et qu'il nous tint la main fo te, afin de le pouvoir invoquer, et de nous remettre du tout à luy. Voila donc ce que nous avons à noter en somme de ce passage.

Or Eliu dit quant et quant, le te respondray et à toy et à tes compagnons. Parlant ainsi il monstre que les hommes, quand ils se rebecquent ainsi à l'encontre de Dieu, encores qu'ils ayent une grande bande et suite, ne gagnent iamais rien: car Dieu est assez suffisent pour les rembarrer en un mot, tellement qu'il faudra qu'ils demeurent confus. Iob n'avoit point de compagnons, il parle luy seul pour maintenir sa querelle: mais Eliu entend, encores que tu eusses une grosse armee avec toy, et que d'une bouche vous eussiez conspiré ensemble d'accuser Dieu et blasphemer contre luy: si est-ce que i'auray response suffisante pour vous tous. Ici donc nous voyons combien la verité de Dieu est forte, et que c'est en vain que nous bataillons à l'encontre: et combien que nous soyons munis, et ayons beaucoup d'adherer, toutesfois si faudra-il que Dieu ait tousiours la victoire que sa iustice demeure en son entier: quand nous aurons abbayé à l'encontre nous n'y pourrons mordre, ainsi qu'il sera declaré tantost. Voila, di-ie, ce que nous avons à retenir en ce passage. Et pourtant en premier lieu apprenons, de ne lascher point la bride à nos langues, quand Dieu nous afflige, que les choses ne viennent point à nostre appetit: que pour cela nous ne soyons point impatiens en nos afflictions, mais humilions-nous tousiours sous luy, cognoissans qu'il

IOB CHAP. XXXV.

225

est iuste, quoy qu'il en soit. Car si nous avons l'audace de nous rebecquer, ce sera, à nostre grande confusion et honte. Voila donc comme tous se doivent retenir d'eux-mesmes, et comme se captiver afin de ne iamais prononcer murmure à l'encontre de Dieu, ne le blasphemer aussi. Et au reste quand nous aurons beaucoup d'adherans, nous ne profiterons rien en cela: car Dieu ne se laissera point vaincre par grande multitude d'hommes. Nous aurons beau assembler gens qui s'accordent avec nous: car nous serons tous rembarrez ensemble: quand tout le monde auroit fait complot pour despiter Dieu, il ne s'en souciera point, il ne s'en fera que mocquer: comme il est dit au Pseaume second Que les rois de la terre facent leurs machinations, que les peuples se tempestent tant qu'ils voudront: celui qui est là haut ne s'en fera que rire.

Voila donc ce que nous avons à noter en second lieu, Qu'il ne faut point que nous pensions avoir cause meilleure, quand nous aurons beaucoup d'adherans et complices: car Dieu nous condamnera tous en un monceau. Et au reste, nous voyons aussi d'autre costé, que quand nous avons la verité de Dieu pour nous, il ne faut point que nous doutions de la maintenir. Et pourquoy? Il nous donnera bouche et sagesse, il nous donnera aussi vertu pour rembarrer tous nos ennemis. Comme auiourd'huy il est bien besoin que nous soyons armez d'une telle confiance. Car nous voyons on quelle furie se dressent les ennemis de l'Evangile: il leur semble, pource que nous ne sommes qu'une poignee de gens, et qu'ils sont grande multitude, et que c'est quasi tout le monde qui s'accorde avec eux à machiner nostre mort, O voila tout gaigné pour eux, il n'est question que de faire leurs triomphes sans combat. Que seroit-ce donc si nous ne cognoissions ce qui nous est ici monstré, c'est assavoir que d'autant que nous avons la verité pour nous, nous pourrons tousieurs batailler un contre cent mille: et qu'il ne faut point craindre, quand les Papistes s'eslevent sur leurs ergos, pource qu'ils sont grand bande, et que nous ne sommes rien au pris. Non, non: que cela ne nous espouvante point. Et pourquoy? Car ce n'est point seulement pour la personne d'Eliu qu'il est escrit, le te respondray à toy et à tes compagnons: mais le sainct Esprit nous donne ceste prornesse-la, afin que nous ne doutions point d'entrer en combat et d'estre fermes iusques an bout, puis que nous savons que nostre cause est bonne, et que Dieu bataille pour nous, d autant que nous maintenons sa querelle. Quand donc nous avons une telle certitude, combatons hardiment contre nos ennemis: car il faudra en la fin qu'ils demeurent confus.

Voila donc ce que nous avons à retenir, et comme aussi nous avons à pratiquer ce passage

226

pour l'appliquer à nostre instruction: sur tout pour le temps present, quand nous voyons que le monde est ainsi bandé contre Dieu, et que la multitude des ennemis est si grande, quelle nous pourroit du tout faire perdre courage, si nostre Seigneur ne nous consoloit en disant, que nous avons dequoy respondre pour luy, combien qu'ils soyent beaucoup de contredisans, qui ayent ainsi complotté.

Venons maintenant à la response que fait Eliu. Contemple les cieux, dit-il, regarde en haut iusques aux cieux les plus grans: ils te surmontent, et ne pourrois atteindre iusques là Or il semble que ceste response ici soit bien maigre: car n'avoit-il point d'autre raison pour monstrer la iustice de Dieu? Voire: mais pour applicquer ce propos comme il faut, nous verrons que c'est assez pour clorre la bouche à tous ceux qui voudront blasphemer contre Dieu. Car du regard des cieux il nous amene à un autre consideration: c'est, que si nous faisons bien, pour cela nous ne pouvons rien profiter à nostre Dieu, et quand nous ferons mal nous ne luy pouvons nuire: car quel dommage en aura-il? Puis qu'ainsi est donc, é il n'est point question de le mesurer selon les hommes: car il n'est point vindicatif, pour dire qu'il soit fasché quand on luy aura fait quelque tort: ne qu'il soit mené d'affection, comme un homme qui veut qu'on luy complaise, et quand on luy aura fait quelque service qu'il le recognoisse, Or Dieu n'est point tel. Ainsi donc il ne faut point que nous le mesurions à nostre aune, et que nous pensions rien de charnel de luy: car les cieux mesmes qui sont sous ses pieds, nous monstrent bien qu'il n'est pas nostre semblable, et qu'il n'est point meslé ici parmi nous, pour avoir rien de nostre nature. nous voyons donc comme ceste raison est suffisante pour rembarrer tous ceux qui osent s'eslever contre Dieu, quand il est dit, Contemple les cieux, regarde ici haut par dessus ta teste. Or maintenant il est besoin que ce qui s'ensuit soit deduit par le menu, afin d'estre mieux entendu de nous.

Quand Eliu dit, Si tu fais bien, quel profit est ce que Dieu en reçoit? Il monstre par cela que Dieu n'est point tenu à nous. Voila pour le premier. Le second, qu'il ne sera point affectionné à la façon des hommes mortels. Quand on leur aura fait quelque plaisir, et bien les voila esmeus pource qu'ils sont passibles: mais Dieu n'est point tel: nous ne luy faisons ny aide ny faveur: ainsi donc il n'est pas semblable à nous. Or quant au premier, que Dieu ne soit nullement obligé à nous, quelque chose que nous puissions faire, c'est une chose bien vraye. Toutes fois nous voyons comme les hommes s'enorgueillissent, voire sans propos ny matiere: et font à croire à Dieu qu'il sera tenu a, eux, combien qu'ils ne luy puissent rien apporter

SERMON CXXXVI

227

Or cela quant et quant attire une mauvaise queuë de superstition. Pourquoy est-ce qu'auiourd'huy les Papistes travaillent tant apres Leurs ceremonies et badinages? C'est qu'il leur semble que Dieu en reçoit quelque profit, quand ils feront beaucoup d'agios, qu'ils auront barbotté, qu'ils auront trotté d'un lieu à l'autre: il leur semble qu'ils ont fait un bel ouvrage, quand leur mesnage est bien dressé, quand ils auront bien pigné et lavé leurs marmozets: comme si on avoit bien balié une maison, qu'on eust appreste un beau banquet, qu'il y eust de la ionchee, et d'autres choses. les Papistes, di-ie imaginent que Dieu se baigne en ces petis fatras; et qu'il y prene plaisir comme eux. Il ne faut point donc imaginer que nous puissions rien apporter à Dieu. Et voila pourquoy il dit au Psaume seizieme (v. 2), Seigneur tous mes biens ne pourront parvenir iusques à toy. Et comment donc? Mais tes saincte qui sont en terre me seront honorables. D'autant que Dieu ne peut rien recevoir de nos biens, il nous recommande nos prochains: et quand nous ferons du bien à ceux qui sont en necessité, que nous vivrons ici avec les hommes en equité et droiture, que nous tascherons de nous employer fidelement envers ceux à qui nous pourrons aider et secourir: voila Dieu qui accepte telles choses comme sacrifices.

Ainsi donc retenons ceste doctrine, quand il est dit, que nous ne pouvons rien apporter à Dieu. Car c'est afin que toute presomption soit abbatue en nous, et que nous ne pensions point que Dieu nous soit attenu en rien. Et cependant aussi que nous ne soyons point menez de ces folles superstitions, pour tracasser et faire beaucoup de choses de nulle valeur, comme si Dieu prenoit là plaisir. Et pourquoy? Nous ne luy apportons rien qui soit. Mais il nous faut aussi appliquer ceste doctrine à l'intention presente d'Eliu, c'est que Dieu n'est point semblable aux hommes mortels qui sont touchez et esmeus, et pourquoy? Pource qu'ils ont besoin qu'on leur aide: ils ne se peuvent passer des forces d'autruy. Voila donc pourquoy c'est que nous sommes esmeus, et transportez çà et là Mais il ne faut point que telles resveries entrent en nostre teste quant à Dieu, il ne se gouverne point à nostre guise, comme aussi nous ne luy pouvons rien apporter. Au contraire il est dit aussi, que si nous pechons, nous ne luy apportons nul dommage. Il est vray, que quand nous offensons Dieu, entant qu'en nous est nous violons sa iustice: et par ce moyen il est grandement outragé. Nous sommes donc coulpables quand nous pechons autant que si nous avions aneanti la maiesté dé Dieu. Nous savons quelle est la reigle de droiture qu'il nous commande: et quand nous allons au rebours, c'est autant comme si nous le voulions empescher

228

qu'il ne regnast, comme si nous l'arrachions de son siege, comme si nous le foulions quasi au pié. les hommes donc sont coulpables de tout cela. Mais tant y a que Dieu en soy ne peut estre augmenté ny amoindri. Ainsi donc notons bien, que nous ce luy apportons nul dommage quand nous aurons peché: et mesmes ceux qui blasphement contre Dieu, il est vray que quand ils desgorgent leur venin, ils obscurcissent sa gloire d'autant: comme il est dit que le nom de Dieu est expose en opprobre, que sa gloire est amoindrie quand il n'est point cognu de nous et bon, et iuste, et sage, que nous ne le confessons point tel devant les hommes. Voila donc le royaume de Dieu qui est amoindri voire quant à nous, et non pas quant à luy. Mais cependant que faisons nous en pechant? Apres que nous aurons beaucoup fait, il est certain que nous ne pourrons luy apporter aucune nuisance. Que le plus habile archier du monde tire, assavoir s'il atteindra iusques au ciel? Et quand nous machinerons tout ce qui sera possible, pourrons-nous parvenir iusques à Dieu? Le toucherons-nous en façon que ce soit? Il est bien certain que non: et qui plus est tout ce que nous aurons ietté en haut, il faudra qu'il retombe sur nos testes. Si ie tire contre quelqu'un, et que ie le puisse assener: et bien, ie le blesse: mais ie ne pourray point parvenir iusques à Dieu comme i'ay desia dit. Nous aurons beau ruer de grans coups de pierres, nous aurons beau tirer et d'arc et de hacquebutes: mais tant y a que Dieu sera tousiours bien eslongné de nos coups. Il est vray (comme aussi i'ay desia dit) que nous pourrons bien abbayer: mais non pas mordre toutes fois. Quand les hommes auront rué leurs coups en haut, où est-ce qu'ils retombent? Iront-ils par dessus les cieux? Nenni: mais ils retomberont sur leurs testes. Et ainsi les hommes ne se peuvent eslever contre Dieu qu'à leur confusion.

Ainsi donc voici un passage bien digne d'estre noté, là où Eliu monstre que si nous offensons, nous ne pouvons apporter aucun dommage à Dieu. Or de là nous avons à recueillir double instruction. L'une c'est, que Dieu declare une souveraine bonté et infinie envers nous, quand il luy plaist d'accepter nos services que nous luy faisons, encores qu'il n'en reçoive nul profit, et que cela ne luy touche rien. Voila pour un Item. Or ceci devroit est-ce entendu en un mot: mais pource qu'il y en a qui sont rudes, il est besoin de le declarer plus à plein. Voila donc Dieu qui nous peut reietter sans tenir aucun conte de nous. Et pourquoy? car (comme i'ay dit) que tout le monde s'efforce tant qu'il pourra: si est-ce que nous ne pouvons profiter rien qui soit à nostre Dieu. Or cependant il nous dit, que si nous travaillons-pour bien faire, et pour

IOB CHAP. XXXV.

229

cheminer en ses commandemens, ce luy sont sacrifices agreables. Ne voila point une singuliere consolation qu'il nous donne? de dire, l'accepte ce que voua faites: combien qu'il ce soit pas digne d'estre prisé de moy, toutes fois ie le reçoy, et m'oblige à vous, comme si i'y estoye tenu Ne voila point une bonté souveraine, quand Dieu fait cela de son bon gré? Apprenons donc de magnifier la misericorde de nostre Dieu, de ce qu'il a ainsi nos oeuvres agreables sans qu'elles le meritent, et que de son costé il y soit nullement tenu, que cela aussi soit pour nous donner courage de bien faire quand nous voyons que Dieu reçoit de nos mains ce qui ce le vaut pas, et qu'il met comme en ses registres tous les Items de nos oeuvres, quand elles luy sont agreables par sa bouté. Et defait, ce voila point une bonté inestimable de nostre Dieu, et qui est pour nous ravir en estonnement quand nous y pensons? Nous voyons donc combien il se declare propice envers nous.

Or il y a d'autre costé l'autre consideration qui nous est ici mise au devant. Quoy? Faisons mal: nous ne pouvons nuire à nostre Dieu. Que nous sachions donc, que Dieu ne nous veut point punir de nos pechez pour envie qu'il ait coutre nous, et qu'il n'a point une vengeance humaine pour faire comme un homme qui sera offensé. Car un homme quand on lui aura fait tort, qu'il sera outragé en sa personne, ou qu'on lui aura ravi son bien, il cerchera de s'en venger. Dieu, di-ie, n'est point esmeu de telles considerations. Pourquoi donc est-ce qu'il nous menace? D'autant qu'il ne veut point que nous perissions, il nous monstre le

soin qu'il a de nostre salut et cependant s'il nous punist de fait, en cela il declare sa iustice. Car il n'est point question ici d'entrer en cause contre lui, comme s'il avoit quelque querelle priveé: mais il nous punist comme iuste Iuge, ainsi que son office et sa nature le porte. Puis qu'ainsi est donc que nostre Dieu y procede en telle sorte, qu'avons-nous à faire, sinon à sentir mesmes son amour paternelle quand il nous veut chastier? Car par ce moyen il nous retire du train de perdition auquel nous sommes. Ainsi donc quand nous sentons sa main, quelque rude qu'elle soit, que nous ayons tousiours ce regard, que Dieu se monstre inste. Que faut-il donc sinon esperer en lui, et nous y consoler, et en ceste consolation lui demander qu'il ait pitié le nous, et combien que nous l'ayons offensé, qu'il ne laisse pas toutes fois de nous recevoir à merci? Sur cela que nous soyons tout persuadez et resolus, que Dieu ne tiendra point son coeur envers nous, comme un homme fier et arrogant: mais comme il est la fontaine de toute bonté et misericorde, quand nous viendrons à lui, il nous fera sentir combien il se veut monstrer pitoyable envers nous: et combien qu'il nous chastie quelquesfois, voire et plus rudement que nous ne voudrions si est-ce qu'il nous fera cognoistre qu'il le fait pour nostre bien, afin que nous ne perissions: et que quand il nous tient en bride courte, c'est pour nous humilier, et nous faire plier sous sa main et sous ses chastimens.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

230

LE CENT TRENTESEPTIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XV. CHAPITRE.

8. C'est à l'homme tel que toi que ton forfait s'adresse, et ta iustice au fils de l'homme. 9. Pour la multitude des oppresseurs on crie à cause de la puissance des maistres. 10. Et nul ne dit, où est le Dieu qui m'a formé, qui donne les chansons de nuict? 11. Et qui nous enseigne par dessus les bestes, et nous instruit par dessus les oiseaux du ciel?

Nous avons, pour la conclusion de ce qui fut hier declaré, à retenir ce qu'Eliu prononce ici en bref: c'est, que nos forfaits s'addressent aux hommes et non pas à Dieu, et pareillement nostre iustice afin

que nous n'imaginions point que Dieu soit colere pour se venger quand nous l'aurons offensé: ou bien à l'opposite qu'il soit tenu à nous, comme si nos services lui profitoyent de rien. Ne pensons point donc que Dieu soit semblable à nous, et ce le mesurons point a nostre sens. Vrai est qu'il s'abbaisse le son bon gré: car comment est-ce qu'il parle à nous, sinon à la façon des hommes? Mais cela ne doit point desroguer à sa hautesee. Quand il plaist à Dieu par sa bonté infinie de condescendre à la rudesse des hommes, faut-il qu'il soit mesprisé pourtant? Au contraire tant plus il merite que

SERMON CXXXVII

231

nous le magnifions. C'est donc lui faire grand tort et iniure, quand il se conforme à nostre petitesse, de le transfigurer pourtant: et penser qu'il se courrouce, d'autant qu'on l'a fasché: ou bien qu'il doit recompenser les hommes comme s'il y estoit tenu. C'est, di-ie, comme aneantir sa maiesté: car il n'est point de nostre rang: attribuons cela aux hommes comme il leur appartient: mais de lui il nous le faut adorer en sa hautesse incomprehensible. Voila donc ce que nous avons à retenir en ce premier verset.

Or maintenant il reste de voir comme Dieu est iuste, et comme il gouverne le monde en equité: et toutes fois les choses sont confuses cependant. Car les meschans ont la vogue, ils oppriment, ils pillent, ils saccagent: et Dieu dissimule: et ne fait point semblant d'y prouvoir. Comment ceci s'entend-il, Que Dieu ait la conduite du monde, et que tout soit iustement disposé par lui: et toutes fois qu'on voye des troubles si grands, des iniquitez si enormes, sans qu'il y remedie? Eliu donc comprend tout cela, et monstre qu'il ne se faut point esbahir si Dieu estant ainsi patient laisse les choses aller mal, et qu'il n'y prouvoit point si tost que nous l'invoquons: car aussi n'est-ce point de coeur. Si donc Dieu permet que les hommes soyent affligez, c'est pour iuste cause, d'autant qu'ils ne retournent point à lui avec prieres et actions de graces comme ils doivent. Tant y a qu'il nous le faut attendre: et combien que son iugement tarde, et qu'il nous semble qu'il ne vienne point si tost comme il devoit, si faut-il que nous l'attendions en patience, et que nous lui facions cest honneur d'esperer en lui, encores qu'il nous soit comme caché. Voila, di-ie, le premier de ce qui est ici mis.

Or en premier lieu ici Eliu declare, que les hommes ne sont point dignes que Dieu les secoure au besoin. Pourquoi? S'ils sont opprimez, qu'on leur face quelque tort ou violence, il est vrai qu'ils crient, ils se tempestent, ils savent bien se lamenter: mais ce n'est pas pour avoir leur refuge à Dieu. On orra donc les cris et les hurlemens de ceux qui endurent du mal: mais cependant Dieu ne les exauce point, encores que ce soit son office de subvenir à ceux qui sont iniustement oppressez: d'autant qu'il ne regardent point à lui et ne s'y addressent point, mais en confus ils se lamentent. Ne faut-il pas donc que Dieu les laisse là comme obstinez? Or quel est le remede, sinon qu'en cognoissant que Dieu ne s'est point attribué ce titre en vain, Qu'il subviendra aux oppressez, nous tendions droit à lui? Nous ne le fusons pas: nous avons donc beau crier, nous meritons que Dieu retire sa main, qu'il ferme les yeux, et qu'il ne tienne conte de nous aider. Et pourquoi? Nous ne le cerchons

232

pas. Il est es rit, Cerchez, et vous trouverez: et nous allons tout au rebours.

Voila don un article qui est bien digne d'estre noté: car ce nous est un scandale qui nous trouble fort, voyans que Dieu laisse ainsi languir les hommes, et quand leurs miseres Sont venues iusques à l'extremité, il ne semble point qu'il en ait nulle pitié. Alors nous concluons, qu'il ne lui chaut de toutes nos iniures, qu'il est tellement eslongne de nous, qu'il n'a nul soin de prouvoir à nos necessitez. Or cependant nous ne regardons pas, que nous meritons bien d'estre destituez de son aide, puis que nous n'allons pas droit à lui. Comme maintenant il est vrai que les confusions sont si grandes et si horribles au monde, que nous n'y pouvons penser sans horreur. Voila les guerres qui sont en beaucoup de lieux, on verra un pays tout ruiné, les povres gens ne savent que faire, on verra les maisons bruslees, et tout le bien pillé. Voila donc des peuples qui sont tellement angoissez, qu'il vaudroit mieux que du premier coup on leur eust couppé la gorge, que de les faire ainsi languir. Or tant y a qu'ils ne regardent point à Dieu. Si on va en un pays estrange, là on orra beaucoup de complaintes: et ne faut point encores aller si loing, mais par tout où sont les tailles et imposts, là où les gensd'armes passent comme des raveines, il n'y aura celui qui ne crie, qu'on est rongé iusques aux os. Or cependant le monde se reforme-il? Vient-il avec vraye humilité cercher Dieu, pour dire, Helas Seigneur, c'est pour nos pechez que tu nous as traittez ainsi rudement: et il falloit que nous pensissions à cela. Or il n'y a en nous qu'orgueil, mespris, et rebellion contre toi: et bien Seigneur tu nous as monstré que tu es le maistre, fai nous maintenant la grace que nous te sentions Pere, et qu'en la fin tu nous secoures. Le monde use-il d'un tel langage? Helas! s'en faut beaucoup: mais ils rongent leur frain, et cependant ne peuvent nullement penser à Dieu. Si donc il laisse les choses en telle confusion, s'en faut-il esbahir? Cela n'est-il pas plustost un tesmoignage qu'il ne peut-souffrir un tel mespris de sa grace? Car comme il approuve sa verité quand il aide à ceux qui le cerchent, et qui le supplient, comme il monstre qu'il n'a point promis d'estre pitoyable à ceux qui le requerront, pour les frustrer de leur foi et de leu attente: tout ainsi donc que Dieu ratifie sa verité, et se monstre fidele et loyal quand il aide à ceux qui l'invoquent: aussi à l'opposite s'il laisse tremper ceux qui ne l'ont point cerché et qu'ils soyent minez et consumez de longue main, et qu'on n'appercoive pas qu'il les regarde, ne qu'il se soucie de leur necessité: en cela il monstre qu'il est iuste. Car il punit la nonchalance, on plustost l'orgueil qui est en eux, d'autant qu'ils mesprisent

IOB CHAP. XXXV.

233

sa grace qu'il leur avoit offerte si liberalement. Or il est vrai que Dieu par fois n'aidera pas du premier coup ceux qui le requierent en verité: mais cela n'advient pas tousiours. Et au reste, quand il advient, c'est encores iustement: car il ne faut point que nous le vueillions astreindre à nostre appetit. Ainsi donc combien que Dieu differe de secourir les siens quand mesmes ils l'invoquent de coeur: si est-ce qu'il ne les abandonne iamais. Mais ce que traitte ici Eliu, est le plus commun, comme souvent l'Escriture parle: car quand elle prend une doctrine, c'est pour monstrer ce qu'on peut voir le plus souvent. Voila donc ce que nous pourrons conclurre quand nous aurons bien consideré que c'est du monde. nous trouverons que ceux qui sont battus et tormentez sauront bien se lamenter de leurs maux: mais leur cri ne s'addresse point à Dieu c'est comme un hurlement brutal: ils iettent leurs voix en l'air, mais tant y a qu'ils n'espandent point leur coeur devant Dieu, ils ne reiettent point en lui leurs solicitudes et angoisses, comme il nous est commandé: et voila pourquoi Dieu ne se declare point propice envers eux. Il ne faut point que nous l'accusions de cruauté ne d'iniustice, il ne faut point que nous imaginions qu'il leur face tort: car nous voyons que les hommes sont dignes d'estre ainsi punis, et qu'ils reçoivent le salaire de leur incredulité d'autant qu'ils ne se sont point appuyez sur les promesses qui leur sont donnees, et n'ont point esté incitez en eux-mesmes de recourir à Dieu comme ils devoyent.

Or si on dit que les hommes invoquent Dieu (comme il se fera bien quelques prieres) Eliu monstre que tout cela n'est rien. La raison? Car ils ne disent point, Où est le Dieu qui m'a formé, lequel donne chansons de nuict, lequel nous instruit plus que les bestes, et nous enseigne par dessus les oiseaux du ciel? Ceci (comme i'ai touché n'agueres) est pour respondre à ce qu'on pourroit alleguer, que les povres gens quand ils sont tormentez invoquent Dieu. Voire, mais ce n'est que par feintise, respond Eliu: cela donc est en vain. Et pourtant il ne faut point qu'ils soyent exaucez de Dieu, pource que les prieres qui se font de la plus part du monde ne sont qu'en hypocrisie. c'est la raison qu'en donne Eliu: car ils ne vont point à Dieu comme à leur facteur, et à celui qui les a formez, à celui qui resiouyst les hommes: à celui qui leur a eslargi tant de biens, qu'ils doivent magnifier sa misericorde, quelques maux qu'ils endurent. Quand donc nous ne cognoissons point Dieu tel qu'il 6e monstre envers nous, et que nous ne parlons point les graces que nous avons recenës de sa main, quand nous ne venons point à lui en ceste qualité là, il n'y a que feintise en nous et mensonge. Et pourtant il ne se faut point esbahir si la porte nous est fermee,

234

et que Dieu ne face point semblant d'ouyr nos requestes. Voici un passage qui est bien digne d'estre noté. Car on verra auiourd'hui les Papistes qui feront es processions quand Dieu les presse: s'il y a quelque peste, s'il y a famine, ou autres calamitez, il est vrai qu'ils retourneront à Dieu: les Payens en ont autant fait. Mais quoi? Est-ce qu'ils l'invoquent en verité et en droiture de coeur? Helas! il s'en faut beaucoup: il n'y aura que ceremonie. Et qu'ainsi soit, notons bien que les hommes ne peuvent droitement cercher Dieu, sinon quand ils le cognoissent tel qu'ils le doivent avoir senti par experience. En premier lieu quand nous invoquens Dieu, il nous doit venir en memoire qu'il est nostre Createur, et que nous sommes eu sa main. Or maintenant qu'on examine ceux qui font semblant de prier: si on sonde leur coeur, trouvera-on qu'ils ayent ceste cognoissance-la? pour dire, le suis en la main de mon Dieu, puis qu'il m'a formé, c'est à lui de me regler en ma vie, et il faut qu'il prouvoye à toutes mes necessitez ie tien tout de lui, il faut donc que ie me laisse gouverner par sa main et selon son plaisir. En trouvera-on de cent l'un qui ayent une telle pensee, et qui parlent d'une affection droite pour faire hommage à Dieu comme à leur Createur? Ils confesseront bien de bouche, Ouy, nous sommes formez de lui, et il nous a donné vie: mais cependant qu'en le confessant ils en soyent bien resolus, c'est tout le contraire. Ainsi donc il n'y a point de prieres qui meritent d'estre appellees telles, puis que les hommes sont tellement abbrutis qu'ils ne cognoissent point Dieu tel qu'il s'est monstré envers eux.

Or il n'est point question seulement de cognoistre Dieu nostre Createur: mais il faut quant et quant que nous estimions les graces qu'il est prest de nous eslargir, comme il est dit notamment en ce passage, Qu'il donne les chansons de nuict. Ceci est exposé par aucuns, Que les oiseaux chantans nous recreent, et que cela doit estre attribué à la bonté de Dieu, et que les hommes n'en cognoissans rien monstrent leur ingratitude en cela. les autres prennent, Que Dieu faisant luire les estoilles nous resiouyt, et nous donne occasion de prescher sa bonté: car combien que le soleil soit couché, et qu'on voye les tenebres, si est-ce encores que Dieu nous allume là comme des chandelles pour dire que sa maiesté n'est point esteinte et qu'elle n'est point cachee du tout. Mais telles expositions sont trop contraintes. Il nous faut donc prendre ceci simplement, Que Dieu au temps mesmes que les hommes sont assoupis donne des chansons. Car il semble que la nuict soit comme pour amortir tout: quand le soleil est couché, et qu'il y a silence, il semble qu'il y ait comme une espece de mort, et que Dieu nous tienne là comme

SERMON CXXXVII

235

enserrez au sepulchre. Si Eliu eust parlé des chansons de iour, cela n'eust pas esté pour magnifier si bien la grace de Dieu: car de iour les hommes s'appliquent à leur ouvrage, alors se monstre leur vigueur, alors les esprits sont esveillez. Cela donc n'eust pas esté si excellent, quand il eust dit, Que Dieu donne les chansons de iour, comme quand il les assigne à la nuict. Mais voila une bonté singuliere de Dieu, quand nous sommes comme amortis, qu'il semble que nos esprits soyent abbatus, et qu'il n'y ait plus nulle vivacité: toutes fois qu'encores nostre Seigneur nous donne des chansons. Car si les hommes s'esveillent de nuict, ils ont dequoi sentir comme Dieu les a en sa protection: ils doivent cognoistre leur fragilité, qu'ils ne peuvent subsister sans dormir, et que cependant toutes fois Dieu veille pour eux. Ils se doivent donc resiouyr en cela pour dire, Helas Seigneur, ie ne te puis invoquer cependant que ie dors: me voici comme une souche et un tronc de bois, et cependant tu me gardes, et cependant encores ie respire par ta bonté: et mesmes ce dormir ici me repaist tellement, que ie cueille force nouvelle sans le sentir. Quand donc les hommes pensent à cela, n'ont-ils point dequoi se resiouyr pour dire, Helas mon Dieu tu te monstres Pere envers moi cependant que ie ne te cerche point, et mesmes quand ie n'ai plus nul sens, que ie suis semblable à une creature morte? Puis qu'ainsi est donc, quand ie me remettrai à toi, que ie t'invoquerai, ne seras-tu point plus prochain de moi par plus forte raison? Quoi qu'il en soit, que ie dorme ou que ie veille, ie serai tousiours en ta main et en ta conduite. Quand les hommes ont ceste consideration-là, n'est-ce pas pour chanter à Dieu?

Ainsi donc nous voyons à quoi pretend Eliu, c'est que souvent ceux qui sont affligez, quand ils feront semblant de prier Dieu n'ont nulle verité en eux. Et pourquoi? Car il nous falloit faire un recueil de ses benefices, reduire en memoire les biens que Dieu nous fait sans fin et sans cesse, afin que cela nous donnast courage. Or nous sommes si lasches que c'est pitié, et mesmes nous disputons comme nous pourrons venir à Dieu, quel moyen il y a d'en approcher, s'il nous regardera ou non. Voila donc que nous avions à faire, c'est assavoir de nous refreschir la memoire de tant de biens qu'il nous a eslargis, et qu'il ne cesse encores de nous distribuer tous les iours. Car cela en premier lieu est pour nous confermer en sorte que nous ne devons point douter de venir à lui estans asseurez qu'il nous exaucera: cela fait aussi que nous venions à lui avec action de graces, au lieu que ceux qui n'ont point gousté sa bonté, et les biens qu'ils ont receu de sa main, murmurent et se despitent. Quand donc nous aurons bien pesé

236

ce qui nous est ici declaré, il n'y a nulle doute que nous ne soyons enflammez du tout à le requerir pour dire, Voici, mon Dieu tu me donnes tant de biens, que c'est assez pour estre ravi quand i'y pense: et puis que tu t'es monstré si liberal envers moi, si tu m'affliges, ne faut-il que pas que ie soye patient, et que ie benie ton nom? Or les hommes ne font rien de tout cela, ils oublient et mettent soubs le pied les graces de Dieu: voila comme ils ne l'invoquent point en verité ni à bon escient. C'est donc ce que nous avons à noter sur ce mot quand Eliu parle des chansons de nuict. Que Dieu ne cesse iamais de nous bien faire: qu'au temps qui semble le plus mort, et qu'on diroit que mesmes Dieu soit caché, qu'il semble qu'il ne vueille point continuer ses graces envers nous, toutes fois si ne laisse-il point encores de nous donner occasion de magnifier sa bonté. Puis qu'ainsi est, nous devrions bien estre touchez d'une autre façon que nous ne sommes pas pour venir à lui. Apres cela Eliu adiouste la grace universelle que Dieu a faite à tous hommes. Il est vrai que chacun en son endroit doit bien mediter les benefices de Dieu: comme il n'y a celui de nous qui en particulier ne soit obligé tant et plus, pour beaucoup de graces qui lui ont esté faites à sa personne. Quand ie voudroye cognoistre que Dieu est bon et liberal, il ne faut point seulement que ie regarde à ce qu'il fait à tous hommes indifferemment: mais il faut que i'entre en moi, et que ie pense à tout le cours de ma vie, et que ie note les biens que i'ai senti de la main de Dieu. Alors il faudra que ie soye comme transporté par dessus le monde pour dire, Et Seigneur si ie veux comprendre ta bonté, c'est un abysme si profond, que ie n'en puis venir à bout. Car quand ie pren une petite portion des signes et tesmoignages que tu m'en as donné, me voila confus: comment donc Seigneur parviendroie-ie iusques au bout? Voila comme il faut que chacun en son endroit note bien les graces qu'il a receues de Dieu en privé. Mais tant y a encores que si nous ne pensons seulement qu'à ce qui est commun et general à tout le genre humain, cela nous doit bien suffire pour magnifier Dieu: voire en telle sorte, que quand nous venons à lui pour le supplier qu'il nous delivre de nos afflictions, nous devons quant et quant nous resiouyr, nous lui devons rendre louange de ce qu'il s'est monstré si bon Pere envers nous. Mais quoi? Nous ne le faisons pas. Nous voyons donc en cela nostre ingratitude et nostre malice, et quand nous ne le sentirons, on voit qu'il n'y a qu'hypocrisie. C'est en somme ce qu'Eliu a voulu dire en ce passage.

Or il dit, C'est Dieu qui nous enseigne par dessus les bestes, et qui nous donne intelligence plus qu'aux oiseaux du ciel. Il fait ici comparaison entre

IOB CHAP. XXXV.

237

les hommes et les bestes: car si la terre et le ciel savoyent parler, il est certain qu'il faudroit qu'ils louassent Dieu, encores qu'ils n'ayent pas intelligence, et ne soyent point eslevez en telle dignité comme nous. Et pourquoi? C'est desia un grand honneur que Dieu leur a fait, qu'ils soyent l'ouvrage de ses mains, qu'ils soyent ses creatures. Or si Dieu a honoré le ciel et la terre et toutes creatures insensibles, d'autant qu'il lui a pleu de les former: s'il a honoré les bestes, combien qu'il les ait destituees de raison: que sera-ce de l'homme auquel il a donné une telle intelligence? Voila pourquoi Eliu fait ici comparaison de nous avec les bestes. Car à quoi a-il-tenu que Dieu ne nous ait fait comme des asnes ou des chevaux? Car l'homme le plus noble de la terre et le plus excellent ne pourra pas dire, Ie me suis formé, ou bien, i'estoye disposé à estre fait tel: car Dieu le pouvoit bien faire ou un chien ou un pourceau, quand il l'a fait homme. Il ne faut pas donc que nous cerchions la matiere en nous de ce que Dieu nous a fait creatures raisonnables: mais nous devons priser sa bonté envers nous voire quand il nous a tant honorez, que non seulement il nous a fait du rang de ses creatures, mais qu'il nous a eslevez par dessus les bestes brutes, nous donnant sens et raison, ce qu'il n'a pas fait à tous autres animaux. Et c'est ce qui nous est remonstré en S. Iean au premier chap. Que toutes choses tiennent leur vie de Dieu, et que ceste vie-là a esté de tout temps enclose en sa Parole eternelle: mais il y a une vie qui est en clarté, laquelle est pour les hommes. Quand il est dit que là est la vie des hommes, assavoir en ceste clarté, sainct Iean monstre que nous n'avons pas un mouvement brutal pour boire et pour manger: mals que nous avons discretion en nous, que Dieu nous a donné intelligence pour cognoistre le bien et le mal, pour aspirer mesmes à la vie eternelle, pour sentir qu'il y a un Dieu que nous devons honorer comme nostre Pere. Puis donc que Dieu esclaire ainsi les hommes, nous voyons qu'il y a une obligation beaucoup plus grande et plus estroite, que si simplement il nous avoit fait ses creatures. Car s'il n'y avoit que cela, Dieu. nous a formez de sa main, et bien desia si faudroit-il lui en rendre graces: mais quand il lui a pleu nous discerner d'avec les bestes brutes, et nous donner une vie noble et excellente comme nous la voyons, ne pouvons-nous pas bien dire, Et Seigneur, qui estions-nous? Et toutes fois il t'a pleu nous mettre ici au nombre de tes enfans, nous donner ta marque. Et d'où est-ce que cela nous vient? Pourrons-nous trouver rien qui soit en nous, pour dire que nous t'ayons incité à cela, ou que tu ayes esté induit par nostre dignité? Nenni: mais le tout procede de ta bonté gratuite. Nous voyons

238

donc maintenant ce qui est contenu en ce passage: c'est que nous avons assez d'occasion de louër Dieu, quand il n'y auroit sinon ce benefice general qui s'estend à tout le genre humain, c'est assavoir qu'il nous a donné sens et raison pour estre par dessus les bestes brutes.

Or il est vrai que ceste raison que Dieu a donné au premier homme est maintenant bien corrompue: car si nous demeurons en nostre nature nous sommes tellement pervertis que nous ne pouvons rien iuger de Dieu, nous sommes povres aveuglee, il n'y a que vanité en nous: et quant et quant nos cupiditez nous transportent tellement, qu'il n'y aura ni attrempance ni modestie en nous. Qui pis est, quand on fera comparaison de nous avec une beste brute, on trouvera plus d'integrité en un cheval ou en un boeuf, qu'on ne fera point en l'homme: car un cheval n'ayant point de raison toutes fois retient ce qui lui est donné: mais voilà l'homme qui s'est eslourdi du tout, tellement que la raison qu'il avoit, est convertie en malice, et au lieu de faire hommage à Dieu des biens qu'il a receus, il s'enorgueillist, et est du tout rebelle. Et puis cependant nous voyons que tout ce que nous cuidons avoir de sens, n'est que toute bestise: car quand il est question de penser à Dieu, ne voyons-nous pas comme les hommes sont entortillez en leurs superstitions? Qu'est-ce que les hommes peuvent comprendre de Dieu, sinon toute vanité, comme l'Escriture le monstre? Si donc les hommes s'esblouyssent ainsi quand ils pensent à Dieu: s'ils forgent un amas de superstitions quand ils le veulent servir: où est ceste raison et intelligence, laquelle Eliu magnifie ici tant? Or il est vrai que (comme i'ai dit) toute la clarté que nous avons de nature est convertie en tenebres, à cause du peché et de la corruption que nous tirons de nostre pere Adam: mais ce qui est de mal et de vicieux il nous le faut imputer à nostre faute: comme aussi cela n'est point de la nature que nous avons de Dieu. Nous ne pouvons point dire que cela vienne de la premier creation quand nous sommes tant enclins à errer, que nostre esprit est enserre en toute ignorance, que nous ne pouvons aller qu'en confusion quand nous croyons nostre esprit: il ne faut point, di-ie, que nous imputions cela, à Dieu: car il nous avoit creez à son image, et ceste image là a esté corrompue par le peché d'Adam. Et ainsi il faut que les hommes cognoissent leurs fautes et qu'ils se rendent coulpables devant Dieu de ce que nous sommes ainsi deffigurez, et que toute sa clarté est convertie en tenebres.

Or cependant il y a encores un autre poinct à noter, c'est qu'au milieu de toute nostre ignorance et de tous nos erreurs, et de toutes nos superstitions, encores nostre Seigneur nous tient convaincus,

SERMON CXXXVII

239

que nous avons une obligation inestimable envers lui de ce qu'il nous esleve par dessus les bestes brutes, quand il nous laisse quelque discretion de bien et de mal imprimee en nos coeurs. Et c'est ce que sainct Iean adiouste en ce passage que nous avons allegué, Que la lumiere luit parmi les tenebres: comme s'il disoit, Que nonobstant que le peché ait ainsi perverti le sens des hommes, et comme aneanti leur nature, toutes fois encores Dieu continue à les esclairer tellement qu'on apperçoit quelque trace de la creation premiere combien donc que nous n'ayons pas ce qui avoit esté donné du commencement à nostre pere Adam, et à grand peine en retenons-nous une petite portion: si est-ce que nous devons bien sentir que Dieu nous a fait un bien inestimable, quand il lui a pleu nous creer hommes, et qu'il nous a ainsi separez des bestes brutes. Or voila comme depuis le plus grand iusques au plus petit nul ne pourra point avoir occasion de murmurer contre lui: car il nous faut revenir à cela, Qu'est ce de nous? Qu'avons nous donné à Dieu? Qu'est-ce que nous lui pouvons alleguer pourquoi il soit tenu à nous? Mais au contraire il faut passer condamnation, que d'autant qu'il nous a creez à son image, qu'il nous a fait creatures humaines, en cela nous lui sommes obligez tant et plus. Et cependant notons, que maintenant si Dieu discerne entre les hommes, nous n'avons point occasion de gronder contre lui: comme nous voyons ces phantastiques quand on leur parle de l'election de Dieu, et qu'il choisist à salut ceux; que bon lui semble, ils regimbent et se rebecquent contre cela. Et comment? Que Dieu laisse ainsi ses creatures, et y auroit-il propos? Cela se feroit-il en equité? Voire? comme si Dieu avoit attaché aux hommes, et qu'il n'eust plus nulle authorité sur eux. Si Dieu a eu la liberté de nous pouvoir faire bestes brutes, et qu'il nous ait imprimé son image, voire et qu'il nous ait donné une dignité beaucoup plus haute: pourquoi est-ce que maintenant on viendra murmurer contre lui, s'il discerne entre un homme et un homme, et qu'il se face en son conseil estroit sans que nous sachions la raison, mais pour monstrer sa bonté? Car puis que desia il n'a point fait un homme beste: quand il l'eust peu faire: s'il le laisse en son naturel, avons nous dequoi murmurer à l'encontre de lui? Nous voyons donc que ceux qui blasphement ainsi contre l'election de Dieu, sont enragez, veu qu'il falloit retourner à ce propos qui nous est ici declaré: comme mesmes iusques aux Payens cela, à esté cognu. Car on voit qu'entre les Payens aucuns ont usé de ceste forme de louange envers Dieu. Il faut donc envoyer tels esprits phantastiques à l'escole des incredules: car ils ne sont point encores dignes qu'on leur remonstre par l'Escriture saincte leur

240

malice, voire coniointe avec un tel orgueil contre Dieu.

Mais cependant si la consideration des biens que Dieu a fait en general à tout le genre humain, nous doit inciter à le magnifier: quand il nous aura donné beaucoup plus, c'est qu'il aura reforme son image en nous, qu'il nous aura presenté sa parole, qu'il se sera monstré à nous beaucoup plus privément: n'aurons-nous point une occasion beaucoup plus grande de le magnifier, et en l'invoquant luy rendre actions de graces des biens que nous avons receus de luy? Il nous faut donc ici proceder par degrez: c'est de cognoistre en premier lieu, puis que Dieu nous a honnorez en nous faisant ses creatures, que desia nous sommes tenus à luy et n'y eust-il autre raison. Mais quand il nous a preferez aux bestes brutes, voire sans trouver dequoy en nous, qu'il l'a fait par sa pure bonté: voila encores en quoy il s'est monstré plus amiable. Et quand nous le venons cereher, il faut qu'une telle cognoissance nous face le chemin et nous ouvre la porte. Voici ie vien à mon Dieu, et en quelle qualité est-ce que ie le cerche? Non point seulement comme celuy qui m'a formé, mais comme celuy qui a desployé une grace paternelle envers moy: car ie suis creé à son image et semblance. Pourquoy est-ce qu'il m'a eslevé par dessus les bestes brutes? Ne voila point donc desia une matiere et occasion de fiance qu'il me donne de venir à lui? Et au reste si ie suis affligé de sa main, la raison que nous avons voue ci dessus, n'est-elle pas pour adoucir nos maux quelques griefs qu'ils nous semblent estre? Assavoir que si nous avons receu des biens de la main de Dieu, ne faut-il pas que nous souffrions d'estre chastiez de luy, quand il voudra user de rudesse envers nous? Voila donc du succre, par maniere de dire, qui est pour adoucir nos maux, quand nous reduisons en memoire les benefices de Dieu, cependant qu'il nous afflige: quand nous cognoissons, Et bien ie suis creature humaine, et Dieu m'a discerné d'avec les bestes brutes. Mais outre tout cela i'ay esté baptisé au nom ne nostre Seigneur Iesus Christ: et voici une seconde marque qu'il m'a imprimee, pour me monstrer qu'il me vouloit tenir de son troupeau. Mais entant qu'en moy est, i'avoye aneanti mon Baptesme, i'estoye un povre incredule: et voici Dieu qui m'a encores retiré à soy, il m'a illuminé au milieu de ces tenebres tant obscures qu'elles estoyent: mesmes i'estoye plonge iusques au profond d'enfer, et mon Dieu m'a tendu la main et voici Iesus Christ le soleil le iustice qui m'esclaire tellement qu'en contemplant sa face en la doctrine de l'Evangile, ie voy que la porte de Paradis m'est ouverte. Quand donc nostre Seigneur nous resiouist en telle sorte. n'avons-nous point

IOB CHAP. XXXV.

241

bien dequoy le magnifier, et n'avons-nous point aussi iuste occasion de nous humilier devant luy?

Or maintenant regardons combien on en trouve qui en usent ainsi? Il est vray, comme desia nous avons declaré, que ceux qui sont preoccupez de maux et de calamitez crieront à Dieu: mais comment est-ce? Ont-il premedité combien ils sont tenus à luy? Ont-ils fait un chemin par la cognoissance des graces qu'ils avoyent receues? Nenny: mais tout au rebours. Et ainsi donc, d'autant que les hommes ne cognoissent point Dieu comme leur facteur, et qu'ils ne reduisent point en memoire les biens qu'ils reçoivent de luy incessamment, et que sur tout ils ne cognoissent pas qu'il les a creez à son image: puis qu'ainsi est, ô il ne faut plus trouver estrange, si Dieu nous laisse ainsi languir pour pourrir en nos miseres: et que nous n'appercevions point que nous soyons assistez de luy: car nous n'en sommes pas dignes. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage. Or maintenant que nous faut-il faire à l'opposite? Puis qu'icy le sainct Esprit par la bouche d'Eliu redargue les hommes de leur perversité, et leur monstre, que s'ils ne sont soulagez de Dieu, et qu'il ne les delivre point de leurs maux, c'est d'autant qu'ils ne le cerchent point on verité: advisons quand nous sommes pressez de maux, de tousiours faire bouclier des biens que Dieu nous aura faits à l'opposite. Il est vray que ceste affliction ici est tant amere, que si tu ne regardes que là, ce seroit pour te faire tomber en desespoir: mais ton Dieu ne s'est-il point monstré Pere envers toi, voire on tant de façons que tu dois bien sentir sa faveur et sa bonté? Il faut bien donc que tu ayes tous tes

sens enclos là dedans, et que tes actions ne se debatent point par trop. Voila, di-ie, où il nous on faut venir. Et au reste quand nous aurons bien pensé aux graces de Dieu, qu'elles nous servent à double usage. Le premier doit estre, de nous certifier que nous ne serons point frustrez en nous oraisons. Puis que Dieu devant que ie fusse nay s'est desia monstré si liberal envers moy, et qu'il a continué tout le temps de ma vie, et que c'est une chose infinie que de sa bonté: faut-il que ie doute, quand ie le viendray invoquer, qu'il ne m'exauce? Voila donc comme nous prendrons les graces de Dieu, pour nous faire conclure que ce ne sera point temps perdu de le requerir. Et puis pour le second il nous faut aussi armer à patience: pourtant quand nous pensons ainsi aux benefices de Dieu, que cela nous serve de consolation du temps qu'il nous afflige: que nous ne savons point si malins de nous despiter contre luy, mais plustost que nous cognoissions, Et bien puis que mon Dieu m'a formé, n'est-ce pas raison qu'il ait tout droit par dessus moy, et qu'il me gouverne à son plaisir? Quand donc nous viendrons nous remettre ainsi à sa bonne volonté: encores qu'il nous afflige, nous ne lasserons point pourtant de nous assuiettir à luy. Et pourquoy? Nous avons receu tant de biens de sa main: et ainsi il ne faut pas que maintenant nous presumions de nous exempter de son ioug. Voila donc les doux choses, où il nous faut appliquer la cognoissance des graces de Dieu, quand nous le voudrons invoquer en verité.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

242

LE CENT TRENTEHUICTIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXXV. CHAPITRE.

12. Là ils crieront, et Dieu ne les exaucera point à cause de l'orgueil des meschans. 13. Toutes fois c'est vanité, Dieu n'oit point, et le Tout-puissant n'y prend point garde. 14. Tu as dit, Il ne te voit point, il y a iugement devant luy, atten-le. 15. Or maintenant ce qu'il visite, n'est pas en fureur et ne chastie point en ire grandement. 16. Mais Iob a ouvert en vain sa bouche, et a multiplié paroles sans intelligence.

Pource que la premiere sentence que nous avons maintenant recitee se doit conioindre au

propos qui fut hier tenu, il nous faut avoir memoire de ce que nous avons desia declaré. C'est que Dieu quand il n'exauce point ceux qui sont affligez, nous monstre qu'il leur faut imputer cela, pource qu'ils ne viennent point à luy d'un coeur droit et pur: comme Eliu a deduit qu'il nous faut cognoistre les biens et graces que nous avons receuës de la main de Dieu, quand vous venons le cercher: car autrement nous ne pouvons pas esperer en luy. Quel est le fondement de nostre foy? Ce sont les promesses gratuites que Dieu nous donne. Mais cependant

SERMON CXXXVIII

243

l'experience que nous avons de sa bonté, est pour confermer ce que nous savons desia de sa parole. Et ainsi ceux qui n'ont point comprins ne gousté les graces de Dieu, ne peuvent point venir à luy qu'en hypocrisie. D'avantage, quand nous ne cognoissons pas combien nous sommes tenus à Dieu, il est impossible que nous soyons patiens pour luy obeir, et qu'aussi nous demeurions coys sans murmurer contre sa volonté.

Ainsi donc maintenant Eliu adiouste, Que là ils crieront: comme s'il disoit, Et bien, il est vray que les hommes crieront à Dieu, quand le mal les tourmente: mais en quel estat sont-ils? Viennent-ils devant sa face disposez comme ils doivent? Il s'en faut beaucoup: car ils ne pensent aucunement aux biens qu'ils ont receus de sa main, ils n'en font point leur profit pour y appuyer leur confiance. Ainsi donc les hommes crieront pour l'outrage: mais ils n'ont point d'approche à Dieu, il n'y a point d'ouverture en leur coeur: et pourtant si Dieu ne les exauce pas, nous devons imputer cela, à leurs vices, et non point dire que Dieu ait oublié le monde, et qu'il ne face point son office, ou qu'il soit comme endormi. Quand donc les hommes cercheront Dieu en verité, il leur sera prochain: et sa main se monstrera assez tost pour les secourir: mais cependant qu'ils hurlent comme des bestes sauvages, et ne regardent point droit au but où ils se doivent adresser, leur cri sera inutile. Et pourtant notons bien qu'auiourd'huy nous ne serons point exaucez de Dieu, voire pour sentir son aide, quand nous ne serons point asseurez et que nous crierons en nous tempestant: mais le principal est de le cognoistre tel qu'il se monstre, Pere et Sauveur, nous appuyer sur sa bonté, voire reduisant en memoire les tesmoignages que nous en avons desia senti, afin que cela nous donne courage de le cercher comme il faut. Et alors ne doutons point que nous ne l'ayons bien tost trouvé: mesmes il n'attendra point que nous facions longs circoits: car il viendra au devant de nous Et ainsi voyons nous que la priere ne consiste pas en ceremonie, mais il faut que le coeur soit droit à Dieu: ouy, et que Don seulement nous sentions nous maux, pour desirer qu'il y remedie, mais qu'avec foy nous loy demandions qu'il se monstre Pere et Sauveur: et que ceste foy-la estant fondee sur ses promesses, se conferme aussi en tant de signes qu'il nous donne: et quand nous aurons experimenté, combien il nous est bon et pitoyable, que nous puissions appliquer cela, à nostre instruction pour estre droitement munis Et au reste, qu'en requerant Dieu qu'il nous face merci, nous luy apportions sacrifice de louange, pour les biens desquels nous loi sommes desia obligez.

Or apres qu'Eliu a ainsi parlé, il adiouste, que

244

ceux qui n'apprehendent point la providence de Dieu ont dit, O tout cela n'est que vanité, Dieu n'oit point, et le Tout-puissant n'y prend point garde. Ceste obiection ici est faite en la personne des incredules: car combien qu'on leur remonstre que Dieu non sans cause laisse croupir les hommes en leurs miseres, pource qu'ils ne viennent point à luy en foy et en obeissance: tant y a qu'ils ne peuvent concevoir ceste raison, et imaginent à l'estourdie que Dieu n'oit point, et qu'il semble bien qu'il laisse aller le monde en confus, que les choses se manient ici bas par fortune. Voila donc comme les incredules apprehendent d'un sens brutal, et soudain ce qui se monstre à leurs yeux, sans discerner: comme si nous ne Voulions point noter une raison qui nous sera toute presente, et que nous cognoistrons defait: O, ie voy que cestoy-ci a fait telle chose. Ouy, mais il faut savoir plus, et entendre la raison: O, ie ne m'en veux point enquerir. N'est-ce pas nous priver de sens et raison? N'est-ce pas clorre les yeux à la clarté? Autant donc en font les incredules. Ils voyent que Dieu n'exauce point ceux qui crient: or la dessus c'est à se tempester, voire et à accuser Dieu. Et pourtant il ne se faut point esbahir, si Dieu ne fait point sentir son secours et sa grace à ceux qui ne font que le despiter en leurs miseres, et qui ne loy rendent nulle obeissance, et ne le requierent point en telle qualité comme ils doivent. Ainsi donc Dieu a iuste raison de laisser ainsi les hommes perir. Et pourquoy? D'autant qu'il les appelle à soy, et ils n'y viennent point par le chemin qu'ils doivent. Si on remonstre cela aux incredules, ils ferment les yeux, ils n'y pensent point. N'est-ce pas donc autant comme s'ils disoyent qu'il n'y a point de providence de Dieu, et qu'il ne regarde point à nous? n'est-ce pas l'ensevelir que cela? Et neantmoins voila où nostre raison charnelle nous transporte, sinon que nous soyons retenus en ceste bride d'humilité et de modestie, pour iuger des oeuvres et des iugemens de Dieu selon que sa parole nous monstre. Cecy donc est maintenant recité par Eliu en la personne des incredules. Or ce n'est point sans cause que le sainct Esprit a mis en avant un tel blaspheme: car c'est afin qu'un chacun de nous pense à soy. Nous avons la semence d'une telle perversité en nostre nature, qu'à tous coups nous serons transportez en ceste furie de nous fascher contre Dieu, et conclure qu'il ce fait point son office. D'autant donc que nostre esprit est plein d'une telle arrogance, et que nous sommes desbordez iusques là de pervertir toute raison: ceci nous est mis au devant, afin que nous apprenions de nous humilier quand il est question de iuger des choses que Dieu fait et ordonne. Pourtant que nous ne laschions point la bride à nostre nature, mais escoutons

IOB CHAP. XXXV.

245

Dieu parler, et pesons bien les raisons qu'il nous amene.

Et sur tout notons bien ce qu'Eliu conioint ici: car apres qu'il a fait ceste obiection il adiouste, Combien que tu dises, Dieu ne voit point. il y a iugement devant sa face: atten-le. Ici Eliu remedie à ceste perversité qui a esté descouverte, afin que nous pensions au mal qui est en nous, pour n'y point adherer. Il est vray que ces propos pour leur brieveté sont comme rompus: mesmes pource qu'il y a Voici tu dis, ou bien, combien que tu dises, Il ne le verra point, ce mot se peut prendre aussi pour la personne de Iob: comme si Eliu luy reprochoit qu'il a pensé, Tu ne verras point Dieu tu ne cognoistras point que c'est de luy. Mais quand tout sera bien regarde, la sentence doit estre liee, et quant et quant aussi de l'autre coste distinguee. Combien que tu dises donc, Il ne le verra point, par cela Eliu signifie que les hommes s'avancent par trop, et qu'ils doivent cognoistre leur rudesse et leur petite mesure: car ce n'est point à eux de regarder Dieu, c'est à dire, de le sonder iusques au bout. Vray est qu'il nous faut regarder à Dieu tousiours: mais en premier lieu nous luy devons demander qu'il nous donne les yeux. Et cependant aussi nous le devons contempler au miroir qu'il nous presente, C'est assavoir en sa parole, et puis en ses oeuvres, et cheminer en telle sobrieté que nous ne vueillions point nous enquerir plus qu'il ne nous est licite, et qu'il ne nous le permet. Il y a donc une façon de regarder Dieu qui est bonne et saincte, C'est que nous le contemplions d'autant qu'il luy plaist se manifester à nous, et nous defians de nostre intelligence, que nous luy demandions d'estre illuminez par son sainct Esprit, et que nous n'ayons point une curiosité trop grande ni presomption de savoir plus qu'il ne nous permet. Mais quand nous voulons regarder Dieu en face, que nous ne voulons point que rien nous soit caché, que nous voulons entrer en ses conseils incomprehensibles iusques au plus profond des abysmes: voila une arrogance insupportable, et les hommes alors se confondent du tout. Apprenons donc quel moyen nous avons à tenir pour voir Dieu: que ce n'est pas d'y aller avec une hastiveté trop grande: mais qu'il nous faut estre sobres cognoissans la petite mesure de nostre esprit, et la hautesse infinie de la maiesté de Dieu. Et au reste puis que luy s'est declare à nous, selon qu'il savoit nous estre propre et utile pour nostre salut: tenons nous à ceste cognoissance qu'il nous en donne, et n'allons point nous esgarer ne çà ne là Voila donc ce que maintenant Eliu dit à Iob: Combien que tu dises le ne le verray point: comme s'il disoit, Il est vray que tu parles, mais c'est trop hardiment: tu t'ingeres plus que tu ne dois: car regarde qui tu es:

246

regarde quel est Dieu, et baisse les yeux, et oublie cest orgueil qui est en toy.

Et puis il adiouste, Il y a iugement devant sa face, ou iuge toi: car le mot se peut exposer en deux sortes. Si nous le prenons pour iuge toi: c'est une exhortation à humilité et repentance: comme si Eliu disoit, Povre homme ie te voy ici eslevé contre Dieu: et qui en est cause, sinon que tu ne te iuges point? Ainsi entre en toy, regarde à tes povretez: et alors il faudra que tout orgueil soit abbatu. Voila donc le remede qui nous est ici donné par le sainct Esprit, pour nous redarguer, quand nous sommes esgarez, et que nous avons conceu par nostre infidelité contre Dieu des phantasies mauvaises et soudaines: car si nous voulons estre ramenez au bon chemin, il nous faut descendre en nous-mesmes, faire un examen de nostre ignorance et de nos pechez: et alors nous demeurerons confus, et oublierons toutes les phantasies extravagantes desquelles nous estions transportez çà et la. Voila quel seroit le sens, et quelle doctrine il nous faudroit recueillir, si nous prenions ce mot pour iuge toi. Mais le sens naturel du passage c'est qu'il y a iugement devant la face de Dieu, dit Eliu, et pourtant il conclud, qu'on l'attende. Or ici il y a un regard opposite entre la face de Dieu et notre regard: comme si Eliu disoit que Dieu ne laisse pas d'estre iuste, encores que cela ne nous soit point apparent. Quand donc nous demandons si Dieu gouverne le monde, s'il dispose toutes choses en equité, il ne faut pas que nous le mesurions selon que nous le pouvons apercevoir. Et pourquoy? Car le iugement de Dieu est trop haut, nous n'y pourrons point parvenir du premier coup. Notons bien donc que Dieu voit ce qui est bon et iuste, et nous y sommes aveuglez souventosfois Qu'est-il donc question de faire? Il ne faut sinon l'attendre: comme il faut que l'esperance nourrisse l'homme fidele, pour le rendre paisible et obeissant à Dieu: et nous savons qu'il nous faut esperer quand les choses ne nous sont point visibles.

Maintenant donc nous avons le sens naturel du passage, il reste de l'appliquer à nostre instruction. Combien que tu dises, tu ne le verras point: Ceci nous monstre qu'il ne nous faut point avoir la langue si habile, de decliquer incontinent ce que nous pensons de Dieu: mais nous faut brider nos langues, et tenir nos pensees captives, sachans que Dieu nous veut tenir en humilité, quand il ne nous monstre point la raison de toutes ses oeuvres. Ceux don qui ne voudront point estre condamnez par l'Esprit de Dieu, qu'ils regardent à ne se point ingerer pas trop. Voila pour un Item. Et pourquoi? Ceci doit bien estre pesé, Que nous ne pouvons par regarder Dieu. Or il est vray (comme desia nous avons dit) qu'il nous fait ceste race et

SERMON CXXXVIII

247

privilege, de se monstrer à nous: mais c'est comme il cognoist nous estre expedient. Dieu donc estant invisible en soy, se declare au miroir qui nous est propre: c'est en sa parole, et puis en ses oeuvres: mais cependant si est-ce qu'il ne nous faut point enquerir de luy par trop. Et voila pourquoy aussi il nous renvoye tousiours à ce moyen qu'il a tenu pour nous soliciter à le cognoistre. Car il sait l'audace, il sait aussi la legereté qui est en nos esprits, et que nous sommes si volages que C'est pitié. Or ce sont deux grans vices, quand les hommes sont ainsi hardis, et qu'ils ont un appetit desbordé. Il y a d'autre costé l'ignorance, ou plustost la bestise: il y a d'avantage la perversité. Et ainsi nous avons besoin d'estre retenus en ce moyen que Dieu nous donne: c'est de nous contenter de ce qui est contenu en l'Escriture Saincte: sachans que lors nous ne serons plus en danger d'errer, quand nous tirerons ce chemin-la sans extravaguer, et que nous comprendrons les oeuvres de Dieu, non point pour en iuger selon nostre cerveau et ce que bon nous semble, mais moyennant que nous oyons ce qu'il nous dit par sa parole, et que nous souffrions d'estre enseignez de sa bouche, que nous ne vueillions avoir autre subtilité en nous que cela. Et au reste, puis qu'il est dit que nostre Seigneur Iesus est l'image vive en laquelle nous contemplons tout ce qui nous est bon et propre de cognoistre: arrestons nous là: comme aussi en l'autre passage il est dit, Que tous les thresors de sagesse et d'intelligence sont cachez en luy. Notons bien donc que nous sommes povres aveugles, et que si nous voulons nous enquerir de Dieu de nostre sens propre, il nous sera cache, et que iamais nous n'en approcherons: tant s'en faut que nous y puissions parvenir. Il faut donc que nous apprenions à nous condamner du tout, confessans qu'il n'y a en nous que pure bestise. Avons-nous cognu cela? Que nous prions Dieu, qu'il nous illumine par son sainct Esprit: que nous ne soyons pas pleins de fierté et d'orgueil pour dire, le suis suffisant pour m'enquerir. Gardons-nous de ceste presomption diabolique: mais humilions nous devant Dieu, le prians qu'il nous esclaire. Et cependant aussi, puis qu'il a ordonné ce moyen de se declarer à nous par sa parole, que nous demeurions la comme attachez, et que nous n'attentions point de passer plus outre. Voila donc quant au premier article qui nous est ici monstré.

Or venons maintenant à ce qui est dit, Qu'il y a iuyement devant sa face, et que nous le devons attendre. Nous avons desia touché qu'il ne nous faut point estimer les iugemens de Dieu par nostre veuë, car elle est trop courte, et mesmes elle est tant obscure que c'est pitié. Quoy donc? Sachons que Dieu habitant en une clarté inaccessible (comme

248

l'Escriture en parle [1. Tim. 6, 16l) se reserve la cognoissance des choses qui nous sont trop profondes. Concluons donc que Dieu est iuste, encores que nous ne le voyons point: et toutes fois et quantes que nous trouvons estrange ce qu'il fait, pour en estre scandalisez: pensons, Et povre creature, il est vray que tu as des yeux: mais ils sont trop esblouis, mesmes ils sont aveugles du tout: et si ton Dieu t'illumine, voire en quelque portion, cependant il te veut retenir, afin que tu luy faces cest honneur de le confesser estre iuste. Puis qu'ainsi est donc que tu as le sens et l'esprit si debile: quand tu voudras comprendre la sagesse infinie de Dieu, où sera-ce aller? Ainsi donc remets à ton Dieu les choses où tu es confus: car tu ne vois point ici de raison: cependant que tu retiennes ceste leçon-la, et qu'elle te soit bien resoluë en ton coeur, c'est Qu'il y a iugement devant la face de Dieu. Voila, di-ie, comme il nous faut chastier ceste hardiesse qui est en nous: afin de confesser, encores qu'il nous semble que nous eussions occasion d'entrer en dispute contre Dieu, toutes fois qu'il voit ce qui nous est caché. Et c'est la comparaison des choses opposites dont i'ay parlé n'agueres. Quand donc il est dit, Qu'il y a iugement devant la face de Dieu, il nous est aussi declaré que ce n'est point devant nostre face: comme si Eliu disoit, Dieu voit et non pas l'homme: Dieu cognoist, et l'homme est ignorant.

Ainsi donc voulons-nous reserver à Dieu l'honneur qu'il m rite? Il nous faut despouiller de ceste vaine presomption de laquelle nous sommes tous enflez de nature: car nous voulons estre par trop sages: nous sommes tousiours chatouillez de cest appetit diabolique de nous vouloir enquerir de ce qui ne nous appartient pas. Ainsi donc contentons-nous de glorifier Dieu, luy attribuans ce qui luy est propre, a savoir une sagesse qui surmonte tous nos sens et nostre mesure. Mais il est impossible que cela se face sans l'esperance: car c'est celle qui nous retient, afin que nous obeissions à nostre Dieu: c'est celle qui nourrist nostre modestie et humilité. Et defait si nous n'esperions que les choses deussent aller mieux, et que Dieu y donnera une issue que maintenant nous ne pouvons appercevoir: il est certain que iamais nos esprits ne seroyent à repos. Notons bien donc que pour donner à Dieu la gloire qui luy appartient, confessans qu'il est iuste, il nous faut esperer. Et si maintenant les choses vont mal, que tout soit troublé, qu'il semble que le ciel et la terre doivent estre meslez ensemble: toutes fois il nous faut appuyer sur ces promesses que Dieu nous donne: c'est que s'il convertis les tenebres en clarté (comme il l'a monstre en la creation du monde) s'il sait tirer le bien du mal: les choses qui semblent estre du tout

IOB CHAP. XXXV.

249

perverses, il les appliquera, à tel usage, qu'on cognoistra en la fin qu'il a une sagesse admirable: mais ce n'est pas du premier coup. Il y a donc ici une bonne doctrine et admonition: c'est que nous devons iuger non point selon nostre premier regard (car ce iugement-la seroit trop hastif et temeraire) mais qu'il faut que l'esperance marche et qu'elle soit comme une lampe pour nous monstrer le chemin. Et quel est l'huile de ceste lampe ici? c'est à dire, comment est-ce que nous en sommes esclairez? Nous tenans aux promesses de Dieu.

Quand donc nous attendrons patiemment que Dieu besongne selon qu'il le prononce de sa bouche, et que sa main se desploye en temps opportun: alors nous apprendrons d'estre modestes, et de le glorifier, confessans qu'il est iuste en tout ce qu'il fait: combien que nous soyons ici troublez, et qu'il semble que nous soyons au milieu de beaucoup d'abysmes. Et c'est la vraye estude des Chrestiens que Ceste-ci. Et au reste voila pourquoy auiourd'huy nous sommes tant aisement transportez, voire du tout desbauchez: à cause que nous n'avons nul repos, mais sommes agitez d'inquietude: voire d'une inquietude bouillante, que nous voudrions que Dieu se hastast selon nostre phantasie. S'il ne fait les choses comme nous l'avons pensé en nostre esprit, il nous semble que tout est perdu et desesperé, d'autant que nous ne l'avons point attendu: car cependant que nous pensons à nous seulement, voila qui est cause de nous faire ainsi despiter, et qu'on ce trouve nulle obeissance au monde. Et ainsi d'autant plus nous faut-il pratiquer ceste doctrine. Quand donc nous voyons les choses estre en grand trouble qu'il semble que Dieu ait les yeux fermez, qu'il nous ait tourné le dos, cognoissons que c'est à cause de nos pechez. Et cependant toutes fois que cela conferme nostre foy, et que nous soyons paisibles: sachans que c'est l'office de Dieu de nous imposer silence iusques à ce que le temps opportun soit venu, voire et qu'il le cognoisse. Car ce n'est point à nous de luy imposer certaine loy, pour dire Il faut que cela soit en telle sorte, il faut que cela aille ainsi: mais que nous apprenions de nous reposer en Dieu, et alors tout orgueil sera abbatu, pour trouver bon, droit, et iuste tout ce que Dieu fera, encores qu'il nous semble estrange de prime-face. Voila donc ce que nous avons à noter de ce passage.

Or Eliu adiouste, Que ce que Dieu maintenant visite, ou qu'il punist, n'est rien en son ire: et qu'il ne cognoist point en multitude grandement. Il est vray que ce passage ici est un peu obscur: mais le sens naturel en somme est tel, que maintenant combien que Dieu se monstre rude et aspre: toutes fois si nous cognoissions que c'est de son ire, combien

250

elle est espouvantable, nous dirions, Ce n'est rien de oc que nous voyons auiourd'huy. Et pourquoy? Car il ne veut point cognoistre les choses iusques au bout, il ne les sonde pas trop profond: mais il pasee par dessus tant seulement, et à la legere comme on dit. Par ceci Eliu nous a voulu monstrer que quand nous sommes affligez iusques au bout, qu'il semblera que Dieu foudroye tellement sur nous, que c'est pour nous accabler: il nous faut contempler que c'est de son ire, et que s'il la vouloit du tout desployer, ce ne seroit point seulement pour ruiner un seul homme, mais cent mille mondes, et pour les consumer du tout et mettre à neant. Voila donc où nous sommes ramenez par le sainct Esprit. Et c'est encores une admonition bien utile, pour nous faire adoucir les afflictions que Dieu nous envoye. Car qui est cause de nous faire penser que nous sommes tormentez sans mesure? Et c'est qu'il nous semble que Dieu ne pourroit pis faire: et nous ne le saurions plus despiter de nostre part, que quand nous concevons telle estime.

Ainsi donc apprenons suivant ce qui nous est ici monstre, de iuger que c'est de l'ire de Dieu, c'est à dire combien elle est espouvantable: et combien qu'il se monstre fort rude envers nous, toutes fois sachons que ce n'est point la centieme partie de ce que nous sentirions, quand il voudroit executer une telle rigueur que nous l'avons merité. Quand donc nous pourrons cognoistre que l'ire de Dieu est telle, qu'elle pourroit abysmer en une minute de temps cent mille mondes, et qu'il n'y auroit ny hommes en la terre, ny Anges, au ciel, qui la peussent soustenir, qu'il n'y auroit ne ciel, ne terre, ne rien qui soit, que tout ne fust comme fondu en neige, voire qu'il ne fust du tout aneanti: nous devrons bien nous humilier encores que Dieu nous traitte asprement, et qu'il nous envoye des chastimens qui nous soyent fort rudes. Car tant S a qu'encores devons nous estre patiens, veu que Dieu nous espargne et nous supporte. Et defait n'avons-nous point occasion de lui rendre graces en premier lieu, voyans qu'il ne desploye point sa fureur contre nous selon que nous en sommes dignes? Ne voila point matiere de prendre courage, et de nous esiouir pleinement au milieu de nos afflictions? quand nous regardons, Il est vray que ie suis ici comme accablé de maux, et semble bien que Dieu me vueille faire du tout perir: mais tant y a qu'il s'en faut beaucoup que sa rigueur soit telle sur moy, comme ie la pourroye sentir sinon qu'il eust regard à ma foiblesse. Puis donc que mon Dieu me supporte, i'espereray en luy, ie ne cesseray point de le cercher: car encores il me donne un signe que ie puis avoir accez pour approcher de luy. Voila, di-ie, comme en cognoissant

SERMON CXXXVIII

251

que Dieu nous supporte, nous avons occasion plustost de le benir on nos afflictions : et cependant nous sommes aussi instruits, à esperer en luy, veu qu'il nous ouvre la porte, afin que nous puissions encores luy demander pardon de nos pechez, et le requerir qu'il ait merci de nous .

Et pourtant pesons bien ces mots d'Eliu, quand il est dit: Que ce n'est rien ce que Deu visite maintenant voire quant à son ire: qu'il nu nous faut point regarder, quoy? Le mal est grand, ie n'en puis plus. Il est certain que si l'homme fait comparaison de ce qu'il peut endurer ici bas, et qu'il dresse les yeux sur l'ire de Dieu, il verra que ce n'est rien à la verité de tout ce que nous pouvons endurer. Or voyans que ce n'est rien, et que Dieu ne nous cerche pas iusques au bout, et qu'il passe seulement par dessus et à la legere (comme on dit) qu'il fait comme semblant de cognoistre de nous, mais qu'il ne nous veut point examiner si estroitement, pource que nous ne le pourrions pas porter: voyans cela, di-ie, que nous apprenions de retenir tous nos murmures: et si nostre chair nous solicite à impatience (comme nous y sommes par trop adonnez) que ce remede ici soit pour corriger un tel vice. Comment? Povre creature où t'adresses-tu? Veux-tu ainsi despiter ton Dieu? Et tu vois qu'encores il te supporte: tu l'as tant provoqué que tu meriterois bien d'estre exterminé cent fois du monde, et il ne veut point desployer son ire sur toy: tu serois digne d'estre abysmé au plus profond d'enfer, et tu vois qu'il fait luire son soleil sur toy, il te nourrist de son pain et à ses despens, il te maintient en la vie presente: et tu n'es pas digne d'estre au nombre des oeuvres qu'il a creées, et cependant encores il te donne loisir de retourner à luy. Quand nous pensons, à cela, il y a dequoy nous consoler, pour n'estre point agitez par trop d'impatience. Voila donc en somme la doctrine que nous avons à retenir de ce passage.

Or cependant notons, que si auiourd'huy nostre Seigneur ne nous visite point selon son ire, et qu'il ne cognoisse point les choses iusques au bout, il ne nous faut point endormir là dessus: car le grand iour viendra, auquel rien ne sera oublié. maintenant Dieu dissimule, et ne punist point les meschans: eux se donnent licence comme s'ils estoyent desia eschappez de la main du iuge, et qu'il ne fallust point rendre conte: mais le temps leur sera cher vendu, quand ils abusent ainsi de la patience de celuy qui les vouloit soliciter à bien, pour voir ils s'amenderoyent. Quand donc les meschans se mocquent ainsi de Dieu, il faudra qu'une horrible vengeance tombe en la fin sur leur teste: mais cela sera au grand iour. Au reste si Dieu nous espargne, ne laissons point d'estre vigilans: et quand il nous chastiera, que nous serons batus de

252

ses verges, regardons tousiours, à son ire combien elle est espouvantable: et sur cela concluons qu'il nous adiourne tant seulement. Et pourquoy? Afin que nous prevenions son iugement dernier. Pensons donc tousiours à ce grand iour: et n'attendons pas d'estre preoccupez de la venue de Iesus Christ, mais que chacun se condamne quand Dieu nous incite à cela. Et au reste, que nous ayons tousiours ceci imprimé en nostre memoire Que Dieu se souvient de sa misericorde au milieu de son ire: et que cela est cause qu'il ne cognoist point en multitude grandement. Car quelle est la multitude de nos pechez? le voua prie, quand chacun se voudra examiner comme il doit: ne trouvera-il point un nombre infini d'offenses, voire si enormes qu'il sera là du tout effrayé? Or ce que nous ne cognoissons point la grandeur de nos maux, c'est nostre hypocrisie qui nous empesche, et nous tient les yeux bandez. Mais quand l'homme voudra faire un bon examen, il est certain qu'il se trouvera cent mille fois confus, devant que d'estre venu à my chemin. Car Dieu voit plus clair que nous beaucoup: quand nous aurons cognu une faute, Dieu en cognoist cent mille. Or en cognoissons nous cent mille et millions: que sera-ce donc de ce Iuge celeste?

Ainsi de le notons que Dieu se retient par sa misericorde, afin de ne nous point cognoistre en multitude, c'est à dire, de ne point s'enquerir iusques au bout. Et notamment ici Eliu dit, En multitude beaucoup pour signifier qu'il seroit impossible que toutes creatures subsistassent, sinon que Dieu le espargnast par sa bonté, et qu'il diminuast tousiours la rigueur des punitions que nous avons merité par nos pechez. Or là dessus (comme i'ay desia dit) il nous faut bien sentir qu'il y a un iugement tout autre qu'on ne le peut appercevoir en ce monde: mais nous ne le cognoissons point auiourd'huy, et Dieu nous supporte. Et quand nous sommes venus à ceste humilité de nous condamner, et requerir pardon de luy, ne doutons point quand au dernier iour nous comparoistrons devant son siege, que là toua nos pechez ne soyent effacez: et sachons que ce que maintenant il cognoist en partie sur nous, c'est afin de ne cognoistre rien du tout à ce dernier iour-la: et que la memoire de nos offenses sera tellement abolie qu'elles ne viendront point en conte devant luy, que nous serons la receus comme iustes: comme s'il n'y avoit eu en nous que toute innocence et integrité. Voila donc comme il nous faut approprier ceste doctrine à cest usage, que nous apprenions de cheminer tellement en esperance, que nous tendions tousiours, à la venue de nostre Seigneur Iesus Christ: et au reste, que nous en facions aussi bien nostre profit, quand nous voyons que nostre Seigneurs

IOB CHAP. XXXVI.

253

monstre signes de son ire et de sa vengeance, Comme auiourd'huy, helas quelles sont les calamitez qui se voyent par tout le monde? Et nous pourrions dire que Dieu est du tout aliené de nous, n'estoit que nous eussions ceste doctrine pour nous munir. Et defait quand nous aurons bien pensé aux iniquitez si enormes, comme elles regnent par tout: on voit bien que Dieu supporte le monde, et qu'il n'y va pas en telle rigueur comme les hommes l'ont merité. Sur cela donc apprenons de retourner à luy de tant meilleur courage, ne doutans point qu'il ne nous reçoive. Et au reste que nous tenions captives et bridees nos pensees et affections: et puis qu'Eliu a ici condamné les mauvaises pensees et tous propos volages, et toutes imaginations fausses: que nous requerions à Dieu, que premierement il purge nos coeurs de toutes mauvaises phantasies, ausquelles nous sommes par trop enveloppez: et puis, qu'il gouverne nos langues,

et que nous ne prononcions rien qui ne soit à son honneur, suivant la requeste que fait David, Seigneur ouvre mes levres, afin que ma bouche annonce ta louange. Ainsi donc nous avons bien occasion de prier Dieu qu'il gouverne tellement et nos esprits et nos langues, que tout ce que nous penserons et dirons soit à son honneur. Car s'il a fallu que David ait demandé cela, à Dieu, luy qui estoit si sainct Prophete: que sera-ce de nous, qui sommes si mal apprins? Puis qu'ainsi est donc, avisons que tout ce que nous penserons de Dieu, soit pour l'estimer bon, sage, et iuste en tout et par tout: et que ce que nous prononcerons de bouche, soit pour l'invoquer et luy rendre action de graces, de sa bonté qu'il nous fait auiourd'huy sentir, attendans que nous en soyons pleinement rassasiez.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

254

LE CENT TRENTENEUFIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XXXVI. CHAPITRE.

1. Eliu derechef parla, et dit, 2. Enten moy, et ie deviseray avec toy: car il y a encores propos de Dieu. 3. I'estendray ma science au long, et prouveray celuy qui m'a fait estre iuste. 4. Mes propos sont sans mensonge, et envers toy sera le parfait de science. 5. Dieu estant puissant ne reiette point, voire puissant de force de coeur. 6. Il ne vivifie point le meschant, et donne iugement aux affligez. 7. Il ne destournera point ses yeux du iuste.

Ceux qui par ci devant ont debatu que Dieu ne laisse en ce monde nul peche impuni, se sont trompez: comme il a esté declare plus à plein. Et defait nous Voyons que Dieu se reserve beaucoup de fautes à punir, afin de nous faire regarder plus loing: car si maintenant il exerçoit un iugement entier, et où il n'y eust que redire, nous n'aurions point occasion d'esperer la venue de nostre Seigneur Iesus Christ: il n'auroit plus que faire de iuger le monde: car desia tout seroit fait, Ainsi donc Dieu punist tellement ici bas les pechez, que cela ne se fait pas tousiours, ny egalement: c'est assez qu'il donne quelque signes et marques qu'il est Iuge du monde. Le semblable aussi s'apperçoit quant à maintenir les bons. Il est dit

que Dieu gouverne les siens, et qu'il est le Sauveur de ceux qui se remettent à luy, qu'il les delivre de tous leurs maux: voire, mais cela ne se fait pas en sorte qu'il ne permette quelquesfois que les bons soyent affligez: et mesmes il ne semble pas qu'il les vueille secourir, encores qu'ils l'invoquent. Il faut donc que nous cognoissions tellement la providence de Dieu, que nous sachions qu'il se reserve beaucoup de choses iusques au dernier iour. Et c'est l'argument que doit traitter ici Eliu. Ce chapitre donc ne porte autre chose, sinon que quand nous ouvrirons les yeux, nous pourrons aisement contempler que Dieu tient la bride dessus toutes choses humaines, et qu'il se monstre avoir le soin de nous. Il est vray que nous ne verrons pas un estat parfait et tel qu'il seroit à desirer: il s'en faut beaucoup: mais la raison y est toute patente, c'est assavoir que Dieu nous veut ici exercer en beaucoup de combats: et pluie, qu'il nous veut attirer plus loin, assavoir que nous cognoissions qu'il y aura une iournee où tout sera restabli: que si maintenant les choses vont mal, c'est afin que nous soyons tant mieux solicitez à demander que le Fils de Dieu apparoisse, et qu'il repare tout: comme c'est son office, et il a promis de le faire.

SERMON CXXXI

255

Or Eliu devant que traitter ce que nous avons dit, C'est assavoir, Que Dieu gouverne le monde, qu'il dispose les choses en sorte que sa iustice s'y monstre par experience, use ici d'une preface. Escoute moy, dit-il, car i'ay encores à dire propos de Dieu. Et quels? I'estendray ma science loin, dit-il, an de prouver que celuy qui m'a fait est iuste. Eliu disant qu'il y a encores propos de Dieu, monstre que l'homme fidele ne se doit point lasser, quand il est question de maintenir la querelle de Dieu, afin de clorre la bouche à ceux qui murmurent contre luy, ou qui blasphement. Et defait si nous avions quelque petite portion du zele qui nous est commandé en l'Escriture saincte, nous serions plus ardens beaucoup à soustenir l'honneur de Dieu que nous ne sommes pas. Il est dit au Psaume (69, 10) Que les opprobres qui sont faits à Dieu doivent tomber sur nos testes: que nous les devons sentir, voire iusques à en estre touchez: que cela nous fasche et nous tormente plus que si on nous faisoit tous les outrages qu'il est possible de penser: car aussi qui sommes-nous? Quand on nous aura cent fois outragé, faut-il que nostre honneur nous soit autant recommande, que celuy de Dieu? Or on verra au contraire, que si quelqu'un de nous est blessé ô incontinent il se voudra venger: pour le moins il en demandera iustice, et iamais ne se contente, iusques à ce que l'honneur soit reparé: voire l'honneur qui est nul: car qu'est-ce de nous? Mais voila le nom de Dieu qui sera desciré par pieces: les uns s'en mocqueront vilainement, les autres desgorgeront des blasphemes execrables, les autres le despiteront. Cela passe et coule entre nous: il n'y a quasi nul qui s'en esmeuve: si nous en avons dit un mot, il nous semble que c'est plus qu'assez. Quand donc nous souffrons que la doctrine de Dieu soit blasmee, qu'on mesdise de sa maiesté, que son nom trotte avec contumelie: en cela monstrons-nous qu'il n'y a point une seule goutte de bon zele en nos coeurs: et ceste lascheté-la est digne que Dieu nous desavouë pour ses enfans. Car si nous le tenions pour nostre Pere, pourrions-nous endurer qu'on s'eslevast ainsi contre luy? Un enfant qui sera de bonne nature voudra couvrir le deshonneur de son pere charnel, encores qu'il n'ait rien valu. Or que sera-ce, quand il est question de celuy qui est la fontaine de toute iustice, qui est le Roy de gloire, et lequel merite toute louange? comme l'Escriture en parle, et comme il le monstre aussi par effect. Que celuy donc soit reclamé de nous comme Pere: et cependant, que nous ayons la bouche close, quand on taschera de pervertir sa verité, que son nom sera tiré en opprobre, que nous verrons bref qu'il sera du tout exposé en mocquerie: et que nous ne soyons point touchez de cela ne contristez?

256

meritons-nous qu'il nous recognoisse pour ses enfans?

Ainsi donc nous devons bien mieux noter ce passage, quand il est dit, Qu'il y a encores propos de Dieu. se mot encores, emporte que quand l'homme fidele s'est opposé aux meschans qui contreviennent à l'honneur de Dieu, il ne s'est pas acquitté, pour avoir seulement declaré qu'il n'y consentoit point: mais tant qu'il nous est possible nous devons repousser iusques au bout, et resister à ceux qui font iniure à Dieu, et qui attentent de diminuer ou obscurcir sa gloire en façon que ce soit. Nous leur devons, di-ie, estre ennemis iusques à la fin, et iamais ne nous lasser en un tel combat, et en une querelle si saincte et si iuste. Or cependant nous voyons que les meschans sont tousiours prests pour soustenir des mauvaises causes: qu'auiourd'huy le plus meschant du monde trouvera assez de procureurs et d'advocats: tellement qu'on peut conclurre, que pour avoir faveur et estre bien supporté, il se faut adonner à tout mal: et puis pour un banquet, ou pour une autre corruption, ô chacun vendra sa conscience, et sa langue. Ces choses donc sont toutes patentes: et cependant ceux qui se diront avoir quelque zele à Dieu sont muets, qu'ils n'osent gronder. Quand les vilenies sont telles et si enormes (ie vous prie) faudra-il autre tesmoignage pour condamner ceux qui n'ont nul courage ne fermeté pour maintenir l'honneur de Dieu, que ce vouloir qu'on apperçoit aux meschans quand ils se bandent ainsi à tout mal? Au bien donc on ne trouve personne qui s'y employe. les meschans despiteront Dieu, pour soustenir une mauvaise cause, sous ombre d'un present qu'on leur fera: et cependant il n'y a nul qui vueille maintenir le bien. Apprenons donc d'estre zelateurs de la gloire de Dieu, mieux que nous n'avons esté: et en premier lieu, quand nous voyons qu'on tasche de pervertir la bonne doctrine et pure: que nous monstrions quelle foy il y a en nous, et que nous en facions confession pour resister aux mensonges de Satan, et de ceux qui ne demandent qu'à mettre trouble et scandale en l'Eglise de Dieu. Voila pour un Item.

Apres, voyons-nous que Dieu est mocqué et qu'on s'en iouë, qu'on tient des propos de l'Escriture saincte pour mettre toute religion en gaudisserie? Que nous soyons enflammez d'une saincte colere: car pour ceste cause faut-il que nous soyons touchez et esmeus, quand nous voyons qu'on blesse l'honneur de Dieu, et que la religion est offensee. Ainsi donc monstrons qu'il y a propos de Dieu. tiercement, quand nous voyons que les blasphemes trottent par les rues, et par les marchez, ou par les tavernes, qu'en cela encores nous taschions de resister tant qu'il nous sera possible. pour oster et

IOB CHAP. XXXVI.

257

purger du milieu de nous une telle abomination. Que donc nous ne souffrions point, entant qu'en nous sera, que le nom de Dieu soit vilipendé. Et pour conclusion, toutes fois et quantes que nous verrons le mal regner, que nous mettions barre au devant, que nous taschions de le corriger: voire, et alors Dieu nous fera cest honneur, de nous avouer pour ses procureurs et advocats. liais si nous faisons autrement, nous donnons la cause gaignee à Satan: et sommes coulpables d'avoir trahi le nom de Dieu, et de n'avoir tenu conte de ce qui estoit le principal, et le devoit estre.

Voila ce que nous avons à observer sur ce mot, là où Eliu dit, Qu'encores y a-il propos de Dieu. Il continue puis apres ceste sentence: comme aussi c'est une cause qui est bien digne que les fideles s'y employent iusques au bout, et s'esvertuent par dessus toutes leurs forces. Car quand il dit, Qu'il estendra sa science au loin, par cela il monstre qu'en parlant de Dieu, nous devons eslever nos esprits plus haut que nostre sens naturel ne monte. Et de fait quand l'homme voudra iuger selon sa phantasie et raison charnelle, parviendra-il iusques à Dieu? Mais plustost nous ne ferons qu'obscurcir sa gloire. Ainsi donc apprenons pour glorifier Dieu, d'estendre nostre science au long et au large: comme l'exemple nous en est ici donne. Et comment? Car l'homme iamais n'estendra sa science comme il doit, pour parler de Dieu, sinon qu'il cognoisse que sa maiesté est plus haute que toutes nos apprehensions: et ainsi qu'il faut qu'il descende à nous, et qu'il nous esleve à soi. Voila donc comme en toute reverence il nous faut humilier, afin que Dieu nous esleve à soi, et qu'il se declare à nous, et nous face participans de sa doctrine, laquelle autrement nous seroit incomprehensible. Voila donc comme il nous faut estendre nostre science au long, quand il est question de Dieu.

Or si cela estoit bien observé, nous profiterions d'une autre sorte que nous ne faisons pas, tant aux sermons qu'en la lecture, Mais quoi? Ceux qui viennent au sermon, comment sont-ils disposez pour recevoir la doctrine qu'on met en avant? Ce leur est assez d'estre venus au temple, et de s'estre ici monstrez. Or donc ils s'en retournent tels qu'ils sont venus, voire pires: car c'est bien raison aussi que Dieu punisse d'aveuglement ceux qui mesprisent ainsi ce thresor inestimable de l'Evangile. Quand les gens viennent ici à l'estourdie sans y penser, et qu'ils iettent là leur museau, et ne cognoissent point que c'est Dieu qui parle à eux, pour lui faire hommage, et recevoir ce qui est sorti de sa bouche: ne sont-ils pas sacrileges, d'avoir porté si peu d'honneur à la doctrine de salut? Voila donc pourquoi Dieu les aveugle. Quand nous lirons l'Escriture saincte, ou il y aura

258

de l'orgueil, que nous venons là fueilleter en nous confiant de nostre subtilité (comme si nous estions iuges suffisans pour savoir prononcer de tout) ou bien nous meslerons la parole de Dieu parmi nos affections mondaines. Et an reste, tant s'en faut que nous estendions nostre science au long: que nous sommes comme preoccupez en nos phantasies vaines et frivoles, et en nos cupiditez mauvaises qui nous tiennent comme enserrez et courbez en bas: tellement que nous ne pouvons pas lever si teste au ciel. Voila pourquoi nous voyons un profit si maigre, et que ceux qui se renomment fideles ne savent que c'est de Dieu, et ne desirent point de le savoir. Apprenons donc (à l'exemple d'Eliu) d'eslever nostre science, et de l'estendre au long, quand il est question de parler de Dieu: et apprenons aussi de lui faire cest honneur que nous ayons une reverence qui nous dispose à le regarder. Car voila aussi comme est accomplie ceste sentence de l'Escriture saincte, Que Dieu approcha des humbles, qu'il se monstre à ceux qui desfient d'eux-memes sans s'attribuer une seule goutte de bien à ceux. Et en somme toutes fois et quantes que nous parlons de Dieu, ne laschons point la bride à nostre cerveau: mais que nous apprenions d'estendre nostre science plus loin.

Eliu adiouste, Qu'il prouvera celui qui l'a formé estre iuste. Or ici nous voyons à quoi doivent tendre tous nos propos, quand nous parlons de Dieu: c'est que sa gloire soit maintenue: et toute doctrine qui se rapportera, à ce but, il la faut tenir pour bonne et saincte: comme quand les hommes disputent pour diminuer l'honneur de Dieu, il est certain qu'il n'y a en eux que perversité, quelque belle couleur qu'ils pretendent. Ainsi donc toutes fois et quantes que nous parlons de Dieu, que ceci nous vienne en memoire de le prouver iuste: c'est à dire de lui attribuer ce qui lui appartient, en sorte qu'il soit magnifié de nous, que nous le cognoissions tel qu'il veut estre cognu, que toute bouche soit close pour n'avoir nulle occasion de se mescontenter de lui. Voila donc les propos que nous devons tenir de nostre Dieu, C'est que son nom soit sanctifie: comme aussi nous en faisons la requeste en la priere dont nous usons tous les iours.

Or Eliu adiouste quant et quant, Que ses propos seront sans mensonge, et qu'il monstrera, à Iob qu'il est parfait en science. Il proteste ici de ne rien mesler parmi la bonne doctrine, et qu'il ne travaillera point à la desguiser. Et defait c'est encores un poinct que nous devons bien observer, que quand nous ouvrons la bouche pour traitter de Dieu, et de ses oeuvres, et de sa parole, il ne faut point qu'il y ait aucun meslinge: mais que la pureté soit gardee, que tout ce que nous disons

SERMON CXXXIX

259

soit entier. Car celui qui enveloppe des bons propos parmi des meschans, que fait il, sinon de bailler une bonne viande et bien friande, qui seroit toutes fois empoisonnee? Ainsi en est-il de tous ceux qui ont quelque belle apparence, et defait amenent des sentences bonnes et vrayes, mais cependant les enveloppent parmi des mensonges et des erreurs. Notons bien donc que celui qui fait office de docteur ne doit pas seulement regarder d'avoir quelque bonne sentence: mais il doit sur tout estudier à ceste simplicité, qu'il n'adiouste ne diminue rien à la pure doctrine de Dieu. Et ainsi quand nous voudrons avoir une foi bien reglee, nous devons tendre là, et estre attentifs à ce qu'en enseignant nous n'ayons sinon la pure volonté de Dieu pour nous guider: et que tous nos propos se rapportent là, et qu'ils y soyent conformez. Mais si les choses sont traittees autrement, et qu'il n'y ait point une telle rondeur et droiture comme Dieu la demande: ainsi que nous voyons qu'il veut que sa parole se presche en simplicité: si donc nous avons de tels appetits, nous sentirons en la fin, que nous avons esté desbauchez. Ici donc nous sommes enseignez, de recevoir une doctrine pure et saincte comme il appartient, et faire qu'elle ne soit point meslee. Car de mesler poison parmi le bon bruvage, ou de bonne viande, qu'est-ce? Voila ce que nous avons à retenir au propos d'Eliu.

Or quand il dit, Qu'il sera parfait en science envers Iob, ceci est rapporté à Dieu par aucuns: comme si Eliu disoit, Qu'en la fin Iob sentira qu'il ne faut point monstrer la leçon à Dieu: comme par ci devant nous avons veu qu'il y tendoit: non pas de propos deliberé, mais en murmurant il sembloit bien qu'il deust regler Dieu à sa guise, et qu'en ne se contentant point de luy, il le voulust accuser et renverser son conseil. Pour ceste cause Eliu, comme il semble à d'aucuns, dit ici, que Dieu se trouvera parfait en science. Mais plustost ce mot doit estre prins de celui qui parle: comme s'il disoit, Tu sentiras que ie suis un docteur fidele. Il entend donc, que puis qu'il parlera au nom de Dieu, Iob doit bien recevoir tous ses propos: d'autant qu'il n'y meslera rien du sien ni adioustera, mais qu'il traittera la vraye doctrine en perfection, voire selon qu'il l'a receuë de Dieu. Quand donc celuy que Dieu enseigne, magnifie la doctrine, il ne faut pas prendre cela comme s'il s'eslevoit par trop: car il faut que la verité de Dieu soit maintenue de nous par dessus toute hautesse, et que rien ne l'obscurcisse. Voila donc en quelle sorte parle ici Eliu. Ce n'est pas pour le venter en sa personne, mais c'est afin que la doctrine qu'il porte, comme elle est de Dieu, soit receuë, et que chacun s'humilie sous icelle. Et defait quand on vient à

260

se rebecquer à l'encontre, C'est un monstre. Sachons donc qu'il y a là une perfection telle, qu'il faut que tout le monde ferme la bouche, et qu'il cognoisse que Dieu doit estre adoré quand il parle à nous, tellement que chacun luy obeisse.

Or venons maintenant au propos general qui est ici contenu. Eliu iusques ici a usé de preface: or maintenant il entre à plaider la cause de Dieu, et dit, Que Dieu estant fort ne mesprise personne: voire, dit-il, de vertu de courage. I1 prend ici un principe pour separer Dieu d'avec les hommes, et l'oster de leur reng, afin qu'on n'estime pas de luy comme de nous. Car voila qui est cause que nous iugeons ainsi mal, d'autant que nous voulons tousiours conformer Dieu à nostre petitesse: voire comme s'il n'y avoit point une puissance infinie entre luy et nous. Quand donc nous voulons faire ressembler Dieu à un homme mortel, c'est comme aneantir sa maiesté: et toutes fois cela est plus qu'ordinaire: mesmes en toutes sortes nous l'experimentons. Si Dieu use de rigueur, nous allons imaginer tantost ceci ou cela, et prenons occasion de nous despiter contre luy: s'il nous menace, nous n'en sommes point esmeus: car il nous semble que sa colere se passera. Et qui est cause d'une presomption si brutale? C'est pource que nous ne discernons point Dieu d'avec ses creatures. Aussi à l'opposite, quand Dieu nous promet de nous recevoir à merci, nous ne pouvons estre persuadez qu'ainsi soit: car nous sommes empeschez et retenus par nos phantasies, Et quoy? le l'ay tant offensé. Nous le faisons tousiours semblable à un homme mortel, et voila pourquoy il dit au Pseaume, Aussi loin que sont les cieux de la terre mes pensees sont lointaines des vostres. Et par son Prophete Isaie il conferme ceste sentence-la. Comment? dit-il, pensez-vous que ie soye irrité à vostre façon? C'est pour nous monstrer, que combien que nous l'ayons provoqué iusques au bout, neantmoins il nous sera pitoyable: combien que nous en soyons plus qu'indignes, qu'il ne laissera pas d'estendre son salut iusques à nous. Ainsi donc nous voyons que ceste doctrine d'Eliu n'est pas superflue, mais qu'elle nous est plus qu'utile: d'autant qu'il y en a bien peu qui se puissent tenir de mesler Dieu parmi les hommes, tellement qu'on ne cognoist nulle difference entre luy et les creatures: et il nous est declaré toutes fois, que Dieu differe plus d'avec nous, que les cieux ne sont eslongnez de la terre. Il ne faut point donc que nous mesurions ses pensees par les nostres, et que nous prononcions rien de luy à nostre phantasie: car ce seroit tout pervertir. Retenons donc quelle est l'intention d'Eliu: cest qu'en somme Dieu doit estre exalté par dessus toutes creatures: tellement que les hommes ne presument pas de iuger de luy selon leur

IOB CHAP. XXXVI.

261

naturel, et selon qu'ils voyent ici bas qu'on se gouverne: mais qu'ils cognoissent que c'est tout autre chose, et qu'il y a une telle diversité, que le iour n'est pas si differant d'avec la nuict.

Or pour ce faire il dit, Que Dieu estant fort ne reiette personne. Car qui est cause qu'un homme mortel tasche de nuire a son prochain, et de luy donner du coude pour le renverser, ou de le faire tresbucher on quelque sorte que ce soit? L'envie et la ialousie que les hommes ont les uns des autres, et puis aussi la crainte qu'ils ont, pour dire, Celuy-la me pourra nuire: quand un tel sera avancé, ie suis reculé d'autant. Ainsi donc pource qu'il y a tant d'infirmitez aux hommes mortels, ils craignent tousiours que leurs prochains ne s'eslevent par trop. Voila pourquoy ils sont pleins de contentions et picques: voila pourquoy ils voudroyent tousieurs avoir diminué ceux qui ont trop grande autorité et credit. Ceste infirmité donc est cause que les hommes taschent d'abaisser ainsi leurs prochains. Regardons maintenant si nous trouverons une telle condition en Dieu? Nenny, non: car il est trop grand pour nous porter envie: il ne lui chaudra que les hommes disent. Car pourrons-nous porter dommage, ni diminuer l'honneur de Dieu, quand nous serons bien grans? Il n'y a ne roy ne prince, qui puisse eslever son throne par dessus les nues: or voici Dieu qui est par dessus tous les cieux, et par dessus les Anges. Et les hommes quoy? Le Prophete Isaie (40, 22) parlant de cest orgueil des hommes, quand ils se veulent ainsi eslever, dit que ce sont des sauterelles. On voit que quand les sauterelles se iettent, pource qu'elles ont de grandes iambes, elles feront bien quelque saut, mais il faut qu'elles retombent incontinent à terre. Ou bien, ce sont comme des grenouilles. Voila donc la comparaison que mot le Prophete Isaie, pour se mocquer de l'ambition des hommes. Car que nous volions par dessus les nues, que nous soyons compagnons des Anges: si est-ce que nous voyons qu'ils adorent la maiesté souveraine de Dieu, qu'il faut qu'ils cachent leurs veux de leurs ailes, comme il en est parlé au passage d'Isaie. Ainsi donc Dieu ne se doute point que nous lui puissions nuire: il ne nous veut point aussi porter envie, comme si nous lui pouvions faire quelque dommage: sa maiesté demeurera tousiours en son entier en despit de nos dents. Puis qu'ainsi est, il faut conclure qu'il n'y a plus nulle proportion entre lui et nous: qu'il ne faut point que nous imaginions, O quand Dieu est offensé des hommes il se courrouce à bon droit: car on lui veut arracher ce qui lui appartient. Il est vrai que les hommes seront coulpables de cela: mais tant y a que de lui il n'y sent nul preiudice.

Ainsi donc il ne portera point envie aux creatures

262

par infirmité qui soit on lui: il est grand, et d'avantage il adiouste, Qu'il est grand de force de coeur: ou, qu'il est fort de vertu de coeur. En quoi Eliu touche un second vice qui est aux hommes: car mesmes ceux qui sont puissans, et qui ne devroyent point porter envie à ceux qui sont inferieurs, si est-ce qu'il les craindront, quand il y aura ainsi un courage efféminé: comme nous voyons mesmes les rois et les princes qui ont une nature maligne, que quand ils verront quelque homme vertueux, ils on seront faschez. Et pourquoi? Il n'y a point une vraye noblesse on ceux pour dire, Dieu m'a ici constitué afin que i'esleve les gens de vertu, que ie les prise et honore: mais tout au rebours ils voudroyent quand ils sont vilains, que tout le monde leur ressemblast: ils ont honte mesmes de voir un homme de bien. Voila un prince qui se voudra souiller on toute ordure, il voudra tenir un bordeau en son palais: il lui fasche que sa turpitude soit descouverte. Quand la paillardise regnera par tout, c'est ce qu'ils demandent, afin qu'ils prennent plus de licence de s'adonner à toute vilenie. D'autant donc qu'on voit un courage si vilain aux hommes, Eliu dit, qu'il ne nous faut point imaginer Dieu on ceste façon. Et pourquoi? Car outre ce qu'il est puissant, et que les hommes ne peuvent pas atteindre iusques à lui, il est puissant en vertu de coeur: il a la vertu en recommandation, la iustice lui plaist, et il approuve le bien: et ne demande sinon de monstrer que tant plus qu'il y aura de vertu aux hommes, tant mieux sera-il servi et honoré. Car voila en quoi consiste la gloire de Dieu: c'est que les hommes soyont vertueux. Si un roi voit aucuns de ses suiets estre plus digne de louange que lui, il se fasche et se despite. Et pourquoi? Car ce qui est aux autres, il ne l'a pas. Mais ce n'est pas ainsi de Dieu. Et pourquoi? les hommes ont-ils le bien de leur nature? Non: mais il faut que nous le recevions de lui, qu'il nous vienne de ceste source-là Puis qu'ainsi est donc, il ne faut pas craindre que l'honneur de Dieu soit obscurci par la vertu des hommes. Mais voici que nous avons à considerer: Dieu ne sera point cognu en soi iuste et puissant comme il le merite, si nous le voulons contempler selon nostre sens naturel. Et pourquoi? Car nos esprits sont trop rudes et trop pesans, pour monter si haut. Mais quand nous contemplons les vertus et graces qu'il distribue aux hommes, voila des beaux miroirs, et des pointures vives là où il se monstre: et d'autant plus que les hommes cheminent droitement, c'est tousiours pour magnifier Dieu, comme il est servi et honoré en cela. Ainsi donc nous voyons maintenant qu'il ne faut plus mettre Dieu au rang des hommes, et qu'il ne faut point iuger de lui à nostre guise et façon: mais qu'il doit estre du tout separé: comme

SERMON CXXXIX

263

defait le ciel n'est pas si eslongné de la terre, comme. il y a longue distance lui et nous, suivant ce que nous avons desia allegué du Pseaume (103, 11) et du Prophete Isaie (557 9). Or maintenant apres qu'Eliu a parlé ainsi, il adiouste ce que nous avons desia touché: c'est assavoir, qu'on peut Doter les marques de la providence de Dieu, combien que beaucoup de choses soyent confuses au monde. Et defait iaçoit que Dieu maintenant ne tienne point un ordre egal: tant y a que si voit-on bien qu'il est par dessus toutes les choses de ce monde, et que s'il ne tenoit la bride, il y auroit en tout et par tout une confusion horrible ici bas. Qu'il nous suffise donc d'avoir ici quelques marques de la providence de Dieu, afin de lui donner la gloire qui lui est deuë: pour dire, Seigneur, tu es luge du monde, quoi qu'il en soit: et combien que tu laisses beaucoup de pechez impunis, combien que les iustes et innocens souffrent beaucoup d'afflictions: si est-ce neantmoins que nous appercevons que tout est conduit par ta main, et que tu as l'empire souverain sur toutes choses. Voila donc ce qui est ici traitté par Eliu.

Or en premier lieu il dit, Que Dieu ne vivilfie point les meschans, et qu'il donne iugement aux affligez, et qu'il ne destourne point ses yeux des iustes. Ces sentences que prend ici Eliu sont generales: et aussi il nous faut conclure en general que Dieu est iuste, quand nous appercevons quelque signe de sa iustice: et nous faut retenir ce qui a esté declaré par ci devant: c'est assavoir, que quand nous voyons que les choses ne sont point encores remises en tel ordre et si entier comme nous desirerions: cela nous soit un advertissement que Dieu iugera une fois le monde en la personne de son Fils, suivant aussi l'article de nostre foi, Que Iesus Christ doit venir pour iuger les vivans et les morts. Et de fait (comme nous avons dit) si tout estoit disposé à souhait, que seroit-ce? Nous n'aurions plus de foi quant à la resurrection derniere. Voyons-nous donc que Dieu n'execute point tous ses iugemens, mais qu'il en reserve? Que cela nous conferme en l'esperance du dernier iour, et de la venue de nostre Seigneur Iesus Christ, auquel toute puissance est donnee de Dieu son Pere, afin qu'il apparoisse eu sa maiesté pour regler les choses qui sont maintenant confuses, et les restablir. Mais quand nous voyons que Dieu punist quelques offenses, qu'il delivre les siens, soit nous ou les autres: que cela nous suffise pour approuver 0a providence. le voi que Dieu a puni une telle transgression: il faut donc que ie conclue, qu'il m'a monstré comme en un miroir sa iustice, et que les meschans viendront en conte devant loi. Pourquoi? Car il n'a point d'acception de personnes: ce n'est pas comme un iuge terrien. qui fera bonne iustice par bouffee:

264

quand il y aura quelque crime commis, il sera puni avec grande rigueur, et cependant il en laissera passer beaucoup d'autres, sous ombre de quelque corruption ou faveur: et voila le iuge qui sera du tout changé. Cela se voit, tellement que toutes les iustices de ce monde, voire les meilleures qu'on puisse voir, ne sont que brigandages, d'autant qu'elles n'y procedent pas d'une bonne affection et ronde, et qui continue. Mais en Dieu il n'y a rien de semblable: il n'est point esmeu de faveur, il n'est point corrompu par presens. Quoi donc? Il iuge selon la verité. Puis qu'ainsi est, il faut conclure que quand Dieu aura puni un malefice, en cela il nous monstre que rien ne lui eschappe, qu'il faudra que toutes nos oeuvres viennent en conte devant lui: et que quand auiourd'hui elles seront cachees, qu'elles ne seront point apperceuës du premier coup, nous ne laisserons pas neantmoins d'estre coulpables, quand il faudra là venir.

Ainsi donc apprenons de pratiquer ceste doctrine selon qu'elle nous est ici monstree, c'est assavoir, Que Dieu ne destourne point ses yeux des iustes, et qu'il ne vivifie point les meschans. Et comment cognoistrons-nous cela? Non point tousiours, ni esgalement (comme nous avons dit) mais si est-ce que Dieu nous donne assez d'expériences pour conclure qu'il veille sur les bons afin de les maintenir: qu'il les a en sa garde, qu'il a pitié d'eux, et les delivre de tous dangers. nous voyons, di-ie, de tels exemples de cela, qu'il nous faut avoir ce propos ici tout arreste et conclu EN nous. Au reste nous voyons aussi que Dieu leve sa main forte pour reprimer les iniquitez des hommes. Non pas tousiours: car il en laisse beaucoup d'impunis, il dissimule, il semblera mesmes qu'il favorise aux meschans en beaucoup d'endroits: mais nous avons desia monstré que cela nous doit conformer nostre foi, et devons estre munis contre un tel scandale, sachans que Dieu se reserve au dernier iour ce qu'il n'accomplist point maintenant. Mais quoi qu'il en soit, nous voyons quand Dieu punist tels malefices qu'il hait le peché, et le deteste. Par cela donc il nous faut iuger qu'il ne vivifie point le meschant. Or comme ceste doctrine est ici mise afin que nous apprenions de glorifier Dieu en tout et par tout: aussi notons qu'elle doit edifier nostre foi, et nous instruire à crainte. Voyons-nous donc que Dieu ne destourne point ses yeux des bons, mais qu'il ait pitié d'eux pour les aider? Que nous soyons confermez en la fiance de sa bonté, afin de recourir à lui toutes fois et quantes que nous sommes affligez. Avons-nous veu que Dieu en ait delivré quelqu'un, ou que nous-mesmes il nous delivre? Que cela soit pour nous faire retourner à lui, et dire, comment? Mon Dieu m'a fait sentir par experience qu'il est prest d'assister à tous ceux

IOB CHAP. XXXVI.

265

qui se confient en lui: et l'Escriture nous dit, Venez à moi vous tous qui estes chargez et qui travaillez, et ie vous soulagerai. Voila donc comme tous les tesmoignages que Dieu nous donne, qu'il n'a point destourné ses yeux des bons, nous doivent confermer en ses promesses qu'il nous donne de sa bonté. Ainsi à l'opposite, quand il est dit Que Dieu ne vivifie point les meschans, apprenons a le pratiquer. Voyons-nous quelque crime qui se punist? Que nous soyons solicitez à cheminer en crainte, pour dire, Il ne se faut pas iouër ici avec Dieu. Pourquoi? Il chastie celui-là, afin que nous soyons instruits à ses despens: car c'est une grande grace qu'il nous fait, quand il nous donne de tels exemples de sa rigueur et de son ire, que sans qu'il nous touche, neantmoins nous sommes admonnestez d'eviter sa vengeance, qui estoit apprestee à tous, et laquelle il nous pouvoit faire sentir. Voila donc comme tous les exemples que nous contemplons des chastimens et corrections que Dieu fait en ce monde, nous doivent servir de doctrine.

Or il est vrai que nous dirons bien, Dieu est iuste, et celui-là a son salaire: nous saurons bien condamner ceux qui ont failli, et approuver les corrections que Dieu leur envoye: mais cependant

nous n'appliquons point cela, à nostre usage: et ce seroit le principal: Quand ie voi que Dieu chastie un homme, il faut que i'entre en moi, et que ie regarde si ie ne suis point entaché du mesme vice: ou bien si ie ne suis point coulpable en d'autres endroits: et que sur cela ie m'humilie, et que ie chemine en plus grande solicitude que ie n'ai point fait. Et au reste, encores avons nous un autre fruict des corrections que Dieu envoye: car en cela aussi nous cognoissons qu'il a le soin de ses enfans. Si Deu abbat ceux qui ont travaillé l'un, outragé l'autre: pourquoi le fait-il, sinon qu'il prend nostre querelle en main? Ainsi donc nous devons est e mieux affectionnez à servir à Dieu, quand nous voyons qu'il s'esleve contre nos ennemis, et qu'apres qu'il leur a laissé avoir la vogue pour un temps, il foudroye sur eux. Et pourtant (comme i'ai desia declaré) nous devons estre confermez pour nous appuyer en la foi de ses promesses, pour ne douter qu'il ne se monstre Pere envers nous. Et cependant nous devons estre retenus en sa crainte et en son obeissance, pour prevenir toutes ses vengeances que nous voyons estre sur les meschans et les contempteurs de sa maiesté.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

266

LE CENT QUARANTIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXXVI. CHAPITRE.

6. Il ne vivifie point le meschant, et donne iugement aux affligez. 7. Il ne detournera point ses yeux du iuste: il assera les rois au siege, et seront exaltez à iamais. 8. S'ils estoyent es ceps, et liez avec cordes en affliction: 9. Il leur monstrera leurs fautes, et leur fait sentir leurs pechez, il. en seront touchee. 10. Il leur descouvrira l'aureille afin de les amender: il parlera, à eux, et les fera sortir de l'iniquité. 11. S'ils oyent, et qu'ils obeissent, ils passeront leurs iours en bien, et leurs ans en gloire. 12. S'ils oyent point, ils passeront par le glaive, et seront consumez sans science. 13. les hypocrites de coeur adioustent l'ire, ils ne crient, voire estans liez. 14. Leur ame donc mourra en vigueur, et leur vie entre les paillards.

Apres qu'Eliu a dit en general, que Dieu ne destourne point ses yeux du iuste, qu'il n'ait le

soin de luy, et qu'à l'opposite il ne vivifie point le meschant, il adiouste en particulier pour mieux approuver la providence de Dieu, Qu'il donne iugement aux affligez. Car il faut bien que ceci procede de luy, quand un povre homme destitué de tout secours, reietté de tout le monde, sera neantmoins delivré quand on l'afflige, et qu'on le persecute. Il faut bien, di-ie, que cela soit attribué à Dieu: car si nous n'avons nul support du monde, et que cependant nous ayons des ennemis robustes et puissans, que dira-on sinon que nous sommes perdus, et qu'il n'y a plus d'espoir en nostre vie? Si donc nous sommes restaurez, là on cognoist que Dieu a besongné. Ainsi ce n'est point sans cause, qu'Eliu met ce propos notamment, pour approuver que Dieu gouverne les choses d'ici bas.

Il met un second exemple aussi de la providence de Dieu: c'est la police, quand il y a princes

SERMON CXL

267

et gens de iustice qua gouvernent: en cela nous appercevons que Dieu est iuste, et qu'il ne vent point que les choses soyent sans ordre, voire combien qu'il n'y ait pas une equalité permanente, ainsi qu'il fut hier traitté: mais tant y a que quand nous voyons qu'il y a quelque ordre au monde, là nous pouvons contempler comme en un miroir, que Dieu n'a point tellement lasché la bride à toute confusion, qu'encores il ne nous donne quelque signe et marque de sa iustice. Et defait si on considere d'une part quelle est la nature des hommes, et de l'autre part comme ceux qui gouvernent et ont l'autorité et le glaive de iustice en main s'en acquittent: on verra, et sera facile de iuger que C'est un miracle de Dieu, voire qu'il nous faut cognoistre et sentir quand il y a quelque police entre nous. le di que la nature des hommes est telle, qu'un chacun voudroit dominer et estre maistre par dessus ses prochains: et de s'assuiettir, il n'y a personne qui le vueille faire de sou bon gré. Quand donc nostre Seigneur ne permet point que le plus fort l'emporte, et qu'il y a quelque crainte pour obeir à ceux qui sont en preeminence: en cela voit-on que Dieu tient la nature des hommes non seulement bridee, mais comme enchainee, afin que cest orgueil ne s'esleve point tellement que la police ne soit par dessus. Et puis nous voyons que tous sont adonnez à mal, et que les cupiditez sont si bouillantes, que chacun voudroit avoir toute licence, et qu'il n'y eust nulle correction. Il faut donc conclure que l'ordre de iustice vient de Dieu, et qu'en cela il nous monstre qu'il a creé les hommes afin qu'ils se gouvernent en quelque honnesteté, et sous quelque modestie. Or pour le second nous voyons les rois et les princes, et ceux qui sont encores de moindre estat, quand Dieu les a armez du glaive de iustice, comme ils s'en acquittent, et qu'ils pervertissent tout, tellement qu'il semble qu'ils vueillent despiter Dieu, et aneantir ce qu'il avoit ordonné. Or si ceux-la qui devroyent paisiblement maintenir l'ordre constitué de Dieu, s'efforcent à le renverser, et bataillent comme de propos deliberé pour mettre quelque confusion: et neantmoins que la police demeure au monde, et que tout n'est pas tellement confus qu'il n'y demeure quelque traces de ce que Dieu a establi: en cela ne voit-on point, que Dieu est doublement iuste?

Et ainsi ce n'est point sans cause qu'Eliu apres avoir parlé de soulager les affligez adiouste quant et quant une autre espece, Que Dieu establist les rois, et non point seulement pour un iour, mais afin que cest ordre soit continuel au monde. Il est vray que les changemens se feront d'un et d'autre coste, et qu'il y aura de grandes revolutions sur les principautez et seigneuries: mais en cela

268

Dieu monstre aussi que c'est son office d'abaisser les orguoilleux. Cependant si est-ce qu'en despit des hommes et de toute leur rage, si faut-il qu'il y ait encores quelque ordre ici bas: ie di mesmes quant aux tyrans. Si un roy domine iniquement, qu'il soit un contempteur de Dieu, qu'il soit plein de cruauté, et violence, qu'il ait une avarice insatiable: si faut-il neantmoins qu'il garde encores quelque ombre et figure de iustice, et ne s'en peut passer. D'oh vient cela, sinon que là Dieu se declare? Et ainsi apprenons de faire tellement nostre profit de ce qui nous est monstre en ce monde, que Dieu en soit glorifié comme il le merite: et que sur tout quand nous voyons qu'il delivre las povres oppressez qui n'en peuvent plus, et n'ont et n'attendent nul secours du costé des hommes, là nous appercevions sa vertu et sa bonté, et que nous soyons disposez de luy rendre la louange qui luy est deuë. Voila, di-ie, ce que nous avons à noter. Mais cependant pour approuver que nous sommes enfans de Dieu, avisons aussi de prester la main à ceux qu'on persecute iniustement, selon le moyen que Dieu nous donnera pour secourir ceux qu'on foule ainsi au pié, et qui n'ont dequoy se revenger, qui n'ont nul support. nous devons, di-ie, nous employer là, et nous y esvertuer à bon escient. Pour le second, quand nous voyons les hommes qui gouvernent, estre ainsi pervers et malins, et que Dieu toutes fois ne leur souffre point de se desborder du tout: là soyons humiliez pour adorer sa providence, et que nous cognoissions que s'il n'empeschoit leur iniquité, nous serions en un deluge plus que horrible, et que tout seroit incontinent englouti et abysmé. Il faut donc que Dieu soit magnifié, quand nous voyons qu'il y demeure quelque residu de iustice et de bon ordre: combien que ceux qui dominent, et ont le glaive au poin, soyent du tout meschans et adonnez à mal. Ainsi que nous cognoissions cela, et qu'entant qu'en nous est, nous maintenions aussi l'ordre de iustice, voyans que c'est un bien souverain que Dieu fait au genre humain, et que là aussi il veut que sa providence soit cognue. Et quand nous voyons que les princes et magistrats, et toutes gens de iustice sont ainsi pervers: gemissons voyans que cest ordre que Dieu avoit dedié pour le salut des hommes, est ainsi prophané: et non seulement ayons en detestations ceux qui sont ennemis de Dieu, et resistent à la police qu'il avoit mise au dessus: mais que nous cognoissions que ce sont les fruicts de nos pechez, pour nous en imputer la coulpe et la cause de tout le mal. Voila ce que nous avons à retenir en ce passage.

Or maintenant venons à ce qu'Eliu adiouste. Il dit, Que si les bons sont quelquesfois mis aux ceps, ou bien les grans dont il avoit parlé, ceux

IOB CHAP. XXXVI.

269

que Dieu avoit eslevé en haut estat, et en dignité par dessus tout le reste du monde: si ceux-la donc quelquesfois sont abaissez, voire iusques en ignominie, qu'on les emprisonne, qu'ils soyent aux ceps, qu'ils soyent attachez en confusion avec cordages: Dieu toutes fois ne les abandonnons point en telle necessité, mais il leur fait sentir leurs pechez, il leur annonce leurs fautes qu'ils ont commises, afin que les ayans cogoues ils s'amendent, et retournent au droit chemin: il leur ouvre l'aureille afin qu'ils pensent mieux à eux, et qu'ils se cognoissent. Eliu donc monstre ici, que quand il nous semblera que Dieu ferme les yeux, et qu'il ne luy chaut plus de gouverner les hommes, en cela mesmes il a iuste raison: et combien que nous le trouvions estrange, il faut que nous cognoissions qu'il est iuste et equitable en tout ce qu'il fait, et nous avons occasion de le glorifier. Il est vray que tousiours ce que nous avons traitté par ci devant se doit noter: c'est assavoir que les choses ne se gouvernent point en ce monde d'une façon egale, et que Dieu aussi se reserve au dernier iour une grande partie des iugemens qu'il veut faire, afin que nous soyons tousiours comme en suspens, attendans la venue de nostre Seigneur Iesus Christ. Mais si est-ce qu'il nous doit bien suffire d'avoir quelques signes pour appercevoir ce qui nous est ici declaré. Or donc l'intention d'Eliu est, de prevenir le scandale qu'on peut concevoir, quand les bons et les iustes sont foulez, et que Dieu les expose à la tyrannie des meschans, et qu'on les tormente sans cause: que n'ayans fait tort à personne, neantmoins on ne laisse pas de les molester. Car quand nous voyons cela, il nous semble que Dieu ne pense point à ce monde, que la veuë ne s'estend point iusques à nous, et qu'il laisse dominer fortune. Voila comme aux choses qui sont troublees nous avons incontinent le regard confus, et il n'y a rien plus aisé que de nous scandaliser. Pour ceste cause Eliu monstre ici, combien que les bons soyent persecutez, ou bien ceux qui estoyent eslevez en puissance soyent abbatus comme si Dieu mesloit le ciel et la terre: que pour cela si ne faut-il point que nous soyons par trop effrayez en nos esprits. Et pourquoy? Car Dieu a iuste raison, laquelle nous ne pouvons pas voir du premier coup: mais attendons en patience, et nous cognoistrons que Dieu fera profiter telles afflictions, et qu'elles tendent à bonne fia. Et pourquoy?

Car alors, dit-il, Il annonce a ceux qui sont ainsi tormentez, leurs pechez, et leur fait sentir quels ils sont: et c'est afin de les amener à bonne correction. Or ici en premier lieu mus voyons qu'il ne nous faut point estimer les choses selon l'apparence: mais qu'il nous faut sonder plus loin, et cercher la cause qui esmeut Dieu à faire ce que

270

nous trouvons estrange du premier coup. Cela semble bien contraire à tonte raison, qu'un homme de bien soit ainsi persecuté, et que chacun luy coure sus: mais Dieu sait pourquoy il le fait. Il faut donc que nous regardions à la fin, et non pas de precipiter du premier coup nostre sentence, comme ceux qui iugent à l'estourdie. Or la fin de nos afflictions quelle est-elle? C'est de nous faire sentir nos pechez. Et c'est un poinct bien notable, dont nous pouvons recueillir une doctrine fort utile. Il est vray que souvent nous en oyons parler: mais tant y a que nous n'en pouvons trop ouir: car nous savons que les afflictions nous sont si fascheuses, que chacun se despite si tost qu'il sent quelque coup de verge de la main de Dieu, et ne pouvons nous consoler, et retenir en patience. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ceste doctrine, c'est que quand Dieu permet que nous soyons tormentez, voire iniquement quant aux hommes: si est-ce que cependant il procure nostre salut, d'autant qu'il nous veut faire sentir nos pechez, il nous veut monstrer quels nous sommes: car du temps de prosperité nous sommes aveugles: et defait nous ne cognoistront pas droitement ce qui est ici contenu, sinon que Dieu nous y amene par ses chastimens. Sommes-nous à nostre aise et en delices? Chacun s'endort et se datte en ses pechez, tellement que la prospérité est autant d'yvrongnerie pour assoupir nos ames. Et qui pis est, quand Dieu nous laisse en paix, encores que nous l'ayons offensé en mille sortes, si est-ce que nous ne laissons pas de nous applaudir, et nous semble que Dieu nous soit propice, et qu'il nous aime puis qu'il ne nous persecute point. Voila donc comme les hommes ne peuvent sentir leurs pechez, s'ils ne sont attirez par force pour se cognoistre. Et pourtant puis que la prosperité nous enyvre ainsi, et que quand nous sommes en repos, chacun se flatte en ses pechez, il nous faut souffrir patiemment que Dieu nous afflige: car l'affliction est la vraye maistresse pour amener les hommes à repentance, afin qu'ils se condamnent devant Dieu, et s'estans condamnez apprenent a, hayr leurs fautes, ausquelles auparavant ils se baignoyent. Quand donc nous aurons cognu le fruict des chastimens que Dieu nous envoye, nous les porterons en plus grande douceur et d'un courage plus paisible que nous ne faisons pas. Mais nous sommes nonchalans que c'est pitié, à cause que nous ne cognoissons pas que Dieu procure nostre salut, quand il nous afflige ainsi. Au reste notons bien qu'il ne nous faut point regarder la main de Dieu à l'oeil pour sentir nos fautes. Car il adviendra bien que Dieu laschera la bride aux hommes, que nous serons persecutez par eux, voire iniustement, nous ne leur aurons fait aucun tort. Or

SERMON CXL

271

on cela mesmes si faut-il que nous apprenions que Dieu nous appelle en son escole: car c'est pour nous mieux donter et humilier quand il ne daigne pas nous batre de sa main, mais qu'il nous met entre les mains des meschans: il nous fait plus-grand vergongne alors. Si donc les meschans ont la vogue, et qu'ils ayent le moyen de nous tormenter, et s'y employent du pis qu'ils peuvent, c'est autant comme si Dieu nous declaroit que nous ne sommes pas dignes d'estre batus de sa main, et qu'il nous veut faire là honte.

Or d'autant plus devons nous estre incitez à penser à nos fautes, et en gemir, et cependant noter ce qu'Eliu adiouste, Qu'alors Dieu nous descouvre l'aureille. Ce mot signifie deux choses en l'Escriture: car quelquefois il signifie. Toucher le coeur, tellement que nous oyons ce qui nous est dit. Dieu donc nous ouvre l'aureille, quand il nous envoye sa parole, et fait qu'elle nous est proposee: et puis il nous ouvre l'aureille, ou la descouvre (car le mot emporte proprement cela) quand il ne permet point que nous soyons sourds a sa doctrine, mais qu'il luy donne entree afin qu'elle soit receuë par nous, et que nous en soyons esmeus, et que la vertu s'en demonstre. Voila, di-ie, deux sortes d'ouvrir les aureilles, dont nous sentons iournellement que Dieu use envers nous. Il ouvre aussi les aureilles à ceux qu'il afflige, d'autant qu'il leur donne quelque signe de son ire, afin qu'ils soyent enseignez de penser mieux à eux qu'ils n'ont fait. Si on demande, Et comment donc? Dieu ne parle-il point à nous, quand nous sommes en prosperité? Si fait bien: mais sa voix ne peut venir iusques à nous: car nous sommes desia preoccupez de nos delices et de nos affections mondaines. Et defait nous voyons que les hommes s'esgayent quand ils ont leur soul à manger, et qu'ils se peuvent donner du bon temps, et qu'ils sont en santé et en paix. Il n'est question alors que de s'esiouir en telle sorte que Dieu n'a plus d'audience. Mais les afflictions sont autant de messages qu'il nous envoye de son ire: et alors nous sommes touchez de l'avoir offensé, pour retourner à nous. Et ainsi les afflictions en general doivent servir de doctrine à ceux qui les reçoivent, tellement qu'ils approchent de Dieu, encores qu'ils en ayent esté eslongnez auparavant. Voila pour un Item. Mais cependant si est-ce que les hommes ne se laissent pas gouverner à Dieu, iusques à eu qu'il ait amolli leurs coeurs par son sainct Esprit, et donné ouverture à ces advertissemens qu'il leur fait, et qu'il leur ait percé l'aureille pour les dedier à son service et à son obeissance, ainsi qu'il en est parlé au Pseaume (40, 7). Voila ce que nous avons à noter. Et ainsi quand nous sommes affligez, en premier lieu que ceci nous vienne en memoire, que c'est autant

272

comme si Dieu s'adressoit à nous, et qu'il nous remonstrast nos pechez, et qu'il nous fist nostre procez, afin de nous attirer à repentance. Mais d'autant que nous sommes durs à l'esperon, qui plus est, que nous sommes du tout rebelles, que nous sommes sourds à toutes les admonitions qu'il nous fait: il le faut prier qu'il nous perce l'aureille et qu'il nous donne telle ouverture à ses instructions, qu'elles nous profitent: qu'il ne permette point que l'air seulement en soit batu, sans que le coeur en soit touché: mais que nous soyons esmeus de venir et retourner à luy. Autrement sachons que nous ne ferons que le despiter, et reietterons ses corrections: ainsi que l'experience monstre en la plus grande multitude, que ceux qui sont batus des verges de Dieu ne s'amendent point pour cela: mais empirent plustost. Voyans donc de tels exemples, apprenons que ce n'est rien fait iusques à ce que Dieu nous ouvre l'aureille, C'est à dire que par son sainct Esprit il face que nous l'entendions parler à nous, et l'ayans ainsi entendu, que nous luy obeissons. Voila ce que nous avons à noter de ce passage.

Or il adiouste quant et quant, Que s'ils oyent et obeissent, ils accompliront leurs iours en bien, et leurs annees en gloire: mais s'ils n'escoutent, ils passeront par le glaive, et mourront sans science. Ici Eliu nous declare encores mieux le profit que nous avons d'estre en affliction. C'est desia un grand bien, et qui ne se peut assez priser, quand nous sommes attirez à repentance, et au lieu que nous estions au train de perdition, que nostre Seigneur nous ramene à soy. Voila, di-ie, qui nous doit adoucir toutes nos tristesses en nos afflictions: mais il y a beaucoup plus: c'est que nostre Seigneur monstre par effect combien cela nous est utile, assavoir, afin que nous soyons delivrez de nos maux que nous soyons secourus par luy, et qu'il se monstre par ce moyen nous estre favorable. Quand donc tout cela se cognoist par experience, n'avons-nous point dequoy nous esiouir quand Dieu nous a ainsi delivrez? Car s'il souffre que les voluptez du monde nous enyvrent, en la fin nous deviendrons incorrigibles: il faut donc qu'il y remedie de bonne heure. Et s'il le fait par le moyeu que nous soyons affligez, et que là dessus il nous delivre, afin que nous appercevions sa main: ne voila point une approbation singuliere de sa grace et de nostre f( y? Si Dieu nous laissoit croupir en nos ordures, et en nostre lie (comme les Prophetes en parlent) nous y pourririons, comme i'ay dit: et au reste, nous ne priserions point sa grace envers nous, telle qu'elle se monstre quand il nous a retirez de l'affliction en laquelle nous estions tombez Voila donc double bien qui revient aux hommes quand Dieu les a ainsi corrigez: car en premier

IOB CHAP. XXXVI.

273

lieu ils sont ramenez à luy: et secondement ils apperçoivent sa bonté paternelle, quand par sa grace ils sont delivrez. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage. Or on pourroit demander, Et voire, et que sait-on si Dieu nous veut attirer a repentance, quand il nous afflige, ou qu'il permet que nous soyons tormentez par les hommes? et que sait-on si son conseil ou sa volonté est telle? Or ici nous avons la response. Quand nous voyons que les afflictions sont temporelles, et que Dieu nous en delivre: par cela cognoissons nous qu'il ne nous veut point faire perir du tout, qu'il se contente que nous soyons abbatus et humiliez sous sa main. Mais quand nous voulons avoir un col d'airain, pour luy resister, et que nous ne fleschissons point pour corrections qu'il nous envoye, nous ne faisons tousiours que redoubler les coups. Au contraire donc si nous sentons nos pechez pour luy en demander pardon, et qu'il cognoisse que nous en sommes vrayement touchez: alors il fait que les afflictions nous sont converties en une bonne medecine: et sur cela il nous en delivre. Nous voyons, di-ie, tout cela, à l'oeil.

Ainsi donc que nous ne murmurions plus quand nous voyons que Dieu envoye de tels troubles au monde, et que nous n'en soyons point scandalisez comme s'il avoit les yeux fermez: car il sait bien ce qu'il fait, il a une sagesse infinie, laquelle ne nous apparoist point du premier coup: mais en la fin nous voyons bien qu'il a disposé les choses en bon ordre et en bonne mesure. Et cependant apprenons aussi de ne point nous despiter par trop quand nous sommes ainsi affligez, sachans que Dieu avance par ce moyen nostre salut. Et au reste voulons-nous estre gueris quand nous sommes ainsi eu tormens et en fascheries? Voulons-nous avoir bonne issue et desirable? suivons le chemin qui nous est ici monstré, c'est assavoir d'ouir et d'obeir. Comment ouir? C'est que nous soyons enseignez quand Dieu nous tient comme on son escole, et que les afflictions nous soyent autant d'advertissemens pour approcher de luy. Oyons donc cela: et puis que ce qui sera entré par une aureille n'eschappe point par l'autre: mais que nous obeissions, c'est à dire, que nous rendions telle obeissance à Dieu que nous luy devons: que nous ne demandions que de nous renger à luy. Voila comme nous serons delivrez de nos maux. Mais quoy? Il ne se faut point osbahir si les hommes languissent, voire et qu'ils soyent plongez tousiours plus profond en leurs miseres: car qui sont ceux qui escoutent Dieu parler? On voit combien il y en a qui sont affligez et tormentez, on voit que les verges de Dieu sont auiourd'huy espandues par tout Mais combien y en a il qui y pensent? On verra tout un peuple qui

274

sera pressé de guerres tant qu'il n'en pourra plus: mais entre cent mille hommes à grand peine en trouvera-on une douzaine qui escoutent Dieu parler. Voila les coups de fleaux qui resonnent et retentissent en l'air, les pleurs et les gemissemens seront horribles par tout, les hommes crieront assez helas: mais cependant ils ne regardent point à la main qui frappe: comme le Prophete (Isaie 9,12) reproche aux obstinez, qu'en sentant les coups ils ne cognoissent point la main de Dieu. Nous voyons le semblable en peste et en famine. Ainsi donc se faut-il esbahir si Dieu envoye des playes incurables, et qu'il ne pratique ce qui est dit au Prophete Isaie (1, 6), Que depuis la plante des pieds iusques au sommet de la teste il n'y a point une goutte de santé en ce peuple, qu'il y a comme une ladrerie, qu'ils sont toua pourris et infects, que leurs playes sont incurables? Se faut-il donc esbahir de cela, veu qu'auiourd'hui les hommes sont si ingrats à Dieu, qu'ils luy ferment la porte, et ne le veulent point escouter pour luy rendre obeissance?

Ainsi donc apprenons quand nous sommes batus de la main de Dieu, de venir soudain à luy, et d'escouter les remonstrances qu'il nous fait, pour sentir nos p chez et nous y desplaire. Ayans fait cela, que nous soyons touchez au vit; afin qu'il luy plaise d'avoir pitié de nous. Quand nous y procederons ainsi, Dieu n'oubliera point son office, qu'il ne nous envoye instruction, et qu'il ne nous delivre de tous nos maux. Mais voulons-nous faire des chevaux restifs? Il nous rembarrera bien, comme il est dit ici: c'est, que nous passerons par l'espee, et serons consumez sans science, c'est à dire, en nostre folie. Quand il dit, que nous passerons par l'espee, c'est à dire, que les playes seront mortelles du tout, qu'il ne faudra plus esperer nulle guerison, il n'y aura plus de remede pour nous. Si nous ne sommes obstinez quand Dieu nous admonneste de nos fautes, il se monstrera bon medecin envers nous pour nous en purger, voire si nous ne sommes point incorrigibles. Mais quand il n'y aura nulle raison ne nul amendement en nous, et que nous rongerons nostre frain sans sentir nos pechez pour nous y desplaire, sachons que tontes les afflictions de ce monde nous seront mortelles: sinon, di-ie, que nous apprenions de retourner à Dieu quand il nous convie, et nous donne lieu de repentance, c'est à dire, que nous venions en temps opportun, et que nous entrions quand la porte nous est ouverte. Si nous n'en faisons ainsi, il faudra que tous les chastimens qui nous estoyent donnez pour nostre profit, nous tournent en plus grande condamnation, et que ce soyent autant d'adiournemens que Dieu aura fait: mesmes il faudra que le comble de tout malheur s'accomplisse. Et d'autant plus devons nous penser à nous, que nous ne provoquions point une

SERMON XXXV

275

telle vengeance de Dieu à nostre escient. Car ostee peu de chose de ce qui est dit, qu'il faut que les obstinez soyent navrez de la main de Dieu: voire d'autant que les hommes tant qu'il leur est possible se despitent et ne se veulent point renger, quand Dieu leur fait ceste grace de les advertir, et qu'il leur donne entree à soy? Et defait quand les hommes se rebecquent ainsi, n'est-ce point despiter manifestement Dieu? N'est-ce point fouler sa grace au pié? Or Dieu ne peut porter une telle malice: car il iure par sa maiesté (en son Prophete Isaie [22, 13l) que ce peché-là ne sera iamais effacé, quand les hommes s'esgayent et qu'ils disent, Beuvons et mangeons, lors qu'il les convie à repentance. Voila, di-ie, Dieu qui en est tellement irrité, qu'il iure que ce peché-la sera enregistre iusques au bout devant luy. D'autant plus donc nous faut-il soliciter à nous humilier, quand Dieu nous donne quelque advertissement, sachans qu'il procure nostre salut en cest endroit: afin que nous ne reiettions point son ioug quand il le veut mettre sur nous, et que nous ne repoussions point les coups des verges qu'il nous donne, comme s'il frappoit sur une enclume.

Et notamment il est dit, Que ceux qui n'ont point escouté Dieu, mourront sans science, c'est à dire, que leur folie les consumera. Or c'est afin que les hommes soyent rendus inexcusables. Il est vray que nous prendrons bien un bouclier d'ignorance, quand nous voudrons amoindrir nos fautes, ou bien les abolir du tout: nous dirons, le n'y pensoye point, ie ne m'en suis point avisé: mais apprenons que quand il est parle de l'ignorance des hommes, c'est pour les condamner tant plus, pource qu'ils se sont abbrutis, et qu'il n'y a eu nulle raison en eux. Et c'est ainsi que le Prophete Isaie (5, 14) en parle: Voila pourquoy l'enfer est ouvert, que le sepulchre a tout englouti, que tout le peuple a esté consumé (dit le Seigneur) d'autant qu'il n'a point eu de science. Dieu se plaint là de ce que les pecheurs se sont iettez en perdition à leur escient: et cependant il dit, que cela est venu, d'autant qu'ils n'ont point eu de science: voire, mais il reproche quant et quant à ce peuple des Iuifs, qu'il s'estoit abbruti. Car le Seigneur de son costé nous advertist assez, qu'il ne tient qu'à nous que nous ne soyons bien enseignez. Mais quoy? Dieu est bon maistre, et nous sommes mauvais escoliers: Dieu parle, et nous sommes sourds, ou bien nous estompons nos aureilles pour ne le point ouir. Ainsi donc ceste ignorance de laquelle Eliu parle ici est volontaire, pourcé que les hommes ne peuvent souffrir que Dieu leur monstre leur leçon, et leur apprene de venir à luy: mais ils aiment mieux tousiours aller leur train commun, ils ferment les yeux, ils bouchent les aureilles. Voila donc une

276

ignorance qui est pleine de malice et de rebellion. Or il est vray que pour un temps les meschans se plaisent quand ils ne sentent point la main de Dieu: mais tant pis pour eux, comme nous en voyons tous les iours les exemples. Si on parle à ces desbauchez qui sont du tout adonnez à mal, et qu'on les menace de la vengeance de Dieu, ils ne font que hocher la teste et s'en mocquer, et leur semble que ce n'est que ieu. Et au reste ils prendront les sermons en mocquerie, et tourneront toute Escriture saincte en risee, afin qu'elle n'ait plus nulle reverence ni autorité. Nous voyons cela, à l'oeil. Or ils empirent tousiours leur condition d'autant que ceste sentence ne sera point frustratoire, c'est, Que quiconque ne veut point escouter Dieu en affliction: il faudra qu'il perisse sans science: c'est à dire, que l'ignorance en laquelle il est abbruti, soit cause d'une plus grande ruine, et qu'elle le plonge tant plus en la malediction de Dieu. Or voyans cela apprenons d'estre dociles, et si tost que Dieu parle que nous dressions les aureilles, et que nous soyons prests de nous assuiettir à sa parole, et qu'il n'y ait rien qui nous empesche de retourner à luy. Voila donc de quoy nous sommes instruits en ce passage. Et defait autrement il est certain que nostre nature nous induira tousiours à nous rebecquer, comme il en est parlé ici. u reste on voit la sottise des hommes en ce que combien qu'ils ne vueillent point estre reputez fols ne mal avisez, si est-ce qu'ils mettent toute peine de prendre ceste excuse de folie et ignorance, quand il est question de rendre conte devant Dieu. Mais tout cela ne profitera de rien. Et d'autant plus nous faut-il efforcer de nous humilier de bonne heure, et venir à ceste consolation que Dieu ne s donne, quand il dit qu'il nous instruit en double sorte: car d'un costé il fait que sa parole nous soit preschee: et d'autre costé entant que nous sommes batus de ses verges, un chacun de nous en son endroit est induit à retourner au bon chemin. Que nous ayons donc les aureilles ouvertes, pour recevoir la doctrine qu'on nous propose au nom de Dieu: afin qu'il ne parle point à des sourds, et comme à des trones de bois. Et cependant aussi que nous soyons patiens, pour endurer les afflictions qu'il nous envoyera: et quand il y aura quelque chose qui ne nous viendra point à gré, que nous ne laissions pas pourtant de tousiours magnifier Dieu et sa grace, sachans que par ce moyen il nous fait sentir nos pechez, afin que nous n'y soyons point tellement confits que nous y perissions. Voila donc comme si nous ne voulons despiter Dieu à nostre escient apres avoir ouy sa parole, il nous faut aussi entendre à quoy il pretend quand il nous chastie, et qu'il nous envoye quelques afflictions de quelque costé qu'elles nous

IOB CHAP. XXXVI.

277

viennent: car iamais il ne nous adviendra rien que de sa main.

Eliu quant et quant adiouste, Que les hypocrites de coeur adioustent ire, et qu'ils ne crient point quand ils sont liez: que leur ame mourra en ieunesse, et qu'ils periront avec les paillards. Il dit les hypocrites de coeur. Pourquoy les nomme-il ainsi? Il entend ceux qui sont confits en malice, et qui ont une arriere boutique pour S'eslongner de Dieu, et qui ne peuvent estre attirez à quelque rondeur. Car nous verrons que beaucoup de povres gens pechent par une folie, qu'ils sont volages, qu'on les desbauche aisement, qu'il n'y a point encores une malice obstinee et enracinee en eux. Or il y en a d'autres qui sont hypocrites de coeur: c'est à dire qui ont une racine de mespris et de toute rebellion, tellement qu'ils se mocquent de Dieu: ils n'ont nulle reverence à sa parole, le diable les a tellement ensorcelez qu'ils condamnent le bien, ils suivent le mal, pour le moins ils l'approuvent, et s'y veulent plaire et nourrir. Notons bien donc quand Eliu parle ici des hypocrites de coeur, qu'il entend ceux qui sont du tout abandonnez à Satan, en sorte que non seulement ils pechent par legereté, mais qu'ils sont tellement formez au mal, qu'ils ont prins leur pli (comme on dit) de mal faire, et de se mocquer de Dieu: et de ceux-la on en voit par trop d'exemples. Car si on fait comparaison de ceux qui sont volages et offensent par infirmité, avec les meschans et les contempteurs de Dieu, le nombre des meschans sera beaucoup plus grand. Et ainsi notons que ce n'est point sans cause qu'Eliu les appelle ici hypocrites de coeur, ou pervers de coeur, c'est à dire, qui sont adonnez à malice iusques au bout: tellement qu'en leurs afflictions ils ne veulent nullement s'assuiettir à Dieu, mais plustost ils adioustent ire. Or notons bien ce mot d'adiouster ire: car c'est comme allumer tousiours le feu d'avantage et amasser du bois pour l'augmenter. Et defait que font les pervers, quand ils se rebecquent et despitent ainsi contre Dieu? Amendent-ils leur cause et leur condition? Helas! ils ne font qu'amasser tousiours plus de bois, et faut que l'ire de Dieu s'enflamme tant plus. Ainsi donc notons bien que si nous resistons aux chastimens de Dieu,

278

pensans les repousser par nostre malice et obstination: nous ne ferons qu'adiouster ire, et la malediction de Dieu s'augmentera de plus en plus, iusques a ce que nous en soyons du tout consumez. Or quand nous oyons ceci, que devons-nous faire, sinon de prier Dieu qu'en premier lieu il nous purge tellement, que nous n'ayons point ceste rebellion enracinee en nous, et ceste malice cachee: mais encores que nous ayons falli par infirmité, que tousiours il y ait quelque racine de crainte de Dieu, et que nous ne soyons point du tout incorrigibles. Avisons aussi à nous duire tousiours à ceste sobrieté et simplicité dé coeur, afin que nous ne soyons point enveloppez iusques là en nos pechez, de nous y complaire et nourrir. Et au reste notons bien que si nous voulons faire des fins et rusez contre Dieu, ce ne sera point pour amender nostre marché: mais plustost nous augmenterons son ire contre nous.

Voila donc comme les hommes se doivent bien corriger de leurs mauvais actes, voyans la malediction de Dieu s'augmenter ainsi sur eux. Et notamment il est parle de l'accroist de l'ire de Dieu, pource que les hommes cuident estre eschappez quand Dieu les a delivrez d'un mal: il leur semble que c'est fait. Or nous ne pensons point à ces moyens qui nous sont cachez, que Dieu puis apres desployera des nouvelles verges qu'il aura des glaives desgaignez, et que soudain il viendra foudroyer sur nous quand nous ne l'attendrons pas. D'autant donc que nous ne craignons point assez l'ire de Dieu, voila pourquoy il est dit notamment, qu'elle croist, et que nous l'amassons de plus en plus sur nous: tellement qu'il faudra qu'il y ait cent mille morts qui nous attendent, quand nous aurons mesprisé le message que Dieu nous envoyoit pour nous reduire et nous amener à vie. Quand donc nous aurons ainsi mesprisé les advertissemens de Dieu, il faudra que nous sentions sa vengeance horrible sur nous, au lieu qu'il proteste d'estre tousiours p est de resiouir ceux qui se submettent volontairement à sa bonne volonté.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON CXLI

279

LE CENT QUARANTEUNIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXXVI. CHAPITRE.

15. Il separe le povre en son affliction, et leur ouvre l'aureille en l'oppresse. 16. Mesmes il te retireroit de la bouche d'angoisse, mettant en lieu large, où il n'y avoit nulle destresse: et le repos de ta table seroit plein de graisse. 17, Tu as rempli le iugement du meschant: mais le iugement et iustice tiendront. 18. Car voici l'ire, afin qu'il ne te perde avec ta suffisance, et que multitude de presens ne te delivre point. 19. Il n'estimera point ta grandeur, ne toute ta provision, ne toutes tes forces.

Nous avons veu par ci devant, que les hommes ne gaignent rien à se rebecquer contre Dieu, mais plustost qu'ils empirent leur condition: car leur dureté augmente la vengeance de Dieu, et allume le feu d'avantage. Et au reste il est dit pour conclusion, que ceux qui voudront ainsi faire des rebelles contre Dieu mourront en fleur de ieunesse et avec les paillards, comme on diroit en commun langage Voila un beau ribauld, il sera pendu. Ainsi il est dit, Que les contempteurs de Dieu mourront avec toute leur force: car quand ils se voyent à leur aise, ils sont pleins de fierté et d'orgueil: mais si est-ce que Dieu les consumera bien. Or derechef Eliu met en avant ce qu'il avoit dit, Que Dieu ouvre les aureilles de ceux qu'il afflige. Et non sans cause ceci est recite, d'autant que c'est un poinct difficile à persuader: et toutes fois nous pouvons iuger que ceste doctrine nous est plus que necessaire. Car les afflictions nous sont dures et fascheuses, tellement que nous en sommes irritez et picquez, et ne pouvons souffrir la main de Dieu: et mesmes il nous semble qu'il nous face tort, d'autant que nous ne cognoissons point le fruict qui en revient. Ceci donc ne nous peut estre trop ramentu, que Dieu ouvre l'aureille aux hommes quand il les afflige: et pourtant il dit aussi bien, Qu'il les separe en l'affliction. Il est vray qu'on expose ce mot ici Delivrer, comme il se prend aussi: mais il n'y a pas, que Dieu retire de l'affliction, il y a en l'aflliction. Ainsi donc c'est une similitude que met Eliu, comme s'il disoit que Dieu recueille à soy et retire à part ceux qu'il chastie: pource que quand les hommes sont en prosperité, ils vaguent, et leurs sens s'esblouissent: mais si tost que Dieu met la main dessus, et qu'il leur fait sentir sa rigueur, c'est autant comme s'il les prenoit à luy, afin de leur remonstrer leurs fautes, et de les en amener à repentance Nous voyons donc

280

maintenant en somme ce qu'Eliu a voulu dire. Or notons bien que l'aureille des hommes est ouverte en affliction d'autant que si nous sommes à nostre aise et en de ces, nous avons les yeux bandez: comme dit le Pseaume, que ceux qui prosperent ont les yeux crevez de graisse, qu'ils ne voyent goutte: les voila du tout obstinez en leurs pechez. Aussi nous avons les aureilles bouschees quand nous sommes à repos, nous ne pouvons rien ouir: il est donc besoin que nostre Seigneur nous ouvre les aureilles par afflictions.

Or il est vray que ceste doctrine est assez approuvee par l'experience commune, il ne faut point cercher ici exposition comme d'une chose obscure. Car nous voyons que ceux qui ne sont point pressez de mal ne peuvent souffrir nulle correction, si tost qu'on parle a eux ils se despitent: et non seulement on verra cela en chacun particulier, mais aussi en tout un corps de peuple. Si nous n'avons ne guerre, ne peste, ne famine, on voit que si les pechez sont redarguez, on murmure, et qu'il n'est question que de resister à chacun bout de champ. Et pourquoy? C'est (comme i'ay desia dit) que les hommes estans engraissez ont les aureilles bouschees, et ne peuvent porter que Dieu en façon que ce soit les admonneste de leurs pechez: ou bien quand il n'y aura ceste fierté pour se rebecquer contre les admonitions, si est-ce qu'on ne profite gueres en parlant: et si les fautes sont redarguees, c'est tout un, on passe cela. Et pourquoy? O chacun est preoccupé desia de ses delices et voluptez: bref nous ne sommes point touchez, si ce n'est que la main de Dieu nous presse, et qu'il nous chastie. Et voila pourquoy aussi tant de calamitez adviennent au monde: car d'autant que Dieu n'est point escouté, et qu'on ne tient conte de sa bouche sinon qu'il use de main forte il donte les peuples voyant qu'ils sont ainsi enflez d'orgueil, et qu'il n'en peut chevir autrement: il les humilie donc par force. Non pas encores que cela suffise tousiours: car combien en voit-on qui resistent à la main de Dieu d'une malice obstince, et qui demeurent tousiours endurcis, tellement qu'ils empirent d'avantage quand ils sentent les coups, et cela est par trop commun. Mais il est ici notamment parlé de ceux ausquels Dieu veut faire grace: car quand il afflige les hommes, il tend à double fin: quant aux reprouvez, il les veut rendre inexcusables: et quant aux bons, il les veut telle

IOB CHAP. XXXVI.

281

ment matter que d'un coeur humble ils retournent à luy.

Ainsi donc en ce passage il n'est fait mention que de ceux que Dieu ne veut point laisser perir: et pour ceste cause il les chastie. Or s'il est besoin que Dieu besongne ainsi sur ces eleus, que sera-ce en general de la nature des hommes? Il est ici parlé de ceux que Dieu cognoist et avoue pour ses enfans, et desquels il veut procurer le salut pour les gouverner par son S. Esprit: et toutes fois si est-ce qu'encores ils auroyent les aureilles bouschees, et s'enyvreroyent en leurs delices, n'estoit que Dieu par afflictions les retirast à soy. Cognoissons donc ici qu'il y a u ce horrible perversité en nostre nature. Et au reste encores que nostre Seigneur nous ait touchez, que nous ayons quelque bon desir et affection de venir à luy, sachons que si avons nous tousiours mestier de ceste aide, Que nostre Seigneur nous picque et nous donne des coups d'esperon, et qu'il nous doute à soy en tout et par tout: et faut que nous facions servir toutes les fascheries et miseres qu'ils nous envoye pour les appliquer à c'est usage-la, cognoissans qu'il y auroit tousiours de la rebellion en nostre chair, sinon qu'elle fust ainsi mattee. Voila donc ce que nous avons à retenir. Et au r esté apprenons de n'estre point obstinez contre Dieu quand il nous afflige: mais puis que nous avons ceste cognoissance qu'il nous veut ouvrir l'aureille, prions-le que les afflictions nous servent et profitent en sorte que nous venions à luy: et si desia nous avons esté introduits au bon chemin, qu'il nous y avance. Et pour ce faire apprenons de n'estre point esgarez en nos concupiscences: comme nous voyons que la plus part sont transportez, et quand Dieu les appelle à soy, qu'ils EN sont tant eslongnez, qu'ils ne peuvent trouver nul chemin pour y venir. Avisons donc de nous separer, c'est à dire, d'estre comme recueillis à Dieu, et que nous ne soyons point ainsi enyvrez en nos vanitez et affections mauvaises, comme nous voyons que nous y sommes adonnez par trop. Voila donc en somme ce que nous avons à retenir de ceste sentence.

Or il adiouste quant et quant: Qu'il retirera l'homme du bord (il y a proprement de la bouche) d'angoisse et d'affliction, et le mettra en lieu large: et que la il ne sera plus en destresse, et que le repos de sa table sera plein de graisse. ce mot de repos, se peut prendre pour ce qui repose, aussi bien que de dire que sa table sera paisible, et qu'elle sera remplie de tous biens. Or ceci notamment s'adresse à Iob pource qu'il avoit senti la bonté de Dieu: et defait Eliu luy reproche son ingratitude. Vie n ça, dit-il, n'as tu point cognu par ci devant, que Dieu t'avoit fait prosperer? D'où te sont venues tant de richesses que tu as possedé, sinon que Dieu se

282

monstroit liberal envers toy? Et au reste encores se monstreroit-il tel: assavoir si tu estois capable d'estre ainsi doucement traitté de la main de Dieu. Il est certain donc que comme il avoit commencé il parferoit: Mais tu as accompli le iugement du meschant. Tu vois bien donc que tu ne peux souffrir que Dieu te face du bien. Or il est vray que Iob est ici accusé à tort en partie: mais tant y a que ce n'est point du tout sans cause qu'Eliu le condamne d'avoir murmuré à l'encontre de Dieu, et luy denonce que nonobstant tous ces murmures le iugement et la iustice tiendront. cependant de ce verset nous pouvons recueillir une bonne doctrine c'est que quand Dieu nous afflige, il nous doit souvenir des biens qu'il nous a faits, afin que nous ne soyons point troublez, mais que nous sentions que les chastimens de sa main ce se font point sans cause. Et voila aussi où David nous ramene: car apres que Dieu l'avoit exalté au siege royal, et qu'il luy avoit donné tant de victoires sur ses ennemis, quand ce vient à l'affliger iusques à l'extrémité, qu'il semble qu'il doive estre abysmé du tout, il cognoist que d'autant que nous sommes creatures de Dieu il faut bien que nous soyons du tout en sa main, et qu'il dispose de nous, et que nous portions patiemment les chastimens qu'il envoye. Apprenons donc d'appliquer ceste sentence à nostre instruction, en telle sorte que quand nous serons batus des verges de Dieu, il nous souvienne des biens qu'il nous a eslargis: voire, afin de nous remettre du tout à sa volonté, et cognoistre que c'est bien raison qu'il nous retourne et ça et là quand il luy plaist. Et cependant ceste. memoire aussi nous servira pour adoucir nos tristesses: car si nous n'avions iamais senti en Dieu que rigueur, nous serions tellement despitez en nos afflictions que nous n'aurions nul courage d'invoquer Dieu, ce de recourir à luy. Mais quand nous savons qu'il s'est declaré Pere envers nous et qu'il nous a attirez à soy par douceur alors il nous fait sentir que ceux qui se fient en luy, et qui se laissent gouverner par sa main, sont bien-heureux. Voila donc qui nous donne courage et nous resiouist mesmes au milieu de nos angoisses. Et ainsi notons bien, que si nous sommes pressez de maux et d'afflictions, il ne faut pas que ce que nous sentons à present saisisse nos esprits en telle sorte, que nous soyons preoccupez pour ne point penser à la boute de Dieu, pour ne point penser aux consolations qu'il nous donne: car c'est comme un gouffre d'enfer, de ce penser seulement qu'aux chastimens. Quoy donc? Melons la bonté de Dieu parmi sa rigueur. Avons-nous des biens que nous avons receu de la main de Dieu? Quand il nous afflige, que nous ne laissions pas de recourir à luy, esperans qu'il donnera bonne issue à nos afflictions,

SERMON CXLI

283

veu qu'il nous a fait desia experimenter, que ceux qui se remettent ainsi à luy le trouvent un bon Pere et pitoyable. Voila donc ce que le S. Esprit nous a ici voulu enseigner par la bouche d'Eliu.

Or venons à ce verset, où il est dit, Que Iob a accompli le iugement du meschant. Il est vray qu'on pourroit prendre aussi ces mots, comme s'il estoit dit qu'il a rempli de iugemens d'iniquité, la iustice et le iugement. Mais le sens naturel est tel, que Iob s'est desbordé, voire pour s'accoupler avec les meschans. Cependant il n'est point ici parlé de sa vie, comme s'il avoit esté un larron, un paillard, ou un meurtrier, s'il avoit esté un blasphemateur, un homme dissolu: Eliu ne parle point de tout cela: mais il declare que Iob n'a point glorifié Dieu en ses angoisses, mais qu'il s'est trop chagrigné contre luy: et mesmes qu'il s'est voulu exalter, comme si Dieu luy faisoit tort, et qu'il usast de cruauté envers luy. Voila donc en quoy Iob est ici condamné: non point d'avoir mené une vie mauvaise, mais de ce qu'il n'a point porté assez patiemment son affliction. Or cela est appelé Accomplir le iugement des meschans, c'est à dire s'accorder à leur façon et à leurs enormitez: car aussi nous avons à noter, que Dieu n'a rien plus precieux que la gloire de son nom. Il est vray quand les uns se iettent à paillardises, les autres à violences, que les autres se mettent à gourmander, la iustice de Dieu est violee en cela, l'ordre qu'il a establi entre nous est perverti et corrompu: et entant qu'en nous est, nos pechez obscurcissent tousiours la maiesté de Dieu. Mais cependant celuy qui blaspheme manifestement contre Dieu, et qui ne s'humilie point sous sa main, il n'y a nulle doute qu'il n'excede tous autres pechez, et qu'il ne soit plus grievement à condamner. Nous devons-bien donc noter ce passage, quand il est reproché à Iob, qu'il a accompli le iugement du meschant. Or pour bien faire nostre profit de ceste sentence, il nous faut noter en premier lieu que si tost qu'un homme se fourvoye, desia il commence à s'envelopper parmi les meschans, et qu'entant qu'en lui est, il se prive de la grace de Dieu. Mais du premier coup nous ne tresbuchons pas si lourdement: car il semblera que les fautes soyent moyennes: tant y a qu'en la fin nous venons iusques au comble de mespriser Dieu, et de le mespriser en telle sorte, que mesmes le diable nous incitera contre lui, et nous serons enflammez comme d'une phrenesie ou d'une rage pour le despiter: et cela ne peut estre qu'à nostre perdition. Voila ce qui advient aux hommes.

Or de Iob, il n'en a pas esté ainsi: car il avoit vescu si sainctement, qu'il estoit comme un miroir de perfection angelique. Nous avons veu ce qu'il a protesté par ci devant, d'avoir esté tuteur des

284

orphelins, protecteur des vefves, les yeux des aveugles, les iambes des boiteux, que sa table avoit esté ouverte à tous povres, qu'il avoit revestu ceux qui avoyent froid, de la laine de son bestail, que iamais il n'avoit abusé de son credit pour opprimer per

sonne, combien qu'il eust la vogue par tout, et qu'il peust faire beaucoup d'extorsions. Or cependant nous voyons qu'il s'est toutes fois desbordé, quand la main de Dieu l'a pressé d'une telle vehemence: que sera-ce donc quand de nostre gré, et comme à nostre escient nous despiterons Dieu? comme i'ai desia dit, que les hommes quand ils se fourvoyent, entant qu'en eux est, se separent d'avec Dieu, et se vont ietter aux filets de Satan. Advisons donc bien à nous: et quand nous aurions vescu le plus iustement du monde, cognoissons que si nous ne sommes retenus de la grace de Dieu et par son sainct Esprit, nous pourrons bien lui eschapper: voire en une minute de temps, nous serons comme destituez. Et s'il y a une telle fragilité en nous que nous puissions si tost tomber à mal: que sera-ce quand de longue main nous aurons poursuivi et continué à provoquer l'ire de Dieu contre nous, et quand nous aurons esteint la clarté de son sainct Esprit entant qu'en nous sera? Avisons bien donc de cheminer en telle solicitude, que cognoissans la foiblesse qui est en nous, nous n'ayons nulle presomption que nous aveugle: mais plustost que nous prions Dieu qu'il nous guide et nous tienne la main

forte, et ne permette pas que nous tombions en façon que ce soit. Et s'il advient qu'il nous laisse decliner, que toutes fois il nous retienne, en sorte que nous ne venions point iusques au comble d'iniquité: mais que si tost que nous aurons failli, nous gemissions pour recourir à sa misericorde. Voila donc ce que nous avons a noter de ce passage.

Or pour mieux estre retenus en la crainte de Dieu, notons bien ce qu'Eliu adiouste, c'est Que le iugement et la iustice tiendront. Comme s'il disoit, que les hommes auront beau faire des enragez, Dieu toutes fois demeurera en son entrer, et faudra qu'en la fin il soit leur Iuge. Si les hommes s'eslevent, é si est-ce qu'ils ne viendront point à la maiesté de Dieu pour cela: nous aurons beau tirer contre le soleil, nous ne parviendrons point si haut: et quand nous pourrions arracher le soleil, si est-ce que nous ne pourrons point toucher à Dieu. Apprenons donc qu'ici les hommes sont advertis, de ne se point escarmoucher comme ils font, comme s'ils pouvoyent gaigner la cause contre Dieu, et avoir victoire de lui: nous savons (comme il est ici declaré) que la iustice et le iugement tiendront. Puis que nous voyons l'intention d'Eliu, appliquons ce qu'il met ici à nostre usage. I'ai desia dit que

les hommes ce font nulle difficulté de contester contre Dieu. Et pourquoi? Car ils le mesurent a

IOB CHAP. XXXVI.

285

la cognoissance qu'ils ont d'eux: et ils n'apprehendent pas aussi la maiesté infinie qui est en Dieu: car cela seroit bien pour leur rabatre leur caquet. Et ainsi quand nous sommes tentez de nous dresser contre Dieu, et de murmurer contre sa iustice, que ceci nous vienne en memoire, Que gaignerons-nous? Car si est-ce que la iustice et le iugement tiendront: c'est à dire, Nous ne pourrons pas empescher que Dieu ne regne, nous ne pourrons rien avancer contre lui. Ainsi donc puis que la iustice de Dieu est infinie, puis que son iugement demeure tousiours en sa vigueur et force: que reste-il, sinon que nous baissions la teste en y acquiescent du tout? Voila ce que nous avons à retenir, si nous voulons recevoir bonne instruction de ce passage. Et ne nous abusons plus en nos vaines presomptions ainsi que nous voyons que les hommes s'esblouyssent à leur escient: mais attribuons a Dieu ce qui lui est propre, c'est assavoir une iustice qui ne peut estre diminuee par nous: un iugement auquel nous ne pouvons porter aucun preiudice. Quand nous aurons prins conclusion-là, alors nous serons plus modestes et sobres que nous n'avons accoutumé, nous n'aurons point aussi le bec afilé pour plaider Contre lui: mais en toute humilité nous cognoistrons nos fautes pour gemir quand nous l'aurons offensé. Et si c'est en affliction, nous sentirons qu'il faut que nous soyons chastiez de sa main, et que ceste escole nous est plus qu'utile, attendu que nous n'oyons point sa parole, sinon qu'il nous y induise comme par force. Voila donc ce que nous retiendrons de ceste doctrine.

Or il est dit, Que son ire est afin que l'homme ne soit point perdu en sa suffisance: car alors il n'y aura, dit-il, nulle remission: il ne prisera n or n argent, ni toutes les forces du monde. Voici une belle confirmation de ce que desia nous avons touché: c'est assavoir, que Dieu nous fait sentir son ire afin que nous ne soyons point du tout perdus: car s'il nous espargne, nous ne ferons que nous endormir de plus en plus. Quand les hommes ont decliné, et que Dieu est patient envers eux, d'autant plus qu'il les attendra, il est certain qu'ils ne feront que s'abbrutir: car combien que quand Dieu use de douceur envers nous, son intention soit de nous gagner par ce moyen: si est-ce que nous avons un naturel si pervers, qu'au lieu d'approcher de lui, nous reculons. Bref, nous voyons cela estre par trop commun, que les hommes se iouent avec Dieu quand il les traitte doucement, et qu'ils ne font que se mocquer de sa bonté et de sa patience. Puis qu'ainsi est, il faut que Dieu desploye son ire, ou autrement nous perirons tous: et d'autant qu'il nous aura espargné longuement, cela sera pour augmenter nostre perdition. Et c'est ce que dit S. Paul (1. Cor. 11, 32), que quand nous sommes

286

affligez, c'est afin que nous ne soyons ruinez du tout avec le monde. Il faut donc nous consoler au milieu de nos fascheries, veu que Dieu regarde à nostre salut, et qu'il le procure quand il se monstre rude envers nous. Car nous ne pouvons souffrir qu'il nous soit un pere amiable, et qu'il nous traitte doucement, nous abusons tousiours de sa bonté: il faut donc qu'il nous face sentir son ire, ou autrement nous serions perdus. Voila en somme ce qu'a voulu dire Eliu. Or si ceci estoit bien pratiqué, il est certain qu'il ne nous cousteroit rien de benir le nom de Dieu en affliction: au lieu que nous grincerons les dents, et que chacun se tempeste et qu'il nous semble que Dieu nous face tort, ou bien que nous concevons de telles amertumes, que nous avons le coeur enserré, que nous ne pouvons point penser à nos pechez, nous serions doux et paisibles, et prendrions plaisir de mediter la grace de Dieu. Mais quoi? combien que nous confessions que ceste doctrine soit vraye: quand ce vient à la pratique nous monstrons bien que nous l'avons oubli e. Or tant y a que ce n'est point sans cause que le S. Esprit tant souvent nous met ceci au devant, et nous en refreschit la memoire: c'est assavoir, Que Dieu se monstre courroucé d'autant qu'il nous aime: Que s'il nous monstroit une face amiable, ce seroit pour nous perdre et nous ruiner. Il faut donc que nous sentions son ire par effect: mais tant y a que cela nous est un tesmoignage de sa bonté, et que par ce moyen il nous rappelle à soi, afin que nous ne suivions point le train de perdition auquel nous estions entrez.

Voila comme il nous faut estre advertis de la fin et du but auquel Dieu regarde quand il nous afflige. Cependant nous sommes admonnestez derechef combien nostre nature est revesche. N'est-ce pas une chose honteuse que Dieu ne puisse chevir de nous? que quand il nous veut manier doucement, qu'il nous veut tenir comme en son giron, nous lui donnions des coups de pied, que nous l'esgratignions, bref que nous ne puissions porter ceste bonté et douceur, de laquelle il seroit tousiours prest et appareillé d'user envers nous? Ne faut il pas dire, que nous ayons une nature vilaine et par trop ingrate? Il est vrai que l'Escriture prononce, que le naturel de Dieu est d'estre benin d'estre patient et amiable, de supporter les infirmes, d'user de misericorde encores qu'on l'ait offensé. Puis qu'ainsi est, quand il nous chastie, et qu'il se monstre dur et aspre, il est certain qu'il se transfigure, par maniere de dire, qu'il ne suit point son naturel: mais il faut qu'il use d'une telle rudesse à cause de nostre malice, pource que nous sommes bestes sauvages, que nous sommes tellement desbordez, que quand il nous veut recueillir à soi

SERMON CXLI

287

benignement, il y a incontinent quelque morsure, que nous regimbons contre lui. Il faut donc que nous sentions nostre perversité toutes fois et quantes que Dieu use de rudesse contre nous. Cependant si faut-il aussi que nous soyons consolez en nos afflictions, voyans que Dieu n'oublie iamais sa misericorde, et mesmes que quand il semble qu'il vueille foudroyer contre nous, s'il nous frappe d'une main, c'est pour nous redresser de l'autre: s'il nous met au sepulchre, c'est pour nous eslever par dessus les cieux. Voyans donc que Dieu encores au milieu de son ire nous monstre sa bonté, et nous en rend tesmoignage, n'avons-nous pas de quoi nous consoler en lui? Et ceste consolation quant et quant doit engendrer une conscience paisible. Si nous sommes effrayez de ceste rigueur de Dieu, et qu'il nous semble qu'il nous vueille perdre, il est impossible que nous soyons alors patiens. Mais aussi à l'opposite quand Dieu nous declare qu'il ne nous veut point du tout exterminer, mais qu'il nous est Pere quand nous avons nostre refuge à lui, et que nous y venons en humilité: cela doit purger nos coeurs de toute rebellions, de toute amertume, afin de nous faire ranger à son obeissance pour dire, Seigneur, puis que tu es si bon envers moi, ne permets point que ie me rebecque contre ta main, voire puis qu'elle esté paternelle. Voila donc comme afin d'estre consolez en nos afflictions, il nous faut ranger à la suiettion de Dieu, pour nous laisser gouverner par lui, et pour trouver sa iustice bonne afin que par nostre rebellion nous n'allumions point le feu d'avantage, comme il en a esté parlé Ci dessus.

Or notamment il est dit: Afin que Dieu ne le ruine et ne le consume point avec sa suffisance. Ceci est pour abbatre l'orgueil qui est aux hommes, d'autant que tousiours ils se veulent munir contre la main de Dieu. Et pour ceste cause Eliu adiouste, Qu'il n'y aura nulle rançon: que nous aurons beau apporter, de grands presens, qu'il n'y aura ni or ni argent qui nous puisse delivrer de la main de Dieu: mesmes ce sera l'occasion de nous ruiner. Or ici nous devons cognoistre que Dieu a voulu abbatre ce que les hommes eslevent contre lui. Car si l'un est riche, que l'autre ait du credit, que l'autre soit prisé et honoré: nous voulons faire rempar contre Dieu de toutes ces choses, et nous semble que nous sommes munis pour empescher sa main: ou si nous n'avons ceste folle apprehension, tant y a qu'il y aura tousiours quelque stupidité en nous. Car iusques a ce que les hommes soyent aneantis, cognoissans qu'il n'y a vertu ni rien qui soit en eux, ils cuident estre suffisans pour resister à Dieu. Que faut-il donc? Que nous apprenions que toute nostre suffisance est moins que rien, voire quand nous avons affaire à nostre Dieu: car

288

il ne fera que souffler dessus. Nous aurons beau amasser toutes les forces du monde: non seulement celles qui pourront estre en un homme, voire fust-il le plus robuste qui auroit iamais esté: mais quand on aura amassé et haut et bas toutes les forces qui sont aux creatures, cela n'est rien quand nous aurons la main de Dieu qui nous est contraire. Et ainsi donc notons bien, que pour nous humilier devant Dieu il nous faut deporter de toutes vaines presomptions, il ne faut point que nous cuidions avoir rien de residu. Voire, combien que nous pensions pour un temps avoir quelque force et vigueur en nous: il faut que nous cognoissions que tout cela n'est que fumee, quand il plaira, à Dieu de nous consumer. Et là dessus que nous retournions tellement à lui, que nous le prions qu'il nous rende suffisans en sa vertu: c'est que nous soyons du tout appuyez sur lui, cognoissans que nous tenons et nostre vie et toutes les dependences d'icelle de sa pure bonté et gratuite. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage, quand il est dit, Que Dieu ruinera les hommes avec leur suffisance, et qu'ils seront consume nonobstant toutes leurs forces.

Or quand il est dit, Qu'il n'y aura point de rançon, c'est pour mieux exprimer ce que nous venons de dire. Car combien qu'un chacun confessera, que l'or ne l'argent ne sont point pour nous racheter de la main de Dieu: toutes fois si voit-on que les hommes s'endorment en leurs richesses, en leur credit, et choses semblables: et quand ils ont dit, le ne puis resister à Dieu, si est-ce qu'ils font des rempars de cela, comme s'ils pouvoyent repousser le mal, et bataillent contre Dieu. Comment? D'où vient une telle presomption? Voila un ver de terre, qui n'est que charongne et pourriture, qui viendra s'eslever contre son Createur: ne faut-il pas qu'il y ait une horrible stupidité, et plus que brutale? Il est bien certain. Mesmes quand l'homme est riche, qu'il pense avoir ie ne sai quoi pour estre prisé, ou qu'il se voudra faire valoir, voire iusques à s'eslever contre Dieu, encore qu'il ne dise mot: le voila eslourdi en sorte qu'il luy semble que son or et sou argent le peuvent delivrer. Il ne faut point donc que nous regardions a ce que les hommes confessent de bouche: mais il nous faut contempler leurs faits, qui donnent une vraye approbation de ceste arrogance diabolique: assavoir de ce qu'ils se confient en leur or et en leur argent, qu'au lieu de l'appliquer en bon usage, ils cueillent à ceste occasion un tel orgueil, qu'ils viennent heurter à l'encontre de Dieu. Puis qu'ainsi est donc, il nous faut bien penser à cela: car le sainct Esprit n'use point ici d'un langage superflu. Il est vray que de prime face il nous sembleroit que ceci n'auroit point

IOB CHAP. XXXVI.

289

grand mestier d'estre declare, que Dieu mesprise l'or et l'argent. Et qui est-ce qui ne le sait? Et les petis enfans en pourroyent autant dire. Voire, mais cependant les plus sages, c'est à dire qui se reputent tels, et qui auront une telle opinion devant les hommes, ceux-la tous les coups s'aveugleront tellement, qu'il leur semble qu'ils pourront estre rachetez par or et par argent. Car sous ombre qu'ils auront quelque chose, et qu'on les craint, qu'on les honnore, les voila tellement enyvrez, qu'il ne leur semble plus qu'ils soyent hommes mortels: ils ne pensent plus qu'en un moment Dieu les pourra ruiner. Car s'ils y pensoyent, iamais n'auroyent ceste audace diabolique dont i'ay parlé, de s'eslever ainsi à l'encontre de Dieu. Or puis qu'ainsi est, apprenons de mieux faire nostre profit des verges de Dieu, que nous n'avons pas fait. Et au reste, encores qu'il ne frappe point sur nous, que nous sachions faire nostre profit des corrections qu'il nous monstre à l'oeil. Car Dieu use d'une telle bonté qu'il nous instruit au despens d'autruy, et nous propose des chastimens qui nous doivent servir d'instruction. Avisons donc à cela, et ne nous eslevons point contre luy. Et au reste, voyans que nous ne pouvons rien apporter qui nous rachette de sa main, recourons à ceste rançon qu'il nous a donnee en la personne de son Fils: comme aussi sainct Pierre le monstre (1. Pier. 1, 18), Que nous ne sommes point rachetez ni par or ni par argent, mais par le sang precieux de l'Agneau sans macule.

Voila donc où il nous faut venir pour conclusion de ce passage: c'est qu'apres avoir cognu que nous sommes destituez de tous moyens pour eschapper de la main de Dieu: mais qu'il faudroit que nous fussions consumez pleinement, n'ostoit qu'il usast envers nous de pitié: nous cognoissions qu'il nous a donné un bon remede quand il luy a pleu

d'exposer son Fils unique on sacrifice pour nous: qu'alors nous avons esté rachetez, que c'est un pris suffisant pour abolir toutes nos fautes, que le diable n'aura plus nul droit sur nous. Car quand nous serions accablez d'une multitude infinie de pechez: toutes fois si le sang de Iesus Christ respond, c'est pour satisfaire de toutes nos offenses, c'est pour appaiser l'ire de Dieu. Voila donc où doit estre nostre refuge. Mais nous ne pouvons venir au sang de Iesus Christ, iusques à tant que nous ayons esté despouillez de toute presomption: voire et pour le passé et pour l'advenir. Pour le passé, afin que nous sentions que nous serions du tout perdus on nos pechez, et abysmez, n'estoit que Dieu nous donnas ce moyen d'en estre purgez par le sang de son Fils: et pour l'advenir, afin que nous ne soyons plus ainsi transportez d'une telle furie, pour nous eslever à l'encontre de nostre Dieu comme si nous pouvions eschapper de sa main mais que chacun se tienne comme bridé voire d'un lien volontaire: que nous n'attendions pas que Dieu nous encheine comme des bestes sauvages: mais que chacun se bride de son bon gré. Que nous ayons ceste modestie en nous de ne rien attenter contre luy: mais quand il luy plaira de nous chastier, qu'un chacun regarde à soy, Or ça Dieu me chastie d'un tel peche, et en telle maniere: il faut que i'en face mon profit. Que donc nous ne facions point la sourde aureille, quand Dieu nous advertist ainsi: mais que nous regardions de pres à nous, que nous soyons vigilans aux exemples qu'il nous donne, afin que nous ne soyons point incorrigibles et qu'il ne nous advienne ce qui a esté dit par cy devant, c'est que nous amassions tousiours une plus grande ire et une plus horrible vengeance de Dieu sur nous.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

290

LE CENT QUARANTEDEUXIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XXXVI. CHAPITRE.

20. Ne consume point la nuict pour exterminer les peuples sous eux. 21. Garde toy de te tourner à l'iniquité, car tu l'as esleuë plustost que l'affliction. 22. Voici Dieu exalte en sa vertu: qui est semblable à luy pour enseigner? 23. Qui est-ce qu'il a ordonné sur luy en ses voyes, qui est-ce qui luy dira, Tu as fait iniquité? 24. Souvienne toy de magnifier son oeuvre, laquelle les hommes contemplent.

Nous savons que c'est une bonne chose et utile de penser aux oeuvres de Dieu. Voila aussi dont il nous faut prendre toute nostre instruction et sagesse pour toute nostre vie. Or plustost en la nuict, quand nous sommes retirez, nous avons le loisir d'estre occupez à nous appliquer à ceste estude-la: car nous passons les choses que nous avons veu de iour: mais de nuict, nous y pensons

SERMON CXLII

291

avec plus grand loisir et repos, et les comprenons mieux, toutes fois il nous faut tenir mesure, quand nous pensons aux oeuvres de Dieu: c'est assavoir, que si elles sont trop hantes pour nous, et qu'elles surmontent nostre esprit, il nous faut arrester là, et le glorifier, mesmes quand il lui plaist de nous cacher la raison de ce qu'il fait. Et voila pourquoi en ce passage il est dit, Qu'il ne nous faut point consumer la nuict pour ruminer par trop, comme les peuples sont exterminez sous eux. Il est bon de nous enquerir comme Dieu extermine les peuples voire afin de nous instruire à humilité. Car il nous faut faire cest argument, que s'il ne couste rien à Dieu de raser tout un pays, et les habitans: et que sera-ce d'une povre personne? Faut-il qu'un seul homme s'enorgueillisse, et qu'il cuide avoir un estat permanent, quand il voit devant ses yeux, que Dieu racle en une minute de temps une grande multitude de gens? Voila donc une comparaison utile, Comment? Si Dieu n'espargne point un pays, quand on l'a offensé: il cognoist des pechez en moi tant et plus: que sera-ce donc? Car ie ne suis qu'une miserable creature. u reste, quand nous aurons pensé à cela, si quelquesfois nous avons nos esprits troublez et confus, et qu'il nous vienne des questions en nostre teste, dont nous ne puissions pas nous resoudre: que faut-il faire, sinon de nous tenir en ceste sobrieté, d'adorer les iugemens de Dieu, encores que nous ne les comprenions pas? Il nous faut donc estre attentifs aux oeuvres de Dieu: mais si faut-il nous garder d'estre excessifs pour en faire trop longue inquisition, et profonde. Et voila pourquoi il nous est defendu en ce passage, de consumer la nuict, ou l'engloutir. Voila donc pour un Item.

Et au reste notons, quand il est dit, Que les peuples sont exterminez sous eux, que c'est pour magnifier d'avantage la puissance de Dieu, en ce qu'il fera fondre les hommes comme en un abysme au lieu qu'il leur aura donné pour y habiter. Si un peuple estoit chassé à veuë d'oeil, et transporté en quelque region lointaine, et qu'il demeurast tousieurs tel qu'il estoit, cela ne seroit point pour nous en faire tant esmerveiller: mais aux changemens qui adviennent au monde, il semblera que Dieu face fondre les hommes comme neige. Et defait nous voyons quelquesfois un pays avoir esté bien peuplé, et estre maintenant desert. Que sont devenus les habitans? Il est vrai qu'ils sont espandus çà et là: mais si est-ce que la memoire en est comme rasee, quand on ne les peut noter, pour savoir qu'ils sont devenus. Voila qu'emporte ce mot, où il est dit, que les peuples seront exterminez en leur lieu, et comme sous leur pied: comme si la terre s'ouvroit, qu'ils fussent là engloutis, et qu'on ne peust cognoistre mesmes la trace de leur chemin.

292

Quand Dieu besongne en une telle façon, voila une chose plus admirable, que si les peuples estoyent remuez çà et là, et qu'il s'apperceust comme Dieu les desloge d'yn pays, pour leur donner habitation nouvelle. Or par ceci nous sommes admonnestez qu'en considerant les iugemens de Dieu, il nous les faut comprendre plus haut que nostre esprit ne monte: car voila qui est cause que nous ne craignons point Dieu tant que nous devons. Tant y a que nous aneantissons sa vertu, en ne craignant la hautesse qui est en loi, laquelle nous doit effrayer. Apprenons donc, toutes fois et quantes que nous appliquons nos esprits à mediter les iugemens de Dieu qu'il exerce en ce monde, d'avoir ceste consideration en nous, Que c'est une chose trop haute, et quand nous y aurons bien pensé qu'il nous faut demeurer court, et que nos esprits ne s'estendent pas si au long, ne si au large. Et cependant il y a aussi une autre admonition bien bonne, Qu'il ne faut point que Dieu use de moyens inferieurs et visibles, quand il nous voudra consumer: car si nous sommes debout il ne laissera pas de nous faire fondre. La terre qui nous soustient auiourd'huy nous defaudra, encores que nous n'ayons point d'ennemi qui nous assaille, encores que Dieu n'envoye point de grosses armees: mesmes il ne faudra sinon qu'il nous regarde en son courroux, et nous serons consumez, voire sans qu'on y mette la main. Il ne faudra point que Dieu nous remue bien loin, qu'il nous iette pour nous rompre le col: car quand nous serons sur nos pieds, et qu'il semblera que nous pourrions bien nous maintenir debout: tant y a que nous perirons si Dieu nous est contraire, et n'y aura rien qui nous puisse affranchir. Quand cela nous est monstré, apprenons de nous humilier et de n'avoir autre fondement que la vertu d'enhaut. Puis que Dieu promet qu'il nous tiendra la main, confions-nous en cela, remettons-nous à luy: et cependant cognoissons nostre vanité et insuffisance, afin de n'estre point eslevez d'aucune presomption qui nous enyvre. Voile en somme ce que nous avons à retenir de ce verset.

Or il est dit quant et quant, Garde toy de te tourner à iniquité: car tu l'as esleuë plus que l'affliction, ou bien a cause de l'affliction: car le mot et la façon de parler en Hebrieu emporter tous les deux. En premier lieu Iob est ici admonnesté de ne point se tourner à mal. Or sous ce mot n'entendons point ou larcin, ou meurtre, ou envie, et choses semblables: mais entendons les despitemens contre Dieu, et les murmures, et rebellions qui procedent d'impatience. Voila donc pourquoy il est dit que Iob se doit garder de se convertir à mal: d'autant qu'il ne s'estoit point monstré assez patient, pour s'assuiettir à Dieu et confesser sa iustice, cependant qu'il estoit affligé.

IOB CHAP. XXXVI.

293

Or notamment il luy est dit, qu'il soit sur ses gardes: car c'est une chose difficile, que nous n'y tombions quand l'affliction nous presse. Au reste, ce qui est dit à Iob nous doit servir à tous. Et ainsi prenons ceste sentence, comme si le sainct Esprit en commun nous exhortoit, qu'alors que nous sommes affligez il nous faut estre vigilans, pour ne point decliner à mal. Et la raison? Si tost que la main de Dieu nous touche, nous sommes si despiteux que rien plus, et ne faut gueres pour nous fascher: mesmes si l'affliction est grande et violente, nous voila abbatus, quelque force qu'il y ait eu auparavant: et combien qu'on pensast que nous deussions estre invincibles, nous sommes descuragez, et ne savons que devenir. Puis donc qu'il y a telle fragilité en nous, il faut bien que nous soions sur nos gardes, et que nous prenions peine à tenir bon. Voire: car combien qu'on s'y efforce, si est-ce qu'il sera encores bien difficile de persister que nous ne tresbuchions en quelque sorte. Or cependant nous avons à prendre courage, quand nous voyons que l'Esprit de Dieu cognoist combien nos combats sont difficiles. Car nous travaillons pour nous garder du mal, ne doutons point que Dieu ne nous supporte, s'il voit que nous y serions consumez: moiennant que nous tendions là, et que chacun de nous s'y esvertue, encores qu'il y ait de la foiblesse, et que nous ne facions pas pleinement nostre devoir Dieu acceptera la peine que nous prenons, et la trouvera bonne. Voila qui nous doit donner courage. Mais tant y a qu'il nous faut estre diligens en cest endroit suivant ce qui nous est ici monstre. Ne nous flattons point donc mais insistons la dessus, pour ne point nous convertir à mal, c'est à dire pour ne point nous fascher par trop si nous sommes batus des verges de Dieu. Travaillons, di-ie, pour ne point nous rebecquer contre lui, pour ne point murmurer contre sa iustice: car comme nous avons veu ci dessus, c'est le comble d'iniquité, quand les hommes s'eslevent ainsi contre Dieu, et qu'ils lui sont rebelles, quand ils ne peuvent trouver bon ce qu'il fait pour le glorifier. Et combien que ce mal n'apparoisse tel au iugement des hommes, si est-ce que Dieu l'estime un crime plus qu'enorme: et non sans cause. Et ainsi soyons sur nos gardes, toutes fois et quantes que nous sentirons quelque affliction pour nous tenir cois, et nous assuiettir pleinement à Dieu.

Et c'est ce qu'Eliu monstre plus clairement, quand il adiouste, Que Iob a esleu le mal plustost que l'affliction, ou, à cause de l'affliction. Toutes les deux expositions tendent à un mesme but: c'est que Iob n'a point porté sa condition paisiblement pour s'humilier: mais qu'estant affligé, il s'est eslevé contre Dieu, et n'a point cognu qu'il falloit

294

qu'il se rang/ st sous la main de celui qui le tenoit en sa puissance. Si on demande, Comment Iob est-il condamné d'une telle rebellion, veu qu'il nous est proposé comme un miroir de patience? nous avons desia solu ceste question, c'est que Dieu l'a bien tenu pour patient. Et defait ceste vertu est prisee en lui, et en a tesmoignage non seulement des hommes mortels mais du S. Esprit. Toutes fois cela n'empesche point, qu'il n'y ait eu de l'imperfection, et qu'il n'ait failli en quelque endroit. Or si Iob s'estant efforcé à estre paisible pour glorifier Dieu, pour cognoistre sa vertu, et la publier, est neantmoins condamné: que sera-ce de nous, ie vous prie? Si nous faisons comparaison de la patience qui a esté en lui, avec nos despitemens ou murmures: et nous sommes si delicats, que si tost que Dieu leve un petit doigt, nous sommez enflammez en colere, il n'est question que de murmurer et de nous fascher. Si donc nous sommes bien loin de la vertu de Iob, ne meritons-nous pas d'estre condamnez cent fois plus que lui? Et pourtant en premier lieu cognoissons que l'affliction, combien qu'elle nous soit envoyee pour nous dompter, nous incite à rebellion contre Dieu non point de sa nature, mais à cause de nostre vice. Quand Dieu nous chastie, c'est afin de mieux chevir de nous: comme il nous declare nos pechez afin qu'en les condamnant nous ayons nostre refuge à lui, que l'a ans cognu nostre Iuge nous lui demandions pardon et grace, que nous apprenions de ne plus nous complaire ni applaudir en nos fautes. Voila donc pourquoi Dieu nous chastie. Mais nous tournons les afflictions tout au rebours: car au lieu de nous abbaisser sous la main de Dieu, nous ne faisons que nous rebecquer, et grinçons les dens, et nous tempestons. Bref, nous ne pouvons estre ne povres ne malades, ni souffrir autres miseres en ce monde: que nous voudrions bien que Dieu nous laissast en paix, voire et qu'il nous gouvernast à nostre phantasie, et non point qu'il fist rien contre nostre volonté. Ainsi de l'affliction nous declinons au mal. Voyons donc une telle perversité en nous, que les moyens que Dieu ordonne pour nous tenir en bride et sous son obeissance, nous les tournons à l'opposite, et tout au contraire, c'est de faire des bestes sauvages, et nous despiter contre lui, et regimber contre l'esperon: voyans, di-ie, qu'un tel vice est en nous, apprenons de resister à l'encontre, tant qu'il nous est possible. Et si Iob neantmoins est ici accuse, qu'en l'affliction il a esleu l'iniquité: pensons que cela nous adviendra beaucoup plus, si nous ne sommes sur nos gardes.

Au reste quand il est dit, Plustost que l'affliction (car c'est l'exposition plus propre, et plus naturelle: combien que toutes les deux, comme i'ai

SERMON CXLII

295

dit, reviennent à un) la façon de parler a quelque grace, dont nous pouvons tirer doctrine. Il est donc dit, Que Iob a esleu l'iniquité plustost que l'affliction. Et comment? Quand un homme se despite contre Dieu, eschappe-il de sa main pourtant? Non: mais il ne se tient point en son rang: car l'affliction doit emporter cela que nous soyons abbatus. Or nous combattons contre la main de Dieu. Il est vrai que c'est en vain, nous serons frustrez de toutes nos attentes, et ne gaignerons rien: mais tant y a que nous voudrions (s'il estoit possible) n'estre plus suiets à Dieu, toutes fois et quantes que nous grinçons ainsi les dens par impatience contre lui. Et pour ceste cause i'ai dit que ce mot emporte bonne doctrine. Car si nous sentions vivement, que tous ceux qui ne se peuvent assuiettir aux afflictions, sont faschez de s'assuiettir à Dieu, et qu'ils voudroyent repousser toute sa vertu: nous aurions l'impatience en plus grande horreur que nous n'avons pas, mesmes nous sentirions que c'est un blaspheme insupportable. Quand donc nous ne faisons nul scrupule de nous despiter et tourmenter quand la main de Dieu est sur nous c'est signe que nous n'avons point cognu ce qui est dit en ce passage, c'est assavoir, que tous ceux qui sont impatiens ne veulent plus estre suiets à Dieu, mais lui voudroyent avoir aneanti l'empire et l'authorité qu'il a sur eux. Voila qui nous doit admonnester, d'estre patiens plus que nous n'avons de coustume, toutes fois et quantes que nostre Dieu nous veut ranger à humilité.

Or apres cela Eliu adiouste, Que Dieu exalte en sa vertu, et qui est-ce qui est semblable à lui pour enseigner? ou, qu'est-ce qui est un tel legislateur: les autres exposent, qui est celui qui rue, ou iette comme lui? Car le mot aussi emporte Ietter: mais tant y a que la procedure du texte monstre, puis qu'ici il est question de la sagesse de Dieu, qu'il vaut mieux prendre le mot pour enseigner, ou pour imposer loi et doctrine, comme le mot le signifie le plus souvent. Or donc maintenant il nous faut prendre ceste sentence en premier lieu, c'est Que Dieu n'a point de semblable à lui pour enseigner. Ceci ne se rapporte pas simplement à la parole de Dieu: mais aussi à la vertu interieure que Dieu desploye, quand il lui plaist nous toucher vivement et percer nos coeurs en sorte que nous venons à lui. Il est vrai que quand la parole de Dieu se presche, qu'on lit l'Escriture saincte, Dieu est alors nostre docteur, et c'est lui qui nous tient en son escole: et cela se peut bien dire qu'il n'y a doctrine semblable à la sienne. Car quand nous aurons esté enseignez des hommes toute nostre vie, il ny aura que vanité en nous, iusques à tant que nous soyons fondez en la sagesse de Dieu: pource qu'il n'y a fermeté que là, tout le reste s'esvanouyst. Et

296

de fait les sages de ce monde, quand ils ont esté bien lettrez, et bien subtils: si est-ce qu'ils ont tousiours eu des nu es, qui leur ont obscurci les entendemens, en sorte qu'il n'y a rien eu de certain, et tousiours ils sont demeurez confus. Et autant en prendra-il à tous ceux qui sont enseignez des hommes. C'est donc une sentence bien vraye, qu'il n'y a point de docteur semblable à Dieu: d'autant que nous ne serons iamais instruits en perfection, iusques à ce que nous ayons cognu la parole de Dieu. Mais Eliu tend ici plus loin encores: c'est assavoir, Que nous sommes enseignez de Dieu, quand il luy plaist nous toucher là dedans par son sainct Esprit, et qu'il besongne en sorte que nous cognoissons sa maiesté pour nous y renger, Or on ne trouvera point creature qui puisse faire cela: c'est l'office propre de Dieu, et de son sainct Esprit: et aussi il se reserve par tout, et l'experience monstre qu'il est digne de ceste louange. Car quand nous lirons sans fin et sans cesse l'Escriture saincte, quelle nous sera exposee, et que nous aurons gens exquis en savoir, et de grande dexterité: si est-ce que tout leur labeur sera inutile, et ne nous profiteront rien, iusques à ce que Dieu par son sainct Esprit nous illumine, et touche nos coeurs, et les amollisse, qu'il nous perce l'aureille (comme il a esté veu ici devant) qu'il nous ouvre les yeux, que nos coeurs qui sont durs comme pierre soyent convertis en chair, que nous plions sous son obeissance. Iusques à ce que Dieu face cela, on aura beau parler à nous: car toute doctrine nous eschappera et ne fera que s'estcouler, elle ne pourra iamais prendre racine en nos ames. Ainsi ce n'est point sans cause qu'il nous est ici remonstré, qu'il n'y a docteur semblable à Dieu. Au reste ce n'est point seulement afin que nous venions à luy pour estre deuëment enseignez: mais que nous apprenions, de ne point estre sages en nos discours et imaginations que nous pourrons concevoir. Et pourquoy? Ce seroit nous fermer la porte, pour ne point venir à l'escole de Dieu. Que faut-il donc? Que nous apprenions d'estre du tout ignorans, iusques à ce que nostre Seigneur nous ait monstré sa volonté. Et au reste contentons-nous de savoir ce que nous tenons de luy: et tout ce qui nous viendra en phantasie, mettons-le sous le pié, sachans que ce n'est que toute mensonge et abus. Voila donc ce qu'Eliu a entendu en ce passage.

Et c'est aussi pourquoy il est dit, Voici Dieu qui exalte en vertu, ou esleve. Par cela il monstre, que si Dieu besongne, il ne faut point que nous pretendions de savoir tout ce qu'il fait iusques au bout: comme nous pourrons examiner l'ouvrage des hommes, quand nous l'aurons devant nos yeux, nous le contemplons et le regardons et çà et là Car

IOB CHAP. XXXVI.

297

aussi nous le pouvons manier des mains, nous le pouvons remuer à nostre plaisir. Ce D'est pas ainsi des oeuvres de Dieu. Et pourquoy? Car il esleve en sa vertu, c'est à dire, il est admirable en ce qu'il fait. Il ne faut point donc que les hommes attentent et s'ingerent iusques là, de s'enquerir iusques au bout de ce qu'il fait: et quand ils ne comprendront point le tout, qu'ils en iugent à la volee, et laschent la bride à leur temerité. Et pourquoy? Voyans que les oeuvres de Dieu sont si hautes, selon qu'elles procedent de sa vertu infinie, aussi il faut qu'elles nous retiennent là car nous sommes ici couchez, il y a longue distance, et ne pouvons pas voler si haut: et pourtant contentons-nous de ce que Dieu nous envoye, et souffrons d'estre moderez par son sainct Esprit, et que nous ne vuoillions ni appetions rien cognoistre, sinon ce qu'il nous aura monstré. Soyons (en somme) ses escoliers, et cognoissons que la gist toute nostre sagesse, de retenir nos phantasies, afin qu'elles n'extravaguent point. Maintenant nous voyons quelle est l'intention d'Eliu. Et ainsi suivons ceste admonition, pour mieux confermer le propos que nous avons tenu par ci devant. Il a esté dit, que c'est une chose bonne d'appliquer nostre estude à considerer les oeuvres de Dieu, moyennant que nous y soyons sobres, cognoissans la petitesse de nos esprits. Quand donc il est dit, que Dieu exalte en vertu, cognoissons qu'il ne nous veut pas laisser vaguer à nostre appetit: et pourtant que nous ne concevions point ceste fierté, pour dire que ses ouvrages soyent estimez semblables à ceux des hommes: mais sachons qu'il veut qu'on les magnifie, et qu'on les adore. Au reste, pource que l'Esprit nous defaut, et que cependant nostre chair nous solicite, et nous chatouille pour vouloir plus enquerir qu'il ne nous est licite: retenons qu'il n'y a semblable à Dieu pour enseigner: qu'il nous faut donc venir à luy, afin qu'il nous illumine, et que nos esprits soyent gouvernez sous sa main et conduite. Quand nous aurons esté instruits en ceste escole-la, nous profiterons assez aux oeuvres de Dieu, et cependant nous aurons dequoy pour rembarer toutes nos curiositez. Et de fait il nous faut tousiours estre vigilans pour nous retenir: car combien que les fideles soyent modestes, et qu'ils se soyent formez à cela de longue main, d'estre instruits de Dieu: toutes fois il y a tousiours des curiositez qui voltigent en leur cerveau, et ils sont distraits, il y a beaucoup d'imaginations qui leur viennent au devant, Et pourquoy ceci? Et pourquoy cela? Mais revenons tousiours à ceste conclusion, Pource que nous ne sommes point capables de comprendre les oeuvres de Dieu, et nulle creature mesme n'y sera suffisante, il faut que nous venions à luy: et que Don seulement il nous instruise

298

par sa parole, et que nous apprenions ce qui est là contenu: mais que nous soyons illuminez, qu'il dispose nos coeurs, et qu'il nous renge à soy pour nous tenir pleinement en bride. Voila en somme ce qu'il nous faut retenir de ce passage.

Or il est dit puis apres, Qui est-ce qui visite sur luy en sa voye? et qui est-ce qui luy dira, T? as fait iniquité? 011 bien, Qui est-ce qu'il a constitué sur luy en sa voye? car le mot signifie aucune fois constituer en preeminence et seigneurie, aucunesfois Visiter: Tant y a que l'intention d'Eliu est claire, c'est assavoir, qu'il n'est point aux creatures mortelles: de controller Dieu et de s'enquerir pour trouver à redire en ce qu'il fait, et pour le redarguer: comme s'il estoit mauvais, et s'il n'avoit pas bien eu cognoissance de disposer les choses comme il faut. Voila la somme de ce qui est ici contenu. Or pour tirer doctrine plus familiere de ceste sentence, prenons ceci en un mot, Que les hommes doivent estre iugez de Dieu, et qu'ils n'ont point d'autorité de iuger sur luy. C'est ce qui nous est remonstré par ces mots dont use ici Eliu. Voulons-nous donc iuger de Dieu? C'est un sacrilege: car nous usurpons ce qui est sien. Il est escrit, que tout genouil se ployera devant luy. Et pourquoy? Pour venir devant son siege iudicial, comme S. Paul l'expose au quatorzieme des Rom. Puis qu'ainsi est donc que Dieu se reserve cela, à luy seul, de nous iuger: que nous reste-il, sinon de nous abstenir de ceste audace diabolique, de vouloir ainsi le contreroller, et nous rebecquer contre luy: comme s'il y avoit à redire en ce qu'il fait, et qu'il fust reprehensible, et que nous eussions quelque meilleure raison et prudence? Or si ceci estoit bien pratiqué, nous verrions une autre modestie aux hommes à louer Dieu: et au lieu que les blasphemes trottent par les bouches, on orroit les louanges de Dieu resonner par tout, tellement qu'il y auroit une melodie consonante pour magnifier sa iustice et sagesse, et vertu, et bonté inestimable. Mais quoy? Combien que chacun de primeface confessera, que c'est bien raison que Dieu besongne en sorte que nul ne s'esleve contre luy: tant y a que tous le font, et y en a bien peu qui se puissent tenir d'un tel orgueil, quand ils s'y voyent estre enclins de nature. D'autant plus nous faut-il retenir ceste doctrine, qui nous est ici donnee par Eliu, ou plustost par le sainct Esprit: c'est qu'il nous souvienne de magnifier les oeuvres de Dieu, voire lesquelles les hommes cognoissent. Apres donc qu'Eliu a dit, que nul ne pourra redarguer Dieu en tontes ses oeuvres, il nous monstre, qu'il nous doit souvenir de les magnifier. Et pourquoy? Car en la fin nous trouverons, que par experience les hommes sont convaincus, que Dieu ne fait rien

SERMON CXLII

299

qu'en toute droiture et equité. Cognoissans donc cela, que nos esprits soyent retenus, afin de ne nous point esgarer, et ietter travers champs.

Or il faut conioindre ces deux sentences, comme elles sont ici mises. La premiere c'est, Qui est-ce qui pourra dire à Dieu, Tu as fait iniustement? L'autre; Qu'il nous doit souvenir de le magnifier. Il est vray que la plus grand part sauront bien s'eslever iusques là: et defait on n'orra que murmures contre Dieu: et combien qu'il soit equitable en tout et par tout, tant y a que les hommes ne laissent point de l'accuser. Mais cependant si est-ce qu'ils ne peuvent point parvenir iusques à luy. Et voila pourquoy Eliu se mocque de ceste outrecuidance, quand il dit, Que nul ne pourra dire à Dieu qu'il a fait iniquité. les hommes pourront bien desgorger leurs blasphemes: mais tant y a qu'ils s'esvanouiront et s'escouleront comme eau: et cependant Dieu demeurera en son entier, et se moquera de ceste presomption, quand les hommes se voudront ainsi ietter contre luy. Notons bien donc que ceux qui ne se tiennent point en telle modestie comme nous avons monstré qu'on le doit faire, ne profiteront rien quand ils auront beaucoup repliqué à l'encontre de Dieu. Et pourquoy? Car il n'a constitué personne sur luy. En cela il nous est monstre, que les hommes sont bien fols et desprouveus de raison, quand ils disputent ainsi contre Dieu. Pourquoy? Qui est-ce qui les a constituez en cest office? Si quelqu'un vouloit iuger ceux sur lesquels il n'a nulle puissance, et qu'il imposast des tailles et tributs, qu'il donnast des sentences, estimeroit-on une telle presomption? Ne tiendroit on point un tel homme pour un fol? Or nous sommes plus ridicules beaucoup, en nous eslevant à l'encontre de Dieu. Si un povre belistre donnoit les duchez, et les seigneuries, et qu'il constituast des iuges, et lieutenans par un pays chacun s'en mocquera. Or nous faisons bien plus, quand nous pretendons de gouverner Dieu, et de lui monstrer sa leçon. Et où est-ce aller? Si nous voulions assuiettir tous les princes à nostre appetit, il n'y auroit point une telle arrogance que celle-la, ne si furieuse. Or donc Eliu monstre ici, que si nous sommes tentez de iuger des oeuvres de Dieu trop hastivement, et que nostre raison soit trop hardie et superbe, il nous faut venir là Quoy? Quand on aura bien tout pensé, est-ce à nous de regarder à Dieu pour le controller: et pour speculer, quand il aura fait quelque chose: pour y trouver à redire, quand sa main y aura passe? Avons-nous la superintendence sur luy? Faut-il que nous enquerions de ses voyes? Quand donc nous aurons ce poinct tout resolu, ce sera assez pour rembarrer toutes questions curieuses, et pour nous retenir en bride. Car (on somme) il nous faudra conclure que Dieu en monstrant ses

300

oeuvres, vent que les regardions, comme nous estans nu dessous.

Il est dit ici, Qui est-ce qui visitera sur luy? Ce mot emporte beaucoup: car il y a deux façons de regarder les oeuvres de Dieu. L'une C'est quand nous sentons nostre petitesse, et recognoissans que nous rampons ici bas, nous eslevons nos esprits en haut par foy, sachans que nous ne sommes point capables de comprendre des secrets si haut, et si profonds: bref, quand ceste humilité-la est coniointe avec la foy, pour adorer ce qui nous est incognu. Voila donc une bonne façon de contempler les oeuvres de Dieu: car c'est sous luy. Quand donc nous sommes ainsi bas et petits, et qu'ayans cognu nostre mesure nous levons la teste en haut, nous dressons les yeux, et qu'en toute reverence nous desirons de cognoistre ce qu'il plaist à Dieu de nous monstrer, et non plus: voila comme dessous Dieu nous regardons ses oeuvres.

Or à l'opposite il est dit en ce passage, Et qui est-ce qui visitera sur lui en sa voye? Voila l'autre façon contraire quand les hommes s'eslevent, et montent sur leurs ergos et qu'ils veulent contempler les oeuvres de Dieu, comme si elles estoyent inferieures à eux. Or montans ainsi il faut qu'ils se rompent le col. Car quelles sont nos eschelles? Et puis travaillons tant qu'il nous sera possible en nos folles imaginations: il est certain que nous n'aurons nul fondement pour nous soustenir. Ainsi donc voila une façon perverse et maudite de contempler les oeuvres de Dieu: c'est assavoir, quand les hommes viennent à luy, comme pour mettre sous leurs pieds tout ce qu'il ait, et pour l'amener en conte, et asseoir iugement comme s'ils avoyent la superintendence par dessus luy. Gardons-nous de cest orgueil diabolique: car c'est une ruine certaine voire et mortelle quant et quant. Voila donc ce que nous avons à retenir, quant a ceste sentence.

Et au reste retenons puis apres l'admonition qui depend de là: car c'est comme un accessoire quand il est dit, Qu'il nous souvienne de magnifier les oeuvres de Dieu. Et c'est la seconde sentence que i'avoye dit qu'il falloit conioindre avec la precedente. Or pourquoy est-ce qu'il est dit, qu'il nous en souviene? Car il semble qu'Eliu pouvoit dire en un mot, Magnifie les oeuvres de Dieu: mais il dit, Qu'il te souvienne. Pourquoy? C'est d'autant que nous sommes volontiers preoccupez de nos phantasies mauvaises, qui nous empeschent de rendre à Dieu la gloire qu'il merite, et qu'il luy est deue aussi. Il faut donc que nous remettions nostre esprit en m noire, veu qu'il y a un tel oubli de Dieu. Exemple. Si tost que nous devons penser à Dieu, le premier qui nous viendra en phantasie ce sera quelque illusion de Satan, pour nous faire despiter, ou pour nous mettre eu desespoir, ou

IOB CHAP. XXXVI.

301

pour nous envelopper en quelque defiance, ou pour nous faire tomber en ruine du tout. Voila donc comme nos esprits sont embrouillez d'une telle ignorance, que nous ne pensons point à Dieu, et que cependant Satan est assez subtil pour nous mettre quelque mauvais propos en la phantasie, pour nous destourner de Dieu, s'il luy estoit possible. Il est vray que beaucoup de gens ne savent lue cela veut dire (car ils sont du tout stupides) nais ceux qui le cognoissent sont admonnestez de sentir la maladie qui est enracinee en tous hommes. Or d'autant que nous pouvons estre tentez de ces mauvaises phantasies, voila pourquoy il est dit, qu'il nous faut revenir à nostre sens, et qu'il ne faut pas que Dieu soit comme enseveli, ains reduire en memoire ce que Dieu mesmes a imprimé en tous hommes, assavoir, Qu'il ne faut point que la creature s'esleve contre le Createur: et que cela nous serve d'une bride, pour tenir toutes nos affections captives, et les mettre sous le pié pour dire, Povre creature, où estois-tu? Tu viens ici entrer en dispute contre ton Dieu, et l'assuiettir, et y a-il raison en cela? Que tu le viennes ainsi contreroller, et qu'il passe comme vous ta main? et quelle audace est-cela? Quand donc les hommes entreront en un tel examen, ce sera pour les faire repousser toutes les mauvaises phantasies qui leur viennent en l'esprit, et qui les peuvent empescher de magnifier les oeuvres de Dieu comme il appartient. Et pourtant gardons-nous que le diable ne nous mette des mauvaises phantasies en la teste: mais que nous luy facions bouclier de loin, quand les oeuvres de Dieu seront magnifiees de nous comme elles en sont dignes. Et comment magnifiees? Ce ne sera pas quand nous en iugerons

selon nostre cognoissance: nenny, mais que nous les adorions, encores qu'elles nous surmontent, et que nous n'entendions point la raison pourquoy elles sont faites: que nous ne laissions pas donc de dire, Seigneur tu es iuste, tu es droit, tu es equitable. Voila, à quoy il nous faut exercer tout le temps de nostre vie c'est de cognoistre la grandeur et excellence des oeuvres de Dieu estre telle, que nous ne pouvons pas leur rendre la louange telle qu'elles meritent, sinon en les eslevant par dessus nous . Et notamment aussi Eliu dit, Que les hommes les cognoissent, pour signifier que quand les hommes auront bien combatu à l'encontre de Dieu (comme nous voyons que ceste fierté est tousiours en nous ) en la fin si faudra-il que nous demeurions vaincus. Car Dieu souffrira bien que nous enquerions de luy à l'estourdie: mais quand nous aurons ainsi lasché la bride à nos fols appetits, et que Satan nous aura transportez en nous affections charnelles, en la fin nous sentirons (mais ce sera trop tard) que Dieu est iuste, et demeurera tel en despit de nous dents. Et ainsi donc puis que l'experience monstre, que les oeuvres de Dieu meritent toute gloire, que faut-il faire? Presumerons-nous de nous enquerir iusques au bout de tout ce qu'il fait? Gardons-nous de cela: mais plustost que nous apprenions en toute humilité de l'adorer: et en l'adorant, aussi de luy attribuer la iustice qu'il merite: et de confesser que sa sagesse, et sa iustice, sa bonté, et sa vertu apparoissent tellement en toutes ses oeuvres, qu'il faut qu'il soit cognu tel qu'il est, assavoir, Pere tresbenin envers les siens, et iuste iuge envers ceux qu'il a reprouvez.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

302

LE CENT QUARANTETROISIEME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE XXXVI. CHAPITRE.

25. les hommes le contemplent, chacun le voit de loin. 26. Voici, Dieu est grand, on ne cognoist point le nombre de ses ans, il n'y a point de conte. 27. Car il retient les gouttes d'eau, puis il fait couler la pluye de sa vapeur. 28. Il la fait venir du ciel, et elle decoule sur la multitude des hommes. 29. Qui est-ce qui pourra cognoistre la diversité de ses nuees, et quel est l'amas de son tabernacle? 30. Il estend sa clarté, et couvre les racines de la mer. 31. Par icelles il exerce iugement sur les peuples, et donne vivre en

abondance. 32. Il revest aux nuees ses exhalations seches, et commande d'aller à la rencontre. 33. Son compagnon luy annonce debat, et y a ire en montant.

Nous avons à retenir le propos qui fut hier entamé, c'est assavoir qu'ici il nous est declaré qu'encores que les hommes veulent fermer les yeux, si ne peuvent-ils faire que Dieu ne se presente à eux, et que ses oeuvres ne leur soyent cognues. De là nous sommes admonnestez, que si quelqu'un

SERMON CXLIII

303

ne cognoist point Dieu, ce n'est point de simple ignorance, mais plustost de malice: d'autant qu'il s'en destourne: car (comme desia nous avons dit) les oeuvres de Dieu nous sont par trop patentes: elles se monstrent par tout: nous ne les pouvons donc ignorer, sinon de nostre bon gré. Et pourtant il est dit, Qu'on le contemple de loin. Car ceste similitude emporte qu'elles sont si excellentes, et qu'il y a une telle grandeur et maiesté, qu'encores qu'il y ait longue distance, nous les pouvons voir. Nous savons que si un homme est loin de nous, nostre veuë ne s'estend pas iusques la, elle s'esvanouist: ou bien s'il y a quelque grand chasteau, il nous semblera que ce soit une petite loge, quand nous le verrons de loin: une ville semblera comme deux ou trois maisons. La longue distance donc diminue l'apparence des choses qui sont grandes, quand nous les voyons de pres. Nous en avons assez l'experience au soleil: car il semble qu'à grand peine auroit-il deux pieds de grandeur: et toutes fois quand on cognoistra la raison, et ce que monstrent les Philosophes et ceux qui cognoissent les secrets de nature, voila le soleil qui est plus grand que la terre.

Or ici il est dit notamment, Que les hommes contemplent de loin les oeuvres de Dieu. Quelle distance y a-il? si longue, que nostre veuë en devroit estre du tout obscurcie. Mais tant y a que de loin nous appercevons comme Dieu besongne: il s'ensuit donc qu'il y a une telle maiesté en ses oeuvres, que nous la devons bien adorer. Maintenant donc notons, que ceux qui ne glorifient point Dieu comme il appartient, ne peuvent pas alleguer ignorance: car c'est une couverture vaine, d'autant que ses oeuvres nous doivent estre notoires. Que si nous alleguons que nostre veuë est par trop debile, et que Dieu a une façon de besongner trop haute pour nous, la replique est: Combien que les oeuvres de Dieu ne nous soyent point prochaines, nous ne laissons pas de les appercevoir, entant qu'il est besoin pour les magnifier: combien que nostre voue soit debile, si est-ce qu'il y a une telle grandeur et excellence et dignité aux oeuvres de Dieu, que nous en avons quelque goust. Apprenons donc d'appliquer nostre estude à cognoistre ce que Dieu nous monstre. Et au reste, notons aussi, qu'il nous faut cognoistre Dieu et ses oeuvres selon nostre mesure: s'il se monstre à nous de loing, contentons nous de cela. Il est vray que nous pouvons bien desirer qu'il approche de nous: et de nostre part aussi il nous faut efforcer de iour en iour pour avoir cognoissance plus familière et pleine de luy et de ses oeuvres: mais tant y a qu'il nous faut cheminer en humilité, et si Dieu ne veut point estre cognu on perfection, mais seulement en partie, tenons-nous à ce qu'il luy plaist.

304

Cependant (comme i'ay dit) que nous ne facions point des borgnes ou des aveugles à nostre escient: mais souffrons que Dieu se declare à nous: et quand il se declare, apres l'avoir cognu que nous l'adorions, que nous luy rendions la gloire qu'il merite.

Or cependant Eliu dit, Que d'autant que Dieu est grand, nous ne le cognoissons point, et qu'il n'y a point de nombre, ou de conte en ses ans. Il semble bien que ceste sentence repugne à ce que nous avons desia dit: car Cognoistre et Ne point cognoistre ce sont choses contraires du tout. Nous avons veu au prochain verset combien que Dieu soit fort eslongné de nous, neantmoins que nous contemplons ses oeuvres tant soyent grandes: et maintenant il est dit, Que Dieu ne se peut cognoistre. Mais quand il est ici parlé de cognoistre, cela s'entend que nous ne comprenons pas Dieu tel qu'il est en sa maiesté: il s'en faut beaucoup: il suffit bien que nous en ayons quelque petit goust: nous ne sommes point capa es de comprendre ceste clarté infinie qui est en luy, il suffit bien que nous en ayons quelques petites estincelles. Voila donc comme Dieu n'est point cognu. Voire d'autant que nostre mesure est trop petite pour le comprendre et l'enclore: mais tant y a qu'il ne veut point estre caché aux hommes: car il se monstre assez pour estre adoré d'eux. Ceste cognoissance donc que nous avons de Dieu, n'est pas que nous puissions determiner que c'est de luy, et que nous en puissions dire tout ce qui en est: mais tant y a que nous sommes inexcusables, si nous ne l'adorons, apres qu'il s'est declaré a nous en telle portion comme il cognoist que nous le pouvons porter, et ainsi qu'il nous est utile. Nous voyons maintenant comme nous contemplons Dieu, et comme il peut estre cognu de nous: c'est en le contemplant comme en un miroir, quand il se revest de ceste maiesté visible qui est au ciel et en la terre. Voila comme il doit estre regardé. Et pour ceste cause il est dit que les creatures sont comme son siege, voila ses ornemens: comme un prince s'accostera en maiesté afin d'avoir plus de reverence: ainsi Dieu a ses ornemens au ciel et en la terre, et c'est là où il le faut contempler. Car de son essence, elle est invisible, elle nous est cachee: mais il desploye ses vertus en telle sorte qu'encores que nous fussions aveugles, si est-ce que nous y pouvons tastonner comme aussi sainct Paul use de ceste similitude an dixseptieme des Actes (v. 27).

Puis qu'ainsi est donc apprenons, que nous contemplons Dieu quand nous cognoissons ses oeuvres: car sa vertu apparoist là, et nous monstre qu'il merite bien d'estre glorifies de nous: mais cependant ce presumons point de le cognoistre en perfection pour savoir definir que c'est de sa gloire:

IOB CHAP. XXXVI.

305

car il surmonte toute nostre capacité, il nous faut baisser les yeux, et confesser qu'il habite une clarté inaccessible. Nous cognoissons donc Dieu en partie: mais cependant si faut-il confesser, qu'il y a une telle ignorance en nous, et que nous sommes si debiles, que c'est bien assez d'avoir quelque goust de la maiesté de Dieu; et qu'il nous faut retenir ici, quand nous voyons que nos sens defaillent, et que nous sommes comme esperdus. Lors, di-ie, il nous faut tenir en nostre petitesse, prians Dieu qu'il nous despouille de ceste chair mortelle, afin que nous le voyons tel qu'il est, quand nous serons semblables à luy, comme il en est parlé en sainct Iean. Et au reste en attendant ce iour-la, qu'il nous reforme auiourd'huy à son image, . afin que nous le puissions mieux contempler. Car selon que Dieu nous purge de toutes nos vanitez charnelles, et de tonte ceste pesanteur que nous sentons en nous, il nous rend tant plus idoines à le contempler. Et ainsi nous avons (en cognoissant la debilité de nos esprits) à prier Dieu qu'il nous reforme de plus en plus, afin que nous profitions et croissions aussi en sa cognoissance. Quand il est parlé du nombre des ans, et est dit qu'ils ne se peuvent conter, il est vray que de primeface on pourroit trouver ceci rude: car puis que Dieu n'a point eu de commencement, ceste eternité-là n'a ia besoin qu'on die, qu'on ne sauroit conter ses ans: ceci donc sembleroit superflu. Mais si nous entendons à quoy a regardé Eliu, nous trouverons que ceste sentence nous est bien utile. Et pourquoy? Comme nous avons dit par ci devant, les hommes sont si transportez d'orgueil, qu'ils cuident trouver à redire en ce que Dieu fait, et veulent estre ses contrerolleurs. Et d'où vient une telle audace, sinon qu'ils cuident estre plus sages que Dieu en somme?

Or ici pour abbatre une telle outrecuidance il est dit, Qu'on ne conte point le nombre des "n'a de Dieu. Et ainsi quand nous voudrons iuger par dessus luy, et que nous serons tentez de ceste presomption et de ce desir de monter plus haut qu'il ne nous appartient et ne nous est licite: cognoissons, Et povre creature, tu es comme un escargot, il n'y a point trois iours que tu es sur terre. le parle de ceux qui ont vescu et quatre vingts et cent ans. Or cependant tu entreprens de iuger de ton Dieu: et où en es-tu? Car quand tu viendras iusques à la creation du monde, ce n'est rien au pris de ceste eternité qui est en luy. Ainsi donc tu vois maintenant ta folie, et comme tu es du tout hors du sens, quand tu entres en un tel labyrinthe de vouloir iuger par dessus luy. Apprenons donc qu'ici il n'est point seulement prononcé que l'asge de Dieu est infini: mais il faut faire comparaison, comme nous en sommes admonnestez, de la brefveté qui est en nostre vie: car nous savons

306

que nous sommes caduques, et nous escoulons comme une ombre. Il nous faut donc faire ceste comparaison de ceste breveté-là, avec le temps eternel de Dieu, et ceste eternité qui n'a point de temps ne de mesure: et cela sera bien pour nous empescher de nous eslever en telle presomption que nous avons accoustumé. Nous voyons donc en somme ce qui nous est ici monstre par Eliu.

Or il reste de venir à la declaration qu'il adiouste des oeuvres de Dieu. Car il met en avant les pluyes, et les tonnerres, et les vapeurs, et autres choses semblables, gresles et tempestes, et tourbillons. Quand donc nous voyons cela, Dieu nous donne de tels signes de sa maiesté, que c'est pour l'adorer, ou nous sommes par trop ingrats et stupides. Il est vray qu'il y a des oeuvres en Dieu plus hautes et difficiles à comprendre que ceci: mais l'intention du sainct Esprit a esté de nous instruire grossierement, comme nous sommes rudes et pesans: et aussi Eliu nous propose ici l'exemple des oeuvres de nature, que nous disons estre communes. Il ne faut point avoir esté à l'escole, ni estre grand clere pour savoir de la pluye, et des gresles, et du beau temps, et des changemens que nous voyons en l'air. Il est vray que les raisons ne seront point communes au vulgaire. Car si on demande à un povre idiot, comme la pluye s'engendre, il ne pourra pas determiner cela: d'autant que nous ne voyons point que l'eau monte en haut: et puis nous ne voyons point aussi que l'eau se puisse procreer en l'air, et cela sembleroit contraire à raison. Ainsi les simples gens ne pourront pas deduire ce qui sera cognu par la philosophie, comme la pluye s'engendre, et qu'il faut que l'attraction se face des vapeurs, que quand le soleil donne en terre, d'autant que la terre est pleine de petis pertuis, et qu'elle n'est pas si serree qu'elle n'ait des petites veines, il attire en haut: et que petit à petit les vapeurs deviennent espesses, et que quand elles sont au milieu de l'air, elles se procreent en pluye. Car voila comme les attractions se font petit à petit, iusques à ce que tout cela se meurist pour nous donner de la playe. Et puis ils n'entendront pas aussi comment c'est qu'il ne fait point si chaud en ceste region moyenne de l'air, combien qu'elle soit plus prochaine du soleil. Car c'est pource que la chaleur s'encave ici en terre comme en un fourneau: mais en l'air elle s'espanche tellement qu'elle ne s'y peut arrester. Et voila pourquoy en esté nous voyons des gresles qui s'engendrent. Cela est estrange, tellement que nous ne le croirions point qu'a grand peine, sinon qu'il nous fust tout commun, de dire que la gresle se congrege en l'air et combien que le soleil soit plus prochain, que neantmoins nous voyons qu'il faut bien qu'il face là une grande froidure. les ignorans donc n'auront point

SERMON CXLIII

307

cognoissance de cela, et n'y trouveront point de raison,. mais demeurent là estonnez. Taut y a combien que nous ne cognoissions point les raisons, neantmoins la chose de soy est assez cognue, tellement qu'on voit que c'est une vertu de Dieu admirable, quand il attire ainsi les vapeurs de la terre, et puis que la pluye s'engendre, et encores que la playe soit là toute formee en l'air, qu'elle est retenue. comme il est dit que les nuees sont des barils. Et defait s'il y avoit des barils au ciel qui fussent là pour retenir l'eau, il n'i auroit point un miracle plus notable, que quand nous voyons les duees par dessus nous. quoy tient-il qu'elles ne tombent pour nous accabler, et que la terre ne perist? Ne faut-il pas qu'il y ait une vertu si excellente, que nostre esprit y soit confus? Voila pourquoy i'ay dit, que sans aller à l'escole et sans estre fort subtil ne grand clere il y a une cognoissance des oeuvres de Dieu en l'ordre de nature qui est pour nous rendre inexcusables, d'autant que cela nous est tout commun. Comme pour exemple, quand nous regardons aux pluyes, aux gresles et aux tonnerres, et autres choses semblables, cela nous monstre une maiesté de Dieu pour nous effrayer, tellement qu'en despit de nos dens il faut que nous soyons esmeus: comme aussi nostre Seigneur nous fait cognoistre par force la maiesté qui est en luy par ce moyen-la, combien que par nostre ingratitude nous taschions de l'esteindre tant que nous pouvons. Nous voyons donc maintenant pourquoy il nous est ici parlé de la pluye, et des choses semblables: non point que Dieu n'ait d'autres oeuvres plus admirables et exquises, mais c'est afin que nous ne pretendions point ignorance: car le sainct Esprit nous propose ce qui se voit, et qui est cognu de tout le monde. Puis qu'ainsi est donc, que reste-il sinon que nous adorions Dieu luy faisans l'hommage tel qu'il merite, et que tout orgueil soit abbatu en nous, et que nous apprenions de nous assuiettir à son conseil, et de trouver bon tout ce qu'il fait et dispose?

Or il sera bon d'exposer les mots devant que recueillir la doctrine generale. Il est donc dit, que Dieu retient les gouttes d'eau: et c'est pour mieux exprimer sa vertu excellente, et qui seroit incroyable sinon qu'on la vist à l'oeil. Si on nous disoit que les gouttes d'eau se retiennent: c'est à dire, que l'eau qui est une chose tant agile que nous la voyons decouler, qu'elle se fond, qu'il n'y a point de fermeté: neantmoins les gouttes en fussent retenues en l'air en telle multitude et quantité: nous le trouverions estrange sans l'experience. Si l'eau estoit une chose ferme et amassee, et bien il y pourroit avoir une montagne d'eau que Dieu retiendroit: mais quand en voila cent millions de gouttes en une petite nuee, et il n'y a goutte qui

308

ne soit de sa nature pour tomber, et pour quitter là tout le reste du corps (comme c'est une chose si coulante que l'eau, qu'autant qu'il y a de petites portions bien menues, ce sont autant de divisions) et neantmoins tout cela se retient: si nous ne le cognoissions, et que nous ne l'eussions point apperceu, il nous seroit incroyable. Ne faut-il pas donc que nous cognoissions une vertu infinie en Dieu, quand nous voyons ce qui ne se pourroit croire? Et ainsi Eliu a voulu exprimer mieux la puissance que Dieu nous monstre en retenant la pluye en Pair, quand il nous dit qu'il retient les gouttes d'eau.

Et puis il dit, Q' e de sa vapeur il fait pleuvoir. Si on demande d'où la pluye se procree. De rien. La vapeur de soy ne s'esleveroit point de la terre, qui a ses fumees dedans ses pertuis (car c'est son naturel) mais c'est quand le soleil attire cela qu'il l'esleve, qu'il hume ceste humidité-là pour l'attirer en haut. Et autrement quels cordages faudroit-il? Si nous ne le voyons seroit-il possible de le croire? Or il se voit à l'oeil. Voila donc les vapeurs qui n'estoyent rien, c'est à dire qui n'ont point eu d'apparence devant nous, qui s'eslevent contre leur nature. Sont-elles eslevees? La pluye s'en fait et s'en forme: et puis la terre en est arrousee, elle fructifie, et on en tire substance. Voila nostre Seigneur qui desseche la terre quand il en tire ainsi les vapeurs: c'est comme si on tiroit l'humidité et le iuse de quelque chose qu'il n'y eust plus de vertu dedans. La voila donc seche. Or Dieu trouve moyen à l'opposite, quand il a ainsi seche la terre, et qu'il en a tiré comme la substance et le sang, qu'elle en est arrousee: comme nous voyons que la pluye donne abondance de fruicts, selon qu'il est ici monstré. Quand donc nous appercevons cela ne faut-il point que nous soyons convaincus de ia maiesté de Dieu, laquelle nous ne voulions point regarder au paravant? Encores donc que nous fermions les yeux, en despit de nos dens Dieu se presente à nous, et sa maiesté nous est visible en toutes sortes. Il est quant et quant declaré, que Dieu a comme ses pavillons: comme nous savons qu'il en a esté traitté par ci devant, que les nuees, et mesme toute ceste estendue du ciel sont nommez les Pavillons de Dieu: et

quelque fois il est dit, que les nuees sont ses chariots, voire d'autant qu'il les gouverne, et qu'il les fait marcher, ou bien comme s'il cheminoit par dessus, pour faire ses triomphes. Voila donc Dieu qui nous est presente comme un prince, quand il a le ciel comme son palais, et que sa maiesté s'y monstre. Au reste les nuees sont comme les piliers de son pavillon, afin que nous soyons tant plus esmeus de cognoistre l'ouvrage magnifique d'iceluy. Puis qu'ainsi est donc, apprenons d'attribuer à

IOB CHAP. XXXVI.

309

Dieu ce qui luy est propre, et que par nostre ingratitude sa gloire ne soit point effacee. Et au reste ce n'est point sans cause que desia ci dessus ceste similitude a esté mise, et qu'encores Eliu la reitere: car nous savons la folle curiosité qui est aux hommes. Ils veulent tousiours contempler Dieu en son essence. Or ils ne peuvent. D'autant plus donc nous faut-il estre attentifs à ces façons de parler qui sont convenables à nostre infirmité. Voici Dieu qui nous est visible: mais en quelle sorte? Il habite en son palais. Voulons-nous donc approcher de luy? Le voulons-nous cognoistre selon que nostre capacité le porte? Venons à ce palais: et n'y entrons pas d'une audace furieuse pour comprendre tous les secrets de Dieu: car s'il habite en un palais, il faut bien qu'il ait autant de puissance pour le moins, qu'auroit un roy du monde, qui n'est qu'une creature caduque. Ainsi donc contentons nous de voir ce palais de Dieu si excellent, pour adorer sa maiesté: et s'il luy plaist d'approcher de nous, il faut bien que nous venions au devant de luy avec toute reverence, et que nous ne passions point nostre mesure. Voila, di-ie, ce que nous avons à retenir de ceste façon de parler, quand les nuees sont appellees les piliers du palais de Dieu, et est dit qu'elles soustienent son pavillon, ou qu'elles sont là coniointes comme une partie. Car c'est afin qu'il nous suffise de gouster que c'est de la maiesté de Dieu entant qu'il nous la declare par ses oeuvres.

Or Eliu parle aussi bien des effects de la pluye. Il dit, Dieu exerce ses iugemens sur les hommes, et donne vivre en abondance. En quoy il signifie, que Dieu fera servir la pluye, quand il voudra, à sa bonté: que s'il se veut monstrer Pere nourrissier envers les hommes les nuees apporteront les munitions de luy. Car comme si un prince veut secourir à un pays où il y aura famine, il ordonnera que par eau et par terre on apporte vivres de loin: ainsi les nuees nous apportent les provisions de Dieu, voire quand il nous declare sa bonté infinie. A l'opposite quand il nous veut monstrer sa rigueur, les nuees executent sa vengeance sur nous, et il desploye là son ire. Et pourquoy? Car les pluyes quand elles se desbordent font de grans dommages, elles font de raveines, que et prez et champs sont rasez: il y aura puis apres d'autres degasts qui se feront: comme on voit que la mer abysmera quelquefois un grand pays. Voila donc comme Dieu par les pluyes executera ses iugemens: et puis il nous fait aussi sentir sa bonté à l'opposite. Et voila aussi pourquoy il est dit, Qu'il couvre les racines de la mer. Car quand nous contemplons la pluye et les nuees, cela de primeface nous touche, et sommes enrayez, et faut aussi que nous apprehendions quelque

310

crainte. Mais cela est pour nous faire mieux sentir la providence de Dieu, quand il retient les eaux, qu'elles ne retombent point sur le monde, et que nous ne sommes point ici engouffrez du premier coup. Nous voyons donc maintenant quelle est l'intention d'Eliu.

Or finalement il dit, Que Dieu meslera les tenebres parmi la clarté. Car quand le soleil luit, on est esbahi par fois que voila un tourbillon soudain: comme en e té il y aura temps serein, et si beau que rien plus: à tourner la main, voila un orage, qu'il semble que le monde doive perir. Et qui fait cela? ne faut-il point qu'il y ait un maistre excellent qui commande? Ne faut-il point que ceste excellence de Dieu soit admirable? Au reste il est ici dit, que Dieu commande a la nuee de monter: et puis il commande au feu qui est en l'air, c'est à dire, aux exhalations qui sont de nature de feu, qui sont chaudes et seches. Il leur commande donc de venir iouster contre la nuee qui tasche de monter: et là il se fait un combat, comme si deux armees estoyent dressees, et qu'il y eust un courroux. Ainsi en est-il donc en ceste rencontre qui se fait des nuees, et de ces chaleurs seches qui sont en haut. Il y a donc courroux, quand ces creatures s'assemblent, et elles sont comme en cholere. Et qui fait cela? Il faut bien que Dieu commande par dessus. Car si nous disions que cela se fait de cas d'aventure, nous serions par trop brutaux:, et les petis enfans mesmes se pourroyent mocquer de nous: car il n'y a celuy qui ne cognoisse que Dieu besongne ici, et gouverne par dessus. Voila donc en somme ce que nous avons à retenir des mots.

Or le principal est de recueillir la doctrine qui est ici contenue. Il est vray que les mots sont bien dignes d'estre pesez, afin de les rapporter à la fin que i'ay touchee: mais cependant en general nous avons ici à retenir, Qu'il ne faut point que nous ayons grande subtilité, pour estre convaincus qu'il y a un Dieu qui regne et qui conduit le monde, et dispose tout l'ordre de nature selon sa volonté. Pourquoy? Quand nous aurons vescu quelque peu de temps au monde, que nous aurons veu pleuvoir trois ou quatre fois: voila Dieu qui nous a rendu tesmoignage suffisant de sa maiesté, tellement que nous n'aurons plus d'excuse fermans les Yeux: car nous entendrons (en despit de nous dens) qu'il y a un Dieu qui domine sur ce que nous pouvons voir ici bas. Voila donc ce que nous avons à retenir. Et en cela voyons nous comme ceux qui se mocquent de toute religion, et ne sont point esmeus de la maiesté de Dieu, sont comme ensorcelez de Satan: car (comme nous avons dit) il ne faut point avoir esté à l'escole pour avoir ceste instruction. Or cependant il y aura des gens

SERMON CXLIII

311

savans mesmes, qui ne cuideront point estre assez habiles. sinon en mesprisant Dieu. Et comment se peut-il faire, qu'ils se soyent ainsi abbrutis? c'est (comme i'ay dit) que Dieu les a du tout reprouvez, et qu'ils sont tellement hebetez que Satan domine en eux, voire avec telles tenebres, qu'ils ne sont pas dignes d'estre recognus au reng des hommes. Et cependant toutes fois notons, qu'ils ont tousiours un remords: et combien qu'ils taschent d'effacer toute cognoissance de Dieu: si est-ce qu'ils ont une brusleure en la conscience, qu'il faut en despit de leurs dens qu'ils sentent ceste maiesté, laquelle ils voudroyent aneantir: ils ne peuvent pas venir à bout que Dieu ne les poursuive, et qu'il ne se declare à eux. Concluons donc que ce qui est ici contenu se voit par experience: c'est que quand les hommes ouvriront les yeux, il faut qu'ils contemplent une maiesté en tout l'ordre de nature: et quand ils auront les veux fermez, encores Dieu se fait sentir à eux. Voila en premier lieu ce que nous avons à noter.

Vray est que ceste doctrine merite plus ample deduction: mais pource que nous en avons parlé ci dessus, il suffist de reduire en memoire ce que nous avons declaré, sans nous y arrester par trop. Or cependant notons, que le sainct Esprit nous propose ici les oeuvres de Dieu qui nous sont cognues à tous, à grans et à petis, afin que chacun prene courage pour adorer Dieu l'ayant cognu. Pourquoy? Si la façon d'enseigner estoit subtile et haute en l'Escriture saincte, qu'il n'y eust que les gens lettrez qui y peussent mordre, nous serions reculez, et la plus part prendroit occasion de dire Helas! et que puis-ie faire? le n'ay point esté à l'escole, et Dieu ne daigne pas se declarer sinon à gens de lettres. Mais quand nous Voyons que Dieu nous masche les morceaux, et nous appatelle comme des petis enfans, et se conforme à nostre rudesse, et qu'il nous baille les choses en telle façon, que les plus petis, et les plus ignorans mesmes en peuvent avoir leur part et leur droit (comme On dit) ie vous prie, ne devons-nous point prendre tant plus de courage pour sentir et comprendre que c'est de Dieu, et nous consoler en ceste bonté si grande qu'il monstre envers nous? Car s'il n'avoit un soin inestimable de nostre salut, il ne daigneroit pas descendre si bas: mais quand il veut s'abaisser en ses creatures, et que voyant ce qui nous est propre il se monstre à nous, tel que nous le pouvons concevoir: en cela n'appercevons-nous pas combien il nous aime, et comme il procure nostre salut? Voila donc ce que nous avons à retenir.

Et ainsi quand il nous est parlé de la pluye, et des nuees, et des tourbillons, et des gresles, n'estimons pas que Dieu ne peust disputer plus

312

subtilement quand il luy plairoit. Car aussi qui est-ce qui a donné l'esprit à ces Philosophes prophanes, de savoir si bien traitter les secrets de nature? Dieu leur a donné ceste science. Or cependant il nous enseigne d'une autre façon. Et pourquoy? Car il veut que la doctrine de salut se presche, et qu'on nous la propose, pour nous conduire en son royaume: et qu'elle ne soit point pour nous faire seulement rois ne princes, mais qu'elle soit pour nous eslever par dessus tout le monde, pour nous faire compagnons des Anges, et monter par dessus les cieux. D'autant donc que Dieu nous veut eslever haut, il descend bas à nous, afin que tous soyent participans de ce bien qui est contenu en la parole de Dieu. Ainsi apprenons de ne point mespriser l'Escriture saincte, comme une chose trop vulgaire: mais cognoissons que Dieu se veut ainsi conformer à nostre infirmité. Voila donc ce que nous avons à noter. Cependant apprenons aussi de ne point mespriser les oeuvres de Dieu quand elles nous sont communes. Qui est cause que nous n'estimons point que ce que Dieu fait, soit miracle, sinon que nous y sommes endurcis par usage? le verray pleuvoir: et bien, ie ne m'en esmeus point, pource que cela m'est tout accoustumé. Or c'est une ingratitude vilaine, que si Dieu fait tous les iours miracle, par cela nous soyons comme hebetez, et que nous n'y pensions plus. Ainsi donc combien que ce soyent choses ordinaires de pleuvoir, de gresler, et que les tempestes s'esmeuvent selon l'ordre de nature: que nous ne laissions pas de bien noter toutes ces choses, et de regarder par le menu comme nostre Seigneur desploye les thresors infinis de sa vertu et de sa maiesté, afin qu'il soit adoré de nous. Voila donc ce que nous avons à retenir.

Or devant que passer outre, on pourroit ici demander, comment Eliu allegue ces choses veu qu'il a une dispute toute diverse, c'est de monstrer que Dieu est incomprehensible on ce qu'il fait: et qu'il ne faut point que les hommes mortels presument de se rebecquer contre luy, ne de maintenir leurs querelles, comme s'ils estoyent iustes, et que Dieu fust cruel en les affligeant. Il semble que ceci ne soit point à propos. Mais nous avons desia solu ceste question: seulement i'en diray un mot en passant, pour refraischir la memoire de ce qui a esté dit par ci devant tout au long. C'est qu'ici en general nous sont proposees des choses inferieures, pour nous faire monter plus haut aux iugemens secrets de Dieu et incomprehensibles. Quand nous voyons la pluye, les nuees, les tourbillons, les gresles: et bien, ce sont choses naturelles (comme on dit) et cela est pour la vie transitoire, cela concerne le monde, et ce qui est d'ici bas. Et toutes fois si est-ce que nous y sommes confus,

IOB CHAP. XXXVI.

313

tellement qu'il nous faut adorer la maiesté de Dieu.. Car quand nous aurons enquis comment il est possible que cela se face, nos sens defaillent, et ne nous reste sinon de nous humilier devant Dieu. Or si nous sommes contraints en ces choses petites et basses d'adorer Dieu, et que nostre infirmité se cognoisse en cela: que sera-ce quand nous viendrons par dessus les nuees, voire par dessus tous les cieux. Que nous viendrons en ce conseil eternel que Dieu retient là comme caché en soi? Quand donc il est question de cela, et ie vous prie, que deviendront les esprits humains? Ils auront beau voltiger, il faudra qu'un homme se rompe cent mille fois le col, et cependant si est-ce qu'il ne parviendra point iusques à Dieu.

Voila donc quel est le moyen d'enseigner qu'a tenu ici Eliu: car par ces choses qui semblent estre petites, d'autant que l'usage nous les a rendu communes, il nous monstre que Dieu en sa hautesse doit bien estre adoré de nous: car iamais nous ne comprendrons que c'est de lui. Et pourquoi? Nous ne comprenons point les nuees que nos sens ne defaillent. Car nous voyons qu'il n'est point question ici de repliquer contre ce que Dieu fait. Iraiie mettre ordre aux nuees, pour dire, qu'il ne faut point qu'ainsi soit, et qu'il n'y a point de propos que la pluye s'engendre des vapeurs de la terre, que le soleil attire ainsi ce qui est ici bas par les rayons de sa chaleur? Irons-nous, di-ie, empescher Dieu, qu'il ne dispose tout selon qu'il l'a institué en l'ordre de nature? Helas! ce seroit une rage trop à condamner: chacun confessera cela. Or puis que nostre infirmité se monstre aux choses les plus petites, et qui sont toutes communes, que Dieu nous presente devant les yeux (car neantmoins nous cognoissons, qu'il nous faut là prosterner devant lui pour l'adorer, et pour confesser que ce n'est rien de nostre entendement, quand mesmes il ne peut comprendre ce que nous voyons tous les iours) par plus forte raison quand ce vient à ses conseils et iugemens secrets qu'il execute tous les iours, lesquels ne nous sont point communs ni en tel usage: là il nous faut bien tenir nos esprits en bride courte. Et pourquoi? Car c'est une presomption diabolique quand l'homme monte si haut: pourtant il faut qu'il tombe en une ruine si extreme, qu'il ne s'en puisse iamais relever. Gardons-nous donc de ceste arrogance, de nous vouloir eslever contre Dieu, voire en ses conseils estroits qui surmontent tout l'ordre de nature, et toutes les choses que nous pouvons apprehender par nos

314

sens. Voila en somme qu'a regardé Eliu, et à quoi il a pretendu.

Or cependant notons pour la fin et conclusion, quand il est dit, Que Dieu exerce ses iugemens, et qu'il donne vivre en abondance aux hommes: que c'est afin que nous cognoissions que tout l'ordre de nature est en la main de Dieu, et que l'air ne se gouverne point de soi, aussi que les pluyes ne viennent point à l'appetit du soleil. Comment donc, Car nous voyons des effects contraires. Voila l'eau qui esteint les hommes et les anéantit: et puis elle les entretient. Voila deux effects qui sont contraires: Nourriture d'un costé, et de l'autre, Que Dieu gaste, que Dieu perde, et qu'il abysme tout. Or tant y a que nous appercevons tous les deux. Et qui en est cause, sinon que Dieu domine par dessus? Ainsi donc apprenons de magnifier Dieu en cela, quand nous voyons qu'il applique ses creatures à tel usage que bon lui semble. Et au reste, quand d'un costé nous voyons sa rigueur, alors qu'il veut punir nos pechez, nous devons sentir qu'il se monstre Iuge en cela: afin de nous condamner devant lui, et d'avoir nostre refuge à sa misericorde, à ce qu'il desploye les thresors de sa bonté, et qu'il se monstre liberal. Ce qu'il fait, quand il ne IS declare qu'il a le soin de nous, en nous envoyant provision par les nuees, quand il fait fructifier la terre, afin qu'elle nous donne substance. Quand nous voyons cela de l'autre costé, que nous soyons rassasiez de la bonté de nostre Dieu, afin d'y mettre du tout nostre fiance, afin de nous y appuyer, et de conclurre, Puis qu'il se monstre Pere en la nourriture de nos corps, qui ne sont que charongnes caduques, par plus forte raison quand il nous a reformez à sa gloire, il ne faut point que nous doutions qu'il n'ait nostre salut pour recommandé, et se monstre Pere en cela plus qu'en tout le reste. Voila donc ce que nous avons à noter de ce passage, quand nous voyons que Dieu maintenant applique ses creatures à son plaisir: qu'il en use comme de verges pour executer ses iugemens, et de l'autre costé qu'il les fait servir à nostre usage, et mesmes qu'il les employe pour subvenir aux necessitez de la vie presente. Que donc nous cognoissions toutes ces choses-là, afin d'estre enseignez en sa crainte, et de nous resiouyr et reposer en sa bonté, et que nostre fiance soit là arrestee du tout.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON CXLIV

315

LE CENT QUARANTEQUATRIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE 2[XXVII. CHAPITRE.

1. Aussi mon coeur en tremble de peur, il tressaillist de son lieu. 2. Escoutez le bruit de sa voix, et le son de sa bouche. 3. Il l'adresse sous tous les cieux, sa clarté est sur les ailes de la terre. 4. Apres il bruit avec grand son, il tonne de sa voix magnifique, et ne tarde point si tost que sa voix est ouye. 5. Dieu tonne terriblement par sa voix, il fait choses merveilleuses, et qu'on ne peut comprendre. 6. Car il commande à la neige de descendre sur terre: et aux pluyes douces, et aux pluyes de grande force.

C'est pour le moins, qu'estans en ce monde nous ayons les yeux ouverts pour considerer les oeuvres de Dieu qui sont et prochaines de nous, et faciles à voir, encores que nous ne soyons point gens lettrez ni subtils: car les plus idiots apperçoivent l'ordre de nature estre tel, que là ils voyent la maiesté de Dieu comme en un miroir. Or il est vrai que nous devrions nous eslever plus haut pour bien considerer ce que Dieu nous monstre: mais (comme i'ai dit) c'est pour le moins, que les choses qui nous sont presentes nous les regardions. Cependant ce n'est point assez d'avoir comprins que Dieu ayant creé le monde le gouvernera: il faut aussi que nous sachions à quelle fin les choses se doivent rapporter. Si nous savions seulement cela Dieu onvoye la playe et le beau temps, c'est lui qui tonne, c'est lui qui fait courir et aller les esclairs parmi l'air: ce seroit desia lui attribuer une vertu souveraine, en cela il seroit cognu Tout-puissant. Mais il y a d'avantage: car quand Dieu envoye la pluye, ce n'est point seulement pour monstrer ce qu'il peut faire: mais quelquesfois il voudra chastier les hommes à cause de leurs pechez, quelquesfois il voudra desployer les thresors de sa bonté et de ses largesses. Ainsi donc il ne suffit point d'avoir cognu que Dieu est Tout-puissant, et que toutes creatures sont en sa main et conduite: mais il nous faut aussi noter comment il use, et en quelle sorte: c'est assavoir pour iuger le monde, quand il a assez endure de nos pechez: et puis pour nous faire sentir sa grace, et pour le cognoistre Pere et Sauveur de nous, et celui qui nous entretient et nourrist. nous voyons donc qu'avec la puissance de Dieu il faut que sa iustice, sa bonté, et sagesse soyent comprinses. Et pourquoi? A ce que nous soyons instruicts à le craindre, a, cheminer en son obeissance: et d'autre costé que nous puissions nous reposer en lui, ayans de si

316

beaux tesmoignages de son amour: que nous le puissions invoquer, estans asseurez qu'il nous regarde, et qu'il a pitié de nous, et que nous sommes sous sa protection, que recourans à lui quand nous sommes destituez de conseil il nous instruit par son sainct Esprit. nous voyons donc maintenant, que l'ordre de nature estant bien consideré n'est pas seulement pour magnifier une vertu souveraine en Dieu, afin qu'on l'adore, et qu'on cognoisse qu'il est seul Tout-puissant: mais il faut quant et quant que nous apprehendions sa grace et sa bonté, pour nous y appuyer, et y avoir tout nostre refuge. Il faut aussi que nous cognoissions, que les hommes ne demeureront point impunis, d'autant que desia il leur monstre, qu'il faut que tout vienne à conte devant lui. Et c'est ce qu'Eliu a traitté, et comme hier il fut exposé, que Dieu par les playes et par les gresles et tempestes iuge quelquefois le monde quelquefois aussi il donne vivre en abondance.

Or maintenant il adiouste, Que son coeur en a tressailli de son lieu, et qu'il a esté espouvanté voyant telles choses: comme s'il disoit, que ce que nous cognoissons de Dieu n'est point pour speculer en l'air ce que bon nous semblera, et cependant que nous concevions seulement quelques pensees mortes, mais qu'il nous en faut estre touchez. Et ceci est general à tous: mais les incredules tant qu'ils peuvent amortissent ceste frayeur de laquelle ils devroyent estre touchez: les fideles en font leur profit, et de leur bon gré se solicitent pour estre espouvantez, afin de faire hommage en toute reverence à la maiesté de Dieu. Notons donc quand Dieu se manifeste aux hommes, que ce n'est point seulement pour leur donner quelque apprehension volage, pour dire, Il y a un Dieu, et pour en savoir disputer: mais quant et quant il leur donne une instruction vive là dedans, tellement qu'il faut qu'ils soyent enseignez. Cela, di-ie, se trouvera on tous hommes: mais cependant nous voyons que les incredules repoussent, entant qu'en eux est, ceste frayeur qu'ils ont sentie, et taschent de pouvoir se iouër avec Dieu, et d'avoir licence de ne le point craindre. Voila donc où en sont lés incredules, qu'ils combattent contre leur gens naturel, et s'efforcent de s'abrutir, en sorte qu'il n'y ait plus rien en eux qui les tormente. Et pourquoi le font-ils? Car Dieu leur est contraire, entant qu'ils sont adonnez du tout à mal. Or Ils voyent que Dieu ne les peut souffrir: pourtant ils le fuyent et taschent de l'aneantir:

IOB CHAP. XXXVII.

317

tout ainsi qu'un brigand ou un larron voudroit qu'il n'y eust nulle police au monde, afin que les pechez demeurassent impunis. Autant en est-il donc de toutes gens prophanes: voyans qu'ils ne peuvent empescher la main de Dieu, cependant qu'il est assis en sa maiesté pour iuger, ils voudroyent bien exempter de son empire: et voila pourquoi ils s'efforcent (comme i'ai desia dit) d'esteindre la clarté de raison qui leur estoit donnee. Or ils n'en peuvent venir a bout: et pourtant ils sont là comme mules qui rongent leur frain, et ils se despitent contre Dieu, et quoy qu'il en soit s'endurcissent, et cueillent tousiours une stupidité, iusques à ce que Dieu les delaisse, et qu'ils n'ayent plus de doleance, comme sainct Paul en parle (Eph. 4, 19). Et c'est l'extremité de tout mal, et le comble de leur ruine, quand ils n'ont plus de solicitude, c'est à dire, qu'ils n'ont plus de scrupule, mais qu'en pechant ils se pardonnent, et Vont tousiours leur train commun: comme aussi Salomon en parle (Prov. 18, 3), Que le meschant vient en cest abysme et en ce comble d'iniquité, quand il n'a plus de sentiment pour se retourner à Dieu, et pour s'humilier, et se desplaire en ses fautes. Et à l'opposite les fideles estans ainsi touchez de la maiesté de Dieu, allument le feu d'avantage: comme si un homme ayant desia quelques charbons, et quelque tison de feu, l'allumoit. Ainsi en font tous ceux qui desirent de cheminer droitement: car apres que Dieu les a touchez, et qu'en contemplant l'ordre de nature ils ont senti qu'il y a une maiesté souveraine qui conduit et gouverne tout: ils appliquent cest estonnement à leur instruction, tellement qu'ils se picquent et solicitent en leurs coeurs, pour avoir leur recours à Dieu, ils se le reduisent en memoire. Et quand il est question de lever les yeux en haut, ou de regarder en bas, ils se preparent à cognoistre Dieu: tellement qu'ils ne iettent point la veuë à la volee, mais ils ont cela tout premedité, qu'ils faut qu'ils regardent à Dieu qui a tout cree. Nous voyons donc, qu'au lieu que les meschans et gens prophanes taschent de s'aveugler, et puis de s'endurcir contre Dieu, et finalement estre comme bestes brutes sans apprehention ni iugement: les fideles font leur profit de la cognoissance que Dieu leur donne par le moyen des creatures, et consequemment que ceste clarté s'augmente, et se fortifie en eux, et ils se solicitent à cela de tout leur pouvoir. Et c'est ce que dit ici Eliu, Que son coeur en a tremblé, et est tressailli de son lieu. Il est vray que les meschans seront effrayez par le tonnerre et par les esclairs: en despit de leurs dons il faut que la maiesté de Dieu les touche pour leur faire là quelque alarme secrete: mais cependant si est-ce qu'ils repoussent une telle pensee, et la mettent sous le pié. Au contraire, ceux qui desirent de

318

cognoistre Dieu, ayans un tel commencement, s'adonnent et appliquent toute leur estude à faire leur profit de cest effroy et espouventement que Dieu leur a envoyé en leur coeur.

Au reste Eliu use ici de belles similitudes en descrivant les tonnerres et les esclairs, et les pluyes et les gelees, et les orages. Il dit qu'on peut ouir la vox de Dieu: voire une voix, dit-il, de grand bruit, et le son qui procede de sa bouche. Ici Eliu ne parle point de la parole qui-nous est iournellement preschee afin que nous soyons enseignez par icelle, et où Dieu nous declare privement sa bonté: mais il appelle la voix de Dieu bruyante, et le son procedant de sa bouche, les tonnerres qui se font en l'air: et en cela parle par similitude, comme nostre Seigneur a une façon de parler qui est pour faire trembler toutes creatures. Et ce n'est point seulement en ce passage, mais au Pseaume vingt et neufieme, La voix de Dieu tonne, la voix de Dieu fait retentir la montagne du Liban, la voix de Dieu fait fendre les grans arbres, la voix de Dieu fait avorter les chievres, la voix de Dieu est ouye par les montagnes, la voix de Dieu fait trembler toute la terre. (leste voix-la n'est autre chose, sinon celle qui se monstre par les tonnerres: mais c'est afin de redarguer les hommes de leur ingratitude, d'autant qu'ils n'escoutent point Dieu tonner: comme aussi le proverbe en est, quand les hommes font des enragez, Qu'on n'orroit point Dieu tonner entre eux. Voila donc l'Escriture qui nous reproche une telle stupidité, et nous oste quant et quant toute excuse. Car si on dit, O nous n'avons point eu de doctrine, l'Escriture ne nous a pas esté exposee: et quoy? n'a-il iamais tonné durant nostre vie? Dieu ne parloit-il point? N'avons nous point conceu une telle maiesté en luy, que nous devons bien estre humiliez, pour l'adorer, et nous renger sous son obeissance? Et nous n'en faisons rien, nous sommes comme bestes sauvages; il y a comme une furie en nous coniointe avec l'orgueil quand nous ne pouvons pas cognoistre qu'il a toute superiorité par dessus nous. Voila donc les hommes qui sont assez convaincus quand il a tonné: car ils devoyent comprendre la voix de Dieu, ce grand bruit et si resonant qu'il fait retentir l'air. Et puis si les hommes disent qu'ils Sont ignorans, et comme en tenebres: et quoy? les esclairs sont comme pour faire fendre le ciel: nous voyons qu'il y a là une telle clarté, que Dieu se monstre suffisamment: voire pour nous oster toute couverture, afin que nul ne se datte en son hypocrisie, et que nous ne pretendions point d'estre iustifiez comme si nous n'avions rien cagnu de Dieu. Car les esclairs suffisent bien pour nous monstrer la gloire qui est en luy. Voila donc pourquoy Eliu parle ici de ce bruit et du son qui pro

SERMON CXLIV

319

cede de la bouche de Dieu. Or il amplifie cela, pource que les hommes sont assez nonchalans, et si on leur dit on un mot ce que nous venons d'exposer, il ne leur on chaut pas beaucoup, cela s'escoule. Ici donc Eliu insiste et poursuit son propos plus au long, d'autant que nous devons bien considerer l'ordre qui est aux tonneres et aux esclairs et puis en la pluye et en la gelee, et en tous orages que nous appercevons. Et notamment il parle de pluye douce, et gracieuse, il parle aussi de l'impetuosité et violence qu'on y voit souventesfois, suivant ce qu'il avoit desia touché, que Dieu iuge le monde quelquefois quand il envoye la pluye du ciel, quelquefois il donne du pain en abondance. Car s'il y a une pluye douce qui viene en bon temps, elle sera pour faire fructifier la terre: mais il y aura des pluyes qui corrompront et gasteront tous les biens dont nous attendions nourriture. Nous appercevrons donc tous les deux en Dieu, et cela merite bien d'estre considere.

Et voila pourquoy il est dit, Que Dieu fait choses merveilleuses et que nous ne comprenons point, par les foudres qu'il envoye. Comme defait apres qu'il a ainsi eluisé, que les esclairs ont volé par tout, qu'on a ouy les tonnerres, la tempeste viendra quant et quant: et puis Dieu ne fait point aussi tarder les pluyes et les orages, et les gresles: mais quand la tempeste survient il y a des choses incroyables. Car on verra un homme consumé en cendre: il retiendra la figure, et ne trouvera-on point à grand peine un pertuis aussi grand qu'un pois, et toutes fois voila l'homme qui sera consumé: le for mesmes sera bien mangé, et la gaine qui plie sera entiere: les arbres seront quelquefois arrachez, quelquefois decoupez, quelquefois tout consumez, tellement qu'on n'en appercevra rien. Autant des maisons: bref, si on regarde tous les effects de la tempeste, ce sont choses qu'on ne pourroit croire sinon qu'on les eust cogoues par experience. Et ainsi il faut bien que les hommes s'humilient ici, voyans l'infirmité de leurs sens, et voyans combien les ouvrages de Dieu sont magnifiques. Si nous ne sommes plus que stupides, il faut que nous apprenions par cela de nous ranger à lui, et de l'honorer, et de lui attribuer toute gloire et tout empire. Voila en somme ce qui nous est ici monstré par Eliu.

Or en premier lieu retenons ce que nous avons touché, c'est assavoir, qu'il ne suffit point que nous comprenions Dieu comme Createur du monde, pour lui attribuer toute vertu: mais que nous le cognoissions aussi comme Pore, d'autant qu'il nous attire d'un soin tant benin et tant amiable, comme si nous estions ses propres enfans. Qui est le pere terrien, qui en face autant pour ceux qui sont descendus de lui? Pour bien donc cognoistre que

320

c'est de Dieu, il faut que nous goustions sa bonté laquelle il nous declare et nous fait sentir, et de laquelle nous recevons les fruicts, et en iouyssons mesmes en ceste vie mortelle. Or avons-nous ainsi gousté la bonté de Dieu? C'est pour nous mener plus outre, c'est assavoir que nous esperions en lui, qu'il ne nous a point mis en ce monde pour nous faire perir comme les bestes brutes: mais que c'est pour nous mener à l'heritage eternel qu'il nous a promis. Nous pouvons donc fonder une droite fiance en Dieu par les biens que nous recevons de lui: et pouvons conclure que nos ames lui sont plus precieuses que nos corps: et s'il daigne bien nous envoyer ce qui est propre pour nous maintenir en ce monde, qu'il ne laissera point le principal. Nous voyons donc, que si nous avions les yeux ouverts pour contempler la providence de Dieu, et l'ordre naturel qui nous est proposé, cela nous devroit servir d'instruction pour mettre pleinement nostre fiance en lui. Or quand nous esperons ainsi en Dieu, nous le pouvons aussi invoquer. sachans puis qu'il veille sur nous, que nos prieres ne lui seront point incognues, et qu'il les acceptera. Voila ce que nous avons à pratiquer.

Et ce seroit nostre vraye sagesse, si nous pouvions mediter ces choses, et y avoir nos sens arrestez: nous profiterions assez pour toute nostre vie. Mais quoi? nous ne faisons que vaguer en folles speculations: et ainsi nous ne rapportons autre salaire, que nostre vanité. Nous voyons comme les hommes sont enveloppez en ces choses terrestres: et si on leur parle du Royaume des cieux, ils n'y entendent point: car aussi n'en sont-ils pas dignes. D'autant plus donc nous faut-il estre attentifs a ce qui est ici contenu, c'est que nous cognoissions la bonté de nostre Dieu, on ce qu'il nous nourrist, et que nous avons la hardiesse de l'invoquer comme nostre Pere, et d'avoir nostre refuge à lui, puis qu'il se monstre nostre Pere, et que nous en avons si bon gage: veu qu'il le nous declare non seulement par sa bouche, mais aussi ayant la main ouverte pour nous faire sentir de quoi. l'opposite apprenons de craindre, quand nous voyons qu'il excerce ses iugemens, voire par des moyens qui quelquefois nous sont profitables. Ainsi donc cognoissons là que Dieu nous veut assuiettir à soi, et que nous apprenions de le servir, et que nous ne provoquions point son ire à nostre escient: mais plustost ayans cognu qu'il est arme de puissance pour se venger contre les contempteurs de sa maiesté, que nous venions à lui avec toute reverence, afin qu'il ne desploye point une vertu telle et si espouvantable sur nous. Et voila aussi pourquoi sainct Pierre nous ramene à ceste consideration, que Dieu a une fois ruiné le monde, et a rasé tous les habitans de la terre par l'eau, qui

IOB CHAP. XXXVII.

321

toutes fois en est le commencement (2. Pier. 27 5). Si on demande, de quoi et de quelle matiere le monde a esté creé, nous voyons en l'Escriture saincte que ç'a esté une matiere confuse que Dieu avoit mis au commencement, et c'estoyent eaux où il n'y avoit qu'abysme et confusion. Et bien, voila le monde qui est prins d'une telle origine: et quand Dieu a voulu ruiner tout le genre humain? dequoi s'est-il armé? Il a envoyé le deluge. Voila donc les eaux desquelles nous tirons vie, et qui ont esté comme la substance de tout le monde, qui toutes fois ont esté pour le ruiner. Quand nous voyons cela, cognoissons que nous ne subsistons point ici bas sans la main de Dieu: et que si nous sommes esclairez du soleil. si nous tirons esprit de l'air, si nous sommes nourris, et substantez du pain, que ce ne sont pas ces creatures-là qui nous vivifient. Et pourquoi? Car Dieu convertira le tout en mort, quand il lui plaira: les instrumens de sa bonté nous seront glaives mortels pour nous faire perir. Ainsi donc retenons quand Dieu nous envoye ou des gresles, ou de pluyes mauvaises, ou des gelees: qu'en cela il se monstre terrible, afin que nous cognoissions nos pechez, qu'estans entrez en nous, nous lui demandions pardon de l'avoir offensé, et qu'à l'advenir nous apprenions à le craindre, et lui obeir mieux que nous n'avons point fait. Et au reste quand nous aurons senti un coup de sa main, que ce ne soit pas seulement pour un iour, mais que cela nous serve afin qu'il nous en souvienne. Dieu aura-il envoyé quelque secheresse, aura il envoyé quelque pluye? il nous en doit souvenir: il ne faut pas que nous attendions que ce soit à recommencer, mais que nous sachions, Or ça i'ai vesou au monde: i'ai veu quelquefois que la pluye a corrompu toute la semence qui estoit en terre au lieu du bled on a eu de l'yvroye ou rien du tout: et puis Dieu a desseché la terre par chaleur, tellement que tout a esté mangé: ou il y a eu un vent qui a tire et rongé toute la nourriture des hommes et des bestes. I'ai veu cela: i'ai veu apres, que par un tel moyen Dieu a envoyé la famine. Or il ne faut point que i'attende que Dieu redouble les coups, mais que ie soye instruit pour tout le temps de ma vie. Voila donc comme nous avons à pratiquer ceste doctrine.

Et au reste toutes fois et quantes que nous oyons tonner, que nous sachions que c'est un son procedant de la bouche de Dieu. Car il ne faut point que nos sens sautent et s'esvanouyssent en l'air comme si le tonnerre estoit là procree sans qu'il y eust un souverain maistre qui commandast. Venons donc iusques à Dieu, et sachons que par la vertu de sa bouche il faut que les tonnerres se procreent: et quand l'air est ainsi troublé, et que tout retentist, cognoissons que cela n'est point une

322

chose morte, mais que c'est l'ordre que Dieu a establi, par lequel sa vertu nous est manifestee. Voila don ce que nous avons à retenir. Mais quand nous aurons cognu que Dieu esmeut le coeur des hommes par les esclairs, par pluyes, et tempestes: si nous sommes plus privément enseignez, non point d'une voix confuse, mais de sa parole, qu'il nous presente une doctrine certaine en laquelle nous soyons edifiez: sachons que nous voila doublement coulpables devant Iui. Et de fait nous sommes dignes d'estre beaucoup plus grievement condamnez, si nous n'en faisons nostre profit, oyans ceste voix par laquelle il ne nous estonne pas seulement, mais il nous esiouyst. Il est vrai que quand la parole de Dieu se presche, il tend à ceste fin de nous faire sentir nos povretez. Car ce n'est point sans cause que la parole de Dieu est nommee un Glaive tranchant de deux costez, pour examiner les hommes, pour sonder toutes leurs pensees et affections. Et pour ceste cause il est dit aussi, que nous devons estre sacrifiez à Dieu par le moyen de l'Evangile. Il faut donc qu'il y ait une espece de mort, ou iamais la parole de Dieu ne profitera en nous. Il faut que nous renoncions à nous-mesmes, et que ce qui est de nostre nature soit abbatu. Voila donc comme nostre Seigneur tonne et foudroye par sa parole.

Mais de l'autre costé aussi par la mesme parole il nous vivifie, il nous console, bref il nous donne une pleine ioye: d'autant qu'il nous appelle à soi, et nous presente son Fils pour nous y conduire, et nous monstre qu'en lui nous sommes asseurez de nostre salut. Ainsi donc quand Dieu parle si privement à nous, si nous ne l'escoutons pour le glorifier, ne voila point une plus grieve et plus horrible condamnation sur nous, qu'en ceux qui n'ont eu iamais instruction, mais ont seulement contemplé l'ordre de nature, et ont ouy les tonnerres, et ont esté esmeus là dedans? Vrai est que ceste apprehension suffira assez pour nous condamner (comme i'ai desia dit) et encores que les hommes n'ayent iamais eu ne Loi, ni Escriture, tant y a qu'ayans vescu en ce monde ils n'ont plus d'excuse: car Dieu s'est assez declaré à eux, pour les arguer d'une malice et d'une rebellion certaine. Et de fait nous voyons que Dieu a comme gehenné et mis à la torture par les tonnerres les plus grands contempteurs de sa maiesté qui iamais furent. Qu'on lise les histoires des Payens, et on verra que les plus grands mocqueurs de Dieu qui ont iamais esté, ont esté tellement estonnez et effrayez, que maugré qu'ils en ayent eu, ils ont monstre oyans tonner, qu'ils confessoyent qu'il y avoit un Dieu par dessus les foudres et tempestes, lequel ils estoyent contraints de craindre. Dieu les a tellement serrez qu'ils estoyent comme sur un eschaffaut: ils estoyent

SERMON CXLIV

323

là mis, comme si on faisoit faire amende honorable à quelqu'un qui auroit violé la maiesté d'un prince. Mesmes les plus grands princes du monde ont eu ce tesmoignage par les tempestes, et les tonnerres qu'il y avoit un Dieu au ciel qui gouverne tout. Et cela est une approbation, que le tonnerre doit suffire pour faire fleschir les courages les plus endurcis qui soyent, quand il y a ainsi une telle marque de la maiesté de Dieu. Il ne faut donc que les tempestes, et les esclairs qu'on voit en l'air, pour condamner ces chiens et porceaux qui se mocquent de toute religion. Encores qu'il n'y eust ne loi ne doctrine par escrit: si est ce que le seul tonnerre les tient convaincus, tellement qu'en despit de leurs dents il faut qu'ils cognoissent qu'il y a un Dieu au ciel. Ainsi donc ceste voix dont il est ici fait mention, suffira pour condamner tous les hommes du monde, encores que iamais n'ayent ouy un seul mot de doctrine, ni leu.

Mais il faut tousiours venir à ceste comparaison que i'ai touchee, Que si Dieu tonnant en l'air d'un son confus, parle assez pour condamner les povres incredules, et si quand il fait voler les esclairs, voila une lumiere qui suffira pour condamner les aveugles: et que sera-ce quand il parle doucement, et qu'il a une façon tant amiable pour nous enseigner, et que mesmes il beguaye avec vous, afin d'estre mieux entendu? Quand non seulement il nous estonne, mais qu'il nous induit par douceur et humanité de venir à lui, et si nous lui sommes revesches que sera-ce? Quelle excuse y aura-il pour nous? Et voila pourquoi au Pseaume (29-9) que nous avons allegué il est dit, Qu'au temple de Dieu chacun lui donnera gloire. Car le Prophete apres avoir parlé de ceste voix de Dieu magnifique, qui fait remuer les montagnes, qui fait decouler les rochers, qui fait trembler la terre, qui fait tomber les arbres du Liban, qui fait avorter les chievres par les forests, qui esmeut et esbranle tout le monde: il adiouste, qu'alors Dieu sera glorifie en son temple. Et comment donc? Quand les esclairs volent par les ailes de la terre, c'est à dire, par toutes les extremitez, que les tonnerres sont ouys depuis un bout du monde iusques à l'autre: ne faut-il pas que Dieu soit cognu eu toutes ces choses, et que grands et petite lui facent hommage? Ouy bien. Et le Prophete donc pourquoi parle-il par especial du temple de Dieu? Or c'est suivant la comparaison que i'ai touchee, Que Dieu effarouche bien les Payens, et les resveille quand il tonne: mais ce n'est pas pour les amener à salut, ce n'est sinon pour les convaincre du tout, afin qu'ils ne pretendent point une couverture frivole, Qu'ils n'ont seu que c'est de Dieu ne de sa maiesté. Ils l'ont cognu suffisamment pour estre condamnez du tout: mais cependant Dieu nous veut attirer à salut

324

quand il parle à nous. Car là il ne tonne point seulement pour faire retentir l'air, il n'a point un son confus comme nous avons dit: mais il a une parole douce et privee, il nous desploye son coeur, et nous monstre quel est le chemin de vie, et nous esclaire par la clarté de sa parole qui luist sur nous. Voila donc pourquoi Dieu merite d'estre glorifié en son temple. Car combien qu'il se soit manifesté à tout le monde, et que toutes creatures soyent conviees à le louër, et mesmes qu'elles y soyent contraintes et forcees, si est-ce qu'il y a bien une autre vertu et plus magnifique en la doctrine qui nous est preschee. Car c'est là où Dieu se monstre, et se declare en telle sorte, qu'il faut bien que nous soyons plus que stupides et brutaux, si nous ne pensons à lui pour nous assuiettir à tout ce qui nous est annoncé en son nom et authorité. Voila donc ce que nous avons à retenir.

Et cependant cognoissons quelle est la malice esté du monde, quand la parole de Dieu apres avoir preschee et cognue, est si mal receuë de la plus part, et qu'il y a si peu de reverence, mesmes qu'il semble qu'on vueille despiter Dieu en reiettant toute doctrine qu'on cognoist estre de lui, et de laquelle on est convaincu. Ne voit-on pas auiourd'hui quelle est la rebellion des Papistes? Mais n'allons pas si loin: venons entre nous. On fera profession qu'on veut tenir l'Evangile: mais qu'on parle au nom de Dieu, que les choses soyent dechiffrees, qu'on les masche en sorte que les plus diables mesmes seront convaincus, que ce qui est presché est tiré de l'Escriture saincte: si est-ce qu'ils demeureront là obstinez pour ne faire nul scrupule de se rebecquer contre Dieu. Avec la malice il y a l'impudence, qu'on est là venu, qu'il ce faut point sortir hors de Geneve pour voir une rebellion toute manifeste pour despiter Dieu, pour voir une conspiration diabolique, pour dire, Et bien, Dieu ne dominera point par dessus nous: qu'on parle et qu'on die tout ce qu'on voudra, si est-ce que nous ne flechirons point. Voila les rebellions qu'on voit, qu'on tient autant de conte de tout ce qu'on dira aux sermons, comme de fables. Cela est trop notoire, les exemples sont trop patents, et pleust à Dieu qu'ils ne fussent point tels nostre grande confusion. Mais si faudra-il en la fin que ceux qui se iouent ainsi à un si grand Maistre, cognoissent celuy qu'ils ont navré et picqué, comme il est dit au Prophete Zacarie (12, 10): Ainsi donc il nous faut bien noter ce passage, et le noter à ce que nous apprenions d'estre plus dociles à Dieu, que ces bestes farouches qui s'aigrissent ainsi contre luy pour reietter tout ce qui est de sa doctrine et de sa pure parole. Car les Papistes encores auront quelque honte: quand ils combatent contre l'Escriture saincte pour leurs idolatries et abominations,

IOB CHAP. XXXVII.

326

ils cerchent des fausses gloses et des subterfuges: bref, encores qu'ils ne se couvrent que d'un sac mouille, si est-ce toutes fois qu'ils confessent que leur intention n'est pas de resister à Dieu. Mais quand on y va avec telle impieté, qu'on ne peut recevoir un seul mot de ce qu'on cognoist estre de la verité de Dieu, qu'on se fasche et se despite à l'encontre, qu'il n'y a mesmes nulle honnesteté pour recevoir ce qu'on cognoist estre bon, mais qu'on fait tout au contraire: ne voit-on pas eu cela que nous sommes pires sans comparaison que les povres Papistes? Et pourtant (comme i'ay desia dit) que pour le moins ceci nous serve d'admonition, afin que nous ne soyons point condamnez au double. Et mesmes sur tout quand il s'est ainsi approché de nous, et qu'il parle, et qu'il nous assemble en son nom, afin d'estre escouté, et de presider tellement au milieu de nous, que grands et petis se remettent à luy: que nous avisions de le glorifier. Et non point seulement de bouche, pour faire confession en un mot, Que nous soyons siens: mais que nous donnions approbation par effect que nous voulons estre son heritage: et puis qu'il nous fait ce bien, ceste grace, et cest honneur incomprehensible, de se donner à nous, et d'estre nostre vie: qu'aussi il y ait une donation mutuelle, que de nostre costé nous soyons pleinement en sa main, et qu'il nous possede, et qu'il iouisse de nous.

Et au reste s'il est dit que Dieu fait des choses grandes et magnifiques en tonnant, envoyant les foudres et tempestes, et que nous ne comprenons point cela: que nous sachions qu'en parlant et par sa Loy et par son Evangile, il veut nous eslever par dessus tous nos sens: comme à la verité iamais nous ne profiterons en la doctrine de Dieu, ni en sa parole qu'on nous propose, si nous n'avons ce principe, c'est assavoir, de cognoistre que Dieu nous exerce en des secrets qui surmontent toute nostre capacité: comme il est dit, Que Dieu a preparé à ceux qui l'aiment, ce que iamais oeil

326

d'homme ne vit, et ce qui n'a point esté ouy d'aureilles humaines, et qui iamais n'est entré en coeur de creature. Si donc nous n'avons cela, iamais nous ne gousterons ce que tous les iours on nous presche. Or pour le bien gouster qu'est-il de faire? Que nous sachions que nostre Seigneur nous convie en son royaume celeste, et nous veut retirer de ce monde. Ainsi donc voulons-nous estre bons escoliers pour profiter en la doctrine de nostre Seigneur Iesus Christ, Que voyans que nous sommes comme plongez au monde, et en ces choses corruptibles, nous mettions peine de nous en retirer: et que de iour en iour nous combations contre nos affections pour approcher de Dieu, et estre unis à nostre Seigneur Iesus: comme sainct Paul le nous monstre au troisieme des Colossiens, qu'il faut que nous mortifions ce qui est de la terre, si nous. voulons avoir part au ciel, et si nous voulons adherer à Iesus Christ qui est monté la haut, afin de nous unir à soy. Et au reste, que nous cognoissions, que nous avons des sens trop rudes et debiles pour apprehender que c'est de Dieu en toute perfection: mesmes nous n'en aurons iamais quelque petit goust, sinon qu'il nous conduise par son sainct Esprit: comme aussi sainct Paul fait ceste conclusion au passage que nous avons touche, quand il allegue la sentence du Prophete Isaie. Apres donc avoir dit, que l'homme sensuel ne comprend pas les secrets de Dieu, il dit que nous sommes renouvellez par son sainct Esprit, afin d'en avoir cognoissance. Il est vray que nous n'avons point esté conseilliers de Dieu, comme aussi il le declare là puis apres derechef: mais tant y a qu'il nous reçoit en son conseil, entant qu'il nous est expedient. Pourtant ayans cognu nostre infirmité, prions-le qu'il nous illumine par son sainct Esprit, pour cognoistre les choses qui seroyent trop hautes et trop profondes pour nous.

Or nous-nous prosternerons devant la face de notre bon Dieu, etc..

SERMON CXLV

327

LE CENT QUARANTECINQUIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXXVII. CHAPITRE.

7. Il scelle les mains de tout homme, afin de cognoistre les hommes de son oeuvre. 8. les bestes se retirent en leurs tanieres, et demeurent en leur repaire. 9. Il fait sortir le tourbillon d'un amas, et le froid vien du vent essartant. 10. Par le souffle de Dieu est donnee la gelee, et derechef du lieu estroit eaux abondantes. 11. Il fait travailler la nuée pour arrouser, et envoye la pluye, et fait espandre la nuée par sa clarté. 12. Il fait tourner les cercles par son gouvernement, afin de faire ce qu'il a commandé sur tout le monde. 13. Soit pour verge, soit pour sa terre, soit pour grace qu'il ottroye.

Nous vismes hier que l'espouvantement que les hommes ont du tonnerre, est comme une approbation de la maiesté de Dieu, et de sa vertu. Suivant cela, il est dit ici, que Dieu faisant tonner met comme un cachet sur les mains des hommes pour les tenir cachees: voire, afin de cognoistre les hommes de sa facture. Il fait aussi retirer les bestes en leurs cavernes. Comme s'il estoit dit, que Dieu retire à part les hommes, comme si quelqu'un faisoit assembler toutes ses gens, un homme sa famille: un prince ses suiets: un capitaine tons ses gensd'armes, afin d'en faire les monstres Voila donc l'intention principale de ce passage. Et cela s'esteud iusques aux bestes sauvages, pour monstrer qu'elles sont aussi bien en la main de Dieu: et qu'il donne approbation qu'elles sont à luy, quand il luy plaist: et ne fust que par le tonnerre: qu'elles sont alors contraintes d'estre comme enserrees et recluses. Il est vray que ce passage est communement expose, que Dieu met comme un signet en la main des hommes, afin qu'ils cognoissent leur ouvrage: comme s'il estoit dit que toute l'adresse que les hommes ont, pour s'appliquer à ceci ou à cela, c'est que Dieu leur a imprimé une marque, et qu'ils n'ont point cela sinon de l'instruction qui leur est donnee du ciel.

Mais le texte ne peut souffrir que cela soit ainsi entendu. Il y a de mot à mot, Afin de cognoistre les hommes de sa facture. Il s'ensuit donc que Dieu cognoist les hommes, quand il les tient ainsi comme enserrez, et enclos en leurs maisons. Afin que cela soit mieux entendu, quand les hommes ont liberté d'aller et de courir, il semble qu'ils soyent comme exemptez de puissance. S'il fait beau temps, l'un va aux champs, l'autre par les rues, et ainsi il ne semble point que les hommes

328

soyent plus tenus en bride, mais quand le temps est mauvais, qu'il tonne, qu'il fait quelque tourbillon, il faut qu'on se tiene cache. C'est donc autant comme si un homme assembloit sa maison pour dire, le veux savoir comme on se gouverne, et que chacun fait, et que tous me rendent conte. Voila comme Dieu assigne le temps aux hommes pour estre recueillis, afin qu'il en face les monstres, et qu'il declare que tous sont en sa suiettion. Et cela (comme i'ay dit) s'estend iusques aux bestes sauvages: car les bestes en vaguant, ne semblent point estre en la suiettion de Dieu: mais quand il fait quelque tempeste, et qu'elles sont cachees en leurs repaires, il faut alors qu'on cognoisse que Dieu a une bride secrette pour les tenir quand il luy plaist. Nous voyons donc ici ce qui fut hier traitté, estre encores declaré plus expressement: c'est assavoir, que non seulement les tonnerres sont messages de la maiesté de Dieu, en ce qu'ils estonnent les hommes: mais qu'il les contraint de se tenir cachez par leurs maisons: qu'alors c'est autant comme si Dieu monstroit qu'il tient les hommes en sa main: et que ceux qui vont et vienent, est d'autant qu'il leur donne le congé: mais qu'il les tiendra aussi enserrez à son plaisir. Quand nous voyons cela, apprenons de faire hommage à Dieu en tout temps: car si nous ne cognoissons la suiettion que nous devons à Dieu qu'en temps de tonnerre, nous aurons profite bien maigrement en la doctrine: mais cela nous est comme un memorial, afin que nous cognoissions que c'est luy qui gouverne tous nos pas: que nous ne pouvons remuer un doigt sans sa conduite. cognoissons donc cela, et apprenons de luy estre suiets en tout temps, et de nous laisser gouverner par luy. Voila ce que nous avons à retenir en ce passage. Et si nous n'avons cest advis et prudence, voila les bestes qui nous pourront enseigner. Car comment les lions, et les ours, et les loups, et tout le reste, se retirent-ils en leurs cavernes et tanieres, sinon d'autant que Dieu se declare estre superieur par dessus? Si donc nous voulons nous esgarer, et ne point souffrir que Dieu nous retiene comme enclos sous sa main, que nous vueillions reietter ce cachet et signature, dont il est ici parlé: les bestes nous condamneront par leur exemple.

Voila encores ce que nous avons à retenir, pour mieux faire nostre profit de toute ceste sentence. Le mot dont use ici Eliu signifie propre

IOB CHAP. XXXVII.

329

ment Cacheter, comme quand on signe une lettre afin qu'elle ne soit veuë. On pourra aussi cacheter un coffre, un buffet: on mettra un seau dessus, quand on ne vent point qu'on regarde dedans. Dieu donc use d'un terrible cachet, quand il envoye les tonnerres et tempestes Il n'a point ici de cire, avec un anneau, ou quelque seau materiel: mais il contraint les hommes à se tenir là comme enclos, tellement qu'ils sont là captifs en leur maison. Ce n'est point de leur bon gré: qu'ils cognoissent donc qu'il y a un maistre par dessus eux, et que tout le cours de leur vie n'est pas en leur main. Voila pourquoy ceste similitude est ici mise, afin que nous facions comparaison de la maiesté incomprehensible de Dieu, avec tout ce que nous pouvons voir aux creatures humaines.

Or il dit quant et quant, Que Dieu fait venir la tempeste de l'amas des nuees, et puis qu'il y a du vent essartant qui fait venir le froid, ou du vent de la bize. Ces changemens ici monstrent mieux la puissance de Dieu, afin qu'il en soit glorifie. Vray est que s'il y avoit un train egal, que iamais ne fist ne grand chaud, ne grand froid, que iamais ne fist pluye ne vent: mais que l'air fust tousiours temperé, et qu'il y eust une telle mesure, que les hommes se vissent tousiours en une disposition: cela seroit plus à souhait. Si on nous traittoit a desir nous voudrions avoir comme un printemps continuel, moyennant que le tout nous profitast. Comme donc la chaleur nous est fascheuse, le froid aussi nous est ennuyeux, et nous serions contens d'estre exemptez de tous les deux, et avoir l'air tellement temperé, qu'il n'y eust que redire, qu'il D'y eust rien qui contrevint à nostre desir. Mais cependant on apperçoit mieux la gloire de Dieu en tous les changemens qui se font: comme quand il fait venir la pluye sur la terre: apres quand il escarte les nuees, et qu'il les esmeut, qu'il suscite des tourbillons, et qu'il fait venir le froid apres le chaud: cela demonstre mieux sa maiesté, et nous resveille, afin que nous y pensions. Car aussi voyons nous combien les esprits des hommes sont hebetez: et il est donc besoin que nous soyons touchez plus vivement. Vray est que si nous avions ceste prudence en nous de contempler Dieu avec une veuë claire et pure: il suffiroit qu'il nous donnast vie et nourriture en ce monde. Mais d'autant que nous sommes si rudes, et avec cela que nous sommes malins, et que iamais nous ne venons à luy, qu'il ne nous y pousse: il est utile que nous soyons touchez par les changemens qui se font. Car (comme i'ay desia dit) quand nous voyons le beau temps, et soudain voila l'air qui se trouble, les nuees s'amassent apres qu'il aura fait chaud: quand une pluye sera venue, elle refraichist l'air, et la gelee suivra: et quand il y aura eu

330

secheresse telle qu'il sembloit que la terre deust estre bruslee du tout, voila Dieu qui envoyera les nuées, et les fera travailler pour nous supporter quand il nous voudra envoyer le bon temps: quand donc nous voyons telles revolutions, alors il faut bien qu'on soit plus que stupide, si on ne pense à Dieu. Et defait (comme nous avons dit) il se ramentoit, et se monstre d'une façon plus visible et patente, que si les choses alloyent tousiours leur train.

Voila pourquoy Eliu insiste tant sur ce passage, pour nous deduire et exprimer les changemens qui se font en l'air, par le beau temps, et par la pluye, par le froid, et le chaud, par les nuées, et par le temps serain, par les tourbillons et par la gelee et les autres choses diverses. Et pour ceste cause aussi il est dit, Que Dieu par son gouvernement fait tourner les cercles: car i'expose ceci comme s'il estoit dit que le monde est renouvellé quand tels changemens advienent. S'il y avoit une mesme saison en tout temps, on ne verroit qu'une seule face et simple: mais quand le soleil luira un iour, et puis soudain le voila couvert et caché: voila comme deux mondes divers, et une telle varieté nous solicite à penser mieux qu'il y a un Dieu qui gouverne. Car comment est-il possible que les choses se remuent ainsi, et qu'il se face une telle revolution, que Dieu ne besongne par dessus? Nous voyons maintenant que la terre est serree de froid, et l'air en est saisi: nous voyons au contraire que tout se relasche par un beau temps et gracieux, voila encores des nouveaux mondes. Et ainsi ce n'est point sans cause, qu'Eliu pour la conclusion adiouste, que Dieu fait tourner des cercles, c'est à, dire des mondes: qu'il les fait tourner maintenant d'une façon, maintenant de l'autre. Et pourquoy? Afin que si nous ne sommes suffisamment enseignez par un moyen, nous eslevions la veuë au ciel, et que nous regardions de tous costez: que pour le moins quand nous voyons des revolutions qui se font soudain, cela nous incite d'avantage à cognoistre Dieu pour estre glorifié: comme aussi nous en avons plus d'occasion. Voila ce qu'il nous faut retenir en ce passage.

Or maintenant nous voyons, que d'autant plus que Dieu nous donne des moyens pour venir à luy, afin d'estre enseignez à le craindre, et honorer: tant moins aurons nous d'excuse de nostre ingratitude, et serons tant plus à condamner si nous n'en pouvons faire nostre profit. Il n'y aura donc ne beau temps, ne pluye, ne chaud, ne froid, ne gresle, ne tempeste, qui ne se dresse contre nous au iugement de Dieu. Voila nos tesmoins, pour monstrer et descouvrir la malice qui aura esté en nous: d'autant que nous n'aurons point adoré celuy qui s'est monstre en tant de sortes, qui de tous costez

SERMON CXLV

331

nous a induits à regarder sa maiesté. Et pourtant, toutes fois et quantes que le temps se changera, combien que les changemens nous soyent fascheux de primeface, cognoissons que c'est pour nostre profit: car Dieu par ce moyen nous esveille, comme desia nous avons dit. Si nous avons eu le beau temps, c'estoit pour nous enyvrer, sinon qu'il y eust eu changement: mais la pluye vient elle? alors on pense, Or ça, il ne faut que tourner la main, et Dieu pourra faire un nouveau monde, voire sans que la substance perisse: mais la forme sera tellement obscurcie, qu'il semble que le monde soit revolu. Quand donc nous pensons à cela, nous cognoissons que c'est pour nostre utilité et salut que Dieu use d'une telle varieté que nous la voyons. Et au reste, notons bien les façons de parler qui sont ici mises. Car quand il y aura eu grande secheresse, il semble que le ciel soit comme de fer ou d'airain: et voila aussi comme l'Escriture en parle. Quand Dieu menace les hommes de les punir, leur ostant la pluye: il dit, le vous donneray une terre de fer, un ciel d'airain: la terre sera serree, qu'elle n'ouvrira point ses mammelles pour vous allaitter: et le ciel aussi ne vous donnera point de pluye, il sera endurci. Or si apres grande secheresse la pluye vient, cela nous est tant plus admirable: car on n'eust point attendu un tel changement, sinon quand on voit l'ouvrage. On s'esbahit donc: mais l'accoustumance nous obscurcist la veuë et cela fait que nous ne prisons pas les miracles de Dieu comme nous devons. Mais tant y a, que la chose en soy nous monstre une vertu singuliere de Dieu, quand le ciel sera si tost tourné et change, et qu'il s'obscurcist soudain.

Il y a aussi qu'il est dit, Que Dieu fait travailler les nuées pour arrouser la terre: voire, comme si elles estoyent fendues et qu'elles fussent vuidees, afin que la terre en reçoive la substance. Voila donc un travail auquel Dieu employe les nuees pour nostre service, quand il en tire la pluye, et qu'apres qu'elles ont humé l'eau d'ici bas, elles rendent leur substance, et se flaistrissent, et s'aneantissent en la fin. Quand donc nous oyons que Dieu cor duit ainsi ses creatures, pour les appliquer à nostre usage, et que c'est comme s'il nous bailloit des serviteurs et chambrieres à louage: cognoissons en cela sa bonté infinie. Et ce n'est point seulement des nuées qu'il est ainsi parle: mais il est dit du soleil et de la lune, qui sont creatures si nobles, que Dieu neantmoins daigne bien les appliquer à nostre usage. Quand donc il est ainsi parlé du soleil et de la lune, que Dieu les employe nostre service: en cela voyons nous l'amour qu'il nous porte, et combien nous luy sommes excellens, et nostre vie luy est precieuse. Il est vray que cela ne vient point de nostre dignité: car qui

332

sommes-nous? Cependant toutes fois voila Dieu qui assuiettist le ciel à nostre usage. Et d'autant plus les hommes ont-ils esté abbrutis, quand ils ont adoré le soleil et la lune: comme c'est à ceste fin que Dieu leur reproche qu'il les avoit mis à leur service. Et ainsi retenons quand Dieu fait en ceste sorte travailler les nuées, qu'il fait travailler la terre, que haut et bas il nous monstre un amour plus que paternelle, il nous fait sentir sa bonté: afin que nous cognoissions combien nous lui sommes chers et aimez, voire nonobstant la povreté qui est en nous. Car nous ne sommes pas dignes d'estre contez avec le reste des creatures. Si on compare les hommes avec la terre, avec l'air, avec lés bestes mesmes: il est certain que les hommes sont indignes d'estre ici soustenus. Et pourquoy? Pource que nous sommes corrompus et depravez. Et ainsi nous avons à magnifier tant plus la bonté de Dieu envers nous.

Et au reste, quand il est dit, Qu'il chasse les nuées par sa clarté, c'est encores un autre changement qui est admirable, et qui nous doit faire sentir la main de Dieu. Car voici le temps couvert: or il nous semble que nous soyons privez de la veuë du soleil: et si nous n'avions accoustumé ces changemens, il nous sembleroit que les eaux nous menacent maintenant de nous ensevelir. Et defait qu'est-ce des nuees, quand elles ont ainsi occupe tout l'air, et que la terre est ainsi mouillee, comme on la voit? N'est-ce pas comme un sepulchre? Et Dieu en une minute de temps fera esvanouir les nuées: à qui peut-on attribuer cela? Il est vray que nous dirons, Ordre de nature: nous dirons, Coustume. Mais quoy qu'il en soit, si appercevons nous la main de Dieu, si nous ne sommes par trop stupides. Et ainsi retenons, que ce n'est point un langage superflu, quand Eliu use de ces propos divers, pour monstrer la maiesté que Dieu nous propose en ce monde en ceste varieté de temps, afin de nous attirer à luy.

Et notamment il dit, Qu'il envoye et les nuees, et les tourbillons: et le tout, pour faire ce qu'il a ordonné par tout le monde: comme s'il disoit, que tousiours il nous faut considerer la puissance de Dieu et son empire dessus tout ce que nous voyons: afin que nous apprenions de sentir nos pechez quand il nous punira (comme il adioustera tantost derechef ) et afin aussi que nous goustions sa bonté, tellement que nous en soyons du tout rassasiez, quand il luy plaist nous traitter humainement. Afin donc que nous cognoissions ces choses, sachons que les creatures ne se gouvernent point d'elles-mesmes, mais que Dieu en dispose comme bon luy semble: c'est donc pour faire tout ce qu'il a commandé dessus la terre. Or de ceci nous pouvons recueillir une bonne doctrine. Car pourquoy est-ce que nous

IOB CHAP. XXXVII.

333

craignons tant et le tonnerre, et les autres choses, sinon pource que nous ne craignons point Dieu? Et c'est une iuste punition de nostre incredulité. les hommes ne veulent point craindre Dieu: et où est-ce qu'il les envoye? Aux creatures insensibles: et cela est pour leur faire plus grand'honte. Voila un contempteur de Dieu qui mettra toute religion sous le pie: il y a une rage diabolique qui le transporte: il reiette toute discretion de bien et de mal. Or cependant il faudra qu'il s'espouvante du tonnerre, et qu'il en soit du tout confus, et comme transi. Voila le salaire que meritent tous ceux qui ne veulent point faire hommage à Dieu: ils font hommage à une creature insensible. Ainsi donc apprenons d'attribuer à nostre Dieu la puissance qui luy appartient, afin que nous soyons exemptez de ceste crainte qu'ont les ignorans, et incredules, et tous malins et contempteurs de toute religion. Car si nous savons que Dieu conduit et gouverne les tempestes: alors nous sentirons, qu'estans en sa main, nous serons exemptez de tout danger quand il luy plaira. Le tonnerre ne peut rien: et combien que nous le voyons voler, et qu'il aura atteint du ciel sur la terre, quasi en un moment: si est-ce qu'il est en la main de Dieu. Et pourtant comme une espee quand elle sera là à terre, ne pourra navrer, ou quand elle sera en son fourreau: ainsi en est-il des foudres, elles ne peuvent rien simplement d'elles-mesmes: mais Dieu les iette là où il veut. Quand nous saurons cela, nous ne craindrons pas le tonnerre. Il est vray que nous en serons estonnez, et quant et quant cela nous servira d'un aiguillon pour nous picquer, afin que nous soyons confermez en la crainte de Dieu, et que nous y profitions de plus en plus: mais quoy qu'il en soit, nous ne pouvons estre effarouchez du tonnerre, sachans que Dieu le dispose, et puis que nous sommes en sa garde, que le tonnerre ne peut rien contre nous, sinon ce qu'il luy plaira. Voila comme nous ne craindrons point les gresles, mais celuy qui les envoye: nous ne craindrons point la tempeste pour en estre effarouchez par trop, mais nous tremblerons devant la maiesté de nostre Dieu: et apres y avoir tremblé, nous serons mortifiez en toutes nos affections charnelles, et prendrons ceste resiouissance qu'il nous donne à l'opposite en se declarant Pere envers nous. Voila, di-ie, comme nous avons à pratiquer ce passage.

Mais il y a aussi l'exemple des creatures, qui nous doit servir. Car quand nous voyons que les pluyes, les vents, les tourbillons, tout cela execute ce qui leur est commandé de Dieu, que devons-nous faire? La pluye a elle des aureilles pour ouir ce que Dieu ordonne? ne le soleil, ne la terre, ne les nuées, ne l'air? Il n'y a point là de raison ne sentiment: et toutes fois si voit-on que toutes

334

ces creatures servent à Dieu, et luy obeissent. Il ne tombera point une goutte d'eau en terre, sans sa volonté: le soleil ne se leve, et ne se couche point, sinon d'autant que Dieu luy a limité ses pas, qu'il luy a assigné son cours, tellement qu'il ne faudra point d'une seule minute: autant en est-il de toutes les autres creatures. Et nous cependant, qui retenons les paroles, qui avons les aureilles pour ouir, qui avons sens et raison: si nous n'appliquons tout cela pour obeir à nostre Dieu, n'avons-nous point ici un tesmoignage suffisant pour nous condamner, quand tout l'ordre de nature n'est sinon une approbation de l'obeissance que haut et bas toutes creatures tendent à Dieu? Nous sommes (comme desia il a esté dit) hommes de sa facture: car (comme aussi il est dit au Pseaume [100, 3l) ce n'est pas l'homme qui se soit fait, c'est Dieu. Quand donc nous tenons tout de luy: et faut-il que la force qu'il nous a donnee, soit comme une furie pour se ietter contre luy, et luy resister, et empescher que sa volonté n'ait son cours? Et toutes fois voila où tendent toutes nos estudes. Car si on regarde en quoy les hommes profitent, on trouvera qu'ils ne cessent de resister à Dieu, et de batailler contre luy, qu'ils ne demandent sinon d'aneantir sa verité: en cela voit-on une malice tant plus grande. Cognoissons donc que et les pluyes, et les vents, et les tourbillons et les tempestes, et choses semblables, donneront lustre à ceste rebellion diabolique qui est en nous: quand nous ne cesserons de provoquer l'ire de Dieu, et d'empescher qu'il soit obei, et qu'on se renge à sa volonté pour nous gouverner paisiblement.

Voila ce que nous avons à observer en second lieu de ce passage, quand il est dit, Que pur le monde universel les creatures font ce que Dieu leur a ordonné Or en somme nous voyons ici la providence de Dieu qui est en l'ordre de nature. Mais il nous faut encores revenir à ce qui fut hier traitté, comme Eliu nous S ramene. Il dit, Soit pour sa verge, soit pour sa terre, soit pour grace Parlant ainsi il monstre (comme il en toucha desia hier) que ce n'est point assez de savoir que tout est sous la main de Dieu, et que rien ne se fait que par sa volonté, et disposition: mais il nous faut aussi observer la 6n de son conseil, il nous faut noter les causes pourquoy Dieu besongne ainsi. Or desia nous avons le sens debile, tellement qu'encores que Dieu nous masche la viande, si est-ce que nous ne la pouvons pas digerer en nos esprits. La doctrine se propose par le menu, et Dieu nous la rend tant familiere qu'il est possible: tant y a que nous sommes si hebetez que nous ne la cognoissons pas comme il seroit requis. Que seroit-ce donc si en general seulement nous cognoissions que Dieu gouverne le monde: et que nous n'eussions point un

SERMON CXLV

335

meilleur advis, et plus particulier de cognoistre sa bonté, et iustice, et sagesse, afin d'estre attirez à sa crainte, et estre fondez en la fiance de sa misericorde?

. Voila pourquoy derechef il est dit ici, Soi pour verge, soit pour sa terre, sot pour sa grace. Quand il est dit, Soit pour verge, en cela Eliu monstre que Dieu chastiera le monde par la pluye, par le chaud, et par le froid, par les tempestes et orages. Ce Sont donc autant de fleaux de Dieu, desquels il frappe sur nous à cause de nos pechez. Or cependant ce n'est point pour nous seulement qu'il a creé le monde: veu que disant la terre estre sienne, il en a pitié. Et aussi les hommes ne sont pas dignes qu'il use de misericorde envers eux: toutes fois il veut encores maintenir la terre qui est sa facture, laquelle puis apres leur sert. Il pourra donc regarder quelquefois à soy-mesme, et à ce qu'il a creé, tellement qu'il reprime sa rigueur, et qu'il ne l'exerce point du tout, mais la modere, combien que nous l'ayons irrité. Ainsi en cela sur tout il nous faut considerer sa grace: car sinon qu'il nous pardonnast nos pechez, ou bien qu'il les supportast pour un temps, il est certain que la terre periroit sur nous, et faudroit que tout le monde fust consume, voire à nostre ruine Ainsi donc Dieu nous rend un grand tesmoignage de sa misericorde, quand il luy plaist de nous espargner en ceste aorte. Or ceste conclusion nous doit servir à double usage. L'un est, pour mieux confermer ce qui a desia esté exposé ci dessus. L'autre comme il fut hier traitte) pour nous faire craindre

ieu, et pour le servir, et mettre nostre fiance du tout en luy. le di que ce propos touchant le gouvernement de Dieu quant à ce monde, est mieux ratifié, quand nous voyons les façons diverses, avec la varieté des changemens. Exemple: Voila Dieu, qui pour nous chastier, envoyera quelque famine. Or la famine a ses causes precedentes: il viendra une gelee, il y aura secheresse, il y aura pluyes nuisantes, il y aura orages: et bien, voila l'air qui nous punist. Or l'air est une chose insensible. Et est-ce la playe, qui s'avise de corriger nos fautes? On nous pourra alleguer des raisons naturelles, pour dire que la pluye se procrée par un tel moyen, les vents aussi, et les orages. les Philosophes pourront bien amener des raisons, pour dire que cela a quelque principe, et que cela se dispose par quelques causes inferieures. Mais cependant les chastimens que Dieu envoye, ne sont-ils pas de luy? Sauroit-on attribuer cela, à quelques causes inferieures? Voila un pays qui s'estoit mal gouverné, et il a fallu que la main de Dieu passast par dessus: voila un fleau rude qui leur est advenu: dira-on que C'est nature qui besongne? Ne faut-il pas cognoistre que c'est le iuge du ciel qui chastie

336

les pays, et nous monstre quand nous avons failli que nous ne pouvons pas eschapper de sa main? Ainsi donc que nous sachions que Dieu desploye sa grace et sa bonté, quand il nous envoye les saisons propres et desirables: et à l'opposite qu'il chastie nos pechez et transgressions, s'il envoye un temps divers et mauvais. Si nous cognoissons cela ceste doctrine sera tant mieux ratifiee: c'est assavoir, que la pluye ne s'esmeut pas de son mouvement naturel: les tourbillons aussi ne se procreent pas, sinon d'autant que Dieu les envoye, d'autant qu'il les ordonne à ce que bon luy semble. Voila donc comme ceste conclusion especiale nous amene tant mieux à Dieu.

Mais il y a aussi le second poinct: c'est, Que puis que les pluyes, les tourbillons, les gresles sont fleaux de Dieu, nous apprenions de nous matter quand il nous corrige: qu'il ne frappé point sur nous eu vain, mais que nous soyons ployables sous luy, afin de nous humilier en sorte qu'il domine paisiblement sur nous. Il est vray que puis qu'il nous convie si doucement, C'est une grand honte à nous qu'il faille qu'il nous attire par force à son service, et à grans coups de baston. Et est-ce une nature d'enfans, de se faire ainsi matter, et qu'on ne vueille point venir à son pere sinon par violence? Or tant y a qu'il faut que Dieu besongne ainsi en nous, voyant nostre rebellion, et que nous sommes tant difficiles à manier: il faut qu'il use de rudesse. C'est donc pour le moins, qu'alors nous plions sous luy, quand nous sentons les coups si rudes, et qu'il frappe et de gresle, et de pluye, et de tonnerre et de vent, et de gelee, et de tourbillon, et de secheresse. Pourtant quand nous sentons les coups ainsi aspres, et que la main de Dieu nous fait trembler, et que ce tremblement-la n'est pas seulement pour nous effaroucher, mais que C'est pour nous renger à luy, afin de luy demander pardon de nos pechez: apprenons que nous sommes dignes d'estre ainsi batus: et au reste sachons que nous ne cesserions de provoquer sa vengeance de plus en plus, sinon qu'il nous donnast les coeurs par son sainct Esprit. Ainsi donc, voila comme les fleaux de Dieu nous doivent soliciter à venir à luy, afin de le craindre, et de l'honorer.

Cependant notons quand il est dit, Pour sa terre, que Dieu a regard à soy quand il ne nous destruit point du tout. Voyons-nous donc que Dieu nous laisse vivre? Encores que ce soit parmi beaucoup de calamitez, tant y a que si voyons nous une grace, et une patience en luy: car il faudroit que nous fussions raclez du premier coup s'il nous traittoit selon que nous l'avons merité. Pourtant notons qu'il est dit, que Dieu fait cela pour sa terre. Voire: car nous ne sommes pas dignes qu'il ait regard à nous: ainsi il ferme les yeux, et ne daigne

IOB CHAP. XXXVII.

337

pas penser de creatures si vilaines que nous sommes. Voila donc un desdain qui nous est ici exprimé: assavoir, Que si Dieu n'avoit consideration que de nous, il pourroit exterminer et ciel et terre, afin de nous faire perir. Et cela est pour nous despouiller de tout orgueil, et pour nous faire tant plus grand honte, afin que nous apprenions de ne nous plus flatter: car on voit que les hommes voudroyent couvrir leurs ordures. Quoy qu'il y ait, ils ne laissent point de se plaire, et d'avoir tousiours ie ne say quelle vaine phantasie qu'ils valent beaucoup. Or il est ici dit, que Dieu estime, et prise plus la terre, que nous ne meritons d'estre prisez Toutes fois afin que nous ne demeurions point confus, il est adiousté notamment, que parmi cela, Dieu declare sa misericorde. Nous a-il donc ainsi rendu confus, de dire qu'il ne daigne pas avoir esgard à nous? Il retourne, et dit, Encores useray-ie de pitié, et vous feray sentir ma misericorde: ie vous espargneray. Voire non pas que nous en soyons dignes (car il faut avoir cela tout conclud, que quoy que Dieu face, il ne regarde point ce qui est en nous) mais quand nous sommes venus iusques là que nous sommes humiliez, et que nous cognoissons que nous meritons que Dieu nous abysme, il nous monstre puis apres, que par sa bonté il surmonte nostre malice.

Voila pourquoy il est adiousté finalement, Que Dieu fait ceci voire pour sa bonté, et misericorde. Or de là nous avons à recuoillir, que si la pluye nous est propre, si le beau temps aussi vient à souhait: nous n'avons point desservi que Dieu nous traitte si humainement: il ne faut pas que nous imaginions ici quelque salaire qu'il nous rende comme s'il y estoit tenu, et si de nostre costé nous

estions tels, qu'il nous deust tenir pour ses enfans si delicatement. Quoy donc? C'est sa pure misericorde: car nous meriterions bien d'estre affamez. Il n'a donc raison de nous envoyer nourriture, sinon d'autant qu'il est bon et pitoyable. Nous meritons qu'il nous racle du monde, et il estend sa main pour nous appateler comme un pere ses enfans. En cela donc voyons nous sa bonté gratuite. Voila comme il nous faut magnifier Dieu en tous les benefices qu'il nous distribue, n'estimans pas (comme nous avons dit) que ce soit quelque salaire qu'il nous rende, et que nous ayons merité envers luy: mais pource qu'il est benin et liberal envers nous. Or là dessus nous avons à conclure que puis qu'il nous supporte et qu'apres que nous l'avons offensé, et que nous devrions estre abysmez de sa main, il ne laisse pas de faire office de pere, voire sur les corps qui ne sont que charongnes qui ne sont que fumee, et comme rien. Puis donc que nostre Seigneur besongne ainsi benignement envers nos corps, nous devons estre confermez en une droite fiance, qu'il nous recevra, à merci, et sera prest de nous pardonner nos fautes quand nous luy en demanderons pardon. Ainsi donc nous voyons comme tous les iours nostre Seigneur nous appelle à salut: car nous ne pouvons manger un morceau de pain, ny user de tous les biens temporels qu'il nous fait, qu'il ne nous ouvre quant et quant le ciel pour dire, Venez à moy, et ie vous seray Pere, et ie vous feray merci de vos fautes: vous me trouverez tousiours prest à vous recevoir, moyennant que vous demandiez d'estre soustenus par ma pure misericorde.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

338

LE CENT QUARANTESIXIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXXLVII. CHAPITRE.

14. Escoute ces choses Iob, arreste toy, considere les merveilles de Dieu. 15. Sais-tu comme Dieu leur a imposé loy, et comme il fait luire la clarté de sa nuee? 16. Entens-tu les escartemens des nuees, et les miracles du parfait en science? 17. Comment tes vestemens sont chauds quand il fait souffler le vent de Midi? 18. Estois-tu avec luy pour estendre le ciel, lequel est ferme comme un miroir de fonte? 19. Monstre nous que nous luy dirons: car on ne peut ordonner propos à cause des tenebres. Si tu

parles, qui est ce qui luy racontera: et si quelqu'un luy dit, ne sera-il pas englouti? 21. On ne voit point sa clarté quand le soleil est caché: et puis le vent souffle, et ramene le serein. 22. Le beau temps revient du ce té de la Bize: et ainsi, Dieu doit estre exalté en louange. 23. Il est puissant en sa bonté: il est fort en vertu, en iugement, en iustice, et n'afflige point. 24. Pourtant les hommes le craindront, et il ne regardera point tous les sages de coeur.

SERMON CXLVI

339

Si nous cognoissions ce qui est ici dit des oeuvres de Dieu, c'est assavoir, qu'elles sont admirables, il n'y a celuy de nous qui ne print plus grand peine à les considerer, attendu mesme la petitesse, et la fragilité qui est en nos esprits. Mais quoy? Nous cuidons estre si habiles, qu'en un petit iet d'oeil nous avons tantost apprins tout ce qui est à cognoistre: et cependant les oeuvres de Dieu ne sont point estimees de nous selon leur dignité, ce nous sont comme choses vulgaires à cause de la coustume, et y passons legerement. Ainsi il nous faut bien noter ce qui est contenu en ce verset: quand d'un costé Eliu proteste, que les oeuvres de Dieu sont autant de miracles: et puis dit qu'il s'y faut arrester, voire d'autant que nostre esprit est par trop debile pour en avoir si tost une vraye cognoissance. Il est donc besoin que nous y appliquons toute nostre estude. Au reste, notamment il nous est commandé d'escouter: car sans que Dieu ait parlé de nous, nous aurons beau appliquer tous nos sens pour considerer ses oeuvres, iamais nous ne viendrons au principal. Voila donc trois poincts que nous avons à retenir. L'un est de l'excellence et maiesté qui se peut voir en toutes les oeuvres de Dieu, tellement qu'elles ne sont à mespriser Et puis le second c'est, d'autant que les hommes sont rudes et pesans, qu'il ne faut point qu'ils iettent seulement la veuë, pour regarder comme en passant ce que Dieu propose: mais qu'ils insistent là dessus, et y appliquent bien leur estude, et qu'ils y soyent diligens iusques au bout. Le troisieme c'est, qu'ils ne se fient pas en leur raison, et ne pensent point avoir assez d'industrie pour bien iuger: mais qu'ils sachent que c'est à Dieu de nous monstrer par sa parole ce que nous devons comprendre, et que c'est aussi par ce bout-la qu'il nous faut commencer: et que iusques à tant que nous ayons esté à l'escole de Dieu nous aurons les yeux esblouis: que les oeuvres de Dieu nous passeront par devant mais nous n'en aurons point un tel sentiment qu'il est requis: bref, nous n'aurons nulle discretion iusques à ce que Dieu nous ait rendus sages. Or ces choses n'ont pas si grand mestier d'estre exposees au long, comme d'estre bien pensees d'un chacun de nous. Et ainsi toutes fois et quantes que nous avons à cognoistre les oeuvres de Dieu, eslevons nos sens en haut pour les adorer: c'est à dire pour adorer la sagesse infinie, et la vertu, et la iustice de Dieu qui y apparoist. Voila pour un Item.

Bref, quiconques pense des oeuvres de Dieu sans les reverer, c'est à dire sans leur porter honneur, et les cognoistre pleines de sagesse, et vertu, et bonté, celuy-la est ingrat et sacrilege. Et ainsi apportons ceste reverence toutes fois et quantes qu'on nous parle des oeuvres de Dieu, que nous

340

n'y pensions sinon comme à des miracles qui surmontent tous nos esprits, et là où Dieu desploye sa maiesté, en sorte que nous avons bien dequoy l'adorer. Au reste (comme nous avons touché) il nous faut d'autre part considerer ce qui est en nous afin que nous ne cuidions point estre tant habiles de savoir tout en un moment. Contentons nous donc de considerer ce que nous ne comprenons pas du premier coup, et ne nous lassons point en ceste estude. Si nous avons vescu quelque temps au monde, et que nous soyons encores apprentifs, et n'ayons point ceste perfection d'intelligence qui seroit à souhaitter, ne perdons point courage: mais poursuivons cest estude: car nous aurons beaucoup fait, quand en toute nostre vie nous aurons apprins de sentir les merveilles qui sont contenues aux oeuvres de Dieu. Or il est vray qu'il nous faut tousiours marcher outre: et aussi quand il est parlé en ce lieu de nous arrester, ce n'est pas qu'il nous faille estre oisifs en nos speculations: car quand nous pensons à Dieu, cela ne nous doit point empescher de le servir, nous employans à ce qu'il nous ordonne. C'est tout le contraire, c'est assavoir que d'autant plus qu'un chacun considere les oeuvres de Dieu, il doit estre incité à faire ce qui est de son office, il doit estre agité et poussé d'avantage. Mesmes ceux qui s'arrestent à penser aux oeuvres de Dieu, reculent (comme on dit en proverbe) pour mieux sauter: car c'est afin que nous ne soyons vagabons: comme on voit que les hommes courent, et trottent, et se remuent, et mesmes ils voudroyent remuer le monde avec eux, quand ils sont ainsi empeschez en leurs entreprinses. Mais quoy? Ils se pourroyent rompre et bras et iambes, et n'avanceront gueres, quand ils ne tienent point le droit chemin. Que faut-il donc? que nous ayons une bonne consideration qui nous conduise. Et ainsi arrestons nous tellement aux oeuvres de Dieu, que nous soyons retenus en bride, pour ne nous esgayer ainsi, et n'estre point vagabons. Mais cependant employons nous aussi à ce que Dieu nous commande, et que nous ayons là nostre but.

Au reste sachons, que de nostre nature nous n'aurons ne prudence ne raison pour escouter Dieu: car c'est son office de nous monstrer ce que nous devons considerer en ses oeuvres pour en faire nostre profit. Il est vray que les Payens ont subtilement disputé des secrets de nature, et rien quasi ne leur a esté caché: voire, mais ça esté pour s'amuser en ce monde, et ne parvenir point à Dieu. Et qu'est-ce d'une telle sagesse, sinon un abysme confus, Car quelle ingratitude est-ce là, que les hommes espluchent si soigneusement toutes les oeuvres de Dieu, et qu'ils ne pensent point au Createur, et ne leur chaille de luy? Ainsi maudite

IOB CHAP. XXXVII.

341

soit une telle sagesse qui s'amuse à subtilement s'enquerir de ces choses inferieures, et cependant mesprise le Createur. Au reste encores il est certain que Dieu a donné l'esprit à ceux qui ont si subtilement traitté de l'ordre de nature: mais d'autant qu'ils n'ont point ouy Dieu parler, qu'ils n'ont point eu sa parole pour estre guidez droitement, 11s sont defaillis au chemin. Car le principal estoit de s'assuiettir à Dieu, et de contempler sa gloire qui nous apparoist en toutes ses oeuvres: ils ne l'ont point fait. Ainsi donc notons bien quand nous lirons ces grans Philosophes, ou que nous en orrons parler, et que nous verrons qu'ils ont cognu les choses qui nous semblent estre incomprehensibles: que ce nous sont autant de miroirs de l'aveuglement qui est en tous hommes, iusques à tant que Dieu les ait enseignez en son escole. Sommes-nous plus subtils que n'ont esté ceux-là? Il s'en faut beaucoup: et toutes fois nous voyons qu'ils n'ont rien gousté de Dieu. Et ainsi quand nous voudrons comprendre les oeuvres de Dieu, ne nous fions point en nostre agilité, et ne presumons point de nostre vertu naturelle: mais prestons l'aureille à ce que Dieu nous dira: et quand nous serons enseignez par sa parole, marchons en sa conduite, et alors les oeuvres de Dieu nous seront cogoues pour les appliquer à nostre usage et instruction. Voila quant à ce premier verset.

Or Eliu poursuit quant et quant son propros. Il demande, si Iob sait comme Dieu a commandé à toutes ses creatures, comme il a ordonné les nuees, et puis comme il met la clarté parmi, et s'il a cognu l'ordre et la disposition des nuees, et les merveilles de celui qui est parfait en science. Quand il dit, As tu cognu comme Dieu a impose loi à ses creatures? il y a ici deux choses à noter: l'une c'est que Dieu n'a point creé seulement ses oeuvres pour un coup: mais qu'il les gouverne et les applique à tel usage que bon lui semble: comme desia nous en avons traitté ces iours passez: mais d'autant que ce mot est ici mis derechef, pesons-le, comme aussi il emporte une bonne doctrine. Car que seroit-ce, si on nous disoit seulement, que Dieu a creé le monde, et que maintenant les choses vont comme elles peuvent? Cela seroit bien maigre et bien froid. Voila comme en ont fait les Payens quasi tous. l'enten ceux qui ont eu quelque bonne semence de religion: car ie laisse ces bestes enragees qui ont cuidé que le monde fust eternel, comme le plus sage qui fut iamais, l'a cuidé, assavoir Aristote. Il n'a iamais eu son pareil, et toutes fois il s'est là arresté, et le diable l'a transporté en sorte qu'il ne cognoissoit point de Createur du monde: et combien qu'il cognust qu'il y eust un Dieu si est-ce qu'il ne cognoissoit point la creation du monde qui est comme la face de Dieu, et en laquelle il

342

veut estre contemplé. Mais de tous ceux qui ont en quelque semence de religion, combien qu'ils ayent seu cela, que Dieu avoit creé le monde: toutes fois ils n'ont point entendu sa providence: en laquelle tout est contenu d'autant que maintenant les choses qui ont esté creées par sa vertu, subsistent par sa bonté, et sagesse, et iustice. Cela donc n'a point esté cognu des Payens. Pour ceste cause retenons bien ceste doctrine qui est ici couchee, laquelle est conforme à ce que dit nostre Seigneur Iesus Christ (Iean 5, 17), Que le Pere besongne tousiours, et lui avec, qui est ceste sagesse de laquelle parle Salomon au huictieme chapitre.

Ainsi donc voulons-nous bien cognoistre que Dieu est Createur du ciel et de la terre, comme nous le confessons? Que quant et quant ceci nous vienne en memoire, qu'il conduit tout, et qu'il n'a point mis en oubli ses creatures, mais qu'il les dispose selon sa volonté. Et par ainsi nous pouvons conclure que les nuees ne s'amassent point en l'air à l'aventure que mesmes elles ne s'y procreent point selon, me la terre voudra: mais que c'est Dieu qui conduit tout, et qui impose loi au beau temps et aux pluyes (cela donc vient de cest empire souverain) et qu'il ne tombera iamais une goutte de pluye, iamais il ne fera beau temps, iamais un petit vent ne soufflera, que nostre Seigneur n'ait commande, et que ces creatures (combien qu'elles soyent insensibles) n'ayent un mouvement secret de celui qui gouverne tout, et qui est par dessus tout. Voila donc quant au premier. Mais en second lieu il nous est monstré, que nous n'entendons point ceci, nous ne serons point assez aigus pour le cognoistre: il faut donc que nous nous rangions sous la parole de Dieu, et que la foi soit toute nostre intelligence. Voila donc d'un costé la providence de Dieu qui nous est ratifiee, afin que nous ne doutions point que tout se gouverne par sa volonté: et cependant il nous faut estre advertis de la rudesse qui est en nous: afin que si nous ne pouvons iuger de toutes choses, et qu'elles surpassent nostre mesure, nous ne cuidions point pourtant que ce n'est rien, mais recourions à oc qui est dit, d'escouter. Si donc nos esprits sont trop petits et trop debiles, recourons à nostre Dieu, lequel nous monstrera ce qui nous est caché et incognu, comme ce n'est point à nous d'en iuger à nostre phantasie: car c'est me horrible-confusion, que de l'entendement humain, quand il ne se peut assuiettir à Dieu et à sa parole. Or si ainsi est que de ces choses visibles, et de ce qui concerne le monde nous n'en puissions iuger, sinon d'autant que Dieu nous esclaire par son sainct Esprit, et nous guide par sa parole: que sera-ce de ce royaume eternel de Dieu, qui est plus haut sans comparaison que

SERMON CXLVI

343

tout ce dont il est ici parlé? nous ne sommes point suffisans pour iuger de ce qui est du monde, de ce qui est visible, corruptible, et caduque: et comment donc nostre iugement par viendra-il iusques au royaume de Dieu spirituel, Ne faut-il point que nous defaillons là? Et ainsi apprenons en toutes sortes de nous humilier, et d'estre modestes. Et quand ce viendra, à cognoistre les choses qui sont propres pour nostre salut, et si nous y voulons bien profiter, en premier lieu cognoissons que nous ne sommes point capables de rien savoir sinon ce que Dieu nous aura enseignez: et ainsi remettons-nous à lui, et souffrons d'estre conduits par sa parole. Et quand nous ne verrons point ce que nous appetons de savoir, que nous sachions que nostre Seigneur nous veut humilier: et ne faisons point ici des escervelez pour iuger à nostre phantasie: mais contentons-nous de recorder ceste leçon qui nous est monstree en la parole de Dieu. Voila donc comme nous avons à pratiquer ce passage.

Or cependant Eliu parle ici de ce qu'on peut voir, et neantmoins dont la raison est incomprehensible. Vrai est qu'on en pourra dire quelque chose mais en la fin si faut-il que ceste conclusion se face, Que les miracles de Dieu sont trop hauts pour nous. Il dit donc, Vien ça pourras-tu disputer comme tes vestemens sont chauds, quand Dieu donne repos à la terre par le vent de Midi? c'est à dire, en esté qu'il fait grand chaud, et que le soleil domine, s'il ne tire point de Bize, mais que le vent de Midi regne: toutes fois ce n'est pas un vent qu'on apperçoive. Comme quand le temps est coi en esté, il est vrai que l'Aure vient bien du costé de Midi: mais ce n'est pas un vent qui se puisse appercevoir: car la temps sera tellement coi, qu'on n'apperçoit point que nul vent souffle. Or alors on estouffe de chaud, pource aussi que ce sont les plus grandes chaleurs. Et voila pourquoi il est dit, que Dieu fait reposer la terre par le vent de Midi. Alors pourras-tu seulement iuger, pourquoi tu vois la sueur sortir de ton corps? Tu en verras tes vestemens mouillez. Et puis apres ils brusleront, quand le soleil aura donné dessus iusques à les percer tellement qu'ils ne se pourront defendre contre sa chaleur. Pourras tu dire la raison pourquoi? Et puis, As-tu esté avec Dieu, dit-il, quand il a estendu le ciel? On voit cest ouvrage, comme un miroir de fonte. Voila une merveilleuse fonte que de ceste estendue du ciel. Pourras-tu comprendre ceste vertu inestimable de Dieu, qui se monstre en toutes ces choses? Or nous avons à recueillir en somme de ces sentences, combien qu'il y ait quelques causes naturelles et du chaud et du froid, toutes fois que ce n'est pas à dire que nous comprenions ce qui en est. Sur tout quand en esté ce vent de Midi

344

domine, que sans avoir grand souffle ne grande violence, on brusle de chaleur, nous pourrons bien appercevoir quelque raison inferieure de cela: mais quand nous aurons tout cognu, si est-ce qu'il faut venir à ceste vertu qui est cachee en Dieu: et tellement cachee, que tous nos sens y defaillent, et faut qu'ils s'esblouyssent. En cela donc voyons-nous quel orgueil c'est aux hommes, de se ietter aux champs, et de vouloir disputer contre Dieu, et lui monstrer sa leçon, et d'avoir des repliques contre lui et de murmurer en ce qu'il fait, et de monstrer quelque signe de mescontentement. Voila un orgueil diabolique. Et pourquoi? Car nous ne pouvons point mesmes appercevoir la cause de la sueur, et de la chaleur du soleil. On dira bien, le soleil est chaud: voire, mais comment la sueur se procree-elle? C'est pource qu'alors le corps se resould: et ceste resolution fait que l'humidité n'est point enclose là dedans. Et puis il y a d'avantage que les sens estans serrez, l'humidité se retire pour nourrir la vie de l'homme en temps de froid: et le contraire se fait en chaleur. Apres, la chaleur engendre une debilité, et ce te debilité fait que les vapeurs se fondent. Voila donc les causes de la sueur, On en disputera bien ainsi: mais quand tout est dit, ne faut-il pas cognoistre qu'il y a de merveilleux secrets au corps humain, et que Dieu y a disposé un tel artifice, que nous sommes au bout de nostre sens quand nous y aurons bien pensé? Si nous n'avons cela, nous sommes par trop vilains, et nostre ingratitude est par trop brutale. Apres, nous deviserons bien comment le ciel est fait en telle rondeur, et quelle proportion il peut avoir avec la terre, et puis de quelle matiere il est, c'est assavoir d'une matiere de feu, et comme il est maintenu en son estat, et en telle disposition, et puis comment ses circuits se font: mais quand tout cela sera dit, nous avons à cognoistre, Si faut-il que Dieu besongne ici avec grande raison. Et combien grande? Infinie, là où il faut que tous les sens humains s'abbaissent, pour dire, O il y a un ouvrier admirable: il y a un Dieu qui besongne en telle sorte, qu'il faut que nous adorions ses secrets, et que nous lui facions hommage en toutes ses oeuvres, confessans que ce n'est point à nous de parvenir à une telle hautesse. Voila donc où nous veut amener le sainct Esprit en ce passage.

Et pourtant toutes fois et quantes que nous verrons quelque raison en ce qui se fait par nature, que nous verrons par quel moyen Dieu besongne, et que nous apprehenderons sa iustice, sa vertu, et sagesse: apprenons de faire tousiours ceste conclusion, Que tant, a que nous ne pouvons pas tout comprendre, non pas la centieme partie: c'est beaucoup que nous en ayons quelque petit goust pour lecher comme au bout de la langue: et encores ce

IOB CHAP. XXXVII.

345

goust-là nous ne pouvons l'avoir, qu'il ne nous soit donné d'en haut. Mais cependant notons bien, que toute la cognoissance que nous pouvons avoir, est pour nous faire sentir la rudesse de nous entendemens, afin de nous humilier devant Dieu: et ayans cognu nostre insuffisance, que nous appetions d'estre enseignez, et de profiter de plus en plus. Et au reste que nous ne soyons iamais lassez d'appliquer nostre estude à la consideration des oeuvres de Dieu: veu que nous pourrons acquerir un thresor inestimable, quand nous en aurons apprins quelque portion, voire pour entrer en goust comme nous avons dit: car quand nous y aurons adonné toute nostre vie, ce sera beaucoup fait quand nous serons venus à my chemin. iusques à tant que nostre Seigneur nous recueille pleinement à soi. Voila donc quant à la chaleur dont il est ici parle, et quant à cest artifice que nous voyons au ciel, qui est comme un miroir de fonte, et toutes fois l'estendue en est infinie: il faut bien donc que l'ouvrier soit admirable. Voila comme nous avons à pratiquer ceste doctrine.

Or il est dit quant et quant, Monstre nous que nous lui dirons: car nous ne pouvons point disposer propos à cause des tenebres. Ici Eliu se mocque de Iob: et cependant ceste doctrine s'adresse à nous tous, Que celui qui presumera d'interpeller Dieu, et de repliquer contre lui, il faut qu'il nous monstre comme nous parlerons à Dieu, et que c'est que nous lui pourrons apporter, afin de lui monstrer qu'il y a quelque chose à redire en lui, et en ses oeuvres. C'est donc autant comme si le sainct Esprit disoit, Or ça, il n'y a celui de vous qui ne soit si outrecuidé de vouloir corriger aux oeuvres de Dieu. Et de fait quand nous regarderons à l'audace qui est en tous hommes, nous verrons que Dieu ne nous peut contenter, et que s'il estoit en nous, chacun voudroit adiouster sa piece et son morceau. Et pourquoi telle chose ne se fait elle? Et ceci seroit bon. En somme il y auroit un terrible meslinge si Dieu escoutoit nos souhaits, et qu'il y voulust obtemperer. Et d'oh vient cela? C'est de cest orgueil diabolique, que nous voulons estre si sages, que nous pourrions trouver à redire en ce que Dieu fait. Or maintenant voici le sainct Esprit qui se mocque d'une telle arrogance, et dit, Puis que chacun de vous pretend d'estre si grand maistre, monstrez nous comment on parlera, à Dieu: si vous venez à lui, et que vous lui disiez, Voila ie voudroye que telle chose se fist, il faut avoir la raison. Or quelle raison pourrez-vous amener à Dieu? Notamment ceci nous est remonstré, d'autant que les hommes s'enveloppent en leurs phantasies, quand ils se mescontentent de Dieu et de ses oeuvres. Et defait qu'est-ce qui nous donne ne telle licence de nous despiter contre Dieu, et

346

de repliquer ceci et cela, sinon d'autant. que nous ne regardons point à sa maisté, Car si nous avions quelque regard à icelle, il est certain que nous tremblerions. Ainsi donc ce n'est point sans cause que le sainct Esprit nous ramene à parler à Dieu: comme s'il disoit, Or sus monstrez qu'on lui dira: car vous allez iargonner comme en derriere. C'est ainsi que feroit quelque povre malostru, quand il verra un homme d'esprit, et d'authorité, et ne se contente point de ce qu'il fait. Il y trouvera donc à redire: toutes fois il n'ose pas lui repliquer: mais il s'en ira chagrigner en soi pour se despiter, et pour songer beaucoup de calomnies: et puis quand il sera avec ses semblables, il desgorgera ce qu'il avoit conceu auparavant, O voila un tel qui cuide estre bien sage, il pense estre bien savant: mais tant y a qu'il ne me plaist point, et ie m'esbahi comme on souffre qu'il parle ainsi. Autant donc en faisons-nous envers Dieu: car de lever le bec contre lui nous ne sommes point si hardis (et defait nature nous enseigne que nous devons avoir horreur de nous eslever ainsi contre celui qui nous a créez et formez) mais cependant nous ne laissons pas d'estre si vilains et si marauds d'aller iargonner en cachette, et murmurer contre lui, et de repliquer à ceci et à cela. Apprenons donc, toutes fois et quantes que nous sommes tentez de trouver à redire aux oeuvres de Dieu, de venir devant luy, et penser à ce qui est ici contenu, Et comment parlerons-nous à luy? par quel bout faudra-il commencer? Et alors nous aurons occasion de nous reprimer, il faudra que ceste folie qui estoit en nous au paravant, soit dontee, et quelle tombe bas du tout. Voila donc comme nous devons prendre ce mot quand il est dit, Monstre nous que c'est que nous pouvons dire a Dieu.

Or quand il est dit, Nous ne pouvons point disposer propos à cause des tenebres: ici l'ignorance des hommes nous est encores mieux exprimee: car nous sommes ici comme entortillez en des tenebres, que nous ne voyons goutte. Et comment donc pourrons-nous ordonner nos propos? Voila Dieu qui habite une clarté, tellement qu'il ne voit pas comme un homme mortel, seulement quand le soleil luist. Or est-il ainsi encores, qu'un homme quand il marche en plein midi, voit son chemin: et quand il s'applique à faire quelque chose, il a sa conduite et son adresse: et puis s'il veut regarder ses champs et possessions, il estend sa veue. Dieu donc n'a point seulement cela: mais il habite une clarté si grande et si infinie, que rien ne luy est caché, toutes choses luy sont patentes: il n'y a ne temps passé, ne temps à venir en luy, il va iusques aux abysmes, comme nous avons veu par ci devant. Comment donc luy pourrons nous monstrer sa leçon,

SERMON CXLVI

347

veu que nous habitons en tenebres? C'est autant comme si un homme estoit enserré, et qu'il ne vist nulle goutte de clarté, et qu'il dist à un autre, Tu ne sais que tu fais. Un povre aveugle remonstrerait à un autre, Tu ne sais pas ton chemin, tu ne regardes pas ce que tu fais? Or si nous faisons comparaison de nous avec Dieu, il est certain que nous sommes plus qu'aveugles: et de luy, il ne voit pas à la façon des hommes, mais il a bien un autre regard. Ne faut-il pas donc, que nous soyons plus qu'enrages, quand nous presumons de luy contredire, et de trouver occasion de disputer contre luy? Voila pourquoy il nous est ici parlé des tenebres.

Cognoissons donc nostre condition, cognoissons celle de Dieu: et il faudra que nous fermions la bouche, et ne presumions plus de plaider avec telle licence comme nous faisons: mais il y aura une humilité pour approuver tout ce que Dieu fait, et confesser qu'il n'y a que droiture, sagesse, bonté, equité, et iustice: en sorte qu'il ne nous reste sinon de le glorifier en tout et par tout. Quand mesmes nous ne cognoistrons pas qu'une petite portion de ce qu'il fait: sachons qu'il nous faut condamner en nostre infirmité, de ce que nous ne pouvons pas glorifier Dieu comme il appartient, à cause de nostre ignorance Or cependant notons bien qu'icy les hommes sont redarguez de leur temerité, en ce qu'ils se hastent de parler sans avoir rien cognu. Nous voyons comme nos langues sont volages, et sur tout s'il est question de parler de Dieu et de ses merveilles. Nous en devisons. Et comment? A la volee: et toutes fois nous sommes comme en tenebres. Apprenons donc de regler nos propos selon nostre petitesse. Mais cependant de l'autre costé cognoissons la bonté infinie de nostre Dieu en ce qu'il nous esclaire au milieu des tenebres par sa parole: et que combien que nous ne comprenions pas en tout et par tout comment il a creé le monde, que nous n'appercevions pas les moyens par lesquels il besongne maintenant, il ne laisse pas de nous faire participans de son conseil entant qu'il nous est mestier. Et voila pourquoy il est dit, que la sagesse de Dieu luy a tenu compagnie quand il a basti le monde, qu'il a eslevé les montagnes, qu'il a abaissé les valees, qu'il a constitué cest ordre que nous voyons. Mais il est dit aussi que ceste sagesse crie par les rues, Venez, et ie me donne à vous: ie suis presto de communiquer privément avec les hommes, et mesmes ce sont mes delices: voila tout mon plaisir d'habiter avec les habitans de la terre. Quand donc la sagesse de Dieu (qui de soy nous est incomprehensible) proteste que ses delices et son plaisir est d'habiter avec nous, et de nous estre familiere: ie vous prie, n'avons-nous point occasion d'estre consolez en

348

nous, et d'estre vigilans pour profiter en ce que Dieu nous monstre, voire avec une telle sobrieté et modestie que nous n'appetions de savoir sinon ce qu'il nous enseigne et de le glorifier pour luy rendre la louange qu'il merite? Voila donc ce que nous avons à noter de ce verset.

Or il est dit consequemment, Si ie parle, qui est-ce qui luy racontera? Celuy qui osera sonner mot, ne sera-il pas englouti? Ici Eliu exprime mieux ce que nous avons desia touché: c'est assavoir, que tous les propos temeraires que nous tenons de Dieu, toutes les phantasies extravagantes que nous concevons en nos cerveaux, sont comme des murmures qui se font en cachette. Et c'est ceste similitude que i'ay amenee, de quelque vilain qui ne sauroit remuer un doigt, et cependant encores ira-il iargonner contre ceux à qui Dieu a donné plus de prudence, et voudra estre sage en detractant des autres. Ainsi donc en faisons-nous quant a Dieu: car il n'y a celuy qui n'ait trop d'audace pour savoir repliquer à ce que Dieu fait: mais cependant nous ne faisons que iargonner, et luy il ne daigne pas ouir nos propos. Ainsi donc Eliu monstre ici que les hommes ne gaigneront rien, quand ils se dresseront en ceste sorte. contre Dieu. Et pourquoy? Qui est-ce qui luy racontera? C'est comme si quelque belistre parloit d'un grand roy et qu'il dit, O il faudroit que le roy fust mieux avisé, qu'il fust ceci, et cela. Car on luy pourroit dire, Et mon ami, il faut donc que tu trouves quelque messager, qui l'aille advertir de ce que tu dis. Car puis que le roy n'a point assez de conseil ne de prudence sinon que tu le conseilles: il faut que tu luy ailles declarer ton advis, ou bien que tu trouves quelque messager, pour luy faire savoir ton conseil. Si quelque povre belistre parloit ainsi, chacun s'en mocqueroit: mais il y a plus d'occasion de se mocquer de nostre folie, quand nous attentons de parler ainsi à la volee, de Dieu, et de ses oeuvres. Notons bien donc ceste façon de parler qui est ici couchee, Qui est-ce qui luy racontera? Nous devisons ici bas: mais nous sommes comme des grenouilles cependant. les grenouilles pourront bien gazouiller beaucoup en leurs marescages, et bourbiers: mais on passe outre, on ne s'arreste point à tout ce gazouillement-la. Ainsi en est-il de tous les propos que les hommes tiennent: car il n'y a nulle raison. Ils ne font que babiller, et cependant il leur semble que Dieu s'en taira, et qu'il fera tout à leur appetit. Or c'est tout le contraire. Apprenons donc, toutes fois et quantes que nous leverons le bec à l'encontre de Dieu, que nous n'y gaignerons rien, que nos paroles s'escouleront en l'air, et s'en iront en fumee. Toutes fois notons cependant que nos propos ne tomberont point à terre, qu'il faudra qu'ils soyent enregistrez

IOB CHAP. XXXVII.

349

à nostre grande confusion et horrible. Quand donc nostre arrogance sera telle, d'oser murmurer contre Dieu: il faudra que tels blasphemes viennent en conte, et ils ne demeureront point impunis. Ne pensons point donc rien gaigner à l'encontre de Dieu: mais quand nous serons tentez de repliquer contre lui, que ceste sentence nous vienne en memoire, Qui est-ce qui lui racontera? Il est vrai que Dieu oit et rien ne lui eschappe: mais cependant il ne daigne pas s'assuiettir à nostre babil, comme si nous estions ses semblables: voila des grenouilles, ainsi que i'ai desia dit. Bref, ceci est pour nous monstrer, qu'en plaidant nous ne gaignerons iamais nostre cause à l'encontre de Dieu: qui plus est, il ne faudra point qu'il s'abbaisse pour respondre. Et la raison? Car cela ne lui touche point, nous ne pouvons approcher de lui par nostre caquet: combien que nous affilions nostre langue, et qu'elle coupe, et qu'elle tranche l'air: tant y a que Dieu demeurera tousiours en son entier, et ne faudra point qu'il prenne peine pour repliquer contre nous, et pour cercher quelque excuse: cela seroit superflu.

Ainsi donc apprenons de parler en telle reverence, que les propos que nous tiendrons soyent formez de louanges, et que Dieu les accepte. Et comment ferons-nous cela? Quand il aura purgé nos langues, c'est à dire que nous ne prononcerons sinon ce qui sera sorti de sa parole, ce que nous aurons apprins en son escole. Et notons pour conclusion ce qu'Eliu adiouste, Si quelqu'un parle, dit-il, ne sera-il pas englouti? Il nous monstre ici, quelle confusion est apprestee à tous ceux qui s'osent ainsi dresser contre Dieu, et qui veulent trouver à redire en ses oeuvres. Que gaigneront ils donc en la fin? Ils seront tous engloutis. On voit que toutes creatures doivent trembler sous ceste maiesté. Et que sera-ce donc quand il y aura une rebellion manifeste? Dieu d'un seul regard fera fondre les montagnes et rochers, il esmouvera

350

la mer, il fera abysmer tout le monde, si bon lui semble. Or maintenant il n'y a point dé rebellion ni en la terre, ni aux eaux, ni en toutes telles creatures. Mais voila l'homme, qui n'est rien qu'une poigne de cendre: et il voudra batailler contre son Createur: et ie vous prie, pourra-il subsister? Tout le monde perira, encores qu'il soit sous la main de Dieu: et voila une vermine, une povre charongne qui voudra imposer silence à Dieu. Et non seulement cela, mais encores il veut ravir à Dieu son honneur: il ne veut point qu'il soit reputé sage et iuste, comme il en est digne. Helas! ne faut-il pas que nous soyons plus qu'aveuglez, quand nous viendrons ainsi contre lui avec une telle audace? Notons bien donc (suivant aussi ce que i'ai touché) quand nous eslevons ainsi nostre caquet à l'encontre de Dieu, que nous cerchons nostre ruine, nous cerchons d'estre engloutis du tout. Voulons-nous donc estre maintenus sous la main et sous la garde de nostre Dieu? Apprenons d'estre humbles sous lui, et de le prier qu'il se manifeste à nous: et selon qu'il lui aura pleu de se manifester, qu'il nous face aussi la grace de cheminer tousiours en modestie, et de regarder tousiours à ce but-là c'est qu'il merite d'estre honoré de nous: et que cognoissans que nous lui devons un tel hommage, nous apprenions de nous assuiettir pleinement à lui. Voila donc comme nous pourrons approcher de nostre Dieu sans craindre le feu horrible de son ire: mais plustost sachons qu'il nous sera comme un refraischissement pour estre maintenus par sa grace: voire, quand nous viendrons à lui en toute humilité, sans nous vouloir avancer par trop, pour nous enquerir de lui et de ses oeuvres. Ainsi il nous faut contenter de ce qu'il nous en monstre par sa parole, sachans que c'est à lui de nous tendre la main, et à nous d'aller selon qu'il nous

conduira.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc..

SERMON CXLVII

351

LE CENT QUARANTESEPTIEME SERMON,

QUI EST LE I SUR LE XXXVIII. CHAPITRE.

1. Le Seigneur respondant d'un tourbillon à Iob, dit, 2. Qui est cestui-ci qui obscurcit le conseil en paroles sans science? 3. Trousse tes reins comme un vaillant homme, et ne monstre ce que ie t'interroguerai. 4. Où estois-tu quand ie fondoye la terre? declare-le, si tu as entendement.

Nous avons veu par ci devant, qu'Eliu voulant redarguer Iob, protestoit qu'il estoit homme mortel comme lui, afin qu'il ne se plaignist point d'estre traitté d'une puissance trop haute. Il monstroit donc que Dieu le vouloit gaigner par raison, et avec douceur: comme il en use aussi envers nous: car il nous espargne, faisant que sa parole nous soit preschee par des hommes semblables à nous, tellement que nous pouvons venir avec plus grande privauté pour escouter ce qu'il nous propose: la doctrine nous est maschee. Nous voyons donc que Dieu a pitié de nous, quand il ordonne des hommes qui sont ministres de sa parole, et qui nous enseignent en son nom et en son authorité: car il sait nostre portee, et que d'autant que nous sommes foibles, nous serions tantost engloutis de sa maiesté, nous serions abysmez de sa gloire. Et voila pourquoi il condescend à nostre petitesse, quand il nous instruit par le moyen des hommes. Mais cependant il est besoin aussi que nous soyons touchez, afin de lui porter la reverence qu'il merite: car sans cela nous abuserions de sa bonté, et quand il s'approche de nous, finalement nous voudrions faire comme des compagnons avec lui. Et c'est ce que maintenant il nous est recité, Que Dieu voyant que Iob n'estoit point assez dompté des propos et raisons qu'avoit amené Eliu, il lui fait sentir sa grandeur d'un tourbillon: afin qu'estant ainsi espouvanté il se range pour cognoistre sa faute, et qu'il obeisse du tout à ce qui lui est mis en avant. Et ainsi nous voyons comme Dieu en toutes sortes s'accommode à nous, afin de nous gaigner. Car d'un costé il s'abbaisse. Et pourquoi? Voyant que nous sommes trop rudes et grossiers pour monter à lui. Mais cependant pource qu'il y a de la fierté trop grande en nos cerveaux, il nous le faut sentir tel qu'il est: afin que nous apprenions de le craindre, et d'ouyr sa parole en toute humilité et solicitude. Et c'est un poinct que nous avons bien à observer: car en cela voyons-nous l'amour qu'il nous porte, et le soin qu'il a de nostre salut. Car il faut bien qu'il se soucie de nous, quand il se

352

transfigure ainsi par façon de dire, qu'il ne se contente pas de parler egalement: mais quand il voit qu'il nous est bon et propre, il beguaye avec nous: et puis voyant que ceste bonté nous pourroit tourner en mespris, il s'esleve, et se magnifie comme il lui appartient: afin que nous cognoissions nostre condition pour nous assuiettir du tout à lui. Et tant plus devons-nous desirer d'estre enseignez par sa parole, veu qu'elle nous est conformee à nostre mesure, et que Dieu n'a rien oublié de ce qui estoit requis et utile pour nostre salut. Voyans donc que nostre bon Dieu s'est ainsi voulu abaisser à nous: et que cependant il s'esleve pour nous ranger à son obeissance: que nous prenions tant plus de courage à l'escouter quand il parle. Et ne prenons plus ceste excuse frivole, que la parole de Dieu est trop haute et obscure pour nous: ou bien qu'elle est espouvantable: ou bien qu'elle est trop simple. Car quand nous aurons bien conté et rabbatu le tout, il est certain que nostre Seigneur nous propose une maisté en sa parole, qui est pour faire trembler toutes creatures: il y a aussi une simplicité, afin de la faire recevoir aux plus ignorans et idiots: il y a une clarté si grande que nous y pouvons mordre sans avoir esté à l'escole, voire si nous sommes dociles: car ce n'est pas sans cause que notamment il s'appelle maistre dés humbles et des petits.

Voila ce que nous avons à noter en premier lieu de ce passage: c'est assavoir, que quand Dieu parle à nous par la bouche des hommes, c'est afin que nous approchions de lui plus librement, que nous recevions ce qu'il nous propose de sa part avec plus grand loisir, et que nous ne soyons point estonnez outre mesure: mais d'autant que nous sommes durs à l'esperon, et que nous ne luy portons pas l'honneur qu'il merite, qu'il se fait sentir à nous tel qu'il est, et s'esleve en sa maiesté, afin que cela nous induise à luy faire hommage.

Or notamment il est dit, Que le Seigneur a parlé à Iob d'un tourbillon: que ce n'a point esté assez qu'il luy ait donné quelque signe de sa presence, mais il y a eu comme un orage. Nous trouverons bien quelquefois en l'Escriture, que Dieu a ainsi esmeu des tonnerres, quand il a voulu parler à ses fideles: mais notamment ici nous avons à peser la circonstance du lieu, que d'autant que Iob n'estoit point assez matté, qu'il a fallu que Dieu

IOB CHAP. XXXVIII.

353

luy monstrast une force terrible. Pour ceste cause donc il a tonné, et a esmeu ce tourbillon, afin que Iob cognust à quel maistre il avoit affaire. En general il est bien dit, que Dieu habite comme en une nuee obscure, ou bien qu'il est environné de clarté: et toutes fois que nous ne pouvons pas y parvenir, que si nous voulons contempler Dieu nos sens s'esblouissent, qu'il y a une obscurité trop espesse. Il est donc bien ainsi parlé de la gloire de Dieu en general, afin que nous ne presumions point de nous enquerir par trop de ses conseils incomprehensibles: mais que nous en goustions ce qu'il luy plaist nous en reveler, et cependant que nous cognoissions que tous nos sens defaillent, sinon d'autant qu'il luy plaist de s'approcher de nous, ou bien de nous eslever à soy: mais encores pour un autre regard, assavoir, à cause de nostre rebellion il faut que Dieu se monstre terrible. Il est vrai qu'il ne demanderoit sinon de nous attirer à soi en douceur: et nous voyons qu'il use de ceste façon amiable, quand les hommes sont bien disposez pour se submettre à lui, qu'il les convie tant humainement que rien plus: mais quand il aperçoit quelque durté, il faut qu'il nous abbaisse en premier lieu: car autrement que gaignera il parlant à nous? Sa parole nous sera en mespris, ou bien elle ne nous entrera point au coeur. Et voila pourquoi en publiant sa Loi il esmeut les tonnerres, que les trompettes sonnent en l'air, que tout tremble, en sorte que le peuple en est effrayé, iusques à dire, Que le Seigneur ne parle point à nous, ou nous sommes tous morts, nous voila abysmez. Pourquoi est-ce que Dieu a ainsi esmeu toute la terre, et que sa voix a retenti avec un tel effroi? Vouloit-il dechasser le peuple bien loin pour n'estre point escouté, Or à l'opposite il est dit, Qu'il n'a point donné sa Loi en vain: mais qu'il a voulu donner une instruction Certaine au peuple, à ce qu'il cognoust la voye de rie.

Ainsi donc ce n'est point pour l'effaroucher, quand il esmeut les tourbillons et les tempestes en l'air: ce n'a pas esté, di-ie, son intention: mais cela a servi de preparatif afin de matter ceste hautesse du peuple: qui iamais n'eust obéi à Dieu ni à sa parole, iamais n'eust cognu mesmes l'authorité de celui qui parloit, sans ces marques là qui y ont esté adioustees. Et ainsi notons bien que ce n'est point chose superflue, que Dieu ait ainsi parlé à Iob d'un tourbillon. Et si un tel homme sainct, et qui avoit appliqué toute son estude à honorer Dieu, a eu besoin d'estre ainsi dompté: que sera-ce de nous? Faisons comparaison de nous avec Iob: voila un miroir d'une saincteté angelique, nous avons veu les protestations qu'il a fait ici dessus: et combien qu'il fust affligé iusques au bout, et qu'il murmurast, et qu'il lui eschappast des propos extravagans:

354

si es ce qu'il a tousiours retenu ce principe d'adorer Dieu, et de s'humilier sous sa maiesté: il y a eu cela en general, combien qu'il ait decliné en partie. Or nous sommes tant charnels que rien plus, et nos vanitez nous transportent tellement que nous sommes comme enyvrez: à grand peine iugeons nous qu'il y ait un Dieu au ciel: et quand ou nous propose sa parole nous y sommes tardifs, mesmes nous y sommes plus rudes que des asnes. N'est-il pas donc besoin que nostre Seigneur nous face sentir sa maiesté, et que nous en soyons touchez à bon escient? Or il est vrai que Dieu n'esmouvera point des orages et tourbillons afin que nous cognoissions que c'est lui qui parie: mais il faut que par autre moyen il nous dispose pour venir à lui: comme nous voyons aussi qu'il le fait. Quand donc l'un aura des scrupules, et des troubles en sa conscience, que l'autre sera affligé par maladies, que l'autre aura des autres adversitez, que nous cognoissions que c'est Dieu qui nous appelle à soi, veu que nous n'y venons point de nostre gré, veu que nous n'approchons point pour ouyr sa parole: il ma te une telle dureté, comme il est requis, afin que nos esprits soyent abbatus en droite obeissance. Dieu donc voit-il une telle rebellion en nous? Il faut qu'il use de ces façons que i'ai desia dites, et moyens pour nous attirer et gaigner à soi: afin que nous l'escoutions, il faut qu'il parle à nous comme d'un tourbillon, non pas que cela soit en tous: car nous en voyons qui regimbent contre l'esperon, et font des chevaux restifs: et combien que Dieu les solicite, il n'y gaigne rien. Combien en voit-on de ces malostrus que Dieu aura chastiez en tant de sortes, qu'il aura frappé sur leurs testes à grands coups de marteau, tellement que quelques dures qu'elles soyent si les devoit-il avoir amollies? toutes fois si ne laissent-ils point de grincer tousiours les dents. On voit qu'ils ne se peuvent remuer, si monstrent-ils qu'ils sont pleins de fierté et de rebellion contre Dieu, et le despitent tant qu'il est possible.

Ainsi donc il s'en faut beaucoup que tous ceux que Dieu chastie, soyent disposez de venir à lui: mais tant y a que son intention est telle. Et ainsi avisons de ne point frustrer nostre Dieu: toutes fois et quantes qu'il nous envoye quelque adversité que nous apprenions de recourir à lui, comme s'il parloit avec tonnerre, et qu'il foudroyast sur nous afin de se faire ouyr. Cognoissons cela, et le cognoissons en telle sorte que nos esprits soyent vrayement mattez sous lui, et que nous ne cerchions sinon de nous humilier pleinement en son obeissance. Voila ce que nous avons à retenir en ce passage. Et au reste notons combien qu'auiourd'hui Dieu ne tonne point du ciel: toutes fois que tous les signes qui ont esté donnez anciennement pour

SERMON CXLVII

355

approbation de sa parole, nous doivent auiourd'hui servir. Quand on nous presche la Loi de Dieu, il faut que nous conioignions quant et quant ce qui est recite au dixneufieme d'Exode, c'est que la Loi a esté ratifiee deuëment, et que nostre Seigneur lui a donné pleine authorité, quand il a envoye les tonnerres et esclairs du ciel, qu'il a fait retentir l'air du son des trompettes: que tout cela a esté afin que sa Loi fust receuë iusques en la fin du monde en toute reverence. Autant en est-il de ce passage. Car quand il est dit, Que Dieu est apparu d'un tourbillon, il faut que nous cognoissions qu'il a voulu ratifier ce qui est contenu en ce livre: et non seulement cela: mais il nous faut estendre ceste authorité par toute sa parole. Il y a encores ceste consideration, que si Dieu a commencé par une façon amiable pour nous appeller à soi, et qu'il se monstre rude et aspre en IA fin: il ne faut point que nous trouvions cela estrange: mais plustost examinons bien nostre vie pour savoir si nous lui avons obei: et en cela cognoissons sa bonté toute patente d'une part: et puis cognoissons qu'il faut bien qu'il use de ce moyen second pour nous gaigner, quand il voit qu'il n'a rien profité par sa grace laquelle il nous avoit monstree. Exemple. Dieu nous amielle quelquefois quand il nous veut avoir pour siens et de son troupeau: sans nous envoyer nulle affliction, il nous proposera sa parole. Et bien, nous voyons que c'est sa volonté, nous y acquiesçons. Mais cependant nous n'en faisons pas nostre profit, pour estre confermez comme il appartient, en sa bonté, pour renoncer à nos meschantes cupiditez, pour oublier le monde, et pour nous addonner du tout à lui. Il nous supporte pour un temps: mais en la fin quand il voit que nous sommes ainsi nonchalans, il commence à frapper. En cela nous devons bien sentir, que non sans cause il parle comme d'un tourbillon pource que nous ne l'avons pas ouy quand il nous vouloit enseigner gracieusement, et d'une façon humaine et paternelle. Il est donc besoin que Dieu parle à nous avec une telle vehemence, puis qu'il voit que iamais nous n'approcherions de lui, iusques à ce qu'il nous eust ainsi preparez. Vrai est qu'il y en aura qu'il gaigne de simple parole: mais quand il voit que les autres sont revesches, il leur envoye quelque trouble, quelque affliction. Et defait il y en a beaucoup qui iamais ne fussent venus à l'Evangile, iamais n'euseent esté touchez droitement en leur coeur pour obeir à Dieu sinon qu'il leur eust baillé quelque signe qu'il les vouloit chastier. Sur cela quand ils ont senti par afflictions qu'il n'y a que miseres en ce monde, ils ont esté contraints de se desplaire et de retrancher leurs delices, ausquelles ils estoyent plongez auparavant.

Voila donc comme Dieu en diverses sortes attirera

356

les hommes à soi. Mais faisons tousiours nostre profit de tous les moyens dont il use envers nous: et au reste quand il ne parle point en tourbillon, que nous lui Soyons familiers de nostre costé, et souffrons d'estre gouvernez par lui comme des brebis et des agneaux: car s'il voit quelque dureté en nous, il faudra qu'il nous matte maugré que nous en ayons: et si pour un temps il nous laisse faire des chevaux eschappez: si est-ce qu'en la fin nous sentirons sa maiesté terrible pour en estre effraye: voire s'il lui plaist de nous faire grace: car c'est un bien singulier que Dieu nous fait, quand il nous resveille ainsi, et qu'il tonne de sa voix, afin qu'elle entre iusques en nos coeurs, et que nous en soyons navrez. Voila, di-ie, un privilege qu'il ne fait pas à tous. Et au reste, quand il foudroye sur les incredules, c'est trop tard: car il n'y a plus d'esperance qu'ils retournent à lui: il les adiourne pour ouyr la condamnation. D'autant plus donc devons nous recevoir paisiblement ceste aide que Dieu nous donne, quand pour matter toutes les rebellions de nostre chair il esmeut quelque tourbillon, c'est à dire qu'il nous fait sentir sa maiesté. Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or venons maintenant à ce qui est dit, Qui est cestui-ci qui obscurcit le conseil en paroles sans science? Trousse tes reins comme un vaillant homme, et responds-moi à toutes mes demandes. Dieu en premier lieu se mocque ici de Iob, d'autant qu'il s'estoit rebecqué, et qu'il luy sembloit que par disputes il pourroit gaigner sa cause. Voila pourquoy il dit, Et qui es-tu? Or quand l'Escriture nous remonstre qui nous sommes, c'est pour nous aneantir du tout. Il est vray que les hommes se priseront tant et plus, se faisans à croire qu'il y a quelque grande dignité en eux. Or ils se peuvent bien priser: car cependant Dieu ne cognoist en eux que toute ordure et puantise, il les reiette, voire iusques à les avoir detestables. Et ainsi combien que nous ayons ceste folie, et que nous soyons si outrecuidez de nous glorifier en ce que nous imaginons estre de vertu et de sagesse en nous: si est-ce que Dieu pour nous aneantir et rendre confus use seulement de ce mot, Et qui estes-vous? Toy homme. Quand cela est prononcé, c'est comme pour nous despouiller pleinement de toute occasion de gloire. Car nous cognoissons qu'il n'y a pas une seule goutte de bien en nous: et alors nous n'avons plus d'occasion de nous faire valoir en façon que ce soit.

Et voila pourquoy aussi Dieu adiouste, Trousse tes reins comme un vaillant homme: c'est à dire, Que tu sois si habile que tu voudras, fay toy à croire que tu sois comme un geant, que tu sois bien

IOB CHAP. XXXVIII.

357

equippé, que tu sois armé de pié en cap: et bien, qu'y gaigneras-tu en la fin? Quand ie m'opposeray à toy povre creature, penseras-tu subsister? Qu'est-ce que tu as? Ici donc nous voyons quelle est l'intention de Dieu. Car (comme i'ay desia dit) ceste folie est tant enracinee en nous de nous priser, et de cuider que nous valons quelque chose, qu'il est bien difficile de nous amener à une droite cognoissance de nos povretez, tellement que nous soyons vuides de tout orgueil et presomption. D'autant plus donc nous faut-il bien noter les passages de l'Escriture, où elle nous monstre qu'il n'y a en nous nulle valeur qui soit. Et pesons bien cela: car il n'est point parlé d'une partie du monde tant seulement: mais en general du genre humain. Que grans et petis donc apprenent d'avoir honte d'eux-mesmes: puis qu'ainsi est que Dieu les comprend tous comme en un faisseau, quand il dit, que la sagesse des hommes n'est que folie et vanité, que pour vertu il n'y a que foiblesse, que pour iustice il n'y a qu'immondicité et ordure. Car quand Dieu parle en ces termes, ce n'est point pour deux ou pour trois, mais pour tous en general. Apprenons donc depuis le plus grand iusques au plus petit, de nous humilier, cognoissans que toutes nos gloires ne sont que confusion et ignominie devant Dieu. Et ainsi que nous pensions à ce mot, Qui est cestui-cy? Ne le prenons point seulement de la personne de Iob, mais prenons-le de toutes creatures mortelles: comme si nostre Seigneur disoit, Comment? y a-il donc une telle audace en un homme qui n'est qu'un pot de terre fragile, en un homme qui n'est qu'un vaisseau plein de toutes ordures et vilenies, et en un homme qui est moins que rien? qu'il y ait ceste audace de disputer contre moy, et se vouloir enquerir si avant? et où est-ce aller? Qui es-tu homme? Comme nous voyons aussi que sainct Paul nous rembarre de ce mot (Rom. 9, 20), Et homme qui es-tu qui respondras à Dieu, et qui plaides contre luy? Quand il amis en avant les obiections où les hommes cuident avoir belle couleur de disputer contre Dieu pour dire Et pourquoy est-ce que Dieu perdra ceux qu'il a creez? Et sans avoir raison, qu'il viene discerner l'un d'avec l'autre: que l'un soit appellé à salut, et qu'il reiette l'autre: pourquoy cela se fait-il? Quand donc sainct Paul a dit cela, combien que les hommes se plaisent en telles obiections il dit, O homme: qui es-tu, que tu t'adresses ainsi à Dieu? C'est ce que nous avons à noter sur ce mot, Qui est cestui-cy? Qu'un chacun donc toutes fois et quantes qu'il sera tenté d'orgueil, pense à soy, Helas! qui es-tu? Il n'est point ici question d'entrer en combat contre nos semblables, et contre ceux qui sont pareils à nous: mais si nous voulons estre si hardis de nous enquerir des secrets de

358

Dieu: si nous laschons la bride à nos phantasies et à nos langues pour imaginer choses inutiles, ou pour parler contre Dieu et son honneur: il faut que nous pensions, Helas! et qui suis-ie? Quand chacun sera entré en soy, qu'il aura regardé à sa foiblesse, qu'il aura cognu en somme qu'il n'est rien du tout: nous serons assez rembarrez, tous ces caquees seront rabbatus, que nous avions conceu auparavant: toutes nos phantasies mesmes seront bridees et tenues captives, comme il sera encores ci apres plus à plein declare.

Or notamment il est dit, Trousse tes reins comme un vaillant homme: Pour signifier que quand tout le monde aura bien amassé ses forces, et les aura desployees, ce n'est rien du tout. Voila donc pourquoy ici Dieu despite Iob, ou le defie en disant, qu'il s'équipe, et qu'il viene armé, et muni comme un geant, ou comme un homme le plus habile qu'on pourra trouver. Par cela il exprime encores mieux ce que nous avons dit: c'est assavoir, que si les hommes sont condamnez en l'Escriture, cela n'est pas entendu simplement du vulgaire, de ceux qui sont contemptibles, qui n'ont ne credit ne dignité: mais il s'estend iusques aux plus grans, iusques à ceux qui cuident toucher iusques aux nuees. Et ainsi donc combien que les hommes pensent avoir en eux quelque apparence pour estre honorez: qu'ils cognoissent que cela n'est rien quant à Dieu: Comme pour exemple: ceux qui sont excellens quand ils font comparaison d'eux avec leurs prochains, il est vray qu'ils concevront quelque opinion de leurs personnes, et se contenteront d'eux-mesmes: quand un homme sera reputé savant, de bon esprit, de bonne grace, et bien, il se prisera au regard de ceux qui n'ont pas les mesmes qualitez: un homme sera riche, un homme sera doué de grandes vertus et louables quant aux hommes. Cela donc nous pourra bien mettre le coeur au ventre (comme on dit) pour nous faire valoir, quand nous aurons ainsi des vertus especiales: mais quand nous approcherons de Dieu, il faut que tout soit aneanti. Il n'y a donc si galant ne si robuste, qui ait une seule goutte de force: il n'y a plus ici de saincteté, il n'y a plus de sagesse, il n'y a rien qui soit. Ainsi qu'en somme tout le monde cognoisse, que son equippage ne profitera rien devant Dieu: mais qu'il faut que nous soyons pleinement aneantis que Dieu nous vuide, qu'il ne laisse point une seule goutte de vertu en nous, sinon celle que nous prendrons de luy, comme par emprunt cognoissans que le tout procede de sa pure bonté. Nous voyons donc maintenant qu'emporte ce mot de Vaillant homme: c'est pour signifier que quelques vertus especiales que nous ayons, cela ne nous doit point donner occasion de nous enorgueillir devant Dieu.

SERMON CXLVII

359

Et au reste il est dit aussi que Iob enveloppe le conseil (ou l'obscurcit) en propos sans science. Par cela Dieu declare qu'ayans à traitter de ses secrets, nous devons bien penser à nous, a fin d'y proceder sobrement et en toute crainte: car sous ce mot de Conseil Dieu a voulu signifier les choses hautes dont Iob avoit parlé. Nous pourrons bien disputer de beaucoup de menus fatras, et en disputer à la volee: et bien, nos propos seront vains et frivoles: mais tant y a qu'il n'y aura point de blasphemes, et le nom de Dieu n'y sera point prophané. Mais quand nous entrons en la doctrine de salut, que nous entrons aux oeuvres de Dieu, et que nous disputons de sa providence, et de sa volonté: alors il n'est pas question d'y aller ainsi à l'estourdie: car nous enveloppons, ou entortillons le conseil en des propos sans science Nous voyons donc en quoy c'est que Dieu redargue Iob: c'est assavoir, d'autant qu'il avoit trop hastivement parle de ce qui excedoit sa mesure: car combien qu'il eust des graces excellentes: si est-ce qu'il devoit tousiours s'humilier, cognoissant son infirmité: et se devoit aussi tenir en bride quand il estoit comme au bout de son sens, qu'il ne savoit que penser des iugemens de Dieu: et se sentant ainsi confus, il devoit regarder à la foiblesse de son esprit: et se cognoissant homme mortel il devoit dire, Helas! il n'y a qu'ignorance et sottise en moy. Cependant il devoit aussi regarder à la maiesté inestimable de Dieu, et à son conseil incomprehensible: cela le devoit rendre humble. Il n'a fait ne l'un ne l'autre: ainsi donc encores qu'il ne fust point esgaré du droit chemin, mais qu'il aspirast tousiours au vray but, si est-ce que nous voyons qu'il est ici redargué par la bouche de Dieu.

Or ce passage nous doit advertir de la reverence que Dieu veut qu'on porte à ses hauts mysteres, et à ce qui concerne son royaume celeste. Si nous disputons de nos affaires, Et bien, il ne faut point qu'on y aille avec une solicitude si exquise: car ce sont choses terrestres qui passent: mais toutes fois et quantes qu'il est question de parler de Dieu, de ses oeuvres, de sa verité, de ce qui est contenu en sa parole: que nous y venions avec crainte et solicitude, que nous n'ayons pas la bouche ouverte, pour degouler tout ce qui nous viendra en phantasie: que mesmes nous n'ayons point les esprits trop ouverts de nous enquerir de ce qui ne nous appartient pas, et ne nous est pas licite: mais retenons nos esprits, bridons nos langues. Et pourquoy? Car c'est le conseil de Dieu, c'est à dire, ce sont choses par trop obscures pour nous, et par trop hautes: il ne faut point donc que nous y cuidions parvenir: sinon d'autant que Dieu nous y voudra instruire par sa pure bonté. Et pleust à ieu que ceci fust bien pratiqué: nous n'aurions

360

pas auiourd'huy les combats qui sont par tout le monde. Mais quoy? On voit que bien peu soyent touchez de la maiesté de Dieu: quand on traitte de sa parole, et de la doctrine de nostre salut, et de toute l'Escriture saincte, un chacun ira, à la volee: si on en devise à l'ombre d'un pot, chacun en dira sa rastelee. Voila des choses qui outrepassent tout entendement humain: et toutes fois on voit que nous serons plus hardis à traitter des mysteres de Dieu si hauts, et qui nous devroyent ravir en estonnement, et lesquels nous devrions adorer avec toute solicitude: nous serons, di-ie, plus hardis à en babiller, que si on traittoit d'un proces de cinq sols vaillant, ou ie ne say quoy. Et qui est cause de cela, sinon que les hommes n'ont point regardé que Dieu nous cache et obscurcit son conseil et qu'en l'Escriture il nous a desploye sa volonté à laquelle il nous falloit assuiettir? Nous voyons d'un costé les Papistes qui blasphement contre Dieu, et qui renversent, falsifient, depravent, et corrompent toute l'Escriture saincte, tellement qu'il ne leur couste rien de se mocquer de Dieu, et de toute sa parole. Et pourquoy, Car iamais n'ont gousté que veut dire ce mot de Conseil. On verra des yvrongnes entre nous, qui aussi bien voudront assuiettir Dieu à leur phantasie. Quand ils seroyent les plus habiles du monde, exercez tant et plus en l'Escriture saincte: encores faudroit-il venir là, Que le conseil de Dieu est par dessus nous. Mais ils sont stupides et brutaux du tout, il n'y a ne savoir ne raison, le vin y domine comme sur des porceaux: et ils voudront neantmoins faire des Theologiens, et contreroller en telle sorte, qu'auiourd'huy si on les croyoit, il faudroit bastir et forger un Evangile tout nouveau. Et pourtant retenons ce qui nous est ici monstre, Que quand nous parlons de Dieu, il ne faut point que nous ayons une licence de causer et babiller ce que bon nous semblera: mais cognoissons qu'il nous a revelé son conseil en l'Escriture saincte, que et grans et petits se submettent à l'adorer. Et voila pourquoy il est parlé des propos sans science. Or donc ici Dieu monstre, que toutes fois et quantes que nous parlons de luy, et de ses oeuvres, c'est une doctrine de conseil, une doctrine haute. Et au contraire que ce que nous pourrons mettre en avant, et que nous aurons peu concevoir en nos esprits, qu'est-ce? Propos sans science. Que les hommes se mettent en la balance, et ils seront trouvez plus legers que la vanité, comme il est dit au Pseaume. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ce te doctrine, qu'il n'y aura en nous nul savoir, il n'y aura nulle grace pour savoir traitter des oeuvres de Dieu, sinon d'autant qu'il nous aura instruits. Voila comme nous serons sages, estans gouvernez par l'Esprit de Dieu et par

IOB CHAP. XXXVIII.

361

sa parole. Mais cependant quand nous ne trouverons point en ,a parole de Dieu ce que nous voudrions savoir: cognoissons qu'il nous faut demeurer ignorans: et puis sur cela, qu'il faut que nous ayons la bouche close: car si tost que nous voudrions dire un mot, il n'y aura point de science, il n'y aura que mensonge en nous C'est donc l'accusation que met icy Dieu contre Iob.

Or là dessus il dit, Responds moy à toutes mes demandes: voire si tu as entendement, que tu me faces aussi entendre ce que ie voudray savoir de toy. Icy Dieu persiste à se mocquer de la folle outrecuidance des hommes, quand ils pensent avoir tant de subtilité en eux, qu'ils peuvent disputer contre luy, et plaider. Il dit donc, Or bien, il est vray que vous estes fort habiles, ce vous semble, quand vous parlez, et que ie vous laisse le reng: mais il faut que i'aye mon tour, et que ie parle un peu à vous, et repliquez moy, et vous verrez bien vostre defaut. Qui est cause donc que les hommes sont si temeraires, de s'avancer ainsi follement à l'encontre de Dieu? C'est pource qu'ils se donnent licence de parler, et occupent la place, et leur semble que Dieu n'a point de replique. Or Voici le remede que Dieu nous donne pour abbatre ceste folle temerité qui est en nous: c'est, que nous pensions à ce qu'il nous pourra demander. Si Dieu commence à nous interroguer, que respondrons-nous? Si cela nous venoit en memoire, s il est certain que nous serions retenus du tout: et combien que nous ayons les esprits bien fretillans, et qu'il nous semble que nous pouvons remuer tout le monde, nous serions comme mis en nostre estat pour suivre en simplicité ce que nostre Seigneur nous monstre: moyennant, di-ie, que nous peussions penser, Helas! et si nous venons devant Dieu, n'a-il point la bouche ouverte, et n'a-il point l'authorité et maistrise de nous interroguer? Et qu'est-ce que nous luy respondrons? Voila donc où il nous faut venir. Et c'est ce que nous avons à retenir de ce passage, pour en avoir une droite instruction. Puis donc que nous sommes trop hastifs à parler, c'est à dire que nous avons ce vice de nature de nous ingerer plus qu'il ne nous appartient: apprenons de retenir nostre bouche. Car qui est cause, que nous l'avons incontinent ouverte, pour desgorger ce qui nous est incognu? C'est d'autant que nous ne pensons pas

362

que c'est plustost nostre office de respondre à Dieu, que de nous avancer de parler. Car n'est-ce point pervertir l'ordre de nature, que l'homme mortel qui n'est rien anticipe sur son Createur, et se face donner audience, et que Dieu cependant se taise? Où est-ce aller? Et c'est neantmoins ce que nous faisons, toutes fois et quantes que nous murmurons contre Dieu quand nous descirons sa parole par pieces, que nous iettons des propos à la volee pour dire, Voila ce qui m'en semble. Qui est cause de cela, sinon que nous voulons que Dieu nous face silence, et que nous soyons ouis par dessus luy. Ne voila point une pure rage? Ainsi donc que pour corriger ceste arrogance qui est en nous, nous apprenions de ne presumer point de respondre à nostre Dieu: sachans que quand nous viendrons devant luy, il aura ceste autorité de nous examiner: voire selon sa volonté, et non point à nostre appetit: et à nostre poste: et que quand il nous aura clos la bouche et qu'il aura commencé à parler, nous serons plus que confus. Et pourquoy? Dequoy est-ce que Dieu nous peut interroguer? ne choses qui nous sont plus que cachees, et où tous nos esprits defaillent. Voila où Dieu nous menera, pour nous monstrer nostre bestise et presomption enragee. Puis qu'ainsi est que Dieu a de tels interrogatoires par dessus nous, et qu'il nous peut mettre en avant des choses où nous serons plus que confus: apprenons de nous humilier, tellement que ce soit pour estre enseignez de luy: et quand nous aurons esté enseignez, qu'il nous face contempler sa clarté au milieu des tenebres de ce monde. Et cependant que nous apprenions aussi à le servir et l'adorer en tout et par tout. Car voila aussi comme nous aurons bien profité en l'escole de Dieu: ce sera quand nous aurons apprins de le magnifier, et luy attribuer une telle gloire que nous trouvions bon tout ce qui procede de luy. Et cependant que nous avisions aussi de nous desplaire en nous-mesmes, afin de recourir à luy pour y trouver le bien qui nous defaut. Et que là dessus il luy plaise nous gouverner tellement par son sainct Esprit, qu'estans remplis de sa gloire nous ayons dequoy nous glorifier, non pas en nous, mais en luy seul.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc..

SERMON CXLVIII

363

LE CENT QUARANTEHUITIEME SERMON,

QUI EST LE II.. SUR LE XXXVIII. CHAPITRE.

4. Où estois-tu quand ie fondoye la terre? Monstre le moy, si tu as entendement. 5. Qui a mis les mesures d'icelle, si tu le cognois? ou qui a mis le compas sur icelle? 6. Sur quoy sont appuyez ses fondemens, ou qui est-ce qui a ietté la pierre de l'anglet d'icelle. 7. Quand les estoilles du matin s'esiouissoyent ensemble, et que tous les enfans de Dieu chantoyent en triomphe? 8. Qui est-ce qui a serré la mer entre des huis, laquelle en vuidant sort comme de la matrice? 9. Quand ie mettoye la nuee comme son vestement, et l'obscurité comme ses bandelettes? 10. I'ay decreté sur icelle mon ordonnance ie l'ay enclos en des barreaux et des huis. 11. Puis ie di, Tu viendras iusques icy, et ne passeras point plus outre, et mettras icy l'eslevation de tes ondes.

Nous confessons assez tout ce qui est ici recité des oeuvres de Dieu, comme nous les voyons au ciel et en la terre: mais si nous y pensions à bon escient, on n'auroit que faire de nous en sonner mot. Tant y a que si nous savions faire nostre profit des choses qui sont contenues en ceste doctrine, elle seroit assez suffisante pour nous instruire à humilité, en sorte que nous n'aurions plus la bouche ouverte pour murmurer contre Dieu, ne pour plaider contre luy, quand il ne fait point les choses à nostre appetit: tout cela seroit mis bas. Car ceste grandeur et hautesse incomprehensible de nostre Dieu, sa vertu, et puissance admirable, sa bonté, et sagesse infinie qui se demonstre en ses oeuvres, suffiroit pour nous humilier, et nous rendre estonnez: il ne nous resteroit sinon de l'adorer, et luy faire hommage en toute crainte et reverence. Nous avons donc ici deux choses à retenir. L'une est, que quand Dieu parle de sa vertu, et que la dessus il nous la monstre à l'oeil, et en ce qui nous est visible, cela n'est point superflu: car nous y pensons mal, combien que la chose nous soit toute manifeste. Et puis il nous faut venir à la fin, et à l'intention de Dieu: car ce n'est point assez que nous confessions que Dieu a basti la terre, et qu'il 17a assise au milieu de la mer. Vray est que c'est une chose admirable, quand Dieu a ainsi enserré la mer, comme si elle estoit enclose en de grandes murailles: et faut bien que nous confessions que l'ouvrier est excellent. Mais il nous faut passer plus outre: c'est assavoir, que nous appliquions toute nostre estude à glorifier Dieu, en telle sorte que nous confessions que tout ce qu'il fait est iuste,

364

et plein d'equité et droiture: et que par ce moyen nous soyons retenus en bride courte, quand nous sommes solicitez à nous fascher, et despiter contre luy, et à trouver à redire en ses oeuvres. Que donc ce qui est ici contenu soit pour nous captiver, et nous tenir en telle humilité et modestie, qu'il ne nous reste sinon de l'adorer. Et si la raison de, ses oeuvres nous est incognue, que nous ne laissions pas pourtant de recevoir le tout pour bon et iuste, et y acquiescer pleinement sans aucun contredit.

Or venons maintenant aux propos qui sont ici contenus. Dieu demande en premier lieu où estoit Iob, quand il a fondé la terre? comme s'il disoit Povre creature, à qui t'adresses-tu? Il faudroit que tu fusses mon pareil: il faudroit que tu approchasses de mon intelligence. Et de combien en es-tu eslongné? Puis il dit, Vien-ça, monstre le moy si tu as entendement. Qui a mis les mesures de la terre? di le moy, si tu le cognois: ou, qui a mis les compas sur icelle, tellement quelle soit si bien proportionnee? Qui a assis la terre sur son anglet, et sur quoy est elle appuyee? Iob, di moy toutes ces choses: dit Dieu. Il est vray que quand nous contemplons la grandeur, et pesanteur de la terre, nous sommes là confus: une telle masse esblouit nos sens: nous ne pouvons comprendre cela. Nous voyons bien, et sommes contraints de confesser quelle est faite en si grande raison que rien plus: mais nous defaillons, tellement que Dieu en cela nous monstre nostre fragilité et faiblesse. Or puis qu'ainsi est, qu'en ce qui nous apparoist devant les yeux, nous n'avons pas iugement suffisant pour le comprendre: que sera-ce (ie vous prie) des conseils de Dieu estroits, et cachez, quand il ordonne et determine au ciel ce qui luy plaist? Et si nous ne voyons point la raison de cela, que dirons-nous? Faut-il que nous soyons si outrecuidez, d'en vouloir iuger à nostre phantasie, veu qu'il surmonte nostre esprit? Et ce que les Anges mesmes ne peuvent comprendre, le comprendrons-nous? N'est-ce pas une folie, voire une rage par trop grande aux hommes, quand ils veulent attenter iusques là? Avisons bien donc à quel propos ceci est dit. Et pour mieux le comprendre, faisons ceste comparaison. Qu'on prene tous les massons et les charpentiers qui sont au monde, voire et les plus expers qu'on pourra choisir, il n'y a masson ou charpentier tant excellent en son art qui soit, qu'il ne luy faille

IOB CHAP. XXXVIII.

365

pour bastir, et ligne, et compas, et mesures, et plomb, et toutes choses semblables: autrement l'edifice sera tortu, on ne le fera point monter deux toises de haut qu'il n'y ait à redire. Or s'il faut que les artisans, quelques expers et excellens qu'ils soyent en leur art, s'aidans de lignes, de compas, de mesures: et que cependant les plus grans palais et chasteaux qui seront ainsi bastis n'ayent point cent toises de haut: qu'est-ce au pris d'avoir basti la terre et la mer? On sera bien empesché quand on veut faire un chasteau de pierre de taille. Car (en premier lieu) s'il n'a bons fondemens, et s'il n'est bien appuyé, ce sera bastir en vain de tout ce qu'on mettra dessus. Et puis s'il n'est bien compassé et ordonné, l'ouvrage ne se portera pas bien. Et que sera-ce (ie vous prie) de tous les palais et chasteaux amassez ensemble, quand on en fera comparaison avec la mer, et la terre? Quelle proportion y aura-il de l'un à l'autre? Puis donc que les hommes, quelques expers qu'ils soyent, ont besoin d'aides, et regardent ça et là pour estre aidez et secourus: voire aux choses qui ne sont rien, au pris de cest ouvrage si excellent et si magnifique, qui apparoist seulement en la terre, quand Dieu l'a ainsi assise sur les eaux, comme nous la voyons, et qu'il y a un si bel ordre: ne faut-il pas que nous soyons plus qu'insensez, si nous presumons de contreroller Dieu en ce qu'il fait, qui nous est beaucoup plus caché sans comparaison, que ce que nous pouvons voir en l'ordre de nature? Quand donc ceci nous vient en memoire, que ce soit pour nous ravir en estonnement, et pour nous inciter à glorifier celuy qui a basti un tel edifice à son simple vouloir, et non point par longue succession de temps. Nous voyons que les hommes ne pourront pas du premier iour bastir et parfaire ce qu'ils auront entreprins, et qu'il faut qu'ils y employent beaucoup de peine, et de temps. Mais il n'est pas ainsi de Dieu: car nous voyons comme il a bien tost accompli tout ce bel ouvrage qui se voit au ciel et en la terre.

En somme nous voyons ici que Dieu se mocque de l'arrogance des hommes, quand ils presument de le vouloir contreroller en ses oeuvres. Si ie parle seulement de quelque edifice moyen à ceux qui seront expers en l'art de massonnerie, et de charpenterie, et que ie leur die, Il vaudroit mieux faire ainsi: voire, combien que la chose me soit incognue, que neantmoins ie face là du maistre masson: les maistres massons et charpentiers n'auront-ils pas iuste occasion de se mocquer de moy, et dire, Et comment? Cestui-ci ne sauroit faire une fenestre de demi pié: et cependant il nous vient ici contreroller. Ceux donc qui seront entendus en quelque art, ne se mocqueront-ils point si quelqu'un vient ainsi follement censurer leurs ouvrages? Ne ren

366

voyeront-ils pas un tel outrecuidé à son A B C? Il est bien certain. Or si nous faisons cest honneur aux maistres massons et charpentiers, que nous n'osons parler de leurs ouvrages, sinon avec modestie et avec protestation que nous ne sommes point suffisans d'en iuger: que sera-ce quand nous viendrons à Dieu? Ne faut-il pas que nous soyons là beaucoup plus humbles et modestes? Nous savons comme on parle d'un ouvrage mecanique, quand on n'y sera pas ouvrier. Il est vray, dira-on, que ie ne suis pas entendu en cecy, ce n'est pas mon mestier: mais voila mon advis: toutes fois que ie remets tousiours le tout à ceux qui savent que c'est. Si donc nous usons d'une telle modestie, quand il est question de iuger d'un edifice, ou d'un ouvrage moyen qu'aura fait un homme mecanique: ie vous prie, quel honneur devons nous attribuer à Dieu quand il est question de ses oeuvres? En quelle estime les devons-nous avoir? Nous voyons donc maintenant à quoy Dieu a pretendu on ce passage parlant de la ligne, et du compas: comme s'il disoit, Comment? Si i'estoye une creature mortelle, et corruptible, encores me feroit-on cest honneur en contemplant mes oeuvres, de dire, Voici un maistre qui est fort excellant et bien entendu, il est fort expert, son ouvrage parle: mesmes, si un homme mecanique (comme nous avons dit) a fait quelque ouvrage moyen, on n'osera pas y trouver à redire: pour le moins ceux qui ne seront point entendus en telle besongne. Et moy, qui ay fait un ouvrage si excellent, qui ay creé le ciel, et la terre, et la mer, voire de rien, et les ay compassez en si bel ordre et telle disposition comme on les voit: et cependant encores me viendra-on contreroller. Et où est-ce aller? Qu'est-ce de tous les ouvrages des hommes, si on les compare à mes oeuvres? on approcheront-ils? I'ay besongné avec une vertu et sagesse incomprehensible: et ie ne seray point exempt du iugement des hommes? chacun osera dire, Pourquoy ceci? pourquoy cela? Il vaudroit mieux faire ainsi. Et quelle arrogance est-ce la? On viendra preferer les creatures mortelles à moy qui suis le Dieu vivant, à moy qui suis tout-puissant et tout sage? ne voila point une ingratitude insupportable? Si un homme mortel a fait quelque ouvrage, on luy fera bien cest honneur qu'on n'osera pas iuger de luy sinon en grande modestie: quand i'ay basti le monde n'ay-ie pas merité qu'on m'honore cent fois plus?

Apprenons donc de mieux contempler les oeuvres de Dieu, que nous ne faisons pas: tellement que si nous tons la veuë sur la terre, nous avisions, Voici une terrible masse: ce n'est point seulement comme un gros chasteau bien masuré, où il n'y a nulle approche: mais nous voyons quelle pesanteur il y a, qu'il semble bien qu'il est impossible

SERMON CXLVIII

367

de trouver fondement suffisant pour la soustenir. Et sur quoy est-elle appuyee? Sur l'eau. Il faut que la terre soit pendante en l'air (comme elle est à la verité) elle a l'eau à l'environ d'elle. Il est vray que les Philosophes qui n'ont point regardé que c'estoit Dieu qui l'a creée, ont bien trouvé raison, comment les eaux environnent la terre, et que le tout est pendu en l'air: ils ont bien disputé subtilement de cela, et en ont amené quelque raison: mais cependant si ont-ils esté contraints en despit de leurs dens de confesser que ceci estoit par dessus nature, de dire que les eaux se soyent ainsi retirees, afin que les hommes eussent lieu pour y habiter. Cela ne peut estre de soy, il faut qu'il y ait quelque providence divine qui besongne ici: voila qu'ils ont dit. Et combien qu'ils se soyent aveuglez par leur ingratitude: tant y a neantmoins qu'ils ont esté convaincus de cela. Mais (comme nous avons dit) ce n'est point encores assez de cognoistre que Dieu a creé la terre: il faut là contempler une sagesse admirable, et cognoistre que c'est un miracle tel que tous nos sens y defaillent. Quand il est dit que Dieu a creé tout de rien, et puis qu'il a appuyé la terre sur des eaux: ne voila point pour nous ravir en estonnement? Si nous regardons à l'entour de nous, voila des eaux qui environnent toute la terre: et neantmoins nous voyons qu'elle demeure ferme: quel miracle est-ce la? Il est vray que quelquesfois on verra un tremblement de terre, et semble bien que tout doive abysmer: ce qu'aussi il pourroit avenir, sinon que Dieu y prouveust. Mais quoy qu'il y ait, nous voyons que le corps de la terre universelle subsiste tousiours. Et cela n'est-il pas pour nous estonner? Quelle excuse pourrons-nous pretendre, si nous ne prenons loisir de penser à un tel ouvrage de Dieu? Ne nous desploye-il pas là sa puissance et sa vertu en tant de sortes, que nous en devons estre assez convaincus? Mais en voyant nous ne voyons goutte pour magnifier Dieu en ses oeuvres. Et ce mal est inexcusable: car quand les hommes sont ici assoupis, et ne prennent point la peine de mediter les oeuvres de Dieu, ne sont-ils pas plus qu'ingrats et vilains? Ainsi quelque ignorance qu'il y ait, nous n'avons nulle excuse: mais nous serons tousiours coulpables, quand nous n'aurons point glorifié Dieu en ses oeuvres qui sont si patentes et manifestes. Voila donc ce que nous avons à retenir en ce passage.

Or cependant quand il est ici parlé des conpas, et des mesures de la terre: nous voyons bien qu'il a fallu une puissance admirable, et une sagesse incomprehensible pour disposer de toutes ces choses. Car la terre ne seroit iamais en sa fermeté, et ne subsisteroit point, comme elle fait si elle n'estoit au milieu du ciel, en telle symmetrie et proportion,

368

en telle convenance et temperature, qu'il n'y eust que redire. D'avantage quand nous avons contemplé une si longue distance qu'il y a non seulement depuis la terre iusques aux nuees, mais aussi iusques au ciel, où sont les estoilles, et les planettes: ce devons-nous pas estre plus qu'esbahis? Et maintenant quand nous regardons ceste hauteur que nous voyons au ciel par dessus la terre: qu'est. ce de la tel c? Quelque grosse masse qu'il y ait, quelque pesanteur, et grosseur qu'on y voye: si nous la comparons avec ceste grandeur du ciel: ne faut-il pas que nous confessions avec les Philosophes que ce n'est qu'une petite boulle? Quelle proportion y a il de l'un à l'autre, Tant y a neantmoins, que si nous contemplons seulement les montagnes qui sont sur la terre, nous trouverons là encores dequoy nous esmerveiller et adorer l'ouvrier qui a tout fait. Et puis quand nous contemplons d'autre part la fermeté de la terre, ce nous doit-elle pas ravir en estonnement? Combien que nous y voyons une grande varieté: si est-ce qu'elle demeure tousiours en son lieu, et n'en est point esbranlee. Voila donc les hautes montagnes qui rendent la terre bossue, voila des lieux inegaux, et semble bien que ce soit pour la faire esbranler, voire tresbucher du tout. Or Dieu y a mis une telle proportion et mesure que la terre se tiendra tousiours en son lieu: et combien qu'il semble que les montagnes la doivent renverser, si est-ce que l'une respond tellement à l'autre, que le contrepoids demeure tousiours. Bref, quoy qu'il en soit, la terre subsistera, et sera conservee tousiours iusques à la fin, par la porportion et temperature qui y est: et quoy qu'il advienne ce ne sera pas pour l'esbranler en rien. Cependant toutes fois quand nous voyons qu'elle est environnee d'eaux, et que les grandes montagnes s'eslevent comme pour la precipiter en la mer, et neantmoins qu'elle demeure ferme: ne faut-il pas bien dire que Dieu y a besongné d'une façon plus qu'admirable? Il est bien certain. Que nous reste-il donc, sinon d'adorer nostre Dieu, confessans que nous detaillons du tout sous une telle grandeur, et sous une telle sagesse, et si incomprehensible? Car à la verité, c'est bien raison que nous cheminions en humilité et crainte, quand il est question de contempler les oeuvres admirables de Dieu, comme elles se demonstrent en tout l'ordre de nature.

Ainsi nous voyons beaucoup plus clairement ce qui est ici contenu. Cependant il nous faut revenir a ce poinct c'est assavoir, Pourquoy c'est que Dieu nous propose la terre comme un miroir? C'est afin que nous y puissions contempler sa gloire, sa sagesse, sa vertu, et puissance infinie: c'est pour nous conduire, et mener comme par la main, à la consideration de ses oeuvres qui sont

IOB CHAP. XXXVIII.

369

beaucoup plus grandes, et plus excellentes, afin d'on estre ravis en admiration, voire pour nous humilier sous sa grandeur incomprehensible et pour l'adorer. Nous voyons que Dieu s'orne si excellemment, et qu'il n'est plus question de repliquer à l'encontre de lui, ny d'entrer en telle audace, de le vouloir corriger, comme s'il avoit failli. Qui est-ce qui comprendra sa hautesse infinie? Ouvrons les yeux, et nous serons là confus. Car si nous regardons d'autre part à la terre, elle est comme une mere nourrice, qui nous nourrist et substante: et cependant, si est-ce que nous ne cognoissons point comment Nous voyons bien comme elle est labouree, nous en savons bien parler: mais tant y a, qu'il nous faut estre ravis en estonnement en cest endroit. Et c'est la conclusion du texte. Puis donc qu'ainsi est, qu'en la terre mesme, laquelle nous foulons au pié, nous avons un miroir de la vertu, et sagesse incomprehensible de Dieu: que sera-ce quand nous aurons contemplé le ciel, qui nous surmonte de beaucoup, et là où nous ne pouvons pas atteindre? Faudra-il que là nous venions repliquer à l'encontre de Dieu, Pourquoy est-ce qu'il fait ainsi? Pourquoy est-ce qu'il a permis telle chose? Helas qui sommes-nous? Et ainsi donc notons bien que quand la terre sera bien regardee de nous, elle nous doit servir pour nous tenir comme bridez en nos esprits: afin que nous n'attentions point de nous eslever par dessus les cieux: mais que nous donnions gloire à nostre Dieu en tout ce qu'il luy plaist faire: sachans qu'il est le Dieu souverain, qu'il a une gloire parfaite et entiere, et que sa vertu et puissance admirable est coniointe à sa iustice, et sagesse infinie: tellement qu'il n'y a que redire en luy. Quand nous aurons comprins cela, ce sera beaucoup profité pour un iour.

Cependant venons à ce qui est dit, Que les estoilles chantoyent louanges, et que les enfans de Dieu s s'esgayoyent en triomphe, en la creation du monde. Par ces mots Dieu signifie, que si tost que les estoilles ont esté faites, ç'a esté comme un chant ordonné, et une melodie pour le glorifier. Non pas que les estoilles chantent, non pas aussi qu'elles soyent creatures sensibles: mais pource que Dieu y a manifesté sa grandeur, sa bonté, sa vertu et sagesse, c'est autant comme s'il parloit haut et clair. Dressons-nous donc les yeux au ciel? Nous devons ouir la melodie des estoilles, comme elles ont commencé de chanter dés leur creation: et il est certain qu'une telle melodie nous devroit bien resveiller pour nous soliciter a chanter les louanges du Seigneur, et à le glorifier. Ouy, si nous n'estions plus que sourds, il nous faudroit bien recevoir, et prester l'aureille de nostre coeur à tels chants, et si melodieux: car voila mesmes les Anges de paradis

370

qui sont incitez à ce faire. Mais nous sommes par trop stupides en cest endroit, tellement qu'en levant les yeux au ciel pour contempler les estoilles, nous ne regardons point dequoy elles nous doivent servir. Si faut-il toutes fois que nous appliquions ce passage à nostre instruction, afin d'en faire nostre profit.

Or il est dit en premier lieu, que les estoilles, dés leur creation, ont commencé à chanter. En quelle sorte? Comme desia nous avons touché, ce n'est point de la langue: et aussi ce sont creatures insensibles, et muettes: mais tant y a que la bonté de Dieu, et sa vertu, et sagesse qui reluist aux estoilles nous doivent servir d'autant de cantiques. Quand l'air retentiroit de voix hautes et claires, nous ne devrions pas estre plus incitez à glorifier nostre Dieu, que de voir cest ordre si admirable que Dieu nous a proposé devant les yeux. Or pour nous induire encores mieux à le glorifier, il est dit, que les Anges se sont esgayez, quand ils ont veu un tel spectacle, et ouy ceste melodie des creatures muettes: que ç'a esté pour les faire esiouir en triomphe. Par cela nous devons estre esmeus à glorifier nostre Dieu: et ce sera une droite, et vraye ioye que ceste-la: elle sera bien autre que celle de ces enragez mondains, et de ces desbordez qui ne se peuvent esbatre sinon en offensant Dieu. Nous voyons ici une ioye bien autre qui nous est proposee: c'est que les Anges de paradis ont comme sauté en s'esgayant, quand ils ont veu ce cours et ordre si excellent, et admirable qui est au ciel, quand ils ont contemplé ce que Dieu a là mis. Ils ont donc esté incitez à une telle ioye comme il en est ici fait mention. Puis qu'ainsi est que les Anges nous conduisent à glorifier nostre Dieu, et luy chanter louanges: quand nous contemplons ce bel ordre qui est au ciel, ne devrions-nous pas nous esiouir en cela? n'est-ce pas la où il nous faudroit venir, toutes fois et quantes que nous eslevons les yeux en haut? Mais quoy: il s'en faut beaucoup que nous pratiquions cela comme nous y sommes exhortez: car mesmes, quand nous oyons quelque passage de ceste doctrine, cela nous passe. Combien que nous soyons admonnestez tant et plus, qu'en regardant au ciel, en iouissant de la clarté du soleil nous devons glorifier Dieu: combien que nous soyons assez advertis de ce faire, cela nous escoule: mais tant y a que le tout nous sera bien cher vendu quand ce viendra, à rendre conte: attendu que le principal service que Dieu requiert des hommes, c'est d'estre loué d'eux: et nous n'en tenons conte: qui pis est, nous luy ravissons son honneur, nous le frustrons de ce qui est sien, quand il n'est point glorifié par nous comme il le merite. Il est vray que nostre Seigneur sait bien qu'il ne peut rien tirer de nous, dequoy il puisse estre magnifié

SERMON CXLVIII

371

comme il en est digne: iamais tant y a qu'il se contente qu'on l'exalte, et qu'on le glorifie en ses oeuvres, qu'en les contemplant nous soyons esmeus à le louër. Que si nous n'en faisons ainsi, ne sommes-nous pas plus que sacrileges? Il est

bien certain.

Ainsi donc apprenons de profiter en la doctrine qui est ici contenue. Cependant notons que les Anges sont ici appellez Enfans de Dieu, afin que nous soyons tant plus induits d'accourir à ce triomphe duquel il est ici parlé: et que nous soyons unis avec eux pour triompher aux louanges de Dieu, et pour le glorifier d'un commun accord, quand nous oyons ceste melodie et haut et bas, entant que Dieu a par tout espandu sa gloire. Il est vray que ce titre est attribué aux: Anges, par un privilege special, qu'ils sont appellez Enfans de Dieu, d'autant qu'ils approchent plus de luy, et

ont en eux telle noblesse, qu'ils sont par dessus toutes autres creatures. Ils sont non seulement les messagers de Dieu, mais ils sont aussi appelles ses Vertus et Puissances, d'autant qu'il execute par eux, comme par ses mains, ce que bon luy semble. Voila comme les Anges sont bien enfans de Dieu: mais tant y a que nous avons ce titre commun avec eux. Pourquoy? D'autant que Dieu nous a creez à son image et semblance: et combien que ceste image ait esté effacee par le peché d'Adam, si est-ce qu'elle a esté reparee aux eleus, quand nostre Seigneur Iesus a esté envoyé, qui est l'image vive de Dieu, et avons esté exaltez par son Esprit, en telle sorte que nous voila restablis en nostre premier degré: et Iesus Christ nous a fait cest honneur de descendre de la race d'Abraham, c'est à dire de se vestir de nostre nature, afin de nous reconcilier à Dieu son Pere. Puis qu'ainsi est donc, notons, que Dieu en ce passage nous monstre comme nous pouvons estre asseurez d'estre ses enfans, et par consequent de posseder l'heritage celeste, que nous avons commun avec les Anges de paradis: car combien que nous rampions ici sur terre, combien que nous soyons si miserables creatures, et remplies de tant d'infirmitez, que nous devons avoir honte de nostre povreté et misere: tant y a que Dieu trouvera le moyen de nous accoupler avec les Anges de paradis. Cependant cognoissons que les Anges tremblent quand ils contemplent le ciel, et la terre: combien qu'ils soyent creatures excellentes, si est-ce qu'ils sont contraints d'estre estonnez de voir un tel spectacle qui est au ciel et en la terre. Or puis que les Anges qui sont excellens par dessus les hommes, demeurent toutes fois esblouis sous une telle grandeur de Dieu: ne faut-il pas que nous soyons plus que ravis en admiration, quand nous avons les yeux ouverts, et que nous contemplons les oeuvres si ad

372

mirables de Dieu, et quand nous oyons ceste belle melodie qui est en toutes ses oeuvres? Helas! faut-il que nous soyons si ingrats de fermer les yeux,: pour n'en rien voir? Faut-il que nous facions des sourds pour n'en rien ouir? Ainsi donc suivons les Anges, lesquels nous Sont ici proposez pour conducteurs à ce que Dieu soit glorifié de nous. Que si nous le glorifions en ses oeuvres, il nous tiendra et avouëra pour ses enfans, et se monstrera tousiours Pere envers nous. Voila donc ce que nous avons à retenir sur ce mot, quand il est dit, Que tous les enfans de Dieu se sont esgayez en triomphe, quand ils ont veu les estoilles du matin s'esiouir ensemble. Et notamment il est dit Tous, afin que nous sachions, que ceux qui ne s'employent point à ceste estude, pour magnifier Dieu en sa vertu qu'il a desployee en ses oeuvres, seront retrenchez de sa maison: et qu'ils ne sont pas dignes d'estre au reng de ses enfans.

Passons maintenant outre. Nostre Seigneur vient à la mer: Qui a mis, dit-il, des barres a la mer? qui l'a enclose entre des barreaux, et des huis? Tu ne passeras point outre: tu viendras seulement iusqu'ici. Quand la mer s'esleve, il semble bien qu'elle doive engloutir et engouffrer tout: et cependant toutes fois, nous voyons qu'elle est comme en prison: mesmes que Dieu la tient, comme une nourrice tiendra un petit enfant. Il a mis les nuees, et brouees à l'entour de la mer, comme des petites bandelettes, et une robbe pour la couvrir. Il semble de c que la mer soit comme un petit enfant, que Dieu la manie comme il veut. Et en cela il continue aussi à magnifier ses oeuvres, pour nous monstrer que nous devons bien nous contenter d'une telle excellence, pour cheminer en toute humilité, et ne plus attenter d'oser lever le bec contre luy: comme aussi il en parle par son Prophete Ieremie (5, 22), Ne me craindrez-vous point, dit-il, moy qui ay mis les bornes sur la mer? Il dit cela, pource que la mer est par dessus nous. Il est vray que les simples et idiots ne comprenent pas que la mer nous surmonte, et quelle soit plus haute que la terre: mais ils cuident que les eaux soyent dessous la terre, et quelles soyent beaucoup plus basses. Or c'est tout l'opposite: et nous le voyons mesmes à veuë d'oeil, quand nous sommes au pres de la mer, nous cognoissons quelle est plus haute que la terre. Or puis que l'eau est ainsi par dessus nous, à quoy tient-il que nous ne sommes ici engouffrez à chacune minute de temps, veu que les eaux sont eslevees par dessus nos testes de beaucoup? Et mesmes quand il est parlé du deluge qui a une fois couvert toute la terre: il est dit que Dieu a ouvert les gouffres, et toutes les ventailles du ciel: qu'il a aussi ouvert les abysmes: que les eaux n'ont plus esté retenues, mais qu'il les a

IOB CHAP. XXXVIII.

373

laschees. Or par ce iugement horrible du deluge, Dieu nous a monstré comme en un miroir, ce qui seroit perpetuel sur toute la terre s'il ne retenoit miraculeusement les eaux. Nous voyons donc comme la mer devroit engloutir tout. Et qui l'empesche? Ne voila pas un miracle tout manifeste? Ne somme nous pas plus que convaincus d'ingratitude, si Dieu par cela n'est adoré de nous, s'il n'est craint selon sa vertu, afin d'avoir tout empire par dessus nous et que nous soyons du tout abbatus? Et si les hommes presument de lever ainsi le bec à l'encontre de Dieu: qu'ils plaident seulement contre la mer, pour voir s'ils auront audience par dessus elle? Et qu'est-ce que de la mer avec toutes ses grosses vagues, et ondes impetueuses, sinon des signes de la vertu de son Createur? Or si les vagues de la mer nous estonnent: Helas! combien plus la maiesté de nostre Dieu nous doit-elle estre terrible, Quand la mer iette ses bouillons avec une telle impetuosité comme on le voit, nous tremblons: et nous ne craindrons point le Createur, mais plustost luy tirerons la langue? Et où est-ce aller? Ne faut-il pas dire que les hommes sont enragez du tout? Et voila pourquoy Dieu reproche aux hommes par son Prophete Ieremie (comme nous avons desia allegué ce passage) ne me craindrez-vous point, moy qui ay mis le sablon pour les bornes de la mer en ordonnance perpetuelle?

Or revenons maintenant aux mots qui sont ici couchez. Dieu dit qu'il a mis des bornes à la mer. Et quelles sont ces bornes? Tout ainsi que n'agueres il faisoit mention des compas de la terre: aussi maintenant il parle des bornes de la mer. Voire, et quelles sont-elles? Pour mieux exprimer ce qu'il nous avoit dit, il adiouste, Que la mer est en sa main comme un petit enfant au ventre de sa mere, tellement qu'un petit enfant ne se tiendra point plus coi en la matrice de sa mere, que fera la mer entre ses bornes. Il est vrai qu'elle fera grand bruit: et sur tout quand elle est agitee de vents et de tempestes, et qu'elle s'esleve, il semble bien que tout le monde en doive estre abysmé. Mais tant y a qu'elle ne peut passer outre ses limites. Qui la retient? Tout ainsi que nous voyons un miracle, quand un enfant se tient enclos en la matrice de sa mere, comme en un sepulchre: et combien qu'il se demene, tant y a qu'il n'en sort iusques à ce que le iour et le terme soit accompli selon l'ordre commun de nature: et ainsi en-il de la mer.

Au reste, Dieu adiouste encores une autre similitude: c'est que les brouces sont pour tenir la mer, à ce qu'elle ne sorte hors de ses bornes et limites: comme les bandelettes sont pour tenir un petit enfant. Il est vrai qu'il voudroit bien tirer bras et iambes dehors, afin de s'esgayer: mais il

374

est tellement enclos dedans ses bandelettes, qu'il faut qu'il demeure là comme captif. Ainsi en est il de la mer. Elle s esleve tellement, qu'il semble que non seulement elle doive faire des gambades d'un lieu en l'autre: mais plustost (comme nous avons dit) qu'elle doive tout engouffrer, et mettre confusion au monde universel. Nous voyons donc cela en la mer. Et y a il aucune chaine, pour empescher une telle impetuosité que nous y voyons? Combien qu'il faudroit de grands empeschemens, pour retenir une telle creature, et si furieuse: si est-ce que Dieu n'use pas de remede violent pour l'arrester: mais seulement il a ordonné les brouees pour la retenir: et par cela nous voyons qu'il la traitte comme un petit enfant, ainsi qu'il en parle. Et qu'ainsi soit, nous verrons des brouees qui ne sont rien, qui se procreent des vapeurs en l'air: on est tout esbahi que cela gaigne par dessus la mer, qu'incontinent qu'une brouee se levera, on verra la mer coye. Et d'où vient cela? De rien. Que dira-on là donc, sinon que la mer est comme un petit enfant, qui est là serré en ses bandelettes? Or combien que ces similitudes semblent bien estranges de primeface: si est-ce qu'il est impossible de trouver des façons de parler plus propres pour nous faire sentir ceste maiesté incomprehensible de nostre Dieu. Il n'est point question que nous montions à sa maiesté pour le cognoistre tel qu'il est: mais il faut que nous soyons convaincus de sa grandeur et hautesse par ses oeuvres plus qu'admirables, qu'il met tous lés iours devant nos yeux. Et c'est une grand honte à nous, si nous ne cognoissons la vertu de Dieu incomprehensible, en ce qui est ici dit, que la mer soit retenue par des brouees, comme un petit enfant de bandelettes. Car qu'est-ce de la mer ainsi impetueuse comme on la voit? Or si est-ce qu'elle est retenue entre ses bornes: elle a beau sauter et s'eslever: elle ne peut passer outre.

Et ainsi apprenons de glorifier nostre Dieu en ses merveilles, mieux que nous ne faisons pas: et ayons honte d'avoir esté si vilains et si ingrats envers lui, de ne point recognoistre sa bonté, vertu et sagesse pour lui en rendre la louange qui lui appartient. Et là dessus, retournons à l'intention principale de Dieu: assavoir qu'il ne faut pas que nous-nous a restions à la mer pour considerer la chose simplement. Il est vrai que ce sera desia quelque bonne instruction, quand les hommes contempleront comme Dieu retient la mer, à ce qu'elle ne nous engloutisse. Quand nous avons cognu cela: chacun n'est-il pas plus que convaincu, que la vie que Dieu nous donne est miraculeuse? Mais cela ne seroit encores gueres si nous ne passions plus outre. Voici Dieu qui nous monstre ses merveilles, et nous les fait sentir en ces choses visibles:

SERMON CXLIX

375

lesquels toutes fois sont si hautes, que nous y sommes esblouys. Or puis qu'ainsi est que nous sommes contraints de l'adorer, confessans que nos sens sont par trop debiles, pour comprendre sa hautesse es choses mesmes qui nous apparoissent devant les yeux: que sera-ce de ses secrets incomprehensibles, de ses conseils estroits et cachez: quand il besongne, tant en general, qu'en particulier, d'une façon qui nous semble estrange, et qui surmonte toute nostre capacité? Faut-il que là nous presumions de iuger à la volee, et d'en donner nostre arrest, comme si nous pouvions comprendre ce qu'il fait ainsi outre nostre sens, et apprehension? Il nous envoyera beaucoup d'adversitez, et beaucoup de maux: l'un perdra ses biens, l'autre sera affligé par maladie, l'autre sera en ignominie et opprobre, l'autre sera outragé, et batu. On pourroit estimer que Dieu est excessif, en traittant les hommes si rudement. Mais quoi? Si faut-il qu'en tout cela nous apprenions de confesser que Dieu est tousiours iuste, et qu'il sait la raison pourquoi il nous traitte ainsi: et qu'elle est bonne et iuste: combien qu'elle nous soit incognue. Que si nous ne cognoissons cela, si est ce, d'autant que nous sommes en sa main, que nous ne gaignerons rien pour tous nous murmures. Voyons-nous

les meschans et iniques avoir la vogue en ce monde? Voyons nous les contempteurs de Dieu estre à leur aise? les voyons-nous en credit et authorité, et estre comme maistres et seigneurs du monde? Voyons-nous qu'ils despitent Dieu iournellement, et toutes fois qu'ils ne soyent point punis du premier coup? Voyons-nous au contraire, qu'il nous faille endurer maintenant opprobre, maintenant fascherie, maintenant qu'on nous prenne par trahison: et que Dieu ne nous secoure point si tost que nous voudrions? Que nous attendions patiemment que Dieu nous delivre, comme il sait qu'il nous sera expedient. Et que cependant nous cognoissions, que si nous avons en admiration ce qu'il fait ici bas mesmes à nous personnes, et en ce que nous pouvons regarder comme à nos pieds: que par plus forte raison il faut bien que nous admirions, voire adorions ce conseil qui surmonte mesme la capacité des Anges. Et ainsi apprenons à estre addressez par ces choses basses, à magnifier et glorifier nostre Dieu: et cependant que nous serons en ce monde, que nous souffrions d'estre conduits et gouvernez par son sainct Esprit, afin qu'il dispose de nous à son bon plaisir.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

376

LE CENT QUARANTENEUFIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXXVIII. CHAPITRE.

Ce sermon est encores sur les versets 8, 9, 10, 11 et puis sur le texte ici adiousté.

12. As-tu depuis tes iours commandé à l'aube du iour? Et as-tu assigné à la clarté son lieu: 13. Afin d'occuper les extremitez de la terre, et que les meschans soyent escoux d'icelle? 14. Elle est transformee comme l'argille laquelle le signe est imprimé: et se tiennent comme un vestement. 15. Et la clarté sera cachee aux meschans, et le bras eslevé sera rompu. 16. Es-tu venu iusques aux eaux profondes de la mer, as-tu sondé le fond des abysmes? 17. les portes de la mort te sont-elles cognues? as-tu veu les portes d'ombre de mort?

Ce qui fait iuger les hommes follement des oeuvres de Dieu, c'est qu'ils se hastent par trop, n'attendans point l'issue pour savoir comme Dieu a prouveu à toutes choses. Et ainsi nous pratiquons tous le proverbe, ne fol iuge breve sentence. Et

voila pourquoy il est besoin de nous retenir, afin de ne precipiter pas iugement devant le coup. Et ce qui est dit en un mot de la mer nous en doit bien instruire. Car si nous contemplons les vagues qui s'eslevent, il semble qu'elles doivent tout abysmer, que le monde doive estre englouti: nous pourrons dire, que Dieu devroit bien avoir remedié à cela. Mais quand derechef les vagues se retienent, et se rompent en elles-mesmes, et ne peuvent passer leurs bornes: alors nous cognoissons mieux la sagesse admirable de Dieu, et sa vertu quant et quant: voyans que combien que la mer soit esmeuë d'une telle impetuosité, toutes fois il la tient comme si on manioit un petit enfant: ainsi que hier il en fut traitte. Quand donc nous pourrons comprendre les oeuvres de Dieu en leur perfection, nous aurons dequoy le glorifier en tout et par tout: mais si

IOB CHAP. XXXVIII.

377

nous faisons à nostre coustume de precipiter iugement, il faudra que nostre temerité se monstre, et que nous demeurions confus en nostre audace

Retenons bien donc ce qui est ici dit, Que Dieu a mis l'ordonnance à la mer, pour dire, Tu iras iusques là Si la mer estoit tousiours calme (comme on dit) et qu'il n'y eust ne tourbillon ne tempeste: on n'appercevroit point si bien la providence de Dieu, et le soin paternel qu'il a des hommes, pour les maintenir où il les a logez. Mais quand il y a une licence donnee à la mer, de s'eslever si haut et si puissamment: et toutes fois qu'elle ne se peut destorder, mais qu'elle est empeschee par ceste ordonnance de Dieu: voila où nous pouvons appercevoir comme Dieu a disposé tout en bonne mesure et raison. Or ceci se peut estendre plus loin. Car quand nous voyons les guerres esmeuës, il semble que tout doive estre meslé haut et bas, nous viendrions incontinent condamner Dieu, s'il estoit en nous, ou bien iargonner contre luy de ce qu'il permet toutes ces choses. Mais si nous attendons l'issue en patience, nous cognoistrons d'un costé que Dieu chastie les hommes à bon droit, quand il suscite les guerres entre eux: et puis, par cela il veut monstrer sa vertu: car quand le feu sera ainsi allumé, il sera puis apres esteint en une minute de temps. Et Dieu alors exerce son office, duquel il est traitté au Pseaume 46 (v. 10) que c'est à luy de rompre les lances, de briser les espees, de renverser les chariots, et d'appaiser ce qui estoit auparavant ainsi esmeu. Il faut donc que nous ayons tousiours devant les yeux et en memoire l'ordonnance de Dieu, selon laquelle il conduit et gouverne les troubles qui semblent tendre à une fin mauvaise: d'autant qu'il convertist tout cela en bien. Car ce n'est point assez que Dieu donne guerison au mal: mais il en use à bonne fin, en sorte que nous sommes contraints de confesser, qu'il vaut beaucoup mieux: que ces troubles adviennent, que si nous estions tousiours en paix et en repos. Et pourtant quand nous penserons bien aux causes qui esmeuvent Dieu à envoyer tels troubles au monde, nous ne murmurerons plus contre luy: et si nous ne les comprenons pas, ne laissons point pourtant d'adorer en toute reverence ce conseil que Dieu retient par devers soy: mais attendons en patience, cognoissans nostre petite portee et rudesse.

Et alors nous suivrons la regle qui nous est ici donnee, comme encores il est dit, As-tu depuis tes iours commandé à la clarté du matin? Iui as-tu fait cognoistre son lieu d'où elle doit se tirer? Ici nostre Seigneur persiste à se mocquer de l'audace des hommes, quand ils presument de iuger par dessus lui, Et depuis quand estes vous nez? N'y a-il point eu de iour ne de clarté devant vous?

378

Et puis que vous estes tant sages de me redarguer, il faut dire que devant que vous fussiez nez, il n'y avoit point d'ordre au monde: la clarté du matin ne savoit où elle devoit tirer, et en quelle part elle devoit aller: sans vous il n'y avoit nulle disposition, rien n'eust esté fait sans vous. Puis qu'ainsi est que vous cuidez estre si sages et que vous voulez estre mes contrerolleurs: ie vous demande seulement, Avez-vous commandé à la clarté où elle doit tirer? Cependant vous trouvez tousiours à redire à ce que ie fai. Et de moi, i'ai dés le commencement du monde discerné entre la clarté et les tenebres: il assigné le temps de la nuict pour les tenebres: et puis i'ai fait sortir l'aube du iour quand bon m'a semblé: i'ai constitué un ordre perpetuel qui doit estre admirable: et si vous D'estiez par trop vilains, vous seriez contraints de confesser que ces choses sont tant excellentes que rien plus. Or tout cela estoit fait devant que vous fussiez nez, ne vous ne toute vostre race: devant mesmes qu'il y eust homme creé. Et que voulez-vous dire, que maintenant vous veniez à me redarguer, Que vous leviez le bec contre moi? Et contez un peu les ans que le monde a duré: i'ai gouverné iusques ici voire et gouverne en telle sorte, qu'il faut que toutes creatures confessent qu'elles sont estonnees en contemplant ce que ie leur monstre. Or cependant il vous semble que ie n'aye rien fait devant vous. Et savez-vous comme il falloit disposer la clarté, et la tirer des tenebres: puis que vous cuidez estre si sages?

Ici donc on premier lieu nostre Seigneur nous ramene à nostre naissance: comme s'il disoit, Contez vos ans: depuis quand estes-vous au monde? Voici les hommes qui sont comme les escargots, si tost qu'ils sont nez la mort les menace. Et bien si Dieu leur donne de vivre quelque temps, ils se pourmenent ici, comme il est dit au Pseaume 90 (v. 3) mais incontinent il les fait revirer, quand ils ont fait trois tours, et qu'ils ont sauté un peu comme des grenouilles, Dieu les retire à soi. Or cependant en telle brefveté de vie qui passe comme un vent, et qui s'escoule incontinent, les hommes qui ne sont que pourriture, veulent contester et plaider contre leur Createur. Et où est-ce aller? Et qu'on regarde un peu à son eternité. Ainsi toutes fois et quantes que nous serons tentez de nous mesler si avant de Dieu et de ses oeuvres, regardons qu'il n'y rien que nous sommes nez: que ce que nous avons vescu n'a pas esté a grand peine pour lever les yeux au ciel, afin de considerer un bon coup que c'est de ceste eternité qui est on Dieu, et au contraire que c'est de la brefveté de nostre vie. Que si une fois nous avons pensé à cela, il faudra que nous fermions la bouche, et que tous nos sens soyent reclus, et que nous n'attentions

SERMON CXLIX

379

plus de murmurer à l'encontre de Dieu en façon que ce soit. Or faisons comparaison de nostre vie avec la langue duree qui a esté au monde: et puis il nous faut passer plus outre, assavoir, Que Dieu s'est contenté de soi et de sa maiesté, devant que le monde fust cree. Puis qu'ainsi est, apprenons de nous remettre du tout à lui, cognoissans que c'est une chose insupportable, que nous passions ainsi nos limites, et que nous vueillions nous esgarer pour iuger de ce qui nous est incognu.

Voila un Item que nous avons à noter sur ce mot, Depuis tes iours as-tu commandé à l'aube? Car devant que nous fussions creez, Dieu avoit desia constitué toutes choses, voire et si bien, qu'il n'y aura que mordre. Or puis qu'ainsi est, humilions-nous voyans que Dieu a eu un soin paternel de nous devant qu'il nous eust mis au monde, qu'il a prouveu à tout ce qui nous estoit necessaire. Et au reste quand il est ici fait mention de la clarté du matin, cognoissons en icelle la sagesse de Dieu infinie, et sa vertu quant et quant. Si nous n'avions accoustumé de voir l'aube du iour, ne serions-nous pas plus qu'effrayez quand nous avons veu les tenebres: qui nous ont assommé et eslourdi: et puis qu'en moins de rien, comme à tourner la main, voila tout le monde qui est ainsi esclairé comme il est? N'estoit donc l'usage ne dirions-nous pas, Cela est impossible? Mais nous n'estimons point la vertu de Dieu, quand elle nous est cognue: et l'usage qu'il nous en donne nous induit à ceste ingratitude-là: non point de soi, mais par nostre malice. Tant y a que ce n'est point sans cause que Dieu dit ici, Que si on regarde la clarté du matin, il faudra qu'on soit esbahi, si on regarde d'où elle sort. Car combien que l'Orient soit tousiours en quelque region certaine: si est-ce neantmoins qu'on voit le soleil selon la saison de l'année se lever maintenant plus bas, maintenant plus haut. En temps d'hyver le soleil d'autant qu'il est plus eslongné de nous, se leve d'une region plus lointaine: et puis en l'este selon qu'il approche de nous et qu'il s'esleve haut, on voit qu'il est là comme sur nous. Bref, selon qu'est l'Orient, aussi est la clarté du matin. Or quand il y a un tel ordre, et que les compas y sont mis: que le soleil ne decline point d'une minute, sinon d'autant que Dieu lui a fait son circuit tel qu'il reviendra tousiours à son poinct: n'est-ce pas bien pour nous faire esbahir? nous voyons que le soleil ne sort iamais de son chemin, tellement que quand tout cela sera bien marque, on trouvera qu'en tous les iours de l'annee il y a diversité: et toutes fois quand on fera comparaison de l'un à l'autre, ouy pour prendre toute l'annee au long, on trouvera que tout va d'un train continuel: que le soleil sortira maintenant d'un poinct, demain de l'autre: et quand il se couche, le

380

semblable: et quand ce vient au bout de l'an, il retourne en( Ires pour poursuivre le train qu'il a continué depuis la creation du monde: et retient tellement son ordre, qu'on ne sauroit compasser un horologe à beaucoup pres si iustement, comme est le circuit du soleil. Et quelle masse est-ce là? Une chose qui est beaucoup plus grande que toute la terre. Et puis quand il auroit à faire tout au long de l'annee un tel circuit comme il fait eu un iour, ce seroit beaucoup: et neantmoins quand l'ordre est ainsi gardé, et n'est-ce point une chose qui nous doit ravir en estonnement, pour nous faire adorer la maiesté incomprehensible de nostre Dieu? Ouy, si nous n'estions pires que bestes brutes. Nous avons les yeux, et nous n'en voyons goutte: Dieu fait resonner ses creatures muettes, d'autant que sa gloire est là imprimee: mais nous n'oyons rien de ceste melodie-là Ainsi donc il ne tient qu'à nostre malice, quand nous n'apprehendons pas la gloire de Dieu qui nous est visible, et qui se presente en toutes ses creatures, et en l'ordre qu'il a establi au monde, et qu'il garde tant ferme que rien plu .

Il est dit quant et quant, Que l'aube s'espand, et occupe toutes les ailes (c'est à dire les extremitez) de la terre: car ce mot, d'Aile, en Hebrieu signifie les bouts. Voila donc la clarté qui se iette, et a son estendue par tout le monde, si tost qu'elle y est. Quand nous voyons les tenebres de la nuict, nous dirions qu'il faut un grand combat pour les chasser. Comment? Qui est-ce qui pourroit purger la terre des tenebres, tellement qu'on voye par tout, là où auparavant on estoit comme enserré en une cave? Qui est-ce qui penseroit que la clarté peust ainsi gaigner sans un merveilleux combat et terrible? Or tant y a que l'aube estant levee a incontinent saisi toutes les extremitez de la terre: et puis apres le soleil vient prendre possession de son empire, comme Dieu lui a donné la principauté sur le iour, afin d'exercer son office auquel Dieu l'a commis. Nous voyons qu'il entre si viste en possession, qu'à grand-peine y avons-nous pensé: si tost que nous ouvrons les yeux, le soleil iette ses rayons: et voila les tenebres qui sont chassees. Et attribuerons-nous cela au soleil, qui est une creature morte? Il est impossible. Il faut donc venir à l'ouvrier, et cognoistre ceste maiesté si excellente, que tous hommes se doivent humilier et estre abbatus: qu'il faut qu'ils facent ioug pour adorer ceste grandeur et excellence qui se monstre en toutes les oeuvres de Dieu, et pour ne plus gronder à l'encontre de lui, quoi qu'il face. Car s'il faut que nous soyons confus, et que nos esprits defaillent en ce qui nous est visible et patent: quand il est question de ses conseils incomprehensibles, il faut bien que nous soyons humbles

IOB CHAP. XXXVIII.

381

en cest endroit, attendans la revelation pleniere au dernier iour. Ainsi donc que maintenant il nous suffise de comprendre par foi que ce nous ne pouvons pas voir iusques à ce que nous ayons apprins d'avantage: qui sera quand ce bon Dieu nous aura despouillez de nostre chair mortelle, qu'il nous aura attirez à soi, et que nous serons conformez à sa gloire.

Il est dit quant et quant, Que les meschans seront escoux de la terre. Or ceci est exposé par aucuns, Que le soleil engendre beaucoup de maladies: et par ainsi quand l'aube du iour se leve, c'est comme pour purger le monde des meschans,. entant que quelque maladie les emporte. Mais cela ne convient nullement au propos: car pour le premier l'aube du iour releve plustost les hommes veu que lors nous aurons nos corps plus agiles, et mieux disposez. Et mesmes les povres malades, quand ils auront esté batus toute la nuict, prennent une vigueur quand ce vient le matin, tellement que les voila allegez d'autant. Et voila pourquoi aussi le Prophete Malachie (3, 20) quand il parle de nostre Seigneur Iesus Christ, l'appellant le Soleil de iustice, prend la similitude du soleil materiel, et de ce que nous experimentons: c'est assavoir qu'il nous apporte santé en ses ailes, c'est à dire en ses rayons: que cela est pour nettoyer la terre, et pour alleger nos corps qui estoyent assommez d'humeurs: comme nous savons que la nuict apporte cela. Et mesmes quand l'aube du iour seroit pour engendrer des maladies, les bons y seroyent suiets aussi bien que les meschans. Et pourtant le sens le plus propre est, Que les meschans seront escoux de la terre: c'est à dire qu'on les discernera. Car s'il y avoit tousiours tenebres, on ne pourroit iuger du noir avec le blanc: mais quand Dieu a ainsi espandu la clarté au monde, alors on cognoist comme chacun se gouverne. Or il est vrai que les meschans ne laisseront pas de se desborder tout au long du iour: car ils n'ont nulle crainte de Dieu: et combien qu'ils ayent honte des hommes, si est-ce qu'ils prendront toute. licence, tellement qu'en plein midi ils ne laisseront point de faire leurs dissolutions: mais tant y a qu'encores nous appercevons quelques traces de ce qui est ici dit. Au monde les choses sont confuses: et toutes fois l'ordre de Dieu y apparoist, et s'y voit parmi: tellement que nous pouvons dire, Il est vrai que Dieu lasche la bride à Satan, et qu'il ne retient pas les meschans comme il pourroit, mais leur donne liberté de s'egayer au mal: et bien, voila Ici choses confuses d'un costé: mais si est-ce que Dieu pour conserver le genre humain, en envoyant la clarté veut reprimer les meschans. Car que seroit-ce si les meschans n'estoyent retenus par la providence secrette de Dieu? Il est certain que

382

nous peririons du premier coup. Et mesmes Satan qui les pousse, en quelle rage les precipiteroit-il, n'estoit que Dieu y besongnast? Nous savons que Satan est ennemi mortel de tous, et ne demanderoit que d'abolir toutes creatures, d'effacer la memoire de Dieu au monde: et ainsi il faut bien qu'il y ait un ordre de Dieu: mais les troubles et les confusions viennent du costé des hommes. Et ainsi encores que les meschans ne laissent pas d'habiter sur la terre en plein iour, et d'y exercer leurs confusions: toutes fois Dieu encores les descouvre, et par ce moyen les retient, et la terre est comme purgee, quand le soleil se leve: ie ne di pas des vapeurs qui avoyent regné de nuict, et des autres infections qui croupissent quand l'air est ainsi espessi: mais Dieu purge aussi bien la terre des meschans, pource qu'ils n'ont pas alors telle liberté qu'ils voudroyent, et on monstrera au doigt ceux qui sont desbauchez: et encores ont-ils quelque honte. le di les impudens, ceux qui ont quasi les yeux bandez: encores y a-il quelque remords là dedans, qu'ils ne se permettent pas de venir iusques au bout de leurs iniquitez. Voila donc comme l'aube du iour est pour purger la terre aucunement, et non pas du tout: car Dieu fait des purges quotidiennes.

Or il adiouste un autre effect de la clarté du soleil, c'est assavoir Que la terre prend comme forme nouvelle: et que les choses qu'elle contient, lui servent d'une robbe, quand le soleil esclaire ainsi. Car de nuict la terre n'a nulle forme, on ni voit rien: c'est donc comme si on voyoit un grand bourbier là où il n'y eust rien discerné. Or quand le soleil commence à luire, c'est autant comme si on avoit prins d'une masse de terre des pots, qu'on les eust faits, qu'on les eust bien parez. Voila une terre façonnée, qui auparavant n'avoit nulle figure. Et ainsi donc quand Dieu envoye la clarté du iour, c'est autant comme s'il formoit toute la terre pour lui donner beauté, afin qu'elle soit regardee de nous en admiration: ainsi il la revest, au lieu qu'elle estoit nue auparavant, qu'elle estoit serree et sterile, voire quand à nos yeux: car il est question ici du regard des hommes: la terre est comme deserte de nuict, elle est vuide, il n'y a rien qui apparoisse: de iour la voila revestue, veu que de quelque costé que nous tournions les yeux, nous voyons des beaux ornemens que Dieu y a mis: comme il est dit (Ps. 65, 12), qu'il couronne l'annee de benediction: que quand il remplist la terre de ses fruicts, c'est comme s'il lui donnoit de belles robbes, de couronnes, et des chapeaux, et autres ornemens. Quand nous voyons que Dieu besongne ainsi, n'avons nous point de quoy nous estonner: voire confessans que la grandeur de ses oeuvres surmonte tous nos sens, et que nous y de

SERMON CXLIX

383

faillons? Car encores que nous puissions gouster en partie sa bonté, et vertu, et sagesse, et iustice: si est-ce toutes fois qu'en la fin pour conclusion il nous faut escrier avec David, Seigneur, combien tes oeuvres sont admirables et profondes! c'est un abysme, et qui est-ce qui les racontera? Il est vray que David prend peine de raconter les oeuvres de Dieu: et non pas qu'il en babille sans on avoir rien cognu. Dieu donc luy avoit monstré ce qu'il dit: et aussi en partie nous pourrons bien iuger de ce que Dieu nous demonstre en toute la creation du monde, et en l'ordre qu'il y a establi. Là nous verrons quelques traces de sa iustice, bonté, et vertu, et sagesse (comme i'ay desia touché) mais que nous comprenions tout ce que nous appercevons iusques au dernier bout, il s'en faut beaucoup. Il reste donc de nous escrier par estonnement, Seigneur, combien tes oeuvres sont admirables!

Voila ce que nous avons à noter en somme de ce passage, quand il est dit, Que la terre prend forme nouvelle, et que les choses que Dieu y a mises sont comme des vestemens, desquels elle est ornee. Et quand cela 6e fait tous les iours, si l'usage n'estoit pas si commun, il est certain que nous dirions, Voila des choses admirables. Et ainsi apprenons de ne point mesurer la dignité des oeuvres de Dieu selon que nous en iouissons iournellement: mais que nous soyons tant plus incitez de dire, que c'est un ouvrier auquel il ne faut point toucher pour cuider rien mordre sur luy: plustost qu'il faut que nous nous submettions à luy en toute humilité.

Or Dieu adiouste quant et quant, Que les meschans ne iouiront point de la clarté, et que le bras eslevé sera rompu. Ceci est pour venir au devant d'une question qu'on pouvoit obiecter. Et comment? Dieu ayant ordonné le soleil pour esclairer le monde, ayant constitué un ordre si beau, pourquoy souffre-il que les meschans iouissent de ce bien-la? Car il le devoit avoir separé pour ses enfans qui le servent et honorent. Il semble donc qu'il y ait ici à redire, que la clarté du soleil soit commune aux bons et aux mauvais. Or il est vray qu'en cela nous devons tant mieux sentir la bonté de Dieu, comme aussi nostre Seigneur Iesus nous le monstre: Ensuivez, dit-il, vostre Pere celeste, lequel fait luire son soleil sur ceux qui en sont indignes: faites donc bien à vos ennemis et à ceux qui vous ont fait du mal. Iesus Christ n'eust point ainsi parlé, si nous n'avions iuste occasion de glorifier Dieu quand il esclaire ainsi tout le monde combien que la plus part ne vaillent rien, et soyent meschans. Mais en ce passage il y a encores une autre remonstrance: C'est assavoir que Dieu nous rappelle comme à son iugement: comme s'il disoit Il est vray que pour quelque temps le soleil esclaire

384

les meschans comme les bons, il y a une vie commune à tous: mais attendez, dit-il: car les meschans ne sont pas heritiers du monde: et combien qu'auiourd'huy Ils reçoivent ce qui ne leur appartient point, et ayent les yeux ouverts pour avoir la clarté du soleil: toutes fois en la fin ils en seront privez du tout. Il dit donc, Leur clarté leur sera ravie. Quand il dit, leur clarté, il nous monstre, que pour le temps present il est vray que nous n'aurons non plus d'avantage (ce semble) qu'auront les contempteurs de Dieu, les gens prophanes: car ils hument l'air comme nous, ils sont esclairez comme nous, ils mangent, ils boivent. Voila donc comme il nous faut porter patiemment un tel meslinge maintenant.

Cependant ce n'est point sans cause que Dieu baille ici la clarté aux meschans: car c'est pour les rendre tant plus inexcusables: voire, et defait c'est une clarté qui ne leur sera point perpetuelle. Mais de nostre part si nous faisons hommage à Dieu tant de nostre vie, que de tous les accessoires d'icelle: ce sera afin d'estre heritiers du monde comme ses enfans: et sainct Paul non sans cause au quatrieme des Romains (v. 13) attribue cela, à Abraham, et à tous fideles. Apprenons donc quand le soleil luist, que c'est une partie de nostre heritage: et puis que Dieu nous a adoptez pour ses enfans, le soleil nous est detteur: nous pouvons cela mettre en nos biens. Autant en est-il quand nous beuvons et mangeons, que nous iouissons de tout ce que la terre produit. cela ne nous est pas deu de Dieu, il nous vient de sa pure liberalité: mais depuis qu'il nous a choisis pour estre ses enfans, et que nous le reclamons en pureté de coeur comme nostre Pere: la terre nous doit nourriture, toutes creatures nous sont en main, c'est à dire que nous en pouvons librement user. Et cest usage-la sera perpetuel pour nous: non point que nous ayons necessité de boire et de manger quand nous serons sortis de ce monde: mais i'appelle que l'usage nous en sera perpetuel, pource qu'il sera benit: et ce que maintenant nous usons des creatures de Dieu, nous sont autant d'aides pour avancer nostre salut (car Dieu nous fait sentir sa bonté et son amour par ce moyen-la) et quand nous serons participans de sa gloire celeste, le monde sera mieux nostre que in Mais, encores que nous n'ayons besoin de boire ne de manger, ne d'estre vestus: car tant y a que nous aurons une possession meilleure et plus parfaite, que celle que nous avons auiourd'huy.

Ainsi donc ce n'est point sans cause que Dieu adiouste ici que la clarté qu'ont les meschans, et qu'ils s'attribuent, leur sera ravie. Et voila qui nous peut servir de declaration de ce qui avoit esté touché, Que les meschans seront escoux à l'aube du iour: qu'ils se desguiseront, que nostre Seigneur

IOB CHAP. XXXVIII.

385

alors les restraint: et que combien qu'il y ait quelque confusion, si voit-on un ordre meslé pour attremper les grans troubles qui sont pour abysmer le monde sans cela. Ainsi maintenant si on voit que les meschans se peuvent glorifier d'avoir la clarté avec nous, qui plus est si on voit qu'ils ont la vogue, et que les povres enfans de Dieu sont foulez au pié, qu'ils sont molestez, et exposez en opprobre et qu'à grand peine ont-ils à manger bien maigrement: si, di-ie, on voit cela, il le faut porter en patience. Et pourquoy? car la clarté sera ravie en la fin aux meschans. Il est dit aussi, Que le bras eslevé sera rompu. Par le bras eslevé, Dieu signifie la puissance et le credit qu'auront les meschans on ce monde, d'autant qu'il leur permet la vogue, et fait cela pour exercer les siens: car il nous est besoin d'estre mattez. Si nous avions les choses à nostre appetit, nous ne saurions plus que C'est de porter le ioug de Dieu. Il faut donc que nous passions parmi ces troubles et confusions qu'on voit. Et puis c'est pour esprouver nostre foy. Car si maintenant nous avions un paradis au monde, où seroit nostre esperance' Nous ne pourrions pas estre incitez à cercher la vie spirituelle: voire, combien que nous soyons si miserables que rien plus, encores ne pouvons nous sentir qu'il y a une meilleure condition à desirer: et que seroit ce au pris si nous avions ici tout à souhait? Ainsi donc il est besoin que Dieu nous solicite pour cercher son royaume: et voila pourquoy il permet ainsi la vogue aux meschans, et qu'ils ont le bras eslevé. Il est vray que ceste tentation est bien dure et fascheuse, quand nous voyons les meschans estre ainsi comme seigneurs et maistres du monde: et d'où vient cela sinon que Dieu leur a tendu la main, et qu'il les a ainsi voulu magnifier? Voila donc comme les povres infirmes seroyent troublez: mais contentons nous de ce qui est ici dit, que les bras robustes seront cassez et rompus en la fin. Et ainsi donc toutes fois et quantes que nous voyons les meschans dominer en orgueil et cruauté, que nous voyons qu'ils s'eslevent en leur credit: recourons a ceste doctrine qui est pour nous consoler: c'est assavoir sue si auiourd'huy ils ont le bras sur nous, et qu'il semble qu'ils nous doivent rompre les testes, Dieu les saura bien briser et desrompre. Et pourtant attendons patiemment que Dieu accomplisse ce qu'il a prononcé: et nous n'en serons point frustrez, moyennant que nous ayons nos esprits paisibles pour donner lieu à sa providence: car il cognoist les temps opportuns de besogner, et ce n'est point à nous de luy rien determiner.

Au reste, les meschans doivent bien ici penser à eux. Il est vray que ceste doctrine doit principalement servir aux fideles pour leur consolation: afin qu'ils soyent soustenus au milieu de leurs adversitez

386

et oppresses, quand on les moleste, qu'on les outrage. Qu'ils reduisent donc lors en memoire, qu'il faut que les bras des meschans soyent eslevez pour un temps, iusques a ce que Dieu les rompe. Mais si est-ce que le sainct Esprit a voulu aussi bien menacer les meschans d'autant qu'on les voit ainsi enragez, et qu'il leur semble qu'ils pourront faire monts et merveilles. Dieu nous dit en un mot, Attendez que les bras qui sont maintenant eslevez soyent rompus: et il faudra que cela adviene. Ne voulons-nous point donc avoir Dieu pour nostre ennemi et pour partie adverse? N'eslevons point nos bras: c'est à dire ce les estendons point (comme l'Escriture parle) à faire outrages: ne taschons point de malfaire, ou nuire à nos prochains: mais qu'en toute modestie chacun regarde ce qui luy est permis: retenons nos bras tellement qu'ils soyent reglez par la parole de Dieu, que nul n'attente outre sa vocation. Quand nous y procederons ainsi, Dieu nous donnera tousiours force nouvelle: et encores que nous ayons les bras lasches, nous serons fortifiez de luy en la fin: comme aussi il est dit, Que la doctrine de l'Evangile doit servir à cela, c'est de nous fortifier quand nous serons debiles: mais quiconque haussera le bras, o est à dire, qui voudra entreprendre outre sa mesure, il faudra en la fin que Dieu le rompe: car il est ennemi de tous ces grans entrepreneurs qui s'eslevent ainsi en fierté, et qui n'ont nulle modestie en eux. Voila donc quant à ce poinct.

Or il est dit puis apres, Es-tu parvenu iusques aux gouttes de la mer? Le mot dont use ici Dieu, emporte larmes: car il vient de Pleurer. Si on translate, iusques aux grandes profonditez de la mer, le mot y convient aussi bien. Mais cependant il nous faut noter ceste similitude: C'est assavoir, que Dieu entend que les sources qui sont aux abysmes, soyent comme les larmes. D'où est-ce que vient ceste abondance infinie d'eau en la mer sinon qu'il y a les gouttes qui sont là, et de là descoulent les eaux? Or ceste abondance-là est comme les larmes. Et defait les fontaines sont appellees comme yeux de la terre: car tout ainsi que les yeux pleurent à un homme, aussi la terre distille l'humidité. Dieu donc en ce passage use de ceste similitude, et dit, Vien-çà es tu entré iusques au profond de la mer pour esplucher les gouttes qu'elle iette? C'est à dire, Es-tu parvenu iusques aux abysmes pour voir les eaux qu'elle distille? et pour savoir d'où vient ceste abondance qui se voit, et en laquelle tu es confus?

Or pour mieux confermer cela il adiouste, As-tu vue? les portes de la mort, et as-tu contemplé les portes d'ombre mortelle? ici;, et en ce qu'il adioustera apres, de ceste grande estendue ou largeur de la terre en somme il veut signifier, qu'aux

SERMON CXLIX

387

choses les plus patentes et prochaines de nous, encores nos sens sont trop petis et trop foibles pour comprendre ce qui y est: et qu'il nous faut confesser, en despit de nos dens, que Dieu nous monstre des miracles qui sont pour nous ravir par dessus toute nostre apprehension. Si donc nous sommes contraints de confesser qu'il y a une telle sagesse en Dieu, voire quant à ses oeuvres qui nous sont patentes, et qu'il nous monstre quasi au doigt: que sera-ce de ce qui nous est caché, et qu'il se reserve iusques au dernier iour? comme quand il permet, ou ordonne beaucoup de choses en ce monde qui nous semblent estranges et cachees, et où nous ne voyons point de raison: car cela est de ses conseils spirituels. Que voulons-nous dire? Si nous ne pouvons comprendre les choses qui sont ici comme à nos pieds, et sur lesquelles nous marchons: s'il est ainsi, di-ie, que nous n'y puissions mordre, que sera-ce de ce qui est par dessus les cieux, et qui surmonte toutes creatures, et l'ordre commun de ce monde? Voila donc en somme quelle est l'intention de Dieu. Or apprenons maintenant quand nos esprits sont trop fretillans pour iuger par dessus ce qui ne nous est point licite: apprenons, di-ie, de penser à la mer, et aux lieux profonds des eaux, pour dire, Or ça povre creature que veux-tu faire? Il est dit (Pseau. 36, 7), que les conseils de Dieu sont des abysmes si profonds que l'homme n'y peut parvenir: et ces abysmes-là surmontent de beaucoup ceux de la mer. Pourrois-tu seulement espuiser une riviere, pour voir d'oh les eaux sourdent? Mesme tu ne pourrois pas comprendre que C'est de la source d'une petite fontaine, de laquelle toutes fois sortira une grande riviere. Quand tu auras bien consideré, tu ne saurois pas espuiser une riviere ou une fontaine: comment donc pourrois-tu entrer iusques aux gouffres de la mer, pour savoir deduire par le menu d'où procede ceste abondance d'eau, qui est là amassee? Or maintenant quand tu ne comprens point une chose materielle: comment oses-tu venir plaider contre ton Dieu, et avoir une temerité et presomption si grande de repliquer contre ton Iuge, et le vouloir assuiettir à toy, Voila ce que nous avons à noter sur ce passage. Il est vray que ceste doctrine nous semble vulgaire: il n'y a celuy qui ne l'entende. Mais quoy? En faisons-nous nostre profit? Or voyons-nous comme chacun se donne congé et licence de iuger follement des oeuvres de Dieu. Et pourquoy? Pource que nous n'avons point cognu nostre petitesse: et que nous n'avons point d'autre costé iamais apprins que Dieu nous veut tenir en humilité, afin que nous ne presumions rien de nous, quand il nous en donne de tels enseignemens ici bas. Il n'est point question de

388

monter par dessus les nuees pour cognoistre la maiesté incomprehensible de nostre Dieu: baissons seulement les yeux, regardons à nos pieds (comme i'ay desia dit) et nous voila confus. Comment serace donc, que nous pourrons entrer au conseil estroit de Dieu pour savoir tout, et que rien ne nous eschappe? Or nostre nature sera plustost de descendre en bas, que de monster. Qui est-ce donc qui nous a donné les ailes pour voler si haut? Mais nous sommes si pesans que nous tombons tousiours sur terre: et toutes fois si nous regardons mesmes ici bas, voila les abysmes qui nous engloutissent. Et comment donc monterons-nous au ciel, afin de nous enquerir de ce que Dieu a là enclos? Et ne faut-il point qu'il y ait une merveilleuse outrecuidance, voire qui viene d'un oubli? Car si nous avions une seule goutte de sens rassis, il est certain que nous apprendrions plustost d'estre modestes.

Voila donc comme caste doctrine n'est point superflue: voire, si elle estoit bien pratiquee des hommes. Mais pour conclusion apprenons que Dieu nous a fait une grace singuliere, quand en l'infirmité de nos entendemens, et en nostre rudesse il nous à donné beaucoup mieux que la veuë des abysmes. Pourquoy? car il nous a fait contempler au miroir de son Evangile les secrets du ciel, tant qu'il nous estoit expedient. Or ie di entant qu'il nous estoit necessaire: car il n'est pas question de suivre nos appetits fols et desbordez: mais contentons nous de la revelation que Dieu nous donne (et ne soyons point curieux pour nous enquerir outre sa parole) contentons nous qu'il nous illumine par son sainct Esprit, afin que nous puissions iuger de ses oeuvres comme il appartient. Et quand nous en ferons ainsi, alors sera accompli ce que disoit Moyse, Ne dites plus, Qui est-ce qui descendra iusques aux abysmes? Qui est-ce qui montera par dessus les nuees? Qui est-ce qui passera la mer? Voici la parole est en ta bouche, et en ton coeur: contente toy. Ainsi donc quand Dieu nous fait ce privilege, de nous instruire en son escole de toutes choses qu'il cognoist nous estre profitables: c'est autant comme s'il nous faisoit passer outre mer, comme s'il nous faisoit entrer aux abysmes, comme s'il nous eslevoit par dessus les nuees, bref, qu'il nous fist entrer iusques en son giron. Que demandons-nous plus? Contentons nous donc de la cognoissance qu'il lui plaist nous donner maintenant par sa parole, et par la doctrine de son Evangile: attendans qu'il nous en donne plus ample revelation: qui sera quand il nous fora voir face à face ce que nous voyons maintenant en partie.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc..

IOB CHAP. XXXVIII.

389

LE CENT CINQUANTIEME SERMON

QUI EST LE IV. SUR LE XXXVIII CHAPITRE.

18. As-tu consideré les lieux spacieux de la terre? declare si tu cognois tout cela. 19. Quelle est la voye, où habite la lumiere, et ou est le lieu des tenebres, 20. An que tu la reçoives en ses bornes et que tu entendes les sentiers de son domicile 21. As-tu cognu devant que tu fusses nay, combien tes iours seroyent en grand nombre? 22. Es-tu entré es thresors de la neige? As-tu veu aussi les thresors de la gresle, 23. Que ie retien pour le temps de l'adversité, et pour le iour du choc et de la bataille? 24. Par quelle voye est divisee la lumiere et est le vent d'Orient espars sur la terre? 25. Qui est celuy qui a divisé le cours de la pluye, et la voye pour l'esclair des tonnerres, 26. Pour faire pleuvoir sur la terre en laquelle n'y a personne, et sur le desert auquel n'y a nul homme,. 27. Pour remplir le lieu sauvage et hideux, et pour faire produire le ietton de herbe? 28. Qui est le pere de la pluye? ou qui a engendré les gouttes de la rosee? 29. Du vendre duquel est sortie la glace? et qui est celuy qui a engendré la bruine du ciel? 30. les eaux se cachent comme la pierre, et la face de l'abysme se retient. 31. Pourrois-tu restraindre les delices des Pleiades, et deslier les empeschemens d'Orion? 32. Pourrois-tu faire sortir les Mazaroth en leur temps? conduirois-tu aussi Arcturus avec ses fils?

Combien qu'il semble que les propos qui sont ici recitez ne soyent que trop cognus: quand nous aurons regardé à tout, un chacun iugera qu'il est besoin que nostre outrecuidance soit reprimee, non point d'un seul mot, mais par longues remonstrances, telles que Dieu les fait ici. Car combien que nous ayons confessé que nos esprits sont par trop debiles pour comprendre les oeuvres de Dieu: tant y a qu'il ne faudra que tourner la main pour nous induire à quelque folle curiosité et presomption: et ceste hardiesse-la est comme une rage qui nous precipite. Et ainsi ne trouvons point nouveau qu'icy nostre Seigneur use de si longs propos, afin de nous faire sentir que ce n'est point à nous de iuger de ses oeuvres: qu'il suffit bien que nous les cognoissions eu partie selon nostre rudesse, et qu'il nous en donne quelque goust. Et voila comme nous retiendrons à nostre profit ce qui en sera touché.

Or maintenant regardons ce qui est ici dit. Il est parlé de la terre, et Dieu demande, si l'homme la pourra mesurer. Or il y a double mesure de la terre. L'une c'est, de savoir quelle estendue a

390

le monde qui est habité: et cela se peut aucunement comprendre par coniecture. Il y a aussi toute la terre en soy-mesme, en comprenant la partie mesme qui est couverte de la mer, tellement qu'elle n'apparoist point: et il est impossible de iuger de ceste grandeur. Et mesmes encores le cas posé qu'on peust determiner du tout: si est-ce que les hommes apres avoir cognu un tel miracle se devroyent esbahir, et glorifier l'ouvrier. Ainsi donc ce n'est point sans cause que Dieu demande si nous avons mesuré la terre, et si nous le pouvons faire. Or tant y a, qu'il est impossible: car du monde habitable, comme i'ay desia dit, encores en a-on quelques argumens: pour savoir et quelle longueur il y a et quelle largeur: mais si on parle de toute ce te masse et de tout le corps, il est impossible d'en venir à bout, pour dire qu'on cognoisse l'estendue. Il n'y a donc esprit humain qui parviene iusques là Et que sera-ce donc de vouloir enclorre la maiesté de Dieu et son conseil en nos esprits? Il est dit, que Dieu tient la terre, comme si i'avoye trois ou quatre grains de poudre en la main: il ne faudra point que i'ouvre la main pour cela: ie clorray le poing, et ie tiendray ceste poudre là dedans. Dieu use de ceste similitude-la par son Prophete Isaie (40, 12), monstrant que quand nous parlons de luy, ou que nous y pensons, il ne faut pas le mesurer selon ce qui nous apparoist: car la terre nous sera infinie: et cependant si est-ce qu'il la tiendra enclose en son poing, c'est à dire, il n'y a nulle proportion entre ceste essence incomprehensible, ceste gloire inestimable qui est en luy, et tout ce gros amas de la terre: ce n'est rien au pris.

Voila donc maintenant ce que nous avons à observer en ce passage: c'est quand nous pensons que la terre a si grand estendue que nos esprits y defaillent: qu'il faut bien que nous cognoissions que celuy qui la tient, ou la pourroit tenir en son poing ait une autre grandeur en soy: qu'il ne nous reste donc sinon que nous confessions nostre foiblesse, et que nous sommes par trop rudes et grossiers. Sur cela, que nous l'adorions, et que nous confessions, que tout ce qu'il fait, est en telle perfection qu'il n'y a que redire: et que ce n'est point à nous de repliquer à l'encontre, d'autant que nous sommes par trop ignorans. Voila donc ce que nous avons à retenir en somme de ce qui est ici dit.

SERMON CL

391

Il est parlé quant et quant, du chemin de la clarté, et puis des tonnerres, des esclairs, comme desia il en avoit esté fait mention. Mais ce n'est point sans cause que ce propos est reiteré: car (comme hier nous vismes) si tost que l'aube du iour sera sortie voila tout le monde esclairé par tout: et les ailes de la terre, c'est à dire, les extremitez sont descouvertes, tellement que la terre prend forme nouvelle: et cela se fait en une minute. Quand donc un tel miracle nous apparoist devant les yeux, n'est-ce pas raison que Dieu en soit glorifié? Et si nous voulons ici faire des habiles gens; ne meritons-nous pas que nostre outrecuidance soit punie, et que Dieu se mocque de ce fol appetit que nous avons de comprendre ce qui nous surpasse? Par quel chemin est-ce que doit marcher la clarté? Est-ce à nous de luy determiner? Si nous luy baillons son chemin et de long et de large, comment sera-il possible que nous venions outre toute ceste masse de terre, et parvenions iusques au bout du monde? Quelle audace furieuse sera-ce, quand nous presumerons de vouloir iuger par dessus les oeuvres admirables de Dieu: veu que nous ne pouvons pas comprendre comme cela se fait, que la clarté soit si tost espandue, quand elle a prins possession au nom du soleil pour dominer sur le iour? Ainsi donc apprenons en toutes creatures, de tellement exalter Dieu en sa grandeur et hautesse de ses oeuvres, que de nostre part nous soyons comme bridez, cognoissans nostre petitesse, afin de nous rendre humbles devant luy. Car voila comme les hommes attribueront a Dieu l'honneur qui luy appartient: c'est quand ils ne se veulent nullement glorifier, ne rien entreprendre par dessus luy. Car i'auray beau magnifier Dieu: et cependant si ie veux estre comme son compagnon, où sera-ce aller? Nous ne pouvons faire plus grande iniure à Dieu, que de nous accomparer à luy ou bien le vouloir attirer à nous, pour dire qu'il soit nostre esgal et pareil. Iamais donc Dieu ne sera deuëment honoré par nous, sinon que nous soyons comme aneantis, et que nous confessions qu'il n'y a en nous que toute povreté. Voila ce que nous avons encores à retenir, quand il est ici fait mention de la voye qui retient la clarté, ou quand elle se couche, ou bien quand elle se descouvre au monde.

Il est dit puis apres, Que nul ne cognoistra les thresors de la neige, et de la gresle. Or ce n'est point seulement ici que Dieu use de telles similitudes de thresor: car quand il parle de tous les chastimens qu'il envoye aux hommes, il dit qu'il en a de terribles especes cachees en ses thresors, et qui nous sont incognues. Et ceste similitude emporte deux choses: elle emporte un grand amas (car on ne dira point qu'un thresor soit d'une

392

douzaine d'escus: il faut qu'il y en ait grande quantité) et puis un thresor est caché. Dieu donc signifie quand il parle des thresors de la neige, et de la gresle, qu'il y a des amas qui surmontent l'esprit humain, tellement qu'il nous en faut estre estonnez quand nous y pensons: et puis il denote aussi, que la cause nous est cachee. nous verrons bien les neiges et les gresles: mais cependant quand Dieu fait la neige et la gresle, y appercevons-nous rien? Savons nous comment cela se fait? Il est vray que les Philosophes en pourront disputer, on y verra quelques causes: mais ce n'est que quelque petite apprehension de l'ordre admirable que Dieu a mis en nature: cependant il a son conseil qui est retiré et plus eslongné, tellement que nous defaillons là nous entendons maintenant pourquoy Dieu parle ici des thresors de la neige et de la gresle. Or il reste de pratiquer ceste doctrine. Qui est celuy de nous qui pourroit faire une poignee de neige pas artifice? Qui est celuy qui convertira l'eau ou les vapeurs, en gresle ou en gelee? Que les hommes imaginent tout ce qui leur sera possible: en pourront-ils venir à bout? nous ne pouvons point faire un cheveu de nostre teste blanc ou noir Or puis qu'ainsi est, n'avons-nous point à magnifier la puissance inestimable de Dieu quand il couvrira du tout la terre de neige? Où est-ce qu'il prend une telle quantité d'eau? Il est vray qu'on dira, que cela se procree en ceste region moyenne de l'air qui est froide: et que quand il y a quantité de vapeurs, en la fin cela se gele, et s'assemble, et la neige s'en produit: et si telle quantité est plus serree, alors la gresle se fait pource que la chose est plus solide. On dira bien cela, et est vray: mais cependant n'est-ce pas une chose estrange, qu'en si peu de temps voila un tel thresor qui se descouvre qui avoit esté caché? En hyver quelquefois il fera beau temps et serein, au bout de trois iours voila de la neige qui tombe pour en avoir un pié ou deux de haut sur la terre. Et ie vous prie, un tel changement ne nous doit-il pas faire dresser les cheveux en la teste (voire si nous ne sommes stupides) afin de nous induire à quelque crainte de Dieu? Et au reste si nous avons une affection droite ne devons-nous pas estre incitez à porter une telle reverence à nostre Dieu, de cognoistre que sa vertu est si haute sur nous, mesmes en ces choses visibles et terrestres, qu'il nous donne occasion de le glorifier en confessant nostre ignorance? Voila donc ce que nous avons à retenir sur ce mot de thresor, pour le bien appliquer à nostre usage.

Et au reste qu'il nous souvienne de ce qui est dit au Cantique de Moyse (Deut. 32, 34), Que Dieu a ses chastimens cachez en ses thresors que nous ne comprenons point: afin que nous ne soyons

IOB CHAP. XXXVIII.

393

point esgarez: comme nous voyons que les hommes despitent Dieu souventesfois, se faisans à croire qu'ils sont eschappez de sa main: car quand il les aura delivrez de quelque mal, il leur semble que c'est fait, et ne font que secourre l'aureille, comme on dit. Qu'il nous souvienne de ceste remonstrance que Dieu fait, Cognoissez-vous les verges qui sont cachees en mes thresors, comme s'il disoit, Quand ie vous auray batu d'une sorte, et que i'auray apres eu pitié de vous: ce pensez point estre quittes pour cela: car i'ay d'autres moyens qui vous sont incompréhensibles. Quand vous aurez esté chastiez, il y a une douzaine de fleaux ausquels vous n'avez point pensé. Craignez moy donc, et prevenez mon ire, et ne me tentez point doresenavant, afin que ie ne desploye d'avantage de mes verges sur vous. Et voila pourquoy il est dit ici, Que Dieu? reserve ces thresors-la au temps de l'adversité, au iour du choc, et de la bataille. Comme s'il estoit dit, que ce sont ses artilleries, ses lances, ses espees, quand il veut combatre contre ses ennemis. Dieu usant de ceste comparaison de choc et de bataille, il n'y a nulle doute qu'il ne vueille signifier, que quand nous avons la guerre à luy, il est equippé en telle sorte qu'il faudra que nous perissions: car nous n'avons point force ne vertu pour resister à sa main. Nous aurons beau prendre les armes, et amasser toutes les aides du monde: qui est-ce qui pourra sortir de la main de Dieu quand il aura ainsi mis en combat toutes creatures, et qu'il leur aura commandé de veoir contre nous? Et ainsi apprenons en premier lieu, que Dieu n'a point de besoin d'emprunter aide, quand il se voudra venger de ses ennemis: c'est assez qu'il l'ait decreté en son seul conseil, qu'il dise le mot, qu'il monstre sa volonté: voila le ciel et la terre qui luy apporteront des armees infinies. Car tout ainsi qu'il couvrira la terre de neige iusques à un pié ou deux: et ne pourroit-il pas nous en accabler quand bon luy sembleroit? Pensons-nous que sa puissance soit amoindrie, qu'il ne peust envoyer la neige trente toises sur nos testes? Et puis nous verrons quelquefois la terre gelee, le vent l'a tellement serree quelle est comme de fer: et à quoy tient-il que Dieu ne la laisse tousiours ainsi?

Notons donc qu'il ne faut point que Dieu face de grans appareils pour combatre ses ennemis, et les mettre en desconfiture: seulement qu'il dise le mot, et voila tout le monde enflammé, il n'y aura creatures qui ne soit pour abysmer les hommes. Quand nous oyons cela, apprenons de nous renger sous la main de nostre Dieu: ne faisons point la guerre à un maistre qui est si puissant: car qu'y gaignerons-nous? Apprenons donc de luy obeir: car il faut que nous soyons soustenus de sa main ou bien qu'elle nous soit contraire: il n'y a point

394

de moyen. Il est vray que pour un temps Dieu nous supportera: comme il dit qu'il attend les hommes, estant quasi comme caché: mais si faut-il que nous soyons sous sa protection, ou bien qu'il nous soit ennmi, et que cela apparoisse en la fin. Avisons donc de nous renger à luy afin qu'il nous conserve, et que nous soyons sous sa conduite: et quand il sera gardien de nostre salut, que nous soyons asseurez et contre la gresle, et contre les tempestes. Et pourquoy? Car la gresle ne se produit point de soy, la neige ne tombe pas sans qu'il luy soit commandé: ce sont les thresors de Dieu. Quand il plaira, à un homme, il desployera les choses qu'il tient enserrees: ainsi en est-il de tontes creatures, que Dieu les met en avant selon sa volonté. Nous n'avons point donc à craindre la gresle ne les tempestes, quand Dieu nous aura en sa garde: mais à l'opposite il faut que nous soyons en inquietude et en torment continuel, si Dieu nous est contraire.

Et cependant notons ce qu'il dit, Qu'il reserve au iour du combat, a? iour de l'adversité. Comme s'il disoit, qu'il ne faut point que les hommes s'eslevent, comme ils ont accoustumé, quand Dieu ne les afflige point: car la prosperité nous endort tellement, que nous ne pensons point à nos fautes, nous n'entrons point en conte pour savoir comme nous en sommes avec Dieu: voire cependant que nous avons quelques trefves, nous sommes comme un mauvais payeur, et un homme qui dissipe tout. Car s'il n'est adiourné, et si son iour n'est venu, il ce luy en chaut qu'il doive cent escus: cependant qu'il y en aura un en la bourse, grand chere. Ainsi en sommes nous avec Dieu: s'il nous donne quelque delay, il n'est question que de nous esgayer, nous ne pensons plus à luy. Suivant donc ce qui nous est ici remonstré, quand Dieu n'envoyera point les gresles et tonnerres, et qu'il ne foudroyera point du ciel en une façon ou en l'autre: il ne faut point s'esgarer là dessus il ne nous y faut point endormir. Et pourquoy? Car il cognoist les temps oportuns de nous chastier. Prevenons donc: n'attendons point que ce iour de combat soit venu: car c'est bien tard quand les trompettes auront sonné à l'arme, et qu'on chocque, de dire alors, Appointons, avisons s'il y aura moyen: non, le temps n'est plus. Cependant donc que Dieu nous supporte, qu'il nous donne loisir de penser a nous, que nous avons comme trefves pour regarder à nous, pour entrer en iugement: que nous anticipions sa rigueur: soyons nos iuges, afin de n'estre point iugez de luy: condamnons nous, afin d'estre absous par sa grace et bonté infinie. Voila ce que nous avons à noter en ce passage, quand il nous est parlé de la reserve que Dieu fait au iour de la bataille: c'est pour nous monstrer, que nous avons guerre contre

SERMON CL

395

luy devant qu'il chocque: comme quand il y aura guerre declaree entre deux princes qui seront ennemis, il y aura bien des rancontres, comme on pille et saccage: mais la grand iournee determine de tout, on sait alors qui l'a perdu ou gaigné. Ainsi en est-il donc, quand nous offensons nostre Dieu, et que nous nous alienons de sa main, que nous luy sommes rebelles: voila lors une guerre toute declaree de nostre costé. Nous ne despitons point Dieu de bouche, nous ne luy envoyons point de heraut pour le défier: mais cependant d'autant que nos pechez procedent d'une rage furieuse, c'est luy denoncer la guerre. Or puis qu'il est nostre ennemi, qu'attendons-nous? Cependant il est vray que la bataille ne se donne point du premier iour, Dieu nous laisse-là, que nous demeurons sur nos pieds pour un temps: mais attendons qu'il faudra on la fin chocquer: et en l'attendant ne l'attendons point, c'est à dire premeditons cela de longue main, afin de ne croupir en nos pechez et iniquitez, et n'adiouster au fou de son ire du bois d'avantage pour nous faire consumer. Or savons-nous cela? Que nous avisions de bonne heure a nous, afin de luy demander pardon. Voila donc ce que nous avons encores à observer.

Vray est que Dieu punira bien les iustes comme les meschans, et par les gresles, et par les tempestes (car les afflictions sont communes a tous: ainsi qu'à l'opposite il fait luire son soleil sur les bons et sur les mauvais) mais tant y a qu'il nous faut tousiours estre persuadez (comme l'Escriture le porte) que ce sont verges de Dieu par lesquelles il veut corriger nos pechez quand il envoye et gresles, et tempestes, et choses semblables. Or les iustes cependant ont dequoy se consoler: car ils savent que Dieu les chastie d'une douceur paternelle afin qu'ils ne perissent point, comme sainct Paul en parle. les chastimens temporels nous doivent bien advertir de nos pechez (comme ils sont tesmoignages de l'ire de Dieu) mais tant y a que si nous cheminons en sa crainte, et que nous ayons nostre fiance en luy, il aura tousiours pitié de nous, et nous traittera en misericorde, et non point en rigueur: et combien qu'il nous corrige, ce sera neantmoins pour nostre profit et salut. Dieu donc monstre bien par signe exterieur qu'il fait la guerre à ceux qui le servent et cheminent en sa crainte: mais quoy qu'il en soit, le tout revient à leur salut, d'autant qu'il modere sa rigueur envers eux, et fait que les chastimens temporels leurs servent de medecine: combien qu'en general ce soyent corrections qui nous admonnestent de nos pechez, et nous monstrent quant et quant que nous avons fait la guerre à Dieu, et que nous meritons bien aussi qu'il bataille contre nous, et qu'il arme toutes creatures afin de nous ruiner.

396

Voila en somme comme nous devons pratiquer ce passage.

Or il est dit consequemment Que Dieu pleuvra sur les deserts où il n'y a nul habitant, et que la terre sera tellement arrousee qu'elle germera. En quoy tousiours ce propos est poursuivi, c'est assavoir que Dieu besongne mesmes en l'ordre commun de nature tellement que nous y sommes confus, et que nos sens y sont esblouis. Il est vray que nous verrons bien ce qui se fait, et mesmes nous en cognoistrons qui que raison: mais tant y a qu'apres avoir bien conté et rabbatu, si faut-il que nous concluons tousiours que la sagesse de Dieu nous est cachee (ie di en toutes ces choses patentes) et qu'il y a quelque cause qui est par dessus nous, et là où nous ne pouvons parvenir. Il nous faut donc tousiours revenir à ce poinct-la pour bien comprendre ce qui est ici contenu. Nous verrons la pluye venir: or en somme nous cognoistrons que la pluye se procree par vapeurs: mais quand nous voyons que la pluye fait germer la terre, et que les deserts mesmes où il n'y avoit point d'habitans verdoyent ainsi, nous avons bien dequoy nous esbahir. Un homme sera bien empesché en un iardin pour l'arrouser: et quelque chose qu'il y travaille, et mette peine, si n'en pourra-il venir à bout, si ce n'est que Dieu donne influance du ciel. Tous les arrousemens du monde ne seront rien sinon que la pluye tombe du ciel, ou la rosee: cela aura plus de vertu, que toutes les eaux qu'on pourroit amener par artifice. Quand donc nous voyons les deserte verdoyer, en cela Dieu nous veut monstrer par quelques certaines marques, que c'est de la pluye qu'il envoye. Car en un petit iardin un homme ne cesse d'arrouser, il aura puis apres la playe et la rosee, tellement que les choses y croistront à veuë d'oeil: mais voila un desert qui auiourd'huy est bruslé, il n'y a personne qui l'arrouse, la terre est seche de soy: cependant Dieu par la pluye fera là venir abondance d'herbes et de foin. Quand nous voyons une telle chose, d'autant plus que Dieu se declare privement à nous, nous avons iuste raison de le glorifier: et ne le faisans pas, nous ne saurions excuser nostre ingratitude en façon que ce soit. N'est-ce pas grand chose que nous voyons à l'oeil les miracles de Dieu (il nous les monstre au doigt: c'est une chose qui ne se voit point seulement une fois en la vie, mais tous les iours il recommence) et cependant nous n'y pensons point droitement? Nous foulons l'herbe an pie: et nous ne daignons pas ietter l'oeil iusques la pour dire, Benit soit Dieu qui fait ainsi fructifier la terre. Au reste que nous avisions quant et quant à nostre rudesse et stupidité. Ie ne puis point dire comme un brin d'herbe se procree: ie voy cela, à l'oeil mais la cause m'est tellement cachee que i'y suis

IOB CHAP. XXXVIII.

397

confus: ie voy qu'un grain de blé estant pourri, germe, et qu'il apporte quantité de grains pour la nourriture des hommes. le voy toutes ces choses: et ne sont-ce point autant de miracles de Dieu? mais cependant ie n'y pense point comme ie devroye. Il est vray qu'on penseroit de primeface que ceste doctrine est superflue, et qu'il n'est ia besoin de traitter comme le blé croist, et l'herbe. Car chacun ne voit-il pas cela? Et n'en sommes-nous pas assez avisez? Ouy bien: mais qui est celuy cependant, qui rende à Dieu l'honneur qui luy est deu? Entant qu'en nous est, n'obscurcissons-nous point sa gloire et sa maiesté? Et ainsi ceste cognoissance que nous cuidons avoir, nous rendra tant plus coulpables, d'autant que nostre ingratitude se monstre en cela.

Or quoy qu'il en soit, retenons tousiours, qu'aux choses les plus basses il y a une sagesse de Dieu incomprehensible. Nous aurons beau dire que cela est cognu de grans et de petis: mais si on vient iusques à la cause souveraine, on trouvera que les plus sages y sont confus: et d'autant plus qu'ils voudront monstrer leur subtilité, Dieu se vengera de leur arrogance, comme c'est bien raison aussi qu'il nous face sentir combien ses oeuvres sont merveilleuses, et quand nous en avons quelque cognoissance, que cela n'est qu'en partie, selon qu'il luy plaist nous en distribuer: et qu'il se reserve tousiours (comme il a esté dit) quelque partie à soy: voire tellement qu'il a les causes occultes et cachees en son conseil, ausquelles il ne nous faut point maintenant presumer d'entrer. Et c'est une belle doctrine de savoir ainsi discerner entre ce que Dieu nous revele, et ce qu'il retient vers soy, comme aussi Moyse en parle. Nostre Dieu, dit-il (Deut. 29, 293, a ses secrets pour soy: les revelations sont à nous, et à nos enfans, selon qu'il est contenu en la Loy. Il est vray que Moyse parle là de la Loy qui avoit esté publiee, comme s'il disoit, Pensons à nous : car Dieu nous a fait un bien singulier, quand il luy a pleu nous declarer sa volonté, et nous donner instruction propre pour cheminer selon qu'il nous le commande. Recevons donc ce tesmoignage ici, souffrons que Dieu face office de maistre entre nous, et que nous luy soyons bons disciples: et cependant laissons-luy ses secrets, dit-il, c'est à dire, contentons-nous de la doctrine qu'il nous a proposee: que ce soit là nostre mesure, et ne passons point plus outre. Pourquoy? Car nostre Seigneur a ses secrets: et les revelations, dit-il, sont seulement à nous. Nous pouvons cependant appliquer ce passage à ce qui est ici deduit. Pourquoy? Car en l'ordre de nature nous voyons ce que Dieu nous declare. Or cela n'est qu'une portion: car il nous veut tousiours tenir en bride, monstrant que nous sommes trop rudes et

398

trop petis, pour monter si haut que de cognoistre tous ses secrets. Ainsi donc prenons ceste instruction que Dieu nous donne, et faisons en nostre profit: et au reste n'allons point plus outre. Voila une admonition bien propre, attendu d'un costé la nonchalance qui est aux hommes, et de l'autre costé leur folle presomption: car si Dieu nous veut cacher ses secrets, il semble qu'en despit de luy nous appetions de les savoir. Ne voit-on pas quelle convoitise il y a aux hommes de cognoistre ce qui ne leur est point revelé? O ie voudroye savoir ceci et cela, et ils font tous leurs efforts d'entrer en dispute. Et de quoy? de ce qui leur est caché en l'Escriture saincte. Voila en quoy les hommes ont tousiours le plus travaillé, de savoir ce que Dieu ne leur a point voulu enseigner, cognoissant qu'il n'estoit pas bon. Nous voyons donc ceste presomption enragee aux hommes, de vouloir concevoir en leurs cerveaux ce qui ne leur est point permis, et entrer au; secrets de Dieu maugré qu'il en ait.

Or d'autre costé il y a ceste nonchalance à apprendre ce qu'il nous enseigne. Dieu nous declare sa volonté, entant qu'il nous est bon: il nous masche la viande, afin que nous la puissions avaller pour ce qu'il cognoist que nous sommes debiles il nous enseigne privement selon nostre nature Voila l'Escriture saincte qui est une revelation si claire, que rien plus: la bonne volonté de Dieu quant et quant y apparoist: quand nous y appliquerons nostre estude nous y trouverons tout ce qui est requis pour nostre salut: car Dieu s'accommode là à nostre rudesse, il parle familierement avec nous: mesmes il beguaye (par maniere de dire) comme feroit une nourrisse avec ses petis enfans. Mais nous ne sommes point soigneux de profiter et suivre. Et ainsi voyans que nous sommes si lasches et si nonchalans de profiter en l'Escriture saincte: et que cependant nous avons ceste curiosité, ou plustost ceste folie enragee, de vouloir savoir plus qu'il ne nous appartient: retenons ce qui nous est declaré par Moyse: le Seigneur nostre Dieu a ses secrets: que nous n'enquerions point de ce que Dieu ne nous a point voulu reveler: contentons nous d'estre ici enseignez par le moyen qu'il a ordonné: et cependant laissons à Dieu ses secrets, n'attentons rien par dessus: glorifions-le, sachans que nous le sommes point encores parvenus à ceste perfection-la de le contempler face à face: mais qu'il faut que nous soyons transfigurez premierement en son image, ce qui ne sera point en perfection, iusques à ce qu'il nous ait despouillez de toutes nos imperfections charnelles.

Ainsi donc retenons en somme, que quand nous aurons gousté la sagesse de Dieu, et sa iustice, et sa bonté en toutes ses creatures, il faut conclure

SERMON CL

399

que nous ne parvenons point iusques au degré souverain, que nous defaillons au milieu du chemin: et que par cela nous soyons advertis, de l'adorer, et nous assuiettir du tout à luy. Or apres qu'il a esté fait mention de la terre, des abysmes, et des eaux, des neiges, et des choses qui se procreent en l'air, des pluyes qui arrousent: il est parlé quant et quant du ciel et des estoiles. Ici nostre Seigneur derechef met ce que nous avons veu par ci devant, c'est assavoir qu'en l'ordre du ciel on cognoistra plusieurs tesmoignages de sa bonté et de son amour envers les hommes: on cognoistra aussi les signes de son ire, quand il luy plaist de nous visiter pour nos pechez, et nous faire sentir qu'il est nostre Iuge.

Voila pourquoi il dit notamment. Vien-ça, estois-tu né quand i'ai creé les planettes, et les autres estoilles, et tous les signes du ciel? Estois-tu là? Et maintenant leur peux-tu commander qu'elles aillent et qu'elles viennent, peux-tu restraindre les delices des Pleiades, et peux-tu soudre (ou deslier) les empeschemens d'Orion? Il y a ici quelques signes du ciel nommez, dont mesmes les Hebrieux ne s'accordent point: mais tant y a qu'on peut voir que le premier mot qui est ici mis signifie quelques estoilles qui apparoissent au printemps, et amenent une pluye gracieuse, qui est pour ouvrir la terre, et la faire fructifier. Pour ceste cause il est dit, Pourrois-tu lier ou empescher les delices des Pleiades qui sont cause que la terre commence à verdoyer? Pourrois-tu resister, que Dieu n'envoye le temps delectable aux hommes pour les resiouyr? pres il y a Orion, qui est un signe tout contraire, qui amene grandes impetuositez et orages. les autres l'interpretent Arcture, qui est nommé un gardien des choses qui se peuvent resserrer, des vapeurs qui s'eslevent en l'air. Mais il n'est ia besoin de s'arrester là dessus par trop, il suffit que nous sachions que s'est un signe qui emporte grandes tempestes et orages. Il est donc dit, Pourrois-tu deslier ces empeschemens-là? comme s'il estoit dit, que nous n'avons nul gouvernement au ciel: et mesmes qu'il nous faut estre ravis en estonnement quand nous y pensons. Or en premier lieu notons de ce passage, que les hommes sont admonnestez de la brefveté de leur vie: et c'est pour les reprimer quand ils se veulent esgayer par trop. Car qui pensons-nous estre? grand peine sommes nous nez: et cependant nous voudrions condamner Dieu en ce qu'il a fait. Voire? Et lui apprendrons-nous sa leçon, comme s'il ne savoit que c'est de gouverner le monde? Qui estions-nous, quand toutes choses ont esté créées? quand un tel ordre et si admirable se maintient: avons nous esté en son conseil pour lui aider? Il n'y a rien en nous, tellement qu'à grand peine sommes nous sortis du

400

ventre de la mere: et toutes fois nous voulons estre ses iuges. Il feroit beau voir qu'un petit enfant qui à grand peine sauroit parler, voulust gouverner tout le monde, et que lui seul s'attribuast conseil et prudence. Et qu'est-ce de nous en comparaison de Dieu? Encores que nous soyons venus à quatre vingts ou cent ans, et qu'est-ce d'un tel terme au prix de ceste sagesse eternelle de Dieu, qui est devant que le monde fust creé? Et puis, qu'est-ce de ce gouvernement qui a duré si long temps? Et ainsi toutes fois et quantes que nous pensons à la brefveté de nostre vie, sachons que par ce moyen Dieu nous rabbat nostre orgueil: afin que nous ne pensions point estre si sages de vouloir disputer contre lui. Et c'est la premiere et la principale leçon que nous avons à apprendre en l'escole de Dieu. Et bien, il est vrai quand nous y aurons profité, que nous avons bien dequoi nous glorifier: mais encores n'avons nous rien qui nous appartienne: et pourtant contentons nous cependant que nous conversons en ce monde d'escouter Dieu parler, et retenir ce qu'il nous declare pour y profiter de plus en plus. Mais au reste n'attentons point de nous eslever contre lui: car quand il D'y auroit que ce mot que nostre vie n'est rien, n'est-ce point assez pour nous tenir en humilité et modestie? Voila ce que nous avons à retenir d'un costé. Mais cependant nous avons aussi ù recueillir une bonne consolation: c'est quand nous voyons que Dieu a conservé le monde en son estat si long temps, devant que nous fussions nez, que nous ne doutions point qu'il ne prouvoye pour l'advenir. Pourtant aussi quand nous aurons une trop grande solicitude qui nous tormente, et nous solicite de ceci ou de cela, remettons nous en la main de Dieu: car il sait que c'est de gouverner, il n'est pas nouveau mesnager. Ainsi donc quand nous contemplerons est ordre qui a duré depuis la creation du monde, et que quelques changemens qui soyent advenus, on cognoist que tout a esté si bien disposé, que le monde s'est conservé en son estat: quand, di-ie, nous aviserons bien à cela, nous aurons matiere de glorifier Dieu, d'autant que sa iustice, bonté, sagesse, et vertu y sont apparues. Contentons nous de cela, et sachons qu'il continuera aussi bien iusques en la fin, comme il a commencé. Voila ce que nous avons à observer.

Et derechef quand il est parle de commander aux signes du ciel, notons tousiours qu'il est impossible que cest ordre comme nous le voyons vienne ni des estoiles, ni d'un autre mouvement, sinon que la main de Dieu gouvernast par dessus. Et ainsi combien que les estoiles ayent leurs saisons pour s'eslever par dessus nous, et puis qu'elles se cachent: sachons toutes fois que cela ne vient point d'aventure, que c'est Dieu qui commande,

IOB CHAP. XXXIX.

401

que combien qu'il leur donne leurs influences celestes, cependant neantmoins il a le maniement par dessus. Et qu'ainsi soit, les planettes se mouvent tous les ans: et si est-ce qu'on y voit une grande inegualité. Qui est cause qu'au printemps la terre germe? C'est pource que les Pleiades regnent: non pas toutes fois que Dieu ne domine par dessus: car combien qu'il ait donné aux signes du ciel leur influence, Si est-ce qu'ils ne font rien de leur propre mouvement. Car autrement que seroit-ce? Nous verrions les printemps en mesure esgale: c'est à dire, il ne feroit iamais ne plus froid ne plus chaud, il ne tomberoit iamais une goutte de pluye plus en une annee qu'en l'autre, il n'y auroit iamais d'autres revolutions. Mais quand il y a une telle diversité, que nous voyons que les annees sont diverses, alors nous cognoissons que les pluyes ne les neiges ne se procreent point d'elles-mesmes: mais que c'est Dieu, combien qu'il ait donné quelque proprieté aux estoilles, qui ce reserve tousiours la bride par dessus, et qui nous declare que c'est lui qui en a le gouvernement souverain, et dispose le tout comme il cognoist qu'il est expedient. D'autant plus donc nous faut-il noter ces passages, là où Dieu nous declare que les estoilles, combien qu'elles ayent leur cours naturel, et leur proprieté, toutes fois ne vont point d'elles mesmes, et ne sont point poussees de leur propre vertu, et ne donnent point influence au monde, sinon d'autant que Dieu leur commande, et qu'elles obeissent à cest empire souverain qu'il a par dessus toutes creatures. Apprenons

donc de ne nous point amuser aux estoilles du ciel, comme si elles avoyent vertus d'elles-mesmes de nous faire du bien ou du mal: mais prions ce bon Dieu, quand il lui a pleu de faire servir ses creatures à nostre usage, qu'il nous face la grace d'en faire tellement nostre profit, que lui seul y soit glorifié. Et au reste quand nous verrons des tonnerres et esclairs, des tempestes et orages: que nous sachions puis que c'est lui qui commande, et s'en sert à son plaisir, que nous serons asseurez, moyennant que nous soyons en sa protection, ce qui sera, quand nous aurons tesmoignage qu'il nous a receus à merci, et qu'il nous tient pour ses enfans. Et au reste quand nous penserons aux oeuvres de Dieu, que ce soit avec une telle sobrieté et modestie, que nous apprenions de ne point nous enquerir par trop de la maiesté de Dieu: mais suffise nous d'estre enseignez selon nostre mesure et capacité. Et cependant quand il nous donne les revelations communes qui sont contenues en sa parole, ayons les yeux ouverts pour les considerer comme il faut, que nous dressions les aureilles pour escouter ce qu'il nous dit, que nous ne soyons point nonchalans on cest endroit. Mais quant à ce qui est trop haut et trop profond pour nous, que nous le laissions là, et que nous attendions le iour de la revelation pleniere à laquelle ce bon Dieu nous appelle, qui sera quand nous serons transfigurez on sa gloire.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc..

402

LE CENT CINQUANTE ET UNIEME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE XXXVIII. ET XXXIX. CHAPITRE.

33. Cognois-tu la voye du ciel, et mettras-tu seigneurie sur la terre? 34. Crieras-tu à la nuee à haute voix, à ce que l'abondance d'eau te couvre? 35. Envoyeras-tu les foudres? les feras-tu marcher, et te diront-elles, Nous voici? 36. Qui est-ce qui a mis la sagesse au coeur, et qui lui a donné l'intelligence? 37. Qui est-ce qui ordonnera en sa sagesse ce que le ciel doit faire? et qui est ce qui arrestera les barrils du ciel? 38. Quand la poudre s'amasse, et que la terre s'endurcist?

CHAPITRE XXXIX.

1. Chasseras-tu au lion la proye, et donneras-tu au lionceau pour se rassasier: 2. Quand ils sont en

leurs repaires, et qu'ils sont couchez en leurs cavernes, pour aguetter? 3. Qui est-ce qui appareille la viande aux corbeaux, quand les petits crient à Dieu, et errent sans manger? 4. Sais-tu le temps que les chamois enfantent, as-tu cognu l'enfantement des biches? 5. Pourras-tu savoir le temps de leur portee, et quand elles doivent enfanter? 6. Elles se courbent, et font departir leurs petis, et iettent hors leurs douleurs. 7. Leurs faons s'engraissent, ils croissent par le froment: ils sortent hors, et ne retournent point vers elles.

Ici le mesme propos qui a esté traitté ces iours passez est encores poursuivi: c'est que les

SERMON CLI

403

hommes ne comprennent point tout l'ordre de nature, mais plustost sont convaincus de leur rudesse: et par cela ils doivent estre admonnestez de s'humilier devant Dieu, et recevoir pour bon et bien fait tout ce qui procede de lui. Il est donc dit que les hommes ne cognoissent? oint les voyes du ciel: c'est à dire, qu'ils ne savent pas quel ordre s'y doit tenir: et cependant s'ils contemplent ce que Dieu a fait, ils doivent estre estonnez d'une sagesse si grande comme elle se demonstre là Si c'estoit à nous de bastir un ciel, par quel costé pourrions-nous commencer? S'il n'estoit question seulement que du corps d'une estoille ou d'une planette, en viendrions-nous à bout? Or il y a une si grande multitude d'estoiles, et puis la varieté quant et quant, et puis les distinctions et distances: il y a mesmes les planettes qui sont situees par ordre: tellement que la lune est plus prochaine de nous, le soleil beaucoup plus haut, et encores d'autres par dessus le soleil: et puis les estoiles du firmament qui tiennent le lieu souverain. Voila donc une telle varieté au ciel. Et qui seroit celui de nous qui pourroit deviser de cela, pour deduire par le menu tous les cours et ordres tels que nous les voyons? Et pourtant ce n'est point sans cause que l'Escriture dit, Que les estoilles sont comme armees celestes: car Dieu a là un equippage qui nous doit bien estonner. Puis qu'ainsi est, apprenons d'adorer Dieu, quand il nous monstre une sagesse infinie en ce que nous appercevons au ciel: cognoissons qu'il a besongné par dessus nostre portee, voire tellement que C'est une grande sagesse à nous de gouster en partie ce qui nous apparoist devant les yeux, c'est à dire d'en savoir la raison, et rapporter cela, à une droite fin. Or il s'en faut beaucoup quand nous prisons une chose, que nous la puissions faire. Si nous contemplons un chef d'oeuvre, nous serons contraints de magnifier celuy qu'il l'a fait (ie di entre les hommes mortels) ce n'est pas à dire pourtant que nous soyons habiles comme luy: mais au contraire ceste confession-la est un tesmoignage que nous n'y entendons rien au pris. Or venons maintenant à Dieu. Est-ce assez de le priser comme celuy qui aura fait un ouvrage excellent? Mais nous devons estre confus. Puis qu'ainsi est donc revenons à ce poinct, c'est de nous assuiettir pleinement à luy, et de n'attenter point par dessus nostre mesure, que nous ne soyons point iuges temeraires, comme nous avons accoustumé.

Il est dit quant et quant, Qui est-ce qui retiendra, ou arrestera, les barrils du ciel? es nuees sont ainsi appellees, et non seulement en ce passage, mais au Pseaume, pour nous faire sentir la vertu admirable de Dieu qui retient les eaux quasi contre leur nature. Car nous savons que les eaux s'escoulent, et d'autant qu'elles sont d'une nature

404

pesante, elles tombent bas. Or voila les eaux pendantes en l'air, et cependant elles s'arrestent. Et d'où vient cest arrest, sinon que Dieu les tient encloses comme dedans des barrils, ou des tonneaux ou des bouteilles? Car ce mot qui est ici mis signifie proprement une bouteille, ou une cruche d'eau. Voila donc les nuees qui sont comme les vaisseaux de Dieu: voire non point de bois ne de terre: sans qu'il y ait matiere aucune, il suffit que Dieu ait commandé aux eaux de se tenir là, et elles y sont arrestees. Or cependant il est monstré aussi, qu'il est bien besoin que Dieu serre ainsi le ciel, à ce qu'il ne pleuve pas tousiours. Car que seroit-ce? La terre seroit tousiours en un amas, on ne pourroit semer: tout ainsi au contraire, que s'il n'y avoit point de pluye la terre s'endurciroit, elle ne pourroit point fructifier, elle seroit là quasi de fer, qu'on n'en pourroit rien tirer. Or donc il est besoin que Dieu face pleuvoir en temps opportun, et qu'il reserve aussi quelque saison pour le beau temps. Nous voyons cela, nous sentons que C'est une chose digne d'admiration: cependant ne faut-il pas que nous soyons par trop pervers, de ne point glorifier nostre Dieu pour confesser que C'est à luy d'ordonner toutes choses, et d'en faire selon sa volonté, et que c'est à nous de recevoir pour bon et equitable tout ce qu'il aura fait, voire cognoissans la foiblesse de nos esprits? Car quiconque entreprend de murmurer contre Dieu, il se fait sage à l'opposite de luy. Si nous attribuons à Dieu la louange qu'il merite, confessans nostre ignorance, nous-nous garderons bien de iuger par dessus ses oeuvres. Et ainsi nous voyons à quoy tendent tous ces propos qui sont ici amenez.

Il est dit aussi notamment que ce n'est point à nous d'envoyer les foudres, ou les planettes, et autant des orages, pour en disposer tellement qu'ils nous disent, Nous voicy. nous aurons beau commander au soleil et à la lune: pourrons-nous les haster? pourrons-nous retarder leur cours d'une seule minute, ou l'avancer? Nenny. Quand donc nous voyons que Dieu par un seul mot qu'il a dit à la creation du monde, Ie veux que le soleil domine sur le iour, et la lune sur la nuict, et qu'il y ait saisons diverses, du printemps, de l'esté, de l'hyver, et du reste: quand donc par ce seul mot le ciel maintenant se conduit, et conserve cest ordre si bien reglé que rien plus: ne devons-nous point confesser, que c'est à Dieu qu'il appartient de gouverner tout, et que si nous ne trouvions bon ce qu'il aura fait, il y a un orgueil diabolique en nous, qui ne demeurera point impuni? Pesons bien donc ce mot quand il est dit, que nous ne pouvons pas envoyer les planettes, et les esclairs, et les foudres. Il est vray que Iosué a bien retardé le cours

IOB CHAP. XXXIX.

405

du soleil, Soleil que tu demeures en ton lieu, et que tu ne t'avances point: mais a-ce esté en sa vertu? Dieu plustost a monstre en la bouche d'un homme mortel combien vaut sa parole, et quelle vertu elle-a. Ce n'estoit qu'un son qui 6e pouvoit esvanouir en l'air que ce que Iosué a dit: mais pource qu'il le fait en l'autorité de Dieu, et qu'il n'attente rien de soy, il faut que le soleil obeisse. Si donc le soleil a obei à la voix d'un homme mortel pource que c'estoit le commandement de Dieu: quand Dieu en sa maiesté, en sa gloire, et en son essence eternelle a parle, et qu'il a ordonné le cours du soleil et de la lune, et tout l'ordre du ciel: n'estre pas une chose plus magnifique? Ainsi donc quand nous noterons bien ces mots pour en faire nostre profit ce sera afin d'exalter nostre Dieu comme il en est digne, et de nous assuiettir sous luy, et de luy estre pleinement suiets, et de tenir toutes nos pensees captives, afin que nous n'entreprenions point outre ce qui nous est licite, Et defait nous aurons beau nous ietter hors des gons contre luy, il est dit ici, les planettes, et les foudres ne diront pas, Nous voicy. Est-ce à nous que cela doit respondre? Quand les hommes auront voulu attenter plus qu'il ne leur appartient, qu'ils auront voulu se despiter contre Dieu, qu'ils se seront mesmes desbordez iusques à blasphemer: pourront-ils rien changer en l'ordre de nature? Pourront-ils faire craindre le soleil ou l'air, ou quelque partie du monde? Y aura-il creature qui s'en esmeuve? Dieu donc s'est mocqué de nostre folie et arrogance, quand il a parlé ainsi. Au contraire nous voyons que et le soleil et la lune, et toutes les estoilles luy disent, nous voicy: car sans parler elles font ce que Dieu leur a ordonné. Elles n'ont ni esprit ni intelligence: toutes fois il y a une inclination secrette qui les conduit pour executer ce que Dieu veut, et ce qu'il a prononcé en la creation du monde. Quand nous voyons cela, ne faut-il pas que nous ayons en admiration ceste maiesté à la quelle obeissent mesmes les creatures insensibles? Voila donc ce que nous avons à retenir sous ce mot.

Or il s'ensuit consequemment Que ce n'est point à nous de chasser la proye aux lions, et de repaistre les lionceaux iusques à les rassasier: de donner lieu aux corbeaux pour pasture: et de nourrir leurs petits, quand ils crient à Dieu. nous savons quelle mangerie il faut aux lions, et aux antres bestes sauvages: il ne leur faut point seulement trois morceaux pour les remplir, mais il leur faut nourriture grande, comme ce sont bestes qui devorent et engloutissent. Or maintenant qui est-ce qui leur donnera provision? Il est vray qu'un prince nourrira bien des lions pour plaisir, ou quelques autres bestes sauvages: mais qui est le prince qui

406

pourra fournir de vivres et de nourriture à tous les lions du monde? Or quand il n'y auroit que cela, que nous voyons que les bestes sauvages ont dequoy se nourrir, et principalement d'autant que Dieu les prouvoit: ne voila point un miracle suffisant pour nous inciter à recognoistre la bonté de Dieu? Mai nous contemplerons encores mieux l'intention de Dieu en ce passage, quand nous aurons regardé à nous. Qui empesche que les lions et autres bestes sauvages ne devorent tout ce qu'il y a d'hommes au monde? comment ne leur sommes-nous en proye? Si Dieu laschoit la bride aux lions, aux ours, aux elephans, et à toutes les autres bestes qui sont en nombre si grand et si divers: ie vous prie, ne serions-nous point bien tost exterminez? Qui est donc cause que les lions se rassasient, combien qu'ils ayent besoin d'une si grande nourriture, et que cependant le monde est conservé et demeure en son estat, sinon d'autant que Dieu y prouvoit et remedie? Comme aussi il est dit, que la clarté du soleil chasse du monde les bestes et les fait retirer en leurs cavernes: et les hommes ont lors liberté d'aller et de venir. Car si Dieu ne reserroit ainsi les bestes sauvages, et qu'il ne donnast la terre aux hommes pour traffiquer, et exercer leur labour, et que seroit-ce? Aurions-nous un seul anglet pour nous loger?

Voila donc ce qui entendu en ce passage: c'est assavoir que si Dieu ne donnoit pasture aux lions, toute la terre seroit tantost vuide d'hommes et que tout seroit perdu et ruiné, et qu'il faut bien qu'il y besongne ainsi, en sorte que nous soyons contraints de benir sa grace, d'autant qu'il a pitié de nous, et qu'il nous tient sous sa protection, que nous ne perissons point: comme il en adviendroit sinon qu'il eust un soin paternel de nous preserver. Vrai est quelquefois que les lions pourront bien devorer les hommes: et cela adviendra sur tout aux pays deserts, et en ces pays chauds où il y a plus de bestes sauvages: mais quand il advient, Dieu nous advertist que ce mal seroit universel sinon qu'il y prouveust. Car nous avons la dé beaux miroirs, quand nous voyons que les bestes sauvages mangent ainsi les hommes. quoi tient-il qu'elles ne poursuivent, et qu'elles ne se iettent iusques dedans les maisons, et que tout n'est consumé? Ne faut-il point qu'il y ait une barre mise de la main de Dieu? Ce n'est point l'industrie des hommes qui previent ceci. Ainsi donc magnifions nostre Dieu de ce qu'il lui plaist donner tellement pasture aux bestes sauvages, que nous vivons eu ce monde, et que nous iouyssons des biens qu'il nous fait: mais an reste, ayans leu ce passage, retenons aussi ce qui est dit au Pseaume trentequatrieme (v. 11), Que les lions ont faim, combien que nous voyons qu'il y ait une telle force et violence pour

SERMON CLI

407

cercher proye, et qu'on ne les peut remplir, combien donc qu'ils soyent ainsi affamez, toutes fois que Dieu nourrira tousiours les siens. Et ceste comparaison est bien notable: car si Dieu repaist les lions qui sont des bestes farouches et terribles, et mesmes qui nous sont detestables: comment ne nourrira-il les hommes qui sont formez à Son image et lesquels il appelle ses enfans? Sur tout quand ils l'invoqueront comme leur Pere en vraye foi, et que son sainct Esprit regnera en leur coeur: faut-il douter qu'il ne les nourrisse? Quand donc nous aurons nostre refuge à Dieu, s'il repaist les bestes sauvages, s'il donne à manger aux corbeaux (comme il en sera parlé tantost) cuidons-nous qu'il nous delaisse, Ainsi donc nous voyons que ceci nous sert à double usage. Le premier c'est que nous devons apprehender la bonté admirable de Dieu en ce qu'il prouvoit aux lions et aux bestes, et leur donne nourriture, tellement que nous sommes conservez. au milieu. Voila le premier. Le second c'est, que si Dieu est nourricier des lions et des bestes sauvages, par plus forte raison il aura le soin de nous donner pasture, d'autant que nous sommes ses enfans, qu'il nous a commandé de venir à lui, et le requerir, qu'il nous distribue nostre pain ordinaire, qu'il nous appastelle, d'autant que nous n'avons rien, sinon ce qui nous est donné de lui. Voila en somme ce que nous avons à noter en ce passage.

Or il est parlé quant et quant des corbeaux il est dit. Que Dieu les nourrist et eux et leurs petits, quand ils crient à lui. Vrai est que les petits oiseaux n'ont point l'entendement de crier à Dieu

ils n'ont point de voix mesme pour parler: tant s'en faut qu'ils soyent là menez par une vraye foi: mais cependant pource qu'ils sont destituez de pasture, et n'ont moyen aucun de se nourrir en ce monde: voila pourquoi il est dit, Qu'ils crient à Dieu: comme aussi il en est parlé au Pseaume: car là il y a une mesme façon de dire Or ce mot doit bien estre pesé: et c'est une grande confirmation de ce que desia nous avons dit, c'est assavoir que si Dieu nourrist les bestes sauvages qui hurlent, et crient, et bruyent sans savoir qu'il y ait un Createur qui les doive nourrir: que sera-ce de ceux qui sont asseurez que Dieu qui les a mis en ce monde s'est reservé l'office de les y maintenir, et leur y donner tout ce qu'il leur faut? Pensons-nous qu'il leur defaille? Au reste en premier lieu notons que veut dire ce mot de Crier: les petits corbeaux crient à Dieu. Et pourquoi? Non point qu'ils crient en foi, ni intelligence, ne qu'ils facent oraison, comme les hommes sont enseignez de faire: mais ils crient d'autant qu'ils sont destituez de tout moyen. Voila donc les petits corbeaux qui demeureront affamez: leurs peres volent pour cercher

408

proye, et ils n'en trouvent point quelquefois: voila les petits qui sont à demi morts: il n'y a personne qui les prouvoye, il faut bien que Dieu remedie là, soit qu'il leur donne à becqueter des vers, ou qu'il y ait quelque autre moyen secret. Voila donc comme les petits corbeaux crient à Dieu. Et autant en peut-on dire de tous animaux: que si les moyens defaillent leur recours est à Dieu, non pas qu'ils le facent d'un sentiment qu'ils ayent: mais la chose est telle, qu'ils auront beau vaguer en ce monde les voila destituez de tout secours: il ne reste donc sinon que Dieu estende sa main, et qu'il leur eslargisse par sa bonté ce qui leur est necessaire. Or maintenant retournons à ceste comparaison de nous avec les bestes brutes: car s'il est dit que Dieu se declare quand les bestes n'ont plus aucun moyen naturel, et que c'est autant comme si elles venoyent à lui, que devons-nous faire? Car encores que nous ayons abondance, et que les biens nous regorgent: tant y a que nous devons tousiours savoir que Dieu nous eslargist de sa main ce que nous avons: or s'il advient que nous ayons indigence et faute, tant plus sommes-nous incitez de venir à lui. Il ne faut point donc que les hommes soyent retardez, ou qu'ils rongent leur frain, quand ils se trouveront desnuez de moyen. Que faut-il qu'ils facent? Qu'ils cognoissent, Voici Dieu qui nous appelle à soi. Et de fait il declare et proteste qu'il veut comme il citer les bestes à se retirer vers lui et s'en monstrer aussi le gouverneur: car autrement il ne laisseroit rien au monde, tout demeureroit vuide. Combien plus faut-il que ie recoure à lui? Or donc notons bien toutes fois et quantes que nous n'avons point de provision, que nous ne savons que devenir, ne de quel costé nous tourner, que c'est autant comme si Dieu declaroit que son office est de nous donner ce qui nous est propre: et que par ce moyen il veut que toute nostre fiance repose en lui. Et si nous avons une telle foi et apprehension, il faut quant et quant que les prieres et requestes soyent adioustees. Car celui qui se vantera d'attendre de Dieu sa viande et sa pasture, et cependant ne daignera point l'invoquer, ne monstre-il point qu'il n'y a qu'hypocrisie et mensonge en lui? Il faut donc que la foi nous incite et pousse à invoquer Dieu, afin de confesser qu'il est nostre Pere nourricier, afin de recevoir la pasture comme de sa main: et quand nous l'avons receuë, de confesser que nous sommes nourris par sa pure bonté. Voila donc comme nous avons à pratiquer ce passage.

Au reste, il nous faut quant et quant venir à une comparaison plus haute: c'est quand nous aurons entendu que Dieu nourrist ainsi nos corps, que par plus forte raison il faut cercher aussi de lui et de sa main la nourriture de nos ames. Quand nous

IOB CHAP. XXXIX

409

aurions à boire et à manger en ce monde, et qu'il ne faudroit sinon baisser la teste pour nous remplir: si est-ce que la pasture de nos ames est trop precieuse pour la trouver ici bas. Or est-il ainsi que la viande corruptible nous est donnee de la main de Dieu: et notamment il declare, que c'est lui seul auquel il appartient de repaistre nos corps en ceste vie presente et caduque. Ainsi donc il faut qu'on s'adresse à lui, sur tout quand on voudra estre nourri spirituellement. Que si nous n'avons ceste consideration-la et prudence: il faudra que les petits corbeaux, les oiseaux du ciel, toutes les bestes du monde soyent nos tesmoins et nos iuges pour nous condamner: car Dieu nous monstre comme à l'oeil qu'il les appelle à soi quand elles sont destituees de moyens. Et si les bestes brutes sont appellees à Dieu, et qu'il face aussi son office en leur endroit: ne devons-nous pas bien avoir une droite affection et une vraye foi en lui, et avoir cela tout persuadé, que nous ne serons point frustrez en lui demandant tout ce qu'il nous faut? C'est en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il est dit puis apres, Cognois-tu le temps que les chamois, ou leurs femelles enfantent? Cognois-tu le terme des biches, et comme elles se courbent quand il est question de faire leurs faons? Il est vrai que l'exemple que nous avons en nous-mesmes de tout le genre humain, doit bien suffire pour redarguer les hommes de leur folie, quand ils sont si outrecuidez de vouloir disputer contre Dieu. Car si on leur demande, Comment est-ce que tu as esté creé? Quand tu as esté engendré au ventre de ta mere, que tu as prins forme: comment est-ce que tu as là esté porté et nourri par l'espace de neuf mois? Comment en la fin es-tu sorti? Pourrois-tu determiner de toutes ces choses? ils demeureront confus. Ainsi donc, sans que l'homme sorte de soi il sera convaincu tant et plus que Dieu besongne en sa creation miraculeusement. Qu'est-ce qu'une petite creature soit engendree, voire de corruption et ordure: et cependant qu'elle prenne forme, comme nous Voyons que nostre corps est figuré? Et puis qu'est-ce qu'un enfant soit là nourri en infection et puantise au ventre de la mere parmi tous les excremens: et qu'il tire substance toutes fois: et qu'il soit si bien grossi qu'il ait le moyen de venir au monde? Qu'est-ce de toutes ces choses-là? Ne sont-ce point des miracles de Dieu si excellens que nous y devons estre ravis? Et pourtant (comme i'ai desia dit) il ne faudroit pas que nous fussions renvoyez aux bestes sauvages, ni aux biches, ni aux femelles des chamois: il suffiroit bien qu'un chacun contemplast comme il a esté porté et nourri au ventre de la mere, comme il est sorti de la matrice pour venir au monde. Mais toutes fois Dieu non sans cause nous renvoye aux bestes sauvages. Et

410

pourquoi? Car les femmes encores auront quelques aides, quand ce vient à leur enfantement: elles ont qui les servent, et se peuvent secourir les unes les autres: et puis il y a l'usage aussi et l'experience qui les advertit, et elles se gardent des dangers, elles regardent ce qui leur est propre, et font leurs preparatifs. Voila donc comme ce miracle doit estre estime plus grand aux bestes brutes, que non pas aux femmes: car une povre beste quand elle aura le ventre plein, elle ne sait pas que c'est qu'elle porte: elle sent seulement son fardeau qui l'empesche, elle se pourroit despiter, elle pourroit heurter son ventre pour se faire avorter: et quand les petits se heurtent là dedans, elles se pourroyent ietter comme en desespoir. Or Dieu les tient en telle sorte qu'elles gardent leur fruict: et combien que ce leur soit une chose pesante et fascheuse, tontes fois si est-il conserve, comme par miracle. Car on voit que les cerfs et les biches ne peuvent pas endurer leur graisse: que s'ils sont trop gras, ils s'en iront ieusner: ils auront bien cela, de ne pouvoir porter quelque chose qui les empesche. Et cependant toutes fois voila les biches qui porteront leurs petits, voire en grand peine: car mesmes on dit, qu'elles ont grande difficulté d'enfanter, et que ce leur est une merveilleuse douleur: comme aussi il en est parlé en ce passage, qu'elles se courbent comme si elles se devoyent couper, qu'il y a de grandes violences. Il est vrai qu'il faut bien que les femmes facent aussi des efforts: mais cela est plus aux biches: tellement que ceux qui ont cognu ces secrets de nature, disent, qu'elles usent de medecine: qu'il y a une herbe certaine qu'elles prennent pour s'aider: autrement elles demeureroyent là, sinon qu'elles prinssent quelque aide pour vuidange. Nous voyons donc ici, que ce n'est point sans cause, que Dieu renvoye les hommes aux biches, et aux femelles des chamois (car l'espece n'est pas du tout certaine: mais cela n'est pas de consequence). Et pourquoi? Car c'est une chose estrange que les bestes ne sachans ce qu'elles portent, ayent toutes fois ceste discretion d'endurer ce fardeau là, et se contregarder, comme si Dieu les avoit advertis, et qu'il leur eust dit, Il vous faut reserver vostre genre et vostre race. Quand donc les bestes ont une telle inclination, n'est-ce point Dieu qui besongne d'enhaut? Car s'il ne gouvernoit, et que seroit-ce, Apres quand les bestes viennent à enfanter: en ceste brutalité qui y est, il n'est point question de leur monstrer qu'elles se tiennent là col 3, et qu'il faudra qu'elles ayent des petits, et qu'elles s'en esiouyront: comme il est dit aux femmes, qu'elles auront dequoi s'esiouyr quand elles verront une creature humaine venue au monde. Cela ne peut pas estre aux bestes: car elles ne savent pas ce qui doit sortir de leur ventre: elles

SERMON CLI

411

ne savent si ce qu'elles portent est pour leur faire crever le ventre, et faire sortir les entrailles. Et toutes fois, si est-ce qu'elles le reservent: et puis quand elles ont enfanté, elles savent remedier à leurs necessitez sans avoir aucun secours: elles nettoyent leurs petits: et quelque douleur qu'il y ait eu, encores travaillent elles apres leurs petits, tellement qu'ils ne defaillent point par leur faute. Quand donc nous voyons tout cela, n'avons-nous point de quoy magnifier nostre Dieu? Et sur tout: quand nous pensons à la diversité des bestes, et que cependant on voit qu'elles se multiplient ainsi: ie vous prie, ne devons-nous point estre convaincus que Dieu estend là son bras, et qu'il besongne d'une façon miraculeuse? Faut-il que nous allions à l'escole, pour comprendre cela? Faut-il que nous soyons fort subtils, et qu'on dispute par grandes raisons et bien profondes? Il n'y a si petit, ne si ignorant, qui ne cognoisse qu'il y a un miracle de Dieu tant en la generation de l'homme, comme en celle des bestes: et qu'il faut bien que la main de Dieu soit cognue là: comme aussi elle y domine. Et en la cognoissant, ne devons-nous pas aussi avoir en admiration la bonté de nostre Dieu, qui s'estend iusques aux bestes brutes? Quand nous voyons qu'il se monstre là encores pitoyable ne devons-nous pas le glorifier en cest endroit? Quand nous voyons sa vertu et sagesse, ne devons-nous pas pour le moins luy rendre sacrifice de louange? Voila comme les plus ignorans sont convaincus d'ingratitude, quand ils n'appliquent point leur estude à cognoistre la sagesse, iustice, vertu, et bonté de Dieu, qui se demonstre par tout, voire et se manifeste iusques aux bestes brutes.

Or combien qu'icy notamment il soit parlé des biches, et des femelles des chamois, ou des autres chievres sauvages: toutes fois nous avons à recueillir une doctrine generale en somme pour toutes bestes, Qu'il faut bien que Dieu ait sa main estendue pour guider cest ordre-là, quand il veut multiplier les animaux: et que c'est par ce moyen qu'ils ont race et lignee, qu'il faut qu'il conduise tout, et que sans sa conduite il y auroit une horrible contusion. Mais principalement quand nous savons ces secrets-là: comme il y a des difficultez especiales, ainsi que i'ay desia touché, aux biches plus qu'il n'y a point aux autres bestes: et pourtant que Dieu leur donne ceste industrie d'aller cercher de l'herbe: faisons nostre profit de ceste cognoissance. Et qui a esté le medecin des biches? En quelle escole ont-elles apprins cest artifice-là, d'aller cercher une herbe, et de cognoistre qu'elle leur est propre pour leur vuidange, et pour ietter hors leurs petits? Qui est-ce qui leur a monstré cela? Qui en a esté le docteur? Ne faut-il pas que Dieu soit icy cognu, et qu'il soit glorifié? Et ainsi donc nous devons bien

412

noter ces especes icy, qui nous sont mises devant les yeux, là où la gloire de Dieu se monstre plus vivement: mais tant y a qu'il nous faut recueillir ceste doctrine generale que i'ay dit: c'est assavoir Que Dieu besoigne ne par tout: comme il sera parlé consequemment des oeufs qu'ont les oiseaux, et dont les petits sortent: qu'il faut bien là aussi cognoistre la providence de Dieu. Mais quand nous aurons ainsi appliqué toute nostre estude à penser de ce que Dieu fait aux bestes sauvages, il faut revenir à nous: car c'est le principal, que les hommes cognoissent la bonté et vertu, et sagesse, et iustice, de Dieu, selon qu'elle se demonstre en eux, et qu'ils la sentent, et en sont participans.

Quand donc il est dit ici que le terme des biches n'est point cognu aux hommes, c'est à dire, que ce n'est point à eux d'en ordonner: cognoissons qu'il ne faut point que nous attentions contre Dieu de nous vouloir exempter de sa suiettion. Et pourquoy? Devant que nous fussions nais, Dieu a monstré que nostre vie n'est point en nostre main mais qu'il en a la conduite. Il est vray qu'on saura combien les biches doivent porter: comme on peut iuger cela par coniecture certaine: non point qu'on y prenne garde de si pres: mais si on regarde le temps que les masles et femelles s'assemblent, on trouvera qu'elles portent huict mois. Et bien, le terme donc sera cognu. Mais il est dit ici, Cognois-tu le terme que les biches doivent enfanter? voire: car ce n'est point de l'effect que Dieu parle: mais assavoir qu'il l'a disposé ainsi. ce n'est point à nous de savoir combien les biches doivent porter: c'est à dire, Leur avons nous assigné les mois ni les iours? Nous sommes habiles gens. Or donc d'autant que Dieu a voulu que les biches portent un tel temps, et puis le terme escheu il les delivre il leur donne les moyens, et la chose est conduite selon qu'il l'a disposé: par cela il nous faut conclure, qu'il s'est reservé donc la seigneurie de toutes bestes: et que d'autant qu'il les a nourries aux ventres des meres: quand elles sont venues au monde, il les tient en bride, tellement qu'il les conduit comme il veut. Or quand nous aurons ainsi pensé des bestes, venons à nous. le voudray m'esgayer pour faire du subtil, pour repliquer à l'encontre de Dieu, Et pourquoy est-ce que Dieu me traitte ainsi? Pourquoy est-ce qu'il ne m'envoye ce que ie desire? Pourquoy est-ce que ie suis affligé en telle sorte? Mais quand nous entrons en tels murmures, pour nous eslever ainsi à l'encontre de Dieu: revenons à nostre naissance pour considerer, Helas! comment est-ce que tu es sorti du ventre de la mere? Qui est-ce qui t'en a retiré? Il est vray qu'il y a eu des aides: mais tant y a qu'il nous faut revenir à ce qui est dit au Pseaume vingt et deuxieme, Que c'est la main de Dieu, qui nous a

IOB CHAP. XXXIX.

413

retirez de la matrice. Toutes les femmes du monde se pourroyent rompre la teste, qu'elles ne pourront rien en cest endroit, sinon que Dieu y besongne, voire d'une vertu miraculeuse.,

Ainsi donc quand nous penserons seulement à nostre naissance, il nous faudra faire ioug pour dire, Et Seigneur, devant que ie soye venu an monde, tu as bien monstré que i'estoye en ta conduite. Car où est-ce que i'estoye, quand tu m'as tiré de la matrice, et mesmes cependant que tu m'as entretenu au ventre de la mere? Cela ne seroit-il pas plus qu'estrange si nous ne l'avions accoustumé qu'un enfant soit là enclos? nous vivons de l'air: et quand nous ne pouvons respirer nous voila incontinent estouffez: voila où consiste la vie de l'homme qu'en l'halaine: il ne faut sinon qu'on nous estouffe, et c'est fait de nous. Or il est vray que les petits enfans au ventre de la mere auront bien quelque respiration: mais par où? par le nombril. Mais cependant dequoy est-ce que l'enfant est entretenu? De toute corruption: il est là en tous les excremens et en toutes les povretez: tellement que quand on pense comme il est là porté par l'espace de huict mois: et comme il est entretenu: on peut là voir une main puissante de Dieu: voire et si excellente, qu'il faut bien que nous en soyons estonnez quand nous y pensons et que nous cognoissions que c'est Dieu qui gouverne le tout, et qui dispose de nous. Que si nous ne sommes esmeus de telles oeuvres et si magnifiques, et que nous demeurions là assoupis (ie vous prie) ne faut-il pas bien que nous soyons plus qu'endurcis? Et si nous ne voulons estre touchez par nostre tesmoignage propre: il faudra que les bestes brutes nous condamnent, et soyent tesmoins contre nous au dernier iour. Ainsi donc apprenons de faire nostre profit de ceste doctrine: sur tout pour confesser que Dieu est admirable en toutes ses oeuvres: et que l'ordre de nature est un spectacle tel, qu'il faut que nous soyons ravis en estonnement, quand nous cognoissons ce qui nous apparoist là. Mais que nous venions tousiours à ceste conclusion,

414

de nous tenir bridez: sachans que ce n'est point à nous, et que nous n'avons point un esprit capable de iuger de ce que Dieu fait: qu'il ne faut pas que nous venions le contreroller pour dire, Et pourquoy c y, et pourquoy cela? Nenny: mais que nous cognoissions quand nous voudrons trouver à redire en ce qu'il fait, que nous y serons confus: et mesmes qu'il faudra que nous sentions nostre ignorance et debilité: voire à nostre ruine, quand nous aurons voulu nous eslever outre nostre mesure. Puis qu'ainsi est donc, apprenons de nous contenter de ce qu'il plaist à Dieu nous reveler: et gardons-nous de ceste outrecuidance diabolique que nous voyons estre en d'aucuns: et sur tout quand il est question de ce qui surpasse nostre capacité. Comme quand il sera dit, que Dieu dispose tellement toutes choses, qu'il ne faut pas que nous trouvions à redire en tout ce qu'il fait, combien que tout se face et se conduise par sa providence. Sur cela il y en a qui repliquent, O de moy, ie ce me puis persuader cela: car ie ne l'enten pas: et pourtant ie conclu que cela est mauvais. Et comment mal-heureux, veux-tu icy enclorre Dieu en une si petite mesure comme est ton fol cerveau? C'est autant comme si tu disois, Ie ne croy point qu'il soit de Dieu, sinon qu'il soit là devant mes yeux, et comme entre mes iambes. Et où est-ce aller? Or ce n'est pas ainsi qu'il nous en faut faire. Il ne faut point presumer d'attirer ici à nous la maiesté de Dieu: mais il nous faut monter en haut, et eslever là Nos esprits pour adorer ceste grandeur incompréhensible qui est en luy. Voire, et nous y faut monter avec humilité, ne presumans rien de nous. mais cognoissans tousiours que nous ne faisons que ramper ici bas. Voila donc comme il nous faut pratiquer ceste doctrine: comme aussi C'est à ceste intention qu'elle nous est propose

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc..

SERMON CLII

415

LE CENT CINQUANTEDEUXIEME SERMON,

QUI EST LE IL SUR LE XXXIX . CHAPITRE.

8. Qui a lasché l'asne sauvage en liberté, et qui a deslié les liens de l'asne farouche? 9. Ce sais ie qui ay mis sa maison au desert et ses domiciles es salines. 10. Il se rit de la multitude de la cité, il n'oit point le cri de l'exacteur. 11. Il a consideration es montagnes pour sa pasture, et cerche apres toute verdure. 12. La licorne te voudra-elle servir, ou demeurera-elle aupres de ta creche? 13. Pourras-tu lier la dite licorne de son lien (pour labourer) es rayes? ou rompra-elle les mottes de la terre des vallees apres toy? 14. Te fieras-tu en elle, pourtant que sa force est grande, et luy abandonneras-tu ton travail? 15. Croiras-tu à elle qu'elle rende ta semence, et qu'elle assemble en ta grange? 16. As-tu donné les plaisantes ailes aux paons? ou les plumages à la cicongne et à l'austruche? 17. Qui delaisse ses oeufs sur la terre, et les fait eschauffer sur la poudre: 18. Et oublie que le pié marchera dessus, ou que la beste du champ les foulera. 19. Elle se monstre cruelle envers ses petis, comme s'ils n'estoyent pas siens, et comme si son travail estoit vain, sans en avoir crainte: 20. Car Dieu l'a privee de sapience, et ne luy a pas departi intelligence. 21. Quand il est temps, elle se leve en haut, et se mocque du cheval et de son chevaucheur.

Si nous n'avions qu'un regard en tout le monde, si nous devroit-il bien suffire pour donner gloire à Dieu: car il n'y a rien où il ne se declare tel envers nous, que nous devons estre contraints de l'honnorer. Mais Dieu encores voyant que les hommes sont trop lasches et tardifs à le cognoistre, les a voulu inciter par une telle varieté, qu'ils n'ont plus d'excuse, quand ils ne le cognoistront, apres avoir contemplé les choses infinies qui s'offrent à nos yeux et haut et bas. le di, que si seulement l'homme pensoit à soy sans passer plus outre, il a bien dequoy magnifier Dieu: ou bien s'il regarde une seule espece des creatures, nous en pouvons dire le semblable. Mais quand nous faisons nos circuits et discours, qu'apres avoir contemplé la gloire de Dieu en une partie du monde, nous tournons la veuë d'un autre costé, et faisons comme un denombrement de toutes creatures: il est certain qu'alors nous devons estre esmeus, pour confesser qu'il y a une perfection telle en ses oeuvres, que nous ne pouvons assez le magnifier. Voila pourquoy icy Dieu nous propose plusieurs especes: non point encores qu'il y ait une histoire parfaite et

416

denomarement entier des proprietez des animaux: mais tant y a qu'aux exemples qui sont icy couchez desia nous avons ce qui nous doit bien suffire.

Comme maintenant quand il est parlé des asnes sauvages et farouches: Dieu dit que ce n'est point à nous de leur donner liberté. C'est comme s'il estoit dit, Que quand nous contemplons les asnes sauvages, nous devons penser que quand tout le monde seroit assemblé, il ne pourroit point leur donner telle nature qu'ils ont. Confessons donc que Dieu a disposé toutes choses par dessus nostre faculté et vertu, et que si nous y trouvons à redire, cela vient d'une temerité trop folle: et qu'il ne reste sinon de lever les yeux en haut pour adorer celuy qui nous demonstre une telle puissance et si infinie.

Apres avoir parlé des asnes sauvages, il parle des licornes, ou bien quelque autre espece de bestes: mais tant y a que communément on s'accorde qu'il est ici parlé des licornes. Il est dit, que les licornes ne seront point à nostre suiettion: que nous n'en pourrons point iouir comme des boeufs, et des chevaux, et des asnes: qu'on ne les pourra iamais apprivoiser: qu'elles ne laboureront point la terre: qu'elles ne traineront point le grain en la grange, ou en l'aire. Puis qu'ainsi est, cognoissons que ce n'est point à nous de disposer des oeuvres de Dieu: nous aurons beau nous y efforcer, nous n'y ferons rien. Car si nous ne pouvons donter un asne sauvage ou quelque autre beste farouche: comment gouvernerons-nous tout le monde? Et si nous ne le pouvons faire, comment osons-nous lever le bec contre nostre Createur, qui a disposé tout en telle sagesse qu'il n'y a que redire?

En la fin il parle des paons, et des austruches: ou bien (comme il y en a qui entendent ceci) des cicongnes. Mais combien qu'il soit parlé des cicongnes en second lieu: si est-ce que ce qui est adiousté finalement ne peut convenir qu'aux austruches, c'est assavoir qu'elles despitent le cheval et le chevaucheur par leur vitesse: et puis qu'elles oublient leurs oeufs, et qu'elles sont si sottes, qu'elles les iettent au sable, et n'y pensent plus. Il y a donc une grande sottise en ces bestes laquelle convient aux austruches plustost qu'aux cicongnes. Ainsi donc la somme est, que si les hommes ne se contentent d'un seul miroir de la gloire de Dieu: pour le moins qu'en une telle varieté qui se monstre

IOB CHAP. XXXIX.

417

par tout, nous devrions bien estre incitez et esmeus, à cercher Dieu: et l'ayans trouvé, à nous renger à lui: et nous y renger en telle obeissance, qu'encores que nous n'appercevions point la raison de ses oeuvres, nous ne laissions pas de nous tenir comme captivez, pour ne point murmurer contre luy en façon que ce soit.

Venons maintenant à chacune partie. Quand il est parlé des asnes sauvages, il est dit, que Dieu? les deslie et les m et en liberté, et qu'ils vont cercher pasture par les montagnes: qu'ils habitent aux deserts et aux salines: et que cependant ils se mocquent de ceux qui sont aux villes, qui sont suiets à tailles et à imposts, et à telles charges: les asnes sauvages ne savent que c'est de tout cela: car ils ont une condition libre. Or quand Dieu parle ainsi, c'est pour redarguer les hommes, d'autant qu'ils se prisent, et ne pensent point à leur condition: car la pluspart des hommes seront suiets, et tontes fois nous voyons comme ils se glorifient, qu'il leur semble que la terre n'est pas digne de les porter. Et d'où vient une telle outrecuidance? Car s'ils font comparaison d'eux avec les asnes sauvages, ils trouveront que les asnes ont une chose plus desirable beaucoup, c'est assavoir la liberté. Chacun confesse que c'est le principal bien dont nous puissions iouir. Or est-il ainsi que nous sommes en servitude, et les asnes sauvages sont libres. Cependant allons nous vanter, cependant faisons-nous, à croire que nous avons une dignité si excellente que nous devrions estre portez des nuees, et que Dieu nous devroit tendre la main pour nous tenir sur ses espaules. nous voyons donc la folie des hommes en cela. Et ainsi notons bien que Dieu nous a ici voulu humilier, et corriger cest orgueil qui est en nous, d'autant que nous ne pouvons nous tenir de nous priser outre mesure. Pourquoy cela? Car nous ne pensons ni à lui ni à ses oeuvres. Or il ne faut point que nous montions si haut qu'à sa maiesté pour nous humilier: mais les bestes nous peuvent enseigner, et elles seront nos maistresses: car nous ne sommes pas dignes d'avoir d'autres docteurs que ceux-là Or cependant on pourroit demander, si les asnes sauvages sont à preferer aux hommes, en ce qu'ils vaguent par tout, qu'ils ne sont tenus ni en bride ni en estable, et qu'on ne les peut apprivoiser. La response est, que si les hommes estoyent demeurez en leur integrité, ils seroyent suiets à raison, non point par une forme de servitude, mais chacun domineroit tellement sur soy, que Dieu regneroit par tout: il ne faudroit point alors ne de loix, ne de iustice, ne de glaive pour l'executer quand les hommes s'adonnent à mal: il ne faudroit rien de tout cela: car chacun seroit pour soy et loy, et raison, chacun auroit la volonté de Dieu imprimee en son coeur. Et une

418

telle suiettion ainsi volontaire, seroit plus noble et plus excellente, que tous les empires du monde. Mais d'autant que nous sommes corrompus, il faut que nous soyons tenus en servitude: car en cela Dieu nous monstre que nous ne sommes pas capables de nous gouverner, quand il veut que nous soyons rengez d'ailleurs. Et non seulement il y aura les loix et la police qui tiendront les hommes sous le ioug: mais Dieu permet qu'il y ait des charges dures et fascheuses: comme nous voyons quand les tyrans quelquefois domineront au monde, que tant s'en faut qu'ils soyent peres de leurs suiets, qu'ils les tormentent, pillent, et rongent tant qu'ils peuvent. En cela donc nostre condition est comme pour nous faire vergongne: et Dieu nous instruit et nous monstre que les bestes en quelque endroit ont meilleur temps que nous Or cependant ce n'est pas à dire, qu'en tout et par tout Dieu ait tellement reietté les hommes que les bestes soyent à preferer: car nous voyons que quand il accompare par son Prophete Osee (8, 9) le peuple d'lsrael à un asnon sauvage, c'est pour luy monstrer qu'il n'a nulle raison en soy, ny humanité. Tu veux estre à part, dit-il, c'est à dire, ie ne te peux apprivoiser. Car nostre Seigneur nous veut tenir en son troupeau: et quand nous avons sa parole, il veut faire office de docteur envers nous. Si là dessus nous ne pouvons souffrir d'estre gouvernez par sa main, est contre nature, et monstrons que nous avons une nature incorrigible. Et puis il est certain, qu'en ceste suiettion que Dieu a mise sur les hommes, encores voyons nous une trace de sa bonté, qu'il vaut beaucoup mieux aux hommes d'estre suiets (voire combien qu'on les traitte mal et rigoureusement) qu'aux asnons sauvages d'estre ainsi farouches, et s'esgayer par les montagnes. Car cependant les hommes sont admonnestez de leurs pechez, quand Dieu les chastie par rudesse à force de coups: et c'est pour les attirer à repentance. Et puis quoy qu'il en soit, il leur monstre qu'il y a discretion entre le bien et le mal: et les asnons sont là en leur brutalité. Apprenons donc que Dieu, quelque suiettion qu'il ait mis sur les hommes, n'a point laissé d'user tousiours de bonté et grace envers eux: mais ceste admonition qui est faite en ce passage tend là, Que si les hommes se veulent enorgueillir, et qu'ils se prisent par trop en leur dignité et noblesse, ils meritent bien d'estre renvoyez aux asnons sauvages, et que Dieu se mocque d'eux en disant, Or ça qui estes vous povres gens? Car il vous semble que ie ne doy plus dominer sur vous, que vous devez estre mes compagnons: mais cependant vous serez suiets à beaucoup de charges, vous ne pourrez pas vivre ensemble qu'il n'y ait beaucoup de fascheries, et des plaintes et des cris, et que chacun ne soit

SERMON CLII

419

tousiours en doute: comme nous voyous que les hommes ne peuvent habiter les uns avec les autres, qu'il n'y ait des soupçons, des scrupules, et que les UNS ne facent tort par fraudes, que les autres ne machinent ceci et cela, et taschent de vaincre leurs ennemis par trahisons et malices, que les autres ne soyent pleins de venin, et qu'ils ne grincent les dens quand ils voyent qu'ils ne peuvent remedier à leurs maux. Voila quelle est la condition des hommes: et cependant les asnons sauvages s'esgayent par les montagnes, ils vont cercher pasture, ils se mocquent de toutes les polices où les hommes travaillent tant. Puis qu'ainsi est donc, apprenez de ne vous priser plus tant: car il faudra que les asnes sauvages qui vaguent par les montagnes vous apprennent vostre leçon, et qu'ils vous facent sentir que vous n'estes pas tels que vous cuidez estre pour vous magnifier ainsi. Nous voyous donc maintenant, comme il nous faut appliquer ce passage à nostre instruction. D'un costé que nous sachions, que Dieu par l'exemple des bestes nous veut humilier, afin de matter tout orgueil en nous : et d'autre costé que nous sachons combien qu'en quelques endroits nostre condition soit pire que celle des bestes brutes toutes fois Dieu ne laisse pas de tousiours poursuivre sa grace sur nous, et de convertir le mal en bien. Que si nous n'avons une vie libre, et desliee en ce monde: que par ce moyen nous sommes enseignez de venir à luy tellement que la suiettion des hommes est meilleure que la liberté des bestes: que si nous sommes tenus en servitude, que cela nous est plus profitable qu'il n'est aux bestes de s'esgayer sans avoir ni maistre ni estable, ne sans savoir que c'est ne de loy ne de rien qui soit. Voila comme d'un costé nous avons à sentir la grace de Dieu: et de l'autre à baisser la teste, afin de n'estre point eslevez en nostre dignité, mais que nous sachions que nostre Seigneur nous renge à soy

Or quand il a esté ainsi parlé des asnes sauvages, il est parlé quant et quant des licornes, qui est une chose prochaine. Dieu dit, que la licorne ne se pourra oint donter: que nous n'en pourrons point iouir: combien qu'elle soit assez puissante et legere, qu'elle ne cultivera point la terre à nostre appetit, qu'elle ne trainera point la charrue, qu'elle ne menera point aussi le chariot pour porter le blé en la grange: bref, qu'elle ne sera point pour l'usage des hommes, mais qu'elle est à soy. Or en ceci nous avons à noter en premier lieu, que quand les bestes nous servent, c'est d'autant que Dieu les matte, et qu'il nous les livre en la main, afin que nous en puissions iouir. Et qu'ainsi soit pourquoy est-ce qu'un cheval se laissera gouverner par un homme, qui trainera la charrue ou les voictures, qu'il portera un chevaucheur, et autres charges?

420

Pourquoy est-ce qu'on chevist des mulets, des asnes, et des boeufs? Car un cheval est assez habile pour resister à un homme: nous voyons que c'est une beste courageuse et allegre. Comment donc est ce qu'on en peut venir à bout? Et un boeuf, quand nous voyons ses cornes, si on n'estoit accoustumé à les donter, il est certain que voila une beste terrible: il ne luy faut sinon remuer la teste pour espouvanter un homme: ses gros yeux, et ce gros col: et puis s'il dresse les cornes, voila pour percer un homme qui en approchera. on voit aussi ceste grosse masse du corps. Et comment est-ce qu'on en peut iouir, sinon d'autant que Dieu nous en a voulu donner quelque seigneurie? Car les licornes se pourroyent aussi bien apprivoiser, que les chevaux et les boeufs, n'estoit que Dieu leur a donné un tel naturel. Ainsi donc contemplons ici la bonté de nostre Dieu, quand il a appliqué à nostre service des bestes, qui autrement nous pourroyent estonner par leur seul regard, que nous n'en oserions point approcher. Un petit enfant les gouvernera tellement que quand les boeufs seront accoustumez au ioug, on les tiendra là avec un petit baston: on leur fera plier ce gros col, on leur fera baisser les cornes: bref, on les maniera en sorte, que là où ils pourroyent tout foudroyer, il n'y aura nulle resistence. Quand nous voyons cela, que nous cognoissions que Dieu s'est declaré liberal envers nous, quand il nous a ainsi assuietti des bestes qui pourroyent nous faire peur (comme i'ay desia dit) et quand il veut neantmoins qu'elles s'appliquent à nostre service, et qu'on les puisse apprivoiser. Voila mesme un elephant qui se donte, qui est une beste plus que terrible: car le seul regard surmonte tous les autres animaux. Voila donc comme une montagne, et semble que ce soit pour nous foudroyer: et neantmoins quand un elephant est donté, il s'apprivoise aucunement: non point qu'il ne retienne tousiours de son naturel: mais cependant esbahissons-nous de ce qu'on en peut chevir aucunement: et qu'on s'en sert. l'opposite voila une petite beste que la licorne, qui aura seulement quelque agilité en soy, retiendra tousiours sa rebellion, tellement que tous les hommes par leur industrie et par leur force ne la pourront point assuiettir. Quand nous voyons cela, que nous soyons convaincus pour le moins par une telle comparaison. Or avons-nous esté enseigne de cognoistre la bonté de Dieu en ce qu'il a appliqué à nostre usage et à nostre profit les bestes qui nous servent? D'autre costé aussi notons qu'il ne seroit pas en nous de gouverner un limaçon (par maniere de dire) n'estoit que nostre Seigneur le mist en nostre puissance. Il est vray qu'en la creation du monde toutes bestes ont esté donnees à Adam, afin qu'il en fust maistre et seigneur: mais nous avons perdu ceste possession-la,

IOB CHAP. XXXIX.

421

nous estans alienez de Dieu: comme quand un vassal aura fait quelque lascheté ou trahison à son prince, son bien est confisqué, il sera debouté du tout. Ainsi en est-il donc des hommes: car nous eussions paisiblement dominé toutes sortes de bestes, sinon que nous eussions esté ingrats à nostre Dieu, en ne faisant point l'hommage qui luy estoit deu. Voila donc comme nous avons esté privez de la seigneurie et principauté qui nous estoit donnee sur toutes bestes. Or puis qu'ainsi est que les bestes se leveroyent contre nous, et que nous n'en pourrions pas iouir, n'estoit que Dieu nous en reservast l'usage, et mesmes qu'il les assuiettist d'aucunes comme il nous est besoin: par cela nous sommes admonnestez, que c'est une trop grande rage à nous, de nous eslever contre nostre Createur: et les bestes nous pourroyent bien matter, quand besoin en seroit: et ne faut point que Dieu arme ou les lions ou les licornes: mais par les poux et les puces il nous pourra faire la guerre, quand bon luy semblera, pour se mocquer de nostre orgueil. Et ainsi voyans quelquesfois que nous ne pouvons chevir nullement des bestes, cognoissons d'oit cela procede: c'est assavoir du peche d'Adam, et de nostre malice, et de ce que nous sommes rebelles à celuy qui nous avoit constituez princes en ce monde, et qui nous avoit mis en main toutes creatures. Cognoissons cela, et gemissons à cause de nos pechez toutes fois et quantes que les bestes sauvages nous font du mal: cognoissons, Voici Dieu qui nous monstre nos povretez: et là dessus prions-le qu'il nous face la grace de luy obeir tellement que nous portions sa marque afin que les bestes cognoissent la puissance qu'il nous, a donnee comme à ses enfans: et toutes fois durant ceste vie mortelle, sachons qu'il nous veut tousiours tenir en bride. Voila ce que nous avons à noter en second lien. Or maintenant on pourroit faire une question, Pourquoy c'est que Dieu conserve telles especes de bestes puis qu'elles ne servent plus à l'homme: car il semble que la raison cesse, pourquoy Dieu les devroit nourrir. Mais notons, qu'elles ne laissent point d'estre ornemens en ce monde icy, afin qu'on y puisse contempler la maiesté de Dieu. Et voila desia une raison assez suffisante. Et puis (comme i'ay desia dit) elles nous servent d'instruction: nous avons là divers spectacles que Dieu nous monstre: afin de nous instruire par ceste varieté-là, pour sentir mieux que c'est de sa vertu et de sa bonté quant et quant, et de sa iustice. D'autre part c'est une instruction bonne: pource que quand nous ne pouvons pas iouir des bestes, il ne faut point que nous presumions de nous eslever par trop haut. Et mesmes voila les chevaux et les boeufs, qui seroyent pour heurter contre nous et pour ruer: car combien que Dieu nous les ait submis, et qu'il veut que nous en soyons servis, si

422

est-ce qu'il ne faudra quelquefois qu'un coup d'on cheval pour tuer un homme. Quand nous voyons cela, n'avons-nous point tousiours une bonne instruction, pour baisser la teste, afin que nous ne facions point trop des braves? Voila donc ce que nous avons ici à retenir.

Au reste quand il est parlé de rompre les mottes, et de labourer la terre, et de mener le blé en la grange: c'est afin que les hommes soyent mieux admonnestez, qu'il leur est necessaire que Dieu les pourvoye de beaucoup d'aides. Nous ne pourrions pas demeurer au monde, si nous n'avions à boire et à manger: nous ne pourrions pas vivre deux iours, si nous ne sommes substantez. Et qui est-ce qui nous donne du pain? les hommes sont-ils si habiles d'eux-mesmes, qu'ils puissent cultiver la terre? Non: ils auront beau appliquer toute la force de leur bras, ils auront beau fouir: helas! ce n'est pas pour faire croistre le blé pour leur nourriture. Et cependant qu'ils voudront cultiver la terre, qui est-ce qui les vestira? Où prendront-ils ne robbe, ne chausses, ne souliers? qui est-ce qui les fournira, à tant de necessitez? Car il n'est point question de boire ou de manger seulement: nous voyons que nous sommes suiets à tant de choses. Combien nous faut-il de secours, pour nous maintenir en ceste povre vie? Cognoissans donc, qu'il est besoin que Dieu nous donne des aides innumerables: que là dessus nous pensions à tant de biens qu'il nous a eslargis: comme quand il a ordonné les chevaux et les boeufs pour cultiver la terre, qu'il les a ordonnez pour amener le grain en Paire: et puis qu'il a donné les autres industries, tellement que quand les hommes auront faute, ils ayent quant et quant le remede en main: que nous ne soyons point ingrats puis que Dieu nous fait ainsi contempler à veue d'oeil sa bonté: que nous sachions aussi combien nous sommes tenus et redevables à luy pour le servir, voire en humilité. Car voila le principal qui nous est monstré en ce livre: c'est que mais les hommes ne feront à Dieu l'honneur qui luy appartient, sinon en baissant la teste, et ne presumant point de murmurer contre luy, ne d'attenter de luy monstrer sa leçon. Et defait ce n'est point à nostre escole qu'il faut qu'il vienne: il a une telle sagesse en soy, que nous sommes contraints, comme il a esté monstré par cy devant, et ce propos mesmes est encores poursuivi: nous sommes contraints, di-ie, de nous estonner en voyant ce que Dieu fait: et comme nous y sommes confus, il faut bien que nous apprenions de le glorifier: car voila tout ce qui nous reste.

Venons maintenant à ce qui est adiousté des paons et des austruches. Qui est-ce qui a donné les ailes plaisantes aux paons? dit Dieu. Or en un mot il nous monstre, qu'une seule plume nous doit

SERMON CLII

423

convaincre, que c'est une folie par trop excessive à nous de ne nous pouvoir contenter de ce que Dieu a fait. Iettons la veuë sur une plume de paon: n'y a-il pas là un artifice si admirable, que nous ne savons que dire, sinon de glorifier Dieu? le di mesmes les incredules y sont contraints. Puis qu'ainsi est, quand il sera question du gouvernement du monde, et de choses beaucoup plus hautes sans comparaison (ie vous prie) nos sens pourront-ils parvenir iusques là? Ne faut-il point qu'ils defaillent? Si une seule plume de paon nous ravist à soy, et nous tient-là comme estonnez: et que sera-ce de tout l'artifice qui apparoist en ce monde? que sera-ce du gouvernement du genre humain par especial? Et toutes fois c'est là, où les hommes desployent leurs blasphemes: c'est là, où ils se despitent contre Dieu, et se tempestent, et voudroyent qu'il se gouvernast par leur conseil et phantasie. Et cela est, d'autant qu'ils n'ont point leurs appetis, et que Dieu ne les traitte point à leur souhait. Or tant y a, que nous devons estre plus que convaincue de nostre devoir, si nous pouvons considerer ce qu'il nous monstre. Voila donc l'intention de Dieu en oc passage.

Il fait puis apres comparaison des ailes d'austruches: mais c'est plustost pour s'arrester à ce qu'il adiouste de la sottise et de la legereté qui y est, et de la force. Il y a aussi bien des cicongnes qu'il parle: mais oc seroit plustost, pour nous ramener à la raison qui y est: car on y trouve plus d'humanité qu'on ne fait point souvent aux hommes. Car les petis cicongneaux quand ils sont devenus grans, recognoissent leurs peres et meres, et les nourrissent en vieillesse, pour leur rendre ce qui leur ont fait en ieunesse Et quand cela sera bien consideré, il ne faut autre doctrine pour condamner l'ingratitude des enfans qui sont rebelles à peres et à meres, et qui voudroyent qu'ils fussent au fond de la mer: tant s'en faut qu'ils s'employent pour eux, et qu'ils retirent la viande de leur bouche pour leur donner. Ainsi donc voila un beau miroir que nous avons en ce bestial. Mais sur tout ne sommes-nous point plue que coulpables, ne cognoissans point le Pere souverain qui nous a tous creez, qui nous nourrist, en la main duquel nous sommes et qui ne vieillist point pour avoir faute de nous? Il nous eslargist tant de biens: et que nous ne sachions pour le moins luy rendre la louange qui luy est deuë. Quand nous serons si vilains et si pervers, faut-il d'autres tesmoins pour nous condamner que les cicongnes? Mais pource qu'ici Dieu s'arreste beaucoup plus sur l'austruche, venons à ce qui en est dit, Voila, dit-il, l'austruche qui despite et le cheval et le chevaucheur. C'est pour monstrer l'agilité qui est en ceste grosse beste: car c'est un demi oiseau, et demie beste terrestre: et y

424

a une telle pesanteur au corps de l'austruche qu'elle ne se peut eslever pour voler bien haut: mais voltige tellement qu'on ne la peut poursuivre. On aura beau courir la poste apres, on ne la peut ratteindre: car à demi sautant sur ses pattes, à demi volant, e le surmonte toute la vistesse qui peut estre aux chevaux et aux autres bestes. Voila pour un Item. Or il y a quant et quant une industrie, que par le chemin ces bestes la peuvent gripper des pierres, et les iettent contre ceux qui les poursuivent. Voila donc deux choses en ce bestial: la folie d'un costé, et puis c'est advis qu'elles ont d'amasser des pierres tout en courant, lesquelles elles ruent par derriere contre ceux qui les poursuivent. Voila, di-ie, une chose admirable qui apparoist aux austruches. Or il y a d'autre costé une telle sottise, que quand elles ont caché la teste, il leur semble que tout le corps soit cache, et cependant voila une grosse masse qui apparoist. Et puis de leurs oeufs, elles ne les couvent point: mais d'autant qu'elles habitent en pays chaud, elles les cachent dedans le sable, et le soleil donnant dessus les eschauffe: voila comme leurs oeufs sont escloux. Quand on aura regardé d'un costé la providence qui est en ces bestes: et d'autre costé la sottise de cacher ainsi leurs oeufs: ne verrons-nous point des oeuvres de Dieu admirables en ce qu'il conduit ainsi le tout? Au reste quand il est parlé de la force et vistesse qui es aux austruches, cognoissons qu'en cela elles nous surmontent: nous aurons beau nous glorifier, mais les austruches vaudront mieux que nous en ceste condition. Voila pour un Item, que les hommes ne se doivent pas tant priser qu'ils ont de coustume: car Dieu les renvoyera tous les coups à ces exemples qui sont pour se mocquer de leur folle vanterie. D'autre costé, quand nous voyons que ces bestes-la qui ont force et agilité, et mesmes industrie en d'autres choses, sont si sottes en un poinct, qu'il n'y a nul advis ny sentiment, ne devons-nous pas glorifier la bonté de Dieu envers nous? Car qui est-ce qui nous a donné plus de sens qu'aux austruches? les hommes l'ont-ils acquis par leur vertu? Ont-ils ny or ny argent pour acheter une telle marchandise? Qu'un chacun donc cognoisse combien il est tenu à Dieu, quand il nous a donné telle discretion: et sachons qu'il faut bien que nous luy rendions la louange qui luy en est deuë. Voila donc quelle est l'intention de Dieu en ce passage.

Ainsi quand il est dit, Que Dieu a desprouveu de sagesse l'austruche: cognoissons que c'est pour nous advertir quand nous avons raison et iugement, que tant plus sommes nous tenus à Dieu, lequel nous a donné un bien et un privilege inestimable. Car qu'est-ce que de iuger estre le bien et le mal, et de cognoistre quel est nostre office, non seule

IOB CHAP. XXXIX.

425

ment pour cheminer en ce monde, mais pour aspirer à la vie celeste? Qu'est-ce que nous cognoissions que Dieu nous a formez à son image, et qu'il nous a preparé nostre heritage là haut? Quand donc nous avons ce iugement-la que nous pouvons discerner entre honnesteté et vilenie, entre vice et vertu, et au reste que Dieu nous illumine par son sainct Esprit, tellement que les cieux nous sont comme ouverts, et que nous passons par dessus le monde pour parvenir à la compagnie des Anges, à la gloire immortelle qui nous a esté acquise par nostre Seigneur Iesus Christ: quand, di-ie, nous avons cela, combien devons-nous magnifier un tel thresor? Et cependant qui est-ce qui nous le donne? Car (comme i'ay dit) nous serions semblables à ces sottes bestes dont il est ici parlé, nous n'aurions pas plus de sens qu'une austruche, sinon que Dieu y eust prouveu. Voila donc comme les hommes doivent estre tenus en bride, comme ils doivent appliquer tout leur sens et raison à honorer Dieu, et ne plus s'eslever contre luy. Mais le principal est, qu'ils luy obeissent, et cognoissent qu'il y a encores de l'infirmité en eux: et au reste que c'est bien assez quand ils peuvent iuger en petite portion, que c'est de ceste grandeur et hautesse des oeuvres de Dieu: et que rampans sur terre ils tendent tousiours en haut avec toute humilité et modestie, sachans bien qu'ils ne peuvent parvenir encores à ces grans abysmes des secrets de Dieu. Et c'est-ce que i'ay touché du commencement, pour encores mieux confermer ce passage: c'est assavoir que Dieu d'une part nous veut faire sentir sa bonté, afin que nous n'ayons point occasion de nous fascher, comme s'il avoit donné une condition meilleure aux bestes sauvages qu'à nous: et que neantmoins pour nous humilier, nous voyons en ceste condition que nous avons depuis la corruption du peche, que les bestes nous passent selon quelque regard et poinct particulier. Il est certain que nous serons tousiours preferez aux bestes, et que nous serons en un degré superieur. Et mesmes si nous n'avons la force et agilité si grande qu'ont les bestes, cela est pour nostre profit: assavoir pour nous humilier: car encores ne nous peut-on apprivoiser. Nous voyons (combien qu'il nous advertisse de nostre foiblesse par beaucoup de choses que nous voyons) que toutes fois il est contraint de se plaindre de nous, que nous sommes comme des bestes sauvages, ainsi qu'il a esté dit. Et qui pis est, un boeuf cognoistra la creche où il est nourri: un asne ou un cheval cognoistra l'estable de son maistre: et nous ne le cognoissons point, luy qui est nostre Createur: bref, il ne nous peut apprivoiser en façon que ce soit. Ainsi il nous est bon de n'avoir point telle force de n'estre si robustes que ces bestes sauvages. Car que seroit-ce? comment est-ce qu'on pourroit chevir

426

de nous? Et au reste cependant retenons tousiours, qu'il nous faut recourir à tant de benefices que Dieu nous donne par especial, desquels il a privé les bestes: comme il est ici parlé de la raison et intelligence. Mais ne considerons pas simplement ceste raison commune qui est en tous: venons aussi à ce qu'il plaist à Dieu de nous esclairer de ceste sagesse qui est contenue en sou Evangile, et que par son sainct Esprit il nous ouvre les yeux, en sorte que nous pouvons voir ses secrets, qui autrement nous seroyent cachez et incomprehensibles: apprenons de le magnifier en cela. Ce sont les deux choses que nous avons à retenir.

Or cependant notons quand il est ici parlé des oeufs de l'austruche, que si Dieu estend sa providence pour faire esclorre ses oeufs (voire quand ils sont laissez et abandonnez) par plus forte raison il ne nous mettra iamais en oubli: nous, di-ie qui sommes creatures plus excellentes. Et defait nous voyous qu'il a beaucoup mieux prouveu au genre humain, qu'à ce bestial. Car voila des meres qui sont si sottes qu'elles oublient leurs oeufs et leurs petits qui en doivent sortir: or nostre Seigneur a imprimé une affection aux femmes, qu'elles cognoissent leurs petis, et qu'elles les nourrissent de leur sang et de leur substance. Quand donc nostre Seigneur a mis un tel ordre au genre humain: en cela cognoissons qu'il nous declare le soin paternel qu'il a de nous. Mais il ne nous faut point encores mesurer sa bonté par là seulement: venons à ce qu'il dit par son Prophete (Isa. 49, 15): la mere pourra-elle oublier son enfant? Or quand toutes les meres du monde auroyent mis leurs enfans en oubli, si ne vous delaisseray-ie point, dit le Seigneur. Dieu donc d'un costé monstre qu'il nous est Pere, quand il tient là les meres en cest office qu'elles s'adonnent volontairement à nourrir leurs enfans. Vray est que nous ne voyons point cela en toutes meres: car il y en a beaucoup de ces tendres et delicates, qui ne voudront point prendre la peine apres leurs enfans, tellement qu'une nourrice aura plus grande affection aux enfans qui ne seront pas siens, que leurs meres propres. Mais tant y a que ceste inclination-là apparoist au commun. Et d'où procede cela? C'est Dieu qui veut conserver le genre humain par ce moyen. Au reste, quand nous aurons cognu sa bonté paternelle qui se demonstre an creatures: et bien, il est vray que desia Dieu nous fait sentir sa grace, et la solicitude qu'il a de nous: mais cognoissons qu'il surmonte en soy tout ce que nous pouvons appercevoir en ce monde: et que quand nous viendrons à luy en humilité, il se monstrera tousiours tel qu'il est, assavoir la fontaine de toute misericorde, et qu'il sera pitoyable on nos maux pour nous secourir. Que donc nous ayons ceste

SERMON CLIII

427

confiance-là: et combien que nous soyons povres creatures, que nous ne laissions pas pourtant de nous confier en luy pour le glorifier: sachans que quand nous-nous rendrons dociles à luy comme son peuple obeissant, de son costé il monstrera que ce

n'est point en vain que nous l'avons recognu pour nostre Dieu.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

428

LE CENT CINQUANTETROISIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXXIX. CHAPITRE.

22. As-tu donné force au cheval? et as-tu environné son col de bruit? 23. Espouvanteras-tu le cheval, comme la sauterelle? ou locuste? le hennissement de ses narines est effrayant. 24. Il fouyt la terre du pied, il s'esiouyst, il va avec audace au devant de l'homme armé. 25. n ne lui chaut de frayeur, et ne craint point, il ne fuit point le glaive. 26. Que le carquois sonne, le fer de lance et du bouclier: 27. Il engloutist la terre comme en fureur et fremissement, il ne lui chaut du son de la trompette. 28. Quand il ouyt la trompette, il dit, Ha, ha: il flaire de loin la guerre, les cris des capitaines, et les bruits de l'armee. 29. L'esprevier prendra-il des plumes par ta sagesse, ou estendra-il ses ailes vers de Midi? 30. L'aigle s'eslevera-elle à ton commandement, et mettra-elle son nid es hauts lieux? 31. Elle habite sur les rochers, et demeure sur les hautes montagnes comme en des forteresses. 32. Et de là elle contemple la proye, ses yeux regardent loin. 33. Ses petis engloutissent le sang, et se trouve là où sont les corps morts. 34. Et le Seigneur respondit et dit à Iob, 35. Est-ce doctrine de combattre avec le Tout-puissant? celui qui argue Dieu qu'il responde à ceci.

Si nous estions disposez pour estre enseignez de Dieu, il nous traitteroit aussi de son costé en sorte que toute sa doctrine seroit pour nous eslever du premier coup à soi: voire et d'une façon privee, comme un pere parle à ses enfans. Mais quand nous sommes difficiles à gouverner, et qu'au lieu de nous rendre dociles, nous voulons estre par trop sages: il faut alors que Dieu nous renvoye à l'escole des bestes: comme nous avons desia veu par ci devant, et ici encores il continue à ce faire. Car en parlant des chevaux et de leur naturel, il monstre que les hommes ne cognoissent point ses oeuvres, quand ils se veulent ainsi eslever contre lui. Et cependant il monstre, que s'il lui plaist, il ne daignera nous respondre à toutes nos repliques:

mais il suffira que nous soyons convaincus par les bestes brutes: et ne fust-ce que par les chevaux qui nous sont domestiques: qu'il ne faudra pas aller loin pour nous rembarrer: car Dieu aura par toutes les rues, par les champs, par les maisons des advocats qui plaideront assez bien sa cause: et ne suscitera point de grands rhetoriciens d'entre les hommes mais (comme i'ai dit) il se contentera d'avoir les bestes. u reste, il n'est point question ici de subtil ment disputer de la nature des chevaux: car aussi Dieu n'a point voulu ici suivre un tel style: mais il met simplement en avant ce qui est cognu des plus idiots. Il ne faut point qu'on soit exercé beaucoup, pour comprendre ce qui est ici dit: car les petits enfans le cognoissent: ainsi que quand il a parle des astres et des estoilles, ce n'a pas esté à la façon des grande docteurs et philosophes. Pourquoi Pource que peu de gens y eussent profité: tous ne sont point capables de cela: mais il a parlé grossierement du soleil et de la lune, et de ce qui apparoist. Quiconque a des yeux, encores qu'il n'ait ne savoir ne rien qui soit, et qu'il ne soit point grand clere il comprendra ces choses qui ont esté dites par ci devant du soleil et des estoiles: il ne faut point là d'astrologie: autant en est-il quand il parle ici des bestes. Maintenant donc il poursuit ceste mesme façon: et c'est afin que nul ne prenne excuse, comme nous sommes enclins à cela. Vrai est que les hommes ne confessent point volontiers leur ignorance: mais quand il est question de s'excuser devant Dieu, si est-ce qu'ils en font un bouclier. O cela surmonte mon esprit, cela est trop subtil pour moi, ie n'y puis mordre. D'autant que la plus part prennent un tel subterfuge, Dieu declare que les plus rudes seront convaincus de lui avoir esté ingrats et malins, et n'avoir point cognu ce qui leur estoit tout notoire.

Voila pourquoi donc ici quand il est parlé des chevaux, les choses Sont recitees simplement telles

IOB CHAP. XXXIX.

429

qu'elles sont cognues de tout le monde et de grands et de petite. Voire, dit Dieu, est-il en l'homme de donne une telle force comme on la voit aux chevaux? Et mesmes une telle nature et si rigoureuse? Car outre ce que les chevaux Sont robustes, nous voyons qu'ils sont nez à la guerre en partie: on voit qu'ils se iettent au milieu du danger: il y a une furie qui les enflamme, tellement qu'on diroit qu'ils ont un accord avec la trompette, et avec les grands bruits: et mesmes ils enhardissent les hommes. Quand nous voyons cela, et que mesmes en leurs narres il y a frayeur, que c'est une beste espouvantable de soi: et que puis apres on y cognoist seulement une petite portion des oeuvres de Dieu, il n'a point là desployé sa vertu en perfection, mais il a donné quelque petit signe et marque de ce qu'il peut faire: quand donc cela sera bien regardé, faut. il que les hommes se rebecquent plus? Oseront-ils maintenant s'addresser au Dieu vivant? Ils n'oseroyent pas respondre à un cheval, il ne s'oseroyent là frotter, mais ils en sont espouvantez: et ils ne craindront point ceste vertu infinie de laquelle ils n'apperçoivent qu'une seule goutte en tous les chevaux du monde. Voila donc ce que nous avons à retenir en somme de ce passage.

Et en cela mesme nous voyons, que Dieu n'a point use de langage superflu, en parlant ici de la hardiesse des chevaux, et de leur force, et qu'on ne les pourra pas effaroucher comme des locustes: mais qu'ils se iettent contre les lances et contre les flesches. Il estoit besoin qu'il parlast ainsi. Et pourquoi? Car nous sommes hardis, voire pour nous despiter contre Dieu, quand sa gloire ne nous est point cognue. Et c'est nostre stupidité, qui nous donne une telle audace, car d'autant que nous mettons un voile devant nos yeux, qui nous empesche de contempler la gloire de Dieu, chacun s'abbrutist ainsi. Voila pourquoi nous sommes orgueilleux: car si nous apprehendions que c'est de Dieu, il est certain que nous serions tous abbatus, qu'on ne verroit plus ni orgueil ni outrecuidance aux hommes. Ainsi donc pource que nous faisons des aigus, que nous voulons tout comprendre à nostre phantasie, pour savoir que c'est de la vertu infinie de Dieu: voila pourquoi il est ici traitté des chevaux, et Dieu nous propose la vertu qui est en eux. Et pourquoi? Afin que nous soyons ravis en admiration de sa conduite. Car il faut tousiours revenir à cela, que Dieu n'a point du tout desployé sa main es chevaux, il n'a pas là donné à cognoistre tout ce qu'il pouvoit faire: mais il y a mis seulement comme une goutte de sa providence. Et toutes fois quand nous aurons bien cognu ce qui est ici dit, si ce n'estoit que nous sommes accoustumez à voir des chevaux, et à les manier: chacun s'en fuiroit devant. ce seroit une beste

430

espouvantable: et sur tout quand nous voyons la hardiesse qui se monstre ainsi à la bataille. Voila donc comme il nous faut appliquer ceci à nostre instruction, tout ce qui est ici recité par le menu quant aux chevaux. Et mesmes nous devons d'autre part noter la bonté de Dieu, de ce qu'il dompte ainsi les chevaux, afin de les assuiettir aux hommes, et de les appliquer à leur service, Pensons-nous qu'un cheval qui n'est point dompté de sa nature, et mesme qui est comme né à la bataille, se laissent ainsi gouverner et manier, sinon que Dieu lui eust esté ce grand courage à ce que les hommes s'en puissent servir? Oserions-nous cela de nous? Concluons donc que Dieu nous declare sa vertu, quand il a donné une telle hardiesse aux chevaux, qu'il les a ainsi rendus farouches: et qu'il nous a aussi donné un singulier tesmoignage de sa bonté et de son amour: quand nous qui ne sommes rien, pouvons ainsi dompter les chevaux pour en user, et qu'ils souffrent que nous les travaillons, qu'on les applique en chariots, à labourer la terre, que les hommes montent dessus. Quand donc les chevaux se laissent ainsi gouverner, il n'y a nulle doute que là nostre Seigneur ne nous monstre combien il est liberal envers nous, et nous le face cognoistre. Voila donc touchant ce poinct. Mais le principal est de ceste doctrine que i'ai touchee: assavoir que ceci nous doit servir pour reprimer ceste audace. Quand donc nous sommes solicitez à murmurer contre Dieu, ou que nous voulons lui contre dire en quelque chose, il nous faut ietter la veuë sur les bestes brutes: car elles nous pourront enseigner: et nous sommes dignes aussi d'une telle escole, quand nous ne voulons point escouter paisiblement nostre Dieu pour obeir à sa simple voix.

Il adiouste puis apres des espreviers et des aigles, As-tu donné, dit-il, les ailes à l'esprevier? volera-il à ton commandement, quand il se leve vers le Midi? qu'il semble qu'il doive aller iouster contre le soleil? les aigles, dit-il, sont elles formees de toi? leur donnes-tu leur nids aux rochers, et aux tours des montagnes? c'est à dire aux lieux hauts et eminens. Pourras-tu disposer un tel ordre de nature. Et quand les petis desia hument le sang, et qu'ils sont nez à cela: les as-tu accoustumez à estre ainsi appastelez et substantez d'un tel laictage? les aigles se trouvent où sont les corps morts, elles flairent cela de loing: et mesmes elles ont la veuë si aigue qu'elles peuvent contempler et çà et là: comme il est certain que c'est l'oiseau qui a la veuë la plus vive et la plus aiguë qui soit point. Est-ce toi donc qui as donné une telle nature aux aigles? dit Dieu. Nous voyons comme haut et bas nostre Seigneur nous presente des miroirs ml des images vives, là ou nous devons sentir sa puissance pour nous

SERMON CLIII

431

humilier: et cependant devons cognoistre qu'il aura bien dequoi nous rembarrer, quand nous serons si fols et enragez de venir heurter contre lui. Et ne faudra point qu'il plaide sa cause, ou qu'il ouvre sa bouche pour sonner mot: car autant de creatures qu'il y a haut et bas, ce sont autant de tesmoins pour nous rendre cent mille fois confus. Il est vrai que nous aurons bien ceste audace, de nous eslever contre Dieu, comme si nous le voulions arracher de son siege par nos blasphemes et nous semble que nous le pourrons gaigner par nostre audace. Mais il aura assez de barres mises au devant: car il n'y aura ni beste en la terre, ni oiseau en l'air qui ne testifie contre nous. Nous voyons donc comme la cause de Dieu sera plaidoyee par les creatures, sans qu'il s'en mesle: et cependant il faudra que tout ce que nous aurons machiné contre lui, retourne sur nos testes. Or combien que ceste doctrine soit assez facile, si est-elle tres-mal meditee des hommes. Et qu'ainsi soit, nous voyons les oiseaux voler en l'air, nous voyons les bestes marcher ici bas: combien y en a-il qui s'esveillent, pour penser à Dieu? Tous les iours nous aurons des tentations, que le diable nous viendra souffler aux esprits des murmures et despitemens contre Dieu: si nous ne sommes traittez à nos souhaits, incontinent c'est à contester: et qui est celui qui s'advise là dessus de ceste remonstrance qui est ici faite? Nous confessons assez qu'elle est toute notoire: et cependant nous la mettons en oubli, et elle ne nous vient point au devant. D'autant plus donc que ceste doctrine est-facile et vulgaire: tant moins y aura-il d'excuse pour nous, et d'autant plus serons nous tenus coulpables devant Dieu de n'avoir point pensé aux choses qui nous devroyent estre cognues sans qu'on en dise mot, ne que nul parle. Et ceci ne doit-il pas estre entendu de chacun? Et si nous n'y pensons, quand le diable nous vient ainsi picquer contre Dieu: et qui nous empesche de ce faire, sinon nostre malice et ingratitude? Voyans donc que nous sommes ainsi tardifs, et que les choses qui nous devroyent tousiours estre patentes, ne nous vienent point en memoire: tant plus devons-nous observer ce qui est ici touché, qu'un chacun se doit instruire en telles admonitions.

Voila donc les espreviers qui volent en l'air. Or c'est une chose estrange, seulement de voir qu'une beste se puisse ainsi ietter, et qu'elle se leve d'une telle roideur, qu'il semble qu'elle doive percer les nuees: si cela n estoit accoustumé, il est certain que nous en serions plus qu'esbahis. Car pensons nous que cela se face par cas fortuit? Si Dieu ne leur avoit donné une telle nature, seroit-il possible que les oiseaux se levassent ainsi Or quand nous voyons la main de Dieu toute patente

432

en un oiseau: qui sera celuy de nous maintenant qui luy voudra monstrer sa leçon? Car nous sommes confus en une chose bien petite: et quand nous ferons comparaison de Dieu avec les creatures, quelle proportion y a-il? quel voisinage? Et au reste quand nous ferons encores comparaison d'un esprevier avec tout le reste du monde, ce n'est rien. Voila une portion tant petite des creatures de Dieu, qui nous doit ravir en estonnement: que sera-ce donc de toutes ses oeuvres quand nous en ferons un denombrement entier, que nous ferons un discours de toutes les choses que nous voyons et haut et bas? Et puis quand nous pensons que la maiesté de Dieu est encores eslevee par dessus tous les cieux, d'une si longue distance que nous n'y pouvons point parvenir: et ne faut-il pas que nous baissions tous la teste pour l'adorer, et pour, luy faire hommage, et estre reprimez sans passer plus outre: toutes fois et quantes que le diable taschera, à nous faire picquer contre luy, ou bien à nous faire murmurer en façon que ce soit?

Touchant de ce qui est ici dit de la nature des aigles: on pourroit le prendre que les petis hument desia le sang, pource qu'une partie des aigles iettent leurs petis, tellement qu'ils sont contraints de se prouvoir eux-mesmes: et on dit qu'il n'y a que les aigles noires qui les nourrissent. Combien qu'encores ceux qui en ont escrit, varient en cela: car aucuns disent que les aigles reiettent comme bastards leurs petis, quand ils ne peuvent porter le soleil, et n'ont point la veuë assez forte. Mais nous n'avons que faire de toutes ces subtilitez qui s'apprenent des philosophes: ce nous est assez que Dieu nous monstre ici la nature des aigles telle qu'elle est cognue: et use de ceste façon grossiere (comme i'ay dit) afin que nous n'ayons aucune couverture ou excuse d'ignorance. Voila donc les aigles qui sont nees à la proye? voire des leur naissance, elles ont desia cela qu'elles hument le sang. Et c'est une chose estrange, qu'un oiseau se repaisse ainsi et se nourrisse de sang: voila un, cruauté qui y est mise: il faut donc que ce naturelle vienne d'ailleurs. D'où vient une telle diversité entre les oiseaux de proye, et les autres? Ne faut-il pas que Dieu y ait distingué, et qu'il nous ait monstré des signes de sa providence? tellement que nous soyons contraints de confesser que c'est luy qui gouverne et dispose toutes choses: et que les oiseaux comme ils ne se sont point creez quant à leur substance, aussi ils ne se sont point donné une inclination telle qu'ils ont: que cela leur vient d'ailleurs, et que Dieu se declare en sorte qu'il faut bien que nous adorions sa maiesté? Voila principalement ce que nous avons à retenir en ce

passage. Et pourtant il ne faut point qu'on aille

à l'escole: seulement qu'on ouvre les yeux. le di

IOB CHAP. XXXIX.

433

les plus idiots: car ce qui est ici monstré sera cognu de tout le monde, et faudra passer condamnation, quand nous aurons esté si stupides et brutaux, de ne point cognoistre ce qui nous est tout visible: mesmes quand nous aurons adiousté, que là où les aigles sentent les corps morts elles s'y trouvent: qu'elles flairent les charongnes de loin, et regardent là leur proye, pour se ietter de ce costé-la. Car quand nous voyons une telle chose, cognoissons que nostre Seigneur y a mis un mouvement secret: car il seroit impossible que les aigles d'elles-mesmes eussent cela, que Dieu ne les y eust duites, et qu'il n'y eust imprimé ie ne say quoy où il se monstre admirable. Ainsi donc, quand nous aurons regardé ça et là, et que nous aurons veu une telle diversité d'ouvrages: nous sommes contraints en despit de nous dens de cognoistre, O il y a ici un Createur qui domine, car si toutes bestes estoyent d'une nature et inclination, la providence de Dieu seroit plus obscure qu'elle n'est Il y auroit lors (ce semble) apparence de dire, c'est nature qui domine comme nous voyons mesmes que les philosophes, quand ils ont bien regardé et espluché par tout: au lieu d'adorer Dieu et le magnifier en ses oeuvres, ont appliqué tous leurs sens et esprits à forger une nature qui fust pour aneantir et Dieu et sa gloire: et le diable les a gouvernez en cela, à leur grande condamnation et horrible. Mais quand nous voyons une telle varieté, qu'un oiseau sera d'un naturel, l'autre d'un autre, que les bestes seront aussi diverses: on ne peut pas dire, Voila une nature: comme on feroit, si tous animaux alloyent leur plain chemin, et qu'on vist une correspondance egale en toutes bestes. Si les choses estoyent ainsi, incontinent Nature, diroit-on, Nature: on ne penseroit point à Dieu: mais quand nous verrons qu'un oiseau aura crainte: et l'autre non: voila l'ouvrage de Dieu qui apparoist mieux. les colombes (comme on voit) sont des bestes si craintifves que rien plus: et on voit les espreviers et les autres oiseaux de proye d'autre costé: on voit aussi à l'opposite, des autres oiseaux bien grans, qui ne s'addonneront point à la proye. Pour exemple, qu'on regarde des cygnes: et iront-ils ainsi manger les charongnes? sont-ils oiseaux de proye comme les aigles? Quand doue une telle varieté nous vient devant les yeux: Dieu alors nous demonstre sa providence plus notoirement, et en sommes tant plus convaincus. Et c'est une chose bien à noter que celle-la: car sans aller plus loin, si tous hommes avoyent une mesme face, et toutes femmes, et qu'il y eust une mesme stature, une mesme couleur, une mesme proportion de corps, une mesme contenance, un esprit semblable: nous ne cognoistrions point si bien qu'il y eust un Createur qui nous eust formez: nous ne cognoistrions point qu'il distribue

434

les graces et les dons de son Esprit en telle mesure qu'il luy plaist: il sembleroit que ce fust le ventre de la mere qui nous formast, que ce fust la semence du pere qui nous donnast et substance, et forme, et tout ce que nous avons: bref, les hommes ne tiendroyent rien de Dieu pour luy en faire hommage. Mais quand nous voyons qu'il y a tant de diversitez, que l'un sera grand, l'autre petit: que les façons de faire sont aussi tant differentes, que l'un aura un esprit aigu, l'autre pesant: que l'un aura grande faconde pour bien parler, que l'autre sera, à demi muet quand donc nous voyons toutes ces choses, ne faut-il pas, si nous ne sommes plus que malins et pervers, confesser que Dieu nous distribue, comme il luy plaist, les dons de son sainct Esprit, que c'est luy qui nous forme? ainsi que nous l'avons veu au paravant, que comme une femme, quand elle aura tiré son laict de la vache, donne forme an formage comme il luy plaist: Dieu aussi nous dispose en telle sorte que nous ne savons que ire, sinon que sa main y besongne, voire d'une façon miraculeuse. Et pourtant apprenons de n'est e point aveugles en une telle diversité que Dieu nous propose: toutes fois et quantes que nous ouvrons les yeux, et que tant de choses nous viennent au devant, que l'une a une telle figure, l'autre toute diverse: cognoissons que Dieu nous attire à soi: et voyant que nous sommes tardifs à y venir, qu'il nous solicite, et nous donne de tels aiguillons, qu'il faut comme par force que nous marchions avant, si nous ne lui voulons resister d'une certaine malice, et le despiter, pour dire, En voyant ie ne verrai point.

Il y a encores un poinct à noter, quand il est dit, Que les aigles s'assemblent là où sont les charongnes: assavoir que si les oiseaux de proye ont ceste industrie d'aller cercher pasture: et mesmes que les aigles flairent de loin, là où il y a dequoi manger: par plus forte raison il nous faut assembler là où Dieu nous monstre qu'est nostre vie. Et pourtant quelle excuse avons-nous, quand les oiseaux pour la viande corruptible s'assemblent, et mesmes qu'ils y courent, et y prennent tant de peine: si de nostre costé nous reiettons la pasture quand elle nous est offerte, et que nous n'ayons point l'esprit de nous assembler là où est nostre vie? Faudra-il d'autres tesmoins contre nous que les aigles? comme aussi nostre Seigneur Iesus propose ceste similitude là: car apres avoir parlé des troubles, qui devoyent estre 9; grands au monde, il dit Là où sera une charongne, les aigles s'assemblent comme nous pourrions en ces pays dire le semblable des corbeaux. Voila donc ces povres bestes qui ont bien ces e inclination de nature, de cercher viande et proye: et de nostre costé où est-ce que nous trouverons nostre vie? Faut-il que nous

SERMON CLIII

435

soyons si desprouveus de sens, quand Iesus Christ nous appelle et convie à soi, qu'il nous declare qu'estans là venus nous trouverons tout ce qu'il nous faut, et que nous serons enrichis de tous biens, que nous serons pleinement repeus de sa substance et vertu, pour estre contentez? Pensons-y donc: car quand nous avons une telle promesse, si nous sommes lasches, ne faudra-il point que les aigles rendent tesmoignage au grand iour contre nous?

Mais revenons au principal que nous avons touché du commencement: comme aussi Dieu fait ceste conclusion, Est-ce doctrine de contester contre le Tout-puissant? Et celui qui corrige Dieu, qu'il responde à ceci. C'est donc pour nous monstrer à quelle intention tant de choses ont esté deduites: car on pourroit trouver estrange que Dieu voulant maintenir sa iustice, et clorre la bouche aux hommes à ce qu'ils ne mesdisent point de lui: parle des estoiles, et du labeur de la terre, qu'il parle de la façon de naviguer, qu'il deduise la nature des bestes. A quel propos? Il sembleroit donc que Dieu cerchast ici des argumens extravagans. Voire: mais quand nous aurons regardé au poinct que i'ai touché, nous trouverons qu'il valoit beaucoup mieux qu'il maintint ainsi sa iustice, que s'il en eust disputé sans nous mettre les creatures en avant. Et pourquoi? car il nous faut revenir à ceste conclusion, Que s'il lui plaist il nous laissera babiller, et cependant nous n'y gaignerons rien: car nous ne pourrons pas crier si haut qu'il en ait les aureilles battues, il nous mettra au devant beaucoup de rempars: autant qu'il y a de creatures au ciel, et en la terre, et en la mer, se leveront, et se dresseront à l'encontre de nous, tellement que nous ne pourrons point approcher de Dieu. Nous voyons maintenant que ceste façon que Dieu a tenue pour rembarrer Iob, et en sa personne tous ceux qui sont impatiens, ou qui se veulent eslever par trop, est tant plus propre, et qu'il ne pouvoit tenir un meilleur moyen d'enseigner que celui qu'il a declaré par ci dessus.

Voila pourquoi i'ai dit qu'il nous faut bien noter ceste conclusion. Celui donc qui debat avec le Tout-puissant se monstre-il sage? Il est vrai, que d'autant que le mot qui est ici couché signifie tant Enseigner que Corriger (car il y a de mot à mot, Debattre avec le Tout-puissant, est-ce enseigner, ou corriger?) ceci se pourroit prendre comme s'il estoit dit, L homme qui intente ainsi procez et querelle contre Dieu, se prepare-il pour se chastier? mais tout au contraire il s'endurcist. Or est-il ainsi que nostre vraye sagesse est, de nous savoir chastier, et cognoistre nos povretez, pour en estre confus et en avoir honte telle, qu'il ne nous reste sinon de prier Dieu qu'il nous reçoive à merci,

436

et ait pitié de nous. Voila quelle est la vraye sagesse des hommes. Il faut donc conclure à l'opposite que ceux qui s'eslevent ainsi contre Dieu sont insensez du tout. Or tousiours la sentence reviendra là, il n'y aura point diversité de propos, et la doctrine aura tousiours un but: c'est assavoir Que les hommes non seulement sont mal advisez,

mais du tout desprouveus de sens et de raison, quand ils veulent ainsi plaider à l'encontre de leur Createur.

Et pour mieux comprendre cela, tenons ces deux degrez que i'ai dit. Pour le premier, que nostre vraye sagesse c'est de nous dompter. Cependant que l'homme se prise, OU qu'il attente outre sa mesure, ou qu'il s'esgaye: il ne fait sinon se precipiter en ruine, et l'issue ne peut estre que mortelle. Il n'y a donc rien meilleur pour nous, que de nous corriger: c'est à dire de nous abbattre tellement que Dieu chevisse de nous, et que nous cognoissions que nous ne sommes rien: qu'il y a tant de povretez en nous, qu'il faut bien qu'il nous gouverne, et que nous tenions tout bien de lui. Et puis pour le second, voyans comme nous sommes indigens et desprouveus et vuides, que nous recourions à lui qui est la fontaine de toute vertu, de toute sagesse, de toute iustice: bref, que nous sachions que c'est lui duquel nous tenons toute nostre vie avec ses dependences. Voila donc la façon d'estre bien endoctrinez: c'est qu'ayans honte de nous, nous recourions à nostre Dieu: et puis qu'en condamnant toutes nos meschantes cupiditez et tous nos vices nous cognoissions qu'en nostre nature il n'y a que perversité et corruption. Quand nous aurons apprins à nous hayr ainsi, il est certain que nous aurons beaucoup profité.

Or maintenant l'homme se pourra-il corriger, quand il veut plaider contre son Dieu? Il est certain que voila comme un breuvage pour nous rendre frenetiques, si le diable gaigne ce poinct-là sur nous, de nous envenimer contre Dieu, ou que nous soyons mal contens de luy, ou que nous l'accusions d'iniustice, ou que nous soyons faschez de ce qu'il ne nous traitte point à nostre guise: voila le diable qui nous met une furie en la teste, que nous devenons comme enragez. C'est donc bien arriere de nous chastier quand nous sommes ainsi despitez, et que nous rongeons nostre frein: et combien que Dieu nous afflige, que toutes fois au lieu de nous humilier, nous ne cessons de nous condamner contre luy. Et ainsi ce n'est pas nous enseigner, c'est à dire, ce n'est point cercher la vraye et bonne doctrine: ce n'est point une droite sagesse, quand nous plaidons ainsi contre nostre Dieu. Voici un poinct qui comprend beaucoup quand nous le saurons pratiquer comme il faut.

Mais d'autant que nous sommes tant adonnez à nos

IOB CHAP. XXXIX.

437

phantasies, et tant opiniastres: Dieu adiouste, que si nous le voulons corriger, il nous faut respondre à ceci, c'est assavoir à ce qu'il nous a mis au devant. Il est vray qu'on restraint ce mot à ce verset, Qu'il nous faudra respondre, si l'homme qui plaide contre Dieu se corrige: et d'autant qu'on voit le contraire, et qu'il est tout notoire, qu'il faut donc conclure que nous n'avons point occasion de plaider. Mais quand tout sera bien regardé il est certain que Dieu a voulu faire ici une conclusion generale des propos qu'il avoit deduits ci dessus. Ainsi donc notons que quand nous ne voudrons de nostre bon gré nous corriger, voire nous abstenans de tous murmures, ayans la bouche close, et n'attentans point d'arguer Dieu en façon que ce soit; si faut-il par force que nous venions là, quand nous aurons bien plaidé, Dieu a assez dequoy pour se venger de ce que nous aurons ainsi follement attenté. Et pourquoy? Car il armera toutes ses creatures: il aura autant d'advocats et de procureurs contre nous comme il y a d'oiseaux au ciel ou en l'air autant qu'il y a de poissons en la mer, et autant qu'il y a de bestes sur la terre: bref, il ne faudra point que l'homme sorte hors de soy pour estre convaincu: car ne voyons-nous pas un artifice admirable de nostre Dieu en chacun bout de nos doigts? Y a-il ongle qui ne rende tesmoignage que Dieu est un ouvrier si excellent, que nous devons estre confus toutes fois et quantes que nous pensons à une chose bien petite qu'il nous monstre?

Maintenant donc nous avons le vray sens et naturel de ce mot quand il est dit, Que celuy qu'argue le Tout-puissant, responde à cecy. Mais il nous faut noter combien ceste doctrine nous est utile. Il est vray que de prime face nous dirons tous, que c'est une chose trop vilaine et enorme de vouloir arguer Dieu: mais cependant qui est celuy qui s'en deporte? Nous ferons bien semblant d'avoir une telle modestie: mais si est-ce que quand la main de Dieu nous est trop rude, ou que les choses ne vienent point à nostre appétit, il n'y a celuy qui ne se fasche. Et ces fascheries-la, à qui s'adressent elles? Si nous pensions que les afflictions nous vienent de la main de Dieu, et que les troubles qu'on voit au monde sont autant de iugemens qui procedent de luy: et quand mesmes les bons sont persecutez, et que les meschans dominent qu'il veut par ce moyen-la exercer nostre patience; qu'il nous veut purger de toutes nos vanitez, qu'il nous veut bref mortifier quant au monde: si cela estoit cognu, ceux qui se despitent quand ils voyent que l'Eglise n'est point en paix ni à repos, que les bons sont foulez et molestez, que l'un est pressé de maladie, l'autre de povreté, et que cependant les meschans ont la vogue, s'en deporteroyent:

438

cognoissans, di-ie, cela alors nous serions enseignez à humilité. Mais quand à l'opposite nous sommes envenimez tellement que nous ne pouvons pas nous tenir de murmurer contre Dieu, et ne fust qu'entre nos dens: ie vous prie, n'accusons-nous point Dieu comme s'il estoit cruel, et comme s'il n'avoit point iuste raison de nous traitter en telle sorte? nous ne dirons point à pleine bouche que Dieu soit cruel et iuste, il est vray que nous ne parlerons pas ainsi: mais si est-ce que nous tendons à ceste fin. Ainsi donc nous voyons que c'est une doctrine qui appartient à tous que ceste-ci: c'est assavoir, Qu'il faut que nous respondions à toutes les oeuvres de Dieu, si nous le voulons arguer. Or maintenant employons tous nos sens qu'un chacun face tout ce qui luy sera possible: ie vous prie, quand nous aurons fait nos discours des choses qui ont esté recitées ci dessus: sera-il possible que nous respondions, et repliquions à l'encontre de Dieu en ce qu'il a fait et disposé en nature et en la creation des choses? Il est vray que nous trouverons bien encores assez de folie en nous: comme nous voyons que les hommes se desbordent, et que le diable aussi les aveugle tellement qu'ils ne font nul scrupule de despiter leur Createur. Mais il nous faut venir au poinct: Pourrons-nous, di-ie, contredire à l'ordre de nature tel qu'il est constitué? Pourrons-nous nier la providence de Dieu? Pourrons-nous abolir sa vertu selon qu'elle se monstre? Pourrons-nous dire qu'il n'a point fait et ordonné tout en sagesse? Et puis, pourrons-nous non plus aneantir sa iustice, laquelle nous apparoist avec sa bonté et sagesse? Pourrons-nous donc venir à bout de tout cela? Il est impossible. Et ainsi maintenant ne faut-il pas que les hommes soyent bien stupides, quand ils s'eslevent ainsi contre leur Createur? Or que reste il? Pour bien faire nostre profit de ceste doctrine, il nous faut commencer par ce bout, de sentir combien nous sommes povres pour respondre à ce que Dieu nous pourra mettre au devant. Voyans donc que nous ne pouvons point fournir à cela, que nous apprenions de nous humilier. Et en quelle sorte? Recourons à ceste sagesse dont desia il a esté parlé: c'est de nous corriger. Quand donc les hommes auront bien regarde à eux, et senti leurs povretez, il ne sera plus question de se plaire ne s'applaudir, ils ne se feront plus à croire qu'ils valent ceci ou cela: mais il faudra qu'il se despitent qu'ils ayent vergongne de leurs ordures: il faudra qu'ils se hayssent mesmes et se detestent, quand ils seront ainsi mortifiez: il faudra qu'ils presentent à Dieu le sacrifice dont il est parlé au Pseaume (51, 19), a savoir le sacrifice d'un coeur contrit. Quand nous serons là venus, c'est une vraye sagesse. Que les contempteurs de Dieu s'esgayent, et qu'ils se iettent comme à l'abandon tant qu'ils

SERMON CLIV

439

voudront: car ils ne feront que se ruiner, et faudra en la .fin qu'ils tombent bas apres s'estre bien eslevez. Mais en nous humiliant cognoissons que nous aurons un bon fondement et appuy, et que nous serons soustenus de la grace de nostre Dieu. Voila donc la sagesse et vertu de nostre Dieu, laquelle il nous faut magnifier au regard de ses creatures, quand en ce monde il nous fait iouir de tant de biens. Voila aussi nostre sagesse, Que regardans haut et bas pour y contempler la diversité de ses creatures qu'il nous monstre, nous recourions tousiours à lui pour estre certifiez de sa providence.

Et puis qu'il nous a fait la grace de nous appeller une fois à soi: que nous apprenions de nous tenir tout coyement sous sa main, et de nous laisser gouverner comme il lui plaira. Et cependant, s'il nous traitte d'une façon qui nous semble dure et fascheuse: que nous prenions le tout en patience, et que nous le prions qu'il nous console, et nous conferme tellement en son amour, que quoi qu'il en soit, nous n'attentions iamais de murmurer à l'encontre de lui.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

440

LE CENT CINQUANTEQUATRIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XL. CHAPITRE.

36. Iob respondant au Seigneur, dit, 37. le suis de basse condition: et que te respondrai-ie? le mettrai ma main sur ma bouche. 38. I'ai parlé une fois, et ne respondrai plus: voire deux, et n'y retournerai plus.

CHAPITRE XL.

1. Et le Seigneur parlant du tourbillon dit à Iob, 2. Ceins tes reins comme un vaillant homme: interrogue mot, et ie le te ferai entendre. 3. Abbatras-tu mon iuyement? me condamneras-tu pour te iustifer? 4. As-tu un bras comme Dieu, ou si tu tonnes d'une telle voix? 5. Vests toi de gloire et de magnificence, sois excellent, pren tes robbes precieuses. 6. Espan la fureur de ton ire: regarde à tous les orgueilleux, pour les abbattre.

Nous avons veu par ci devant que Dieu pour instruire Iob à une droite humilité, parloit du tourbillon: car combien que sa voix seule nous doive assez estonner, toutes fois par cela encores monstre-il mieux combien nous sommes durs: quand il faut qu'il prenne quelque moyen pour abbattre cest orgueil, ou il n'en pourra venir à bout. Vrai est que l'humilité procede de l'Esprit de Dieu: et que ceux qui sont obstinez à mal, iamais ne s'assuiettissent sous lui de leur bon gré, combien qu'il leur baille les advertissemens et experiences qui sont pour les y amener et comme contraindre: mais tant y a que Dieu en usant de ces moyens violens envers ceux mesmes lesquels il gouverne par son Esprit, nous veut en cela monstrer la malice et perversité qui est en nostre nature: veu

qu'il faut qu'il tonne, qu'il bruye, ou nous demeurerons tousiours stupides, tellement que nous ne sentons point sa maiesté ni vertu pour nous assuiettir à lui.

Maintenant le fruict nous est declaré de ce que Dieu a fait, car quand il est dit, que Iob a respondu qu'il estoit de basse condition, et qu'il falloit qu'il se teust, et qu'il avoit la bouche close: en cela voit-on que Dieu ne s'est point ainsi magnifié en vain, et que quand il a ainsi parlé d'un tourbillon, ce n'a point esté sans effect. Et pourquoi? Car voici Iob dompté comme un petit agneau, il n'est plus question de replique. Il s'estoit rebecqué par ci devant, il avoit voulu contester contre Dieu, maintenant sa cause: or tout cela est abbattu, et dit qu'il n'osera plus parler et encores qu'il ait avancé beaucoup de propos, il se desiste et deporte du tout. Apprenons donc, que quand Dieu aura tonne en vehemence, c'est pour nostre profit, combien que nous trouvions cela rude de primeface. Il faut, di-ie, que Dieu nous espouvante: car de nostre costé nous sommes durs à l'esperon, nous ne sommes pas aisément assuiettis: et ainsi il faut qu'il y ait une violence grande pour abbatre l'orgueil qui est en nous de nature. Mais notons cependant aussi que quand Dieu aura ainsi parlé comme d'un tourbillon, il n'y a point d'excuse si nous ne suivons l'exemple de Iob, cognoissans la povreté qui est en nous, afin de nous rendre tous cois. Et c'est un poinct digne d'estre noté. Car on verra tous les iours, combien Dieu est aspre et rude, afin de matter les hommes, et de les reduire à soi: cependant ils n'y profitent rien Si Dieu envoye à l'un une

IOB CHAP. XL.

441

maladie, qu'il chastie l'autre de povreté: n'est-ce pas comme s'il parloit d'un tourbillon? Et mesmes ne frappe-il point alors sur nos testes à grands coups? Or tant y a que bien peu s'amendent: on verra que les uns grondent contre luy, les autres ont une furie impétueuse pour se rebecquer, les autres sont opiniastres et endurcis, et tout ce que Dieu fera ne les esmeut point. L'exemple de Iob condamnera une telle stupidité et obstination. Et pourquoy? Combien que Iob eust esté impatient pour un temps, et qu'il y eust eu en luy quelques esmotions qui le transportoyent: si est-ce en la fin qu'il a ouy ceste voix de Dieu bruyante, que ce tourbillon luy a causé en luy quelque frayeur, tellement qu'il s'est corrige, s'imposant silence. Et ainsi nous en faut-il faire: pourtant, que nous avisions de nous renger: car apres que Dieu nous aura esté vehement, et qu'il nous aura effarouchez, si nous sommes tousieurs bestes sauvages, il est certain que cela nous coustera bien cher. Ainsi donc encores que nous ayons esté mal avisez, ne persistons pas. Ne pouvons-nous pas nous renger du premier coup à Dieu? pour le moins gardons nous d'estre opiniastres, quand nous voyons qu'il nous presse, et nous contraint quasi par force à luy estre obeissans. Si donc Dieu use des moyens qu'il a ordonnez, que nous n'y resistions pas. Car qu'y pensons-nous gaigner? En la fin si faudra-il que nous soyons abysmez sous sa main. Voila donc ce que nous avons à noter en premier lieu.

Mais cependant apprenons de porter patiemment les coups que Dieu nous donne, sachans que par ce moyen il nous veut preparer pour estre suiets à luy: et d'autant que cela nous est bon, que de bestes sauvages il nous face devenir comme brebis et agneaux: que nous ne portions point aigrement tels preparatifs: mais qu'à l'exemple de Iob nous disions, Seigneur, me voici de basse condition. Or il est vray qu'il semble que ce mot n'emporte point beaucoup: mais si nous cognoissons bien la folle outrecuidance qui est aux hommes, nous verrons que Iob a beaucoup profité en disant, qu'il estoit de basse condition. Si on nous demande d'où nous sommes venus, Et nous sommes povres creatures, nostre origine est de terre, nous sommes si fragiles que c'est pitié, il y a en nous tant d'infirmitez: nous confesserons cela de bouche: mais cependant nous ne laissons pas de nous priser: et oublions d'où nous sommes sortis, et où il nous faut retourner, et quelle est nostre condition presente: cela ne nous vient point en memoire. les hommes donc sont comme enyvrez, se faisans à croire qu'ils valent beaucoup, et s'attribuent une dignité par imagination et phantasie. Et ainsi quand quelqu'un en verité et sans feintise se cognoist pour se mespriser, et qu'il n'a rien en soy pourquoy il se doive faire

442

valoir: c'est beaucoup, voila une grande sagesse. Et notons bien, que iamais nous ne viendrons à une telle raison, iusques à ce que nous soyons touchez de la maiesté et gloire de Dieu. Car cependant que les hommes se regarderont l'un l'autre, Ils prendront occasion de s'estimer. Et ne vaus-ie pas autant comme cestui-ci et cestui-la, Ceste comparaison donc que font les hommes entr'eux, est cause de les aveugler, et que tousiours ils cuident estre ie ne say quoy: mais quand nous venons à Dieu, et qu'il se declare tel qu'il est, il faut que toute ceste outrecuidance que nous aurons conceuë s'esvanoui se, qu'elle s'escarte, et soit reduite à neant. Et ainsi nous avons à desirer, que Dieu nous face sentir sa gloire, afin que nous entrions en cest examen de nostre povreté, et que nous puissions nous aneantir tellement, que nul ne se trompe plus en quelque folle phantasie. Et voila pourquoy aussi Abraham quand Dieu luy est apparu, dit, Helas! ie ne suis que terre et cendre. Nous parlerons bien ainsi quasi tous, encores que Dieu soit comme eslongné, et que nous ne pensions gueres à luy: mais il n'y aura qu'hypocrisie et fiction: cela ne se fera iamais de coeur et à bon escient, iusques à ce que nous ayons senti que c'est de Dieu. Et ainsi notons bien l'ordre qui est ici couché: c'est assavoir que Iob apres que Dieu a parlé à luy du tourbillon, confesse qu'il n'est rien, et qu'il ne doit point avoir l'audace de parler en façon que ce soit. Mais aussi avisons bien quand Dieu nous aura fait la grace de s'estre apparu à nous, que nous ne soyons plus si fols de rien estimer de nous, ne de nos vertus. Il ne se faut point esbahir, si les povres Papistes imaginent un franc arbitre, et s'ils establissent des merites pour conquester p radis, et cuident faire Dieu leur detteur. Et pourquoy? Car iamais n'ont eu la clarté de l'Evangile, qui descouvre les povretez des hommes, entant que Dieu desploye là sa iustice. Ces povres gens donc n'ayans iamais senti quelle est la vertu de Dieu, s'abusent en telles tromperies. Mais de nostre costé puis que Dieu nous declare combien sa iustice est parfaite, et que cependant il descouvre nos ordures, et nous monstre qu'il n'y a que toute abomination en nous. Il ne faut plus que nous soyons attachez à telles resveries: mais que nous soyons du tout aneantis, que tout orgueil soit mis bas en nous, afin de glorifier nostre Dieu. Ceux donc qui auront esté purement enseignez en l'Evangile, doivent estre sages iusqu'à ce poinct de s'aneantir. Et voila pourquoy nous disons, que la foy apporte l'humilité aux hommes: car selon que Dieu nous revele sa bonté, il faut que nous sachions que c'est d'autant qu'il n'y a en nous que toute malediction, et que nous serions perdus et abysmez, n'estoit qu'il luy pleust de nous subvenir par sa

SERMON CLIV

443

misericorde. Et ainsi la doctrine de l'Evangile nous amene à ceste modestie-la, de nous deprimer et de nous monstrer que nous ne sommes du tout rien qui vaille.

Or cependant Iob dit, Qu'il mettra la main sur sa bouche: que s'il a parlé une fois il n'y retournera plus: votre s'il a parlé deux fois, il n'y adioustera rien. Quand il dit, qu'il mettra la man sur sa bouche, c'est pour signe et protestation qu'il se deporte de plus s'avancer: comme ceste façon de parler est souvent en l'Escriture. Et c'est pour noter, qu'il nous faut reprimer nos fols appetits quand nostre chair nous chatouille à parler: qu'il faut que nous y resistions, comme si nous mettions là une museliere ou une bride pour nous retenir. Si l'homme de soi estoit tant sage, qu'il ne fust point tenté de mal parler, il n'auroit que faire de mettre la main sur sa bouche: il se contraindroit de son bon gré, et ne luy faudroit point d'empeschement ne barre: ainsi à l'opposite quand il est dit, que nous devons mettre la main sur la bouche c'est pour nous signifier, que nous avons à batailler contre nos folles cupiditez et concupiscences, qui sont tousiours pour nous faire estre trop hastifs à parler, tellement que nostre langue sera tousiours aguisee, pour ietter ie ne say quoy qui ne vaudra rien à l'encontre de Dieu. Nous sommes donc ici advertis d'un vice qui est grand, et bien mauvais et pernicieux: c'est que nous voulons estre trop subtils pour plaider contre Dieu, et nous venons vanter afin de couvrir nos povretez par vaines excuses. Voila donc où c'est que les hommes tendent, et sont du tout enclins: c'est assavoir qu'ils se couvriront par hypocrisie: que plustost ils condamneront Dieu, qu'ils ne souffriront d'estre amenez à raison: qu'ils auront tousiours quelque mensonge, et useront de subterfuges, mesmes en la fin ils viendront à desgorger des blasphemes. Car quand nous avons une langue ainsi venimeuse, et laquelle est du tout confite en mensonge et en fausseté, en la fin elle se desborde à l'encontre de Dieu. Quand nous cognoissons cela, n'avons-nous pas bien à nous desplaire? Et ainsi quand nous oyons ceste façon de parler, qu'il a fallu que les saincts personnages ayent mis la main devant leur bouche: cognoissons la promptitude qui est en nous à mal parler. Et mesmes quand nous ferons comparaison de nous avec Iob: si celuy la ne s'est peu taire sans s'efforcer, helas! et que sera-ce de nous? Car il s'en faut beaucoup, que nous ayons tant profité que luy.

Voila donc quant au premier, Que les hommes se doivent tousiours tenir pour suspects quand ils ont à parler: sachans bien que tousiours leur nature les pousse à cela de mal parler: et que leur langue n'est sinon une boutique de mensonge et d'hypocrisie:

444

et qu'en la fin on cognoist qu'il n'y a que venin: comme il est dit au Pseaume (140, 4), Que le venin d'aspic est aux langues de ceux qui ne sont point reformez. Iusques a ce que Dieu ait purifié nos bouches, il n'en sauroit sortir que malédiction et amertume. Et ainsi que de la nous apprenions à nous reprimer, voire hayssans le mal qui est trop accoustumé en nous: et que nous apprenions de nous renger à ceste modestie et obéissance qui nous est ici declaree par le sainct Esprit. Car d'autant que nous sommes si faciles à mal parler, il faut que nous mettions peine de corriger un tel vice. Et defait ce n'est point assez de l'avoir cognu, et d'en avoir passé condamnation: mais il faut venir au remede. Iob donc a-il mis la main devant sa bouche? les autres saincts Prophetes en ont-il fait autant? Suivons-les en cela: c'est assavoir quand nous serons solicitez à murmurer contré Dieu, combien que nous ayons des inventions assez subtile pour desguiser la verité, et la convertir en mensonge resistons à une telle malice, bataillons contre ce mal, voyans qu'il est pervers et que Dieu le condamne. Et comment cela? Mettons la main devant nostre bouche, c'est à dire que nous nous mettions barre: car il nous faut brider comme des mauvaises bestes. Et ainsi, qu'un chacun regarde à soy de pres: et s'il advient que nous soyons affligez, ou qu'il y ait quelque autre obiect pour faire que l'un s'aigrisse, que l'autre se fasche, que l'autre soit envenimé, tellement que nous soyons solicitez à mal parler: reprimons nous. Et voire, mais ie sens que cela m'est difficile, et ie tens tousiours de l'autre costé. Ouy: mais il suffira que nous y resistions. Non point que nous ne soyons à condamner, encores que nous surmontions tontes tentations: car si est-ce que desia ceste seule phantasie que nous aurons conceue, est mauvaise et vicieuse devant Dieu: mais il nous accepte par sa bonté infinie, quand il voit que le mal ne nous plaist point, mais que nous taschons de le reprimer. Dieu donc voyant que nous avons ceste inclination en nous, ne laisse pas de nous accepter. Voyans donc qu'il se monstre ainsi liberal envers nous, tant plus grand courage devons nous avoir de rembarrer les mauvaises paroles, les blasphemes et les murmures qui se pourroyent lever à encontre de Dieu.

Il est dit, que Iob ayant parlé une fois, se desiste: voire ayant parlé deux, il n'y retourne plus. En quoy il est signifié pour le premier, que si nous avons trop continué à mal parler, il ne faut point pour cela nous endurcir: comme nous en voyons beaucoup, que quand ils se sont une fois iettez à travers champs, et esgarez bien loin, on ne les peut reduire: car ils iouent au quitte et au double, comme on dit. Ce n'est pas ainsi qu'il

IOB CHAP. XL.

445

nous en faut faire: car combien que le mal ait continué, et que nous l'ayons poursuivi par trop: Fi est-ce qu'il nous faut tourner bride si tost que Dieu nous admonneste. Qu'un homme donc ne face point de l'acariastre quand il aura long temps failli, et redoublé le mal, et qu'apres avoir ietté un fol propos à l'esgaree, il en aura adiousté et deux et trois: que pour cela il ne s'envenime point contre Dieu: mais qu'il se condamne et trois et quatre fois, et puis qu'il retourne au bon chemin. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage, Que si nous avons poursuivi à offenser Dieu long temps, tousiours la saison est opportune de nous reduire. Il y a pour le second, Quand nous aurions beaucoup d'occasions, qu'il ne faut point pourtant nous flatter. Comme voici Iob qui a eu de belles couleurs: il n'a point seulement allegué une raison pour maintenir sa cause: il en a eu beaucoup, et a doublé ses propos en diverses sortes, tellement qu'il sembloit qu'il avoit argument suffisant. On eust dit qu'il s'estoit bien persuadé cela, et qu'il estoit deliberé d'en sortir avec victoire: que s'il avoit mis en avant un article, il pouvoit venir à l'autre. Maintenant il renonce à toutes ces repliques, et à tonte ceste belle apparence qu'il avoit pour plaider à l'encontre de Dieu. Si i'ay parlé, dit-il, une fois et deux, ie renonce à tout, e n'y retourneray plus. Par cela nous sommes enseignez (comme i'ay dit) qu'encores que nous eussions de belles couvertures, et que nous pensissions avoir des raisons bien bonnes et bien fondees pour maintenir nostre cause: ce n'est rien, il faut que tout aille bas. Et ainsi ne nous flattons plus en nos vanitez: car en la fin il nous faudra venir à ce qui a esté traitté par ci devant, Que Dieu aura mille articles pour un. Gardons nous donc d'entrer en contestation avec luy: et aussi resistons constamment à toutes les phantasies que le diable nous mettra au cerveau. S'il nous veut faire despiter contre Dieu, s'il nous solicite, et nous enflamme à murmures et à rebellions: que tout cela soit mis bas, combien que nous eussions une centaine de repliques qui nous semblassent belles et bonnes.

Or cela fait, il est dit que Dieu a encores recommencé à parler du tourbillon en disant à Iob, Ceins tes reins comme un vaillant homme: ce que nous avons veu desia ci dessus. Or on pourroit trouver estrange, comme Dieu parle encores d'une façon espouvantable à Iob, et comme il le defie, et se mocque de son arrogance: veu qu'il a esté abbatu en soy. Mais par cela voit-on, que quand nous sommes humiliez, il y a encores quelque residu d'orgueil caché en nous, qui n'apparoist point sinon devant Dieu, et qu'il faut qu'il nous en purge. Il est bien certain que Iob en confessant qu'il estoit une povre creature un homme de

446

neant, n'a point usé de feintise: qu'il a parlé comme son coeur le portoit. Le voila donc pleinement donté, le voila d'un esprit debonnaire et humble, qui ne demande sinon de se renger à Dieu: et toutes fois il a besoin d'estre. encores chastie, et d'estre mieux instruit afin qu'il se recognoisse tel qu'il est, afin qu'il glorifie Dieu et luy attribue toute louange. Et comment cela? Pource qu'il y a tousiours (comme i'ay dit) quelque arriere boutique: combien que les hommes soyent amenez à Dieu, et qu'ils demandent de se renger à luy: si est-ce qu'ils ne sont point totalement purgez d'orgueil du premier coup: et Dieu y cognoist encores quelque maladie secrete laquelle il faut qu'il corrige. Voici un passage bien notable: car nous sommes esbahis quand Dieu nous aura affligez, et que nous aurons confessé en un mot que c'est à bon droit, et recognu nos pechez, si encores il poursuit à nous traitter asprement. Ce sera, à dire, Et quoy? Et faut-il que Dieu me soit ainsi rigoureux? Car il sait que ie me suis humilié: et si i'ay failli ie recognoy ma faute, voire mes fautes, et ie les confesse, ie m'en accuse. Et ne luy suffist-il point? Et que demande-il plus? Il nous semble donc que Dieu nous face quasi tort, quand il nous frappe, moyennant que nous ayons confessé en un mot que nous sommes pecheurs. Voire? mais regardons à Iob: non seulement il avoit confessé qu'il estoit un homme de neant: mais il le sentoit ainsi, et s'estoit efforcé à ne plus avoir de replique, il avoit esté espouvanté de la gloire de Dieu qui luy estoit apparuë: et cependant encores il a besoin que Dieu tonne, et qu'il se monstre en tourbillon, qu'il espouvante Si Iob apres avoir esté ainsi abbatu a encores mestier d'estre estonné, afin qu'il se recognoisse mieux, afin qu'il rente ses miseres, et qu'il oublie toute rebellion: helas que sera-ce de nous? Et neantmoins on en verra beaucoup qui n'ont qu'hypocrisie, voire et impudence, qui torcheront leur bouche, pour dire, Et il est vray que i'ay failli. Moyennant qu'ils ayent dit ce mot-la en faisant le nicquet, voire comme par façon de moquerie: si du premier coup on ne les accepte comme iustes, et qu'on ne les traitte bien delicatement, il leur semble qu'il n'y a nul propos. Or comme i'ay desia dit, encores que nous eussions senti nos pechez, voire à bon escient, et que sans fointise nous les eussions confessé, et que nous ne demandions sinon que Dieu nous, gouverne, et qu'il ait toute domination sur nous: ce n'est point à dire qu'il n'y ait encores du mal cache, combien qu'il soit incognu. Vray est qu'il nous semble qu'il n'y ait plus d'orgueil, d'autant que nous ne le verrons point auiourd'huy: mais demain il se verroit si Dieu n'y mettoit remede. Et ainsi ne trouvons point est: ange, que Dieu parle à nous comme en

SERMON CLIV

447

tourbillon, comme en tonnerre, lors qu'il nous aura affligez, et que nous n'en pourrons plus. Ne soyons point esbahis si Dieu continue à parler ainsi à nous: car il sait pourquoy il le fait. Que si nous n'appercevons pas les fautes qui sont en nous, ne laissons pas de nous condamner. Et mesmes encores qu'elles n'y fussent point, Dieu cognoist que nous y pourrions tomber du iour au lendemain, voire et à chacune minute: et Dieu en nous chastiant use de medecine preservative. Et ainsi portons patiemment les afflictions que Dieu nous envoye, sachans que par ce moyen il avance nostre salut, et le procure.

Or venons maintenant aux propos que Dieu traitte ici. En premier lieu il defie Iob en disant, Trousse tes reins comme un habile homme, et bien vaillant. Il est vray qu'il n'y a qu'un mot en Hebrieu: mais il emporte un homme vertueux, un vaillant homme. Il dit donc, Monstre toutes tes vaillances. Et en cela nous voyons que Dieu ne parle point seulement pour la personne de Iob: mais c'est à tout le genre humain sans exception: comme s'il disoit, Que les hommes apportent toutes leurs forces, qu'ils se disposent tant qu'ils voudront, qu'ils viennent avec tout leur equippage: que gaigneront-ils contre moy? Voila donc une defiance que Dieu fait à grans et à petis, pour monstrer qu'ils ne pourront apporter nulle vertu qui soit pareille à la sienne: c'est le premier. Or il semble bien que cela soit par trop vulgaire: car il n'y a celuy qui n'eust horreur de se vouloir faire du tout esgal à Dieu. Quand on demandera aux hommes, si leur intention est de monter si haut, que Dieu n'ait plus de supériorité sur eux: ils diront, comment? Ne seroy-ie pas bien enragé? Mais cependant en nous picquant contre luy, nous le faisons. Si nous voulons nous iustifier, et excuser nos fautes: n'est-ce pas despiter Dieu? N'est-ce pas luy faire la guerre? Quand donc nous entrons ainsi en combat avec luy, il nous semble que nous pourrons faire partie contre luy. Comme defait si l'homme ne s'esbahit point de la maiesté de Dieu, il presumera de venir à bout de ce qu'il entreprend, il ne pourra iamais estre retenu. Si donc nostre temerité nous transporte iusques là de batailler à l'encontre de Dieu: c'est signe que nous imaginons qu'il y a une vertu en nous pareille à la sienne. Et ainsi ce n'est point sans cause que Dieu nous defie ici tant que nous sommes, et grans et petis, monstrant que c'est une furie à nous de venir ainsi combatre contre luy: car iamais nous n'en viendrons à bout.

Et notons bien, quand Dieu dit, Trousse tes reins comme un vaillant homme: qu'ici il declare que c'est on vain que nous presumons de toutes

448

nos forces. Qui est cause de nous faire ainsi hardis, quand nous pretendons d'estre iustes, que nous voulons estre sages: sinon que nous cuidons ce qui n'est point? Si nous n'estions preoccupez de ceste folle opinion qu'il y a quelque vertu en nous, iamais nul n'oseroit s'attacher ainsi à Dieu: Notamment donc il nous est ici parlé des forces humaines, afin de monstrer que ce n'est que fumee de ce que les hommes en pensent: et qu'ils auront beau se faire à croire qu'ils sont robustes: mais que Dieu les cognoist tels qu'ils sont. Cependant il monstre qu'il ne veut point avoir une humilité contrefaite: comme nous voyons que beaucoup en voulant s'humilier devant Dieu, mentiront: C'est à dire, de bouche ils confesseront ce que le coeur ne porte pas. Entre les Papistes on preschera bien ceste vertu d'humilité: mais quand ils disent, Helas! ie suis un povre pecheur, ils ne laissent pas d'avoir un propos tout repugnant: c'est qu'ils meritent devant Dieu, et combien qu'ils soyent pecheurs, ils ont leurs satisfactions pour se racheter. Voila donc les Papistes qui seront enflez d'orgueil comme crapaux: et cependant ils feront semblant de passer tousiours condamnation devant Dieu. Et entre nous combien y en a il qui sont ainsi farcis d'arrogance? Bref, les hommes ne peuvent monstrer signe d'humilité que par mocquerie, d'autant qu'ils sont persuadez de beaucoup valoir. Pour ceste cause Dieu declare ici, que quand nous aurons examiné toutes nos forces, que nous aurons bien pensé à ce qui est en nous: nous trouverons en la fin que le tout n'est rien, et qu'il n'est plus question de nous armer, ne de nous mettre en appareil, pour nous dresser contre luy. Voila donc ce que nous avons à noter en somme: c'est, que nostre Seigneur ne nous despouille point de ce que nous avons, afin d'avoir quelque avantage sur nous. Car quand nous l'aurons contemplé, que nous cognoissions seulement quels nous sommes: et alors nous verrons bien, qu'il n'y a plus ne force ne vertu pour nous dresser contre luy. Quand il est parle de trousser les reins, c'est à la façon de ce temps-la, et du pays aussi: pource qu'on portoit de longues robbes, et quand ils alloyent en combat ou en voyage, ils troussoyent leurs reins pour estre plus agiles. Dieu donc monstre ici, que quand les hommes auront tout fait, en la fin ils se trouveront confus. Et ainsi n'attentons point de nous faire valoir: car ce sera tousiours pour nous redarguer tant plus de nostre folle arrogance: mais gaignons nostre cause en nous condamnant: comme C'est le seul moyen pour obtenir grace devant Dieu: ainsi qu'il est dit, que nous serons absous de luy, quand nous aurons apprins de nous condamner: mais que si nous y allons par orgueil pour heurter contre sa main, laquelle est trop forte pour nous, il faudra que nous soyons

IOB CHAP. XL.

449

cassez et brisez sous icelle, et Sentirons que c'est un fardeau trop pesant.

Or cependant il est dit, Pourras-tu renverser mes iugemens, et me condamner en te iustifiant? Si tu pretens de ce faire, regarde si tu pourras abbatre tous les orgueilleux du monde? Ici Dieu prend la cause qu'il a, à plaider contre Iob, c'est assavoir qui sera le plus iuste. Non pas que l'intention de Iob fust telle de blasphemer contre Dieu si vilainement (comme nous avons dit ci dessus) il eust mieux aimé estre mort cent mille fois, que d'avoir pense un propos si execrable de vouloir condamner Dieu: mais tant y a qu'ainsi est, que quand l'homme se veut iustifier, et qu'il a ceste phantasie en la teste, il faut qu'il condamne Dieu: quand il veut maintenir sa cause, il faut qu'il renverse le iugement de Dieu. Cela a esté deduit par ci devant: mais il faut le reduire en memoire, et ce n'est point une repetition superflue que met ici le sainct Esprit. Notons bien donc que si tost qu'un homme entreprend de maintenir sa cause comme s'il ostoit iuste, il veut condamner Dieu, voire obliquement: combien qu'il n'ait point conceu cela de propos deliberé, si est-ce qu'il le fait. Et pourquoy? Car Dieu ne peut estre iuste, et ne peut estre Iuge aussi, iusques à ce que nous soyons tous damnables. Cependant que les hommes auront quelque iustice en eux, comment est-ce que Dieu sera leur Iuge? Or il nous condamne tous une fois: et s'il y a iustice en nous il nous fait tort: il faut donc que toute nostre iustice soit abbatue, c'est à dire, que nous cognoissions qu'en nous il n'y a qu'iniquité, et que nous n'avons pas un seul grain de vertu qui soit louable: mais que ce n'est sinon puantise, ordure et infection. Iusques à ce que nous en soyons là venus, Dieu ne peut estre Iuge du monde. Et ainsi quiconques veut maintenir sa cause, et veut faire à croire et à luy et aux autres, qu'il est pur et innocent: celuy-la renverse les iugemens de Dieu entant qu'en luy est: et puis on le condamne cruel. Il est dit, Qu'enfin que Dieu soit iuste, il faut que toute bouche soit fermee, et que tout le monde se confesse redevable à Dieu. Voila les mots de S. Paul au troisieme des Romains (v. 19). Puis qu'ainsi est, au contraire il n'y aura plus de iustice en Dieu, mais elle sera abbatue, si de nostre costé nous avons la bouche ouverte, que nous venions repliquer à l'encontre de luy pour plaider nostre cause.

Nous voyons donc que ce n'est point en vain qu'il est ici dit à Iob, qu'il a voulu renverser le

450

iugement de Dieu, et qu'il l'a voulu condamner en se iustifiant. Or si cela est advenu à Iob lequel avoit une saincteté angelique, lequel au milieu de ses tentations a tousiours protesté qu'il vouloit donner gloire à Dieu, et l'a faict aussi sans fiction: helas! que sera-ce de nous qui sommes tant fragiles? Avons-nous esté de longue main enseignez en la crainte de Dieu comme luy? En avons-nous eu une telle pratique? Nous y sommes-nous adonnez? En avons-nous eu une telle cognoissance comme elle luy a esté donnee? Avons-nous eu une telle humilité? Helas! il s'en faut beaucoup. Et toutes fois nous voyons qu'il a failli, voire iusques à ceste extremité, de se vouloir excuser en condamnant Dieu. Regardons maintenant quels sont nos murmures, quand Dieu nous afflige on quelque sorte. Comment y procedons-nous? comme bestes ouvrages, nos passions sont si exorbitantes que c'est pitié. Il nous sera donc reproché à bon droit, que nous taschons de renverser la iustice de Dieu, afin qu'il ne soit plus Iuge du monde: que nous le condamnons on voulant maintenir nostre iustice. Voila qui nous doit bien apprendre, de nous tenir serrez toutes fois et quantes que nous voulons plaider contre Dieu, et que nous pensons avoir bonne cause: Helas! et qui suis-ie? que ie me vienne ainsi eslever contre celuy qui m'a creé et formé? que ie le vueille despouiller de sa iustice? Il est impossible que Dieu n'ait toute perfection de iustice en soy. Et pourtant quand ie me seray ainsi desbordé pour me dresser contre Dieu: ne faudra-il point qu'il me confonde, et que ce soit à ma grande confusion? Voila ce qui nous doit retenir. Que nous cognoissions donc ceci toutes fois et quant s qu'il nous advient de nous despiter contre Dieu, et que nous ne pouvons recevoir les afflictions de sa main: que nous entrions en ceste consideration, que c'est autant Comme si nous voulions despouiller Dieu de sa iustice, et faire qu'il ne fust plus Iuge du monde. Or puis qu'ainsi est, gardons nous de tels blasphemes, et que nous ayons horreur de venir iusques là: sachans que si nous y sommes une fois entrez, voila comme un abysme profond, duquel il sera difficile de nous retirer. Avisons donc de ne nous plus eslever à l'encontre de Dieu: mais plustost de nous humilier en tout et par tout sous luy. Voila comme il nous on faut f, ire Le reste sera reservé à demain.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON CLV

451

LE CENT CINQUANTECINQUIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XL. CHAPITRE.

Ce sermon est encores, sur les versets quatrieme, cinquième, sixiéme, et sur le texte ici adiousté.

7. Iette la veuë sur les hautains pour les accabler, abysme tous les meschans, et les racle de leur lieu. 8. Cache les en la poudre, lie leur face en tenebres, 9. Et alors ie diray que ta dextre te peut sauver. 10. Voici Behemoth que i'ay fait avec toy, il mangera le foin comme le boeuf. 11. Sa force est en ses reins, sa vertu est au nombril de son ventre. 12. n dresse sa queue comme un cedre, les nerfs de ses genitoires sont entrelassez. 13. Ses os sont comme d'airain, et ses petis os sont comme barres de fer. 14. C'est le commencement des voyes de Dieu, celuy qui l'a tait iette son glaive contre luy. 15. les montagnes luy portent herbes, et toutes les bestes des champs se iouent. 16. Il demeure entre les roseaux et aux lieux humides. 17. les ombres le couvriront, et les saules des torrens le cachent. 18',. Voici il humera les fleuves, et ne s'en estonnera point: il se fie que le Iordain, passera par son gosier. 19. On le prendra, à un hameçon par ses narines, et le percera-on.

Nous vismes hier que quand les hommes se despitent en leurs adversitez, ils intentent procez contre Dieu, se voulans iustifier en le condamnant: car combien qu'ils ne parlent pas ainsi de bouche, neantmoins la chose est telle, que si l'homme se veut excuser, il condamne Dieu. Or maintenant qui gaignera la cause? Et voila pourquoy il est dit, qu'ayant apporté toutes nos forces, ce ne sera rien: qu'il s'en faudra beaucoup que nous soyons pareils à celuy qui nous a creez, et qui tient tout en sa main. Et maintenant il nous est remonstré que c'est de nous au regard de Dieu, afin de nous faire rabaisser nostre caquet. Et defait c'est ce qui doit amener les hommes à humilité, que de regarder à leur condition: et cependant cognoistre aussi quelle est la gloire et la maiesté de Dieu. Car si les hommes se regardent simplement, encores ne laisseront-ils pas de presumer et de s'eslever tousiours en quelque vaine fiance: mais quand ils levent les yeux en haut, et qu'ils contemplent Dieu, et puis qu'ils descendent à eux, les voila du tout abbatus. Il est donc dit, Ton bras est-il semblable à celuy de Dieu, et bruiras-tu d'une voix semblable à luy? Or si l'homme regarde son bras, voire toutes les forces du monde qu'y trouvera-il en comparaison de ceste puissance infinie qui domine sur tout? Il est vray (comme i'ay desia dit) que l'homme sera

452

assez fol, pour cuider que sa force est grande, quand il ne iettera point sa veuë plus loin: mais si tost que Dieu se monstre, il faut que tout le reste soit comme aneanti.

Et afin que ceci nous touche mieux, il est dit à Iob, Qu'il se veste de gloire, de magnificence, et de maiesté. Voila comme l'Escriture parle de Dieu: et aussi (comme la chose le monstre) qu'est-ce que le ciel, sinon un manteau imperial ou royal que Dieu a: tellement que nous sommes contraints d'estre esmeus à reverence quand nous contemplons les creatures: car il n'y a rien qui ne serve pour orner la maiesté de Dieu, afin qu'elle soit adoree de nous comme il appartient, et comme elle le merite. Or maintenant allons cercher des accoustremens semblables: quel sera ou le cousturier, ou le brodeur? Où est-ce que nous trouverons telle matiere, pour nous revestir d'une gloire semblable à celle qui apparoist en Dieu? Il faut donc que les hommes soyent bien insensez, quand ils s'aveuglent, et qu'ils s'oublient iusques là, de murmurer contre Dieu, d'estre ses parties adverses, et de le provoquer contr'eux. Ne meritent-ils point une horrible condamnation? Voila donc ce que nous avons ici à noter en somme: c'est que quand il a esté parlé du bras de Dieu, nous en avons ici une exposition. Et comment? Le bras de Dieu en soy est invisible: non point qu'il ait des bras, ne des mains, mais nous parlons de toute son essence. Voila donc Dieu qui nous est incognu en soy: mais il s'est manifesté par ses oeuvres, tellement que le ciel (comme i'ay dit) est sa robbe. Quelquefois il est bien appellé son siege: mais il est dit quant et quant, que c'est comme une figure visible de sa maiesté. Autant en est-il de la terre: bref, haut et bas Dieu se monstre à nous: non point comme i'ay dit en son essence: mais en ce que nous pouvons comprendre, tellement que ce nous soit un tesmoignage qu'il y a une maiesté infinie en Dieu. Et pourtant apprenons, combien que nous ne puissions venir ne monter si haut que de cognoistre Dieu: toutes fois d'autant qu'il ne se laisse point sans tesmoignage, mais qu'il se declare à nous entant qu'il est utile: apprenons, di-ie, de le contempler, voire en ses creatures: et d'appliquer le tout à cest usage, que nous appercevions qu'il y a un Dieu qui a tout fait, et qui gouverne tout.

IOB CHAP. XL.

453

Au reste quant à ce qui est dit de ceste voix bruyante: il est vray que les hommes crieront par trop haut: comme on voit qu'ils aguisent leurs langues pour blasphemer contre Dieu, et le despiter. Il est dit au Pseaume (73, 9), que les meschans ne se contentent point d'estre orgueilleux entre les hommes, d'accuser l'un faussement, de defier l'autre, de faire des trahisons et pratiques meschantes: mais qu'ils dressent leur groin contre le ciel, et s'attachent à Dieu: que leur orgueil est tel, qu'ils osent bien attenter contre la maiesté de Dieu. Or voila donc les hommes qui bruyent: mais cependant Dieu les fera bien taire quand il luy plaira. Et en quelle aorte? Nous avons veu par ci devant, que les tonnerres (comme aussi il est dit au Pseaume [29l) sont les voix de Dieu. Quand donc un tonnerre fait retentir les montagnes, que l'air en est comme fendu, que la terre en tremble, que les arbres en sont esmeus, que les rochers en sont estonnez: quand nous oyons tout cela, qui est celuy de nous qui presumera plus de parler contre Dieu? Car il a une voix qui nous imposera bien silence: crions haut à plein gosier: tant y a que Dieu sera ouy en despit de nos dens, il faudra que tous nos mur. mures soyent mis bas. u reste encores que Dieu ne tonne point d'une telle façon: s, est-ce qu'en nous declarant sa volonté, il faudra qu'il nous ferme la bouche, et que toutes nos clameurs sauvent bien estaintes par luy. Il ne faudra point qu'il descende du ciel pour ce faire, ne qu'il se monstre ici en forme visible: mais comme il a creé toutes choses par sa parole, et sont aussi soustenues en vertu d'icelle: il fera par icelle que nous defaudrons non seulement quant à nos langues, mais quant à nos esprits, et à toutes nos vertus. Dieu donc a diverses manieres de parler, par lesquelles il impose tellement silence aux hommes, que quand ils voudront se rebecquer contre luy, ils n'auront nulle audience: et pourtant apprenons à nous taire de nostre bon gré, et pratiquer la leçon d'hier, c'est de mettre la main sur là bouche: combien que nous ayons de nature ceste audace, de nous eslever contre Dieu, resistons à cest orgueil diabolique: apprenons de donner gloire à nostre Dieu simplement, confessans qu'il n'y a que toute povrete en nous. Quand nous serons ainsi confus de nostre bon gré non seulement ceste voix de Dieu ne nous sera plus espouvantable: mais elle sera pour nous vivifier: et Dieu aussi nous ouvrira la bouche, que nous pourrons parler en liberté. D'où vient cela, que les fideles se puissent glorifier contre le diable qu'ils puissent despiter la mort? d'où vient ceste hardiesse que nous pouvons invoquer Dieu comme nostre Pere, et nous reclamer d'estre ses enfans? C'est pource que nous avons eu la bouche close quand nous nous sommes condamnez" que nous

454

avons apprins que ce n'est rien de nous, et qu'il n'y a que toute vanité. Quand donc nous avons eu ainsi la bouche close, pour ne nous point attribuer chose qui Boit, pour ne point maintenir nostre querelle, mais passer condamnation volontaire: Dieu par sa bonté infinie fait que nous ayons liberté de parler, non seulement entre les hommes, mais devant lui: que nous venions là franchement pour l'invoquer, ne doutans point que nostre voix ne soit portee des Anges devant son throne, qu'elle ne soit là receue et ouye. Voila que gaignent ceux qui se taisent simplement pour confesser que toute gloire appartient à Dieu, pour s'aneantir en eux-mesmes: c'est qu'ils ont la bouche ouverte, selon qu'il a esté declaré. Mais à l'opposite toua ceux qui voudront lever le caquet, tous ceux qui voudront avec leur arrogance s'enfler pour maintenir leur iustice: il faudra qu'ils sentent combien la voix de Dieu est espouvantable: et puis, qu'ils crient tant qu'ils voudront, si est-ce que Dieu en despit de leurs dens les cassera, et lors tous leurs cris seront cessez et esvanouis. Et comment le fera-il? Car il a une voix par trop terrible.

Or apres que cela est dit, il y a aussi une autre raison qui est mise en avant pour humilier les hommes: c'est que Dieu les defie, assavoir s'ils pourront, en regardant les orgueilleux, les consumer: s'ils pourront racler tous les meschans. S'ils le font, é ils monstreront qu'ils on en eux dequoy s'eslever: mais si cela n'y est, comment oseront-ils attenter nulle querelle contre Dieu? Or ici il y a tousiours ceste comparaison que i'ay touchee: c'est que quand nous aurons cognu que c'est de Dieu, quelle est sa nature, quel est son office: nous venions à nous regarder à l'opposite, afin que cela donne tant plus grand lustre, et à la gloire de Dieu incomprehensible, et à tant de povretez qui Sont en nous. En somme il nous est signifié en ce passage, que l'office de Dieu est d'abysmer tous orgueilleux de son seul regard et d'exterminer les meschans: que quand il semblera qu'ils ayent la vogue, qu'ils feront leurs triomphes, tant-y a qu'ils seront raclez de la terre. Dieu s'attribue cela. Or maintenant les hommes peuvent-ils faire le semblable? Avons-nous un regard qui soit pour abolir nos ennemis, et sur tout pour aneantir les meschans? Au reste notons ici que Dieu ne parle pas d'une puissance absoluë (comme nous avons dit) mais il parle d'une puissance coniointe avec sa iustice.

Et voila pourquoi notamment il parle des orgueilleux et des meschans. Notons bien donc ces deux chose: qu'ici Dieu se magnifie, d'autant que par son regard il peut destruire et ruiner les meschans: et cependant qu'il espargne ses creatures, et ne desploye ceste vertu-là sinon sur les orgueilleux et sur les meschans. Dieu donc est tout

SERMON CLV

455

puissant: mais quoi qu'il en soit, il veut que sa iustice. soit cognue parmi, et qu'on confesse (comme aussi la chose le monstre) que cela est pour dompter les appetits de tous ceux qui se submettent à sa maiesté, et qui s'y assuiettissent: au contraire, qu'il foudroye sur ceux qui presument par trop d'eux et qui s'enorgueillissent, et qui usent de repliques et de contradictions pour faire que Dieu leur soit ennemi mortel. Or comme il a esté parlé de la voix ci dessus, ainsi maintenant nous faut-il traitter de la veuë et du regard. es fideles demandent à Dieu qu'il leur monstre sa face: car voila aussi où gist tout nostre ioye, et felicite et salut: comme il en est parlé au Pseaume (80, 4), Seigneur monstre nous ta face. Et nous serons garentis. Voila tout nostre bien, voila tout nostre contentement, et tous nos souhaits. Qu'est ce donc qui nous est le plus desirable? C'est le regard de Dieu: comme à l'opposite quand il nous tourne le dos, quand il se cache de nous, il faut que nous soyons comme perdus et desesperez: car il n'y a rien où l'homme puisse se reposer, sinon quand il cognoist que Dieu a le soin de lui. ( cependant donc que Dieu daigne avoir l'oeil sur nous, il y a de quoi nous esiouyr, nous sommes asseurez qu'il nous maintiendra, et qu'il ne nous faut rien craindre: mais si Dieu nous met en oubli, nous sommes estonnez, et non sans cause: car nous sommes comme exposez en proye à Satan, cent mille morts nous environnent, et n'y a point de remede.

Nous voyons donc que le regard de Dieu est à souhaitter, voire quand nous venons à lui en toute. humilité, et avec un courage et vraye affection d'adherer à lui. Mais si nous eslevons nos sourcils comme il en est parlé en l'autre passage, et que nous ayons un front d'airain, que nous soyons enflez pour nous faire valoir quant à Dieu comme par despit de lui: é il faudra qu'il nous regarde d'un autre oeil: ce ne sera plus pour nous esiouyr, mais ce sera pour nous abysmer du tout. Il ne faudra donc. qu'un seul regard de Dieu, pour racler les hommes de ce monde, quand ils voudront avoir un regard de fierté contre lui. Et ainsi apprenons ce qui est ici dit: c'est assavoir, que quand Dieu regarde les orgueilleux, c'est pour les abysmer du tout. Et pourquoi? D'autant qu'ils ont eu un mauvais regard. Sur cela baissons la teste, tendons à Dieu, faisons lui hommage: et cependant prions-le qu'il nous illumine les yeux, afin que nous le cerchions comme nostre Pere, et que nous soyons regardez de lui en telle sorte, que nous ayons là toute perfection de ioye, que nous y ayons un vrai contentement pour nous reposer. Or cependant il nous est monstré en ce passage, que l'office de Dieu (comme souvent l'Escriture en parle) est de renverser ceux qui se veulent eslever: selon qu'il est

456

dit, Quiconque s'exaltera sera abbatu. Notons bien donc, que Dieu a une guerre mortelle et irreconciliable contre tous ceux qui ne se tiennent point en leur mesure, qui ne cognoissent point leur petitesse pour s'humilier, mais qui se veulent faire grands: qu'il faut que Dieu les rencontre, et qu'ils heurtent ensemble. Si ceci estoit bien cognu, il ne faudroit plus tant de sermons pour nous amener à humilité. Car n'est-ce pas une chose horrible, que les vers de terre viennent de propos deliberé batailler contre Dieu? Or est-il ainsi, que tous ceux qui presument d'eux-mesmes, qui cuident valoir quelque chose, qui se font à croire d'estre ou sages, ou vertueux ou iustes, tous ceux-là di-ie, font la guerre à Dieu. S'ils ne le disent de bouche, c'est tout un: car la chose est telle: et voila Dieu qui nous declare que l'homme ne peut se iustifier en soi que quant et quant il ne vienne heurter au ciel. Ainsi donc quand nous serions bien persuadez de ceste doctrine, Que tous orgueilleux sont ennemis de Dieu, et provoquent son ire contre eux: nous cheminerions en autre modestie et simplicité que nous ne faisons pas. Mais quoi? Il nous semble que Dieu se doive retirer pour nous faire place. Et voila comme les hommes s'enyvrent.

Or tant y a que si auiourd'hui nous n'escoutons ceste doctrine pour nous y ranger: en la fin nous sentirons par experience que ce n'est pas en vain qu'il est dit, Que le regard de Dieu est sur les hautaines, pour les racler de ce monde, et qu'il n'y a plus que les debonnaires qui ayent heritage perpetuel. Mais pour mieux faire nostre profit de ceste doctrine, notons bien quels sont les orgueilleux Car l'orgueil ne sera pas tousiours cognu des hommes pour le condamner: mais quiconques se fie en sa vertu, quiconque presume de sa iustice ou sagesse, quiconque s'enyvre en sa grandeur et en son credit, quiconques (bref) passe sa mesure, celui-là est orgueilleux devant Dieu. Et comment est-ce que les hommes passent leur mesure? Quand ils cuident avoir une seule goutte de bien: et iusques à tant que nous soyons comme aneantis. il n'y a point de modestie ne d'humilité en nous. Et au reste, quand Dieu nous aura fait quelques graces, qu'il nous aura revestus des dons de son sainct Esprit: que cela ne nous face point lever les cornes contre lui pour le despiter. Quand nous aurons un bon esprit et bien aigu, ce n'est point de nostre sens propre: et pourtant il ne faut point que nous prenions occasion de nous eslever à cause de cela: car nous en sommes tant plus tenus à Dieu. Et au reste que celui qui est le plus grand, tasche de servir aux petits, et qu'il ne mesprise point ceux que Dieu a honorez pour les mettre d'un rang avec lui. Quand donc nous cuiderons estre quelque chose en nous, ou bien que sous ombre des graces

IOB CHAP. XL.

457

de Dieu nous serons enflez de presomption pour mespriser nos prochains: voila l'orgueil qui despite Dieu, et qui provoque sa vengeance contre nous. Que faut-il donc? Si nous ne voulons avoir Dieu pour contraire, apprenons de nous defier de ce qui est en nous, de ne concevoir nulle presomption qui nous esleve: mais, en somme et en bref, disons que nous ne sommes rien. Et puis quand Dieu nous aura eslevez par dessus les autres en honneur ou qu'il nous aura distribué quelques vertus: que nous sachions que cela procede de lui. Et au reste que nous soyons amiables, nous abstenans de faire tort à nos prochains, ou de mespriser ceux qui sont enfans de Dieu comme nous, pour le moins qui sont creez à une mesme semblance et nature.

Voila donc quant à ce qui est dit, Que l'office de Dieu est de reprimer toute la fierté des hommes par son regard. Or il adiouste quant et quant, les meschants, afin de monstrer qu'en general il est ennemi des meschans: mais pource qu'à grand peine se peut-il faire, quand les meschans se desbordent à mal, que l'orgueil et fierté ne domine en eux (comme ils sont contempteurs de Dieu) voila pourquoi il est expressément et plus au long parle de ces hautains, qui s'oublient, et qui se font à croire merveilles de leur vertu. Car si les hommes n'avoyent en eux ceste arrogance de mespriser Dieu: il est certain qu'ils se tiendroyent cois, ils ne lascheroyent point ainsi la bride à leurs cupiditez. Il faut donc que l'orgueil nous transporte, quand nous usons d'outrage et de violence à l'encontre de nos prochains, que nous pillons l'un, que nous ravissons la substance de l'autre, que nous usons de toute malice: c'est signe qu'il n'y a nulle crainte de Dieu en nous, que nous ne cognoissons pas mesmes que nous sommes mortels. Car celui qui cognoistra qu'il a seulement à passer par ce monde, et que sa vie est fragile et caduque: il est certain qu'il sera retenu de ceste seule consideration. Et ainsi il faut bien que les hommes soyent ensorcelez et qu'ils ne cognoissent plus quels ils sont, ne quelle est leur condition, quand ils se desbordent. Et defait voila pourquoi le Prophete Habacuc (2, 4) quand il dit, Que le iuste vivra de foi, à l'opposite prononce, que toute hautesse sera abbatue. Et qu'entend-il par toute hautesse? entend toute rebellion contre Dieu, et malice contre les hommes: mais il use de ce mot de hautesse, pource que l'homme se mescognoist, et est comme forcené, quand il se desborde ainsi pour despiter son Dieu. Or maintenant on pourra demander si Dieu extermine de ce monde tous orguoilleux: car on voit plustost qu'il les espargne, et leur met la bride sur le col, qu'ils font leurs triomphes à plaisir. Mais notons que ce n'est point à nous d'assigner le

458

terme, pour dire que Dieu à heure presente confonde et destruise tous orgueilleux: il le fera, ouy en temps opportun. Et ainsi combien que les orgueilleux dominent, et qu'il semble que Dieu leur laisse faire à leur teste, et que mesmes ils se rient comme s'il n'avoit point la puissance de les reprimer: si est-ce que tousiours il a cest office qui lui appartient, pour racler de ce monde les orgueilleux et les meschans par son seul regard. Ouy: mais, comme il est dit en l'Escriture, quelquesfois il se cache des fideles: non pas que iamais il les mette en oubli, et qu'il n'ait point le soin d'eux: mais il ne le monstre point par effect: afin d'esprouver nostre foi et patience. Il nous semble bien, que Dieu nous ait oubliez, quand nous sommes en quelque danger, et mesmes que nous sentons les coups, bref, que nous voyons la mort presente: et que cependant nous ne voyons point que Dieu nous vueille tendre la main: nous crions alors Helas! Seigneur, où et-tu? comment m'as-tu oublié? Voila les complaintes que nous ferons selon nostre apprehension charnelle. Ainsi il semble que Dieu ne regarde point les orgueilleux, quand il les laisse ainsi ietter leur venin, et qu'il leur souffre tant de violences et d'enormitez qu'ils commettent. Voire: mais pource que leur saison n'est pas encores venuë, attendons que Dieu ouvre ses yeux sur eux, et alors ils seront abysmez. Si donc pour un temps ils sont supportez, et que Dieu dissimule: sachons que le temps n'est pas encores venu, qu'il les regarde en son ire pour les exterminer, comme nous avons dit. Or ceste doctrine doit servir à double usage: car les fideles se doivent consoler: et combien que Dieu du premier coup ne les delivre point de la tyrannie des meschans, toutes fois ils ont occasion de se reposer en lui. Pourquoi? ce n'est pas qu'il ait quitté son office, voire encores qu'ils s'eslevent contre lui, mais la saison n'est pas encores venuë: il les engraisse, comme on fera un boeuf: mais comme on sait bien quand on le doit tuer: aussi Dieu sait bien le iour de la ruine des orgueilleux et de tous meschans. Voila donc comme en premier lieu les fideles doivent estre patiens quand ils voyent que Dieu dilaye à exterminer les arrogans, et les meschans: qu'il faut qu'ils se tiennent cois, iusques à ce que la chose se face. Cependant, que les orgueilleux pensent à eux: et craignons de nous flatter, quand Dieu nous espargne: ne pensons point estre eschappez de sa main: et sous ombre qu'il nous supporte et qu'il dissimule, ne cueillons point plus grand audace pour attenter ne ceci ne cela. Et pourquoi? Car en la fin nous serons regardez de lui: et alors nos fautes seront descouvertes à nostre plus grande confusion. Et ainsi donc notons bien, qu'encores qu'on n'apperçoive point les iugemens de Dieu à l'oeil chacun iour,

SERMON CLV

459

pour cela on ne doit point laisser de cheminer en crainte et solicitude: et qu'il nous faut estre retenus par la parole de Dieu. Car voila aussi en quoi nostre foi se demonstre: c'est qu'au milieu de nos miseres nous puissions contempler les graces que Dieu nous a promises. Et au contraire, quand il nous semble que la condition des meschans est meilleure que celle des bons: que nous ne laissions pas d'avoir tousiours esperance de la vie eternelle, combien qu'elle que nous apparoisse pas. Pourquoi? D'autant que Dieu nous l'a promise, car ce qui est procedé de sa bouche n'est point frustratoire. Voila donc comme il nous faut pratiquer ceste doctrine. Or maintenant regardons si nous pourrons faire le semblable, à ce qui est ici dit de Dieu. D'un seul regard pourrons-nous abysmer les meschans? Pourrons-nous purger la terre de tous orguoilleux comme Dieu pourroit faire quand bon lui sembleroit? Helas! qui sommes-nous? Ainsi donc apprenons de donner gloire à celui qui se monstre Iuge du monde, qui a toute puissance en sa main, et en use en tout ordre, et en telle equité qu'il n'y a que redire. Et combien que les choses nous semblent troublees et confuses souventesfois, ne laissons pas toutes fois de contempler tousiours la puissance de Dieu qui se demonstre parmi, et sa bonté: et si nous avons les yeux purs, il est certain que iamais nous ne faudrons a cognoistre et discerner que Dieu gouverne iustement le monde. Voila donc comme nous avons à pratiquer ceste doctrine: quand nous aurons cognu Dieu en soi tel qu'il est, et qu'il se declare par effect et experience: que nous descendions à nous, que nous facions examen de nos foiblesses, afin de nous humilier: et que nous n'attentions pas de quereller à l'encontre de celui qui a tonte perfection de iustice et de vertu en soi. Voila en somme ce que nous avons à retenir.

Et mesmes pesons bien le mot qui est adiousté pour conclusion: c'est assavoir, Que l'homme se pourra sauver de sa main, quand il aura cela: comme s'il estoit dit, que Dieu confesse qu'on se peut lors passer de lui. Quand donc chacun de nous aura ceste vertu dont il est parlé, é il ne faut plus que nous recourions au ciel, que nous invoquions nostre Dieu pour sauveur: car chacun se sauvera. Quand cela est dit, c'est pour ramener les hommes à ceste cognoissance, qu'ils ont besoin d'estre sauvez d'ailleurs, et qu'ils n'ont point leur vie en leur main, et qu'ils ne se peuvent nullement garentir. Cognoissons donc que nous ne vivons point de nous-mesmes, et que nous n'avons aussi nul moyen de nous maintenir: et mesmes encores que tout le monde nous favorisast, qu'il semble bien que nous eussions toutes choses à souhait: tant y a que nous ne sommes rien: mais il faut

460

que nous dependions du tout de nostre Dieu, et que nous soyons sauvez par sa main. Voila pour un Item. Or de primeface il semble que cela soit assez vulgaire, comme les hommes de nature sont enseignez de recourir à Dieu: mais cependant ne voit-on pas ceste yvrongnerie, on plustost ceste rage, qui nous transporte, qu'un chacun se cuide sauver, qu'un chacun se cuide garentir? Et qui nous l'a dit, sinon que nous sommes preoccupez de ceste fausse resverie que Satan nous a mis au cerveau, qu'il y a quelque vertu, quelque iustice, quelque sagesse en nous? Ainsi donc notons que ce n'est point une doctrine vulgaire, quand Dieu nous reproche que nul de nous ne se peut sauver de sa main: car c'est pour nous monstrer qu'il nous faut defier de nous et de toutes nos vertus, qu'il nous faut estre aneantis tellement, que nous n'ayons ni repos ni appui, ni contentement qu'en luy seul. Qu'est-ce donc qui nous sauve? C'est la main de Dieu. Et pourquoy? C'est sa pure bonté et gratuite: car si l'homme avoit quelque chose de soy, Dieu ne luy eu porteroit point d'envie: il diroit Et bien, partissons, voila qui est à moy, voila qui t'est deu. Car Dieu a-il besoin d'emprunter de nous? Faut-il, pour se faire valoir qu'il vienne ravir ce qui nous est deu, et ce que nous tenons de droit? Nenny, non. N'imaginons point une telle phantasie, et confessons qu'il n'y a une seule goutte de salut en nous: mais qu'il faut que nous recourions simplement à nostre Dieu. Voila ce que nous avons à noter en ce passage.

Or il est vray que quelque fois les meschans seront destruits et ruinez par le moyen des hommes: car la iustice est ordonnee à ceste fin-la: mais ceux qui sont au siege de iustice et qui ont le glaive en la main, peuvent-ils rien d'eux-mesmes? N'est-ce pas d'autant que Dieu les a là constituez, et qu'il luy plaist de se servir d'eux comme d'instrumens? Ainsi donc il ne faut point que les moyens que Dieu a ordonnez en ce monde pour declarer sa maiesté, sa puissance, sa iustice, que cela l'obscurcisse, et que sa gloire n'en soit pas Si bien cognue: mais c'est afin que le lustre en soit tant plus grand. Et au reste, sans que les hommes y mettent la main, nous voyons comme il besongne quand il luy plaist. Pour conclusion il nous est ici remonstré que Dieu a creé les bestes, voire eu la mer et en la terre, et des bestes espouvantables qui nous doivent bien faire trembler, afin que nous ne soyons plus si fretillans de nous venir adresser contre luy.

Et notamment il est parlé de Behemoth, Or le nom de Behemoth, emporte simplement beste, et les boeufs, et les autres bestes y sont comprinses. Ici en nombre pluriel il est dit, Voicy Behemoth, que i'ay creé avec toy: et est parlé comme d'une seule

IOB CHAP. XL.

461

beste, combien que le nombre soit pluriel: mai. pource que Dieu a voulu ici designer une espèce voila pourquoy il met en nombre pluriel Behemoth. Cependant on ne peut pas deviner quelle espece il touche, sinon que ce soit un elephant à cause de la grosse masse de corps qui est en ceste beste-la. Or qu'il ne parle point icy ni des boeufs ni des chevaux, ni des choses semblables, il appert: car il est dit, Que voicy Behemoth qui mange le foin comme un boeuf. Dieu donc dinstingue notamment entre l'espece des bestes dont il parle et les boeufs. Et ainsi sans travailler beaucoup, notons que Dieu a choisi en ce passage une espece de beste dont nous devons estre esbahis sur tout. Voila un elephant qui a un corps si robuste, qu'il est dit, Que ses os sont comme d'airain, et ses petits os, ou ses cartilages, qu'on appelle, sont comme des barres de fer: car c'est une chose incroyable à nous qui n'y sommes point accoustumez: mais ceux qui voyent ces bestes-la doivent estre effrayez d'un seul regard: il semble que ce soit une chose faite par artifice, veu que la grandeur est telle. Or si nous estions bien sages, il ne faudroit point sortir hors de nous pour contempler la maiesté de Dieu: mais il faut que les hommes soyent renvoyez aux bestes à cause de leur ingratitude, quand ils ne cognoissent point Dieu selon qu'il se declare en eux. Il faut donc à cause de nostre stupidité et ingratitude que nous ayons de tels miroirs comme ils nous sont icy proposez quant aux elephans, et quant aux bestes semblables. Voyons-nous donc que Dieu a creé ces bestes-la en telle grandeur et en telle forme? Encores que nous n'eussions nulle autre enseigne de sa vertu: si est-ce que nous avons bien occasion de baisser la teste, et d'adorer ceste haute maiesté qui se declare en ces bestes sauvages-la.

Et notamment il est dit, Que ces elephans sont creés avec nous: afin de nous monstrer comme Dieu a discerné selon qu'il a voulu, et a constitué un ordre admirable au monde, qu'il faut bien que les hommes soyent ravis en estonnement quand ils y pensent: voire, s'ils ont ceste discretion en eux de regarder ce qui leur est tout patent. Voila un homme qui aura un petit corps: et toutes fois il est constitué seigneur et maistre en ce monde. Pourquoy toutes choses sont elles creées, sinon pour nostre usage? Et nous voyons un elephant qui est plus robuste beaucoup, nous voyons qu'il ne faut sinon un coup de iambe pour renverser une compagnie

462

d'hommes. Quand donc nous voyons ces choses, et qu'il y a un tel ordre au monde, c'est bien pour nous monstrer que Dieu nous creant ainsi petits que nous sommes, nous a fait une grace excellente, et cependant qu'il s'est aussi monstré aux bestes brutes. Que B il ne nous suffist de cognoistre ce qu'il a mis en nous: si nous contemplons les bestes brutes, nous trouverons là qu'il y a dequoy nous estonner. Et cependant aussi notons bien, que s'il estoit question de dominer par grandeur, les elephans l'emporteroyent bien par dessus nous. Mais quoy? nous voyons qu'ils se laissent donter par les hommes comme petits poulains à l'estable. nous voyons aussi d'autre costé, que Dieu les a destituez de beaucoup de choses. Voila une grande masse: et toutes fois ils ne peuvent plier les iambes, et faut qu'ils demeurent debout: car quand un elephant est de plat, il ne se sauroit relever. Quand nous voyons une telle vertu d'un costé, et que nous voyons un tel defaut de l'autre, assavoir que les iambes ne leur plient point, et qu'il faut que ces bestes demeurent debout pour prendre leur repos: que si un elephant est là couché plat, et qu'il soit question de le relever, c'est comme Si on vouloit dresser une maison: quand nous voyons cela: n'avons nous point de quoi glorifier la bonté de Dieu? Car à quoi tient-il que les elephans ne nous devorent tous? Ils mangent le foin comme les boeufs. Quand donc ces bestes qui pourroyent exercer une telle cruauté, de raser tout le genre humain de ce monde, quand di-ie, elles se paissent d'herbages par les montagnes, qu'elles s'en vont cacher sous les ombres des arbres, et que cependant elles ne se iettent point en telle furie comme elles pourroyent selon leur grandeur: d'où vient cela, sinon que Dieu a voulu dompter ces bestes, afin de nous donner lieu pour habiter ici bas? Et puis quand nous sommes environnez de tant d'especes d'autres bestes sauvages, pourrions-nous subsister un iour en ce monde sans estre devorez: sinon que Dieu eust une bride secrette pour retenir la furie de ces bestes sauvages? Et ainsi apprenons de tellement contempler les oeuvres de Dieu, que ce soit pour magnifier sa vertu, sa bonté, sa sagesse, et sa iustice, comme il appartient, en nous humiliant, voire estans aneantis du tout comme nous ne sommes rien.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc..

SERMON CLVI

463

LE CENT CINQUANTESIXIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XL. ET XLI. CHAPITRE.

ce sermon est sur les dix versets precedens, et puis sur le texte ici adiouste.

20. Tireras-tu Leviathan à l'haim, et lieras-tu aussi sa langue d'une corde? 21. Mettras-tu l'haim en ses narines? ou perceras-tu ses baiouës d'une espine? 22. Multipliera-il vers toi ses prieres? ou parlera-il à toi doucement? 23. Fera-il alliance avec toi, et le prendras-tu pour serviteur à tousiours mais? 24. T'esbattras-tu avec lui comme avec l'oiselet? ou le lieras-tu pour tes iuvencelles? 25. les compagnons banquetteront-ils de lui? les marchans le diviseront ils entr'eux? 26. Rempliras-tu de sa peau les engins, et de sa teste la nasse des poissonniers? 27. Mets ta main sur lui, qu'il te souvienne de la bataille, et plus ne procederas. 28. Voici, l'esperance d'icelui est frustree: et ne tombera-il pas à son regard?

CHAPITRE XLI.

1. Il n'y a nul si cruel qui l'ose resveiller: qui est donc celui qui subsistera en ma presence? 2. Qui est celui qui me previendra, et ie lui satisferai? tout ce qui est sous le ciel est mien. 3. le ne me tairai de ses membres, ne de sa puissance, ne de la grace de sa disposition. 4. Qui descouvrira le devant de son vestement, et qui viendra, à lui avec sa double bride? 5. Qui ouvrira les portes de sa face, et le tour de ses dents tant terribles? 6. Ses escailles sont comme forts escussons ferme de seau empreint. 7. L'une est appliquee à l'autre, tellement que le vent n'entre point parmi 8. Elles sont coniointes l'une à l'autre, elles s'entretiennent, et ne se separent point, 9. Son esternuement est comme splendeur de lumiere, et ses yeux sont comme la lueur du matin. 10. De sa bouche procedent lampes, et tressaillent estincelles de feu. 11. Et fumee sort de ses narines comme d'un pot bouillant, ou chaudiere. 12. Son haleine fait ardoir les charbons, et flamme sort de sa bouche. 13. Force demeure en son col, et devant sa face est reietté le labeur. 14. les parties de sa chair sont coniointes, une chacune est massive en lui sans qu'il se bouge. 15. Son coeur est massif comme la pierre, et dur comme la meule de dessous. 16. les forts tremblent quand il s'esleve, et se troublent des ondes. 17. Quand le glaive le touchera, il n'arrestera point, ne la lance, ne le trait, ne l'haubergeon. 18. Car il repute le fer comme paille, et l'airain comme le bois pourri. 19. L'archier ne le pourra chasser, les pierres de la fonde lui sont tournees en chaume. 20. les dards lui sont autant estimez comme le

464

chaume: et se mocque du branle de la picque. 21. Sous lui sont tests aigus, et s'estend ce qui est pointu sur la bouë. 22. Il fait bouillir le profond, comme une chaudiere, et met la mer comme un mortier. 23. Il fait reluire le sentier apres soi, et repute l'abysme comme chose vieille. 24. Sa seigneurie n'est point sur la terre, et est fait pour ne rien craindre. 25. Il voit toute haute chose: c'est le roi sur tous les fils d'orgueil.

Nous monstrasmes hier que Dieu apres avoir produit plusieurs animaux de la terre pour tesmoignage de sa vertu et de sa gloire, amene ici les elephans d'un costé, et les baleines de l'autre. Et c'est pour la conclusion du propos, Que si les hommes ne contemplent point l'essence de Dieu, si est-ce qu'ils doivent sentir quelle est sa maiesté seulement en regardant les bestes qu'il a creées, et sur tout celles qui sont pour nous effrayer de leur regard, afin que Dieu soit tant plus glorifié par nous. Or hier nous vismes ce qui estoit traitté touchant l'elephant, qui est une masse terrible, et qui nous doit bien espouvanter. Mais si nous tremblons devant une beste: faut-il que nous facions des hardis contre Dieu, pour plaider s'il nous chastie, pour nous despiter quand il nous voudra humilier? Faut-il que nous soyons si fols de murmurer contre sa iustice, et lui vouloir contredire en rien, et vouloir abbaisser ou diminuer son empire? Ainsi donc que les hommes cognoissent leur rage quand ils s'attachent à Dieu, veu que les bestes les font trembler. Or devant que passer outre, nous avons à noter sur ce qu'il y a une si longue deduction de ceste espece de bestes terrestres que nous dismes hier estre elephans (combien qu'il le nomme ici du mot general Behemoth) et aussi une deduction plus longue de Leviathan: qu'on a cuidé qu'ici par allegorie il soit parlé du diable, plustost que d'elephans ou de baleines: et a on voulu approuver ceste phantasie par ce qui est dit en la fin, que c'est le roi des enfans d'orgueil que ceste baleine. Or en parlant de ce te espece de bestes que nous touchasmes hier, il estoit dit que Dieu les fait manger le foin et l'herbe comme aux boeufs. Nous voyons donc que c'est pour nous declarer la puissance de Dieu en choses visibles: et non point pour nous descrire le diable. Quant a ce mot de Leviathan, par toute l'Escriture il signifie balesne: et nous voyons cela

IOB CHAP. XLI.

465

au Pseaume cent quatrieme (v. 26), que là où il y a ce mot de baleine translaté, l'Hebrieu met Leviathan: et cognoist-on assez qu'il est parlé des miracles de Dieu selon qu'on les voit en la mer, voire plus qu'en la terre. Il y a une raison peremptoire pour nous monstrer qu'il faut prendre ce texte en sa simplicité, et non pas si subtilement: car nous avons veu par ci devant que Dieu veut enseigner les hommes d'une façon grossiere et rude selon leur petitesse, et qu'il a fait cela afin qu'ils fussent tant mieux convaincus de sa puissance. Et au reste il leur a aussi voulu reprocher leur folie quand ils s'osent dresser contre lui: d'autant que les bestes les peuvent redarguer.

Notons bien donc qu'ici Dieu donne une leçon aux hommes, pour se mocquer de leur arrogance quand il les renvoye aux bestes: et cela n'auroit point de lieu, s'il estoit parlé du diable. Et quand il a voulu que la baleine sot comme le roi des fils d'orgueil, ce n'est point que telle soit l'affection de la beste: mais cela est plustost dit pour comparer les hommes à la baleine: comme si nostre Seigneur disoit, Il est vrai que les hommes feront des hautes levees de bouclier, il est vrai qu'ils ietteront des gambades par dessus les nues: mais quand ils auront bien amassé toutes leurs forces, qu'ils auront bien presumé: que sera ce au prix d'une baleine? Qu'un homme se face tant valoir qu'il est possible: et qu'il vienne rencontrer une baleine: cela n'a-il pas en soi mieux dequoi se glorifier? car si on l'accompare à une maison ou à une tour, si on l'accompare à une artillerie, si on l'accompare à une montagne: on trouvera toutes ces qualitez en elle: on trouvera une force si terrible, que les navires en pourront estre renversees. Et où est l'homme qui pourra approcher d'une telle vertu? nous voyons donc, que notamment Dieu a monstre, que nous serons tousiours surmontez par les baleines, et pourtant que nostre orgueil est par trop ridicule: et sur tout quand nous prenons ceste hardiesse de nous eslever contre lui, et de lui vouloir ravir ce qui lui appartient, le vouloir despouiller de sa iustice: qu'en cela il faut que nous demeurions confus, voire sans que Dieu descende du ciel, sans qu'il se monstre en sa maiesté: il suffira qu'il ait les bestes pour maintenir son honneur. Or il est vray que par deduction de l'un à l'autre on pourroit bien prendre ceste similitude des balaines, et des elephans, pour nous faire sentir combien la vertu du diable nous doit effrayer, veu qu'il est appellé le prince de l'air et du monde. Voila un titre que Dieu luy attribue non sans cause: c'est afin que nous cheminions en crainte, voyans que nous avons un ennemi si fort et si robuste pour nous, qui sommes tant debiles. On pourroit bien donc de l'un à l'autre ici prendre un advertissement, que si nous ne voulons

466

estre suiets à Dieu il faudra que nous soyons captivez par Satan: et que celuy-la chevira bien de nous: et que nous n'aurons point force pour luy resister. Comme pour exemple, quand il nous est parlé de la creation du monde, Moyse ne traitte point des Anges: car il a voulu estre docteur des petits et des idiots: et ainsi il nous propose seulement ce que nous voyons à nos yeux: mais tant y a que ceste clarté presente, et laquelle s'apperçoit, nous doit bien conduire plus loin, c'est que par foy nous cognoi fions la clarté du royaume des cieux, combien qu'elle nous soit auiourd'huy cachee: et quand nous voyons que la maiesté de Dieu reluist par tout, que nous entendions qu'en plus grande plenitude et perfection il y a une clarté aux Anges, et en tout ce qui concerne la vie celeste. Voila donc une deduction qui est bonne, quand nous allons ainsi par degrez de plus petit au plus grand, et du plus bas au plus haut. Mais quoy qu'il en soit, si nous faut-il retenir ceste simplicité du texte: car de se iouër de l'Escriture saincte la transformant en allegorie, c'est une chose mauvaise: et les allegories ne doivent estre tirees sinon du sens naturel: comme nous voyons que sainct Paul en fait en l'Espistre aux Galatiens et en d'autres passages. Revenons donc à ce propos qui a esté entamé. Dieu fait ici ses triomphes et par mer et par terre, afin que les hommes cognoissent, qu'ils seront tousiours confus en leur orgueil s'adressans à luy.

Or apres qu'il a parlé de beaucoup d'especes de bestes, il nous met ici au devant les elephans, qui sont si terribles, qu'il faut que nous en soyons estonnez: car là en ceste masse de leurs corps nous contemplons des miracles tant et plus. Nous voyons d'un costé comme il nous surmontent: nous voyons aussi que Dieu ne leur a pas donné ce qu'il luy a pleu de nous donner, voire par sa bonté gratuite. Et ainsi nous apprenons, qu'en nous eslevant nous ne gaignerons rien: car nous serons tousiours surmontez par les bestes brutes, quoy qu'il en soit: et cependant nostre ingratitude se declare d'autant que nous rendons un povre salaire et bien maigre à Dieu des graces qu'il nous a eslargies. Car à quoy tient-il, que nous ne sommes bestes brutes? Comme il fust dit hier, l'elephant n'a-il pas esté creé avec nous? Sommes-nous tirez d'une matiere plus precieuse? Y a-il quelque qualité en nous, que nous devions estre plus excellens? Nenny: il n'y a que Dieu qui nous a discernez. Or nous voyons les elephans qui ont une force si terrible, qui neantmoins n'ont point la hardiesse de se ietter contre nous : ils s'en vont cacher aux lieux humides, et ne peuvent avoir retraitte qui leur soit commode. Puis qu'ainsi est, nous voyons d'un costé combien nous somme plus tenus à Dieu: et cependant nous

SERMON CLVI

467

devons bien confesser nostre foiblesse, quand il est parle des bestes brutes desquelles nous n'oserions pas approcher pour les regarder seulement: que seroit-ce donc si Dieu ne les retenoit? Or apres cela Dieu nous conduit à la mer: et nous monstre que là nous avons aussi de quoy nous humilier: non seulement en ceste multitude des poissons et en ceste varieté qu'on y voit: tellement que les escrivains prophanes et incredules ont esté contraints de dire, que si on voit beaucoup de miracles sur la terre, la vraye boutique des miracles de nature est en la mer: mais mesmes quand on considerera quelque certaine espece, prenons seulement la balaine, n'est-ce pas une chose incroyable, de voir là une telle masse vivante en l'eau? Qui est-ce qui pourroit former la matiere d'une beste si grosse et si massive, et si robuste comme on la voit? Car il semble qu'elle se doive ellever pour venir ravir proye en terre, et qu'il n'y ait point pasture en l'eau qui luy suffise. Et aussi nous voyons ce qui est en ses os, ou en ses arestes qui sont plus qu'os, on verra là fer et acier: si on regarde aussi à sa charnure: on sera esbahi. Pour entretenir donc un tel corps, il faut bien qu'il y ait de grandes richesses. Et qui est-ce qui luy en fournist, sinon Dieu? Car il n'a point ordonné le monde sinon pour l'entretenir: il a donc prouveu à toutes choses. Et ainsi quand nous voyons cela, apprenons de nous renger à luy: ou il ne faudra point d'autres iuges pour nous condamner, que les bestes brutes: il ne faudra point d'autre procez pour nous convaincre, que les creatures qui sont esparses par tout le monde, tant sur la terre que dedans les eaux. Si nous avons retenu ceste simplicité-là, elle nous vaudra mieux que toutes les expositions subtiles qu'on pourra amener: comme quand ceux qui ont ici basti des allegories, ont espluché les os et les arestes des balaines, et ont aussi traitté de la peau, de cecy et de cela: bref, il n'y a rien où il n'y ait fallu trouver ie ne say quels menus fatras. Or c'est comme faire de l'Escriture saincte un nez de cire, la transfigurant hors de son sens naturel. Mais quand nous aurons retenu ce seul article que i'ay touché, c'est assavoir qu'il ne faudra point d'autre tesmoignage pour nous tenir convaincus devant Dieu, que celuy qui se monstre aux bestes brutes: n'aurons-nous pas beaucoup profité?

Or devant que d'estre ainsi condamnez en la presence de Dieu, nous avons à recevoir maintenant l'instruction qui nous est donnee. Et en premier lieu, afin que nous n'ayons point de vergongne d'estre enseignez par les balaines et par les elephans: cognoissons que Dieu nous renvoye là, voire pour nostre perversité: pource que nous sommes malins, nous sommes pervers, et d'une nature meschante et tortue, tellement qu'on ne nous peut amener à

468

raison. Il faut donc que Dieu nous face honte nous renvoyant aux bestes. Et puis, il y a l'obstination aussi bien, que quoy qu'on nous propose, combien que nos povretez nous soyent descouvertes, si cerchons-nous tousiours quelques subterfuges, et fuyons tant qu'il nous est possible, le iugement de Dieu. Il faut donc que Dieu rompe ceste durté-la comme par force, et qu'il nous face plier s us luy, Et ainsi quand nous serions foulez des elephans, quand ils marcheroyent sur nos ventres: nous en sommes dignes, puis que nous ne voulons point glorifier celuy qui les a formez avec nous, et ne luy voulons pas faire l'hommage qui luy est deu. Mais contentons-nous de ce que Dieu nous renvoye à leur escole, afin que nous soyons enseignez à nous humilier. Et puis nous serions dignes d'estre engloutis par les balaines, voire que la mer dominast sur toute la terre (comme il a esté declaré cy dessus qu'elle feroit, n'estoit que Dieu par sa grace nous y veut loger, et nous supporter d'une bonté infinie, combien que nous meritions d'estre abysmez à chacune minute de temps) mais contentons-nous que Dieu nous donne instruction et sur la terre et en la mer, et qu'il faut que tout revienne à nostre salut: comme aussi il fera, sinon que nous en soyons destournez par nostre lascheté, ignorance, et malice. Voila donc le principal que nous avons a recueillir de ce passage.

Or devant que deschiffrer ceste description par le menu, notons ce qui est icy dit, car Dieu declare à quelle intention il parle ainsi de la balaine. Il dit, Qui est-ce qui consistera en ma presence? Puis qu'ainsi est que les hommes n'oseroyent resveiller la balaine, qu'ils n'en oseroyent approcher: qui est celuy, dit-il, qui se pourra maintenir devant moy? C'est la comparaison que nous avons desia touchee: c'est assavoir que si les creatures qui ne sont rien qu'une bien petite portion de la vertu de Dieu nous estonnent, que sera-ce de sa maiesté infinie? Qu'est-ce que tout le monde au regard de Dieu? Il est dit qu'il tient et ciel et terre, et qu'il ne faut point qu'il estende ses bras pour embrasser ce grand circuit, mais tout est enclos en sa main. Or une balaine n'est qu'une bien petite portion, quelque grosse masse de chair qu'il y ait, voire et combien qu'il y en ait beaucoup en la mer. Ainsi donc outre ceste infinité d'autres poissons et grans et menus qui sont en la mer, lesquels Dieu a faits et gouverne, voila les balaines qui y sont comprinses. Puis qu'ainsi est donc que Dieu en sa gloire comprend tout, et le comprend comme une chose de rien: ne devons-nous pas bien estre estonnez devant luy, quand une simple beste nous effarouche, comme il nous est icy monstré?

Et pour confirmation de cela il est dit, Que

IOB CHAP. XLI.

469

toutes choses sont siennes. Car si on alleguoit, qu'il est vray qu'une balaine est terrible, mais Dieu n'est pas tel: Voire? respond-il: Et qu'est-ce qu'une balaine sinon comme un dard que ie ietteray, ou une pierre de fonde? Il faut donc que nous cognoissions cecy, que Dieu a imprimé et aux balaines et aux autres grosses bestes quelque marque de sa vertu, afin qu'on sache que cela procede de sa main, et qu'il s'en sert pour les appliquer a tel usage qu'il veut: tellement qu'une balaine quant à nostre regard doit estre consideree comme si Dieu iettoit là une pierre de fonde, et qu'il fist retentir l'air, et que nous en fossions estonnez. Puis qu'ainsi est donc que toutes choses sont ainsi en sa main, nous avons bien occasion de trembler devant luy. Or il est vray que nostre Seigneur ne nous veut point chasser loin de luy: mais tant y a qu'il nous faut estre esperdus du premier coup afin de luy porter la reverence qu'il merite. Ainsi donc il nous appelle et nous convie à soy, afin que là nous trouvions toute resiouissance: mais nous n'en pouvons approcher iusques à ce que nous ayons esté pleinement abbatus. Il faut donc qu'il y ait une frayeur qui procede, laquelle nous estonne tellement que nous ne puissions subsister, que nous cognoissions que c'est fait de nous, que nous sommes perdus et ruinez, si Dieu desploye sa vertu envers nous. Il faut que nous cognoissions cela: et puis toutes ces frayeurs seront appaisees, assavoir quand nous le tiendrons pour nostre Pere. Mais cependant si est-ce que nous ne luy porterons iamais la reverence qu'il merite, s'il ne nous matte, et qu'il nous donte tellement que nous ne sachions que devenir. C'est-ce que nous avons à retenir en ce passage.

Et ainsi suivons ceste doctrine generale, que de subsister devant Dieu il n'est point possible à creature mortelle. Et comment subsister? Car il faut premierement qu'il nous couche tout plats, et puis qu'il nous releve: mais si nous voulons nous tenir en nostre estat, que nous venions la faire des grans et des habiles, nous n'en viendrons point à bout: plustost cela sera cause de nostre ruine Le mot donc de subsister emporte que l'homme ne pourra iamais avoir bonne cause en se maintenant iuste et sage: mais qu'il faut qu'il soit en premier lieu du tout aneanti, et qu'il cognoisse que Dieu a toute puissance, vertu, et iustice, et que nous ne pouvons estre sinon abysmez en nostre nature. Il est vray que Dieu non seulement veut que nous subsistions, mais il nous esleve par dessus les cieux (non pas quant au corps pour ceste heure) mais il fait cela apres nous avoir abbatus. Notons bien donc qu'il y a grande diversité, quand les hommes veulent estre quelque chose en eu:, s'attribuans sagesse et iustice: ou bien qu'estans vuides de tout

470

bien ils recourent à Dieu, et le prient qu'il les restaure: puis qu'ainsi est, qu'ils sont despouillez de toute gloire, et qu'ils n'ont en eux que confusion. Quand nous aurons apprins ceste doctrine que nul ne peut subsister devant Dieu: que nous recognoistrons qu'il n'y a en nous que toute puantise et ordure: que ce que nous cuidons avoir d'apparence, n'est rien que vanité: et que toute ceste opinion que nous aurons conceuë, nous trompe: quand donc cela nous sera bien persuade, alors Dieu nous eslevera: et nous tiendrons tout de luy et de sa pure grace, pour le glorifier comme Pere, et comme celuy qui nous l'a donné, voire sans y estre tenu, sans qu'il trouvast en nous aucun merite. Et c'est le principe general de nostre foy, qu'il faut que toute chair se taise devant luy: et que nous cognoissions que s'il y a quelque verdure en nous, nous serons tantost flestris: il ne faut sinon qu'il souffle sur nous, et nous voila escoulez sans vigueur ne vertu: toute nostre iustice n'est que malediction. Voila, di-ie, le principe general de nostre foy, afin que ceste grace qui nous est manifestee en nostre Seigneur Iesus Christ soit cognue, et que nous y ayons nostre refuge, et que nous n'attendions ni commencement ni perfection de nostre salut, sinon en ce qu'il plaist à Dieu, de besongner gratuitement: C'est à dire sans que nous l'y obligions de nostre costé, ou que nous luy apportions rien qui soit du nostre.

Et voila pourquoy il adiouste notamment, Qui est-ce qui me previendra, et ie luy satisferai? Comme s'il disoit, que si nous voulons plaider contre luy il faut qu'il nous doive, qu'il soit obligé envers nous, que nous ayons quelque droit et quelque titre. Et où se trouvera l'homme qui apportera son titre contre Dieu, pour dire qu'il luy soit tenu? Mais nous voyons au contraire, que nous tenons tout de luy, et qu'il ne nous doit rien de son costé: cependant encores sommes nous si obstinez de vouloir contester contre luy. Or que ceci s'estende en general, pour nous apprendre qu'il nous faut humilier sous la main de Dieu voire le confessans et sage, et iuste, et puissant quoy qu'il face: sainct Paul le monstre en l'onzième des Romains (I1, 35). Car combien qu'il n'allegue point ce passage comme tiré de l'Escriture saincte: si est-ce qu'il recite ceste doctrine. Et à quel propos? La il traitte de l'election gratuite de Dieu: il monstre que Dieu choisist ceux que bon luy semble pour estre heritiers de la vie eternelle: qu'il reprouve aussi ceux qu'il veut. Si on luy demande la raison pourquoy, ce n'est pas à nous de la savoir, et ne nous est point licite de nous enquérir plus outre, sinon que sa volonté nous doit estre pour toute raison: non pas qu'il face rien iniustement: mais tant y a que les secrets de son conseil nous sont cachez et in

SERMON CLVI

471

comprehensibles, ses voyes ne nous sont point cognues. Or pource qu'il est difficile aux hommes de se tenir coys, quand ils oyent ceste doctrine: comme nous voyons ces chiens qui abbayent auiourd'huy à l'encontre: ces glorieux belistres, quand ils veulent faire des docteurs, ils diront, O ie ne compren point cela. Et qui es-tu povre chien? Tu ne le compren pas? Et va-ten sur ton fumier, et cognois qui tu es. D'autant donc qu'il y a un tel orgueil aux hommes, qu'ils ne se peuvent assuiettir à ceste doctrine: sainct Paul leur allegue, Et qui est-ce qui a donné à Dieu? Vous venez ici avec une telle audace, vous alleguez vostre vertu, et vostre puissance: il faudra donc que vous ayez monstré à Dieu ce qu'il devoit faire, et qu'il n'eust rien fait sinon que vous l'eussiez enseigné, et ainsi qu'il est bien tenu à vous. Or si vous pretendez un tel titre contre luy: venez, et qu'on cognoisse qui c'est qui luy a donné? Et si vous cognoissez qu'il ne tienne rien de vous, comment oserez-vous murmurer contre luy? Or puis que sainct Paul en traitte en telle sorte, et que nous cognoissons son intention quant à l'election eternelle de Dieu: de là nous avons à retenir, que c'est un des principes de nostre foy de cognoistre que Dieu ne tient rien de nous: et que nous ne pouvons pas mettre en avant qu'il ait rien receu de nostre costé: afin que toute la gloire luy soit donnee, et que nous ne pensions point qu'il nous soit inferieur, ne qu'il ait nulle obligation envers nous. Or c'est le tout de savoir bien pratiquer ceste doctrine: sur tout quand nostre chair nous solicite à presomption et orgueil, que nous ayons ceste bride ici pour nous retenir, de cognoistre, Comment? A qui te prens-tu? Car il faut que tu ayes de quoy pour respondre à ton Dieu si tu le veux tirer en plaid et en procez. Et qu'est ce que tu monstreras? Puis que tu n'as sinon toute povreté et malediction en toy: ne faut-il point que tu te submettes à luy en toute obeissance et humilité? Et au reste notons aussi, que par ces mots toute la iustice des hommes est abbatue, et nous est monstré que ce que nous pouvons imaginer des merites est une yvrongnerie de Satan, lequel a ainsi ensorcelé les esprits des hommes qui ont cuidé meriter envers Dieu, tellement que le royaume de paradis fust comme un salaire. En la papauté il n'y a rien plus commun, que de dire que les hommes peuvent acquerir paradis. Et comment? par leurs oeuvres meritoires. Et combien que les Papistes soyent contraints de confesser que nous ne pouvons rien sans la grace de Dieu, et que nous avons tousiours des imperfections en nous: toutes fois si est-ce qu'ils meslent les oeuvres avec la grace de Dieu. Que l'homme se prepare, disent-ils, pour recevoir grace: non point de dignité (ils sont contraints de confesser nostre indignité)

472

mais convenablement, disent-ils, pource qu'il est convenable et decent, que l'homme se presente et dispose pour recevoir la grace de Dieu. Or n'est-ce pas notamment dementir le sainct Esprit? Voici une sentence assez claire, il n'y faut point de glose. Qui est-ce qui n'a prevenu? dit le Seigneur. Notons bien donc qu'ici Dieu despouille tout le genre humain de ceste fausse opinion et diabolique dont les hommes sont tant enyvrez: en disant qu'il n'est point tenu à nous, et que nous tenons tout de luy: que nous ne luy pouvons rien apporter, qu'il ne reçoit nulle recompense de nos services que nous luy ayons faits: comme aussi il n'a nul besoin de nous.

Maintenant en somme nous voyons, qu'ici toute sagesse et toute iustice du genre humain est abbatue et aneantie. Car il y a deux choses qui nous font e lever contre Dieu: c'est d'un costé quand nous cuidons estre sages par trop: et puis, quand nous voulons aussi avoir quelque iustice en nous, et quelque dignité. Or d'une part Dieu nous monstre, que nous aurons beau cacqueter et gazouiller: qu'en la fin il nous fera bien taire. Pourquoy? Quel titre avons nous contre luy? Apprenons donc de n'estre point sages, mais plustost sobres, et nous humilier: que nous cognoissions les oeuvres de Dieu entant qu'il nous les manifeste, et puis que nous ayons ceste bride de nous retenir, et ne passer point outre ce qui nous est monstre en l'Escriture saincte. Quand nous en serons ainsi, nous serons tousiours guidez par le sainct Esprit. Ainsi donc gardons de dire, O ie veux savoir pourquoy cela se fait: ne faisons point des sages, pour nous enquerir de ce que bon nous semble, quand il nous doit estre incognu: mais contentons nous de ce qui nous est manifesté en l'Escriture: et sur tout de ce qui nous peut edifier en foy et en la crainte de Dieu. Et quand nous verrons quelque chose qui nous semblera estrange: si nous cognoissons, Dieu l'a ainsi prononcé, il le faut recevoir sans contredit. Mais au reste, quand Dieu nous laissera là, ne nous disant point la chose, il nous faut retenir tout court, et ne passer point outre: et ne faut point que nous vueillions estre subtils à nostre phantasie.

Voila donc pour un Item, Qu'il faut que nostre bouche soit bridee, pour souffrir d'estre escoliers de nostre Dieu, puis qu'il nous fait cest honneur de nous enseigner tant de sa bouche, que de son sainct Esprit. Or il y a pour le second la iustice: qu'estans convaincus que nous n'avons aucune dignité qui soit, mais quand nous aurons beaucoup travaillé, que nous ne pouvons rien apporter à nostre Dieu: nous passions condamnation. Mais il y a bien pis, c'est que tant s'en faut que les hommes s'appliquent à bien faire: qu'ils employeront

IOB CHAP. XLI.

473

toutes leurs forces et vertus à mal, iusques à ce que Dieu les ait reformez. Ainsi donc en toutes manieres nous serons abbatus, quand nous saurons et pratiquerons, qu'il ne faut point que nous pretendions d'avoir quelque dignité, ne quelques merites, mais que nous facions cest honneur à Dieu de dire qu'il peut tout. Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce passage. Or pour conclusion, combien qu'il n'est ia besoin, et mesmes qu'il ne seroit pas expedient de nous arrester à chacun mot de ceste longue deduction qui est faite de la balaine: que toutes fois nous sachions que cecy n'est point superflu. Nous regardons comme en passant et à la legere les tesmoignages que Dieu nous donne de sa maiesté. Or si nous avions nos esprits bien posez pour noter ce que Dieu nous monstre, afin de nous esmouvoir à l'honnorer comme il appartient: il ne nous faudroit point sortir hors de nous: car nous trouverions assez d'advertissemens de ce que Dieu peut et de ce qu'il veut aussi: nous verrions et sa bonté et sa vertu en nous, sans aller plus outre. Et c'est ce que sainct Paul dit (Actes 17, 28), Que d'autant que nous vivons en luy, et y avons nostre mouvement et essence, nous sommes assez convaincus. N'ouvrons point les yeux: si est-ce que Dieu nous contraint de taster qu'il habite en nous: et s'y demonstre en telle sorte, qu'il faut bien que nous luy facions hommage. Mais quoy? Cependant nous allons à l'estourdie: et il ne faudroit qu'une ongle du petit doigt, par maniere de dire, pour nous retenir en l'obeissance de Dieu, si nous estions bien avisez, et que nous eussions bonne discretion. Mais pource que nous passons outre, et que nous ne faisons point grand cas des oeuvres de Dieu: voila pourquoy il y a icy une longue deduction faite et mesmes qu'il n'est question que de bestes. Quand donc Dieu fait icy une longue anatomie, il est certain que cela nous semble long, mais il n'est pas superflu. Et pourquoy? Pource que nous sommes si volages, que nous mesprisons les miracles de Dieu quelques grans et magnifiques qu'ils soyent Voila donc ce que nous avons à retenir en premier lieu.

Or cependant quand il est dit, Le tiendras-tu a ton service? ou luy mettras des boucles aux narines? t'esbatras-tu de luy comme d'un petit chien, ou d'un oiseau? c'est pour nous signifier que tant moins sommes-nous à excuser, si nous ne recognoissons nostre Createur, veu que nous-nous trouvons confus, faisans comparaison d'une balaine avec nous Et cependant toutes fois quand les hommes disputent des oeuvres de Dieu en leur cerveau, et qu'ils le contrerollent, et que s'il ne fait pas à leur appetit, ils ne s'en contentent point, c'est autant comme s'ils le vouloyent abysmer. Et sera-il possible?

474

Voila une beste brute, laquelle on ne sauroit donter. Or il est vray que la comparaison n'est pas propre en tout et par tout: comme aussi il ne faut pas que les similitudes respondent en chacune partie: mais c'est pour nous monstrer, que si une povre beste qui n'a ne raison n'intelligence a une telle vertu en soy, qu'elle nous face craindre, et fuir, et que sera-ce de celuy qui a tout creé et formé? Et au reste, si on n'ose point resveiller une balaine: comment osera-on s'adresser au Dieu vivant pour luy faire la guerre: comme font tous ceux qui le viennent picquer et despiter entant qu'en eux est? Voila nostre Seigneur qui demande de se monstrer doux et amiable envers nous: et defait nous voyons comme il tend à supporter nostre infirmité: mais nous voulons faire des enragez, et des bestes sauvages, et le venons picquer manifestement comme si nous le defions. Et pourrons-nous porter sa presence? Ne nous sera-elle point plus espouvantable beaucoup que celle d'une balaine?

Apres notons quand il est dit, que les balaines font bouillir le profond comme une chaudiere, et mettent la mer comme un mortier: comme il estoit aussi parlé de l'elephant, qu'il fera passer la riviere du Iordain par son gosier: car quand nous voyons qu'une beste demeure là et engloutist les abysmes: ie vous prie, comment devons-nous estre plus espouvantez de la maiesté de Dieu? Voila la balaine qui devroit estre estouffee au milieu des eaux: et toutesfois ceste beste est si grande et si grosse qu'elle fend la mer au milieu: elle la fait bouillir comme un pot de son esternuement (comme il en est icy parlé,) elle renverse les navires, et semble qu'elle doive engloutir tout ce qui est à l'entour d'elle: et nostre Seigneur aura-il seulement un esternuement des balaines? Mais il a ce souffle duquel il est parlé au Prophete Isaie (4O7 24), et aussi au Pseau. 104 (29) que si Deu iette son Esprit, c st à dire son souffle sur nous, il faut que nous soyons abysmez du premier coup. Quand donc nous voyons qu'il y a un tel effroy aux narines d'une beste: que sera-ce de cest Esprit de Dieu qui est la fontaine de toute vertu, ou pour nous restaurer et vivifier, ou bien pour nous abysmer, et nous faire perir? Nous voyons donc maintenant comme ces parties ne seront point icy mises et touchees sans cause, et que ces especes de bestes ne sont point distinguees que pour bonne instruction: voire moyennant que nous ayons ceste discretion d'appliquer toutes ces choses à Dieu, et de faire les comparaisons telles que i'ay dites.

Quand il est parlé de la dureté de sa chair, et de ses os, il nous faut là venir, Comment? Quand Dieu levera sa main sur nous, que sera-ce? Voila une balai le qui renverse les grosses navires, et les

SERMON CLVII

475

fait enfondrer en la mer: et quand Dieu nous voudra toucher de sa main, n'aura-il point des barres de fer qui seront beaucoup plus dures? Allons donc heurter contre luy. Quand donc nous apprehenderons aussi bien quelle est la vertu infinie de la main de Dieu et de son bras, sur tout s'il est armé contre nous: nous verrons bien que ce n'est point un langage inutile, que d'avoir ainsi traitté de la chair et des os de la balaine. Mais d'autre costé aussi cognoissons que si une beste a telle vertu en soy, et mesmes qu'il est dit, qu'elle se mocque du branlement des lances, qu'elle ne craint point les espees, et tous les autres glaives: par cela il nous est monstré, que si nous sommes armez de la vertu de nostre Dieu, nous sommes en bonne seurté, et que nous n'avons point occasion de craindre ne d'estre en souci. nous voyons que Dieu a donné à des bestes une telle vertu: et pourquoy donc ne nous fierons-nous en sa protection? An reste notons bien, que toute la force qui est tant aux balaines qu'aux autres bestes, combien qu'elle soit terrible, perira: comme elle perit quand il plaist à Dieu. Il nous faut donc retenir pour ne point avoir nostre confiance en nous mesmes (car c'est une folie par trop grande) mais recourons à celuy qui a toute vertu en soy et puissance. Et pour mieux faire nostre profit de ceste doctrine, notons que quand nous voyons la main de Dieu levee, que nous voyons les troubles qui sont par tout le monde: d'un costé il nous faut apprendre à nous defier, et que nous soyons comme aneantis cognoissans les foiblesses qui sont en nous: et cependant que nous ne laissions pas à nous glorifier en Dieu, quand nous aurons sa vertu pour nous soustenir. Voila donc comme il nous faut

cheminer en humilité d'une part. Mais de l'autre costé quand nous avons nostre recours à nostre Dieu, et que nous sommes appuyez sur sa grace et protection: nous pouvons despiter toua nos ennemis, non seulement ceux du monde, mais Satan avec tous ses efforts, et tout ce qu'il pourra machiner. Voila les deux choses qui sont requises, sur tout quand nostre Seigneur nous admonneste de quelque peril, et que nous voyons les choses confuses: c'est qu'il nous faut regarder à nostre foiblesse pour nous en defier du tout: et cependant, en nous abaissant que nous ne laissions pas de regarder au ciel, ne doutans point que nous n'ayons là un bon garant quand nous serons maintenus par luy, ne presumans rien toutes fois de nous. Car celuy qui cuide avoir quelque vertu en soy, que peut-il faire, sinon se ruiner? Apprenons donc de ne nous rien attribuer: mais plustost de nous aneantir en nous-mesmes: et cependant, de concevoir une telle hardiesse, quand nous serons en la protection de nostre Dieu, que nous ne doutions point qu'il ne soit suffisant pour nous garentir de cent mille morts: moyennant que nous nous remettions du tout a luy: que nous sachions aussi, qu'il nous conduira tousiours par sa main: et qu'encores qu'il nous faille passer par tons les troubles et confusions de ce monde, et que nous soyons environnez de cent mille dangers: si est-ce qu'il nous fera sentir son assistance, et nous donnera la vertu d'en sortir, iusques à ce qu'il nous ait pleinement attirez à soy, et que nous soyons parvenus à ce repos eternel qu'il nous a preparé.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc..

476

LE CENT CINQUANTESEPTIEME SERMON,

QUI EST LE I SUR LE LII. CHAPITRE.

1. Iob respondant au Seigneur, dit, 2. le say que tu peux tout, et que nulle pensee ne sera empeschee de toy. 3. Qui est celuy qui obscurcist le conseil sans science? i'ay parlé, et n'entendoye point: ces choses sont merveilleuses sur moy: ie ne les ay point cognues. 4. Escoute donc, ie parleray: ie t'interrogueray, afin que tu m'enseignes. 5. lavoye ouy de toy de mon aureille: maintenant mon oeil t'a veu. Nous avions desia veu par cy devant le fruict

qu'avoit apporté ceste remonstrance de Dieu envers Iob: mais quand il a redoublé son propos, encores nous apparoit il plus clairement comme Iob a profité sons une telle correction. Desia il s'estoit repenti: maintenant il est touché plus vivement. Et ainsi voyons-nous que quand Dieu nous aura desia instruits, souvent cela n'aura profité qu'en partie: combien que nous pensions qu'il n'y ait que

IOB CHAP. XLII.

477

redire, et que nous soyons venus iusques au droit poinct, il n'y aura sinon quelque petite préparation, Il faut donc que Dieu poursuive à nous enseigner afin que la doctrine que nous avons ouye soit mieux enracinee en Nos coeurs et qu'elle nous esmeuve, et que nous y soyons arrestez du tout. En somme nous voyons que la penitence ne se parfait point du premier coup, mais qu'il faut que Dieu apres nous avoir rabottez nous polisse: comme quand on voudra faire une piece d'ouvrage sur un bois ou sur une pierre, il faudra marteler beaucoup. Ainsi donc faut-il que nostre Seigneur poursuive: ou autrement nous aurons quelque petite entree à penitence: mais cela s'esvanouira tantost, ou ce sera une chose imparfaite et rude. Et voila pourquoy il nous faut souffrir patiemment si Dieu apres nous avoir corrigé de nos fautes ne se contente pas d'un coup de verge, mais qu'il redouble: car cela nous est utile. Et au reste quand nous aurons ouy quelque bonne instruction pour nostre salut: si nous l'avons receue, sachons que ce n'est qu'un goust: que nous ne sommes point encores droitement repeus, et qu'il nous y faut retourner. Ne nous lassons point donc de la doctrine que nous aurons entendue: mais aimons à profiter tousiours en mieux: sachans que tout le temps de nostre vie il nous faut approcher de Dieu, il nous faut estre confermez en sa crainte et en son amour: ou sans cela nous sommes volages, et retournons à nostre naturel: quand il nous semblera que nous soyons du tout reduits, ce ne sera rien qu'une fumee, cela s'escoulera incontinent. Voila donc ce que nous avons à retenir. Aussi suivans l'exemple de Iob, quand nous aurons cognu nos fautes un iour, le lendemain efforçons nous de les cognoistre tant mieux: et d'en estre encores plus navrez: car si nous cuidons avoir satisfait à nostre devoir, quand nous aurons dit un mot, et que nous aurons eu quelque bonne pensee, c'est un abus. Ainsi donc la penitence doit estre tousiours victorieuse, tellement que quand elle aura esté sans feintise, il faut qu'elle redouble.

Or venons maintenant à ce qui est dit, le say que tu eux tout, et que nulle pensee ne sera retiree de toi, ou empeschée. On expose ceci, comme si Iob attribuoit à Dieu toute puissance: et puis secondement un conseil infini pour prouvoir à toutes choses, et pour les conduire: comme s'il disoit, Seigneur, ie say que tu as tout en ta main, et que rien ne t'est caché: et tu sais et cognois tout. Mais ceste façon de parler est plus commune en Hebrieu de dire, Nulle pensee ne sera empeschee de toy, c'est à dire, Tout ce que tu auras ordonné et commandé, mesmes ce que tu auras pensé, tout cela aura son execution preste: tellement qu'il ne faudra point que tu y travailles, comme si tu estois empesché, et que

478

quelque chose te peust defaillir. Notons donc qu'ici simplement il est parlé de la puissance infinie de Dieu: et les deux mots se rapportent à un. Dieu donc peut toutes choses. Et comment? Car ce qu'il arreste en son conseil il le peut executer tantost, sans que nul l'empesche. Or il semble bien que Iob ne confesse point ici tout ce qu'il doit: car auparavant il avoit bien protesté que Dieu gouverne le monde: mais il ne laissoit pas de murmurer contre luy. Il semble donc qu'il n'ait gueres profité, et qu'il retourne tousiours à cest article-la Que Dieu combien qu'il puisse tout, ne laisse pas d'user de trop grande rigueur quelquefois, tellement que les povres creatures souffrent par trop, et sont tormentees excessivement. Mais il nous faut noter, qu'ici Iob cognoist la puissance de Dieu d'une autre façon qu'il n'avoit point fait: c'est assavoir pour s'humilier sous sa main forte, cognoissant que ce n'est point aux hommes mortels de luy resister, ne de se rebecquer contre luy. Quelquefois nous pourrons dire que Dieu a tout en sa main et conduite: mais cependant nous ne laisserons pas d'estre faschez et chagrinez s'il ne fait les choses à nostre appetit. Et d'où vient cela? C'est d'autant que nous n'avons point comprins sa haute vertu, pour nous y assuiettir: que nous n'avons point cognu que luy ayant toute puissance conduit toutes choses en iustice et droiture: que c'est bien raison qu'il nous traitte et manie comme il luy plaist, qu'il dispose de nous à sa volonté, que nous ayons la bouche close, que nous n'attentions point de repliquer contre ce qu'il fera. Quand donc nous aurons cognu la puissance de Dieu, pour nous aneantir sous luy, et confesser que c'est bien raison qu'il domine sur nous, et qu'il y ait toute autorité, et que nous luy obeissions, voire non point par force, mais d'un esprit debonnaire et paisible: voila une vraye confession que Dieu est tout-puissant. Mais cependant que nous voulons usurper sur luy, que nous le voulons traitter à nostre appetit, que nous voulons qu'il nous obtempere, et qu'il face ce que nous aurons conceu et imaginé: helas, c'est mal recognu qu'il est tout puissant: car nous voudrions estre ses compagnons, nous voudrions mesmes estre par dessus luy en ce ù gré. Notons bien donc que Iob traitte ici de la puissance de Dieu en autre sens qu'il n'a fait par ci devant. Car il adore Dieu en son empire souverain: et cognoit qu'il faut que toutes choses soyent conduites par luy: que c'est son office de gouverner les hommes, et que nous n'avons point à murmurer, si Dieu nous afflige: et encores que les choses nous soyent dores et fascheuses, qu'il nous faut revenir là, Puis qu'il est iuste, il ne peut faillir: et c'est à nous de luy complaire, et nous captiver, à ce que nous soyons traittez et conduits comme il luy plaist: et au reste que nous tenions

SERMON CLVII

479

tout bien de sa main. Voila donc comme nous avons à cognoistre que Dieu est tout-puissant. Or au second membre Iob definist quelle est la puissance de Dieu, et comme il nous la faut apprehender. Car il parle des pensees de Dieu. Nous en voyons beaucoup de phantastiques, que quand ils parlent de la puissance de Dieu, ils speculent ceci et cela, O si Dieu est tout puissant, pourquoy ne fait-il telle chose? si Dieu est tout-puissant, cela est possible. Voire, mais il ne nous faut pas ainsi extravaguer en nos imaginations: la puissance de Dieu ne s'adresse point à nos resveries, et D'y a rien de commun. Quoy donc? Ce sont choses inseparables, que la puissance de Dieu et sa volonté. Dieu est tout-puissant: est-ce pour faire ce que l'homme aura basti en son cerveau? fy: mais c'est pour accomplir ce qu'il a ordonné en son conseil.

Ainsi donc apprenons d'unir ces deux choses, assavoir le conseil de Dieu et sa vertu. Voila pourquoy Iob dit, que nulle pensee ne sera retiree de 1m qu'il ne execute: non pas ce que les hommes cognoissent et ce qu'ils determinent (car ce n'est pas à eux) mais ce que Dieu aura ordonné, et ce qu'il aura cognu estre bon. nous voyons donc maintenant comment c'est que la puissance de Dieu doit estre cognue de nous : c'est afin que nous ne doutions point qu'il ne face tout ce qu'il aura conclud: non point empruntant conseil de nous: mais pource qu'il est la fontaine de toute sagesse, c'est à luy d'assigner ce qui est bon de faire: car tout cela est tellement en sa main, que rien ne le peut empescher qu'il n'accomplisse tout ce qu'il a ainsi avisé. Ceci sera mieux entendu par la pratique. Ceux qui causent de la puissance de Dieu sans propos ne raison, viendront cercher des choses extravagantes. Et pourquoy Dieu ne fait-il ceci veu qu'il est tout-puissant? Voire? mais est-ce à nous de luy faire iouër des tours ça et là? C'est à luy d'ordonner, et puis c'est à luy de faire. Cependant ceux-la mesmes ne prenent point garde d'attribuer à Dieu toute vertu, quand il est question d'esperer en luy. Et c'estoit la où il nous falloit appliquer la puissance de Dieu: c'est qu'il ne faudra point à nous tenir promesse: et que si nostre salut est en sa main, nous sommes asseurez que nul mal ne nous peut advenir: s'il nous a en sa protection, nous sommes aussi tout persuadez que nous serons invincibles contre nos ennemis. Voila, di-ie, où il nous falloit mediter la puissance de Dieu: comme il nous est monstré quand il est dit, que nul ne nous ravira de la main de Iesus Christ, lequel nous a prins en sa garde. Et pourquoy? Car le Pere qui nous a commis à luy est plus fort que tous. Pourquoy est-ce et à quel propos que Iesus Christ nous propose la puissance invincible de Dieu son Pere? C'est afin que nous soyons paisibles, ne

480

doutans point qu'il nous sauvera: voire quelques efforts que Satan face et machine contre nous. Car Dieu est tout-puissant. En cela voyons nous qu'il nous faut conioindre la puissance de Dieu avec sa bonne volonté: voire telle qu'il nous la declare par sa parole. Quand nous aurons cela, nous ne lascherons point la bride à beaucoup de speculations extravagantes: et aurons aussi de quoy repousser les mocqueries de ceux qui se voudroyent iouër de la vertu de Dieu comme d'une pelotte. Comme pour exemple, Voila les Papistes qui veulent que le pain se change au corps de Iesus Christ, et que ce qui estoit pain auparavant devienne Dieu, et pour prouver leur dire ils alleguent, Comment? Dieu n'est-il pas tout-puissant? Voire? mais est-ce à ceste fin-là? di luy donc qu'il face que le soleil soit obscur: qu'il face que la lune deviene eau: qu'il face que la terre soit au ciel, et le ciel en la terre. N'est-ce point se mocquer de Dieu que cela, quand nous viendrons ainsi traitter de la puissance de Dieu? n'est pas renverser tout ordre, et le pervertir? et qu'il n'y ait plus de discretion entre le blanc et le noir? Et ne voila point descirer meschamment la puissance de Dieu, et l'exposer en opprobre? Et d'oh vient cela? C'est que les Papistes n'ont pas encores apprins ceste leçon qui nous est ici monstree: c'est assavoir que Dieu est puissant pour accomplir ce qu'il a avisé. Or où est-ce conseil de Dieu en cest endroit? Il nous faut regarder, Dieu le veut-il? Quand donc nous avons la volonté de Dieu, alors il nous faut estendre sa puissance pour accomplir tout ce qu'il a ordonné en son conseil. Mais ne pensons-pas que nostre Seigneur vueille que les hommes facent voltiger sa puissance où bon leur semblera. Retenons donc ceste instruction qui nous est ici donnee: car puis que Dieu nous a declaré sa volonté quant à nostre salut, qu'il a dit qu'il nous maintiendra iusques à la fin, qu'il subviendra, à toutes nos necessitez, qu'il nous relevera quand nous serons abbatus, qu'il nous fortifiera en nos foiblesses. Puis que nous avons la volonté de Dieu notoire en ces choses ne doutons point qu'il n'ait sa main estendu pour faire ce qu'il nous a dit. Voila donc comme la main et la bouche de Dieu se doivent accorder. La bouche va devant, c'est à dire, son conseil: et puis sa main execute tout ce qu'il a determiné.

Or maintenant nous avons ces deux choses: assavoir qu'il nous faut assuiettir pleinement à ce que Dieu dispose en ce monde. Et pourquoy? Car son conseil est bon. Et puis nous savons aussi que cest office luy appartient de gouverner: et que c'est bien raison que toutes creatures se laissent conduire par luy: et qu'elles ne prenent point ceste liberté de se conduire d'elles-mesmes: mais qu'elles s'assuiettissent

IOB CHAP. XLII.

481

à luy en tout et par tout. Quand nous aurons cela bien resolu, nous aurons beaucoup profité en nostre vie.

Or il s'ensuit quant et quant. Qui est celui qui cache le conseil sans science? Dieu avoit auparavant reproché ceci à Iob. Et semble bien que Iob vueille confesser qu'ainsi est: c'est assavoir qu'il a enveloppé la sagesse de Dieu en ses fols propos: car si nous disputons des oeuvres de Dieu selon nostre portee, et que nous en vueillions estre iuges: C'est cacher le conseil, c'est le barbouiller (comme on dit) voire sans science: car nous voulons estre trop sages, parlans ainsi sans avoir esté enseignez. Voila donc comme nous pourrions prendre ce passage pour une confession de ce qui avoit esté reproché à Iob: comme s'il disoit, Helas Seigneur, c'est à bon droit que tu m'as par ci devant condamné, de ce que ie vouloye envelopper ton conseil sans savoir où tendoyent mea propos et disputes. Ie say maintenant que i'y ay follement procedé: car c'estoit à moy d'accepter simplement ce qu'il te plairoit m'ordonner, et le recevoir: et i'ay voulu ici estre maistre sans aller à l'escole. Ainsi donc, Seigneur ie recognoy que c'est à bon droit que tu m'as declaré ma folie. Or quand nous le prendrons ainsi, cependant Iob fait une confession telle qu'il attribue à Dieu un conseil avec toute science: car ici il y a comme une contrarieté entre Dieu et les hommes. Dieu aura son conseil caché: mais il sait pourquoy, la raison luy est tousiours toute preste: de nostre costé quand nous voudrons descouvrir le conseil de Dieu plus qu'il ne nous est licite, nous ne faisons que l'entortiller d'avantage: et tout cela se fait sans science, tellement que nous monstrons nostre bestise d'autant plus que nous voulons estre savans. Ainsi d'un costé apprenons que c'est à Dieu de se reserver son conseil sans nous le declarer: voire, s'il voit que cela surmonte nostre petitesse. Dieu nous revele ce qui nous. est bon et propre, comme il a esté declaré par ci devant: mais il faut qu'il se reserve beaucoup de choses obscures. Pourquoy? Car nous sommes encores trop debiles pour monter si haut. Voila donc Dieu qui cachera le conseil, mais c'est avec science: car de luy il n'est ignorant de rien, et ce n'est pas qu'il ne nous peust monstrer pourquoy il fait ceci et cela: voire, si nous estions assez habiles pour comprendre ce qui nous est maintenant incompréhensible. Or de nostre part quand nous voudrons plus savoir qu'il ne nous est permis, il est vray que nous aurons bien quelque subtilité pour causer et deviser beaucoup: mais en la fin nous demeurerons confus en nos propos: et d'autant que l'homme mortel s'efforcera d'estre sage ne suivant point la parole de Dieu il monstrera tousiours sa vanité, combien son esprit est volage, et qu'il n'y a que

482

mensonge. Voulons-nous donc avoir une intelligence pure et claire, afin de savoir parler des oeuvres de Dieu? que nous venions à son escole: que nous l'escoutions parler: que nous retenions ce qu'il nous dira: et que nous ayons ceste sobrieté sur tout de n'appeter point de plus savoir que ce qu'il nous monstre Quand nous aurons cela, nous parlerons droitement, et parlerons pour l'édification de nos. prochains, tellement qu'ils en seront tousiours confermez de plus en plus: mais si nous passons les. bornes que Dieu nous a mis, et que nous; vueillions nous esgarer plus outre qu'il ne nous permet: il n'y aura plus que vanité et mensonge. Voila donc ce que nous avons à retenir sur ce verset.

Et pourtant Iob adiouste, I'ay parlé et n'entendoye point: ces choses ont esté merveilleuses sur moi, et ne les ay point cognues. C'est pour confermer ce que nous avons maintenant dit. Iob confesse qu'il a parlé sans science. Et comment? Pource que ie ne l'entendoye point: dit-il. C'est autant comme s'il disoit, le me suis avancé trop legerement. Et pourquoy? Ces choses ont esté merveilleuses sur moi, et ne les ay point cognues. Or ici nous avons a noter pourquoy Iob dit qu'il a esté ignorant: c'est pour la hautesse des secrets dont il vouloit parler. Dieu luy faisoit sentir sa main: mais il ne comprenoit point chose pourquoy il deust estre ainsi affligé: et sur cela il entre en des tentations profondes, Qu'est-ceci que ie soye pressé iusques au bout? et Dieu ne se contente il point de me faire perir? le voudroye qu'il m'eust abysmé: il me fait ici languir. Il cognoist qu'il n'y a que fragilité en moy, que ie suis si povre creature: pourquoy donc permet-il que ie soye si long temps en telle extremité? Quand ie seroye le plus meschant du monde, il ne me sauroit faire pis: et toutes fois il cognoist que ie l'ay servi en integrité, et que ie ne suis pas tel, que ie deusse estre ainsi reprouvé des hommes. Voila donc les disputes de Iob, où il est entré. Et pourquoy? Car il s'est fourré trop avant aux conseils de Dieu. Maintenant pour se corriger il dit, que ces choses ont esté admirables par dessus luy.

Notons bien donc quand nous venons à Dieu, et qu'il est question de parler de ses oeuvres, que nous devons sentir que ce sont des secrets trop hauts pour la debilité de nostre esprit. Or ie di qu'il nous faut avoir ceste persuasion-là tant de la providence de Dieu en general, que de ce qui appartient à son royaume spirituel. Quand donc on nous dit que Dieu dispose toutes choses, et que rien ne oc fait en oc monde sans sa volonté: voila un secret qu'il nous faut bien noter. Car encores qu'un chacun confesse, que Dieu est maistre pour gouverner: toutes fois quand nous venons iusques là, que les choses estant confuses et troublees comme on les voit. ne laissent point d'estre conduites

SERMON CLVII

483

par le conseil estroit de Dieu qui tient la bride dessus, et tourne les choses à telle issue que bon lui semble: nous ne savons où nous en sommes. Or là dessus que faut-il? Qu'en crainte nous cognoissions, que nous ne pouvons pas monter à un tel secret: et pourtant, que nous adorions Dieu en ce qui nous est incognu, iusques à tant qu'il nous revele ce qui auiourd'hui nous est caché. Si ceci estoit bien cognu, ces chiens qui abbayent tant contre la providence de Dieu, et qui blasphement contre la doctrine qui en est contenue en l'Escriture saincte rabbaisseroyent bien leur caquet. Il y aura auiourd'hui des yvrongnes ou des escervelez, qui diront que si Dieu gouverne toutes choses, il s'ensuivra que les hommes ne pechent plus, ou que les pechez lui doivent estre imputez. On oit ces blasphemes. Et pourquoi? Pource que tels belistres ne se peuvent ranger à ce poinct, Que la providence de Dieu et la façon de gouverner le monde est une doctrine admirable par dessus eux. Ils ne laissent rien à Dieu: mais ils veulent determiner de tout selon leur sens. Et où est-ce aller? Notons bien donc, que Iob ici pour un principe general nous declare, Que quand il est question des oeuvres de Dieu, et de savoir comme toutes choses se font ici bas, il nous faut tousiours estre preoccupez de ceste reverence, Comment? C'est ici un abysme qui est par trop profond pour nous: il ne faut point donc que nous attentions d'en parler selon nostre mesure: mais que nous adorions Dieu en simplicité, que nous soyons sobres sans nous enquerir par trop. Mais faisons cependant ceste conclusion, Que si est-ce que Dieu conduit tout, et que les choses ne viennent pas d'aventure, mais selon qu'il en a esté determiné: comme desia ceste doctrine a esté traittee plusieurs fois. Voila pour un Item.

Or pour le second, apprenons que tout ce qui concerne le royaume spirituel de Dieu, doit estre reputé choses admirables par dessus nous: comme aussi s. Paul en parle (1. Cor. 2, 9). L'homme sensuel, dit-il, ne comprend point les secrets de Dieu: comme il est dit, que les biens que Dieu a appresté là haut aux esleus sont si excellens qu'il n'y a oeil qui les puisse voir, qu'il n'y a esprit qui les puisse comprendre. Puis qu'ainsi est donc apprenons de prier Dieu qu'il nous illumine par son sainct Esprit, et qu'il nous face monter iusques par dessus les cieux, voire en vertu de la foi (car nostre sens naturel n'y pourra iamais parvenir) et quand nous aurons cela, nous pourrons avoir ceste modestie dont nous avons parié pour ne point passer outre la mesure de nostre foi, ainsi que Iob en traitte consequemment. Voila donc ce que nous avons à retenir pour le premier en ce passage: c'est nue les oeuvres de Dieu. et sur tout les promesses

484

du salut eternel qui sont contenues en l'Evangile, sont choses admirables par dessus nous: qu'il ne faut point donc que nous y venions à la volee avec audace ni presomption: mais qu'en toute crainte nous prions Dieu qu'il nous face gouster ses secrets entant qu'il nous est utile: et qu'il nous clarifie de iour en iour ce qui nous est obscur: et qu'il ne permette point que nous passions nos bornes: mais que ce qu'il nous aura revelé nous profite, en attendant qu'il nous augmente la foi. Et par ainsi que nous ne parlions iamais, et ne pensions de ses secrets qu'avec toute reverence et humilité. Au reste quand Iob confesse qu'il a parlé et n'entendoit point puis qu'il s'accuse de temerité, apprenons aussi à son exemple de condamner tous les propos que nous aurons tenus devant qu'avoir bien esté enseignez de la bouche de Dieu. Et n'ayons point de honte de confesser nostre folie, quand sans fondement nous aurons monstré nostre bestise. Ne faisons point comme ceux qui babillent quand ils sont redarguez: car ils ne font que s'envenimer, et leur semble que c'est assez de tousiours poursuivre, O voila ie n'en dirai autre chose, ie n'ai point d'autre advis. Que nous n'ayons point ceste dureté là en nous: mais quand nous aurons eu ceste audace de parler trop avant, et qu'il nous sera eschappé quelque propos volage, devant que nous fussions bien fondez en la verité de Dieu: que nous recognoissions nostre folie, renonçans avec Iob à l'arrogance que nous avons eu trop excessive, I'ai parlé, et n'entendoye point. Or cependant il nous faut aussi estre advisez pour l'advenir: et que nous pratiquions ce qui a esté allegué par ci devant, de croire avant que parler. Or ne savons-nous croire sinon ce qui nous a esté monstré de nostre Dieu: il faut donc là venir, que nostre foi soit fonde sur la parole de Dieu, et que l'Escriture saincte soit toute nostre sagesse. Quand nous aurons ainsi cognu, nous pourrons parler: voire parler des choses qui surmontent nostre entendement: mais Dieu nous les aura declarees par foi, ainsi que desia nous avons dit.

Or ce n'est point assez que nous recognoissions nos fautes: mais il faut venir au remede quant et quant: comme aussi Iob nous en donne l'exemple. Car apres avoir dit qu'il s'est avancé sans avoir bien entendu, il adiouste, Escoute moi, et ie parlerai: ie t'interroguerai, afin que tu m'enseignes. Ici donc Iob pretend de se reprimer, pource qu'il voit qu'il avoit fait ce me du cheval eschappé, quand il ne s'estoit point contenu en ses limites. Il ne fait point donc confession de sa faute, comme beaucoup de gens qui pensent estre quittes disans en un mot, I'ai mal fait: et puis ils y retournent incontinent: et c'est tousiours à recommencer. Il n'en fait pas ainsi: mais il dit, Seigneur, puis qu'ainsi est qu'il

IOB CHAP. XLII.

485

y a une telle folle temerité en moi, et que ie me suis desbordé et par trop esgaré: maintenant que tu m'interrogues: et quand ie serai enseigné en ton escole, que ie parle comme tu voudras m'enseigner simplement: et qu'il ne m'advienne plus de mettre en avant les choses dont ie serai ignorant. Voila en somme ce qui est contenu en ce verset,

Or quand Iob dit, Escoute moi, ie parlerai: il n'entend pas d'avoir ici audivi de dire ce que bon lui semble (car il en avoit desia fait par trop) mais il s'excuse, disant quant et quant qu'il interroguera Dieu pour estre enseigné. Notons donc qu'il y a deux façons de parler à Dieu. L'une c'est quand les hommes plaident contre lui, et qu'ils amenent leurs interrogations, et font leurs obiections, et s'estiment bien estre sages. Voila une façon mauvaise, quand nous attentons d'entrer ainsi en dispute contre Dieu, ou de repliquer contre ce qu'il fera. Gardons-nous de ce langage: car il vaudroit mieux que nos langues fussent arrachees. Combien que ce soit un vice par trop commun, si est-ce que c'est un vice detestable et qui ne se doit nullement supporter. Apprenons donc d'avoir la bouche close (comme il a esté dit ci dessus) que nous ne parlions point de nostre cerveau: quand nos imaginations nous viennent au devant, que tout cela soit abbatu. Car quand ie di qu'il n'est licite de parler, i'enten qu'il faut que nous soyons reprimez non seulement en nos langues, mais en toutes nos affections: non pas que nous puissions tant faire que nous ne sentions tousiours quelque cupidité fretillante de nous enquerir par trop, et de disputer contre Dieu: mais il faut batailler, et que cela soit mis bas. Et c'est la sobrieté à laquelle il faut que tous fideles se reduisent par l'Evangile, pour donner gloire simplement à Dieu, confessans qu'ils ne savent rien. Il faut donc que ceci soit pratiqué de tous enfans de Dieu: c'est qu'ils n'attentent point de parler ainsi à la volee de ce que bon leur semblera.

Mais il y a l'autre façon de parler qui est bonne et saincte, qu'il faut qu'ils suivent: c'est assavoir qu'ils demandent à Dieu qu'il les instruise. Car nous en voyons beaucoup, qui se nourrissent en leur bestise: et quand on taschera de les amener à la verité, ils n'en veulent point approcher: ils s'abbrutissent pour ne savoir rien, et sont là du tout hebetez. Il faut donc que nous parlions: voire interrogans Dieu, c'est à dire lui demandans qu'il nous instruise, apres avoir confessé que nous ne savons rien, que nous sommes vuides de toute clarté, de toute intelligence et raison, qu'en nostre esprit il n'y a que tenebres et mensonges. Apres donc avoir confessé cela, que nous venions interroguer Dieu, Et Seigneur qu'il te plaise de nous

486

declarer ce qui nous est bon de cognoistre. Vrai est qu'encores en cest endroit il nous faut avoir une bride pour nous retenir: car nous pourrions interroguer Dieu plus qu'il ne sera de besoin: ainsi que beaucoup veulent que tout passe par leur cerveau. Ils viendront bien à Dieu, ils l'interrogueront. Mais quoi? C'est avec une curiosité exorbitante, tellement qu'il n'y a iamais fin en leur cas. Or quand nous interroguons Dieu, nous devons tousiours avoir ceste exception, Seigneur, que tu nous declares ce que tu cognois nous estre expedient pour nostre salut: que ce que nous aurons cognu nous edifie et en la fiance de ta bonté, et en la crainte de ton nom. Et puis tu cognois nostre petitesse Seigneur: et ainsi tu nous declareras ta volonté selon nostre portee. Car quand nous mangerons du miel, il est vrai qu'il nous sera doux au goust: cependant nous voyons qu'un homme en sera enflé, et ceste douceur sera pour le faire crever. Ainsi en est il donc, que si nous cerchons trop haute science, cela en la fin nous sera converti en amertume. Nous serons abusez du commencement, pource que la chose nous semblera belle, et telle que nous pourrons parvenir à la cognoissance. Voire, mais regardons ce qui est advenu à nostre pere Adam. Il a voulu discerner entre le bien et le mal plus que Dieu ne lui avoit donné: là dessus il se precipite en un abysme auquel nous sommes encores auiourd'hui. Puis qu'ainsi est, que nous n'appetions point une gloire excessive: car en la fin elle ne nous sera point gloire, comme il est dit par Salomon (Proverb. 25, 27). Car comme le miel perd sa douceur, et mesmes est converti en amertume quand on en mangera par trop: ainsi en est il si nous voulons nous enquerir de la volonté de Dieu et de ses oeuvres, plus qu'il ne permet. Pourtant que nous n'appetions point d'en savoir sinon selon nostre portee, si nous n'en voulons estre accablez.

Or notamment il est dit, Escoute, et ie parlerai: ie t'interroguerai afin d'estre enseigné. Si nous venons à Dieu pour estre enseignez, il nous faut rendre dociles à lui. Et la premiere docilité quelle est elle? C'est qu'il soit maistre, et qu'il soit obei pleinement en ce qu'il voudra nous enseigner. Car quand un enfant viendra, à l'escole, et qu'il voudra choisir les livres à son appetit, pour dire, le veux savoir une telle science, ie veux estre enseigné en ceci et en cela, devant qu'il soit à l'A B C, s'il veut estre grand docteur devant qu'il soit venu au lieu et à l'endroit où il doit estre enseigné: ie vous prie, est-ce une modestie d'escolier, que cela? Or si un escolier quand il prend un homme pour l'instruire, se doit du tout assuiettir à lui: que devons-nous à Dieu? Quelle comparaison y a il? Ainsi donc notons bien, que si sans feintise nous

SERMON CLVIII

487

interroguons Dieu pour estre enseignez, nous ne voudrons pas le ranger à nos appetits, pour dire qu'il nous monstre tout ce que nous aurons conceu: mais il nous suffira de savoir ce qu'il cognoist nous estre utile: et c'est à lui de discerner.

Et pour ceste cause Iob conclud, Qu il avoit ouy parler auparavant de Dieu: mais maintenant qu'il l'a veu à l'oeil. Comme s'il disoit, Seigneur, il est vrai que par ci devant i'avoye bien ouy parler de ta maiesté: mais maintenant ie la cognoi d'autre sorte: et c'est afin de m'assuiettir du tout à toi. Iob fait ici comparaison entre la cognoissance qu'il avoit eue auparavant, et la revelation où Dieu s'estoit manifesté à lui en telle sorte qu'il estoit demeuré confus, qu'il estoit touché d'une telle crainte qu'il ne lui restoit sinon de glorifier Dieu: comme nous voyons qu'il le fait. Or il est vrai qu'il nous doit bien suffire d'avoir ouy parler de Dieu: car c'est aussi d'où procede la cognoissance. La foi est de l'ouye, dit S. Paul. Or la foi nous apporte une sagesse parfaite, comme il est dit en un autre lieu. Et que demandons-nous plus, que de savoir que nous sommes enfans de Dieu? Et cela se cognoist par foi comme dit sainct Iean en sa Canonique. Et puis sainct Paul dit en la premiere aux Corinthiens, que par foi nous entrons aux secrets de Dieu, voire les plus profonds: car son Esprit habite en nous, pour nous estre tesmoin de ce qui n'entre point au sens charnel. La foi donc procedant de l'ouye nous amene à une vraye perfection de sagesse: et ainsi il nous doit bien suffire d'avoir ouy parler de Dieu: mais ici Iob veut signifier, que ceste cognoissance qu'il a eue, estoit comme quand nous oyons parler d'une chose que nous n'avons point veuë: mais quand nous la voyons,

la certitude en est plus grande. Notons bien donc l'intention de Iob. Ce n'est point de reietter la doctrine de laquelle nous sommes instruits, quand la parole de Dieu nous est preschee: mais c'est pour signifier, que la doctrine, quand nous en avons seulement les aureilles batues, est une chose morte: iusques à ce que Dieu se soit revelé tellement que nous le cognoissions quasi à veuë d'oeil. Et comment cela se fait-il? Iournellement quand l'Evangile se presche. Car il faut que là Dieu parle à nous en deux sortes. Il parle à nous par le moyen d'un homme, celui qui est constitué ministre pour nous enseigner: et puis il parle à nous par la vertu de son Esprit, quand nous sommes touchez là dedans que la doctrine nous profite, que nous avons les coeurs percez. Car sans cela aussi la voix s'escoule, ce n'est qu'un son inutile. Il y en a beaucoup qui iournellement orront parler de l'Evangile: il leur sera presché, et ils en seront tant plus endurcis. Et c'est ce qui est dit au Prophete Isaie (6, 9.10), Va, à ce peuple, et parle à eux: ils verront des yeux, et orront des aureilles: mais ils n'entendront point. Et pourquoi Pource qu'ils ont un coeur endurci, qui ne peut estre amoli, quoi qu'il en soit. Nous voyons donc, que si Dieu ne besongne par sa grace, les hommes demeureront tousiours obstinez. Et ainsi il faut que Dieu en parlant à nous, se revele et qu'il se declare, et que nous le voyons. Et comment? Non point d'une veue corporelle: mais que nous sentions sa maiesté en sorte que nous soyons instruits lui porter reverence, et nous remettre du tout entre ses mains, afin qu'il ait toute authorité et empire par dessus nous.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

488

LE CENTCINQUANTEHUICTIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XLII. CHAPITRE.

6. Pourtant i'en si horreur, et me repen sur la poudre et la cendre. 7. Apres que le Seigneur eut dit ces paroles à Iob, il dit Eliphas Themanite, Ma fureur s'est enflammee contre toi, et sur tes deux compagnons: pource que vous n'avez point parlé droitement devant moi comme mon serviteur Iob. 8. Prenez donc sept boeufs, et sept moutons, et allez à mon serviteur Iob, et offrez sacrifice pour vous: et Iob mon serviteur priera pour vous: et i'accepterai sa face, afin que la folie ne vous soit point imputee:

car vous n'avez point parlé droitement envers moi, comme mon serviteur Iob.

Nous vismes hier que c'est que sentir la presence de Dieu, et d'estre touché de sa gloire: d'autant que sans cela il est impossible que les hommes se rangent, quelque chose qu'on leur dise. Car ils feront l'aureille sourde: ou bien n'ayans point assez de reverence, ils couleront tout ce qu'on leur dira: ainsi que l'experience le monstre, et par trop Il

IOB CHAP. XLII.

489

est donc besoin que Dieu parlant à nous se monstre, et nous donne quelque apprehension vive de sa maiesté, à ce que nous le craignions. Et voila pourquoi Iob proteste qu'il se mal contente de soi, qu'il reprouve tout ce qu'il a dit: car iamais les hommes ne detesteront et leurs oeuvres et leurs propos, s'ils ne sentent Dieu pour leur Iuge. Nous savons comme chacun est addonne à se plaire par vaines flatteries: nous savons que quand nous avons les yeux esblouys, nul ne voit sa turpitude: et encores qu'il la voye, il ne la regarde pas volontiers. Il faut donc que Dieu se soit monstré, devant que nous puissions venir à ceste raison de nous desplaire, et d'apprehender tout ce qui nous sera fait, et dit. Mais aussi a l'opposite quand nous avons une droite penitence, il n'est plus question de colorer nos vices, ne de cercher des excuses: plustost si nous sommes vrais penitens, nous confesserons que nous avons failli, voire avec detestation. Car un pecheur s'il se convertit droitement à Dieu, non seulement recognoistra son offense, et passera condamnation: mais il se condamnera, d'autant qu'il s'est esleve contre son Createur. Notons bien donc que la vraye penitence emporte la haine du peché, voire iusques au bout: tellement que l'homme se reprouve, et se haysse d'autant qu'il ne se trouve pas tel qu'il devroit: et qu'aimant la iustice de Dieu il condamne tout ce qui est en lui, et ne cerche sinon d'estre despouillé de ceste vieille peau dont il est enveloppé. Voila comme nous approuverons nostre penitence. Et en cela voyons nous quelle impudence il y a en ceux qui se disent penitens, et on ne peut arracher un seul mot de leur gorge qui monstre signe d'humilité: tant s'en faut que de tout leur coeur ils tendent à se ranger à Dieu, et tascher de reparer les scandales qu'ils ont faits, qu'ils veulent encores se maintenir en leur iniquité. Or prenons le cas qu'un homme cognoisse sa faute: et ce n'est rien que cela sinon que du tout il se reprouve et haysse, comme nous avons dit. Quand donc l'un et l'autre n'y sont point, nous voyons quelle mocquerie c'est de dire penitence, et qu'on soit ainsi endurci et impudent à encontre de Dieu et des hommes. Tant y a que si Iob estoit comme esgare, d'autant que iamais n'avoit esté de l'Eglise de Dieu, de ce corps qui estoit choisi de la lignee d'Abraham, a parlé ainsi, et qu'il ait cognu quelle est la vraye repentance: quelle condamnation y aura-il sur nous, quand auiourd'hui nous serons si brutaux et si rudes, que nous ne pourrons point distinguer entre les principes de la foy? Voila que nous avons profité en l'Evangile. Ceux qui ont esté devant les Prophetes, mesmes qui n'estoyent pas du corps des Iuifs, de ce peuple que Dieu avoit eleu pour son Eglise: ont bien seu declarer qu'il n'y avoit point

490

de penitence sinon que les hommes se condamnassent du tout, et s'aneantissent en leurs vices. Auiourd'huy ceux qui voudront estre reputez Chrestiens useront de ce mot de Penitence, le prophanans par leur bouche salle et pollue: et voudront qu'on tiene pour repentance une pure mocquerie de Dieu. D'autant plus donc nous faut-il noter ce qui est ici contenu: c'est assavoir que pour monstrer que vrayement nous sommes convertis à Dieu, il nous faut regarder nostre turpitude: et la regarder en sorte que tout ce qui est en nous soit condamné, et que nous apprenions d'estre nos iuges, afin d'estre absous devant celuy qui ce demande que de faire pardon à ceux qui recourent à luy en tonte humilité.

Or notamment Iob adiouste, Qu'il fera penitence en cendre et en poudre: comme s'il disoit qu'il est prest et appareillé de se rendre à Dieu comme un povre malfaicteur: car la penitence pourra bien estre sans qu'un homme iette un sac sur son dos, et sans qu'il prenne de la poudre sur sa teste: mais les anciens ont usé de telles ceremonies, quand ils ont voulu faire protestation solennelle, qu'ils estoyent du tout condamnez devant Dieu, et qu'il n'y avoit nul remede sinon que Dieu leur fist grace comme à des povres malfaicteurs. Notons bien donc que Iob ne parle point ici d'une penitence commune: mais il cognoist que son offence est si grieve et si enorme, qu'il merite bien de venir comme la corde au col, et monstrer par signes qu'il n'y a que malediction en luy, iusques à ce que Dieu le reçoive, et recueille à soy. Il est vray que cest argument se pourroit deduire plus au long: mais il nous suffira en somme, que ce qui est ici dit touchant la cendre et la poudre n'est pas le principal de penitence, mais c'en est un signe exterieur. D'avantage que ce signe n'est pas tousiours requis, mais que c'estoit pour faire une protestation publique d'un crime exorbitant. Il faut que tous fideles tout le temps de leur vie avisent à se repentir et de plaire: car nous ne passons iamais un iour qu'il n'y ait beaucoup de povretez en nous: sans que nous y pensions, nous ferons des fautes infinies: voire mesmes cuidans bien faire: que si nous nous examinons iusques au bout, nous trouverons qu'il y a tousiours à redire en nous. Ainsi nous avons occasion de gemir: et toutes fois nous ne ferons point de protestation manifeste devant les hommes. La penitence donc pourra bien estre sans avoir les signes exterieurs conioints: mais quand les fautes sont lourdes, et que l'ire de Dieu se demonstre envers nous: alors nous avons non seulement à gemir et à nous desplaire, mais nous devons aussi (cognoissans ce qui peut edifier nos prochains) adiouster quelques signes, comme si un homme a commis un scandale, et qu'il voye que le

SERMON CLVIII

491

nom de Dieu on soit blasphemé: et que Dieu descoure sa honte non seulement pour se desplaire et se hayr on soy, mais aussi devant les hommes: humilité doit estre coniointe avec comme un tesmoignage et un seau pour ratifier ia penitence. Et cela non seulement doit estre en chacun particulier, mais on tout un peuple: comme nous voyons que l'Eglise l'a tousiours pratiqué

Au reste notons bien que ce ne sera point assez que nous ayons les signes exterieurs: mais il faut sur tout que le coeur soit navré, qu'ayans horreur d'avoir provoqué l'ire de nostre Dieu contre nous, nous concevions une angoisse pour nous condamner, et que nous soyons du tout confus on nous-mesmes. Et c'est la tristesse dont parle sainct Paul (2. Cor. 7, 10), laquelle il dit qu'il ne faut point fuir, d'autant qu'elle est à salut. Et voila pourquoy il est dit au Prophete Ioel (Ioel 27 13), Rompez vos coeurs, et non point vos robbes. Il est vray que le Prophete commande bien à ceux qui ont grievement offensé, et qui voudront estre exaucez de Dieu, de retourner avec sac, avec cendre et poudre: et qu'ils se confessent malfaicteurs, et demandent pardon, qu'ils declarent avec protestation solennelle, qu'ils sont dignes de mort, sinon qu'il use de pitié envers eux Mais cependant pource que les hommes sont tant enclins à hypocrisie, et qu'ils veulent tousiours contenter Dieu de belles mines, et qu'ils oublient ce qui doit estre le premier et le principal: le Prophete notamment dit, qu'il faut que les coeurs soyent fendus, que ceste dureté-la soit abbatue. Ainsi nous voyons en somme ce que Iob a voulu dire: et est qu'en ayant repentence d'avoir parlé à la volee, il adiouste, que son peché n'est point leger ne petit: mais si enorme, qu'il est prest de se constituer un povre malfaicteur, qui a commis crime mortel, et qui a toute son attente et refuge à la pure misericorde de Dieu: et mesmes que devant les hommes il fera volontiers une telle protestation, afin que ceux qui ont esté offensez en luy, soyent derechef edifiez, et que tous cognoissent qu'il ne demande sinon de s'humilier sous la main de Dieu. Or puis qu'ainsi est, apprenons de nostre costé quand nous aurons commis quelque faute, de ne la point amoindrir, et de ne la cacher point: mais de la cognoistre, voire pour en estre dutout abbatus. Et au reste quand nous aurons commencé de reprouver nos fautes en nostre coeur, et les detester pour nous y desplaire afin que Dieu n'entre point en conte avec nous: que devant les hommes aussi nous ayons ceste modestie la d'user des protestations que Dieu approuve: c'est qu'en tout et par tout nous confessions que nous avons merité la mort, sinon que Dieu nous reçoive à merci: et que la honte ne nous empesche point de reparer les

492

scandales que nous aurons commis par nos offenses.

Là dessus il est dit que Dieu apres avoir parlé à Iob s'est tourné vers Eliphas Themanite, et luy a dit, 4a fureur s'est enflammee contre toy et tes compagnons: car vous n'avez point parlé droitement devant moy comme mon serviteur Iob. Nous avons veu ci dessus comme Dieu a redargué Iob: maintenant en second lieu il redargue ses compagnons, voire plus rudement beaucoup. Car maintenant il l'approuve, et il condamne du tout les autres. Devant que venir à ceste comparaison qui est ici faite entre Iob et ses amis, nous avons à noter l'ordre: c'est qu'il est dit, que Dieu ayant prononcé ces paroles a Iob, a adresse son propos à ceux qui l'avoyent iniustement condamné. Par cela nous sommes advertis, combien que Dieu chastie les siens en douceur paternelle: que toutes fois il exerce son iugement à l'endroit d'eux: comme il est dit, que ses punitions et chastimens commencent par sa maison et par son Eglise. Voila donc Dieu qui redargue Iob, et cependant laisse là les autres qui ont failli plus lourdement que lui. On eust peu demander, Et voire? Pourquoi Dieu s'adresse il seulement à Iob, et à celui qui a le moins failli? car combien qu'il y ait des fautes: toutes fois elles sont plus à pardonner que celles de ses compagnons: et il semble que Dieu desploye tonte sa rigueur a l'encontre de lui seul. Voila qu'on eust peu dire. Mais lui est redargué le premier, pource qu'il faut que ce que nous avons allegué du Prophete soit accompli: c'est assavoir que Dieu commence a chastier les domestiques de sa maison. Quand il exerce son iugement, il ne commencera point par les incredules: il les laisse là, il les espargne comme s'il avoit mis en oubli leurs fautes: non pas qu'elles ne soyent bien enregistrees, et qu'elles ne viennent en conte: mais il laisse meurir et pourrir l'iniquité de ceux qu'il n'aime pas. Voire: et au reste il chastie ceux qu'il a adoptez, ceux qu'il advouë pour ses enfans: il leur monstre signe de rudesse, cependant que ceux qui lui sont estranges se reposent et se tiennent à leurs aises et en delices.

Voila donc ce qui nous est monstré en ce passage: qui nous est une doctrine bien utile: car nous voyons tous les iours que la condition des fideles est plus miserable que colle des contempteurs de Dieu. Il semble qu'ils soyent du tout reprouvez de lui, ils trainent leurs ailes, ils ne font que languir en ce monde: et cependant les meschans levent les crestes, les voila gais, ils font grand chere iusques à se mocquer de Dieu. Or quand on voit ces choses, on y seroit troublé, sinon que nous eussions ceste doctrine, c'est assavoir que le iugement commence par la maison de Dieu: comme aussi il est dit au Prophete Isaie (10, 12), Quand Dieu aura

IOB CHAP. XLII.

493

accompli tout son ouvrage sur la montagne de Sion, alors il n'espargnera point les meschans. Or notamment le Prophete Isaie dit, qu'il faut que Dieu accomplisse toutes ses corrections en son Eglise: comme ce sont ceux qui lui sont plus recommandez que les siens. Il faut donc qu'il les visite en premier lieu, qu'il les purge de leurs fautes, qu'il les reforme pour les reduire à lui: et qu'il ne face point cela seulement pour un iour, mais qu'il accomplisse toute son oeuvre. Et puis, il y a une vengeance horrible apprestee sur ceux qui ont abusé de sa patience, et qui se sont endurcis, cependant qu'il les supportoit: comme sainct Pierre aussi nous admonneste (1. Pier. 4, 12). Helas mes amis, ne portons point d'envie, dit-il, aux enfans de ce monde, quand Dieu les laisse en paix, et que cependant nous sommes chastiez de sa main, que nostre condition est dure et fascheuse: portons cela, dit-il, tout doucement: car que sera-ce de ceux que Dieu a reprouvé du tout, puis qu'il nous faut passer par l'estamine, qu'il faut que nous soyons ainsi examinez? Ainsi recognoissons la bonté de nostre Dieu: comme aussi il est dit au Prophete (Ier. 24) que ceux que Dieu aura longuement attendu, sont accomparez à des fruicts qui pour la fin sont reservez, et seront comme pourris: et ceux qu'on aura cueilli plustost qu'ils seront neantmoins mangez et leur fera-on cest honneur combien qu'on les cueille. Et ainsi apprenons, que Dieu procure nostre salut et l'advance, quand il lui plaist de nous chastier en premier lieu, cependant que les incredules se donnent du bon temps. Or il est vrai que nous ne pouvons pas dire qu'Eliphas et ses compagnons fussent reprouvez du tout (car au contraire Dieu les a acceptez) mais cependant ils sont alienez de lui pour un temps: et faut que Iob intercede pour eux ou ils ne trouveront nul moyen de grace ne de pardon. Quand donc Iob sera accompare avec eux, nous dirons qu'il est domestique de l'Eglise, et les autres en sont comme bannis pour un temps, iusques à ce que Dieu les ait reconciliez à lui. Or voila Iob qui est redargué: et cependant Dieu ne sonne mot aux autres Cognoissons donc ce que i'ai dit, c'est que d'autant plus que Dieu nous aime, il se haste aussi de nous visiter: et quand il voit que nous avons decliné, que nous sommes desbauchez du chemin de salut, il veille sur nous afin de nous reduire hastivement à lui.

Venons maintenant à ceste comparaison qui est ici mise, entre Iob et ses amis. Il est dit, que Iob a parlé droitement devant Dieu. Comment cela? Toutes fois Dieu l'a condamné comme un ignorant comme un outrecuidé, comme un homme impatient. Et où est ceste droiture? Nous avons declaré ci dessus que Iob a demené une bonne cause, combien qu'il y ait mal procedé: Iob donc a failli en la

494

procedure qu'il tenoit, mais cependant sa cause estoit bonne. Au contraire les amis de lob ont eu de belles raisons et dont nous avons recueilli doctrine saincte: mais tant y a que leur fondement estoit mauvais. Ils prenoyent un argument general hors de propos: c'est que Iob estoit puni à cause de ses malefices, et qu'il le falloit tenir comme meschant et execrable,. puis que Dieu usoit d'une telle rigueur contre lui. Et au reste ils avoyent aussi une doctrine fausse et perverse, disans que Dieu traitte les hommes en ce monde selon qu'ils l'ont deservi. Or c'estoit oster l'esperance de la vie eternelle, et enclorre toute la grace de Dieu en ceste vie caduque et fragile: c'estoit donc pour tout pervertir. Et ainsi il nous faut reduire en memoire ces deux poincts-là, pour cognoistre la droiture dont il est ainsi parlé. Et somme il nous faut noter ce que nous avons allegué par ci devant du Pseaume (41, 2), Bienheureux est celui qui iuge sagement du povre en son torment: où le Prophete nous monstre que quand nous voyons quelque homme estre affligé, Dieu veut que nous ayons ceste prudence-là de ne le point condamner du premier coup: mais que nous regardions plus haut: assavoir que les afflictions viennent aucunesfois aux hommes pour les chastier de leurs pechez: ancunesfois pour esprouver leur patience: aucunesfois que Dieu veut prevenir quelques fautes ausquelles ils pourroyent tomber: que Dieu aussi les constitue comme miroirs, afin que voyans leur obeyssance nous en soyons edifiez, aucunesfois il y a des causes secrettes, qui nous sont incognues. Gardons-nous donc de temerité, quand nous voyons que Dieu tormente rudement quelqu'un: que nous n'ayons point un iugement volage, pour prononcer contre lui qu'il est digne d'estre ainsi manié, et pour priser ceux qui sont à leur aise, comme s'ils estoyent mieux aimez de Dieu, car c'est iuger par trop à l'esturdie, que cela. Quand donc nous aurons ceste humanité en nous, de regarder les causes qui nous sont notees en l'Escriture, nous trouverons souvent que ceux qui sont les plus excellens serviteurs de Dieu sont traittez en plus grande rigueur, et nous semblera que Dieu leur soit contraire, mais nous n'en iugerons point à nostre phantasie. Quand nous aurons ceste modestie-là, Dieu nous soulagera tousiours quand nous serons affligez, mais si nous sommes cruels et follement excessifs pour prononcer sentence, il faudra aussi qu'il nous soit rendu en pareille mesure.

Et au reste pour mieux comprendre ce qui est ici dit, q? e Iob a parlé droitement, et que ses amis non: il nous faut prendre ceste regle generale, que quand un homme sera en train de suivre Dieu et le craindre: cela sera accepté, encores qu'il commette de lourdes fautes: si un autre n'a point une vraye racine de crainte de Dieu en soi: combien

SERMON CLVIII

495

qu'il ait des vertus apparentes qui seront fort prisees des hommes, tout ne vaut rien, ce D'est que puantise. Voila, di-ie, un homme qui craindra Dieu, et aura une affection et droite et pure de s'addonner à bien faire. Or cependant il y aura beaucoup d'infirmitez, il cloche, il fleschist, il decline, il tombe quelquefois. Voire mais les fautes qu'il commet lui sont pardonnees, et Dieu lui tend tousiours la main pour le relever: et mesme le tout est à son profit, d'autant que c'est son but qui lui est proposé d'aller à Dieu, et que son affection le mene là Au contraire il pourra advenir (comme i'ai dit) qu'un homme soit bien prise qu'il ait des vertus belles, qu'il face des actes dignes d'estre honorez: mais cependant il n'y a point de vraye racine en lui, on il sera un contempteur de Dieu, ou il sera plein de cruauté envers ses prochains. Quand donc un homme sera tel, rien ne pourra plaire à Dieu de ce que les hommes honorent. Par ceci nous pouvons entendre comme il en a esté de Iob. Iob (comme nous avons dit) en toute sa vie avoit esté addonné a bien faire: c'estoit un homme craignant Dieu, un homme droit: voire, et notamment ceste simplicité de coeur lui a esté attribuee ci devant: pour monstrer que iamais nostre vie ne sera bien reglee, iusques à ce que nous soyons purgez de toute fiction, et que nous cheminions comme devant Dieu, et non point comme devant les hommes: que nous ne soyons point doubles, mais qu'il ait ceste rondeur-là de nous addonner pleinement à Dieu. Cela a esté dit notamment de Iob. Quant à la cause presente, il endure patiemment l'affliction: mais en la fin quand il est tourmenté iusques au bout, il se despite, il se fasche: sur tout quand les hommes le viennent ainsi aiguillonner, il s'oublie, et se desborde, et semble bien qu'il vueille resister à Dieu, pource qu'il lui eschappe des propos inconsiderez. Voila les fautes de Iob, quand sa patience n'est pas retenue comme elle devroit, qu'il est fol en son parler, voire en d'aucuns mots particuliers: mais tant y a que tousiours il tend à ce but, que nous avons dit au commencement: et quoi qu'il en decline il ne s'en destourne pas du tout: mais il tend là, encores qu'il n'y aille point du tout droitement, comme quand un archier tirera, encores qu'il ne frappe point du tout au blanc: si est-ce qu'on voit qu'il y tend, s'il en approche. Ainsi en est-il de Iob. Et voila pourquoi Dieu lui attribue droiture.

Ainsi donc apprenons que quand nous avons une affection pure et, saincte, et que nous chercherons de bien faire: combien que nous soyons infirmes, combien que nous soyons enveloppez de beaucoup de vices, et qu'il nous advienne de fleschir, de tomber, et combien que nous meritions en somme d'estre reprouvez de Dieu: toutes fois il nous supporte

496

et n'a point d'esgard à nos infirmitez et nos vices, pour les condamner sans remission. Et voila pourquoi il est dit en l'Escriture, que ceux qui se sont employez à servir à Dieu et garder sa Loi, sont iustes: comme Zacharie et Elizabeth ont esté iustes devant Dieu. Comment iustes? Ou est l'homme qui se trouvera tel? comme il est dit au Pseaume. Ne faut-il pas que nous soyons tous condamnez comme povres pecheurs, et que nous ayons tous la bouche close? Ouy bien. Mais outre ce que Dieu mit receu Zacharie et Elizabeth pour les gouverner par son S. Esprit: il accepte aussi ce qu'ils desirent de bien faire, comme s'il n'y avoit que perfection en nos desirs qui sont imparfaits. L'obeissance n'est pas telle comme il seroit requis: mais tant y a que Dieu la reçoit, d'autant qu'il n'impute point à ceux qui desirent de le servir, toutes les imperfections qui sont en eux. Et voila pourquoi il les accepte comme iustes. Or donc combien qu'il y aura des fautes en nous, Dieu les mettra en oubli, elles seront ensevelies par sa misericorde: tellement qu'il ne laissera pas de nous accepter comme iustes et droits, moyennant que nostre coeur tende là (comme nous avons dit) de l'honorer, et de nous addonner à son obeissance. Et ceci nous doit servir à deux choses. Car nous voyons en premier lieu, comme les Papistes sont enragez, quand ils prennent ces tesmoignages pour fonder leurs merites. O voila (diront-ils) il est parlé de droiture: nous meritons donc envers Dieu, et avons les coeurs purs et droits pour venir à Dieu. Helas! et d'où vient ceste droiture? Meritons-nous une telle louange de la bouche de nostre Dieu? Et il nous pourroit condamner cent mille fois sans user de grace envers nous: mais d'autant qu'il efface et oublie nos fautes, et qu'il ne veut point y avoir esgard, voila pourquoi il nous accepte comme iustes. Et ainsi cognoissons ici seulement sa misericorde et sa pure bonté: et faisons lui hommage. Et au reste nous devons prendre courage de bien faire, quand il est dit que nostre Seigneur se contente de nous, et qu'il advouë comme bon et louable, ce qui toutes fois est pollu: et que combien qu'il y ait à redire, et qu'il y ait des fautes et imperfections grandes en nos oeuvres, et que nous serions dignes que Dieu nous detestast, d'autant que tout ce que nous lui pouvons apporter est là comme puantise: si est-ce qu'il accepte comme sacrifice de bonne odeur et reçoit les oeuvres qui sont ainsi entachees dé vices. Puis qu'ainsi est, ne devons-nous point estre tant plus enflammez à le servir et honorer? Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage.

Or cependant notons aussi, que nous aurons beau faire des actes heroiques (comme on appelle)

IOB CHAP. XLII.

497

et qui soyent les plus vertueux du monde et plus qu'humains: que les hommes nous pourront lever par dessus leurs espaules: ce ne sera rien, sinon que nous ayons une racine vive en nos coeurs, et que nous desirions de servir à Dieu, que nous ayons prins un tel but. Il vaudroit beaucoup mieux aller le droit chemin en clochant: que de faire de grands sauts, et cependant n'avancer rien: ou mesmes que de faire de grandes parades, et cependant avoir les coeurs enveloppez de toutes meschantes affections. Advisons donc de n'appeter point que les hommes nous prisent beaucoup: mais que nous venions tousiours là que nostre Dieu nous gouverne, qu'il tienne la bride sur nous, et que nous advisions de nous addonner à lui en obeissance. Or cependant nous avons ici un tesmoignage certain et infallible de ce qui a esté traitté par ci devant: c'est assavoir que Iob combien qu'il ait failli en quelque mot: toutes fois n'a pas laissé d'avoir bonne cause, puis que Dieu, qui en est lui seul Iuge competant, le prononce ainsi. Au contraire, combien que ses amis ayent eu de belles couleurs et des argumens qui estoyent trop favorables (ce sembloit) neantmoins ils sont ici reprouvez. Et pourquoy? Nous avons desia monstre les deux raisons. L'une qu'ils ont condamné Iob pource qu'il estoit batu de la main de Dieu,

Ainsi donc si nous voulons que nostre iugement ne soit point renversé là haut, apprenons de ne point iuger à la volee quand Dieu chastiera les hommes: et meditons bien les causes qui sont contenues en l'Escriture saincte: et que nous facions cela non seulement envers nos prochains, mais envers nous. Dieu donc nous afflige-il? Soyons sages: comme aussi quand S. Iaques parle de la patience, notamment il l'appelle sagesse (1, 4. 5). Et c'est la plus grande sagesse que nous puissions avoir, apres que nous avons cognu Dieu nostre Pere, et receu la grace qu'il nous offre en nostre Seigneur Iesus Christ: que nous puissions prendre ce qu'il nous envoye d'affliction tout doucement, que plians les espaules nous venions à nous consoler en nos miseres, et nous resiouir en nos tristesses. Voila comme nous serons droitement instruits en l'escole de nostre Dieu. Ainsi donc quand Dieu nous afflige, que nous ne concevions point un chagrin, ni amertume contre luy: car nous n'y gaignerons rien, mais plustost meditons ce que l'Escriture saincte nous monstre. Qu'il est besoin que nous soyons mortifiez: car nous sommes par trop adonnez au monde, nous ne penserions point à la vie celeste. Si nous avions tous nos souhaits: où en serions-nous? Or il y a d'avantage: que Dieu cognoist qu'il y a beaucoup de rebellions secretes en nostre chair: il faut donc que nous soyons mattez comme par force. Et puis nous ne

498

saurions que c'est de luy obeir, s'il nous traittoit à nostre gré et à nostre aise. Et ainsi il faut qu'il nous chastie et rudoye: mais en cela il procure nostre salut, quand il nous examine, et qu'il nous envoye les choses qui nous sont rudes et fascheuses: car si alors nous ne murmurons point contre luy, voila nostre obeissance bien approuvee. Et c'est ce que nous avons ici à noter, que si nous iugeons sobrement des afflictions que Dieu nous envoye, et pareillement à nos prochains: nous aurons ceste droiture de laquelle Dieu rend ici tesmoignage de sa propre bouche.

Or pour la fin il est dit, Que Dieu renvoye Eliphas et ses compagnons à Iob, et leur commande d'offrir sacrifices, et dit que Iob trouvera grace, a/fin que leurs pechez leurs soient pardonnez. Ici en premier lieu nous avons à noter qu'encores Dieu redargue Eliphas et ses compagnons en telle sorte: toutes fois il ne les a pas voulu dechasser du tout: et combien que la condamnation leur fust denoncee, toutes fois que ce n'a point esté pour la souffrir, tellement qu'ils demeurassent là du tout accablez sans remission. Il y a donc deux especes de condamnations que Dieu prononce sur les hommes: mais il y a la premiere espece qui se peut encores diviser en deux. En general Dieu nous condamne: voire afin de nous absoudre quand il nous trouvera humiliez: ou bien pour nous abysmer du tout, comme il en use envers les incredules. Mais encores il y a deux sortes de condamnations qui nous sont salutaires. La premiere c'est des fideles, quand nous sommes tous les iours punis. Car encores que Dieu nous tiene de sa maison, encores que nous soyons reconciliez avec luy: toutes fois nous avons besoin d'estre condamnez: et qu'il nous solicite là dedans tousiours de plus en plus, pour avoir honte de nous, afin de souspirer et de hayr nos vices, de cercher le remede, afin de magnifier tant plus la misericorde qu'il nous y a desployée quand nous obtenons pardon de luy. Voila donc la condamnation que Dieu fait sur ses esleus, encores qu'ils soyent reconciliez à luy, et qu'ils soyent de son troupeau. Or il y a une autre condamnation qui est salutaire: mais c'est de ceux qui sont comme eslongnez de l'Eglise de Dieu, et qui n'ont point d'accointance avec luy: comme nous voyons qu'il a condamné S. Paul du temps qu'il estoit persecuteur. Et en la personne de S. Paul mesme nous pouvons mieux comprendre ce que ie vien de dire: car si on allegue deux personnes la chose ne sera point si facile à cognoistre. Voila S. Paul, qui est si meschant qu'on eust dit qu'il estoit du tout desesperé: si est-ce qu'il estoit des esleus de Dieu. Desia il estoit marqué des le ventre de la mere pour estre Apostre: mais cependant si est-ce qu'il ne semble pas qu'il soit de l'Eglise de Dieu, plustost

SERMON CLVIII

499

il en est ennemi mortel. Or Dieu le condamne quand il l'abbat, et quand il le despouille de cest orgueil dont il estoit enflé auparavant: et qu'il est là comme un povre esclave. Ce fardeau-la luy est bien dur, ce luy est une condamnation: voire, mais c'est pour son salut. Il falloit que cest orgueil la fust matte, qu'il fust abbatu par violence. Voila donc une condamnation salutaire: mais elle est d'un homme qui estoit du tout eslongné de Dieu, et qui sembloit estre du tout desesperé. Or S. Paul a-il esté ainsi condamné une fois? Apres que Dieu l'a rengé à son troupeau, qu'il a esté une brebis, voire et un pasteur quant et quant, qu'il n'a point seulement esté des agneaux de Iesus Christ, mais il a esté pasteur du troupeau: si faut-il qu'il soit encores condamné. Et comment? Dieu le soufflette: car il dit (2. Cor. 12, 7) qu'il permet à Satan de luy donner des soufflets comme par opprobre, afin que pour la hautesse des revelations qu'il avoit eues il ne s'eslevast point: et qu'il luy falloit ceste contrepoison pour le garder qu'il ne s'enorguoillist. Nous voyons donc en la personne de S. Paul, qu'il y a deux façons de condamner qui sont à nostre salut.

Nous voyons le semblable en ce lieu present, où les amis de Iob ont esté condamnez pour leur salut. Car Dieu leur ouvre la porte et leur monstre qu'ils se doivent confier d'obtenir pardon, quand ils viendront à luy avec vraye repentence: mais tant y a qu'encores il les recule, tellement qu'il n'approche point privément d'eux comme de Iob: et ne leur donne point accez et entree à luy sinon par le moyen qui leur est ici exprimé, assavoir que Iob intercedast pour eux. Nous voyons donc ici deux exemples divers de la misericorde de Dieu: et combien qu'il traitte ainsi les hommes en diverses façons, si devons nous tousiours cognoistre, qu'il procure le salut de ceux qu'il n'a point reprouvez du tout. Or par là nous sommes instruits de prendre patiemment toutes les corrections que Dieu nous envoye: et encores qu'il semble qu'il ne nous traitte point comme ses enfans: mais que nous soyons comme estranges de luy, que nous ne laissions point d'esperer qu'en la fin il aura pitié de nous, et qu'il convertira en bien et à salut la condamnation que nous aurons soustenue pour un

500

temps. Or combien que nous ne puissions pas de duire tout ce qui est ici dit touchant les sacrifices: si faut-il en un mot noter, que de tout temps Dieu n'a point receu les hommes à misericorde qu'avec sacrifices: pour signifier que quand nous voudrons obtenir pardon de nos pechez, il faut avoir ceste adresse du sacrifice qui a esté une fois offert pour nostre redemption. Car cependant que Iesus Christ ne sera point au milieu de Dieu et de nous, il faut que nous demeurions maudits, perdus, et desesperez. Voila Dieu qui se declare ennemi du peché: comme il est la fontaine de toute iustice. Or le peché habite en nous : il faut donc que Dieu nous declare une guerre ouverte, et que sa vengeance repose sur nous, qu'elle y ait sa demeure perpetuelle: et n'y a autre moyen d'en eschapper, sinon que nous ayons recours à ce sacrifice par lequel nous avons esté une fois reconciliez a luy. Et ainsi notons que tant moins sommes nous auiourd'huy excusables, apres que Iesus Christ a souffert mort et passion, si nous cuidons estre absous devant Dieu par autre moyen, que par ceste purgation qui a esté faite, et d'autant qu'il a satisfait pour nous, afin de nous acquitter de la condamnation de mort en laquelle nous estions. Si donc nous cerchons d'obtenir misericorde (comme nous en avons besoin, et c'est le seul moyen d'approcher de Dieu) il faut que nous ayons tousiours en memoire la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, qui est le sacrifice de nostre redemption et appointement. Quand nous y procederons ainsi, ne doutons point que nostre Seigneur, puis qu'il s'est declaré pitoyable envers ceux qui l'ont offensé du temps des figures de la Loy, voire et qu'il a estendu sa misericorde à ceux qui n'estoyent point du corps de son peuple: ne nous reçoive auiourd'huy, puis que l'Evangile est publié par tout le monde, qu'il a fait une alliance commune avec les Payens et les Iuifs, qu'il n'y a plus de par, y pour discerner entre les uns et les autres: ne doutons point, di-ie, qu'ayans nostre recours à Dieu par le moyen de ce sacrifice, il ne vienne au devant de nous, afin qu'ayans obtenu grace de lui nous soyons asseurez de nostre salut.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc..

IOB CHAP. XLII.

501

LE CENT CINQUANTENEUFIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XLII. CHAPITRE.

Ce sermon. est encores sur le verset 8 et sur le texte ici adiousté.

9. Eliphas donc Themanite, et Baldad Subite et Sophar Naamathite vindrent, et firent selon que Dieu avoit commandé: et le Seigneur receut la face de Iob. 10. Et le Seigneur convertit la captivité de Iob quand il prioit pour ses amis, et benit l'estat dernier de Iob plus que le premier. 11. Et tous ses freres, et toutes ses soeurs vindrent vers lui, et tous ceux qui l'avoyent cognu auparavant: et mangerent avec luy en sa maison, et eurent compassion de luy et le consolerent de tout le mal que le Seigneur avoit fait venir sur luy: et receut d'un chacun d'eux une piece d'argent, et d'un chacun un ornement d'or. 12. Et le Seigneur benit l'estat dernier de Iob plus que le premier, tellement qu'il eut quatorze mille bestes blanches, et six mille chameaux, et mille couples de boeufs, et mille asnesses. 13. Il eut aussi sept fils, et trois filles. 14. Et appella le nom de l'une Iemima: et le nom de l'autre Kezia, et le nom de la troisieme Keren-hapuc. 15. Et ne s'est point trouvé de plus belles femmes en tout le pays, que les filles de Iob: et leur pere leur donna heritage entre leurs freres. 16. Et Iob apres ces choses vesquit cent et quarante ans, et vit ses fils, et les fils de ses enfans iusques en la quatre generation. 17. Et mourut aagé, et rassasié de iours.

Nous avons veu comme Dieu en redarguant les amis de Iob, ne les vouloit pas mettre en desespoir, mais les appelloit à repentance, protestant de les exaucer, et d'avoir pitié d'eux. Et voila les corrections qui nous sont profitables, quand Dieu ne nous ferme point la porte, mais nous monstre qu'il est prest de nous recevoir à merci. Car autrement que gaignerons-nous d'estre convaincus de nos pechez? Il faudra que nous soyons abysmez en desespoir si nous n'apprehendons la misericorde de Dieu: et ainsi iamais nous ne serions touchez d'une vraye affection pour nous repentir du mal: mais plustost serions endurcis pour ronger nostre frain, et n'y auroit nulle correction en nous. Notons bien donc que Dieu fait une grace singuliere aux hommes quand apres leur avoir fait sentir leur mal, toutes fois il leur monstre qu'ils obtiendront grace quand ils la cercheront.

Or cependant nous avons veu aussi, que Dieu commandoit à ces gens-la d'amener leurs sacrifices à Iob afin qu'il priast pour eux: et c'estoit pour les humilier. Car combien que Dieu se monstre benin

502

et volontaire envers nous: toutes fois nous avons besoin qu'en partie il se monstre difficile. Voire, mais c'est pour nous induire à une meilleure desplaisance de nos pechez: car il nous semble souvent qu'il suffist d'avoir eu un bon souspir, comme on parle en commun langage, et nous iouons quasi avec Dieu. La repentance nous doit rendre du tout confus, elle nous doit saisir de frayeur quand nous cognoissons l'ire de Dieu qui est pour nous accabler du tout: nous ne pensons gueres à cela, mais passons par dessus la braise, comme on dit. Pour ceste cause il nous est bon et utile que nostre Seigneur nous tiene comme en bride courte, et qu'il nous monstre qu'il y a encores du mal qui est caché en nous, lequel nous devons mieux sentir. Dieu donc ne fait point aux hommes si bon marché de sa misericorde, afin qu'ils soyent tousiours plus humiliez, et qu'il leur souviene des fautes qu'ils ont commises.

C'est donc la raison pourquoy en ce passage il est dit, que Iob priera pour ceux qui avoyent offensé. Or cependant il n'y a nulle doute, que Dieu tant par les sacrifices, qu'aussi en la personne de Iob, n'ait voulu monstrer que les hommes ont besoin d'avoir quelque Moyenneur qui leur donne accez à luy, et qu'il leur face trouver grace: comme nous voyons en la Loy, que Dieu avoit ordonné le Sacrificateur qui entrast luy seul au sanctuaire au nom de tout le peuple, et que les autres se tinssent loin, cognoissans qu'ils n'estoyent pas dignes d'approcher de la presence de Dieu. Car cela estoit pour figurer, que sans un Moyenneur qui entre à Dieu en nostre nom, iamais il ne nous seroit licite de prier: et nous serions aussi reboutez et exclus à bon droit. Or Iob a ici tenu la place et office de Sacrificateur quand il a intercedé pour ses amis: car il n'a point usurpé cela de soy: c'eust esté un orgueil trop grand à luy. Il falloit qu'il suppliast Dieu, pour obtenir pardon, et luy-mesme ne pouvoit pas venir sans un Moyenneur et advocat: comment donc eust-il acquis grace pour tous les autres, sinon que Dieu luy eust donné ceste charge? Et ainsi Iob quant à cest acte est constitué de Dieu Sacrificateur, et il le falloit ainsi: car, comme dit l'Apostre (Heb. 5, 4), nul ne doit usurper l'honneur, mais celuy qui aura esté establi de Dieu, il est vray Sacrificateur et legitime. Comme Iesus Christ mesme, encores qu'il soit maistre en l'Eglise

SERMON CLIX.

503

Chef des hommes et des Anges, qu'il soit en la gloire de Dieu son Pere: tant y a qu'encores ne s'est-il pas ingeré de soy, mais il a esté appelle avec serment solennel de celuy qui a dit, I'ay iuré, et ne m'en repentiray point, Tu es Sacrificateur eternellement selon l'ordre de Melchisedec (Pseau. 110 4. 5). Notons bien donc quand Iob a esté mis ici en avant pour Sacrificateur, que c'est à ce que nous recueillons, quand nous avons à demander pardon de nos pechez, qu'il ne faut point qu'un chacun s'avance sans avoir un meilleur moyen, mais que Iesus Christ a cest office de nous donner accez et de nous faire ouvrir la porte, et nous presenter à Dieu son Pere: afin que nous soyons là exaucez, et que ce throne de maiesté ne nous soit plus terrible, mais amiable.

Or si cela a esté fait du temps de la Loy, s'il a esté fait mesmes entre ceux ausquels Dieu ne s'estoit point communiqué si privement: que sera-ce auiourd'huy quand nous avons pleine declaration que Iesus Christ est le seul Advocat qui intercede pour nous, afin que nos requestes soyent bien receuës? Et en cela voit-on l'ingratitude du monde: car qui est cause qu'on a cerché tant d'advocats et de patrons, et que chacun a eu sa devotion à part pour s'introduire à Dieu: sinon d'autant qu'on n'a point cognu l'office de nostre Seigneur Iesus Christ? Et ainsi donc notons bien toutes fois et quantes que nous aurons offense, qu'un chacun ne doit point venir à la volee devant le throne celeste; mais que nous y devons venir par le moyen de celuy qui nous est ordonné. Et alors nous sommes certains que Dieu ne nous reiettera point: car nous avons sa promesse qui ne nous peut faillir: mais si nous y venons à l'esgaree, nous ne profiterons rien. Autant en est-il des sacrifices dont il est ici parlé: car iamais les oraisons n'ont esté exaucees sans sacrifice. Et pourquoy? Car Dieu a voulu monstrer qu'à bon droit les hommes ne sont pas dignes de venir devant luy: d'autant que tous sont coulpables de mort, et quand ils y viendront, ce sera, à leur ruine Tous ceux donc qui ont iamais voulu obtenir grace, ont apporté quelques sacrifices pour confesser qu'ils estoyent redevables au iugement de Dieu, et qu'ils ne s'en pouvoyent autrement delivrer sinon par sacrifice. les payens ont bien ensuivi cela: mais ils n'ont pas entendu la fin pourquoy: a esté seulement un tesmoignage contr'eux. Tant y a neantmoins que Dieu a voulu laisser un tesmoignage par tout le monde, que les hommes cognussent qu'il n'y avoit que condamnation en eux, et qu'ils ne pouvoyent estre absous, sinon que leurs pechez fussent effacez par quelque recompense. Or maintenant nous avons la verité de cela, qui nous est revelee en l'Evangile: c'est que toutes fois et quantes que nous devons prier

504

Dieu, nous ayons nostre recours à la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ: car nous ne pouvons autrement estre reconciliez avec luy, et il faut que nos prieres soyent arrousees du sang qu'il a espandu pour laver nos macules. Voila dons comme nous serons acceptables à Dieu, encores qu'à bon droit il nous soit ennemi mortel, et que comme nous luy avons fait la guerre, aussi sa vengeance et malediction soit sur nous: c'est que neantmoins il ne laissera point de nous recevoir à grace, quand nous y viendrons avec ce sacrifice qui a esté offert de nostre Seigneur Iesus Christ, l'appliquans à nostre usage, afin que et nous et nos prieres soyent benites de Dieu, et qu'il accepte le tout.

Or il y a ici à noter, quand Dieu dit, Afin que ie ne face folie envers vous (car voila de mot à mot ce qu'il y a au texte) que ceste façon de parler seroit un peu dure: mais si nous regardons ce qui est contenu au Pseaume 18 (v. 27) nous pourrons avoir une declaration claire et facile de ce mot. Il est dit que Dieu traitte les hommes selon qu'il les trouve: le feray pervers avec les pervers. Cela semblera bien estrange: mais ce n'est pas à dire que Dieu change de propos, ne qu'il soit semblable à nous: mais seulement cela emporte que nous trouverons Dieu comme on dit, à rude asne, rude asnier: car si nous sommes revesches, et que nous ayons le col dur, qu'il ne puisse plier, Dieu viendra, à grans coups de marteau. Or il nous semble alors que D eu soit terrible et farouche. Selon donc que nous trouverons Dieu, et l'apprehendons à nostre phantasie, quand il frappe sur nous, il est dit qu'il est tel, combien que nul changement ne convient à sa maiesté.

Autant en est-il en ce passage. Il est dit, Afin que ie ne face folie avec vous: comme si nostre Seigneur disoit, afin que ie ne vous traitte selon vostre folie et perversité: car le mot aussi emporte cela. Afin donc que ie n'exerce ma vengeance sur vous, c'est à dire, que ie ne vous traitte d'une façon telle que vous l'avez merité: que vous veniez à mon serviteur Iob. C'est suivant ce que nous avons desia dit, que pource que les amis de Iob ayans cognu leurs offenses n'estoyent point encores assez mattez, il faut que Dieu descouvre leur vergongne tant plus: et qu'ils cognoissent que s'il les traittoit selon qu'ils en sont dignes, il y auroit un terrible mesnage: mais quand Iob avec ses prieres viendra entre deux, alors il sera appaisé. Or leur obeissance nous est quant et quant declaree, qu'ils ont fait tout ainsi que Dieu leur avoit ordonné. Et en ceci voyons-nous, comme les hommes changent quand Dieu a parlé vivement à eux, voire non pas seulement pour leur faire ouir sa voix des aureilles, mais afin qu'ils la reçoivent de coeur. Car auparavant

IOB CHAP. XLII.

505

les amis de Iob le tenoyent comme un homme reprouvé, ils faisoyent les iuges sans recevoir excuse aucune, ils parloyent bravement contre Iob comme si c'eust esté un povre ver de terre, et encores une chose plus contemptible. Or maintenant ils vienent à luy, voire le supplians. Et pourquoy? Dieu les a despouillez de cest orgueil qui les aveugloit auparavant. Voila donc d'où viendra le changement, assavoir quand nous serons humiliez devant Dieu, et qu'il aura parlé à nos coeurs, en sorte que nous cognoissions qui nous sommes: car il n'y a rien qui nous empesche de cheminer en crainte, et d'estre du tout abbatus, sinon que nous sommes enyvrez d'une folle presomption, que nous cuidons estre ce que nous ne sommes pas. Ainsi il faut que Dieu nous enseigne: car tous les hommes du monde ne nous sauroyent corriger de ceste folle arrogance de laquelle nous sommes enflez, iusques à ce que Dieu y ait mis la main.

Mais outre ce que les amis de Iob ont oublié cest orgueil qui les transportoit auparavant, ;ils ont aussi declaré leur repentance en obeissant à Dieu: comme c'est le vray fruict qui monstre la bonne racine, laquelle autrement seroit cachee au coeur, quand nous demandons de nous renger à ce que Dieu ordonne. Et voila pourquoy aussi il est dit aux Actes (2, 37), Que ferons-nous hommes freres? Quand S. Pierre a comme foudroyé contre ceux qui auparavant estoyent contempteurs de nostre Seigneur Iesus Christ: il est dit, qu'ayans esté navrez en leurs coeurs, ayans senti ceste pointe-la, alors ils ont dit, Que ferons nous? Ils se sont offerts à Dieu pour suivre tout ce qu'il leur seroit commandé. nous voyons donc un tel fruict de repentance en ce passage: c'est que les amis de Iob apres s'estre cognus, apres avoir esté ceste folle outrecuidance de laquelle auparavant ils estoyent tentez, vienent et font tout ce que Dieu a prononcé. Et ainsi quand nous aurons esté humiliez devant Dieu pour nous desplaire, nous aurons aussi vouloir et affection de nous assuiettir à la parole de Dieu: car c'est une partie aussi de nostre arrogance de faire ce que nous avons imaginé en nostre cerveau. En voulant estre trop sages, nous ne pouvons obeir à Dieu: mais quand nous sommes despouillez de tout orgueil, nous cognoissons que Dieu doit avoir autorité pour nous dire ce qui est bon de faire, et qu'il ne nous reste sinon de nous renger là sans aucun contredit.

Or il est quant et quant adiousté, Que Dieu a receu la face de Iob, et qu'il a converti sa captivité, ou qu'il s'est retourné à sa repentance, quand il a prié pour ses amis. Puis qu'ainsi est que Dieu a exaucé la face de Iob, qu'il a eu son oraison agreable pource qu'il l'avoit establi Sacrificateur: ie vous prie, n'avons-nous pas une certitude beau

506

coup meilleure quand nostre advocat perpetuel qui est entré au Sanctuaire des cieux, assavoir Iesus Christ, iamais ne sera refusé, ni nous aussi quand nous viendrons à Dieu son Pere par ce moyen-la, tenans tousiours la voye et l'adresse qu'il nous a donnee? Voila Iob un povre homme, et n'agueres il a esté en train de blasphemer contre Dieu: combien qu'il se soit tousiours retenu en patience quant à la conclusion: si est-ce qu'il a eu des bouillons qui l'ont fait ietter aux champs: tant y a qu'il a offensé Dieu grievement ainsi que nous avons declaré. Toutes fois si est-ce que quand Dieu luy commet cest office de prier, il est exaucé: non point pour luy tant seulement, mais pour les estranges, et pour ceux qui luy avoyent esté ennemis auparavant, et qui estoyent comme separez d'avec Dieu. Car Ils avoyent perverti toute sa parole, ils avoyent destruit et ruiné l'esperance de la vie à venir comme nous avons declaré: Iob toutes fois leur obtient grace. Or s'il est dit que Dieu a fait valoir cela, qui n'estoit qu'une petite ombre et obscure: que sera-ce maintenant puis qu'il nous a ordonné son Fils unique pour Sacrificateur: et qu'il ne luy a point commandé d'offrir des boues ou des veaux, ou des mouton', mais de s'offrir et corps et ame en sacrifice? Puis qu'ainsi est donc que le Fils de Dieu en sa personne s'est offert pour nostre redemption et pour abolir toutes nos fautes, et que maintenant il ne cesse d'interceder pour nous: faut-il craindre que nous n'obtenions pardon en son nom, et que nous ne soyons tousiours receus de Dieu en toute humanité et grace? Mais comme i'ay desia touché, la malice du monde se declare en ceci, quand on ne se peut contenter d'avoir un seul mediateur. les Papistes iront cercher leurs saincts et leurs sainctes pour patrons et advocats. Et qui en est cause? Pource qu'ils n'attribuent point à Iesus Christ ceste dignité, qu'ils se cognoissent estre rachetez par sa mort et passion. Ils diront bien, Fils de Dieu et Redempteur: mais ils ne le cognoissent point pour leur Advocat, et n'y ont point leur refuge, Ils ne savent que c'est de le prier, et n'en est point nouvelles. Et de nostre costé en faisons-nous nostre devoir, comme il appartient? le di ceux qui sont deuëment enseignez. Car toutes fois et quantes que nous devons prier Dieu, il faut que ce sacrifice eternel par lequel redemption nous a esté acquise, nous viene devant les yeux et en memoire. Or nous n'y pensons sinon par acquit: et il y en a beaucoup si lourds et si bestes, combien qu'ils devroyent avoir les aureilles assez batues que Iesus Christ est nostre advocat, qui ne peuvent point discerner entre Dieu et nostre Seigneur Iesus Christ, tellement que quand ils doivent invoquer le Pere au nom de Iesus Christ, ils ne savent s'il y a un Advocat qui intercede

SERMON CLIX

507

pour Doua. Mais il ne se faut point esbahir si souvent nostre Seigneur esblouit ainsi les yeux des hommes, afin de les divertir de l'adresse qu'il leur donne par sa parole: car par leur malice ils s'en sont destournez, et se sont fermé la porte, a, ce qu'ils n'ayent nul accez à Dieu pour l'invoquer: comme nous savons aussi qu'il n'y a nulle ouverture sinon que nous ayons Iesus Christ pour Advocat, lequel ils ont delaissé. Et voila pourquoy le diable de tout temps s'est ainsi efforcé de mettre des imaginations frivoles, pour transporter les hommes ça et là Mais gardons-nous d'extravaguer: plustost, puis qu'ainsi est que nous voyons que Dieu a exaucé les hommes par le moyen des sacrifices: que Les sacrificateurs de la Loy ne sont point entrez en vain au sanctuaire qui estoit fait de main d'homme, et qui estoit corruptible, n'apportans là sinon le sang d'une beste brute, soyons certains qu'auiourd'huy Iesus Christ nous fera trouver Dieu propice et benin envers nous, et que nous serons là receus, à pitié: voire, quand nos oraisons seront fondees sur ce sacrifice qu'il a offert, et que nous cognoistrons que c'est à luy de porter la parole pour nous, et de faire que nous soyons exaucez.

Cependant nous avons aussi à noter ce qui est ici dit, Que Dieu a fait retourner la captivité de Iob, on qu'il s'est converti à sa repentence. Car les mots se peuvent ainsi prendre: mais la plus simple exposition c'est, qu'il a converti la captivité de Iob, que ceste angoisse en laquelle il estoit a esté ostee: ou bien sa captivité: c'est à dire que son bestail et sa substance luy a esté rendue. Mais quoy qu'il en soit c'est pour signifier que Dieu en la fin a eu pitié de son serviteur: voire et notamment il est exprimé: que c'est quand Iob a prié pour ses amis: c'est à dire, pour ceux qui l'avoyent persecuté, comme nous avons veu. Or en cela voyons-nous, que si nous aimons nos ennemis, et que nous procurions leur bien et leur salut: ce sera nostre bien et nostre profit, et que Dieu fera retourner ceste benediction sur nous. nous craignons souvent d'estre trop faciles et humains quand on nous a offensé: et ce proverbe diabolique est par trop pratiqué, Que se fait brebis, le loup le mange. Voila pourquoy nous sommes acharnez à nos vengeances, quand on nous a fasche: qu'on nous a fait quelque iniure: il nous semble qu'en pardonnant nous sommes exposez à tout opprobre, et que nos ennemis prendront tant plus grande hardiesse contre nous. Or il nous faut demettre de toutes ces phantasies-la, d'autant que nous avons Dieu qui nous a prins en sa charge, et il nous a donné un bon Pasteur, assavoir Iesus Christ qui a promis de nous garder. Et au reste notons bien, que quand nous prions pour ceux qui nous tormentent, ceste benediction viendra sur nous, S'il

508

plaist a Dieu qu'elle leur profite: et bien, ils seront freres, là où ils estoyent ennemis auparavant: mais s'ils demeurent obstinez en leur malice, tant y a que nostre Seigneur fera revenir sur nous toutes les requestes que nous aurons fait pour eux. Voila donc pourquoy notamment il est dit, Que Iob a esté regardé de Dieu en pitié, quand il a prié pour ceux qui l'avoyent ainsi outragé, comme nous avons veu. Et ainsi il nous faut reduire en memoire ce que dit sainct Iaques: vous avez ouy la patience de Iob, et voyez la fin et l'issue telle que Dieu luy a donnee. Or il nous monstre que les afflictions que Dieu envoye sur ses enfans sont temporelles: et mesmes que l'issue en est heureuse, et qu'il leur vaut beaucoup mieux d'estre ainsi affligez pour un temps, que d'estre tousiours à leur aise Car si Dieu les espargnoit par trop, il n'y auroit celuy qui ne s'endormist en ce monde: nous ne saurions plus que c'est d'obeissance: les cupiditez de nostre chair feroyent des chevaux retifs: nous ne penserions plus qu'à ceste vie caduque. Ainsi donc cognoissons quand Dieu afflige ses fideles pour le premier que ce n'est pas qu'il les veuille presser iusques au bout: car il cognoist leur portee: et comme dit S. Paul (1. Cor. 10, 13), d'autant qu'il est fidele, il ne permettra point que nous soyons tentez outre ce que nous pouvons porter. Mais d'avantage il monstre en la fin que nous avons, à souhaitter d'estre ainsi batus de ses verges: comme David dit (Pseau. 119, 67), Seigneur ça esté mon profit que tu m'as chastie: tellement que nous pouvons tousiours nous glorifier en nos miseres et corrections.

C'est ce qu'il nous faut observer en ce passage: car ce n'est point à cause de Iob que ceci est escrit, que Dieu a benit son estat dernier plus que le premier, qu'il luy a redoublé ses facultez et richesses qui estoyent bien grandes auparavant Qu'il luy a donné fils et filles, qu'il luy a prolonge sa vie, qu'il a veu iusques à la quatrieme generation les enfans qui estoyent sortis de sa race, apres s'estre ainsi veu destitué. Il est vray qu'ici le S. Esprit a voulu laisser un memorial de la grace de Dieu sur la personne de Iob: mais ce n'est point pour son instruction, C'est pour la nostre. Ce n'est point donc sans cause que sainct Iaques nous propose ce miroir-la, disant (5, 11), Mes amis il est vray que la patience est dure et fascheuse à prendre, quand les hommes sont tormentez: cela est contraire à leur nature: mais en la fin Dieu tourne tellement le tout à leur salut, qu'ils cognoissent qu'il leur a beaucoup mieux valu d'estre ainsi chastiez que d'estre trop supportez, et mignardez. Bref, tontes fois et quantes que nous sommes tormentez d'affliction: ie ne di pas seulement quant au corps: mais quand nous avons des troubles iusques à nous.

IOB CHAP. XLII.

509

despiter, et à estre solicitez à desespoir, ou bien à nous rebecquer contre Dieu: pensons à ce que nous avons leu de Iob et de sa patience. Car si nous faisons comparaison de tous les maux que nous pouvons endurer: il est certain que Dieu a voulu ici mettre un miroir qui surmontast toutes les tentations et fascheries qui adviennent iournellement aux fideles. Voici Iob d'un costé despouillé de toute sa substance: il estoit riche, et comme un prince au pays: il est destitué iusques au bout, il n'a ne maison ne rien qui soit: apres le voila aussi bien desolé quant à ses enfans: sa femme le despite et luy est contraire: en son corps. le voila comme une povre charongne pourrie, qu'on ne daigne pas le regarder: comme nous avons veu qu'il se plaignoit, que sa peau estoit attachee aux os, et mesmes qu'il a esté dit qu'il racloit la pourriture de sa chair. Voila un terrible spectacle: mais ce n'est point le principal de ce que Iob souffre et en ses biens, et en ses enfans, et en sa femme, et en son corps: cela n'est rien au pris de cest angoisse qu'il endure quand il voit que Dieu luy est contraire: et c'est là aussi où il s'est adressé, quand il faisoit ses complaintes. Comment? disoit-il. Que Dieu ne m'oste-il? Que ne suis-ie rasé du monde? Faut-il que ie languisse ici tant? Et puis que ie ne suis qu'une povre creature fragile, pourquoi est-ce que Dieu me presse si grievement? Iob donc estoit en tel trouble, quand il voyoit que Dieu estoit sa partie adverse, et que de son costé il ne savoit pourquoi.

Or puis qu'aiusi est, il ne nous doit point faire mal, quand nous serons moyennement affligez, que Dieu selon nostre infirmité nous chastiera chacun de nous en son endroit: nous ne devons point trouver cela estrange: mais revenons à ceste histoire qui a esté escrite pour nostre instruction: et là dessus regardons la fin: car si nous ne contemplions sinon ceste extremité en laquelle Iob a esté du temps que Dieu le persecutoit, helas nous serions tout effrayez, il n'y a celui qui ne quittast tout. Et que profite-on de servir à Dieu, veu qu'il faut que ceux qui auront cheminé en sa crainte soyent les plus malheureux? Mais quand nous regardons l'issue, voila en quoi nous avons à nous consoler: c'est qu'en premier lieu (comme nous avons dit) les afflictions sont temporelles pour les enfans de Dieu: et puis elles leur servent de medecines, et l'issue en est tousiours heureuse: tellement qu'ils ont tousiours dequoi glorifier Dieu, non seulement quand il les delivre, mais aussi d'autant qu'il mortifie toutes leurs mauvaises concupiscences: et qu'aussi en cela ils ont meilleure confirmation de la doctrine entant que nostre Seigneur Iesus estant l'image vive de tous fideles et enfans de Dieu, ils sont conformez à lui: comme S. Paul en traitte au

510

8 chapit. des Rom. (v. 28) qu'en toutes nos miseres nous sommes configurez à nostre Seigneur Iesus Christ qui est le Fils aisné en la maison de Dieu. Et defait si mesmes nous contemplons seulement la croix de Iesus Christ, elle est maudite par la bouche de Dieu: nous n'y verrons qu'opprobre, que frayeur: bref il semble que le gouffre d'enfer soit ouvert pour abysmer Iesus Christ. Mais quand nous conioindrons sa resurrection avec sa mort: voila pour nous resiouyr, voila pour adoucir toutes nos tristesses: afin que nous ne soyons point contristez outre mesure, quand il plaira, à Dieu de nous affliger. Or cela notamment a esté accompli en nostre Seigneur Iesus, afin que nous sachions que ce n'est point seulement pour une personne que ceci est escrit: mais que nous cognoissions que le Fils de Dieu nous fera participans de sa vie, quand nous serons morts avec lui, et participans de sa gloire, quand nous porterons toutes les ignominies, et toutes les povretez qu'il plaira, à Dieu nous mettre sur les espaules: comme aussi S. Paul en parle en un autre lieu.

Nous voyons donc pourquoi ceci nous est recité: c'est afin que nous ne soyons point du tout surprins, quand nous verrons que Dieu nous afflige: que nous ne concevions point une tristesse qui nous serre le coeur, et qui nous tienne là captifs, tellement que nous ne puissions recevoir nulle consolation: mais que nous regardions tousiours à l'issue que Dieu a promise à ses enfans: comme il l'a monstré par effect tant en Iob qu'en David et aux autres, mais sur tout en nostre Seigneur Iesus Christ qui est le vrai et souverain patron de tous fideles. Vrai est qu'il n'aviendra pas communément, que Dieu redouble ses graces envers ceux qui auront esté affligez: tellement que cela apparoisse qu'ils soyent beaucoup plus riches qu'ils n'ont esté, qu'ils ayent et enfans, et lignee, et tout ce qui est desirable selon le monde. Cela donc ne se verra pas tousiours: car aussi Dieu ne nous traitte point d'une mesure egale: il sait ce qui est propre à chacun, et il faut que nous soyons disposez à recevoir nostre portion telle qu'il lui plaira nous distribuer, comme un pere de famille qui sait bien ce qui est utile à son mesnage. Mais quoi qu'il en soit si nous faut-il faire une regle commune, Que Dieu non seulement mettra fin en nos afflictions, quand il en sera temps: mais aussi il nous les fera tourner à salut, tellement que nous sentirons qu'il ne nous a pas mis en oubli du temps qu'il nous affligeoit: mais plustost qu'il s'est tousiours monstré Pere envers nous, quand il n'a point voulu que nous fussions par trop endormis en ce monde. Quant aux benedictions temporelles, et bien prenons-les selon que Dieu les envoyera: mais regardons au principal: c'est que s'il n'y avoit

SERMON CLIX

511

autre chose, sinon que nous sommes confermez on la bonté de nostre Dieu, que nous avons approbation de son aide plus grande, que nostre foi est exercee tousiours quand nous sommes affligez: ne voila pas beaucoup? Un homme qui n'auroit point assez cognu que c'est que vaut la grace de Dieu pour nous secourir en la necessité: quand il sera affligé, il voit que Dieu le fortifie par son S. Esprit tellement qu'il porte l'affliction doucement: et quand il est delivré, il cognoist que Dieu alors y a mis la main: là dessus il cognoist que si Dieu lui a assisté pour un coup, iamais ne lui defaudra. Quand nous n'aurions autre chose sinon que d'un costé nous voyons l'aide que Dieu nous fait: et puis que nous voyons qu'il besongne en nous par son sainct Esprit, afin que nous ne defaillions point: et finalement que Dieu par telle experience nous declare qu'il est tousiours prest à nous aider: quand, di-ie, nous n'aurions que cela, n'est-ce point un profit inestimable?

Mais il y a encores plus, c'est que Dieu nous fait sentir nos infirmitez qui nous estoyent incognues: et par cela nous sommes plus incitez à l'invoquer, comme s'il nous y avoit aguisez. Et d'autre part, là où nous avions prins les corrections à la volee nous sommes enseignez de les recevoir comme dé sa main, d'en faire nostre profit. Et puis, quand nous sommes ainsi abbatus, nous sommes mieux disposez pour aspirer à la vie celeste: car ceux qui s'esgayent quant au monde, ils se destournent de Dieu. Au contraire quand nous sommes mattez, et que Dieu nous a mis iusques au bas, et que nous sommes tellement humiliez et affoiblis que nous ne savons que devenir: c'est afin de nous faire approcher de soi, afin de nous faire tant mieux gouster le salut spirituel qui nous est appreste. Quand donc nous n'aurions que ces choses, ne devons-nous pas cognoistre que ce qui est escrit de Iob est accompli en nous, et que nous en avons un vrai exemple? Ainsi permettons à Dieu de nous traitter, et de nous eslargir de ses graces comme il verra estre bon. Mais quoi qu'il en soit cognoissons que l'issue de nos afflictions sera tousiours heureuse. Et de fait quand mesmes il n'y auroit que cela, que c'est pour nous amener à la gloire de nostre Seigneur Iesus Christ, quand nous serons retirez de ce monde, que nous serons en la compagnie du Fils de Dieu et de ses Anges: ne devons nous pas honorer les afflictions? Et encores que selon la chair elles nous soyent aspres et dures: toutes fois n'avons-nous point dequoi nous resiouyr tousiours, et rendre graces à nostre Dieu, principalement quand il nous delivre des miseres où nous sommes de present?

Or pource que tout ne se pourroit vuider au long, et que c'est assez d'avoir un petit sommaire

512

de ce qui est ici dit: ie laisse pour le present à parler de la beauté des filles de Iob: car en somme l'Escriture a voulu signifier, que selon le monde Dieu l'a fait prosperer, tellement que nous voyons à l'oeil qu'il estoit favorisé de Dieu, voire outre l'ordre commun. Et ne trouvons point estrange, que pour ce temps-là Dieu ait voulu par ceste prosperité terrienne et caduque declarer son amour envers les fideles: car il n'y avoit point alors telle revelation de la vie celeste comme elle est auiourd'hui en l'Evangile: Iesus Christ n'estoit point manifesté, lequel est descendu ici bas pour nous attirer là haut: lequel a vestu nostre chair, afin de nous monstrer que Dieu habite en nous, et qu'il nous a conionts à sa gloire et a son immortalité. Ces choses-là n'estoyent point encores: il a donc fallu que les fideles fussent traittez en partie comme des petits enfans. Et voila pourquoi quand il est parlé des Peres anciens en l'Escriture: notamment il est dit, que Dieu les a benis en lignee, en bestial, en possessions, et choses semblables, et mesmes en longue vie. Et pourquoi? Il falloit qu'ils fussent aidez par ces moyens-là, en attendant que la vie celeste nous fust revelee: comme nostre Seigneur Iesus nous a ouvert la porte de paradis à sa venue, afin de nous faire monter là haut avec lui. Si donc maintenant Dieu ne nous fait point tant prosperer selon le monde, nous ne devons point estre faschez pour cela: car nostre condition n'est pas pire que celle des Peres anciens: nous avons une recompense beaucoup meilleure qui nous doit consoler. Pour exemple prenons seulement ce qui est dit de la longue vie. Dieu a beaucoup estimé en sa Loi ceste longue vie qu'il donnoit à ses fideles. Or cependant il y a eu des incredules et reprouvez du tout qui ont vescu longuement. Il ne nous faut point donc là arrester en premier lieu puis que c'est un bien qui peut estre commun tant aux ennemis de Dieu qu'à tous fideles: ce n'est pas le souverain bien, la vraye felicité et parfaite: il s'en faut beaucoup. Mais il nous faut aussi adiouster le second article: c'est que les Peres anciens ne savoyent pas encores en telle perfection que nous, que Dieu leur avoit preparé leur heritage au ciel. Il est vrai qu'ils en avoyent bien quelque goust, et la foi nous est commune avec eux: mais tant y a encores qu'ils n'en ont point eu une telle declaration comme elle nous est manifestee en nostre Seigneur Iesus Christ. Il a donc fallu que Dieu les laissast longuement vivre, et qu'il les fist profiter par longs exercices eu ce monde. Voila pourquoi Iob a eu longue vie. Auiourd'hui nostre vie est plus cou te: voire d'autant que Iesus Christ nous est apparu, et nous a monstré que nous sommes estrangers en ce monde, pour courir à cest heritage qui nous a esté acquis par son sang. Ce

IOB CHAP. XLII.

513

qui estoit donc en ombrage il a fallu qu'il fust conformé par les graces visibles: mais maintenant nous avons la substance: les ombres et figures ne sont plus, nous en avons le corps en nostre Seigneur Iesus Christ: il nous faut donc contenter de ce que Dieu nous donne, et nous remettre tousiours à sa conduite.

Et au reste, cognoissons qu'il nous faut estre rassasiez de vivre, quand il plaira, à Dieu de nous retirer de ce monde. Il est vrai quand l'Escriture parle ainsi de Iob et d'Abraham, qu'il sont morts aagez et rassasiez de iours, que c'est pour exprimer ceste benediction temporelle que i'ai dite. Mais quoi qu'il en soit, iamais ni Iob, ni Abraham, ni leurs semblables n'eussent esté rassasiez de vivre au monde, sinon qu'ils eussent tendu à une meilleure fin et plus excellente. Voila donc comme il estoit mestier que Dieu leur prolongeast la vie, afin de leur donner plus longue experience de sa bonté: ce qui maintenant n'est pas tant requis pour nous qui avons uns plus ample declaration de l'amour paternelle de Dieu. Il faut donc que nous soyons soulez de vivre et disposez à mourir, quand la bonne volonté de Dieu sera: ainsi, que nous y allions d'un courage ioyeux, et non point en grinçant les dens: comme font les incredules. Car s'ils avoyent vesou cent mille ans, tant y a qu'ils voudroyent tousiours demeurer ici bas: car ils n'ont point d'autre esperance que la vie presente, il leur semble que tout defaut en la mort. Voila pourquoi ils ne sont iamais appareillez de sortir du monde. Au contraire les Peres anciens ont tenu ce moyen

514

là de confermer leur foi quand Dieu leur a prolongé leur vie: et cependant ils se sont disposez de partir quand Dieu les voudroit retirer à soi.

Auiourd'hui de nostre costé que devons-nous faire? Nous avons desia declaré, que maintenant il ne nous faut plus longuement vivre pour sentir la bonté paternelle de nostre Dieu: que quand nous ne vivrions que trois iours en ce monde, il suffit pour gouster la bonté et misericorde de Dieu, et pour confirmer nostre foi. Car puis que nostre Seigneur Iesus Christ est mort et ressuscité, il ne faut point que nous soyons long temps au monde pour cognoistre que Dieu nous est Pere, et que nous devons estre asseurez de nostre salut. Pourtant si tost qu'il nous donne cognoissance de la verité de son Evangile, que nous soyons tousiours prests à mourir, sachans qu'il nous a adoptez pour ses enfans et qu'il se monstrera nostre Pere et en la vie et en la mort. Voila donc comme nous serons tousiours rassasiez de vivre, quand en nostre Seigneur Iesus Christ Dieu nous a donné un si bon gage de son amour, qu'il ne faut point que nous demandions qu'il nous prolonge ici nostre vie pour en avoir plus ample confirmation. Pourtant, prions-le tousiours, que nous ayant conduits en ce monde par son sainct Esprit, il nous attire à soi: et que nous y venions rassasiez, d'autant qu'il nous aura ici nourris et entretenus, et qu'il nous monstrera que nostre vraye vie et felicité permanente nous est apprestee là haut.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc..

LOVE SOIT DIEU.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

SERMONS

SUR LE CANTIQUE DU ROI EZECHIAS.

NOTICE PRELIMINAIRE.

Nous savons par Colladon (Vie de Calvin e 4. Tome XI p. 81) que Calvin pour les sermons ordinaires de sa sepmaine prit le prophète Esaie, lequel quelques annees auparavant il avoit presché en l'Eglise (nous supposons, aux congrégations du Vendredi) et depuis leu en l'escole. Ces sermons avaient été recueillis par des sténographes, et il en existoit 6 volumes la bibliothèque de Genève, dont nous n'y avons retrouvé que le second (Ch. 13 à 29) contenant 66 sermons, prêchés du 22 février au 31 juillet 1557 (628 feuilles), et le quatrième (ch. 42 à 51) de 503 feuilles contenant 56 sermons, prêchés du 31 Déc. 1557 au 4 juin 1558. Le troisième volume s'est retrouvé à In bibliothèque Tronchin à Bresinge, comprenant 67 sermons sur les ch. 30 à 42 prêchés du 4 août au 30 Déc. 1557. La série avait compris en outre: Tome I. 66 sermons commencés le 16 juillet 1557, Tome V. 44 sermons commencés le 14 juin 1558, et Tome VI. 43 sermons commencés le 22 Septembre de la même année, en tout 343 sermons.

De tous ces sermons il n'a été imprimé que quatre, sur les versets 9 à 22 du trente-huitième chapitre, et sept sur le Ch. 53. Nous parlons ici des premiers seulement. De la brochure qui les contient il n'existe plus que deux exemplaires, tous les deux à Paris, l'un à la bibliothèque nationale, l'autre à la Mazarine, ce dernier relié avec d'autres plaquettes sous le N. 23607, dont nous avons déjà en l'occasion de parler à propos des sermons sur les Psaumes 115 et 124.

C'est un petit in 8° de 98 pages chiffrées; les cahiers sont signes a—g; les cinq premiers et le dernier sont régulièrement de 8 feuillets, mais le sixième (f) n'est que de deu: feuillets sans qu'il manque rien du texte. Le tout dernier feuillet est en blanc. Voici le titre:

Sermons de Iehan Calvin Sur le Cantique que feit le bon Roy Ezechias apres qu'il eut este malade et affligé de la main de Dieu, selon qu'il est contenu en Isaie, chapitre XXXVIII. (L'olivier des Estienne). A Geneve, Par François Estienne, Pour Emeran le Melais. M. D. LXII.

Le texte est précédé de l'avertissement suivant:

IAQUES Roux: AU FIDELE LECTEUR, SALUT

Combien qu'en toutes les afflictions par lesquelles Dieu exerce ses fideles, Satan prene occasion et matiere de les esbranler et destourner de la foy, comme si elles estoyent tesmoignages tresclairs et evidens de leur reprobation, si est-ce toutesfois que sa rage se monstre beaucoup plus enflamme, quand Dieu examinant et adiournant de pres la conscience des siens, se presente comme leur partie adverse et iuge rigoreux pour un temps, et leur fait sentir à bon escient l'horreur de ses iugemens. Or telles tentations sont fort dangereuses: car il semble bien mesmes à ceux qui ont moyennement profité en la parolle de Dieu, qu'il n'est nullement convenable que les fideles soyent suiets à tel examen, veu que par leur chef nostre Seigneur Iesus Christ, l'ire de Dieu a este une fois appaisee pour tousiours, et que par luy ils sont affranchis et delivrez de la tyrannie du prince de ce monde. Parquoy suyvant le conseil du sainct Esprit il nous faut diligemment recueillir des sainctes Escritures les exemples de ceux qui ayans bon tesmoignage d'avoir este agreables à Dieu, neantmoins ont passé par telle fornaise afin que de là estans fortifiez à patience, puissions resister à tous tels assauts violens de Satan, et emporter la victoire à l'encontre de ses efforts pernicieux. Or entre ceux desquels l'Escriture fait mention, l'exemple du bon Roy Ezechias est excellent, comme il le declare suffisamment et en peu de paroles en son Cantique, selon que le Prophet Isaie l'a redigé par escrit. Lequel, ami Lecteur, afin que tu en faces tant mieux ton proufit, ie te presente avec sa vraye exposition, fidelement recueillie des sermons de Iehan Calvin loyal ministre de Iesus Christ, selon qu'il l'a preschee publiquement, sans qu'on y ait depuis rien adiousté ne diminué. Cependant toutesfois il faut que ie confesse que ie n'ay obtenu de luy sans grande difficulté qu'elle fust mise en lumiere, comme aussi se persuaderont facilement tous ceux qui le cognoissent priveement, d'autant qu'ils scavent bien qu'il a seulement voulu servir au troupeau que Dieu luy a commis, en l'enseignant familierement, et non faire des Homilies à son loisir pour estre mises devant les yeux de tout le monde. Mais ie pense que ce seroit chose superflue de m'arrester à te faire entendre de quelle dexterité et vehemence il a monstré le vray sens et nayf de ce Cantique, ni aussi combien te sera proufitable la lecture de ses sermons, estant asseuré que l'experience et certitude que tu en auras en les lisant, t'en apprendra plus que ie ne t'en scaurois dire. De ma part ie scay comme i'ay este ravi oyant la vive voix de ce bon serviteur de Dieu, conduite et guidee par le sainct Esprit, sans fraude ni appareil d'eloquence humaine, ains pure et simple, mais cependant vive et penetrante, comme Dieu par sa grace me l'a fait sentir à bon escient avec une consolation indicible, selon le bon besoin que i'en avoye, estant pour lors en pareil combat d'esprit, et agité de l'aiguillon de semblable tentation, autant que Dieu voyoit m'estre expedient. Or iasoit que Dieu examine si vivement les siens, ce n'est pas pourtant à dire que le benefice inestimable de nostre Seigneur Iesus Christ en soit aucunement amoindri ni obscurci, ou qu'il leur faille venir en doute de leur adoption gratuite et amour paternelle de Dieu: car au contraire par là son excellence et vertu se declare tant mieux, veu que par iceluy toutes les afflictions qu'ils endurent ne sont qu'autant de degrez pour les conduire à l'heritage des cieux, lequel il leur a acquis si cherement. Voyla, amy lecteur, dequoy il m'a semblé bon t'advertir, apres t'avoir procure un si grand bien que d'avoir la iouissance de ces beaux sermons, qui autrement fussent demeurez dedans l'enclost de la bergerie où ils ont este prononcez, te priant de prendre ceste miene bonne affection en gré, et prier avec moy nostre bon Dieu et Pere qu'il vueille bien tost confondre Satan, et avancer de plus en plus et maintenir le regne de nostre Seigneur Iesus Christ, qui auiourd'huy est si outrageusement poursuyvi par les fils de ce siecle, ennemis de verité. Ainsi soit-il.

nous n'avons pas pu nous décider à copier les 164 sermons qui existent encore en manuscrit. Comme les commentaires de Calvin sont plutôt pratiques que scientifiques, la publication des sermons à côté de l'autre ouvrage aurait fait double emploi, sans compter que nous savons assez par la double rédaction du commentaire sur Esaïe combien peu ces rédactions sténographiques sont exactes. nous nous bornons donc ici comme partout ailleurs à rééditer ce qui déjà autrefois a été publié, et cela généralement sons les yeux mêmes de l'auteur.

SERMONS SUR LE CANTIQUE D'EZECHIAS.

PREMIER SERMON.

9. L'Escrit d'Ezechias Roy de Iuda quand il eut este malade et fut guari de sa maladie. 10. I'ay dit en la coupure de mes tours I'iray aux portes du sepulchre: i'ay cerché le residu de mes ans: Il. Et ay dit, Ie ne verray plus le Seigneur en la terre des vivans, Ie ne verray plus l'homme, ne les habitans du siecle. 12. Ma vie s'est retiree, et a este changee comme une loge de pasteur.

Comme le nom de Dieu est immortel, aussi vous faut-il mettre peine que ceux qui viendront apres nous le reclament, et qu'il soit adoré et glorifié en tout temps. Ainsi ce n'est point assez que durant nostre vie nous taschions d'honorer Dieu: mais (comme i'ay desia dit) nostre solicitude se doit estendre pour l'avenir, à ce que nous ayons quelque semence de religion, tellement que la verité de Dieu ne soit iamais abolie: et sur tout ceux que Dieu a ordonnez en quelque estat pour conduire les autres, doyvent s'employer tant plus à cela. Comme aussi nous voyons que sainct Pierre declarant que la fin est prochaine, et qu'il faut qu'il desloge du monde, adiouste qu'en tant qu'il luy sera possible il fera que la doctrine qu'il a preschee soit tousiours en sa vigueur et en memoire, et qu'on y profite apres son trespas. Voyla pourquoy Ezechias ne s'est point contenté de faire de bouche ceste prestation que nous lisons yci: mais il l'a voulu escrire, afin que iusques en la fin du monde on cognust combien il avait este angoissé en son affliction, et que cela servist de doctrine à tout le monde: comme auiourd'huy nous en pouvons bien faire nostre profit. Notamment il est dit que ceste escriture a este faite apres qu'il est retourné en convalescence. Car souvent quand nous sommes pressez ou de maladie, ou de quelque

autre verge de Dieu, nous ferons assez de protestations: mais nous ne faisons que secourre l'aureille (comme on dit) quand nous sommes eschappez et mettons tantost en oubli tout ce que nous faisons semblant d'avoir cognu. Mais il nous est yci monstré que le Roy Ezechias estant retourné en guarison n'a pas oublié le chastiment qu'il avait receu de la main de Dieu, ni les angoisses ausquelles il s'estoit trouvé: ains a voulu faire un memorial de tout, afin que ceux qui viendroyent apres luy en fussent enseignez.

Or il semblerait de prime face que cest escrit ne servist point d'instruction à ceux qui le lisent, mais plustost de scandale: car nous voyons des passions excessives d'un homme quasi transsi qui ha la mort en telle horreur, qu'il luy semble que tout est perdu, quand Dieu le retire du monde. Et en cela nous ne voyons que signes d'infidélité: il se tormente et se despite (ce semble) avec une rebellion qui n'est pas digne d'un serviteur de Dieu. Brief il semble que nous ne puissions recueillir de ce Cantique, sinon que tout ce qu'il y a eu de foy en Ezechias n'a este qu'en sa prosperite et en son repos: et puis qu'il s'est par trop lasché la bride en sa tristesse iusques à se complaindre de Dieu, comme nous verrons qu'il l'accompare à un lion. Mais quand tout sera bien regarde, nous verrons qu'il n'y a instruction meilleure ne plus utile pour nous que ceste ci car quand nous aurons bien examiné tout ce qui est en nous, alors nous cognoistrons que ceci nous est propre. Mais en premier lieu notons que le bon Roy Ezechias n'a pas yci presché ses vertus afin d'estre prisé au monde: car il eust peu mettre sous le pied ce qu'il declare de ses fascheries, et cependant il eust parlé de la requeste qu'il a faite à Dieu, et de la constance de sa foy. Ainsi donc il ne dit point qu'il ait este magnanime, qu'il ait surmonté toutes tentations sans aucun empeschement ne combat: il ne

PREMIER SERMON

527

dit pas qu'il ait eu une foy si ferme qu'il ne luy ait rien cousté d'estre chastié de la main ne Dieu. Rien de tout cela. Quoy donc? Nous voyons un povre homme tormenté iusques au bout, et tellement abbatu qu'il ne sçait que devenir. Nous voyons un homme espouvanté de l'ire de Dieu, et qui ne regarde sinon son affliction. Quand donc Ezechias se descouvre, et qu'il ne fait nulle difficulté de confesser ses vices, en cela nous appercevons qu'il n'a point este mené d'ambition, ne d'une gloire mondaine pour estre prisé des hommes ou pour acquerir reputation: mais qu'il a voulu quasi estre accablé de honte, afin que Dieu fust glorifié. Quelle est donc son intention? C'est d'un costé que nous cognoissions comme il a este affligé cependant qu'il estimoit que Dieu luy fust contraire: et puis, qu'en cela on cognoisse tant mieux quelle a este la bonté de Dieu, quand il l'a receu à merci et qu'il na pas voulu l'abandonner au besoin. Nous avons donc à contempler yci, comme en un miroir, nos infirmitez, afin qu'un chacun s'appreste quand sa foy sera esprouvee comme celle d'Ezechias, et que Dieu nous donnera quelque signe de son ire: que si alors nous sommes comme esperdus, nous ne laissons pas pourtant d'esperer que Dieu nous donnera issue en nos angoisses comme il a fait à ce bon Roy. Et puis que nous apprenions d'attribuer tonte la louange de nostre salut à la misericorde de Dieu, cognoissans que si tost que nous en serons destituez, c'est fait de nous, et sommes plus que miserables.

Or cependant nous voyons comment et pourquoy le Roy Ezechias a este ainsi tormenté: c'est d'autant qu'il voyoit la mort luy estre prochaine. Il semble bien de prime face que cela ne convienne point à un homme fidele. Il est vray que de nature la mort nous sera espouvantable à tous: car il n'y a celuy qui n'appette d'estre (comme on dit) et il semble qu'en la mort nous perissions, et soyons comme aneantis. Voyla donc comme de nature nous la fuirons et l'aurons en horreur. Et voyla pourquoy aussi sainct Paul dit au 5. chapitre de sa seconde aux Corinthiens, v. 4, que nous n'appettons point d'estre despouillez de ce corps: car il est impossible que l'homme desire de changer son estat: ie di quant à ceste vie. Et aussi ceux qui se desfont n'ont point d'affection naturelle mais le diable les transporte tellement qu'ils sont du tout aveuglez: et faut reputer ceux-la comme des monstres, là où tout l'ordre de nature est changé. Brief, il est certain que la mort nous sera tousiours terrible: et non seulement pource que nous sommes enclins à desirer de vivre, mais aussi d'autant que Dieu a laissé quelque marque, en sorte que les Payens mesmes et incredules sont contrains de sentir que la mort est une malediction de Dieu,

528

laquelle a este prononcee sur Adam, et sur tout son lignage. D'autant donc que la mort est venue au monde par le peché, et que c'est un tesmoignage de l'ire de Dieu, que par icelle nous sommes comme reiettez de luy, eslongnez de son Royaume, qui est le royaume de vie, il faut encores que nous n'ayons nulle clarté de foy, ne iamais ouy un seul mot de doctrine, que cela soit imprimé en nos esprits, que la mort nous est contraire. Ainsi voyla comment nous sommes induits à refuir la mort, et à nous en reculer tant qu'il nous sera possible: c'est en premier lieu d'autant que nous appettons d'estre: en second lieu pource que nous apprehendons quelque signe de l'ire de Dieu: ie di encores que nous n'ayons pas instruction certaine, toutes fois Dieu nous donne quelque impression cachee dedans nos coeurs.

Or cependant si est-ce que les fideles surmontent ces deux frayeurs-la, et s'apprestent à mourir quand il plaira, à Dieu: voire non pas comme nous avons allegué de sainct Paul, que simplement et sans autre consideration ils appettent la mort, car ce seroit à faire à gens desesperez, mais ils s'y apprestent d'autant qu'ils sçavent qu'ils seront revestus apres estre despouillez: que ce corps-ci est une loge caduque qui n'est rien que pourriture, et qu'ils seront restaurez au Royaume de Dieu, D'autant donc que nous contemplons ceste esperance qui nous est donnee, voyla comme nous surmontons les frayeurs de la mort. Et puis aussi d'autre costé nous savons que nostre Seigneur Iesus Christ a reparé ces desolation et ruine qui estoit sur nous par le peché de nostre pere Adam. Ainsi pource que nous apprehendons la vie au milieu de la mort, cela fait que nous ne sommes plus estonnez pour nous retirer quand Dieu nous appelle à soy, car nous savons que la mort n'est sinon un passage à la vie. D'autre costé nous sçavons quel est nostre vray estre: ce n'est pas habiter en ce monde, car ce n'est qu'un passage, et nous faut tousiours souvenir de ce qui est dit, que Dieu met yci les hommes pour les manier et leur faire quelques vire-voustes (comme on dit) et sur cela retourner. Quand donc nous sommes enseignez que nostre vie n'est sinon une course et que le monde n'est qu'une figure qui passe et s'esvanouit, alors nous sçavons que nostre vray estre et nostre estat permanent est au ciel, et non point yci bas. Voyla comme nous ne fuirons plus la mort: qui plus est nous aurons occasion de la souhaitter, pource que d'un costé nous sommes caduques, et estans detenus sous la servitude de peché: nous voyons tant de corruptions en nous que c'est pitié: et mesmes quand nous desirons de servir à Dieu, nous trainons les iambes: et puis quand nous levons un pied, et que nous pensons avancer un pas, nous

SUR LE CANTIQIJE D'EZECHIAS.

529

reculons, ou bien il nous adviendra de chopper ou de trebuscher.

Voyla donc comme nous avons bien à regretter nostre vie: non point par un desespoir, mais d'autant que nous devons hayr le peché et l'avoir en detestation. Il faut aussi que nous desirions que Dieu nous retire de ceste captivité si miserable en laquelle nous sommes: comme sainct Paul nous en montre l'exemple. Il se confesse estre malheureux, d'autant qu'il habite en son corps comme en une prison: il demande comment il en sera delivré. Et puis d'autre part nous sçavons que la mort nous est plus desirable, d'autant que nous approchons de nostre Dieu. Car (comme il est dit en ce passage que nous avons allegué) cependant que nous vivons par foy: nous sommes comme absens de Dieu. Or ou est nostre felicité et nostre ioye parfaite, sinon que nous adherions à nostre Dieu en perfection? D'autant donc que nous approchons de luy par la mort, ce nous est une chose heureuse, et qui nous doit esiouir. Et voyla pourquoy il dit au premier chapitre des Philippiens, v. 23. que quant à luy, il luy seroit plus grand gain de mourir que de vivre, et combien que sa vie fust proufitable à l'Eglise, toutes fois s'il D'avoit esgard qu'à sa personne, qu'il voudroit bien estre retiré d'yci bas, voyla donc quelle doit estre l'affection des fideles. Or venons au Roy Ezechias. Il semble qu'il ait perdu tout goust de la bonté de Dieu qu'il ne scache que c'est de la resurrection, qu'il ne cognoisse point qu'il sera restauré par le moyen du Redempteur: il n'apprehende sinon l'ire et la malediction de Dieu. Où est sa foy? ou est son obeissance? ou est ceste consolation du sainct Esprit, et ceste ioye inestimable que nous devons recevoir quand Dieu nous certifie de l'amour qu'il nous porte? Mesme s'il avoit ceste persuasion-la bien enracinee, qu'il est des enfans de Dieu, l'adoption n'emporte-elle point l'heritage? Pourquoy Dieu nous a-il choisis pour ses enfans, sinon afin que nous soyons participans de la vie celeste à laquelle il nous convie?

Or nous ne voyons rien de tout cela en Ezechias. Il semble donc qu'il soit du tout aliené de sens et de raison, qu'il ait mis Dieu en oubli, que tout ce qu'il a ouy auparavant de bonne doctrine soit effacé et qu'il n'y pense plus. Ces choses de primeface seroyent bien estranges. Il est vray que de ce temps-la il n'y avoit point une telle revelation celeste, comme nous l'avons auiourd'huy par l'Evangile: mais si est-ce qu'Ezechias et tous les autres saincts Roys et Prophetes, et tout le reste des fideles ont bien apprehende que Dieu ne les avoit pas choisis en vain: car combien que ceste sentence ne fust point prononcee de nostre Seigneur Iesus Christ, si est-ce qu'elle estoit engravee au coeur de tous

530

fideles que Dieu n'est pas le Dieu des morts. Tous ceux: donc qui sont comprins an rang de son peuple, ont été asseurez d'avoir une vie permanente et qui durera, à iamais. Et d'autre costé il est dit que Dieu s'appelle le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Iacob, longtemps apres leur trespas. Il falloit donc qu'ils vescussent. Ainsi donc les fideles ont bien en ceste asseurance là, que Dieu ne les nourrissoit point en ce monde comme des bestes brutes: mais qu'il leur donnoit quelque goust de sa bonté, iusques à ce qu'ils en eussent plene iouissance apres la mort. Mesmes voyla Balaam qui n'a iamais rien cognu de la Loy, et toutes fois il ne laisse pas de dire, Que mon ame meure de la mort des iustes et que mon issue soit telle qu'elle sera, à ceux là Il desire de s'accoupler à la race d'Abraham: et toutes fois c'estoit un meschant et reprouvé. Et qui le fait parler ainsi? C'est qu'il est là comme à la torture et Dieu arrache de luy ceste confession-la. Or si Balaam qui estoit possedé du diable pour avoir la langue à loage afin de maudire le peuple de Dieu, a este contraint de parler ainsi, que penserons nous de ceux qui vrayement avoyent profité en la Loy de Dieu? Mais quoy qu'il en soit, si est-ce que les Peres anciens n'ont pas eu une cognoissance si claire et patente de la vie celeste comme nous l'avons auiourd'huy en l'Evangile. Cela aussi a este reservé iusques à la venue de nostre Seigneur Iesus Christ. Et c'estoit bien raison: car mesmes nous avons un bon gage de nostre vie en nostre Seigneur Iesus Christ en ce qu'il est ressuscité: et que ce n'est pas pour luy seul, mais pour tout son corps. Voyla donc une plene certitude que Dieu donne en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, que nous passons par ce monde à fin de parvenir à la vie perdurable. les Peres anciens ne sont pas venus à un tel degré, ils n'ont pas este si avancez: mais quoy qu'il en soit si est-ce que le goust qu'ils ont eu de la vie celeste leur a suffit, et qu'ils se sont rendus paisiblement à Dieu. Et defaict, nous ne lisons pas qu'ils se soyent beaucoup tormentez en la mort. Comme quand Abraham trespasse, il ne fait pas des lamentations, des regrets et complaintes comme le Roy Ezechias: mais il est soulé de vivre et rassasié, dit l'Escriture. Autant en est-il d'Isaac et de Iacob: I'espérerai en ton salut mon Dieu, dit-il en rendant le dernier souspir. Combien que Iesus Christ n'estoit point encores apparu au monde si est-ce qu'il ha en luy une esperance ferme et indubitable et qu'il s'asseure de son salut comme s'il le tenoit en sa main. Ainsi donc nous voyons que les saincts Peres n'ont pas este en doute, ni en suspens, tellement que tousiours ils n'ayent aspiré à la vie celeste, et que ce n'ait este leur desir souverain d'y parvenir.

PREMIER SERMON

531

Or venons maintenant au Roy Ezechias. Il faut conclure qu'il y a quelque raison speciale en luy, pourquoy il s'est ainsi plaint de la mort: ce que nous verrons mieux en la personne de David. David est là quelquesfois en telles angoisses, qu'il cric Helas mon Dieu, qui est-ce qui te confessera en ia mort? Et quand ie seray une povre charogne pourrie, quel profit y auras-tu? Quand tu m'auras reduit en cendre, qu'est-ce que tu y auras gaigné? Il fait là ses complaintes: neantmoins tant y a qu'en la fin il meurt paisiblement: car on ne voit pas qu'il ait este ainsi passionné en son trespas, mais tout quoyement il se remet entre les mains de Dieu. Comment donc vient-il a s'escrier ainsi? C'est qu'il apprehende l'ire de Dieu, soit en maladie, ou en quelque autre affliction: c'est autant comme si les enfers se presentoyent devant luy. Voyla donc l'affection qu'il conçoit, non point de la mort simple, mais de ce que Dieu luy donne quelque signe qu'il le punit à cause de ses pechez. Or puis que nous voyons ceste dispute-là en la personne de David, il nous sera bien facile de conclurre quant au Roy Ezechias, qu'il a bien este aussi angoissé en la mort, mais ce n'est pas qu'il luy fachast de sortir de ce monde, ne qu'il y fust attache comme sont les povres incredules, qui n'aspirent point à une vie meilleure, qui sont mesmes comme plongez en leurs delices, et s'endorment tellement que la vie celeste ne leur est rien. Nous voyons Ezechias n'a pas este ainsi abbatu: mais alors il a cognu que Dieu luy estoit contraire comme nous le verrons encore plus à plein. Et defaict, ce n'est point sans cause que le Prophete Isaie luy a este envoyé: car il estoit comme un heraut d'armes pour le desfier, et luy declarer: Voyci Dieu qui est ton ennemi, il faut que tu soustienes sa rigueur extreme, car tu l'as offense. Quand Ezechias oit cela il ne regarde pas à la simple mort, par laquelle il faut qu'il passe: mais il ha un autre but, qu'il est retranché de ce monde comme une creature maudite, qu'il n'est pas digne que la terre le soustiene. Et quand Dieu le persecute, cela rend tesmoignage que la terre sera desolee: car il cognoist quelle sera la condition de ce peuple, il voit que tout sera dissipé apres sa mort, sinon que Dieu S remedie par miracle: et il pense ainsi: Ma mort ne sera point seulement pour m'envoyer au gouffre d'enfer, mais ce sera pour mettre un deluge par tout, et qu'en toute la terre il n'y aura plus que desolation: faut-il donc que le service de Dieu soit abbatu, et que tout cela retourne sur moy; d'autant que i'ay offensé mon Dieu? Helas! et que sera-ce? Ne trouvons point maintenant estrange si Ezechias parle ainsi comme nous oyons, mais retenons tousiours que ce n'est point la mort simple qui l'a ainsi effarouché. Quoy donc? L'ire

532

de Dieu quand il regarde à ses pechez, et que Dieu luy oste toute saveur de sa bonté, et mesmes qu'il luy tourne le dos, comme s'il le voyoit estre armé à l'encontre de luy, et qu'il eust desployé son bras, comme s'il le vouloit aneantir. Quand Ezechias voit cela il est tellement confus, qu'il en ha la bouche close: et non sans cause.

Or ceci est bien digne d'estre noté: car il y en a beaucoup de stupides, et la pluspart, qui craindront la mort, mais ce n'est pas à cause qu'ils sentent que la malediction de Dieu y apparoist. Il est vray (comme desia nous avons dit) que Dieu laisse tousiours ceste pointe-là en la conscience des hommes: mais si est-ce qu'ils n'ont point une pareille consideration. Pourquoy donc est-ce que la mort leur est en crainte: pource qu'un chacun dira l'appete d'estre. Certes quand ils parlent ainsi, c'est d'autant comme s'ils disoyent: Ie voudroye estre un veau, ou un asne, ou un chien: car l'estre des bestes brutes est en ce monde. Et l'estre des hommes où est-il, sinon qu'ils soyent conioints à leur Dieu? Or nous sommes maintenant comme en prison: car au lieu que ce monde nous deveroit estre comme un paradis terrestre, si nous eussions perseveré en l'obeissance de Dieu, nous sommes comme en un pays estrange, auquel nous sommes comme reclus et bannis. Il est vray que nous y verrons bien encores quelques traces de la bonté de Dieu et beaucoup, mais quoy qu'il en soit, si est-ce que nous languissons yci: or il en a bien peu qui cognoissent cela. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ceste doctrine que i'ay desia touchee, c'est ascavoir que et en la mort et en toutes autres afflictions nous soyons plus faschez et angoissez de l'ire de Dieu, que du mal que nous pourrons sentir. Si l'un est affligé de povreté, qu'il ait faim et soif: l'autre soit abbatu de maladie, et souffre mesmes de grans tormens: l'autre soit persecuté des hommes, qu'il n'ait nulle relasche: et puis en la 6n que la mort se presente devant nos yeux, que nous cognoissions qu'il n'y a rien tant à craindre que l'ire et la vengeance de Dieu, or on en fait tout ù l'opposite.

Et voyla pourquoy i'ay dit qu'il nous faut tant mieux noter cestre doctrine. Car on verra que les povres malades, et ceux qui sont affligez en quelque façon que ce soit crieront, hélas: l'un criera le bras l'autre les iambes, l'autre ceci, l'autre cela: et cependant ils ne vienent iamais ù la vraye source du mal. Et cela procede de l'hypocrisie qui est en nous: car nous sommes comme hebetez en nos sens, tellement que nous ne pouvons parvenir à cognoistre le iugement de Dieu. D'autant plus nous faut-il apprendre quand nous serons batus de telles verges (comme i'ay dit) de regarder la cause dont le mal procede: c'est ascavoir que Dieu nous veut

SUR LE CANTIQUE D'EZECHIAS

533

faire sentir nos pechez, qu'il nous adiourne afin que nous venions là comme devant nostre Iuge: et que nous n'y venions point avec cachetes ni subterfuges, mais avec une confession libre et franche: et que ce ne soit point seulement de bouche ne par acquit, mais que nous soyons navrez iusques au profond du coeur, sentans que c'est d'avoir contrevenu à la Volonté de nostre Dieu, de l'avoir provoqué à l'encontre de nous et d'avoir bataillé contre sa iustice. Voyla donc ce que nous avons à retenir quand nous voyons que le Roy Ezechias a este en angoisse si extreme, à cause que Dieu l'affligeoit pour ses pechez; voire et nous fait bien retenir, combien qu'auparavant il ait protesté qu'il avoit cheminé en integrité et rondeur, qu'il s'estoit estudié en toute sa vie d'obeir et complaire à Dieu, neantmoins il ne s'amuse point à ses vertus ni à ses merites, il n'entre point en contestation contre Dieu: car il voit bien que tout cela ne luy pouvoit de rien profiter, ne luy porter allegement. Il ne met donc pas en avant quelle a este sa ne, mais il cognoit qu'à bon droict il est affligé. Ainsi donc apprenons quand il plaira, à Dieu de nous chastier de ses verges, de ne point entrer en murmures, comme s'il nous faisoit tort, Comme s'il n'avoit point esgard à nos merites, on qu'il usast de plus grande rudesse que nous ne l'avons desservi. Que tous ces blasphemes là soyent abbatus, et que nous confessions qu'il ha iuste raison de nous punir, voire non seulement iusques à nous exterminer de ce monde, mais à nous plonger iusques aux gouffres d'enfer.

Voyla donc comme nous meritons d'estre traittez, quand nous aurons regardé toute nostre vie. Et cependant aussi ne trouvons point estrange que Dieu nous envoye des afflictions qui nous semblent fascheuses et bien aspres, puis que nous voyons Ezechias qui marche devant pour nous monstrer le chemin. Beaucoup sont esbahis quand ils auront eu quelque bonne affection et desir de servir à Dieu, s'il les punit plus que beaucoup de meschans et leur semble qu'ils ont perdu leur peine. Et ceste tentation là est par trop commune: comme nous voyons aussi que David en a este tormenté quand il dit Qu'est-ce ci? Car ie voy les contempteurs de Dieu prosperer et s'esgayer et faire leurs triomphes, et cependant ie ne fais que humer le bruvage d angoisse depuis le soir iusques au matin, ie n'ay nul repos. Il semble donc que ce soit temps perdu de servir à Dieu. Voyla (di-ie) Comme à l'extremité il a este abbatu, sinon que Dieu l'eust soustenu par sa vertu admirable. Et pource que le semblable nous peut advenir, que nous facions bouclier de l'exemple qui nous est yci proposé du Roy Ezechias. Car nous avons veu par ci devant comme il avoit conformé toute sa vie à la Loy de Dieu. il avoit eu un zele qui ne se trouvera en gueres de gens

534

pour purger tout son pays de toutes superstitions et idolatries. On suscitoit beaucoup d'alarmes à l'encontre de luy, et mesmes qu'il y pouvoit avoir quelque revolte: mais cela ne le destourne point qu'il ne remette au dessus la vraye religion et pure, et en sa vie privee il n'a cherché autre chose sinon que Dieu fust glorifié en tout et par tout. Et toutesfois voyci Dieu qui le vient assaillir, voire et d'une façon estrange: car il est comme un lion qui luy brise les os. Ainsi quand nous voyons qu'Ezechias est ainsi traitté, ne faut-il pas que nous apprenions de porter patiemment les corrections que Dieu nous envoyera? voyla donc ce que nous avons à retenir à ce passage.

Or au reste quelques passions qu'Ezechias endure, et combien qu'il sorte yci hors des gons, si est-ce toutes fois que parmi cela il declare l'amour qu'il avoit envers Dieu et qu'il n'appetoit point la vie presente à la façon de ceux qui y sont abbrutis, et qui ne cherchent qu'à boire et à manger et ne sçavent pourquoy ils sont creez, sinon pour plaisanter yci quelque temps. Ezechias donc monstre bien qu'il a este mené d'un autre esprit. Il dit donc, I'ay dit en la coupure de mes iours Ie descendray au. portes du sepulchre, ie ne verray plus le Seigneur, voire le Seigneur. Il parle bien yci de sa vie, quelle sera coupee au milieu de son cours: mais cependant il monstre qu'il n'appete point de vivre pour estre yci à son aise. Il estoit Roy, et pouroit tenir bonne table, il pouvoit avoir beaucoup de voluptez et plaisirs en ce monde: il pouvoit brief s'enyvrer en toutes delices. Il ne regrette point tout cela: mais il dit qu'il ne verra plus le Seigneur: et ne se contente pas d'avoir prononcé ce mot un coup mais il le reitere pour plus grande vehemence. Lé Seigneur, voire le Seigneur, dit-il. Par cela il monstre que sa vie ne luy est point tant desirable sinon d'autant qu'il s'exerçoit yci bas à cognoistre que Dieu estoit son Pere, et se confermer de plus en plus en ceste foy-la. Notons bien donc quoy se rapporte nostre vie: c'est que nous appercevions que Dieu desia en partie se monstre Pere envers nous. Il est vray (comme i'ay desia dit) que nous sommes absens de luy: car nostre salut gist en foy et en esperance. Il est donc caché, et nous ne le voyons point de nostre sens naturel, mais cependant si est-ce que Dieu ne laisse pas d'envoyer quelques rayons yci bas pour nous escalier, tellement que nous sommes conduits à l'esperance de la vie eternelle, et appercevons que Dieu n'est pas si eslongné de nous, que cependant sa main ne s'estende yci bas pour avoir le soin de nous, et pour nous, monstrer par experience qu'il nous ha en sa garde. Car quand le soleil se leve le matin, ne voyons-nous pas le soin paternel que Dieu ha de nous? Apres, quand il se couche le soir ne voyons-nous

PREMIER SERMON

535

pas que Dieu ha regard à nostre infirmité, afin que nous ayons repos, et que nous soyons aucunement soulagez? Dieu donc en cachant ainsi son soleil la nuit, ne se monstre-il pas nostre Pere? Apres quand nous voyons que la terre produit ses fruits pour nostre nourriture, quand nous voyons les pluyes et tous les changements et mutations qui sont en nature, en tout cela n'appercevons nous point comme Dieu ha sa main estendue pour nous attirer tousiours à soy, et comme il se nostre desia Pere liberal envers nous, et que nous iouissons des benefices temporels qu'il nous fait, afin que par ce moyen nous soyons attirez plus haut, c'est assavoir a cognoistre qu'il nous a adoptez, afin que nous parvenions à la plenitude de ioye et de toute felicité, quand nous serons conioints plenement à luy?

Voyla donc à quoy il nous faut rapporter toute nostre vie, si nous ne voulons qu'elle soit maudite, et qu'autant d'ans et de mois et de iours et d'heures et de minutes que nous aurons vescu yci bas, que cela viene en conte pour tousiours augmenter et enflammer la vengeance de Dieu sur nous. Et pourtant sçachons qu'il nous faut yci contempler les oeuvres de Dieu, car voyla aussi pourquoy nous sommes mis en ce monde. Et voyla pourquoy au 5. chapitre quand le Prophete a voulu redarguer les Iuifs d'une brutalité vileine, Ils n'ont point, dit-il, contemplé les oeuvres de Dieu. Il parle de leurs yvrongneries, de leurs gourmandises et dissolutions, mais le comble du mal c'est qu'ils n'ont point contemplé les oeuvres de Dieu. Ainsi maintenant le bon Roy Ezechias nous monstre qu'il vaudroit mieux que nous fussions tous avortez, et que la terre s'ouvrist quand nous sortons du ventre de la mere, pour nous engloutir, que de vivre yci bas, sinon d'autant que nous y voyons desia nostre Dieu, non pas que nous en ayons une veue parfaite, mais en premier lieu il se monstre a nous par sa Parole: (c'est le vray miroir) et puis nous avons et haut et bas tant de signes de sa presence et du Soin paternel qu'il ha de nous, que si nous ne sommes par trop stupides et du tout desprouveus d'intelligence et de raison, il faut bien que nous le voyons. Car tout le monde est comme une image vive en laquelle Dieu desploye sa vertu et sa hautesse, et puis, ce que nous sommes gouvernez sous sa main, cela nous est encores un tesmoignage plus familier de sa iustice, de sa grace et de sa misericorde. Apprenons donc de vivre à ceste condition là, c'est de nous exercer à ce que nous adorions Dieu comme celuy qui nous a creez et formez: et puis que nous luy portions honneur et reverence comme à nostre Pere, et qu'en goustant les biens qu'il nous eslargit maintenant, nous soyons confermez en la foy de la vie celeste. Et puis

536

qu'il daigne bien estendre sa providence iusques yci bas, afin de nous gouverner en ceste vie transitoire et caduque, que nous ne doutions point quand nous parviendrons iusques à luy, qu'alors nous contemplerons face à face ce que nous voyons maintenant obscurement et en petite portion. Et ainsi le Roy Ezechias remet le tout à Dieu: comme s'il disoit, Helas il est vray que ie suis yci comme pour contempler clairement les graces de Dieu, mais cependant ie voy que tout cela m'est comme ravi, car il semble que Dieu m'ait voulu despouiller de ce qu'il m'avoit donné auparavant, et qu'il ne me reste sinon tout desespoir, d'autant qu'il m'a quitté et renoncé. Il m'a envoyé son Prophete avec ce message, que c'est fait de moy. Helas et quand ie n'appercoy plus de signe de la bonté de mon Dieu, ne qu'il desploye sa puissance pour me soulager en mes afflictions, quand mesmes ie suis es angoisses de la mort? Voyla pas donc grand pitié que nostre Seigneur m'a abandonné là et que ie soye retranché de luy?

Or de là nous avons à recueillir que soit en la vie, soit en la mort, il faut tousiours que ceste grace seule nous suffise, c'est assavoir que Dieu nous donne sentiment de sa bonté: et quand il nous monstre qu'il nous est propice, marchons hardiment, et s'il nous faut languir en ceste vie, et bien portons cela patiemment. Vray est que nous pourrons bien gemir et souspirer d'estre captifs en ceste prison de peché. Et puis nous pourrons bien d'autre costé gemir, voyant les afflictions que Dieu nous y envoye: mais tant y a que nous ne laisserons point de tousiours benir le nom de Dieu, et nous resiouir en luy au milieu de toutes nos fascheries, quand nous sentirons qu'il nous sera Pere, et qu'il nous avouera aussi pour ses enfans. En la mort nous contemplerons la vie eternelle qui nous fera oublier tous regrets: tellement que nous ne dirons plus, Helas, que feray-ie? comment me gouverneray ie? où iray-ie? Nous coupperons broche à toutes ces choses là Nous ne dirons plus aussi, Ne bevray-ie plus, ne mangeray-ie plus? c'est à faire à bestes brutes, mais maintenant ie vois que mon Dieu approche de moy, ie m'en vay doncques prosterner devant luy, ie m'en vay rendre entre ses mains et me ranger à luy comme à mon pere. Quand, di-ie, nous serons ainsi disposez, nous pourrons dire avec David, Seigneur ie te recommande mon esprit. David a dit cela durant sa vie, mais nostre Seigneur Iesus Christ nous monstre qu'il nous le faut dire aussi quand Dieu nous retire de ce monde. Et au reste quand nous pensons à tous les benefices de Dieu, que nous apprenions aussi de le glorifier: comme ce sont choses inseparables. Selon donc que Dieu nous fait participans de ses graces et que desia en partie il nous

SUR LE CANTIQUE D'EZECHIAS.

537

monstre que toute nostre felicite est que nous soyons de la compagnie de ses enfans, aussi faut-il qu'un chacun de nous s'employe à l'honnorer comme son Pere. Voyla pourquoy Ionas aussi estant retiré du gouffre, dit, Ie beniray mon Dieu: il ne dit pas, Ie vivray pour boire et pour manger: mais Ie viendray au Temple, au Sanctuaire de mon Dieu et là, ie luy rendray la louange de ceste redemption, assavoir qu'il ma retiré de la mort. Voyla donc ce que nous avons à faire.

Or touchant ce qu'Ezechias parle de la couppure de ses iours, il regarde au cours naturel de la vie humaine duquel il est fait mention au Cantique de Moyse, car il commença de regner en l'asge de vingt-cinq ans. En l'annee quatorzieme la ville de Ierusalem fut assiegee et alors aussi il tombe en ceste maladie, comme nous le voyons. Le voyla donc à l'aage de trente-neuf ans. Or il dit que sa vie est couppee, d'autant qu'il n'est point parvenu à la vieillesse. Il est vray que là Moyse parle de la fragilité des hommes et dit, Qu'est-ce que des hommes? Apres que Dieu les a yci pourmenez trois iours, alors ils retournent. Et de faict quand l'homme vient iusques à soixante ans, il est desia abbatu, et s'il en adiouste dix, il n'y a plus que fascherie et chagrin, il est en charge et quasi inutile et mesmes sa vie luy est ennuyeuse. Il nous monstre donc là que ceste vie estant ainsi briefve et caduque ne nous doit pas retenir. Mais quoy qu'il en soit, si est-ce que le Roy Ezechias estoit comme en fleur d'asge: il n'estoit point parvenu iusques à l'asge de quarante ans. Selon ce regard il dit que Dieu luy coupe ses iours: non pas que nous ayons temps determiné: car les enfans ne meurent ils pas bien quelquesfois devant que venir en ce monde? et apres qu'ils y sont venus, la mort ne les a-elle point assiegez desia? mais tant y a qu'il n'estoit point parvenu à ceste vieillesse qui est selon le cours ordinaire de ceste vie humaine. Ezechias donc contemple cela: et surtout il a tousiours les yeux fichez sur ce message du Prophete Isaie, c'est asçavoir que Dieu l'afflige à cause de ses pechez. C'est donc autant comme s'il disoit parlant à soy-mesmes, le voy bien que Dieu ne te veut point laisser en ce monde d'autant qu'il y a yci une routte violente. Et d'ou procede elle? de tes fautes et pechez: comme nous verrons qu'il adioustera tantost. Il est vray qu'il attribue le tout à Dieu comme à son iuge, mais il reçoit la faute sur sa personne et se confesse luy seul estre Coulpable. Voyla donc comme il entend que ses iours ont este coupez. Quand il dit, Qu'il viendra aux portes du sepulchre, qu'il ne verra plus les vivans: c'est à cause qu'il ne converseroit plus avec les hommes pour s'exercer au service de Dieu. Or maintenant ce n'est point

538

sans cause qu'en cela mesmes il apprehende encores l'ire de Dieu, combien qu'il estoit suiet d'habiter là pesle-mesle avec beaucoup de racailles, comme il y avoit beaucoup d'hypocrites en Iudee, il y en avoit des meschans et dissolus, des mocqueurs de Dieu et de sa Loy: et puis entre les Payens il n'y avoit qu'impieté et rebellion.

Or cependant qu'Ezechias voit cela, Ie cognoy maintenant, dit-il, que ie ne suis pas digne d'habiter sur la terre, car ceux-ci demeurent encores au monde et Dieu m'en retranche, voire d'une main forte, comme s'il venoit armé pour me faire la guerre ouverte comme mon ennemi. Quand donc Ezechias ha de telles apprehensions, il ne se faut point esbahir s'il fait ces complaintes: mais quoy qu'il en soit, le tout se rapporte à ce qu'il voit que Dieu le persecute. Cela luy est un fardeau si pesant qu'il en est comme accablé dessous. Tant mieux donc nous faut-il noter ceste doctrine, afin que si Dieu quelquesfois nous afflige plus durement que nous ne voudrions, nous ne laissions pas neantmoins de cognoistre qu'il nous aime, et que ceste persuasion que nous aurons de sa bonté, soit pour nous faire surmonter toutes tentations, lesquelles autrement seroyent pour nous accabler. Et au reste, s'il nous redargue, et qu'il nous face sentir nos pechez que nous recourions à luy pour passer condamnation: car nous ne gaignerions rien en tous nous subterfuges si nous voulons plaider, si faudra il qu'il ait tousiours cause gaignee. Quand donc nous voyons que Dieu est iuste en nous punissant pour nos p chez, que nous venions la teste baissee, afin d'estre allegez par sa misericorde, et que nous n'ayons autre fiance ni espoir de salut, sinon qu'il luy plaise au nom de nostre Seigneur Iesus Christ nous recevoir à merci, d'autant qu'il n'y a en nous que toute malediction.

Or nous nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu, en cognoissance de nos fautes, le prians que de plus en plus il nous les face sentir, et qu'il nous purge tellement de toutes nos pollutions, que nous soyons esveillez à bon escient de nostre stupidité, afin de gemir et souspirer, non pas seulement pour les miseres que nous voyons au monde par nos pechez mais d'autant que nous ne cessions de les augmenter entant qu'en nous est de plus en plus. Et cependant toutesfois que nous recourions à nostre Dieu, et encores qu'il semble qu'il nous persecute, et que sa main nous soit fort rude et espouvantable, que nous ne laissions pas d'approcher de luy, et magnifier sa bonté, estans asseurez qu'elle surmontera toutes nos fautes et offenses. Et encore que nous sentions quelque rudesse en luy que neantmoins nous recognoissions qu'il nous vaut beaucoup mieux nous retirer en

SECOND SERMON

539

sa maison, et sous sa conduite que de nous en eslongner, comme povres gens desesperez. Que non seulement il nous face ceste grace, mais à tous peuples etc.

SECOND SERMON.

12. Ma vie est retiree, elle est changee comme la loge d'un berger. I'ay coupé mes jours comme un tisserand: il m'a opprimé par maladie. Du matin à la nuict tu me consumeras. 13. Ie contoye d'aller iusqu'au matin, il a brisé mes os comme un lion. Tu me destruiras du matin à la nuict, et me desferas. 14. Ie gazouilloye comme la grue et l'arondelle: gemissant comme une colombe: mes yeux estoyent dressez en haut et defailloyent. Le mal me force Seigneur allege-moy. 15. Que diray-ie? luy qui l'a dit, il l'a aussi fait.

Ezechias continuant le propos qui fut hier traitte, dit yci que sa vie a este changee comme une loge de berger. Par ceste similitude il monstre qu'il n'y a nul arrest en la vie des hommes, et qu'il l'a experimenté en soy, d'autant qu'il ostoit comme en repos, et en un moment Dieu l'a retiré de ce monde. Quand nous ferons comparaison de nos corps avec les maisons où nous sommes logez il semble bien qu'au corps de l'homme, qui est plus que la maison, il y doit avoir quelque arrest: car la maison qu'est-ce sinon un accessoire du corps? Or on bastist pour l'usage des hommes: celuy donc qui habite en quelque edifice doit estre preferé à la maison, comme aussi bien le corps à la robbe, et à tous accoustremens. Or yci Ezechias dit qu'il a este logé en ce monde comme un berger qui aura sa petite loge laquelle il traine et porte çà et là Il parle selon la coustume du pays, pource que là on parque, et un berger trainera sa loge aussi aiseement comme on porteroit yci une chose bien legere. Il monstre donc en somme que sa vie n'a esté qu'un tracassement, et que Dieu l'a incontinent changee. Or il parle de l'opinion qu'il avoit conçues: car il estoit comme sur le bord de sa fosse. Et defaict il faloit bien qu'il se disposast à mourir, puis que Dieu luy avoit envoyé un tel message, comme nous avons dit. Brief il parle comme si desia la chose estoit advenue. Or là dessus il revient à la cause de son mal, et confesse qu'il en est coulpable. Il dit donc que luy-mesme a coupé ses iours: comme si un tisserand, ayant une toile sur son mestier, coupoit tout. Il ne faut point donc (dit Ezechias) que i'accuse personne: car ce mal doit estre impute à moy seul, car i'ay provoqué l'ire de Dieu, ie me suis privé de sa

540

benediction: il faut donc maintenant que ie m'attribue le tout. Or combien qu'il soit yci parlé d'un seul homme, tant y a que nous avons une bonne admonition de la brieveté de nostre vie. Vray est que c'est une chose assez cognue, mais nous y pensons tresmal: car apres avoir confessé que ce n'est qu'un ombrage que la vie presente, nous y sommes tant enveloppez, que chacun ne pense sinon comment il se pourvoira iusques à cent ans. Brief, il semble que nous ne devions iamais partir d'yci, tant nous sommes occupez en ce qui appartient au monde. D'autant plus donc nous faut-il reduire en memoire ce que l'Escriture nous monstre de la fragilité de nostre vie: comme S. Paul aussi dit que maintenant nous sommes logez sous une cahuette. Le corps de l'homme n'est pas une maison qui merite d'estre appelee ne bastiment ni edifice: car il n'y a rien que caduque. Ainsi donc gemissons, attendans que nous soyons pleinement restaurez: et ne soyons pas tellement retenus en ce monde que tousiours nous ne marchions en avant. Car les incredules, quoy qu'il en soit, viendront à leur fin: mais cependant ils n'approchent nullement de Dieu, plus st ils sont arrestez en ce monde, et au lieu de marcher ils se plongent tousiours plus profond. Apprenons donc de marcher, c'est à dire d'estre tellement disposez à suyvre quand Dieu nous appelle, que iamais la mort ne viene devant son temps.

Quant à ce qu'Ezechias dit qu'il a este cause de sou mal, prattiquons aussi bien ceste doctrine, toutes fois et quantes qu'il plaira, à Dieu de nous affliger. Nous voyons que nous sommes addonnez à murmures: et encore que nous soyons conveincus de nos fautes, nous ne laissons pas de nous fascher, comme si Dieu passoit mesure. Ainsi pour confesser avec une vraye humilité que Dieu nous punit iustement en toutes les afflictions qu'il nous envoye, que nous parlions à la façon d'Ezechias: Ce suis-ie qui ay cause tout ce mal-ci. Il est vray que tantost il attribue cela, à Dieu, mais les deux s'accordent tresbien, c'est assavoir que l'homme soit autheur de toutes les miseres qu'il endure, et que cependant Dieu besogne comme Iuge. Car quand un malfaiteur sera puni, il ne faut point qu'il se plaigne de son iuge: mais d'autant qu'il voit que luy-mesme a offensé contre les loi, il se condamne. Et puis il cognoist que Dieu aussi par l'authorité de iustice l'ameine à iuste chastiment. Ainsi nous en faut-il faire, c'est assavoir qu'en premier nous cognoissons que si Dieu nous afflige, ce n'est pas qu'il prene plaisir. à nous tormenter mais qu'il faut qu'il nous paye selon que nous avons desservi, combien qu'encores il n'ait point du tout esgard à nos offenses: car que seroit-ce? nous serions cent mille fois abismez, s'il vouloit user de rigueur en

SUR LE CANTIQUE D'EZECHIAS.

541

vers nous: mais selon qu'il cognoist qu'il nous est bon, il nous chastie. Cependant que nous ayons tousiours la bouche close, que nul murmure ne nous eschappe. Et au reste, quand nous cognoistrons que nous avons provoqué son ire, que nous scachions qu'il ne faut point sortir de nous-mesmes pour dire qui en a este cause, mais accusons-nous simplement. Voyla donc en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il s'ensuit, du matin à la nuit tu me desferas. En quoy Ezechias monstre combien la fureur de Dieu est horrible: car il signifie qu'il ne faut point que Dieu machine ceci ou cela, quand il voudra se venger des hommes: mais s'il dit le mot la chose sera incontinent faite. Brief, il monstre yci quelle est la puissance de Dieu, et quelle est la fragilité des hommes de l'autre costé. Et c'est pour nous oster toutes ces. foles imaginations que nous concevons, en nous faisans à croire que nous pourrons eschapper. Et nous voyons comme les hommes recullent tousiours: et encore que Dieu les presse, il leur semble qu'ils trouveront quelque moyen pour fuir. Brief nous poussons le temps à l'espaule (comme on dit) et nous donnons des allonges: et encore que le cordeau soit estraint, si est-ce que tousiours nous concevons quelque vaine esperance. Et qui est cause de cela? nous ne regardons point à nostre fragilité: car il n'y a minute de temps où la mort ne nous menace: et si nous sommes maintenant debout, il ne faut que tourner la main, que nous voyla decheus. D'autrepart nous ne cognoissons pas la puissance infinie de Dieu: car s'il met une fois la main sur nous, il ne faut pas qu'il redouble les coups il suffira qu'il souffre tant seulement et nous voyla du tout aneantis. Ce n'est point donc sans cause qu'Ezechias dit yci que du matin iusques à la nuit il sera desfait. Car nous oyons aussi que nous ne sommes soustenus sinon d'autant que Dieu nous donne vigueur: mais s'il retire son esprit, il faudra qu'estans troublez nous defaillions incontinent. Que s'il se monstre contraire à nous, et qu'il nous persecute, encore faut-il que nous soyons plus abbatus, Suyvant donc l'admonition d'Ezechias, que souvent nous regardions combien nous sommes foibles, que nous cognoissions que c'est de nous, ascavoir que de minute en minute Dieu nous soustient: mais que cependant aussi la mort nous assiege et qu'il ne faut pas grand assaut pour nous ruiner: il ne faut qu'un souffre tant seulement, et nous voyla flestris comme une herbe: ainsi que nous verrons au quarantieme chapitre. Et puis scachons que c'est de l'ire de Dieu, quand elle est armee à l'encontre de nous. Car Dieu n'est point semblable aux creatures, en sorte qu'il ait besoin de se munir, et de faire grans apprests, si tost qu'il dira le mot, nous serons in

542

continent abolis par sa seule Parole. Puis qu'ainsi est donc, apprenons de cheminer en solicitude, remettons ms vies entre ses mains, cognoissons que nous ne sommes rien du tout, sinon d'autant que nous subsistons en luy: et autant de relasche qu'il luy plaist de nous donner, attribuons-le tout à sa grace, quand il nous allonge ainsi nostre vie: car nous serions là comme defaillans, s'il vouloit seulement desployer une seule goutte de sa vertu à l'encontre de nous. Voyla donc ce que nous avons à observer sur ce passage, où il est parlé du matin iusques à la nuit.

Or il adiouste qu'il a gazouillé comme une grue ou comme u le arondelle, et qu'il a gemi comme une colombe. En quoy il signifie que l'angoisse le tenoit tellement enserré qu'il n'avoit pas mesme sa parole libre pour exprimer ses passions. Si un homme crie et se lamente, et qu'il face ses queremonies et qu'il de are son mal, desia il faut dire qu'il est fort pressé: mais quand l'homme est tellement abbatu, qu'il ne peut pas declarer ce qu'il luy faut qu'il barbotte en 60y, qu'il ne peut arracher un seul mot pour monstrer combien sa passion est vehemente, qu'il souspire, qu'il dira un mot à demi, et le reste sera retenu comme si on luy avoit serré le gosier, c'est bien une grande extremité. Ezechias donc dit qu'il en a este ainsi. Or il n'y a nulle doute qu'il ne regarde Dieu principalement: comme s'il disoit que les hommes se sont assez apperceus de la tristesse en laquelle il estoit detenu, mais que quand il a voulu former quelque requeste à Dieu, il a este comme muet, sinon que d'un costé le mal le pressoit, et cependant il ne pouvoit monstrer droitement ce qu'il luy faloit, en sorte qu'il estoit là en doux extremitez: l'une, qu'il estoit tellement serré au dedans, qu'à grand peine pouvoit on de luy arracher quelque complainte: et d'autre coste, qu'il estoit pressé de passions si vehementes, qu'il ne scavoit par quel bout commencer pour faire sa priere.

Or on pourroit trouver estrange qu'Ezechias, qui avoit eu en soy au paravant si grande vertu, soit maintenant ainsi defailli, voire quasi aneanti du tout: mais c'est d'autant qu'il avoit un combat spirituel, sentant ses pechez, et cognoissant que Dieu estoit son Iuge. Car (comme nous touchasmes hier) ce mal ci surmonte tous les autres. Il est vray semblable qu'Ezechias a eu une douleur fort excessive, de laquelle il estoit bien abbatu: et mesmes on peut coniecturer que c'estoit comme une peste ardente. Voyla, donc son mal qui est grand en soy: mais cela ne luy est rien au pris de ceste apprehension de l'ire de Dieu, quand il regarde à ses fautes, et qu'il cognoist que Dieu est armé pour estre sa partie adverse, et que c'est luy qui le persecute, et c'est aussi ce qui l'effraye en telle

SECOND SERMON

543

sorte. Et de faict, il faut bien, quand on en vient là, que tout courage et toute magnanimité defaillent: car qu'est-ce de la constance d'un homme pour resister à l'ire de Dieu? Il faut bien que ce soit plus que frenesie et rage, quand un homme le penseroit faire. Vray est qu'un homme pourra estre constant à porter les afflictions quand Dieu luy en envoyera, mais comment? d'autant qu'il sera fortifié de Dieu. Et puis, si les hommes le faschent, et qu'ils le molestent, il considerera qu'il ha affaire à des créatures s'il endure quelque mal, et bien, il ronge son frein: mais quand Dieu nous adiourne, et qu'il nous fait sentir que nous sommes coulpables devant luy, et que c'est maintenant qu'il faut rendre conte, que nos pechez nous menacent, et que cependant nous appercevons la mort eternelle qui nous est apprestee: là (comme i'ay dit) pourrons-nous avoir nulle vertu pour tenir bon? il faudroit que nous fussions plus qu'enragez. Nous trouvons point donc estrange si Ezechias est ainsi abbatu: car il n'est pas question de resister à la douleur, ne repousser les iniures qui luy sont faites du costé des hommes, ne de baisser les espaules pour soustenir quelque affliction, mais il ha, à batailler contre Dieu, Et comment y pourroit-il fournir? Il faut donc que du tout il soit comme descoulant en eau. Et voyla qui est cause qu'il n'a peu former nulle complainte pour exprimer son mal, et toutes fois il ne se pouvoit taire. Voyla aussi pourquoy David dit que quelques fois il s'est teu, et tantost après qu'il s'est mis à crier et à braire, et n'a senti nul allégement. Nous voyons que les passions de David ont este pareilles à celles du bon Roy Ezechias comme de faict aussi il adiouste que ses pechez le trembloyent, et qu'il estoit effrayé de l'ire de Dieu. Il ne tenoit donc regle ne mesure, mais quelque fois il iettoit ses bouffees, il s'eslevoit, et puis apres il estoit abbatu tellement qu'il ne pouvoit ravoir son haleine, et tousiours le mal continuoit. Et en l'autre passage il dit qu'il s'estoit teu comme s'il se fust bridé, et qu'il avoit conclu en soy-mesme de ne plus sonner mot. Non (dit-il) ie seray là comme une creature muete, ie ne parleray point, ie ne profereray point une sillabe: mais cepandent (dit-il) i'ay senti la douleur qui s'augmentoit, mesmes qui s'allumoit: comme un feu quand il seroit bien emprins, s'il est enclos, alors il s'esvertue, et monstre plus grand force, et s'esclatte: ainsi David proteste qu'en son angoisse lors qu'il a conclu de se tenir coy, et de ne sonner mot, c'a este alors qu'il a falu qu'il ait monstré ce qui estoit caché en son coeur, combien que ce n'ait este par paroles bien disposees. Brief, ceux qui scavent à bon escient que c'est de l'ire de Dieu, parleront et crieront assez, cependant ne scavent par quel bout commencer: et puis quand ils se

544

taisent, ils ne scavent pourquoy: mais tant y a qu'ils sont tousiours en angoisse. Et nous voyons un exemple notable de toutes ces choses au bon Roy Ezechias. Il est vray que Dieu ne nous amenera pas tous egalement à un tel examen: car s'il nous exerce, ce sera selon nostre debilité: il regarde que nous ne serions pas suffisans pour endurer de tels heurts et assaux, il nous espargne donc: mais quand il luy plaira de nous esprouver en telle sorte comme nous lisons yci l'exemple du Roy Ezechias) si faut-il que nous soyons desia munis de ceste doctrine. Voyla donc en somme ce que nous avons à retenir.

Et au reste que nous apprenions que c'est de toute la constance des hommes. Ils pourront bien monstrer quelque signe de vertu, voire quand Dieu ne desployera sa force contr'eux: mais si tost qu'il nous appellera, à conte, il faut que tout ce que nous cuidons avoir le vigueur en nous s'escoule et s'esvanouisse. C'est ce que nous avons à prattiquer pour nostre instruction à une vraye humilité: car nous scavons que les hommes demeurent tousiours en leur présomption et se confient en eux-mesmes. Et qui est cause de cela, sinon qu'un chacun regarde à son compaignon? Et voyla comme nous cuidons estre bien habiles: mais il nous faloit eslever nos sens à Dieu, car nous trouverons là que si tost qu'il s'adressera, à nous, nous ne serons plus rien. cognoissons donc que c'est pour nous abysmer en une seule minute, si tost que Dieu nous fera sentir son ire: cognoissons aussi que iusques à ce que nous soyons despouillez de toute confiance de nous-mesmes, nous ne pourrons estre rangez à droite humilité. Car cependant que les hommes ont quelque opinion d'eux-mesmes, et qu'ils cuident pouvoir ceci ou cela, il est certain qu'ils desrobbent à Dieu ce qui luy appartient. Et puis, quand ils s'eslevent ainsi sans fondement aucun, c'est pour leur rompre le col.

C'est donc ce que nous avons à retenir, ascavoir que tout le cuider des hommes, quand ils se confient en leurs propres vertus, n'est qu'un songe, d'autant qu'ils ne regardent point à Dieu, et qu'ils ne s'arrestent point là, afin d'estre despouillez de toute vaine outrecuidance. Et au reste, quand nous oyons yci parler d'un tel gazouillement, et qu'Ezechias confesse qu'il n'a peu exprimer un mot mais qu'il barbottoit, ne scachant quasi ce qu'il devoit dire, cognoissons que quand nostre Seigneur nous pressera en telle sorte que nous ne pourrons pas former une requeste, ou avoir une oraison bien reglee, la porte toutes fois ne nous sera point fermee que nous ne venions à luy. Ce que ie di, pource que ceste tentation-ci est dangereuse. Il est vray que si nous n'appercevons en nous un zele de prier Dieu, et puis une disposition pour

SUR LE CANTIQUE D'EZECHIAS,.

545

mediter les promesses qu'il nous donne, et pour prendre hardiesse d'approcher de luy, cela nous doit desplaire, nous devons sentir que nous sommes bien eslongnez de nostre costé: mais cependant encores nous faut-il surmonter ceste tentation-la. Quand donc un homme se sentira en tel trouble, qu'il ne pourra point arracher un seul mot en priant Dieu, qu'il sera là accapi, et qu'il ne saura par quel bout commencer, si faut-il encores prier quoy qu'il en soit. Et en quelle sorte? Que nous gazouillions pour le moins, c'est à dire, que nous iettions des souspirs et gemissemens qui monstrent quelque passion excessive, comme si nous estions là à la torture. Et Dieu exauce ces gemissements: comme mesmes nous voyons que S. Paul dit, que le sainct Esprit nous incite à des gemissemens inenarrables, c'est à dire, qui ne se peuvent reciter.

Si donc l'on vouloit faire un art de rhetorique des oraisons des fideles, c'est un abus: car nostre Seigneur nous humilie en cest endroit, afin que nous Le cuidions rien obtenir de luy par quelque belle parade: il veut plustost que nous soyons tant confus que nous n'ayons pas un seul mot adroit en nos oraisons, mais que nous iettions là des bouillons et des bouffees, et puis que nous demeurions là tout cois: helas, mon Dieu! helas, que feray-ie? et quand nous gémirons ainsi, que nous soyons là entortillez, tellement qu'il n'y ait ne commencement ne issue. Quand donc nous en serons là, nostre Seigneur cognoist ce langage, encores qu'il ne soit point entendu de nous, et que nos perplexitez nous empeschent que nous ne puissions pas déduire un propos entier, que les hommes aussi ne sachent ce que nous voulons dire, toutesfois Dieu (comme desia nous avons dit) nous exaucera bien. Voyla donc ce que nous avons à retenir en ce passage. Que si les angoisses nous pressent, combien que Satan par ce moyen là tasche de nous exclure tellement que nous ne prions point Dieu, mais que nous soyons comme esgarez de luy, que nous ne laissions pas de presenter à Dieu ces gemissemens-la, encore qu'ils soyent cou fus.

Or Ezechias là dessus dit Qu'il contoit iusques au soir, et que Dieu luy a brisé tous ses os, comme s'il estoit en la gueule et entre les pattes d'un lion. En disant qu'il a conté, et bien, ie verray ce qui adviendra iusques à la nuit: mais (dit-il) le mal a surmonté, car ie n'avois pas encores assez cognu la puissance terrible et espovantable de Dieu, quand il se dresse contre une povre creature. Or yci nous avons, à retenir encore que par la parole de Dieu nous ayons este enseignez quelle est sa force, et que nous l'ayons aussi senti par experience, si est-ce que nous n'en concevons qu'une portion tant seulement. Car Dieu se levera en telle façon une

546

nous verrous que tout ce que nous avions pense de luy n'estoit sinon quelque petit ombrage. Ainsi donc apprenons de considérer quelle est la puissance de Dieu, et d'appliquer là toua nos sens et nos estudes, et que nous en soyons touchez pour cheminer en sa crainte, et redouter sa maiesté, cognoissans encores ne nous fait-il sentir que quelque petit goust de sa vertu: car s'il nous vouloit presser à bon escient, nous trouverions que ce que nous avions auparavant pensé n'estoit que de loin, et quasi comme en songeant. Voyla donc ce que le bon Roy Ezechias a voulu exprimer, afin que par son exemple, nous apprenions de ne point conter sans nostre hoste: mais que nous scachions que c'est une chose merveilleuse des iugemens de Dieu, et des corrections qu'il envoye pour punir les pechez des hommes. Que donc nous ne pensions pas avoir tout compris, car nostre capacité est trop petite, mais que tousiours nous soyons conduits plus loin: c'est ascavoir que si ainsi est, que quand Dieu nous redresse et chastie, desia nous sommes saisis de frayeur: et encore que nous soyons stupides, il nous fait toutesfois sentir quelle est sa maiesté, et combien puissante: que nous comprenions qu'elle l'est encore cent mille fois plus que nos esprits ne conçoyvent, et que là dessous tousiours nous soyons tant plus incitez à le craindre. Or quant à ceste similitude d'un lion, il est vray qu'il semble qu'Ezechias face yci tort à Dieu: car ce n'est point parler de luy en telle reverence comme il merite, de l'accomparer à une beste cruelle qui devore, qui brise, qui casse, qui deschire et qui rompt tout.

Or nous scavons que l'Escriture nous presche de Dieu tout le contraire de ce mot, c'est assavoir qu'il est benin, pitoyable, patient, plein de misericorde, plein d'equité et douceur: brief, qu'il porte une telle amour aux hommes, qu'il ne demande sinon de les tenir delicatement comme ses propres enfans. Puis qu'ainsi est donc que Dieu se declare estre tel, il semble bien qu'Ezechias blaspheme en l'accomparant à un lion: mais yci le bon Roy n'a point voulu contester contre Dieu, il a seulement declaré ses passions, et ne l'a point fait pour prescher ses louanges (comme nous avons veu par ci devant) mais il a mieux aimé recevoir ceste honte iusques en la fin du monde, qu'où cognust quelle estoit sa fragilité, et que nous en eussions instruction qui nous profitast. Voyla donc comme Ezechias ne s'est point espargné, mais s'est proposé à nous pour exemple, afin que nous voyons comme il a este saisi de frayeur, et que par cela nous soyons appris de craindre Dieu, et nous armer aussi de ses promesses, quand nous viendrons en tels troubles, afin que nous persistions à l'invoquer. Et encores que nous défaillons du tout, et soyons

SECOND SERMON

547

confus, que nous retenions neantmoins cela de nous offrir à Dieu, et luy addresser nos souspirs et gemissemens. Voyla donc ce que nous avons à retenir.

Or ce n'est point sans cause qu'Ezechias accompare Dieu à un lion: car (comme nous avons veu par ci devant) toutes les douleurs que nous sentirons en nos corps, et tous les ennuis que nous pourrons concevoir ne sont rien au pris de ceste apprehension de l'ire de Dieu. Et voyla pourquoy nous disons que les combats spirituels sont beaucoup plus difficiles que toutes les tentations que nous aurons. Nous appelons combats spirituels quand Dieu nous contraint de regarder à nos pechez: et que d'autre costé il nous esveille en telle sorte qu'il nous fait penser quelle est son ire, et que nous le concevons là comme nostre Iuge, que nous sommes adiournez devant luy pour rendre conte. Voyla donc un combat que nous nommons spirituel, qui est beaucoup plus pesant et plus redoutable que toutes les fascheries, angoisses, craintes, tormens, doutes et perplexitez que nous pourrions avoir quant au monde. Or quand nous en serons là venus, il ne se faut point esbahir si Dieu nous est comme un lion, voire selon que nous le pouvons sentir: car il n'est point yci question de ce mot quant B la nature de Dieu. Et quand il a ainsi tormenté le Roy Ezechias, ce n'est pas qu'il eust oublié sa bonté et misericorde, laquelle il luy monstre d'autrepart: mais si faloit-il qu'Ezechias se cognust estre entre les mains de Dieu, comme entre les pattes et en la gueule d'un lion. Et faut aussi que nous en venions là, comme i'ay desia dit, car autrement Dieu ne nous peut gaigner. Il y a une telle arrogance en nous, que tousiours nous pensons estre forts et robustes, et ne pouvons iamais estre abbatus que par un grand tonnerre, voire par foudre. Et puis nous ne pouvons magnifier comme il appartient la puissance de Dieu: nous en parlerons assez, nous en penserons aussi quelque chose, mais ce n'est pas que nous luy attribuyons une grandeur infinie, que nous soyons comme ravis quand nous y pensons, et que cela occupe tous nos sens comme il doit. Il faut donc que nostre Seigneur (par maniere de dire) se transfigure, c'est à dire, qu'il se rende espovantable plus que tous les lions du monde, et qu'il se declare a nous avec une telle puissance, que nous soyons effrayez iusques au bout, comme si nous voyons une centaine de morts. Car l'ire de Dieu n'est point seulement pour nous faire mourir, mais nous voyons les gouffres d'enfer ouverts, quand Dieu se monstre nostre iuge. Ce n'est donc point merveilles si alors nous sommes saisis d'un tel estonnement, comme si un lion nous deschiroit entre ses pattes, et qu'il nous brisast les os avec les dents, et si nous concevons une telle

548

horreur, quand Dieu nous est contraire. Et voyla aussi dont procedent toutes ces complaintes que nous voyons aux Pseaumes. Ceux qui ne sont point exercez en ces combats, en ces troubles et perplexitez, pensent que David ait voulu faire son mal beaucoup plus grand qu'il n'estoit, ou bien il leur semble qu'il ait este trop delicat. Mais quand nous venons à l'espreuve, nous sentons qu'il n'y a point un mot superflu: car les effroits que sentent les fideles, quand Dieu les sonde à bon escient, et au vif, surmontent tout ce qu'on peut exprimer de bouche. Ne pensons point donc que ceste similitude qui est yci mise par le Roy Ezechias soit superflue: car nous trouverons la maiesté de Dieu plus espovantable beaucoup que toue les maux, qui sont yci contenus, n'expriment, quand il luy plaira de nous appeler à conte, et nous faire sentir qu'il est nostre Iuge. Car si les montagnes tremblent devant luy et s'escoulent, et nous, qui ne sommes rien, comment pourrons-nous subsister?

Ainsi donc, notons bien, quand quelques fois Dieu nous ostera le goust de sa bonté, et que nous cuiderons estre retranchez de son Royaume, que nous n'apperceverons que nos pechez, que ce sont comme des gros amas de bois pour allumer le fou de son ire: que nous regardions d'autant qu'il est tout-puissant, qu'il faut aussi qu'il foudroye et qu'il nous abysme. Quand nous sentons ces choses, il faut bien que nous soyons du tout opprimez, iusques à ce qu'il nous releve. Et de faict, en une minute de temps nous serions plongez iusqu'au plus profond d'enfer n'estoit qu'il nous tient la main forte, et que d une façon secrete nous fussions retenus de luy, encores que nous ne voyons pas comment. Voyci donc une doctrine qui nous doit servir d'un coté à nous humilier, que nous oublions tout ce que les hommes cuident avoir de vertu en eux, et puis que nous acquiescions à la maiesté de Dieu, et que nous soyons du tout abbatus sous icelle: et que cependant nous cognoissions le besoin et la necessité que nous avons qu'il nous retiene voire d'une façon qui nous est incomprehensible et quand nous penserons estre du tout delaissez de luy, et qu'il nous ait mis en oubli, soyons certain qu'encores nous tiendra-il la main: nous ne l'apperceverons pas, mais si le fera-il pourtant: et aussi iamais nous ne pourrions sortir d'un tel labirinthe, sinon que par sa misericorde infinie il nous en retirast: comme il est certain que iamais Ezechias n'eust este relevé, sinon que Dieu par son sainct Esprit l'eust soustenu au dedans, et qu'il luy eust esclairé, cependant qu'il estoit en ces grans troubles.

Or apres qu'il a parlé ainsi il adiouste, Seigneur, le mal me force, soulage moy. Mais que diray-ie? (J'est luy qui l'a fait comme il l'a dit.

SUR LE CANTIQUE D'EZECHIAS.

549

Or yci Ezechias confesse en somme qu'il est vaincu quant à soy, et qu'il n'y a plus nul remede sinon que Dieu interviene, et qu'il se mette là comme plege. Le mot dont il use signifie aucunefois respondre, ce qu'on appelle yci Fiancer. On pourroit donc exprimer, Seigneur que tu sois mon plege on ceste extremité: car ie n'en puis plus. Tu vois qu'il n'y a plus nulle faculté en moy, il faut donc que tu respondes en mon lieu. Et ce mot-ci est aussi bien entre les complaintes de Iob: mais il signifie aussi Alleger, et le tout reviendra, à un, c'est assavoir (comme desia nous avons touché) qu'Ezechias cognoit qu'il n'ha nulle vertu, et qu'il faut qu'il defaille quant à soy, comme si un homme declaroit qu'il n'ha rien pour satisfaire à ce qu'il doit, il vient donc au recours à Dieu. Or yci nous avons encores une bonne admonition, e est que nous ne pouvons pas invoquer Dieu comme il appartient, sinon quand nous sommes amenez à ceste raison de nous aneantir du tout. Car cependant que les hommes gardent ie ne scay quoy de residu, il est certain qu'ils n'invoqueront Dieu qu'à demi. Il faut donc que nous soyons tellement dontez, qu'estans du tout desnuez nostre disette nous contraigne de chercher en Dieu ce qui defaut on nous. Voyla pour un item.

Or cependant nous sommes advertis de ne point perdre courage, quand Dieu nous aura ainsi despouillez, et que nous serons vuides de toute vertu: car si est-ce que nous pourrons encore luy addresser nostre propos, suyvans le chemin d'Ezechias: Seigneur, ie n'en puis plus, ainsi ie te prie que tu m'alleges. Voyla donc ce que nous avons à retenir de ce passage. Or il est vray que nous ne sommes pas tousiours pressez à la façon d'Ezechias: mais quoy qu'il en soit, encore que la contrainte ne soit pas si violente, si faut-il que nous soyons devestus et vuides de toute fausse persuasion de nos forces, afin que Dieu soit glorifié comme il le merite. Et cependant (comme i'ay dit) que nous poursuyvions nos prieres et oraisons: et apres estre convaincus de n'avoir plus rien de force en nous, que toutes fois nous recourions à nostre Dieu, et il nous donnera ce qui nous defaut, d'autant qu'en luy gist toute plenitude de biens.

Or là dessus encores il adiouste, Et que diray-ie? Car luy qui a parlé, aussi il l'a fait. Yci aucuns ont estimé qu'Ezechias se vouloit desia esiouir, sentant la délivrance que Dieu luy avoit envoyée, et qu'il rompt toutes ses queremonies dont il a usé, et qu'il ha maintenant la bouche ouverte pour confesser la bonté de Dieu. Mais le fil du texte ne porte point cela: plustost Ezechias rompt son propos pour monstrer les angoisses qui l'empeschent de continuer comme il eust bien voulu. Et nous voyons beaucoup de tels exemples on tous

550

les Pseaumes, là où il y a quelque declaration des chastimens que Dieu envoyoit ou à David ou à ses autres serviteurs. Quand donc Dieu a durement affligé son peuple, il y a eu de telles requestes que cependant les fideles entrelacent tousiours ie ne scay quoy comme s'ils estoyent esperdus. Ainsi en fait maintenant Ezechias. Et il y a un exemple du tout pareil au Pseaume 39, que nous avons desia allegué, car là David cognoist aussi bien qu'il ha affaire à Dieu. C'estoit desia beaucoup de cognoistre que les hommes le persecutoyent, mais quand il voit que la main de Dieu luy est contraire, Il ne faut point (dit-il) que ie viene yci plaider, ni intenter proces: il n'y a rien meilleur que de me taire du tout, et passer condamnation. Et en Iob nous voyons beaucoup de telles querimonies aussi bien. Or venons doncques à l'intention d'Ezechias. Que diray-ie? c'est luy qui l'a dit, et il l'a aussi bien fait. Par ci devant il se lamentoit, voire non pas comme ceux qui ne trouvent nulle esperance: car telles gens crieront assez helas, mais tous leurs souspirs s'esvanouissent en l'air. A l'opposite Ezechias nous monstre yci que si nous voulons que Dieu nous exauce, il nous faut desployer toutes nos passions et nos tristesses devant luy, afin que nous en soyons deschargez, comme il est dit au Pscaume. Or Ezechias iusques yci a suyvi cest ordre-la: C'est qu'il a desployé les perplexitez et sollicitudes qu'il enduroit, comme s'il les met oit an giron de Dieu. Maintenant il se reprend. Helas (dit-il) que doy-ie faire? car c'est Dieu mesme qui l'a dit et qui l'a fait. Il m'a envoyé ce message par son Prophete, qu'il n'y avoit plus d'espérance de vie: c'est donc en vain que ie le prie. Que profiteray-ie en toutes mes oraisons? Que feray-ie? et ie ne scay s'il aura pitié de moy. Nous voyons maintenant comme Ezechias se despite contre soy-mesme.

Or il est vray qu'une telle dispute procede d'infidelité, mais il-faut aussi qu'il y ait de l'infidelité en nous afin que nostre foy soit tout mieux esprouvee. Et encores n'est-ce pas à dire (pour parler proprement) que nous soyons infideles, quand nous sommes ainsi agitez d'inquietude. mais que nous avons la foy, debile, et que nostre Seigneur nous exerce tellement que nous cognoissons cependant qui nous sommes, et que sans luy nous serions cent mille fois vaincus à chaque heure. Voyla en somme ce qu'Ezechias a voulu yci declarer. Que diray-ie, car ie ne sens point que l'oraison et la priere que ie pourray faire soit profitable. Et pourquoy? Dieu me force, et ie ne sens aucun allegement, ie crains de me presenter à luy: cependant toutes fois i'espere que ma requeste ne sera point reiettee de luy: combien que ie cognoy à la verité, que quand il a parlé par la bouche de

TROISIEME SERMON

551

son Prophete, il a desployé quant et quant sa main: et i'experimente que ce message-ci n'est pas comme une menace de petis enfans mais que Dieu m'a declaré et denoncé la guerre, laquelle se fait comme à feu et à sang, et semble qu'il n'y ait plus de remede. Or nous avons encores yci un bon passage pour nous monstrer qu'il nous faut despiter Satan et toute incrédulité, quand il est question de prier Dieu: tellement que quand nous aurions cent mille disputes, nous ne laissions pas de conclure: Si est-ce que ie surmonteray tous obstacles en la vertu de mon Dieu: encore le chercheray-ie combien qu'il me repousse, et qu'il semble qu'il y ait une centaine d'armees pour me reietter bien loin, si est-ce qu'encore ie viendray à luy. Voyla (di-ie) comme il nous faudra estre armez, quand il est question de prier Dieu: car comme nous avons besoin en toutes extremitez de recourir à nostre Dieu, aussi faut-il que nous cognoissions que Satan fait tous ses efforts pour empescher que nous n'ayons nostre addresse à Dieu, et n'y a celuy des fideles qui ne le sente plus qu'il ne seroit à souhaitter: mais cependant cognoissans la maladie, que nous prenions le remede tel qu'il nous est yci donné de Dieu. Quand donc le diable nous mettra en avant, Que ferois-tu à prier Dieu? Et penses-tu qu'en tant de povretez, que tu sens en toy, il te voulust aider? Et que penses-tu miserable creature? qui t'addresses-tu? N'est-ce pas Dieu mesme qui te persecute? passons outre neantmoins, et efforçons nous de rompre tous empeschemens, en mettant comme sous le pied tous tels discours extravagans.

Au reste, il adviendra qu'estans encore en quelque repos, si nous eslevons nos sens à Dieu, cela incontinent nous vient en fantasie, Helas, qui sommes-nous? Oserions-nous maintenant nous addresser à Dieu? Combien de fois l'avons-nous offensé? Sur cela nous concluons quelque fois de nous tenir là Cependant neantmoins telles disputes sont bien mauvaises: car ce sont autant de blasphemes, si Dieu nous les vouloit imputer: comme quand nous entrons en question ou en doute si nous serons exaucez ou non il est certain que c'est une offense mortelle, et si Dieu ne nous supportoit en nos foiblesses, nous en pourrions estre abysmez. Mais quoy qu'il en soit, apres nous estre condamnez, apres avoir senti que nostre esprit est enveloppé en beaucoup de desfiances, brief, que c'est un labyrinthe, que là dessus: toutes fois nous prenions courage, et qu'apres avoir dit Helas, que doy-ie faire? nous rompions le coup pour dire, Si faut-il encore prier et cercher mon Dieu: et pourquoy? Car il a dit qu'il exaucera ceux qui le requerront, et fust-ce du profond des abysmes. Or m'y voyci: c'est donc le temps opportun qu'il me

552

faut addresser à luy. Voyla donc ce que nous avons à retenir de ceste doctrine d'Ezechias: quand nous voyons ces propos rompus, qu'il y a ces gazouillemens, que nous voyons ses passions estre si exhorbitantes qu'elles le troublent, que nous cognoissons que Dieu a voulu yci monstrer un miroir, auquel nous contemplions nos foiblesses, et les tentations ausquelles nous sommes suiets, afin de batailler à l'encontre, et de tousiours poursuyvre iusques a ce que nous sentions l'allegement qu'il nous promet: comme nous le sentirons de faict, moyennant qu'il y ait une vraye perseverance, et que nous ne defaillions point par nostre lascheté et paresse au milieu du chemin.

Or nous nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu en cognoissance de nos fautes le prians que de plus en plus il nous les face sentir, iusques à ce que nous en soyons vrayement despouillez. Et combien qu'il y ait tousiours beaucoup à redire en nous, que toutes fois nous ne laissions pas d'esperer en sa misericorde: et qu'il nous la face tellement gouster, au nom de nostre Seigneur Iesus Christ, que ce soit pour nous donner vraye patience en toutes nos afflictions: et que nous soyons tellement retenus en son obeissance, que nous ne demandions sinon de nous offrir à luy, et nous y sanctifier du tout. Que non seulement il nous face ceste grace, mais à tous peuples et nations etc.

TROISIEME SERMON.

-15. Que diray-ie? Luy qui l'a dit, il l'a aussi fait. l'en marcheray bellement tous les iours de ma vie en l'amertume de mon ame. 16. Seigneur, à tous ceux qui vivront plus outre, la vie de mon esprit sera notoire en iceux, en ce que tu m'as assopi, et m'as vivifié. 17. Voyci, en ma prosperité l'amertume m'a este amere: et tu as aimé mon ame pour la retirer du sepulchre, d'autant que tu as ietté mes pechez derriere le dos.

Nous avons desia par ci devant exposé que le bon Roy Ezechias, se plaignant que c'est Dieu qui le persecute, est plus confus à cause de cela, que s'il avoit tous les hommes de ce monde ennemis, et qu'ils eussent conspiré à le tormenter: comme aussi c'est une chose beaucoup plus dure, et qui nous doit estonner plus sans comparaison, si Dieu s'esleve. contre nous, que si toutes les creatures nous faisoyent la guerre. Voyla donc pourquoy Ezechias demeure confus et en trouble, d'autant qu'il sent bien que ce que Dieu luy a declaré par son Prophete Isaie est maintenant accompli en luy.

SUR LE CANTIQIJE D'EZECHIAS,.

553

Car voyla aussi qui nous touche plus vivement quand nous faisons comparaison entre la parole dé Dieu et ce que nous sentons de ses iugemens. Si Dieu frappoit simplement sur nous, nous pourrions estre eslourdis, mais quand il adiouste sa Parole pour nous redarguer, afin que nous cognoissions que c'est luy qui nous chastie, voire à cause de nos pechez, voyla qui est cause d'une plus grande confusion.

Notamment donc Ezechias dit Que selon qu'il a parlé il l'a aussi fait. Et pourtant là dessus il conclud qu'il n'a point de replique. Car nous pourrions bien, ayans à faire aux hommes mortels, faire nos plaintes: mais quand il est question d'accuser Dieu, il gaignera tousiours sa cause. Nous pourrons plaider pour un temps, mais si est-ce qu'il sera tousiours iustifié apres nous avoir condamnez. C'est donc temps perdu que de cuider amender nostre mal, quand nous ne passerons point condamnation devant Dieu, mais que nous tascherons à nous rebecquer, et userons de murmures et de querimonies. Tout cela ne fera sinon qu'aggraver nostre mal, iusques à ce que nous soyons abysmez du tout. Et pourtant ayons la bouche close, comme il est dit en Iob. Car c'est ce que le bon Roy Ezechias a entendu en ce passage. Or là dessus il adiouste: Que tout le temps de sa vie il aura une alleure tremblante, et marchera doucement comme un homme abbatu, et qui traine ses iambes, voire en l'amertume de son ame. Yci Ezechias declare que Dieu luy a tellement engravé le sentiment de ceste correction, et l'a tellement imprimé en son coeur, que iamais la memoire n'en sera effacee. Il pourra advenir souvent (et nous l'experimentons plus qu'il ne seroit mestier) que quand Dieu nous presse, nous sommes tant estonnez que rien plus, nous gemissons. D'avantage, s'il est question de confesser nos fautes avec humilité, c'est merveilles que de nous ouir. Brief nous ne sommes point chiches en parolles, soit pour monstrer la grandeur de nostre mal, soit pour declarer nos fautes soit pour benir le nom de Dieu. Mais nous ne faisons que secourre l'aureille tantost apres, et du iour au lendemain que Dieu nous a donné quelque relasche ou repos, nous n'y pensons plus.

Voyla donc comme les hommes en sont, c'est qu'ils cherchent Dieu (comme il est dit au Prophete) cependant qu'il les attire comme par force: alors ils l'invoquent, et confessent la dette, comme nous avons dit: mais si tost que Dieu les espargne, les voyla comme devant, ils levent la teste comme des cerfs, ils ne font que se iouer, là où auparavant ils estoyent tant abbatus que rien plus, et avoyent un visage si effrayé: brief il n'y avoit qu'angoisse, et incontinent apres c'est à faire grand chere: ils retournent à leurs delices, et qui plus est, il semble

554

qu'ils veuillent despiter Dieu manifestement. Nous voyons donc ceste inconstance, et ce changement et legereté quasi en tous hommes. A l'opposite Ezechias dit yci, que ce n'est pas seulement pour le temps present qu'il cognoit que Dieu le chastie, mais que tant qu'il vivra au monde tousiours il luy souviendra du chastiment qu'il a receu, et ira comme d'une alleure tremblante. Car le mot dont il use signifie quelque fois Aller doucement, et quelquefois il signifie Se remuer. Or en somme, il veut dire que iamais il n'aura une alleure ferme, mais il sera tant debilité, qu'il sera comme si on avoit retiré un homme de la fosse: comme celuy qui aura este malade par longue espace de temps, à grand peine peut il trainer les ailes: et encores qu'il se monstre par les rues, si est-ce qu'on voit bien qu'il n'en peut plus: et puis s'il est debout, il aura quasi tousiours une façon de chanceler.

Nous voyons maintenant en somme qu'a voulu dire le Roy Ezechias. Par cela nous sommes admonestez de ne trouver point estrange si Dieu quelque fois nous afflige beaucoup plus rudement que nous ne voudrions: car nous n'avons point assez profité en ses verges, iusques à ce que nous soyons vrayement humiliez pour tout le temps de nostre vie. Qui est-ce qui trouvera cela en soy? Qu'un chacun maintenant regarde si un mois apres que Dieu luy aura fait misericorde, il a recognu ses fautes, et s'il en tremble: mais au contraire (comme i'ay desia dit) nous ne demandons sinon d'en effacer toute memoire: car il nous semble que c'est matiere de melancholie. Puis qu'ainsi est donc que nous mettons si facilement les verges de Dieu en oubli, il ne se faut point esbahir si apres nous avoir chastiez une fois il y retourne pour la seconde, et se monstre si rude que nous ne scachions que devenir. Parquoy voyci que nous avons à faire, c'est que durant les corrections, et quand nous sommes angoissez, nous portions patiemment la rigueur de Dieu, scachons que ce n'est point sans cause qu'il use envers nous de rudesse si excessive, et que c'est d'autant qu'il cognoist que nous en avons besoin. Voyla pour un item.

Et puis pour le second, que nous taschions à nous esveiller à cause de la paresse qui est en nous, et que nous sommes si lasches et si froids que c'est pitié. Que donc nous pensions bien durant l'affliction à toutes nos offenses, pour en avoir un sentiment et une apprehension engravee iusques au profond de nos coeurs. Et quand Dieu nous a delivrez, que nous pensions encores à cela, et que le sentiment du mal ne soit point seulement pour un iour, ou pour une petite espace, mais comme nous desirons que Dieu nous supporte, et qu'il nous donne quelque loisir de benir son Nom, et de nous esiouir en luy, que nous facions tellement

TROISIEME SERMON

555

qu'il ne soit point contraint de tousiours frapper comme sur des asnes, voyant nostre nonchallance, et la tardiveté qui est en nous. Prevenons donc les verges de Dieu, sinon que nous veuillions qu'elles soyent tousiours attachees sur nostre dos. Cependant notons qu'Ezechias a tellement tremblé, qu'il n'a pas laissé d'estre soustenu de la main de Dieu, et de chercher soulagement en Dieu, scachant bien qu'il luy estoit propice: mais ces deux choses s'accordent bien, que d'un costé les fideles soyent tousiours en souci, craignans de trebuscher pour la seconde et troisieme fois quand desia il y a eu une cheute mortelle: et puis, que neantmoins ils prenent courage, et qu'ils se confient eu Dieu pour marcher franchement, d'autant qu'ils scavent qu'il ne leur defaudra iamais.

Voyla donc ce que nous avons à prattiquer, c'est que d'un costé nous pensions, à nos pechez et offenses, et que nous soyons esmeus d'horreur, voyans que nous avons merité que Dieu se dresse contre nous, et que cela nous face courber, qu'il nous cause une alleure tremblante, et que nous ne puissions quasi marcher. Voyla comme nous devons estre abbatus et humiliez sous la main de Dieu. Car il n'est pas question yci d'estre trop revesches, mais plustost il nous faut cognoistre que la principale vertu des fideles, quand Dieu les afflige et les punit, c'est d'estre comme aneantis, et cependant toutesfois qu'en trainant les ailes nous allions tousiours nostre train, puis qu'il plaist à Dieu nous faire misericorde, et que nous cognoissions qu'encores que nous l'ayons offensé, il veut toutesfois continuer sa bonté envers nous, il nous veut donner courage: et que pourtant nous soyons alaigres d'un autre costè. Voyla en somme ce que nous avons à retenir yci d'Ezechias.

Apres il adiouste, Que l'amertume luy est venue amere en sa prosperité. Yci il aggrave le mal, qu'il a senti, d'autant qu'il en avoit este saisi soudain, et qu'il pensoit estre à repos, et exempt d'affliction: comme au contraire nous scavons que ce qui est preveu de loin sera enduré plus patiemment. Car qui est cause de nous descourager si nous sommes en affliction, sinon qu'un chacun durant la prospérité se fait à croire que tout ira bien? Si un homme pensoit à la mort de son pere, ou de sa femme, ou de ses enfans, s'il pensoit toute sa vie estre subiet à tant de calamitez, il est certain qu'il seroit muni contre toutes tentations, tellement qu'il ne s'en trouveroit pas si espouvanté quand elles advienent: mais pource que chacun se deçoit en vaine esperance, voyla qui nous trouble outre mesure, quand nostre Seigneur nous envoye quelque adversité. Or Ezechias confesse qu'il luy en est ainsi advenu, et voyla pourquoy il dit que son amertume a este tant plus amere, d'autant qu'elle

556

luy est advenue en sa prosperitè Car nous avons veu par ci devant comme Dieu l'avoit affligé iusques an bout, ascavoir quand il fut despouillé de son royaume, et que tout le pays fut pillé par ses ennemis. Il e toit assiegé en la ville de Ierusalem, il estoit là mastiné, on se mocquoit de luy, on luy faisoit toutes les contumelies et opprobres qu'il estoit possible mesme le nom de Dieu estoit blasphemé vileinement. Voyla donc Ezechias qui est du tout confus. Sur cela Dieu le delivre miraculeusement, comme s'il descendoit du ciel à son secours. Luy voyant ceste desconfiture si grande qui avoit este faite par la main de l'Ange, s'esiouit et non sans raison. Car Dieu luy en donnoit matiere, ayant declaré un tel signe de faveur envers luy, comme s'il eust reformé tout le monde à son aveu. Mais il y a une faute, quoy qu'il en soit: c'est qu'il ne pense plus à son affliction passee, et se repose par trop, c'est à dire qu'il s'anonchalit. Et voyla pourquoy maintenant il dit que son amertume luy est survenue en sa paix et en sa prosperité.

Or yci nous avons une admonition bien utile, ascavoir que quand nous cognoissons les graces de Dieu, il nous faut tellement esiouir, que cependant nous n'oublions point le temps passé, et qu'à l'advenir nous ayons tousiours nostre condition devant les yeux, c'est qu'il ne faudra que tourner la main, que nostre vie se convertira en mort, et nostre clarté en tenebres: comme nous voyons les changemens divers en ceste vie caduque. Brief, magnifions tellement la bonté de Dieu, quand il nous assure qu'il nous maintiendra en paix et à nostre aise que cependant nous regardions tousiours quelle est nostre fragilitè, et que nous ne soyons point esblouis quand Dieu nous benira, et qu'il nous envoyera tout à souhait: que cela, di-ie, ne nous face point trop endormir, mais qu'un chacun s'appreste quand il luy plaira nous envoyer quelque changement, pour recevoir tousiours en crainte, en humilitè, et en toute patience, ce qu'il nous voudra envoyer. Si nous en faisons ainsi, nous ne trouverons point la main de Dieu si griefve ne si pesante comme nous avons accoustumé de faire. Mais quand nous sommes par trop endormis, encores que nous cognoissions la grace de Dieu de laquelle nous iouissons presentement, il faudra qu'il nous esveille, voire et qu'il nous tire bien rudement l'aureille, me, me qu'il frappe à grans coups sur nous. Et nous en avons yci l'exemple au Roy Ezechias, comme aussi en David. Car au Pseaume trentieme, il confesse qu'il s'estoit tellement enyvré que la felicite luy avoit fait oublier sa condition: I'ay dit en mon abondance, ie ne seray plus iamais esbranlé. Et comment? David avoit eu tant d'aiguillons pour estre picqué, il avoit este exercé en

SUR LE CANTIQUE D'EZECHIAS.

557

tant de sortes pour tousiours penser que c'est de la vie humaine, et en avoit tresbien fait son profit. Car il avoit este longue espace de temps comme en l'ombre de mort, il avoit esté persecuté de tout le peuple, estant captif entre ses ennemis, et n'ayant point quasi une minute de repos. Or quand Dieu l'a mis au siege Roy:, il conclud qu'il ne bougera iamais, et qu'il y demeurera paisible. Si David, ayant l'esprit de Dieu en telle excellence comme nous scavons, ayant eu tant d'espreuves pour estre du tout ravi à Dieu, neantmoins s'est ainsi oublié, que sera-ce de nous? Là dessus il adiouste, C'estoit sur ta bonté gratuite que i'estoye appuyé, Seigneur, tu m'avois establi comme en une montagne, mais tu as destourné ta face, et me voyla troublé. Ainsi il monstre son ingratitude en cela. Car combien qu'il n'eust pas du tout oublie les benedictions qu'il avoit receuës de la main de Dieu, si est ce toutes fois qu'il ne pense point, Dieu m'a delivré un coup, afin que i'aye tousiours mon recours à luy, cognoissant que ma vie est pendante comme d'un filet sinon que son fondement soit là en sa bonté, et que de minute en minute il besongne, et confessant qu'incontinent ce seroit fait de moy, s'il ne continuoit à m'aider. David ne pense point à cela: aussi il cognoist qu'il a failli, et là dessus il adiouste, Seigneur tu as caché ta face, et me voyla troublé. Ainsi en est-il d'Ezechias. Il est en paix, et soudain voyci Dieu qui le navre, tellement que la playe est mortelle, et il ne peut concevoir sinon un tel estonnement, comme si Dieu foudroyoit du ciel. Il faut donc qu'il reçoive une terrible amertume. Or appliquons ceste doctrine à nostre profit, et n'attendons pas que Dieu nous face recognoistre nostre infirmité à force de coups: mais encore qu'il nous espargne et qu'il ait pitié de nostre foiblesse, que nous ne laissions pas de penser à luy: et que nous le craignions, nous tenans cachez comme sous ses ailes, cognoissans que nous ne pourrions subsister une seule minute, sinon par son aide. Au reste, si quelque fois nous sommes surprins, cognoissons que c'est d'autant que nous estions par trop endormis.

Il adiouste puis apres Que Dieu a delivre son ame. Mais il use d'une façon de parler qui emporte plus. Il dit, Tu as aimé mon ame, ou tu y as prins ton bon plaisir, Afin de la retirer du sepulchre. Par ceste circonstance il magnifie la bonté de Dieu tant plus, pource qu'il est venu chercher iusques au sepulehre. Car si Dieu nous entretient il est vray que nous cognoissons que nous sommes tenus à luy, mais c'est bien froidement: mais s'il nous delivre de la mort, alors nous appercevons mieux combien il est bon, de ce qu'en telle extremité il est descendu comme iusques à nous. Car il nous semble quasi qu'il n'y a pas grande obligation,

558

si Dieu nous conserve en ceste vie, pource que nous prenons cela comme un ordre naturel. Il

est vray que nous deverions tantplus qu'il nous espargne, sentir sa bonté paternelle: mais nous ne le faisons pas, et ainsi à cause de nostre stupidité

il faut que Dieu besongne d'une façon diverse. Or donc (comme i'ay desia dit) si Dieu nous retire comme du sepulchre, que nous ayons este comme pour un temps delaissez, et qu'il semblast que nous fussions retranchez de toute esperance, que mesmes les hommes ne daignassent nous regarder comme si nous estions de povres eharongnes pourries: si là dessus Dieu a pitié de nous, en cela il donne tant plus grand lustre à sa misericorde, et avons occasion de recognoistre tant plus quelle bonté et iustice infinie c'est, de ce que Dieu nous a ainsi retirez de la mort. Voyla qu'a voulu dire Ezechias. Seigneur (dit-il) tu as aimé mon ame. Et comment? y a oit-il quelque chose qui peust inciter Dieu à l'aimer? helas non, car ce n'estoit rien qu'une ombre, une chose morte. I'estoye, dit-il, au sepulchre, et alors tu as declaré ton amour envers moy. Quand donc nous serons desfigurez du tout, et, que Dieu neantmoins daignera bien ietter sa veuë sur nous, et en avoir le soin, en cela nous devons beaucoup plus estre enflammez à benir son nom, et luy rendre telle louange que fait yci le bon Roy Ezechias. Voyla donc en somme ce que nous avons à retenir de ce passage: c'est d'autant que Dieu voit que nous ne sommes point assez touchez des biens qu'il nous fait, et de ses graces, qu'il faut que nous soyons tellement abbatus, et en telle extremité, qu'il n'y ait plus esperance de vie: et mesmes que quand nous serons comme reiettez de luy et des hommes, que sur cela il nous reçoyve à merci. Voyla donc comme nous sommes touchez à bon escient pour luy rendre graces, cognoissans qu'il n'a rien cognu en nous que nos miseres, quand il a desployé sa misericorde.

Or cependant il dit aussi d'autre costé, Seigneur ceux qui vivront outre, cognoistront que la vie de mon esprit a este prolongee. Il est vray que ce passage, à cause qu'il y a grande briefveté, est obscur: car ce n'est point une sentence couchee tout au long, mais ce sont quasi mots rompus. Il dit en somme, Seigneur, ils vivront entr'eux, et en eux tous la vie de mon esprit: tu m'as assopi, et tu m'as vivifié. Pource qu'il ne parle point yci des annees au commencement du verset, et aussi qu'il n'exprime point ceux qui vivront, voyla qui cause la briefveté: mais quand nous aurons regardé tout de pres, il est certain qu'Ezechias a voulu dire que le miracle qui avoit este fait en sa personne seroit cognu non seulement pour un iour, mais encores apres son trespas. Il est vray qu'aucuns exposent que Dieu prolongera aussi bien la vie à d'autres:

TROISIEME SERMON

559

mais cela ne viendroit nullement à propos. Car Ezechias n'a pas voulu dire que ce fust un benefice commun ne vulgaire: plustost il a senti que Dieu avoit besongné envers luy d'une façon extraordinaire. Voyla donc où tend son propos: C'est que ce miracle de Dieu ne sera iamais mis sous le pied: mais encores qu'il soit décédé, qu'on en parlera. Par ci devant il avoit dit, Il me souviendra tout le temps de ma vie de ce que i'ay este chastié, et sentiray les coups, car i'iray comme tremblant. Maintenant il estend plus au long et au large ce qu'il avoit dit, c'est ascavoir que non seulement il sera humilié devant Dieu, mais que tout le monde aura occasion de dire, Voyci un acte digne de memoire perpetuelle que Dieu a fait à un homme: car nous devons aussi desirer que tous les biens que Dieu nous eslargit, soyent cognus des autres, afin qu'ils y prennent exemple, et qu'ils s'en servent à edification. Et nous voyons que quand Dieu vent estre exaucé en ses requestes, il adiouste quasi tousiours ceste raison: c'est que chacun y pensera que les bons en seront edifiez, et les meschans confus. Seigneur, dit-il, quand on verra que tu assistes ainsi aux tiens, tous ceux qui t'invoquent s'esiouiront, et seront tant plus confermez en attendant le semblable: et puis les meschans seront confus: et encores qu'ils se mocquent maintenant de la fiance que i'ay en toy, en voyant que tu m'as afflige, s'ils cognoissent que ie n'ay point este frustré quand i'ay ainsi eu mon recours à toy, ils en seront estonnez. Autant donc en dit maintenant Ezechias, c'est ascavoir que non seulement ce miracle de Dieu luy profitera, mais à tous autres: comme ç'a este une chose cognue et notoire par tout. Et puis il amplifie que cela ne sera point pour un petit de temps, mais qu'encores apres son trespas, d'autant que sa vie luy a este ainsi prolongee, il en sera aussi parlé à iamais, car (dit-il) tu m'as assopi. Ce mot d'assopir emporte qu'il estoit comme au sepulchre, et puis qu'il a este vivifié, comme de faict encores ce miracle est auiourd'huy celebré en l'Eglise de Dieu, et sera iusques a la fin du monde.

Ainsi donc nous voyons comme il n'a pas seulement proufité à une seule personne, mais que ç'a este une confirmation en general à tous fideles à ce qu'ils attendent que Dieu aura pitié d'eux en la necessité pour les secourir, et combien qu'il ne leur prolonge point la vie en telle façon, que neantmoins il les gardera iusques en la fin, et que s'il les voit abbatus, il les relevera: il leur donnera quelque signe de sa pitié, tellement qu'en la vie et en la mort ils le sentiront tousiours leur Sauveur, et cognoistront qu'ils n'ont point este delaissez, ni abandonnez de luy. Voyla aussi à quoy a proufité ce Cantique et à quelle intention il a este composé.

560

Or nous devons bien avoir une affection pareille qu'Ezechias, c'est que nous taschions, entant qu'en nous sera, que les graces de Dieu soyent cognues de tout le monde, encores qu'elles nous appartiennent. Car quand Dieu fait du bien à un chacun de nous, il ne faut pas que seulement en secret nous le remercions, nous sentans obligez à luy, mais que nous taschions de publier cela, afin que les autres soyent confermez, et qu'ils esperent en Dieu, voyons une telle approbation de sa bonté envers ceux qui l'invoquent: et aussi que la louange luy en soit rendue en commun: comme S. Paul dit que quand les fideles par tout loueront Dieu de ce qu'il a este delivré, et que ceste action de graces retentira, que cela sera cause que tousiours Dieu le delivrera tant plus, afin que louanges aussi luy soyent rendues par plusieurs. Il est vray que souvent nous prescherons les graces de Dieu telles que nous les avons senties, mais beaucoup le feront tant par ambition que par hypocrisie: car faisans semblant de magnifier le nom de Dieu, ils attirent une partie de la louange à eux. Craignons cela, et que nous ayons une affection droite et pure, tellement que chacun apprene de regarder à Dieu, et d'y avoir son esperance du tout arrestee: et puis, que nous ayons ce zele et cest ardeur, que toutes creatures nous tienent compagnie, quand il est question de benir le nom de Dieu. Et au reste quand Dieu nous aura comme amortis, et qu'il nous aura derechef vivifié par sa grace, que cela nous esmeuve tant plus à le louer. Il est vray qu'il n'y a si petit bien qui ne merite action de graces: et quand nous appliquerons toua nos sens à remercier Dieu seulement de ce qu'il nous nourrit, en ores ne pourrons nous pas nous acquitter de la centieme partie de nostre devoir: mais si Dieu use d'une façon plus excellente pour declarer sa faveur envers nous, et que les biens qu'il nous fait soyent quasi admirables et incomprehensibles aux hommes, l'obligation croist d'autant plus, et y a tant moins d'excuse, sinon qu'alors nous soyons enflammez de le louer à plene bouche, et de prescher par tout sa bonté qu'il nous a fait sentir.

Apres cela Ezechias adiouste, Que Dieu? a ietté derriere le dos ses pechez. Ici; il nous ramene à ce que nous avons veu ci devant, c'est ascavoir que ce qu'il a enduré, c'estoit le payement qui luy appartenoit pour ses fautes: et que maintenant ce que Dieu luy est propice, ç'a este d'autant qu'il a caché et enseveli ses offenses, lesquelles luy avoyent apporté tout le mal. Or ceste sentence merite bien d'estre notee: car (comme nous avons declaré par ci devant) encores que nous scachions bien que les adversitez ne nous advienent pas de cas d'aventure, mais que c'est la main de Dieu qui

SUR LE CANTIQIJE D'EZECHIAS.

561

frappe sur nous, si est-ce que nous ne pouvons pas venir à la cause comme nous deverions: et cela est en partie d'autant que chacun se flatte en ses vices, et en partie aussi pource que nous n'entrons point en iugement ou en examen de nostre vie pour scavoir si elle est bien reglee: car il nous fasche d'estre tormentez de nostre bon gré, et si faut-il neantmoins venir là: car C'est le vray signe de repentance, quand les hommes d'eux-mesmes sondent leurs pechez, et qu'ils n'attendent pas que Dieu les y force: mais qu'ils se presentent à luy et qu'ils s'adiournent, qu'il ne leur faut point né sergent ni officier, mais qu'ils s'examinent pour dire, Helas! comment est-ce que i'ay vescu? comment en suis ie avec Dieu? Quand donc les hommes de leur bon gré entrent en telle cognoissance, en cela ils declarent que Dieu les a touchez par son sainct Esprit: mais c'est une chose bien rare, comme i'ay dit: car d'un costé l'hypocrisie nous empesche que nous n'examinions point nos vices et qu'on ne les descouvre: nous voulons tousiours fuir ceste honte-là, et mesmes nous cachons le mal, voire nous disons le mal estre bien, et nous faisons à croire que nous n'avons point offensé Dieu, ou bien nous amoindrissons nos fautes comme si ce n'estoit rien, et s'il ne faloit sinon torcher nostre bouche. Voyla donc comme nous sommes transportez par l'orgueil et l'ambition qui est enracinee en nostre nature, quand nous ne venons point droitement à Dieu en cognoissant quels nous sommes. Et puis d'autre costé, il y a que nous voudrions fuir toute tristesse, comme naturellement c'est une chose fascheuse. Or il n'y a tristesse si grande, que quand nous pensons que Dieu est nostre Iuge, et que nous sommes malfaiteurs devant luy, car là nous sentons ce qui a este dit par ci devant, qu'il brise nos os comme un lion: c'est une chose si terrible que l'ire de Dieu qu'il ne se faut point esbahir si nous la fuyons. Et c'est un vice toutesfois, car il ne nous faut pas ressembler à ceux qui sont tellement eslourdis, qu'ils ne veulent nullement penser à ce qu'ils ont merité envers Dieu, c'est ascavoir aux chastimens dont ils sont dignes. Pour ceste cause tant plus nous faut-il noter ceste doctrine, là où Ezechias nous rameine par son exemple à cognoistre nos pechez, toutes fois et quantes nostre Seigneur nous traitte rudement, que non seulement nous scachions que c'est sa main qui nous afflige, mais qu'aussi il nous fait alors nostre proces, et qu'il nous redargue des offenses que nous avons commises, et d'autant que nous n'avons pas voulu venir de nostre bon gré passer condamnation devant luy, et luy demander pardon, qu'il faut qu'il nous y attire par force. Voyla le premier que nous avons à retenir de ce passage.

562

Or le second est que quand Dieu retire sa main qu'il voit appesantie sur nous, voyla un signe pour monstrer qu'il nous est propice, et qu'il ne nous veut plus imputer nos pechez. Vray est que quelque fois Dieu, apres avoir affligé les meschans et reprouvez, les laissera là, et ils s'esgayeront plus que devant comme desia nous avons dit: mais yci Ezechias monstre comme nous devons sentir la bonté de Dieu quand il nous donne quelque relasche, quand il nous releve de quelque maladie, qu'il nous delivre de quelque danger, qu'il nous soulage en povreté, et quand nous avons eu quelque trouble ou moleste, il nous en retire. Si donc nous sommes faschez et contristez, ce n'est pas assez de sentir le mal, mais il nous faut regarder le principal et venir comme à la source. Un petit enfant quand il criera, si tost qu'on luy baillera la mamelle, le vo là appaisé. Et pourquoy? Il succe: le voyla content: car il n'a point d'apprehension pour aller plus outre qu'à la faim, il ne scait mesme dont procede la viande, il n'en scait nul gré à celle qui luy donne sa substance: car il n'ha ne sens ni raison. Mais un homme qui sera desia en asge de discretion, quand il verra son pere courroucé contre luy, lequel luy dira, va vilein, sors de ma maison: il est certain que ce regret le presse plus au vif d'estre ainsi reietté de son pere, que d'endurer la faim et la soif, et toutes les povretez qu'il est possible de penser. Or si le pere puis apres luy pardonne à la requeste de quelques amis ou bien qu'il soit induit à cela voyant son fils estre desplaisant de l'avoir offensé, et qu'il luy dise, Retourne, disne: si l'enfant ha quelque raison, il ne se souciera pas tant de disner, que d'estre retourné en la grace et en l'amour de son pere, tellement qu'il aimeroit mieux iusner, et endurer faim et soif, que de donner iamais occasion à son pere de le reietter ainsi: et est plus aise beaucoup de ce que son pere luy a ainsi pardonné, que de boire et de manger son soul.

Applicquons maintenant ceci à nostre usage. La plus part sont comme petis enfans: si Dieu est tantost appaisé envers eux, et qu'il retire sa main, tellement qu'ils n'ayent plus occasion de se contrister au dehors, alors ils s'esiouiront, et loué soit Dieu, diront-ils, qui m'a retiré de ceste maladie: mais en disant, loué soit Dieu, ils ne pensent nullement à luy, ils n'entrent point en cognoissance de leurs pechez, et ne regardent pas la cause pourquoy Dieu les avoit affligez: ils ne cognoissent pas aussi quand ils sont soulagez, que c'est d'autant qu'il les aime et leur est favorable. Et neantmoins voyla où se devoit addresser toute leur ioye, et non pas de dire, Me voyci dehait. Celuy qui aura este en quelque danger, s'il s'en voit delivré, le voyla, à son aise de n'estre plus en ce torment où il estoit:

TROISIEME SERMON

563

mais cependant regarde-il que le principal bien et la souveraine felicité des hommes c'est qu'ils soyent reconciliez à Dieu? Non: cela ne vient point en memoire. Tant plus donc nous faut-il retenir ceste doctrine, là où Ezechias ne dit point seulement, Ie suis maintenant debout, et Dieu m'a voulu relever, ma vie est prolongee, comme il a dit par ci devant: mais il s'arreste là du tout, c'est assavoir, Dieu m'a pardonné mes fautes, il m'a receu à merci, il ne m'impute point les offenses que i'ay commises: il m'a fait une telle remission que maintenant ie luy suis agreable. Il ne veut plus entrer en conte avec moy comme mon Iuge: car il a oublié tous mes pechez, et les a iettez derriere son dos. Voyla donc où Ezechias nous amene par son exemple. Et ainsi, toutes fois et quantes que nous serons affligez de la main de Dieu, apprenons d'entrer tousiours en examen de nos pechez: et quand nous demandons à Dieu qu'il nous delivre que nous ne mettions point la charrue devant les boeufs, mais que nous le prions qu'il nous reçoyve à merci. Et combien que nous ayons desservi mille fois plus d'afflictions qu'il ne nous en fait endurer, que toutesfois il ne laisse point de nous estre propice: et quand il nous aura remis au dessus, que nous luy rendions louanges, non seulement du bien qu'il nous fait selon le corps, mais de ce qui est beaucoup plus à priser, c'est ascavoir qu'il a oublié toutes nos offenses, et qu'il est tellement rentré en grace avec nous, qu'il nous accepte comme ses propres enfans, pource qu'il destourne sa face de nos pechez. Car cependant que Dieu regarde nos pechez, il ne peut nous regarder qu'avec desdain et n'y a que toute horreur. Il faut donc que Dieu, pour nous regarder d'une face propice et favorable, ait premierement oublié nos pechez, et qu'il n'y pense plus. Il est vray que quand nous parlons ainsi de Dieu, c'est à la façon des hommes: car nous scavons que tout est present devant Dieu. Mais quand nous disons qu'il faut qu'il .oublie nos pechez, qu'il n'y regarde plus, c'est pour exprimer qu'il ne nous en veut point appeler en conte, mals qu'il nous aime comme si iamais nous ne l'avions offensé.

Au reste, par ceste façon de parler dont use Ezechias, nous voyons quelle est la remission de nos pechez, c'est ascavoir que Dieu les iette derriere le dos, et les y iette en telle sorte qu'il ne nous en punit plus, et n'en demande nulle vengeance: et ceci est bien à noter. Car le diable s'est tousiours efforcé d'obscurcir ceste doctrine, pource que c'est le principal poinct de nostre salut: et (comme il nous est monstré en l'Escriture saincte) il n'y a autre iustice ne saincteté que ceste remission gratuite des pechez. Bien heureux est l'homme (dit David) duquel les pechez sont pardonnez. S. Paul

564

dit que par cela nous voyons quelle est nostre iustice, et que David en a fait un brief sommaire. Pour ceste cause donc le diable a tousiours tasché par subtils moyens de divertir les hommes de cela, afin qu'ils ne cognoissent pas quel besoin ils ont de ceste remission des pechez. Comme en la Papauté nous voyons d'un costé qu'ils disent que quand Dieu nous pardonne nos pechez, ce n'est sinon qu'avec repentance et confession, et puis outre cela, qu'il faut encore que nous apportions quelque recompense, et si Dieu nous pardonne la coulpe, qu'il se reserve la punition comme Iuge: et que ce seroit deroguer à sa maiesté si nous disions qu'il pardonnast à pur et à plein, et qu'il faut que tousiours il monstre quelque rigueur avec sa misericorde, et qu'autrement ce seroit le despouiller de sa nature. Voyla comme les Papistes ont disputé de la remission des pechez, tellement que si on leur dit que Dieu nous pardonne nos fautes par sa pure bonté, cela leur est comme un blaspheme. Car il faut (disent-ils) que nous apportions nos satisfactions. Et quelles sont-elles? des oeuvres outre mesure que nous facions plus que Dieu ne nous commande en sa Loy. Il est vray que ce sont propos execrables: mais quoy qu'il en soit, le povre monde a este ainsi enyvré en telles sorcelleries. D'autant plus donc nous faut-il bien noter les passages où il est dit que Dieu, en nous recevant à merci, ne vent plus entrer en conte avec nous, comme Ezechias dit yci. Tu as mis mes pechez derriere le dos. Il est vray. que Dieu ha point de dos ne d'estomach, car nous scavons que son essence est infinie et spirituelle, mais il use de ceste similitude pour signifier qu'il nous pardonne nos pechez: comme aussi quand il est dit qu'il les iette au profond de la mer: c'est comme s'il n'en vouloit plus avoir memoire, ne qu'il en fust parlé, ne fait mention aucune.

nous voyons donc en somme quand Dieu nous reçoit, tellement qu'il est reconcilié avec nous, que ce n'est pas seulement pour nous pardonner la coulpe (comme les Papistes ont imaginé, et qu'ils iargonnent sans propos) mais c'est afin de nous faire sentir sa faveur en tontes sortes, et de ne plus nous poursuyvre: et au lieu que nous estions affligez de sa main, et qu'il nous donnoit par cela tesmoignage de son ire, qu'à l'opposite il nous fait cognoistre qu'il nous tient comme ses enfans, et qu'il nous veut traitter tendrement, monstrant l'amour qu'il nous porte Voyla en somme ce qu'Ezechias a voulu dire, usant de ceste façon de parler, que Dieu avoit mis tous ses pechez derriere le dos.

Or il est vray que souvent, encores que Dieu nous ait pardonne nos fautes, il ne laissera pas de

SUR LE CANTIQIJE D'EZECHIAS.

565

nous chastier, comme il en est advenu à David: mais ce n'est sinon pour nostre bien et profit qu'il le fait, afin que nous cheminions tant plus songneusement à l'advenir. I'ay desia dit que Dieu envoye ses punitions en telle sorte qu'il en demeure tousiours quelque marque pour nous en faire souvenir Dieu donc nous affligera bien encore qu'il nous soit propice: mais toutes ces deux choses ne sont pas incompatibles c'est ascavoir qu'il mette nos pochez derriere le dos, qu'il nous reçoyve quant et quant à merci, et nous face prosperer par sa benediction, et que cependant il ne nous veuille pas neantmoins nourrir en nostre paresse, mais nous resveiller, et faire sentir quelque signe de son ire, afin de la prevenir: cependant toutesfois s'il nous veut declarer plenement la remission de nos pechez, il nous en donnera bien quelques fois les signes exterieurs, c'est à dire, il nous donnera un tel goust de sa bonté, que nous apperceverons que vrayement il nous a fait merci, et qu'il est impossible qu'il usast envers nous d'une telle grace et humanité, sinon d'autant qu'il ne veut plus nous examiner en nos fautes, qu'il nous quitte à pur et à plein, et qu'il ne demande sinon que nous cheminions avec luy comme estans d'accord, et vrayement reconciliez à sa maiesté.

Voyla donc comme Dieu nous declare la remission de nos pechez, non seulement par sa parole, et au dedans par son sainct Esprit, mais aussi par les fruits, c'est à dire, quand par sa benediction il nous fait prosperer, et qu'il nous traitte si doucement que nous sommes convaincus qu'il use d'une bonté paternelle envers nous. Quand donc nous aurons ces signes-la, concluons hardiment que Dieu nous a pardonné nos pechez, et qu'il les a mis derriere le dos pour ne les plus examiner, et pour ne s'en souvenir iamais. Ainsi donc, toutes fois et quantes que nous serons affligez de la main de Dieu, qu'il nous souviene que non seulement il s'est monstré bon envers ceux qu'il a retirez de ce monde, et qui ont autres fois eu des afflictions rudes et fascheuses, mais qu'il leur a pardonné leurs pechez, et scachons qu'il usera de la mesme bonté envers nous: et en ce faisant nous apprendrons de nous humilier pour l'advenir, et puis la grace de Dieu aura tant plus grand lustre, d'autant que non seulement il nous aura traittez en toute douceur quant au corps, mais aussi qu'il n'aura point regardé à nos fautes, et nous aura monstré que combien que nous eussions provoqué son ire, et luy eussions donné occasion de nous laisser tousiours en nos miseres, toutesfois il ne nous veut point traitter à la rigueur, mais qu'il nous veut attirer à soy par sa bonté et misericorde infinie.

Or nous-nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu, en cognoissance de nos fautes,

566

le prians que de plus en plus il nous les face sentir: et que ce soit pour nous humilier en telle sorte que venans à luy nous n'apportions sinon une pure et simple confession de nos pechez: et que cependant il nous donne un tel goust de sa bonté que nous ne laissions pas de recourir à luy, encore que nos consciences nous redarguent et nous condamnent, que nous embrassions sa grace qu'il nous a promise au nom de nostre Seigneur Iesus Christ: et toutes fois et quantes qu'il nous la fait sentir par experience, que nous en scachions faire nostre profit, et que nous soyons tellement munis contre toutes tentations, que iamais nous ne defaillions sous le fardeau, quelque fascheux et pesant qu'il soit. Que non seulement il nous face ceste grace, mais à tous peuples etc.

QUATRIEME SERMON.

18. Car le sepulchre ne te chantera point, et les morts ne te loueront point, et ceux qu'on devalle en la fosse ne s'attendront point à ta verité. 19. Le vivant, le vivant chantera de toy, comme moy auiourd'huy: le pere fera scavoir ta verité à ses enfans. 20. Le Seigneur est pour me sauver: et nous chanterons tous les iours de nostre vie un cantique au Temple du Seigneur. 21. Isaie dit, Qu'on prene une masse de figues: qu'on en face un emplastre sur la playe et il sera guari. 22. Or Ezechias avoit dit, Quel signe auray-ie que ie doyve monter en la maison du Seigneur?

Il est bien certain que si nostre vie estoit reglee comme elle doit, nous aurions tousiours ce but principal, cependant que nous sommes au monde, d'honorer Dieu. Et aussi c'est bien raison d'applicquer là toute nostre estude, puis que sans fin et sans cesse nous experimentons tant de graces qu'il nous fait. Pour ceste cause maintenant Ezechias, apres avoir cognu que Dieu luy avoit prolongé sa vie, et luy voit donné tesmoignage d'une amour singuliere envers luy, dit que de tant meilleur courage il magnifiera le nom de Dieu, pour luy faire recognoissance d'un tel benefice. Et notamment il adiouste que ce ne sera point seulement cependant qu'il sera au monde qu'il taschera que Dieu soit benit, mais que pour ses successeurs il s'efforcera que tousiours on cognoisse comme Dieu a besongné envers luy. Et finalement pour conclusion il dit qu'il n'y a que Dieu pour Sauveur, et que si on se repose en luy, le salut sera certain et infallible. Mais cependant on pourroit trouver estrange qu'il dit que la mort ne sera point pour louer Dieu le la sepulchre: car il semble qu'il ne

QUATRIEME SERMON

667

prise et ne cognoisse autre bonté de Dieu, sinon quand il entretient les hommes en ceste vie caduque.

Or si nous ne regardons qu'yci bas, nostre foy sera bien debile, et nous scavons que nous ne vivons à autre condition sinon pour gouster en partie la bonté de Dieu, afin d'estre attirez plus haut, et mesmes d'estre du tout ravis à la vie celeste. Il semble donc qu'Ezechias soit trop addonné au monde, et que mesmes il n'ait nulle appréhension du Royaume spirituel de Dieu. Car en disant que le sepulchre ne peut louer Dieu, ne ceux qui sont trespassez, il semble qu'il n'ait autre regard qu'à ceste vie presente. Et nous savons qu'il est dit en premier lieu, que Dieu veut estre glorifié en nostre mort aussi bien qu'en nostre vie. Et S. Paul pour ceste cause dit qu'il ne luy chaut soit de vivre, ou de mourir, moyennant que la gloire de Dieu en soit tousiours avancee. Il semble bien qu'il S ait grande diversité entre S. Paul et Ezechias: car l'un fuit la mort, et l'ha en horreur, alléguant que les trespassez ne loueront point Dieu: l'autre dit, ce m'est tout un que ie vive ou que ie meure: car Dieu sera tousiours glorifié en moy. Et si nous regardons à l'estat des trespassez, selon qu'ils sont retirez du monde, et que Dieu les a approchez de soy, il semble bien qu'ils soyent plus disposez et plus alaigres à benir son Nom. Car cependant que nous sommes yci appesantis en ceste prison de nostre corps, nous ne pouvons pas ouvrir la bouche à demi (par maniere de dire) pour louer Dieu: nous n'y allons pas d'un si franc courage ne d'une ardeur si vehemente comme il seroit requis. Or les morts ne sont pas ainsi empeschez, ils ne sont pas comme nous absens de Dieu (ainsi que S. Paul en parle en la seconde des Corinthiens) ils peuvent donc tant mieux s'accorder avec les linges de paradis en ceste melodie. Et nous scavons ce qui est dit des Anges (comme aussi nous l'avons veu au sixième chapitre) qu'incessamment ils crient, Benit soit le Seigneur des armees, le Sainct, le Sainct, le Sainct. Selon donc que nous pouvons iuger, ceux que Dieu a retirez de ceste vie caduque doyven mieux estre appareillez à louer son Nom. lais notons en premier lieu qu'Ezechias a yci regardé pourquoy Dieu nous a mis au monde, et pourquoy il nous y entretient. Il ne demande aucune recompense de nous: il n'est pas comme un homme qui mettra des serviteurs en sa maison: car c'est pour faire valoir ses terres, et en avoir le profit. Ce n'est pas aussi comme un grand prince lequel demandera d'avoir beaucoup de subiets, car il en sera maintenu, et au besoin il en aura secours Mais Dieu ne pretend nul avantage de nous, comme aussi il n'en ha nul besoin, seulement il veut que nous luy facions hommage de

668

tant de benefices qu'il nous eslargit. Car toute nostre vie se doit rapporter (comme desia nous avons touché à ce but la, que nous benissions Dieu, et que nous rendions tesmoignage que ses benefices n'ont point este perdus envers nous, comme ils seroyent si nous estions comme muets.

Voyla donc ce que nous avons a observer, que Ezechias, en disant que les vivans loueront Dieu, a voulu noter que les hommes pervertissent l'ordre de nature, quand ils ne s'applicquent point à louer Dieu, et que leur ingratitude n'est nullement excusable, quand ils ensevelissant les graces de Dieu, et les mettent en oubli. Puis qu'ainsi est donc que nostre Seigneur ne cherche de nous sinon que son Nom soit glorifié en ce monde, il ne se faut point esbahir si Ezechias dit, Le vivant, le vivant louera Dieu. Et mesmes il nous faut aussi noter quelle difference il y a entre la condition des vivans et des morts. Encores que les morts louent Dieu, si est-ce que nous ne pouvons pas iuger n'imaginer qu'ils soyent assemblez à Nostre façon, afin de monstrer un accord de leur foy. Chacun d'eux pourra bien louer Dieu en son endroit, et cependant ce n'est pas qu'ils soyent recueillis en un corps, comme nous sommes maintenant, car l'Escriture ne dit rien de cela. Et il ne faut point que nous forgions à nostre teste des fantasies comme bon nous semblera. Car nous scavons que Dieu reserve au dernier iour ceste perfection, que nous soyons tous unis et que nous soyons tellement conioints à nostre Dieu, que sa gloire reluise plenement en nous. D'autant donc que les trespassez n'ont pas une telle façon de s'exercer à louer Dieu comme nous: voyla pourquoy il est dit que c'est une chose qui appartient proprement à nous vivans. Mais il y a encores d'avantage, car Ezechias ne parle pas yci simplement de la mort, selon que nous en avons touché desia, mais il qualifie la mort, comme s'il eust esté retranché de l'Eglise de Dieu, et de toute esperance de salut, quand ce iugement fust venu à estre executé, ou bien comme s'il eust este devant son Iuge. Ezechias donc ne s'apprestoit pas à mourir, comme de nature nous ne pouvons fuir ceste necessité, mais il avoit ce tesmoignage de l'ire de Dieu, duquel il estoit autant effrayé comme si tout eust este perdu pour luy. Or nous scavons que nul ne peut chanter les louanges de Dieu, sinon qu'il en ait occasion et matiere, car quand nostre Seigneur nous monstre une face terrible, nous avons la bouche close, nous sommes saisis de telle angoisse qu'il est impossible que nous le benissions: plustost au contraire il n'y aura que grincement de dents quand l'ire de Dieu nous aura ainsi estonnez. Voila comme en estoit Ezechias.

A l'opposite, quand Dieu se monstre propice envers nous, et qu'il nous monstre quelque signe

SUR LE CANTIQUE D'EZECHIAS.

569

de sa faveur, il nous ouvre la bouche, comme il est dit au Pseaume cinquante et unième: Seigneur tu m'as ouvert ma bouche, et pourtant ie chanteray tes cantiques: et en d'autres passages, Seigneur, tu as mis un cantique nouveau en ma bouche. Par cela les Prophetes signifient, quand Dieu les a esiouis en les delivrant de quelque mal, que par ce moyen il les a exhortez à chanter ses louanges et benir son Nom, et avoir souvenance de ces graces. Ainsi donc quand nous n'apprehendons que toute frayeur en Dieu, nous sommes comme eslourdis: et voyla la porte fermee, tellement que nous ne pouvons point louer Dieu. Ainsi Ezechias en ce passage, disant que les morts ne loueront point Dieu n'entend pas en general tous ceux qui decedent de ceste vie transitoire, mais ceux qui sont comme retranchez de Dieu, et qui sont accablez de son ire, et qui ne goustent plus aucunement sa bonté, et sont desnuez et alienez de toute esperance de salut. Il est donc impossible que ceux-là louent Dieu. Il y a encores un autre poinct à noter. Car quand les fideles sont detenuz et opprimez de quelque destresse, ils ne voyent quasi goutte sinon en leur mal, et chacun l'experimente par trop en soy. Quand un mal nous a du tout abbatus, nous ne pouvons pas applicquer nos sens à autre chose, car nous sommes là retenus comme en une prison estroite. Ainsi donc en a este Ezechias. Comme aussi quand il est dit au Pseaume octantehuitieme, c'est une terre d'oubli que l'estat des trespassez, on ne scait là que c'est de Dieu: il semble bien que ce soit un blaspheme. Mais ces façons de parler procedent de la rudesse et infirmité des hommes, ascavoir d'autant qu'ils ne peuvent pas se recueillir, pour iuger d'un sens rassis, et avoir une cognoissance bien distincte et bien digeree: mais le mal les presse et les transporte tellement, qu'ils parlent comme à la volee et en confus. Voyla Iob qui dit que les hommes estans retirez de ce monde n'ont plus nulle solicitude, que chacun est en repos comme s'il y avoit un meslinge confus, que le valet et le maistre sont tout un, et que les tyrans alors ne donneront plus d'effroy. Il parle de l'estat des trepassez, comme si la mort estoit pour abolir tout. Toutesfois ce n'est pas qu'il eust ce iugement-là: mais c'est que sa tristesse ne luy permettoit point de parler comme un homme qui est en repos: car il avoit este agité d'inquietude telle, que ses propos estoyent esgarez.

Ainsi en pouvons-nous estimer d'Ezechias. Il ne parle point de l'estat et condition des trespassez comme l'Escriture nous enseigne. Et pourquoy? Sa tristesse et l'horreur qu'il conçoit dominoyent tellement en luy qu'il ne scait où il en est. Il est vray que cela n'est point à excuser: et voyla aussi

570

pourquoy Nostre Seigneur nous donne des miroirs de nostre fragilité, quand nous voyons que les plus saincts et les plus parfaits parlent ainsi, mais cependant Dieu a supporté Ezechias, pour ce que le principal luy demeuroit: comme desia nous avons veu que 80D but tendoit là, de glorifier le nom de Dieu: car il eust mieux aimé mourir cent fois, que d'estre une minute en ce monde, en profanant par ingratitude les biens que Dieu luy faisoit. Voyla donc Ezechias qui retient ceste regle, que les hommes ne de vent point appeter un seul iour de vie, sinon afin que Dieu en soit glorifié. Mais cependant ce qu'il est agité de si grans troubles qu'il ne peut pas distinctement parler comme il deveroit, cela procede de son infirmité, laquelle Dieu excuse et supporte: car ce n'est pas une désobéissance, d'autant qu'il y a en nos oraisons beaucoup de choses extravagantes. Il est vray qu'il nous faut tousiours conformer à ceste regle qui nous est donnee, afin que chacun ne prie point Dieu à l'aventure et selon son appetit. Mais quoy qu'il en soit, si est-ce que nous aurons des regrets et complaintes en nous qui excederont mesure: et il faut que Dieu ait pitié de nous en cest endroit.

Voyla donc en somme ce que nous avons à retenir: c'est que sur tout en vivant nous tendions tousiours à ceste fin que Dieu soit honoré. Car c'est aussi pourquoy il nous a mis en ce monde, c'est pourquoy il nous a choisis pour estre de son troupeau, c'est ascavoir afin que nous soyons assemblez pour chanter ses louanges d'un accord. Et nous voyons cela encores mieux au Psaume cent-quenzieme, là ou il y a une pareille sentence. Et mesmes ce n'est pas seulement un homme qui parle, mais tout le corps de l'Eglise des fideles, lesquels disent qu'on ne louera point Dieu en la mort: mais nous vivans, disent-ils, iusques en la fin nous confesserons que Dieu nous a conservez. Là il nous est signifié que Dieu iusques en la fin du monde gardera tousiours son Eglise, et qu'il y aura quelque peuple de residu. Pourquoy? D'autant qu'il veut estre cognu pere et sauveur entre les hommes: et combien que ce ne soit pas de la plus grande multitude, si veut-il encores avoir quelque compagnie qui le benisse. Ainsi donc apprenons de nous exercer à benir le nom de Dieu, cependant qu'il nous tient yci bas, et que nous sommes nourris par sa liberalité, et (qui plus est) qu'il nous a appellez à soy pour tendre tousiours à esperance de l'heritage eternel. Puis qu'ainsi est donc, applicquons toute nostre estude à cela, voire tout le temps de nostre vie. Que si nous en faisons autrement, il vaudroit mieux que nos meres nous eussent avortez, ou que la terre s'ouvrist pour nous engloutir, que d'estre yci gourmandans comme bestes brutes, et demeurer ingrats de tant de benefices

QUATRIEME SERMON

571

que Dieu nous eslargit, et que sa louange soit ensevelie par nous. Voyla pour un item.

Et au reste, que nous soyons tousiours prests, suyvans l'exemple de S. Paul, à glorifier Dieu, soit par rie, soit par mort. Si quelque fois nous sommes en trouble comme a este le bon Roy Ezechias, cognoissons que tous nos regrets, nos complaintes et gémissements nous doyvent estre suspects, pource que nous n'y pouvons tenir mesure à cause de la fragilité qui est en nous. Ainsi, que ce qui est yci dit, les morts ne loueront point Dieu, ne soit point par nous tiré en consequence, afin de plaider, quand il luy plaira de nous appeler à soy: que nous ne facions point ceste excuse sous le titre d'Ezechias ou de David qui a ainsi parlé au Pscaume sixième, ou de tout le peuple, comme nous venons d'alleguer. Car il y a eu de l'exces: pource que tant David qu'Ezechias, et en general toute l'Eglise, alors qu'il y avoit une dissipation horrible, ont este tentez, comme si Dieu les vouloit reietter, et qu'il les desavouast, et qu'ils n'eussent plus d'accointance avec luy. Selon donc qu'ils s'estoyent ainsi retirez de Dieu, ils sont confus, et ne s'en faut point esbahir. Et pourtant ne tirons point une règle de là, comme si nous pouvions faire le semblable, mais que ce soit pour nous faire cognoistre nostre infirmité. Et au reste, combien que Dieu nous supporte, ne nous plaisons point en un tel vice. Voyla donc ce que nous avons à retenir.

Or cependant si sommes nous admonnestez d'autant que Dieu nous fait sentir ses graces, que nous avons par cela les coeurs eslargis, et les bouches ouvertes pour benir son Nom. Et au contraire que nous ne pourrons pas prononcer un seul mot à sa louange, qui procede de bonne affection et liberale, sinon que nous ayons cela persuadé, que Dieu nous est propice: et que nous facions nostre profit des biens que nous recevons de sa main. Quant au premier poinct, qu'un chacun apprene à s'inciter, selon qu'il fera un recueil des graces de Dieu, car le nombre en est infini. Il n'y a celuy de nous, quand il pensera deuëment à soy, qui ne doyve estre ravi: comme il est dit au Pseaume quarantieme, que si nous voulons nombrer les tesmoignages que Dieu nous donne du soin paternel qu'il ha de nous, et de sa misericorde, qu'il y en a plus que de cheveux en nostre teste, et que nous sommes là comme esbahis. Mais toutes fois selon que Dieu desploye les richesses de sa bonté envers chacun de nous, que nous soyons tant plus esmeus à benir son Nom, et que chacun s'exerce et soli. cite à cela. Voyla en somme ce que nous avons à observer sur ce passage.

Or d'autre costé cognoissons que nostre vie est maudite, si nous gourmandons les biens que Dieu nous donne, et cependant qu'en cela nous ne contemplions

572

point sa bonté. Car nous profanons tout ce qui estoit dedié à nostre usage et à nostre salut, sinon que nous soyons amenez à ceste fin, c'est ascavoir de conclure que Dieu vrayement se monstre pere envers nous, et qu'il nous attire par toute douceur à luy, afin que nous ne doutions pas qu'il ne nous tiene pour ses enfans. Et en cela aussi voyons-nous combien la condition des Papistes est misérable: car ils ne veulent pas mesmes s'assurer de la bonté de Dieu, mais disent que tousiours il nous faut estre en doute. Et ainsi tout ce qu'ils prient, et ce qu'ils rendent d'action de graces à Dieu, n'est qu'autant d'hypocrisie et de fiction. Car nous ne pouvons invoquer Dieu qu'en fiance, nous ne pouvons aussi louer son Nom, sinon en le cognoissant estre favorable envers nous. Or ceux-la en sont du tout exclus. Apprenons donc que iamais nous ne pourrons offrir à Dieu un sacrifice de louange qu'il estime et prise, ou que iamais aussi nous ne pourrons tendre au droit but de nostre vie, sinon que nous soyons persuadez de sa bonté. Et ainsi, toutes fois et quantes que nous pensons à toutes les graces et benefices de Dieu, que ceci nous viene en memoire, que Dieu nous conferme et ratifie son adoption, afin que nous ne doutions point qu'il ne nous tiene comme ses enfans, et que nous ne puissions librement l'invoquer comme nos repere. Voyla en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or maintenant il nous faut aussi noter ce que dit Ezechias: Le vivant, le vivant te confessera, voire le pere declarera, à ses enfans ta verité. Il avoit dit ci dessus que les morts n'attendront plus à la verité de Dieu, c st à dire, ils n'y auront nulle esperance. Et en cela voyons-nous ce que i'ay touché, qu'Ezechias ne parle pas indifferemment de tous ceux que Dieu a retirez de ce monde: car il est certain que les fideles s'attendent à la verité de Dieu. Quand Iacob disoit en rendant l'esprit, Ie m'attendray au salut du Seigneur, il ne disoit pas cela pour une minute: mais il declaroit et protestoit qu'il avoit ceste certitude imprimee en son coeur, laquelle ne seroit iamais esteinte, tellement que pour passer par une centaine de morts, tousiours ce thresor-la luy seroit reservé. Or donc les saincts et fideles, encores que Dieu les ait appelez hors du monde, ne laissent pas tousiours de nourrir l'esperance de la résurrection, et de ceste félicite qui leur est promise. Mais Ezechias parle des trespassez qui sont comme bannis et alienez du tout du Royaume de Dieu, et lesquels il renonce. Or il estoit en cest estat-la selon son apprehension, iusques à ce que Dieu l'ait consolé par son Prophete. Car le message qui luy fut envoyé estoit pour monstrer que Dieu luy estoit contraire, et qu'il venoit comme sa partie adverse à main armee à l'encontre de luy. Il faloit donc

SU R LE CANTIQUE D EZECHIAS.

573

qu'Ezechias demourast là confus. Ainsi ce n'est point sans cause qu'il dit que les trespassez n'attendent point la verité de Dieu: c'est à dire qu'ils sont du tout forclos de ses promesses, tellement qu'ils ne sont plus du nombre de ses enfans. Mais maintenant il dit que les vivans qui goustent la bonté de Dieu, feront sentir à leurs enfans sa verité. Or yci nous voyons derechef comment Dieu sera deuëment loué et prisé entre nous, c'est ascavoir quand on cognoistra qu'il est fidele à tous les siens, que iamais il ne les delaisse, mais que son secours leur est appareillé en la necessité, et qu'ils ne seront iamais frustrez s'appuyans sur luy. Voila donc la vraye matiere des louanges de Dieu.

Ainsi en sommé nous voyons qu'il n'y a que fausseté et mensonge quand les hommes prieront Dieu, ou qu'ils feront semblant de luy faire action de graces, et cependant ne seront point enseignez de l'amour qu'il leur porte, ne seront point certifiez de leur salut, et ne cognoistront nulle promesse. Quand donc cela n'y sera point, il est certain que ce n'est que vent et fumee de toutes les louanges de Dieu qui pourront resonner en la bouche des hommes. Voulons-nous donc louer Dieu comme il appartient, en sorte qu'il approuve les Sacrifices que nous luy offrirons des louanges et d'actions de graces? Que nous profitions en sa Parole, que nous scachions que c'est de se fier en luy: ce que nous ne pouvons pas, iusques à ce qu'il nous ait declaré sa bonne volonté, qu'il nous ait certifiez qu'il nous reçoit, que nous avons acces à luy, et que iamais nous ne serons abandonnez, moyennant que nous y ayons nostre recours. Si nous n'avons une telle instruction, nous ne pourrons iamais prononcer un seul mot des louanges de Dieu comme il est requis. Voila, à quoy se doit rapporter ce que dit yci Ezechias, Que le pere notifiera, à ses enfans la verité de Dieu. Et au reste, comme il a dit que les trespassez ne s'y peuvent attendre, n'y avoir leur appuy, cognoissons que d'autant que Dieu se declare propice et liberal envers nous, que c'est pour tousiours mieux confermer nostre esperance, afin que nous prenions tant meilleur courage de recourir à luy, et ne douter point que tousiours il n'ait la main preste pour nous aider au besoin. Comment donc est-ce que nous userons des graces de Dieu selon qu'il appartient? C'est quand nous serons tousiours confermez de plus en plus en la foy, quand nous pourrons despiter toutes tentations, quand nous pourrons nous resoudre qu'en invoquant Dieu nous ne devons nullement craindre de perdre nostre peine, pource que iamais nostre esperance ne sera confuse. Quand donc nous serons bien resolus en cela, tellement que nous puissions batailler contre Satan pour repousser toutes tentations, voyla comme nous scaurons prudemment appliquer les benefices

574

de Dieu à nostre usage, et comment nous les pourrons faire profiter. Voyla en somme ce que nous avons yci à retenir.

Au reste, quand il est parlé comment les peres se doyvent porter envers leurs enfans nous avons à recueillir en general (selon qu'il en a este traitté ci dessus) que ce n'est point assez si nous procurons que Dieu soit glorifié durant nostre vie, mais nous devons desirer, comme son nom est immortel, aussi que d'asge en asge il soit celebré, et que ceux qui viendront apres nous gardent la pure religion, et que iamais le service de Dieu n'aille en décadence, qu'il poursuyve et s'avance tousiours, et que la bonté de Dieu soit magnifiee par tout. Ceux qui ont des enfans, qu'ils cognoissent que Dieu les leur a commis en charge, et qu'il faudra qu'ils en rendent conte, sinon qu'ils mettant toute peine à les enseigner à servir Dieu. Car quand il est dit que le pere annoncera, à ses enfans la verité de Dieu, il nous faut tousiours venir à ceste fin-la. Pourquoy? C'est afin que les enfans se fient en luy, qu'ils l'invoquent, qu'ils luy attribuent la louange de tous biens, qu'ils se dedient et consacrent totalement à luy et à son obeissance. Si donc les peres se veulent acquitter de leur devoir, qu'ils cognoissent que c'est le principal heritage qu'ils doyvent laisser à leurs enfans: que s'ils leur amassent des biens, et que cependant ils leur laschent la bride quand ils les verront dissolus, meschans, profanes, contempteurs de Dieu: malheur sur ce qu'ils auront mis de peine pour les avancer selon le monde: car ils les eslevent bien haut pour leur faire rompre le col: et leur cheute sera plus mortelle quand ils auront force biens, et que cependant ils mépriseront Dieu en sa doctrine, la confusion en sera tant plus horrible, pource que leur ingratitude sera moins excusable. Que donc les peres pensent yci mieux qu'ils n'ont pas accoustumé de faire: c'est assavoir que quand Dieu leur donne des enfans, il les oblige à ceste charge qu'ils s'efforcent d'autant plus ce qu'ils soyent instruits en sa verité pour tout le temps de leur vie: comme nous voyons aussi que l'exemple nous en est donné en Abraham qui est le pere des fideles. Car quand Dieu veut monstrer qu'il gouvernera sa maison comme il appartient, Celeray-ie à mon serviteur Abraham (dit-il) ce que i'ay à faire? non. Voyla Dieu qui se rend familier à luy. Car (dit-il) il enseignera ses enfans en mes statuts, en mes loix et en mes ordonnances. Voyla la marque dont les fideles sont discernez d'avec les contempteurs de Dieu. Si donc nous voulons estre nombrez en l'Eglise, que nous ensuyvions ce zele, et ceste affection d'Abraham: c'est ascavoir que selon qu'un chacun ha famille, il mette peine que Dieu y soit honoré, et que sa verité y soit tousiours cognue iusques en la fin.

QUATRIEME SERMON

575

Or pour conclusion Ezechias dit Le Seigneur est pour me sauver. se mot emporte qu'il despite et reiette tout autre salut, comme s'il disoit, il n'y a que Dieu. Il pouvoit dire, Le Seigneur m'a sauvé: il pouvoit dire, le tien ma vie de luy et de sa pure grace, mais il procede plus outre comme s'il vouloit yci maintenir l'honneur de Dieu, et abbatre toutes les fiances que les hommes conçoivent en leur fantasie: car nous avons accoustumé de faire nos discours, quand nous-nous voulons maintenir, et que nous cherchons d'estre asseurez, nous prendrons ce moyen-ci, ce moyen-la. Or Ezechias renonce à tout, et declare qu'il n'y a que Dieu, et que c'est là qu'il nous faut venir. Il est vray que Dieu nous permettra bien d'user de tous les moyens qu'il nous offre, et qu'il a ordonnez à tel usage: mais cependant si ne veut-il pas que sa gloire nous soit obscurcie, comme aussi ce n'est pas raison. Tout y a neantmoins que les hommes sont si malins et si pervers, que tousiours ils prendront occasion d'amoindrir la gloire de Dieu, sous ombre qu'il les aide par ses creatures. Si Dieu ne se contente de nous faire sentir sa vertu, mais qu'il applique toutes ses creatures à nostre usage, nous deverions estre tant plus incitez à le louer. Mais tout au rebours nous le despouillons de son droict, nous le delaissons, et attachons nostre fiance çà et là, et nous semble que nostre salut procede d'un costé et d'autre. Voyla comme Dieu est fraudé de son droict.

D'autant plus donc nous faut-il bien observer ce qui est yci dit par Ezechias: Le Seigneur est pour nous sauver: c'est que combien que Dieu nous tende la main, et nous donne de quoy pour nous maintenir, nous confessions toutesfois que c'est luy qui est la fontaine, et que le ruisceau qui descoule iusques à nous n'empesche point que nous ne scachions d'où l'eau vient. Que nous tendions donc tousiours à ceste source-la, c'est que Dieu soit glorifié, et qu'il demeure en son entier: et puis quand nous sommes desnuez de tous moyens, que nous disions, Le Seigneur luy seul y suffira. Et voyla aussi pourquoy David dit, La misericorde de D au vaut mieux que toutes vies. Non pas que la vie des hommes ne soit de la misericorde de Dieu, mais il monstre que les hommes ne doyvent point estre attachez yci bas, et qu'ils sont abbrutis quand ils se cuident preserver ou maintenir et garentir par ce moyen-ci, par ce moyen-là: et qu'il faut qu'ils preferent à tout la seule bonté de Dieu, et qu'ils acquiescent en icelle. Ainsi donc voyci un mot de grande doctrine, moyennant que nous en scachions faire nostre profit. Que donc nous ensuyvions l'exemple d'Ezechias: et quand Dieu nous aura secourus au besoin, que nous luy attribuyons

576

la louange de nostre vie, confessans qu'il n'y a que luy seul pour sauver.

Là dessus il adiouste derechef, Et nous chanterons nos ca tiques tous les ours de nostre vie en la maison du Seigneur. Yci il reitere le propos qu'il avoit tenu auparavant: c'est ascavoir qu'il employeroit ce que Dieu luy avoit donné de residu de vie, à luy en faire recognoissance, tellement qu'il ne seroit pas ingrat: car (comme i'ay desia dit) il vaudroit mieux que iamais nous ne fussions nais, que de iouir des biens que Dieu nous fait, et cependant avoir la bouche close, et ne penser point à luy. Notons bien donc que ceste repetition n'est point superflue, quand Ezechias dit tant de fois que puis que sa vie luy est prolongee, il sera tant plus incité à louer Dieu. Voyla pour un item. Or il monstre d'avantage, que ce ne sera point pour une bouffee: comme beaucoup pourront louer Dieu d'une affection assez vehemente, quand ils auront experimenté sa bonté: mais cela s'escoule tantost, et la memoire en est perdue, et leur semble que c'est assez que pour un coup ils ayent testifié qu'ils tienent de Dieu le bien qu'ils ont. Mais Ezechias nous monstre qu'il nous faut continuer d'une droite perseverance en cela: car nous ne tenons point de Dieu un iour de nostre vie plus qu'un autre. Il faut donc qu'elle luy soit plenement vouee et dediee. Ainsi voyans la paresse et la froidure qui est en nous, apprenons de nous inciter quand nous sentirons que nostre zele se refroidit, de peur qu'il ne s'esteigne du tout. Esveillons-nous: Comment? Si i'ay reconu une fois ou deux la grace de Dieu, et qu'est-ce? maintenant la faut-il mettre en oubli? et si un mois durant i'ay beni le nom de Dieu, et puis un an, et deux, et trois, et que maintenant ie n'y pense p us: et de quoy m'aura servi tout cela, sinon de me tenir tant plus convaincu d'hypocrisie, et de monstrer qu'il n'y a eu sinon un feu d'estouppes, qu'il n'y a eu nulle constance ne fermeté? Si donc nous regardons bien à l'exemple de ce bon Roy, chacun de nous sera mieux picqué pour ne plus se nourrir en ceste paresse, qui est de nature en nous, et à laquelle nous sommes par trop enclins.

Quand il dit, En la maison d? Seigneur, ce n'est pas que les louanges de Dieu fussent encloses au Temple (car chacun pourra louer Dieu en sa maison, et le doit faire aussi) mais Ezechias monstre que ce n'est point assez qu'en secret il loue Dieu, mais qu'il incitera les autres afin d'avoir force compagnons. Il parle donc yci d'un sacrifice solennel de louange qu'il rendra Dieu en grande assemblee. Et voyla pourquoy aussi nostre Seigneur a voulu que les siens s'assemblent: car il pouvoit bien nous instruire en particulier, s'il eust

SUR LE CANTIQUE D'EZECHIAS.

577

voulu, et dire, que chacun me loue en sa chambre: mais il veut qu'il y ait ceste police, que nous soyons unis comme en un corps, et que nous l'invoquions d'une bouche, que nous facions confession de nostre foy par accord. Et pourquoy? Il est vray qu'en premier lieu nous voyons qu'il faut que tous nos sens s'applicquent à le glorifier: mais il y a aussi bien une seconde raison, c'est que l'un incite l'autre, comme nous en avons besoin: car il n'y a celuy de nous qui se sente si disposé à louer Dieu, qu'il n'ait encore quelque aiguillon quand il verra la compagnie des fideles, et qu'on luy monstrera exemple. D'autant donc que cela nous incite, Dieu veut qu'en public et en commun nous chantions ses louanges. Et voyla pourquoy notamment Ezechias dit yci qu'il viendra au temple du Seigneur, pour louer et benir son Nom. Comme nous voyons aussi que Ionas dit le semblable. Il parle de la maison du Seigneur. Et pourquoy? non pas (comme i'ay dit) que les louanges de Dieu fussent là encloses et cachees: mais pource que le peuple s'y assembloit, et qu'il scavoit que cela apporteroit plus de profit, d'autant qu'il y en avoit qui seroyent incitez par son exemple. Voyla donc en somme le cantique d'Ezechias.

Or finalement il est yci recité que le Prophete Isaie commande qu'on luy face un emplastre de figues sur sa playe. En quoy il est vray-semblable que c'estoit une peste qu'il avoit. Et puis il est adiousté quant et quant qu'Ezechias aussi demande signe qui luy est ottroyé, comme nous avons veu quand le soleil fut recullé de l'ordre de l'horloge d'Achas. On pourroit yci esmouvoir une question, si cest emplastre a este une medecine, ou si ç'a este quelque signe que le Prophete luy donnast. Et semble bien que si c'eust este une medecine, c'estoit pour diminuer de la gloire de Dieu, pource qu'il faloit que la vie d'Ezechias fust miraculeuse. Pourquoy donc Dieu ne le guarissoit-il sans aucun moyen? Mais quand tout sera bien consideré, le signe ou miracle qui fut donné à Ezechias, quand le soleil arresta son cours, et que l'ombre de l'horloge fut recullee d'autant de degrez, suffit bien, et oste toute doute. Au reste, encores qu'Ezechias ait usé de cest emplastre, ce n'est pas pourtant à dire que la guarison fust naturelle. Car pais que Dieu avoit changé l'ordre du ciel, et avoit monstré un tesmoignage si evident que cela procedoit de sa main, et que c'estoit un benefice extraordinaire, nous-nous devons contenter de cela: et nous voyons quelques fois que Dieu s'est ainsi servi de ses creatures: et cependant il a assez declaré qu'il n'y avoit que sa seule vertu. Ceux qui estiment qu'Ezechias ait plustost eu cest emplastre comme un sacrement pour se confermer, pensent que les figues eussent plus nuy à la playe, qu'elles n y

578

eussent profité: mais on en peut faire composition qui sera propre pour meurir une playe, et cela est tout notoire. Il est vray que Dieu donnera bien quelque fois des signes qui semblent contraires du tout: et c'est pour nous mieux attirer à luy, afin que nous renoncions à toutes nos fantasies, et qu'il nous suffise qu'il ait parlé. Comme quoy? Dieu promet que iamais la terre ne perira par deluge Et bien: quel signe en donne-il? C'est un signé qui nous menace naturellement de la pluye. Quand on voit l'arc du ciel, quel signe est-ce? C'est une attraction telle qu'il semble que nous devions estre accablez, et que la terre perira. Et comment? Ce signe-la nous est donné de Dieu afin que nous scachions que la terre ne perira iamais par le deluge: voire mais c'est afin que nous apprenions de nous arrester à sa verité, et que nous fermions les yeux: à tout le reste, et à tout ce que nous concevons en nous mesmes, et que la verité de Dieu nous soit si authentique, que nous la recevions sans contredit. Dieu donc besongnera bien en telle sorte: mais quant à ce passage, plustost nous pouvons iuger que le Prophete, pour addoucir le mal d'Ezechias, a voulu encores donner ce remede: car c'est une playe aussi douloureuse qu'il en soit point que la peste: c'est comme un feu qui brusle l'homme. Et ainsi quand Dieu avoit prolongé la vie à ce bon Roy, il a voulu encore de superabondant adiouster ceste bonté-ci, que la douleur fust appaisee. Le Prophete donc luy donne cela comme de surcroist, que non seulement Dieu luy allonge sa vie, mais encore il ne veut point qu'il endure tant, et qu'il souffre les tormens lesquels il a sentis auparavant.

Ainsi voyla comme en tout et par tout Dieu s'est declaré pitoyable envers ce bon Roy, et qu'il s'est voulu monstrer appaisé en toutes sortes apres avoir usé de telle rudesse contre luy, et avoit desployé son bras, comme s'il l'eust voulu abysmer du tout. Cependant ce n'est pas dire que Dieu en face du tout de mesme envers chacun des siens, afin que nous ne demandions pas qu'en une minute de temps Dieu, apres nous avoir retirez du sepulchre, nous esiouisse, et qu'il nous donne en tout et par tout de quoy nous contenter: mais s'il luy plaist petit à petit nous donner allegement à nos maux, cependant contentons-nous de cela. Et de faict, nous pouvons recueillir que Dieu encore a besongné par degrez en Ezechias: car desia ce miracle avoit este fait, que l'ombre du soleil s'estoit retiree, et le message de prolonguement de vie luy estoit donné par le Prophete. Il semble donc qu'Ezechias soit du tout delivré: et neantmoins cest emplastre est encores requis. Ainsi donc quand nostre Seigneur, apres nous avoir donné quelque allegement en un mal, laissera encore quelque residu,

QUATRIEME SERMON

579

que cela ne nous trouble point, et que nous ne soyons point faschez de porter ses corrections, iusques à ce qu'il nous ait du tout garentis. Cependant nous avons declaré pourquoy Ezechias avoit demandé un signe: car combien que cela soit d'infirmité, si est-ce que Dieu encore l'a exaucé en telle requeste. Et en cela voyons-nous combien Dieu nous est humain quand non seulement il nous ottroye les demandes que nous luy faisons d'une pure affection et droite, mais s'il y a quelque foiblesse meslee parmi, et que nous apportions des passions qui sont un peu exorbitantes, encores Dieu ha pitié de nous en cest endroit. Il est certain qu'Ezechias, quand il eust eu une foy parfaite, se fust contenté d'avoir ouy le mot de la bouche du Prophete. Quand donc il dit, Helas, n'auray-ie point quelque signe? en cela il monstre qu'il n'adiouste point plene foy et entiere à la parolle de Dieu. Mais voyla, il confesse sa faute, et en la confessant il demande le remede. Et à qui? A Dieu mesmes. Quand donc nous serons ainsi empeschez, qu'en premier lieu nous cognoissions nostre povreté, et que ne venions point excuser le mal qui est en nous, mais que nous passions condamnation volontaire. Si là dessus nous demandons à Dieu qu'il y remedie par sa bonté, il nous supportera et exaucera nos requestes. Vray est que ce n'est point à nous de requerir signe ou miracle quand bon nous semblera: car (comme il a este declare à l'endroit où le Prophete a desia fait mention de ce signe) Ezechias a eu un mouvement special a cela, comme aussi Gedeon. Mais remettons-nous à la bonne volonté de Dieu, quand

580

nous cognoissons nostre fragilité, et le prions qu'il nous supporte: et puis qu'il nous conferme, afin que nous soyons bien resolus en sa Parole.

Voyla donc en quelle sorte il nous y faut proceder: et en ce faisant nous sentirons que ceci n'a point este seulement escrit pour la personne du Roy Ezechias, mais que Dieu a voulu donner une instruction commune à toute son Eglise, afin qu'en nos troubles, quand nous serons venus iusques à l'extrémité, voire iusques au profond d'enfer, nous scachions neantmoins que nous devons avoir nostre refuge à celuy qui nous appelle et convie tant doucement, esperans qu'il fera valoir sa vertu, combien que pour un temps elle soit eslongnee de nous, et que nous n'en voyons nul signe: et qu'ainsi il nous donnera de quoy le glorifier. Et aussi nous sommes instruits d'appliquer toute nostre vie à benir le nom de Dieu, et à chanter ses louanges, selon ce que nous avons experimenté sa bonté envers nous.

Or nous-nous prosternerons devant la Maiesté de nostre bon Dieu en cognoissance de nos fautes, le prians que de plus en plus il nous les face sentir, et que ce soit pour estre du tout abbatus et humiliez devant luy: et que nous bataillions contre les vices, lesquels nous font la guerre, scachons que Nostre Seigneur nous a ordonnez à ce combat-ci, iusques à ce que nous soyons plenement renouvelez et revestus de sa iustice, et qu'il n'y ait nulle contradiction qui nous empesche d'obéir à sa bonne volonté. Que non seulement il nous face ceste grace, mais à tous peuples et nations, etc.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

SERMONS

SUR LA PROPHETIE D'ESAIE

CHAP. LIII.

NOTICE PRELIMINAIRE.

Outre les quatre sermons sur une partie du trente-huitième Chapitre d'Esaie, que l'on vient de lire, il en existe sept autres sur le Ch. cinquante-trois du même prophète. Nous ignorons s'ils ont jamais été publiés à part; cependant nous supposons qu'ils l'ont été pour la première fois dans le volume que nous allons décrire, et dans lequel ils se trouvent à la suite de beaucoup d'autres sur divers textes du Nouveau Testament. Ce qui nous engage à faire cette supposition c'est la date même de ce volume qui est précisément celle des prédications de Calvin sur le livre du prophète Esaïe, sur lesquelles nous avons consigné les renseignements nécessaires dans l'avant propos du précèdent article.

nous ne connaissons que quatre exemplaires du volume en question. Nous avons pris copie de celui de la bibliothèque de l'Arsenal et collationné celui de Wolfenbuttel.

Voici maintenant la préface tres-intéressante de Badius:

AUX FIDELES ESPARS EN PLUSIEURS CONTREES, CONRAD BADIUS DESIRE; ET BENEDICTION PAR

IESUS CHRIST NOSTRE SAUVEUR.

nous scavons quel a este l'orgueil de la secte des Pharisiens, lesquels ia soit qu'ils fussent remplis de tenebres et d'ignorance se vantaient toutesfois d'estre grans expositeurs de la Loy, iusques à prendre leur nom de là, comme s'ils eussent eu en leur sein la mouille et le sens secret de l'Escriture. Cependant au lieu de repaistre le simple peuple de vraye et saine doctrine, l'instruisoyent à ie ne scay quels badinages et vaines ceremonies qu'ils invertoyent outre la parolle de Dieu. Autant en font de nostre temps nos grans docteurs Sorbonistes, et tous ce criars de Moines, desquels les uns, combien qu'ils s'estiment estre les piliers de l'Eglise, compaignons des Apostres, et la boutique du S. Esprit, où il faut prendre toute interpretation des Escritures, et resolutions de tous les points de la religion, neantmoins ne font que conter des fables vaines et sottes, ou s'amusent a des questions curieuses et plenes de sophisterie, et a mille subtilitez qui ne servent d'aucune edification. les autres preschent, au lieu de la parolle de Dieu, les constitutions et ordonnances qu'eux mesmes ont faites pour establir la tyrannie du Pape, vray Antechrist et ennemi de la verité: les autres aussi escument en chaire, et desgorgent propos arrogans contre les enfans de Dieu, et ceux ausquels Iesus Christ s'est revelé en ces derniers temps, les appelans. Lutheriens, seditieux, et controuvans mille mensonges a l'encontre d'eux, au lieu de nourrir de vraye pasture de la parolle de Dieu leurs povres brebis affamees, qui hument telles poisons en guise de la nourriture spirituelle de leurs ames.

Parquoy mes freres et bien-aimez en Iesus Christ, quand Dieu nous envoye quelque bon et fidele docteur, qui expose purement a ses auditeurs la parolle de Dieu, nous en devons tenir un merveilleux conte: car il s'en trouve bien peu qui s'acquittent fidelement de leur charge: et entre autres nous devons avoir en singuliere recommandation ceux que Dieu a douez de graces speciales et don d'interpretation: comme auiourd'huy nostre fidele Pasteur et bon serviteur de Dieu, Iehan Calvin fait grandement profiter le talent precieux qu'il a receu du Seigneur, selon que ses predications en rendent bon tesmoignage, lesquelles (ainsi que toutes personnes equitables en peuvent iuger) ne sont point faites par acquit, ni a la douzaine, ains sont denuement premeditees et bien rapportees à la capacité de ses brebis, ayant tousiours devant les yeux le benefice du Seigneur Iesus pour l'engraver vivement en leurs coeurs. Ce ne sont point lieux communs tout maschez, ne sermons qu'il ait en sa manche pour les faire servir à tous passages de l'Escriture, comme une forme à tous pieds: ains expositions vrayes, pures, nues, et propres pour le texte qu'il ha a deduire: il ne les farcit point d'exhortations hors propos: il ne lés remplit point d'invectives procedantes d'ambition. Car encores que nous ayons grand besoin que les superstitions de la Papaute soyent iournellement impugnees par la parolle de Dieu pour les effacer de nos coeurs, comme une odeur forte de laquelle nous avons este abbreuvez dés nostre enfance, si est-ce que si le passage n'est formellement contre tels abus, qu'il ne sortira pas de son interpretation pour crier apres: comme les Papistes à tous coups et sans propos abbayent comme chiens mastins contre l'Evangile renouvelé ces derniers iours au monde: mais sa coustume est de suyvre un fil et une teneur qui tend a edification, n'omettant rien de tout ce qui fait a l'honneur de Dieu et instruction de ses auditeurs.

NOTICE PRELIMINAIRE.-

Que pleust a Dieu qu'il y en eust beaucoup de semblables: la povre Eglise de Iesus Christ en seroit grandement soulagee: mais ie ne doute point que nostre ingratitude n'empesche que Dieu n'envoye plus de Pasteurs fideles qu'il n'y a pour le present: car s'il s'en trouve aucuns qui se veulent denuement acquitter de leur office, et trancher la parolle de Dieu franchement (comme S. Paul commande) en reprenant les vices et s'opposans au mal, pour maintenir l'honneur de celuy par qui ils sont envoyez, incontinent on leur met la rage sus, et ne cesse-on d'abbayer apres eux et les calomnier. Comme certes celuy dont ie parle, pour sa syncerite et grande fidelite dont il use en l'execution de sa charge, a tant acquis d'ennemis, que ceux mesmes qui ne le veirent ni l'ouyrent iamais, et ne leurent oncques deux mots de ses oeuvres, luy veulent mal de mort. lais graces a Dieu sa bonne conscience et le tesmoignage qu'il ha devant Dieu et ses Anges, et des fideles qui l'oyent iournellement, que c'est a tort qu'il est ainsi mal voulu des hommes, luy donnent courage de poursuyvre constamment l'oeuvre du Seigneur. Il voit comme son Maistre a este traitté, et apres luy les Apostres: ainsi il ne luy fait point mal de marcher apres eux, scachant que Dieu est puissant de garder son depost, et que ceux seront reputez dignes du Royaume des cieux qui souffrent pour iceluy.

Or d'autant que tous ne peuvent pas avoir habitation en ceste Eglise pour participer a la pasture céleste que ce bon berger depuis vingt ans en ca ne cesse d'administrer: et qu'il est expedient pue ceux qui vienent nouvellement a ceste charge voyent sa maniere d'enseigner pour l'ensuyvre: semblablement aussi que ceux qui pensent qu'il ne fait que mesdire et crier en chaire contre le Pape et les siens, et foudroyer contre leurs traditions, sans autrement exposer l'Escriture, ou bien qu'il ne cesse d'induire les personnes a une liberté charnelle, et a secouer le ioug des Rois et Princes, et toute suietion, lisent ses predications a ce qu'ils puissent veoir que c'est a grand tort qu'on luy met tels blasmes sus, et oster la mauvaise opinion qu'ils ont conceue de luy, plusieurs bons personnages ont este d'avis d'en faire imprimer quelque quantité, et singulierement Laurent de Normandie, duquel le zele et saincte conversation est assez notoire de par deca, qui depuis dix ans en ca n'a cesse d'employer toute son estude et son bien a faire imprimer livres pour l'edification de l'Eglise.

Vray est (comme i'ay desia donne a entendre en la preface des sermons sur le Decalogue) que ce n'est ne du gre ne du consentement de l'autheur: non qu'il veuille empescher le bien et le fruit qu'en peut recevoir l'Eglise, mais il desireroit que ses predications ne s'estendissent pas plus loin que sa bergerie: tant pource qu'elles sont faites specialement pour ses brebis, a la capacité desquelles il s'accommode le plus qu'il peut: pource qu'il luy semble qu'un autre ordre et disposition y seroit bien requise pour estre ainsi mises a la veue de tout le monde: mais de les revoir pour les polir, outre ce qu'il n'a pas le loisir, il ne s'y voudroit iamais occuper. Car quand il voudroit en mettre en avant, il scauroit bien faire des homilies toutes nouvelles et mieux labourees, sans remanier une chose par luy ia prononcee sur le champ. Neantmoins voyans le grand fruit qui peut revenir de telles prédications ainsi publiees, nous n'avons pas craint de luy desplaire et desobeir aucunement en cest endroit, afin de vous faire participans des excellentes richesses desquelles Doue iouissons en ce petit anglet hay et detesté du monde comme pernicieux et maudit, mais cependant precieux devant Dieu. Vray est que ce qui nous a donne ceste hardiesse, c'est la liberalité de nos maguifiques et treshonorez Seigneurs, qui desirant l'avancement de l'Eglise de Dieu, nous ont donné permission et privilege de les imprimer.

Or voyons qu'en une si grande quantité qu'il y en a de recueillis, nous avions a choisir, nous avons pense qu'il seroit bon d'en mettre quelque petit nombre en avant, afin que selon qu'ils seront bien receus de vous, ON poursuyve a en produire d'avantage. Voyci donc l'ordre que nous y avons tenu. en premier lieu nous avons mis une Congregation sur le commencement de l'Evangile selon

NOTICE PRÉLIMINAIRE.

S. Iehan où il est amplement traitté de la Divinité de nostre Seigneur Iesus Christ. Or par ce mot de Congregation, i'enten une certaine assemblee de l'Eglise qui se fait un des iours de la sepmaine, où un chacun des Ministres on son ordre expose quelque passage de l'Escriture plus par forme de lecon que de prédication: et cela fait, s'il y a quelqu'un des autres a qui l'Esprit de Dieu ait revele quelque chose faisant à l'intelligence et esclaircissement de ce qui a este proposé, il luy est libre de parler. En apres nous avons fait suyvre un sermon du iour de Noël concernant la Nativité de Iesus Christ. Puis nous avons adiousté les predications de la passion et mort d'iceluy, de sa resurrection et ascension, de la descente du S. Esprit sur les Apostres et de la premiere harangue de S. Pierre apres avoir receu le S. Esprit. Finalement nous avons adiouste un sermon ou il est traitté du dernier advenement de Iesus Christ. Apres lequel pensans imposer fin a ce livre, il a pleu a Dieu nous faire ouyr les plus excellentes predications qu'il est possible d'ouir ne reciter, sur la fin du 526 chapitre du Prophete Isaie, et sur tout le 53e, où le mystere de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ et les causes d'icelle sont tellement descristes et depeintes au vif, qu'il semble que le S. Esprit nous ait voulu présenter devant nos yeux Iesus Christ condamné en nostre nom et attaché a la croix pour nos pechez, afin qu'en souffrant la punition qui nous estoit deue, et soustenant pour nous l'ire et le iugement de Dieu, il nous delivrast de la mort eternelle. Lesquelles predications nous ont semblé si convenantes aux precedentes que nous avons yci mises qu'il ne s'est pou f ire que nous ne les adioignissions a ceux-ci afin de ne vous frustrer d'un si grand bien.

Au reste, nous avons regardé de choisir le plus que nous avons pou les predications qui se font tous les iours esquels se celebre la saincte Cene du Seigneur en ceste Eglise, tant pource qu'elles ont volontiers quelque plus grande vehemence, que pource que le poinct de ce Sacrement y est tousiours esclarci, pour lequel auiourd'huy il y a plus de contentions et controversies au monde que pour autre qui soit. Et a ceste mesme raison nous avons deliberé de vous presenter consequemment les Sermons que ce bon Docteur a faits sur le dix et onzieme chapitre de la premiere Epistre de S. Paul aux Corinthiens, où la vraye institution de la Cene est clairement monstree, et la corruption et abus qui depuis sont survenus vivement refutez. En outre, pource que les doux Epistres de S. Paul à Timothée et celle a Tite sont comme les oeconomiques de Eglise, c'est a dire contenant l'estat et gouvernement d'icelle, et comme chacun en particulier doit se porter en son office, maintenant que le Seigneur par sa miséricorde estend les rayons de sa lumiere Evangelique on meints endroits, nous esperons publier les predications qui ont este faites sur ces trois Epistres-la. Et pource aussi que la grace par Iesus Christ et l'aneantissent du mérite des oeuvres humaines sont excellemment traittez on l'Epistre aux Galatiens, nous espérons vous presenter les sermons faits sur icelle: chose autant necessaire on ce temps que nulle autre. Que si nous appercevons que tels presens vous soyont agréables, nous n'espargnerons tous les moyens que Dieu nous donnera pour vous faire participans de plusieurs autres.

Cependant, mes freres bien-aimez, poursuyvez heureusement vostre course, et ne vous espouvantez pour les menaces et cruautez des tyrans, qui pensent auiourd'huy faire service à Dieu de persecuter Iesus Christ en ses membres: proposez vous ceste couronne incorruptible et ioye perdurable qui vous est preparee si vous perseverez constamment et iusques a la fin en vostre saincte vocation, scachans que les souffrances du temps present ne sont point dignes de la gloire a venir: a laquelle nous puissions parvenir par Iesus Christ nostre Sauveur. Ainsi soit-il.

NOTICE PRÉLIMINAIRE.

Il existe de ce même recueil une autre édition un peu plus récente. Mais nous n'en avons rencontré aucun exemplaire dans les nombrouses bibliothèques publiques dont nous avons examiné les catalogues ou sur lesquelles il nous a été fourni des renseignements. Nous en possédons un nous-mêmes, peut-être le seul qui existe encore, du moins le seul dont nous ayons connaissance.

SERMONS DE LA PROPHETIE DE CHRIST,

TOUCHANT SA MORT ET PASSION: PRINS D'ISAIE.

PREMIER SERMON

Isa. Chap. LII.

13. Voyci, mon serviteur prosperera, il sera exalté, il s'eslevera il sera haussé grandement. 14. Car plusieurs ont esté estonnez de toy, pource que ton visage estoit desfiguré plus que nul homme, et deformé plus que nul des mortels. 15. Aussi il arrousera plusieurs peuples: les Rois fermeront leur bouche sur luy; car ceux ausquels il n'a point este conté, l'orront, et ceux qui ne l'avoyent point ouy, entendront.

Chap. LIII.

1. Qui croira a nostre predication et a qui sera revelé le bras du Seigneur?

Le Prophete ayant parlé en general de tout le peuple des Iuifs, vient maintenant au chef duquel dependoit tout ce qu'il a dit ci dessus. Car leur redemption n'estoit fondée sinon en nostre Seigneur Iesus Christ: comme aussi c'est en luy que toutes les promesses de Dieu sont accomplies. Or desia de long-temps le Redempteur avoit este promis: mais quand il semble que la lignee de David soif du tout esteinte, l'esperance des fideles pouvoit aussi estre abolie. Il estoit dit que Dieu establiroit tousiours un Roy, et l'asserroit sur le siege de David, et que cependant qu'il y auroit soleil et lune au ciel, ce Royaume là seroit maintenu et conservé: et quand tout le monde deveroit perir, qu'il y auroit là une fermeté si grande, qu'on verroit bien que c'estoit un Royaume plenement dedié à Dieu. La dessus neantmoins il se diminue: voire tantost apres, et petit a petit il s'en va en decadence, iusques a ce que le Roy penultieme est enmené captif, et toute la lignee Royale transportee et quasi retranchee. Le dernier qui est creé a la poste d'un homme incredule, et ennemi de toute

religion, encores finalement s'estant rebellé contre luy, est prins, on luy creue les yeux, ou luy fait son proces, on meurtrit ses enfans, et 11 est condamné avec tout vitupere: le Temple et toutes les maisons sont bruelees. Que pouvoit-on estimer là dessus? Il faloit bien donc que les Iuifs fussent asseurez par le Prophete que Dieu en la fin auroit pitie d'eux, et qu'il les rameneroit de leur captivité: il faloit bien qu'il leur monstrast que ce qui avoit este dit anciennement a Abraham n'estoit pas vain, qu'en sa semence toutes nations de la terre seroyent benites: mais qu'il y auroit un Roy assis de la lignee de David, duquel l'Empire n'auroit nulle fin, mais seroit eternel. Voyla donc pourquoy Isaie maintenant restreint son propos a la personne de nostre Seigneur Iesus Christ: afin (di-ie) que ce qu'il a declaré ci dessus de la redemption et du retour du peuple, soit tenu pour certain et infalible.

Or nous avons veu ci dessus que nostre Seigneur estoit appelé Serviteur de Dieu, entant qu'il s'est soumis en toute obeissance a cause de nostre salut: voire luy qui estoit le Seigneur de gloire, le chef des Auges, et devant lequel tout genouil se doit ployer. Quand donc ce nom de Serviteur luy est attribué, cognoissons que c'est d'autant qu'il a vestu nostre nature, et qu'en icelle il s'est voulu non seulement humilier, mais aneantir du tout. Car il faloit bien que nos transgressions et iniquitez fussent reparees par son obeissance. Et comme il dit aussi a Iehan baptiste, il faloit qu'il accomplist toute iustice. Ainsi voyla comme nostre Seigneur Iesus Christ, combien que toute maiesté luy appartiene et qu'il soit Dieu eternel, ne laisse pas en temps qu'il a vestu nostre chair, et qu'il s'est conformé a nous, d'estre en degré inferieur: en cela il n'y a nulle contradiction. Car combien qu'en sa nature Divine il n'y ait rien changé: si est-ce que si nous le considerons comme moyenneur entre

SERMONS DE LA. PROPHETIE DE CHRIST.

597

Dieu et nous, il faut qu'il s'abaisse, comme il est dit aussi qu'il a este fait sous la Loy, combien qu'il n'en fust point detteur, et qu'il fust luy mesme celuy qui doit gouverner: et auquel toute suietion doit estre rendue: mais il s'est mis en ce rang-la pour nous affranchir du ioug qui nous estoit insupportable. Car la Loy nous estoit un fardeau pour nous abysmer, sinon d'autant que nostre Seigneur Iesus l'a porté et nous en a affranchis par ce moyen. Et ne devons point trouver estrange s'il est appelé Serviteur de Dieu, veu qu'il n'a point refusé d'estre le nostre quant et quant, qui est bien plus. Car si nous regardons nostre condition, il n'y a que vanité, nous sommes povres vers de terre, mesme le diable et le peche dominent sur nous: et neantmoins voyla le Fils unique de Dieu qui s'abbaisse iusques là de s'employer a nostre service, comme S. Paul en parle. Il est ministre (dit-il) de la circoncision. Au reste, notamment le Prophete a usé de ce mot afin que nous scachions que tout ce qui est yci raconté de luy, est pour le bien et pour le salut commun de toute l'Eglise. Or il faut regarder a quoy Iesus Christ a este appelé: c'est assavoir pour estre le Redempteur de tous fideles et de tous eleus de Dieu. Puis qu'ainsi est donc que la charge luy a este commise, et que sa vocation est telle, ne doutons pas que tout ce qui est declaré de sa personne, ne nous soit commun et que le profit ne nous en reviene de ce que nous verrons ci apres. Voyla donc quant a l'intention du Prophete.

Or il dit que Iesus Christ estant appelé a cest office de sauver tous les siens, prosperera, qu'il sera exalté et magnifie a merveilles. Ceci est pour armer les fideles contre la tentation qu'ils pouvoyent avoir devant que Iesus Christ apparust en sa gloire et en sa maiesté: c'est a dire devant que luy qui est le Dieu eternel plein de gloire, fust manifesté en chair. Car quand les Iuifs sont transportez en Babylone (comme desia nous avons dit) il n'y a plus de dignité en la lignee de David, tout cela est raclé. Vray est que quand quelque portion retourne, il y a Zerobabel qui est tenu pour capitaine et chef: mais il n'y a nul diademe Royal, il n'y a sinon quelque reputation d'honneur: d'autant que le peuple retient tousiours quelque reverence envers ceste maison de David. Voyla, di-ie, Zerobabel qui est obey: voire, mais ce n'est pas qu'il y ait nulle apparence d'Empire. Il faloit donc que les fideles fussent munis contre une telle tentation, et que Dieu les asseurast que le Redempteur sortirait, et que quand la terre se deveroit ouvrir, et tous les abysmes pour luy donner issue, et pour s'eslever en haut, neantmoins si faloit-il que la chose adveinst. Ainsi il n'y a doute que le Prophete ne face yci comparaison entre deux choses

598

opposites: est que Iesus Christ devoit estre longtemps comme caché voire comme plongé au profond des abysmes, et mesmes quand il viendroit, qu'il n'auroit pas grand pompe pour estre prisé des hommes, mais tout au rebours, qu'il seroit reietté, ou qu'il seroit si contemptible, qu'on penseroit que iamais le salut du peuple ne deust estre accompli par son moyen, mais que si est-ce qu'il sera exalté.

Et cela est encores mieux exprimé quand le Prophete dit qu'il a este desfiguré par dessus tous hommes, et qu'on n'y a cognu nulle forme: comme s'il n'estoit pas digne d'estre mis au rang des creatures, mais qu'on le deust tenir pour detestable, et avoir horreur seulement de son regard. Voyla donc a que le Prophete pretend, quand il dit que Iesus Christ est eslevé. Ce sont deux choses qui sembleroyent de prime face estre contraires, et les tiendroit-on pour incompatibles: ascavoir que Iesus Christ ne soit point cognu: qu'on le cherche, et qu'on ne le trouve point: et que quand on le verra, il soit reietté: qu'on ne trouve rien en luy digne de quelque reputation, toutes fois que Dieu l'esleve, qu'il le magnifie et l'exalte, tellement qu'il surmonte tout ce que nous pouvons concevoir de sa maiesté en ce monde. On ne diroit pas que ces deux choses-la se peussent accorder non plus que le feu et l'eau: or tant il y a que le Prophete dit qu'il faut esperer que Dieu y besongnera en sorte que les petis commencemens n'empescheront pas que la perfection ne viene a son but. Et voyla pourquoy aussi il dit qu'il sera eslevé, qu'il sera exalté et avancé en haut a merveilles: car ceste tentation estoit difficile a vaincre. Et ce n'est pas assez que Dieu nous declare aussi en un mot ce qu'il veut faire, mais quand nous appercevons des resistances, et qu'il semble que ce que Dieu a prononcé soit impossible, il faut que nous soyons confermez, que nous ayons de quoy pour surmonter tout ce qu'on peut obiecter au devant, et tout ce qui nous pourroit empescher d'adiouster foy a la promesse de Dieu. Ainsi donc, c'est autant comme si le Prophete disoit, Mes amis attendez que Dieu esleve la Redempteur, car il le fera. Et si nous repliquons, Voire, mais comment? car les moyens sont par trop estranges. N'en doutez point: car il y a une vertu en Dieu qui vous est cachee: mais (quoy qu'il en soit) si vous en doutez, si vous estes en bransle, si vous entrez en dispute, quand ce seul mot ne vous suffira, resistez a toutes ces imaginations, confermez-vous, despitez toute vostre incrédulité: et prenez ceste résolution, que quoy qu'il en soit, Dieu besongnera outre vostre attente, outre vostre opinion et vos sens.

Voyla donc a quoy le Prophete a pretendu usant de ces trois mots, voire quatre. qui signifient.

S E R M O N S

599

une mesme chose. Et il le monstre bien, en disant qu'il a este desfiguré, et qu'on n'a pas daigné le regarder, pour ce qu'il n'y avoit ne beauté, ne forme en luy, mais qu'il estoit comme retranché de toute compagnie des hommes, et qu'il n'estoit pas digne d'estre mis entre les creatures mortelles. Or ceci sera encores plus a plein declaré avec le temps: car ceste mesme sentence sera reiteree pour declaration plus ample. Mais quoy qu'il en soit, desia le Prophete monstre que les Iuifs en attendant leur Redempteur, devoyent fermer les yeux a tout ce qu'on a accoustumé de chercher, et donner lieu a la foy, pour se tenir certain de la bonté de Dieu, combien que tout repugnast a leur opinion. Et ceci n'est pas seulement dit de la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, mais de tout le cours de son Evangile, et de tout l'ordre qu'il tient a maintenir et gouverner ses fideles. Si donc nous voulons estre asseurez de nostre salut en Iesus Christ, il faut en premier lieu que nous n'ayons point honte de ce qu'il a este ainsi desfiguré selon les hommes, et qu'estant envoyé au monde, il a esté tenu comma execrable et maudit: et puis apres que son Evangile a este aussi exposé en tout opprobre: comme encore auiourd'huy nous voyons le semblable. Car si nous avons honte de recevoir nostre Seigneur Iesus Christ crucifié, il est certain que nous sommes exclus de toute esperance de salut. Car comment est-ce que nous sommes sauvez par luy? comment est-ce que l'heritage des cieux nous appartient sinon d'autant qu'il a este fait malediction pour nous, et qu'il n'a pas este seulement maudit devant les hommes, mais de la bouche de Dieu son Pere! Voyla comme Iesus Christ, qui est la fontaine de toute benediction, a neantmoins porté nos pechez, et a este semblable aux sacrifices anciens qui estoyent appelez Pechez, pource qu'il faloit que l'ire de Dieu fust là declaree, et que les hommes en fussent affranchis et absous. Et comment est-ce que Iesus Christ est nostre vie, sinon d'autant qu'il a englouti la mort en mourant? Et comment est-ce que nous sommes eslevez par luy, sinon d'autant qu'il est entré iusques aux abysmes d'enfer c'est à dire qu'il a soustenu les horreurs qui estoyent sur nous, a cause de nostre peche, et desquelles nous eussions este accablez? Car il faloit que nous eussions tousiours Dieu pour nostre iuge: et c'est une chose si espouvantable que rien plus, que Dieu nous soit contraire. Il a falu que Iesus Christ soit la entré comme nostre plege, et celuy qui devoit payer pour nous, et soustenir nostre condamnation pour nous en absoudre. Ainsi donc, ne trouvons point estrange, quand nous voyons qu'il a este ainsi desfiguré: et si cela est folie a nostre sens, que nous cognoissions (comme dit sainct Paul) que la folie de Dieu surmonte toute la sagesse du monde.

600

Il appelle folie de Dieu ce que nostre Seigneur Iesus a este ainsi abbatu: car si les hommes veulent yci asseoir iugement, il est certain qu'ils diront que c'est une chose absurde. Et comment? Que celuy qui doit estre adoré au ciel et en la terre soit exposé a tel opprobre? Et a quel propos? Voyla donc comme les hommes, selon leur arrogance et presomption, condamneront tousiours avec une temerité et audace si grande que rien plus. tout ce que Dieu fait pour leur redemption: mais tant y a que Dieu en son conseil monstrera qu'il ha plus de sagesse que tous les hommes ne pourroyent concevoir. Et pourtant, qu'en premier lieu nous tenions cela tout resolu, que si nostre Seigneur Iesus a este contemptible, et que non seulement il se soit abbaissé pour nous, mais qu'il se soit aneanti du tout (comme saine Paul en parle), que nous ne laissions pas de luy attribuer l'honneur qui luy appartient: car sa gloire n'a pas este amoindrie pour cela, combien qu'elle n'a pas este cognue de tous: mais sa bonté a eu tant plus grand lustre. Et aussi nous devons estre ravis en estonnement, voyans que le Fils de Dieu n'a pas refusé d'estre comme desfiguré, luy qui est comme l'image de Dieu son Pere: et le tout afin que ceste image fust reparee en nous. Car il est certain que nous sommes si remplis de macules, qu'en comparaissant devant Dieu, il faut que nous soyons reiettez, iusques a ce que nostre Seigneur Iesus nous imprime sa marque, en laquelle nous puissions venir pour estre agreables a Dieu et pour trouver faveur devant luy. Ainsi quand il nous est dit qu'il a este desfiguré, regardons a nous, et cognoissons qu'il faloit bien qu'il receust toutes nos taches et macules, afin que nous en fussions purgez et nettoyez, et que maintenant nous n'apportions au iugement de Dieu, sinon iustice et saincteté, laquelle nous n'aurions point si Dieu ne nous la communiquoit en Iesus Christ.

Or là dessus il adiouste, que les Rois mesmes clorront leur bouche quand il aura este ainsi exalté, et quand ils verront un tel changement, lequel iamais les hommes n'eussent pensé. I1 monstre donc yci qu'il ne faut pas iuger a la volee, quand nous voyons que nostre Seigneur Iesus s'est ainsi humilié et mesmes aneanti, mais qu'il faut regarder la fin, et a quoy Dieu le Pere l'a amené: c'est qu'un Nom luy a este donné souverain par dessus tous, tellement qu'il faut que tout genouil soit ployé devant luy: comme sainct Paul parle au second chapitre des Philippiens. Car quand il nous a exhortez a modestie, et monstré que nous ne devons pas nous priser, il nous propose le miroir et patron de nostre Seigneur Iesus Christ. Celuy, dit-il, qui est vray Dieu, et auquel ce n'eust pas este rapine quand il fust apparu en sa gloire celeste, s'est aneanti, et a pris l'estat et condition d'un serviteur: et mesmes

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

601

il a voulu estre crucifié, et n'a point refuse ceste mort tant ignominieuse et maudite, voire devant Dieu et devant les hommes: et le tout afin de

porter sur soy tout ce qui nous estoit deu. Or maintenant pour ceste cause, dit-il, le Pere l'a exalté et luy a donné un Nom tel, qu'il faut que toutes creatures luy facent hommage et haut et bas, et que tous confessent que vrayement il est en la gloire de Dieu son Pere: et que si nous voulons contempler quelle est la maiesté de Dieu, pour le glorifier selon qu'il en est digne, il nous faut venir à nostre Seigneur Iesus Christ.

Voyla en somme ce que le Prophete a voulu dire, qu'il ne faut point que ce qu'il a este abbaissé pour un temps, nous ferme la porte que nous ne croyons en Iesus Christ, et que nous ne mettions tout nostre coeur en luy: mais qu'il faut que nous regardions quelle en a este la fin: et quand nous parlons de sa mort, que nous venions incontinent a sa resurrection, et conioingnions le tout: comme ce sont deux choses inseparables, que Iesus Christ a voulu souffrir en l'infirmité qu'il avoit prinse de nous, et qu'il est ressuscité en la vertu de son sainct Esprit: et qu'en cela il s'est declaré le vray Fils de Dieu, comme sainct Paul en parle tant en la premiere a Timothee, qu'en la seconde aux Corinthiens, et puis au premier chapitre des Romains. Et voyla a quoy aussi le Prophete a pretendu en ce passage. Or nous avons dit qu'on ne voit point seulement cela en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, mais aussi en son Evangile. Car comment est-ce que Iesus Christ a este cognu, et quelle obeissance le monde luy a il rendu, quand l'Evangile B est presché? Nous voyons que ceux ausquels il avoit donné toute authorité, non seulement ont este mocquez et condamnez des hommes mais qu'on les a batus et fouettez, et finalement fait mourir ignominieusement. Puis qu'ainsi est donc, que nous surmontions tels scandales, et qu'estans armez de ce qui est yci dit par le Prophete, nous. regardions la fin a laquelle nostre Seigneur Iesus est parvenu, pour clorre la bouche, c'est a dire pour estre estonnez et n'avoir aucune replique: comme nous voyons que les incredules iargonnent. Or si est-ce qu'il y a cela, et iamais ne peuvent venir a nostre Seigneur Iesus Christ pour luy faire hommage, d'autant qu'ils ont quelque raison, ce leur semble, pour disputer a l'encontre. Mais il nous est yci dit que quand nous regarderons bien a quoy nostre Seigneur Iesus est parvenu, et quelle a este la fin et le fruit de sa mort et passion, laquelle il a enduree, pour nostre salut, qu'alors. nostre bouche sera close. Car quand l'Escriture parle ainsi, elle signifie une consideration des oeuvres de Dieu toute rassise et posee. Car cependant que les hommes ont la bouche ouverte

602

(comme y desia touché) ils veulent .entrer en cause, ils veulent s'araisonner, tellement que Dieu soit là laissé, et que tout ce qu'il a fait soit comme reietté. Mais quand il est dit que toute bouche se taise pour faire silence devant Dieu, c'est pour monstrer que nous devons avoir tous nos sens dontez, et captifs, voire mesmes tenir nos langues bridees pour confesser paisiblement que Dieu merite d'estre glorifié en la personne de son Fils unique. Et si cela est dit des Rois, que sera-ce du commun populaire? nous faut bien donc retenir l'ordre que met yci le Prophete: car il advertit qu'il faloit que nostre Seigneur Iesus fust comme desfiguré, et que le monde le reiettast. Puis que nous sommes avisez de cela par le sainct Esprit, que nous ne le trouvions point estrange, et que nous ne laissions pas de l'embrasser avec une vraye foy: et combien que de prime face sa croix (qui est un gibet detestable selon les hommes) nous peust destourner et que ce fust pour nous aliener du tout de luy neantmoins que nous ne laissions pas de chercher là toute nostre gloire, c'est ascavoir en Iesus Christ crucifié. Et au reste que nous ne soyons point arrestez a ce qu'il a souffert, pour concevoir seulement en luy ceste ignominie a laquelle il s'est volontairement assuieti pour nous: mais que nous conioingnions la resurrection avec la mort et cognoissions qu'estant crucifié il est neantmoins assis comme Lieutenant de Dieu son Pere, pour exercer l'Empire souverain, et pour avoir toute vertu tant au ciel qu'en la terre. Et voyla pourquoy il est dit qu'il sera exalté. Il est vray que ce qu'il a este eslevé au gibbet, c'estoit un opprobre selon les hommes: mais si est-ce qu'il se mocque du diable, et qu'il despite tout le monde, en disant qu'il sera exalté vrayement, et que quand il aura este exposé a telle ignominie, que chacun luy aura tiré la langue, et desgorgé contre luy ses blasphemes et vilenies, toutesfois si est-il assis en son siege, comme nous ayons desia allegué du passage de sainct Paul. Et en l'antre lieu notamment il dit, que la croix, combien qu'auparavant ce fust un gibbet plein de vergogne, a este comme un chariot triomphant: et que Iesus Christ non seulement a vaincu là le diable, mais qu'il a monstré que nous pouvons maintenant nous glorifier, entant que nous sommes maintenant absous de toute condamnation: que le peché n'ha plus nulle puissance sur nous et que tous les diables d'enfer sont deboutez de tout ce qu'ils pourroyent pretendre a l'encontre de nous.

Voyla donc en somme comme nous devons monter par foy a la gloire de nostre Seigneur Iesus Christ, afin que nous n'ayons point honte de chercher nostre salut en sa croix, nostre benediction en sa malediction, nostre vie en sa mort, et puis

SERMONS

603

nostre gloire en ce qu'il a este exposé en telle ignominie, et nostre ioye en ce qu'il a eu tant d'angoisses, qu'il en a sué sang et eau. Voyla en somme ce que nous avons a retenir de ce passage. Or notamment le Prophete dit qu'il arrousera. Il est vray que par similitude ce mot yci signifie aussi bien Faire parler: mais quand tout sera bien regardé on trouvera que le sens naturel du Prophete est que Iesus Christ arrousera toutes nations: c'est a dire combien qu'il soit un tronc de bois sec et sterile, si est-ce que tout le monde sera arrousé de sa vertu. Brief il monstre que Dieu besongnera d'une façon incompréhensible, et qu'il ne faloit pas que les Iuifs s'attendissent a quelques moyens humains, mais qu'ils espérassent que Dieu surmonteroit tout ce que les hommes peuvent penser. Car quand on nous parle de miracles, il faut que nos sens dépaillent: et quand on nous parle de mysteres, c'est a dire secrets, il faut, que nous cognoissions que nous ne sommes pas iuges competans ni arbitres, pour dire, Il faut qu'ainsi soit: mais que nous avons a adorer ce qui ne peut entrer en nostre teste, dont la raison nous est incognue. Voyla donc en somme ce que nous avons encores a retenir. Or maintenant ceste admonition nous appartient: que, comme i'ay desia dit, nous souffrions d'estre arrousez de nostre Seigneur Iesus Christ: et combien qu'il soit apparu comme sterile, et qu'on ne trouvast en luy rien digne de reputation toutes fois quand il se presentera a nous, et qu'il en voudra approcher, que nous ne le repoussions point par nostre incredulité: mais que nous luy donnions plustost acces par foy. Voyla en somme ce que nous avons à retenir de ceste doctrine du Prophete.

Et au reste, il adiouste comme tout le monde sera arrousé de nostre Seigneur Iesus Christ, c'est ascavoir par la predication de l'Evangile: Car ce? x (dit-il) ausquels il n'avoit point este raconté, l'orront, et ceux qui n'avoyent entend?', entendront. Yci le Prophete amplifie son propos, monstrant que nostre Seigneur Iesus seroit envoyé de Dieu son Pere, non pas seulement pour les Iuifs (combien qu'il leur ait este promis par exprès) mais qu'il sera Sauveur de tout le monde. Or que le sens du Prophete soit tel, sainct Paul le declare au quinzieme chapitre des Romains applicquant ces mots a ce qu'il estoit envoyé par les pays estranges, et qu'il avoit couru çà et là remplissant toutes regions de l'Evangile, là où iamais on n'avoit parlé de Dieu: et que non seulement il preschoit entre les Iuifs mais aussi entre les Payens. Nous voyons donc à quoy le Prophete a tendu: et ce passage nous doit estre comme une clef pour nous donner ouverture au Royaume de Dieu. Car si Iesus Christ n'avoit este promis qu'a la lignee d'Abraham, de quoy

604

nous profiteroit-il? Encores qu'il fust Sauveur et Redempteur, cela nous seroit inutile, nous n'y aurions ni part ni portion. Mais d'autant qu'il a este predit si long temps devant qu'il fust envoyé, qu'il arrouseroit tous peuples: voire, pource que ceux qui auparavant n'avoyent point entendu, entendront: et ceux ausquels il n'avoit point este raconté l'orront: cognoissons que nostre Seigneur nous à adoptez, quand Iesus Christ est venu au monde, et qu'il a accompli ce qui estoit requis et necessaire a nostre salut: tellement que la doctrine de l'Evangile est maintenant comme une playe pour nous donner vigueur celeste, en lieu que nous sommes du tout steriles: et pour ce que nous sommes affamez et vuides de la race de Dieu, qu'il faut que nous recevions substance par la doctrine de l'Evangile, et que nous sentions ce que vaut et de quoy nous profite la mort qu'a souffert nostre Redempteur, et que sa vie est la perfection de nostre iuge. Or il est certain que le Prophete n'a point voulu yci parler des Iuifs, qui dés leur enfance estoyent nourris et accoustumez en la Loy: mais a compris les nations estranges qui auparavant n'avoyent sinon toutes superstitions et idolatries. Car le Dieu d'Israël estoit debouté de tout le monde, on le mesprisoit, et les Payens avoyent la vraye religion en mocquerie. Or il est dit que ceux là orront, et ayant ouy, qu'ils entendront. Par ces mots le Prophete monstre dont vient la foy, ascavoir de l'ouye de la parolle de Dieu: mais cependant il signifie aussi que ce n'est pas le tout que nous ayons les aureilles batues de la predication de l'Evangile, sinon que l'intelligence y soit coniointe. Or cela n'est pas donné a tous: il faut donc restreindre ceste sentence aux eleus de Dieu, et a ceux qui sont renouvelez par le S. Esprit: comme aussi il le declare plus expressément en ce qu'il adiouste: Qui croira a nostre doctrine? Et sur qui le bras du Seigneur sera-il revelé? ou desployé? Yci le Prophete s'arreste au milieu de son propos et comme en s'estonnant et estant esmerveillé s'escrie. Et c st un passage qui est bien digne d'estre noté. Nous avons veu qu'il exhortoit les fideles a magnanimité et constance, comme disent, Mes amis, ne soyez esbahis si en vostre Redempteur il n'y a nulle dignité, et qu'il ne soit point prisé du monde: mais plustost que chacun luy crache au visage, et qu'on le despite, et qu'on l'ait mesmes en execration: que pour tout cela vous ne soyez point desgoustez de luy. Car Dieu l'avoit ainsi ordonné: et cependant vous voyez la fin: c'est, qu'estant retiré des abysmes de mort, il a este exalté en haut, voire pour avoir authorité sur toutes creatures. Ainsi donc que vous ne laissiez pas d'adorer ce Redempteur qui s'est ainsi humilié pour vostre bien. Et de faict il l'accompare a la

DE LA PROPHETIE DE CHRIST:

605

pluye, et dit que Dieu arrousera ceux qui iamais n'avoyent rien entendu de verité, qui avoyent este comme povres bestes brutes. Ceux là, dit-il, seront enseignez, et seront faits participans du salut qui a este acquis, et l'Eglise de Dieu sera espandue par tout le monde, tellement que ceux qui auront blaspheme contre la pure doctrine, auront la bouche close, sinon pour confesser avec toute reverance et sobrieté qu'il n'y a que le Dieu d'Israël qui doyve estre honore, et que son Fils unique, auquel est l'Image expresse de sa gloire, et de sa maiesté doit estre receu pour luy faire hommage. les Rois mesmes, combien qu'ils soyent aveuglez en leur orgueil, seront contraints de s'humilier, et faudra qu'ils se rangent en toute obéissance. Voyla des propos bien magnifiques que le Prophete a tenu.

Or maintenant il prevoit que quand l'Evangile sera presché par tout le monde, les uns s'en mocqueront, les autres seront a l'encontre, les antres n'y prendront nul goust, les autres demeureront stupides, les autres par hypocrisie mentiront a Dieu, et auront quelque apparence d'obeissance a la doctrine, mais ce ne sera qu'un faux semblant. Le Prophete donc voyant le monde ainsi malin, et prevoyant que Dieu ne sera point escouté, que sa Parolle ne sera point receuë en telle reverance qu'elle merite, se trouve esmerveillé, et s'escrie Qui est-ce qui croira a nostre doctrine? Comme s'il disoit, Helas, ie presche yci le salut du monde, et tout est desesperé et perdu sinon que ce remede-ci soit donné: c'est ascavoir que Dieu envoye son Fils unique, lequel bataillant contre le diable et la mort, nous acquiere par ce moyen iustice et vie: car ceste doctrine doit arrouser tout le monde autrement nous sommes steriles. Il n'y a que toute secheresse et povreté en nous: cependant Dieu n'attend pas que nous demandions qu'il nous arrouse, mais il vient au devant, et s'offre liberalement, et nous presente là son Fils unique avec sa doctrine: et en cela il se monstre tellement amiable, qu'il doit bien estre receu sans aucun contredit: mesmes chacun ne deveroit-il pas estre enflammé d'un tel zele, qu'il meprisast tout le reste pour embrasser ce Redempteur qui est apparu? Or tant s'en faut que cela se face, qu'a grand peine y en a-il la dixieme partie de ceux qui oyent, qui soyent touchez a bon escient. Et de faict l'experience monstre que les uns se mocquent, comme ce sont contempteurs de Dieu qui n'ont ne foy ne religion non plus que des chiens, et tienent comme fable tout ce qui leur est presche de la vie eternelle. les autres ne se contentent pas d'avoir la Parolle de Dieu en tel mespris, s'ils ne passent outre: car ils sont enflammez en une rage et furie a l'encontre. D'autre part il y en a les uns qui blasphement

606

a plene gorge, les autres ne demandent qu'a se tenir a ce qu'ils ont conceu en leur cerveau. pres on en verra beaucoup de stupides, qui ne sont esmeus nullement, et ne peuvent estre touchez non plus que des pierres: les autres encores qu'ils ayent quelque belle couverture de pieté, sont menteurs et pariures, il n'y a que fallace en eux et hypocrisie. Nous voyons cela: et quand le Prophete ne auroit pas dit, ouvrons les yeux et nous le trouverons estre accompli. Et n'est-ce pas une chose espouvantable, et un monstre contre nature? Il est bien certain. Or yci nous pourrions estre fort scandalisez, et mesme ce nous seroit comme une barre pour nous empescher de venir a l'Evangile, quand nous regarderions a ce que fait le monde, et dirions, Et comment? Ia parolle de Dieu doit estre le souverain bien et la félicité des hommes, comment est-ce qu'elle est ainsi reiettee? Et puis comment Dieu souffre il qu'on se mocque ainsi de luy et qu'on luy resiste, et qu'il ne se face point ouir, qu'il ne se face point donner le credit qui luy appartient? Voyla comme nous sommes tentez de ne point croire a l'Evangile. Voire: comme si l'infidelité des hommes deroguoit a la verité de Dieu, et qu'elle amoindrist l'honneur qui luy appartient. Ainsi non sans cause le Prophete Isaie a entrelacé ceste sentence. Car s'il eust simplement dit ce que nous avons veu par ci devant, c'est que tout le monde devoit estre arrousé de nostre Seigneur Iesus Christ, et que la doctrine de l'Evangile devoit avoir son estendue par tout et que les Rois se devoyent assuiettir a luy maintenant nous dirions, Ho, ce n'est pas pour nostre temps que le Prophete Isaie a parlé: car nous voyons tout l'opposite, au lieu que la terre seroit arrousee pour obtenir salut, nous voyons qu'il y a un deluge de toute iniquité: nous voyons que les hommes sont comme abbrutis avec une rebellion infernale pour reietter tout ce qui est de Dieu. On voit brief que l'Evangile est si mal receu que c'est une horreur. Puis qu'ainsi est, ce que le Prophete a dit ne doit pas estre encore verifié. Or cela (comme i'ay dit) seroit pour renverser nostre foy, mais quand il conioint ceste sentence avec ce que nous avons veu ci dessus: c'est que cependant que Dieu envoye la pluye pour vivifier les hommes, il ne fait pas ceste grace speciale de son sainct Esprit a tous de recevoir ce qu'il dit: mais qu'il y en aura la plus part d'incredules, qui auront les aureilles bouschees, ou bien s'endurciront, et seront tant plus envenimez a mal: que les autres ne tiendront conte du bien inestimable qui leur est communiqué. Quand donc le Prophete a declaré toutes ces choses, et que nous le voyons, il ne faut plus que nous en soyons estonnez: mais que plustost nostre foy en soit confermee.

SERMONS

607

Voyla donc (en somme) ce que nous avons a retenir. Et ainsi faisons nostre conte que iamais le monde ne sera tellement converti a Dieu, qu'il n'y ait la plus part qui seront possedez de Satan, et qui demeureront là stupides, et qui aimeront mieux perir, que de recevoir le bien qui nous est presenté. Et il y en a diverses especes, comme nous avons dit: les uns seront stupides, les autres auront une fierté pour se mocquer de Dieu, et une folle outrecuidance pour condamner tout ce qui est contenu en l'Evangile: les autres seront enveloppez es solicitudes de ce monde. Ils seront preoccupez de leurs finesses et tromperies, tellement qu'ils ne gousteront rien de ce qui est du ciel: les autres seront abbrutis, tellement qu'on ne peut pas entrer iusques en leur esprit, pour leur monstrer nulle doctrine. Quand donc nous voyons tout cela, que nous facions nostre conte, combien que l'Evangile se presche, et que la voix de Dieu resonne et retentisse partout, neantmoins que beaucoup de gens demeureront tels qu'ils estoyent, et ne changeront point, et toute doctrine leur sera comme morte. Voyla pour un item. Et ainsi voyons nous le nombre des croyans estre petit. Il reste que pour cela nous ne soyons point desbauchez, mais que plustost nous cognoissions que Dieu accomplit ce qu'il a prononcé de sa bouche. Et cependant nous devons estre tant plus solicitez a nous recueillir comme sous les ailes de Dieu, quand auiourd'huy tout le monde est plein de malice et de rebellion. Il est vray que nous devons craindre, et nous faut cheminer en plus grande sollicitude. Car si tous estoyent bien disposez a servir Dieu, nous aurions de tous les costez des exemples, qui seroyent assez pour nous inciter a vaillement nous y employer de nostre costé: mais quand il est dit que la plus part de ceux ausquels l'Evangile se preschera, seront comme des diables, et qu'on ne trouvera par tout que desbauchemens, tellement qu'il semblera que le monde ait conspiré de nous aliener plenement de Dieu, alors nous avons bien occasion de cheminer en crainte. Car si nous n'estions miraculeusement preservez de Dieu, que seroit-ce? Ainsi donc quiconques voudra adherer a l'Evangile, qu'il s'appreste de resister a tous scandales, et que quand il ne verra pas que les autres facent leur devoir, que pour cela il ne soit destourné: mais quand nous verrons tout le monde fouller au pied la Parole de Dieu, que nous y soyons adonnez: et non seulement cela, mais que d'autant plus nous mettions peine de nous ranger a nostre Dieu, quand nous verrons que les scandales et les mauvais exemples nous pourroyent destourner de luy: et que nous demourions en l'integrité ou Dieu nous appelle.

Voyla donc ce que nous avons a retenir sur

608

ce que le Prophete s'escrie yci en disant, Qui est-ce qui croira a nostre ouye? Car il presuppose que le nombre en sera clair semé: et que quand l'Evangile sera publié partout, si on regarde combien il a profité, en entrouvera bien peu qui ayent une racine vive, et qui se soyent reduits et reformez, qui changent de vie, qui renoncent a eux mesmes pour se dedier plenement à Dieu: on verra di-ie, que le nombre de ceux-là sera petit. Mais cependant il adiouste la cause que nous ne pouvons pas maintenant exposer, c'est ascavoir qu'en cela il nous faut aussi noter que la foy est un don special de Dieu, et que ce n'est pas le tout d'avoir la doctrine, et que nous en avons les aureilles batues: mais qu'il faut que Dieu nous touche, et qu'il besogne en nous d'une vertu secrete, tellement que nous soyons attirez a luy, et que nous soyons edifiez par la predication que nous avons ouye. Mais cela ne se pourroit point despescher pour maintenant, pourtant nous le reserverons a un autre iour.

Or nous-nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu en cognoissance de nos fautes, le prians etc.

SECOND SERMON

Isaie Chap. LIII.

1. Qui croira a nostre predication, et le bras du Seigneur a qui sera-il revelé? 2. Si montera-il comme un surgeon devant luy, et comme une racine de terre deserte. Il n'ha ne forme ne beaute, et avons veu qu'il n'y avoit nulle excellence pour estre desiré. 13. Il a este mesprisé et reietté entre les hommes, homme de douleur, scachant que c'est d'infirmité, tellement qu'on cachera sa face de luy avec mespris et ne l'estimera-on rien. 4. Vrayement il a porté nos langueurs, etc.

Nons avons commencé a traitter combien que l'Evangile deust estre publié par tout le monde que toutesfois il seroit tres mal receu de la plus part: et que le Prophete l'a ainsi declaré, afin que les enfans de Dieu ne s'estonnassent point, voyans l'incredulité de ceux qui avoyent les aureilles batues de la doctrine de salut, et neantmoins ne la vouloyent nullement accepter. Car c'est une chose estrange que Dieu appelle a soy les hommes, et tasche de les gaigner d'une façon si humaine et gracieuse que rien plus, et que neantmoins les hommes se destournent de luy et qu'a leur escient ils refusent de venir au salut qui leur estoit ainsi presenté. Il semble que cela soit impossible: or

DE LA PROPHETIE DE CHRIST..

609

nous le voyons toutesfois par experience. Voyla pourquoy le Prophete s'escrie, quand Dieu comme a son de trompe voudra publier son Evangile, que neantmoins il n'y aura qu'un petit nombre de croyans. Il adiouste la raison, qu'il faut bien que Dieu revele sa vertu, pour donner la foy a ceux qui de leur sens naturel seroyent tousiours incrédules. Qui est cause que nous voyons beaucoup de gens reietter l'Evangile, qu'il y en a tant qui sont desgoutez, et qui conçoyvent un tel scandale, qu'ils aiment mieux ressembler a ceux qui despitent ainsi Dieu, que d'approcher paisiblement de luy? qui est cause, di-ie, de cela, sinon que nous imaginons que la foy est en la puissance d'un chacun? Mais le Prophete nous monstre que combien que Dieu commande que sa Parolle soit publiee a tous, c'est a dire aux bons et aux mauvais, neantmoins il besongne d'une façon secrete en ses eleus comme s'il leur faisoit sentir son bras et sa vertu. Notons bien donc quand l'Evangile se presche, que ce sera comme un son inutile, iusques a ce que nostre Seigneur monstre que c'est luy qui parle: car il ne fait pas ce bien là a tous. Voyla donc la vertu de Dieu qui est cachee aux reprouvez: et ainsi, c'est un privilege que Dieu fait a peu de gens, et a ceux qu'il a eleus et adoptez pour parvenir a la vie eternelle, quand il leur declare que l'Evangile est la doctrine de salut, que c'est une verité certaine, a laquelle il se faut tenir.

Voyla en somme ce que le Prophete Isaie a voulu toucher en ce passage. Or la dessus nous avons a estre munis et armez contre est obiect que le diable nous met devant les yeux, quand nous voyons tant de gens resister a l'Evangile, voire les plus grans, et ceux qui ont quelque reputation au monde: car lors il nous semble quasi que ce n'est point la parolle de Dieu. Et pourquoy? Nous dependons par trop des hommes: voyla comme nostre foy s'esbransle. Ainsi surmontons tout ce qui est du monde, et cognoissons que quand Dieu parle, il nous faut assuietir a luy: et encores que nul ne nous y tiene compagnie, mais que tous nous fussent ennemis, que nous ne laissions pas pourtant d'accepter en pureté de foy ce que Dieu prononce. Et au reste, afin de n'estre point trop esbahis que les hommes soyent si pervers de batailler contre leur Dieu, contre celuy qui les a creez, celuy mesme qui s'est declaré leur Redempteur, que nous scachions qu'il n'est pas donné a tous, et que la foy est un don singulier que Dieu reserve comme un thresor a ceux qu'il a eleus, et cognoissons que nostre devoir est d'adherer a luy, que nous scachions neantmoins que chacun de nous ne s'est point donné la foy de son propre mouvement, mais que Dieu nous a illuminez, et nous a donné les yeux par son S. Esprit, et en ce faisant nous a declaré sa

610

vertu, c'est a dire, il nous en a donné un sentiment vif en nos coeurs, tellement que nous scavons que ce n'est point des hommes que l'Evangile procede mais de luy. Voyla en somme que nous avons à retenir de ce passage. Brief, despitons hardiment l'incredulité et obstination de tous ceux qui sont rebelles a Dieu, et marchons là ou il nous appelle, et acceptons le bien qu'il nous offre, afin que nous ne soyons point coulpables de ceste ingratitude que le Prophete accuse et condamne yci en tous ceux qui n'obeiront point a la doctrine de l'Evangile. Or là dessus il monstre que les hommes ne daignent pas croire a Iesus Christ, a cause qu'ils le voyent comme desfiguré. Nous scavons que nostre Seigneur Iesus est appelé pierre de scandale et d'achoppement, pour e que les hommes se vienent heurter contre luy. Cependant il nous a esté donné de Dieu son Pere a un autre usage: c'est que nous soyons fondez sur sa grace, et qu'il soit comme une pierre pour nous soustenir tous: car il n'y a autre appuy et fermeté que luy. Nous sommes donc tous en bransle, et mesmes l'enfer est ouvert pour nous engloutir. Ainsi voyla nostre salut qui n'ha nul fondement en ce monde, mais il faut que nous soyons appuyez en nostre Seigneur Iesus Christ. Et voyla pourquoy au huitieme chapitre quand il est dit qu'il seroit mis comme une pierre precieuse, et que le Temple de Dieu y seroit edifie, une pierre forme qui seroit pour soustenir tout l'edifice, le Prophete adioustoit aussi qu'au royaume de Iuda, et a la maison d'Israel, il seroit une pierre de scandale.

Suyvant cela maintenant, il est dit que nostre Seigneur Iesus sera comme un petit surgeon, comme une racine venant en terre deserte et sterile, qu'il sera mesprisé: on le voit, on ne daignera pas le regarder: que chacun destournera son visage, et qu'on l'aura en detestation. Voyla donc comme peu de gens croirons a l'Evangile: car nous cherchons tousiours d'avoir quelque belle apparence devant nos yeux, nous voudrions que tout reluisist. Or Dieu a procedé d'une autre façon, quand il nous a voulu racheter: car (comme dit sainct Paul) d'autant que le monde n'a peu faire son profit de la sagesse de Dieu, quand il s'est declaré Createur, tellement que par regarder le ciel et la terre on po voit venir a luy, il a changé de mode, et a usé comme d'une espece de folie pour nous enseigner. Car (comme i'ay dit) nous devions bien estre enseignez par ceste sagesse admirable de Dieu, qui apparoist haut et bas a tout le monde, mais nous y avons este estourdis. Dieu donc a usé comme d'une folie, quand il a envoyé son Fils unique, qu'il l'a assuieti a toutes nos infirmitez, qu'il a este reietté du monde, estant nay en une estable, quand toute sa vie il a este comme un

SERMONS

611

povre mechanique: et en la fin nous voyons que tous se dressent contre luy: et y a eu une rage telle, qu'il a este on detestation, et a este ennemi de chacun, et en la fin on l'a crucifié. Or ceste mort là estoit maudite de Dieu: et il n'estoit pas seulement desfiguré par les soufflets, les crachats et la couronnè d'espines mais il a este malediction, quand il a este pendu entre deux brigans, comme s'il estoit le plus detestable qui iamais eust este et fust cognu. Or ceste espece de mort-la estoit effrayante, pource qu'elle estoit maudite en la Loy. Voyla comme il a este desfiguré: car ce moyen ci a tourné en scandale aux hommes. Et pourtant le Prophete notamment dit qu'on ne croira point a l'Evangile, pource que les hommes ne peuvent concevoir que cela soit raisonnable, et ne peuvent approuver nullement que le Fils unique de Dieu, qui est le Seigneur de gloire, soit expose a tel opprobre et ignominie: ils ne se peuvent accorder a ce conseil eternel de Dieu, et qui a este de toute eternité. Nous voyons maintenant l'intention du Prophete.

Or là dessus il dit que neantmoins s sera il eslevé. si du commencement il n'ha nulle apparence, Dieu le fera croistre: et on le verra a l'oeil, dit-il, qu'estant en terre deserte, estant un petit surgeon, si ne laissera-il pas d'estre augmenté, et de florir en toute gloire: car Dieu y mettra la main. Et puis il nous ramene a nos pochez, pour oster le scandale que nous concevons par la perversité de nostre esprit. Afin donc que nous ne refusions pas de venir a nostre Seigneur Iesus Christ, le voyans ainsi desfiguré, le Prophete monstre la cause pourquoy Car a la verité, si nous avons une fois cognu nos pechez, et que nous ayons apprehendé l'ire de Dieu quant et quant, alors nous viendrons a nostre Seigneur Iesus Christ, et le desir que nous aurons d'estre secourus de luy, fera que nous serons tant plus enflammez a recevoir sa mort et passion: car nous cognoistrons que c'est un remede nécessaire pour le mal qui est en nous: voyla donc en somme la procedure que tient yci le Prophète. Or quand il accompare nostre Seigneur Iesus Christ a un surgeon, et a une racine qui est en terre deserte et sterile, c'est pour monstrer que les commencemens seront petis, et qu'on n'en tiendra conte: mesmes que tout le monde aura cela on mocquerie et on risee. Desia en l'onzième chapitre il avoit accomparé nostre Seigneur Iesus Christ a un surgeon, disant qu'il sortiroit du tronc d'Isai, qui est le pere de David. Pour ce donc que la maison Royale estoit alors abbatue, et n'y avoit plus nulle dignité, il disoit que ce seroit comme du temps iadis, qu'Irai estoit un homme champestre, il avoit ses enfans bouviers et pasteurs des champs. Ceste maison là estoit donc obscure,

612

sans aucune reputation: et puis elle estoit comme un tronc d'arbre qui aura este coupé, on marchera dessus et n'y aura nulle apparence. Iesus Christ donc a este comme, un petit surgeon: mais il est dit puis apres, qu'il croistra en telle sorte, qu'il fera ombrage a tout le monde. Yci aussi le Prophete monstre qu'il faloit que nostre Seigneur Iesus fust ainsi mesprisé du commencement. Car ci cela n'eust este notamment declaré, on pouvoit estre scandalizé a bon droict voyant la venue de nostre Seigneur Iesus Christ estre ainsi contemptible selon le monde. Car il estoit dit, qu'il y en auroit tousiours quelques uns assis sur le siege de David, et que cest empir-la floriroit cependant qu'il y auroit soleil et lune. Or voyla ceste maison Royale qui est comme rase et aneantie: et qui estimera que la promesse s'accomplisse en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ: car il n'y avoit plus apparence qu'elle deust estre remise en estat. Mais quand il est dit que ceste maison-la sera comme toute defaillie, et qu'il n'y aura plus aucune preeminence ne sceptre, ne couronne: et mesme qu'on aura quasi honte de veoir une telle ruine et confusion: quand donc tout cela est declaré par les Prophètes, alors nous avons bonne entree, ascavoir Iesus Christ. Et ne faut pas que nous soyons estonnez, comme d'une chose nouvelle et incognue, si Iesus Christ apparoist d'une façon si petite. Et de faict, ce n'est point seulement en ce lieu que le S. Esprit a ainsi parlé. Nous voyons ce qui est dit par Amos, que Dieu redressera ce siege qui avoit este ruiné auparavant, comme aussi ce passage est allegué AU 15 chapitre des Actes, pour monstrer que nostre Seigneur Iesus commencera a regner, quand il plaira a Dieu de reparer les choses qui estoyent confuses. Et notamment il avoit este dit que ce Royaume-la seroit comme foullé au pied avec la couronne Royale, et qu'il n'y auroit point de chef pour la porter, iusques a ce que le Redempteur veinst au monde. Toutes ces choses-la donc nous doyvent confermer, afin que nous ne trouvions point estrange que les commencemens de nostre Seigneur Iesus Christ ayent este ainsi petis.

Au reste, par ce mot de terre deserte, le Prophete entend qu'il ne semblera pas que nostre Seigneur Iesus de vo croistre, non plus qu'un arbre en un desert, ou il n'y a ni humidité, ni rien qui soit. Le voyla donc comme un arbre desfiguré, par faute d'estre nourri, et de tirer substance et humeur de la terre. Or il est dit que Iesus Christ sera ainsi du commencement, pour exprimer qu'il n'y aura point de moyens yci bas pour l'augmenter: mals qu'il prendra son accroissement d'enhaut et de la vertu secrete de Dieu son Pere: qu'il ne sera point aidé du costé du monde: car il n'y a que sterilité: et cela n'a pas este seulement de sa naissance

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

613

mais il se doit rapporter a tout le cours de l'Evangile. Vray est que desia ç'a este un signe, que Iesus Christ estoit un petit surgeon, quand il ne trouve point lieu pour se loger entre les hommes, mais qu'il est là comme reclus et banni de toute compagnie, et c'est nourri en telle povrete, qu'on ne scait pas s'il est homme. Cela a bien esté desia pour preparer les fideles a ce qu'ils cogneussent que Iesus Christ seroit reietté et contemptible selon le monde: mais le principal a este quand il est apparu pour prescher l'Evangile, et pour executer la charge qui luy estoit commise de Dieu son Pere. Alors ils ont commencé a dire, Et n'est ce pas yci le Fils d'un charpentier? et ne cognoist-on pas comment il a este nourri? Et en quelle eschole a-il apprins d'estre si grand docteur? Et ses parons mesmes voyans qu'il est ainsi hay luy veulent faire acroire qu'il est hors du sens, et qu'il faut qu'on le lie et qu'on l'emposche, afin qu'on ne les lapide tous: car ils voyent bien que ceste haine-la seroit contre toute la maison. Finalement voyla Iesus Christ qui est crucifié. Il semble que l'Evangile soit enseveli avec luy, et que la memoire en doyve estre du tout esteinte. Qui eust dit que les Apostres pouvoyent ainsi avancer la doctrine de salut? Voyla des povres idiots, qui iamais n'ont cognu que c'estoit de letres, ils n'ont pas este exercez en l'Escriture saincte, ils n'ont faconde ne dexterité aucune: et puis ce sont gens reculez, et on ne daignera pas leur prester l'aureille, quand bien ils parleroyent comme des Anges. En cela que voit-on, sinon terre deserte? où sont les grandes pompes et les preparatifs pour faire que les Rois et les princes s'assuietissent à l'Evangile? Mais a l'opposite voyla glaives desgainez, les feux allumez pour empescher que ceste doctrine n'ait son cours.

Ainsi donc on voit bien que c'est comme si en une terre deserte il y avoit un petit baston planté. Et qui dira qu'il y doyve avoir un arbre qui couvre tout le monde, et que chacun ait la son refuge? Qui est-ce qui pourroit imaginer cela, voyant les commencements estre tels? Ainsi donc non sans cause le Prophète Isaie declare que le monde qui est addonné par trop a pompes et a hautesse, ne daignera pas regarder a Iesus Christ: mais qu'on le tiendra comme mesprise, d'autant que c'est un surgeon, une petite verge, estant sortie d'une terre sterile, là m il n'y a ni eau, ni humidité, ni aucune substance en vigueur Or ceci notamment nous est remontré, afin que nous ne soyons point destournez ni desbauchez par un tel scandale, que nous ce venions promptement a nostre Seigneur Iesus Christ. Quand donc il nous a este declaré comment l'Evangile devoit estre presché au monde, et que nous voyons encores auiourd'huy le semblable,

614

a scavoir que l'Eglise sera seulement comme une petite poigne de gens qu'on estimera racaille, et que mesmes nous serons en abomination a ceux qui auiourd'huy ont toute la vogue au monde, que pour cela nous ne perdions point courage. Car nous voyons comme nostre Seigneur Iesus Christ est apparu du commencement: et si encores il veut que son Royaume soit auiourd'hui conservé en telle façon, que cela n'empesche pas que nous ne venions nous ranger a luy. Et cognoissans que la folie de Dieu (comme sainct Paul en parle) a surmonté toute la sagesse des hommes, que nous ne soyons point si outrecuidez de nous opposer a cela: mais cognoissons, que comme Dieu a voulu aneantir son Fils aussi l'a-il voulu exalter par dessus les cieux: et trouvons bon ce qu'il en a ordonné en son conseil: et y acquiesçons.

Au reste notons bien ce mot qu'il montera devant luy que qu'il en soit. Si par nostre orgueil et nos despitemens nous cuidons fouller Iesus Christ au pied, et le tenir sous terre, c'est un abus: il croistra on despit de toute l'incredulité, malice, ingratitude et rebellion des hommes: voire, mais ce Sera devant Dieu. Or il est vray qu'il croist aussi bien devant les fideles: car ils l'adorent en toute obeissance, et cognoissent que le nom souverain que Dieu luy a donné, merite bien que tous plient le genouil devant luy. Mais notamment le Prophète a dit qu'il croistra devant Dieu, faisant yci comme une balance entre les hommes qui taschent de renverser la gloire de nostre Seigneur Iesus Christ, et de la tenir comme supprimee: et Dieu son Pere qui luy prestera la main, et fera que rien ne puossé empescher qu'il ne parviene au fruit de sa gloire et de sa maisté, a laquelle il a este appelé. Voyci donc le sens naturel de ces mots, que nostre Seigneur Iesus est comme un surgeon: voire si on regarde a l'apparence exterieure: et est on un desert, pource qu'il n'y a nuls moyens de ce monde pour le faire croistre, mais quoy qu'il en soit, il croistra. Et comment? Devant Dieu. Ainsi donc, ne nous esbahissons plus quand les hommes se mocqueront de la doctrine de l'Evangile, et qu'elle sera comme en opprobre a cause de l'orgueil qui est on tous incredules: mais quand nous verrons les ennemis le verité estre si arrogans, et lever les cornes contre nostre Seigneur Iesus Christ, et mesmes batailler contre luy avec toute furie, destournons nostre veue de là: que nous ce soyons pas si fols de mespriser le Fils de Dieu, d'autant que la louange qu'il merite ne luy est point rendue par les aveugles, et ceux qui sont possedez de Satan, et qui sont ensorcelez du tout: plustost regardons a Dieu, et alors nous serons bien edifiez en nostre foy. Car puis que Iesus Christ s'augmente ainsi en la presence de Dieu son Pere. c'est bien

SERMONS

615

raison que de nostre costé nous le magnifions, et luy rendions ce qui luy appartient: brief, que nous apprenions de nous arrester pleinement a Dieu, et lors nous pourrons despiter franchement le monde. Et combien qu'il ne tiene conte de la Parolle de Dieu, si ne laisserons-nous pas de rendre plene obeissance a icelle, comme nous la luy devons. Et pourquoy? D'autant que Dieu nous sera plus qu'une multitude infinie de contredisans, qui nous pourroyent desbaucher de venir a nostre Seigneur Iesus Christ. Et cela nous est bien necessaire auiourd'huy: car (comme nous avons touché) nous voyons les plus grans de ce monde et ceux qui sont reputez des plus sages, batailler toutesfois contre l'Evangile: et ceux qui se vantent d'estre les plus grans supposts de l'Evangile, ceux mesmes qui ne se contentent pas de s'appeler Chrestiens, mais qui veulent surmonter, comme en degré superlatif, tous les autres: que ceux-la di-ie, sont neantmoins comme supposts de Satan pour abolir la verité de Dieu et se dresser contre nostre Seigneur Iesus Christ et sa Parole. Si cela, di-ie, nous estonne, notons bien ce qui est yci dit, que si nous voyons les hommes estre si obstinez et endurcis de ne point recevoir le Fils de Dieu, quand il se presente a eux, il nous les faut despiter, voire les plus grans de ce monde: car ce n'est qu'ordure s'ils sont accomparez a Dieu. Il est vray que selon l'estat present, ils auront une telle maiesté qu'il semblera que tout doyve trembler sous eux: mais si nous pouvons eslever nos sons a Dieu, et ietter là nostre veue il est certain que toutes ces fanfares du monde né nous seront rien, non plus qu'un festu. Voyla donc comme nostre foy se doit eslever, afin que rien que nous verrons yci bas, n'empesche que Iesus Christ n'ait son authorité envers nous

Voyla donc ce que nous avons a retenir de ce passage. Et mesme d'autant que Dieu besongne par façons estranges et incomprehensibles, cela nous doit tant plus confermer. Si l'Evangile estoit presché par gens de grande estime, que les Rois et les princes s'y assuiettissent, qu'on teinst les estats par tout, et qu'il fust conclud, Voyla où il nous faut tenir, voyci une verité celeste, et s'y faut accorder, et que chacun de son costé y favorisast, et y applicquast toutes ses forces et facultez, ce seroit comme si une terre grasse estoit bien cultivee, et que là on plantast des arbres, et des vignes, qu'on y semast du bled, que tout le monde y aidast, qu'on n'y espargnast rien. Quand donc une terre seroit ainsi cultivee, qu'elle auroit la pluye en saison, et qu'on seroit tousiours apres: brief, que nulle peine ne seroit espargnee: et bien, cela seroit naturel: on n'appercevroit point que Dieu y eust mis la main. Mais quand auiourd'huy, nous voyons les contradictions et repugnances qui sont pour opprimer

616

l'Evangile, quand nous voyons qu'il y a tant de langues a loange: (car auiourd'huy non seulement ces caphars qui sont en toute la Papauté, se loent comme des putains pour blasphemer contre Dieu, et contre sa Parole, mais nous en verrons mesmes au n lieu de nous de telles canailles :) après nous verrons aussi comme la cruauté s'exerce contre les povres enfans de Dieu, et qu'on tient tous les iours complots nouveaux, pour forger des edits les uns sur les autres, afin d'aneantir du tout ceste doctrine. Nous verrons les mocqueries qui sont en toutes gens profanes, qui tirent auiourd'huy la langue, et qui voudroyent abolir toute religion. Quand donc nous voyons toutes ces choses, il faut bien conclure que Dieu surmonte, et que la doctrine est victorieuse et qu'elle procede de luy. Ainsi donc cela nous doit sérvir de confirmation, quand nous voyons qu'il n'y a rien en ce monde qui soit pour avancer le regne de nostre Seigneur Iesus Christ, et la doctrine de son Evangile, mais plustost que tous la retardent: et que neantmoins elle ne laisse pas de trouver entree et avoir son cours. Cependant nous sommes convaincus d'ingratitude si nous tournons cela en scandale, veu que Dieu nous appelle a soy, et nous monstre que c'est luy qui besongne: par quoy nous devons conclure, que c'est un miracle quand l'Evangile prospere ainsi. Voyla en somme comme nous devons auiourd'huy prattiquer ceste doctrine.

Or il y a encores plus: c'est que Iesus Christ devoit estre desfiguré. Le Prophete a desia dit qu'il seroit comme un petit surgeon: mais ceci est plus qu'il sera mesprisé, reietté, qu'on ne daignera pas le regarder, qu'il n'y aura rien en luy qui soit desirable. Ceci est pour monstrer que nostre Seigneur Iesus en sa personne, comme desia nous avons monstré, devoit estre vilipendé du monde, et souffrir toute ignominie, comme s'il eust este reietté, non seulement des hommes, mais aussi de Dieu. Or de chercher nostre salut, une chose si desirable, en celuy qui ha nulle monstre en soy, il semble que ce soit un abus. Si faut-il neantmoins, que nous surmontons ceste tentation, pour venir a Iesus Christ. Et ceci estoit bien necessaire, premierement a cause des Iuifs qui tousiours ont attendu un Royaume terrien: car ç'a este une nation plene d'avarice et d'orgueil, tellement qu'ils ont pensé que Dieu ne se pouvoit monstrer pitoyable envers eux, sinon en leur amassant toutes les richesses du monde, et faisant qu'ils vesquissent en delices et en pompes. Voyla quel redempteur ils ont esperé. Tant y a que Dieu les avoit bien advertis que le Redempteur seroit comme un petit surgeon, qu'il seroit reietté du monde. Et ceste admonition ne leur a pas este seulement necessaire, mais auiourd'huy aussi bien a nous: car ce scandale

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

617

est demeuré apres la resurrection de nostre Seigneur Iesus Christ, comme S. Luc en parle, que les Payens ont eu Iesus Christ comme en mocquerie: et les Iuifs se sont armez en venin et en malice contre luy, et se sont heurtez comme a la pierre de scandale. Et auiourd'huy encores nous voyons tels exemples de nostre temps. D'autant plus nous faut-il retenir ceste doctrine, c'est qu'il a falu que 19 Fils de Dieu ait este ainsi sans forme et sans beaute, qu'il n'ait eu rien en luy pourquoy on le deust priser: ie di quant a l'opinion des hommes: car il nous faut tousiours noter ce qui est dit au premier chapitre de S. Iehan, que la gloire du Fils unique de Dieu est apparue en luy: mais il y a eu beaucoup d'aveugles qui n'ont point cognu cela. Ainsi quand le Prophete Isaie declare que Iesus Christ sera comme tout desfiguré, qu'il n'y aura que deformité en luy. par cela il signifie que les hommes ne pourront pas en leur sens naturel cognoistre qu'il a este envoyé pour leur salut, et qu'il ait toute puissance et de vie et de mort, et que toute plenitude de iustice, de sagesse, et de saincteté soyent en luy. Les hommes, di-ie, ne pourront concevoir cela en leur cerveau. Voyla comme il nous faut prendre ce passage: car combien que nostre Seigneur Iesus ait fait des miracles qui ont testifié de sa vertu Divine, si est-ce que tousiours il n'a pas laissé d'estre desfiguré, et les incredules n'y ont veu goutte. Tousiours donc ce passage du Prophete a este accompli, que Iesus Christ n'a point eu de beaute qui attirast les hommes: car il n'est point yci parle seulement du visage: mais le Prophete en son Nom parle de toute la condition de nostre Seigneur Iesus Christ.

Il est bien dit au Pseaume 45, qu'il devoit estre eslevé en beaute, voire par dessus tout le genre humain: mais ceste beaute-là est spirituelle, suyvant ce que desia nous avons dit, que la gloire du Fils de Dieu est apparue en luy: voire, pour ceux qui ont eu les yeux, et qui l'ont peu contempler. Voyla donc nostre Seigneur Iesus Christ qui a surmonté en beaute tons les hommes: car Dieu luy a donné des marques infaillibles par lesquelles on a cognu que vrayement il estoit l'image vive de Dieu son Pere. Il y a donc assez de raison pour magnifier nostre Seigneur Iesus Christ, mais cela a este caché au monde. Ainsi il nous faut tousiours revenir a ce que dit le Prophete, que chacun luy a tourné le dos, que chacun luy a fermé les yeux, comme a une chose detestable. Comment? d'aller chercher ma vie en la mort, d'aller chercher mon esperance en celuy qui ne s'est peu secourir? de chercher ma vertu en celuy qui a este si debile? et qui seroit-ce? Brief, nous scavons, et chacun l'experimente en soy par trop, que selon que nostre Seigneur Iesus Christ a este

618

abbaissé en sa mort, aussi nostre foy trebuschera sinon qu'elle soit soustenue d'ailleurs. Quand donc il est question de nous arrester a nostre Seigneur Iesus Christ y avoir plenement nostre refuge, et avoir là nostre fiance comme attachee, nous regardons, Et comment? Ie voyla tellement aneanti en sa mort, qu'il nous semble que c'en est fait.

Or il nous faut venir a ce que le Prophete nous propose yci: c'est, qu'ayant este abbatu en la mort, Dieu l'a exalté par dessus toutes creatures. Et voyla aussi qui doit eslever nostre foy iusques au ciel. Quoy qu'il en soit, apprenons de n'estre point scandalizez, voyans que le Fils de Dieu a este crucifié, et qu'en sa personne il a souffert tout opprobre, et qu'encores auiourd'huy on le desdaigne en ses membres, on luy fait toutes les contumelies du monde; que cela, di-ie, ne nous desbauche point, que tousiours nous ne demeurions fermes en la Foy de son Evangile. Or d'autant que ce combat est difficile, voyla pourquoy le Prophete nous ramene a la cause pourquoy nostre Seigneur Iesus a souffert, car a la verité iamais nous ne pourrions nous arrester au :E ils de Dieu, iusques a ce que nous ayons cognu le fruit qui nous revient de sa mort et passion, Et pourquoy? De prime face (comme i'ay dit) cela sera condamné comme follie, que celuy qui est l'autheur de vie soit homme mortel, qu'il meure, voire et non pas d'une simple mort, mais d'une mort ignominieuse et maudite de Dieu: qu'il soit là pendu au gibbet, comme un brigand. Quand donc nous verrons tout cela, il est certain que nous serons preoccupez d'un desdain, et iamais nous ne pourrons venir a Iesus Christ. Mais voyci le vray remede, que nous cognoissions pourquoy il est mort, comment sa mort a profité en nous, et le bien que nous en recevons: alors tous les scandales seront abolis. Exemple: Si ie suis là troublé de fascherie, quand ie regarde que le Fils unique de Dieu a este comme fou lé au pied, et detestable devant les hommes, il faut que i'entre en moy: car si ie ne regarde qu'a Iesus Christ, ie m'en destourneray, et n'en tiendray conte: mais si ie regarde a moy en premier lieu, et que ie viene puis apres a luy, voyla comme ce qu'il a souffert me sera de bonne saveur. Comment? Si ie regarde que ie suis un povre pecheur et que i'ay provoqué l'ire de Dieu contre moy, tellement qu'il faut qu'il soit ma partie adverse, et mon iuge. Si donc ie pense a mes pechez, et que là dessus ie viene a concevoir combien c'est une chose horrible et espouvantable, que l'ire de Dieu, et qu'il soit mon Iuge pour m'abysmer, alors ie viendray a dire, Or ca quel moyen as-tu pour appointer avec Dieu? luy pourras-tu apporter quelque chose qui puisse satisfaire, voire seulement pour la moindre offense que tu as commise? Helas non. Quand i'auray circuy et terre et mer,

SERMONS

619

trouveray-ie quelque recompense? Les Anges de paradis m'y pourront-ils aider? Il faut donc que Iesus Christ comparoisse en mon nom, et qu'il se constitue mon plege, et mon garent:

Voyla comme la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ ne nous sera plus tournee en folio: mais nous conceverons, que puis que nous estions ainsi maudits, et qu'il n'y avoit nul remede pour trouver grace devant Dieu, puis que nous l'avions ainsi provoqué, et qu'il nous estoit contrarié et ennemi, il a falu que nous fussions quant et quant suiets a Satan, et a sa tyrannie, iusques a tant que Iesus Christ nous en ait delivré. Voyla (di-ie) comme nous commencerons de magnifier la bonté infinie de nostre Dieu, et d'avoir nos pechez en detestation, et d'estre là si confus que rien plus. Voyla aussi comme le scandale que nous imaginons, et que chacun se forge en la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, sera bientost effacé, assavoir quand nous entrerons en nous mesmes, et que nous ferons un bon examen de nos pechez, et cognoistrons que nous sommes si detestables a Dieu, qu'il faut que luy mesme viene en la personne de son Fils pour en faire satisfaction, et pour reparer nos iniquitez, afin que par ce moyen nous luy soyons reconcilier.

Voyla donc l'ordre que le Prophete tient yci. Il dit d'un costé que Iesus Christ n'aura ne forme ne figure, et qu'on ne pourra pas rien trouver en luy qui soit desirable. Qui plus est, qu'en le regardant de loin, on en sera estonné. Mais ayant dit toutes ces choses, il adiouste, or si est-ce qu'il a este affligé pour nos pechez, comme s'il disoit, Povres aveugles, vous ne tenez conte du Fils de Dieu, et mesme chacun par son ingratitude se ferme la porte, tellement que vous ne pouvez approcher de luy, pour obtenir le salut qu'il vous apporte. Qui est cause de cela? c'est que vous n'avez point cognu vos pechez, pour vous humilier, que chacun est endormi, voire stupide, et se nourrit en ses vaines flatteries: mais mirez vous en vos povretez et ordures, et alors vous aurez honte de vostre condition, et cognoistrez qu'il n'y a autre moyen, sinon que Iesus Christ viene la moyenner, et qu'il prene sur sa personne ce qui estoit pour vous rendre ennemis de Dieu, et qu'il soit là vostre plege, qu'il se constitue comme un povre pecheur, qu'il prene tous vos fardeaux et les porte sur soy. Quand donc vous penserez a toutes ces choses, alors vous prendrez bon goust pour vous ranger au Fils de Dieu, et ne vous arresterez plus a vos vaines fantasies: vous ne serez plus scandalisez de ce que Iesus Christ s'est ainsi aneanti, quand vous cognoistrez quelle condamnation vous aviez meritee, et quelle recompense et satisfaction y estoit requise.

620

Au reste le Prophete notamment dit, nous l'avons veu, et l'avons desdaigné, pour monstrer que nostre Seigneur Iesus sera mesprisé et reietté non seulement de quelque nombre de gens, mais de la plus grande multitude: voire de ce peuple qui luy ostoit comme peculier. Car le Prophete on se mettant du rang de ceux qui ont reietté nostre Seigneur Iesus Christ, regarde a son peuple, c'est a dire aux Iuifs desquels il est nay: et outre cela aussi il veut monstrer que ç'a este l'opinion commune, et que quasi partout Iesus Christ a este reietté Ainsi nous sommes encores tant plus munis, pour ne nous point attacher a la fantasie des hommes, quand non seulement nous en verrons une centaine d'infideles, mais qu'ils viendront en grosses foulles et avec grosses armees, qu'ils viendront par millions, et qu'entre cent a grand peine en trouvera-on trois ou quatre qui se rangent paisiblement a nostre Seigneur Iesus Christ: quand nous verrons cela, que nous ne laissions pas toutes fois d'adherer a luy; voyla en somme ce que nous avons a retenir de ce passage. Car auiourd'huy nous voudrions conter les voix: et beaucoup de gens infirmes regardent, Et quoy? il n'y a qu'une petite poigne de gens qui croyent a l'Evangile: et si on surmontoit en nombre, encores ie m'y rangeroye volontiers: mais que ie m'aille mettre avec une si petite portion, et que ie laisse la plus grande multitude, que seroit-ce? Or afin de coupper broche a telle, obiections, le Prophete dit qu'il n'y en aura pas seulement quatre ou dix, mais que quasi tous en general refuseront d'obeir a nostre Seigneur Iesus Christ. Et mesmes il n'y a nulle doute qu'il ne veuille taxer les Iuifs en particulier: car desia nous avons allegué du 8. chapitre, qu'il devoit estre en scandale a toutes ces deux maisons-la, c'est ascavoir a la lignee d'Abraham. Voyla donc le peuple qui estoit de Dieu par dessus tout les autres, et semble bien qu'il deust cognoistre son Redempteur. Car a qui est-ce que Iesus Christ a este promis? Aux Iuifs: comme il est dit qu'il est ministre de la Circoncision, afin d'accomplir les promesses que les Peres avoyent receuës. les Iuifs donc devoyent estre tout accoustumez a Iesus Christ devant qu'il apparust au monde, et le recevoir sans difficulté aucune: or il est dit qu'ils l'ont reietté, voire les edifians mesmes, c'est a dire les principaux qui avoyent la charge du peuple. Et ceci se trouvera encores auiourd'huy: car ce ne sont pas seulement les Turcs et les Payens qui reiettent Iesus Christ, mais ceux qui usurpent le nom de Chrestienté, et le falsifient, et mesmes ceux qui font profession de l'Evangile seront souvent gens profanes, mocqueurs de Dieu, et vileins, qui voudroyent que toute doctrine de salut fust abolie, et ce qu'ils la retiennent encores, c'est seulement

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

621

par honte des hommes. Quoy qu'il en soit, si est-ce que Iesus Christ sera mesprise et reietté: et s'il n'avoit este predit, nous pourrions estre esbranslez en nostre foy. Mais ceste sentence d'Isaie nous doit estre comme un baston pour nous soustenir, voire comme un rocher ferme, quand nous voyons que tout le monde se vient heurter contre nostre Seigneur Iesus Christ: que les uns le despitent, et se viennent dresser en toute furie contre luy et sa doctrine: les autres sont mocqueurs, et tirent la langue pour avoir en mespris toute religion. Que donc lors nous persistions neantmoins constamment en nostre foy.

Il est vray qu'il seroit bien a desirer que Iesus Christ fust contemplé de loin, et que chacun s'assuiettist a luy, comme c'est le vray miroir et patron de toute sainteté: mais tant y a que d'autant plus que nous voyons que le monde le reiette, il faut que nostre foy soit tant mieux confermee. Car comment pourrons nous discerner que Iesus Christ est le Redempteur du monde? Regardons ce qui est dit de luy par tous les Prophetes. Et de faict, voyla le vray miroir où il nous faut contempler la gloire du Fils unique de Dieu: voyla les vrais tesmoins que Dieu a envoyez du ciel pour nous marquer quel devoit estre nostre Redempteur ascavoir qu'il seroit reietté de tout le monde, et que chacun s'esleveroit contre luy. Puis qu'ainsi est, acceptons-le avec telle condition: et ne doutons pas que quand il semblera que nous devions estre accablez du tout, et foullez au pied par l'audace et orgueil des meschans, neantmoins Dieu magnifiera nostre Seigneur Iesus Christ, et fortifiera nostre foy par son S. Esprit, tellement qu'elle sera victorieuse iusques en la fin: et que comme nostre Seigneur Iesus a vaincu le diable, comme il faudra en la fin que luy et tous ses supposts soyent mis comme son marchepied: aussi il nous fera triompher avec luy pour marcher sur tous ceux qui nous persecutent, et qui auiourd'huy s'eslevent en telle furie contre nous, et qui mesmes le mesprisent et le despitent.

Or nous nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu, en cognoissance de nos fautes le prians, etc.

TROISIEME SERMON

Isa. Chap. LIII.

4. Pour vray il a porté il nos langueurs, et a chargé nos douleurs: toutes fois nous l'avons estimé estre navré de Dieu, et affligé. 5. Or il a este navré pour nos iniquitez, affligé, pour nos pechez: la correction de nostre paix a este sur luy, et en ses playes

622

nous avons guarison. 6. Nous avons tous erré comme brebis, chacun a suivi sa voye: et le Seigneur a fait venir sur luy toutes nos iniquitez.

Quand nous contemplons les oeuvres de Dieu en tout le monde, il nous est dit qu'il doit estre loué selon sa hautesse et grandeur: mais quand nous venons a la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, il faut que nous apprenions de glorifier Dieu selon qu'il s'est abbaissé. Voyci; donc double façon de louer Dieu: l'une c'est que pource qu'il nous monstre sa bonté, iustice et vertu infinie en tout ce qu'il a creé et fait, et en ce qu'il ordonne et dispose tout, il faut aussi qu'il soit exalté de nous: non pas que nous luy puissions donner quelque grandeur: mais l'Escriture parle ainsi, afin que les hommes apprenent de lever leurs esprits en haut, et par dessus tout le monde, quand ils veulent glorifier Dieu selon qu'il le merite. La seconde façon est, que d'autant que nostre Seigneur Iesus Christ, auquel habite toute plenitude de Divinité, non seulement s'est fait petit pour nostre salut, mais a voulu du tout estre aneanti, mesmes n'a pas refusé de souffrir les angoisses de la mort, comme s'il entroit en enfers: en cela Dieu merite d'estre glorifié plus qu'en ceste grandeur qui apparoist par tout le monde. Et de cela il on fut hier desia touché: mais d'autant que le Prophete continue son propos, il nous faut tousiours avoir ce but, qu'au lieu que les incredules sont estonnez voyans que Iesus Christ a este ainsi affligé de là main de Dieu son Pere, et prennent occasion de scandale pour s'eslongner de luy, nous devons tant plus estre incitez a le chercher, et cela nous doit du tout ravir en son amour, puis qu'il ne s'est point espargné, mais a voulu soustenir toutes nos charges, afin que nous en fussions soulagez. Quand donc nous voyons que nostre Seigneur Iesus Christ a fait un tel eschange pour nous, et a voulu faire un payement entier de toutes nos dettes, afin que nous en fussions acquittez, qu'il a voulu estre condamné en nostre nom, et comme en nostre personne, afin que nous en fussions absous, voyla qui nous doit attirer a luy, voire enflammer du tout, a ce que nous y ayons nostre repos.

Or notamment il est dit qu'il a este affligé de la main de Dieu, mais a este pour nos iniquitez. Car si nous n'avons esgard au iugement de Dieu, la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ sera comme inutile, et nous n'en pourrons recevoir aucun fruit. Car le principal est que nous soyons appointez avec nostre Dieu, lequel est nostre ennemi iusques a ce que nos fautes soyent ensevelies, d'autant qu'il ne peut aimer l'iniquite, luy qui est la fontaine de iustice. Ainsi il faut qu'il soit nostre iuge cependant qu'il nous impute nos pechez, et

SERM0NS

623

regarde quels nous sommes: mais quand Iesus Christ est entre deux, et se propose là en nostre nom, voyla comme nous sommes agreables a Dieu, d'autant que la satisfaction de toutes nos iniquitez est accomplie. Il ne faut point que la condamnation que nostre Seigneur Iesus Christ a soufferte, soit vaine. Or est-il ainsi qu'il n'avoit commis nulle faute, et qu'il n'estoit coulpable en rien. Ainsi il a este condamné pour nostre absolution: et voyla pourquoy il est appelé l'Agneau sans macule. Il est appelé Agneau, d'autant qu'il a este offert en sacrifice: il a este sans macule, pour monstrer qu'il a porté toutes nos charges. Et c'est aussi pourquoy il est dit que son sang est nostre lavement: car nous sommes souillez et pleins d'abomination, iusques a ce que le sang de nostre Seigneur Iesus Christ nous nettoye. Ce n'est point donc sans cause que le Prophete nous ramene au iugement de Dieu, disant que Iesus Christ a este affligé a cause qu'il faloit qu'il portast nostre condamnation. Brief, toutesfois et quantes que nous pensons de quoy la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ vous a profité, qu'un chacun de nous s'adiourne devant le siege iudicial de Dieu: là nous trouverons que nous sommes tous criminels: Or quelle est la rigueur du iugement de Dieu? Combien sa vengeance est elle horrible? c'est pour nous engloutir et abysmer tout. Mais d'autant que nostre Seigneur Iesus Christ n'a este epargné, mais que Dieu a exercé la rigueur de son iugement sur luy, qu'il a este là en nostre nom comme plege pour nous, nous pouvons estre asseurez que maintenant Dieu ne nous poursuyvra plus, et n'entrera point en conte avec nous, qu'il ne nous punira point selon nos demerites et offenses. Et pourquoy? D'autant que nostre Seigneur Iesus nous en a acquittez. Or il est vray que iamais Dieu n'a eu autre affection envers son Fils unique que celle qu'il avoit prononcee, Voyci mon Fils bien-aimé auquel ie me repose, et qu'on l'escoute. Dieu donc avoit protesté auparavant que Iesus Christ le contentoit du tout, et qu'il y prenoit son bon plaisir. Et de faict (comme sainct Paul le monstre au premier chapitre, des Ephesiens) nous ne pourrions pas estre agreables a Dieu au nom de son Fils unique, n'estoit qu'en premier lieu et en degré souverain il fust le bien aimé. Toutesfois cela n'a pas empesché que nous n'ayons este acquittez, d'autant que Dieu a desployé sa rigueur sur nostre Seigneur Iesus Christ: car il l'a aimé, et cependant si l'a-il voulu affliger pour nos fautes. Car il n'a pas regardé sa iustice, son integrité, et la perfection qui estoit en luy: mais plustost Iesus Christ a este prins comme estant là en la personne de tous pecheurs. Voyla donc Iesus Christ qui estoit chargé de toutes nos fautes et iniquitez: non pas qu'il en fust coulpable, mais il

624

a voulu que le tout luy fust imputé, et qu'il en rendist conte et fist le payement.

Voyla donc comme il nous faut prendre les mots du Prophete, quand il dit que Iesus Christ n'a pas este crucifié seulement par la main des hommes, mais qu'alors il a comparu devant le siege iudicial de Dieu, que là il a respondu en nostre nom, que là il s'est soumis a porter la charge que nous avions meritee. Et voyla aussi pourquoy notamment il adiouste qu'il a porté nos fautes et transgressions: comme aussi sainct Pierre en parle, et exprime ce mot de croix ou de bois, pour monstrer que ceste espece de mort que le Fils de Dieu a soufferte, a este un tesmoignage visible et patent que nos iniquitez estoyent mises sur luy: car il estoit dit en la Loy, Maudit sera celuy qui pendra au bois. Iesus Christ y a este pendu, afin que nous cognois ions qu'il a este comme maudit en nostre personne: ainsi que sainct Paul en parle aux Galates. Car il nous propose qu'il faut bien qu'en cela nous considerions une bonté admirable de Dieu et ml amour infini de nostre Seigneur Iesus Christ, qu'il nous a porté, quand non seulement il a voulu mourir pour nous, mais a souffert aussi une mort maudite, afin que nous puissions estre benis de Dieu. Et combien que nos iniquitez nous espouvantent (combien aussi il ne se peut faire que nous ne soyons espovantez du iugement de Dieu, oyons les choses qui sont yci contenues, c'est ascavoir que nous sommes abominables quand nous offensons ainsi nostre Dieu, et que nostre conscience nous remord) que toutesfois nous ne laissions pas d'estre asseurez qu'il nous pardonnera nos pechez et nous acceptera pour ses enfants bien-aimez: voire comme iustes et irreprehensibles, d'autant que nostre malediction a este abolie sur ce bois, auquel nostre Seigneur Iesus Christ a este pendu. Voyla donc ce que le Prophete a voulu encores adiouster pour plus grande expression.

Or il met quant et quant, qu'il a este affligé, d'autant que la correction ou le chastiment de nostre paix a este sur luy. Il n'adiouste rien de nouveau, mais il se declare plus priveement, pour monstrer comment cela doit estre entendu: c'est que nostre Seigneur Iesus a este batu et frappé de la main de Dieu, afin que nous fussions deschargez. Il a donc porté la correction qui nous estoit deuë: voire une correction de paix. Il est vray qu'aucuns entendent qu'il a falu que nostre Seigneur Iesus Christ fust ainsi puni en nostre nom, pource que nous estions estourdis, et que nul ne pensoit a s'humilier devant Dieu, et que nous estions aveuglez en nos fautes. Mais nous voyons le sens naturel du Prophete estre tel, que pour avoir paix avec Dieu, il faloit que nous fussions reconciliez par un autre moyen. I'ay desia declaré que Dieu

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

625

estant le Iuge du monde, a bon droict nous hait et nous tient tous detestables: car (comme il sera encores declaré tantost) qu'apportons nous du ventre de la mere, et quel thresor amassons nous tous le temps de nostre vie? Nous ne cessons de provoquer l'ire de Dieu, comme si nous avions complote avec Satan de tousiours allumer le feu de plus en plus. Voyla donc comment nous meritons d'estre hays et reiettez de Dieu. Voyla pourquoy il est armé en son ire contre nous: car il est impossible qu'il ne nous soit contraire, d'autant que nous bataillons a l'encontre de luy, que nous taisons ainsi la guerre a tout bien, et violons toute iustice. Il faut que (di-ie) Dieu pour ce regard se leve contre nous en Iugement: car nous scayons que c'est son office propre de maintenir l'equité et droiture. Et puis qu'ainsi est qu'il nous voit pleins d'iniquité et de corruption et rebelles du tout, il faut bien qu'il desploye son bras, et monstre que d'autant que nous luy sommes ennemis, il nous rendra la pareille. Il n'y a donc point de paix, et nos consciences nous argueront tousiours: et combien que nous taschions de nous endormir en nos flatteries, Dieu ne laissera point de nous donner des pointes, et des aiguillons, tellement que nous sentirons en despit de nos dents, qu'il n'y a que malice et ingratitude en nous. Ainsi donc il est impossible que Dieu nous soit pitoyable, et que nous soyons asseurez de trouver grace devant luy, iusques a ce que la correction soit faite. Non pas que Dieu appete vengeance a la guise et façon des hommes. Celuy qui sera esmeu en cholere, voudra qu'on repare la faute, et qu'il y ait quelque amende et quelque punition, tellement qu'il en soit vengé: Dieu n'ha point de passions semblables. Mais quoy qu'il en soit, afin que nous ayons tant plus horreur de nos pechez, et que nous apprenions de les detester, il veut que sa iustice nous soit cognue, et la rigueur de son iugement. Si Dieu nous pardonnoit sans que Iesus Christ eust intercedé pour nous, et se fust constitué plege en nostre nom, nous n'en tiendrions conte: chacun torcheroit sa bouche: et aussi nous prendrions de là occasion de nous donner tant plus grande licence. Mais quand nous voyons que Dieu n'a point espargné son Fils unique, et qu'il l'a traitté en telle rigueur, et si extrême, qu'il a souffert en son corps tout ce qu'il estoit possible de souffrir de douleurs, et qu'en son ame mesme il a esté affligé iusques au bout, iusques a s'ecrier, Mon Dieu, mon Dieu, pourquoy m'as-tu laissé? Quand nous oyons toutes ces choses, il est impossible (ou nous sommes plus endurcis que pierres) que nous ne fremissions et concevions une telle crainte et estonnement en nous, que ce soit pour nous rendre du tout confus: et que nos offenses et iniquitez ne nous soyent detestables.

626

veu qu'elles provoquent ainsi l'ire de Dieu contre nous.

Voyla donc pourquoy il a este requis que toute la correction de nostre paix fust sur Iesus Christ, laquelle fust pour nous faire trouver grace devant Dieu son Pere: c'est a dire pour nous faire trouver appointement devant luy: en sorte qu'auiourd'huy nous avons hardiesse et liberté d'invoquer Dieu comme nostre Pere, combien qu'a bon droict, il nous soit ennemi, et nous ait en detestation selon nostre nature. Nous voyons donc maintenant quelle est l'intention du Prophete quand il dit que nostre Seigneur Iesus Christ a este affligé de la main de Dieu, qu'il a este desfiguré, qu'un chacun s'est destourné de luy, qu'on n'a point daigné le regarder, pource qu'il estoit ainsi deformé. Il adiouste, Voire, mais c'est d'autant que Dieu est enflammé en son ire contre nous, et qu'il est armé pour nous confondre et abysmer, iusques a ce que l'appointement soit faict. Et quel en est le moyen? Dieu veut bien nous remettre nos fautes par sa bonté gratuite, mais tant y a que le pris de nostre redemption a este en la personne de son Fils unique. Or yci nous avons a noter, que d'autant que nostre Seigneur Iesus a souffert condamnation, nous sommes delivrez et absous, et que nos fautes sont ensevelies pour ne point venir en conte devant Dieu. Quand nous parlons de la remission des pechez, ce n'est pas que Dieu nous quitte, comme s'il estoit payé et contenté de nous: mais il use de sa pure liberalité. Et combien que nous soyons coulpables devant luy, il oublie tout cela, et nous reçoit a merci d'autant qu'il iette nos pechez comme au profond de la mer, ainsi que dit le Prophete. Or cependant nous avons aussi a noter que ceste remission n'a pas este gratuite quant a la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, car elle lui a cousté bien cher. Si nous estimons que ç'a este de ceste mort tant dure, tant cruelle, et ignominieuse qu'il a soufferte, et puis de tant d'angoisses qu'il a endurees en son ame, quand il a este appelé devant le siege Iudicial de Dieu son Pere pour soustenir nostre condamnation: si nous pensons bien a tout cela, nous trouverons que nostre Seigneur Iesus Christ a fait un payement admirable pour nous acquitter de nos fautes.

Et voyla comme auiourd'huy nous en sommes delivrez. Et c'est une chose que nous devons bien noter: car le diable a tousiours tasché d'obscurcir ceste doctrine, d'autant que c'est le principal article de nostre salut. Dieu des le commencement du monde a voulu qu'on luy offrist sacrifices en demandant pardon des pechez. Et pourquoy cela? C'est pour declarer que les hommes ne le pouvoyent pas esperer de luy sinon par le moyen du sacrifice et effusion de sang. Tous donc ont protesté en

S E R M O N S

627

leurs sacrifices qu'ils ne pouvoyent pas approcher de Dieu, sinon d'autant qu'ils estoyent rachetez, et que la purgation de leurs fautes et iniquitez estoit faite ou devoit estre par nostre Seigneur Iesus Christ. Or cependant si est-ce que et les Iuifs et les Payens n'ont pas laissé de tousiours se fier en leurs merites, et d'imaginer qu'ils pouvoyent satisfaire devant Dieu. Voyla comme le diable dés lors a destourné les povres pecheurs de nostre Seigneur Iesus Christ, et du payement qu'il a fait en sa mort et passion. Et maintenant encores, voyla ou en sont les Papistes: car ils confesseront que nous avons pleniere remission de nos pechez par la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ: voire, mais c'est devant le baptesme seulement, selon leur opinion. les petis enfans (disent ils) ont receu ceste grace de Dieu, qu'il leur pardonne le peche originel au baptesme, en vertu de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ: mais quand nous sommes baptizez, ils disent que si nous pechons alors, Iesus Christ seul n'est pas suffisant pour faire que nous soyons agreables a Dieu, et que la memoire de nos pechez soit effacee: mais qu'il nous y faut aussi apporter nos recompences. Et voyla pourquoy ils ont imagine leurs oeuvres de supererogation: comme de trotter en pelerinage, faire chanter force messes, et autres diableries. Et si on demande aux Papistes, pourquoy ils trollent ainsi pour aller veoir la mouë de quelque marmouset, pourquoy ils iusnent un tel iour, pourquoy ils font bastir un temple, pourquoy ils font chanter une messe: c'est pour nous racheter devant Dieu, diront-ils. Et il faut bien qu'ayant cognu nos pechez, nous taschions d'en faire satisfaction, afin d'estre quittes et absous devant Dieu. Or voyla comment la vertu de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ est abolie. Et ainsi les Papistes ne scaurayent marcher un pas pour faire leurs devotions, qu'ils ne blasphement contre Dieu, renoncent ouvertement a la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, et se precipitent au gouffre d'enfer. Voyla où leurs devotions diaboliques (qu'ils appellent bonnes) les menent. Ainsi donc il nous faut bien noter ces mots du Prophete, quand il dit que la correction de nostre paix a este sur nostre Seigneur Iesus Christ: d'autant que par SON moyen Dieu est appointé et appaisé: car il a porté sur soy tous les vices et toutes les iniquitez du monde. Et ainsi notons que quand nous regarderons quels nous sommes, il nous faudra tousiours estre en effroy, d'autant que Dieu est nostre partie adverse, et nostre Iuge. Et puis en second lieu il nous faut conclure qu'il n'y a moyen ni au ciel ni en la terre pour nous appointer avec Dieu, sinon par ce prix que nostre Seigneur Iesus a paye, et auquel il a satisfait: cest a scavoir par sa mort et passion.

628

Avons-nous cela? Qu'hardiement nous venions la teste levee devant Dieu: non pas qu'il ne nous faille tousiours humilier, et avoir honte de nos povretez: mais cela n'empeschera pas que franchement nous n'invoquions Dieu pour nostre Pere, et que nous ne puissions nous glorifier, que nous seront reputez iustes de luy, et que le payement a este fait de toutes nos dettes, d'autant que nous sommes absous en la vertu de la condamnation que Iesus Christ a soufferte.

Voyla donc comment nous devons prattiquer ce passage. Et voyla aussi pourquoy il adiouste, qu'en ses playes nous avons guarison. Il est vray que nous n'apperceverons pas nos vices à l'oeil pource que l'hypocrisie nous bande les yeux, et qu'il y a aussi tousiours de l'orgueil qui domine. les hommes donc se decoyvent eux-mesmes et se font acroire que Dieu leur est encore redevable: ou bien ils sont estourdis en telle sorte qu'ils ne pensent point iamais venir a conte. Or tant y a que le Prophete monstre que sans les playes de nostre Seigneur Iesus Christ, il n'y a en nous que mort, et qu'il faut bien que nous cherchions en luy nostre guarison. Quand donc nous voudrons bien sentir le fruit que nous apporte la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, notons qu'autant de vices qui sont enracinez en nostre nature, ce sont autant de playes et de maladies mortelles, encores qu'elles n'apparoissent point. Ie vous prie, quand une apostume sera dedant le corps d'un homme, aupres de l'estomach, ou dedans les entrailles, ne sera-elle pas beaucoup pire que si on la voyait et qu'on y peust mettre la lancete? Si un homme cuide estre sain pourtant qu'il ne verra pas son mal, il faut bien qu'il soit hors de sons et de raison. Il faut bien que nos maladies soyont tant plus mortelles, quand elles sont secretes. Et outre les vices que nous portons (dont les racines sont cachees en nous) il y a les fautes que nous commettons chaque iour, qui monstrent assez que nostre nature est perverse et maudite, et que nous sommes tous pervertis. Puis qu'ainsi est donc, qu'il n'y a en nous que toute infection et ladrerie spirituelle, et que nous sommes pourris en nos iniquitez, que ferons-nous yci? quel remede? Irons nous chercher les Anges de Paradis? Helas ils ny pouvent rien. Mais il nous faut venir a nostre Seigneur Iesus Christ, d'autant qu'il a voulu estre desfiguré depuis le sommet de la teste iusques a la plante des pieds, qu'il a este tout en playes, qu'il a este fouetté coup sur coup, qu'il a eu la couronne d'espines, qu'il a esté clouë et attaché a la croix, qu'il a eu le costé percé. Voyla comme nous sommes garentis, voyla quelle est nostre vraye medecine, de laquelle il nous faut contenter, et a laquelle aussi il nous faut applicquer toute nostre affection, scachans que iamais

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

629

autrement nous ne pourrons avoir repos en nous, mais qu'il faudra que nous soyons tormentez et gehennez iusques au bout, sinon d'autant que Iesus Christ nous console et appaise l'ire de Dieu envers nous. Quand nous sommes certains de cela, alors il nous donne occasion de chanter sa louange: Au lieu qu'auparavant nous. ne pouvions sinon gemir et estre du tout confus. Voyla en somme ce que nous avons a retenir des mots du Prophete.

Or sainct Matthieu au huitieme chapitre allegue ce passage, quand il recite, que nostre Seigneur Iesus a guari toutes maladies, comme il a illuminé les aveugles, il a fait cheminer les boiteux, il a rendu l'ouye aux sourds, redressé ceux qui estoyent a demi morts et paralitiques, dechassé les diables des corps. Cela; (dit-il) monstre que le Prophete Isaie non sans cause dit qu'il a porté nos infirmitez et a soustenu nos langueurs. Il est certain que le Prophete ne parle point yci des maladies du corps. Il semble donc que l'Evangeliste ait mal appliqué ce tesmoignage. Mais c'est qu'il declare que nostre Seigneur Iesus en guarissant les maladies apparentes, nous a voulu mener plus haut, d'autant qu'il nous a voulu faire là contempler comme en figure, pourquoy il estoit venu au monde. Quand donc nous oyons que nostre Seigneur Iesus Christ a donné vertu aux paralitiques, qu'il a mesmement ressuscité les morts, qu'il a aussi donné guarison a toutes les maladies, que nous scachions qu'a vue d'oeil, selon nostre rudesse et infirmité, il nous a declaré qu'il est nostre Medecin spirituel: et que nous apprenions (comme i'ay desia dit) que tous les vices ausquels nous sommes enclins, sont autant de corruptions en nos ames. Et tout ainsi qu'au corps il y a des mauvaises humeurs, il y a d'autres choses semblables: Brief, il y a des maladies secretes, de mesmes en est-il de nos ames: et d'autant qu'elles sont plenes de vices devant Dieu, elles ont besoin aussi de medecin. Et qui sera-il? nous ne le trouverons ni au ciel ni en la terre, sinon celui qui nous a este donné du Pere celeste: c'est ascavoir nostre Seigneur Iesus Christ. Ainsi donc si nous ne cognoissons comme nostre Seigneur Iesus nous a apporté guarison quant a nos ames, venons a ceste figure qui nous est monstree, quand il a illumine les aveugles: car il est certain qu'en nos ames il n'y a qu'aveuglement et bestise. Apres, Iesus Christ a fait parler les muets. Or a quoy applicquons-nous nostre langue, sinon a mal, iusques a ce que Iesus Christ luy ait rendu son vray usage? Nous sommes plus que sourds, d'autant que la parolle de Dieu n'ha nulle, entree en nous: il faut donc que l'ouye nous soit rendue aussi bien par nostre Seigneur Iesus Christ. Brief, quand nous conioindrons ce qui est là propose en sainct Matthieu, avec ce que le Prophete Isaie a voulu declarer,

630

c'est ascavoir que de nostre costé nous sommes pleins de corruption, de vilenie, et qu'il n'y a point une seule goutte de santé en nous, que nos ames sont plenes du tout de vices mortels: mais que nostre Seigneur Iesus nous en a delivrez du tout, et que quand nous viendrons a luy, nous trouverons guarison: Quand di-ie nous conioindrons ainsi l'un avec l'autre, alors nous cognoistrons que sinon que nous ayons nostre refuge a ce Redempteur, il faudra que nous cropissions tousiours en nos vices et miseres, et que nous y pourrissions plenement.

La dessus il adiouste aussi bien que nous avons tous decliné, et que chacun s'est esgaré en sa voye. Yci le Prophete nous a voulu mieux toucher et plus au vif (comme il fut hier traitté) que nous ne pouvons pas sentir a bon escient la necessité que nous avons d'estre guaris par nostre Seigneur Iesus Christ, iusques a ce que chacun ait bien examiné son estat et cognu ce qu'il est en. soy. Qui est cause donc que nous sommes si froids, et si lasches, quand on nous parle de venir a nostre Seigneur Iesus Christ. Pource que nous n'avons point d'apprehension, mais sommes comme stupides. Nous verrons de ces yvrongnes qui sont tout confit en leur intemperance, et ne font nulle fin, iusques a ce qu'ils grincent les dents, et qu'ils n'en puissent plus. Si on leur parle de medecins, il n'y aura que gaudisserie: ils hocheront la teste, mesmes ils mespriseront tous remedes. Or il n'y a point pire yvrongnerie que ceste stupidité en laquelle sont tous povres pecheurs, iusques a ce qu'ils ayent senti que c'est d'avoir Dieu contraire. Ainsi chacun se donnera toute licence a mal, et la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ cependant sera en mespris, et on n'en tiendra conte. Ainsi non sans cause, le Prophete pour nous esveiller, et pour nous rendre le bien qui nous est apporté par Iesus Christ, plus desirable, monstre que nous avons tous erre. Or outre ce que i'ay dit, que les hommes estans profanes mesprisent le iugement de Dieu, il y en a aussi qui sont enflez d'une folle presomption. Il y a donc deux especes de gens qui ne peuvent faire leur profit de ceste grace infinie qui nous a este acquise par le Fils de Dieu: car les uns cuident estre iustes, et avoir des oeuvres et merites pour respondre devant Dieu. Comme nous voyons mesmes qu'en la Papaute ces caphars non seulement se pensent bien acquitter devant Dieu, mais ils vendent aussi bien une portion de leurs merites, comme s'ils en avoyent de superabondant: Et est on bien aise quand on peut participer a leur perfection et saincteté, pource qu'ils sont en estat Angelique. Or ceux là ne pensent point avoir besoin de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ: ils confesseront bien. comme a demi bouche. que si ont: Mais on

SERMONS

631

voit tout l'opposite: car ils tiennent foire et marché de leurs merites, et en ont a revendre, afin que les autres se fondent et mettent leur fiance on telle profanation. pres, autant qu'il y a de bigots et de bigotes en la Papaute, ce sont autant de cornes dressees contre Dieu: car ils sont tousiours enflez de cest orgueil pour dire, Et comment? Et si ie ne meritoye, de quoy me serviroit-il d'avoir eu tant de bonnes devotions, d'avoir fait chanter tant de messes, d'avoir tant barboté, d'avoir. couru d'autel en autel, d'avoir eu ma devotion a un tel Sainct, d'avoir fait une telle feste? Brief, ils ont tousiours ceste maudite opinion et infernale de vouloir obliger Dieu envers eux. Voyla comme Satan les deçoit par telles illusions, en sorte qu'ils ne peuvent gouster de quoy leur sert la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ. les autres ne se confient pas en leurs merites: comme des yvrongnes, des paillars et gens dissolus, ne diront pas, Nous sommes comme des petis Anges, nous avons bien vescu, nous avons este fervens en nos devotions: mais ils se gaudissent (comme i'ay desia dit) et pensent qu'ils pourront eschapper de la main de Dieu par leurs mespris et mocqueries.

Pour ceste cause le Prophete nous appelle yci tous, et dit, Regardez povres gens que c'est de vous, iusques a ce que Dieu vous ait declaré sa pitie en nostre Seigneur Iesus Christ son Fils: car nous avons tous erré, vous estes tous bestes perdues. Voyla son intention: et dit, Nous tous, pource qu'il se met du nombre. Voire, car desia nous avons veu qu'il faloit que les Iuifs fussent enclos en ceste condamnation generale des hommes, pource qu'il leur sembloit qu'ils en devoyent estre exemptez. Car ils avoyent tousiours ceste fole outrecuidance, que puis que Dieu les avoit adoptez et choisis, ils pensoyent bien valoir plus que le j reste. Or le Prophete les enveloppe yci en la mort eternelle, iusques a ce qu'ils ayent cherché le remede de leur delivrance en Iesus Christ. Nous sommes donc tous enclos en ceste condamnation: et il met aussi ce mot de tous, afin d'exclure toute exception: comme s'il disoit, Il ne faut point que nul se vante, non pas iusques a la queue d'un, d'estre iuste devant Dieu, pour se pouvoir passer du remede lequel maintenant i'ay declaré: Car le plus parfait, et celuy qui aura le plus de saincteté a l'opinion des hommes, se trouvera coulpable devant Dieu.

Nous voyons donc maintenant l'intention du Prophete, mais encores ce se contente-il point de cela, il dit, chacun a decliné en sa voye. Et pourquoy reitere-il le propos, venant de tous, a Chacun? D'autant que quand on nous condamne en general, encores ne sommes nous point tant esmeus, et avec telle vivacité comme il seroit requis. Il est vray

632

qu'il faudra passer condamnation, quand on dit qu'entre les hommes il n'y en n'a pas un seul iuste: comme en l'autre passage du Pseaume il est dit que Dieu a regardé, et qu'il n'a point trouvé un seul homme qui ne fust pourri en ses vices. Il est là parle aussi bien des vertueux, et de ceux qui ont este en grande et singuliere reputation, que des plus desbauchez. Il est dit qu'ils ont tous decline et que iusques a un il ne s'en est point trouvé qui ne fust du tout corrompu devant Dieu: et l'Escriture saincte est plene de ceste. doctrine: et sainct Paul le monstre assez au troisieme chapitre des Romains, quand il amene tous les passages et des Pseaumes et des Prophetes, là ou il est parle que les hommes sont depravez, et qu'il n'y a en eux que malice et trahison, qu'ils sont pleins de cruauté, qu'il n'y a que venin et toute violence, que fraudes et rapines, et que leur gosier est un sepulchre. Quand donc toutes ces choses là sont dites, sainct Paul adiouste que tous hommes y sont comprins sans exception aucune, iusques a ce que Dieu les ait changez et renouvelez par son sainct Esprit. Or maintenant que ceste doctrine se presche, il faut bien que nous baissions tous la teste: car nous aurons honte et horreur de replicquer a l'encontre de Dieu. Et de faict, que gaignerons-nous en toutes nos disputes? Car il faudra maugre nos dents que nous sentions que ce n'est point en vain que nous sommes condamnez, puis que Dieu est nostre iuge. Mais cependant chacun s'en retournera en sa maison sans en estre esmeu: et ce qui a este dit ne nous touchera gueres: nous dirons bien que nous sommes tous pecheurs, et qu'il n'y a nul qui ne soit coulpable devant Dieu: mais cependant sentons-nous nos vices afin de nous y desplaire, et puis afin d'estre incitez a chercher la grace de nostre Seigneur Iesus Christ, renonçans a nous-mesmes? Nenni: ce nous est assez d'avoir dit par acquis que nous sommes tous pecheurs: Qui pis est, nous verrons souventesfois que les hommes prendront couverture et hardiesse, quand on les accuse de leurs fautes, et qu'ils se verront convaincus: Ho, il est vray, diront-ils, tous sont pecheurs. Un meschant qui aura blaspheme le nom de Dieu, ou qui aura fait quelque acte execrable et enorme, si on luy remonstre, il le niera du premier coup: mais il ce voudra entrer en confession que par contrainte. Et bien, se voit-il estre convaincu? Et il est vray, dira-il, que nous sommes tous pecheurs: Et c'est a dire que tu es un meschant hypocrite, qui te mocques de Dieu.

Ainsi nous voyons que sous ceste generalité il y en a beaucoup qui chercheront quelque excuse, afin que leur turpitude ce soit point cognue comme elle doit. Pour ceste cause, le Prophete après avoir dit, Tous ont erré adiouste, chacun, chacun:

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

633

comme s'il disoit, Ne regardez point en general quel est le genre humain, mais que chacun se retire a part soy et que là vous pensiez et sondiez bien quels vous estes. Car c'est alors que nous sommes touchez du iugement de Dieu, et que nous sommes induits a une vraye humilité, quand nous sentons nostre mal pour estre amenez a repentance, et quand chacun aura ainsi parlé a soy comme en secret. Nous voyons donc maintenant quelle est l'intention du Prophete.

Au reste, en disant que chacun a decline en son chemin, il monstre en premier lieu que c'est des hommes quand ils se gouvernent a leur appetit, et selon leur raison et prudence. Et c'est encores un article que nous devons bien noter, d'autant que nous verrons les uns estre si fols, que iamais on ne leur persuadera qu'ils se iettent en perdition, quand ils font ce que bon leur semble: les autres sont tellement abbrutis en leurs cupiditez, qu'ils ne cognoissent point qu'a leur escient ils se plongent au profond d'enfer, sinon que Dieu les en retire. Nous voyons auiourd'huy les Papistes, quand on les redargue par la parolle de Dieu, et qu'ils se voyent convaincus: Et bien, diront-ils, laissez moy faire, i'iray tousiours mon train quoy qu'il en soit. Et tu t'en vas donc au diable: car voyla où tu iras suyvant ton train. Ho voire, mais ma devotion est telle: et puis qu'elle est bonne, est-il possible que Dieu la reiette? Voire, mais le Prophete Isaie parle yci aussi bien de la devotion que chacun prend: et le sainct Esprit qui a parle par sa bouche de ce temps la, ne sçavoit-il pas bien que tu serois un bigot, ou une bigote, plein d'orgueil et de venin: que tu te voudrois gouverner à ta fantasie, que tu te voudrois forger un service de Dieu a ta poste: que tu adorerois les idoles, et penserois bien faire: que tu aurois là ta devotion. Le sainct Esprit n'a-il pas bien cognu toutes les vilenies? Regarde ce qu'il en prononce, chacun a cheminé en sa voye: c'est a dire, chacun s'en est allé en enfer, chacun s'est ietté en perdition, quand il a suyvi son train.

Voyla donc quelles sont les voyes des hommes. Et ainsi nous sommes enseignez par ce passage, de nous despouiller de toute fole arrogance et cognoistre qu'en faisant tout ce que bon nous semble, et ce que nous iugeons estre bien raisonnable, c'est comme si nous avions comploté avec Satan de nous ietter en ses filets. Ceste doctrine donc nous doit bien faire corriger toute presomption, afin que nous souffrions d'estre gouvernez seulement par l'Esprit de Dieu, et par sa Parolle: et pareillement aussi notons que par ces mots le Prophete Isaie a declaré qu'encores que nous cognoissions le bien, nous ne laisserons pas d'estre addonnez a mal. Et pourquoy? pource que toutes nos affections sont rebelles a Dieu: encores que nous voyons qu'il

634

faut que le mal soit osté, nous ne laisserons point d'y estre transportez, non point par force, mais d'une malice volontaire, qui est tellement cachee en nous, qu'il faut que les fruits monstrent quelle est la racine. Ainsi donc cognoissons en premier lieu qu'il n'y a nulle intelligence en nous pour cheminer droit, mais qu'il y a une seule voye que Dieu approuve, et laquelle nous amenera a salut: c'est ascavoir quand nostre Seigneur Iesus Christ nous prendra en sa charge et que nous serons brebis de son troupeau, et que nous le suyvrons comme nostre pasteur. Cognoissons aussi d'avantage que toutes nos affections sont corrompues, et que nous chercherons le mal au lieu du bien, iusques a ce que nostre Seigneur Iesus Christ nous ait corrigez et reformez, et qu'il ait mis en nous une affection droite de luy obeir. Voyla donc ce que le Prophete a voulu declarer.

Or maintenant nous avons a conclure que tous ceux qui circuissent ça et là, se destournent de nostre Seigneur Iesus Christ: car le Prophete declare qu'il n'y a ne Patriarches, ne Prophetes, ne pas un de tous les saincts Peres et Martyrs, que tous n'ayent eu besoin d'estre reconciliez a Dieu par la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ. Si Abraham pere des fideles, si David miroir de toute iustice, si leurs autres semblables comme Iob et Daniel, qui sont nommez comme miroirs de toute saincteté et perfection: si ceux la di-ie, estoyent povres brebis esgarees et perdues iusqu'a ce qu'ils ayent este recueilli par nostre Seigneur Iesus Christ, helas, que sera-ce de nous? Ainsi donc, quand nous les irons chercher pour nos mediateurs, et que nous cuiderons par leur moyen eschapper de la perdition en laquelle nous sommes, ne monstrons-nous pas que nous sommes par trop ingrats a nostre Seigneur Iesus Christ? Et que cependant nous sommes par trop desprouvus de sens, quand nous allons mendier envers ceux qui ont besoin aussi de recourir a la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ. Car si la necessité nous contraint de chercher remede, il faut que nous allions a celuy auquel les fideles de tout temps ont eu leur refuge: car il n'y a ne sainct Pierre, ne sainct Paul, ne la Vierge Marie, ne rien qui soit, qui en soyent exemptez. Ainsi donc, que nous apprenions de venir a la source et fontaine, et de puiser là ce qui nous defaut. Car nostre Seigneur Iesus ha dequoy pour nous rassasier tous: et ne faut pas craindre iamais que la plenitude de grace qu'il ha en soy, tarisse: il en donnera a chacun sa part et portion quand on l'y viendra chercher.

Que donc nous venions hardiment a nostre Seigneur Iesus Christ, et il suffira bien par tous: mais quiconque en decline çà et là, un tel ne se

SERMONS

635

peut pas aider du remede que Dieu luy presente, mais le reiette entant qu'en luy est: son ingratitude empesche qu'il ne iouisse de la grace qui luy est offerte. Et d'autant plus serons-nous inexcusables, veu que ceci nous est iournellement presché. Car Dieu ne s'est point contenté d'avoir envoyé son Fils pour un coup, et l'avoir exposé a la mort, de l'avoir frappé en son ire, combien qu'il l'aimast comme son Fils unique (car combien qu'il l'ait voulu abysmer en apparence, et qu'il ait usé de toute rigueur contre luy, si est-ce qu'il a tousiours este le Fils bien aimé comme nous avons dit: mais le tout este afin que nous fussions absous) il ne s'est point, di-ie, contenté de cela: Mais iournellement il nous propose ce thresor, afin que nous en iouissions: il nous declare que Iesus Christ qui a eu son costé percé, a auiourd'huy son coeur comme ouvert, afin que nous ayons certitude de l'amour qu'il nous porte: Et que comme il a eu les bras attachez en la croix, maintenant il les a estendus pour nous attirer a soy: Et qu'il veut que toutes ces choses-la nous profitent: que comme il a espandu son sang, il veut qu'auiourd'huy nous soyons plongez là dedans. Quand donc Dieu nous convye si doucement, et que Iesus Christ nous propose aussi le fruit de sa mort et passion, qu'il nous monstre que son sang est tousiours frais (comme l'Apostre en parle en l'Epistre aux Hebrieux) que ce n'est point un sang qui desseche, ne qui defaille: mais d'autant qu'il s'est sanctifié par sa vertu celeste qu'il ha tousiours ce sang frais: comme aussi l'Apostre a usé de ce mot là: que nous scachions que sa vertu n'est pas amoindrie, et qu'elle ha tousiours son efficace plene et entiere, et telle qu'elle avoit du commencement, afin que nous venions tous nous ranger a nostre Seigneur Iesus Christ. Et apres avoir confessé nos povretez et y estre confus, que nous ne doutions pas toutesfois qu'il ne soit suffisant pour y donner tel remede, que nous pourrons conclure que nous sommes receus et avouez de Dieu, comme ses propres enfans, et qu'il nous tient pour iustes et parfaits, au lieu que nous estions abominables devant luy. Voyla ce que nous avons a retenir de cette doctrine. Auiourd'huy voyans que les uns se gaudissent et se mocquent, les autres s'eslevent en orgueil et presomption, et cuident par leur iustice satisfaire a Dieu: que nous renoncions a tels blasphemes, et qu'en vraye foy et repentance nous cherchions nostre Seigneur Iesus Christ, et que toute nostre affection soit de nous venir ranger a luy, quand nous sentirons que nous sommes ainsi chargez de ce fardeau insupportable.

Or nous-nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu, en cognoissance de nos fautes, le prians, etc.

636

QUATRIEME SERMON

Isa. Chap. LIII.

7. Il a este chastié et affligé, et n'a point ouvert sa bouche: il a este mené a la mort comme un mouton: et comme n agneau devant celuy qui le tond: il a este muet, et n'a point ouvert sa bouche. 8. Il a este eslevé d'angoisse et de iugement: et qui racontera son auge? Il a este retranché de la terre des vivans et a souffert les playes qui estoyent deuës a mon peuple.

Le Prophete nous ayant declaré que nous devons regarder chacun a soy et a ses fautes, pour prendre goust a la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, adiouste maintenant que ce qu'il a souffert, ce n'est point par force, mais de son bon gre: Comme aussi sans cela nous ne serions pas iustifiez et l'appointement ne seroit point fait entre Dieu et nous: ascavoir si Iesus Christ n'eust reparé nos transgressions par son obeissance: Si donc la mort du Fils de Dieu eust este forcee, et qu'il ne s'y fust point assuietti volontairement, ce n'eust pas este un sacrifice pour effacer nos fautes: comme S. Paul aussi nous rameine là, en disant que nos rebellions ont este abolies par l'obeissance d'un homme. Qui a este cause de nous rendre Dieu ennemi, et l'est encores maintenant, sinon d'autant que nous ne cessons de l'offenser? Il nous a creé pour iouir paisiblement de nous: mais quand nous refusons de porter son ioug, il faut qu'il nous deteste, et desavouë pour ses creatures et a bon droict.

Or donc voyla pourquoy il est dit que non soulement nostre Seigneur Iesus a este chastié pour nos fautes et iniquitez, mais qu'il n'a point ouvert sa bouche, et n'y a point eu de contredit en luy: mais cognoissant qu'il estoit ordonné a cela, et que tel estoit le conseil eternel de Dieu son Pere, il s'est monstré obeissant iusques a la mort. Ainsi quand nous voudrons encores mieux sentir la vertu de la mort et passion du Fils de Dieu, qu'un chacun pense en combien de sortes il a contrevenu a la volonté de Dieu et a sa iustice. Or nous trouverons que nous ne cessons de luy faire la guerre, comme si nous le voulions despiter a nostre escient. Il ne se faut donc point esbahir si nous avions besoin d'un tel remede; c'est ascavoir que le Fils de Dieu pour ensevelir la memoire de toutes nos rebellions, se rendist obeissant en nostre lien. Il est vray que nostre Seigneur Iesus a parlé devant Pilate son iuge: mais ce n'a pas este pour eschapper la mort: plustost il s'y est offert: Et mesmes il n'a voulu accepter nulle

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

637

occasion d'estre absous, pource qu'il faloit bien qu'il fust condamne en nostre nom.

e n'est point donc sans causc que le Prophete dit, qu'il a este comme un muet: et l'accompare a un mouton, ou a un agneau, regardant a la figure des sacrifices anciens, car quand on nous parle de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, il nous la faut prendre comme un sacrifice par lequel Dieu a este appaisé, d'autant que les pechez (comme nous avons monstré par ci devant) ne se peuvent abolir devant Dieu que par tel moyen. Et de faict, quand sous la Loy les hommes ont voulu demander pardon de leurs fautes il a falu tousiours que le sacrifice fust adiousté. Ils ne pouvoyent apporter aucune recompense: mais Dieu leur a declaré que c'estoit assez qu'ils se fondassent sur la promesse qui leur estoit donnee du Redempteur. Ainsi donc afin que les Iuifs cognussent que Iesus Christ devoit accomplir tout ce qui estoit pour lors figuré en la Loy, notamment ce nom d'Agneau luy est attribué, et sous une espece le Prophete a comprins le tout: comme s'il disoit que Iesus Christ en sa mort et passion, premierement aboliroit toutes nos iniquitez, d'autant qu'il s'assuietiroit a la volonté de Dieu son Pere: et puis en second lieu qu'il seroit sacrifié comme un agneau, afin que par l'effusion de son sang, toutes nos macules fussent lavees et nettoyees. Or maintenant quand nous serons redarguez de tant de fautes que nous commettons, et qu'il nous faudra sentir l'ire de Dieu, que nous ayons nostre recours a ce qui nous est yci proposé: c'est ascavoir que nostre Seigneur Iesus Christ non sans cause n'a point voulu replicquer, combien que les afflictions qu'il enduroit fussent extrêmes, et combien que Dieu desployast sur luy toute rigueur, neantmoins paisiblement il a souffert le tout, afin qu'en ceste obeissance la nous fussions reconciliez.

Cependant nous sommes aussi exhortez a nous conformer a son exemple: Don pas que nous puissions en toute perfection nous humilier devant Dieu, mais si est-ce qu'il nous y faut efforcer. Ie dis quand il plaira a Dieu de nous chastier, et que nous sentirons grande rudesse en sa main, qu'il nous semblera que nous serons par trop pressez, qu'il faut neantmoins que nous facions silence, et que nous confessions que Dieu est iuste et equitable, et qu'on n'oye nul murmure en nostre bouche: mais plustost que nous glorifions Dieu en nous taisant: voire comme povres pecheurs qui sont convaincus de leurs forfaits et qui n'ont nulle replicque. Voyla donc comme S. Pierre applicque ce passage: c'est que quand nous serons affligez de la main de Dieu, voire mesme persecutez de la main des hommes, nous ne laissions pas de porter patiemment des iniures qu'on nous fait: cognaissant

638

que Dieu nous veut esprouver, ou bien qu'il nous veut punir de nos fautes. Et regardons de ne point alleguer excuses frivoles, comme font beaucoup, qui mettent on avant leur infirmité, et qu'ils sont par trop debiles, et ne se peuvent tenir quois, cependant que Dieu les presse de grandes angoisses. Si faut-il que nous soyons conformez au Fils de Dieu: car c'est nostre miroir et patron, non pas (comme i'ay dit) qu'il y puisse avoir une vertu egale, mais encore que nous n'approchions point de luy, si faut-il que nous y tendions. Et d'avantage nous voyons que David estant homme fragile, comme nous sommes, n'a pas laisse pourtant de prattiquer ceste doctrine: comme il dit d'un costé, Seigneur scachant que c'est ta main qui est ainsi appesantie sur moy, ie me suis teu. Et en l'autre passage, Et bien, puis que la bride estoit laschee a mes ennemis, i'ay souffert paisiblement les iniures et outrages qu'ils m'ont faits.

Voyla donc ce que nous avons a retenir de ce passage: C'est ascavoir que comme le Fils de Dieu a este muet pour donner gloire à Dieu, et n'a contredit ne repliqué en toutes ses afflictions, aussi nous souffrirons que Dieu nous chastie quand bon luy semblera: ou bien qu'il esprouve nostre obeissance, laschant la bride aux meschants, afin qu'ils nous persecutent. Or il est impossible de tendre la, iusques a ce que nous ayons ceste doctrine bien resoluë, que quand nostre Seigneur Iesus s'est teu devant Dieu son Pere et devant les hommes, il a par ce moyen reparé toutes nos fautes et rebellions. Au reste, quand il nous est dit qu'en se taisant, il nous a acquis iustice, nous voyons qu'un tel silence apporte quant et quant ce bien, que ç'a este pour maintenir nostre cause, et qu'il est maintenant nostre advocat devant Dieu, ayant tousiours la bouche ouverte: c'est a dire ayant son intercession preste pour remedier a toutes les offenses que nous avons commises. Car entant qu'il a enduré qu'on le persecutast iusques au bout sans rien respondre, il s'est acquis cest office-la que si nous sommes convaincus en nos consciences devant Dieu, et qu'il nous falle passer condamnation, et que nous n'ayons nulle replique pour nous excuser, neantmoins nous serons defendus par luy, et que Dieu nous iugera comme innocens d'autant que nos fautes ont este ainsi reparees. Voyla donc par quel bout il nous faut commencer, et alors nous aurons meilleur courage, et serons mieux disposez beaucoup, pour nous taire lorsque nous serons ainsi affligez de la main de Dieu.

Or la dessus le Prophete adiouste encores, qu'il a este eslevé d'angoisse ou de prison (car ce mot comporte cela) et de iugement. Aucuns exposent ceci, comme si Iesus Christ eust este ravi a la mort par une violence soudaine: mais plustost il

SERMONS

639

nous est dit qu'il n'a pas este vaincu en la mort, mais qu'en la vertu de Dieu son Pere il a este ressuscité. C'est desia beaucoup que nous cognoissions que nostre Seigneur Iesus a souffert pour nostre salut, et qu'ayans examiné nostre vie, nous sentions que sans un tel remede nous estions damnez et perdus: mais encore s'il n'estoit parlé que de la mort et passion du Fils de Dieu nous serions tousiours en doute et en scrupule. Car comment pourrions-nous esperer qu'il nous donnast la vie, veu qu'il seroit abysmé en la mort? Nous n'apperceverions point une vertu Divine ne celeste, sans laquelle nous ne pouvons concevoir une ferme fiance en luy: nous ne verrions là qu'infirmité qui nous estonneroit.

Tout ainsi donc que le Prophete a parlé par ci devant du fruit que nous apporte la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, maintenant il adiouste que c'est d'autant qu'il sera relevé en la vertu de Dieu son Pere. Il a donc este eslevé (dit-il) d'angoisse et de iugement. Et combien qu'il ait este condamné, ce n'a pas este que Dieu l'ait delaissé au besoin, mais il a este exalté pour avoir Empire souverain, et pour dominer sur toutes creatures. Et c'est ce que S. Paul aussi nous remonstre au premier chapitre des Romains, en disant qu'il a este declare Fils de Dieu en sa resurrection. Car si nous ne regardons Iesus Christ qu'en sa vie, selon qu'il a conversé yci bas au milieu des hommes, et puis en sa mort, nous ne trouverons pas en luy oc qui est requis a nostre salut. Il est vray que les miracles qu'il a faits, la doctrine qu'il a preschee, les autres signes qu'il a montrez, estoyent bien pour le declarer Fils de Dieu: voire si nous n'estions pas trop debiles de foy. Mais encores nous demeurerions tousiours confus en perplexité, quand Iesus Christ se presenteroit comme un homme commun, et mesmes mesprisé: et puis que nous le verrions en la fin estre assuieti a ceste mort maudite, et tant ignominieuse. Mais quand de la mort nous passons a la résurrection, voyla comme nous scavons que nostre Seigneur Iesus nous a acquis victoire. Et c'est ce que dit Sainct Paul en l'autre passage de la seconde aux Corinthiens, que s'il est mort on l'infirmité de sa chair, en la vertu de Dieu son Pere il est ressuscite. Ainsi l'ordre que tient yci le Prophete tend a ce but, que nous ne doutions point que nostre Seigneur Iesus n'ait la vie en sa main, et qu'il n'en soit seigneur et maistre d'autant que cela a este declaré en sa personne. Cognoissons donc que le Fils de Dieu a este aneanti pour nous: scachans quant et quant il n'a point este desnué de sa vertu: Et que s'il l'a tenue cachee pour un petit de temps, nous en aurons ou certain tesmoignage en sa résurrection, tellement qu'il n'y a nulle excuse que nous n'arrestions

640

plenement nostre fiance en luy, et que nous ne despitions hardiment le diable et le peche: veu que Iesus Christ a triomphé par dessus, et que la main de Dieu l'a soustenu pour l'exempter des angoisses: et que de la mesmes il a este exalté pour estre lieutenant de Dieu son Pere: et (comme i'ay desia dit) pour avoir empire souverain au monde. (J'est donc en somme ce que nous avons a retenir, quand il est dit qu'i a este eslevé de la prison et de iugement.

Or il a bien falu que nostre Seigneur Iesus descendist iusques aux abysmes devant qu'estre exalté en la gloire des cieux:: car s'il fust seulement apparu en sa maiesté, comment auiourd'huy pourrions-nous estre asseurez que nos pechez nous sont remis? Nous verrions le Fils de Dieu qui est la fontaine de vie, mais il seroit comme separé de nous, et nous n'aurions rien de commun avec luy, nous n'en pourrions approcher. D'avantage nous aurions tousiours matiere de nous desesperer, d'autant que nous sommes coulpables de fautes infinies. Si donc nostre Seigneur Iesus fust descendu aux abysmes sans estre eslevé aux cieux, que seroit-ce? Nous demeurerions tousiours comme povres gens transsis, et serions en inquietude sans fin et sans cesse: nous serions en un torment horrible, voyans que l'ire de Dieu seroit tousiours sur nous. Mais quand il est dit en premier lieu qu'il a este condamné et qu'il a souffert de terribles angoisses, afin que nous en fussions affranchis, et qu'ayans paix envers Dieu (comme il en fut hier traitté) nous scachions maintenant qu'il nous aime, nous est favorable, et nous reçoit a merci. Quand donc nous scavons que Iesus Christ a este eslevé de là, nous pouvons aussi bien conclure, que ça este pour nous tirer a luy, afin que nous soyons participans de la gloire qui luy a este donne de Dieu son Pere.

Au reste il nous faut aussi noter ce que le Prophete adiouste, qui est-ce qui racontera son aage? Car par ceci il veut monstrer que la resurrection de nostre Seigneur Iesus Christ ha son effet et sa vertu a perpetuité: et que ce n'est-pas une chose temporelle, qui s'escoule et qui s'esvanouisse tantost. Et ceci est encores bien necessaire: car aucuns ont prins cest aage pour la generation eternelle de nostre Seigneur Iesus Christ, d'autant qu'il a este engendré de Dieu son Pere de toute eternité. les autres ont tiré et çà et là ces mots du Prophete: mais quand tout sera regardé de pres il n'y a nulle doute qu'il n'ait voulu monstrer que la hautesse qui a este donnee a Iesus Christ n'a pas este pour luy et pour sa personne: d'autre costé que ce n'a pas este pour un iour seulement, mais qu'il nous a acquis vie permanente comme S. Paul dit qu'il est mort une fois a peché mais que maintenant il vit a Dieu et ne mourra iamais. Par

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

641

cela il nous declare que le sacrifice que nostre Seigneur Iesus a offert nous doit bien contenter, d'autant qu'il nous a sanctifiez par ce moyen-la eu toute perfection. Il n'estoit pas donc besoin que le Fils de Dieu souffrist plusieurs fois: Mais puis qu'il a eu ceste vertu en soy, d'effacer une fois toutes nous iniquitez, ayons hardiment nostre refuge a sa mort et passion, et ne doutons pas que tousiours elle n'ait ceste vigueur pour nous reconcilier a Dieu. Maintenant la vie en laquelle nostre Seigneur Iesus est entré, est vrayement celeste: car il ha une condition parfaite, a laquelle il n'y a que redire: Et quand S. Paul dit qu'il vit a Dieu, c'est d'autant qu'il est maintenant exempté de toutes nos miseres, et de la condition qu'il avoit prinse auparavant d'estre homme mortel. Iesus Christ donc a despouillé tout cela, et maintenant il est separé de toutes fragilitez humaines, voire afin que nous esperions le semblable en nous, qui sommes ses membres. Ainsi notons en premier lieu que le Prophete a yci declaré que nostre Seigneur Iesus n'est pas ressuscité pour estre iamais suiet a mourir, mais qu'il a acquis une vie permanente. Et en second lieu, que cela n'a pas este seulement pour sa personne, mais pour toute son Eglise: Comme quand il est dit au Pseaume, que Dieu est monte en haut, et a prins les despouilles de ses ennemis: c'est pour monstrer que quand nostre Seigneur Iesus a este exalté apres sa mort, le tout est revenu au profit et au salut commun de l'Eglise. Ce qu'il a donc vaincu Satan et le peché, ç'a este afin que nous en soyons delivrez, et que nous iouissions du fruit d'une telle victoire, et en facions nos triomphes.

Voyla en somme ce que nous avons a retenir de ce passage. Or le tout est, que nous le scachions bien applicquer a nostre usage. Quand donc il est dit que le Fils de Dieu a este eslevé d'angoisse et de condamnation, apprenons quand nous serons solicitez a quelque desespoir de mettre Iesus Christ devant nos yeux, scachans qu'il a passé par là: et que Dieu son Pere luy a tendu la main, afin qu'il ne fust point opprimé, et que ça este en nostre nom. Ainsi donc nous avons le moyen de sortir de nos angoisses ayans Iesus Christ pour capitaine et suyvans ses pas, d'autant que tout ce qui a este accompli en luy, comme en nostre chef, nous appartient, et que l'effet s'en monstrera en chacun fidele. Et quand il est parlé de son aage, c'est afin que nous cognoissions qu'il aura la vertu de maintenir son Eglise iusques en la fin: car il ne veut point estre separé de son corps. Il est vray que sa condition est bien diverse de la nostre, iusqu'a ce que nous soyons retirez de ce monde: Mais tant y a qu'il est tousiours le premier nay des morts, il est les premices de ceux qui doyvent

642

ressusciter. Cognoissons donc, d'autant que le Fils de Dieu non seulement on son essence et en sa maiesté Divine est immortel, mais aussi en sa chair et en sa nature humaine, que c'est afin que l'Eglise soit tousiours gardee en ce monde, et qu'elle ne perisse iamais. Il nous faut donc estre asseurez de l'estat permanent de l'Eglise quand nous serons fondez sur ce passage. Il est vray que nous verrons de grans troubles, et semblera souvent que l'Eglise de Dieu doyve perir: car il ne faut qu'un orage se lever, et les vagues seront si grandes et si horribles, qu'on dira, C'en est fait, tout est perdu. Et nous le voyons par experience. Quelle apparence y a-il que l'Eglise de Dieu soit maintenue, quand elle est ainsi assaillie de tous cotez? Quand il y a tant d'assaux, ne semble-il pas qu'elle doyve estre abysmee du tout? Mais tant y a qu'il nous faut venir au chef. Et puis que l'aage de nostre Seigneur Iesus Christ ne finit point, et qu'il n'y a nul changement qui empesche qu'il n'ait tousiours esgard a bien garder son Eglise, encores qu'il y ait des tentations beaucoup plus grandes et plus violentes qu'elles ne sont, asseurons-nous toutesfois. Et ne faut pas applicquer cela seulement a toute la communauté des fideles, mais aussi a chacun de nous. Que donc nous scachions et soyons bien persuadez, encores que nostre vie ne soit. qu'un souffle, et que nous soyons prests a chacune minute d'estre esvanouis, que toutesfois nous avons une vie permanente, d'autant que nous sommes membres de nostre Seigneur Iesus Christ. Et au reste apprenons quant et quant de passer par ce monde, puis qu'ainsi est que ce n'est pas nostre vie que celle dont nous iouissons a present, mais un passage par lequel il nous faut courir viste, iusques a ce que nous soyons parvenus au repos de nostre heritage. Voyla donc comme en esperant la vie eternelle, il nous faut quitter tout ceci, qui n'est rien qu'un ombrage: et faut que nos sens ne soyent point enveloppez en tout ce qui nous est apparent, et qui pourroit nous faire demeurer en CE, monde: car tous ceux qui s'y arrestent, il est certain qu'ils se separent par ce moyen du Fils de Dieu, et se rendent indignes d'avoir nulle part ne, portion en son eternité. Ainsi donc retirons nous de ce monde, si nous voulons estre conioints au Fils de Dieu.

Au reste, afin que ceste doctrine eust plus de vigueur et de vehemence envers nous, le Prophete s'escrie: il ne prononce pas seulement que l'aage de nostre Seigneur Iesus Christ sera eternel, mais il se iette là comme un homme tout esbahi, qu, racontera son auge? Ainsi donc nous sommes admonestez de batailler contre toutes tentations, et si nous sommes quelquesfois empeschez çà et la, si nous sommes outre l'agitation quasi abbatus,

SERMONS

643

que toutesfois nous resistions et mettions peine de nous efforcer, iusques a ce que nous soyons parvenus a ce qui nous est yci monstré, c'est ascavoir que l'aage de nostre Seigneur Iesus Christ ne se peut cognoistre de sens humain, et ne se peut aussi exprimer de bouche. Et pour ce faire, nous devons estre aussi bien advertis de passer par dessus toutes nos pensees quand il est question de nous fier en nostre Seigneur Iesus Christ, et le suyvre pour estre participans de l'heritage celeste qu'il nous a acquis. Il n'est pas question de nous arrester a nostre opinion et fantasie, pour bien traitter ceste doctrine, comme si elle pouvoit estre debatue par langage. Cognoissans que nostre foy, combien qu'elle depende de l'ouye, ne sera pas iamais asseuree, sinon qu'elle recoyve tesmoignage de Dieu et de son sainct Esprit: voire un tesmoignage qui surmonte tout ce qui se pourra exprimer par langue d'homme. Pour ceste cause il ne faut point que nous soyons retenus en nos apprehensions, pour iuger comme bon nous semblera, mais que nous scachions que c'est un secret admirable et incomprehensible que le Fils unique de Dieu se soit fait homme mortel, et qu'il se soit assuieti a la mort, a ce que nous en soyons exemptez: et que maintenant au milieu de nos fragilitez, nous ne laissions pas toutesfois d'avoir une vie permanente, laquelle nous possedons par foy, iusques a ce qu'elle nous soit manifestee au dernier iour, et a sa venue: voyla en somme ce que nous avons a retenir de ce passage.

Or derechef le Prophete adiouste qu'il a este retranché de la terre des vivans, et a soustenu les playes qu'estoyent deues a son peuple. C'est une confirmation de ce que nous avons dit n'agueres: c'est ascavoir que l'aage de nostre Seigneur Iesus Christ ne seroit pas seulement pour sa personne, mais pour tout le corps de l'Eglise, auquel il s'est uni, et avec lequel il ha comme un lieu inseparable. Car le Prophete nous monstre que sans cela il faudroit dire que la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ seroit inutile. Or c'est un blaspheme insupportable, de penser que le Fils de Dieu soit descendu au monde et qu'il ait enduré une mort si cruelle, et que le iugement de Dieu soit ainsi tombé sur sa teste, qu'il ait porté la punition de nos pechez, qu'il ait este reputé comme le plus grand malfaiteur du monde, et que cependant cela n'apporte nul profit a ses fideles: on diroit que ç'auroit este comme un ieu. Or donc le Prophete nous ramene là que nous considerions bien a quelle fin et intention nostre Seigneur Iesus a este ainsi batu et frappé. Cela n'est point advenu par cas fortuit, comme il a este declaré dessus. Et ne faut pas aussi seulement regarder la main des hommes, et de ceux qui l'ont iniuste

644

ment occis, mais il nous faut eslever les yeux de nostre foy, a ce conseil de Dieu par lequel il avoit ordonné que Iesus Christ fust sacrifié, afin de nous acquerir remis ion de nos pechez. Puis qu'ainsi est donc, nous avons tousiours a conclure que Iesus Christ n'a point souffert pour soy, mais qu'il a enduré et souffert les playes qui nous estoyent deuës. Or yci en premier lieu nous sommes exhortez d'entrer en cognoissance et examen de nos pechez, quand la mort et passion de nostre Seigneur Iesus nous est mise devant. Il est vray que là Dieu desploye les thresors infinis de sa bonté: comme de faict, quand Sainct Paul a traitté que nous avons este iustifiez par nostre Seigneur Iesus Christ, et qu'estans appuyez sur sa mort et passion, maintenant nous, pouvons hardiment nous presenter devant Dieu et nous glorifier qu'il nous aura tousiours agreables: Sainct Paul, di-ie, apres avoir traitté ceste doctrine, qu'estans povres pecheurs, si est-ce que iamais nous ne serons deboutez de Dieu, mais qu'il nous supportera pource qu'il nous reçoit au nom de son Fils unique, il adiouste, le vous prie mes freres, par les entrailles de la bonté et de la misericorde de Dieu. En quoy il monstre qu'en ce que Iesus Christ a souffert, nous avons un tesmoignage de l'amour infinie de Dieu: comme s'il nous descouvrait son coeur: et qu'il nous meist en avant ses entrailles pour nous testifier combien nous luy sommes chers, et combien nos ames luy sont precieuses.

Mais cela pourtant ne nous doit pas endormir, en sorte que chacun se plaise en ses pechez: car d'autant plus que Dieu s'est monstré liberal en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, nous devons sentir d'autre costé quelle enormité il y a en ce que nous luy sommes ennemis, et que nous bataillons contre sa iustice que nous le despitons a l'encontre de nous: car la grace que Dieu nous monstre en nostre Seigneur Iesus Christ, nous doit tousiours attirer a repentance. Auiourd'huy les Papistes taschent de calomnier faussement la doctrine que nous preschons, qu'il nous faut estre sauvez par la bonté gratuite de Dieu, et qu'il nous faut avoir nostre refuge a Iesus Christ, scachans que c'est là ou nous avons toute perfection de iustice. Voire, disent-ils, et il faudra donc que chacun vive a son appetit, et qu'on ce face plus nul scrupule d'offenser Dieu. Or il est vray que ces chiens-la peuvent abbayer en telle sorte d'autant que iamais ils n'ont gousté que c'est de la remission des pechez. Car ces caphars se mocquent plenement de Dieu, et de toute religion, et iamais n'ont apprehendé que c'est d'avoir transgressé la Loy de Dieu. Et nous voyons aussi comme ils pensent s'acquitter. S'ils ont chanté messe, s'ils ont barboté, s'ils ont fait des petis badinages et

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

645

menus fatras, voyla Dieu qui doit bien estre appaisé, comme un enfant d'une petite hochete. Voyla donc comme ces mocqueurs de Dieu pourront bien blasphemer contre la doctrine de l'Evangile. Mais quand nous aurons cognu nos pechez, et a quelle fin la grace de Dieu inestimable nous est preschee, il est certain que nous serons touchez de repentance, et que nous serons navrez mortellement d'horreur et d'angoisse, voyans que Dieu nous est contraire, d'autant que nous avons provoqué son ire. Et c'est ce que le Prophete a voulu dire yci, que Iesus Christ a soustenu les playes qui nous estoyent deuës. En quoy il monstre que iamais nous ne pourrons bien sentir au vif de quoy a profité la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ que nous ne soyons bien touchez là dedans, d'avoir offensé nostre Dieu, et de l'avoir constitué comme nostre iuge et ennemi, iusques a ce que nous soyons reconciliez a luy par sa pure bonté. Or ceci nous est assez souvent monstré en l'Escriture saincte: mais le tout est que nous y applicquions nostre sens et nostre estude.

Quoy qu'il en soit, nous voyons que nostre Seigneur Iesus Christ n'appelle sinon ceux: qui sont chargez et travaillez. Par cela il exclud tous ceux qui sont endormis en leurs iniquitez, qui s'y flattent, ou bien se iettent a l'abandon sans aucune crainte de Dieu. Ceux donc qui sont ainsi desbordez a tout mal, ne peuvent approcher de nostre Seigneur Iesus Christ: c'est une chose certaine. Car qui nous donnera entree a luy, sinon la voix par laquelle il nous convie? Autant en est-il de ceux qui s'aveuglent en leur orgueil et présomption, qui se font a croire qu'ils sont iustes en eux mesmes: il est certain qu'a ceux-la aussi la porte est close, et qu'ils DC peuvent pas esperer que nostre Seigneur Iesus Christ leur apporte aucun soulagement. Et pourquoy? Venez a moy, dit-il. Et comment? Tout le monde. Il est vray qu'il appelle bien tout le monde, mais il distingue, Vous qui estes chargez et travaillez. Après avoir appelé tous ceux qui ont besoin de son secours, il monstre que nul n'en peut estre participant sinon qu'il soit chargé et travaillé. Quand donc nous sentirons nostre fardeau, et gemirons dessous, cognoissans que nous n'en pouvons plus, voyla comme le chemin nous sera fait et ouvert pour venir a nostre Seigneur Iesus Christ: car il a les bras estendus pour nous recevoir. Comme aussi nous verrons ci apres qu'il a este envoyé pour prescher à ceux qui sont abbatus en leur coeur. Il faut donc que nous soyons sacrifiez en ceste manière pour estre conformez a nostre Seigneur Iesus Christ. Il est vray que le sacrifice qu'il a offert est nostre plene esperance: c'est a dire qu'il ne faut point que nous presumions de rien adiouster du nostre. Iesus

646

Christ nous a acquis plenement salut en ce qu'il a este sacrifié a Dieu son Pere: mais cependant il faut que nous soyons menacez du iugement de Dieu, que nous cognoissions combien c'est une chose enorme que nous povres vers de terre venions a nous eslever contre la maiesté de celuy qui nous a creez, que nous violions sa iustice, attendu mesmes que nous sommes en ce monde pour le servir et honorer. Que donc nous sentions vivement cela en nous, afin de venir a nostre Seigneur Iesus Christ.

Or il sembleroit bien de prime face que le Prophete eust adiousté yci une raison estrange, en disant, Pou ce qu'il a este retranché de la terre des vivans. Car a ce que Iesus Christ fust exalté, et que maintenant il domine au ciel et en la terre, il ne semble pas que le moyen fust propre, que premierement il n'eust a estre comme retranché: car il a eu devant la creation du monde tousiours ceste gloire en laquelle il est maintenant, selon qu'il l'a protesté au disseptieme chapitre de S. Iehan. Iesus Christ donc ne s'est rien acquis de nouveau quant a son essence Divine. Or estre comme abysmé en la mort, ce n'est pas le passage pour parvenir a la gloire celeste: estre condamné par un homme mortel, ce n'est pas pour estre constitué Iuge du monde. Mais tant y a que Dieu a ainsi voulu besongner outre le sons humain: et ne faut pas que nous apportions yci nostre avis, comme si nous pouvions trouver a redire en ce conseil, que nous scavons estre la cause et la source de nostre salut: Mais en toute humilité glorifier Dieu, de ce qu'il a voulu que son Fils fust ainsi retranché de la terre des vivans. Or notamment le Prophete parle ainsi comme si Iesus Christ eust este aboli du tout: et n'a pas voulu exprimer seulement une mort commune, mais qui estoit pour l'exterminer: en sorte que c'estoit comme si la memoire de luy eust este plenement abolie et effacee. Car combien qu'il falle que tous hommes meurent, et que par ce moyen ils soyent retranchez de la terre des vans, si est-ce qu'on a veu ceci de special en nostre Seigneur Iesus Christ, que sa mort a este pour le forclorre du rang des hommes. Car il y a eu de l'ignominie (comme nous avons dit) il y a eu la malediction de Dieu: et puis il y a quant et quant les gouffres d'enfer: non pas que Iesus Christ y ait este englouti: mais tant y a qu'il a combatu contre les angoisses de mort.

Ainsi donc ce n'est point sans cause que le Prophete le propose yci comme ayant este aboli d'entre les hommes. lais quoy qu'il en soit, par ce moyen il a acquis une maiesté en ceste nature qu'il avoit prinse de nous, tellement qu'auiourd'huy estant nostre frere, il ne laisse pas aussi d'estre nostre Iuge. Et voyla comme sainct Paul en parle,

S E R M O N S

647

qu'il s'est rendu obeissant iusques a la mort, voire iusques a la mort qui estoit maudite. Disant qu'il s'est rendu obeissant, il note ce que nous avons desia declaré du Prophete: c'est ascavoir que ce que nostre Seigneur Iesus Christ a enduré, estoit volontaire. Et pource que nous sommes coulpables devant Dieu et luy sommes ennemie, il est dit que Iesus Christ s'est assuieti: luy qui avoit toute maitrise et authorité, il a prins la forme d'un serf, il a prins la condition de ceux qui estoyent sous le ioug, comme dit sainct Paul. Voyla donc comme en toute sa vie il s'est rendu obeissant, et a voulu estre sous la Loy. Et non seulement cela, mais combien qu'il eust des horribles apprehensions de la mort, iusques a suer sang et eau, iusques a dire, Mon Pere, s'il est possible, que ce bruvage tant amer soit eslongne de moy: neantmoins il se restraint: Ta volonté soit faite (dit-il) et non pas la miene. Or là dessus sainct Paul adiouste, que pour ceste cause Dieu son Pere l'a esleve, et luy a donne un nom qui est par dessus tous, tellement que tout genouil se ploye auiourd'huy devant luy. Ainsi donc cognoissons que Iesus Christ mesme en nostre nature ha une maiesté souveraine, afin que nous venions on plene confiance a luy: car a quelle condition est-il Iuge de tout le monde? C'est pource que non seulement il s'est fait nostre frere, mais aussi s'est offert pour estre nostre plege, et a soustenu toutes nos iniquitez: il a este batu et frappe de la main de Dieu, afin que nous fussions garentis des playes que nous avions meritees. Pour ceste cause il est maintenant exalté, afin que nous approchions hardiment de luy. Or il est vray qu'il faudra que les meschans et les diables en despit de leurs dents sentent comme le Fils de Dieu est par dessus eux: car il faut que tous ses ennemis soyent foullez sous ses pieds. Mais de nostre costé nous avons a luy rendre un hommage volontaire, et nous ranger paisiblement a luy, et cognoistre la maiesté qui luy a este donnee en sa nature humaine, afin que nous ayons de quoy nous glorifier contre le peché.

Or que ceci soit entendu de la personne de Iesus Christ, il appert assez par ce que sainct Luc recite, que l'Eunuque estant venu adorer au Temple de Ierusalem, lisoit ce passage, et qu'il luy a esté exposé par Philippes, qui a esté envoye de Dieu et ravi par l'Ange tout expres, afin de venir a cest homme qui cherchoit Dieu, mais comme un povre aveugle qui n'avoit point encore de cognoissance. Mais ce passage luy a este expose en sorte qu'a une seule predication il a este converti a nostre Seigneur Iesus Christ, et a demande et requis d'estre baptizé en son nom. Cela nous doit bien toucher, car en premier lieu nous sommes admonestez qu'encores que du premier coup nous ne

648

puissions pas avoir l'intelligence pure de la doctrine de nostre Seigneur Iesus Christ, et quel est le fruit que nous devons recueillir de ce qui nous est presché iournellement, qu'il ne nous faut point desesperer pourtant: mais chercher en l'Escriture ce qui nous est incognu: et Dieu nous tendra la main, et ayant pitié de nous, il nous adressera au vray but. Et puis qu'ainsi est que ce povre homme-la qui s'exerçoit en la lecture de la Bible et ne scavoit pas ce qu'elle vouloit dire, a este converti a nostre Seigneur Iesus Christ, gardons bien de nous endormir: mais plustost suyvons ce qui est dit au Psaume, Auiourd'huy si vous oyez sa voix, n'endurcissez point vos coeurs. Ainsi donc que nous goustions tellement la doctrine qui nous est yci preschee, que nous soyons amenez a nostre Seigneur Iesus Christ, et que nous l'acceptions tellement, que nous y adherions en vraye constance de foy: que nous y profitions, et soyons confermez iusques au bout: et qu'apres nous estre vrayement humiliez, nous venions nous presenter a nostre Dieu pour luy demander pardon: et nonobstant nostre indignité, que nous ne laissions pas de lever la teste en haut, et de concevoir une vraye certitude, qu'au nom de ce grand Redempteur nous serons acceptez de Dieu. Et combien qu'il ait este abysmé pour un petit de temps, revenons a ce poinct, que neantmoins il a este eslevé par dessus les cieux pour nous attirer a soy: comme luy mesme dit en sainct Iehan, au douxieme chapitre, Quand ie seray exalté de ce monde, ie tireray toutes choses a moy.

Or nous-nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu en cognoissance de nos fautes, luy prians, etc.

CINQUIEME, SERMON

Isa. Chap. LIII.

9. Il a exposé son sepulchre aux meschans, et sa mort aux riches: combien qu'il n'eust commis nul forfait, et qu'il ne se fust point trouvé de fraude en sa bouche. 10. Le Seigneur toutes fois l'a voulu affliger d'infirmité: et quand il aura mis son ame pour satisfaction du peche il verra semence de long auge, et le plaisir de Dieu prosperer en sa main

Le Prophete continue yci la doctrine que nous avons desia veuë: c'est ascavoir qu'il y avoit telle inimitié entre Dieu et nous, qu'il n'y a eu moyen d'appaiser son ire, sinon que Iesus Christ eust respondu iusques au bout. Car d'autant plus que le Fils de Dieu a souffert, de là nous pouvons

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

649

recueillir combien nos fautes sont enormes, et en quelle detestation Dieu les ha: veu que (comme nous avons dit, et sera encores tantost recité) il n'y a rien de superflu ou inutile en la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ. Et ainsi d'autant qu'il a este affligé griefvement, il nous a testifié d'un costé sa bonté infinie, et l'amour qu'il nous portoit: mais aussi il nous faut contempler ce que meritoyent nos iniquitez devant Dieu. Or il est y ci dit que mitre ce qui avoit desia este recité, nostre Seigneur Iesus Christ a este exposé a toutes mocqueries et opprobres des meschans, et qu'ils en ont fait leur triomphe: car par ce mot de sepulchre il n'y a nul doute que le Prophete n'ait voulu exprimer que Iesus Christ a este assuieti a toutes contumelies, et que Dieu l'a voulu comme abandonner pour un temps a ce que les hommes eussent toute licence de le vilipender: ainsi qu'il nous est monstré en l'histoire de l'Evangile. Car non seulement Iesus Christ a este crucifié, mais tous ont tire la langue contre luy, et ont ietté leurs brocars, et mesmes l'ont solicité a desespoir tant qu'il estoit possible. Et cela desia avoit este aussi bien dit au Pseaume 22, que les plus vileins et les plus maraux devoyent tirer la langue contre luy. Et nous oyons aussi leurs propos, Il a sauvé les autres: qu'il se sauve soy-mesme s'il peut. Et que n'invoque-il son Dieu? On verra s'il l'aime tant. Voyla donc comme nostre Seigneur Iesus a este navré des meschans, et les hommes se sont desbordez contre luy en toute furie. Et c'est afin que devant Dieu nous puissions obtenir telle grace que tous nos vituperes soyent cachez: et encores que Satan nous accuse, et ayt de quoy, que neantmoins tout ce qui pourroit nous faire honte, soit enseveli. Puis qu'ainsi est donc que nostre Seigneur Iesus a voulu endurer tous blasmes et opprobres des hommes, c'est afin que devant Dieu toutes nos turpitudes soyent cachees et qu'elles ne soyent point en memoire.

Quand le Prophete parle yci des riches, c'est comme s'il nommoit les plus violens, et ceux qui se laschent la bride a tout outre. Car nous scavons que quand les hommes sont en credit, et qu'ils ont beaucoup de quoy, ils se font craindre et redouter, et abusent tousiours de leur puissance. On en trouvera bien peu qui se tienent en sobrieté et en mesure, et qui soyent humains, quand ils ont le moyen de mal faire. Quant aux povres, combien qu'ils ayent beaucoup de fierté en eux si est-ce qu'ils sont retenus par force: et ainsi on n'apercevera pas le mal qui est caché. Mais les riches et ceux qui ont dequoy, se iettent hors des gonds, et leur semble que tout leur sera licite. Brief le Prophete a voulu dire que nostre Seigneur Iesus a este comme mis en la main des hommes, afin

650

qu'il fust traitté si vilenement qu'on ne daignast pas le tenir du rang des plus contemptibles: mais qu'il fust comme un ver de terre, et que toutes mocqueries s'addressassent a luy. Voyla en somme ce qui est traitté en ce premier membre.

Or il adiouste quant et quant, que neantmoins il n'avoit commis nul forfait: pour monstrer que le Fils de Dieu estant innocent en sa personne a voulu recevoir toutes nos charges, desquelles nous eussions este accablez: car il ne se trouvera creature mortelle qui puisse soustenir ce qui a este porté et souffert par nostre Seigneur Iesus Christ. Et ainsi derechef le Prophete nous declare que ce n'a point este pour ses demerites, ne qu'il fust coulpable en rien, quand les hommes luy ont este ainsi ennemis et cruels, et ont exercé toute tyrannie sur luy: mais a este a cause de nous. Et de faict, si nous contemplons la vie de nostre Seigneur Iesus on ne trouvera pas que nul ait occasion de rien attenter contre luy. Vray est que les Sacrificateurs disent a Pilate que s il n'eust este malfaiteur ils ne l'eussent pas amené devant luy. Tant y a que si on s'enquiert des maléfices de Iesus Christ, c'est qu'il a bien fait a tout le monde: car il a illuminé les aveugles, il a fait cheminer les boiteux, il a guari les malades, il a ressuscité les morts, il a repeu le peuple affamé: brief on ne voit sinon que toutes les richesses de la bonté et misericorde de Dieu estre desployees en luy.

Et comment donc a-il este ainsi cruellement persecuté des hommes? Il faut bien que cela procede d'ailleurs. Voyla donc pourquoy le Prophete nous ramene a nos fautes et offenses, quand il parle de l'integrité de nostre Seigneur Iesus Christ. Car il ne nous faut pas estimer qu'yci le Prophete ait voulu simplement iustifier le Fils de Dieu. Ce seroit une chose trop maigre de dire, Voyla, il n'a point este coulpable de rien mais il s'est porté en telle sorte qu'il doit estre aimé et honoré de tout le monde. Cela est bien vray, mais ceste doctrine seroit par trop froide, que nostre Seigneur Iesus eust besoin d'estre excusé, et estre exempté de tout blasme. Or le Prophete a bien regardé plus haut: c'est de conioindre ces deux articles qu'il met yci: c'est ascavoir que Dieu a ainsi exposé son Fils unique a tout vitupere, et opprobre et neantmoins qu'il a e té innocent. Si les hommes se fussent eslevez contre luy et que cela ne fust point advenu par la providence de Dieu et de son conseil on diroit qu'ils ont este poussez d'une rage, et cependant nous ne trouverions point la cause: mais il est dit, C'est la main de Dieu. Car combien que les Sacrificateurs et tous les Iuifs en general et les gendarmes ayent este incitez du diable a desgorger tels blasphemes que nous lisons en l'Evangile contre nostre Seigneur Iesus, toutesfois si est-ce qu'ils

SERMONS

651

n'ont point fait cela, que Dieu ne l'ait ordonné, dit Isaie. Il ne faut pas que nous ayons nostre veuë seulement attachee aux hommes, pour dire, lls ont fait ceci ou cela: mais c'est un iugement de Dieu, comme s'il estoit là assis en son siege iudicial, qu'il remist son Fils unique entre les mains des tyrans et des meschans, et qu'il voulust qu'il fust là abbatu en tout opprobre, et qu'il n'y eust nul blasme qui ne tombast sur luy. Quand donc non seulement il est dit que les hommes n'ont point espargné nostre Seigneur Iesus Christ, mais que c'est Dieu son Pere: (comme aussi il en est parlé en sainct Iehan, que Dieu a tant aimé le monde, qu'il a voulu declarer cela en la personne de son Fils, d'autant qu'il l'a expose a une mort tant amere pour nous) si nous eslevons ainsi nos yeux a cognoistre que rien ne s'est fait en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, qui ce fust determiné de Dieu, il faut conclure que si Iesus Christ estoit innocent (comme c'est la verité) là nos pechez ont este monstrez a veuë d'oeil, et que tous les blasmes et opprobres qui luy ont este faite, devoyent venir sur nous. Cognoissons donc que nous sommes dignes que toutes creatures s'arment pour demander vengeance contre nous: et mesmes combien qu'elles n'ayent ne bouche ne langue, que neantmoins elles ne soyent là comme pour descouvrir toutes nos hontes et tous nos vices; tellement que nous soyons confus, et devant le ciel et devant le terre.

Voyla ce que nous avons a observer en premier lieu: car ou Dieu auroit ainsi tormenté son Fils unique a la volee, ou bien il faut qu'il nous monstre quelle est l'énormité de nos pechez, et ce que nous avons desservi: c'est ascavoir que nous soyons blasmez de toutes pars. Il est vray que nous ce pouvons souffrir rien qui soit: et nous sommes tant delicats, que si on touche nostre honneur, nous voudrions incontinent foudroyer: mais cela est a cause que nous ne regardons point quels nous sommes, et ne iugeons point si c'est a tort ou a droict qu'on nous blasme. Or notons que combien que les opprobres que nous avions meritez ayent este abolis en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, toutesfois nous avons besoin que Dieu nous solicite a repentance: et que quand nous ne voudrons point de nostre bon gré entrer en examen pour avoir honte de nous, il suscite des hommes qui vienent nous esveiller: et d'autant plus que nous tascherons de nous couvrir de vaines excuses, qu'il mette en avant nos opprobres, afin qu'ils soyent cognus. S. Paul entre les fruits de repentance met cestuy-ci, que pensans a nostre ne passee, nous baissions les yeux, gemissions devant Dieu et ayons honte de nous-mesmes. Et qui est-ce qui le fait, voire en telle perfection qu'on doit? Plustost nous cherchons par hypocrisie d'oublier nos fautes: et

652

Dieu nous les veut ramener en memoire et en conte, voyant que nous les voulons ainsi cacher par subterfuges. Mais cependant, notons que nous pouvons maintenant venir nous presenter devant Dieu et ses Anges, estans asseurez que nos fautes ne viendront point en avant, et que nos turpitudes ne seront point descouvertes, d'autant que nostre Seigneur Iesus a este ainsi blasmé: et ce n'est point cas d'aventure, ne que les hommes ayent rien usurpé sur luy sans la volonté de Dieu: mais c'est d'autant que Dieu l'avoit ainsi establi, et ç'a este un iugement c este. Or puis que nostre Seigneur Iesus est iuste, il faut bien qu'il porte nos charges sur luy, quand il est ainsi affligé. Et ainsi cognoissons en premier lieu que nous sommes dignes de tout opprobre: et puis neantmoins que nous en sommes absous. d'autant qu'il nous en a acquittez, et que la satisfaction en a este faite en sa personne. Voyla donc pourquoy et a quel propos il est y ci parlé de l'innocence et de l'integrité du Fils de Dieu. Oc n'est point pour amener quelque excuse quant a luy, mais c'est afin de nous faire sentir quels nous sommes, et là où il falloit que nous veinssions sinon que nous en eussions este retirez et rachetez.

Au reste, le Prophete voulant exprimer une perfection plene, et a laquelle il n'y a que redire dit qu'il ne s'est point trouvé de fraude en sa bouche. Or comme dit S. Iaques, il faut bien qu'un homme soit parfait, quand mesme il ne luy échappera point une parole vicieuse, pource que la langue est si fragile que rien plus. Et combien que nous soyons par trop enclins a tout mal, si est-ce que celuy qui pourra retenir ses mains et ses pieds, et qui pourra se regler en toute sa vie, tellement qu'on n'y voye que crainte de Dieu et toute vertu, encores ne pourra il pas tenir si bien sa langue, qu'on y appercoyve quelque legereté, et quelque inconsideration, mensonge ou feintise. Brief il est dit qu'en nostre Seigneur Iesus Christ il ne s'est trouvé aucune fraude, pour monstrer qu'en tous ses faits et en tous ses dits il a este un miroir de saincteté. Or il est certain que toutes les miseres que nous endurons sont les fruits de nos pechez. Car si nous fussions demeurez en l'intégrité en laquelle Dieu avoit mis nostre Pere Adam, tous blasmes cesseroyent au mon le et seroyent abolis: c'est donc le fruit de nos pechez, quand nous sommes blasmez. Ainsi il faut conclure, d'autant qu'il ne s'est trouvé aucune tache, non pas la moindre du monde en nostre Seigneur Iesus Christ, qu'il a porté la punition que nous avions meritee et desservie.

Et voyla aussi pourquoy le Prophete adiouste, que Dieu l'a voulu affliger d'infirmité. Ce mot d'infirmité s'estend bien loin en l'Escriture: car il emporte toutes les choses qui rendent les hommes

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

653

contemptibles: comme nous le voyons par plusieurs passages. S'il y a povreté, maladie, langueur ou mespris, s'il y a qu'un homme n'ait nulle grace ou a bien parler, ou a bien faire, qu'il n'ait point de maintien, qu'il n'ait nulle dexterité, cela se nomme infirmité en l'Escriture. Brief c'est pour revenir a ce que le Prophete avoit touché c'est ascavoir que nostre Seigneur Iesus a este comme desfiguré, et qu'on n'a trouvé nulle apparence en luy pourquoy il peust estre en reputation aucune entre les hommes. Non pas que tousiours il n'ait eu certaines marques pour estre honoré comme le Fils unique de Dieu, mais cela a este obscurci en telle sorte par ce qu'il a enduré, qu'on l'a veu infirme tellement, qu'il n'y avoit nulle vertu, et ne sembloit pas qu'il fust doué d'aucune grace pourquoy on le deust priser. Et mesmes il nous faut recueillir ce qui a este recité, c'est ascavoir qu'il a este frappé et batu de la main de Dieu, qu'il a souffert les horribles angoisses de son iugement, il a en son corps porté des tormens si espouvantables que rien plus: et outre cela, il a este vilipendé des hommes, comme s'il n'eust pas este digne d'estre au rang des plus maraux. Voyla donc comme le Fils de Dieu a este affligé. Puis qu'ainsi est, cognoissons d'autant que Dieu ne l'a point espargné, qu'il nous a espargnez de nostre costé: et cependant toutesfois il nous a donné occasion de nous humilier, afin que nous n'ayons plus la teste levee, et que nous ne pretendions pas de nous iustifier, ou bien que nous ne iettions point nos pechez derriere le dos, mais que iournellement nous y pensions, et que nous soyons confus, voyans la recompense qui en a este faite. Car est-ce peu de chose? S'il y avoit un povre malfaiteur qui eust commis tous larrecins et brigandages, et qu'apres qu'il auroit cognu ses malefices, il y eust le Fils d'un Roy qui fust amené en iugement pour porter la punition, et que le malfaiteur fust absous et du tout quitte, faudroit-il qu'il se gaudist, et qu'il se mocquast, voyant que le Fils du Roy deust mourir, et porter la peine pour luy, Or maintenant nous sommes espargnez: voyla Iesus Christ, le Fils unique de Dieu, qui est emprisonné, et nous sommes delivrez: il est condamné, et nous sommes absous: il est exposé a toutes vergongnes, et nous sommes establis en honneur: il est descendu aux abysmes d'enfer, et l'ouverture nous est faite au Royaume des cieux. Quand donc nous oyons toutes ces choses, est-il question de nous tenir endormis, nous plaire et nous flatter en nos vices? Ainsi donc notons bien l'intention du sainct Esprit, et tousiours poisons ce mot, que c'est Dieu qui l'a voulu affliger: comme s'il disoit que nous devons pas estimer que nostre Seigneur Iesus se soit là mis comme a l'abandon, tellement que les meschans

654

le peussent ainsi tormenter a leur appetit: car ils ne pouvoyent rien sans le conseil de Dieu: comme aussi sainct Pierre en traitte aux Actes: Dieu, dit-il, a executé ce que sa main et son conseil avoyent determiné. Ainsi donc, non sans cause le Prophete nous ramene tousiours là, qu'il nous faut eslever nos sens a Dieu, et cognoistre qu'estant Iuge du monde, il a voulu prendre satisfaction de nos pechez et offenses en la personne de son Fils unique, afin que nous en fussions acquittez: et que non sans cause Iesus Christ a este ainsi batu rudement, a ce que nous puissions cheminer la teste levee: et que nous scachions que Dieu ne veut point avoir souvenance de toutes nos turpitudes, qui nous rendoyent comme detestables devant luy. Et quand nous aurons cognu cela, nous aurons beaucoup profité, non seulement pour un iour, mais pour tout le temps de nostre vie. Car la verité c'est une doctrine a laquelle il nous faut tellement vacquer, qu'encores qu'il nous semble que nous l'ayons bien cognue, nous ne laissions pas de mettre peine de nous y conformer de plus en plus.

Et voyla aussi pourquoy le Prophete adiouste pour plus grande expression, qu'il mettra son ame pour satisfaction du peché: c'est a dire que Iesus Christ oubliera sa vie pour la redemption des hommes et pour le pris de leurs fautes et iniquitez. Or yci derechef le Prophete nous propose l'obeissance volontaire du Fils de Dieu: car comme il a dit que le Pere l'a voulu affliger, aussi maintenant il dit que de son coste il s'est rendu volontaire a cela, et qu'il n'y a pas este force, mais est venu au devant pour estre un vray sacrifice. Car ç'a este tousiours la coustume que les sacrifices fussent presentez a Dieu par les hommes, voire d'une franche volonté et devotion, comme on dit: Il a donc falu de mesmes que nostre Seigneur Iesus se soit offert et abandonné a la mort qu'il a enduree. Et (comme il fust hier declaré) sans cela nos rebellions ne seroyent pas reparees devant Dieu: mais quand il a mis son ame, c'est a dire qu'il s'est rendu prest et appareillé a souffrir la condamnation qui nous estoit deuë, voyla comme en sa mort nous pouvons avoir plene confiance de salut. Et luy mesme l'a ainsi prononcé en sainct Iehan, Nul ne m'ostera ma vie, dit-il, mais ie la quitteray de mon gre. Il est vray que sa vie luy a este ostee quand il a este crucifie: et nous voyons de quelle inhumanité et rage ont este poussez ceux qui le crucifioyent: mais tant y a qu'ils ne pouvoyent rien attenter contre luy, encores qu'ils l'eussent voulu, et qu'ils s'y fussent efforcez, sinon d'autant que tout cela a este fait selon l'ordonnance et le decret de Dieu le Pere, comme desia nous avons declare, allegant ce passage des Actes, Ils n'ont fait sinon ce que ta main et ton conseil avoyent establi. Mais outre

SERMONS

655

cela nostre Seigneur Iesus quant et quant a consenti et acquiescé a la sentence qui estoit donnee de luy en nostre nom: et voyla comme il a exposé son ame.

Or le Prophete adiouste notamment, pour le peché. Ce mot est attribué a tous sacrifices, pource que celuy qui avoit commis quelque offense, en venant demander pardon apportoit son sacrifice, et se deschargeoit là dessus: comme s'il eust protesté, Helas mon Dieu, me voyci coulpable de mort devant toy, ie suis criminel: de porter la punition qui m'est deuë, il me seroit impossible, ce seroit plustost un fardeau pour m'abysmer du tout: mais voyci le remede, c'est que ie te demande pardon par le moyen du sacrifice qui t'est yci offert. Voyla pourquoy on les appeloit Pechez, a ascavoir d'autant que la malediction que les hommes avoyent meritee et sous laquelle ils eussent este abysmez du tout, estoit comme deschargee et remise sur un veau ou sur un mouton, ou sur ce qui estoit offert. Or tout cela a este fait en figure sous la Loy. Ainsi donc nostre Seigneur Iesus Christ est appelé Peche, d'autant qu'il a souffert nostre malediction, afin que nous fussions benits de Dieu son Pere. Et ne pensons pas que ceci derogue a sa maiesté, ainsi plustost il merite d'estre tant plus magnifié par nous: comme aussi sainct Paul en parle en sa seconde Epistre aux Corinthiens, disant que celuy qui ne scavoit que c'estoit de peche, a este fait de peche pour nous, afin que nous fussions iustice de Dieu en luy. Il n'y a nul doute que là sainct Paul n'ait voulu declarer le fruit de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ: comme il nous est yci monstré par le Prophete. Voyla donc Iesus Christ qui est innocent, sans tache ne macule. Puis qu'ainsi est, il faut bien qu'il ait porté la charge d'autruy. Or il l'a portée en telle sorte qu'il a este fait peche: c'est a dire il a soustenu nostre malediction: Et comment? Afin que maintenant nous ayons iustice qui responde devant Dieu. Car l'obeissance de nostre Seigneur Iesus Christ est comme un manteau qui couvre toutes nos iniquitez: Et puis son sang nous est purgation, quand nous sommes plongez la dedans, et que nous en sommes arrousez par le sainct Esprit, ainsi que sainct Pierre en parle.

Nous voyons donc maintenant ce qui est yci contenu. Et voyla comme encores derechef pour detester nos vices, et avoir horreur de nous-mesmes, il faut que nous pensions a ce que le Fils de Dieu a enduré: car c'est une chose si estrange, que nous en devons estre ravis: que celuy qui est la fontaine de toute iustice, ait este fait peche: celuy qui est benit, et qui sanctifie toutes choses, voire iusques aux Anges de paradis, ait este fait malediction. Quand on parle ainsi, nous trouvons que ceste

656

chose est dure et estrange, et cependant nous n'avons pas l'avis et la prudence d'applicquer cela a nostre instruction. Car puis que le Fils de Dieu est venu iusques là, pouvions-nous ailleurs trouver quelque remede? Il est certain que non: et pouvons facilement iuger qu'il n'y avoit nul homme, ni Anges, ne rien qui soit, qui nous peust secourir, mais qu'il nous faloit avoir nostre refuge au Fils de Dieu. Et d'autant plus a este execrable ce diable (qui a este yci execute), Servet: car il a falsifié et pollué la Bible, quand il a dit que tout ceci a este prophetize de Cyrus, un Payen, un idolatre: et a despouillé notre Seigneur Iesus Christ de ce qui luy est si propre, que quand Isaie eust attaché ceci comme en un tableau, lorsque Iesus Christ a este crucifié, les choses ne pouvoyent estre plus claires, ne plus patentes. Et ce diable là est venu en telle enormité, qu'il a despouillé nostre Seigneur Iesus Christ de toute sa dignité et de son office, et a dit que c'estoit un Payen qui a souffert pour le peuple: voire, quand par son ambition il a combatu, et pour son avarice, et que pour cela il a eu son salaire. Mais c'est une terrible falsification de cette belle Prophetie: et defaict, ce sens-la que ce malheureux a inventé, iamais ne fut pensé de creature vivante: Car combien qu'il y ait eu beaucoup d'heretiques qui se sont desbordez a pervertir la doctrine de l'Escriture sain te, si est-ce que iamais ils ne sont venus iusques là Mais il faloit que tous signes de reprobation fussent en ceste malheureuse creature là Ainsi donc, d'autant plus nous faut-il bien noter, quand le Prophete nous ramene a nostre Seigneur Iesus Christ que c'est afin (en premier lieu) que nous soyons confus en nous-mesmes, et puis que nous magnifions la bonté inestimable de nostre Dieu d'autant qu'il a voulu que son Fils unique fust ordonné comme peche pour nous: et que nostre Seigneur Iesus Christ n'a point refusé cela, mais comme s'estant oublié, il a eu un tel soin de nostre salut, qu'il a voulu descendre iusques aux abysmes d'horreur, pour soustenir toute nostre malediction.

Or de cela nous avons aussi a retenir qu'il n'y a point d'autre moyen de nous acquitter devant Dieu, sinon que la satisfaction du sacrifice, lequel a este offert une fois pour nous, viene en avant. Vray est que le monde veut tousiours inventer ie ne scay quoy pour payer Dieu (comme nous avons desia dit par ci levant) et nous le voyons assez aux Papistes, qui ont beaucoup de menus fatras pour appaiser l'ire de Dieu. Et defaict, ils disent que nous ne pouvons pas estre absous sans satisfaction: car encores que Dieu par sa bonté gratuite nous remette la coulpe, si est-ce que la punition est tousiours retenue et reservee, iusques a ce qu'un

chacun se soit acquitté. Et voyla sur quoy est

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

657

fondé le purgatoire, car d'autant que nous ne pouvons pas satisfaire en nostre vie, et qu'il y demeure tousiours quelque reliqua ou arrierage, il faut disent-ils, que nous portions la peine hors de ce monde et qu'elle soit pour payer Dieu. Voyla des mensonges et resveries de Satan, dont le povre monde a este seduit Or d'autant plus nous faut-il bien observer ceste doctrine: c'est ascavoir que tout ainsi qu'en la cy Dieu n'avoit point dit, Vous me servirez en telle sorte et en telle comme bon vous semblera: mais avoit mis les sacrifices, et ordonné les ceremonies contenues en la Loy, et là il se faloit arrester sans inventer quelque service nouveau, et quelque moyen pour acquerir grace: aussi auiourd'huy il nous faut contenter de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, scachans que c'est le moyen unique par lequel Dieu nous sera propice et favorable, et par lequel aussi nous serons receus et adoptez de luy. Voyla notamment ce que le Prophete a voulu exprimer.

Or il dit qu'il prolongera ses iours, et qu'il verra un auge permanent: et que la volonté (ou le plaisir) de Dieu prosperera en sa main. Il nous ramene encores a la gloire de nostre Seigneur Iesus Christ, afin que nous soyons tant plus asseurez que nous pouvons venir a luy: car s'il fust demeuré en la mort comme vaincus, nous ne pourrions pas estre iustifiez et vivifiez par sa grace. Comment la mort de soy apporteroit-elle iustice, si elle estoit seule? et comment aussi apporteroit-elle vie? mais d'autant qu'avec le sacrifice de sa mort, il y a la resurrection, lors nous avons plene confiance. Nous voyons comme la victoire nous est acquise sur le peche, afin que nous soyons reputez iustes: et la mort est comme abolie en nous, afin que la vie y domine. Il est vray que ceci se rapporte en premier lieu a la personne du Fils de Dieu, comme desia nous avons declaré qu'il est mort selon l'infirmité de sa chair, mais la vertu celeste de son S. Esprit s'est monstree en sa resurrection, comme aussi il donne ce tesmoignage-la, Destruisez ce temple, et ie le reedifieray au troisieme iour. Ainsi voyla comment le Fils de Dieu quant a sa personne a veu grand aage: car il ne s'est pas ressuscité pour se monstrer au monde quelque peu de temps, et mourir derechef: mais apres s'estre manifesté a ses disciples, apres les avoir ordonnez tesmoins de sa resurrection, il est monté au ciel, et s'est exempté de la fragilité de la condition humaine. C'est donc comme nous pouvons fonder nostre fiance en luy voyans qu'il ha toute seigneurie par dessus la mort et que mesmes il a vaincu le diable, et a triomphé sur luy, voire tellement qu'apres s'estre offert en sacrifice, il a este receu et exalté en ceste puissance et empire, dont nous avons fait mention C1 dessus.

658

Or cependant il nous faut aussi noter, que tout ceci appartient a tout le corps de l'Eglise: car Iesus Christ n'en veut point estre separé. Et de faict, il est dit qu'il aura semence. Il est vray que nous sommes appelez freres de Iesus Christ, car aussi nous ne pouvons estre enfans de Dieu a autre titre. Il faut que celuy qui est aimé et unique, nous reçoyve, et qu'il nous conioingne tellement a soy, que par adoption nous ayons ce qu'il ha seul de nature: mais cela n'empesche pas que cependant nous ne luy soyons comme enfans engendrez de sa semence. Car quelle est la vraye semence de l'Eglise? Il est vray que c'est la Parolle de l'Evangile, comme S. Pierre le monstre. Et de faict, c'est là où est verifié ce que nous avons desia veu au 40. chapitre, que la Parolle de Dieu demeure eternellement, pource que par icelle nous sommes faits incorruptibles, quand la Parolle de Dieu profite en nous, selon qu'il nous est donné par le sainct Esprit. Voyla donc la semence par laquelle nous sommes regenerez en vie celeste. Mais si faut-il venir a nostre Seigneur Iesus Christ. Car comment l'Evangile a-il cest office et propriété de nous engendrer pour estre enfans de Dieu? C'est pource que le sang de nostre Seigneur Iesus Christ a este une vraye semence pour nous vivifier.

Ainsi non sans cause il est dit yci qu'il verra une sentence de longue duree. Et ainsi nous avons derechef a conclure, que le bien que nostre Seigneur a obtenu en sa resurrection, n'a pas este pour luy en privé: mais que ç'a este pour nous en faire portion, et pour nous appeler a sa compagnie, d'autant que nous sommes membres de son corps. Or cependant nous sommes admonestez de ne point chercher une seule goutte de vie en nous mais de la prendre du tout en nostre Seigneur Iesus Christ. Comment donc sera-ce que Dieu nous recognoistra pour ses enfans? Comment aurons-nous lieu en l'Eglise? comment serons nous reputez de son troupeau? Il faut revenir là, d'autant que nous communiquons a nostre Seigneur Iesus, voyla comme Dieu nous accepte a soy, voyla nostre naissance, voyla nostre premiere origine. Que les hommes s'aillent maintenant vanter de leur franc arbitre, par lequel ils cuident estre preparez a recevoir la grace de Dieu. Car celuy qui n'est pas encores engendré au ventre de sa mere, quelle industrie peut-il avoir pour se faire valoir? Ainsi donc cognoissons, puis que nostre principe, et nostre premiere creation est que nous soyons engendrez en Iesus Christ, que nous ne pouvons rien, et que rien ne procede de nostre vertu, mais que nous avons tout de la bonté gratuite qui nous est communiquee en luy. Voyla en somme ce que nous avons a retenir.

SERMONS

659

Et cependant aussi afin que nous prenions tant meilleur goust en sa mort et passion, il est dit, pour ce qu'il a mis son ame pour peché, (c'est a dire pour satisfaction ou pour sacrifice) qu'il verra sa semence. Car nous monstrons bien que nous voulons effacer toute esperance de salut, si nous ne magnifions la bonté de Dieu en la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ. Et de faict, ceux qui par orgueil desdaignent de s'arrester a Iesus Christ, d'autant qu'il a este crucifié, monstrent bien qu'ils ne cognoissent point la fin: car sans cela que serions nous? Il n'y auroit point d'Eglise au monde, il n'y auroit point de salut, brief, il n'y auroit nulle esperance de bien: nous serions tous confus, nous serions tous perdus et damnez sans aucun remede, sinon d'autant que Iesus Christ a mis son ame et nous a acquis par ce moyen-la. Et c'est aussi pourquoy tant souvent l'Escriture nous monstre que nous avons este acquis par un pris bien cher. Voyla donc ce que nous avons a retenir.

Or il dit (pour la fin) que le plaisir de Dieu prosperera en sa main. Le mot dont use le Prophete signifie une volonté humaine et une faveur gratuite: car ce ne seroit point assez que nostre Seigneur Iesus executast la volonté de Dieu: mais il faut que ce soit une volonté d'amour en tesmoignage de son affection paternelle. Moyse a bien executé la volonté de Dieu en publiant la Loy: et cependant voyla les tonnerres et les esclairs qui estonnent chacun: il n'y a que menaces de mort. Et pourquoy? car la Loy ne pouvoit apporter qu'ire. Il faloit que les hommes sentissent là une condamnation horrible, et qu'ils fussent espouvantez. Mais il y-a une autre volonté de Dieu qui s'est declaree en Iesus Christ, c'est qu'il nous a voulu recevoir a soy, par sa pitie, et a voulu abolir nos pechez, et nous acquitter de la damnation en laquelle nous estions. Voyla donc quant a la propriété de ce mot dont use yci le Prophete, quand il dit que le plaisir de Dieu prosperera.

Or il y a puis apres la main, qui signifie que Iesus Christ doit estre ministre et dispensateur de la grace de Dieu pour nostre salut. Il est vray que Dieu par un autre moyen nous pouvoit bien retirer de la mort: mais il ne l'a pas voulu, et n'estoit pas bon aussi. Parquoy il a establi nostre Seigneur Iesus Christ, afin que par luy nous fussions rachetez et reconciliez: brief que par luy nous obteinssions ce qui est requis a nostre salut.

Venons maintenant a recueillir la somme de ceste sentence. Il est dit que le bon plaisir et la faveur gratuite de Dieu prosperera en la main de Iesus Christ. Et pourquoy est-ce que le Prophete parle ainsi? D'autant que nous sommes enclins a deffiance et aussi que nous avons beaucoup d'obiects pour nous faire perdre courage, le S. Esprit

660

vient au devant, et nous declare, quoy qu'il en soit, que la grace de Dieu viendra a son effet, et sera accomplie. Combien donc que le diable machine d'empescher que la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ ne nous profite, et qu'elle ne produise son fruit en nous: combien que de nostre costé nous soyons si malins et pervers que de nous en destourner, tellement qu'il semble que nous la veuillions faire inutile: tant y a que Dieu surmontera par sa bonté infinie. En somme le Prophete a voulu dire en ce passage que non seulement la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ a este suffisante pour le salut du monde, mais que Dieu la fera valoir, et que nous en verrons le fruit, et le sentirons mesmes et experimenterons. De là nous avons a recueillir qu'il y a tousiours Eglise au monde, et que le diable pourra bien brasser. et faire tous ses efforts pour renverser l'edifice de Dieu, mais quoy qu'il en soit, si faut-il que Iesus Christ viene au dessus, et que la grace de laquelle il a este ministre et dispensateur, profite et soit accomplie entre les hommes. Et c'est ce qui est dit an Pseaume 2, Pourquoy les Rois de la terre se sont-ils eslevez? Et pourquoy ont-ils fait complots avec les peuples? Si faut-il que Dieu en la fin execute son conseil. Il est vray qu'ils machineront beaucoup, mais celuy qui habite au ciel se mocquera d'eux iusques a ce qu'il desploye son bras on son ire. Ainsi donc notons bien qu'yci le sainct Esprit nous a voulu certifier que la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ aura tousiours son efficace, afin que l'Eglise de Dieu demeure, et qu'elle ne soit iamais ruinee par les assauts, orages et tourbillons que les ennemis luy pourrons susciter avec leur chef Satan. Et mesme ce mot de prosperite est mis pour monstrer que Dieu fera florir la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, afin qu'elle fructifie de plus en plus: et quand il semblera qu'elle soit aneantie du tout, que Dieu la relevera, et surmontera tout ce qui la pourroit empescher de parvenir a son but.

Et au reste nous devons aussi bien applicquer ceci a un chacun de nous et ne point douter que combien que nous trainions les ailes, et soyons encores tenus captifs sous le peché, Dieu toutesfois nous delivrera de la captivité en laquelle nous sommes, parfera ce qu'il a commencé en nous, et corrigera ce qui y defaut encores. Et comment? Il nous faut venir a nostre Seigneur Iesus Christ: car c'est luy qui y met la main, comme la charge luy en est commise, et il a receu cest office-la de Dieu son Pere. Contentons-nous donc que puis qu'il est ordonné ministre de nostre salut, il n'y aura nulle faute qu'il ne soit accompli par son moyen, d'autant qu'il est ainsi déterminé. Or ce

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

661

pendant appliquons a ce que S. Paul adiouste au passage que nous avons allegué, ce qui est yci monstre, afin que nous soyons participans du fruit de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ: c'est d'escouter le message qui nous est iournellement apporté. Car il ne suffiroit pas que Iesus Christ eust enduré en sa personne, et qu'il nous fust constitue sacrifice: mais il faut que nous en soyons certifiez par l'Evangile: que nous recevions ce tesmoignage-la, et que nous ne doutions point d'avoir iustice en luy, scachans qu'il a fait satisfaction de nos offenses. Et que là dessus nous attendions que Dieu continue son oeuvre par ce Redempteur, et la continue tellement que ce soit pour l'augmenter de plus en plus, iusques a ce qu'il l'ait amenée a la fin et a son issue.

Or nous nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu, en cognoissance de nos fautes, le prians etc.

SIXIEME SERMON

Isaie Chap. LIII

11. Il verra le travail de son ame, et en sera rassasié, et mon Serviteur iuste en iustifiera plusieurs par sa cognoissance, desquels il portera l'iniquite.

Combien que le Prophete ait adiousté ceste sentence pour confermer ce que desia il avoit dit: c'est ascavoir que la mort du Fils de Dieu ne seroit pas inutile, mais qu'elle produroit un fruit excellent pour le salut du monde: toutesfois il exprime plus qu'il n'avoit auparavant: car en premier lieu il nous monstre l'amour que Iesus Christ nous a portee, disant qu'il sera rassasié a cause qu'il nous aura acquis la vie eternelle par sa mort, et puis en second lieu il monstre que non seulement, il souffrira en son corps, mais aussi en son ame. Nous scavons que ce mot de Rassasier ou Contenter emporte grand desir. Car plusieurs choses adviendront qui ne nous toucheront point, et cela se passe: encores qu'elles soyent a nostre profit, ce n'est pas a dire que nous-nous y reposions du tout. Un homme pourra avoir beaucoup de choses, et neantmoins il ne se tiendra pas content: car il n'a pas possible le principal, ou bien il n'aura pas le tout. Mais le Prophete monstre que le Fils de Dieu sera du tout content, n'ayant point esgard a soy, quand il verra que son Eglise luy sera acquise, et que les povres pecheurs seront retirez de la malediction en laquelle ils estoyent, pour estre reconciliez a Dieu et pour obtenir l'heritage des cieux. Brief, nous voyons yci comme nostre Seigneur

662

Iesus n'a point eu esgard a sa personne, mais a este ravi de l'amour qu'il nous portoit, pour chercher là tout son contentement, comme s'il n'avoit autre desir, affection ou solicitude.

Or yci derechef nous avons a noter, que moyennant que par foy nous cherchions le bien qui nous a este acquis en nostre Seigneur Iesus Christ, et qui iournellement nous est offert par l'Evangile nous ne serons point frustrez de nostre esperance. Car le Prophete dit qu'il verra, pour exprimer que non seulement Dieu nous a voulu declarer sa misericorde en la personne de son Fils, quand il l'a exposé a la mort pour nous: mais qu'il fera par son sainct Esprit que ceste mort là ne sera point sans fruit, et que plusieurs verront que ce n'a point este sans cause ni en vain qu'il a tant endure, et le cognoistront par experience. Parquoy donnons entree a nostre Seigneur Iesus Christ afin qu'il nous face participans du fruit de sa mort et passion, approchans de luy par foy: et ne doutons pas que quand nous elargirons ainsi nos coeurs, Dieu n'adiouste encores ce bien avec le reste, que tout ainsi qu'il a voulu que son Fils nous fust Redempteur, aussi vrayement nous iouirons du bien qu'il nous a apporté: et cognoistrons que ce n'est pas une chose vaine, qu'il ait tant enduré pour nous. Voyla donc ce que nous avons a retenir de ce passage.

Quant au second poinct que nous avons proposé, il est yci monstré que non seulement Iesus Christ devoit estre batu, frappé et affligé de la main de son Pere, pour soustenir le chastiment que nous avions merité, mais aussi qu'il devoit estre angoissé en son ame. Il n'est pas yci dit seulement qu'il verra le fruit de ses battures, de son affliction et de sa mort, comme auparavant le Prophete avoit parlé: mais du travail et de la fascherie de son ame. Car le mot dont il use emporte cela. Il veut donc exprimer que Iesus Christ non seulement a este crucifié, apres avoir enduré grans tormens en son corps, mais qu'il devoit passer plus outre: c'est ascavoir qu'il seroit en tristesse pour nous, et qu'il soustiendroit les douleurs de la mort et seroit assuieti iusques là pour nous iustifier. Et de faict, que seroit-ce si nostre Seigneur Iesus n'avoit enduré qu'en apparence, et que devant les hommes? Car s'il n'avoit enduré qu'en son corps, il seroit Redempteur des corps tant seulement. Mais d'autant que le principal que nous devons esperer de luy, est que nous sentions et soyons persuadez que la mort ne nous est plus mortelle, et que nous sommes affranchis de la malediction de Dieu, il a falu que nostre Seigneur Iesus sentist ces pointes-la en soy: et que venant devant Dieu, il fust la, comme un povre malfaiteur devant son iuge. Nous scavons que le

S E R M O N S

663

peché de l'homme n'emporte pas seulement une mort temporelle qui est separation du corps d'avec l'ame, mais emporte de sentir que Dieu nous est

contraire, d'avoir horreur de son iugement. Et qu'est-ce de cela? une chose si insupportable et horrible que rien plus. Il a donc falu que nostre Seigneur Iesus veinst iusques-là pour nous delivrer: et c'est ce que maintenant le Prophete declare. Et yci nous voyons encores tant plus combien Dieu nous a aimez, et quels sont les thresors de sa grace et bonté infinie, qu'il a desployez envers nous. Et nous pourrons bien aussi cognoistre quelle solicitude et quel zele a eu nostre Seigneur Iesus Christ a nostre salut, quand il ne s'est point espargné, et que non seulement il a voulu que son corps respondist pour faire satisfaction de nos pechez, mais estre mesme effrayé, comme celuy qui devoit sentir le iugement de Dieu, et qui apprehendoit que c'est que merite ceste malediction que Dieu prononce de sa bouche: c'est ascavoir que c'est pour nous engloutir en enfer, que c'est un gouffre pour nous abysmer du tout. Il faloit donc que Iesus Christ sentist cela. Et de faict, quand nous voyons qu'il en a sué sang et eau, qu'il a falu que les Anges soyent descendus pour le consoler, il faloit bien dire que ceste tristesse fust extreme: veu que iamais, n'y a eu un exemple pareil au monde.

Voyla donc ce qui est signifié par ce mot de travail ou fascherie de l'ame de nostre Seigneur Iesus Christ: Or il est vray (comme dit S. Pierre) qu'il n'a peu estre detenu par les douleurs d'enfer, mais si a-il falu qu'il bataillast a l'encontre: il en a eu la victoire, mais ce n'a pas este sans grand combat et bien difficile. Au reste, maintenant nous avons a recueillir de ce passage, que combien qu'il nous falle mourir, ce n'est pas pourtant a dire que la mort de nostre Seigneur Iesus Christ n'ait son effet, et qu'elle ne nous profite autant qu'il nous est expedient: car la mort a laquelle nous sommes maintenant suiets, n'est qu'un advertissement de la malediction de Dieu. Si nous estions du tout exemptez de mourir, nous ne cognoistrions pas la grace qui nous a este acquise par nostre Seigneur Iesus Christ. Et nous scavons quel besoin nous avons d'estre humiliez, et que Dieu nous face tousiours sentir son ire: car encores qu'il nous en veuille exempter, si faut-il que nous y pensions, afin de gemir a cause de nos pechez et pourtant plus magnifier sa misericorde. Ainsi donc la mort qui est maintenant commune a tous hommes, n'est pas mortelle a parler proprement, quant a ceux qui ont foy en Iesus Christ, car ils passent seulement de ce monde pour vivre a Dieu. Cognoissons donc qu'en mourant nous avons de quoy nous consoler, scachans que Dieu nous sera propice, et convertira ce mal en bien et fera servir la mort

664

(qui emportoit auparavant une playe mortelle) comme de medecine. Et comment? D'autant que nous n'apprehendons pas que Dieu veuille estre nostre iuge en toute rigueur, et qu'il veuille desployer sa vengeance contre nous quand nous avons Iesus Christ au milieu qui monstre qu'il a satisfait pour nous. Il n'y a point donc ceste apprehension horrible en la mort, qui estoit pour nous rendre confus, mesmes pour nous mettre en desespoir: mais nous venons franchement nous remettre entre les mains de Dieu. Car comme il est dit que Iesus Christ recommandoit son Esprit a Dieu son Pere, scachons que ç'a este pour se constituer gardien de nos ames: et pourtant nous les pouvons remettre seurement en sa main: car il a protesté que rien ne periroit de tout ce qui luy a este donné. Voyla donc de quoy nous sert que nostre Seigneur Iesus a este ainsi angoissé: et qu'outre ce qu'il a enduré la mort, et les autres tormens, il a eu aussi cest effroi de sentir Dieu son iuge, comme s'il devoit endurer les douleurs d'enfer.

Or tant s'en faut que cela derogue a la maiesté du Fils de Dieu, que c'est pour nous faire tant mieux cognoistre combien il a prisé nostre salut, et combien nous luy avons este chers et nos ames luy ont este precieuses. Combien donc qu'il ait este aneanti (comme nous avons veu ci-dessus), qu'il n'ait eu ce forme ne figure pour estre desiré entre les hommes, tant y a que cest aneantissement-la a este pour l'exalter tant plus. Et de faict, combien que Dieu ait monstré sa hautesse et sa maiesté infinie en la creation du monde, si est-ce qu'en la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, nous avons plus ample argument de glorifier Dieu, d'autant que pour nous et nostre salut Iesus Christ s'est abbaissé et demis: et encores qu'il ne se soit point despouille de sa maiesté Divine, si est-ce qu'elle a este cachee pour un temps, et on ne l'a point apperceuë entre les hommes. C'est en somme ce que le Prophete traitte yci, touchant que nostre Seigneur Iesus a este angoisse. Or en cela voyons nous qu'il s'est comme oublié, et n'a eu nul esgard a soy. Et la raison, c'est qu'il estoit du tout addonné a nostre salut: et ainsi il a respondu pour nous et en corps et en ame et a este du tout nostre plege. Et en cela voyons-nous que des canailles, qui auiourd'huy voudroyent abolir ceste doctrine, sont sans religion et sans foy comme des chiens mastine qui abbayent, et ne scavent pourquoy. les caphars de la Papaute, combien qu'ils n'entendent pas ceci, sinon en partie, sont contraints de confesser, quoy qu'il en soit, que Iesus Christ a senti de terribles horreurs. Il est vray qu'ils ne peuvent pas definir tout ce qui en est: mais quoy qu'il en soit, si est-ce qu'ils en iargonent.

DE LA PROl'EETIE DE CHRIST.

665

Mais il y a yci des vileins qui sont plus moines que ceux qui sont au fond de ces cavernes et de ces bordeaux dont ils sont sortis, lesquels ont apporté leur puantise et leur infection en l'Eglise de Dieu. Il est donc certain que ces canailles-la, qui auiourd'huy portent le nom de ministres, et occupent aussi la place, et cependant font de l'Eglise de Dieu une estable a pourceaux, sont des chiens qui n'ont nulle religion et qui ne taschent sinon d'esteindre et effacer de la memoire des hommes toute la grace de Dieu, et ce que nostre Seigneur Iesus a fait pour nous.

Or quand nous voyons que Satan les pousse ainsi, et qu'ils sont effrontez comme des putains tant plus nous faut-il bien retenir cest article dé foy, c'est que non seulement Iesus Christ a este condamné de Pilate, un iuge terrien, afin que nous fussions absous devant Dieu son Pere: que non seulement il a este crucifié, afin que nous fussions delivrez de malediction: que non seulement il a enduré la mort, afin que nous en fussions affranchis, mais aussi afin qu'auiourd'huy nous ayons paix en nos consciences, et puissions nous resiouir sentant l'amour paternelle de nostre Dieu et l'invoquer a plene bouche, estans asseurez qu'il nous recevra, et que nous luy serons agreables. Il a falu que Iesus Christ ait este plonge en ces horreurs qu'il a senties, qu'il ait este comme un povre malfaiteur, luy qui estoit l'Agneau de Dieu sans macule, qui estoit le miroir et patron de toute saincteté et perfection, qu'il ait respondu et ait este nostre plege iusques là, comme s'il devoit estre condamné aux abysmes d'enfer. Au reste, (comme desia nous avons dit) il a vaincu et surmonté ces douleurs-la, mais il a combatu auparavant. Voyla donc ce qu'Isaie a entendu, disant qu'il faudra que Iesus Christ ait des fascheries en son ame: mais nous voyons qu'il s'est contenté neantmoins, et a este rassasié pourveu que nous fussions rachetez par ce moyen. Et auiourd'huy tant plus devons nous prendre courage, scachans que si nous avons une vraye obeissance de foy, pour recevoir le bien inestimable qui nous a este acquis par nostre Seigneur Iesus Christ, nous sentirons que ce n'est point en vain qu'il a tant souffert pour nous. Et tant moins excusable sera nostre ingratitude, quand nous ne viendrons point avec un zele ardent a luy, pour iouir de ce bien inestimable où il est entré, et duquel il a pris possession en nostre nom, quand il nous declare qu'il nous a reconciliez a Dieu son Pere, et qu'il est prest de nous recevoir comme ses enfans: voyla en somme ce que nous avons a retenir de ce passage.

Or le Prophete adiouste qu'il en iustifiera plusieurs par sa cognoissance: voire mon Serviteur iuste, dit-il. Quant au mot de Serviteur, nous

666

avons veu ci-dessus que cela ne derogue point a la maiesté de nostre Seigneur Iesus Christ: car combien qu'il fust maistre de toutes creatures, si est-ce qu'il a acquis encore un empire nouveau en la personne de Mediateur, et en nostre nature: selon que S. Paul en traitte au 2. chapitre des Philippiens, et nous l'avons desia veu en partie: tant y a qu'il s'est voulu faire serviteur et s'humilier sous ceste condition-la. Ainsi ce n'est pas en vain qu'il est appelé serviteur de Dieu. Et ne devons pas trouver cela estrange: car il est bien plus estrange que Iesus Christ soit serviteur des hommes, le Fils de Dieu, celuy qui a eu une gloire pareille avec son Pere (comme il en est parlé au 17. chapitre de S. Iehan) que celuy-la s'abbaisse iusques a ces condition de nous vouloir servir: neantmoins il en est ainsi. Et voyla aussi pourquoy il dit, Ie suis et converse entre vous comme celuy qui sert, et non pas qui ha maistrise. Or puis qu'ainsi est que Iesus est descendu iusques là de se faire serviteur des hommes, ce n'est point sans cause, qu'il est yci appelé serviteur de Dieu. Et de faict, il ne pouvoit autrement nous racheter, ie di selon le decret de Dieu son Pere: comme nous avons desia declaré ci dessus. Car sans nul moyen Dieu nous pouvoit bien sauver, mais nous avons tousiours a presupposer qu'il faloit que la vie nous fust acquise par Iesus Christ. Or pour ce faire, il faloit quant et quant qu'il fust serviteur: car il ne pou oit pas autrement rendre obeissance a Dieu son Pere: et sans ceste obeissance-la, il ne pouvoit reparer nos transgressions et iniquitez. Voyla donc pourquoy notamment il est appelé Serviteur, voire et iuste. Brief, le Prophete signifie, d'autant que nous avons este rebelles a Dieu, et le sommes en ores, iusques a ce qu'il nous ait reformez par son S. Esprit: et encores apres qu'il nous a touchez d'une bonne affection, nous sommes serviteurs inutiles, et fourchons a chaque pas: et quand il aura semblé que le service que nous luy rendons devra bien estre accepté de luy, il y aura tousiours a redire, mesmes il merite d'estre reiette: il a fallu pour effacer nos defauts que le service et l'obeissance de nostre Seigneur Iesus Christ fust plaisante a Dieu: comme aussi elle emporte droite satisfaction, voyla en somme ce qu'il a voulu dire. Et de là nous avons a recueillir que Iesus Christ nous a iustifiez, non pas seulement entant qu'il estoit Dieu, mais en la vertu de son obeissance, en ce qu'il a pris nostre nature, et en icelle a voulu accomplir la Loy qui nous estoit impossible et estoit un fardeau pour nous accabler tous, et nous rompre le col. D'autant donc que nostre Seigneur Iesus Christ s'est demis pour nostre salut, et a este obeissant a Dieu son Pere, voyla comme nous sommes iustifiez par luy.

S E R M O N S

667

Or notamment il parle aussi de la cognoissance pour exprimer que ce n'est point assez que nostre Seigneur Iesus ait accompli en sa personne tout ce qui estoit necessaire a nostre salut, mais qu'il faut que nous apprehendions cela par foy. Il y a donc la cognoissance requise. Car combien voyons-nous d'incredules perir, ausquels la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ ne sert sinon de plus griefve condamnation, pource qu'ils foullent au pied son sang sacré et reiettent sa grace qui leur estoit offerte? Ainsi, combien que nostre Seigneur Iesus Christ soit comme le serpent qui fut eslevé en haut au desert, afin de donner guarison a tous malades, si est-ce que de nostre costé nous ne pouvons avoir aucun profit de luy, sinon par sa cognoissance. Car comme il faloit aussi que le serpent d'airin fust regardé au desert et sans ce regard la morsure des serpens estoit tousiours mortelle: ainsi auiourd'huy l'Evangile nous est comme un echaffaut pour eslever nostre Seigneur Iesus Christ: ou bien c'est comme une baniere pour nous le representer a veuë d'oeil, et nous le faire regarder de loin. Brief, il n'y a point d'obscurité (comme Sainct Paul dit) quand l'Evangile se presche: là on contemple la grace de Dieu qui apparoist en nostre Seigneur Iesus Christ ou autrement il faut qu'on ait les yeux bandez par Satan. Quoy qu'il en soit, il nous faut bien noter ce qui est yci dit, que Iesus Christ ne iustifie que par sa cognoissance. Il est bien vray qu'il faut que la substance de nostre salut precede: car quand il est dit que nous sommes iustes par foy, ce n'est pas pour exclure Iesus Christ, ce n'est pas pour exclure la misericorde de Dieu, mais plustost c'est pour nous amener et acconduire.

Mais encores pour avoir plus facile intelligence de tout ceci, il nous faut noter en premier lieu que nous ne sommes point iustes en nous-mesmes, puis qu'il nous faut emprunter nostre iustice d'ailleurs, car si nous pouvions tellement regler nostre vie, qu'en tout et partout elle fust correspondante a la Loy et a la volonté de Dieu, alors nous meriterions d'estre acceptez de luy. Et pourquoy? Il faut bien qu'il avoue le bien, quand il en est la fontaine: autrement il se renonceroit soy-mesme Si donc nous pouvions conformer nostre vie a là Loy de Dieu, et avoir une perfection telle qu'il demande, il est certain que nous serions iustes par nos oeuvres, et alors Iesus Christ nous seroit inutile: comme S. Paul aussi en dispute. Ainsi a l'opposite, quand nous sommes contraints d'emprunter nostre iustice de nostre Seigneur Iesus Christ, et de la chercher là, c'est a dire que nous en sommes desnuez. Ainsi concluons que tout le monde est condamné de peché, et que Dieu nous monstre qu'il n'y a en nous que malediction, quand il est

668

dit qu'il nous faut venir a Iesus Christ: voyla pour un item. Or maintenant il est vray que les Philosophes anciens ont assez parlé de vertu: ç'a este aussi une opinion commune, qu'il faloit estre agreable a Dieu en bien vivant: mais de quoy a profité tout cela? Car les meilleurs d'entre les hommes, et ceux qu'on a cuide estre irreprehensibles du tout, n'ont eu qu'hypocrisie: et les autres ont este addonnez a tout mal: et ceux qu'on a pensé estre les plus habiles gens, et qui estoyent renommez par dessus les autres, ont eu neantmoins des vices enormes. Ainsi que les hommes presument tant qu'ils voudront, et qu'ils pensent comment il faut vivre vertueusement: quand ils auront t ait tout ce qu'ils auront peu, et quand on aura mis beaucoup de loix et de regles pour les conduire, si est-ce que iamais par ce moyen ils ne seront iustes devant Dieu. Et pourquoy? Pource que le peché est enraciné en nous, et ne se peut pas purger par remedes humains. Brief nous ne serons point iustifiez par aller a l'eschole des hommes, combien qu'ils enseignent que c'est de vertu. Qui plus est voyla Dieu qui publie sa Loy, en laquelle la vraye et parfaite iustice est contenue: comme Moyse proteste, Voyci ie t'annonce auiourd'huy le bien et le mal: ie te monstre le chemin et de vie et de mort. Mais cependant nous peut-elle iustifier? nous peutelle tellement regler, que Dieu accepte nostre vie comme bonne et saincte? C'est au rebours: car la Loy n'engendre que mort, elle redouble nostre condamnation elle enflambe l'ire de Dieu. Voyla les titres qui luy sont attribuez en l'Escriture saincte.

Puis qu'ainsi est donc que la Loy de soy ne nous peut iustifier, comment est-ce que les hommes pourront par leur doctrine, et par leurs statuts et regles nous amener a une vraye iustice? Or si on demande comment la Loy de Dieu ne peut iustifier, et pourquoy: la raison est celle que i'ay desia touchee. Il est vray que Dieu nous monstre bien en sa Loy comment nous devons et pouvons parvenir a la vie, si nous estions tels que nous n'eussions nul empeschement de nostre costé. La Loy de Dieu donc parle, mais elle ne reforme point nos coeurs. Quand Dieu nous monstre, Voyla ce que ie demande de vous: cependant si tous nos appetis, nos affections et nos pensées sont contraires a ce qu'il commande, non seulement nous sommes condamnez, mais la Loy comme i'ay dit nous rend tant plus coulpables devant Dieu. Car auparavant nous eussions peché par ignorance: mais maintenant a nostre escient, nous resistons a Dieu, tellement qu'il semble que nous le veuillions despiter. Car nous scavons que le serviteur qui cognoist la volonté de son maistre, et ne la fait point, sera chastié au double. Voyla pourquoy il est dit que

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

669

la Loy n'engendre qu'ire: c'est a dire qu'elle enflamme l'ire de Dieu tant plus a l'encontre de nous, quand nous avons este enseignez par icelle, elle nous apporte la mort, et comment? Pource que là nous contemplons, que nous sommes du tout damnez et perdus. Et est-ce qu'elle n'annonce point la vie? Non: mais nous n'y pouvons parvenir cependant. Il faut donc avoir une autre façon d'estre iustifiez: et c'est en l'Evangile. Car en l'Evangile Dieu ne dit pas, Voyci vous ferez ceci et cela, mais, Croyez que mon Fils unique est vostre Redempteur: embrassez sa mort et passion pour remede de toutes vos maladies: plongez vous en son sang, et il sera vostre purgation, vous en serez nettoyez: appuyez vous sur le sacrifice qu'il m'a offert, et voyla comme vous serez iustes.

D'autant donc que l'Evangile nous ramene a nostre Seigneur Iesus Christ, et nous commande de chercher en luy toute iustice, pource que par la misericorde gratuite de Dieu il a satisfait pour nous: voyla comme nous serons iustifiez par sa cognoissance. Et c'est ce que sainct Paul traitte au dixieme chapitre des Romains: car il fait là comparaison de deu; iustices, l'une de la Loy, l'autre de la foy. Il dit que la Loy ha bien iustice, voire quand elle dit, Qui fera ces choses, il vivra en icelles. Car il est vray que si nous pouvions accomplir tous les commandemens de Dieu, et que nostre vie fust si bien reglee, qu'il n'y eust ne vice ne tache, Dieu nous a promis qu'il nous accepteroit pour iustes, que le loyer seroit tout asseuré, et que nous ce serions point frustrez. Voyla donc une chose certaine quant a la Loy: mais cependant qui est-ce qui fait ce que la Loy commande? Nous allons tout au rebours, et semble (comme i'ay desia dit) que nous veuillons despiter Dieu. Voyla donc la porte qui nous est fermee, quant a la iustice de la Loy, et ne nous reste sinon malediction de Dieu. Mais en l'Evangile il est dit, Voyci, la Parolle est en ton coeur et en la bouche. Et comment? S Paul en parlant ainsi, nous monstre que pour avoir la Parolle en nostre coeur et en nostre bouche, il nous faut venir a Iesus Christ: car c'est celuy qui escrit par son S. Esprit et engrave la doctrine de salut: de laquelle nous eussions eu seulement les aureilles batues en vain, et sans aucun profit. Puis qu'ainsi est donc que nostre Seigneur Iesus Christ met sa parolle au coeur, prions-le qu'il nous face la grace que nous ayons une affection pure et franche, afin de chercher en luy tout ce qui nous defaut. Voyla comme nous serons iustifiez par sa cognoissance: car il n'est point question d'apporter quelque satisfaction qui contente Dieu: il n'est pas question de venir a conte pour dire, Seigneur, nous avons desservi que tu nous reçoyves: mais, Nous confessons que nous

670

sommes povres pecheurs, que nous sommes obligez a ton iugement, qu'il est impossible d'y satisfaire de nostre costé, et qu'il n'y a que Iesus Christ qui doyve este reconu suffisant pour y satisfaire. Nous confesserons donc cela avec toute humilité: nous presterons que nous sommes creatures perdues et amenées iusques a ce que nostre Seigneur Iesus nous tende la main pour nous retirer des abysmes et gouffres d'enfer: Or, avons-nous confessé cela? Nous cognoissons aussi que nostre Seigneur Iesus supplee a tous nos defauts. Si nous sommes souillez et pleins d'ordures, son sang est nostre lavement dont nous serons nettoyez: si nous sommes plongez en dettes, non seulement a Dieu mais a Satan comme a nostre adversaire, le payement a este fait en la mort et passion du Fils de Dieu. Si nous sommes pollus et detestables, le sacrifice que nostre Seigneur Iesus a offert est de bonne odeur, tellement que tout le mal qui est en nous, est effacé. Voyla donc comme nous sommes iustifiez par la cognoissance de nostre Seigneur Iesus Christ.

Or suyvant ceste doctrine, en premier lieu nous voyons qu'il ne nous faut point chercher loin nostre iustice, d'autant que nous la trouverons en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, selon qu'il a vestu nostre nature, et s'est fait nostre frere. Et ceci est de grande importance: pource que si nous estions iustifiez par l'essence Divine de nostre Seigneur Iesus Christ, il faudroit que nous fussions eslongnez de sa iustice, nous n'y pourrions iamais parvenir. Mais quand il est dit que la iustice qu'il nous donne a este accomplie en sa nature humaine, voyla comme nous pouvons plus priveement venir a luy. Et vo la aussi pourquoy Satan a voulu brouiller ceste doctrine, et y a ou des fantastiques qui ont resvé que nostre Seigneur Iesus iustifie ses fideles, entant qu'il est Dieu. Mais il faudroit (comme i'ay de ia dit) chercher nostre iustice bien loin: et ce seroit pour nous faire perdre courage et pour nous faire esvanouir devant que nous fussions parvenus a luy. Mais au contraire il nous appelle a soy, entant qu'il s'est fait homme mortel, et s'est constitue Mediateur, a ce que là nous cherchions nostre iustice.

Ainsi voyla un poinct que nous avons a observer: et au reste venons tousiours a ceste cognoissance. Et d'autant que les incredules se ferment la porte, et se privent du bien qu'ils doyvent recevoir par nostre Seigneur Iesus Christ, que nous ayons les aureilles attentives pour recevoir le tesmoignage qui nous est donné en l'Evangile. Et c'est ce que dit sainct Paul au passage que nous allegasmes hier, que Iesus Christ qui ne scavoit que c'estoit de peche a este fait peché pour nous: et qu'auiourd'huy cela s'accomplit en l'Evangile. Nous portons l'ambassade au nom de Iesus Christ

S E R M O N S

671

(dit S. Paul) vous prians que vous soyez reconciliez a Dieu. S. Paul met là double reconciliation. L'une est, celle qui a este faite en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, quand il a este sacrifié pour nous. L'autre est celle que nous obtenons chaque iour par foy, quand Dieu nous declare que si nous l'avons irrité, il est tousiours prest d'oublier toutes nos fautes, et les mettre sous le pied, moyennant que nous acceptions le bien qu'il nous offre. Ainsi donc apprenons de priser la cognoissance de l'Evangile mieux que nous ne faisons pas: et cognoissons que c'est pour nous faire participans de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ. Car nous sommes entez en son corps, nous sommes faits ses membres, et tout ce qu'il ha nous est fait commun et nous est approprié par l'Evangile: et voyla aussi pourquoy S. Paul dit que l'Evangile est la puissance de Dieu en salut a tous croyans: monstrant par cela, que si nous refusons d'estre sauvez par l'Evangile, c'est autant comme si nous reiettions le salut que Dieu nous a voulu acquerir en la personne de son Fils, et auquel iournellement il nous convie et nous exhorte. Voyla en somme ce que nous avons a observer.

Or d'autant plus devons-nous priser l'Evangile, quand nous voyons qu'en la Papaute ceci a este obscurci, voire du tout effacé, tellement que les povres ames demeurent tousiours affamees, Car combien qu'on presche tellement quellement, si est-ce qu'on laisse tousiours les povres gens en doute, et en scrupule: iamais on n'est certifié que Dieu soit propice. Et mesmes les Papistes disent que ce seroit presomption si nous estions asseurez de l'amour de Dieu, et qu'il nous en faut avoir seulement quelque coniecture. Mais c'est aneantir le fruit de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ. Apprenons donc de tellement profiter en l'Evangile, que nous soyons certifiez que Dieu nous aime, et qu'il nous accepte pour ses propres enfans. Et pourtant (comme i'ay desia dit), prisons et magnifions tant plus ceste grace-la, quand nous voyons que la pluspart du monde en est ainsi eslongnee.

Or il reste aussi ce que le Prophete adiouste, qu'il a mis son ame pour plusieurs. En quoy il signifie que nous ne sommes pas iustifiez par foy, en ayant quelque imagination vaine pour croire seulement qu'il y a un Dieu, et scavoir en confus et d'une apprehension generale que Iesus Christ a souffert mort et passion: mais que c'est d'autant que par foy nous sommes faits participans du sacrifice qui a este offert afin que Dieu nous fust favorable, et ne nous imputast plus nos fautes et iniquitez. les Papistes sont si lourds et abbrutis que quand ils veulent monstrer que nous ne sommes pas iustifiez par la seule foy, ils arguent'

672

Nous sommes iustifiez par la misericorde de Dieu: ce n'est pas donc par la seule foy: apres, Nous sommes iustifiez par la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, ce n'est donc plus par la seule foy, comme qui diroit, Nous sommes eschauffez par la chaleur, ce n'est point donc par le soleil: nous sommes esclairez par la clarté, ce n'est point donc par le soleil. Or notons que quand il est parlé de la foy, c'est pour nous ramener a l'Evangile: car (comme i'ay dit) il y a yci deux especes de iustice. Par la Loy il est dit que nous serons iustes, quand nous aurons accompli tout ce que Dieu nous y commande. Or il est impossible d'en venir a bout: nous voyla donc desnuez de ceste iustice, nous en sommes retranchez du tout Il y a l'autre iustice cest ascavoir celle que nous trouvons en Iesus Christ, quand après nous estre bien examinez, nous sommes convaincus de nostre malice, et n'avons qu'effroy pource que nous sentons que Dieu est armé en vengeance contre nous, tellement qu'il ne reste sinon qu'il foudroye pour nous abysmer. Quand donc nous sommes venus iusques là, et en ceste extremité si grande, voyla Iesus Christ qui nous donne le remede pour addoucir toutes nos tristesses: c'est qu'il nous certifie qu'il suffira luy seul pour faire que nous parvenions au salut qu'il nous a acquis. Voyla comme nous sommes iustifiez par la foy.

Nous voyons donc que le Prophete parle tout ainsi que S. Paul a parlé depuis luy. C'est qu'en premier lieu il nous faut venir a la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, et le contempler estant là crucifié pour nous: et puis que par l'Evangile nous soyons asseurez que ce que Iesus Christ a fait et souffert, auiourd'huy nous appartient, et nous est applicqué, d'autant que le Pere ne veut point que ceste mort-la ait este inutile: mais que ce soit un sacrifice de plene vertu et effect, qui fructifie iournellement en nous. Voyla en somme ce que nous avons a retenir de ce passage.

Cependant notons que ceste cognoissance de nostre Seigneur Iesus Christ n'est pas une chose vaine: comme plusieurs, quand on leur parle de la cognoissance de l'Evangile, entendent que c'est assez qu'on conçoyve de quelque pensee volage ce qui est enseigné: mais c'est que nous tenions nostre Seigneur Iesus pour la seule cause de nostre salut. Ce qui ne se peut faire que nous ne sentions au vif que nous sommes perdus en nous-mesmes: et puis, que Dieu, selon qu'il nous a voulu recevoir une fois a merci, auiourd'huy fait valoir cela en nous. Et de faict, il est impossible que nous parvenions a ceste cognoissance, que nous ne soyons illuminez par le sainct Esprit: ce que quand nous avons, c'est desia un signe infaillible que Dieu veut besongner en nous, afin de nous mettre on possession

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

673

de sa iustice, de laquelle auparavant nous estions bien loin. Voyla donc Dieu qui fera bien qu'on presche l'Evangile: mais ce n'est point assez: nous n'y cognoistrons que le haut allemand (comme on dit) iusques a ce que nous soyons touchez au dedans par son sainct Esprit: (voyla dont procede la foy) et alors nous sommes bons et vrais disciples de Iesus Christ, pour sentir le fruit de ceste doctrine. C'est ce qui nous est yci monstré par le Prophete.

Or il parle encores derechef de ce que Iesus Christ a porté les pechez, pour monstrer que la satisfaction est en luy, et que nos pechez seroyent une charge pour nous abysmer iusques au profond d'enfer, n'estoit que nous en fussions soulagez par nostre Seigneur Iesus Christ. Car qu'emporte le peché, sinon l'ire de Dieu? Si seulement Dieu leve le doigt, c'est pour destruire et ruiner tout le monde: comme il est dit qu'a son seul souffle les rochers descoulent, les montagnes sont fondues, et qu'elles s'escoulent comme cire. Si donc Dieu donne le moindre signe de sa fureur et de son ire, il n'y a rien si ferme au monde qui ne s'escoule: et que sera-ce de nous, qui sommes creatures tant fragiles, quand Dieu nous monstrera une face rigoureuse de Iuge, et qu'il nous appellera a conte? Il ne faudra point que nous oyons la voix de sa bouche, mais seulement le signe qu'il donnera pour nous adiourner, sera un abysme pour nous engloutir. Ainsi donc il faut bien que nos pechez nous soyent un fardeau insupportable. Or il y en a une infinité en nous, et nous n'avons pas les espaules pour les soustenir, et pour subsister au dessous. Mais quant a Iesus Christ, combien qu'il ait souffert en l'infirmité de sa chair, il a tousiours este soustenu de la vertu de l'Esprit qui luy a este donné. Et voyla comme il a fait ses triomphes mesmes sur la croix, comme sainct Paul en parle aux Colossiens. Ainsi donc il nous faut. tousiours revenir a ce que dit le Prophete: comme aussi sainct Pierre on est bon expositeur en sa premiere Canonique, disant que sur le bois il a porté nos pechez. Il est vray que ce n'a pas este la vertu du bois qui a aidé nostre Seigneur Iesus Christ a porter nos pechez: mais il dit qu'il les a porté au bois, d'autant qu'estant crucifié il a este comme maudit de Dieu et a receu toute la malédiction en laquelle nous eussions este plongez. Il a donc receu tout cela afin de nous en faire sentir le fruit, et nous faire iouir de la victoire, de laquelle auiourd'huy il nous a fait participans. Ainsi donc si nous sommes chargez en nous, venons a Iesus Christ, afin d'estre allegez: et recognoissons le moyen, ascavoir que c'est d'autant que nous sommes acquittez par luy de toutes nos dettes, tellement qu'il ne faut plus imaginer que nous Puissions annorter aucune satisfaction

674

ou payement, venans a conte devant Dieu. Il nous faut donc tousiours commencer par ce bout, d'estre du tout confus: et au reste que nous ne doutions point que nous ne soyons maintenant deschargez, puis que nostre Seigneur Iesus a porté nostre fardeau: et que nous pouvons lever la teste cognoissans que nous sommes affranchis du iugement de Dieu.

C'est donc en somme ce que nous avons a retenir yci, Que d'autant qu'une fois nous avons este sanctifiez par le sacrifice que Iesus Christ a offert, quand il s'est dedié au service de Dieu comme alors il a protesté: auiourd'huy il faut que nous deschargions nos pechez sur luy, cherchans en luy plene iustice: et pour ce faire, que nous prestions l'aureille a l'Evangile, cognoissans que là Dieu nous convie a soy d'une voix amiable, et ne requiert pas de nous ce qui nous seroit impossible, et qui ne pourroit sinon nous mettre on desespoir: comme il ostoit dit par la Loy, Maudit sera celuy qui n'accomplira toutes ces choses (ce qui estoit pour nous forclorre du tout de salut) mais qu'yci il nous est declaré que si nous sommes povres pecheurs, Dieu nous applicque le remede convenable: c'est que nous soyons iustifiez en nostre Seigneur Iesus Christ, venans là comme povres mendians afin d'estre secourus en telle disette que nous sommes. Et au reste, que nous scachions, quand nostre Seigneur est nommé iuste, que c'est pour monstrer qu'il nous iustifie, en tant qu'il a prins nostre nature, afin que nous ayons acces privé a Dieu pour iouir d'un tel bien: et que nous ne disions pas Qui est-ce qui montera pardessus les nues? comme sainct Paul allegant ce passage de Moyse monstre que quand l'Evangile nous est presché, il ne faut plus faire longs discours, pour scavoir si Dieu nous est prochain. Car cela seroit arracher Iesus Christ de son siege c leste. Semblablement que nous n'alleguions plus, Qui descendra aux abysmes? Car Iesus Christ y est descendu, afin que nous soyons asseurez qu'il nous en a retirez, et que maintenant il fait encores office de Médiateur: et qu'il nous veut faire tellement participans de sa iustice, qu'il veut que nous en soyons revestus, que nous la possedions, qu'elle habite on nous, et que par icelle nous soyons eslevez en plene fiance iusques a Dieu son Pere, tellement que nous le puissions invoquer sans aucun doute.

Or nous nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu, on cognoissance de nos fautes, luy prians etc.

SERMONS

675

SEPTIEME SERMON

Isa. Chap. LIII.

12. Pourtant ie lui donneray despouille entre les grans: il partira le butin avec les robustes, d'autant qu'il a espandu son ame a la mort, et qu'il a este mis au rang des malfaiteurs: et a porté le peché de plusieurs, et a prié pour les iniques.

Le Prophete declare yci en somme que nostre Seigneur Iesus non seulement a vaincu la mort en mourant, mais aussi a eu le droict de ravir la substance a ses ennemis et d'avoir leur despouille: comme quand on a acquis une victoire, cela aussi s'ensuit. Vray est que nostre Seigneur Iesus ne s'est point enrichi des biens de ce monde: mais tant y a que c'estoit a ceste fin que nous avons dite qu'il a combatu la mort. nous savons qu'il faloit que Satan, qui est le prince du monde, fust debouté de son empire: car sans cela nostre condition estoit plus que miserable. Il faloit aussi que le peché n'eust plus la vogue. Voyla comme nostre Seigneur Iesus a despouillé ses ennemis, ascavoir d'autant que nous ne sommes plus sous la tyrannie de Satan, ne sous la servitude de peché mais sommes mis en liberté. Et de faict, sainct Paul allegant ce qui est dit au Pseaume, monstre comme ce passage a este accompli, quand il dit que Dieu est monté en haut, et a mené captive la captivité, qu'il a tenu ses ennemis liez et garrotez, sans qu'ils eussent aucune puissance de luy resister: et qu'il a receu hommage entre les hommes avec tributs. Il est vray que David parle là par similitude: car quand il dit que Dieu est monté en haut, c'est pource qu'il avoit dissimulé quelque temps, et sembloit qu'il fust comme endormi, quand les choses estoyent si confuses, que les fideles gemissoyent sans aucun secours les meschans s'esgayoyent en toute licence. Quand donc il y a tels troubles en ce monde, et qu'en invoquant Dieu, il ne semble pas que nous profitons rien, il est comme abbatu et caché.

Pour ceste cause a l'opposite, quand Dieu a maintenu la cause de son Eglise, en destruisant les ennemis d'icelle, David dit qu'il s'est eslevé. Mais S. Paul monstre que cela a este accompli en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, d'autant que pour un temps sa maiesté avoit este obscurcie, et sans aucune reputation entre les hommes. Il a donc falu, dit-il, qu'il descendist iusques au profond de la terre, et qu'il fust mesprisé des hommes pour en la fin estre exalté tellement, que non seulement il eust des hommes un simple hommage, mais aussi qu'il distribuast les despouilles et tributs. Car au lieu qu'il est dit au Pseaume qu'il a pris les tri

676

buts qui luy appartenoyent comme a celuy qui s'estoit assuieti ses adversaires, sainct Paul dit qu'a eslargi ses dons entre les hommes. Il semble bien de prime face que ce soyent choses contraires, mais elles s'accordent tres bien, d'autant que nostre Seigneur Iesus n'a point este enrichi en particulier pour soy, comme il n'ha besoin de rien, mais ç'a este afin de nous distribuer les despouilles: comme aussi il est dit au Pseaume, que non seulement ceux qui auront combatu auront leur portion au butin, mais aussi les femmes qui ne seront bougees de la maison. Car de faict, nous sentons comme Dieu, par la mort et passion de son Fils unique, nous a remplis de ses biens: non pas qu'il y ait eu nulle vertu ni industrie en nous: car nous sommes moins que des femmes qui fileront leurs quenouilles cependant qu'on sera au combat. Quand donc il est dit en ce passage que Dieu donnera a Iesus Christ les butins de ses ennemis qu'il aura vaincus, voire quelques robustes et puissans qu'ils soyent, cela n'est point seulement pour sa personne, mais c'est afin que nous scachions que le diable maintenant n'ha nul droict ni appartenance sur nous, quand nous sommes faits participans de la mort et passion du Fils de Dieu: ce que nous obtenons par le moyen de l'Evangile. Ainsi donc, que nous soyons suiets a nostre Seigneur Iesus Christ, que nous l'avouyons pour nostre Roy, et que cela se face sans feintise: il n'y a nul doute que nous n'obtenions de luy liberté en premier lieu: et puis les biens qui nous sont necessaires, et desquels nous sommes indigens, sinon que nous les recevions de sa main. Or regardons maintenant si Satan n'estoit despouillé, combien nous serions miserables: car il nous possede, il iouit paisiblement de nous: comme aussi nostre Seigneur Iesus le prononce: brief nous sommes comme sa propre possession et domaine.

Ainsi nous avons besoin que la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ produise son fruit en nous, et que nos ennemis estans vaincus, soyent quant et quant deschassez: que Iesus Christ leur tiene comme le pied sur la gorge, et qu'ils ne puissent rien, quoy qu'ils machinent de nous faire toute nuisance. Notamment il est yci parlé des robustes et excellens, afin que nous ne soyons point estonnez de la force, des munitions et de tout l'equipage de nos ennemis: car c'est bien pour nous effrayer quand nous regardons a nostre débilité d'une part; et cognoissons que le diable est comme un lion rugissant que le peché ha toute domination sur nous: cela, di-ie, seroit bien pour nous estonner sinon que nous eussions ce tesmoignage, qu'il n'y a puissance, ne forteresse, ne rien qui soit qui empesche que nostre Seigneur Iesus n'ait la despouille de tous ses ennemis, qu'il ne les dechasse et les

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

677

prive tellement de ce qu'ils avoyent, que mesmes ce qui estoit a nostre dommage, sera converti a nostre profit. Et cela est entendu non seulement de Satan, le chef des meschans, mais aussi bien de tous nos adversaires; comme nous voyons qu'autant qu'il y a d'incredules, ce nous sont autant d'ennemis qui sont comme enragez contre nous: brief nous voyons tout le monde qui nous est contraire. Que seroit-ce si Iesus Christ ne pouvoit surmonter par dessus tous les puissans et robustes?

Ainsi donc, en premier lieu ce que nous avons a retenir de ce passage, que Iesus Christ estant monté, non seulement a tenu nos ennemis liez comme captifs, mais aussi a eu toute leur despouille: et nous avons receu les dons qui luy ont este faits en hommage, voire afin que nous soyons enrichis de sa liberalité, d'autant qu'il n'y a en nous que povrete et indigence. Or notamment il est dit, pource qu'il a espandu son ame a la mort. En quoy derechef Isaie exprime que nostre Seigneur Iesus de sa franche volonté s'est offert: car ce mot d'Espandre, signifie qu'il ne s'est point espargné, qu'il n'y a point este a regret. Car celuy qui donne sa force, encores qu'en la fin il lasche la main, ce n'est pas qu'il monstre tousiours quelque chichete: mais celuy qui espand, monstre qu'il y va d'un franc courage. Ainsi donc il nous est monstré que nostre Seigneur Iesus a este enflammé d'une telle affection de l'amour qu'il nous portoit, que sa vie s'est escoulee comme de l'eau: qu'il a fait un sacrifice volontaire, pour monstrer qu'il ne demandoit sinon de nous reconcilier a Dieu son Pere. Et c'est tousiours pour nous confermer tant mieux, afin que venans a luy, nous ne doutions point d'estre receus avec toute humanité. Car comment seroit-il possible qu'il nous reiettast tellement que nous fussions comme retranchez de luy, veu qu'il s'est ainsi ietté comme a l'abandon pour nous, et qu'il a espandu sa vie? Oyans donc cela, nous avons occasion de venir plus franchement a luy et estre asseurez qu'auiourd'huy il fera valoir ce sacrifice lequel il a offert si franchement a Dieu son Pere, a cause de l'amour infinie qu'il nous portoit.

Au reste, d'autant que le fruit de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus est perpetuel, cognoissons qu'auiourd'huy nous sommes enrichis autant que besoin est, comme aussi nous l'experimentons: car il faut bien que Iesus Christ nous secoure en tant de necessitez qui nous environnent. Car que ferions-nous autrement s'il n'avoit tousiours la main pour nous soustenir? Il seroit certes impossible de subsister: Mais il nous donne de quoy pour remedier a toutes nos indigences. Et defaict, tontes les graces du sainct Esprit sont une partie de la despouille de nostre Seigneur Iesus Christ: car Dieu son Pere l'en a enrichi, pource que nous

678

en estions comme privez, et le diable empeschoit que la vertu du sainct Esprit n'eust son cours entre les hommes: maintenant nous en sommes enrichis, d'autant que tous empeschemens sont ostez: et mesmes (comme i'ay desia dit) ce qui est contraire en ce monde, nous est converti a profit et a salut, d'autant que nostre Seigneur Iesus a despouille tous nos ennemis.

Or il est dit notamment pour ce qu'il a este reputé entre les pecheurs, et qu'il a porté l'iniquite de plusieurs et a prié pour les iniques. Nous avons desia veu comme nostre Seigneur Iesus a porté les transgressions de plusieurs: c'est d'autant qu'il a soustenu la peine qui nous estoit du tout insupportable. Et aussi nous estions par trop fragile pour subsister devant Dieu, si nous eussions este chargez de nos pechez: car le moyen de nous en acquitter ne se pouvoit trouver en tout le monde. Il a donc falu que nostre Seigneur Iesus pour nous donner allegement se presentast en nostre lieu, et qu'il fust chargé de toutes nos offenses, voire a ce qu'elles luy fussent imputees devant Dieu son Pere, et qu'il fust tenu et obligé d'en faire le payement. Quand un homme seulement devera ce qu'il ne peut payer, il est comme courbé, il ne scait que faire, il ha comme un fardeau qu'il rompt et le casse, et lui fait plier les espaules: et que sera-ce quand nous serons detteurs, non point a une creature mortelle, mais au Dieu vivant? et que ce ne sera pas ne d'or, ne d'argent, mais de nos offenses qui meritent son ire espouvantable, comme l'Escriture le monstre. Voyla donc le iugement de mort eternelle, qui nous est appresté a tous, iusques a ce que nostre Seigneur Iesus nous en ait deschargez. Et de faict, comment suffirons nous a cela, sinon que celuy qui ha une puissance victorieuse par dessus toutes choses, se viene mettre en nostre lieu et supplee a nos defauts?

Voyla donc comme nostre Seigneur Iesus a porté les pechez et iniquitez de plusieurs. Il est vray que ce mot de Plusieurs vaut souvent autant que Tous. Et de faict, nostre Seigneur Iesus a este presenté a tout le monde: car il n'est point parlé de trois ou quatre, quand il est dit, Dieu a tant aime le monde, qu'il n'a point espargné son Fils unique. Mais cependant il nous faut noter ce que l'Evangile adiouste en ce passage-la, Afin que quiconque croira en luy, ne perisse point, mais obtiene la vie eternelle. Voyla donc comme nostre Seigneur Iesus a souffert pour nous tous, et qu'il n'y a ne grand ne petit qui ne soit auiourd'huy inexcusable, puis que nous pouvons obtenir salut en luy. les incredules qui s'en destournent et qui s'en privent par leur malice, sont coulpables auiourd'huy au double. Car quelle couleur pretendront-ils pour excuser leur ingratitude de ce qu'ils

S E R M O N S

679

ne reçoyvent pas le bien duquel ils pouvoyent estre participans par foy? Ainsi donc apprenons que si nous venons en grande troupe a nostre Seigneur Iesus Christ, l'un n'empeschera point l'autre qu'il ne suffise a chacun de nous. S'il estoit question de trouver allegement en un homme mortel, quand l'un aura dit, Ie vous prie de porter un tel fardeau: si le second vient, ou si cent se trouvent ensemble, encores qu'il ait grand desir de soulager l'un et l'autre, si est-ce qu'il faudra qu'il plie les espaules: car il n'ha pas la vertu de porter tout ce qu'on pourroit luy mettre sus. Mesmes s'il est question aussi d'emprunter quand nous aurons faim et soif, si nous venons demander a quelqu'un qu'il nous donne a boire et a manger, peut estre qu'il le pourra bien faire a une douzaine: mais s'il y en vient une si grosse bande que toutes les victuailles defaillent, voyla comme il se trouvera court. Ainsi donc entre les hommes nous avons besoin de recevoir de plusieurs aide et soulagement, quand nous viendrons ainsi en grande multitude: mais quand nous venons a Iesus Christ, il ne faut point craindre que sa vertu defaille: et que quand chacun en aura sa portion, rien soit diminué en luy, tellement que tousiours d'autres n'y en trouvent assez. Car tant plus que nous serons de gens qui y viendrons, tant plus le trouverons-nous riche pour secourir a nostre indigence. Ainsi nous avons a noter que non sans cause le Prophete dit qu'il a porté le peché de plusieurs, ascavoir afin que nous ne portions point d'envie a nos prochains, comme si nous estions frustrez pour n'estre point secourus, a cause qu'il y en a trop d'autres. Voyla en somme ce que nous avons a retenir de ce passage.

Au reste il est dit que c'est d'autant que Iesus Christ a este reputé entre les iniques. Yci nous avons a noter en premier lieu, qu'il a falu qu'il fust pendu entre deux brigans, pour souffrir toute la condamnation que nous avions meritee: et afin que nous eussions un gage tant plus certain et infaillible, qu'auiourd'huy nous sommes absous devant Dieu le Pere de tous nos pechez et offenses. Et voyla, pourquoy sainct Marc allegue ce tesmoignage du Prophete, quand il dit que deux brigans ont este pendus avec nostre Seigneur Iesus Christ: pour monstrer qu'il faloit qu'il fust tenu comme detestable: et afin qu'on veist comme a l'oeil, qu'il a este mis a ce rang-la avec toute ignominie, a ce qu'auiourd'huy nous soyons exemptez de l'ire de Dieu, et de la punition des malefices que nous meritions: et qu'au lieu que nous estions plongez iusques aux enfers, maintenant nous soyons accouplez avec les Anges de paradis, qui sont du tout addonnez au service de Dieu et qui accomplissent toute iustice. Nous avons donc tout ce bien-la, d'autant que nostre Seigneur Iesus Christ a bien

680

voulu prendre nostre place, et s'est venu rendre entre les malfaiteurs, afin d'avoir toute reputation d'ignominie entre les hommes.

Voyla comme l'opprobre de nostre Seigneur Iesus Christ nous esleve en haut, afin que nous soyons exemptez de toute condamnation, et que le peché ne nous soit plus imputé. En quoy gist nostre salut, sinon que nos pechez soyent couvers et abolis? Or nous ne pouvons pas obtenir cela par autre moyen, sinon d'autant que le Fils de Dieu est nostre redemption, comme sainct Paul en parle, c'est a dire qu'il a este le pris et le payement de ce que nous devions, a ce que maintenant nous soyons quittes et absous. Ainsi donc ce n'est point sans cause que le Prophete conioint ces deux choses: et tousiours nous monstre, comme par ci devant que nous avons de quoy glorifier nostre Seigneur Iesus Christ, en ce qu'il s'est exposé a tout opprobre, voyans le fruit que nous en recevons Car si nostre Seigneur Iesus Christ eust fait seulement cela pour monstrer signe d'humilité, ce seroit une chose trop maigre, mais c'est a ce que nous trouvions en luy ce qui nous defaut, et que ce soit le remede de ce qui nous pourroit grever. Quand donc nous sommes ainsi reconciliez a Dieu, et que nous obtenons iustice, et que la remission des pechez nous est toute certaine, voyla comme nous n'avons plus d'horreur de venir a nostre Seigneur Iesus Christ, combien que ce qu'il a este crucifié emporte quelque honte selon le monde de prime face: mais nous voyons qu'il n'a pas laissé de faire ses triomphes de Satan et de peché, voire tellement qu'il nous a acquis iustice, et a effacé l'obligation qui estoit contre nous, en sorte que maintenant nous pouvons venir a Dieu avec certain tesmoignage que nous sommes iustes, nous pouvons a plene bouche nous glorifier de cela, au lieu qu'auparavant il nous faloit passer condamnation avec toute horreur. Voyla en somme ce que le Prophete nous a voulu dire derechef.

Apres toutes ces choses il adiouste, qu'il a prié pour les iniques. Notamment ceci est adiousté, pour monstrer que Iesus Christ en sa mort et passion a eu l'office de Sacrificateur: et sans cela aussi nous n'aurions pas tout ce qui est requis pour l'asseurance de nostre salut. Il est vray que d'autant que la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ est le sacrifice par lequel nos pechez sont effacez, que son sang est nostre lavement, que son obeissance est pour abolir toutes nos rebellions, et nous acquerir iustice: en cela nous avons de quoy nous esiouir. Mais ce n'est pas le tout: car il est dit, qu'en invoquant le nom de Dieu nous serons sauvez. Mais comment pourrions nous avoir acces a Dieu? Quelle hardiesse sera-ce, que nous le venions prier voire que nous le crions a plene bouche

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

681

nostre Pere? ne seroit-ce pas trop grande presomption a nous de venir ainsi priveement a Dieu, et de nous vanter d'estre ses enfans, sinon que nous eussions qui portast la parolle? Et ou est-ce que nous trouverons advocat ni procureur qui puisse tant faire pour nous, iusques a ce que nous venions a Iesus Christ? Voyla donc ce que le Prophete a voulu adiouster pour la conclusion de ce qu'il traitte: Ascavoir que Iesus Christ a prié pour les iniques.

Or il est vray qu'en la croix il a bien demandé pardon et grace a Dieu son Pere pour ceux mesmes qui l'avoyent persecuté. Pere, pardonne leur (dit-il) car ils ne scavent qu'ils font. Voyla une priere que nostre Seigneur Iesus a faite pour les iniques, et pour ceux qui estoyent ses ennemis, qui l'avoyent traitté si cruellement, et par la main desquels il estoit crucifie: mais le Prophete n'a point seulement parlé de ceste priere speciale, plustost il a voulu declarer la Sacrificature de nostre Seigneur Iesus Christ. Cependant notons bien que ce n'est point sans cause qu'il parle yci des iniques. Ci dessus il a este dit qu'il avoit porté le peché du peuple de Dieu, et souffert pour les iniquitez de plusieurs: mais maintenant le Prophete attribue un autre titre a ceux pour lesquels Iesus Christ a prié, et les nomme transgresseurs. Quand il a parlé du peuple de Dieu, c'estoit pour monstrer que ceux qu'on estimera les plus iustes et les plus excellens, ont besoin de la remission de leurs pechez: et qu'ils ne la peuvent trouver sinon d'autant que Iesus Christ a espandu son sang pour les nettoyer et laver. Voyla donc pour un item: que si nous voulons estre de l'Eglise, et estre avouez du troupeau de Dieu, il faut que nous scachions que c'est d'autant que Iesus Christ est nostre Redempteur; et ne craignons pas d'y venir en grand nombre, mais plustost que chacun y attire ses prochains, d'autant qu'il est suffisant pour nous sauver tous

Au reste il est yci dit que nous sommes transgresseurs, afin que nous pensions bien a nos pechez: car nous scavons l'audace et la temerité qui est es hommes, tellement que bien souvent nous aurons plus de honte et de modestie, quand nous requerrons quelque homme mortel, que nous n'en monstrerons pas devant Dieu. Or le Prophete rabbat yci tout cest orgueil et hautesse, quand il nous nomme iniques: comme s'il disoit, Malheureux, qui estes vous qui présumez d'invoquer Dieu, et de l'appeler vostre Pere? dont vous vient ceste dignité-la? Qui osera entreprendre de venir en la presence de la maiesté de Dieu, pour dire, Ie suis de tes enfans? Allez (dit-il) cachez vous car vous estes tous malfaiteurs, et venans devant Dieu, vous venez comme devant vostre Iuge, et faut que vous trembliez et soyez du tout confus. Mais il y a un seul remede qui vous peut mettre en seureté, c'est qu'en invoquant

682

le nom de Dieu vous ayez une forteresse invincible en la vertu et intercession du Mediateur. Et sans cela il n'y a nulle esperance de salut, vous estes tous perdus en vos pechez. Cognoissez donc la necessité que vous avez que le Fils de Dieu soit au milieu, et qu'il intercede pour vous, et face office de Sacrificateur. Voyla pourquoy notamment le Prophete nous a appelez yci tous iniques et transgresseurs, assavoir afin que nous cognoissions que la porte nous est fermee, et que nous ne sommes pas dignes d'approcher de Dieu: mais que nous sommes tous accablez et confus sinon que nous ayons là du tout nostre refuge: car sans ce remede il faut que nous perissions et pourrissions en nos povretez et miseres. Or quand nous sommes ainsi humiliez, alors nous pouvons venir a nostre Seigneur Iesus Christ, cognoissans que c'est luy qui porte la Parolle en nostre nom, et que c'est par luy aussi que nous pouvons franchement nous appeler enfans de Dieu. Quand donc nous venons prier et dire, Nostre Pere qui es, és cieux, il faut que nous recognoissions que nous avons les bouches pollues quant a nous, et que ne sommes pas dignes d'appeler seulement Dieu nostre Createur, tant s'en faut que nous devions avoir ceste presomption de nous tenir pour ses enfans. Mais tant y a que nostre Seigneur Iesus Christ porte la parolle pour nous, et que nos prieres et oraisons sont sanctifiées par luy: comme il est dit en l'Epistre aux Hebrieux, au dernier chapitre, que c'est par luy que nous rendons a Dieu les sacrifices de louange et toutes oraisons, et qu'il est nostre Mediateur, et qu'auiourd'huy en son Nom nous invoquons Dieu nostre Pere. Pourtant nous pouvons franchement nous glorifier qu'il nous tiendra pour ses enfans. Voyla comme nous avons a pratticquer ce passage.

Or nous voyons comme nostre Seigneur Iesus a verifié cela, priant pour les siens, comme il est recité au 17. chapitre de sainct Iehan, Pere sainct, voyci ceux que tu m'as donnez: maintenant ie depars du monde. Ie les ay gardez, et nul n'est peri d'entr'eux, sinon le fils de perdition, mais ceux que tu m'as commis en charge, ie les ay preservez. Maintenant ie prie pour eux, et non seulement pour eux, mais pour tous ceux qui croiront en moy par leur parolle. Ie ne prie point pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnez, que tu les benisses et les sanctifies, afin qu'ils soyent un avec nous. Quand nous voyons que le Fils de Dieu prie: voire que luy, qui est Dieu eternel, s'abbaisse iusques là d'estre comme suppliant, et de presenter requeste devant Dieu son Pere en nostre nom, ne devons-nous pas yci recognoistre une bonté infinie? Et en premier lieu tousiours il nous faut retenir ce qui a este dit: c'est a scavoir que nous ne ferions que profaner le nom de Dieu en l'invoquant,

SERMONS

683

sinon que ce soit au nom de Iesus Christ. Et pourquoy? Nous avons les bouches pollues et infectes: voire nous sommes pleins de corruption: il n'y a que vermine en nous, mais d'autant que nostre Seigneur Iesus s'est abbaissé iusques a ceste condition de supplier, et d'estre là en nostre personne requerant Dieu son Pere: nous devons estre fondez et appuyez, quand il est question de fonder nous prieres auiourd'huy. Il est vray que tout ainsi qu'Isaie dit que Iesus Christ a prié pour les iniques, aussi luy mesme proteste qu'il ne prie point pour tout le monde, pour ceux qui se plaisent en leurs iniquitez, et qui y demeurent avec obstination: car ceux-la sont retranchez de ce bien et privilege, qui est reservé seulement pour les enfans de Dieu. Si donc nous demeurons au monde, et que nous soyons separez de nostre Seigneur Iesus Christ, il est certain que ce qu'il a prié Dieu son Pere, ne nous appartient pas, et ne nous peut rien profiter: mais escoutons ce qu'il dit, Voyci, ie leur ay annoncé ta Parolle, et ils ont creu. Ie prie pour eux. et non seulement pour eux (c'est a dire pour les disciples) mais pour ceux qui croiront on leur doctrine.

Ainsi donc auiourd'huy cognoissons que nous sommes associez aux disciples et Apostres de nostre Seigneur Iesus Christ, et que ceste priere qu'il a faite un coup, auiourd'huy nous servira, et qu'elle nous donnera ouverture a toutes nos oraisons, moyennant que nous recevions la doctrine de l'Evangile en obeissance de foy. Ainsi il ne faut point que maintenant nous soyons on doute comment nous devrions former nos requestes: car puis que nous scavons que Iesus Christ a prié, il ne faut plus que nous disions, Et comment serons-nous asseurez que la vertu de ceste oraison la parviene iusques a nous? croyons a l'Evangile, et nous suyvrons les Apostres et disciples, et serons conioints avec eux. Voulons nous dementir le Fils de Dieu qui est la verité eternelle et immuable? Or il a prononcé de sa bouche que tous ceux qui receveront la doctrine de l'Evangile sont conioints a ceste priere et qu'il les y a comprins. Puis qu'ainsi est donc, combien que d'un costé nous soyons povres malfaiteurs, et pourtant indignes d'approcher de Dieu, toutesfois par le moyen de l'Evangile, quand nous embrasserons en foy les promesses qui y sont contenues, alors nous serons presentez a Dieu, a ce que non soulement nous luy soyons agreables, d'autant que son Fils unique a intercède pour nous, mais aussi qu'auiourd'huy nous le puissions aussi bien invoquer, et que nous soyons compagnons de Iesus Christ on cela: comme il dit, Mo voyci, moi et les serviteurs que tu m'as donnez. Il se presente là en premier lieu (comme il a este declaré au 8. chapitre) et puis il amene toute sa troupe, Et ceux que tu m'as

684

donnez, dit-il. Or il dit qu'il est là appareillé au service de Dieu son Pere avec tous ceux qui luy ont este donnez. Ainsi il n'y a point de doute que nous ne soyons conionts en ceste priere, et en toutes les louanges de Dieu, et que Iesus n'entonne, par maniere de dire, et soit comme le premier chantre, qui nous conduise quand nous prions, et que par son m yen il n'y ait une voix tellement coniointe, que la melodie soit bien accordante. Quand nous accorderions avec les Anges de paradis on priant Dieu, se seroit desia un privilège trop excellant: mais quand le Fils de Dieu daigne bien avoir une telle privauté avec nous, de dire, Venez, ie vous conduiray, ie porteray la parolle pour vous: ne devons-nous pas estre du tout ravis en cela?

Au reste, ceci a esté figure on la Loy, quand le grand Sacrificateur non soulement a offert a Dieu les sacrifices, mais a conioint aussi les prieres. Sous les ombres donc anciennes il y avoit le Sacrificateur qui ne pouvoit pas intercéder devant Dieu et estre rocou pour agréable sans effusion de sang: mais avec le sang il conioignoit aussi les prieres a ce que les pochez fussent pardonnez au peuple, et que Dieu receust a merci ceux qui estoyent dignes d'estre reiettez. Voyci Iesus Christ qui a mis fin a toute les figures de la Loy, lequel a voulu accomplir ceci on sa personne. C'est qu'il a présenté le sang pour le lavement de nos pechez: non point du sang de veaux ne d'agneaux comme on la Loy, mais son sang sacre, voire qui a esté dédié par le sainct Esprit, afin que nous ayons plene saincteté en iceluy. Mais avec l'effusion de sang, il a conioint aussi les prieres. Et voyla pourquoy auiourd'hui il est appelé nostre Mediateur, et est dit qu'il intercede pour nous. Et quand S. Paul parle des prieres, il adiouste qu'il y a un Dieu, et un Mediateur, qui est homme, a scavoir le Seigneur Iesus. Il pouvoit bien dire, Il y a un Dieu, il y a Iesus Christ qui est la Parolle eternelle de Dieu, qui est d'une mesme essence, d'une mesme gloire et maiesté. Or il ne parle point ce langage, mais il dit, Il y a un Dieu; et puis Il y a un Mediateur entre Dieu et les hommes, Iesus Christ homme: comme s'il disait, Voyla le Fils de Dieu, qui apres avoir vestu nostre nature, apres s'estre fait homme semblable a nous, excepté peché, maintenant intercede pour nous.

Or les Sacrificateurs anciens avoyent besoin de prier pour eux (et l'ont fait aussi) et puis pour les pochez de tout le peuple, et ils estoyent comprins au nombre. Mais nostre Seigneur Iesus est exempt de coste necessité-la, quant a soy: il ne faut point qu'il demande pardon de son coste des offenses qu'il a commises, mais il intercede pour nous. Et pourtant au 8. chapitre des Romains, quand sainct Paul nous veut donner hardiesse de

DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

685

venir a Dieu, il dit notamment, Et qui est-ce qui sera contre nous? combien que nous ayons beaucoup d'ennemis, si est-ce que nous ne devons point nous estonner: car a qui est-ce que nous avons a rendre conte de nostre vie? Qui est nostre iuge? Iesus Christ, et celuy-la mesme est nostre advocat, qui intercede pour nous, et qui est là pour appointer entre Dieu et nous. C'est luy qui nous fera trouver grace. Ainsi nous pouvons lever la teste hardiment, et nous trouver devant Dieu: voire venir en toute hardiesse devant son siege iudicial, puis que nous avons Iesus Christ qui est là au milieu. Voyla donc ce que nous avons a retenir en somme, quand il est yci parlé de l'intercession. Brief, toutes fois et quantes qu'on nous presche de la mort de nostre Seigneur Iesus Christ, conioignons quant et quant la priere qu'il a faite, et qu'il a faite un coup, afin qu'elle demeurast a iamais, et produisist la vertu: car il ne faut point qu'auiourd'huy nostre Seigneur Iesus se mette a genoux devant Dieu son Pere pour supplier: il est dit qu'il sera tousiours nostre Intercesseur: mais comment? En vertu de sa mort et passion, en vertu de la priere qu'il a faite auiourd'huy. Ainsi en vertu de cela nous sommes exaucez comme s'il parloit encores auiourd'huy pour nous: aussi (comme iay dit) toutes nos oraisons sont desdiees en luy, car sans cela, elles seroyent profanes.

Et de faict aussi toutes fois et quantes que les fideles se preparent pour prier Dieu, ils doyvent (au lieu que les Papistes prendront un asperges d'eau benite, et feront aussi leurs charmes et sorcelleries ou bien leurs badinages) sentir que leurs prieres sont arrousees du sang de nostre Seigneur Iesus Christ, afin d'estre pures et nettes, et d'estre receuës de Dieu comme un sacrifice de bonne odeur. Et sur cela que nous cognoissions que nostre Seigneur Iesus Christ n'a pas seulement este Sacrificateur pour un iour, mais qu'il retient encores auiourd'huy cest office, et l'aura a iamais et que nous en sentirons tousiours le fruit. Or si ceci eust este bien cognu, on ne se fust pas desbordé (comme il en est advenu) en tant de superstitions et de vilenies. Comme nous voyons que les Papistes sont auiourd'huy comme povres bestes errantes, qu'ils ne scavent quel chemin ou sentier ils doyvent tenir en priant Dieu. Ils ont un nombre infini de patrons et advocats, et chacun se bastist le sien. Il est vray qu'ils en auront beaucoup de communs, mais encores apres toutes leurs kyrieles (comme ils disent) chacun aura sa devotion a quelque sainct qu'il aura forgé. Voyla comme Iesus Christ est despouillé de son honneur. Et il n'y a point de doute que quand ils ne se sont pas contentez de Iesus Christ, c'est le diable qui les a possedez, et les a mis en telle rage comme

686

par despit de Dieu, et de ce que Dieu avoit prononcé de Iesus Christ luy en donnant office, ils ont donné a cestuy-ci et cestuy-la le droict. Comme auiourd'huy la vierge Marie sera nommee advocate des Papistes. Au diable soyent toutes leurs prieres: car c'est autant comme s'ils renonçoyent a Dieu, et a nostre Seigneur Iesus Christ. Et aussi il faudra mesme que la vierge Marie cric vengeance a l'encontre d'eux, pour ce qu'ils ont fait une idole detestable, et ont ravi a Iesus Christ la dignité de ceste sacrificature voire laquelle a est ratifier par serment solennel de Dieu: et ont voulu falsifier toute l'Escriture saincte. les Papistes cuident bien que la vierge Marie leur aidera, mais il faudra qu'elle demande (comme i'ay dit) vengeance a l'encontre d'eux de l'iniure qu'ils luy ont faite: car s'ils luy crachoyent au visage, et qu'ils dissent tous blasmes contr'elle, il est certain qu'ils ne luy scauroyent faire un plus grand opprobre que quand ils l'appellent Advocate. Et pourquoy? car il est dit que Iesus Christ est établi Sacrificateur, de Dieu son Pere. Et comment? Avec serment solennel. I'ay iuré (dit-il) et ne m'en repentiray point.

Voyla donc sur quoy nous devons estre fondez, ascavoir sur l'intercession de nostre Seigneur Iesus Christ, d'autant que (comme dit sainct Paul au 3. chapitre des Ephesiens) nous pouvons approcher de Dieu, et nous presenter a luy, quand nous y sommes conduits par nostre Seigneur Iesus Christ, qui est (comme nous avons dit) pour nous y faire trouver grace Or que veulent faire les Papistes? Ils veulent aneantir la sacrificature de nostre Seigneur Iesus Christ, ils veulent qu'elle soit nulle. Et quand ils vienent avec une telle audace diabolique pour renverser le decret immuable de Dieu, comment peuvent-ils esperer d'estre exaucez? Ainsi donc concluons qu'en la Papaute toute ceste doctrine a este ensevelie. Et pourquoy? Ie say bien qu'ils allégueront que nous ce sommes pas dignes de venir devant Dieu. Il est vray: et qui en doute? mais cependant regardons où il nous faut chercher nostre dignité. N'est-ce pas en Iesus Christ seul? Et ils auront leur recours a la vierge Marie, et a S. Michel, aux Apostres: et puis ils auront leurs saincts qu'ils ont forgez, qui ne furent iamais au monde ou qui ont esté canonizez a l'appetit du Pape voire pour estre au profond d'enfer: voyla leurs patrons et advocats. Mais encores, quand nous accorderons cela aux Papistes, que Leurs Saincts qui iamais ne furent, ou qui ont este des demi-diables, et des phantosmes, ayent esté Apostres et Martyrs, et ayent vescu autant sainctement qu'il est possible, n'ont-ils pas eu toutesfois aussi bien besoin d'advocat que les autres? Il est certain que la vierge Marie ne pouvoit pas

SERMONS DE LA PROPHETIE DE CHRIST.

687

trouver grace devant Dieu sans le Chef: elle a eu besoin que Iesus Christ fust son Redempteur, aussi bien qu'il a este le nostre les Apostres et Martyrs, les Patriarches et Prophetes ont en aussi la mesme necessité de recourir a ce Redempteur qui est commun a tous. Et que sera-ce quand nous les viendrons chercher?

Ainsi d'autant que les Apostres nous ont renvoyez a Iesus Christ, et nous ont declaré que c'estoit là qu'il nous faloit avoir nostre addresse que luy aussi nous convie tant doucement, disant, Venez a moy: ne reculons point, et n'allons point extravaguer, mais approchons franchement. Car ce n'est point seulement pour les Prophetes qu'il parle ainsi, ou pour les Apostres et Martyrs, ou pour la vierge Marie, mais il nous veut retenir tous a soy, comme aussi il nous est tres necessaire. Apprenons, di-ie, de ne point vaguer ça et là quand nous prions Dieu et cognoissons le bien qu'il nous a fait quand il luy a pleu nous retirer de cest abysme et confusion de la Papaute, et nous monstrer comme nous aurons la porte ouverte pour venir a luy, ascavoir d'autant que Iesus Christ est nostre Intercesseur. Demourons là sans vaguer ne d'un coste ne d'autre. Car il est certain que si nos prieres ne sont reglees selon la parolle de Dieu, elles sont frivoles, et Dieu les reiette: et aussi elles ne peuvent estre faites en foy sinon que la certitude procede de là: c'est ascavoir de la verité de Dieu. Or maintenant si nous voulons que nos oraisons soyent fondees en foy, il faut qu'elles soyent conformes a la volonté de Dieu, et que nous ensuyvions ce qu'il nous commande: c'est ascavoir que nous tenions Iesus Christ pour nostre Intercesseur, Advocat et Mediateur.

Voyla donc l'addresse qu'il nous donne, et le fondement sur lequel nous devons estre appuyez, afin que nous ne flottions point comme roseaux a tous vents. Et voyla pourquoy il dit tant souvent, Ce que vous demanderez a mon Pere en mon nom, vous sera donné. Et nous voyons mesmes comme les fideles sous la Loy, combien qu'ils n'eussent pas telle clarté comme celle que nous avons auiourd'huy en l'Evangile, n'ont pas laissé toutesfois de mettre Iesus Christ en avant: voire sous la figure qui leur estoit donnée. Seigneur, disoyent-ils, regarde en la face de ton Christ, et pour l'amour de ton Oingt que tu nous exauces.

688

O nostre Dieu Eternel, exauce nous a cause du Seigneur, dit Daniel: et tant souvent aux Pseaumes cela est reiteré. Il est vray qu'il est parlé de David: mais c'est a cause qu'il estoit figure de nostre Seigneur Iesus Christ. Et puis quand Daniel parle ainsi, A cause du Seigneur, il monstre bien que c'est le Redempteur qui avoit este promis, et duquel la venue estoit alors prochaine: Mais Iesus Christ parle plus apertement: et dit, Iusques yci vous n'avez rien demandé a mon Pere en mon nom: demandez maintenant, et il vous sera ottroyé. Comme s'il disoit, Iusques yci vous n'avez point cognu que mon office est d'estre Mediateur envers Dieu mon Pere pour vous: et de faict il n'estoit point encores monté au ciel, il n'avoit point mesmes rompu le voile du Temple, pour nous y donner acces. Mais maintenant nous y avons acces privé, d'autant que le voile du Temple est rompu, et que Iesus Christ est entré, non point en un sanctuaire materiel (comme les Sanctificateurs du temps de la Loy) mais iusques au ciel en la maiesté de Dieu de son Pere pour nous y faire trouver grace: tellement que le throne de Dieu n'est plus un throne de maiesté pour nous espovanter, mais il nous convie doucement et d'une bonté paternelle, d'autant que nous y venons au nom et par le moyen de ce Sacrificateur qu'il nous a ordonne.

Voyla donc comme l'intercession de nostre Seigneur Iesus Christ nous est tousiours profitable: et nous est une forteresse invincible: si bien que quand nous viendrons a luy nous serons tellement exancez que nous sentirons par experience que quiconque invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé. Et combien que ceste sentence du Prophete Ioel ait este dicte devant que Iesus Christ fust apparu, si est-ce que les fideles du temps de la Loy l'ont tellement pratticquee, que nous devons bien mesmes par leur exemple estre confermez et asseurez maintenant (nous, di-ie, qui avons la perfection et l'accomplissement de tout ce qui a este figuré sous la Loy), que quand nous viendrons prier et invoquer nostre Dieu au nom de celuy qu'il nous a establi pour Advocat, nous sentirons en verité qu'il intercede tousiours pour nous, afin que nous soyons exaucez en toutes nos requestes.

Or nous nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu, en cognoissance de nos fautes, le priant etc.

« Prev OPERA EXEGETICA ET HOMILETICA Next »
VIEWNAME is workSection