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IOANNIS CALVINI

OPERA EXEGETICA ET HOMILETICA

AD FIDEM

EDITIONUM AUTHENTICARUM

CUM PROLEGOMENIS LITERARIIS

ANNOTATIONIBUS CRITICIS ET INDICIBUS

EDIDIT

THEOLOGUS ARGENTORATENSIS

VOL. XII

CONTINENTUR HOC VOLUMINE:

SERMONS SUR LE LIVRE DE JOB

SECONDE PARTIE CHAPITRE XVI À XXXI.

LE SOIXANTEDEUXIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XVI. CHAPITRE.

Sinon qu'il y a quelque reste du dernier verset du 15. chapitre.

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1. Iob respondant, dit, 2. I'ai ouy souvent telles choses: vous estes tous des consolateurs fascheux 3. Quand sera la fin des paroles de vent? et de qui te fortifieras-tu à respondre? 4. Ie pourroye parler comme vous: si vostre ame estoit au lieu de la miene, ie vous tiendroye compagnie en propos, le hocheroye la teste sur vous. 5. Ie vous fortifieroye en paroles, et mes propos seroyent pour recevoir la douleur. 6. Mais si ie parle, ma douleur ne se diminuera point: et si ie me tay, quel allegement? 7. Il m'a chargé d'angoisses, il a desolé toute ma congregation. 8. Il m'a desseché des rides en tesmoignage, et maigreur est venue sur moy qui tesmoigne en ma face. 9. Il m'a desciré en son ire, il m'a traitté furieusement, il grince les dents sur moy: et mon ennemi m'aguette, et tire les yeux contre moy.

Apres qu'Eliphas a dit, qu'il faut que les meschans et contempteurs de Dieu soyent maudits, et que tout leur vienne à rebours: pour conclusion il adiouste, qu'ils ne conçoivent que douleur pour enfanter peine, et que leur ventre nourrist fraude et tromperie. En quoy il denote que toute l'apparence qu'ont les meschans ne leur vient point à profit, mais que Dieu leur tourne tout aut rebours ce qu'ils ont pensé, par ce moyen ils sont frustrez de leur attente. Vray-est qu'on expose ceste sentence, comme si c'estoit une raison que rendist Eliphas: c'est assavoir, que non sans cause Dieu afflige et maudit les meschans et hypocrites. Et pourquoy? Car ils ne font que machiner mal à tout le monde. Selon donc qu'ils travaillent leurs prochains, il leur est rendu en pareille mesure. Et de fait l'Escriture saincte use souvent de ceste façon de parler, comme au Pseaume septieme (v. 15): le semblable dit Isaie au cinquanteneufieme chapitre (v. 4).

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Quand donc le S. Esprit veut declarer que les hommes en tous leurs conseils, en toutes leurs pensees et affections sont adonnez à mal et a peché il use de ceste similitude, qu'ils sont comme une femme qui conçoit pour enfanter. Quand ils ont conceu peine, c'est à dire, tourment contre leurs prochaine, pour les fascher, pour leur faire quelque oppresse, ils enfantent l'iniquité, c'est à dire, ils executent le mal qu'ils ont pensé. Or ce sens-la ne conviendroit point au passage. Car (comme desia nous avons dit) Eliphas a bien cy dessus rendu raison pourquoy Dieu estoit ainsi contraire aux meschans: mais maintenant il ne veut sinon dire, Qu'encores qu'ils se promettent de bonnes esperances, et quand il leur semble qu'ils obtiendront par quelque moyen que ce soit toutes leurs entreprises, qu'ils se trouveront en la fin confus Et pourquoy? D'autant qu'il n'y a que la denediction de Dieu qui nous face prosperer. ceux-cy donc ne gagneront rien quand ils auront nourri quelque esperance en leur coeur. Car Dieu renversera le tout. Et ce n'est pas seulement icy que l'escriture parle en ceste sorte. Il est dit au vingtsixieme chapitre du Prophete Isaie (v. 18), Seigneur nous avons travaillé devant ta face, et cependant nous n'avons conceu ni enfante que vent. Il est vray que ce sont les fideles qui parlent, et ce lamentent devant Dieu: mais ils recognoissont leurs pechez et les confessent: car pour le temps qu'ils disent qu'ils ont esté en travail ainsi que des femmes, Dieu les persecutoit iustement pour leurs fautes. Or ils disent qu'ils ont conceu du vent, et l'ont enfanté, c'est à dire, que quand ils ont attendu quelque allegement de leurs maux, tout cela s'en est allé en vent et en fumee, et qu'apres avoir langui long temps leur mal ne s'est point amendé.

SERMON LXII

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Icy Eliphas passe plus outre, c'est, que les meschans ne conçoivent que travail, et qu'ils n'enfantent que mal pour eux, que leur ventre nourrist fraude, c'est a dire, de vaines esperances et frustratoires, esquelles ils seront trompez en la fin. Et c'est aussi la menace que Dieu fait au 33. du Prophete Isaie (v. 11), contre les contempteurs qui n'avoyent tenu conte de sa parole, mesmes s'en estoyent endurcis: Voici vous concevez (dit-il) de la paille, et enfantez des ordures. Comme s'il disoit, Vous estes là obstinez contre ma parole, d'autant que vous ne pouvez pas cognoistre le mal que vous avez commis, et combien vous avez provoqué mon ire contre vous: tant y a que vous avez beau vous flatter: car avec toutes vos flateries vous cognoistrez que vous n'avez conceu que paille et chaume, et que le tout s'en ira au vent: et cognoistrez que toutes vos flateries ne vous auront rien profite. Maintenant donc nous voyons en somme quelle est l'intention d'Eliphas: c'est à savoir, que les meschans pourront bien estre pour un temps là à, leur aise, et que Dieu ne les pressera pas si fort qu'ils ne se nourrissent en quelque attente. lais quoi? Si est-ce que Dieu (maugré qu'ils en ayent) les pressera, qu'il faudra qu'ils ayent un ver qui les rongera là dedans, qu'ils auront leurs consciences qui les soliciteront tousiours, qu'ils auront des remors et des pointes qui les tormenteront en secret: voire et que Dieu leur envoyera en la fin des angoisses si fortes et si excessives, qu'il faudra qu'au dehors ils enfantent ce qu'ils avoyent nourri. Et pourquoi ? Car leur ventre n'a conceu que fraude: c'est â; dire, combien qu'ils n'ayent point senti leurs maux du premier coup, si est-ce qu'ils ne font que se ruiner quand ils n'ont point eu Dieu propice. Ils se promettront ceci et cela: mais tant y a qu'en tout leur cas il n'y aura que tromperie.

Or venons maintenant à la response de Iob. Il leur dit en premier lieu qu'il a ouy souvent choses semblables, et pourtant qu'ils sont consolateurs fascheux, voire s'adressans ainsi à Iob avec telles paroles, et si ennuyeuses. En disant qu'il a ouy souvent choses semblables, il signifie qu'il ne lui falloit point apporter des remedes vulgaires et communs, d'autant que son mal estoit si grand et si extreme, qu'il falloit bien apporter quelque consolation amiable, et qui lui peust servir: et non point lui tenir de ces propos là, comme on feroit par maniere d'acquit à un qui seroit affligé, et non point outre mesure. Nous voyons donc à quoi Iob pretend, en disant qu'il a ouy souvent de tels propos. Or il est vrai quand on nous apportera quelque consolation' qui nous aura esté cognue auparavant, que nous ne la devons pas mespriser. Et pourquoi? Si auiourd'hui nous sommes enseignez de la bonté

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de Dieu, que nous soyons exhortez à patience, cela nous eschappera que nous n'y penserons gueres. Il est vrai que le propos ne nous sera point obscur: mais si nous sommes affligez, et qu'on nous ramentoive ce qu'on nous aura dit, ne pensons point que ce soit un langage superflu. Et pourquoi ? Car il est question de pratiquer ce qu'auparavant nous avons ouy, ce que nous avons entendu: mais nous n'en avions point este touchez au vif, d'autant que l'occasion ne s'y addonnoit pas. Mais si Dieu nous presse de quelque angoisse et tristesse, alors il nous fait gouster les consolations qu'on aura tiré et produit de sa parole. Et de fait Iob n'a pas este comme ces delicates, qui appetent tousiours ie ne sai quoi de nouveau, et qui ne peuvent souffrir qu'on leur dise un mesme propos deux fois, O i'ai entendu cela, ie n'ai, diront-ils, que faire d'avoir les aureilles battues de ce propos. Voire, mais cependant ils ont besoin de tout bien mediter, et quand on nous reitere une chose, c'est pour nostre grand profit et nostre advancement. Or Iob n'a pas este ainsi. il ne s'est point despité, pour ne tenir conte d'une doctrine pourtant qu'elle estoit commune. Il n'a point aussi voulu avoir des curiositez: mais simplement (comme desia nous avons dit) il monstre que son mal estoit si corme, qu'il avoit besoin d'estre consolé d'une façon extraordinaire. Comme quand il y aura une maladie commune, on usera aussi d'un remede leger: mais si la maladie est aigre, il faut que le medecin poursuive plus outre. Car s'il vouloit appliquer les mesmes remedes à tous maux, et que seroit-ce? Autant en est-il des afflictions. Nous verrons un homme qui sera affligé en la mort de son pere, ou de sa femme, ou de ses enfans' il lui sera advenu quelque dommage. Et bien on lui apportera quelque consolation moyenne, et ce que Dieu a proposé. Mai, s'il y a quelqu'un qui ne soit point tormenté en une façon seulement, mais qu'il sente que la main de Dieu le persecute de tous costez: quand il lui sera advenu un mal, qu'il y ait le second et le troisieme, et qu'il ne soit pas seulement affligé en son corps, en sa personne, en ses biens, et en ses amis: mais qu'il ait (comme nous avons veu de Iob) des tentations spirituelles, comme si Dieu le vouloit abysmer: là il y faut proceder d'une façon plus exquise. Car quand on voudra molester un povre homme qui aura le coeur abbatu, dequoi lui servira tout ce qu'on lui pourroit apporter ? Il vaudroit beaucoup mieux qu'on se teust, et que Dieu y besongnast pour suppleer au defaut des hommes. Voila donc ce que Iob a entendu.

Voici Eliphas qui allegue à Iob que Dieu punit les meschans, afin de se monstrer Iuge du monde, et qu'ils auront beau se munir, qu'ils ne

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IOB CHAP. XVI.

pourront pas eschapper de sa main: combien qu'ils ayent grande suite et grande bande, que Dieu destruira tout. Mais quoi? Quand on veut appliquer ce propos à Iob, c'est lui faire à croire qu'il a Dieu pour son ennemi, d'autant qu'il est meschant qu'il n'y a aussi eu qu'hypocrisie en luy. Voila un propos qui est mal approprié. Ce n'est point donc sans cause qu'il dit, Et bien, ces choses me sont cognues, et maintenant si i'en avoye besoin, ie m'en serviroye: mais il n'est point question de ceci. Car Iob avoit ceste apprehension qu'il n'estoit pas affligé à cause de ses pechez, que Dieu n'avoit point un tel regard: non point qu'il ne se sentist coulpable et digne d'endurer encores plus, quand Dieu l'eust voulu examiner à la rigueur: mais cependant il cognoist que Dieu ne le traittoit point ainsi à cause de ses pechez, qu'il y avoit une autre fin. Iob cognoissant cela, reiette les propos qui lui sont tenus. Et pourquoi? D'autant qu'ils sont importuns. Vous m'estes (dit-il) consolateurs fascheux. La raison ? C'est pource qu'ils ne lui apportent point remedes convenables. Par cela nous sommes admonnestez, quand nous voudrons consoler nos prochains en leurs tristesses et fascheries, de n'y point aller à la volee: comme il y en aura beaucoup qui n'auront iamais qu'une chanson, et ils ne regardent point à la personne à laquelle ils s'addressent, car il faut manier l'un autrement que l'autre. Comme s'il y a quelqu'un qui soit obstiné à l'encontre de Dieu, il faut là parler d'un autre stile et langage, qu'il ne faut point envers une povre creature qui aura cheminé en simplicité. Et puis selon que le mal est, il est besoin aussi d'estre adverti comme il y faut proceder. Exemple, si les hommes sont stupides, il faut crier et redarguer la nonchalance, afin qu'ils apprehendent la main de Dieu, pour s'humilier sous icelle. Il est donc besoin d'une grande prudence quand nous voulons consoler comme il appartient ceux que Dieu afflige. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage, quand il est dit, Que ceux qui pretendoyent consoler Iob estoyent fascheux, d'autant qu'ils ne lui apportoyent rien dont il peust faire son profit. Voila donc ce que nous avons à retenir en premier lieu.

Or Iob adiouste, Iusques à quand y aura-il fin aux paroles de vent? Il appelle paroles de vent, où il n'y a nulle fermeté, c'est à dire, qui ne peuvent edifier un homme: comme l'Escriture saincte use de ceste similitude-là car quand il est question qu'un homme soit enseigné pour son salut, il est dit, Qu'on l'edifie. Comment? D'autant qu'il est fonde, et puis apres qu'on bastit là dessus, tellement qu'il est confermé en la crainte de Dieu, il est confermé en la Loy, il est confermé en patience pour porter constamment les afflictions, et puis il se resoult

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de prier et invoquer Dieu, de recourir à lui. Au contraire si les propos ne sont que pour agiter le cerveau, et qu'un homme iase et qu'il babille, et que cependant l'on n'en reçoiue nulle bonne instruction pour appliquer à salut: tout cela sont paroles de vent. Et ainsi notons, quand nous voudrons nous mesler d'exhortation ou de doctrine que sur tout il nous faut tendre a ceste fermeté-la c'est assavoir, que ceux qui nous escoutent, reçoivent quelque bonne instruction, tellement qu'ils soyent accoustumez à cheminer selon Dieu, et qu'ils soyent fondez en la fiance de sa misericorde, qu'ils s'appliquent à l'invoquer, non pas en doute ni en suspends, mais sachans qu'ils seront exaucez. Voila donc comme il nous faut estudier à instruire nos prochains en elle fermeté, que ce que nous avons apprins ne s'oscoule pas comme vent. Et au reste chacun de nous doit aussi tendre à telle doctrine, que nous n'appetions point d'estre remplis de vent: comme nous voyons beaucoup de curieux, qui voudroient qu'on s'amusast apres eux, pour leur repaistre leurs oreilles, et pour satisfaire à leurs vaines phantasies. Ils imaginent ceci et cela, et voudroyent qu'on s'amusast à leur complaire, pour disputer de choses qui sont de nulle edification. Et l'esprit humain est par trop enclin à ce vice-la, et mesme y est adonné du tout. Car si chacun de nous vouloit suivre son appetit, il est certain qu'il ne seroit question que de nous tenir des propos inutiles de ceci et de cela, qui s'espandroyent en l'air, qu'il n'y auroit nulle fermeté, il n'y auroit que vent. Et ainsi apprenons de cercher ce qui nous est bon et propre pour nous edifier en la crainte de Dieu, en la foy, et en patience, et en toutes choses bonnes et utiles. Voila ce que nous avons à retenir quant à ce passage-la, où Iob fait mention de paroles de vent.

Vrai est que cependant il nous faut aussi regarder à nous, que nous ne reiettions pas tous propos qu'on nous tiendra, comme s'ils estoient de vent: mais que nous apprenions à gouster s'il y a quelque vanité, ou instruction bonne: que nous cognoissions cela pour l'appliquer à nostre usage. Et puis prions Dieu qu'il nous face la grace, quand on nous presentera quelque bonne doctrine, qu'elle ne s'escoule point par nostre nonchalance, que cela ne s'en aille point au vent. Car quand on nous viendra proposer la parole de Dieu, il faut que nous sachions que là il y a tousiours quelque instruction bonne. Or beaucoup n'y profitent gueres. Et pourquoy ? Car ils n'y appliquent point tous leurs sens et leurs esprits, ils voltigent cependant de costé et d'autre, et la parole de Dieu s'en va comme en vent: mais c'est d'autant qu'il n'y a point de bonne fermeté en eux. Toutes fois pour bien appliquer ceste sentence à nostre usage. il faut

SERMON LXII

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(comme i'ay desia dit) qu'un chacun de nous regarde soy de pres.

Or il s'ensuit en Iob: Que si ses amis estoient en son estat, il pourroit parler comme eux, et leur tenir compagnie eu propos, contester avec eux, et hocher la teste contr'eux. Vrai est qu'aucuns exposent ce passage, que Iob ne voudroit point leur rendre la pareille s'il les voyoit ainsi molestez, qu'il tascheroit plustost d'adoucir leurs maux, et de leur apporter quelque allegement, que de leur augmenter leur tristesse, comme ils le font envers lui: ainsi que nous avons veu leur cruauté, qu'il n'estoit question que de mettre ce sainct personnage en desespoir, sinon que Dieu l'eust soustenu. Ceux qui prenent ainsi ce passage, sont esmeus de ceste raison: que ce ne seroit point chose decente, que Iob se voulust venger, quand Dieu auroit retiré sa main de lui: et quand il seroit à son aise, qu'il se voulust mocquer des povres gens qui seroient en calamité semblable: car quand il n'y auroit que l'affliction qu'il a enduree, encores cela le devroit enseigner à avoir pitié et compassion de ceux qui en auroient besoin. Mais quand tout sera bien regardé, Iob ne veut pas ici declarer ce qu'il feroit, mais ce qu'un homme pourroit faire, quand il seroit en tel estat. Il n'entend point donc qu'il voulust rendre la pareille à ceux qui le molestoyent à leur escient, mais simplement qu'il se pourroit gaudir s'il estoit comme eux. Il signifie donc en somme, Vous en parlez bien à vostre aise, vous hochez ici la teste sur moi, il ne vous couste rien de me condamner, voire de me plonger iusques aux abysmes. vous faites cela comme gens qui ne savez que c'est d'endurer mal. Si i'estoye en vostre estat, n'en pourroy-ie point faire autant? Et comment le prendriez-vous, si ie venoye hocher la teste sur vos calamitez, voyant que la main de Dieu voua auroit pressé iusques au bout? Quand ie diroye, O c'est bien employé, il faut que Dieu vous chastie, et qu'il vous face sentir comme il afflige les pecheurs: quand il n'y auroit que confusion en vous, si i'en parloye ainsi, ne pourriez-vous pas dire, que ie seroye un mocqueur, et un homme cruel ? Pensez donc maintenant à vous. Voila en somme quelle est l'intention de Iob.

Or donc nous voyons qu'il ne s'est point ici aiguise à vengeance, comme ceux qui n'ont nulle crainte de Dieu, quand on les faschera, ils voudroient avoir la puissance en main de pouvoir rendre au double le mal qu'on leur aura fait. Iob n'a pas este ainsi. Et de fait, il faut bien que les enfans de Dieu se tienent en bride: combien qu'on nous fasche et qu'on nous tormente, il n'est pas question de nous ruer sur ceux qui nous auront ainsi iniustement persecutez, car Dieu les nous envoye pour nous humilier, il faut que nous cognoissions

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que ce sont verges qui procedent de sa main. Mais nous pouvons bien à l'exemple de Iob remonstrer à ceux qui sans raison nous viennent molester, que nous leur pourrions rendre le semblable. Et pourquoy? Car iamais un homme ne cognoistra bien sa faute, iusques à tant qu'on le touche en sa personne. Mais quand un homme apperçoit que le mal pourroit retourner sur sa teste, alors il se restreint, et vient à dire, Comment ? Que fay-ie ? Voici Dieu qui pour nous amener à droite equité, dit: Tu ne feras â. ton prochain sinon ce que tu veux qu'on te face. De fait il eust bien peu dire: Quand vous aurez affaire à vos prochains, advisez de les traitter en toute equité et droiture, advisez de n'estre point adonnez à convoitise mauvaise, pour ravir le bien d'autrui, advisez de n'appeter point de vous enrichir an dommage de cestui-ci, ou de cestui-la. Et vrai est qu'il en parle ainsi en l'Escriture: mais pour conclusion il met ce mot-la, Faites ce que vous voulez qu'on vous face. Car il n'y a celui qui ne soit grand clerc quand il est question de son profit. Lors nous saurons bien disputer, Comment? Un tel m'a fait ceste iniure. Est-ce procedé en homme Chrestien? y a-il nulle equité? n'est-ce point un tour d'homme lasche et cruel? Chacun donc saura bien disputer de raison, d'equité et droiture, quand il est question de son profit. Et c'est où Iob ramene ses amis, d'autant qu'ils sont aveuglez: disant que tontes fois s'ils estoient en telle extremité comme lui, ils voudroient bien qu'on les traitast plus doucement. Il ne peut donc faire antre chose, sinon de les ramener à ceste equité naturelle, et de faire comparaison d'eux avec lui. Ainsi il leur dit, Venez ça, si vous estiez en l'estat où on me voit, seroit-ce la raison que ie vous tinse les propos que vous m'amenez? Quand on voudroit vous traiter d'une telle façon comme vous procedez envers moy, comment prendriez-vous cela Alors ils devoyent estre esmeus. Et pourquoy? Car (comme i'ai desia dit) cependant que nous sommes hors de nous-mesmes, c'est à dire, que la chose ne nous touche, et ne nous compete point, nous y allons à tors et à travers: mais si le cas nous touche, Ô nous apprenons à mieux adviser à nous. Voila en somme ce que Iob a voulu dire.

Maintenant nous pouvons recueillir une bonne doctrine de ceci: suivant ceste sentence que i'ay desia alleguee de nostre Seigneur Iesus Christ, Que nous ne facions à autrui sinon ce que nous voulons qu'on nous face. Car nous avons la Loy de Dieu imprimee en nos coeurs, nous avons des principes generaux qui nous demeurent. Et qui est cause donc que nous avons un iugement si corrompu et perverti, que nous tirons tousiours au rebours? Il n'y a que cela, qu'apres que Dieu nous

IOB CHAP. XVI.

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a donné une bonne regle, nous sommes esmeus d'ambition, de haine, d'orgueil, d'avarice. Voila comme tout est perverti. Si donc il y a de l'ambition en nous, et que pour nous faire valoir, nous venions à mespriser nos prochains: s'il y a de la temerité, que nous iettions une sentence à la volee, devant qu'avoir bien cognu le merite de la cause: si nous sommes menez d'orgueil, que nous vueillions nous advancer en reprimant ceux que nous verrons aller devant nous: quand nous serons incitez par haines et malvueillances, que nous serons aveuglez ou d'amour, ou de faveur, que faut-il faire? Entrons en nous-mesmes, et que nous prions Dieu qu'il nous conduise, et qu'il nous ouvre le coeur pour iuger droitement, Or ça, s'il estoit question de toi, que dirois-tu? Voila comme nous serons et sages, et prudens, et rassis, c'est assavoir, quand nous aurons appliqué à nos personnes ce que nous iettons contre un autre. Car nous sommes tant adonnez à nostre appetit et profit (comme i'ai dit) et nature nous retient là, qu'un chacun s'aime, voire par trop. Pour ceste cause nous serons tant moins excusez de ce vice, quand il se trouvera en nous, veu que nous sommes si souvent exhortez de suivre droiture et equité. Or prions Dieu qu'il besongne tellement en nous, que par son S. Esprit ce vice soit converti en vertu. Considerons qu'emporte ce mot, Tu aimeras ton prochain comme toy-mesmes. Qui est cause qu'un chacun sort de sa mesure, et que nous-nous aimons par trop en mesprisant nos prochains? sinon d'autant que nous ne prattiquons point assez diligemment ce qui nous est dit, que nous ne devons point estre tellement adonnez à nous mesmes, que nous n'aimions nos prochains comme nos propres personnes. Car nous devrions avoir ceste consideration-la, que Dieu nous a tous créez à son image, et puis nous sommes d'une mesme nature. Sur cela aussi il nous monstre qu'il nous faut accorder en vraye fraternité avec ceux qui sont conioints avec nous. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage, quand Iob remonstre ceux qui l'accusoyent iniustement, qu'ils ne voudroient pas qu'on leur fist le semblable, il ne faut point donc qu'ils abusent ainsi de sa patience. Voila ce que nous avons à recueillir en somme.

Or il est dit quant et quant, Ie me tairay maintenant, mais que profitera-il? Si ie parle, quel allegement en auray-ie? Iob veut ici prevenir la replique qu'on lui pourroit faire, car ses amis pouvoient dire, Console toi donc, puis que tu es si habile homme: et que si nous estions en tel estat tu pourrois faire merveilles: maintenant vien à desployer toutes tes facultez envers toy. Mais il dit, Me voici en estat si miserable, que ie n'en puis plus. Ainsi donc ie ne say quelle esperance

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ie doy concevoir: car Dieu me presse d'une façon si estrange, que si ie parle, ie ne fay qu'augmenter ma douleur: si ie me tay, il n'y a nul allegement pour moy. Me voila donc comme un homme englouti en toutes afflictions. Voila en somme ce que vent dire Iob: que soit qu'il parle, ou se taise il n'est allegé en façon que ce soit. Voila aussi comme David se complaint au Pseaume 32 (v. 3) que son mal l'a tellement pressé et angoissé qu'il ne sait que devenir, ne quel remede y cercher. Quand, dit-il, ie me suis lamenté, et que i'ay cuidé par ce moyen-la avoir quelque adoucissement de ma douleur, le feu s'est allumé d'avantage. Si i'ay eu la bouche close, et que ie me soye là voulu comme abbatre devant Dieu, aussi bien mon coeur s'est tormenté, et comme desciré par pieces: et lors ma douleur m'a pressé si vivement, qu'elle ne s'est point restreinte pour cela. Et en l'autre passage il dit (Pse. 39, 2), qu'il avoit conclu, cependant que les meschans avoyent la vogue, de ne sonner-mot, d'estre là comme un muet. Mais quoy? dit-il, ie n'ay peu me tenir en ce propos: car quand i'ay voulu ainsi me restreindre, en la fin il a fallu que les bouillons esclatassent. Comme un pot, quand le feu sera grand, combien qu'on le couvre il faut que les escumes sortent de quelque costé que ce soit. Or ceci est bien digne d'estre noté. Car quand Dieu nous envoye quelque maladie, ou quelque povreté, lors il nous semble que iamais homme n'a e té si rudement traitté que nous: et voila qui est cause de nous mettre en desespoir, ou de nous inciter à toute impatience, et que nous venons aussi à nous eslever contre Dieu, ou bien il nous semble, que les fideles qui ont esté devant nous, combien que Dieu les affligeast, n'estoyent pas tant infirmes comme nous, mesmes qu'ils n'ont eu nulles passions. Et cela aussi est cause de nous augmenter nostre torment. Et pourtant retenons ce qui est ici dit, c'est assavoir, Que Dieu a tellement pressé les siens, ceux (di-ie) qu'il aimoit, et desquels il avoit le salut cher et precieux: il les a toutes fois amenez iusqu'à ceste extremité-la, qu'ils n'evoyent plus de contenance, ils ne savoyent parler, ne se taire. David ne fait point une telle confession sans cause, mais c'est pour la doctrine de tous enfans de Dieu. Car quand nous voyons qu'un homme rempli de telle vertu, ayant une telle constance du sainct Esprit, neantmoins est mis iusques au bas, et qu'il ne sait ce qu'il a, à faire, qu'il est comme au bout de son sens: faisons-en nostre profit, et si Dieu nous envoye des tentations si dures, que nous soyons iusques au bout, que nous n'en puissions plus: et bien, que cela ne nous soit point nouveau, car nous ne sommes pas les premiers. David nous monstre le chemin, et il est sorti d'une telle fange, Dieu lui a tendu la main, et apres qu'il l'a humilié

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tant et plus, si est-ce qu'il lui a assisté. Pourtant ne doutons point qu'encores il ne nous face merci, apres que pour un tempe nous aurons esté abbatus.

Voila donc pourquoy il est bon et necessaire que nous ayons ces exemples devant les yeux, et mesme cela sera cause que nostre infirmité ne nous dominera point par trop. Car si les tentations nous pressent, et que nous ne sachions que devenir, nous nous reduirons en memoire, Et bien, voila les serviteurs de Dieu qui ont este devant nous, combien qu'ils eussent de grandes graces, si est-ce qu'il a fallu qu'ils souspirassent sous la main de Dieu, et qu'ils ne seussent que devenir, et Dieu par ce moyen-la les a voulu despouiller de toute arrogance, il a voulu leur apprendre par prattique, comme il falloit qu'ils eussent la teste baissee sous lui. Et s'il lui plaist auiourd'hui de nous abbatre usant du mesme moyen, pourveu que la fin soit telle, encores qu'il nous faille souffrir cependant: ne nous tourmentons point l'esprit pour cela, veu que le tout reviendra à nostre grand profit et salut. Voila ce que nous avons à noter de ceste doctrine qui est ici contenue.

Or Iob adiouste, que Dieu le presse tellement, qu'il semble qu'il le vueille descirer par pieces. Parlant ainsi il denote ce que nous avons desia veu par ci devant, qu'il ne l'avoit point affligé seulement en son corps, mais qu'il y avoit des tentations plus grandes et plus dures, voire mesmes ameres, c'est assavoir, qu'il estoit tormenté là dedans, pource que Dieu lui estoit comme ennemi mortel. Il est vrai qu'il dit, que la maigreur qui estoit en son corps, estoit comme une fletrisseure, et un tesmoignage de l'ire de Dieu, qu'il estoit ridé, que toute sa chair estoit comme à demi pourrie. Et en cela voit-on bien les marques d'une horrible affliction, et que Dieu ne le traitte point à la façon commune de ceux lesquels il chastie de ses verges: mais sa douleur est excessive. C'est donc en somme ce que Iob a voulu exprimer. Or ici nous avons à noter, que Dieu nous a voulu donner des miroirs en ceux qui ont eu quelques vertus excellentes, afin que nous puissions cognoistre en leurs personnes, que selon qu'il distribue les graces de son sainct Esprit, aussi pour les faire valoir, et tant mieux: fructifier, il leur envoye de grandes afflictions en leurs personnes, et les esprouve, bref il les chastie iusques au bout. Exemple Voila Abraham qui a esté gouverné par l'Esprit de Dieu, non point comme un homme vulgaire, mais comme un Ange, si plein d'excellence et de perfection que rien plus. Et comment est-ce que Dieu aussi l'a manie? Si nous avions à endurer la dixieme partie des combats qu'Abraham a soustenus et surmontez, que seroit-ce ? Nous defaudrions. Mais Dieu nous

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espargne, d'autant qu'il ne nous a point eslargi des dons si excellens, comme il a fait à celuy-la. Autant en est-il de David. Voila David qui a esté non seulement Prophete de Dieu, mais aussi le Roy pour gouverner le peuple sainct et esleu, et qui a eu en sa personne des vertus bien dignes de memoire et de louange, mesmes d'admiration: et toutes fois comment est-ce que Dieu l'a pourmené? Nous voyons les complaintes qu'il fait, non point seulement comme un homme contemptible et reietté: mais disant, qu'en terre Dieu le tient à la torture, qu'il faut qu'il monstre les extremitez où il est venu. Car ce n'est point sans cause qu'il dit tant souvent, qu'il a passé par le feu et par l'eau, et qu'il a esté ietté aux abysmes plus profonds, et qu'il a senti tous les dards de Dieu, et toutes ses flesches descochees contre lui, que la main de Dieu s'est appesanti sur lui, que ses os mesmes ont este froissez, qu'il n'est demeuré ni moëlle ni substance en lui. Quand nous oyons ces propos, il nous semble quasi que ce soit moquerie: mais Dieu nous a voulu mettre là une peinture vive, afin que nous sachions, suivant ce que nous avons dit, que selon que Dieu donne une grande vertu aux hommes, aussi il exerce vivement, afin que ses vertus-la ne soyent point oisives, mais qu'elles soyent cognues en temps et lieu. Au reste notons cependant, que les principales tentations qu'ayent iamais enduré les fideles, ont este ces combats spirituels, que nous appellons, c'est à dire, quand Dieu les a adiournez en leurs consciences, qu'il leur a fait sentir sa fureur, qu'il les a persecutez tellement qu'ils ne savoyent comme ils en estoyent avec luy. Aussi cela est pour les abysmer en ruine plus que tous les maux corporels, tant qu'il en pourroit advenir. Et voila aussi pourquoy Iob use de ceste similitude que Dieu a grincé les dents sur lui. Nous voyons aussi comme Ezechias en parle, pource qu'il avoit passé par ceste tentation (Isaie 38, 3. 14). Il dit, Dieu m'a esté comme un lion. Il avoit aussi bien usé auparavant de la similitude qui est ici, Qu'il ne savoit ne parler, ne se taire. Car ie suis (dit-il) comme une arondelle, ie iargonne, ie murmure: mais ie n'a r point de propos que ie puisse exprimer la douleur de mon mal, ie n'ay point la langue à delivre. Mais là dessus il vient puis apres à declarer, que Dieu a cassé et rompu ses os, comme un lion qui le tiendroit entre ses pattes et entre ses dents. Et comment Dieu se peut-il accomparer à un lion qui est une beste si cruelle ? Non, Ezechias n'a point voulu accuser Dieu de cruauté, mais il parle de l'apprehension qu'il a eu, et de l'affliction horrible qu'il a senti quand l'ire de Dieu a esté sur lui.

Ainsi donc notons que quand une povre creature entre en ceste doute-la, assavoir, comment elle

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en est avec Dieu, et qu'elle n'a point apprehension qu'il lui vueille faire sentir sa bonté: il faut bien qu'elle soit en telle destresse et si grand estonnement, comme si elle estoit entre les pattes des loupe. Il ne faut point que nous imaginions que ce soit peu de chose à l'homme de sentir l'ire de Dieu, et sur tout quand nous apprehendons qu'il nous est ainsi contraire. Et pourtant prions Dieu qu'il lui plaise nous supporter, et espargner, cognoissant que nous ne sommes point capables de soustenir un tel fardeau, sinon qu'il nous donne les espaules pour ce faire. Et au reste, que nous

le prions qu'il n'use point de telle rigueur à l'encontre de nous, que nous le sentions comme un lion: mais plustost qu'il se monstre tousiours nostre Pere, et qu'il ne nous punisse point comme nous l'avons merité: mais qu'il nous face tousiours sentir sa misericorde par le moyen de nostre Seigneur Iesus Christ, afin qu'apres qu'il nous aura conduit par son S. Esprit en la vie presente, il nous esleve en la gloire eternelle de ses Anges, laquelle il nous a si cherement acquise.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE SOIXANTETROISIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XVI. CHAPITRE.

10. Ils ouvrent leur bouche contre moy, ils me donnent des soufflets par opprobre, ils s'assemblent contre moy. 11. Dieu m'a mené entre les mains des malins, il m'a espouvanté devant les meschans. 12. Ie prosperoye, et il m'a abbatu, et m'a saisi au col, il m'a mis pour sa bute. 13. Ses archiers m'environnent de tous ceste, il divise mes reins, il n'espargne rien, il espard mon fiel par terre. 14. Il m'a desrompu de rompure sur rompure, il a couru sur moy comme un geant. 15. I'ai cousu le sac sur ma peau, et ay chargé ma gloire de poudre. 16. Ma face est ternie de larmes, et mes paupieres sont couvertes d'ombre de mort. 17. Toutes fois il n'y a point de fraude en mes mains, et mon oraison est pure.

C'est une chose bien griefve et dure à l'homme mortel quand Dieu se dresse contre lui , et qu'il lui fait sentir qu'il est comme sa partie adverse. Or nul ne peut apprehender combien ce mal est grand, sinon par experience. Et voila pourquoy Iob use de ceste similitude de lion, comme nous avons veu, qu'il a esté desciré par pieces, et devoré de Dieu comme d'un lion. Et ainsi en parle le Roy Ezechias. Et ce n'est point (comme nous avons dit) pour accuser Dieu de cruauté: mais d'autant que l'angoisse que souffrent les povres pecheurs quand Dieu les persecute, ne se peut assez exprimer. Or il est bon que nous soyons advertis de ces choses: afin que si Dieu nous presse bien au vif, nous soyons tellement estonnez de sa frayeur, que cependant nous cognoissions que les fideles qui ont vescu devant nous ont passé par là, et que Dieu les en

a delivrez, afin que nous ne laissions point de l'invoquer. Car il est tousiours à craindre que nous ne soyons accablez d'un tel desespoir, que nous ne puissions point invoquer Dieu, ne trouver aide en luy. Ainsi donc notons que quand une povre creature est comme abysmee, et que Dieu lui fait sentir son ire, neantmoins en telle destresse encores nous faut-il recourir à lui: car c'est son office de retirer du sepulchre, et de guerir les playes qu'il aura faites, voire de nous ressusciter de la mort.

Or cependant Iob se plaint ici d'une autre tentation, c'est assavoir, Que les meschans ont ouvert leur bouche pour se mocquer de lui, qu'ils l'ont souffleté par opprobres, qu'ils se sont assemblez. Quand les hommes se dressent ainsi contre nous, cela renouvelle le mal que nous endurons. Pourquoy? Car le diable se sert de ceux qui se mocquent de nous, afin de nous despiter, et s'il est possible, d'abbatre et renverser du tout nostre foy. Et notamment Iob parle ici des meschans pour deux raisons. Car c'est une chose plus fascheuse que Dieu lasche ainsi la bride aux meschans, qu'ils persecutent ses enfans, qu'ils les foulent aux pieds. Il est vrai que les bons ne doivent point penser à cela: mais Fi semble-il que ce soit une chose absurde, que Dieu donne une telle licence aux contempteurs de sa maisté, à gens qui sont adonnez à tout mal, que les povres fideles soyent là opprimez par eux. Voila donc une raison pourquoi Iob parle ici notamment des malins. L'autre c'est, qu'il dit, Que ceux-la mesmes taschent tousiours de faire que nous n'ayons nulle foy en Dieu, et de nous

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desbaucher, voire du tout divertir du bien: comme nous voyons qu'il en est advenu à nostre Seigneur Iesus Christ , qui est le vrai miroir et patron de tous fideles. Il est vrai que David a bien enduré le semblable: mais quand nous voyons ce qui est advenu au Fils de Dieu, cela nous est une regle certaine, et qui nous appartient a tous. Maintenant nous voyons où se rapporte ce que dit ici Iob, c'est, qu'outre ce que nous le voyons avoir esté en frayeur si terrible, encore les hommes se sont eslevez contre lui, ont tasché de le mettre en desespoir et l'ont souffleté par opprobres, comme si Dieu l'eust là exposé en proye, et qu'il ne tinst plus conte de lui. Voila en somme ce que nous avons à noter. Et ceci est escrit pour nous, afin que quand Dieu permettra aux meschans de se mocquer de nos afflictions, et qu'ils s'esleveront avec une telle furie, qu'il semblera que nous devrions estre abysmez par eux: nous n'en soyons point par trop estonnez. Pourquoy? Iob a soustenu de tels combats, et cependant nous voyons l'issue qui a esté heureuse. Dieu nous a declaré en sa personne, qu'apres que nous aurons passé parmi telles tentations, il nous pourra bien encores subvenir. Fions-nous donc en lui, estans appuyez sur sa grace et bonté. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or notamment Iob dit, Que Dieu l'a aussi livré entre les mains des meschans: ce qui merite bien d'estre observé. Car nous pensons que les meschans font tout à leur appetit, et ne regardons pas que Dieu leur lasche la bride autant qu'il veut, et qu'ils ne peuvent passer outre que ce qui leur est permis d'enhaut. Ceci (comme i'ay dit) merite bien d'estre noté. Car si nous sommes preoccupez d'une telle phantasie, que les meschans ne soyent point en la main de Dieu, et qu'ils se desbordent tant qu'ils voudront, que Dieu n'y mettra point de remede: et que sera-ce? Ne faut-il point que nous soyons du tout abbatus? Et où aurons-nous nostre recours? Mais si nous cognoissons que Dieu tiene la bride à Satan, et à tous les siens, et que non seulement ils ne puissent remuer un doigt contre nous, mais aussi qu'ils ne puissent rien penser n'entreprendre sans que Dieu l'ait disposé: alors nous pourrons recourir à lui hardiment, quand nous serons ainsi persecutez, sachans que le remede est en sa main et en sa bonne disposition. Nous avons aussi à nous humilier devant sa face. Car si les mechans se remuoyent d'eux-mesmes, et que Dieu ne s'en meslast point: alors il ne nous viendroit point en memoire de cognoistre les corrections et chastiemens de Dieu, pour penser à nos pechez, et aussi pour gemir devant lui, afin qu'il ait pitié de nous: mais si nous cognoissons, que les plus meschans sont comme verges qu'il tient en ses mains, desquelles il

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nous bat et nous corrige: bref, que nous pratiquions bien ce que dit le Prophete, Que nous regardions à la main, et non point aux pierres et aux dards, et aux coups de bastons: ce sera bien une consideration qui nous sera fort utile. Voila encores que nous avons à noter, quand Iob ne dit pas simplement, que les meschans se sont ruez sur lui, mais que c'est Dieu qui l'a assiegé, que c'est luy-mesmes qui l'a ainsi livre.

Or il adiouste, Qu'il a esté opprimé iusques au bout. Toutes ces façons de parler dont il use ici, tendent à ceste fin-la, comme quand il dit, Qu'il a esté abbatu, qu'il u esté espouvanté, que Dieu l'a saisi au col, qu'il l'a desciré par pieces, qu'il l'a mis comme un blanc auquel l'on tire, que ses archiers l'ont environné de toutes parts, qu'il l'a divisé, voire et qu'il lui est advenu rompure sur rompure. Iob par cela monstre qu'il est venu iusques à telles extremitez d'afflictions , qu'il estoit impossible de trouver creature plus pressee ne plus miserable que lui. Car nous avons veu comme Dieu l'avoit affligé, tant en son corps, qu'en ses biens, et puis en sa femme propre. Voila donc Iob qui se pouvoit bien accomparer à un blanc auquel on tire. Car Dieu ne lui a point seulement envoyé une espece de mal, mais il a comme cave une fosse iusques aux abysmes, pour le ietter là dedans au plus profond. Et puis il l'a charge d'une telle pesanteur, qu'il estoit impossible à creature de porter cela, sinon qu'il y eust une vertu plus grande qu'humaine. Et de fait ç'a esté une chose miraculeuse d'avoir une telle constance, quelques infirmitez que nous y voyons. Car aussi quand Dieu fortifie les siens, ce n'est pas pour les rendre du tout insensibles, ce n'est pas aussi pour leur oster toute foiblesse: mais il faut qu'ils se cognoissent tels qu'ils sont, c est assavoir, fragiles, et cependant que Dieu subvienne à leur infirmité, et qu'il les redresse, quand ils sont abbatus. Voila donc comme il en est advenu à Iob.

Or cependant il met, Qu'il a vestu un sac, et qu'il a couvert sa teste de poudre, et qu'il ne l'a point fait par hypocrisie. u reste, que toutes ces choses-la ne lui sont point advenues pour ses forfaits. Car on ne trouvera point (dit-il) de rapine en mes mains, mon oraison est pure. En quoy il signifie qu'il trouve ces afflictions ici estranges, veu qu'il n'a pas offensé Dieu en sorte qu'il meritast d'estre ainsi traite. C'est donc ceste tentation laquelle nous avons veu souvent par ci devant, que Iob reduit encores en memoire.

Or maintenant deduisons les choses par le menu, les appliquans à nostre usage. La similitude dont parle les emporte une bonne doctrine, C'est que Dieu l'a mis comme un blanc d'une bute, et qu'il adressé ses archiers contre luy, et qu'il l'a environné,

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et que ceux-là l'ont tellement desciré par pieces, que le fiel luy est tombé par terre, c'est à dire, qu'il a este navré iusques au coeur. Iob parlant ainsi, veut exprimer que Dieu ne l'a point affligé d'une façon commune. Or regardons maintenant à nous, car si nous endurons quelque peu de mal, il nous semble que c'est trop, et que Dieu ne tient point de mesure: nous sommes si delicats, que c'est pitié, il ne faut rien pour nous faire escarmoucher iusques au bout. Encores s'il n'y avoit que quelques plaintes, on pourroit attribuer cela a nostre foiblesse: mais quand les hommes font un tel bruit, qu'ils s'eslevent à l'encontre de Dieu pour quelque mal commun qu'ils auront à souffrir, ne voila pas une impatience trop grande? N'est-ce pas signe que nous n'avons point esté à l'escole de Dieu pour apprendre que c'estoit de souffrir, et de nous rendre obeissans à sa volonté? Ainsi donc, afin que nous apprenions d'estre plus robustes, pour soustenir les chastiemens que Dieu nous envoyera, retenons ce qui nous est ici monstré: que Iob qui estoit si excellent en saincteté, et que Dieu aimoit, neantmoins n'a pas laissé d'estre constitué comme un blanc. Or i'ai dit que nous devons estre robustes en nos afflictions: non point pour nous endurcir contre Dieu, et pour ronger nostre frein, comme nous en verrons beaucoup. Car voila qui est cause que les hommes s'endurcissent, et qu'ils ne peuvent estre amenez à repentance. Nous devons donc estre tendres en ceste façon-la, c'est assavoir, que si tost que Dieu nous touche, nous devons estre resveillez pour penser à luy, que nous n'attendions pas qu'il desgaine l'espee contre nous, et qu'il nous en navre, que nous n'attendions pas qu'il desploye ses flesches, ne qu'il foudroye. Quoy donc? Si tost que Dieu nous frappe d'un coup de verge, encores que ce soit doucement, il nous faut estre paisibles: et mesmes si nous estions sages et bien advisez, nous n'attendrions pas qu'il frappast un seul coup, mais nous serions advertis à ses seules menaces, et tascherions de revenir devant qu'il touche. Voila donc comme il est bon et utile que les fideles sentent la main de Dieu, et qu'ils ne soyent point durs aux coups. Car aussi un cheval sera dur à l'esperon, l'estimera-on pour cela? lui attribuera-on à vertu? C'est un vice. Ainsi donc en est-il de nous, que si Dieu ne frappe point a coup d'espee, mais seulement qu'il nous monstre l'ombre d'une verge, nous devons estre esmeus. Mais cependant neantmoins il nous faut estre robustes en tel sens comme i'ay dit: c'est que nous ne perdions point courage, pour estre tellement angoissez, que nos maux ne soyent point adoucis, que nous n'ayons nulle apprehension de la grace de Dieu, car ceux qui sont ainsi pressez, ne peuvent nullement se reduire: pource que si nous apprehendons que Dieu .

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nous soit contraire, et que nous n'ayons nulle confiance en sa bonté, il est impossible que nous approchions de lui: nous le foirons, et quand nous en serons eslongnez une fois, encores tascherons-nous de nous en retirer d'autant plus. Il faut donc que nous prenions courage en nos adversitez, afin que nous invoquions Dieu, et que nous ne craignions point de retourner à lui, nous confians qu'il sera prest de nous faire merci, si nous le cerchons de bonne affection, droite et pure.

Voila donc à quoy tend le propos que i'ay touché, qu'il le faut point que nous soyons trop delicats en nos afflictions, mais plustost que nous les sentions de bonne heure pour retourner à Dieu. Et aussi quand Dieu nous ayant envoye quelque adversité nous redoublera, et que dedans et dehors nous serons pressez tant et plus: cognoissons qu'encores ne sommes-nous point venus là où en estoit Iob: et que s'il a persisté d'invoquer Dieu, et d'avoir tousiours son refuge à lui, il ne faut point que nous soyons destournez de lui. Voila ce que nous avons à noter de ce passage. Or quand il est ici parle des archiers de Dieu, c'est une similitude bien notable. Car nous voyons tousiours comme les hommes sont troublez, quand il est question des afflictions de la vie presente. Car nous ne pouvons pas rapporter cela à Dieu comme nous devrions, et nous imaginons tousiours que c'est de cas d'aventure, ou que ce sont les hommes: bref, nous iugeons en confus, et ne pouvons pas nous adresser à Dieu. Pour ceste cause l'Escriture saincte, outre ce qu'elle nous declare que et la vie, et la mort, et la clarté, et les tenebres, et le bien et le mal sont en la main de Dieu, use aussi des comparaisons familieres, afin que cela nous soit tant mieux imprimé: comme il est ici dit, que Dieu a arrengé ses archiers à l'encontre de Iob. Parle-il ici des hommes? Nenni. Mais il est parlé de tous les maux que Iob avoit à endurer. Ces maux-la sont nommez les archiers de Dieu. Et pourquoy? Afin que nous apprenions quand Dieu nous afflige, qu'il vient en equippage, comme si un Iuge avoit ses officiers, et qu'il eust main forte, pour venir prendre un mal-faicteur. Voila donc comme Dieu use de toutes adversitez que nous sentons en la vie presente. Ne iugeons point donc estre fortune, quand l'un endurera en maladie, que l'autre aura quelque povreté: bref, comme les miseres de ce monde sont infinies, que nous sachions que Dieu a des moyens infinis pour nous corriger quand il voudra, comme il lui semblera bon. Et c'est ce que Moyse entend, quand il dit (Deut. 32, 34) Que toutes ces choses sont serrees aux coffres de Dieu. Apres qu'il a parlé de tous les maux qui peuvent advenir aux hommes, il adiouste, Et ceci n'est-il point en mes offres? Comme s'il disoit, I'ay mes

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thresors de biens, quand il me plaist de monstrer ma grace et mon amour envers les hommes: voire i'ay dequoy leur bien faire, non point à la façon humaine, mais i'ay des moyens incomprehensibles. Mais aussi à l'opposite, quand il me plaist d'affliger les hommes, ils sentiront que ie puis ce qu'ils n'ont point comprins, et ce qu'ils n'ont iamais entendu. Voila donc comme Dieu veut que ses richesses incomprehensibles soyent cognues de nous, tant en ce qu'il lui plaist de nous eslargir de ses biens, qu'aussi au contraire. Pourtant cognoissons quand il lui plaira de nous affliger, qu'il le pourra faire, voire d'une façon estrange. Et puis, sommes-nous echappez d'un mal? le second viendra, voire il y en aura une infinité. Voila ce que nous avons a retenir de ce passage.

Au reste quand Iob adiouste derechef, Que son fiel a esté espandu par terre, que ses reins ont esté ouverts et descirez, retenons ce que desia nous avons touché: c'est assavoir, que quand Dieu nous punira et poursuivra iusques au bout, et que sa main sera si griefve et si pesante que nous n'en pourrons plus, si est-ce qu'il ne faut point pour cela que nous soyons par trop esperdus, et comme gens eslourdis: mais pensons à ce que Iob a cognu, c'est assavoir, d'autant que nous avons affaire à Dieu, que nous gemissions, et que nous le facions avec toute humilité: comme aussi il adiouste, Que ses yeux ont esté ternis de pleur, et toute sa face, qu'il a mesme cousu le sac sur su peau, et qu'il a couvert son chef de poudre. Qui est-ce qui a induit Iob à ceci? Assavoir, d'autant qu'il cognoissoit que la main de Dieu estoit sur lui, et que tous les maux qui lui estoient advenus n'estoient point de fortune, mais que Dieu le visitoit. Si Iob n'eust este persuadé de cela, que lui eust-il servi de prendre le sac sur son dos, et sur sa peau' et de ietter la terre sur son chef? Il est vrai que ceux qui ne pensent nullement à Dieu, ne laisseront pas de faire de grandes complaintes, et pleurer, et crier: mais de mettre en verité le sac sur leur chef, ils ne le feront point s'ils ne regardent bien à Dieu. Cependant les hypocrites, encores qu'ils ne cognoissent point Dieu droitement, si est-ce qu'ils en ont quelque apprehension, quand ils monstrent tels signes de repentance. Il est vrai que si nous regardons au dedans, on n'y trouvera que feintise: mais encores la ceremonie dont Iob parle, est un certain signe que les hommes sont contraints de confesser que Dieu est leur Iuge. Or d'autant que Iob a fait ceci en verité, nous disons qu'il n'a point esté eslourdi, comme seront les incredules. Quand Dieu les traitte ainsi rudement, ils pensent, Voila une mauvaise fortune qui m'est advenue, et ne regardent pas plus loin. Iob n'en a pas fait ainsi: mais il a cognu et s'est resolu du tout, qu'il faloit attribuer ceci à Dieu.

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Si nous avions bien apprins ceste leçon, ce seroit beaucoup profité pour un iour, ie di que nous l'eussions apprise pour la bien prattiquer comme il faut. Car la plus part confesseront assez, que les maladies, les povretez, et les autres miseres, guerres, pestes, famines, que tout cela, di-ie, vient de Dieu: mais si ce vient à l'experience, nous sommes esperdus, et ne pouvons pas faire ceste conclusion, Et bien, d'autant que Dieu nous visite, et qu'il approche de nous, maintenant il nous faut reduire à lui. Par devant nous faisions des chevaux eschappez, nous voulions nous esgarer de lui: maintenant il nous tient la bride roide, il nous monstre sa verge, voire et nous la fait sentir: il faut donc que nous apprenions de nous humilier sous sa main. Mais au contraire, comment en faisons nous? Si un homme est affligé en particulier, que fera-il, sinon se chagriner' et en grinçant les dents se despiter à l'encontre de Dieu? Et pourquoy? 11 est vray que si on luy remonstre qu'il offense Dieu, il dira bien, Il est vray: mais il n'a pas un droit remors pour se r primer. Et pourquoy? Car nous n'avons (Gomme i'ay dit) sinon une apprehension confuse. Par cela voit-on qu'il y en a bien peu qui ayent bien ceste doctrine imprimee en leur esprit, c'est assavoir, que toutes les afflictions sont les archiers de Dieu, et qu'il en est equippé afin de se monstrer nostre Iuge. Autant en est-il des afflictions communes qui adviennent. Si un peuple, ou tout un pays a une guerre, comme il y aura des pillages et autres extorsions et excez qui se commettent, combien y en a-il qui pensent à Dieu? Nous voyons que tout foudroye: et nous ne pensons point cependant que Dieu gouverne. Voyans une telle froidure, nous sommes admonnestez d'autant plus de bien marquer et noter les passages de l'Escriture saincte, où Dieu nous monstre comme en un miroir, ou bien en une peinture vive, que si les hommes sont chastiez de quelque costé que ce soit, il faut adonc qu'ils cognoissent que c'est la main de Dieu: et mesmes quand tout un pays sera persecuté, qu'on cognoisse aussi, Voila Dieu qui le visite. Et pourtant quand telle chose adviendra, que nous ensuivions l'exemple de Iob, c'est qu'apres avoir pleuré, voire iusques à ternir nostre face de larmes, nous venions faire confession de nos fautes, et que nous demandions à Dieu qu'il nous soit pitoyable. I'ay desia dit que les incredules pleurent: mais il faut s'adresser â. Dieu, et alors ne doutons point que nos larmes ne lui soyent precieuses: comme nous oyons aussi que David en parle, que Dieu les a mises toutes comme en une phiole. Quand nous serons affligez, et que nous n'en pourrons plus, recourons à nostre Dieu. Et si nous pleurons devant lui, voire en droite humilité, il est certain qu'il ne tombera larme de nos yeux, qui ne viene

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en conte en sa presence: car ce lui sont autant de sacrifices, comme aussi il est dit au Pse. 51 (v. 19). Qu'un coeur enserre en destresse, un coeur abbatu est un sacrifice plaisant à Dieu. Si nos larmes se rapportent là, et qu'elles soyent comme tesmoins, qu'en toute humilité nous recourons à Dieu, cognoissans puis que sa main nous est contraire, qu'il n'y a autre remede sinon de le requerir qu'il nous face misericorde: Ô il est certain (comme i'ay dit) qu'il contera nos larmes. Et mesmes quand nous serons molestez des meschans, si au lieu de faire d'un diable deux (comme on dit) c'est à dire, de rendre mal pour mal, nous venons demander à Dieu qu'il leve sa main, et qu'il mette ordre aux choses qui sont maintenant confuses: sachons que tout ainsi qu'il a mis les larmes de David dans une phiole (Pse. 56, 9), il y mettra aussi les nostres: et elles ne seront point perdues, combien qu'elles tombent à terre: Dieu, di-ie, ne les mettra iamais en oubli. Voila donc comme nous devons appliquer ceste doctrine à nostre instruction: c'est que si nous pleurons quand Dieu nous afflige, que nos larmes ne soyent point comme des povres insensez, qui ne savent à qui ils en veulent, ne où ils se doivent adresser: mais tendons à Dieu, gemissons devant lui.

Et cela est confermé par ce que Iob adiouste, Qu'il s'est vestu d'un sac, et qu'il a couvert sa teste de poudre. Or c'estoyent les signes de repentance que ces choses ici: comme quand un povre malfaiteur demandera grace, il ne vestira point une robbe de noces, il ne viendra point pigné et testonné ne brave devant son iuge: mais il viendra plustost pour attirer à compassion, il y viendra (di-ie) avec une face triste et abaissee, il viendra mal vestu comme en dueil. Et ainsi les fideles ont eu ces signes exterieurs de repentance quand Dieu les affligeoit, et qu'ils ont confessé leurs pechez pour obtenir pardon, ils avoyent accoustumé de se vestir de haires et de sacs, et de ietter la poudre sur leur teste: et cela estoit approuvé de Dieu. Et pourquoy ? Car en premier lieu les hommes ont besoin de s'inciter, d'autant qu'ils sont tardifs et froids. Quand donc ils prendront des aides convenables pour se pousser d'avantage, cela n'est point superflu: cognoissans quand il est question de nous humilier devant Dieu, nous y allons tant laschement que ce n'est que par acquit. Nous dirons bien que nous sommes coulpables, et ietterons bien quelques souspirs: mais cependant pensons quelles sont nos fautes, le nombre en est infini, aussi elles sont si enormes, que nous devrions bien estre espouvantez d'horreur de mort quand nous venons devant nostre iuge. Or il nous semble que c'est assez d'avoir ietté un souspir à demi. Voyans donc une telle froidure en nous, cognoissons

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que nous avons besoin de nous aguillonner comme des asnes. Voila dequoy a servi le sac et la poudre aux Peres anciens: car quand ils ont usé de ceste ceremonie ici, ce n'a pas este en vain. u reste, il faut aussi que nous venions à Dieu, quand nous voulons ietter les cendres sur nos testes, car le corps n'est-il pas creé de lui? Tout ainsi donc que nous devons avoir nos coeurs attentifs, il faut que les corps respondent, et que le tout soit dedié à Dieu, et lui face hommage. Nous voyons donc maintenant que ces choses n'ont pas esté singeries frivoles, quand les peres anciens ont prins la haire et le sac sur leur dos, et qu'ils ont aussi ietté la poussiere sur leurs testes. Et voila comme Iob en parle.

Ce neantmoins le Prophete Ioel dit (2, 13), Descirez vos coeurs, et non pas vos vestemens. Il ne veut pas reietter ces signes exterieurs-la, mais il s'adresse aux hypocrites, lesquels pensoyent bien s'estre acquitez. quand ils avoyent fait beaucoup de singeries devant les hommes, et qu'ils avoyent belle apparence, qu'il sembloit qu'ils fussent tout confits en repentance. Voire (dit-il) vos robbes rendront bon tesmoignage, vous faites ici beaucoup de fanfares pour monstrer que vous estes bons penitens. Mais quoy? Voila vos coeurs qui demeurent tousiours obstinez en leur malice, ils sont durs comme des enclumes, c'estoit par là qu'il falloit commencer. Au reste, il dit neantmoins, qu'on prenne le sac et la cendre, qu'on se iette à terre, et qu'on pleure devant Dieu, et que les gouverneurs commencent et ceux qui ont charge publique, et que tout le reste du peuple suive. Maintenant donc nous voyons comme les Peres anciens ont usé du sac et de la poudre: quand il a este question de protester leur repentance devant Dieu. Auiourd'huy il est vray que nous ne serons point astreints ni obligez à telles formes de faire: mais si est-ce que si nostre repentance este t telle qu'elle doit, nous ne serions pas ainsi froids comme nous sommes: car toutes les necessitez que nous avons alleguees se trouvent aussi bien en nous. Si ceux qui anciennement ont iette un sac sur leur dos se vouloyent inciter à cognoistre leurs pechez, et a les confesser devant Dieu, que sera-ce de nous, ie vous prie? Avons-nous un tel zele et si ardent pour demander pardon à Dieu? Sommes-nous abbattus pour nous desplaire en nos fautes, et les avoir en telle detestation qu'il seroit requis? Helas non! il s'en faut beaucoup: mais nous y sommes stupides. Si donc les Peres anciens ont eu besoin de s'humilier en cognoissant leurs pechez, d'autant plus le devons nous faire. Ma s quoy? Nous n'y pensons gueres. Et en cela voit on que nous ne savons que c'est ne de Dieu, ne de son iugement, ne de nos pechez. Il est vray que de nos pechez ils nous seront assez

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cognus: mais cependant que nous apercevions nostre turpitude pour y estre confus, et nous y desplaire, il n'en est point question ni de nouvelles. Et tant y a que ceci n'est pas escrit eu vain. Apprenons donc que quand aucun de nous sera affligé, combien qu'il n'use point d'un sac, combien qu'il ne iette point la poudre sur ta teste: toutes fois nous devons tant qu'il nous sera possible nous inciter par tous moyens que nous verrons nous estre propices. Quand quelqu'un sera retiré en son privé, qu'il cognoisse, Or ça, ie ne prie point Dieu de telle affection comme ie devroye: qu'il regarde, un tel moyen me seroit bon quand ie me mettray a terre, que ie seray là comme ayant la bouche en la poudre, estant confus devant Dieu, et cela me devra tant plus toucher au vif, et ie seray incité à recourir à mon Dieu. Voila (di-ie) comme chacun se doit inciter en son particulier, sur tout quand la necessité nous y contraint, comme nous voyons quelle est maintenant par trop. Et qu'aussi tous en commun noua facions le semblable. Si tost que Dieu envoyera quelque peste, ou quelque famine, pensons-nous que ce ne lui fust un sacrifice plaisant, si l'on faisoit protestation solennelle que et grands et petis confessassent leurs fautes devant lui, et qu'un chacun incitast ses prochains à ce faire ? Quand au contraire nous venons la teste levee, et qu'il semble que nous ne sentions point les corrections, que nous facions le niquet à Dieu, nous esbahissons nous s'il redouble les coups, mesmes s'il nous punist sept fois plus? comme il en est parlé en sa Loi. Nous saurons bien nous despiter, et demander, Pourquoy est-ce qu'il nous presse tant: voire mais nous ne regardons pas comme quand il nous a voulu humilier, nous avons repoussé les coups avec une telle fierté et rebellion, qu'il faut bien qu'il les redouble. Ainsi donc advisons de mieux pratiquer ceste doctrine

qui nous est ici monstree par Iob.

Et au reste notons bien ce qu'il dit pour conclusion, c'est assavoir, Qu'il n'y a point eu de rapines en ses mains, et que son oraison a esté pure. Iob adiouste ceci (comme i'ay touché) pour signifier qu'une telle affliction lui estoit estrange: car voila comme il en a parlé ci dessus. Et de fait quand Dieu nous afflige, voila qu'il nous faut faire, d'entrer en nous-mesmes, et d'examiner nostre vie: et là dessus quand nous aurons offensé, que nous gemissions devant Dieu pour dire, Helas Seigneur! il est vray que tu m'affliges rudement: mais si ie fay comparaison de mes fautes, et que ie les mette en balance avec le mal que i'endure, helas Seigneur! ie say que ie t'ay offense en tant de sortes, que quand tu m'aurois plongé iusques aux enfers, i'en suis bien digne. Voila ce que nous avons à faire. Or si nous n'appercevons point que Dieu

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nous afflige pour nos pechez, voila une tentation qui nous greve beaucoup. Comment? Qu'est-ce que i'ay commis? Pourquoy est-ce que Dieu me traitte avec telle rigueur? Ie voy qu'il espargne les meschans. I'ay tasché de le servir en bonne conscience et droite: il est vray qu'il s'en faut beaucoup que ie m'en soye acquité: mais tant y a que j'y ay tendu: et toutes fois que ie soye comme la plus mal-heureuse creature, et la plus execrable que la terre porte. Et qu'est-ce que ceci veut dire? Voila une tentation qui est grande, et qui est pour nous rendre, confus, comme il en est advenu à Iob. Or que faut-il faire en cest endroit? Advisons bien en premier lieu d'estre semblable à Iob, pour dire, Qu'il n'y ait point de rapines en nos mains. Car c'est une chose bien aisee de se vanter, et d'alleguer son integrité: comme nous voyons que les plus meschans seront effrontez, et Auiourd'huy quand on admonneste ceux qui ont failli, Ô il n'y a que toute perfection, les plus diables voudront qu'on les repute comme des de ni Anges. Ainsi de nostre part (comme i'ay dit) advisons bien de sonder ce qui est en nous sans flaterie, et lue nous ne protestions point d'avoir les mains pures, sinon que nous soyons du tout semblables à Iob: et pour ce faire, que nous ne soyons point nos iuges selon nos fantasies. Comment est-ce que les hommes doivent faire examen de leur vie, et comment se doivent ils former leur procez? ce n'est pas pour dire, Ie cuide, ie pense, il me semble, ie ne cuide pas. Il faut que tout cela soit abbatu. Quoi donc? Que nous venions à la Loy de Dieu, que nous le prions que par son sainct Esprit il nous esclaire pour bien nous enquerir de nos tenebres: car ce sont des terribles cachettes que les pechez qui sont en nous. Il faut donc que Dieu nous allume la lampe, et qu'il nous donne prude ce et advis pour cognoistre nos fautes et les sentir, tellement que nous les confessions. Voila ce que nous avons à faire. Mais prenons le cas que Dieu ne nous traitte point ainsi pour nos pechez: comme à la verité il n'a point eu ce regard en Iob, qu'il l'affligeast pource qu'il l'avoit ainsi desservi. Et pourquoy donc ? Il a voulu esprouver sa patience. Dieu donc pourra bien affliger les bons plus que les mauvais: comme nous voyons qu'Ezechiel a beaucoup plus endure, que des plus meschans qui fussent en Ierusalem. Ainsi Dieu n'a point eu esgard à ses pechez en particulier. Mais si est-ce que si Dieu ne nous punit point selon nos pechez, ce n'est pas à dire qu'il ne le puisse faire quand bon lui semblera. Quand nous serions cent fois plus affligez que Iob, et que Dieu nous envoyeroit des afflictions plus dures qu'il ne lui a envoye, ,encores ne nous feroit-il point de tort.

IOB CHAP. XVI.

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Voila donc ce que nous avons à noter: et puis que nous cognoissions que Dieu aussi en ce faisant exerce des iugemens qui nous sont secrets et cachez pour un temps. Voila, il semble qu'il nous vueille abysmer quelquefois quand il nous chastie: si est-ce qu'il fait cela pour nostre bien. Il est vrai que nous ne le cognoissons pas maintenant, mais nous le saurons quand il nous revelera ce qui est maintenant caché. Et au reste, si Iob a esté affligé si rudement, combien qu'il eust les mains pures et nettes (comme nous orrons les protestations qu'il fera ci apres) ie vous prie, faut-il qu'auiourd'hui nous soyons esbahis quand Dieu nous affligera, nous (di-ie) qui lui sommes rebelles en tant de sortes? Qu'un chacun pense un peu à soi, et nous trouverons que nous aurons commis tant d'iniquitez et transgressions, que C'est une horreur. Dieu nous afflige, mais en quelle sorte? Non pas encores comme Iob, Il nous supporte bien d'avantage: car il nous donne seulement quelque coup de verge. Prenons le cas encores qu'il frappast à grands coups d'espee: si est-ce que les coups ne sont point mortels. Apprenons donc quand il est ici dit, que Iob a esté traitté d'une telle rigueur, combien qu'il eust ses mains pures, et que

son oraison fust droite devant Dieu: que quand tout le monde seroit ainsi affligé, il ne s'en faudroit point esbahir. Pourquoi ? Cognoissons que l'iniquité est comme un deluge, et que si en particulier chacun s'en sent, nous sommes aussi tous entachez des vices du commun. Car qui est celui qui pourra dire qu'il ait cheminé en telle integrité, qu'il puisse protester à la verité. qu'il a ses mains pures devant Dieu? Helas! il s'en faut beaucoup. Puis qu'ainsi est donc, cognoissons que c'est pour nos pechez que Dieu nous punit quand nous endurons quelques afflictions: et pourtant que nous les portions patiemment, cognoissans mesmes, que nous en avons merité d'avantage. Toutes fois que nous advisions de recourir à nostre Dieu, lui demandans qu'il lui plaise de nous purger de toutes nos iniquitez, qui sont cause des maux que nous endurons en ceste vie presente: et qu'il lui plaise nous supporter en nos infirmitez, et nous faire sentir sa bonté, afin que nous ayons tousiours dequoi le glorifier, iusques à ce qu'il nous ait delivrez de ceste vie caduque, pour nous faire participans de sa gloire immortelle.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, ect..

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LE SOIXANTEQUATRIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XVI. CHAPITRE.

Ce sermon est encores sur le verset 17 et puis sur le text qui s'ensuit.

18. Terre ne cache point mon sang, et qu'il n'y ait point de lieu pour mes cris. 19. Mesmes maintenant voici mon tesmoin au ciel, et celui qui me garentit, aux lieux tres-hauts. 20. Mes amis sont rhetoriqueurs contre moi, et mes yeux distillent des larmes envers Dieu. 21. Que s'il estoit licite à l'homme de disputer avec Dieu, comme avec le fils d'un homme son prochain. 22. Voici les annees briefves s'escoulent, et i'entre au chemin par lequel ie ne retournerai point.

Iob voulant protester de son integrité met ici deux choses: c'est assavoir, qu'il n'a point meffait envers les hommes, et que purement il a invoqué Dieu. Or c'est en rapportant sa vie à la Loi, d'autant que là nostre Seigneur nous monstre comme nous le devons servir, et aussi converser avec les

hommes: ainsi que souvent il nous en est parlé, et non sans cause: car ce n'est point peu de chose que nous puissions regler nostre vie, afin qu'elle soit plaisante à Dieu. Nous voyons donc quelle a esté l'intention de Iob: c'est assavoir, que son estude estoit de servir Dieu, et de cheminer avec ses prochains sans mal-faire, ou nuire à personne. Il est vrai qu'il met ici seulement deux especes, mais c'est voulant comprendre le tout. Car quand il dit, Qu'il n'y a point d'outrage ne d'excez en ses mains: cela emporte qu'il a vescu sans que personne eust occasion de se plaindre de lui, comme s'il lui avoit procuré ne mal ne dommage. Il est vrai que nous pourrons bien faire quelque tort et iniure sans que la violence apparoisse: mais d'autant que les hommes (s'ils s'addonnent à nuire) se iettent ainsi hors des gonds, et s'efforcent de tormenter l'un, de piller

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l'autre, de manger la substance d'autrui: voila pourquoi Iob notamment declare, qu'il n'y a point eu de rapines en ses mains. Autant en est-il du second mot: car le service de Dieu ne consiste pas seulement en l'exercice de le prier, mais pource que c'est le principal, sous ceste espece Iob à comprins le tout. Maintenant donc nous voyons comme nostre vie sera approuvee de Dieu: c'est assavoir, quand elle sera deuëment rapportee à sa Loi. Car Dieu ne veut point que les hommes vivent à leur guise, et qu'ils se plaisent en ceci ou en cela, selon qu'ils le trouveront bon et qu'ils en seront les iuges: mais il veut avoir toute authorité par dessus nous, et que nous soyons gouvernez selon sa parole. Ainsi donc pour ne point travailler en vain, apprenons de cheminer selon que Dieu le commande. Voila pour un Item. Il est vrai que ceci nous est monstre souventesfois: mais cependant nous voyons comme le monde tousiours s'esgare, et que les hommes se plaisent par trop en leurs phantasies. Ce n'est point donc sans cause que l'Escriture saincte tant souvent nous ramene là, que nous vivions, non point selon que bon nous semble, mais selon que Dieu nous a commandé. Et au reste, quand il est ici parlé du service de Dieu soubs ce mot d'Oraison, nous devons bien peser cela: car la plus part ne pense gueres de prier Dieu, et nous voyons comme le monde s'en acquite legerement. Toutes fois quand l'Escriture parle d'honorer Dieu, c'est le principal article qu'elle nous met au devant, que celui-là, de le prier. Et si ceci eust esté observé comme il devoit, la façon de prier eust esté beaucoup plus prisee des hommes, afin de ne point decliner ne çà ne là, mais suivre ce qui nous est monstré en l'Escriture saincte. Mais tout au contraire, il est advenu que les hommes en priant Dieu ont prins une telle licence, qu'il n'est point question de savoir ce qui est bon et utile de prier, ni en quelle sorte: mais chacun y va à l'estourdie, on ne vient point douement à Dieu. Et d'où vient ceste outrecuidance-la? Pource qu'il nous semble que la priere n'est point une chose de si grande estime. Car si nous la tenions pour le principal article du service de Dieu, il est certain que nous y procederions avec plus grand coeur beaucoup que nous ne faisons pas. Et puis nous voyons qu'au lieu de prier Dieu, on s'est adonné à prier les saincts trespassez: et le monde qui attribue à une creature ce qui est propre a Dieu, pense que cela ne soit que bon. Quand on demande aux Papistes, pourquoy ils appellent la Vierge Marie, Esperance de leur salut, pourquoy ils ont leur recours à elle, pourquoi ils auront chacun son sainct pour leur patron: si on leur remonstre que cela est un blaspheme contre Dieu, Ô il est bien difficile de le leur faire accroire. Et

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pourquoi ? Pource que iamais ils n'ont cognu ni gousté ce que l'Escriture saincte exprime tant soigneusement, c'est assavoir, que pour bien servir Dieu, il nous le faut prier. Voila le plus grand service et le plus honorable qu'il demande de nous: c'est le plus grand honneur, et le plus souverain qu'il requiert et approuve, assavoir que nous ayons nostre refuge à lui. Or si cela eust este considéré des Papistes, n'auroyent ils point horreur d'aller à une creature morte, et de dire' adore Dieu: ou bien le lui rend ce qui lui est deu ? Voici la priere qui est le principal service qu'il demande de nous, et cependant ils le vont transporter à une creature. Ne voila point mesmes pervertir l'ordre de nature?

Ainsi donc d'autant mieux nous faut-il bien noter ce qui est ici contenu, c'est assavoir, que sous ce mot d'Oraison Iob a voulu declarer qu'il avoit purement servi à Dieu. Et ainsi maintenant si les hommes veulent approuver leur integrité, qu'ils n'amenent point leurs fariboles en avant comme les hypocrites ont accoustumé de faire N'avons-nous pas ieusné? n'avons-nous pas fait ceci et cela? Mais cognoissons que nostre Seigneur veut que nostre vie soit reglee à sa Loi, et qu'il ait toute maistrise sur nous. Voila pour un Item. Au reste, nous avons aussi à noter, que nostre oraison ne sera iamais pure devant Dieu, ni agreable, sinon que nos mains soyent pures de toute violences. Et pourquoi? Si nous sommes cruels envers nos prochains, et mal-faisans, Dieu nous reprouve, et n'avons nul accez à lui. Vray est que beaucoup attentent de prier Dieu, encores qu'ils soyent pleins de rapines, et qu'ils ayent molesté l'un, tormenté l'autre, Ô ils ne laissent pas d'estre assez hardis pour cela d'invoquer Dieu: mais si est-ce que leurs prieres ne sont qu'abomination, d'autant que leurs mains sont souillees en sang, c'est à dire en malices. Et voila aussi pourquoi Dieu se plaint par son Prophete Isaie (1, 12), que les Iuifs venoyent user le pavé de son temple: et ainsi se mocquer d'eux, signifiant qu'il ne prenoit point cela a gré qu'ils vinssent au temple faisans semblant de le vouloir honorer: car (dit-il) vos mains sont pleines de sang, c'est à dire, vous n'avez cessé de nuire et mal-faire à vos prochains: or pensez-vous que ie vous donne maintenant accez à moy, ne que ie doive avoir nulle accointance avec vous? Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or Iob adiouste, Terre, ne cache point mon sang, et qu'il n'y ait point de lieu. à mes cris. On a mal exposé ce passage, Que la terre ne cache point le sang: car on a entendu, que Iob vouloit que ses miseres fussent cognues, d'autant qu'il estoit affligé d'une façon excessive. qu'il a requis que son sang

IOB CHAP. XVI.

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ne fust point caché, mais que la terre en criast vengeance. Mais à quel propos cela Il n'estoit point affligé des hommes. Et a-il voulu que la terre demandast vengeance contre Dieu? Et d'autre costé le texte apres le declare: et il faut bien qu'on ait les yeux fermez pour s'abuser à une chose si aisee. Car il y a ici deux poincts que Iob touche: l'un est, Terre, ne cache point mon sang: et puis, Qu'il n'y ait point de lieu à mes clameurs. Qu'entend-il, Qu'il n'y ait point de lieu à ses cris? C'est à dire, quand il aura bien travaillé à crier et à se tormenter, ce sera peine perdue, d'autant que Dieu le repousse: et quand il viendra aux hommes, qu'il n'y gaignera rien. Puis qu'ainsi est, nous pouvons aisément conclure, qu'en disant, Terre, ne cache point mon sang, il accorde, que s'il a mal fait, la chose viene en conte et en iugement, et que toute sa vie soit mise en avant, que son procez lui soit formé iusques au bout, et que Dieu le traitte selon qu'il l'a desservi. Et de fait ce mot de Sang en l'Escriture saincte se prend souventesfois pour tous crimes enormes. Seigneur, delivre moy de sang: au Pseaume 51 c'est à dire, Seigneur, delivre-moy des fautes mortelles que i'ay commises. Nous voyons donc que Iob appelle ici son sang, toutes les transgressions et les crimes qu'il pourroit avoir commis. Or c'est suivant son propos: car il avoit dit, Que ses mains estoyent pures de rapines Pour confirmation il adiouste, Qu'il est content, si Dieu le trouve coulpable en rien qui soit, que cela viene en clarté et en conte, que ses pechez ne soyent point en tenebres, mais que Dieu les produise: et quand tout sera bien examiné, s'il se trouve coulpable, que Dieu ne lui face nulle merci ne misericorde. Et puis il dit, Combien qu'il gemisse, et qu'il s'escrie, que toutes fois il ne profite rien, mais que tous ses cris sont perdus, qu'il semble que Dieu ait les aureilles bouchees. Nous voyons maintenant quelle est l'intention de Iob. Or ici nous avons à reduire en memoire ce qui a esté traitté par ci devant, c'est assavoir, que Iob est excessif, d'autant qu'il ne regarde point à la iustice souveraine de Dieu, laquelle est si parfaite et exquise, que nulles creatures n'y peuvent suffire, ie di mesmes les Anges, comme il a esté traitté ci dessus, car si Iob eust bien regardé à cela, c'estoit pour le retenir en crainte, qu'il n'eust iamais fait une telle protestation. Au reste, il nous doit aussi souvenir, que Iob ne se veut pas iustifier comme s'il estoit du tout innocent: mais il regarde pourquoi c'est que Dieu le punit, c'est assavoir, qu'il n'a point desservi cela, comme les hommes communement seront punis pour leurs meffaits. Dieu aussi avoit une autre consideration, c'est assavoir qu'il le vouloit constituer comme un miroir à tous, et qu'il vouloit examiner sa patience. Iob donc ne

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veut point ici declarer que sa vie soit du tout pure, que iamais il n'ait commis nul crime: mais il entend que Dieu ne le punit point d'une telle rigueur, comme s'il estoit un meschant, et qu'il eust mené une vie plus dissolue que les autres. Voila en somme ce que nous avons à retenir.

Mais quant à nous' cognoissons que si Dieu nous afflige, c'est pour nos pechez: et encores que nous eussions tesmoignage que nous avons desir de le servir et honorer, voire sans hypocrisie, neantmoins qu'il s'en faut beaucoup que nous en soyons purs comme nous devrions, mais qu'on nous trouvera redevables en cent mille sortes. Qu'un chacun donc regarde à soy de pres: et quand nous aurons cognu nos fautes, que nous sachions que Dieu en cognoit cent fois plus que nous. Car si nous en cognoissons quelques unes, Dieu n'a-il point une veuë plus aigue, comme dit S. Iean en sa canonique (1. Iean 3, 20)? Ainsi donc apprenons de nous humilier, et demandons à Dieu' qu'il lui plaise de cacher nos fautes. Car il nous faut revenir à ce qui est dit au Pseaume trentedeuxieme (v. 1): Bien-heureux est l'homme duquel le Seigneur a caché les pechez et auquel il ne ramentoit point les iniquitez. Si Dieu descouvre nos vices, il faut que nous perissions tous, ie di les plus parfaits. Voici donc le seul refuge de nostre salut, c'est que nous prions Dieu qu'il cache toutes nos transgressions, et qu'elles ne vienent point en conte devant lui: car cependant qu'il les voudra iuger, il faut que l'enfer nous soit appresté, et n'y a autre remede. Et au reste, que NOUS demandions à Dieu que nos cris soyent exaucez de luy, combien qu'ils n'en soyent pas dignes: car si Dieu attend de nous accorder nos requestes, iusques à ce que nous l'ayons servi en toute perfection, helas! que sera-ce? Car il n'y a celui qui ne se soit ferme la porte pour n'avoir nul accez a Dieu. Il faut donc que nos cris soyent receus, combien que nous ayons desservi d'estre reiettez. Mais tant y a que si devons-nous mettre peine d'estre paisibles envers nos prochains pour avoir Dieu propice, et le trouver tel envers nous comme nous desirons. Pourquoy? Il est escrit, Iugement sans misericorde à celui qui n'a point fait misericorde. Voila S. Iaques qui declare (2, 13), que Dieu nous traittera en rigueur, si nous n'avons pitié et compassion de nos prochains auiourd'huy. Où est la chose la plus espouvantable qui nous puisse advenir, sinon quand Dieu nous traitte en sa rigueur? Et au contraire, où est l'esperance que nous pouvons concevoir, sinon que Dieu use de sa bonté infinie, laquelle il declare' ne nous imputant point nos pechez? Et puis Salomon dit (Prov. 21, 13), Celui qui estoupe son aureille au cry du povre, il criera à son tour, et ne sera point exauce. Quand donc

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nos prochains seront affligez, et qu'ils demanderont nostre aide, et que cependant nous serons sourds, que nous les reietterons, et qui pis est, qu'encores les tormenterons nous: il faut bien que nous sentions ceste vengeance-la, que Dieu noua fera crier, voire qu'il nous mettra en confusion telle que nous ne saurons que devenir, et que cependant il ne nous escoute point. Advisons donc (comme i'ay desia touché) que pour avoir Dieu propice, nous ayons aussi compassion de ceux qui endurent quelque mal, voire pour leur subvenir: et gardons-nous de toute cruauté et excez, afin que ce qui est escrit ne s'accomplisse point sur nous, Qu'il nous soit rendu en pareille mesure que nous aurons fait à nos prochains. Voila en somme ce que nous avons à noter de ce passage.

Or il s'ensuit puis apres: Aussi maintenant voici mon tesmoin au ciel, et celuy qui me pleige est aux lieux tres-hauts. Mes amis sont rhetoriqueurs contre moy: et mes yeux distillent larmes envers Dieu. Ici Iob appelle devant Dieu, comme celuy qui est seul Iuge suffisant, pource qu'il estoit condamné à tort par les hommes. Or il ne doute point d'appeler devant Dieu, sachant bien que sa cause est bonne. Vray est (comme desia nous avons dit) qu'il la deduit mal: mais en ce faisant, si est-ce qu'il avoit iuste cause de maintenir son integrité. Voila donc pourquoy il ne craint point d'appeller devant Dieu pource qu'il voit que les hommes le persecutent iniustement. Mais regardons quel a este Iob, afin que nous n'usions point d'une telle hardiesse à la volee, comme la plus part en font. Quand il est question d'appeller Dieu en tesmoin, ie vous prie, qui est-ce qui en fait difficulté, ni scrupule? Le monde est auiourd'huy plein de pariures, et n'y a point de foy. Et d'où vient cela? C'est d'autant que nous n'avons nulle apprehension du iugement de Dieu, nous venons heurter contre son siege ainsi que des bestes sauvages. Car qu'est-ce qu'un pariure? C'est un despitement de Dieu comme s'il n'avoit puissance ni authorité pour nous punir: nous ne pouvons pas nier qu'ainsi ne soit, quand nous appellons Dieu pour nostre tesmoin, et pour nostre iuge. Celuy donc qui iure faussement celuy-la se mocque pleinement de la maiesté de Dieu: et si voit on neantmoins que les hommes ne s'en soucient pas beaucoup. En cela donc on apperçoit que nous portons peu de reverence à la maiesté de Dieu. Et d'autant plus devons-nous bien observer ce que i'ay dit, c'est assavoir, qu'il ne nous faut point estre trop hardis quand nous faisons une protestation devant Dieu, et que nous l'appellons en tesmoin: mais que nous venions là comme estans prests de rendre conte devant luy. Et Iob s'y est bien ainsi adiourné: comme nous avons desia veu cy devant, et que

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nous verrons encores plus à plein. Auioud'huy si un homme est accusé d'un crime, encores qu'il en soit redargué, et mesmes qu'il en soit tout convaincu, il ne fera point de conscience de dire, Dieu m'est tesmoin qu'on me fait tort, on m'accuse mal. Et comment: Que le nom de Dieu trotte ainsi? Les hypocrites aussi quand ils se voudront magnifier, ils diront tousiours, Dieu me cognoist, il sait qui ie suis, ie luy remets ma cause. Et comment ceci? Pensons-nous que si Dieu dissimule, quand on l'appelle ainsi on tesmoin, comme à fausses enseignes, et qu'il ne punisse pas du premier coup ceux qui se seront ainsi mocquez de luy, qu'en la fin il ne monstre pas ce qu'il a declaré en sa Loy, c'est assavoir, qu'il ne souffrira point que son nom sait ainsi prins en vain, qu'il ne se venge de l'iniure qu'on lui aura faite, quand on l'aura traitté avec si grand opprobre, que de se mocquer ainsi de sa maisté? Notons bien donc toutes fois et quantes que nous devons venir à Dieu, qu'il faut bien que nous ayons examiné nostre vie à l'exemple de Iob, et qu'il n'y ait pas ici une temerité pour nous ingerer, pour dire, Dieu m'est tesmoin: mais que nous ayons bien espluché nos consciences, et que Dieu nous responde là dedans, qu'il nous approuve. Voila pour un Item.

Or cependant nous avons aussi à noter, que quand tout le monde nous rendra tesmoignage: ce ne sera rien, iusques à ce que Dieu nous approuve. Et par cela, nous sommes admonnestez de ne point ordonner nostre vie à quelque belle apparence: comme nous voyons que le monde tousiours n'a que l'ambition. Si les hommes nous applaudissent et que nous soyons en bonne estime devant eux, ii nous suffit, et voudrions que Dieu s'en contentast aussi. Voire, mais il n'est point semblable aux hommes mortels, comme l'Escriture saincte le remonstre. Et pourquoi? Nous voyons ce qui apparoist, mais Dieu sonde ce qui est caché au dedans, il regarde la verité et droiture, comme il en parle par son Prophete Ieremie (5, 3), ainsi que l'autre passage est en Samuel (1. Sam. 16, 7). Puis qu'ainsi est donc apprenons qu'il ne nous faut point seulement avoir nos mains pures, et nos yeux, et nos iambes, qu'il ne faut point que nous pensions avoir beaucoup fait, quand nos pechez ne seront point manifestes. Et pourquoi? Le principal est, que nous ayons nostre tesmoin au ciel, c'est à dire que Dieu nous approuve, comme desia i'ai declaré. Et quelle approbation aurons-nous de Dieu? C'est assavoir si nous avons cheminé en pureté de coeur, qu'il n'y ait point eu de feintise en nous, et qu'il n y ait point en seulement quelque apparence, pour dire, qu'on ne nous puisse reprocher ne ceci ne cela: mais que nous ayons eu une affection droite, que nous ayons continué en bien, que nous ayons

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demandé de nous gouverner, comme si Dieu notoit non seulement toutes nos oeuvres, mais nos pensees aussi. Voila encores ce que nous avons à retenir de ce passage.

Voici donc (dit Iob) mesmes maintenant mon tesmoin est au ciel. Or sous ce mot de mesmes ou Aussi, il comprend, qu'il pourroit bien alleguer 108 hommes, mais qu'il passe plus outre, c'est assavoir qu'il vient iusques à Dieu. Et ceci doit estre pesé. Car les hypocrites quand ils appellent Dieu en tesmoin, ils n'oseroyent pas se submettre à la cognoissance des hommes. S'il y a un meschant, qu'on cognoist tel notoirement, moyennant qu'il ne soit point mis en prison, qu'on ne le traine point au gibet, il se glorifiera iusques au bout: et toutes fois chacun le condamnera, mesmes au lieu d'avoir trois ou quatre iuges' il en aura cent, il en aura mille. Car un chacun dira, Voila un meschant, voila un larron, voila un meurtrier, voila un homme plein de rapines, un blasphemateur, un contempteur de Dieu. Or cependant si est-ce que telles gens sont si impudens, qu'ils ne feront nul scrupule d'appeller Dieu en tesmoin de leur preud'hommie, et declarer qu'il les cognoist, et qu'ils sont prests de respondre devant lui: et s'il est question de venir à la cognoissance des hommes (comme i'ai desia touché) il y aura mille voix pour les condamner. Et comment donc oseront-ils se presenter à Dieu? Pource qu'ils n'apprehendent pas sa maiesté. Voila pourquoi nous devons bien peser ce mot, Mesmes, dit Iob: car il presuppose qu'il pourra appeler les hommes en tesmoins, et qu'un chacun testifiera pour lui, qu'ils s'est porté en sorte qu'il a este l'oeil aux aveugles, qu'il a esté le tuteur des orphelins, qu'il a este le protecteur des vefves, qu'il a servi de iambes aux boiteux, que sa main n'a iamais esté close aux povres: comme nous verrons qu'il en fait ci apres les protestations. Car Iob avoit ainsi cheminé devant les hommes: toutes fois il dit, que mesmes il pourra venir à Dieu, qui est chose plus grande. Aussi nous voyons comme il magnifie ici le tesmoignage du ciel. Or par cela il est bien à penser qu'il ne s'est pas ietté à la volee pour se iustifier avec une licence desbridee, ainsi que font ces moqueurs qui protestent de bouche que Dieu les cognoist, et cependant leur vie est si vilaine que l'air en put, mesmes les petis enfans en savent à parler. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage.

Apres il adiouste que ses amis sont rhetoriqueurs contre lui, et que cependant ses yeux distillent larmes envers Dieu. Ici Iob monstre pourquoi il est contraint de se remettre au iugement de Dieu, c'est assavoir, qu'il ne trouve nulle raison ni equité envers les hommes. Or ce nous est une tentation bien grande quand nous sommes affligez, et que le

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monde estime que nous sommes reprouvez de Dieu: car le diable le de ceste astuce-là, afin de nous mettre on desespoir. Voila un povre homme qui sera batu des verges de Dieu: or le mal qu'il endure lui est desia assez pesant: sur cela si on vient encores lui ietter double fardeau sur le dos, et qu'on lui reproche qu'il appert bien qu'il est du tout reprouve de Dieu, voila pour l'accabler. Car ie ne parle point de ces meschans obstinez que Dieu afflige pour leurs pechez: mais ie parle ici de ceux qui auront cheminé droitement, et neantmoins Dieu ne laisse pas encores de les affliger: il est vrai qu'ils l'ont bien merite, mais il n'a point du tout regard à cela: il veut ancunesfois les mortifier pour l'advenir: pour e qu'ils ne sont point encores assez domtez, il faut qu'il retranche toutes les mauvaises affections qui sont en eux: et puis il leur veut apprendre qu'il est necessaire de l'invoquer, et de mettre toute leur fiance en lui' il veut aussi declarer leur patience. Voila donc une bonne personne qui tendra à Dieu, qui aura cheminé en simplicité: cependant elle aura des afflictions grandes. Est-ce à dire pourtant que Dieu le recognoisse estre plus grand pecheur que les autres? Et cependant si on lui vient mettre cela en avant, c'est bien pour le ietter en desespoir. Ainsi a-on fait à Iob.

Notons bien donc que ceste tentation est fort dure et pesante: et pourtant que nous advisions de recourir au remede dont nous devons user, c'est assavoir que nous nous presentions devant Dieu, sans nous attacher par trop aux hommes, comme desia Iob a traitté ci dessus. Mes amis (dit-il) sont rhetoriqueurs contre moi. Il signifie que ceux qui le devoyent consoler, et appaiser sa douleur en partie, eux-mesmes ont prins plaisir à se moquer de lui: car ceste rhetorique dont il parle, n'est sinon qu'ils ont affilé leurs langues pour se moquer de lui, pour le tormenter, et pour le rendre là confus. Ceci est advenu à Iob, afin qu'il nous fust en exemple. Ainsi donc quand il plaira à Dieu de nous affliger, si le monde iuge mal de nous, et que plusieurs prenent occasion de nous condamner, comme si iamais nous n'avions eu affection droite: prenons le tout en patience, sachans que c'est une partie de nostre croix quand nostre Seigneur suscite ainsi les hommes, et que Satan machine de nous ruiner: mais qu'il faut que nous remedions à un tel mal, comme Iob nous le declare. Et comment? Que nos yeux decoulent larmes à Dieu. Et pourquoi? Nous verrons que les hommes nous vienent ainsi fascher: et pourtant nous voudrons nous rebecquer contr'eux pour les repousser. Et comment? O on me fait grand tort, voila une grande cruauté de me traitter en telle sorte. Il est vrai ,que nous pourrons bien faire une telle protestation: mais

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il ne nous y faudroit point arrester par trop, cela devroit estre comme en passant: et encores il se devroit faire à autre fin, c'est assavoir que nous soyons marris qu'on prenne scandale en nos personnes. Voila, si on iuge mal de moi, si est-ce que i'ai tasché de servir à Dieu: que nous parlions donc ainsi, afin que nous ne soyons point en mauvais exemple. Mais si faut-il encores que cela coule legerement: car nous ne pensons point au iugement de Dieu, et n'entrons pas en nos consciences, cependant que nous plaidons ainsi avec les hommes. Nous voyons ce vice-là par trop commun. Retenons donc ceste leçon qui nous est ici monstree, c'est que nos yeux decoulent larmes devant Dieu. Et comment? Que nous iettions les yeux: en haut. Car voyons-nous que les hommes nous sont si malins, que nous ne puissions tirer nulle raison d'eux, combien qu'il leur soit aisé de iuger de nostre vie, et que nous n'avons rien commis pourquoy ils nous deussent ainsi condamner? Apprenons de recourir à Dieu, et contentons-nous de l'avoir pour nostre garent. Voila donc où c'est que Iob nous mene, quand nous suivrons deuëment son exemple. Et par cela aussi nous est monstre tant plus clairement pourquoy il a fait les protestations que nous avons veu n'agueres. Ainsi en ce passage il se complaint, d'autant qu'il estoit condamné des hommes à tort.

Or venons maintenant plus outre. Il demande qu'il luy fust licite de plaider avec Dieu, comme à u,' homme mortel avec son pareil: mais (dit-il) les iours brefs viennent, et le chemin par lequel ie ne retourneray point. Quand Iob desire, qu'il luy fust licite de plaider avec Dieu, c'est suivant ce que nous avons desia veu par ci devant: car il monstre par cela qu'il se despite, d'autant que le mal lui estoit si grief à porter qu'il n'en pouvoit plus. Or en cela il y a de la faute: il ne faut pas que nous excusions Iob en tout et par tout: mais regardons à ce que nous avons dit, c'est assavoir, qu'ayant une bonne cause il se transporte, et est trop excessif. Et pourquoy cela? Car s'il eust cognu ses transgressions, et les fautes qu'il avoit commises, il se fust paisiblement assubiecti à la volonté de Dieu, et ne fust plus entré en procez, ni en querelle. Il a declaré ci dessus, qu'il savoit bien que les Anges n'estoyent pas purs devant Dieu: et qu'il y avoit une iustice si parfaite en Dieu, qu'il faut que tout ce que les creatures peuvent amener soit aneanti: que si la clarté du soleil obscurcit les estoilles, il faut bien encore par plus forte raison que la iustice de Dieu engloutisse tout ce que nous cuidons avoir. Iob donc a ainsi parlé: et s'il eust retenu ceste apprehension-la, il ne se fust pas ainsi desbordé disant, le voudroye qu'il me fust licite de plaider avec Dieu. Mais (comme desia nous

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avons touché) encores que ceste doctrine lui soit cognue, si est-ce que sa passion est si vehemente, qu'il s'oublie. Et par cela nous sommes admonnestez de cognoistre tellement ce que nous lisons en l'Escriture saincte, que nous sachions brider nos passions quand nous serons tentez ou d'impatience, ou d'autre vice: et que ce que nous aurons cognu de la parole de Dieu nous soit suffisant pour nous retirer de ce trouble qui s'esleve ainsi contre nous. Voila S. Paul qui dit (2. Cor. 10, 5), que la vertu de l'Evangile est de captiver tout ce qui s'esleve à l'encontre de Dieu. Voila nos sens, voila nos affections charnelles qui s'eslevent contre Dieu, et lui font la guerre. Que faut-il ? Il faut que cela soit tenu captif, c'est à dire, que par force nous dontions ce que nous trouvons en nous et en nostre nature estre contraire à Dieu, et à sa doctrine Voila donc une vraye constance en laquelle il nous faut continuer. Quand donc il sera question de disputer de ceci ou de cela: mesmes quand nous serons venus aux combats, que nous demeurions là humiliez comme povres brebis: que nous venions tousiours à ceste conclusion, Or Dieu est mon Iuge, et il n'y a que redire en lui: encores que i'auroye licence de plaider, si est-ce que ma cause est perdue, car ie ne lui pourrai point amener un mot qu'il n'en ait mille à l'encontre. Voila donc comme nous avons à glorifier Dieu sans contester contre lui, encores qu'il nous fust licite d'entrer en procez.

Et voila pourquoy aussi nostre Seigneur quelquesfois pour rendre les hommes plus convaincus, leur dit, Or çà plaidons: comme il le fait par son Prophete Isaie sur tout (Isaie 1, 18). Or ie veux entrer en plaidoyer (dit-il) que nous ayons un iuge ou arbitre, et qu'on cognoisse qui a tort, ou droit: dequoy est-ce que vous me pouvez accuser? Quel mal vous ai-ie fait? Et au contraire ie vous accuse en tel poinct et en tel. Or il est certain qu'il n'y a point de iuge entre Dieu et nous. Et pourquoy est-ce qu'il use de ceste façon de parler? Il se demet de sa maiesté et hautesse, et monstre que quand il seroit une creature, et qu'il y auroit quelque moyenneur, que lui fust là, pour recevoir sentence d'autruy, encores ne pourroit-on iamais venir à bout de ce qu'il mettra en avant. Nous voyons donc comme Dieu use de ceste forme de parler, comme s'il estoit homme mortel, ou qu'il eust vestu nostre personne: afin de nous declarer que nous ne serons pas affligez de lui par tyrannie, qu'il n'y va point d'une puissance absolue: comme ces theologiens de la Papauté ont imaginé ceste doctrine diabolique. Dieu donc n'usera point ici d'une puissance absoluë, c'est à dire, desreglee, qu'ils appellent, et qui soit separee de sa iustice: mais il usera de toute droiture, tellement qu'il faut

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que toute bouche soit close devant lui. L'avons-nous condamné? Si est-ce qu'il sera iustifié en iugeant, comme il est dit au Pseaume 51. Il est vrai que nous aurons des iugemens faux et iniques, nous ferons beaucoup de disputes à l'encontre: mais Dieu e la fin sera iustifié, voire à nostre confusion. Que reste-il donc? Que nous soyons humbles et modestes pour cognoistre que tous les iugemens de Dieu sont iustes, encores qu'il nous semble du contraire. Et au reste, que nous ne demandions point de diminuer en rien sa maiesté que nous ne disions point, Et ie voudroye que Dieu fust comme un homme mortel, que i'eusse affaire à mon pareil: mais que la maiesté de Dieu soit reservé en son entier: car est-ce à nous de l'aneantir? Et si nous attentons cela, ne voila point un blaspheme execrable? Vrai est que l'intention de Iob n'a pas este de blasphemer, et s'il eust eu ce propos tout conclu, Satan l'avoit pleinement transporté: mais (comme nous avons dit) il declare sa passion' à laquelle il ne consentoit point. Iob donc a eu ce premier mouvement-la, et puis il l'a

retranché. Et ainsi quand il nous viendra en phantasie de nous eslever contre Dieu, pource qu'il nous semble que sa force est trop pesante sur nous, que nous tournions bride incontinent pour moderer ces meschantes affections-là, et pour cognoistre que Dieu a iuste occasion de nous punir cent fois plus rudement quand il lui plairoit. Voila donc comme il faut que les hommes s'humilient cognoissans que Dieu est Iuge souverain par dessus eux: cependant qu'ils ne laissent pas d'apprehender sa misericorde, sachans que puis qu'il est la fontaine de toute bonté, que sa maiesté ne nous sera point tellement espouvantable, qu'il ne nous regarde en pitié, qu'il ne cognoisse nos infirmitez pour les supporter. Comme de fait nous cognoissons qu'il nous a donne de cela un bon gage, et une bonne asseurance en nostre Seigneur Iesus Christ, le constituant nostre Iuge, afin que nous trouvions merci envers lui, comme envers celui qui se monstre nostre Redempteur et Advocat.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE SOIXANTECINQUIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XVII. CHAPITRE.

ce sermon est encores sur le dernier verset du chapitre 16 puis sur le texte qui s'ensuit.

1. Mon esprit est affadi, mes iours sont compassez, sepulchres sur moy. 2. Il y a gaudisseurs avec moi, et mon oeil demeure en leurs amertumes. 3. le te prie mets gage, donne pleige pour toy: qui est celui qui touchera en ma main ? 4. D'autant que tu as caché leur coeur, pour n'avoir point d'intelligence, tu ne les exalteras point. 5. Assavoir ceux qui annoncent flaterie pour leurs amis, les yeux de leurs fils defaudront.

ipres que Iob a protesté (comme nous vismes hier) de son innocence, il adiouste que cela ne luy profite rien, et qu'il se voit comme desesperé. le vay (dit-il) passer par le sentier auquel ie ne retourneray iamais. Et mesmes il adiouste une plainte de la brefveté de ceste vie, voire exprimant par cela que Dieu devroit traitter les hommes avec moindre rigueur, puis qu'ils ne font que passer par la terre. Et puis il conferme son propos derechef, disant, Que son esprit est affadi, ou que son haleine

est toute consumee, qu'il n'a plus de vigueur en soy, tellement qu'il ne luy reste que des sepulchres: de quelque part qu'il se tourne, qu'il voit la mort presente, et qu'il en est assiegé de tous costez, et ne peut eschapper les sepulchres qui luy sont appareillez. Voila en somme ce que Iob entend. Or il est vrai que selon son sens naturel, il ne pouvoit comprendre, sinon que Dieu le vouloit abolir du tout: mais il pouvoit aussi regarder plus haut: comme nous savons qu'au milieu de la mort les fideles doivent apprehender la vie, et se doivent tellement resiouir en leurs tristesses, qu'ils ne doutent point que Dieu n'y donne bonne issue. Qui plus est, non seulement Dieu nous donne dequoi nous resiouir en nos afflictions, mais aussi dequoi nous glorifier et faire nos triomphes, sachant que cela nous tournera à salut. Iob donc ne parle point ici du tout en homme fidele: voire, mais (comme desia nous avons dit) il exprime ses passions, comme chacun de nous experimente en soy,

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que combien qu'il s'appuye sur les promesses de Dieu, et s'y console, neantmoins il ne laissera point d'estre fasché et troublé en soy. Nous ne surmonterons pas du premier coup les tentations: mais il nous faut batailler avec grand' violence et difficulté. Quand nous aurons un tel combat, nous pourrons bien dire comme Iob, Que nous ne voyons que le sepulchre, que nostre esprit est defailli, que nostre vigueur est retranchee, qu'il n'y a plus de remede. Nous pourrons donc parler ainsi: voire selon ce qui se monstre: mais apres que nous aurons apperceu nos maux, et les aurons senti, il nous faut eslever plus haut à Dieu, et ne douter point qu'il ne nous delivre, mesmes qu'il ne face tourner a nostre profit ce qui nous semble nous estre mal. Voila donc en somme comme nous avons à prattiquer ce passage: c'est en premier lieu, quand chacun de nous sera en telle destresse qu'il ne saura plus que dire, et ne verra nulle issue en son cas: et bien, ne soyons point pourtant estonnez, encores que selon la chair nous apprehendions la mort, qu'il nous semble que Dieu nous ait delaissez, et qu'il ne nous vueille plus secourir. Et pourquoy? Nous voyons que Iob est venu en une telle angoisse, et toutes fois il n'a pas laissé de conclure que Dieu auroit pitié de lui en la fin apres avoir bien combatu, et n'a point douté de la victoire. Voila donc comme nostre debilité ne nous doit pas estre matiere de desconfort: mais apres que nous aurons senti tels empeschemens, que nous regardions à Dieu: Et bien, il est vrai qu'il nous faut ici passer par le sentier auquel iamais on ne retourne, ouy selon le cours de nature: voire, mais Dieu n'a-il pas promis aux siens de leur tenir la main au milieu de la mort ? Ainsi donc marchons hardiment. Et au reste, n'avons-nous pas Iesus Christ pour conducteur ? Allons à la mort, ne savon-nous pas que c'est une entree pour parvenir à la gloire des cieux? quand la resurrection a esté coniointe à la mort du Fils de Dieu, n'a-ce pas esté aussi bien afin que nous soyons certifiez que Dieu ne permettra point que nous demeurions en pourriture? Ne savons-nous pas, que ce qui est escrit au Pseaume 16 (v. 10) a esté accompli en lui, que Dieu l'a preservé de corruption, afin que nous en soyons aflfranchis et retirez à la longue? Nous devons donc batailler contre les frayeurs de la mort, ayans les promesses de Dieu, ayans aussi une telle certitude comme nous l'avons en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ. Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Cependant aussi nous sommes admonnestez de la fragilité de nostre vie. Mon espit est affadi, dit Iob. Et de fait, qu'est-ce que de toute la

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vigueur des hommes? Il n'y a qu'un souffle. Et puis, que nostre vie soit tant longue qu'on voudra: encores n'est-ce qu'un petit passage. Ce sont donc des annees de petit nombre, quant au cours de la vie humaine: toute la vigueur que nous y avons, n'est qu'une chose tant fade que cela s'escoule. Puis qu'ainsi est, apprenons de ne nous point ici endormir, cognoissans que Dieu nous monstre combien nous sommes fragiles au monde, qu'il nous donne occasion de penser à lui, et de cercher la vie celeste, et de ne nous point tormenter outre mesure, quand nous voyons que nostre vie s'en va on decadence, que petit à petit elle defaut. Que donc nous ne soyons point faschez de cela. Et pourquoy? Dieu si tost qu'il nous met au monde, nous declare qu'il n'y a que pour y passer viste, et comme pour y faire un tour. Faut-il donc que nous soyons ici appuyez, comme s'il sembloit que nostre vie fust si robuste, et qu'il n'y eust que redire? C'est ce que nous avons encores à retenir en ce passage. Il y a , à noter aussi sous le mot de Sepulchres, que nous sommes non seulement assiegez d'une espece de mort, mais de plusieurs. Nous avons une vie seule, ouy qui est bien caduque, elle consiste en un souffle qui n'est rien. Or maintenant si nous regardons de pres à nous, il y a une centaine de morts qui nous environnent. Et voila pourquoy Iob a usé du nombre pluriel en parlant de Sepulchres. C'estoit bien assez de dire Le sepulchre m'est appresté, ou, ie ne le puis fuir mais il dit, Sepulchres pour moy. Et faut-il plus d'une fosse à un homme? Nenni. Mais Iob signifie que quand il auroit peu sortir d'une mort, il y en a une seconde qui l'attend, une troisieme, bref, qu'il faut qu'il perisse, encores qu'il ait surmonté beaucoup de dangers. Vray est que nous ne venons pas tous en telles extremitez que Iob: mais si est-ce qu'il n'y a celui qui ne se trouve en tel estat, c'est assavoir, que nous n'avons qu'une vie entre beaucoup de morts qui nous sont apprestees Que faut-il donc? Que nous apprenions d'invoquer Dieu, et lui remettre nostre esprit entre ses mains, afin que nous soyons asseurez. Quand donc il plaira à Dieu d'estre gardien de nostre vie, marchons nostre train, sans estre en trop grand souci. Et au reste, quand il y aura mille morts pour nous abysmer, Dieu est assez puissant pour nous en retirer, comme il est dit au Pseaume (68, 21), Que c'est à lui, à qui appartiennent les issues de mort, c'est à dire, qu'il a les moyens de nous en affranchir, voire combien qu'ils nous soyent incomprehensibles. Cependant neantmoins que nous soyons advertis de tousiours nous apprester pour sortir du monde, que nous ne soyons point trop adonnez à estre ici bas: car qu'y gaignerons-nous? Ainsi donc que nous ayons tousiours un pié levé,

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comme si nous devions entrer au sepulchre, et que nous y allions franchement, faisant ceste conclusion, Que ce n'est point pour y demeurer à tousiours: que nostre Seigneur nous a declaré en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ, qu'il ne veut point que nous perissions en la mort, ne que nous y pourrissions.

Or passons plus outre. Il est dit, Pour vrai, ce sont gaudisseurs avec moi, et mon oeil demeure en leurs amertumes. Ici Iob se complaint de ceux qui estoient venus pour le consoler, et ne faisoient que l'affliger tant plus. Il les appelle gaudisseurs qui se mocquent de l'affligé, d'autant qu'ils n'y vienent pas avec compassion et humanité pour iuger de son affliction comme ils devoyent: et ainsi il adiouste qu'ils ne lui peuvent amener que fascherie pour l'aigrir d'avantage, et que son oeil demeure au mal qu'ils lui ont procuré, et en amertume. Or par ceci nous sommes advertis, que pour bien consoler les affligez et tristes, il ne faut pas que nous apportions un courage inhumain comme d'acier ou de fer: mais que nous soyons pitoyables. Il ne faut point donc qu'un homme pense estre iamais propre pour consoler ceux qui sont en trouble et en fascherie, sinon qu'il se reveste de leurs passions, c'est à dire, qu'il se mette là comme en leur lieu. Il est vray, car ceux qui sont les plus vaillans (ce semblera) pour consoler les povres gens qui sont en destresse, n'auront nulle pitié, s'ils vienent là avec une langue, une rhetorique excellente. Ils disputeront bien des choses: mais le tout sera sans propos. Car il est impossible que nous usions de doctrine qui soit propre pour adoucir les maux de nos prochains, que nous ne les sentions en nous, et que nous n'en soyons touchez. Notons bien donc sur ce mot de Gaudisseurs, que tous ceux qui sont inhumains, ne peuvent nullement consoler ceux qui sont troublez de fascherie. Voila pour un Item. Au reste, quand nous aurons cognu qu'il faut que nous soyons pitoyables envers ceux qui endurent quelque misere, retenons ce qui est dit au Pseaume (41, 2), Bien-heureux est l'homme qui est entendu sur le povre: Dieu le delivrera au iour de son affliction.. Car c'est pour signifier, qu'il faut que nous ayons une prudence singuliere pour bien iuger des afflictions de nos prochains, et que nous ensuivions ceste dexterité que Dieu nous monstre, et qu'il nous la donne. Car sans cela nous irons tout à l'opposite: et si un homme est affligé, nous lui tiendrons quelques propos à la traverse sans discretion aucune. Il faut donc que Dieu nous donne intelligence pour bien iuger des afflictions d'autrui. Et là dessus, quand nous viendrons pour consoler ceux qui endurent quelque mal, voire mesmes pour leur monstrer leurs fautes, que nous n'y venions point avec une aigreur, pour leur mettre comme le

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pie sur la gorge quand ils seront tombez, mais que plustost nous ayons ceste affection et desir de les relever: mais sur tout nous avons à requerir Dieu, qu'il nous donne l'esprit d'intelligence, comme i'ay dit. Et au reste, cela se doit prattiquer plus avant: c'est assavoir, quand chacun de nous sera en quelque trouble, qu'il regarde d'appliquer l'Escriture saincte à tel usage; qu'il en puisse estre consolé. Pourquoy? Nous sommes marris quand on nous viendra picquer, et qu'estans en affliction on nous viendra encore ietter comme un comble d'avantage: nous dirons bien que c'est une grande cruauté, et qu'il n'y a nulle rondeur ni droiture aux hommes, quand ils nous traittent ainsi: mais cependant chacun de nous fera le semblable envers soy-mesme. Et comment? Si ie suis en quelque tristesse, quand ie prendrai l'Escriture saincte pour me consoler, ie n'advise point à prendre les passages pour ce faire: mais plustost quand i'y trouverai quelque menace, ie m'enflamme, et ma fascherie s'augmente de plus en plus, au lieu que l'Escriture me devroit faire sentir quelque goust de la bonté de Dieu pour me resiouyr en lui, et adoucir toutes mes tristesses. Voila donc comme nous sommes mal advisez, d'autant que nous ne pouvons pas avoir prudence pour nous consoler comme nous devrions, et comme Dieu nous monstre qu'il veut qu'on le face. Et ainsi, non seulement que nous ayons compassion et pitié de nos prochains quand ils seront affligez, mais qu'un chacun aussi regarde a soy, pour se bien consoler et alleger de tous ses maux, quand il se trouvera en telle extremité.

Or il s'ensuit, que Iob demande à Dieu, Qu'il mette gage, et qu'il donne pleige, ou respondant. Qui sera (dit-il) celui qui touchera en ma main? Il retourne a ce propos qui fut hier declaré, qu'il voudroit bien plaider contre Dieu, voire plaider tout ainsi qu'à son compagnon, et à son pareil. Car pourquoy demande-il gage ? Pourquoy demande-il respondant, ou fiance? C'est qu'il veut que Dieu se demette de sa maiesté: comme s'il disoit, Il est vrai que cependant que tu demeureras en ta grandeur, ie n'ose pas venir pour disputer contre toy, tu es tout-puissant pour me confondre: mais que tu me donnes congé que ie puisse parler avec toi, et que tu mettes ici gage, que tu t'obliges, que tu passes condamnation, que tu te submettes à la iurisdiction d'un iuge: comme si un homme n'estant point habitant d'un lieu, eslisoit domicile, et baillast respondant. Voila donc ce que Iob entend quand il dit, Que est-ce qui touchera en ma main ? C'est à dire, qui est-ce qui viendra ici pour respondre? Car on usoit de ceste ceremonie, comme maintenant on touchera le papier, ou en la main d'un iuge, ou d'un notaire. Ainsi de ce temps-la les parties touchoient en la main l'un de

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l'autre, pour donner la foy, et pour s'obliger. Voila donc l'intention de Iob, mais assavoir, si ce desir est à excuser, quand il a demandé à Dieu qu'il peust plaider contre lui? Il est bien certain que non. Car nous n'avons rien plus desirable (comme il fut hier touché en passant) que de venir devant Dieu, et qu'il soit nostre iuge, voire pour nous traitter à sa façon. Vray est que s'il desploye sa rigueur contre nous, il faut que nous demeurions confus: mal-heur sur les povres creatures qui viendront pour estre iugees en rigueur et sans misericorde. Mais d'autant que Dieu nous aime, pour nous recevoir par la remission de nos pechez qu'il nous offre, et qu'en nostre Seigneur Iesus Christ il declare qu'il a esté reconcilié avec nous, et prononce tous ceux ausquels les pechez sont pardonnez estre bien-heureux: quand nous oyons ces proposlà, pouvons-nous souhaiter meilleure condition, que de venir devant la face de celui qui abolit nos fautes, et qui les iette derriere son dos, et au profond de la mer, comme il en est parlé ? Et mesmes voila nostre Seigneur Iesus Christ, auquel est donnee toute puissance de iuger, qui est pour maintenir nostre cause, il est nostre advocat. Ne pensons-nous point qu'il doive faire valoir la mort qu'il a enduree tant amere pour nous? Ainsi donc, si les hommes estoyent advisez comme ils devroyent, il n'y auroit rien plus à souhaiter, que d'estre iugez de Dieu, voire moyennant qu'ils puissent avoir leur refuge à sa misericorde, et qu'ils se rendent entre les mains de nostre Seigneur Iesus Christ, qui ne veut point nous iuger à nostre condamnation, mais plustost afin de nous absoudre. Et pourquoy? Car nous pouvons dire alors avec sainct Paul (Rom. 8 32), Qui est celui qui nous condamnera ? Dieu est celui qui nous iustifie. Qui est-ce qui nous accusera, puis que Iesus Christ est l'advocat qui defend nostre cause, et celui aussi qui respond pour nous devant Dieu son Pere? Maintenant craindrons-nous d'estre ni accusez ni condamnez? Mais quoy? Iob a ici declaré comme il s'est trouvé agité en ses passions et tormens: et par cela nous sommes instruits de reprimer nostre malice. Pourquoy ? Car nous voyons quels sont les excez de nostre nature Si nous laschons la bride à nos affections, où est-ce qu'il nous en faudra venir? Iob demande de plaider contre Dieu. Helas! Et pourra-il gaigner sa cause? Mais il demande d'estre abysmé. Autant en ferons-nous, si ce n'est que Dieu nous reprime, et qu'il nous face la grace de pouvoir domter nos passions. Notons bien donc en premier lieu, que quand les hommes se laisseront transporter par leurs affections charnelles ils se desborderont iusques-là et s'endurciront tellement, qu'ils ne feront nulle difficulté de se venir ruer coutre Dieu: et c'est une

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chose horrible. Car il n'y a celui de nous qui n'ait horreur de s'eslever ainsi contre Dieu: et toutes fois nous le faisons, et ce nous est comme un vice ordinaire. Que faut-il là dessus? Apprenons de brider nos affections, veu qu'elles sont si furieuses, veu qu'elles nous arment à l'encontre de Dieu. Car cest exemple nous est proposé, afin qu'un chacun mette peine de les reprimer, entant qu'en luy sera. Voila pour un Item.

Et au reste, que nous ne demandions point d'amoindrir la maiesté de Dieu, pour nous alleger: car si sa main est trop forte et trop pesante sur nous quand il nous afflige, cognoissons que nous sommes soustenus par lui d'une puissance encores plus vertueuse. Quand nostre Seigneur nous visite, et qu'il nous envoye quelque affliction, et bien, alors nous pouvons dire, Voila un fardeau qui m'est excessif à porter, ie n'en puis plus. Mais quand nous voyons que nous sommes si foibles, regardons un peu comme nous subsistons une seule minute de temps ? Comment pouvons-nous resister ? Est-ce de nostre vertu ? Est-ce que nous puissions soustenir les coups quand Dieu frappe sur nous, et que nous puissions supporter sa force ? Nenni. Mais quand il frappera sur nous, il a sa main pour nous soustenir: et sans cela il est certain que nous serions à chacun coup aneantis: il ne faudroit sinon que Dieu nous donnast une chiquenaude (comme on dit) qu'il fist semblant de nous frapper, et nous serions peris. Puis qu'ainsi est que nous ne pouvons subsister que par la vertu de nostre Dieu, quand il nous afflige: si sur cela nous demandons que sa puissance soit diminuee, n'est-ce pas une grande folie à nous? Et pourtant apprenons (comme i'ay desia touché) de ne point desirer que la gloire de Dieu soit amoindrie pour nostre soulagement: car ce sera tout le contraire: nous serons bien frustrez de nostre desir, quand nous cuiderons pouvoir estre allegez si la main de Dieu n'est plus si forte ne si robuste. Car voila qui sera cause de nous faire perir, d'autant qu'il n'y a nul moyen de nous conserver, sinon que Dieu desploye sa vertu envers nous, comme desia nous avons dit. C'est encores un autre article que nous avons à retenir de ce passage.

Or cependant notons aussi que c'est un blaspheme horrible, quand nous demanderons à Dieu, qu'il mette gage entre luy et nous, et qu'il nous donne pleige et fiance. Et pourquoi? Car il semble qu'on ne se fie point en sa fidelité. Il est vrai que Iob a usé de Des mots, pour. declarer qu'il y a une puissance trop haute en Dieu, et que l'homme mortel ne s'oseroit point là adresser, sinon que Dieu quitte son droit: mais tant y a que Dieu nous baille d'autres asseurances pour venir à lui.

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Et quelles? C'est qu'il veut qu'on se contente de sa simple parole, comme aussi c'est bien raison. Voulons-nous donc estre asseurez? Escoutons les promesses de Dieu, recevons-les, que NOUS soyons persuadez qu'il ne nous a point voulu paistre de mensonges, ne nourrir en une esperance vaine et frivole, mais qu'il est fidele pour accomplir tout ce qu'il nous a promis. Voila donc où c'est qu'il nous en faut venir. Et au reste, nous avons encores un bon gage en nostre Seigneur Iesus Christ: car nous voyons que tout ce que Dieu nous a promis, a este ratifié, quand il a exposé son Fils unique à la mort, et l'a ressuscité. Ne voila point un gage qui nous doit apporter assez grande certitude? Et puis Dieu seelle en nos coeurs par son S. Esprit ses promesses. Voila donc encores un beau tesmoignage que cestui-la, quand nostre Seigneur parle, afin que nous n'ayons point occasion de douter de sa verité, et que nous puissions nous glorifier, que ce qui est contenu en sa parole, nous est tout certain et infaillible. Voila (di-ie) les asseurances que Dieu nous donne, et les biens qu'il nous met entre mains pour estre certifiez. Il ne veut point donc que nous luy demandions d'autre pleige et fiance: apprenons de nous contenter de cela. C'est en somme ce que nous avons à retenir sur ce verset. Or cependant il nous faut retourner à ce que nous avons touche: c'est assavoir, que quand nostre Seigneur nous veut traitter si doucenent, et qu'il nous monstre que nous ne devons point estre espouvantez de venir devant sa face: tant plus y a-il d'ingratitude en nous, si nous demandons à plaider contre luy. Car ne faut-il pas que l'homme soit par trop pervers, quand il refuse d'estre iugé de Dieu? Voire, quand Dieu promet qu'en la plus grande rigueur dont il usera, encores n'oubliera-il point sa bonté, que tousiours il ne nous soulage, et nous supporte, comme il verra qu'il en sera mestier, et qu'il donnera bonne issue et desirable à toutes nos afflictions: si nous refusons un tel bien et privilege, ne faut-il pas que nous soyons plus qu'ingrats? Et ainsi il ne reste sinon de nous humilier, et de nous presenter devant le throne iudicial de Dieu, afin que nous soyons soustenus par sa grace.

Or il adiouste, D'autant que tu as caché leur coeur pour n'avoir point d'intelligence, tu n'exalteras point. Ici Iob se fortifie contre ceux qui sous ombre de le consoler, le molestoyent. Or nous avons à retenir ce que nous avons dit, c'est assavoir, que Iob a exprimé toutes ses affections, et ainsi il ne se faut point esbahir s'il ne continue point en un propos, mais qu'il dise une sentence, et puis une autre, qu'il se monstre comme variable. Et pourquoy cela? Pource qu'il parle en combatant. Noue savons qu'un homme, quand il sera au combat, ne

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se tiendra pas tousiours en une contenance: mais il faut qu'il se remue et revire, qu'il tourne les bras, qu'il recule, qu'il avance, selon que son ennemi le presse, ou qu'il peut avoir son avantage. Ainsi en est-il quand nous avons à resister à nos tentations. Quelquefois nous flechissons pour decliner, nous reculons pour eviter quelque coup: comme Dieu nous donne relasche, nous prenons courage et sommes relevez-là où il sembloit que nous fussions abattus. C'est donc ce que nous voyons ici en Iob: comme maintenant il reprend courage, et dit, Seigneur, il est vray que ie me contriste, voyant que mes amis sont gaudisseurs, et ne font que me molester: mais tant y a, qu'il ne faut point que ie me desconforte par trop pour cela. Et pourquoy? le voy bien qu'ils n'ont nulle intelligence: il ne faut point donc que ie m'arreste à eux, puis qu'il n'y a point de raison. Si une beste se vient ruer contre moi, ou qu'un chien m'abbaye, i'aurai beau user de langage pour l'appaiser, ie ne puis pas, car il n'entend rien. Ainsi donc, Seigneur, il ne faut pas que ie me contriste quand i'oy les propos extravagans de ces gens ici. Pourquoy? Pource que eu as caché leur coeur pour n'avoir point d'intelligence. C'est-ce que desia nous avons touché, c'est assavoir, que si nous voulons consoler les povres affligez, nous devons demander à Dieu son sainct Esprit, et qu'il nous donne prudence pour ce faire: car nos propos seront vains et inutiles, sinon entant qu'il nous aura tendu la main: comme à l'opposite nous parlerons en edification quand il nous conduira. Il est dit qu'il cache le coeur pour n'avoir point d'intelligence: comme qui diroit, qu'il nous bande les yeux: car ce mot de Coeur en l'Escriture se prend quelquesfois pour l'intelligence. Il est vrai que ce n'est pas tousiours, il se prend quelquesfois pour la verité et la conscience pure: mais quand il est dit par Moyse (Deut. 29, 4), Dieu ne t'a point donne le coeur iusques auiourd'hui pour avoir intelligence: nous voyons que le coeur est là prins pour l'entendement. Ainsi en est-il en ce passage.

Iob donc signifie que Dieu a comme bandé les yeux à ces gens ici, qui cuidoyent estre bien sages, et que par cela ils ont esté comme abbrutis. Or notons quels sont ces amis de Iob. Il est certain par leurs propos que c'estoyent gens excellens, que ce n'estoyent point gens idiots: car nous voyons qu'ils estoient exercez, qu'il y avoit grand esprit, et mesmes il est dit, que Dieu les avoit envoyez: et que sera-ce donc de ceux qui n'auront pas à grand' peine une goutte de prudence ? quand il plaira à Dieu de les aveugler, que deviendront-ils? Au reste, si Dieu aveugle ainsi les sages, que ceux qui cuident savoir beaucoup, et qui se confient en leur sens aigu, et presument beaucoup de leur sa

SERMON LXV

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gesse, apprennent de s'humilier, sachans que Dieu leur pourra bander les yeux, tellement qu'ils ne verront goutte en plein midi. Voici donc une instruction bien utile pour ceux qui s'enorgueillissent en leur prudence, et qui cuident que tout doive passer par leur esprit. Que sera-ce quand Dieu les aura aveuglez? Voila de povres aveugles qui ont les yeux bandez, qui ne discernent rien: et leur issue quelle sera-elle? Dieu ne les exaltera point, c'est à dire, il les rendra confus à la fin. Or si ceci est vray quant aux choses presentes, que serace des secrets du Royaume des cieux, qui surmontent tout le sens humain de beaucoup? Voici Dieu qui aveuglera les yeux des sages quant aux affaires mondaines, aux choses qui concernent la vie presente, tellement que ceux qui sont les plus rusez, et qui ont grande sagesse, seront comme des petis enfans, qu'ils feront des actes ridicules, qu'ils seront prests de tomber à tous les coups, on verra cela. Et qui en est cause? C'est que Dieu leur aura ainsi cache les yeux. Et que sera-ce donc, quand il nous faudra venir beaucoup plus haut à ces secrets admirables, qui ne se peuvent cognoistre, sinon que Dieu nous ait illuminez par son sainct Esprit ? Et par cela nous sommes advertis de n'estre point scandalizez, quand nous verrons les sages du monde ne rien gouster en l'Evangile, ni en toute la doctrine de salut. Et pourquoy? Cela n'est pas un gibbier commun à tous hommes: il faut que Dieu y besongne par son sainct Esprit. Et ceci est bien digne d'estre noté. Car nous verrons beaucoup de povres infirmes auiourd'hui, qui s'arrestent à ce que les sages du monde ne se peuvent renger à l'Evangile. Et comment? diront-ils, Un tel qui est en si grande reputation. Et mesmes il ne sera point question d'alléguer seulement un homme, mais de grans peuples, car on dira, Et quoy? En ceste nation-là, où il y a tant d'esprits, on voit que l'Evangile n'est pas receu: voire comme si cela provenoit de nostre industrie, et que nous puissions comprendre par nostre sens naturel ce que Dieu nous monstre en son Escriture. Mais tout au rebours il est dit (1. Cor. 1, 21), Que nous serons là aveuglez, et que ce n'est que folie de toute la sagesse de Dieu quant au sens humain. Puis qu'ainsi est donc, ne trouvons point estrange si ceux qui presument de leur savoir, sont ainsi aveuglez. Et pourquoy? Dieu les delaisse à cause de leur orgueil: car aussi il n'est le maistre sinon des humbles et des petis: et ceux-là veulent estre grans, sont-ils donc capables de rien profiter en l'escole de Dieu? Nenni. Ainsi donc de nostre costé quand nous voyons que Dieu aveugle ainsi les hommes, apprenons de ne nous point fier en nous: mais de lui demander que par son sainct Esprit il nous guide, qu'il nous gouverne, qu'au

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milieu des tenebres de ce monde nous voyons clair. Ouy: car sa parole nous est une lampe qui nous doit servir à c'est usage, comme sainct Pierre en traitte (2. Pier. 1, 19). Combien donc qu'il n'y ait qu'obscurité en ce monde, si est-ce que nous serons bien conduits quand nous suivrons la doctrine de l'Escriture saincte. Mais sur tout il faut que Dieu nous illumine par son sainct Esprit, qu'il nous oste les bandeaux que Satan nous aura mis, qu'il nous ouvre les yeux. Ainsi, puis que c'est à lui à ce faire, que nous lui demandions une telle grace avec toute humilité, nous defians de nous-mesmes.

Et au reste, notons ce mot qu'il adiouste, Seigneur, puis que tu leur as caché les yeux, tu ne les exalteras point. Car quand Iob dit, Que ces aveugles (dont il parle) ne seront point exaltez, il entend (comme desia nous avons declaré) qu'ils seront là confus, que Dieu se mocquera d'eux et les rendra ridicules. Craignons donc, quand nous serons destituez de l'Esprit de Dieu et de la clarté que nous en devons recevoir, que nous ne soyons en la fin confus, que nostre Seigneur ne nous face precipiter comme des povres bestes et que nous ne tombions en des choses tant absurdes, qu'un chacun ait honte de nous, et que cependant nous-mesmes n'appercevions point nostre honte. Car voila comme il en est de tous ceux que Dieu a mis en sens reprouvé: comme S. Paul en parle au premier des Romains (28), que quand Dieu aura esté le sens et la raison des hommes, ils ne discerneront plus rien. Et de fait, nous voyons que les povres idolatres s'en iront ietter devant une piece de bois pour l'adorer. Et ne voila point une chose brutale? Il est vray. Mais quand Dieu a ainsi aveuglé les hommes, il faut qu'ils soyent du tout abbrutis, et que d'un mal ils tombent en l'autre, et qu'en la fin ils s'adonnent à des choses si vilaines, qu'ils perdent toute contenance, iusques à aller contre nature, et faire des choses dont on a horreur. Seulement si nous voulons contempler les yvrongnes, qui sont comme des pourceaux, si nous regardons les paillards qui sont tellement eschauffez de ce feu de leur convoitise, qu'ils n'ont plus nulle modestie ni honnesteté en eux: quand nous verrons cela, ne devons-nous pas trembler, cognoissans que ce sont autant de fruits de la vengeance de Dieu, quand il aveugle les hommes, et leur bande les yeux, tellement qu'ils ne peuvent plus ni voir ni discerner? Et encores n'est-ce pas la confusion finale que cela: mais il nous faut venir à ce qui est dit en Isaie, quand Dieu a parlé de sa punition, et qu'il devoit aveugler les hommes, Et iusques à quand? dit le Prophete (Isaie 6, 11). Iusques à ce que les villes soyent rasees, que les peuples soyent ruinez, qu'il n'y ait rien qui ne soit confondu. Voila quel

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est le fruict de cest aveuglement des hommes: et pourtant nous devons bien cheminer en crainte, et prier Dieu que iamais il ne permette que nous ayons ainsi les yeux bandez. Voila quant à ce passage.

Or Iob adiouste: Que celui; qui annonce flaterie à ses amis, les yeux de ses enfans defaudront. Iob parle ici selon la circonstance du lieu. Car nous avons veu ci dessus à quoy pretendoyent ses amis: c'est qu'en ce monde on peut appercevoir et iuger quels sont les esleus de Dieu, et quels sont ceux qui sont reprouvez. Or ce seroit à dire, qu'il n'y auroit point de iugement dernier auquel rien fust reservé. Car si maintenant nous voulons estimer quels sont les hommes, selon que Dieu les traitte, et que seroit-ce? Voici donc une doctrine par trop perverse que de iuger ainsi. Or Iob notamment use de ce mot de Flaterie: comme s'il disoit, Celui qui annonce prosperité à son ami, c'est à dire, celui qui dira à un homme, Or ca, tu es bienheureux, tu es aimé de Dieu, d'autant que tu prosperes, d'autant que tu es à ton aise, riche, et favorisé des hommes: celui donc qui parle en telle sorte, est maudit, tellement que les yeux de ses enfans defaudront: c'est à dire, qu'il sera maudit, non seulement en sa personne, mais aussi en son lignage. Or par cela nous sommes instruits en premier lieu, de ne point nous arrester à la prosperite de ceste vie caduque: car cela n'apportera que flaterie. Voila pour un Item. Et ceste doctrine nous profitera de beaucoup, moyennant que nous la puissions bien prattiquer. Il est dit, que c'est flaterie quand les hommes s'arrestent du tout à la prosperité de ceste vie caduque et mondaine. Et pourquoy? Car ils se font à croire qu'ils sont bien aimez de Dieu. Voila qui a esté cause de la perdition et ruine de ceux de Sodome. N'ostoyent-ils pas en delices et à leur aise, cependent que leur procez se faisoit au ciel ? Mesmes voila la sentence qui se donne et qui se prononce contre eux à la personne d'Abraham. Six vingts ans devant le deluge le monde est tellement desbordé en delices et voluptez, qu'il semble que Dieu ne doive plus avoir esgard sur les hommes: et ils sont tout esbahis qu'ils sont surprins, quand ils ne s'en doutent pas. Ainsi donc, que nous devions estimer la grace de Dieu par la prosperité presente, cela

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est du tout faux. Et pourtant, que nous ne prenions point occasion de nous flatter par cela, pour dire, O Dieu nous aime et nous favorise: car il nous fait prosperer. Gardons-nous (di-ie) de nous decevoir en telle sorte: car ce ne sera qu'a nostre confusion. Voila qu'emporte ce mot de Flaterie. Or apres, nous avons à noter, que cela est plus que miserable tant pour nous que pour nos prochains, quand nous userons de ceste flaterie. Et pourquoy? Chacun s'esblouit, et demande à s'eslever contre Dieu quand il est en prosperité. Et puis nous decevons aussi bien nos prochains: car ceux qui sont à leur aise, nous leur ferons à croire qu'ils sont comme au giron de Dieu, et cependant ils sont comme au gouffre d'enfer, ou ils en sont bien pres. Ce n'est point donc sans cause que Iob annonce ici une telle punition et si griefve sur ceux qui annoncent ainsi prosperité à leurs prochains. Que faut-il en somme? Quand nous serons en prosperité, que nous incitions les uns les autres à servir à Dieu, et de nous employer à luy rendre graces de ceste bonté qu'il nous monstre: et quand nous serons en affliction, que nous recevions aussi les promesses qui nous sont donnees pour nous consoler, et que nous les facions servir. Et cependant que nous soyons tousiours prests à estre affligez, encores qu'auiourd'huy nostre Seigneur se monstre doux et benin envers nous: que nous ne laissions pas, di-ie, de nous apprester à correction, s'il luy plaist de nous traitter en rigueur, et que nous soyons disposez à recevoir les coups de sa main. Au reste, que nous n'ayons point un iugement troublé, pour dire, que Dieu maintenant traitte les hommes selon qu'ils l'ont deservi: mais si Dieu nous afflige, cognoissons qu'il nous chastie pour nos pechez: s'il nous espargne cognoissons qu'il nous veut attirer à lui par douceur. Et ainsi quoy qu'il nous adviene, qu'il n'y ait rien qui nous empesche, que nous n'ayons tousiours la teste levee, cerchans nostre vie et nostre contentement au ciel et en ce repos bien-heureux qui nous attend: et que maintenant il ne nous face point mal si nous sommes affligez, veu que nostre Dieu nous appelle a ce triomphe qui nous a esté acquis par la mort de nostre Seigneur Iesus Christ.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, ect..

SERMON LXVI

LE SOIXANTESIXIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XVII. CHAPITRE.

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6. Il m'a mis en proverbe commun, et m'a constitué en monstre publique. 7. Mon oeil est obscurci de despit, et tous mes membres sont comme l'ombre. 8. Les iustes seront estonnez pour ceci, et l'innocent s'eslevera contre l'hypocrite. 9. Le iuste retiendra sa voye, et celuy qui est set des mains se renforcera. 10. Vous tous retournez, convertissez-vous: car il n'y a nul sage d'entre vous. 11. Mes iours sont escoulez, mes emprinses sont passes, et les pensees de mon coeur. 12. Ils ont converti le iour en nuict, ils mont presenté les tenebres, pour la lumiere prochaine. 13. Si i'atten, le sepulchre est nia maison, i'accoustreray mon lict en tenebres. 14. I'appelleray la poudre Mon pere, la corruption Ma mere, et ma soeur. 15. Où est donc mon attente, et mon esperance, qui est-ce qui la doit attendre? 16. Elle descendra és costez du sepulchre: là nous serons couchez en terre.

Iob suivant le propos qu'il a tenu par ci devant, veut monstrer en somme, que selon l'estat present, il est desesperé, qu'il n'y a plus de remede en ses maux. Puis qu'ainsi est, il faudroit conclure qu'il ne profitera rien, voulant recourir à Dieu si l'intention de ceux qui ont parlé est vraye, c'est assavoir, que les hommes sont traittez ici bas selon qu'ils ont desservi, et qu'il nous faut estimer la grace de Dieu, ou son amour et sa haine selon la condition de ceste vie presente. Voila donc en somme ce que nous avons à noter. Or il est dit en premier lieu, que Dieu l'a constitué comme pour mocquerie, qu'il a esté mis en monstre et en farce: car le second mot dont il use signifie Tabourin. Et voila pourquoy aucuns ont estimé que Iob avoit voulu ici faire comparaison de sa prosperité, avec l'affliction si grande et si extreme où il estoit pour lors: comme s'il disoit, Par ci devant i'estoye en grand triomphe, et maintenant Dieu m'a tellement traitté, que me Voici en farce et en opprobre. Vray est qu'aucuns traduisent le mot Enfer, et en ce que nous avons translaté Publicque, il y a De faces. Et ainsi ils ont estimé que Iob a voulu dire, que devant le temps ils l'ont iugé comme un povre homme damné. Mais quand tout sera regardé, le sens nature est celuy que nous avons touché: car il y a repetition d'un mesme propos pour plus grande confirmation: et ce suivant l'usage commun de l'Escriture saincte. Et pourtant voila où il pretend, que d'autant que Dieu l'a constitué comme un miroir d'affliction,

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s'il nous falloit estimer selon la vie presente si les hommes sont en la grace de Dieu, ou s'ils sont hays de luy, il le faudroit tenir pour desesperé. Or cependant il ne se tient pas tel, nonobstant qu'il ne fust pas insensible: mais quoy qu'il y ait eu des infirmitez en lui, si est-ce qu'il a combatu à l'encontre, et s'est asseuré et resolu que Dieu à la fin auroit pitié de lui, et s'est tenu comme ayant la bouche close, iusques à tant qu'il veist quelque issue en ses miseres.

Et qu'est-ce qu'il adiouste, Que le iuste sera estonné sur ceci, neantmoins l'innocent s'eslevera contre l'hypocrite, et les iustes retiendront leurs voyes, et ceux qui sont purs des mains cueilleront forces nouvelles, pour estre tant plus constans. Iob en disant que les iustes seront estonnez, signifie que quand nous voyons des afflictions que Dieu envoye à ceux qui l'ont servi, et qui ont cheminé en sa crainte, et en pure conscience: cela est trouvé estrange, et en sommes confus. Et de fait, voila qui nous vient en pensee, Que si Dieu gouverne le monde, c'est bien raison qu'il espargne les bons et ceux qui ont tasché de cheminer devant luy purement, et qu'il les traitte comme un pere ses enfans. Or si nous les voyons estre affligez de sa main il iusqu'au bout, il nous semble, ou que Dieu a le dos tourné, et qu'il ne pense point à ces choses terrestres, ou bien qu'il ne luy chaut comme les hommes vivent, ne comme ils se gouvernent. Voila donc pourquoy souvent nous sommes estonnez quand les iustes seront affligez, et que Dieu en apparence se monstrera leur ennemi, qu'ils ne verront sinon signe de cruauté. Voila pourquoy Iob parle de l'estonnement: mais il dit, que toutes fois les innocens s'esleveront sur les hypocrites, c'est à dire, qu'ils ne seront pas tellement estonnez, qu'ils ne facent une conclusion bonne. Et c'est un passage que nous devons bien noter que cestui-ci. Pourquoy ? Nous savons par experience combien il est difficile aux hommes de droitement iuger des oeuvres de Dieu, voire selon que nous les voyons maintenant, car (comme il a esté declaré plus à plein) Dieu n'execute pas en ce monde ses iugemens, tellement que tout soit regle, et qu'il n'y ait que redire: mais au contraire les choses sont confuses, et si nous voyons un homme meschant estre puni, le iuste le sera encores plus: si nous voyons un homme de bien prosperer, un meschant prosperera au double. Où en sommes-nous, quand nous voyons

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ces choses? Nous sommes estonnez, nous sommes en perplexité, nous ne savons de quel costé nous tourner, comme on dit. Ainsi donc, quand nous iugerons des choses presentes selon nostre sens naturel, il faudra que nous soyons comme ravis: et l'Escriture saincte aussi nous le monstre: et combien qu'il suffiroit de l'experimenter, si est-ce que Dieu encores nous en a voulu advertir par sa parole, c'est assavoir, que nous serons troublez, ou comme esblouis en nos sens, si nous regardons aux choses qui apparoissent maintenant, et que nous n'allions pas plus loin. Notons bien donc ce passage, où il est dit, que les iustes seront estonnez, voyans que Dieu afflige ainsi ses enfans. Et de fait, il y a aussi ce poinct, que la croix nous est contraire, comme nous appellons Adversitez, toutes choses qui nous viennent mal à gré, qui nous sont dures et fascheuses. Or si nous fuyons ainsi les afflictions: quand nous voyons que Dieu afflige en ceste sorte les siens, qu'il frappe dessus à grans coups, il faut bien qu'à cause de ceste repugnance qui est en nostre nature, nous soyons comme transportez d'estonnement: car nous avons doute en nous, voyans que nostre Seigneur n'espargne point ceux qu'il a choisis à soy, et ausquels il a fait ceste grace de cheminer purement en sa crainte et en son service: quand (di-ie) nous voyons cela, nous sommes contraints de nous estonner. Or si nous n'avions apprins ceste leçon, que seroit-ce? Nous pourrions estre preocupez d'une telle frayeur, que iamais nous ne retournerions su droit chemin. Et pourtant que nous soyons advertis devant le coup: et quand nous verrons les bons estre rudement traittez de la main de Dieu, que pour cela nous ne soyons point scandalisez comme pour quitter tout. Cependant toutes fois gardons-nous bien de nous arrester à ceste fange, mais cognoissons qu'il nous faut passer outre, et venir à ce que dit Iob, et l'ensuivre: c'est assavoir, que nous ne laissions pas quoi qu'il en soit de nous eslever à l'encontre des contempteurs de Dieu. Et voila en quoi different les fideles d'avec les incredules: car l'apparence pourra bien estre commune aux hommes. Mais quoy? Il y en aura qui seront du tout plongez en ceste phantasie, que Dieu ne gouverne point le monde quand il ne se monstre point Iuge, puis qu'il dissimule, voire quand les siens sont oppressez, et qu'ils ne sont point secourus: et que cependant les meschans auront la vogue, et la bride avallee sur le col, et n'y aura point de remede. Il y en a qui s'arrestent là, et ne se peuvent despestrer de ce trouble et de ceste tentation. Que faut-il donc que nous facions? Comme un homme qui sera dans la fange, il faudra qu'il se retire par force, iusques à tant qu'il viene au lieu ferme: comme il en est parlé au Pseaume 40 (v. 3). Estendons-nous (di-ie)

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quand nous sentirons que le diable machinera de nous faire devaller au plus profond de l'abysme et qu'il nous voudra mettre en desespoir par ce moyen-la: efforçons-nous iusques à ce que nous soyons venu à ce poinct, et que nous l'ayons gaigné pour dire, Si est-ce que Dieu n'abandonnera iamais les siens, combien qu'il semble qu'ils soyent opprimez (ce semblera) qu'il ne leur monstre qu'il est assez poissant pour faire qu'ils soyent tousiours soustenus de sa main, et qu'en la fin ils se sentiront delivrez, voire d'une façon miraculeuse. Voila (di-ie) quels sont nos exercices, voila en quels combats Dieu nous veut employer: c'est que quand nous verrons les choses confuses en ce monde, si nous en sommes faschez pour un temps, nous mettions peine de nous relever iusques à tant que nous ayons la victoire d'une telle tentation.

Or Iob exprime encores plus à plein ce qu'il avoit touché en bref, disant, Que le iuste retiendra sa voye et que celui qui est net des mains, se renforcera. Voici une doctrine bien utile. Car qui est cause de faire desbaucher beaucoup de gens, sinon d'autant qu'ils voudroyent estre recompensez du premier iour? Et quand Dieu ne les contente pas à leur appetit, il leur semble que c'est peine perduë de le servir: et qu'il ne faut point qu'ils travaillent tant, veu qu'il n'y a non plus de salaire pour les bons que pour les mauvais. Ainsi donc l'impatience est cause que beaucoup se despitent, et tournent bride: et encores qu'ils ayent bien commencé de suivre Dieu, ils perdent courage. Notons bien donc ce qui est ici dit, que les iustes pourront concevoir quelque apprehension pour se fascher, voyans que les bons ne laisseront pas d'estre persecutez, qu'il semble que Dieu ou les ait mis en oubli, ou mesmes-qu'il soit leur partie adverse, qu'il les persecute lui-mesme. Mais si les bons se treuvent faschez pour quelque temps ils se doivent renforcer, iusques à ce qu'ils ayent conclu de retenir leur voye, c'est à dire, de persister: et combien qu'ils voyent le chemin par lequel ils passent tout plein d'espines et raboteux, que mesmes il faille sauter par dessus les hayes, les rochers, les fossez, qu'ils ne laissent pas de continuer an service de Dieu. Et aussi sans cela, quelle seroit l'espreuve et l'examen de nostre foi? Si nous avions comme une belle prairie, et que nous allissions tout au long d'une riviere, que nous eussions l'ombrage dessus, qu'il n'y eust que plaisir et esiouyssance en toute nostre vie: qui est-ce qui se pourroit vanter d'avoir servi a, Dieu d'une bonne affection? Mais quand Dieu nous envoye les choses tout au rebours de nos souhaits, et qu'il faut que maintenant nous entrions en une fange, maintenant que marchions sur des cailloux, maintenant nous trouvions des ronces et des espines qui nous empeschent;

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que Nous rencontrions les hayes et les fossez, et qu'il nous faille sauter par dessus, et quand nous aurons bien travaillé qu'il semble encores que nous ayons avancé bien peu ou rien du tout, que nous ne voyons point d'issue: quand cela y est, voila une fascheuse tentation à nous qui aurons eu desir de cheminer selon Dieu. Et pourquoi? Car nous n'avons pas du tout renoncé à nous-mesmes. Celui qui n'a point encores apprins de dompter toutes ses affections, et d'assuiettir sa volonté au service de Dieu, combien qu'il lui soit difficile: celui-là ne sait pas encores bon escient que c'est de vivre bien et fidelement. Ainsi donc, pratiquons ce qui est ici dit de retenir nos voyes, c'est dire, de cognoistre que le chemin est fort difficile, quand nous voudrons regler nostre vie selon Dieu, et que cela ne sera pas que nous n'ayons beaucoup de contradictions et dempeschemens: mais si faut-il que nous soyons fermes et constans pour retenir nos voyes. Or puis qu'ainsi est que Dieu amene ses enfans à un tel examen, c'est assavoir, qu'il permet qu'ils soyent en beaucoup de fascheries, et neantmoins si faut-il qu'ils tiennent bon: que serace de ceux qui quittent le droit chemin sans estre faschez ne molestez? comme nous en verrons beaucoup. Voila nostre Seigneur qui fera la grace à d'aucuns de les supporter, voyant qu'ils sont debiles: et bien, il les traitte selon leur naturel, tellement qu'il ne leur envoyera point des tentations qui soyent fort rudes: ils ne laisseront pas toutes fois de se desbaucher, comme s'ils prenoyent plaisir de quitter Dieu leur escient. le vous prie, que seroit-ce s'ils estoyent assaillis d'une pareille tentation, que celle dont parle ici Iob? On voit donc l'ingratitude qui est en la pluspart. Car combien en y a-il, qui despitent Dieu sans estre pressez nullement? Si on leur demande, pourquoi? quelle tentation ils ont euë? Il n'y a sinon qu'ils sont d'une nature si maligne et si perverse, qu'ils veulent estre maudits à tous propos. Or de nostre costé advisons bien, qu'encores que le chemin par où Dieu veut que nous passions, soit plein de grandes difficultez, et qu'à grand' peine puissions-nous avancer un pas, que nous n'ayons une rencontre qui nous soit dure: toutes fois nous avons à retenir nostre voye, suivant ce qui est ici monstre.

Mais d'autant que cela ne se peut faire, que nous ne cueillions force nouvelle, voila pourquoi Iob adiouste, Que celui qui est net des mains cueillera force. Or par ceci notons en premier lieu qu'il y a telle foiblesse en nous, que si chacun se flatte, et qu'on devienne lasche si tost qu'on se cognoist infirme: c'est fait de tous ceux qui voudront servir à Dieu, il n'y aura nulle constance ni fermeté en nous. Et pourquoi? Regardons un peu combien

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nous sommes fragiles: ie di mesme ceux ausquels Dieu aura donné quelque bon zele. Il n'est point ici parlé des hommes qui s'arrestent a leur sens naturel. Iob traitte de ceux ausquels l'esprit de Dieu habite, qui ont desia receu une telle vertu d'enhaut qu'ils estoyent disposez à bien faire: ceux-là neantmoins ne laissent pas d'estre fragiles, et se trouvent tellement desnuez de vertu, que quand Dieu les presse, ils ne savent où ils en sont, s'il leur faut resister à quelque tentation. Et ainsi nous avons besoin de cueillir nouvelle force: et ne faut point que nous perdions courage, sentans une telle foiblesse en Nous. Et pourquoi ? Quand il est dit que les enfans de Dieu se doivent renforcer, par cela nous voyons qu'encores que nous soyons infirmes, Dieu nous supporte, et ne nous reiette point pour cela. Voire, moyennant que par hypocrisie il ne nous advienne point de nous flatter, comme font beaucoup qui se nourrissent en leurs vices, quand ils cognoissent qu'il y a tant d'infirmitez charnelles en eux, O voila, ie suis homme, et qu'est-ce que de nous ? Il leur semble qu'ils sont quittes, quand ils auront allegué le vice commun et ordinaire qui se trouve aux hommes. A l'opposite il est dit, que toutes fois et quantes que Dieu nous fait sentir nos foiblesses, c'est un advertissement pour nous apprendre à cercher le remede. Et ainsi gardons-nous donc bien de nourrir nos vices en nous flattant, gardons-nous bien de cercher ces excuses frivoles, dont beaucoup s'abusent, pensans que Dieu nous pardonnera nos fautes, combien que nous ne taschions point de nous corriger: mais au contraire advisons de cueillir force. Et où la prendrons-nous? Il est certain que cela ne se trouvera point sinon en Dieu. Les hommes donc se trouvent-ils debiles? Qu'ils aillent chercher force là où l'Escriture saincte monstre qu'elle consiste. Il est dit que Dieu a l'Esprit de vertu et de constance en soi. Craignons-nous donc d'estre abbatus par tentations ? craignons-nous de fleschir? Demandons à Dieu qu'il nous fortifie.

Voila comme les fideles se renforcent, non point d'une presomption vaine, comme feront ceux qui se fient en leur franc-arbitre, qui s'attribuent merveilles et ausquels il semble qu'ils sont venus au bout de leur intention, mais quoy? en la fin ils declinent, et on voit bien qu'il n'y a eu que vanité en eux. Voulons-nous donc estre bien renforcez? Ne presumons point de nostre iustice, mais retournons à Dieu, demandons luy que par son S. Esprit nous soyons tellement renforcez, que le diable ne nous puisse faire tomber, combien qu'il nous dresse beaucoup de combats. Voila quelle est en somme la vie des fideles, c'est assavoir, qu'il ne seront iamais sans beaucoup de tentations. Et sur tout d'autant que nous sommes assubiettis à tant de

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miseres, cependant que nous sommes en ce pelerinage terrien, que ceux qui taschent de servir le mieux à Dieu, ne laissent pas d'estre pressez souvent de beaucoup de maux, et de beaucoup d'afflictions. Mais quoy? Quand nous serons estonnez, comme il ne se peut faire que nous ne trouvions cela bien estrange du premier coup que nous combations contre telles tentations, que nous persistions au droit chemin sans nous desbaucher: et combien que nous sentions beaucoup de difficultez en nous, prions Dieu qu'il nous donne une telle vertu et si invincible, que nous continuions iusques à la fin à son service, combien que Satan tasche de nous en divertir. Notamment Iob parle ici de ceux qui sont nets des mains. Vray est que la vraye integrité consiste au coeur, pour le moins c'est là qu'elle. a sa racine. Car ce ne seroit rien, quand nous aurions une vie la plus parfaite et la plus Angelique qu'on sauroit demander, sinon que nous ayons une affection pure et droite de servir à Dieu. Un homme se pourroit bien abstenir de mal faire, il ne fera tort ni iniure à personne, il ne donnera point occasion qu'on se plaigne de luy, qu'on lui reproche rien: mais si son coeur est enflammé d'ambition, qu'il y ait de l'hypocrisie, qu'il se plaise en soy, ou qu'il soit entasché de quelque autre vice secret, il n'y aura qu'ordure en tout son cas: voire, combien que cela soit prisé des hommes. Voila pourquoi i'ay dit, qu'il faut bien que nous commencions par l'affection, comme il a esté monstré ci dessus, et non seulement en ce chapitre, mais en plusieurs autres endroits. Mais maintenant Iob, apres avoir parlé du iuste, et de l'innocent ou entier qui s'oppose à l'hypocrite adiouste, Celui qui est net de mains. Ainsi donc, il faut bien que nous ayons ceste droiture interieure devant Dieu: mais au reste, il faut aussi que nous monstrions par effect que nous sommes tels. Et pourquoy? Nous voyons ceux qui sont pleins de malice, et du tout contempteurs de Dieu, les plus hardis à se vanter qu'ils sont aussi bons Chrestiens qu'on en. trouvera, qu'il n'y a que redire en eux. Bref, si auiourd'huy on veut avoir de belles protestations, il faut chercher les plus meschans: ce sont ceux-la qui son enflez pour se faire valoir, mesmes ils viendront ainsi comme des putains de bordeau effrontees, Moy qui suis-ie ? Qu'est-ce qu'on trouvera à redire en moy? Et les petis enfans pourroyent discerner de la vie: car elle est si execrable que l'air en put. Pour ceste cause il est dit notamment, que si nous voulons monstrer qu'il y ait integrité en nous devant Dieu,' il faut aussi que nos mains soyent pures et nettes, c'est à dire, que nous conversions tellement avec les hommes, que nous monstrions par effect la crainte de Dieu qui est en nous. Bref, voila comme il

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faut que nous rendions tesmoignage de la bonne racine: car si l'on disoit, Voila un bon arbre, et que cependant il n'apparust point que le fruict qu'il rapporte fust bon, où seroit la bonté? Il est vray que le fruict ne sortira iamais bon, que la racine ne soit bonne, et la nature de l'arbre. Mais tant y a, qu'il nous faut fructifier (comme i'ay dit) si nous voulons monstrer en verité, que nous avons ceste droiture et integrité en nos coeurs, et que nous taschons de servir à Dieu. Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or Iob adiouste maintenant, Convertissez-vous (dit-il) et retournez: car il ne s'en trouve point de sage entre vous. Quand il parle ainsi, c'est pour redarguer les propos qui avoyent esté tenus par ces trois qui ont beaucoup disputé (comme nous avons ouy par ci devant) pour monstrer que Iob estoit un homme reprouvé de Dieu, et qu'il n'y avoit que malediction en lui, d'autant qu'ils le voyoyent ainsi persecuté. Iob a declaré qu'il ne faut point asseoir iugement selon les afflictions qu'on voit en ceste vie presente, pour dire qu'un homme soit reprouvé de Dieu. Voila pour un Item. Apres il a dit encores, que les hommes ne sont point tousiours punis de Dieu pour leurs pechez, et que les bons sont affligez quelquesfois, sans qu'on sache pourquoy: la raison n'en sera pas evidente: qu'on s'enquiere, qu'on y travaille beaucoup, on y demeurera confus, d'autant que les iugemens de Dieu sont secrets et incomprehensibles. Or d'autant que les amis de Iob ne conçoivent point telles choses, il dit, qu'il n'y a nulle sagesse en eux. Et de fait (comme nous avons dit par ci devant) c'est une sagesse qui n'est point petite, que de bien iuger des afflictions que Dieu envoye aux hommes. le di quand chacun en son endroit sera visité de la main de Dieu, ce sera une grande sagesse à luy, s'il sait cognoistre ses pechez, qu'il entre en soy, qu'il s'humilie, et qu'il cognoisse, Voici une me medecine qui m'est bien propre, Dieu a cognu un tel vice en moy, il m'a fait la grace que ie le cognoy: ainsi il faut maintenant que i'applique le tout à mon usage. Par ce moyen il saura bien faire son profit des verges de Dieu. Et puis, encores qu'il n'apperçoive pas pourquoy il est affligé notamment, et ne puisse pas mettre le doigt dessus, ce sera sagesse à luy de se resoudre, Et bien, Seigneur, tu cognois en moy des maladies secretes, si i'; y failli, et que ie ne le sente point, tu le cognois Seigneur: car tu es vray medecin, fay moy donc la grace quand ie suis affligé de ta main, que ie profite tousiours sous tes verges et sous ta discipline. Et mesmes encores qu'un homme n'apperçoive nullement que Dieu ait voulu chastier ses vices, neantmoins si se doit-il humilier iusques là, pour dire, Helas! Seigneur, ie ne say pourquoi

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tu le fais: mais si est-ce que tu es iuste, et ceci me servira, et ne fust-ce que pour me faire oublier le monde, pour m'attirer tant plus à toy, et me faire gouster la vie celeste, pour faire que ie ne soye point adonné à toutes les delices de ce monde. Quand donc un homme sera si prudent de savoir appliquer à son instruction toutes les verges de Dieu, voila une sagesse bien grande: et nous aurons beaucoup profité tout le temps de nostre vie, quand nous en serons, là venus.

Autant en est-il des, corrections que Dieu envoye à nos prochains. Quand nous verrons un homme ainsi batu, nous iugerons, Cest homme peut estre chastié pour ses pechez: voire, si nous en avons cognu en luy, et qu'il fust un contempteur de Dieu, un desbauché: il est bon lors de sentir que Dieu l'afflige à cause de cela. Mais il ne faut pas que nous soyons iuge de nostre prochain, que cela ne revienne incontinent sur nous. En quelle sorte? Or mon Dieu, si tu punis un tel, que sera-ce de moy non plus ? Et encores que tu m'ayes fait grace d'avoir quelque desir de te servir: Seigneur i'en suis d'autant tenu à toy. Mais quand tu me voudras chastier, il faudra que i'endure encores plus: car ie suis pire que cestuy-ci. Il faut donc que tout cela nous revienne en memoire. Apres, quand nous voyons qu'il punit la paillardise en d'aucuns, qu'il punit aux autres l'yvrongnerie: aux autres les blasphemes, aux autres les rapines, fraudes, et pariures: et bien, il faut faire tousiours nostre profit de tout cela, comme aussi sainct Paul en parle (1. Cor. 10, 6. 11), que ce sont autant de peintures, ausquelles Dieu nous monstre comme il a en haine et detestation toutes iniquitez, et comme il faut que nous profitions aux despens d'autruy, comme on dit en proverbe. Et au reste, que nous ne soyons point aussi trop extremes, quand nous verrons que Dieu afflige ceux ausquels nous n'aurons point cognu une impieté si grande ne si enorme, que nous puissions dire, Voila des meschans, des contempteurs de Dieu. Mais voila un homme où il y aura eu quelques infirmitez cependant il aura monstré quelque bon signe de droiture: si nous le voyons en grande affliction, il faut dire, Et bien, Dieu sait pourquoy il afflige sa povre creature: tant y a qu'il nous en faut avoir pitié et compassion. Et voila pourquoy David dit (Pseaume 41, 1), Que bien-heureux est l'homme qui sait iuger du povre en son affliction: c'est à dire, quand nous pouvons supporter les serviteurs de Dieu et ses enfans, les voyans oppressez de maux: que nous en ayons pitié, que nous soyons humains envers eux, que nous ne les condamnions point à tors et à travers, sachans qu'on nous pourroit condamner au double quand on voudroit tenir telle rigueur à l'encontre de nous. Ce n'est pas donc sans cause

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que Iob redargue ici ces amis qu'il n'a trouve nulle sagesse en eux, d'autant qu'ils iugeoyent à la volee de ses afflictions. Par cela nous sommes admonnestez, que pour estre bien instruits en l'escole de Dieu, et pour acquerir une vraye prudence qui nous soit utile à nostre salut: il nous faut appliquer nostre estude à considerer les iugemens de Dieu en ce monde, tant sur nous, que sur nos prochains, et que nous soyons là et soir et matin. Car quand chacun mettra peine de s'y exercer, voila un temps bien employé. Et pourquoy? Car c'est le principal de la doctrine laquelle Dieu nous apporte, que nous appliquions ses iugemens à nostre usage, et que nous en soyons edifiez en sa crainte. Quand donc nous y procederons ainsi, voila une sagesse parfaite en nous: mais sans cela nous pourrions avoir toute l'apparence qu'on sauroit dire, nous pourrions deviser de l'Ecriture saincte subtilement, nous pourrions amener beaucoup de belles allegations: mais il n'y aura que vanité, iusques â tant que nous soyons là venus, de bien iuger de ce que nostre Seigneur desire de nous, quand il nous envoye des chastiemens et afflictions.

Or sur cela Iob pour conclure son propos dit, Que ses iours sont passez, ses pensees sont abolies, toutes ses entreprinses sont cassees et abbatues, qu'il a eu les tenebres au lieu de la clarté, et quand il a cuidé que le iour se levast, il a eu la nuict: bref, il monstre qu'il n'y a point eu d'issue en tous ses maux, et qu'il ne faut point que pour la vie presente il espere que iamais il doive consister. Et pour ceste cause il adiouste, Alors i'ay dit à la pourriture, Tu es mon pere: i'ay dit à la poudre, Tu es ma mere, tu es ma soeur. Comme s'il disoit, Il ne faut plus que ie regarde ici bas ni à parens ni à amis: car Dieu m'a cache d'eux, il m'a retranché du rang et de la compagnie des vivans, ie suis comme une povre charogne le, il ne faut plus que ie cuide retourner, pour dire que les creatures me puissent alleger, il n'en est point de question: me voila donc du tout abysmé, il n'y a plus de remede en mon cas. Quelle est mon attente ? le n'en ay plus (dit-il) quand i'auray regardé et haut et bas, il faut que ie descende aux abismes, et que mon assiete soit là bas: c'est à dire, en la mort, quoy que i'attende, ou que i'edifie: car le mot dont il use peut venir d'Edifier: mais c'est une similitude qui est bien propre, quand il parle de l'attente, et toutes fois qu'il regarde à cest edifice. Il y auroit une ambiguité en ce mot, quant à la signification. C'est donc comme s'il disoit, Combien que ie soye patient, et que ie prolonge tousiours mon mal, si est-ce qu'il ne me reste que le sepulchre. Or il accompare ceste attente ici à un bastiment. ay beau bastir (dit-il) en cuidant me laisser tousiours quelque espoir: car m'adviendra-il mieux? Nenni (dit-il) Quand i'auray bien basti,

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ie n'auray pour maison que le sepulchre. Il semble bien que Iob parle ici comme un homme qui n'a plus nul goust de la vie celeste, qu'il ne sait que c'est de la misericorde de Dieu: mais il nous faut regarder à qui il s'adresse. Vray est que par ci devant quand il estoit en ses passions, et qu'il disputoit contre Dieu, il a bien monstré qu'il avoit des apprehensions terribles, ausquelles neantmoins il a tousiours resisté. Mais apres qu'il a traitté de ses passions, qu'il a senties, il monstre quelle est la folie de ceux qui veulent que la grace de Dieu se declare en la vie presente sur les bons et sur les fideles: et que si Dieu ne se monstre misericordieux ici envers les siens en apparence, il faut conclure qu'il les a delaissez, et qu'ils sont du tout desesperez. Iob se mocque de cela. Ainsi donc il adresse son propos à ceux qui voudroyent voir le payement des hommes en ceste vie transitoire et caduque. Or c'est une doctrine par trop perverse, comme desia nous avons declaré, que de vouloir ainsi iuger.

Ainsi notons, que Iob n'est point ici comme un homme desesperé: mais il reprend la folie de ceux qui se disoyent estre ses amis, quand ils lui veulent faire à croire, qu'il faut que nous sentions ici bas la grace et la bonté de Dieu, ou bien que nous sommes reiettez de luy. Pour mieux comprendre cela, regardons l'argument que fait sainct Paul, quand il nous veut asseurer de la resurrection derniere: Nous sommes (dit-il 1. Cor. 15, 19) plus miserables que tous les hommes de la terre. Qu'on face comparaison des Chrestiens, avec les contempteurs de Dieu, les gens prophanes, les hypocrites, et tous ceux qui despitent pleinement Dieu, qu'on regarde lesquels sont les mieux traittez: il est certain que tant pour tant, on verra plus de prosperité en ceux qui s'adonnent a tout mal, qu'on ne fera pas en ceux qui cheminent en la crainte de Dieu. Et pourquoy? Car selon que nostre Seigneur en est prochain, et qu'il veille sur nous, si nous faillons il nous redresse: comme un homme aura plus grand soin de corriger ses enfans, que ceux de ses voisins. Dieu donc pour declarer l'amour qu'il nous porte, nous chastiera quand il nous verra faillir. ipres il veut esprouver nostre obeissance, comme c'est bien raison: il veut ratifier nostre foi: car c'est une chose si precieuse, qu'elle merite bien d'estre examinee comme l'or et l'argent, et encores plus, comme sainct Pierre nous le remonstre (1. Pier. 1, 7). Et puis nous savons que le diable ne cesse de machiner tout ce qui lui est possible contre nous: et selon qu'il voit que nous sommes attentifs au service de Dieu, voila sa rage qui est tant plus enflammee. Nous avons tous les meschans qui nous sont autant d'ennemis, et aussi Satan s'en sert pour nous troubler. Il ne faut point donc

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s'esbahir si les enfans de Dieu en ce monde sont les plus miserables. Et sainct Paul use de cest argument là, pour nous monstrer que nous avons une attente meilleure. Quand (dit-il) on nous reiette, qu'on nous foule aux pieds, que nous sommes en opprobre et moquerie à tout le monde: que seroit-ce si nous n'esperions ceste resurrection qui nous est promise, que nostre Seigneur Iesus Christ doit venir, et qu'alors nous sentirons que ce n'est point en vain que nous avons servi a Dieu? Si nous n'avions cela, il n'y auroit plus de Dieu au ciel, il n'y auroit plus de iustice, il n'y auroit plus de providence. Voila donc l'argument de sainct Paul qui nous doit servir comme une clef pour l'ouverture de ce passage. Iob dit ici, Vous me voyez comme un homme desesperé: quand i'aurai fait beaucoup de circuits, il me faut venir au sepulchre, voila mon giste, ie ne voi que pourriture à l'entour de moi. Puis qu'ainsi est' me ferez-vous à croire que les hommes sont traittez de Dieu ici bas selon qu'il les aime, ou qu'il les hait? Car de moi ie sai que i'ai tasché de servir à Dieu, et ie ne suis point frustré de mon attente. Or ie me voi ici tant rudement traitté que rien plus' chacun me regarde de travers, ie suis comme en monstre et en fable publique. Que reste-il donc? Il faudroit ou que i'ensevelisse tout le bien et le privilege que Dieu m'a donné, et que ie le reiettasse: ou bien que ie conclue que Dieu se moque des siens, qu'il les abuse, que c'est en vain qu'ils s'appuyent sur ses promesses. Et voulez-vous que ie tombe en telle impieté? Puis qu'ainsi est donc, cognoissons qu'il ne faut point que nous iugions de la haine, ou de l'amour de Dieu selon ce que nous voyons maintenant: mais que nous allions plus outre, et que nous considerions que Dieu aime ceux qu'il afflige, qu'il leur reserve le goust de sa bonté, combien qu'elle soit cachee pour un temps, quand il ne leur monstre que toute rigueur. Que donc nous nous consolions en cela, pour dire, Or si tiendraiie tousiours ceste esperance, que mon Dieu en la fin me sera pitoyable, que ie le sentirai Pere: et encores que pour un temps il me soit advenu de m'eslever contre lui, si est-ce que ie retournerai à Geste conclusion-là.

Nous voyons donc quelle doctrine nous avons à recueillir de ce passage pour en estre bien edifiez: c'est assavoir, que nous devons recognoistre les miseres de ceste vie presente, et sur tout celles que nous sentons, et que nous voyons en tous les enfans de Dieu, comme une demonstrance que Dieu nous fait, qu'il y a une reserve beaucoup meilleure pour nous: et que cela soit cause de nous confermer en l'esperance de la vie celeste, comme n'agueres nous voyons que sainct Paul en parloit en la seconde des Thessaloniciens (1, 5 s8.). Car

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eu recitant qu'ils avoyent beaucoup souffert, et qu'ils estoyent tormentez des meschans, C'est (dit-il) une monstre que Dieu fait de son iuste iugement: car c'est une chose raisonnable et qui convient a, sa nature, de vous donner relasche quand vous aurez esté ainsi oppressez, cognoissez que Dieu vous a appresté vostre repos au ciel, puis que vous ne l'avez point eu en la terre. Et au reste, si c'est une chose convenable, la iustice de Dieu, que les meschans soyent punis selon qu'ils l'ont desservi, et que toutes fois nous ne voyons point cela en ce monde: cognoissez que Dieu comme en un miroir parmi vos afflictions, vos troubles et miseres, vous declare que nous viendrez une fois à lui: et c'est là aussi où il faut que vostre attente se remette. Ainsi donc apprenons cependant que nous sommes en ce monde: si Dieu nous envoye beaucoup de povretez et de tribulations, d'estre tousiours attirez à esperance de la vie celeste. Quand nous verrons les bonnes gens, et les povres enfans de Dieu estre rudement traittez, qu'on se moquera d'eux, qu'on abusera de leur patience,

qu'ils ne seront point secourus: quand (di-ie) nous verrons tout cela, que nous cognoissions, voici Dieu qui nous declare que combien que les choses soyent confuses en Geste vie terrestre, si est-ce qu'il ne nous faut point desbaucher pourtant: mais qu'il nous faut regarder plus loin: qu'il ne faut point que nous-nous arrestions en ce monde, ni a ces choses corruptibles, mais que nous y passions seulement, voire bien viste, et comme en courant. Au reste, si Dieu nous espargne, que nous cognoissions qu'il a pitié de nous, quand il nous entretient en repos, que c'est pour nous donner quelque, goust de sa bonté: mais sur tout il veut que cela nous serve pour l'advenir, afin que nous apprenions de mettre plus hardiment nostre confiance en lui, ne doutans point qu'il ne nous delivre de tous les combats et assauts de ce monde, pour nous faire participans de tous les biens qu'il a apprestez à ceux qui de leur bon gré se viendront cacher sous l'ombrage de nostre Seigneur Iesus Christ.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE SOIXANTESEPTIEME SERMON,

QUI EST LE . SUR LE XVIII. CHAPITRE.

1. Alors Bildad Subite respondit, disant, 2. Quand mettrez-vous fin à vos propos? entendez, et que nous parlions. 3. Pourquoy sommes-nous reputez comme bestes, et sommes (à vostre advis) stupides, et de nulle valeur? 4. Cestui-ci descire son ame en fureur: la terre sera-elle delaissee pour toy? Les rochers seront-ils transportez de leur lieu? 5. De fait, la clarté des meschans sera esteinte, et l'estincelle de leur feu ne reluira point. 6. Sa clarté sera obscurcie en son tabernacle, et sa lampe qui luit sur lui sera esteinte. 7. Ses pas seront restreints, et son conseil l'abbatra. 8. Car la rets est estendue sous ses pieds, et cheminera sur les flets. 9. Le laqs lui prendra le talon, et les brigands viendront au dessus de lui. 10. Son cordage est caché en la terre, et sa trappe sur le chemin. 11. Frayeurs l'espouvanteront à l'environ et l'accableront à ses pieds, et quelque part qu'il aille, ils le feront cheoir.

Nous avons exposé par ci devant, que c'est une doctrine vraye, et bien utile, que Dieu punit les fautes des hommes afin de se monstrer nostre

Iuge: moyennant que cela soit prudemment entendu et deduit. Et par cela nous voyons que ce n'est point assez d'avoir apprins en general quelque poinct de l'Escriture saincte mais il faut tellement appliquer à nostre usage que nous en facions nostre profit. L'experience aussi monstre combien il y en a qui abusent de l'Escriture Saincte à tors et à travers, qui prenent les choses à la volee. Ce qu'ils diront est vrai, moyennant qu'il fust bien approprié. Mais quoy? Ils le destournent tout au rebours de l'intention du Sainct Esprit: et voila comme la verité est du tout corrompue. Or c'est ce que fait ici derechef Bildad. Car il prend ce qu'il avoit desia dit ci dessus, que les meschans combien qu'ils prosperent pour un temps, seront en la fin confus, et que Dieu ne permettra point que leur prosperité dure à tousiours. Cela est vrai: mais cependant il passe mesure, quand il entend que les punitions que Dieu envoye sur les meschans s'accomplissent, et apparoissent tellement, qu'on cognoit finalement à veuë d'oeil en ceste vie presente que Dieu est leur Iuge. n contraire

IOB CHAP. XVIII

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cela ne se voit pas tousiours, il ne nous en faut point faire une regle generale. Voila eu quoy Bildad s'abuse, voire combien qu'il y ait une doctrine qui de soy est bonne et saincte. ainsi iaçoit que de prime-face il sembleroit qu'il n'y eust point de mal, si est-ce quand nous aurions ceci persuadé, c'est assavoir, que Dieu punit a veuë d'oeil tous les meschans, voila le danger qui y sera. Qu'ainsi soit, alors qu'il adviendra tout au rebours que nous ne l'aurons conceu, il nous semblera que Dieu n'est plus Iuge du monde, qu'il a quitté son office, et que les choses se gouvernent ici par fortune. Voila un blaspheme execrable. Apres nous serons tentez d'impatience, tellement que ce sera pour nous despiter, voyans que Dieu ne donne point ordre aux confusions: et finalement nous serons solicitez de nous adonner a tout mal: car nous cuiderons que c'est temps perdu de bien faire, veu que Dieu n'a nul regard aux hommes pour les conduire, mais les laisse comme à l'abandon: bref, tant s'en faut que nous le puissions invoquer, que nous serons pleinement alienez de lui. Et ainsi sous ombre d'une doctrine bonne, voici Bildad qui renverse toute religion, toute crainte de Dieu, et met les hommes en estat de desespoir. Voila pourquoi i'ai dit, que nous devons bien demander à Dieu prudence, pour appliquer à nostre profit et edification ce que nous lisons en l'Escriture saincte, et ce qui nous est tous les iours monstre quant à ses iugemens. Or Bildad en premier lieu est fasché de ce qu'on ne l'a point escouté, et de ce qu'on n'a point receu ce qu'il disoit: vray est que s'il eust enseigné fidelement, et à propos, il avoit iuste raison d'estre fasché. Et pourquoy? Si nous sommes constituez pour porter la parole de Dieu, et la doctrine de salut, et que nous voyons que les hommes qui nous escoutent sont endurcis, ou bien qu'ils se mocquent de ce que nous aurons proposé: si nous avons quelque zele à Dieu, si nous portons reverence à sa parole, nous devons estre faschez et . marrie. Et pourquoy? Ce mespris-là ne s'adresse point à nous, mais au Dieu vivant, duquel nous sommes messagiers Celui donc qui servira loyaument à Dieu portant sa parole, doit estre contristé, sinon que son labeur profite, voyant qu'on fait iniure à Dieu, en ne recevant point ce qu'il dit. Et d'autre costé nous devons procurer, entant qu'en nous est, le salut des ames: car nous voyons que les hommes s'en vont à perdition, d'autant qu'ils n'escoutent point Dieu, et que quand ils sont ainsi obstinez contre les bons advertissemens, les voila perdus: pour cela (di-ie) ne devons-nous point estre faschez? Si donc Bildad eust enseigné comme il devoit, il avoit iuste occasion de se plaindre, d'autant qu'on n'avoit point receu son propos: mais puis qu'il a corrompu la verité, et qu'il l'a convertie

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en mensonge, il ne faut point qu'il se contriste. Toutes fois nous sommes ici admonnestez quand on nous presentera quelque doctrine, de disoerner ce qui en est: que nous ne reiettions point ce qui nous est incognu: comme nous en verrons qui ne font pas grand cas, si on leur veut monstrer ce qui seroit utile pour leur salut, de reietter tout. Que nous n'ayons point donc cest orgueil-là en nous: car non seulement nous contristerions les hommes qui demandoient nostre bien, et qui nous vouloyent servir: mais nous contristerions l'Esprit de Dieu qui habite en eux, et qui leur donne ce zele de nous edifier, et de nous presenter ce qui est bon et propre. Voila donc comme il nous faut bien garder de mespriser ce qu'on nous propose, iusques à tant que nous ayons cagnu ce qui en est.

Au reste, quand Bildad reproche ici à Iob, Qu'il descire son ame comme en fureur, par cela nous sommes admonnestez (comme il a este touché ci dessus) que quand les hommes se tormentent en leurs passions, ils ne gaignent rien, sinon qu'ils se plongent tousiours en leur mal, qui leur tournera aussi sur la teste. Il est vrai qu'un homme qui sera affligé, pensera s'estre allegé d'autant s'il murmure, s'il se tempeste, s'il se despite, si mesmes il desgorge quelque blaspheme contre Dieu. Voila (di-ie) comme les hommes se veulent venger, quand Dieu les tient en afflictions. Mais quoy? Ont-ils avancé leur cause en la fin? Mais au contraire, ils ne font que descirer leurs ames, comme il est dit en ce passage, voire par fureur. Les Payens mesmes ont bien sceu dire, que la colere d'un homme est une ardente fureur, et impetueuse. Or quand un homme ne se peut assubiettir à Dieu en son afuiction, mais qu'il s'aigrit tousiours d'avantage, ie vous prie, D'est il pas comme un enragé? n'est-ce pas comme s'il vouloit resister à Dieu? le ne di pas que nous n'ayons des passions quand Dieu nous envoye quelques adversitez: mais si nos passions n'ont ni bride ni attrempance, et que ce soit pour nous enflammer et pour nous picquer à l'encontre de Dieu que nous soyons pleins d'amertume: alors il faut bien que nous soyons possedez de rage, comme i'ay desia dit, quand nous viendrons ainsi heurter à l'encontre de Dieu. Et la creature oseroit elle faire cela, sinon qu'elle fust despourveuë de sens et de raison? Il est bien certain que non. Voici donc un passage que nous devons bien noter: car combien que Bildad applique ceci mal à la personne de Iob, si est-ce qu'en soy ceste sentence est vraye, et nous doit servir, quand nous voyons que impatience est une espece de fureur en l'homme. Et qu'est-ce à dire Impatience? Ce n'est pas une simple passion, quand nous sommes faschez de nos maux. mais c'est un despit excessif, quand nous ne

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pouvons pas simplement nous assubiettir à Dieu, afin qu'il dispose de nous à sa volonté. Si donc nos passions sont tellement desbordees que nous ne puissions tenir mesure en nos afflictions, voila comme l'impatience domine. Or si nous ne les pouvons tenir et moderer, il faut conclure que nous sommes comme phrenetiques contre Dieu, voire enragez du tout. Il est vray que nous ne le confesserons pas: mais puis que le S. Esprit l'a prononcé, voulons-nous avoir un iuge plus competant? Et quand nous aurions bien regarde à nous j il n'est rien dit en ce passage, que l'experience mesmes ne nous le monstre estre tres-vrai. Ainsi donc cognoissons, que celui qui s'est disposé pour tenir en bride courte ses affections, a acquis une grande sagesse. Et de fait, voila aussi à quel propos S. Iaques dit (1, 5), Si quelqu'un a besoin de sagesse, qu'il la demande à Dieu. Et pourquoy? Il avoit parlé de patience. Mes amis (dit-il) estimez quand Dieu vous afflige, et que vous venez en des tentations, que c'est pour vostre profit et salut: or ce n'est point que cela ne soit trouvé estrange, et qu'il n'y ait bien peu de gens qui s'y accordent: mais si quelqu'un a besoin de sagesse, qu'il recoure à Dieu. Comme s'il disoit, Il est vrai que l'esprit humain iamais ne confessera que les tentations et adversitez soyent autant de biens que Dieu nous procure: mais la faute est que nous sommes mal advisez, et que nous ne savons pas ce qui nous est expedient. Que faut-il donc? Estans destituez de sagesse, voire quand nos passions dominent par trop en nous, et nous troublent l'esprit, recourons Dieu: car il saura bien suppleer à nos defauts. Voila donc ce que nous avons à recueillir de ce passage: c'est que nous appliquions nostre estude à moderer nos afflictions, afin que nous ne soyons point par trop despitez quand Dieu nous affligera, sachans que si nous les prenons en patience, Dieu convertira le tout à nostre profit et salut. Au contraire, si nous voulons faire des enragez, et ne point. adoucir nos maux dos consolations que Dieu nous donne: quelle en sera l'issue? Telle que Bildad monstre ici: c'est assavoir, que nous ne ferons que descirer nos ames: comme nous verrons un povre phrenetique qui se iettera au feu, il se precipitera par une fenestre, il fera maintenant mal à autrui, maintenant à soy-mesme, quand sa phantasie le prendra. Ainsi donc eu ferons-nous, quand nous serons transportez de nos coleres: car nous ne ferons point difficulté de nous desborder à l'encontre de Dieu, voire sans regarder que le tout reviendra à nostre confusion. Il nous est donc besoin de peser ceste doctrine, c'est assavoir, de ne point descirer nos ames, mais que nous apprenions de nous remettre du tout à la bonne volonté de Dieu, à ce qu'il face de nous ce qu'il

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lui plaira. Voila en somme ce que nous ayons, a retenir.

Or il est dit puis apres, Le monde changera-il à cause de toy? Les rochers seront-ils transportez de leur lieu ? Aucuns exposent Geste sentence trop subtilement, Le monde, c'est à dire, l'ordre que Dieu y a mis et constitué, changera-il? Et le rocher, c'est à dire, Dieu qui est la force du monde. Mais ce sont choses trop contraintes. Bildad a voulu plus simplement parler, c'est assavoir, que Iob en son propos a renverse l'ordre de nature. Voila en somme ce qu'il a entendu. Et pourquoy? Car Bildad propose, que tout ainsi que Dieu a creé le ciel et la terre, et a constitué cest ordre naturel que nous voyons, aussi il faut que son iugement ait son cours. Cela est bien vrai: mais il le prend mal, d'autant qu'il veut que ce iugement de Dieu soit tout notoire, et qu'on le cognoisse, qu'on le voye à l'oeil, qu'on le touche comme au doigt. En cela il s'abuse. Toutes fois il est bon de cognoistre son intention, afin que nous en recueillions l'instruction qui y est contenue. Il dit donc, Le monde changera-il à cause de toi? C'est à dire, Comment l'entens-tu? Car tu disputes que Dieu n'execute pas ses iugemens ici bas en sorte qu'on les cognoisse: et Dieu a-il constitué cest ordre au ciel, en l'air, en la terre, que quant et quant il ne vueille que ses iugemens soient cognus? Quand nous contemplerons et haut et bas les oeuvres de Dieu, n'est-ce point afin que sa bonté, et sagesse, et iustice, et toutes ses vertus nous soyent cognues? Il est bien certain. Pourquoy est-ce que Dieu nous presente un si beau miroir on toutes ses creatures? N'est-ce point afin d'estre glorifié de nous? Or puis qu'ainsi est, tout ainsi que Dieu nous declare ses vertus en tout le reste, aussi veut-il que ses iugemens nous soyent cognus. Cela est vrai en partie, c'est à dire, moyennant qu'il soit entendu comme il doit: mais Bildad l'estend trop generalement. Que faut-il donc? Toutes fois et quantes qu'on nous parlera de Dieu, que ses oeuvres qu'il nous monstre, et qui nous sont plus prochaines, nous conduisent tousiours plus haut à lui. Exemple: L'Escriture nous parlera souvent de ce que nous voyons tous les iours, c'est assavoir, que Dieu envoyera la pluye, et le beau temps, qu'il fera fructifier la terre, et fera qu'elle nous nourrisse. Or ce n'est point assez que nous cognoissions que la pluye et le beau temps vienent de Dieu, et que quand la terre nous produit nourriture, c'est de sa grace. Il est vrai que voila les fondemens, mais si faut-il passer plus outre, et monter plus haut: c'est assavoir, que si Dieu donne telle vertu à la terre, il faut bien par plus forte raison que nous recevions nostre vertu de lui: car nous sommes creatures plus nobles. La vie qui

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est en nous, n'est-ce pas une chose plus grande et plus excellente, que la vertu que la terre a de fructifier? Il est bien certain. Il faut donc que nous cognoissions que cela est une oeuvre de Dieu, et qui en procede. Apres, si Dieu a le soin de nourrir les hommes en ce monde: et pensons-nous que s'il nous est Pere et cela, et qu'il daigne bien avoir regard à nos corps, qui ne sont que povres charongnes, que nos ames ne lui soyent beaucoup plus precieuses? Apres, s'il fait que la semence qui sera iettee en terre, germe apres qu'elle sera pourrie, et qu'elle apporte fruict de nouveau: si nous allons en corruption, Dieu ne nous pourra-il pas restablir en une meilleure vie, veu qu'il monstre une telle vertu en l'ordre de nature? Apres, Dieu a une conduite certaine, quand il fait luire le soleil tous les iours, et le fait coucher: qu'il y a puis apres les circuits de la lune, quant aux mois, et du soleil par chacun an, nous voyons l'ordre qui est aux estoilles, et aux planettes: toutes fois et quantes que nous contemplons cela, nous devons. conclure que Dieu est permanent en sa verité, et qu'il nous en donne ici quelques enseignemens et signes. Quand nous voyons une telle constance en ce qui consiste en l'ordre de nature, que sera-ce de ses promesses qui appartienent à nostre salut, qui n'est pas une chose corruptible, ni subiette aux mutations et changemens de ce monde ? Voila donc comme l'Escriture saincte par les oeuvres de Dieu qui nous sont plus prochaines et familieres, nous conduit plus haut: mais il faut aussi que nous sachions discerner entre les oeuvres de Dieu comme il appartient. Comme quoy? Voici Bildad qui est confus du tout en son propos. Car il dit, Dieu ayant creé le monde à un ordre certain, lequel est maintenu par lui: il s'ensuit donc que ses iugemens sont tous certains, et qu'on les peut voir et cognoistre. Or la consequence est mauvaise. Pourquoy? Dieu veut que le soleil se couche et se leve, et que par cela nous soyons advertis que iusques en la fin du monde il nous donnera les choses qui nous sont necessaires pour nous preserver ici. Quand nous voyons les vignes, et les arbres, et la terre qui fructifie, et bien, c'est Dieu qui nous monstre qu'il a le soin de Geste vie, combien qu'elle soit mortelle et caduque: mais c'est comme s'il nous prenoit par la main pour nous eslever là haut au ciel à soy. Dieu donc veut bien que nous cognoissions cela tout priveement, et nous le commande: mais quant à ses iugemens, il y a une autre raison, car il veut que seulement nous on ayons quelque goust en ceste vie, et que nous attendions on patience, qu'ils apparaissent au dernier iour, car alors les choses qui sont maintenant confuses seront remises en estat: iusques là Dieu n'accomplira point ses iugemens qu'on partie.

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Et ainsi ces e conclusion que fait ici Bildad n'est pas bonne ni convenable: car il mesle deux choses ensemble, ausquelles il y a grande diversité. Il faut donc que nous usions ici de discretion. Maintenant nous entendons comme ceste sentence est vraye, et toutes fois mal appliquee. Geste sentence est vraye, entant que nous devons estre enseignez et advertis par l'ordre de nature de chercher les choses qui nous sont plus hautes, c'est assavoir, de cognoistre la sagesse, la iustice, la bonté, et la verité de Dieu: et non seulement en ce qui concerne ceste vie transitoire, mais en ce qui est de son royaume celeste et permanent. Et si nous ne le faisons, nostre ingratitude est trop vilaine, et n'aura nulle excuse: car les vignes ne nous devroyent-elles pas crever les yeux? et les rivieres, et les champs, et toutes choses semblables, où Dieu se declare,. et se presente à nous? Si nous ne le pouvons concevoir là, ne faut-il pas que nous soyons aveugles volontaires, c'est à dire, que nous perissions en nostre ignorance?

Or venons maintenant à ce qui est ici dit, De fait la clarté du meschant sera esteinte, et sa lampe qui luit sur sa teste sera obscurcie, il n'y aura plus d'estincelle de son feu. Par telles similitudes Bildad veut signifier en somme, que Dieu ne souffrira point que les meschans prosperent à tousiours. Mais il nous faut bien noter, qu'il est bien vray que pour un temps Dieu permettra que les meschans soyent à leur aise, qu'ils facent leurs triomphes, et qu'ils s'esgayent, comme s'ils avoient fortune en leur main. Si Bildad eust bien entendu ce propos, il ne se fust pas ainsi enserré comme il fait puis apres. Et pourquoy? Il confesse ici que les meschans peuvent bien prosperer quelquefois. Oh est-ce donc qu'il s'abuse? C'est qu'il determine un temps, et comme un iour, quand leur prosperité doit prendre fin; et que Dieu convertisse leurs ris en pleurs. Or ce n'est pas à nous à determiner cela. Et pourquoy? Dieu conduira bien les meschans en prosperité quelquesfois iusques au sepulchre, ainsi qu'on le voit, et que nous en avons touché en partie, assavoir, qu'ils descendront en une minute de temps sans fascherie au sepulchre, comme aussi il en est parlé au Pseaume. Voila (dit David Pse. 73, 41) les enfans de Dieu qui trainent leurs liens et leurs cordeaux, ils ne font que languir ici bas: il semble que la mort les poursuive, et toutes fois qu'elle ne les vueille point emporter. Et qu'est-ce des meschans? Ils sont sains et robustes, et meurent sans y penser. Puis qu'ainsi est, notons que ce n'est pas a nous d'imposer nul terme à Dieu, pour dire qu'il esteigne en ce monde la clarté des meschans, et qu'il les pousse en tenebres, c'est à dire, en confusion. Nous ne pouvons faire cela sans arguer nostre

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Dieu. Et puis nous sommes advertis que son plaisir n'est pas tel: car il veut se reserver quelque iugement au dernier iour. Que faut-il donc? Notons en premier lieu ce qui est ici dit, c'est assavoir, que les contempteurs de Dieu, ou les hypocrites auront comme une lampe allumee en leur maison. Il est vrai qu'il exprime la chose par divers termes, la clarté, la lampe, et la splendeur: mais c'est à la façon commune de l'Escriture saincte que Bildad parle ici. Tant y a que ceste elarté ne signifie sinon que les meschans sont à leur aise, et se resiouyssent: et qu'il semble bien que Dieu leur soit favorable: comme à l'opposite c'est une chose assez commune, que nos tribulations et angoisses soyent accomparees à la nuict, et aux tenebres. Or revenons maintenant au propos. Les contempteurs de Dieu, et gens de vie dissolue, ou bien ceux qui n'ont que feintise, pourront bien pour un temps prosperer: et nous le voyons, et faut que nous soyons tous accoustumez et endurcis à cela: car si nous le trouvons nouveau, nous serons troublez et faschez, et faudra que nous quittions le service de Dieu. Nous devons donc estre resolus, que ai Dieu permet que les meschans soyent en delices, et qu'ils se gaudissent ici bas, qu'ils ayent tous leurs plaisirs, il ne faut point que nous en soyons estonnez. Voila pour un Item. Et c'est un exercice qui nous est necessaire, il est vrai qu'il nous semblera dur: mais si est-ce qu'il nous y faut accoustumer (comme i'ay desia dit). Au reste, notons en second lieu, que nostre Seigneur esteindra toute ceste clarté, et qu'apres que les meschans se seront esgayez, il faudra que leurs voluptez et plaisirs qu'ils ont prins, leur soyent bien cher vendus. Et pourquoi ? Ceci ne peut faillir que leur clarté ne soit esteinte. Et voila aussi sur quoy insiste David au Pseaume 37 (v. 10 35 36). Car comment nous exhorte-il de ne porter point envie aux meschans, quand nous les verrons ainsi triompher, et qu'il semble qu'il n'y ait que pour eux, et que leur vie soit reputee heureuse, et qu'ils se glorifient aussi, comme s'il n'y avoit qu'eux qui fussent aimez de Dieu? Quelle raison amene David à ce que nous en soyons asseurez? Or il dit, que cela passera. ,Attendons (dit-il) et nous verrons que ce n'est que malheur de toute la felicité que les meschans cuident avoir. Il est vrai qu'ils seront asseurez en leur bonne fortune (comme ou dit), ils s'y plairont tant et plus: mais en la fin Dieu les ruinera.

Il faut donc que nous apprenions de passer outre ce monde, quand nous ne voudrons point estre solicitez de ressembler aux meschans: et que nous cognoissions, Et bien, Dieu monstrera que ce n'est rien d'avoir eu ses aises au monde, que cela n'est qu'une resiouissance qui n'a nulle duree.

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Vray est que Dieu supporte les siens en leur infirmité iusques-là, que souvent il coupe la broche à la prosperité des meschans: comme aussi il en est parlé au Pseaume (125, 3), que si nous estions tousiours en affliction sans avoir nulle relasche, nous pourrions estendre nos mains à mal-faire: c'est à dire, comme nous sommes fragiles, encores que nous invoquions Dieu, et que nous desirions de le servir, si pourrions-nous estre tentez à nous desbaucher, n'estoit que Dieu moderast nos afflictions, et qu'il reprimast les meschans, et leur donnast de tels soufflets, qu'ils fussent abbatus. Dieu donc exercera bien quelquesfois ses iugemens durant ceste vie caduque, afin de nous supporter aucunement: mais cela n'est point perpetuel, et ne nous en faut point faire une regle generale comme a fait Bildad. Car si nous disons, Dieu esteindra la clarté des meschans: et quand sera-ce ? Auiourd'hui ou demain. Si nous imposons ainsi terme à Dieu, il permettra que nous serons frustrez de nostre attente. Pourtant remettons cela on sa main: Dieu cognoit le temps, et la saison qu'il doit exterminer les meschans. quelquesfois il les engraisse comme on fera un boeuf ou un porceau, ainsi qu'il en est parlé au Prophete (Iere. 12, 3). Or si on engraisse un boeuf ou un porceau, ce ne sera pas pour les faire travailler quand ils seront bien saouls, ce ne sera pas pour les envoyer au froid et au chaud, ne qu'ils endurent la peine comme les autres bestes: mais ce sera iusqu'à ce qu'on a somme le boeuf, et qu'on coupe la gorge au porceau. Ainsi donc en est-il, que Dieu engraissera les meschans, iusques à ce qu'ils soyent venus au poinct du sepulchre. Et pourtant notons bien ce que i'ay desia touche, c'est assavoir, que pour nous appuyer sur les iugemens de Dieu, il nous faut passer outre le monde, il nous faut contempler les choses qui sont encores, cachees devant nos yeux. Voila ce que nous avons à noter. Et ainsi quand nous verrons les meschans estre eslevez, et que tout leur vient à souhait: et bien, devons nous trouver cela nouveau? N'a-il pas este dés le commencement du monde? Les Peres anciens n'ont-ils pas eu ceste tentation, et y ont resisté? Laissons donc cela à Dieu: seulement cognoissons que toutes les delices que prenent en ce monde les meschans leur tourneront à contusion, et qu'il vaudroit beaucoup mieux que Dieu les eust traittez maigrement, que de leur avoir ainsi eslargi de ses graces. Et pourquoy ? Car selon qu'ils auront abusé de sa bonté, il faudra aussi qu'ils soyent tant plus griefvement punis à cause de leur ingratitude. Et ainsi attendons-que Dieu besongne pour faire son office, c'est à dire, pour esteindre la clarté des meschans.

Or cependant aussi nous devons bien retenir

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les façons de parler qui sont ici mises comme quand Bildad dit: Que les filets sont mis sous les pieds a" meschans, et qu'ils ne peuvent passer que par destroits: et quand Is s'esleveront, ils seront surprins comme au trebuschet, que les laqs seront tendus sous leurs pieds, voire, combien qu'ils soyent

cachez, et qu'on ne les aperçoive pas. Suivant cela aussi David dit, Que les meschans marcheront tousiours sur la glace. Il est vrai que le chemin reluit, il est beau en apparence: mais il n'y aura point de fermeté pour eux, et Dieu leur fera faire un faux pas pour se rompre le col soudain devant qu'on y ait pensé. Or ces similitudes conviennent toutes en un, c'est assavoir, pour monstrer que combien que les meschans prosperent, et qu'on ait en admiration leur felicité, qu'elle soit prisee, qu'elle soit mesmes appetee de tout le monde: toutes fois ils s'en vont en perdition. Chacun dira, Et ie voudroye bien estre comme un tel: mais nous ne voyons pas les filets qui sont cachez sous terre. Il semblera que Dieu porte les meschans, et qu'ils ayent mesmes des ailes pour voler: mais quoy? S'ils volent bien haut, c'est pour trebuscher tant plus lourdement: s'ils ont les pieds en terre, il y a les filets qui sont an dessous. Il est vrai que nous ne les verrons pas: mais estans advertis par la parole de Dieu, il nous les faut contempler par foy. Cependant si Bildad eust bien entendu ce qu'il disoit, il ne se fust pas ainsi enserré en des filets de contrarieté. Pourquoy? Car en disant, que les filets sont cachez sous les pieds des meschans, il devoit retenir cela: Et bien, ce n'est pas à nous de voir de nos yeux les filets, iusques à ce que Dieu les monstre. Et quand sera-ce? Ce D'est pas aussi à nous de determiner nul temps. Il faut donc que le hommes s'assubiectissent à la providence de Dieu, et qu'ils ne mettent pas une regle, ne loy generale, pour dire, Dieu fera ainsi, ou ainsi. Or de nostre costé advisons bien d'appliquer Geste doctrine à son droit usage. Quand il est dit, Qu'il y a des filets sous les pieds des meschans: Et bien, prions Dieu qu'il nous conduise par la main, sachans que les filets sons tendus en ce monde pour les hommes: car Satan ne nous assaut point seulement d'une guerre ouverte: mais il fait des embusches, et en cachette il machine nostre perdition tant qu'il lui est possible. Nous ne saurions donc marcher un pas en ceste vie presente, que nous ne soyons en danger d'estre surprins aux filets. lais quoy? Il y a nostre Seigneur qui nous preserve, quand les filets et cordeaux de Satan sont tendus, et tout apprestez pour nous surprendre: nous avons nostre chemin tout fait, et mesmes nous sommes sustenus et guidez par les Anges, comme il est dit au Pseaume 91 (v. 11. 12). Quant aux meschans, ils ont tousiours les filets tendus. Il est

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vrai qu'ils s'applaudissent à eux-mesmes, et les autres aussi cuideront qu'ils soyent heureux iusques au bout: mais n'est qu'ils ne cognoissent pas ce qui leur est appresté: car Ce n'est point assez ne cognoistre que les filets sont ainsi tendus pour surprendre les meschans, mais il nous faut noter qu'ils sont cachez. Quand donc nous ne verrons qu'un beau chemin et plaisant, et que nous verrons las meschans qui sauteront, et se desborderont, et qu'il semble que Dieu ne les puisse plus retenir: que nous ne laissions pas pourtant de conclure, qu'il y a une horrible perdition qui leur est apprestee. Et pour" quoy? Il ne nous en faut pas iuger selon nostre apprehension, ni nostre regard: et ceux qui le veulent faire, falsifient l'Escriture saincte. Si nous voulons voir les filets, il est dit, qu'ils sont cachez sous terre: et ainsi donc souffrons d'estre ignorans, iusques à ce que Dieu nous revele ses iugemens. le di les iugemens secrets qui ne sa peuvent concevoir sinon par foy: car quand nous en voudrions avoir l'experience a, nostre phantasie, cela seroit mauvais.

Voila donc comme il faut que les fideles se retienent en bride, toutes fois et quantes qu'il leur semblera que Dieu favorisa aux: meschans, et qu'il ne les vueille iamais punir ni amener à conte. Ainsi, que les bons soyent lors retenus en ceste conclusion. Et bien, ie ne say quelle doit estre la fin de ceux-ci: mais tant y a que Dieu est le Iuge du monde, i'attendrai en patience, iusqu'a ce que i'en voye l'issue: et puis quand i'aurai ainsi cognu que les meschans seront surprins, ie ne doute pas que Dieu n'accomplisse ce qu'il dit: mais du moyen il ne m'est pas encores cognu: ie ne veux point donc monter outre mes limites, il me suffit de donner gloire à Dieu en tout ce qu'il fait, et de le prier cependant, que i'en puisse faire mon profit, car ce n'est pas à moy de lui imposer loy. Et notamment il est parlé ici du talon: car combien que Bildad regarde à ce qu'il avoit exposé, que les filets estoient sous terre, tellement que les meschans en seroient surprins: si est-ce que sous ce mot de Talon, il exprime, qu'il ne se faut point esbàhir si du premier coup Dieu ne fait point trebuscher les meschans, mais leur laisse faire longue course: mais que quand il semble qu'ils soyent venus iusques au bout, pour triompher plus que iamais, alors il les presse, et leur donne un tel faux-bond, que c'est pour leur faire rompre le col. Il ne se faut point donc esbahir de cela. Souffrons donc que Dieu attende les meschans, et qu'en fin il les prenne par le talon pour les precipiter en ruine. Voila Je quoy nous doit servir ce mot.

Or Bildad dit quant et quant, Que de tous costez les frayeurs les espouvanteront, et les feront tomber ou que ce soit: il avoit dit, qu'ils marcheront

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en lieus estroits, et que quelque part qu'ils aillent, ils ne pourront point eschapper les embusches. Il est vrai que les meschans auront bien l'espace assez longue pour s'esgayer; comme nous voyons qu'ils se desbordent et ça et là: il ne semble point donc qu'ils cheminent tousiours en destroits: il est vrai que nous ne le voyons pas, mais ils le sentiront mieux que nous ne le pouvons pas imaginer. Et au reste, combien que nous ne le contemplions pas tousiours, si est-ce que Dieu accomplit en la fin ce qu'il dit ici, voire selon que Bildad l'exprime, que les frayeurs les espouvanteront. Mais il prend mal les frayeurs, comme s'il falloit que les ennemis de Dieu, et les meschans cognussent et apprehendessent leurs pechez pour en avoir telle crainte qu'ils s'en repentissent: car cela n'est pas. Et pourquoy? Ces deux choses ne sont pas incompatibles, que les meschans soyent estonnez, et que cependant ils se resioussent et s'esgayent, car quand les contempteurs de Dieu se veulent resiouir, ils se transportent, ils s'oublient, ils sont abbrutis, et se font à croire merveilles, en despitant Dieu ils cuident estre les plus heureux du monde. Voila quelle est la ioye des meschans c'est à dire, une ioye forcenee et qui leur oste tout sens et raison, tellement qu'il n'y a plus nulle modestie en eux. Or cependant Dieu les appelle quelquefois à conte, il les adiourne là dedans, tellement qu'ils sont contrains de sentir qu'il faut venir devant lui: et toutes fois, ils ensevelissent ceste cognoissance-la tant qu'ils peuvent,

et sont contens de demeurer sourds et aveugles, pour ne point voir ni entendre ce que Dieu leur monstre et declare. Nous voyons maintenant comme nous devons exposer Geste doctrine pour la prattiquer, et pour en faire nostre profit. C'est en somme, que si les meschans ont tout à leur gré, ce n'est pas à dire que leur vie soit heureuse pour cela. Et pourquoy? Le principal bien des hommes quel est-il ? Qu'ils soyent asseurez, qu'ils ayent leurs consciences paisibles et en repos, pour aller et par la vie et par la mort en une vraye constance, et mesmes se resiouyr. Or cela est-il aux meschans? Nenni: car combien qu'ils s'efforcent de despiter Dieu, pour n'avoir nulle tristesse, si faut-il qu'en despit de leurs dents ils soyent contristez et faschez. En cela voyons-nous que leur vie est mal-heureuse parmi tous les biens qu'ils peuvent avoir. En ainsi quand nous cognoistrons que Dieu nous veut estre propice, encores que nous soyons tormentez de costé et d'autre: que cela nous console au milieu de toutes nos afflictions, sachans que Dieu y mettra fin à nostre profit et salut, et à la confusion de nos ennemis. Voila comme il nous faut prattiquer ceste doctrine. Il est vrai qu'elle merite d'estre deduite plus au long, et le sera encores à la lecture prochaine, au plaisir de Dieu: mais pour le present le temps ne porte pas que nous passions plus outre.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE SOIXANTE ET HUICTIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XVIII. CHAPITRE.

12. Sa force sera en famine, et y aura rompure d'angoisse à sa coste. 13. Le premier nay de la mort mangera ses branches, ou les membres de sa peau, voire il mangera ses membres. 14. Son esperance sera arrachee de son tabernacle, et le fera venir le roy de frayeur. 15. Celui qui n'est pas sien habitera en son tabernacle, et le soulphre sera espandu sur son domicile. 16. Ses racines dessecheront au dessous, et ses branches seront couppees en haut. 17. Sa memoire perira de la terre, et n'aura plus de renommee par les places. 18. On le iettera de clarté en tenebres, et sera exterminé du monde. 19. n n'aura ne {ils, ne neveus au peuple, il n'aura point de survivant en ses habitations. 20. Les survivans seront estonnez pour

son iour, et ceux qui iront devant seront saisis de frayeur. 21. Voila quels sont les tabernacles du meschant, et le lieu de celui qui ne cognoit point Dieu.

Nous avons à continuer le propos qui fut hier commencé: car Bildad monstre ici que Dieu ne laisse point les meschans impunis, quoy qu'il en soit. Or este sentence (comme nous avons dit) est bien vraye, si elle est deuëment entendue, c'est assavoir, pourveu que nous ne vueillons point obliger Dieu en telle façon que nous avons accoustumé qu'il punisse les meschans en telle sorte ou en telle, mais que nous lui laissions la liberté d'executer

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ses iugemens. · Or maintenant regardons ce qui s'ensuit. Ici Bildad en premier lieu a dit, Que la force du meschant sera famine, et qu'il y aura compure apprestee (ou disposee) à sa coste. Quand il parle de force, il n'y a nulle doute qu'il n'entende toute puissance: comme s'il disoit, que la nourriture sera convertie au meschant en famine. Et à cela aussi convient la seconde partie qu'il adiouste, Que ses costes n'aurout que rompure: car les costes signifient vertu, comme nous savons que la chair ne pourroit point soustenir l'homme, sinon qu'il y eust les costes qui sont plus dures, là où consiste toute la vigueur. Nous entendons donc en somme que Dieu maudira tellement les meschans, qu'encores qu'ils semblent robustes, et bien fournis de tout ce qu'il leur faut, cela ne sera pas pour les garder qu'ils ne soyent rompus et cassez. Or pour faire nostre profit de ceste sentence, nous avons à observer en premier lieu ce que dit l'Escriture, c'est assavoir, Que l'homme n'est point nourri du pain, mais de la parole qui procede de la bouche de Dieu. En quoy Moyse signifie, que l'abondance que nous aurons ne nous pourra pas soustenir. Quoy donc? Qu'il n'y a que la grace de Dieu. S'il plaist à nostre Seigneur, nous serons substantez, encores qu'il y ait faute de pain, dé boire, et de manger: comme il est dit, Qu'il nourrira les siens au temps de famine. Mais à l'opposite, quand un homme aura ses greniers bien pleins, et garnis, il pourra crever, mais ce ne sera pas qu'il soit soustenu. Bref, Dieu a declaré une fois en la Manne, que c'est lui seul qui nous soustient par sa vertu. Si les viandes que nous mangeons sont benistes de Dieu, elles nous serviront comme la Manne: et quand il y aura faute, Dieu suppleera bien à cela. u reste, si la benediction de Dieu n'est point sur nous, il n'y aura rien qui nous profite, il faudra que nous maigrissions, que nous soyons minez, et consumez avec nostre abondance. Ceste sentence donc de Bildad est bien vraye, et nous voyons comme il y a beaucoup d'autres passages en l'Escriture qui conviennent à cela. Ainsi apprenons d'en faire nostre profit, et cognoissons que nous n'avons ni vertu, ni substance, sinon en la bonté de Dieu quand elle est espandue sur nous, que c'est de là que nous tirons vie, que c'est par ce moyen que nous sommes conservez et maintenus en nostre estat: parquoy mettons là du tout nostre fiance. Et au reste, quand nous verrons les meschans estre robustes, sachons que cela ne durera point tousiours. Vray est qu'il ne nous faut point penser à la façon de Bildad, que Dieu tousiours à veuë d'oeil nous monstre ce qui est ici dit: mais il nous faut attendre en patience et laisser à Dieu la liberté d'executer ses iugemens quand bon lui

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semblera. Voila ce que nous avons à noter de ce passage.

Or il adiouste quant et quant, Que le premier nay de la mort mangera ses branches, ou les membres de sa peau voire, il mangera ses membres: car le mot est reiteré. Quand il est ici parlé du premier nay de la mort, il nous faut entendre une espece plus exquise de mort, car nous en verrons mourir d'aucuns, lesquels trespasseront à leur aise, que Dieu les espargnera: les autres seront tormentez, tellement qu'il y en aura qui languiront quelque temps, et seront mattez iusques au bout: et les autres quand ils meurent, c'est comme en ne sentant rien. Notons donc que ce mot ici, De premier nay de la mort, emporte une violence grande, quand un homme est là tenu comme en torture, que Dieu l'espouvante, qu'il est effrayé, et environné d'angoisses de toutes parts, qu'il ne voit aussi qu'un abysme de toute horreur. Bildad donc dit, qu'il en adviendra ainsi aux meschans. Vray est que nous sommes tous mortels, et que Dieu nous a mis en ce monde à ceste condition de nous en retirer. De fait nous ne pouvons pas venir à la vie celeste, que ce qui est de corruptible en nous, ne soit aboli, comme sainct Paul en parle (1. Cor. 15, 53). Que faut-il donc ? Qu'un chacun se dispose à mourir, cognoissant que Dieu nous fait une grace inestimable, de ce qu'il luy plaist par le moyen de la mort nous delivrer de corruption: et combien que ceste loge caduque de nostre corps soit abbatue, qu'il redressera un edifice en nous, qui est beaucoup plus excellent, d'autant que nous serons revestus de gloire et d'immortalité. Mais au contraire cognoissons que nostre Seigneur envoyera le premier nay de la mort sur les meschans, qu'il faudra que leur mort soit pleine de frayeur, qu'il n'y ait nulle consolation, que le mal ne soit nullement adouci. Et voila aussi en quoy nous differons d'avec les incredules: c'est assavoir, que combien qu'il nous faille passer par la mort tons ensemble, et que cela nous soit commun à tous sans exception: neantmoins Dieu nous tend la main, quand il est question de mourir, tellement que nous allons d'un courage paisible à luy, et que nous luy pouvons en une vraye et droite fiance recommander nos esprits, afin qu'il les reçoive comme un bon gardien et fidele. Mais quant aux meschans il faut qu'ils s'en aillent avec grande violence, qu'ils soyent esmeus et effrayez, qu'ils resistent à Dieu, qu'ils se tempestent, et qu'il n'y ait rien pour les consoler. Toutes fois qu'il nous souviene de ce qui a esté dit, c'est assavoir, que cela ne sera pas tousiours apparent: car quelquefois nostre Seigneur envoyera une mort violente à ses enfans: mais si le corps souffre, ce n'est pas à dire, que leur condition en soit pire quant à l'ame.

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Et voila eu quoy Bildad s'est trompé, comme nous avons tousiours à retenir cela, c'est assavoir, qu'il ne nous faut point iuger a veuë d'oeil: et d'autant que les iugemens de Dieu nous sont souvent cachez, et que nous n'appercevons pas comme Dieu les execute, que nous n'apportions point ici nostre sens et phantasie. Mais si Dieu execute ses iugemens d'une façon visible, notons-les pour en faire nostre profit: si nous ne les voyons pas, et bien, sachons qu'il a reservé la manifestation iusqu'a dernier iour, afin d'esprouver nostre foy. Mais cependant si est-ce que nous devons estre resolus en ceste conclusion, c'est assavoir, que si la mort est commune à tous les hommes, les fideles toutes .fois sont consolez par la bonté de Dieu, et tellement fortifiez, qu'ils vienent franchement à lui, sachans qu'il les recevra, comme ils sont asseurez qu'il fera bonne et seure garde de leurs ames iusques au dernier iour: que mesmes d'autant qu'elles sont commises en la main de nostre Seigneur Iesus Christ, et il les a prins en sa protection elles ne peuvent perir. Les fideles donc s'en iront franchement à la mort. Aucontraire il y a une mort exquise et espouvantable sur tous incredules, d'autant qu'en premier lieu ils ne savent où ils vont, et puis le iugement de Dieu les persecute, tellement qu'ils ne sauroyent concevoir que toute frayeur et espouvantement. Quand nous oyons que ce privilege nous est donné, nous avons bien à remercier nostre bon Dieu, et nous apprester à vivre, et à mourir à sa volonté. Que donc nous ne luy soyons point rebelles quand il nous voudra tirer de ce monde, veu la consolation qui nous est apprestee.

Or il s'ensuit quant et quant, Que son esperance sera arrachee de son tabernacle, et qu'il sera amené au roy de frayeur. Quand il dit, Que l'esperance de l'inique sera arrachee de son tabernacle: en cela il nous est signifié, que Dieu logera pour un temps ceux qui n'en sont pas dignes, en sorte qu'ils auront tout leur aise, mesmes ils habiteront aux palais, cependant que les povres fideles auront à grand' peine de petites cahuettes pour se retirer. Voila donc les contempteurs de Dieu qui sont adonnez à tout mal, qui habiteront en ce monde, comme si la seigneurie leur en appartenoit: ils auront leurs maisons au long et au large, ils auront à se pourmener, et puis ils auront leur esperance en leurs delices c'est à dire, qu'il leur semblera qu'ils soyent si bien appuyez que iamais ne peuvent estre esbranlez, comme aussi il est dit au Pseaume (49, 12), qu'ils despitent l'ordre de nature: et quand on regarde les bastimens qu'ils ont fait ici bas, il semble qu'ils soyent eslevez, et que la main de Dieu ne les pourra point attoucher. Voila donc les deux choses qui nous sont declarees en

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ce passage. Et pourtant quand nous voyons les contempteurs de Dieu en leurs bravetez, et en leurs magnificences, ne soyons point estonnez de cela. Pourquoy? Ce n'est point d'auiourd'huy qu'un tel train a commencé: nostre Seigneur veut que nous contemplions ces choses, afin de cognoistre que nous ne sommes point encores parvenus à nostre heritage, que nostre salut est caché. Voila comme nous ne devons point estre troublez ni scandalisez voyant que les meschans prosperent, qu'ils ont la vogue, qu'ils ont de belles habitations, et mesmes qu'ils se confient en leur fortune, qu'ils sont enflez d'orgueil, qu'ils ont une esperance qui est si bien enracinee (ce semble) que rien plus. Quand nous voyons cela, et bien, ce n'est pas chose nouvelle. Mais quoy? Notons ce qui est dit, Que l'esperance est arrachee de leur habitation: c'est à dire, que combien qu'auiourd'huy on les voye en telle pompe, et ainsi munis et equippez, qu'il semble qu'ils ayent des rempars de tous costez, et qu'il n'y ait mal qui puisse approcher d'eux pour les fascher: combien donc qu'on voye les meschans estre ainsi à leur aise, et que pour l'advenir il semble que cela doive tousiours durer: neantmoins Dieu accomplira ce qu'il a dit. Et ce n'est point sans cause qu'il est parlé et de leurs habitations, et de leur esprance: car en cela il nous est monstré, que Dieu ne sera point empesché d'executer sa vengeance sur eux, combien qu'ils soyent ainsi eslevez pour un temps, et comme exemptez de toutes les miseres de ce monde.

Or en la fin il est dit, Qu'ils viendront au roy de frayeur. Comme par ci devant il a esté parlé du premier nay de la mort, pour signifier une mort violente, et qui est beaucoup plus à craindre que la mort commune: aussi maintenant quand il parle du Roy de frayeur, Bildad signifie une frayeur royale et exquise, c'est à dire, la plus grande qu'on sauroit trouver. Il est vray que par similitude nous pourrons bien prendre le diable pour le Roy de frayeur: mais le sens naturel est celui que i'ay touché Et de fait, c'est une mesme façon de parler, que Premier nay de mort, et Roy de frayeur. Ainsi donc notons en somme, qu'ici les meschans sont menacez d'estre attirez à une frayeur telle et si enorme, que ce n'est rien de toutes les craintes que les bons conçoivent eu ce monde. Or nous devons bien noter ce passage: car si Dieu nous envoye quelque occasion de souci et de frayeur, nous sommes faschez: et de fait, le principal bien que nous pouvons souhaitter en ceste vie, c'est la paix, que nous soyons delivrez et exemptez de toute doute et solicitude. Mais tant y a que si Dieu veut que nous Soyons en souci, il ne nous faut pas pourtant fascher. Et pourquoy'! Car quand nous avons des frayeurs, encores qu'elles soyent grandes,

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si est-ce que par ce moyen Dieu nous solicite à recourir à lui: car iamais nous ne viendrions nous cacher sous l'ombre de ses ailes si nous estions asseurez de tous costez. C'est de nous comme des petis enfans: car s'ils ne craignent ils s'esgayent, ils se iettent de costé et d'autre: mais s'il y a quelque crainte qui les espouvante, on ne les peut faire sortir du giron de leurs meres. Les petis poulsins mesmes ne se rassemblent point ai facilement sous les ailes de leurs meres, sinon qu'ils soyent effarouchez, et qu'ils craignent. Noua sommes tant despourveus de sens, que si nous ne savons qu'il y a danger pour nous, nous faisons des bestes esgarees. Et nostre Seigneur pour nous retirer à soy nous envoye des craintes, tellement qu'il faut qu'en despit de nos dents, nous cognoissions que nostre vie est mal asseuree, sinon qu'elle ait Dieu pour sa garde. Voila donc où tendent les soucia et Les frayeurs que Dieu envoye à ses enfans. Et puis ils sont par ce moyen-la accoustumez à se desfier de leurs vertus: car nous ne pouvons pas bien esperer en Dieu, si ce n'est que nous soyons comme desconfits en nous-mesmes, que nous ne sachions que devenir. Il est donc bon que nous ayons des frayeurs. Mais consolons-nous, quand nous voyons que si les meschans sont asseurez, en la fin il faudra que ce repos qu'ils ont auiourd'huy leur soit bien cher vendu. Et pourquoy? Ils viendront au Roy des frayeurs, c'est à dire, à de tels estonnemens, qu'il n'y aura rien qui les puisse delivrer, qu'ils seront en tormens, et angoisses extremes: que si on les veut ramener à Dieu, il n'y aura point de remede: si on leur dit qu'il faut qu'ils s'humilient, afin de s'arrester à la bonté de Dieu, ils ne comprendront point tout cela, et ne le peuvent gouster. Voila (di-ie) quels seront les estonnements de tous les meschans qui auiourd'huy se mocquent de Dieu. Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce verset.

Or il est dit consequemment, Que celuy qu n'est pas sien habitera en son tabernacle, et que le soulphre sera espandu sur son domicle. Aucuns exposent, qu'il habitera en son tabernacle: mais d'autant qu'il n'est pas sien, que le soulphre sera ietté dessus. Or cela est dur et contraint. Notons donc, que plustost Bildad a voulu signifier, que les habitations des meschans periront, ou bien qu'elles seront transferees à des estrangers. Voila en somme ce qu'il dit, comme en d'autres passages le semblable est dit des vignes et des terres. Et c'est la malediction que Moyse prononce en la Loy contre ceux qui n'obeissent point à Dieu, qui ne lui ont point servi, mais lui ont este ingrats et rebelles, Tu planteras des vignes, et un autre fera vendange: tu semeras, et un autre recueillera la moisson: tu bastiras des maisons, et un estranger

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y habitera. Quand donc Geste malediction est accomplie, il nous faut cognoistre la main de Dieu. Or comme Bildad dit, que ceux qui possederont des grosses maisons pour un temps, en seront en la fin deiettez, et qu'il faudra que d'autres y succedent, et mesmes quand ils y habiteront, que Dieu les accablera là: qu'il ne faut point qu'ils ayent des pillars pour les dechasser, et quelque autre ennemi qui les vienne voler, qui pille leurs possessions: car le soulphre tombera d'enhaut, c'est à dire, Dieu trouvera des moyens qui sont incognus aux hommes, et extraordinaires, par lesquels il fera perir les mechans, encores qu'ils soyent eslevez en leurs tabernacles, et que nul ne les en face sortir. Voila en somme ce qui est ici contenu. Or moyennant que nous retenions l'advertissement que nous avons mis, ceste sentence est vraye et bien notable Ie di qu'il nous faut retenir, que les iugemens de Dieu ne sont pas tousiours esgaux en ce monde, et qu'ils ne s'exccutent pas d'une façon visible pour estre apprehendez à nostre sens: et ainsi quelquesfois Dieu fera bien que ses enfans seront remuez çà et là, comme nous le voyons: et ce n'est pas d'auiourd'huy que sainct Paul disoit (1. Cor. 4, 11), Nous sommes sans arrest. Entendoit-il que ceste malediction fust sur les enfans de Dieu, qu'ils ne feroyent que vaguer en ce monde? Non: car Dieu les a enseignez par cela de cercher son heritage, et ce repos qui leur est appresté là haut. Quand donc les fideles sont comme oiseaux sur la branche (comme on dit) qu'ils ne savent pas où s'appuyer, qu'ils sont transportez çà et là: ce n'est pas que ceste malediction de Dieu s'execute sur eux, plustost le tout leur est converti à bien et à salut. Mais toutes fois et quantes que nous voyons que nostre Seigneur desole ainsi les meschans et les contempteurs de sa parole, il nous faut cognoistre qu'il nous donne un goust de ceste malediction ici. u reste, quand ils habiteront en leurs maisons, et que nul ne sera pour les molester Dieu a la foudre en sa main, et le soulphre, il les pourra bien faire perir. Car encores que chacun leur favorise, qu'ils soyent maintenus par le monde, et qu'on les supporte, qu'ils soyent munis de tous costez: et bien, cela ne pourra fermer la porte à Dieu, qu'il ne se venge de son costé quand il lui plaira.

Il s'ensuit quant et quant, Que sa racine dessechera par dessous, et que ses branches seront coupees par haut. Ici derechef Bildad signifie, que les meschans seront confus, encores que leur fortune semble estre tant heureuse que rien plus: car ceste similitude qu'il amene nous conduit là. Il est vrai qu'il les accompare à un arbre qui aura sa racine sous terre. Voila un arbre qui sera bien planté, et puis par dessus il aura son estendue, il aura son tronc,

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et ses branches, qui mesmes porteront et fleurs, et fueilles, et fruicts. Voila donc quelle est l'apparence des meschans, et des contempteurs de Dieu, et telles similitudes sont bien dignes d'estre notees par nous: car (comme desia nous avons declaré) il ne faut rien pour nous faire ennuyer, quand nous voyons que Dieu ne punit pas du premier coup ceux qui se desbordent à mal, mesmes qu'il semble qu'il leur porte faveur, qu'il les exauce, cela nous fasche, et sommes bouillans en nos desirs, que nous voudrions que Dieu incontinent en fist la vengeance. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ce qui est ici dit: c'est assavoir, que les meschans pourront bien estre comme des beaux arbres, ainsi qu'il en est parlé au Pseaume 37 (v. 35): l'ai veu l'inique qui estoit eslevé, voire si haut, qu'il sembloit bien a un cedre de la montagne du Liban: car comme les cedres sont fort eminens entre les arbres, ainsi les meschans entre les hommes, voire tellement qu'il semble que chacun doive estre humilié sous eux. Mais quoi? l'ai passé (dit David) i'ai fait mon chemin, et en retournant i'ai veu qu'il n'y en avoit plus nulle trace. Quand il dit, qu'il a passé, il signifie qu'il a attendu patiemment que Dieu accomplist son oeuvre, et que le temps opportun fust venu. Ainsi nous en faut-il faire, que quand nous verrons les meschans en prosperité, cela ne nous retarde point de poursuivre nostre course, iusques a ce que nous soyons parvenus où Dieu nous appelle. Voila ce que nous avons à noter sur ce passage en premier lieu. Au reste, il nous faut aussi observer ceste menace, que quand les meschans auront prins racine profonde, et qu'il y aura telle prosperité, qu'il ne semble point que nul vent ni orage les esbranle iamais: ceste racine sechera au dessous, c'est à dire, que Dieu besongnera en sorte qu'ils seront ruinez et consumez: et au dessus les branches seront coupees: c'est à dire, en toutes sortes Dieu les persecutera. Or quand nous voyons ceci, recourons aux promesses qui sont donnees aux enfans de Dieu: comme il est dit, que l'homme craignant Dieu est accomparé à un arbre planté aupres d'un ruisseau, lequel tire tousiours humeur et substance, et que ceux qui esperent en Dieu pleinement sont semblables, comme il en est parlé en Ieremie (17, 7. 8). Prions donc Dieu que nous tirions humeur de lui, et que ce qui est dit en l'autre passage du Pseaume (92, 13) soit accompli en nous, Que le iuste fleurira comme la palme, et qu'il prosperera, voire en la maison du Seigneur. Que nostre Seigneur donc nourrisse tousiours nostre racine au dessous: et qu'encores que nous n'ayons point apparence devant les hommes, nous ne laissions point d'avoir nostre vie cachee en lui: et s'il lui plaist de nous donner quelque apparence: et bien, que ce soit pour magnifier sa benediction,

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afin que nous soyons exemple et tesmoignage de sa bonté: aussi s'il lui plaist de retrancher Dos branches quelquefois qu'il face profiter cela: comme quand on coupera une vigne, et qu'on la taillera,. c'est pour puis apres lui faire porter bon fruict: autrement qui y laisseroit tout ce seroit pour l'abastardir. Cognoissons donc que s'il plaist à Dieu de couper nos rameaux, c'est pour nous faire tant mieux fructifier en lui, quand il aura esté de ce qui est superflu en nous: qua le tout nous sera converti à bien. Cependant cela aussi servira, que nous serons retenus pour n'estre point solicitez à ceste tentation de prier Dieu, qu'il nous face semblables aux meschans, c'est à dire, qu'il nous face prosperer comme eux. Voila quant à ceste similitude.

Or il est dit aussi, Que leur memoire perira en terre, et qu'ils n'auront plus de renommee par les places.. Il est vrai que nous ne devons point mettre nostre confiance en ce monde pour y cercher nom et gloire. Car aussi l'Escriture saincte se moque de ceste vanité-là., quand elle dit, Que ceux. qui mettent ainsi leurs noms en terre, n'ont iamais CO ,nu que c'est de Dieu, ne de son royaume. Il ne faut point donc que nous soyons affectionnez de nous faire renommer en ce monde. Mais tant y a que ce n'est pas aussi en vain que Dieu a promis ceste benediction aux siens, que leur memoire sera à iamais, qu'elle sera beniste. Et comment cela? C'est d'autant que nostre Seigneur en despit de l'ingratitude du monde fera que les siens encores seront renommez, et on bonne sorte: ils seront contemptibles pour un temps, voire subiects à beaucoup de calomnies et d'opprobres, mais Dieu les en delivrera finalement, et faudra que leur integrité soit cognue. Voila donc comme la memoire des bons et enfans de Dieu sera beniste. Il est vrai que cela n'est point tousiours accompli en ce monde, mais il adviendra souventesfois. Et puis quand Dieu parle de la memoire, il entend quant à ceux qui ont discretion pour iuger: car les incredules sont aveugles et ignorans quant bien discerner les enfans de Dieu: mais cela ne diminue rien de la promesse que Dieu nous: donne. Or venons maintenant à ce que dit ici Bildad, La memoire des meschans perira. Quand il parle ainsi, notons que c'est une malediction qui est bien propre aux contempteurs de Dieu suivant ce que nous avons des a touché. Car ils sont enyvrez de leur folle ambition, qu'il leur semble que leur immortalité ne perira iamais du monde, et qu'on parlera d'eux à tousiours: et nous voyons au contraire comme il en va. Car pourquoi est-ce qu'ils se tourmentent ainsi? C'est afin qu'on parle d'eux. Et bien, les contempteurs de Dieu ont-ils ainsi appeté de se faire valoir en la bouche des hommes?

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Dieu leur tourne cela tout au rebours: car 8i leur memoire demeure, ce sera un opprobre, et on ne parlera d'eux, sinon en moquerie, et en derision. Et nous avons veu comme ceux qui ont esté ainsi transportez de Geste vaine convoitise, Dieu ne les ensevelit-il pas, qu'on ne sait plus que c'est d'eux? Quand il aura semblé que tant que le monde dureroit on parleroit d'eux, et que mesmes ils ont estimé qu'un chacun d'eux seroit le plus grand (car combien qu'ils en veissent beaucoup qui marchoyent devant, si est-ce qu'un chacun pensoit, le serai le principal) et bien, Dieu les a ensevelis (comme nous avons dit) et quand on parle, en quelle sorte est-ce? Il faut qu'on sente leur vilenie, et leur ignominie. Et cela ne vient-il point de ceste malediction de Dieu?

Ainsi donc notons, que Bildad a ici exprime le principal de ce que demandent ceux qui sont addonnez an monde. Or ceci doit bien estre observe: car si Dieu fait perir nostre memoire quant au monde, et qu'y perdons nous? Quel dommage? Car nous savons que nos noms sont escrits au livre de vie Esiouissez vous (dit nostre Seigneur Iesus à ses disciples Luc. 10, 20) car vos noms sont escrits au registres de Dieu, et de vostre salut eternel. Ne voila point pour nous contenter ? Nous ne sommes par comme ces fols, qui n'ont autre immortalité que de faire parler d'eux. Or cela est par trop maigre: mais nous savons que Dieu a enregistré nos noms en son livre, qu'il y a ce testament qu'il a escrit, voire de sa propre main, c'est à dire, en son conseil eternel (car la main de Dieu est ceste ordonnance qu'il a faite immuable) et puis il a ratifié le tout par le sang de nostre Seigneur Iesus Christ, il l'a seellé par la vertu de son sainct Esprit. Quand donc nous avons là nostre memoire entre les Anges de paradis, entre les Patriarches, et Prophetes, et entre les Apostres, n'avons-nous point dequoy nous contenter ? Et ainsi, combien que nostre memoire soit destruite en ce monde, nous ne perdons rien pourtant: mais voila comme Dieu fait que la memoire des siens est beniste (comme desia nous avons touché) encores qu'ils soyent en mespris pour un temps, et tenus on ce monde comme fiente et ordure, ainsi que sainct Paul en parle (1. Cor. 4, 13): car il les accompare à des tripes pleines d'ordures qu'on iette là. Voila donc comme les fideles sont exercez pour un temps, voire mesmes qu'ils sont en malediction, comme s'ils portoyent tous les pechez du monde: mais en la fin Dieu fait reluire leur integrité comme l'aube du iour, et ils sont en memoire beniste. Nous voyons qu'Abraham de son temps a esté mesprisé et reietté. Qu'est-ce qu'on a peu estimer de Iacob? Mais nous voyons que leur memoire est beniste. Chacun s'est rué sur David, on

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l'a maudit, on l'a despité, il a esté comme un ver de terre, il a este en opprobre et en moquerie iusques au: plus mesprisez, et un chacun l'avoit comme en abomination: et toutes fois nous voyons comme sa me noire est beniste, voire en l'Eglise de Dieu, car quant aux incredules, il ne faut point que là on cherche d'avoir memoire, ni renommee, d'autant que ce sont povres aveugles qui ne peuvent iuger, et ne sont point capables de discerner entre le blanc et le noir. Voila donc ce que nous avons à noter de ce passage.

Or il est adiousté consequemment, Qu'ils seront deiettez de clarté en tenebres, qu'ils seront exterminez du monde, qu'ils n'auront ne fiIs ne neveus au peuple, et qu'ils n'auront point de survivant, ou d'heritiers en la terre où ils habitent. Ici Bildad conforme le propos qu'il avoit tenu, c'est assavoir, que si Dieu fait prosperer les meschans, ce n'est point à tousiours. Et cela est bien vray: car quelle felicité y a-il en leur condition, veu qu'il faut que tous leurs ris soyent convertis en pleurs? Ainsi donc cognoissons que la clarté presente des meschans est pour les conduire au chemin de tenebres. Quand nous oyons cela, de nostre costé, si nous sommes en tenebres, c'est a dire, en afflictions (omme le mot aussi l'emporte) que nous ne sachions de quel coste nous tourner, que nous ayons tant de miseres tout à l'environ de nous, que nous ne voyons nulle issue: et bien, sachons que ces tenebres tant obscures seront un chemin pour nous conduire à la clarté de Dieu: car il a une façon admirable pour conduire les siens à salut, voire quand il semble qu'il les vueille faire perir. Sommes-nous donc comme en perdition? Cogoissons que Dieu par ce moyen-la nous tire à salut. Sommes-nous en tenebres obscures? Cognoissons qu'il nous pourra bien amener à clarté. Voila ce que nous avons à recueillir de ce passage.

Au contraire voyons-nous les meschans estre là enflez de leur noblesse, et qu'ils font leurs grandes parades, et estendent leurs ailes? Et bien, il est vray que les voila en grande clarté: mais attendons que Dieu accomplisse ce qui est ici dit, c'est assavoir, que les tenebres vienent. Voila donc une chose bien utile, comme nous voyons, de savoir, que si pour un temps Dieu fait prosperer les meschans, leur condition n'en est pas meilleure: car il faut tousiours regarder à l'issue. Et à l'opposite, si les povres fideles sont ici angoissez, qu'ils ne sachent que devenir, que leur condition n'est point pire pour cela. Et pourquoy? Regardons la fin: c'est que Dieu par tenebres les veut conduire à la clarté. Au reste, quand il est dit, que les meschans n'auront point d'enfans, ne de successeurs, et qu'ils ne laisseront point d'heritiers en leurs habitations, c'est suivant la malediction de la Loy' car il est

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dit, que le lignage est une benediction de Dieu: et encores que nostre Seigneur vueille que tous les biens de ceste vie lui soyent dediez, et qu'on l'en cognoisse autheur, pour lui en rendre la louange: neantmoins par special il prononce, que quand il donne lignage à quelqu'un, il le benit par ce moyen-la. Or Bildad, encores que lors la Loy ne fust point escrite, avoit ceste doctrine imprimee de Dieu, c'est assavoir, que nostre Seigneur exterminera les meschans, en sorte qu'il ne laissera nul de leur race, que tout cela ne soit aneanti. Si on allegue, que nostre Seigneur permettra bien que ses enfans mesmes soyent steriles: la response est à Gela, que ces maledictions ici sont converties en bien aux enfans de Dieu souventesfois. Et ne faut pas aussi que nous facions une regle generale, et indifferente pour dire, qu'à tous propos Dieu face visiblement ce qu'il prononce: car il nous lui en faut laisser le iugement par dessus pour en disposer en temps et lieu, et comme bon lui semblera. Nous verrons donc quelquefois qu'un homme fidele et craignant Dieu n'aura point de lignee en ce monde: ce n'est pas à dire pourtant qu'il soit maudit de Dieu. Car voila le premier iuste, quelle race a-il laisse? Et mesmes quand la promesse est donnee à Abraham, que son lignage sera comme le gravier de la mer, et comme les estoilles du ciel, a-il de semence en grand nombre? Combien laisse-il d'enfans apres sa mort? Il est vray qu'il en a quelques uns outre Isaac: mais Dieu les retranche, comme aussi ils n'estoyent pas dignes d'estre enfans d'Abraham. Il est vray qu'apres lui, Isaac son fils a bien deux enfans: mais l'un est meurtrier en son coeur, et il est contraint de chasser l'autre, et de le bannir de sa maison. Nous voyons donc que quand les fideles ne laisseront point d'enfans apres leur mort, ils ne laisseront pas d'estre bonis de Dieu pour cela: car ils ont un parentage continuel au ciel,

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quand il plaist à Dieu de les conioindre non seulement avec tous ses saincts et fideles, mais avec les Anges aussi. Mais quant aux meschans, il faut que ceci soit cognu une malediction que Dieu leur envoye, car il leur semble que tout soit perdu pour eux, quand ils ne pourront point avoir d'heritier ne de successeur: et Dieu les en prive par sa iuste vengeance, et par une punition qui leur est propre d'autant qu'elle est du tout repugnante à leurs affections. Et est encores ce que nous avons à observer en ce passage.

Or au reste, quand Bildad conclud en la fin Que ceux qui viendront apres seront estonnez, et que ceux qui marcheront devant seront saisis de frayeur, et que telle est l'habitation des meschans, et de ceux qui ne cognoissent point Dieu: c'est pour conformer son propos, c'est assavoir, que Dieu punira les meschans en telle sorte, que le monde sera estonné de contempler leur condition, tant elle sera malheureuse. Ceste sentence ici est bien vraye, et nous en devons bien faire nostre profit, et la retenir, pourveu que nous ne suivions point Bildad, en ce qu'il enclost en ceste malediction et Iob, et tous ceux qui sont affligez, Et pourquoy? Car (comme nous avons dit) les afflictions sont communes aux enfans de Dieu aussi bien qu'aux meschans. Il nous faut tousiours regarder de laisser à Dieu la conduite de toutes ces choses comme aussi elle lui appartient. Ainsi donc quand nous serons povres et affligez que le monde nous estimera miserables: que nous ne laissions pas pourtant de nous appuyer sur la bonté de nostre Dieu, attendans qu'il nous delivre pleinement de toutes nos povretez et afflictions, quand nous nous remettrons tousiours à luy.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

IOB CHAP. XIX

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LE SOIXANTENEUFIEME SERMON,

QUI EST LE . SUR LE XIX. CHAPITRE.

1. Iob respondant, dit, 2. Iusques à quand affligerez-vous mon coeur, et me minerez d e vos propos? 3. Desia vous m'avez rendu confus par dix fois, et n'avez point honte, et vous estes endurcis contre moy. 4. Si i'ay failli, ma faute demeurera avec moy. 5. Mais si vous-vous magnifiez, et vous esleve en ma calamité, 6. Sachez que Dieu m'a assiegé de sa puissance, et m'a environné de sa rets. 7. Si ie crie pour l'outrage, il ne me respond point: si ie m'escrie, ie n'ay point de droit. 8. Il a enclos mon chemin tellement qu'il n'y a point d'issue, et a mis les tenebres en ma voye. 9. Il m'a despouillé de ma gloire, il m'a esté la couronne de mon chef. 10. Il m'a destruit de toutes parts, et ie suis esvanoui: il a esté mon esperance comme d'un arbre. 11. Son ire s'est eslevee contre moy, et m'a tenu pour son ennemi. 12. Sa gendarmerie est venue, ils m'ont environné, et ont mis leur camp à l'entour de mon tabernacle.

Nous avons veu quelle estoit l'intention de Bildad, quand il a argué Iob. Il prenoit ce theme general, Que Dieu ne laisse pas les meschans impunis. Là dessus il concluoit, qu'il falloit donc que Iob fust de ce nombre, puis qu'il estoit si griefvement affligé de Dieu. Or Iob le reprend, d'autant qu'il ne faut point estimer sa vie selon l'affliction qu'il enduroit, et que Dieu ne le punit point pour fautes qu'il ait commises, mais qu'il y a un iugement secret et incognu aux hommes. Or devant que venir là, il se plaint de ses amis, pource qu'ils s'estoyent ainsi endurcis contre luy. Vous n'avez point de honte (dit-il) de me rendre ici confus desia tant de fois: vous-vous estes endurcis, ou estrangez, car le mot peut emporter et l'un et l'autre: mais le plus propre c'est qu'ils se sont endurcis, n'ayans pitié ne compassion de ses maux. Nous voyons donc maintenant où tend ceste plainte. Mais quand il adiouste, Que s'il a failli, sa faute demeurera en luy, en cela il monstre qu'il estoit passionné outre mesure: car s'il avoit failli, il devoit recevoir correction paisiblement. Et c'est une façon de parler qui conviendra plustost à un homme incorrigible ou desesperé, qu'à un enfant de Dieu de dire, Laissez moy, car ie porteray ma punition. Ay-ie peché aux despens dautruy ? Iob neantmoins est tenté iusques là, voyant qu'il ne peut avoir autre raison de ses amis: mais cependant il retourne au principal, et n'insiste pas là, pource qu'il avoit

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mauvaise cause: mais il dit, Pretendez-vous de gaigner contre moy en vous magnifiant, pource que vous me voyez en tel estat, et qu'il vous semble que ma cause soit perdue, et que ie serai condamné, pource qu'on me voit une si povre creature que rien plus? Cognoissez (dit-il) que Dieu m'a perverti en iugement: c'est à dire, Il ne faut point disputer ici par raison: car Dieu ne se reglera pas selon les hommes: Ie ne puis avoir droit de lui. I'aurai beau contester: mais si est-ce qu'il faut que ie porte mon mal, et que i'en soye accablé, et cependant si ie crie, si ie me lamente, ce n'est point pour adoucir mon mal, ie n'en aurai nul profit car il s'est declaré ennemi contre moi, il m'a envoyé des maux infinis, comme une armee qui m'assiege. le suis ici tormente, et qui pis est, le ne voi nulle issue en tout mon chemin, et semble qu'il m'ait enclos et enserre, et qu'il n'y ait moyen aucun d'eschapper de ses miseres qui me pressent, et me tormentent. Or ces propos seroyent bien estranges de prime face, sinon que desia nous eussions entendu en partie sur quoi Iob se fonde, et puis que derechef cela nous fust reduit maintenant en memoire, comme il sera au plaisir de Dieu.

Mais suivons le propos de Iob. Ceste plainte qu'il fait à ses amis est iuste: c'est assavoir, qu'ils prennent plaisir à le rendre confus. Or (comme il a esté traitté par ci devant) si un homme est batu des verges de Dieu, combien que nous ayons iuste raison de le reprendre: toutes fois cela se doit faire avec un esprit de douceur, afin que la medecine ne soit par trop aspre, attendu que la main de Dieu en soi a desia assez de rigueur sans qu'on y adiouste plus. Si un homme s'esgaye à l'encontre de Dieu et qu'il semble qu'il ne sente nul mal, qu'il face de l'enragé, et qu'on ne puisse chevir de lui: là nous avons à user d'une plus grande aspreté: car il faut domter une telle arrogance, quand les hommes abusent de la patience et bonté de Dieu: et si du premier coup il ne les traite pas comme ils ont merité, qu'ils s'endurcissent, et deviennent plus obstinez, pource qu'il les supporte: voila (di-ie) où nous devons user d'une plus grande severité, car il n'y a point de propos que les hommes se moquent ainsi de Dieu, et qu'ils convertissent sa bonté et douceur en telle poison, qu'ils s'enveniment de plus en plus à l'encontre de lui. Que si on les traitte doucement, ils s'esgayent en leurs delices pour estre comme forcenez, on ne peut arracher

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nulle raison d'eux, ni les attirer à repentance. Mais quand un homme sera matté, qu'on verra que desia Dieu y a tellement besongné, que nous devons estre esmeus de compassion: si nous venons là avec toute rigueur, et que sera-ce? Nous monstrons bien qu'il n'y a nulle humanité en nous. Vrai est que quand un homme seroit le plus affligé qu'il est possible, si nous le voyons encores estre endurci contre Dieu, et que toutes les corrections qu'il aura receues ne l'ayent point corrigé, il faudra alors user de rigueur: mais tant y a qu'encores devons-nous avoir pitié du mal que nous voyons, et si nous sommes humains, il y aura aussi quelque attrempance et douceur, et nous userons d'une façon aucunement paisible. Or aux amis de Iob il n'y a rien en de semblable: car s'ils l'eussent prins comme ils devoyent, ils eussent trouve qu'il s'humilioit sous la main de Dieu: et de fait, encores qu'il trouvast estrange d'estre ainsi traitte, neantmoins il ne laissoit pas de confesser que Dieu estoit son Iuge, et qu'il avoit toute puissance sur lui. Là dessus ils viennent detracter de lui, et lui font à croire (contre toute verité) qu'il estoit un meschant, qu'il n'y avoit qu'hypocrisie en lui, que iamais il n'avoit servi à Dieu de coeur, et que ceux qui n'estoyent point affligez tant que lui, estoyent beaucoup meilleurs et plus iustes. Il falloit que Iob renonçast Dieu, et parlast contre sa conscience, pour leur accorder leur dire. Voila donc sur quoi il insiste

Or par cela nous sommes advertis, quand Dieu affligera quelques uns de nos prochains, de ne point conclure si tost qu'ils sont les pires du monde: mais regardons de iuger en equité comme nous voudrions qu'on fist de nous, Possible que Dieu veut esprouver leur patience. Encores qu'ils ayent cheminé droitement devant lui, et en un bon zele: tant y a qu'il veut que nous ayons des miroirs. Et s'il lui plaist de faire que la cause nous soit incognue, ou bien s'ils ont failli, et que Dieu les punisse: tant y a qu'il ne nous faut point encores mesurer leurs pechez par la punition que nous voyons. Et pourquoi? Car il s'adresse aux iustes plus durement, qu'à ceux qui sont des pires, pource qu'il reserve les plus meschans iusques en la fin: et cela est pour les rendre tant plus inexcusables: car ils ne font qu'amasser un thresor de son ire, et de sa vengeance tant plus horrible sur leurs testes. Voila donc comme il nous faut estre prudens et moderez quand nous verrons des povres personnes en affliction, afin que nous n'y allions point au pis. Et au reste, encores que Dieu nous monstre quasi au doigt qu'il a iuste cause, quand il envoye telles calamitez sur quelqu'un, que nous sachions faire nostre profit: et pour ce faire que nous regardions à nous, car quand Dieu nous tait ainsi sentir ses

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iugemens, il nous veut instruire aux despens d'autrui. Ce ne sera rien donc quand nous condamnerons ceux qui endurent, sans avoir esgard à nos personnes: mais il faut qu'un chacun entre en soi, et qu'il regarde, Helas!! si mon Dieu m'a preservé, ie suis tenu d'autant à lui: et mesmes ie pourroye encore estre chastié en une sorte et en l'autre: il faut donc que ie cognoisse que tontes fois mon Dieu m'espargne, et que cela vient de sa pure misericorde que ie ne suis pas affligé iusques au bout, et mesmes que ie suis ici à mon aise, et à mon repos. Que nous cognoissions (di-ie) ces choses, afin que nous ayons occasion d'estre nos iuges, et que nous ne condamnions point les autres sans regarder à nous.

Or cependant nous voyons quelle tentation c'est, quand les hommes apportent un iugement pervers et mauvais sur nous, et qu'il est bien difficile de tenir alors mesure, veu que Iob qui a eu une patience telle que nous savons, et que l'Escriture prononce, neantmoins s'est ici ietté hors des gons, et n'a peu se tenir en bride qu'il ne lui eschappast un mauvais propos. Il est vrai qu'il se plaint à bon droit: mais cependant ceste sentence est d'un homme incorrigible, Si i'ai failli ma faute demeurera avec moi. Car encores que les hommes nous soyent trop inhumains quand nous aurons failli (comme nous en verrons qui auront un zele trop ardent, ou qui n'apportent point de telle attrempance comme il seroit bien requis) si est-ce que les enfans de Dieu se doivent tousieurs humilier: car que savons nous si Dieu cognoist des vices en nous plus que nous-mesmes? et de fait, nous n'appercevons point la dixieme partie de nos pechez. Dieu donc nous envoyera quelquesfois une correction plus dure que nous ne pensons qu'elle nous soit convenable: mais c'est que nostre maladie nous est cachee. Nous voyons que David a eu ceste consideration-la envers Semei. Il savoit bien que Semei estoit un meschant, et qu'il n'estoit mene que d'un esprit d'aigreur et d'amertume contre lui: et nonobstant il dit, Que sait-on si Dieu lui a commande de se ruer ainsi sur moy? Voila David qui regarde, que Dieu le tenoit entre ses mains, et qu'il vouloit qu'il fust manié rudement. Or si nous devons attribuer â Dieu ce que les meschans nous persecutent pource qu'il se servira d'eux comme de fleaux pour frapper iustement sur nous: que sera-ce quand nous en verrons qui d'un bon zele taschent à nous reduire, et qui desirent nostre salut s'ils n'y vienent pas en telle douceur comme il seroit requis: faut-il pourtant que nous facions des chevaux eschappez pour reietter tout? Quel propos y a-il? Nous monstrons bien par cela, que nous ne sommes pas gouvernez par l'Esprit de Dieu, en façon que

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ce soit. Or nous voyons que Iob à este tenté en cest endroit, et d'autant plus devons-nous estre sur nos gardes. si cela est advenu à un homme qui estoit comme un Ange du ciel, ie vous prie que sera-ce de nous, sinon que nous facions bon guet contre Satan? ne nous aura-il bien desbauché tantost? Or tant y a que s'il a une fois entree en nous, nous ne saurons bonnement de quel coste nous tourner pour nous reduire quand nous aurons decliné du droit chemin. Et ainsi que ce passage nous serve de telle instruction comme i'ai dit: c'est assavoir, que si les hommes s'eslevent ainsi contre nous, et qu'ils nous soyent par trop importuns, et qu'ils ne soyent pas si moderez comme il seroit besoin: toutes fois nous cognoissions qu'il nous sera tousiours bon pour nostre salut de recevoir les corrections qui nous sont faites. Et pour nous humilier, apprenons d'entrer en nous-mesmes et que nous ne soyons point despits et chagrins, quand on nous reprendra trop aigrement, et qu'on descouvrira nostre turpitude. Pourquoy est-ce (comme nous voyons) que les hommes tempestent sans regle, et sans modestie souventesfois? Pource qu'ils ne regardent point à Dieu. Car si un homme qui sera accusé cognoissoit, Or çà i'ay failli voirement, et ie me sens coulpable, et i'ay beau m'excuser devant les hommes: que ie me iustifie, que i'esblouisse les yeux et de moy et de mes prochains, et que ie pense qu'on me fait grand tort: helas! ie ne puis pas eschapper la main de mon Dieu: qu'est-ce que ie gaigneray donc, quand i'aurai fait beaucoup de circuits, et à m'excuser du costé des hommes ? Car voila Dieu qui me condamnera. Et encores n'est-il point question simplement d'estre adiourné devant le Iuge celeste: mais voila ma conscience qui me redargue tellement, que ie porte et mon iuge et mon bourreau avec moy. Puis qu'ainsi est donc, ne vaut-il pas mieux que ie passe condamnation, que ie baisse la teste, et que ie sente que Dieu voit tout? et quand ie suis ainsi traitté de lui, que ie cognoisse que ceste medecine m'est propre: et combien qu'elle me semble amere, et que ie la voudroye ietter, s'il m'estoit possible, que si faut-il que ie passe par là? Voila donc ce que nous avons à noter de ce passage.

Et au reste, apprenons quand Dieu nous visite d'estre vigilans pour cognoistre nos fautes sachans qu'en cela il nous fait une grace singuliere, car nous voyons comme de nature nous sommes enclins à hypocrisie: et là dessus chacun se flatte, et se nourrit en ses vices, tellement que si nous n'estions prevenus d'autre costé, il n'y auroit celui qui ne voulust tousiours crouppir en son ordure. Et qu'en adviendroit-il finalement ? Quand nous aurons poursuivi de mal en pis, voila Satan qui gaigne possession, et nous sommes tellement transportez,

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qu'il n'y a plus que stupidité . en nous, comme il est dit aux Proverbes (28, 14), et comme S. Paul aussi en parle (Rom: 1, 28, Ephes. 4 14). Car voila l'extremité de tous maux, quand il n'y a plus de doleance aux hommes, que les voila transportez, qu'ils sont livrez entre les mains de Satan, tellement qu'ils ne sont point navrez pour sentir leurs pechez; et pour gemir devant Dieu. Or si est-ce que nous en viendrions tous là, n'estoit que Dieu nous supportast par ce moyen: c'est qu'il nous suscitast quelquesfois des hommes, qui nous contraignent de sentir nos vices, quand nous les aurons mis en oubli, les descouvrent là où nous cuidons qu'ils soyent bien cachez, et nous ramentoivent qu'il faut venir devant le Iuge au lieu que nous lui avions tourné le dos. Voila donc, (comme i'ay dit) une grace qui n'est point à mespriser: car si nous reiettons les corrections qu'on nous fait, c'est autant que si nous taschions d'esteindre la clarté de l'Esprit de :Dieu. Nous sommes en tenebres, quand nos pechez sont cachez: et Dieu nous vient allumer sa lampe, afin qu'il nous esclaire pour voir nos povretez: et puis nous voulons avoir des bandeaux qui nous aveuglent, et ne voulons point souffrir qu'ils nous soyent ostez: nous reiettons la clarté, et aimons mieux les tenebres. le vous prie quelle ingratitude est-ce là? N'est-ce pas un sacrilège detestable, quand nous resistons ainsi à l'Esprit de Dieu, lequel nous tend la main et nous veut ramener au chemin de salut?

Voila donc ce que nous avons à noter par special en ce passage: c'est que nous ne disions point, O si i'ay failli, ie porterai ma peine, un autre ne l'endurera pas pour moy: que nous ne combations point (di-ie) en telle sorte, sachans que Dieu eslargit ses graces aux autres pour nous en communiquer: et quand il nous envoye quelqu'un qui nous remonstre nos fautes, c'est un tesmoignage de sa bonté, et qu'il a encores le soin de nous, et nous veut reserver à soy. Et de fait, quand nous serons restifs pour regimber contre l'esperon, reiettans les corrections qui nous seront faites par les hommes: ce te ingratitude là s'adresse à Dieu mesme, c'est à lui que l'iniure est faite, et c'est lui aussi qui s'en vengera. Ainsi gardons-nous de tomber en telle fierté: mais sachons que quand nous aurons failli, c'est le temps dé retourner à nous-mesmes, et de sentir nostre mal, afin d'y remedier. Or venons maintenant au second poinct qui est le principal. Car (comme il a desia esté declaré ci dessus) Iob n'a pas reietté la correction pleinement, mais il a ietté ce propos-là comme d'une bouffee. Et cela a esté observé par ci devant, que Iob en ce livre n'a pas seulement parlé de ce qu'il avoit resolu en soy: mais a declaré ses passions selon qu'il en estoit esmeu, combien qu'il

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y resistast, et qu'il se restreignist pour s'en repentir apres. Maintenant donc il vient au principal, voire delaissant ce qu'il a dit, et ne s'en souciant point: car il cognoit que c'est un propos extravagant, et qui n'est nullement fondé ni en raison, ni en verité. Il retourne donc à la defense de sa cause: c'est assavoir, que ses amis sous ombre de le corriger s'eslevent contre lui, voire et s'eslevent, n'allegans sinon son opprobre pour le rendre confus, et qu'ils vienent là avec une durté, et avec une impudence, qu'il n'y a ni humanité, ni modestie en eux. Voila donc l'intention de Iob.

Et au reste, il conclud tousiours que Dieu ne le punit point pour ses pechez: mais qu'il l'a traitté d'une façon estrange, et qui n'est point accoustumee aux hommes. Et de fait, ici il se plaint, Que s'il crie, il n'a nulle raison, d'autant que Dieu lui est comme ennemi. Par ceci nous sommes enseignez en premier lieu, que si Nous voulons profiter envers nos prochains, en les arguant de leurs fautes, il faut que nous soyons bien informez qu'ils ont failli, et que nous les redarguons en verité, et non point par coniectures simples: comme ça esté une façon de proceder mauvaise aux amis de Iob, quand ils l'ont voulu condamner, pource qu'il estoit affligé de Dieu. Or nous devons bien avoir une autre conseil, comme i'ay desia declaré: car Dieu ne punit pas d'une mesure egale tous ceux qui ont failli, et mesmes les plus iustes quelquesfois sont tormentez beaucoup plus que les autres,. comme nous le voyons, car selon que Dieu leur a desparti de sa vertu, aussi il les examine iusques au bout. Il nous faut bien retenir ceci, afin que nous ne soyons point faschez, voyans que nous avons à cheminer par un mesme chemin. Car nous doit-il faire mal, que Dieu ne nous espargne non plus que ceux qu'il a le plus aimez que tous les autres? Voulons-nous estre plus privilegiez que les saincts Peres qui ont eu un tesmoignage si excellent du S. Esprit? Ainsi donc quand Nous voudrons former le procez à un chacun selon qu'il est traitté de Dieu, tous les povres de ce monde seront meschans tous ceux qui seront subiets à maladies, tous ceux qui seront mesprisez, et de nul credit. Et où sera-ce aller ? Car c'est là que Dieu choisit les siens, ce sont ceux qu'il recognoist et advouë pour ses enfans. Et au contraire, ceux qui sont constituez en honneur et dignité, Dieu les a ainsi eslevez, afin que leur cheute soit tant plus mortelle, voire quand ils auront abusé de sa grace. Ceux qui ont des richesses, s'engouffrent là dedans, tellement que c'est comme une entree d'enfer: ils s'enyvrent de leur abondance, ils despitent Dieu, tellement que le bien qu'ils auront possedé, criera vengeance à l'encontre d'eux Nous voyons que ceux qui Sont les plus robustes, ce sont chevaux

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rebelles qui ne se peuvent point donter, et n'en peut-on nullement chevir, bref, il semble qu'il n'y ait que rage à l'encontre de Dieu. Voila donc un iugement par trop malin et pervers. Et ainsi apprenons de tenir une telle procedure, que nous ne condamnions les hommes, sinon par la Loy de Dieu, que nous soyons bien informez de leurs fautes pour en iuger: et au reste, que nous ne passions point nos limites, que nous cognoissions ce qui est à condamner des personnes, que nous les reservions tousiours à la main de Dieu, iusques à ce qu'il y ait une certaine marque que Dieu les aura reprouvez. Que donc de nostre part nous ne soyons point temeaires pour usurper ce qui ne nous est pas licite. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage, Or cependant nous avons dit, que la sentence de Iob est bien vraye: c'est assavoir: qu'il n'est point puni à cause de ses pechez: mais il ne s'ensuit pas qu'il ne se soit desbordé en ses passions. Et cela nous doit tousiours humilier tant plus: car quand nous voyons qu'un tel homme, qui estoit doué de si grandes graces, ne s'est peu tenir qu'il ne se soit esgaré, et que sera-ce de nous?

Or suivant cela il dit, Que Dieu l'a perverti: c'est à dire, qu'il vient contre lui d'une façon-confuse qui n'a point de regle, et là où on ne trouvera point d'equité. Cela se peut dire en un sens qui ne seroit point mauvais: car nous avons deduit par ci devant, que Dieu a double iustice on soy. L'une est celle qu'il nous a declaree en sa Loy. Or ceste iustice nous est toute notoire et cognue: c'est nostre regle. Mais il y on a encores une autre en Dieu plus haute, qui nous est secrette

et cachee. Car quand nous aurions accompli toute la Loy (Ge qui est impossible: mais le cas pose qu'ainsi fust) si est-ce que nous n'avons point satisfait à Dieu selon sa iustice parfaite: mais nous l'aurons contenté Selon qu'il veut que nous le servions, voire Selon notre portee humaine. le ne di pas telle que nous l'avons depuis le peché d'Adam: mais selon ce que nous avons este creez de Dieu. Prenons d/ c le cas que nous fussions Anges: et bien, nous pourrons accomplir la Loy de Dieu: mais cela D est pas pour respondre devant sa iustice souveraine: car elle est plus haute que tout ce que nous pouvons comprendre en nostre entendement, il D'y a nulle proportion. Ainsi nostre Seigneur quelquefois punira les hommes pour leurs pechez, voire selon qu'il a declaré ses maledictions en la Loy: aucunesfois il n'aura point tel regard pour les punir: mais il se reserve la fin et l'intention en son conseil secret. Comme nous voyons Iob qui est persecuté: si on demande pourquoi, nous aurons beau nous enquerir, nous ne trouverons pas que ce soit pour ses pechez: il faut donc qu'il y ait quelque autre chose. Nous voyons quels tormens

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endure Iacob, et neantmoins si est-ce qu'il a servi purement à Dieu. Et ses Peres quoy? Abraham, et Isaac, il semble que Dieu ait conspiré à l'encontre d'eux pour les faire passer parmi tous les maux et miseres qu'on peut imaginer. Autant en est-il de David. Est-ce qu'ils ayent esté plus desbauchez que les autres, et qu'ils ayent merite des punitions plus rigoureuses? Nenni. Mais voila des iugemens de Dieu qui nous sont cachez pour un temps.

Voila donc ce que Iob pretend ici: c'est assavoir, qu'il ne faut point prendre l'affliction qu'il endure, comme des chastiemens communs, et qui se rapportent aux menaces que Dieu a publiees en sa Loy: qu'il y a une cause plus haute, et qui ne peut estre cognue des hommes. Mais cependant si Iob eust eu simplement ce regard-là, en cela ii eust eu bonne raison: mais il se monstre passionne, quand il dit, Dieu m'a perverti tout est ici confus. Il est vrai qu'il a cognu tousiours que Dieu estoit iuste: comme nous voyons que combien qu'il soit comme esbranlé, et qu'il lui ait eschappé tels propos, si revient-il à soy, et cognoit bien qu'il faut qu'il ait la bouche close. Mais si ne laisse-il point d'avoir des escoumes: Gomme quand un pot boult et que les bouillons sont trop grans, ii faut qu'ils se iettent de costé et d'autre. Ainsi Iob en fait-il, et faut bien que nous cognoissions qu'il se tempeste par trop à l'encontre de Dieu. Or ceci nous est bien profitable, si nous le pouvons appliquer à nostre instruction. Car en premier lien nous aurons beaucoup profité, si nous avons retenu ceste leçon Que Dieu quelquesfois afflige les hommes, non point en considerant leurs pechez, mais pource qu'il les veut humilier, pource qu'il veut monstrer qu'il a toute authorité par dessus ses creatures, et qu'il les a ordonnees comme miroirs de patience: pource qu'il leur veut faire sentir leurs infirmitez, afin qu'ils se cognoissent tant mieux, quand ils auront appercue qu'il y a des vices cachez en eux qui se descouvrent par les afflictions, et qu'ils n'ont point eu constance telle qu'il estoit requis, mais qu'ils ont fleschi: et quand ils se seront ainsi veus comme trebuschez, qu'ils soyent tant plus incitez à invoquer Dieu, cognoissans que s'il ne leur eust tendu la main, c'estoit fait deux. Et de fait, quand nous endurons quelque affliction, le meilleur remede est que nous entrions en cognoissance de nos pechez, et qu'un chacun se forme son procez, Helas! i'ay tant offensé mon Dieu, que quand il me puniroit cent fois d'avantage, i'en ay desservi encores plus. An reste, si nous ne voyons pas tousiours pourquoy Dieu nous afflige, Et bien, Seigneur, tu es iuste: encores que ie ne puisse point comprendre la raison de ton conseil, il me doit suffire de savoir que tu

ne fais rien sinon en droiture et equité.

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Sachons donc que nous aurons une vraye sagesse, quand nous pourrons ainsi glorifier Dieu, encores qu'il nous tiene comme les yeux fermez, et nous conduise comme povres aveugles. Contentons-nous de cheminer par où il nous voudra mener et conduire, sachons que sa seule volonté nous doit estre pour iustice et pour une regle infallible. Touchant de ce que nous voyons Iob estre par trop passionné, cognoissons que ce nous est une chose bien difficile que de nous assubiettir a la simple volonté de Dieu, voire sans nous enquerir de la raison de ses oeuvres, et sur tout de celles qui surmontent nostre sens, et nostre capacité. Et c'est-ce que i': desia dit, que c'est une sagesse parfaite, et plus qu'Angelique, si nous savons faire cest honneur à Dieu, d'acquiescer purement et simplement à son plaisir: tellement qu'encores que nous le trouvions estrange, et qu'il nous semble estre contraire à toute raison et equité, que toutes fois nous baissions la teste, et que nous disions Seigneur, combien que ce soyent des abysmes profonds que tes iugemens, si est-ce que nous ne presumons point de venir au contraire. Et de fait, Iob s'estoit disposé à cela, et mesmes, combien qu'il ait eu de rudes assauts et tentations, si est-ce qu'en la fin il a eu la victoire: mais si voit-on qu'il fleschit, en disant, Dieu a perverti mon iugement, c'est à dire, il ne me traitte pas comme un iuge: mais il y va d'une rigueur extraordinaire, comme s'il n'y avoit nulle compassion en lui. Quand Iob a esté tenté iusques là, que sera-ce de nous? Ainsi donc appliquons tous nos sens, et tontes nos estudes à ceste doctrine, assavoir, d'acquiescer purement et simplement à la bonne volonté de nostre Dieu: et encores que les tentations nous transportent par fois, que nous ne demeurions pas là: mais que ceste bride nous retiene, qu'elle soit pour nous reprimer, quand nous regarderons que Dieu est nostre Iuge, et que les hommes mortels s'eslevent à l'encontre de leur Createur, quand ils ne peuvent s'assubiettir à ce qu'il leur envoye. Car encores qu'ils protestent tout le contraire, si est-ce qu'en ce qu'ils font, ils monstrent qu'ils accusent Dieu de cruauté, et qu'ils veulent entrer en procez contre lui. Voila ce que nous avons à retenir.

Or Iob n us doit servir d'un tel exemple quand nous voyons l'excez de ses passions. Mais quand nous forons comparaison de lui, avec ceux qui se laschent la bride en une audace diabolique, encores devons-nous estre mieux advertis de nous humilier. Comme quoy ? Nous en verrons beaucoup qui ne seront pas semblables a Iob: car ils n'ont pas simplement une bouffee pour se despiter: mais ils persistent de mal en pis: et quand quelque chose ne leur vient point à gré, apres qu'ils auront murmuré contre Dieu, ils se donnent licence de le

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despiter: et puis si quelque mot leur est difficile, il y a une telle temerité qu'ils ne feront point de scrupule de s'eslever à l'encontre de Dieu voire et seront opiniastres iusqu'au bout: comme nous en voyons de ces outrecuidez, quand il y aura quelque chose en l'Escriture saincte qui ne s'accordera point à leur sens, et à leur fol cerveau, Ô cela sera condamné du premier coup, sans s'enquerir d'où il procede: et puis encores qu'ils soyent convaincus, si ne laissent-ils pas d'estre impudens iusques-là de s'eslever contre Dieu, et contre ses iugemens secrets et incomprehensibles, pour dire, O voila, il est impossible que cela entre en ma teste. Et mon ami, si tu es un povre aveugle, le soleil sera-il obscurci qu'il ne luise pourtant? Si un aveugle dit, le ne voy point clair, est-ce à dire que le soleil n'apporte que tenebres? C'est bien à propos. Et ainsi quand nous voyons que le diable transporte les hommes en telle furie, qu'ils font leurs conclusions à l'encontre de Dieu: d'autant plus devons nous tascher de nous tenir en bride courte: et si quelquesfois nostre impatience nous solicite' et nous pousse à quelque despit, et chagrin, que pour le moins quand nous aurons bien tempesté, nous retournions à nous (car il vaut mieux: tard que iamais) pour dire' Et Seigneur, où seroy-ie, si tu ne me retenois? Ainsi mon Dieu, il faut bien que ie me gouverne par ton Esprit, et que tu me donnes ceste prudence-là, que ie soye du tout subiet à ta bonne volonté, quoy qu'il me puisse advenir. Voila ce que nous avons à observer.

Et au reste, faisons aussi comparaison de nos maux avec ceux de Iob: car si nous regardons bien les afflictions qu'il a endurees, elles sont si estranges, qu'il pouvoit bien dire, ie ne say comme ie le doy prendre: car Dieu m'oppresse par trop. Et qu'ainsi soit, si Dieu nous touche du petit doigt, nous sommes si delicats, que c'est incontinent à se depister Et comment ceci ? Dieu nous envoyera quelque maladie commune, ô il nous semble qu'il nous devroit bien plus espargner: s'il nous afflige en quelque sorte, ce sera à nous tempester: bref, seulement qu'il nous donne un coup de verge, nous dirons qu'il aura foudroyé. Voyant que nous sommes ainsi impatiens, cognoissons ce que Iob a enduré: et si nous en venions iusques-là, que seroit-ce de nous? Seroit-il question de ietter seulement quelque escume, et puis nous retirer? Non: mais ce seroit pour nous desborder en tout et par tout veu qu'à la moindre occasion du monde, nous y sommes enclins. D'autant plus donc faut-il que nous cognoissions que nous avons mal profité en l'escole de nostre Dieu, iusques à ce que nous ayons apprins à recevoir patiemment toutes les corrections qu'il nous envoye, veu qu'elles tendent à nostre salut. Voila ce que nous avons encores à observer

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de ce passage. Mais entre autres choses, notons que c'est une dure tentation, et fort dangereuse, quand nous ne sommes point exaucez de Dieu en nos cris et plaintes. Et pourquoy? Car il est dit que le nom de Dieu est une forteresse bonne et seure pour tous ceux qui y auront leurs recours Quiconques invoquera le nom du Seigneur, il aura salut: voire combien que le ciel et la terre fussent comme meslez ensemble, que tout l'ordre de nature fust confus, si est-ce qu'en invoquant le nom de Dieu nous serons tousiours secourus, comme il est dit en Ioel. Ce Sont les promesses de Dieu, Que devant que nous ayons la bouche ouverte, il nous exaucera: devant que nous ayons parlé, il aura la main estendue pour nous secourir. Voila donc Dieu qui se monstre tant liberal que merveilles, et nous dit qu'il surviendra à nostre nécessité: et toutes fois quand nous l'aurons invoquë, non pas seulement pour un coup, mais que nous aurons persisté à lui demander qu'il ait pitié de nous: et nous serons tousiours en un estat, qui pis est, il nous semblera que Dieu s'aigrisse à l'encontre de nous pour nous tourmenter tant plus, quand nous l'aurons invoquë. Quelle tentation est-ce là? Il m'est dit, que le nom de Dieu est mon refuge, que Dieu est prochain de tous ceux qui l'invoquent en verité: i'ay essaye que veulent dire ces promesses' et ie n'en sens nul profit: mais plustost mon mal s'augmente tant plus. Et que veut dire cela? Or tant y a que Iob en est là venu: et non seulement luy mais David, et les autres fideles. Et mesmes il à fallu que cela s'accomplist en nostre Seigneur Iesus Christ: comme c'est à lui que cela compete, le t'invoque de iour, ie crie de nuict, et cependant tu ne m'alleges point de mon mal: il semble que tu m'ayes d laissé: et nos peres quand ils ont eu leurs recours à toy ont tousiours cognu que ce n'a pas esté en vain: mais tu me rends ici confus. Or par cela notons, que quand Dieu a promis d'estre prochain à tous ceux qui l'invoquent, et les secourir avant qu'ils ayent la bouche ouverte pour lui demander aide, ce n'est pas à dire qu'il monstre tousiours cela à l'oeil. Et comment donc? C'est à sa façon. Il est certain que devant que nous invoquions Dieu, desia il est prest et appareillé de nous secourir. Et qu'ainsi soit, d'où vient ceste affection de le prier? N'est-ce pas de son sainct Esprit? Car iamais l'homme n'aura son recours à Dieu de son propre mouvement. C'est donc Dieu qui nous a regardé en pitié quand nous pensons qu'il nous ait tourné le dos. Apres, si nous avons subsisté quelque temps, il faut bien qu'il nous ait donné ces e vertu, il faut bien que nous ayons esté secourus de sa main pour estre ainsi patiens et humbles en nos miseres. Or il est vrai que nous pourrons bien avoir ceste apprehension ici, qu'il

IOB CHAP. XIX.

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nous semblera pour quelque temps que nous n'ayons point esté exancez de Dieu. Nous voyons comme Iob en a este, et David, et mesmes il a fallu que Iesus Christ en vinst là, non pas qu'il fust tenté à nostre façon, c'est à dire, qu'il fust tenté d'impatience: mais si est-ce que d'autant qu'il avoit à combatre contre sa nature humaine, il a fallu qu'il fust angoissé, voyant que Dieu l'avoit destitué de toute aide, il a mesmes fallu qu'il iettast ces cris: Mon Dieu pourquoy m'as-tu délaissé? Quand donc nous aurons telles tentations, et que nous serons angoissez à cause de nostre infirmité, et de tant de vices qui sont en nous, comme nous sommes pleins

de defiance, de rebellion d'orgueil, et d'autres choses semblables: et bien; que nous recourions-là, Si est-ce que nous ne sommes pas les premiers que Dieu a voulu secourir, et lesquels combien qu'ils ayent langui quelque temps sous sa main, en la fin toutes fois ont senti le profit de leurs prieres. Ainsi donc perseverons en cela, et souffrons que Dieu nous tiene en langueur tant qu'il lui plaira iusqu'à ce qu'il nous en delivre, et qu'il se soit monstré nostre Sauveur, comme il nous en a desia donné quelque goust en ce monde.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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L E S E P T A N T E M S E R M O N ,

QUI EST LE II. SUR LE XIX. CHAPITRE.

Ce sermon contient l'exposition des versets 7, 8, 9,10,11,12 qui avoyent esté touchez, et le texte qui s'ensuit ici.

13. Il a fait retirer arriere de moy mes freres, et ceux que ie cognossoye se sont estrangez de moy. 14. Mes prochains m'ont abandonné, mes parens m'ont mis en oubli. 15. Mes domestiques, et mes chambrieres m'ont desdaigné, et ay esté devant leurs yeux comme estranger. 16. Si i'appelle mon serviteur, il ne me respond point, encore que ie le prie de ma propre bouche.

Il nous faut achever le propos qui fut commencé au dernier sermon: c'est que ceste tentation est bien dure et pesante, quand nous ne sommes point exaucez du premier coup en nos prieres. Car de fait, voila ce qui nous reste quand nous sommes affligez, que Dieu nous reçoive si nous le requerons, et qu'il ait pitié de nous, et que nous sentions que ce n'est point en vain que nous avons eu nostre refuge à luy. Voila (di-ie) le salut de tous fideles Or s'il semble que nous ayons perdu nostre temps quand nous aurons recouru à nostre Dieu afin qu'il nous aidast, qu'en sera-il? Ne serons-nous point comme desesperez ? Tant y a que Dieu veut ainsi exercer les siens, c'est qu'il se cachera, et ne fera point semblant de les ouir, ne de regarder aux maux qu'ils endurent. Vray est qu'il a promis, que si tost que nous le requerrons, il sera prest pour nous aider: mesmes qu'il n'attendra pas d'estre solicité, mais qu'il previendra nos requestes. Et voila aussi qui aggrave ceste tentation beau

coup plus, quand il nous semble que Dieu s'est mocqué, et qu'il nous a donné une esperance frivole et inutile. Mais cognoissons puis qu'il a ainsi exercé les siens, qu'aniourd'hui il ne se faut point esbahir s'il fait le semblable envers nous. Ainsi attendons en patience, et nous verrons par l'issue qu'il ne nous a point mis en oubli, et qu'il ne laisse pas de nous exaucer, encores qu'il ne monstre pas si tost en evidence qu'il ait la main estendue sur nous. Et de fait, quand nous sommes patiens, et que nous pouvons persister en nos oraisons, c'est signe que desia Dieu nous a exaucez: car s'il ne nous avoit ainsi preservez, seroit-il possible que nous puissions durer une seule minute de temps, comme il a este exposé? Mais il nous faut venir au mal qui est en nous: car voila pourquoy Dieu differe son aide, et qu'il la prolonge, c'est d'autant que nous ne le prions pas d'une telle affection comme il seroit requis. Chacun dira bien, qu'il ne tient pas à prier: et de fait, quand on demande à un homme, Or ç L, avez-vous fait vostre devoir de requérir à Dieu qu'il eust merci de vous? l'ai prié aussi bien qu'il est possible, chacun le dira ainsi: mais tons ceux qui parlent en ceste sorte ne savent que c'est de prier, nous y allons si froidement que rien plus. Et nous semble-il que Dieu doive recevoir de telles requestes qui sont faites comme par acquit et ceremonie?

(Ainsi donc notons que Dieu voyant la froidure

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et paresse qui est en nous, ne nous aide pas si tost, afin de nous aguiser, et enflammer en tant plus grand desir, et que par ce moyen-la nostre foy soit tant mieux examinee: ou bien si nous prions Dieu aucunement, et qu'il n'y ait point de nonchalance en nos oraisons, il y aura de la rebellion cachee, comme nous le voyons ici en Iob. Il est vrai que Iob a prié: mais y a-il une modestie telle qu'il appartient? Nenni: mais il est impatient par trop. Comment donc est-ce qu'il nous faut aller à Dieu? S. Paul nous en donne la regle, disant (Philip. 4, 6), que nous le prions incessamment avec action de graces: et encores que nous soyons tormentez et ayons des maux qui nous pressent, qu'il nous faille gemir et souspirer: tant y a qu'en priant Dieu il nous faut tousiours benir son nom, et nous faut assubiettir à lui. Quand cela n'y est point, il n'y a plus de prieres: c'est plustost une défiance comme si on alloit sommer un ennemi, et le defier. Voila donc comme nos oraisons quelquesfois sont semblables à des adiournemens, ainsi que nous les faisons à Dieu. Et comment cela? Le plus grand honneur que Dieu demande de nous, c'est que nous l'invoquions en toutes nos adversitez: au lieu de lui faire un tel hommage, nous venons le despiter. Il ne faut point donc trouver estrange s'il a les aureilles bouchees à nos prieres, et ne fait semblant de nous secourir, quand nous le reclamons. Et ainsi que nous ayons ces deux choses: c'est assavoir, que nous prions Dieu d'une affection ardente, que ce ne soit point seulement pour ouvrir la bouche, ou pour ietter quelque souspir à la volee, mais que nous le requerions du profond du coeur. Pour le second, qu'il n'y ait pas un orgueil en nous que nous vueillions assubiettir Dieu à faire tout ce qui nous viendra en la teste et en la phantasie: mais que nous le requerions avec toute humilité, le magnifians, et lui rendans louange, encores qu'il nous afflige. Quand nous aurons ces deux choses, il est certain que nous serons beaucoup plustost exaucez: car les vices contraires sont cause que Dieu dilaye tant à nous secourir. Mais prenons le cas que quand nous aurons prié deuëment, et d'une telle affection que Dieu demande, nous ne soyons point secourus: encores faut-il que nous ayons patience iusques à ce que le temps opportun soit venu, lequel est en sa main: c'est à lui d'en iuger. Si donc nous ne cognoissons pas auiourd'hui que c'est qu'auront profité nos oraisons, demain Dieu nous le fera sentir. Pourtant que nous demeurions là tous coys, attendans l'opportunité, et l'issue telle que Dieu nous la voudra donner: et elle sera bonne et heureuse pour nostre salut.

Voila ce que nous avons à noter de ce passage quand Iob dit, Qu'il s'est escrié mais qu'il n'a point esté escouté, car tout ce qu'il adiouste n'est sinon

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pour se plaindre que ses afflictions sont si extremes, qu'il ne se faut point esbahir s'il a des tourmens par trop excessifs, et qu'il ne faut pas que ses amis se rebecquent à l'encontre: car c'est folie (dit-il) d'estimer ce que ie doy faire par la coustume ordinaire. Si un homme est affligé, et bien, on lui dira qu'il doit prier Dieu: de moi, si ie le prie, ie ne suis point exaucé. On lui dira: Mon ami, il ne se faut point tempester si fort: mais aussi le mal qu'il souffrira pourra estre commun: mais il y a en moy une douleur telle et si exorbitante, la main de Dieu (dit-il) me presse d'une façon si estrange et si rigoreuse, que quand ie n'auray ne sens ne raison en moi, il ne s'en faut point esbahir. Voila quelle est l'intention de Iob. Or nous avons declaré ci dessus qu'il falloit cognoistre que Dieu quelquesfois exercera sa rigueur sur les creatures d'une façon qui nous sera incognue quant à nostre sens naturel: et pourtant alors il nous faut prier, pour dire: Seigneur, fay moy tousiours sentir que tu es prochain de moy: et combien que ie n'apperçoive point cela par experience, mesmes que ie soye comme délaissé de toy en apparence: neantmoins que ie puisse tousieurs appuyer mon esperance sur ta bonté et ton secours. Iob devoit parler ainsi: mais puis qu'il ne le fait pas, voila pourquoy il s'est ietté ainsi aux champs (comme on dit) et qu'il fait ces complaintes que nous oyons en ce passage. Mais pour faire nostre profit de ce qui est ici contenu, notons que le sainct Esprit nous a voulu proposer en la personne de Iob comme un miroir des passions humaines, quand elles ne sont point attrempees sous l'obeissance de Dieu. Voila pour un Item.

Le second est, que Dieu nous a ici voulu declarer ses iugemens, combien ils sont terribles, et que quand il lui plaist de cacher sa face amiable, et se monstrer comme ennemi aux hommes, c'est une chose si espouvantable, que cela seroit pour abysmer tout le monde. Voila le second. Le troisieme c'est que Iob, combien qu'il fust ainsi passionné, a resisté neantmoins à ces tentations: mais il n'en est pas si tost venu à bout, qu'il ne lui soit eschappé beaucoup de mots qui estoient mauvais, tellement qu'il y a eu de l'infirmité meslee avec la vertu. Voila donc les trois choses que nous avons ici à observer. En premier lieu, notons que Dieu veut que les hommes se mirent en la personne de Iob: car nous ne cognoistrions pas quels nous sommes, sinon que Dieu nous contraignist d'appercevoir nos foiblesses. Chacun cuidera estre puissant et robuste, nous imaginons que c'est merveilles que de nostre vertu, que iamais nous ne fleschirons: voire loin des coups nous sommes hardis: mais si tost que Dieu nous presse, nous sommes abbatus, tellement que nous devons bien sentir (si nous ne

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sommes par trop stupides) que Ça este une vaine arrogance et folle, quand nous avons pensé avoir quelque vertu en nous, laquelle est nulle. D'autant donc que les hommes sont ainsi aveuglez d'une folle persuasion, et comme enyvrez, le S. Esprit nous represente ici la personne de Iob, afin que nous cognoissions comme les hommes defaillent sous la main de Dieu, quand ils sont affligez, comment ils ne peuvent persister, et qu'il faut qu'ils soyent abattue du tout. Si cela est advenu à Iob qui estoit constant par dessus les autres, helas! que sera-ce de nous? Mais il nous faut venir au second, qui est le principal: car pourquoy est-ce que nous n'avons point une docilité pour nous humilier devant Dieu, et pour cheminer en crainte, sans nous confier en nous, et en rien que nous puissions? Pource que nous ne sentons point que la main de Dieu nous est pesante et insupportable. Voila donc Dieu qui nous declare, que c'est une chose horrible, quand il veut desployer sa vertu sur les hommes mortels pour les chastier, qu'il faut qu'ils fondent là comme neige au soleil, qu'il faut qu'ils soyent du tout abbatus: mesmes, comme l'Escriture en parle, il ne faudra pas que Dieu desploye sa rigueur sur nous: seulement qu'il retire son esprit, c'est à dire, ceste vigueur qu'il nous donne, et nous voila defaillis. Et quand il dit, que non seulement il nous privera de sa vertu, mais qu'elle nous sera contraire, qu'il viendra là comme la foudre et tempeste pour nous abysmer, helas! que pourrons-nous faire? Il est vrai que nous confesserons qu'il est impossible aux hommes mortels de tenir bon quand ils seront assaillis de Dieu: mais cependant si ne concevons-nous pas, comme il seroit requis, combien la main de Dieu nous doit estre espouvantable. Voila pourquoy ici l'exemple nous en est monstre en la personne de Iob.

Or cependant il ne faut pas que nous estimions (comme il a este touché) que Iob se soit pleu, ou nourri en telles passions qui estoyent mauvaises, et à condamner. Et comment donc? Il a tasche d'y resister: mais si a-il fallu qu'il fust là comme en branle: et Dieu a voulu monstrer, que iamais les hommes ne sont si vertueux qu'il n'y ait tousiours à redire, et qu'ils ne se monstrent en quelque sorte par trop debiles. Et cela nous est bien utile: car c'est afin que nous ne soyons point descouragez quand nous serons tentez, et qu'il semblera que nous devions estre du tout abattus. Si nous-nous trouvons donc ainsi: et bien, passons outre, et prions Dieu qu'il nous supporte, et ne doutons point qu'il ne le face, puis que nous voyons que Iob combien qu'il y ait eu de l'infirmité de la chair en lui, n'a pas laissé toutes fois d'estre victorieux: que nous ne doutions point (di-ie) que Dieu ne besongne tellement qu'il nous fera surmonter toutes

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nos tentations. Voire, mais ce ne sera pas qu'il ne nous faille clocher, que nous n'en recevions des coups, et que les playes n'en saignent: qu'il nous suffise que les coups que nous recevrons ne sont point mortels, que Dieu se mettra au devant comme pour un bouclier.

Or venons maintenant aux plaintes que fait ici Iob. Il dit, Que Dieu a environné ses voyes tellement qu'il n'en sauroit sortir, et qu'il a mis des tenebres en son chemin. Si nous sommes affligez, encores voila qui adoucit beaucoup nos douleurs, quand nous voyons que le mal doit tost passer, qu'il ne durera pas tousiours: comme si nous trouvons quelque moyen pour eschapper, ou que nous ayons quelque conseil. Mais si tout cela nous est esté, il ne nous reste plus que desespoir. C'est ce que Iob a ici entendu. Il dit, que Dieu a enclos toutes ses voyes: c'est à dire, Helas ! que deviendrai-ie? Car un povre homme, s'il est tormenté de beaucoup de maux, il regardera d'en sortir: et bien, si ce n'est par un chemin, ce sera par un autre, il cherche les moyens, il trouve quelque conseil: mais ce n'est pas ainsi de moy, car Dieu m'a ici enclos, ie n'y voy nulle issue, i'ay beau disputer, si ie pourrai obtenir ceci ou cela: il n'y aura point d'allegement pour moi Et pourquoy ? Il n'y a que tenebres par tout, c'est a dire, ie ne voy ne chemin ne sentier: et Dieu m'a tellement enclos, qu'en un mot il n'y a plus de remede. C'est la somme de ce qui est ici dit: et nous le faut bien noter, afin que si le semblable nous advenoit, nous ne laissions pas d'invoquer Dieu. Qui est cause que les hommes devant le coup se ferment la porte, et qu'ils ne peuvent plus prier, et mesmes qu'ils sont du tout confus? C'est qu'il leur semble que iamais le semblable n'a esté fait à personne. Et de fait, nous avons veu par ci devant, que Iob estoit assailli de telles tentations, Regarde à tous les fideles qui ont esté devant toi, si iamais Dieu les a traittez en telle façon. (1 estoit pour conclure que Iob estoit perdu, et reprouvé du tout. Ainsi donc voici un passage qui est bien digne d'estre noté. Et pourquoi? Si quelquefois il nous semble que les maux que nous endurons n'ayent nulle fin, et que nous n'en puissions iamais estre delivrez, mais que quand nous aurons cerché çà et là, il nous semble qu'il soit impossible d'en estre iamais affranchis: disons Et bien, Dieu sait comment il nous veut retirer d'ici, que nous demeurions donc là. Et voire, mais est-il possible que Dieu ait pitié de nous? Et nous voyons que le semblable est advenu à Iob. Regardons l'issue, comme dit Sainct Iaques (5, 11): et puis que Dieu a delivré cest homme des maux où il estoit, pourquoy est-ce qu'auiourd'hui il ne nous surviendra? car sa puissance n'est pas amoindrie, ni sa bon e. Voila donc a quel usage il nous

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faut appliquer ceste sentence de Iob, quand il dit, que Dieu avoit enclos ses voyes.

Au reste, notons, que Dieu privera pour un temps ses fideles des benedictions qu'il leur a promises: afin qu'ils soyent incitez à le prier, et aussi quand il les veut humilier, on bien qu'il les chastie pour leurs pechez. Quant à Iob il est vrai qu'il n'a pas endure pour les fautes qu'il avoit commises, non pas que Dieu n'en trouvast assez en lui pour le punir: mais (comme nous avons declaré) il n'a point eu ce regard seul, plustost il a voulu esprouver sa patience: mais de nostre costé il nous privera des benedictions qu'il nous a promises à cause que nous l'avons offensé' et que nous ne sommes pas dignes d'en iouir: ou bien ce sera quelque coup d'esperon qu'il nous donnera, afin que nous l'invoquions plus ardemment. Voila Dieu qui promet à ses fideles qu'il les guidera par leurs voyes, mesmes qu'il leur baillera les Anges pour conducteurs, qu'ils ne feront point un faux pas, qu'ils n'auront point une mauvaise rencontre. C'est une belle promesse. Or cependant il nous semblera que les chemins nous soyent fermez, qu'il n'y ait qu'espines et ronces, mesmes qu'il n'y ait que montagnes et rochers de toutes parts: nous voila enclos: de sortir, il nous semblera qu'il est impossible. Là dessus qu'avons-nous à faire ? sinon de cognoistre, Helas! ie ne suis pas digne que Dieu me declare sa bonté comme il l'a promis à ses enfans. le devroye avoir mon chemin tout plein' et ie ne say de quel costé marcher: il faut donc que maintenant ie cognoisse mes fautes. Ou bien, Dieu a promis d'envoyer ses Anges pour conducteurs à ses fideles. Mais quoy ? Il semble que ce soit tout autrement en moi. Il faut donc que ie le requiere, qu'il luy plaise de monstrer l'effect de ceste promesse envers moi. Ainsi nous sommes solicitez par tels moyens d'invoquer Dieu. Cependant cognoissons que si est-ce qu'il ne nous privera point de conseil et prudence iusques en la fin, que là où il n'y aura point de voye, il nous en fera trouver: et sa vertu nous sera tant mieux cognue nous aurons plus ample matiere de le glorifier quand il aura besongné d'une telle façon, que nous D'avions point attendu. Car quand Dieu a surmonté nostre sens et esperance, nous avons tant plus de quoy le glorifier. Voila en somme ce que nous avons à noter de ceste sentence.

Or Iob adiouste, Que Dieu luy a esté sa gloire, et qu'il lui a esté sa couronne du chef, qu'il l'a consumé, qu'il l'a destruit, qu'il a esté son esperance comme d'un arbre. Ici Iob signifie deux choses: l'une c'est que Dieu l'a aflligé si rudement, que quand on fera comparaison de lui avec les autres, on trouvera qu'il endure beaucoup plus: et puis pour le second il dit, qu'il n'est pas comme les

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autres qui endurent, lesquels encores qu'ils souffrent du mal fort grand, si est-ce qu'ils sont comme un arbre qu'on aura arraché, et toutes fois il y demeurera encores quelque petite racine, ou quelque filet, et encores pourront-ils avoir respit: mais de moi (dit-il) ie suis tellement arraché, qu'il n'y demeure plus nulle substance, il semble que Dieu m'ait retranché du tout. Car combien qu'il ne fust point encores exterminé du monde, si est-ce que sa vie e toit semblable à une mort: voire, et Dieu lui avoit fait autant de playes comme il lui estoit advenu de maux et de calamitez, ses enfans avoyent esté froissez devant lui, toute sa substance ravie et perdue, son corps estoit devenu comme une charongne pourrie. Ce n'est pas donc sans cause qu'il dit, que Dieu l'a retranché, et lui a esté son esperance: comme si un arbre estoit là du tout arraché de la terre, qu'il n'y demeurast plus rien sa vertu est escoulee, et ne faut plus attendre qu'il verdoye en la terre pour apporter quelque fruict, d'autant qu'il a perdu toute sa vigueur. Iob donc dit, qu'il lui. en est fait ainsi. Or quand nous oyons ces choses, il ne nous faut point esbahir s'il est fasché, iusques là, qu'il semble qu'il n'y ait plus rien qui le puisse soulager, car qui est celui de nous qui ne seroit beaucoup plus impatient' quand il endureroit la centieme partie de ce que Iob a enduré? mais tant y a que nous cognoissons que Dieu lui a assisté. Il nous faut donc esperer qu'il en fera autant envers nous. Qui est cause de l'impatience qui est en nous souventesfois? Tout ainsi que quand nous voulons estre patiens en nos adversitez, il nous faut prendre consolation en la grace de nostre Dieu: aussi au contraire quand nous ne pouvons souffrir que Dieu nous afflige, et que nous sommes si despiteux qu'il nous semble qu'il n'y a plus d'ordre ne de raison, voila nostre esperance qui est aneantie. Ainsi en est-il advenu à Iob: non seulement il a offensé Dieu en ce qu'il s'est ainsi desbordé comme nous voyons, mais il n'a pas tenu à lui qu'il ne se soit precipité comme en desespoir, et il meritoit bien que Dieu l'exterminast, qu'il lui ostast toute esperance, qu'il fust là comme un arbre qui seroit arraché. Car Iob parlant ainsi comme nous voyons, s'est privé de la grace de Dieu, tellement qu'il estoit du tout perdu, il estoit comme abysmé aux enfers, Sinon que Dieu lui eust tendu la main de bien loin. Ainsi donc cognoissons que ç'a esté une bonté singuliere de Dieu, de ce qu'il n'a point permis que son serviteur tombast iusques aux abysmes: et que par cela nous soyons admonnestez, qu'il est bon besoin que Dieu nous maintiene, et mesmes qu'il nous releve quand nous sommes cheus. Car Dieu besongne en deux sortes envers nous, voire afin que nous l'invoquions: il nous preserve quelquesfois par sa vertu, tellement

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que nous ne tombons point: et quelquesfois il permet que nous defaillions, afin que puis apres il nous releve. Il est vray cependant qu'il ne nous le faut point tenter, pour nous lascher la bride comme phrenetiques, sous ombre que Dieu aura bien relevé ceux qui seront tombez: car nous abuserions de sa grace.

Au reste, si faut-il que nous magnifions sa bonté envers Iob, cognoissans que quand nous sommes comme defaillis, il vient à nous, et nous cherche: et il est bien necessaire qu'il besongne en telle sorte: car autrement nous demeurerions confus à tous coups, ainsi que nous en voyons ici un beau miroir. Voila donc quant à ce mot. Et au reste pour resister à une telle tentation, notons qu'il faut que nostre vie soit cachee, comme aussi sainct Paul en parle (Colos. 3, 3): il est vray que nous sommes semblables à un arbre arraché: mais tant y a que Dieu ne laisse point de nous donner vertu secrette, et nous aurons tousiours vigueur, combien qu'il semble que nous perissions. N'estimons point donc nostre vie ne nostre salut par ce que nous voyons et qui se peut iuger à l'oeil, ou de nos sens naturels: mais cognoissons que Dieu nous veut conserver d'un moyen qui nous est incomprehensible. Nostre vie donc (dit sainct Paul) est cachee avec nostre Seigneur Iesus Christ. Et ainsi attendons, et prions ce bon Dieu, qu'il nous face la grace de tousiours regarder à lui, iusques à ce que le temps soit venu qu'il revele ce qui est maintenant incognu: car il faut que nous soyons semblables à morts, iusques à ce que Dieu nous vivifie. Nous sentirons bien ici bas quelque goust de sa grace et il nous la fera bien experimenter: mais encores que nous ne la sentions point par fois, si faut-il le prier qu'il nous resveille, et qu'il nous face cognoistre l'amour qu'il nous porte: et quand nous n'aurons qu'une seule goutte de la grace de Dieu, si nous faut-il souvenir de ce que dit sainct Paul aux Romains (8, 10. 11), Que quand l'Esprit de Dieu a vie en nous, encores .qu'il n'y en ait qu'une bien petite portion, si est-elle suffisante pour aneantir tout ce qui est de nostre mauvaise nature en nous. Et bien, il est vray que nous ne sentirons pas tousiours cela, nous ne cognoistrons pas la vertu de l'Esprit de, Dieu, quand elle sera en nous: mais prions Dieu qu'il ne permette point que nous demeurions tousiours en tel eslourdissement, et en telle stupidité, que nous ne sentions sa grace pour l'appliquer à tel usage qu'il veut, et pour en faire nostre profit. Voila ce que nous avons à noter en second lieu de ce passage.

Or Iob dit apres, Que Dieu avoit embrasé son ire contre lui, et qu'il lui avoit esté ennemi. Il est vray que toutes fois et quantes que Dieu nous afflige, l'Escriture saincte dit Qu'il est courroucé

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contre nous: non point qu'il soit subiet à nos passions, et puis ce n'est pas aussi qu'il nous reiette et qu'il nous haysse de fait; Quoi donc ? C'est d'autant qu'il nous fait contempler son ire en nos afflictions. La raison ? Car les afflictions sont autant de chastiemens que Dieu envoye aux hommes pour leurs pechez. Il est vray (comme desia nous avons dit) que quelquesfois il chastiera les siens pour autre raison: mais si est-ce que ceci nous doit venir de prime face au devant, que nous sommes pecheurs et redevables à Dieu: et pourtant il punit les fautes que nous avons commises. Mais en ce que dit Iob il y a quelque consideration particuliere outre l'usage commun. Il se complaint que l'ire de Dieu s'est embrasee contre lui Et cela doit-il estre nouveau ? Car nostre Seigneur declare et prononce en toute l'Escriture saincte, qu'il est courroucé contre ceux qu'il chastie. Voire: mais Iob a voulu plus exprimer, c'est assavoir que ceste ire de Dieu n'estoit point commune, ni accoustumee, et que c'estoit comme si Dieu l'eust tenu du tout pour reprouvé. Or tout ainsi qu'en general Dieu veut que nous apprehendions son ire quand il nous punit, et que nous entrions en cognoissance de nos pechez: aussi il veut que nous cognoissions que ceste ire-la est temporelle, et qu'elle passe, et s'escoule: comme il est dit au Prophete Isaie (54, 8), Ce n'est que pour une minute de temps que ie te feray sentir mon indignation: mais ie te feray cognoistre ma misericorde d'aage on aage: elle sera permanente envers toy. Voila donc comme au milieu des afflictions il nous faut d'un costé cognoistre que Dieu est courroucé, d'autant que nous l'avons offensé par nos pechez, et puis il faut que nous ne doutions pas qu'il ne nous aime, et qu'il ne demande dé se reconcilier avec nous. Mais Iob declare ici, que Dieu l'a tenu pour son ennemi, c'est à dire, ce courroux ici n'est point ordinaire comme quand Dieu se monstre courrouce contré les pecheurs, et qu'il leur donne quelque signe de sa vengeance: mais il m'a esté excessif, dit Iob. C'est le sens de ses propos.

Or que seroit-ce si nous estions comme lui? Car sans consolation (comme desia nous avons declaré) il est impossible que nous soyons patiens: il ne se peut faire que nous ne soyons rebelles à Dieu, quand nous ne cognoissons point sa bonté. Afin que tu sois craint (dit David Pseau. 130, 4) tu es amiable Seigneur. Quand donc les hommes ne peuvent avoir ceci imprime en leur coeur, que Dieu leur veut estre pitoyable, tant s'en faut qu'ils s'humilient, que plustost ils grinceront les dents à l'encontre de lui. Or il semble bien que Iob ne se soit point consolé: mais qu'il ait conclu que Dieu le vouloit faire perir, qu'il l'avoit desia ruiné du tout. Où en pouvoit-il estre donc ? Comme

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desia nous avons monstré, il declare ici ses premieres passions, où il a passé mesure: mais tant y a qu'en la fin il y a resisté. Or voyans cela, que nous faut-il faire, sinon prier Dieu qu'il engrave tellement en nos coeurs la promesse qu'il a faite à toute son Eglise, que iamais elle ne nous eschappe? Ceste promesse est telle, Que quand nous l'aurons offensé, que nous aurons decliné de ses commandemens, il nous chastiera: mais ce sera en verge d'homme, c'est à dire, qu'il nous chastiera doucement, et d'une façon temperee, et que iamais sa misericorde ne sera eslongnee de nous, comme aussi il le dit en l'autre passage en son Prophete Abacuc (3, 2). Puis qu'ainsi est, prions-le (di-ie) qu'en toutes nos afflictions il ne permette pas qu'il nous semble qu'il nous tiene pour ses ennemis: mais cognoissons quand nous l'avons irrite, que nous sommes bien dignes qu'il nous face la guerre, et qu'il nous soit ennemi mortel: et que toutes fois il ne laisse pas de nous estre Pere, qu'il veut poursuivre sa bonté sur nous, combien que nous ayons desservi tout le contraire. Et cependant si telles tentations nous vienent au devant, que Dieu nous tiene pour ses ennemis, ne laissons pas de tousiours batailler à l'encontre: Voila, il est vray que si ie regarde mon estat et condition, il me semblera bien que Dieu me tiene pour son ennemi qu'il m'ait comme rasé du nombre des siens, qu'il ne vueille plus aussi se souvenir de moy pour me secourir: mais tant y a que ie luy feray cest honneur de me reposer en luy, et d'y avoir tout mon recours. Voila donc comme nous avons à resister à ceste tentation de laquelle Iob a esté fort opprimé, combien qu'il n'en fust point vaincu du tout.

Or il adiouste quant et quant: Car la gendarmerie de Dieu est venue, et ses bandes ont mis le camp tout à l'environ de ma maison. Il appelle la gendarmerie de Dieu, et ses bandes, toutes les afflictions qu'il enduroit. Ceste similitude desia a esté veuë en un autre passage, c'est que toutes les adversitez ausquelles nous sommes subiets sont autant de fleaux de Dieu, autant de dards, autant de fleches, autant d'espees: bref, autant de gendarmes qui sont comme à sa suite. Et ceci est bien necessaire d'estre cognu: car combien que nous le confessions en general, si est-ce que nous n'en avons pas une telle persuasion comme il seroit bien requis. Et de fait, les hommes ne se peuvent tenir de penser, que c'est une mauvaise fortune qui leur est advenue: quand ils endurent quelque mal: s'il est tombé une gresle, qu'il soit venu quelque gelee pour gaster les vignes et les bleds, voila une mauvaise fortune: et ceste maniere de parler procede de ce que nous regardons à ce qui nous est prochain, et que nous ne pouvons monter plus

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haut, pour cognoistre que Dieu a disposé le tout Voila (di-ie) comme les hommes iront tousiours à l'estourdie. Et ainsi quand l'Escriture parle des afflictions, monstrant que Dieu les tient en sa main, que ce sont ses armees, que ce sont ses bandes que c'est lui qui s'en sert, qu'il les envoye, et on dispose à son plaisir: notons bien tout cela, afin que quand nous serons affligez on quelque sorte que ce soit, nous contemplions tousiours la main de Dieu, que nous sachions que c'est elle qui frappe sur nous, et que par cela nous soyons instruits à nous humilier: Et bien Seigneur, ie voy que les hommes me faschent et ie voy les causes inferieures, ie voy pourquoi telle chose m'est advenue: mais cependant Seigneur tu es par dessus tout, et il faut que ie regarde à toy, et que ie recognoisse les playes qui procedent de ta main. Au reste, notons aussi que Dieu n'a point seulement un gendarme, ou une espee, et un baston pour nous affliger: mais il a des bandes, il a des armees toutes prestes pour nous assieger de tous costez, comme Iob en parle ici. Quand donc nous serons eschappez d un mal, Dieu nous pourra bien rattrapper tantost. Et ce poinct encores est bien utile: car combien que les hommes soyent convaincus, que la main de Dieu les persecute, si est-ce qu'ils conçoivent tousiours quelque vaine esperance pour sortir: il leur semble, Et bien, ie viendrai à bout de ceci encores y a-il tel remede. Voila (di-ie) comme les hommes au lieu de s'humilier sous la main de Dieu, se rebellent d'avantage, et leur semble qu'en lui donnant quelque coup de corne, ils le chasseront bien loin: mesmes nous voyons la rebellion qui est en nous, que quand Dieu nous a donné quelque coup de verge, nous sommes enflez d'orgueil et presomption, et nous semble qu'il nous face grand tort, et ne regardons pas qu'il nous pourroit persecuter cent fois autant. Voila ce que nous avons à noter

Or en la fin Iob se plaint que ses amis lui ont esté contraires, et en cela mesmes il declare qu'il cognoist la main de Dieu. Ceste sentence conferme encores mieux ce que nous avons desia dit, afin que nous sachions iusques où s'estend ceste doctrine. Les maladies sont-elles gensdarmes de Dieu? Elles sont aussi ses fleaux et ses espees. Car l'Escriture use de toutes ces similitudes, afin que nous concevions mieux selon nostre rudesse, les choses qui ne nous peuvent entrer assez avant en l'esprit. Toutes fois cela encore sera aucunement accordé: mais quand les hommes soudain changent, et nous sont faits adversaires, quand ceux: qui nous devroyent estre amis, et qui nous estoyent familiers, augmentent nostre mal, il ne semble point que cela vienne de Dieu. Et de fait d'ou procede une telle mauvaise affection, sinon de

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la corruption des hommes? tant y que c'est Dieu qui nous afflige lors, et sa providence conduit cela. Aussi qu'on regarde les choses, car on n'eust iamais pensé que les hommes deussent ainsi changer et user d'une telle malice: et pourtant concluons que ce changement vient de Dieu. Vrai est que quand il y a faute et peché en un acte, s'il est dit, que Dieu besongne là, il nous semble que le mal et vice soit de Dieu. Mais il nous faut considerer comment ceste doctrine s'entend. Ainsi donc il est certain que quand les hommes sont malins et cruels envers nous, la malice est d'eux: mais cependant ce n'est pas dire que Dieu ne les induise cela, et qu'il ne les retire de toute bonne affection et humaine, et qu'il ne vueille en somme que nous soyons persecutez par eux. Tant y a que Dieu faisant cela ne fait point mal: car il a bonnes et iustes causes, et fait tout en droiture: les hommes ne peuvent pas dire qu'ils ayent fait le mal pour lui obeir: car leurs consciences et son commandement les rend assez convaincus du contraire. Nous voyons donc comme Iob en tout et par tout a ici attribué à Dieu une puissance telle, qu'il fait de ses creatures ce qu'il veut, et s'en sert pour nous affliger quand bon lui semble. S'il nous envoye des maladies, et bien, c'est de lui que cela procede: s'il nous envoye d'autres calamitez, que nous soyons destituez de tous biens, c'est Dieu qui fait tout, comme auparavant Iob l'a dit, car combien que les brigands lui eussent ravi sa substance: Et bien, le Seigneur l'a donne, et il me l'a esté, le nom de Dieu soit benit. Ainsi donc pesons bien ce qui nous est ici monstre par Iob, c'est assavoir, que quand ses amis lui ont esté contraires, qu'ils le

sont venus aguiser, et ont esté comme bandez contre lui, qu'ils ont fait une conclusion de le fouler au pied: il cognoist que Dieu avoit ainsi endurci leurs coeurs, et qu'il ne vouloit pas qu'ils usassent d'humanité envers lui. Iob donc attribue ceci à Dieu, comme s'il disoit, Soigneur tu me persecutes d'une façon si exorbitante, que ie ne sai que dire, sinon que tu me constitues comme un but pour tirer toutes es vengeances contre moi. Oh en suis-ie donc maintenant? Ne semble-il pas que tu m'ayes mis aux enfers ? Voila à quoi tond ce propos de Iob. Il est vrai qu'il a eu bonne prudence, cognoissant que c'estoit Dieu qui avoit aliené ses amis de lui: mais cependant si est-ce que son infirmité se monstre, d'autant qu'il ne s'est point appaisé voyant une telle tentation. Car il devoit dire:. Et bien, Seigneur, il est vrai que tu as armé les hommes à l'encontre de moi, tu les as ici amenez pour me faire la guerre: mais si est-ce qu'encores attendrai-ie secours de toi: et puis qu'il te plaist te servir des hommes pour m'affliger, ie me retirerai à toi, sachant que tu changeras bien leur coeur quand il te plaira. Voila où Iob devoit aller: il ne l'a point fait du premier coup: mais si est-ce qu'il y a tendu. Et ainsi regardons à nous, que quand les hommes machineront nostre ruine, et nous persecuteront, nous ne nous arrestions point à eux pour nous y attacher, mais que nous cognoissions que nous avons affaire à Dieu. Et pourtant que nous recourions à lui, afin que nous esperions en sa bonté, quand nous serons chastiez par ses creatures.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE SEPTANTE ET UNIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XIX. CHAPITRE.

17. Mon haleine a esté fascheuse à ma femme, et si la supplie par les enfans de mon ventre. 18. Mesmes les petis me reiettent, et quand ie me leve, ils iettent des brocards contre moy. 19. Mais amis m'ont eu en abomination, et ceux que i'aimoye se sont retournez contre moy. 20. Mon os s'est attaché à ma peau, et à ma chair, et suis eschappé avec la peau de mes dents. 21. Ayez pitié de moy, ayez pitié de moy, vous mes amis: car la main de Dieu m'a frappé. 22. Pourquoy me persecutez-vous comme Dieu, et ne vous saoulez de ma chair? 23. le desire

que mes propos soyent escrits, qu'ils soyent enregistrez en un livre, 24. Avec un greffe de fer en plomb, ou en pierre, à perpetuité. 25. le say que mon Redempteur est vivant, et finalement s'eslevera sur là terre.

D'autant que Dieu a conioint les hommes, afin que l'un supporte l'autre, et que chacun tasche d'aider à son prochain, et quand nous ne pourrons mieux, que nous ayons quelque pitié et compassion les uns des autres: s'il advient que nous soyons

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destituez de toute aide, qu'on nous moleste de tous costez,. et que nul ne se monstre humain envers nous, mais que chacun nous soit cruel, ceste tentation-la est bien dure. Et voila pourquoi Iob en ce passage se complaint, qu'il n'y a eu ne femme, ni amis, ni domestiques qui ayent eu pitié de luy, mais que tout le monde l'a reietté: Or quand nous oyons ceci, nous le devons appliquer à nous: car (comme il fut hier traitté) Dieu permettra que les hommes nous defaillent, qu'un chacun s'estrange de nous, afin que nous recourions tant mieux à lui. Et de fait, cependant que nous aurons quelque support du costé du monde, nous n'esperons pas en Dieu comme il faut: plustost nous sommes retenus ici bas: car nostre nature aussi du tout y encline, et s'y adonne par trop. Et ainsi Dieu quelquesfois nous voulant retirer à soy, fera que nous serons destituez de toute aide humaine. Ou bien, ce sera pour nous humilier: car il nous semble qu'il doit bien avoir regard à nous, et que nous en sommes dignes: et chacun s'aveugle d'une telle presomption. Nostre Seigneur donc quelquesfois nous voudra instruire à humilité par ce moyen, qu'un chacun nous mesprisera que nous serons reiettez des grans et des petis. Ainsi alors nous aurons à penser que nous ne sommes pas tels que nous avons cuidé. Mais quoi qu'il en soit, si cela advient, cognoissons que pourtant nous ne sommes point delaissez de Dieu: car nous voyons que Iob a encores son recours à lui, et qu'il n'est point frustré de son attente. Dieu donc lui a tendu la main cependant que les hommes l'avoyent reietté, et cuidoyent bien qu'il n'y eust plus nulle esperance pour luy: c'est alors que Dieu a regardé à luy faire merci. Confions-nous donc en cela. Au reste, que nous soyons enseignez de faire nostre devoir envers ceux qui sont affligez, suivant ce que i'ay dit, que Dieu nous a conioints et unis ensemble, afin que nous ayons une communauté: car les hommes ne se doivent pas separer du tout. Il est vray que nostre Seigneur a ordonné la police, qu'un chacun aura sa maison, chacun aura son mesnage, sa femme, ses enfans, chacun sera en son degré: mais tant y a que nul ne doit s'exempter du commun, pour dire, Ie vivray à moy seul. Ce seroit vivre pis qu'en beste brute cela. Quoi donc? Cognoissons que Dieu nous a obligez les uns aux autres, afin de nous secourir: et pour le moins quand nous voyons quelqu'un en necessité, encores que nous ne luy puissions faire le bien que nous voudrions, que nous soyons humains envers lui. Si cela n'est, Dotons qu'en la personne de Iob ici le sainct Esprit demande vengeance contre nous: car il n'y a nulle doute que Iob (combien qu'il fust agite de passions grandes et excessives) n'ait tousiours esté gouverné par l'Esprit de Dieu, et sur

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tout quant à ces principes generaux, c'est à dire, quant aux sentences qu'il met: comme nous avons declaré qu'elles emportent doctrine profitable. Notons donc qu'ici nostre Seigneur declare, que c'est une cruauté par trop grande à nous, quand nous verrons un povre homme affligé, et que nous ne tascherons point de le secourir, mais plustost nous retirerons de lui.

Notons aussi que mesmes quelquesfois il est dit des choses par occasion en l'Escriture saincte, dont nous pouvons recueillir bonne doctrine: comme ici Iob parlant de sa femme, dit, qu'elle n'a peu porter son haleine, combien qu'il la priast par les enfans de son ventre. Sur cela il monstre, que les enfans doivent augmenter l'amour du mari et de la femme. Car quand Dieu benit un mariage par lignee, cela doit croistre l'affection mutuelle pour vivre en plus grande concorde. Les payens ont bien cognu cela: mais il est mal observe de ceux qui devroyent bien voir plus clair. Et quelle condamnation sera-ce pour les fideles, qui se vantent d'avoir esté enseignez en la parole de Dieu, s'ils ne cognoissent point ce que nature a monstré aux povres ignorans qui sont comme aveugles? Voila donc les Payens qui ont confesse que les enfans estoyent comme des gages pour confermer mieux l'amour du mari avec la femme, pour les tenir en paix et union. Suivant cela Iob dit, Qu'il a supplié sa femme par les enfans qu'il avoit engendré d'elle. Or cela ne l'a rien emeuë. Il monstre donc que c'est une chose contre nature, et que sa femme s'est monstree comme une beste sauvage en cest endroit. Ainsi notons, que tous ceux qui ne peuvent suivre un tel ordre, sont redarguez ici en passant, comme si le sainct Esprit avoit prononcé leur sentence en termes expres. Or toutes fois nous en voyons beaucoup qui n'ont nulle discretion, si Dieu leur a fait la grace de leur donner des enfans. Voila un homme qui aura vescu avec sa femme: il est vray que le mariage est desia une chose si sacree que ce mot seul doit bien suffire, quand il est dit Qu'ils seront deux en une chair que l'homme aura l'union qu'il doit avoir avec sa femme plus precieuse, que celle qu'il aura au pere et à la mere: mais quand Dieu adiouste encores de superabondant pour confirmation de ceste grace, que le mariage produit enfans, si les hommes et les femmes sont si brutaux, qu'ils ne soyent point induits et incitez par cela de s'aimer encores plus, il est certain que leur ingratitude est par trop lourde. Or (comme desia nous avons dit) c'est une chose bien mal pratiquee entre les Chrestiens: mais si faut-il que nous facions nostre profit de ce mot, encore qu'il ne soit ici touché que par occasion.

Iob pour augmenter le mal, dit, que et ces

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amis, et les hommes de son conseil, c'est à dire, ceux à qui il avoit accoustumé de communiquer tous ses secrets, se sont retournez contre lui ou bien se sont mocquez, qu'ils n'en ont tenu nul conte: et que non seulement ceux qui estoyent en quelque credit et dignité l'ont m'esprisé, mais les plus petis, les plus malotrus. Il signifie en somme, qu'il s'est trouvé destitué de tout secours, veu que ses amis lui ont defailli. Secondemet, qu'il a este en opprobre, tellement que les plus mesprisez du monde encores n'ont pas daigné le regarder comme pour le tenir de leur reng. Il falloit bien dire que l'affliction fust grande, veu qu'il n'y avoit nul qui le recognust comme de la compagnie des hommes: mais qu'il estoit desia plus qu'exterminé. Voila en somme ce qu'a voulu dire Iob. Or (comme desia nous avons touché) Dieu l'a voulu ainsi exercer, afin qu'il nous fust un miroir. S'il advient donc que ceux qui nous sont les plus prochains nous soyent ennemis mortels, et qu'ils nous persecutent, apprenons de recourir â. Dieu, et de porter cela patiemment, veu qu'il est advenu à Iob devant nous. Et mesmes reduisons en memoire ce qui est dit de nostre Seigneur Iesus Christ, pource qu'il appartient à tous les membres de son Eglise, Celui qui mangeoit le pain à ma table, a levé le talon contre moi. Il faut que cela s'accomplisse en tous fideles: et pour ceste cause nostre Seigneur Iesus nous a monstré le chemin, afin que nous ne soyons point trop faschez d'estre conformez à son image. Nous verrons donc tous les coups, que les enfans de Dieu seront trahis et persecutez par ceux aus-quels ils s'estoyent fiez du tout, et ausquels ils avoyent eu grande privauté. Et bien, voila une chose fort dure, on ne le peut nier, et quand nous sentons ce mal, c'est assez pour nous faire perdre courage: mais puis que nostre Dieu nous a declaré, qu'il faut qu'ainsi soit, et qu'il nous en a donné le tesmoignage en son Fils unique, passons par là, et submettons-nous à ceste condition. Voila encores ce que nous avons à observer en ce passage.

Or venons maintenant à ce que Iob adiouste Ayez pitié de moy, ayez pitié de moy, vous mes amis: car la main de Dieu m'a touché, dit-il. Il est vray, quand nous voyons que Dieu punit les hommes, que nous devons bien le glorifier, disans, Seigneur, tu es iuste. Mais il y avoit une consideration speciale en Iob, qu'il n'estoit point puni de Dieu pour ses fautes qu'il avoit commises, c'estoit à autre fin: et encores prenons le cas qu'il eust esté chastié selon ses demerites, toutes fois quand nous verrons un povre malfaiteur que Dieu aura mené à sa condamnation, si faut-il que nous en soyons touchez en nous-mesmes, voire pour deux causes. L'une c'est, que quand chacun regardera à soy, nous trouverons que Dieu nous devroit

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punir aussi rudement et plus, quand il luy plairoit de nous visiter selon que nous l'avons desservi. Quiconques donc pensera à soy, il se trouvera coupable pour estre puni de Dieu aussi griefvement que ceux lesquels il voit bien pressez: et pourtant nous les devons regarder en pitié et compassion. Ainsi nos vices et nos iniquitez nous doivent faire humilier. Voila un povre miserable, ie voy que Dieu le persecute, c'est une chose horrible. Mais quoi ? Il y a bien cause dequoi Dieu me pourroit ainsi punir: il faut donc que ie m'humilie et que ie me mire en la personne de cestui-ci. Voila pour un Item. Et puis, quand nous verrons un homme qui aura este affligé de la main de Dieu si fort que rien plus, que nous sachions non seulement qu'il a esté creé à l'image de Dieu, mais aussi qu'il nous est prochain, et comme un avec nous: nous sommes tous d'une nature, nous avons une chair, nous sommes le genre humain, pour dire, que nous sommes sortis d'une mesme source. Puis qu'ainsi est, et ne faut-il pas que nous pensions les uns des autres: Ie voy d'avantage une povre ame qui s'en va perir: ne doy-ie point avoir compassion le cela pour y subenir, si en moy est? Et encores que ie n'aye point le moyen, si doy-ie y aspirer. Voila (di-ie) les deux raisons qui nous doivent esmouvoir à pitié quand nous voyons que Dieu afflige de ceux qui en sont dignes. Quand donc nous pensons à nous, il est certain qu'il faut que nous soyons bien durs et stupides, ou nous aurons pitié de ceux qui sont nos semblables, comme quand nous recognoistrons, Voila un homme qui est formé à l'image de Dieu, il est d une nature commune avec moy, et puis, voila une ame qui a esté rachetee par le sang du Fils de Dieu, si elle perit, n'en devons-nous point estre touchez ?

C'est pourquoi Iob dit maintenant, Ayez pitié de moi mes mis, d'autant que la main de Dieu m'a frappé. Pour entendre encores mieux ceci, il nous faut prendre ceste sentence, Que c'est une chose horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant. Quand donc nous voyons quelque punition que Dieu envoye, il faut que nous soyons esmeus de frayeur, voire combien qu'il nous espargne. le seray à repos, et Dieu ne fera point semblant de me toucher, mais ie verray comme il frappe sur l'un, comme il afflige l'autre: ne voila point pour estre estonnez? Faut-il que nous attendions que Dieu rue sur nos testes à grans coups? Cela seroit par trop lourd. Mais quand nous voyons qu'il nous veut instruire aux despens d'autruy, il faut regarder la cause pourquoi il punit ainsi les hommes ainsi que sainct Paul nous monstre (Ephes. 5, 6j. Il ne dit pas, Craignez, car l'ire de Dieu viendra sur vous: mais il dit, Mes amis, vous

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voyez comme Dieu punit les incredules cependant qu'il vous espargne: si faut-il que vous cognoissiez que c'est à vostre instruction quand il donne quelque signe de son ire sur les hommes. Que donc nous notions bien ceste sentence de l'Apostre c'est assavoir, que c'est une chose espouvantable de tomber entre les mains de Dieu, et pourtant toutes fois et quantes qu'il fera quelque punition, que nous en soyons esmeus. Or de là nous serons quant et quant instruits, d'avoir pitié de ceux qui endurent, pour dire, Helas! voila une povre creature: si c'estoit un homme mortel qui l'affligeast on lui pourroit donner quelque allegement: mais Dieu lui est contraire: et n'en devons-nous point avoir pitié en voyant cela? Si on allegue, Et n'est-ce pas resister à Dieu si nous avons pitié de ceux qui sont chastiez pour leurs fautes? N'est-ce pas autant comme si nous voulions nous rebecquer à l'encontre de la iustice de Dieu? Non: car nous pouvons bien avoir ces deux affections en nous: d'approuver la iustice de Dieu, lui rendans gloire et louange de ce qu'il fait: et neantmoins nous ne laisserons pas d'avoir pitié de ceux qui sont punis, d'autant que nous en avons merité autant ou plus d'autant aussi que nous devons cercher le salut dé tous, et mesmes de ceux qui nous sont plus prochains, et où il y aura quelque lien que Dieu aura mis entre nous: comme nous approuverons la iustice terrienne, qui n'est que comme un petit miroir de la iustice de Dieu, et toutes fois nous ne laisserons pas d'avoir pitié d'un malfaicteur. Quand un criminel sera puni, on ne dira pas qu'on lui face tort, ne qu'il y ait cruauté au iuge On dira donc que ceux qui sont constituez en l'estat de iustice s'acquitent de leur devoir, et qu'ils font un sacrifice agreable à Dieu, quand ils feront mourir un criminel: mais cependant nous ne laisserons point d'avoir pitié d'une povre creature qui souffrira pour ses malefices: si nous n'en sommes esmeus, il n'y aura point d'humanité en nous. Si nous cognoissons cela en la iustice humaine, qui n'est que comme une petite estincelle de Dieu: quand nous venons là haut à ce throne souverain, ie vous prie ne devons nous pas en premier lieu glorifier Dieu de tout ce qu'il fait, cognoissans qu'il est iuste et equitable en tout et par tout? Et neantmoins cela n'empeschera (comme i'ai dit) que nous n'ayons compassion de ceux qui endurent, pour les soliciter, et leur subvenir: et quand nous ne pourrions mieux, que nous desirions leur salut, prians Dieu qu'en la fin il face profiter leurs corrections pour les retirer à soi, qu'il ne permette point qu'ils demeurent endurcis pour se rebecquer contre sa main.

Voila (di-ie) sur quoi Iob se fonde quand il requiert et exhorte ses amis d'avoir pitié de lui.

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Et notamment il parle à ceux qui lui estoyent plus prochains: car combien que Dieu ait mis en general quelque unité entre tous hommes, c'est à dire, qu'il les ait tous conioints ensemble (comme nous avons dit) et qu'ils ne se doivent point separer les uns des autres: tant y a que Dieu nous oblige au double, quand nous avons ou parentage, ou quelque autre lien, comme nous savons que les voisins doivent estre incitez à se porter quelque amitié plus privee: car alors Dieu a mis les hommes, comme on feroit les bestes sous un ioug, par maniere de dire: les bestes brutes nous doivent enseigner ce que nous avons à faire. Quand deux boeufs seront accouplez ensemble, si chacun veut estre revesche, ils se tormenteront l'un l'autre: et s'ils ne s'accordent pour labourer d'un accord ensemble, pour puis apres et boire et dormir, il faudra qu'ils soyent là comme leurs bourreaux. Ainsi en est-il des hommes, quand Dieu les approche les uns des autres en quelque façon que ce soit: c'est comme s'il les vouloit accoupler sous un mesme ioug pour s'aider, et se supporter l'un l'autre: et s'ils sont revesches, s'ils sont pires lue les bestes brutes quelle condamnation meritent-ils sur leur teste? Ainsi donc notons bien, que selon que Dieu nous approche, et nous donne moyen de communiquer ensemble, il nous oblige les uns aux autres, car un ami sera tant plus tenu à son ami, et combien qu'il faut que nostre charité soit generale, et que nous aimions tous ceux que Dieu nous recommande, et fussent mesmes nos ennemis mortels: si est-ce que le mari sera plus tenu à sa femme, le pere à ses enfans, les enfans au pere, les parens aussi les uns aux autres: et faut en general que nous cognoissions tous les degrez d'amitié, que Dieu a mis au monde.

Or Iob adiouste, Pourquoi me persecutez-vous comme Dieu? Il semble bien que ce propos ici n'ait point grande raison: car il est dit (comme desia nous avons touché) que le iuste lavera ses mains au sang de l'inique. Nous devons donc nous esiouyr, quand nous voyons que Dieu punit les meschans: or Iob amene ici, qu'on ne doit pas persecuter ceux que Dieu persecute. Mais desia ceste question a esté soluë, quand nous avons dit, que nous pouvons bien nous accorder à la iustice de Dieu: et toutes fois nous ne laisserons point d'avoir pitié de ceux qui endurent, et les soulager, si en nous estoit: pour le moins nous aurons ceste affection-la de desirer leur salut. Ce sera donc une chose cruelle quand nous perscuterons les hommes comme Dieu. Et pourquoi ? Car quand Dieu afflige les pecheurs (ie ne di pas les iustes comme Iob, mais ceux qui auront mal vescu, qui auront est d'une vie meschante) ce n'est pas afin que nous levions la teste contr'eux, et que nous les molestions encores d'avantage: mais il veut en

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premier lieu, qu'un chacun de nous apprenne à se condamner en la personne d'autrui. le voi . que celui-là est maintenant batu des verges de Dieu. Et pourquoi? Pour ses pechez. Or Dieu n'est-il pas Iuge de tout le monde ? Ceci me compote donc: car suis-ie innocent ? Dieu ne trouvera-il point à redire en moi ? Helas! il n'y a que trop de fautes, et par trop lourdes. Voila donc comme en la personne d'autrui on se doit condamner, toutes fois et quantes que nous y contemplons les chastiemens que Dieu envoye: et puis aussi Dieu nous veut exercer à pitié et compassion. Si nous suivons cest ordre, nous ne pourrons faillir: mais si sans avoir esgard à nos fautes nous venons tormenter ceux qui n'ont desia que par trop de mal, ne voila point une cruauté? Nous voulons usurper l'office de Dieu pour estre iuges: et plustost nous devrions penser à ce qui est dit, Qu'il nous faudra tous comparoistre devant le throne iudicial de Dieu. Il est vrai que (comme desia nous avons dit) il faut bien que Dieu soit glorifié par toutes les punitions qu'il envoye aux hommes: mais ce n'est pas à dire qu'un chacun ne se doive condamner, et estre retenu en quelque humanité par ce moyen-là, quand nous cognoistrons qu'il faut que Dieu soit le Iuge de tous. Et voila pourquoy Iob argue à bon droit ses amis de ce qu'ils le persecutent comme Dieu. Notons bien donc, que si Dieu desploye sa vengeance sur ceux qui l'ont offensé, ce n'est pas qu'il nous vueille armer pour estre inhumains, et nous mettre en furie contre les povres patiens qui sont du tout abbatus mais plustost qu'il veut que nous en ayons compassion.

Au reste, Iob accuse ici la cruauté de ses amis, disant qu'ils ne se peuvent saouler de sa chair. Pourquoy (dit-il) ne vous pouvez-vous saouler de ma chair? Il est certain que c'est une similitude qu'il prend: car quand nous sommes ainsi acharnez (comme on dit) à l'encontre de nos prochains, c'est comme si nous les voulions manger tous vifs: et nous userons bien aussi de ces façons de parler en nostre langage commun. Ainsi donc comme un homme prendra plaisir à sa refection, à boire, et à manger: aussi ceux qui sont cruels contre leurs prochains, il semble qu'ils en veulent faire leurs repas, qu'ils les veulent manger et engloutir tous vifs. Voila donc pourquoy Iob dit, Pourquoy ne vous saoulezvous de ma chair? Car quand nous voyons que nos prochains ont du mal tant et plus, et qu'encores cela ne nous saoule point, mais que nous augmentons leur mal, c'est une cruauté par trop grande, c'est comme les manger. Ceste circonstance donc est à noter, quand Iob dit, Que pour le moins ses amis se devroyent contenter de le voir ainsi abbatu. Que voulez-vous plus? le

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suis à l'extremité, tant que ie n'en puis plus. C'est une chose naturelle, que quand nous aurons hay quelque personne, et desiré son mal, et cerché toue les moyens de nous venger, toutes fois s'il advient qu'un tel soit si affligé que rien plus, voila nostre courroux qui s'appaise. Or ie ne di point que ceste affection ici doive estre tenue pour vertu: car les Payens, combien qu'ils fussent meschans, combien qu'ils cuidassent que la vengeance leur fust licite, toutes fois ont eu cela, de s'appaiser quand ils ont veu leurs ennemis qui estoient tant molestez, qu'il ne falloit plus qu'ils y missent la main. Comme qu y? Voila un homme qui aura mal-fait à quelqu'un: et bien, celui qui sera offensé se voudra venger, s'il lui estoit possible. Or cependant voici Dieu qui prévient, et envoye quelque calamité grande à celui qui aura fait l'offense: l'homme qui auparavant estoit envenimé, et qui ne demandoit sinon à ruiner celui qu'il hayssoit, dira lors, Voire et que lui ferai-ie plus? Il est si abbatu, que c'est mesmes pitié, il en a assez. Voila donc comme le feu s'esteindra naturellement, quand nous aurions esté les plus irritez du monde contre quelqu'un, si nous le voyons en affliction. Cela (comme i'ay dit) n'est point vertu, et ne merite point d'estre reputé pour service de Dieu, ne pour charité. Mais cependant si c'est une inclination naturelle, mesmes entre les Payens, que sera-ce auiourd'hui de ceux qui ne se contentent point, quand ils verront leurs ennemis tant persecutez que rien plus: mais sont là insatiables, et voudroyent encores les avoir mangez? Et si cela est condamnable, quand il se fera envers les ennemis, quand on ne se sera point contenté des afflictions que Dieu leur aura envoyees: que sera-ce de le faire envers les amis? Pourtant que ceux gui seront ainsi cruels sachent qu'ils ne sont pas dignes d'estre reputez du nombre des hommes. Quiconques donc se voudra acquitter de son devoir, non seulement il se doit appaiser du mal et de l'affliction de ses ennemis: mais il se doit esmouvoir à pitié: et au lieu de cercher vengeance, il doit plustost estre prest de les secourir entant qu'en lui sera: car il n'y a nulle doute quand Dieu envoye quelque affliction à nos ennemis, et à ceux qui nous ont irrité, qu'il ne vueille adoucir ceste malice et ceste rancune qui est en nous, qu'il ne vueille changer ce qui est cause que nous sommes ainsi mal affectionnez envers nos prochains. Or si Dieu nous appelle à humanité, et que nous allions tout au rebours, n'est-ce point batailler manifestement contre lui? Notons bien donc quand Dieu affligera ceux qui nous ont fait quelque tort et iniure que c'est pour adoucir l'aigreur qui est en nos courages: et si nous avons esté faschez auparavant, et picquez, ou que nous ayons appeté vengeance, que Dieu veut moderer

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toutes ces mauvaises affections-là en nous, et nous veut induire à compassion et humanité. Voila ce que nous avons à noter de ce passage.

Or Iob adiouste encores nouvelles complaintes de ses miseres, disant, Que son os estoit attaché à sa peau, et qu'il est eschappé avec la peau de ses dents. C'est pour mieux exprimer le propos que nous venons de toucher, c'est assavoir, que ses amis devroyent bien estre saoulez, encores qu'ils fussent comme des bestes, ne cerchans qu'à devorer. Et pourquoy ? Car (dit-il) vous voyez en quel estat ie suis. Que demandez-vous plus? Sauroit-on souhaiter plus de mal à une personne, que Dieu m'en a envoyé? Or quand il dit, que sa peau est attachee aux os, c'est comme s'il disoit, qu'il est desseché du tout, qu'il est là comme une figure d'un trespassé, qu'il n'y a plus ne suc, ne substance en lui. Quand il dit, qu'il est eschappé avec la peau de ses dents, c'est pour signifier, qu'il n'y a rien de sain en luy que les gensives, ou que sa peau est semblable aux gensives, car si la vermine a gaigné en un corps, la peau ne sera plus seche: mais elle sera comme les gensives: c'est à dire, quand la pourriture gaignera, et que tout sera mangé, on verra une chair sanglante, et il en sortira à demi sang, à demi eau, comme d'une pluye, comme nous voyons qu'une pluye semble aux gensives. Voila donc Iob qui declare qu'il a esté défiguré tellement qu'on ne cognoissoit plus de face d'homme en lui. Or quand il est venu à ceste extremité-là, n'estoit-ce pas raison que ses amis se contentassent? Nous sommes donc ici admonnestez de mieux regarder aux afflictions de nos prochains que nous ne faisons pas: et que quand Dieu leur envoyera quelques calamitez nous le prions qu'il nous face la grace d'avoir les yeux plus ouvers pour les considerer, et les bien noter, tellement que cela nous induise à pitié: qu'un chacun s'emploie a y mettre remede en tant qu'en lui sera, et qu'en la fin encores nous esperions que quand ils sont ainsi touchez de la main de Dieu, il se monstrera misericordieux envers eux.

Or pource que Iob estoit accusé par ses amis d'avoir blasphemé contre Dieu, et qu'il s'estoit iustifié contre tonte raison, et qu'il s'estoit aveuglé en ses vices, ne les cognoissant point: il dit, le voudroye que tous mes propos fussent escrits, qu'ils fussent engravez avec un greffe de fer, qu'ils fussent engravez dedans du plomb, ou dedans une pierre à perpetuité, et à une memoire permanente. Iob parlant ainsi declare, qu'il n'a point maintenu son innocence en vain, et qu'il ne craint pas que ceci lui soit reproché devant Dieu: car il sait qu'il a iuste cause de ce faire. Voila en somme où il pretend. Or il est bien certain quant aux propos de Iob, qu'il y a eu de l'excez, il y a eu beaucoup

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de sentences extravagantes: car il n'a pas tenu mesure, et quoy qu'il eust un fondement bon et raisonnable, et que sa cause fust approuvee de Dieu, si est-ce qu'il l'a mal deduite (comme nous avons declaré par ci devant) et lui sont eschappez beaucoup de mots qui estoient à condamner. Pourquoy donc est-ce que maintenant il dit, qu'il voudroit que ses propos fussent ainsi escrits? N'est-ce point pour lui apporter double condamnation sur sa teste? Notons que Iob a regardé au principal et qu'il ne s'est point attaché à chacun mot qu'il avoit prononcé: mais il prend ici ses propos, pour la defense de sa cause. Or ceste defense-la estoit iuste: et combien qu'elle ait esté mal demenee, et qu'il ait extravagué d'un costé et d'autre, si est-ce neantmoins qu'il maintient à bon droit, qu'il n'est point affligé pour ses pechez, et qu'il ne falloit pas aussi l'estimer le plus meschant du monde, pource que Dieu se monstroit ainsi rigoreux contre lui. Iob donc a proposé cela avec raison: mais encores n'a-il pas laissé de faillir, d'autant qu'il n'a pas tellement recognu tous ses vices, qu'il se soit tousiours bien senti coulpable devant Dieu. Par ceci nous sommes admonnestez de parler bien prudemment. Il est dit an Psaume (39, 2), I'ay deliberé en moy de tenir la bouche close, de me brider cependant que les meschans dominent, et qu'ils ont la vogue: mais en la fin ie n'ay peu me contenir. David cognoissoit bien, que quand les enfans de Dieu sont tentez, se voyans opprimez d'afflictions, cependant que les meschans font leurs triomphes, et ont le vent à gré, c'est une chose si dure, qu'il est bien difficile que nous puissions nous contenir, que nous ne murmurions contre Dieu. Pour ceste cause il dit, Ie me suis resolu de me tenir comme bridé, i'ay mis un chevestre, i'ay barré ma bouche, afin de ne sonner mot: mais en la fin toutes ces brides ont esté rompues, toute ceste conclusion que i'avoye prinse ne m'a peu tenir de monstrer le desir que i'avoye conceu là dedans: et le feu en la fin s'est allumé et desbordé. Par cela David monstre que c'est une vertu bien grande et b en rare, que nous soyons patiens en silence et en nous taisant, quand les maux nous pressent, et que nous voyons sur tout les meschans avoir la bouche ouverte pour se glorifier, et pour se mocquer de nous. Ainsi en conioignant ce passage de David avec l'exemple de Iob, nous devons estre instruits de tenir la bouche close quand Dieu nous afflige. Et pourquoy? Car selon que nos passions sont violentes, combien que nous apprenions de parler en telle simplicité comme nous devons, et de louer Dieu, et le benir: encores ne pouvons-nous pas estre si prudens, ne si moderez qu'il ne nous eschappe quelque chose, qu'il n'y ait quelques bouillons qui sortent, tellement que nous serons

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tousiours coulpables en nos propos. Ainsi donc combien que nous n'ayons point ceste intention de blasphemer contre Dieu, ne de dire chose qui ne soit à son honneur, encores ne peut-il advenir que nous n'ayons esté trop hardis en nostre parler: comme quand Iob a demandé que tout soit enregistré, que tout soit engravé pour memorial, que cela soit mis ou en pierre, ou en plomb, afin que iamais on ne le puisse effacer. Or advisons plustost de prier Dieu, qu'aux propos que nous cuiderons estre les plus nets, il nous pardonne encores nos fautes: car celui qui pourra retenir sa langue (dit S. Iaques 3, 2) aura une vertu singuliere. Et pourquoy? Car nous sommes si volages à mal parler que rien plus, et quand nous cuiderons avoir parlé par bonne integrité, Dieu trouvera qu'il y aura encores de l'excez Voila donc ce que nous avons à noter de ce passage.

Or en la fin Iob adiouste, Qu'il sait que son Redempteur vit. Vrai est que ceci ne se pourra pas declarer du tout pour maintenant: mais si faut-il que nous touchions à quelle intention Iob parle ainsi. Il entend donc qu'il n'a point fait à la façon des hypocrites pour demener sa cause devant les hommes, et pour se iustifier, il cognoit qu'il a affaire à Dieu. Voila qu'il faut savoir, car ces sentences ici, si elles estoient prinses comme rompues, n'auroient pas grande edification, et nous ne saurions que Iob auroit voulu dire. Parquoy retenons ce que nous avons touche. Qu'est-ce que Iob pretend? Nous savons que les hommes travaillent tant qu'ils peuvent à s'excuser, voire d'autant qu'ils ne pensent point à Dieu: c'est assez que le monde se contente d'eux, et qu'on les estime gens de bien. Voila donc l'hypocrisie qui engendre une impudence. Car si ie ne cognoy que Dieu est mon Iuge, Ô il me suffira que les hommes m'applaudissent, qu'ils me tienent en bonne reputation. Et qu'ay-ie gaigné? Rien qui soit. N'est-ce pas bien une grande impudence, quand encores que ma conscience propre me redargue, encores que ie soye convaincu d'avoir mal fait, si est-ce que ie leverai

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le front, et dirai, Pourquoy est-ce qu'on m'accuse? Qu'est-ce que i'ay fait? N'ay-ie pas bonne cause? le prendrai de belles couleurs pour couvrir mon peché' et quand i'aurai ainsi esbloui les yeux de. hommes, voila ma cause gaignee. Mais c'est ce que i'ai dit, que l'hypocrisie engendre l'impudence, c'est à dire, que les hommes sont hardis à maintenir leur cause pour bonne, d'autant qu'ils n'ont point regard à Dieu.

Or Iob au contraire dit, le say que mon Dieu est vivant, et qu'il se dressera en la fin sur la poudre. Comme s'il disoit, On m'estime comme un meschant et desesperé, comme si i'avoye blasphemé Dieu, taschant de me iustifier à l'encontre de lui. Nenni non, ie ne demande qu'à m'humilier, et à me reposer du tout en sa grace: mais si faut-il cependant que ie maintiene mon integrité contre vous car ie voy que vous n'y procedez que par calomnies, ie me defen donc en telle sorte, que cependant ie regarde à Dieu, et ay là mes yeux fichez. Or de ceci nous pouvons, et devons recueillir une bonne instruction: c'est assavoir, que nous ne soyons point tant hypocrites que de nous couvrir devant les hommes, pour faire semblant de maintenir une bonne cause, et nous monstrer gens de bien, et cependant que nostre conscience nous redargue. Apprenons plustost d'entrer en nous-mesmes, pour cognoistre nos pechez, et pour nous adiourner devant Dieu: que nous commencions (di-ie) par ce bout-là, pour dire, Or çà comment en suis-ie? Il est vrai que ie pourrai bien m'excuser devant les hommes: mais cependant qu'est-ce que ie profiterai devant Dieu? M'acceptera-il? Nenni. Suivant cela donc, que nous venions tous devant ce Iuge celeste et grands et petits' et qu'un chacun se presente-là pour demander pardon de ses fautes: et ne doutons point que quand nous y viendrons en verité, nous ne soyons absous de lui: non pas que nous en soyons dignes: mais par sa grace et misericorde.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON LXXII

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LE SEPTANTEDEUXIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XIX. CHAPITRE.

Ce sermon contient encore l'exposition du verset 25 et puis du texte ici adiousté.

26. Encores qu'apres ma peau, les vers ayent miné ceci, de ma chair ie verrai Dieu. 27. Ie le contemplerai en moy, mes yeux le verront, et non autre: mes reins sont deffaillis en mon sein. 28. Et vous avez dit, En quoy est-il persecuté? et la racine de propos se trouve en moy. 29. Craignez de la presence du glaive: car l'ire d'affliction est avec le glaive, afin que vous sachiez qu'il y a iugement.

Nous vismes hier la protestation que fait ici Iob, c'est d'avoir son regard à Dieu, et non point s'attacher aux hommes: pource que ceux qui s'arrestent ici bas, n'entrent pas volontiers en leurs consciences pour se condamner comme ils doivent, et pour sentir leurs pechez, afin qu'ils en demandent pardon à Dieu, confessans qu'ils ont failli. Car nous voyons, si tost que nous sommes acharnez aux hommes, que nous ne demandons que de les surmonter, soit par verité, soit par mensonge. Voila qui est cause que nous ne pensons point droitement à Dieu, et par consequent que nous ne mettons point peine à nous corriger de nos fautes, comme nous devons, bref, qu'il n'y a qu'hypocrisie. Et pourtant Iob dit, Qu'il sait que son Redempteur est vivant: comme s'il disoit, qu'il n'a point plaidé iusques ici pour estre iustifié tellement devant les hommes, que ce ne soit là son but: car il savoit qu'il faut venir devant Dieu, et là estre iugé, et rendre conte de toute sa vie. Et puis il adiouste, Que Dieu se tiendra debout le dernier sur la poudre: comme s'il disoit, Quand les hommes seront defaillis, comme il faut que le monde perisse, voila Dieu qui est permanent: ainsi ce seroit grande folie à moy de me vouloir excuser devant les hommes, et cependant que Dieu me condamnast, car ceux qui sont maintenant mes iuges, ou qui le veulent estre, ou ausquels ie voudroye deferer cest honneur-là, il faut qu'ils perissent avec moi, et Dieu demeurera tousiours. Ainsi donc il me suffit de me rendre à lui, et d'ouir ce qu'il lui plaira d'ordonner.

Or quand il dit, Que Dieu se tiendra debout sur la poudre, il signifie qu'il n'est point semblable aux hommes: car il faut que nous descheons tous iusques à ce que nous soyons aneantis, nous savons qu'il nous faut retourner là d'où nous sommes venus, en corruption en pourriture. Mais Dieu

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(dit-il) ne peut deschoir à la façon des hommes, mais il sera tousiours en son estat. Et au reste, notons que Iob a voulu signifier, que Dieu espandra ceste vertu qui est en lui sur la poudre, c'est à dire, sur les hommes qui ne sont rien, et qui n'ont point de vertu en eux. Or ce titre qu'il attribue à Dieu emporte beaucoup, qu'il est son garant, et celui par lequel il est maintenu. Si Dieu vouloit, il pourroit bien demeurer en son entier, et cependant nous peririons: mais il veut nous faire participans de sa vertu, et nous la faire sentir. Ainsi il se tient tellement debout sur la poudre, qu'il fait resveiller la poudre quant et quant, et la remet au dessus: car sans cela en vain il seroit nommé et Redemptenr, et Garant. Notons bien donc que Iob a ici voulu exprimer que Dieu ne tient point seulement sa vertu enclose en son essence, mais qu'elle est espandue sur les hommes. Voici une bonne doctrine pour nous. Car en premier lieu nous sommes admonnestez quelle vanité c'est de vouloir complaire seulement aux hommes, et d'estre approuvé d'eux. Que gaignons-nous? Car il faut que tout cela s'en aille bas. Apprenons donc d'avoir les yeux fichez en Dieu, afin qu'il nous advouë, et que nous puissions estre approuvez de lui. Voila où il faut appliquer toute nostre estude. Et cependant pour n'estre point retenus en ce monde, pour n'estre enveloppez en ceste hypocrisie, qui est de nature par trop enracinee en nous, cognoissons que Dieu est nostre garant, c'est à dire qu'il lui appartient à lui seul de maintenir l'integrité des hommes, quand ils auront cheminé en conscience pure devant lui: qu'il sera leur Iuge une fois, et se tiendra debout sur la poudre: et combien que tout ce que nous voyons à l'entour de nous soit fragile et caduque, que Dieu n'est point semblable qu'il a son estat plus haut: et non seulement pour soy, mais afin de remettre toutes creatures en leur estat, quand elles seront defaillies. Et c'est une consolation inestimable pour tous fideles, quand ils se voyent opprimez de calomnies en ce monde: et combien qu'ils ayent tasché de cheminer droit, qu'on ne laisse pas de les picquer, et de les mordre faussement, que lors ils se puissent remettre à Dieu, et l'appeller pour leur garant, qu'ils s'appuyent sur ceste certitude, que Dieu sera debout, quand les hommes seront aneantis. Et bien,

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ceux qui presument auiourd'hui de nous condamner, et de mesdire de nous, il faudra qu'ils tombent bas, et la chance sera bien tournee: car Dieu alors sera nostre Redempteur. Les hommes auiourd'hui par leur temerité usurperont la puissance de Dieu' ils entreprendront ce qui ne leur est point licite: mais si faudra-il que Dieu se monstre en la fin tel qu'il est, et qu'il soit exalté, et que nous cognoissions que c'est à lui de nous maintenir

Voila ce qui nous doit venir en memoire toutes fois et quantes qu'on mesdira de nous faussement, et que nous aurons bon tesmoignage devant Dieu, qu'il nous suffise que celui-la nous approuve, combien que nous soyons reiettez de tout le monde. Or venons maintenant à ce que dit Iob.. Il dit, que les vers (car combien que le mot ne soit point exprimé, toutes fois si voit-on bien qu'il entend toute vermine et corruption) que les vers, apres avoir mangé ceste peau, rongeront et mineront ce qui est de reste: mais qu'encores il espere de voir Dieu, et le voir (dit-il) de ma chair, c'est à dire, estant restauré: ouy ie le verrai et non autre, combien que mes reins soyent defaillis en moi, c'est à dire, toute ma vertu soit cassee et abolie. Voici une protestation digne d'estre notee, quand Iob declare qu'il aura son regard arresté en Dieu, et non autre, voire combien qu'il soit du tout consumé: comme s'il disoit, Que l'esperance qu'il a en Dieu, il ne la mesurera point selon ce qu'il peut voir: mais que quand rien n'apparoistra, il ne laissera point pourtant de regarder à Dieu. Comme quoy? Si un homme se trouve comme delaissé de Dieu, qu'il n'apperçoive sinon toute matiere de desespoir, que la mort le menace de tous costez, mesmes qu'elle l'engloutisse: et que cependant neantmoins il tiene bon, qu'il soit constant en la foy pour dire, Si est-ce que i'invoquerai mon Dieu, et encores sentirai-ie sa vertu: il ne faut que sa puissance pour nous donner vigueur: et cela sera' voire quand il semblera que ie serai perdu. Voila un homme qui surmonte les choses presentes. Il ne monstre point donc la foy et l'esperance qu'il a en Dieu, par ce qu'il peut voir et comprendre de son sens naturel, mais il outrepasse le monde: comme il est dit, que nous devons esperer par dessus esperance, et que l'esperance est des choses cachees. Maintenant nous voyons l'intention de Iob. Il est vrai qu'il ne parle point ici expressement et simplement de la resurrection: mais tant y a que ces mots ne peuvent estre exposez, sinon qu'on cognoisse que Iob a voulu attribuer à Dieu une puissance qui ne se voit point auiourd'hui en l'ordre commun de nature. C'est donc comme s'il disoit, que Dieu ne veut point estre cognu de nous seulement cependant qu'il nous fait du bien, nous preserve et nourrit: mais qu'encores qu'il nous

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defaillist en apparence, et que nous ne vissions que la mort devant nous, il faut que nous soyons resolus que nostre Seigneur ne laissera point d'estre nostre garant, et qu'estans siens nous serons maintenus par sa protection.

Mais afin de faire mieux nostre profit de ce passage, pesons bien ce que Iob dit, Encores que ce reste ici (dit-il) soit miné apres ma peau, si est-ce que ie verrai mon Dieu. Ceci n'est pas croire en Dieu, d'autant qu'il fait que la terre produit du bled et du vin: comme nous en verrons beaucoup de brutaux, qui n'ont aucun goust ne sentiment qu'il y a un Dieu an ciel, sinon qu'il les repaisse, et qu'il leur remplisse le ventre: quand on leur demandera, que c'est que Dieu, Et c'est celui qui nous nourrit. Vray est qu'il nous faut bien comprendre la bonté et la vertu de nostre Dieu en tous les biens qu'il nous eslargit: mais si ne falloit-il point demeurer là: car il faut (comme i'ay desia dit) que nostre foy surmonte tout ce qui se peut voir en ce monde. Et ainsi ne disons pas, le croy en Dieu, pource qu'il me maintient, pource qu'il me donne santé, pource qu'il me nourrit: mais ie croy en Dieu, d'autant que desia il m'a donne quelque goust de sa bonté et de sa vertu, quand il a le soin de ce corps, qui n'est que corruption, que ie voy qu'il se declare pere en ce que ie subsiste par la vertu de son Esprit: mais ie croy en lui seul, d'autant qu'il m'appelle au ciel, qu'il ne m'a point creé comme un boeuf ou un asne pour vivre ici quelque espace de temps: mais il m'a formé à son image, afin que i'espere en l'heritage de son royaume pour estre participant de la gloire de son Fils: ie croy que iournellement il m'y convie, afin que ie ne doute pas' que quand mon corps sera ietté au sepulchre, qu'il sera là comme aneanti neantmoins il sera restauré au dernier iour: et que cependant mon ame sera en bonne garde et seure, quand apres la mort Dieu l'aura en sa protection, et que lors mesmes ie contempleray mieux que ie ne fay point maintenant la vie qui ne s a esté acquise par le sang de nostre Seigneur Iesus Christ. Voila donc quelle doit estre nostre creance pour estre bien reglez. Or quand nous serons ainsi bien disposez, nous pourrons dire avec Iob, Et bien, il est vray que ie voy que mon corps s'en va en decadence: s'il y a quelque vigueur, elle diminue de iour en iour, et ie contemple la mort sans l'aller cercher dix lieuës loin: car ie ne peux voir si peu d'infirmité en ma chair, que ce ne soit desia un message de mort: mais si est-ce que ie verray mon Dieu. Et si nous pouvons parler ainsi, quand nous voyons que petit à petit nostre vertu decline, et qu'elle s'esvanouit: s'il plaist à Dieu de nous affliger, tellement que nous soyons comme à demi pourris (ainsi que Iob en

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estoit: car il dit, Ma peau est mangee et consumee: il estoit comme un trespassé, et neantmoins il proteste, Si ne laisseray-ie point de contempler mon Dieu): ne laissons point encores d'esperer en Dieu à l'exemple de Iob. Voila donc comme ceste grandeur des afflictions que Dieu nous envoyera ne sera pas pour nous estonner, moyennant que nous soyons enseignez de le cognoistre tel qu'il est envers nous, c'est assavoir, de bien considerer à quelle fin il nous a creez, et nous maintient en ce monde.

Au reste quand Iob dit, Qu'il verra son Redempteur de sa chair, il entend (comme desia nous avons dit) qu'il sera restaure en estat nouveau, sa peau ayant esté ainsi mangee. Car il dit mesmes que ses os seront consumez, et qu'il n'y demeurera rien d'entier: et puis il adiouste, De ma chair ie verray Dieu. Et comment le verra-il de sa chair? C'est à dire, ie seray remis comme i'estoye auparavant, et verray encores mon Dieu. Et ainsi il confesse que Dieu sera assez puissant pour le remettre au dessus, encores qu'il l'ait du tout consumé, et plongé iusqu'aux abysmes. Voila à quelle condition nous devons esperer en Dieu: c'est que quand il nous aura iettez au sepulchre, nous sachions qu'il nous tiendra la main pour nous en retirer Que nous ne disions point donc, l'espere en Dieu, pource que ie voy qu'il m'assiste, et ne me defaut en rien: mais quand Dieu nous defaut qu'il est comme eslongné de nous, disons avec Iob, Ie le verrai de ma chair, ie ne suis maintenant rien, il semble que ie soye un ombrage, que ma vie s'esvanouit incontinent: mais tant y a qu'encores mon Dieu se declarera si puissant envers moi, que ie le verrai. Si Iob a parlé ainsi du temps qu'il n'y avoit pas encores grande doctrine, que possible la Loy n'estoit pas escrite: mais prenons le cas qu'elle le fust, les Prophetes n'estoient pas encores il n'y avoit sinon Moyse (car les Prophetes font mention de Iob comme d'un homme du temps ancien). Si donc ayant seulement une petite estincelle de clarté, il a esté tellement fortifié en ses afflictions, et non seulement quand il a veu une espece de mort, mais quand il sembloit que Dieu l'eust constitué entre les hommes comme un monstre, une chose espouvantable et effrayante, qu'il ait peu dire, Si est-ce que ie verrai mon Dieu: quelle excuse y aura-il auiourd'hui, quand Dieu nous declare de si pres et si expressement la Resurrection, et qu'il nous en donne tant de belles promesses? Et mesmes consideré que nous en voyons le miroir et la substance en nostre Seigneur Iesus Christ, qu'il a ressuscité afin de nous monstrer qu'il ne faut point que nous doutions d'estre une fois participans de ceste gloire immortelle. Si donc apres tant de confirmations nous ne pouvons avoir ceste cognoissance qui a este en Iob, ne faut-il point que cela

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soit imputé à nostre ingratitude? Car si nous pouvions recevoir les promesses de Dieu en vraye foy, n'auroyent-elles point assez de vertu pour nous faire surmonter toutes ces tentations qui dominent ainsi sur nous? Ainsi donc notons bien ce passage, afin de pouvoir dire aussi avec S. Paul (2. Cor. 5, 1)Que si ceste loge de nostre corps s'en va (car il appelle une loge comme une chose de fusilles, quelque cahuëtte qui ne sera rien) nous avons un edifice qui nous est appresté, beaucoup meilleur, et plus excellent au ciel. Si cest homme exterieur, c'est à dire, tout ce qui est de la vie presente, et qui apparoit, s'aneantit, tant y a que Dieu nous veut renouveller, et nous fait desia aucunement contempler nostre resurrection, quand nous voyons nos corps ainsi defaillir. Comme aussi sainct Paul en l'autre passage (1. Cor. 15, 36) nous ramene à la semence qu'on iette en terre, disant qu'elle ne peut point germer pour avoir racine vive, et pour ietter bon fruict, si premierement elle n'est convertie en pourriture. Voyons-nous donc que la mort commence à dominer sur nous? notons que Dieu nous veut donner une vraye vie, assavoir, ceste vie celeste, qui nous a esté acquise par le precieux sang de son Fils. Or sans cela il faut que nous soyons vaincus de la moindre tentation du monde, car (comme i'ay desia dit) toutes les miseres que nous avons à souffrir, sont autant de messages de mort. Or voyans la mort, et cuidans que nous serons là consumez, ne faut-il point que nous defaillions du tout? Il n'y a donc autre moyen de nous consoler en nos afflictions, sinon ceste doctrine: c'est que quand tout ce qui est en nous sera consumé, nous ne laisserons point de voir nostre Dieu, voire et de le voir de nostre chair.

Et puis il est dit, Mes yeux le contempleront, et non autre. Iob adiouste ceci suivant le propos qu'il avoit tenu: c'est assavoir, Puis qu'ainsi est que mon Dieu m'a donné ceste certitude, qu'il me remettra en ores en vertu, ie me tiendrai du tout à lui: il ne faut plus que ie m'esgare, que ie soye distrait, ne çà, ne là: car il faut que ie me tiene à lui seul. Mes yeux, donc, le contempleront, et non autre. Voici encores une belle doctrine. Ce qu'il a dit n'agueres, c'est assavoir, Qu'il verra Dieu de sa chair, se rapporte à l'experience, quand Dieu le remettra comme sur ses pieds: ce qu'il dit à ceste heure, c'est d'un autre regard qu'il parle, c'est assavoir, d'un regard d'esperance: car Dieu est regardé de nous en deux manieres: nous le regardons, quand il se monstre Pere et Sauveur par effect, et qu'il nous en donne l'experience toute notoire. Voila mon Dieu qui m'aura retiré d'une telle maladie, que ce sera comme une resurrection: c'est un tesmoignage qu'il a mis la main sur moy pour me secourir: ie le contemple donc, et le contemple

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par effect. Or cependant que ie suis en maladie, qu'il n'y a plus nul espoir, ie ne laisse pas de contempler Dieu: car ie me fie en lui: apres, i'atten en patience l'issue qu'il me voudra donner, et ne doute point qu'encores qu'il me retire du monde, que ie ne soye sien. Voila encores une autre façon de contempler Dieu. Iob donc a dit, qu'il contemplera Dieu par effet, quand il aura esté remis en son estat: il adiouste en second lieu, Qu'il ne laissera pas de le contempler, encore qu'il soit là accablé de maux, et qu'il n'en puisse plus. Mes yeux (dit-il) se tiendront à lui' ie n'en veux point decliner. Or ici nous voyons quelle est la nature de la foy: c'est assavoir, de se recueillir tellement en Dieu, qu'elle ne vague point, qu'elle n'ait point tant de distractions comme nous avons accoustumé d'avoir. le vous prie, qui est cause que nous ne pouvons pas nous reposer en Dieu comme il seroit requis? Et c'est pource que nous partissons l'office de Dieu, et toute sa vertu en tant de pieces et loppins, qu'il ne lui reste quasi rien. Nous dirons bien que c'est Dieu, auquel il appartient de nous maintenir: mais cependant nous ne laissons pas de tracasser haut et bas, devant et derriere, pour cercher les moyens de nostre vie: non pas comme estans donnez de Dieu, et procedans de lui: mais nous leur attribuons la vertu de Dieu mesme et en faisons comme des idoles

Voila comme nous ne pouvons regarder a Dieu d'un bon oeil, et ne pouvons aussi avoir repos ni contentement en lui. Notons bien donc ce mot dont use Iob: c'est que ses yeux contempleront Dieu et non autre: comme s'il disoit, le me tien là; ie ne serai plus ainsi agité, comme Mes hommes sont, mais ie me remettrai du tout à mon Dieu, pour dire, C'est toy Seigneur, voire toy seul duquel ie tien ma vie, et quand ie defaudrai maintenant, tu me restaureras comme tu l'as promis. Or faisons tousiours ceste comparaison entre Iob et nous, que si Iob n'ayant point un tel tesmoignage de la bonté de Dieu, n'ayant point une doctrine si familiere de la centieme partie comme nous avons, à toutes fois dit, qu'il contempleroit Dieu: et nous, serons-nous à excuser, quand nous aurons esté esgarez çà et la, voire attendu que nostre Seigneur Iesus Christ se presente à nous, auquel habite toute plenitude de gloire divine, et que toute la vertu du S Esprit s'est monstree en lui, quand il est ressuscité des morts? Et mesmes il ne faut point que nous estendions nostre veuë bien loin pour le contempler: car l'Evangile est un beau miroir, où nous le voyons face à face. Puis qu'ainsi est (comme i'ay touché) advisons de n'estre point coulpables d'une telle ingratitude, que nous n'ayons daigné regarder celui qui se presentoit à nous tant privément.

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Voila en somme ce que nous avons à noter de ce passage.

Iob adiouste encores, Combien que mes reins soyent defaillis en mon sein, c'est à dire, qu'il n'y ait plus ne vertu ne vigueur en moy. En somme (suivant le propos qu'il avoit desia tenu) il monstre qu'il ne regarde point à Dieu, pource qu'il soit traitté à son aise, que Dieu lui envoye toue ses souhaits, qu'il soit preservé d'afflictions: mais c'est tout au rebours. Combien (dit-il) que ie soye eu telle angoisse, qu'il semble que Dieu foudroie sur moy, qu'il n'y ait plus nulle vigueur: tant y a que ie contemplerai mon Dieu de mes yeux, et me tiendrai du tout à lui, et scay que ie le verrai encores comme mon Redempteur et garant, apres qu'il m'aura ainsi consumé.

Or il dit pour conclusion à ses amis, Vous avez dit, Pourquoy est-il persecuté, ou, pourquoy le persecuterons-nous? car la racine de cause (ou de propos) se trouve en moy. Ce passage est un peu obscur, pource que ce mot se peut prendre en deux sortes. Pourquoy est-il persecuté, ou, le persecutorons-nous? Si nous le prenons, Pourquoy est-il persecuté, c'est que les amis de Iob s'esbahissent pourquoy Dieu l'avoit ai rudement traitté, et pourtant ils concluent, qu'il faut dire que c'est un homme du tout reprouvé. Si on traduit, Comment le persecuteron-nous? ce sera qu'ils sont venus d'une malice deliberee pour trouver à redire, et à mordre sur lui. Mais combien qu'il y ait diversité quant aux mots, toutes fois le sens revient à un. Regardons la doctrine que nous avons à en recueillir: car c'est le principal, voire le tout. Iob donc reproche à ses amis, qu'ils ont mal iugé de son affliction. Et pourquoy? Car du premier coup ils se sont lii ruez, O il faut dire que cest homme soit un meschant: s'il eust cheminé en bonne conscience et pure, il ne seroit pas ainsi affligé. Or à l'opposite Iob dit, Que racine de propos se trouve en lui. Il est vrai que ce mot emporte aucunesfois Chose, aucunesfois Parole: mais Iob signifie ici qu'il a un bon fondement et ferme, et que quand on l'aura bien sondé, on trouvera que sa cause n'est pas telle comme les autres l'avoyent faussement estimee.

Regardons maintenant à quel propos ceci tend, et quel profit nous en pouvons recevoir. Quand Iob propose à ses amis, qu'ils ont dit, Pourquoi est-il persecuté? il monstre que c'est une cruauté aux hommes, que de cercher les pechez d'autrui, si tost qu'ils verront quelqu'un batu des verges de Dieu: pour dire, Il faut que cest homme soit meschant: espluchons donc sa vie: car c'est par ce bout-là qu'il noue faut commencer. Il est vrai (comme il a esté dit plus amplement ci dessus) que en toutes les verges et corrections que Dieu en

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voye, il nous faut tousiours contempler son iugement sur les pechez des hommes: mais c'est pour nous condamner. Il ne faut point que nous soyons iuges d'autrui en nous espargnant: commençons, commençons par nous. Nous voyons donc l'usage de ceste doctrine: c'est assavoir, que si un homme est pressé de maux, nous ne soyons point si hastifs à le condamner, et mesmes que nous n'enclinions point de ce costé-là pour trouver des crimes en lui: mais plustost que nous regardions à Dieu, lequel se monstre Iuge et de nous, et de celui-la, et nous contraint de cognoistre, qu'il faut que nous ayons pitié et compassion de celui qui endure, et que nous n'y allions point à la volee, encores que nous cognoissions ses fautes: mais que nous advisions plustost de lui apporter quelque medecine pour s'en guerir. Gardons-nous de mettre la charrue devant les boeufs, c'est d'assoir iugement devant qu'avoir cognu la cause, comme nous avons accoustumé d'en faire. Desia il a esté dit souventesfois, que Dieu n'affligera pas tousiours les hommes pour une mesme fin: quelquesfois il punira leurs pechez, quelquefois il voudra esprouver leur patience, ou il aura quelque autre regard. Que donc nous ne soyons point trop hastifs ne temeraires à iuger devant que nous ayons bien cognu: car nous voyons ce qui est advenu aux amis de Iob. Du premier coup, le voila affligé, il faut donc dire qu'il est meschant: mais bien-heureux est l'homme qui iuge prudemment sur l'affligé, comme il est dit au Pseaume. David n'a-il pas esté opprimé de la main de Dieu aussi rudement que iamais homme fut? Et toutes fois il dit, l'ai trouvé David mon serviteur selon mon coeur, ie l'ay oingt d'huyle de ioye. Voila Dieu qui prend David comme en son giron, et cependant nous voyons comme il est traitté. Si nous sommes temeraires à en iuger, nous condamnerons et David et Abraham, et tous les saincts Patriarches. Et ce iugement-là ne revient-il pas au deshonneur de Dieu ? Il est certain. Ainsi donc, que nous soyons sobres et modestes quand nous verrons que nos prochains seront affligez, et que nous cognoissions la main de Dieu, afin qu'il ne nous adviene pas ce qui est advenu aux amis de Iob.

Or notamment il dit, Que racine de cause se trouve en lui, ou racine de propos, ou effect et substance. Par cela il signifie, qu'il faut enquerir devant que iuger. Or de fait, chacun confessera bien, que si nous y allons à la volee, ce seroit une folle presomption et outrecuidance à nous, et ce proverbe est tout commun, De fol iuge, brefve sentence: mais toutes fois nous ne laissons pas de nous hazarder ainsi, sans avoir bien sondé et examiné quelle est la chose. Notons bien donc, qu'il nous faut venir à la racine devant qu'assoir nul iugement:

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et ne iugeons pas subitement, craignans d'estre veus ignorans, car voila qui pousse les hommes à se haster par trop, c'est qu'ils ont honte de n'estre point aigus à iuger du premier coup: car si ie n'en di ma ratelee on ne m'estimera point. Or Dieu se mocque de ceste ambition-là. Retenons-nous donc en sobrieté et modestie, iusques à ce que Dieu nous ait declaré pourquoy c'est qu'il punit l'un plus que l'autre: que nous ne prevenions point cela. Il est vrai, quand nous aurons enquis, quand nous serons venus à la racine, nous pourrons alors iuger franchement: car le iugement ne sera point de nous, il sera prins de Dieu, d'autant qu'il sera fondé sur sa parole, et sera gouverné par son S. Esprit: mais devant tout il faut venir à ceste racine de laquelle il est ici fait mention.

Et puis Iob dit, Craignez de la presence du glaive: Car l'indignation d'iniquité, ou d'affliction du glaive est pres, afin que vous sachiez qu'il y a iugement. Ce propos ici est assez obscur, pource que les mots sont coupez: mais voici en somme ce qu'a voulu dire Iob, Craignez (dit-il) devant le glaive: comme s'il disoit, Vous parlez ici comme en l'ombre, vous devisez à plaisir comme ceux qui n'ont que faire, et qui sont de bon loisir. Tels pourront disputer: comme il n'y a gens qui facent mieux la guerre que ceux qui sont loin des coups, ils donneront la bataille, ils assiegeront les villes, ils tuent, ils pillent, ils saccagent, c'est merveilles: mais quand ils auront bien. devisé, et beu parmi le marché, s'il falloit seulement qu'ils ouyssent sonner un tabourin, les voila esperdus. Iob donc reproche à ses amis, qu'ils ont disputé de sa cause comme à loisir, mais qu'il faut qu'ils apprehendent le iugement de Dieu, et craignent le glaive, comme si desia il se monstroit sur eux.

Et puis il dit, L'indignation d'iniquité. Ce mot denote ce te cruauté, laquelle il leur avoit desia reprochee auparavant. L'indignation donc, c'est à dire, Vous-vous estes ici eschauffez contre moy, voire pour m'affliger. Car le mot Hebrieu peut signifier Iniquité, et aussi Affliction: mais ici Iob declare que ses amis ne sont pas venus à lui comme a ans quelque compassion de sou mal, plustost qu'ils y sont venus eschauffez, voire pour l'affliger, et pour le molester d'avantage. Et qu'estce que cela emporte? Le glaive, dit-il, c'est à dire, Dieu ne laissera point une telle rage impunie, car encores que ie vous eusse offensé, si falloit-il que vous fussiez plus humains envers moy: mais me condamnant sans cause, vous ne montrez que toute rigueur envers moy: il faudra donc que le glaive de Dieu se desploye sur vous, voire afin que vous cognoissiez qu'il y a iugement. Voici une sentence notable, et bien utile: car Iob redarguant ainsi ses

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amis, est comme un Prophete de Dieu, qui s'adresse en commun et en general à tous. Il nous remonstre donc que nous avons à craindre le glaive de Dieu, si nous sommes malins pour iuger mal du bien, et si nous sommes inhumains pour tormenter et affliger ceux qui desia sont assez miserables. Il est dit, Malheur sur vous qui dites le mal estre bien, et le bien estre mal: et toutes fois nous voyons que ce vice a regné de tout temps, et regne encores aujourd'hui. Ceux qui sont menez de leurs passions, quel scrupule feront-ils de despiter Dieu manifestement? Il sauront bien, Voila une bonne cause de soy, et toutes fois i'iray à l'encontre. Voila un homme qui demande de servir à Dieu, ie l'empescheray: voila une chose qui pouvoit estre à l'edification de l'Eglise, qui pouvoit servir à la communauté des hommes, au bien public, et ie ruineray tout. Car on en verra mesmes de ceux qui sont assis au siege de iustice, qui seront là comme diables encharnez pour despiter Dieu, pour renverser toute equité et droiture, et qui seront pleins de corruption et d'excez. Quand nous voyons cela, que peut-on dire, sinon que nous sommes venus au comble de toute iniquité? Autant en est-il des autres: on voit qu'il n'y a ne grans, ne petis qui ne despitent Dieu. Ainsi donc ne faut-il point dire que le diable possede les hommes, quand ils s'adonnent ainsi à renverser le bien, à maintenir le mal voire attendu que ceste horrible malediction a esté prononcee par la bouche du Prophete (Isaie 5, 20), contre tous ceux qui diront le mal estre le bien, et le bien estre le mal? Et c'est ce que Iob a ici pretendu, disant, Craigne le glaive. A qui parle-il? ceux qui s'estoyent enflez contre Dieu, et contre toute droiture. Car à qui faisons-nous la guerre, sinon à Dieu, quand nous voulons convertir la clarté en tenebres, que nous voulons opprimer une bonne cause? Voila Dieu qui est assailli de nous. Ainsi donc nous avons bien occasion de craindre, mesmes quand nous affligerions un seul povre homme, et lui donnerions quelque moleste de nouveau. Car voila Dieu qui s'y oppose: il dit, qu'il ne veut porter ces violences, et ces extorsions-là. Quand on voudra faire quelque outrage et iniure aux povres gens, il se met au devant, et monstre qu'il en est le protecteur. Quand donc nous sommes tentez de fascher et molester les povres, et ceux qui sont desia en affliction, ces paroles ne nous devroyent-elles pas faire trembler, quand elles nous viendront en memoire, que le glaive de Dieu est desgainé contre tous ceux qui voudront affliger d'avantage ceux qui le sont desia par trop? Voici donc Dieu qui defie tous ceux qui sont adonnez à iniures, violences, extorsions, ou choses semblables' et les somme à feu et sang. Et ainsi quand il est question de quelque povre personne affligee, et

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qui n'aura point de support, que nous craignons de la fouler, et de lui faire quelque moleste et opprobre. Et pourquoi? Car voici Dieu qui prononce qu'il a son glaive desgainé contre. tous ceux qui auront ainsi tormenté les bons et les innocens.

Et c'est ce que Iob dit pour conclusion, Que l'indignation d'iniquité apportera le glaive: comme s'il disoit, Il est vray que les hommes, quand maintenant ils se desbordent à molester les bons, il leur semble qu'ils demeureront impunis, ils ne craignent ne Dieu, ne son iugement: voire mais le glaive (dit-il) leur est appresté. Ne soyons point donc si outrecuidez de nous promettre que la main de Dieu ne puisse approcher de nous, quand nous aurons ainsi tormenté les povres gens, qui ne demandoyent qu'à estre paisibles, et qui ne nous avoyent en rien offensé, quand nous les viendrons picquer, et que nous leur serons en aigreur, Dieu nous sera encores plus aigre cent mille fois, et nous le sentirons tel quand nous serons venus devant lui, comme devant nostre iuge. Or si ceci estoit bien pesé, il est certain que les choses iroyent bien autrement par le monde qu'elles ne font pas. Nous voyons les Princes, qui pour leur ambition iront saccager les pays, brusler les maisons, destruire les villes, voler, ravir, piller et ruiner tout, tellement que c'est une horreur. Et pourquoy? Tout cela leur est licite sous le titre de guerre. fais il falloit en premier lieu regarder s'ils sont contraints d'esmouvoir tels troubles, de mener ainsi la guerre par tout le monde. Mais d'autant qu'il n'y a que leur ambition qui les enflamme à cela, et qu'il faut que tant de maux soyent produits de ceste rage, de laquelle ils sont esmeus: et pensent-ils que le glaive ne leur soit appresté? Et puis ceux qui leur servent en leurs cupiditez, et qui les y nourrissent, cuidentils pas aussi que Dieu doive desgainer son glaive sur eux ? Mais ne regardons point seulement à ceux-la: car nous en voyons qui ne seront ne rois, ne princes, et qui n'auront point le pouvoir de renverser les pays, et y aller par force, qui toutes fois ne laisseront point d'avoir autant de malice, ou plus que les autres: car ils seront comme des petis scorpions, qui ietteront le venin par la queue, quand ils ne pourront nuire autrement: et nous voyons que chacun ne demande qu'à picquer et molester. Ne faut-il point donc qu'on experimente ce qui est ici dit, c'est assavoir, que le glaive est desgainé à l'encontre de toutes telles gens? Et voila pourquoi Iob dit notamment, Afin que vous sachiez. Il est vray que ceux-ci n'estoyent pas des lourdaux qu'ils ne cognussent qu'il y avoit un Dieu au ciel qui estoit Iuge du monde, c'estoyent gens savans et bien exercez, comme nous avons veu par leurs propos, et verrons encores au plaisir de Dieu. Et

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pourquoi est-ce donc que Iob leur dit, Afin que vous sachiez? a est d'autant que les hommes estans aveuglez de leurs affections mauvaises, ne cognoissent point Dieu, qu'il leur semble, que quand ils auront mis un voile entre-deux, Dieu n'y devra plus voir goutte, et qu'il ne les doive point punir comme ils l'ont merité. Contemplons donc le glaive, combien que maintenant nous ne le voyons point à l'oeil: c'est à dire, combien que Dieu ne nous monstre pas encores tels signes qu'il nous vueille affliger, pour nous faire cognoistre qu'il est Iuge du monde: et sachons qu'il nous veut attirer par douceur, et nous monstrer qu'il ne veut point user de rigueur excessive envers nous, voire quand nous n'aurons point esté rigoreux envers nos prochains. Et au reste, cognoissons que ce n'est point encores assez de nous abstenir de tout mal: mais il faut que nous advisions d'aider à tous ceux qui sont en affliction. Car quand un homme pourra protester, qu'il s'est abstenu de tout tort et iniure, encores ne sera-il point quitte devant Dieu pour cela. Et pourquoy? Car il devoit aider et secourir ceux qui avoyent faute de son secours. Or si ceux qui se sont abstenus de mal, ne sont point absous devant Dieu, mais sont tenus pour coulpables, ie vous prie que dirons-nous de ceux qui ne forgent que malice iour et nuict, qui regardent, Comment est-ce que ie pourray picquer et tormenter maintenant cestu-ci, et puis cestui-la? Quand il y en aura de si malins, qui s'aguiseront ainsi de propos deliberé à nuire leurs prochains, ne faut-il pas bien que le glaive de Dieu s'aguise quant et quant à l'encontre d'eux? Pensons donc a nous, et non seulement soyons prests de subvenir à ceux que nous voyons estre affligez: mais aussi d'autant qu'il y a tant de miseres et de calamitez par tout le monde, que nous ayons pitié et compassion de ceux qui sont loin, et que nostre veuë s'estende iusques là (comme la charité doit embrasser tout le genre humain) et que nous prions Dieu qu'il lui plaise d'avoir pitié de ceux qui sont ainsi angoissez, et qu'apres les avoir chastiez de ses verges, il les ramene à soy, et face que tout cela soit converti à leur salut, tellement qu'au lieu que nous avons maintenant occasion de gemir, nous puissions alors nous resiouir tous ensemble, et benir son nom d'un commun accord.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE SEPTANTETROISIEME SERMON,

QUI EST LE . 1 SUR LE CHAPITRE.

1. Sophar Naamathite respondant, dit, 2. Mes pensees me poussent à respondre, et la hastiveté est en moy. 3. I'ay ouy la correction de mou ignominie, et l'esprit de mon intelligence me pousse à respondre. 4. N'as-tu pas seu dés le temps iadis, depuis que Dieu a mis l'homme sur terre, 5. Que l'exaltation des meschans est depuis n'agueres, et la ioye des hypocrites ne durera point ? 6. S'ils sont esleve iusques au ciel, et qu'ils ayent levé la teste aux nues, 7. lls periront comme leur ente: et ceux qui les auront veu, diront, Où. sont-ils?

Pour bien faire nostre profit de ceste doctrine, nous avons à retenir ce qui a esté declaré par ci devant, c'est assavoir, que ceux qui ont combatu contre Iob, disans, que Dieu ne laissera point les meschans impunis ont prins une sentence qui est vraye (ouy en soy) mais ils l'ont mal appropriee à; la personne de Iob. Voila pourquoy nous devons

bien tousiours prier Dieu qu'il nous donne prudence et discretion, pour savoir appliquer droitement ce que nous aurons cognu de la parole de Dieu: car nous pourrions destourner à mal ce qui nous seroit utile: comme nous en voyons beaucoup qui abusent de l'Escriture saincte à tors et a travers. Nous avons donc à noter ce poinct, et alors nous verrons qu'il y a ici de bons enseignemens et fort utiles. Or la somme de ce que Sophar dit ici, c'est que les meschans et contempteurs de Dieu, encores qu'on les voye prosperer pour un peu, periront, et qu'il faut que l'issue en soit miserable, et qu'on l'a tousiours ainsi veu et prattiqué, et que iusques en la fin du monde Dieu exercera ses iugemens comme il a fait. Mais devant que venir là, il use d'une preface, c'est assavoir, Qu'il est contraint de respondre, et incité à ce faire, tant pour l'esprit de son intelligence, que pource qu'il a honte d'estre ainsi redargué de Iob, voire sachant (comme

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il dit) que son propos est vrai, et que Iob debatoit au contraire. Or si ainsi estoit, Sophar auroit iuste raison: car en premier lieu, quand Dieu nous fait quelque grace, ce n'est point afin qu'elle nous serve seulement: mais nous en devons faire participans nos prochains. Si donc Dieu donne plus d'intelligence à l'un qu'à l'autre, doit-il retenir cela lui seul? Nenni. Mais il faut que les graces que Dieu nous distribue, nous taschions de les communiquer, afin que nos prochains en soyent edifiez comme nous, et que Dieu soit honoré d'un commun accord. Et c'est aussi ce que Sainct Paul nous monstre (1. Cor. 12, 7) que chacun n'a point receu pour soi ce que Dieu lui a donné, mais que nous devons appliquer le tout à l'usage commun. Et voila aussi comme Dieu veut que nostre charité soit exercee: ce n'est point que chacun se contente de sa personne, et qu'il mesprise ses prochains: car où en serions nous? y auroit-il plus corps d'Eglise? Ne faut-il point que les membres soyent conioincts ensemble? Ne faut-il point que le tout se rapporte au chef?

Ainsi donc notons bien quand Sophar dit, Que l'esprit de son intelligence le pousse à respondre: que si c'estoit que Dieu le gouvernast, et que ce propos ici fust bien couché, il auroit raison d'ainsi parler, car il ne faut pas quand Dieu nous aura manifesté ce qui est bon (comme i'ai dit) que cela soit aneanti par nous, mais que nous le mettions plustost en clarté. Et voila pourquoi il est dit (Ps. 116, 10), que quand nous avons creu, il nous faut parler. Ainsi la foi ne doit point estre une chose morte: mais il faut qu'elle se manifeste: et sainct Paul (2. Cor. 4, 13) fait bien valoir ce passage-là du Pseaume: car il monstre qu'il ne lui est point licite de ce faire, d'autant que Dieu lui a donné intelligence laquelle doit servir à tout le monde: et ainsi qu'il desploye ce thresor qui lui a esté commis, sachant bien que ce n'est point une chose particuliere pour un homme seul, mais que cela est pour le profit et instruction de toute l'Eglise. Et de fait, chacun de nous doit appliquer ceste doctrine à soi: car nous en verrons beaucoup qu; diront, que c'est assez que chacun croye en son coeur, comme si ce que Dieu a conioint se pouvoit separer par les hommes. Or nous avons desia veu le tesmoignage de David, c'est que ceux qui croyent, doivent parler quant et quant: car sans cela ils monstrent bien qu'ils ensevelissent par leur malice ce que Dieu vouloit estre publié: comme il est dit, Qu'une chandelle ne sera point allumee, afin qu'on la mette sous quelque vaisseau, ou qu'elle soit cachee: mais c'est afin qu'elle soit mise sur un buffet, et qu'elle luise au long et au large. Au reste, souvent quand quelqu'un aura receu quelque grace, il lui semble que c'est pour

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s'en faire priser, et valoir plus que les autres. Or au contraire, en ce faisant nous profanons les dons de Dieu, assavoir, quand nous les faisons servir à quelque ambition. Ce n'est point ainsi que Dieu distribue ses graces aux uns plus qu'au: autres, mais c'est afin que nous les facions profiter. Qu'un chacun donc regarde à faire valoir et à distribuer ce qui lui est commis de Dieu, et que ceux qui n'en ont point tant receu, neantmoins soyent par ce moyen là menez à ce salut, auquel Dieu nous appelle, afin qu'il soit glorifié au milieu de nous. Voila pour un Item.

Mais encores l'autre article nous doit plus presser, quand Sophar dit, Qu'il a ouy la correction de son ignominie. Il ne rapporte point ceci seulement à sa personne: mais c'est suivant le propos que nous avons tenu ci dessus, que Sophar se courrouce quand il voit que la verité de Dieu est par ce moyen-là foulee au pied. Iob n'avoit pas eu ceste intention (comme nous avons declaré) et Sophar lui fait grand tort: mais tant y a que ceste doctrine en soi demeure tousiours bonne et veritable, et la devons tenir pour telle, et le sainct Esprit aussi nous a voulu enseigner par un homme qui estoit aveuglé en son imagination, et cependant il n'a pas laissé d'avoir de bons principes. Ainsi donc ceste doctrine prinse comme elle est, nous peut servir, voire combien que nous voyons qu'il reprouve le bien, et que la verité de Dieu soit combatue, qu'il y resiste par cavillations, et par choses mal appliquees. Et pourtant quand cela nous adviendra, il nous y faut resister entant qu'en nous sera. l'ai donc dit, quand nous verrons qu'on resiste à la verité de Dieu, qu'il nous y faut opposer comme parties formelles. Pourquoi? Car si Dieu nous donne dequoi pour nous constituer comme ses procureurs et ses tesmoins, il veut que sa cause soit maintenue par nous. Or c'est un grand honneur qui nous est fait que cestui-là. Dieu voit que nous sommes pleins de vanité, qu'il n'y a que mensonge en nous, et neantmoins il nous appelle pour estre ses procureurs. Et le doit-il faire ? y est-il tenu ? Mais il nous veut honorer iusques là. Que reste-il donc ? Qu'un chacun de nous s'efforce tant qu'il lui sera possible, quand nous verrons que les hommes sont si malins et si meschans, qu'ils s'eslevent à l'encontre de Dieu, qu'ils ne demandent qu'à pervertir la verité, et la corrompre, faut-il lors que nous soyons lasches ? Nenni. Comme auiourd'hui nous voyons que le Pape a beaucoup de seducteurs, qui ne demandent sinon à calomnier toute bonne doctrine, à falsifier tout ce que nous mettons en avant au nom de Dieu: et mesmes il ne faut point aller si loin, mais nous voyons des esprits malins par tout, des supposts de Satan, qui desquisent les choses,

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qui ne demandent sinon de tout renverser. Quand nous voyons que le diable machine ainsi de ruiner ce qui estoit bon pour edifier l'Eglise, que les hommes sont si envenimez à l'encontre, nous devons-nous taire? No faut-il point que nous y resistions constamment entant qu'on nous sera? Il est bien certain: autrement nous serions lasches, et mesmes cela nous seroit reputé une trahison, quand nous permettrions que la verité de Dieu fust ainsi aneantie, et qu'elle ne fust point maintenue par nous. Il y on a ,à qui il semble qu'il vaudroit mieux se taire, et ne point parler contre les Papistes, ne leurs superstitions. Voire, mais cependant nous voyons que le diable abuseroit de nostre silence, pour tousiours mettre on avant ses mensonges, et ses tyrannies. Si les povres ames perissent, et que nous dissimulions cependant, que sera-ce? Si un berger fait son devoir, souffrira-il que les loups et les larrons entrent dedans le troupeau, qu'ils pillent, qu'ils mangent, qu'ils devorent, et cependant ne sonnera mot ? Or Dieu nous a constituez comme pasteurs on son Eglise. Tout ainsi que nous devons avoir une voix douce et amiable pour guider le troupeau, pour mener à salut ceux qui sont dociles et dobonnaires: aussi à l'oposite, quand nous voyons les larrons et les loups, il faut que nous crions haut et clair en y resistant. Voila donc comme ceux qui voyent qu'on renverse la verité de Dieu, ne doivent point dissimuler, mais il faut qu'ils ayent zele pour y resister entant qu'il leur sera possible.

Au reste, si nous devons avoir une telle vertu et constance pour maintenir une bonne cause contre les tromperies des meschans, et leurs subtilitez: quand nous verrons aussi que de fait le nom de Dieu sera blasphemé, que toute bonne doctrine sera mise en mespris et on opprobre par la meschants vie des malins, par leur audace, et par tout ce qu'ils entreprennent, ie vous prie, ne faut-il point que nous parlions encores on cest endroit ? Et pleust à Dieu que la necessité ne nous contraignist pas comme elle fait. Mais quoy ? Nous voyons que quand on aura presché la parole de Dieu, qu'on aille par les rues, et qu'on contemple ;e qui se fait tant on public qu'en particulier, il semble qu'on ait conspiré à l'encontre de Dieu, que le fou et l'eau ne sont point plus contraires, qu'est la vie commune que nous menons à la doctrine qui se presche. le laisse à parler qu'on ne tiendra gueres conte de l'ouir: mais encores qu'on s'assemblast, encores qu'on fist quelque ceremonie, pour dire, Dieu sera honoré, et sa parole sera recouë: on voit que ce n'est que comme un ieu de petis enfans, et qu'on se mocque pleinement de Dieu on la vie commune, et qu'il n'y a que mespris de sa parole. Il ne faut point qu'on dechiffre par le

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menu les choses telles qu'elles sont: on voit ce qui en est, et faut bien que nous soyons plus que stupides, si nous ne gemissons quand nous voyons que Dieu est si mal obey entre nous qu'on lui porto si peu de reverence: et mesmes les choses vienent iusques à cest opprobre duquel parle Sophar, que Dieu ne sera pas seulement deshonoré, pource que les paillardises, les dissolutions, les blasphemes, les rapines, et autres choses semblables régneront, et ne seront point punies comme elles devroyent: mais il semble encores quand on en fait quelque punition, qu'on se vueille mocquer de Dieu et de la iustice, et ie parle de ce que ie voi hier à mes yeux, quand il y aura une putain on prison, il faudra porter les tartres pour la festoyer, qu'on fora bien semblant de la tenir enserree et cependant on fora les monstres avec les grandes tartres: et ie vous prie, qu'est-ce que cela? Et quand seulement il m'auroit esté dit, et que la chose seroit seulement esventee, encores ie ne m'en pourroye taire: mais ie l'ay veu à mes yeux, tellement qu'il sembloit que Dieu m'avoit là amené, et que le diable vouloit faire ses triomphes de l'autre costé. Ainsi donc il ne se faut point osbahir, si ceux qui ont la charge du troupeau de Dieu pour annoncer sa parole quand ils voyent les choses si enormes, parlent si rudement quand il n'y a ne modestie, ne honesteté quelconque, qu'il n'y a plus de bride: et encores sommes nous coulpables devant Dieu, quand nous n'en disons pas la centiemme partie que nous devons, attendu le desbordement si confus, comme nous le voyons. Ainsi donc, notons bien ce passage de Sophar, quand il dit, Que d'autant qu'il s'est eschauffé en son opprobre, il ne s'est peu taire: mais qu'il est poussé à respondre. Et pourquoy? Car nous ne devons point souffrir que le mal ait ainsi la vogue sans nous y opposer, sans monstrer que nous avons quelque zele de Dieu pour maintenir sa gloire et sa verité.

Or venons maintenant au propos general qui est ici de luit. N'as-tu pont cognu (dit Sophar) dés le temps iadis, voire depuis que les hommes sont mis sur terre, que la hautesse des meschans est de n'agueres, et que la ioye des hypocrites, ou transgresseurs, ne durera point? Il prend ici un principe qui est bon et vray, l'est assavoir, que si nous estimons la vie des contempteurs de Dieu estre heureuse, c'est un abus. Et pourquoy? Car leur felicite n'est qu'un songe, comme il adioustera la similitude tantost après. Il est vray que la plus part dira bien, que les meschans sont mal-heureux. Mais quoy? Si est-ce que nous sommes preoccupez, quand nous voyons un homme qui sera à son aise, ou en honneur, encores qu'il ne regle pas sa vie selon Dieu, nous serons là ravis neantmoins, et nous semble que sa condition soit desirable, chacun lui en portera

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envie. Voire, mais cependant nous ne cognoissons pas que ceux qui s'eslevent ainsi sont comme des escargots, ainsi qu'il en est parlé au Pseaume (58, 9). Et c'est une comparaison qui est bien a noter: car David dit, que ceux qui son'; eslevez en ce monde, et qui n'ont point une racine vive pour subsister en Dieu, sont comme des escargots: cela se levera en une nuict, mais il s'escoule aussi tost: voila des limaces pour tout potage. Et nous ne regardons point à cela, nous laissons le principal, c'est assavoir, d'attendre l'issue: nous n'avons point de patience, pour dire, Et bien, Dieu esleve ceux qu'il veut: mais c'est afin qu'ils se rompent le col d'une cheute plus grande et plus lourde. Nous saurons bien iuger de la roue de fortune, mais nous ne venons par rapporter tout cela à la providence de Dieu, pour contempler ses oeuvres, et luy rendre la louange de tout. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ceste sentence: c'est assavoir, que depuis que Dieu a mis les hommes sur terre, on a tousiours observé par usage continuel, que la hautesse des hypocrites est de n'agueres, et que leur ioye ne durera point tousiours

Quand Sophar dit, que cela doit estre cognu par une experience longue, et que ç'a esté depuis que Dieu a creé le monde: ce mot pese beaucoup. Car si nous voyons seulement deux ou trois exemples de la iustice de Dieu, n'en devrions-nous pas estre assez touchez? Mais il y a ici beaucoup plus, il n'est point question que Dieu en trois ou quatre personnes nous declare, qu'il ne laisse point les meschans impunis: il le declare tous les iours, il l'a declaré devant que nous fussions nays: et poursuivons d'aage en aage depuis la creation du monde, nous verrons que Dieu a tousiours observé cela. Quand donc nous avons de tels exemples, et si grans et de si long temps, que Dieu s'est tousiours monstré Iuge sur la felicité des meschans qu'il a fait tout retourner à leur confusion et ruine faut-il que nous en doutions encores là dessus ? Ainsi donc notons bien ce mot, comme il emporte beaucoup à la verité, c'est assavoir, que de tout temps, et depuis que les hommes habitent en terre, Dieu a voulu qu'il y eust tousiours quelques tesmoignages de ses iugemens: et ainsi qu'il ne faut point que nous soyons si eslourdis et hebetez, que nous ne cognoissions ce que Dieu fait pour nostre instruction. De là nous devons recueillir encores, que ce n'est point assez que nous ayons les yeux ouverts pour bien noter et marquer ce que Dieu fait durant nostre vie: mais qu'il nous faut profiter aux histoires anciennes. Et de fait, voila pourquoy nostre Seigneur a voulu que nous eussions quelques iugemens notables qui fussent laissez par escrit, afin que la memoire en demeure à iamais. Et mesmes non seulement nous devons faire nostre

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profit de ce qui est contenu en l'Escriture saincte, mais quand nous oyons parler de ce que recitent les histoires escrites par les Payens: encores faut-il que nous ayons ceste prudence d'appliquer à nous ce que Dieu a fait. Car nous voyons comme il a exercé vengeance sur tous ceux qui s'estoyent adonnez à cruautez, à rapines, et autres extorsions: apres, comme il a puni les paillardises, et autres infections quand elles ont par trop regné: nous voyons puis apres comme il a puni les pariures, les cruautez, qu'il n'a peu porter l'orgueil des hommes. Ne faut-il point quand nous regarderons à cela, qu'il nous serve aussi bien auiourd'huy? Retenons bien donc ceste leçon qui nous est ici monstree, c'est à savoir, puis que Dieu dés la creation du monde n'a cessé de tousiours nous donner quelques advertissemens pour monstrer qu'il est Iuge du monde, que nous apprenions de le craindre, et de cheminer en solicitude, et que les punitions qu'il a faites sur les meschans nous soyent autant de miroirs, et autant de brides pour nous retenir.

Or retournons maintenant à ce qu'il dit, Que la hautesse des meschans est de n'agueres. Et pourquoy? Encores qu'ils fussent eslevez au ciel, qu'ils dressassent la teste iusques aux nues, si est-ce qu'ils ne consisteront point, Dieu les renversera bien tost. Ici Sophar continue le propos que nous avons veu par ci devant, c'est à savoir que Dieu quelquefois permettra bien que les meschans soyent eslevez, et qu'ils fleurissent: mais cela n'est point de longue duree. Or si Sophar eust bien consideré ceci, il neust plus eu question avec Iob: mais pource qu'il prend un propos general, et ne l'applique pas droitement, il y va à la traverse. Tant y a (comme i'ay dit) que ceste doctrine merite d'estre receuë, comme venant du S. Esprit: il ne reste sinon que nous la contemplions avec bonne prudence, pour l'appliquer comme il faut. Continuons donc ce propos. Quand les meschans seront en prosperité, c'est une tentation bien fascheuse: car nous voudrions que Dieu du premier coup se monstrast tel qu'il est, c'est à savoir qu'il ne peut souffrir les meschans, mais qu'il les ruine, d'autant qu'il les hait, et les a en abomination. Si nous faillons, nous voulons bien que Dieu nous espargne, il n'y a celui de nous qui ne dise que Dieu se haste trop quand il n us chastie: quand nous avons commis un peché, ou deux, ou trois, si Dieu nous corrige, nous disons que c'est trop tost, nous sommes impatiens. Mais quand il y aura quelqu'un qui aura commis la moindre faute du monde, nous voudrions que Dieu foudroyast en une minute de temps. Voila où nous mene nostre hypocrisie. Or que faut-il au contraire? Que nous soyons tout resolus de voir les meschans triompher pour quelque temps

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en ce monde, avoir la vogue, estre en repos et en delices: que nous ne soyons point estonnez pour cela, voire mesmes quand cependant nous serons en miseres et en afflictions. Et pourquoy? Car Dieu par ce moyen-la veut esprouver nostre foy. Si nous voyons les choses telles qu'elles seront finalement, comme Dieu nous les declare par sa parole, aurions nous quelque foy en luy? Nenny: nous croirions apres avoir veu. Mais quand nous n'appercevons pas ce que Dieu nous dit, si tost que nous voudrions, et que cependant nous demeurons neantmoins fermes en sa parole, et sommes appuyez sur ce qui est procedé de sa bouche: voila en quoy nous monstrons avoir creu en luy. Et ainsi donc notons bien, quand Dieu met ainsi la bride sur le col aux meschans et iniques, que c'est pour experimenter si nous l'avons servi en pureté, Mi nous avons attendu en patience ce qu'il lui plaira de faire, sans nous eslever contre lui. Il y a aussi d'avantage, que Dieu nous veut apprendre que nostre paradis n'est point en ce monde. Or nous voudrions estre en delices, et que Dieu nous tinst comme des enfans mignards. Cela ne nous est pas utile, mais tout le contraire, car si Dieu ne nous attiroit à soy par afflictions, iamais nous ne voudrions bouger du monde, nous sommes ici tant enveloppez que rien plus. Nous avons donc mestier d'estre attirez au royaume des cieux par diverses afflictions, et que Dieu nous solicite de venir à luy, et que cependant il nous monstre qu'il exterminera les meschans, combien qu'ils se soyent esgayez iusques au bout. Voyans cela, nous n'aurons point occasion de leur porter envie. Et ainsi (comme i'ay desia declaré) apprenons de surmonter ceste tentation quand elle nous sera mise devant les yeux: et s'il advient que les meschans soyent eslevez, mesmes qu'ils dressent la teste iusques aux nues, sachons qu'il ne faut point que nous soyons troublez pour cela, comme si Dieu estoit endormi, comme s'il ne regardoit plus au monde, et qu'il n'en eust plus de soin. Mais au contraire cognoissons que Dieu les esleve afin de les faire ruiner tout à coup, voire d'une cheute mortelle, car s'ils tomboyent seulement estans sur leurs pieds: et bien, ce seroit pour se casser quelques os: mais Dieu les met là pour une confusion extreme, quand il permet qu'ils soyent ainsi eslevez haut.

Voila donc à quelle intention Sophar dit, Que la hautesse des meschans est depuis n'agueres. Or il adiouste, Que leur ioye ne sera pas de longue duree. En quoy il signifie, que les contempteurs de Dieu et tous ceux qui sont attachez au monde, s'esgayent aux biens presens, et qu'ils sont là du tout enyvrez. Il est vray que les enfans de Dieu quand ils prosperent, peuvent bien se resiouir: comme quand

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Dieu nous envoye dequoi pour estre nourris et substantez, qu'il nous traitte tellement que nous n'avons faute de rien, qu'il nous donne santé, qu'il nous donne paix, et choses semblabes, nous pouvons bien nous resiouir, et le devons faire, comme il est dit en la Loy (Deut. 12, 7), Tu t'esiouiras beuvant et mangeant en la presence de ton Dieu. Mais tant y a que les fideles ne doivent point avoir leur ioye arrestee aux biens presens, et se tenir la du tout attachez: et mesmes quand il ont faute de boire et de manger, quand ils seront affligez de maladies, il faut que pour cela ils ne laissent point pourtant d'esperer en Dieu, et qu'ils apprennent la doctrine de sainct Paul (Phil. 4, 12), c'est à savoir qu'ils sachent que c'est d'estre povres et riches, d'avoir faim et disette, et d'avoir abondance. Voila donc la ioye des enfans de Dieu, qui est bien diverse d'avec celle des incredules, et des enfans de ce monde. Car ceux-ci se resiouissent en ce qu'ils tiennent à la main sans regarder plus loin, il ne leur chaut de Dieu; ne de la vie celeste: et puis ils s'abbrutissent tellement, que s'ils sont à leur aise, c'est à se desborder en dissolutions extremes. Au contraire, les fideles quand ils prosperent seront tousiours menez plus loin, c'est à savoir, qu'ils cognoistront la bonté de leur Dieu, quand il s'est fait sentir à eux plus que Pere: et sauront aussi, que quand il sembloit qu'il les avoit delaissez, c'estoit alors qu'il estoit plus prochain d'eux pour les secourir. Or donc Sophar en ce passage a voulu monstrer, que quand les contempteurs de Dieu, et ceux qui sont addonnez à mal, sont eslevez, et que la fortune (comme on dit) leur rit, et qu'ils prosperent, et sont à leur aise, cependant ils sont tellement eslourdis, que c'est une yvrongnerie que leur ioye, qu'ils s'esgayent sans aucun ordre, ni mesure. Voila ce que Sophar a voulu signifier.

A ce propos notons bien ce qui est dit par nostre Seigneur Iesus Christ, Mal-heur sur vous qui riez, car vous pleurerez: vostre ioye sera tournee en grincement de dents. Non pas (comme i'ai dit) qu'il ne nous soit licite de nous esiouyr, quand Dieu nous en donne occasion. Mais nous esiouyssons-nous? Faisons ce que dit sainct Iaques (5, 13), Celui qui est ioyeux, qu'il chante, c'est à dire, qu'il rende graces à Dieu, et invoquant Dieu, qu'il tende tousiours à lui, et qu'il soit confermé en sa crainte et en son amour et fiance en icelui de plus en plus. Voila donc quelle doit estre nostre ioye: mais cependant parmi ceste ioye-là il faut que nous soyons contristez, voyans que nous ne cessons d'offenser Dieu (comme S. Paul 2. Cor. 6, 10 nous en monstre l'exemple) voyans les vices qui sont en nous: et ainsi que nous tendions tousiours à ceste ioye Pleine et parfaite. laquelle

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nous est maintenant cachee. Voila donc quant à ce mot, Que la ioye des meschans ne durera pas beaucoup.

Au reste notons, que Sophar s'est trompé en ces mots, de n'agueres' et de petite duree. Car quand l'Escriture nous dit, que les meschans s'escoulent, et que Dieu les consumera en un moment, ce n'est pas à dire qu'il y tienne une mesure esgale, comme desia nous avons exposé. Et pourquoi ? Car si Dieu le faisoit' qu'est-ce qui seroit reservé pour le dernier iour ? Nous serions donc ici retenus, et n'attendrions point la venue de nostre Seigneur Iesus Christ pour nostre resurrection et redemption accomplie. Il faut donc que nostre Seigneur reserve à son iugement dernier beaucoup de choses et la pluspart. Mais cependant c'est tousiours son office de destruire les meschans, et de monstrer qu'ils sont de courte duree. Et de fait regardons quelle est nostre vie, et nous verrons que ce qui semble durer long temps en ce monde, ne fait quasi que passer, et s'escoule en un moment. Nous sommes si fols, quand Dieu n'a point la main levee du premier iour pour destruire ceux qui l'ont offensé, qu'il nous est advis que iamais il n'y viendra à temps. Et pourquoi? Il nous semble que ceste vie ici dure longuement, et nous confessons neantmoins que ce n'est qu'une ombre: car il faut qu'un chacun le voye en despit de ses dents. Apprenons donc quand il nous sera dit, que les meschans ne durent gueres, que ce n'est pas que nostre Seigneur les racle du premier iour: car encores qu'ils viennent iusques à l'aage de cinquante, ou soixante ans, ils ne laissent pas d'estre comme trainez de la main de Dieu a leur ruine et confusion. Bref, il faut que nous soyons patiens, et que nous attendions en silence ce que Dieu fera, sans avoir ces bouillons d'hastiveté qui ont esté en Sophar. Voila, di-ie, comme il nous faut appliquer ceste doctrine, si nous en voulons faire nostre profit. Et de fait, cest article nous est bien necessaire: car nous en verrons beaucoup qui seront scandalisez, quand ils liront les promesses qui sont contenues en l'Escriture saincte, Que Dieu benira les siens, qu'il conduira toutes leurs voyes, qu'il amenera tous leurs conseils à bonne issue, qu'ils seront en prosperité, qu'ils seront benis de lui, et en leurs personnes, et en leur lignage, en leur bestail, et en leurs maisons, et aux champs, et en leurs possessions, qu'ils seront tous conservez par la grace de

Dieu: et nous voyons à l'opposite qu'il y a de si grandes povretez et miseres aux enfans de Dieu, que c'est pitié. Ils n'auront pas quelquesfois un morceau de pain pour fourrer en leur bouche, ils seront batus de maladies, et de toutes autres calamitez: cependant voila les meschans que Dieu avoit menacez, qui prosperent. Nous sommes

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estonnez là dessus, et nous semble que nous perdons nostre temps d'avoir esperé en Dieu, que ce sont choses frustratoires que ses menaces et ses promesses. Qui est cause d'un tel trouble? C'est que nous n'avons point de patience pour nous retenir en bride, et pour dire, O ie verrai ce que Dieu fera. Il ne faudroit sinon eniamber: comme quand nous aurons à passer un fossé, il faut là sauter, et eniamber, afin de passer là par dessus. Ainsi donc, d'autant que nous ne pouvons pas sauter par dessus les choses de ce monde, afin qu'estans ainsi eslevez, nous puissions contempler les iugemens de Dieu: voila qui est cause que nous ne les pouvons pas voir, encore qu'ils nous soyent prochains. Et de fait, il y en y a bien qui diront O voila ie ne sauroye passer outre: car voila qui m'empesche. Et quel empeschement y a-il? C'est seulement un festu de paille qui sera là devant eux. Voila tout leur empeschement: et il ne faut sinon lever le pied, ou marcher dessus, pour surmonter tout ce que nous estimons estre grand cas. Et n'est-ce point une grande lascheté à nous ? Mais quand nous sommes destituez de l'Esprit de Dieu, voila où nous en sommes: si est-ce que ce qui est contenu en l'Escriture saincte n'est pas dit en vain, ne sans cause.

Au reste, il nous faut aussi bien noter ce que dit Sophar c'est assavoir, Quand les rneschans auront levé la teste iusques au ciel, et qu'ils se seront dresse iusques aux nues, que Dieu trouvera bien les moyens de les abaisser, voire et de les abysmer iusques aux enfers. Voila quelle sera l'issue des meschans, qui ne demandent qu'à s'eslever. Il est vrai que Dieu exaltera bien les siens en honneur et en dignité, mais ils ne laissent pas cependant d'estre humbles. Quand un homme sera gouverné par l'Esprit de Dieu, encores qu'il soit un grand prince, qu'il soit honoré de tout le monde, et que Dieu lui ait tendu la main pour l'eslever en haut, si est-ce qu'il ne laissera point d'avoir tousiours un sens modeste pour cognoistre ses infirmitez, et cheminer en crainte et solicitude, pour dire, Helas! que seroit-ce, si mon Dieu ne me tenoit la bride? Encores qu'il me distribue de ses graces, si est-ce qu'il n'y a rien de mon propre. Aurai-ie donc occasion de m'en glorifier? Nenni: mais en m'approchant de lui, d'autant plus m'oblige-il à soi. Que si ie suis honoré entre les hommes, il faut que ie soye comme un miroir pour servir à ceux qui seroyent perdus et ruinez. Dieu donc m'a mis ici, afin que ie serve à ceux qui auront besoin de mon aide. Voila comme les enfans de Dieu, quand ils seront douëz de quelques graces, ne voudront point les assuiettir à eux-mesmes pour s'en servir en particulier, mais ils se voudront accoustumer à leurs prochains, voire iusques aux plus petis,

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comme sainct Paul en parle (Rom. 12, 16), et s'humilieront iusques au bout, comme ils en ont le commandement de Dieu. Or au rebours, les meschans quand ils auront quelque occasion de s'eslever, ne feront que lever la teste iusques aux nues, ils se dresseront iusques au ciel. Et qu'emporte cela? C'est qu'ils s'oublieront, qu'ils ne penseront plus estre hommes mortels, qu'ils imagineront qu'ils sont comme des idoles. Et nous voyons cela en tous ces povres aveugles qui sont enyvrez d'orgueil, qu'ils ne se cognoissent point: si on parle à eux comme à des hommes, ils se sont mis en oubli. Et c'est ce qu'a entendu Sophar, que les meschans leveront la teste iusques au ciel, qu'ils la dresseront iusques aux nues. Vrai est qu'il nous faut dresser la teste par dessus le ciel, et par dessus les nues: mais c'est en une autre façon, assavoir, que combien que nous soyons pelerins en ce monde, et que nous ne voyons en nous que corruption, nous ne laissions pas de posseder par esperance les biens eternels que Dieu nous a promis: que nous puissions protester avec S. Paul (Phil. 3, 20; Ephes. 2, 19), que nous sommes citoyens du ciel, que l'heritage nous est là appresté, que nous sommes desia assis aux lieux celestes, voire en la personne de nostre chef Iesus Christ, lequel nous a conioints et unis à soy pour iamais n'en estre separez. Voila comme les fideles et enfans de Dieu non seulement doivent lever la teste iusques au ciel, mais par dessus. Cependant ce n'est pas à dire qu'ils ne se doivent humilier: comme il est dit, qu'ils seront tousiours courbez devant Dieu, ainsi que le Prophete Amos en parle. Et que veut-il signifier en ce qu'il dit, Que Dieu demande que nous soyons courbez devant lui? C'est que nous cognoissions, qu'il y a un fardeau insupportable sur nos espaules, si nous ne sommes maintenus par sa vertu. Et de fait, cela nous est necessaire, afin qu'il soit glorifié en nous, quand il nous aura ainsi delivrez des miseres, et des

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calamitez, desquelles nous estions tant oppressez et abbatus. Notons bien donc ces choses, afin que nous apprenions de nous renger à telle modestie, que nous soyons du nombre de ceux que Dieu eslevera iusques aux cieux, apres les avoir abaissez iusques aux abysmes. Ainsi voulons-nous estre soustenus de la main de Dieu ? Humilions-nous (comme dit l'Apostre 1. Pier. 5, 6) et humilions-nous en telle sorte, que premierement nous rendions à Dieu la gloire qui lui appartient (comme tout bien procede de lui) et lui en facions vraye recognoissance: et puis qu'un chacun regarde à sa vocation: que nous sachions que Dieu nous a tellement unis, que les plus grans se doivent accommoder aux plus petis, que nous destinions les graces de Dieu à cest usage là, que tous en puissent profiter en commun: que nous sachions qu'elles nous sont distribuees à ceste condition, que les autres en soyent participans. Quand nous y procederons en telle sorte, il est certain que nous serons tousiours soustenus de la main de Dieu: et encores que le diable nous dresse de grans assauts, si est-ce que nous serons maintenus: et s'il faut que nous trebuschions quelquesfois, Dieu sera prest pour nous relever incontinent, en sorte que nous obtiendrons tousiours la victoire quoy qu'il en soit. Quand donc nous serons retenus en telle modestie qu'il appartient, sachons que Dieu nous fera sentir sa vertu pour nous faire persister en tout bien iusques en la fin: et encores qu'il nous faille cheminer par beaucoup de hazards et de dangers en ce monde, si est-ce qu'il ne permettra point que nous heurtions contre quelque mauvaise rencontre pour nous rompre le col: mais encores qu'il y en ait, tant y a qu'il nous fera la grace (comme i'ay dit) de les surmonter. Voila ce que nous avons à recueillir pour le present de ce propos le Sophar.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE SEPTANTQUATRIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE X. CHAPITRE.

Ce sermon poursuit l'exposition du verset 7 et puis du texte qui est ici adiousté.

8. Il s'escoulera comme un songe, sans qu'on le trouve, il s'esvanouira comme une vision de nuict. 9. L'oeil qui l'a veu, ne le verra plus: son lieu ne le cognoistra plus. 10. Ses enfans flatteront les povres, et ses mains rendront les richesses. 11. Ses os seront pleins de sa ieunesse, et il couchera avec lui en la poudre. 12. Si le mal lui est doux en la bouche, il le cachera sous sa langue: 13. Il l'espargnera, et ne le laschera point, mais le retiendra au milieu de son palais. 14. Son pain sera converti en ses entrailles en fiel d'aspic dedans lui. 15. l1 a englouti les richesses, il les vomira, et Dieu les arrachera de son ventre.

Sophar poursuit ici la doctrine qui fut hier entamee: c'est à savoir, que si les meschans et les contempteurs de Dieu semblent estre heureux, cela ne durera gueres: car il faut que Dieu y mette la main pour les confondre finalement. Il use d'un mot qui peut signifier, qu'en se tournant ils periront, ou bien Comme leur pente: car les Hebrieux appellent ainsi se tourner, comme s'il estoit dit, que cela s'en ira comme un estron, et mettent cela par mespris et par vilenie. Voila donc ce qu'il veut dire, combien que les contempteurs de Dieu soyent braves, qu'ils se facent craindre: neantmoins si faut-il qu'ils perissent avec toute ignominie, qu'ils soient là iettez, comme si on remuoit un estron. Voila quel est le sens. Et puis il adiouste, qu'ils periront pour n'estre iamais redressez, ne remis en leur entier. Sur cela il les accompare à un songe, ou à une vision de nuict qui passe incontinent. Bref, dit-il, ceux qui les ont veus en grand estat et dignité ne les cognoistront plus, et n'y aura nulle esperance que iamais ils doivent retourner en leur lieu Or tout ceci (comme nous avons declaré) est bien vrai: car toute la felicité qui apparoist aux meschans leur tournera en la fin à confusion plus grande, et estans maudits de Dieu, il ne se peut faire qu'ils ne viennent à mauvaise issue. Qui est cause de la felicité des hommes, sinon que Dieu les reçoit en sa grace, et qu'il les benit? Si donc nous avons du contraire, et qu'il nous reiette, encores qu'il semble que tout le monde nous soit propice, et que toutes choses nous viennent à gré tant et plus, si faut-il que tous les biens que nous pouvons avoir nous soyent convertis à mal. Il n'y a donc nulle fontaine de bien sinon la bonté et

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l'amour de nostre Dieu. Quand cela y est, encores que nous semblions miserables si est-ce que tout cela nous sera converti en bien: mais tout au rebours, sans que nous soyons aimez de Dieu, il est impossible que nous prosperions en façon que ce soit: nous en aurons bien quelque apparence mais cela sera de nulle duree, comme il nous est ici remonstré. Ainsi notons bien ce mot dont use Sophar: car combien qu'il signifie deux choses (comme nous avons dit) tant y a qu'il emporte qu'il ne faut que tourner la main, et voila Dieu qui renverse les meschans. Ceci merite d'estre noté, pource qu'il nous semble qu'ils sont attachez à fer et à clou (comme on dit) et que iamais on ne les pourra remuer: mais Dieu trouvera le moyen de les amener à ruine, voire soudain devant qu'on y ait pensé: et quand la chose nous semblera impossible, Dieu pourra besongner outre nostre phantasie et opinion Et au reste apprenons de ne point estre esblouys en ceste. gloire et en ceste dignité des meschans, quand nostre Seigneur les a en opprobre, comme nous voyons. Le monde prise-il beaucoup ceux qui se sont enrichis par rapines, ceux qui se sont eslevez par meschantes pratiques ceux qui ont mesprisé Dieu, et toute equité et droiture? Voici le S. Esprit qui les accompare à des estrons, à des ordures, et vilenies. Ainsi donc (comme i'ay desia touché) que nous ne soyons point tentez, voyans quelque grandeur et excellence aux contempteurs de Dieu: mais plustost escoutons la sentence que le Sainct Esprit prononce sur eux pour les faire vilipender, et non sans cause: car c'est afin que nous ne leur portions point d'envie de leur condition, que nous ne soyons point attirez en leurs cordeaux, comme nostre appetit nous menera tous les coups: et puis que nous ne soyons point troublez, comme si Dieu n'exerçoit nulle iustice en ce monde, mais qu'il fust là endormi au ciel, qu'il ne voulust point reprimer les iniquitez quand elles se desbordent. Afin donc qu'un tel scandale n'ait point de domination sur nous, apprenons d'estimer comme fiente et ordure ce que le monde aura en grande estime. Voila donc ce que nous devons faire, quand nous voyons qu'on applaudit aux meschans, et qu'on les adore à demi. Cependant donc soyons patiens pour attendre l'issue, et que nous cognoissions que devant Dieu ce n'est que fiente. Or il y a ce

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poinct aussi qui est notable: c'est à savoir que leur lieu ne les cognoistra plus, que l'oeil qui les avoit regardez ne les verra plus. En quoy Sophar signifie que les meschans ne seront point affligez pour peu de temps: comme Dieu quelquesfois afflige les fidelles, qu'il semblera qu'ils soyent du tout abysmez. Il semblera bien donc que Dieu vueille confondre les siens sans aucune esperance de les remettre au dessus: mais tant y a qu'ils ont ceste promesse, que s'ils estoyent au plus profond des enfers, la main de Dieu s'estendra iusques là pour les en retirer. Quand donc nous aurons à cheminer au milieu de l'ombre de mort, ayans ce signe que Dieu nous donne d'estre nostre Redempteur, que nous ne soyons point confus: a savoir, quand nous oyons ceste voix de Dieu, qui nous declare qu'encores ne nous a-il point oubliez. Voila ce que nous avons de nostre costé: mais les meschans, encores que Dieu ne leur donne qu'une petite chiquenaude, voila leurs playes mortelles, tellement que iamais ils ne sont remis au dessus. Et pourquoi? Car quand Dieu en parle, cest pour les destruire: voire et à telle condition que personne ne les puisse remettre en estat, ne les reedifier: et qu'on aura beau attenter cela, on n'y profitera rien: et que d'autant plus qu'on cuidera avancer, on reculera le tout. Ainsi nous voyons comme Sophar discerne ici les contempteurs de Dieu et les meschans, d'avec les fideles: car les afflictions seront bien communes à tous, mais l'issue est diverse. le di que les afflictions sont communes, d'autant qu'il semblera que les fideles doivent du tout perir, et qu'il n'y ait plus de remede: mais d'autant que Dieu leur a promis de leur tendre la main, encores qu'ils fussent venus iusques à la mort, ils seront ressuscitez. Quant aux meschans il faut qu'ils perissent du tout. Et pourquoy? Car la malediction de Dieu est sur eux. Et ainsi apprenons de nous consoler quand il plaira à Dieu de nous envoyer des afflictions, car combien qu'elles soyent grandes, et dures, et pesantes, toutes fois voyans que la fin en est heureuse, il y a matiere de nous resiouyr. Et à l'opposite quand nous voyons les meschans fleurir, et faire leurs triomphes, ne laissons pas d'aller tousiours nostre train, encores que nous soyons miserables selon le monde. Et pourquoy? Quand Dieu les aura frappez soudain, ce n'est pas pour les remettre au dessus: mais ils demeureront là, sans que iamais leur lieu soit cognu, comme il en est parlé plus a plein au Pseaume 37 (v. l0). Car pource que c'est une chose difficile à croire, que Dieu destruise les meschans, quand ils sont si bien appuyez en ceste vie, qu'il semble qu'ils doivent tousiours demeurer en leur estat: il faut que le sainct Esprit nous reitere souventesfois ceste doctrine-là, afin

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qu'elle nous soit bien resoluë en nos coeurs, et que nous en soyons du tout persuadez. Si donc nous ne cognoissons du premier coup que les meschans doivent estre raclez, sans que iamais Dieu permette qu'ils reviennent au dessus: escoutons comme l'Escriture en parle, et nous cognoistrons que Dieu les extermine tellement qu'on ne sait qu'ils sont devenus. Voila donc quant à ces mots de Sophar où il dit, que le lieu où estoyent les meschans, on ne le cognoistra plus.

Or il y a aussi ceste comparaison du songe de nuict et des phantasies qu'on conçoit. Il est vrai que la vie humaine en soy peut estre dite semblable à un songe. Car que font ici les hommes devant que nostre Seigneur les ait illuminez, et devant qu'il leur ait fait cognoistre qu'ils sont ordonnez à une vie meilleure? Que font-ils, di-ie, sinon songer ? Tous ceux qui pensent ici bas à acquerir des richesses, et à en amasser, ne cessent de cercher, et de courir çà et là: ils font leurs circuits, et toutes fois ils revienent tousiours là qu'ils n'ont autre pensement que d'en amasser: or tout ce n'est qu'un songe. De quelque autre vice que soyent entachez les hommes, cependant qu'ils sont enveloppez au monde, ie vous prie ont-ils quelque but ou quelque repos certain ? Ont-ils l'esprit esclarci pour entendre que Dieu les appelle? Nenni. Ont-ils leurs conseils bien rassis? Ont-ils leurs affections bien ordonnees? Rien de tout c a: mais ils songent. Bref, si on espluche bien par le menu tout ce que les hommes veulent et deliberent, tout ce qu'ils entreprenent, et tout ce qu'ils font, on trouvera que tout leur cas est semblable à un songe, ou phantosme qu'on aura conceu. Or (comme i'ai dit) cela peut estre dit en general de la vie humaine: mais sur tout il peut estre attribué à ceux qui s'eslongnent de Dieu, et lui tournent le des: car d'autant qu'ils laissent la clarté, et à leur escient cherchent les tenebres, il faut bien qu'ils ayent le salaire tel qu'ils meritent, c'est assavoir, qu'ils ayent l'esprit confus, qu'ils ne iugent plus rien, et ne puissent discerner entre le blanc et le noir: mais plustost que la nuict domine sur eux, et qu'ils ne facent que songer. Et de fait, nous voyons aussi comme ils transfigurent les choses, et les tournent tout au rebours. Voila un contempteur de Dieu, il se fera à croire monts et merveilles: et cependant il ne cognoit pas que si Dieu lui est ennemi, il faut qu'il perisse, et qu'il aura beau faire des rempars, il ne pourra pas neantmoins eschapper la main de Dieu qu'elle ne tombe sur lui comme un orage.. Mais c'est (comme i'ai dit) les meschans pource qu'ils fuyent la clarté tant qu'ils peuvent, sont dignes que Dieu les mette comme en un lieu obscur, et comme en la nuict et qu'ils soyent là enveloppez de tenebres. Or

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Ont-ils l'esprit ainsi esblouy? Ils conçoivent des songes, des phantasies, ils se font à croire ceci et cela. Ainsi donc ce n'est point sans cause que le sainct Esprit par la bouche de Sophar accompare ici les meschans à un songe. Et non seulement eux se transfigurent ainsi, mais nous voyons qu'on a une fausse opinion d'eux: car quand il y aura un meschant eslevé, chacun le redoute, et mesme on lui porte envie de sa condition, chacun voudroit estre semblable: et ceux qui n'y peuvent parvenir, en font toutes fois une idole.

Voila donc comme on en est, voyant les meschans prosperer. Or nous ne cognoissons pas que là dedans ils ont un ver qui les ronge sans fin et sans cesse, d'autant que le iugement de Dieu les persecute, et qu'ils sont tousiours troublez en leur conscience. Nous ne cognoissons pas donc en quelle perplexité et inquietude sont les meschans, d'autant que Dieu les a maudits: mais nous sommes preoccupez de quelque vaine apparence, et ce gui reluit nous semble estre or ou argent, comme on dit. Ainsi donc apprenons de retenir ce qui nous est ici monstré, c'est assavoir, qu'il ne nous faut plus ainsi songer, qu'il ne faut plus que nous soyons ainsi menez par nostre cuider et phantasie: car Dieu se mocquera d'une telle vanité, et nous monstrera qu'il y a un iour en la fin, apres que nous aurons esté en tenebres, et qu'il faut que nous venions à ceste clarté, et quand le iour luira, qu'on voye que nous avons esté trompez en nos songes. Or est-il ainsi que maintenant nous ne sommes point en la nuict: car Dieu nous esclaire, pour le moins il ne tient qu'à nous. Qu'est-ce donc qui nous fait songer? Qu'est-ce qui est cause que nous sommes ainsi trompez de nos vaines imaginations, et qu'un chacun se forge une phantasie, ou une autre, sinon que nous ne nous voulons point arrester à considerer ce que Dieu fait iournellement devant nos yeux, et dont mesmes il nous advertit par sa parole? Voila Dieu qui nous monstre quelle est la vraye felicité, quel est nostre bien. Il dit, Que bien-heureux est l'homme qui craint Dieu: bien-heureux est l'homme qui s'applique à mediter la verité de Dieu: bien-heureux est l'homme qui met du tout sa fiance en Dieu: car il sera comme un arbre planté aupres d'un ruisseau pour avoir tousiours bonne substance, tellement qu'il n'y aura ni chaleur, ni secheresse, qui lui puisse faire perdre sa verdeur et vigueur. Voila donc nostre Seigneur qui nous monstre quelle est la vraye felicité, pour la cognoistre s'il ne tient à nous. Mais quoy ? Nous sommes volages, et ne pouvons nous arrester à ce qui est ferme, et cependant voulons avoir une felicité qui s'escoule et s'envole. Nous sommes donc bien dignes de perir et de trebuscher aux abysmes, puis que nous allons

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cercher les tenebres de la nuict de nostre bon gré. Voila pourquoy i'ay dit que d'autant que Dieu nous fait la grace de nous esclairer par sa parole, il nous faut retirer de nos songes et phantasies, afin que nous ne soyons plus ainsi agitez.

Or il est dit puis apres, Ses os sont pleins de sa ieunesse. Le mot dont use ici Sophar, signifie quelquesfois les pechez occultes et cachez: et de fait, ce mot de ieunesse aussi est tire de là. Ainsi le sens peut estre tel, que les os du meschant sont pleins de ses pechez qu'il a commis, et mesmes qu'il a commencé dés sa ieunesse, ou bien qu'en sa ieunesse ses os ont este pleins, qu'il a esté rassasié et soulé de ses delices, qu'il a eu tous ses souhaits, que tout ce qui lui estoit desirable, lui est venu en sa main. Voila ce que nous avons à noter. Ainsi donc si nous prenons ce mot de ieunesse en sa propre signification, le sens sera premierement que Sophar attribue aux contempteurs de Dieu, que quand ils se sont adonnez à mal, iamais ne s'en retirent, comme il est dit aux Proverbes de Salomon (22, 6), Le ieune homme a-il prins un train pervers? Il continuera: et quand il sera venu en vieillesse, ce sera tout un. Nous voyons quand les hommes ont prins leur pli (comme on dit) pour s'adonner à mal, qu'il est bien difficile de les en retirer. Voici donc une doctrine bonne et utile: et encore qu'elle soit assez commune, et que les Payens mesmes en ayent fait des proverbes tant y a que nous avons besoin d'en estre advertis, attendu que nous sommes tant adonnez à continuer au mal, que c'est pitié, et nous semble que cela ne soit rien. Mais nous n'appercevons pas que Satan prend possession de nous, quand nous continuons en nos ordures. Quand un homme aura commencé à mal-faire, et bien, il lui semble s'il poursuit encores un iour, un mois, un an, qu'en la fin il pourra bien retourner: voire, comme si la repentance estoit en nostre manche. Mais voila (comme i'ay dit) Satan qui entre en nous, et en prend possession sans y penser. Gardons-nous donc de nous endurcir ainsi au mal: mais si tost que nous appercevrons que nostre chai r et nostre mauvaise nature nous pousse et incite à decliner, que nous soyons retenus de la crainte de Dieu: si mesmes nous sommes tombez, que nous mettions peine à nous relever incontinent: si nous sommes eslongnez du chemin, que nous y retournions tantost. Il n'est point question, di-ie, de dilayer d'auiourd'hui à demain: et sur tout, quand un ieune homme doit ordonner sa vie, qu'il advise bien de ne s'abandonner point à vices et corruptions: car s'il pense s'en retirer quand bon lui semblera, il s'abuse. Voila donc ce que nous avons à noter en premier lieu, que nous ne soyons point confits en nos pechez.

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Or ceste façon de parler est bien propre, que les os des meschans sont remplis de leur ieunesse, c'est à dire, que les meschans n'auront pas seulement quelques cupiditez volages: ainsi qu'on verra qu'il y a des gens qui n'auront point une malice cachee là dedans, ils ne seront point du tout contempteurs de Dieu, ils auront quelque bonne semence, qu'ils voudroyent encores s'adonner au bien: mais pource qu'il n'y a point de tenuë, et qu'ils ne sont point constans, s'ils ont quelque mauvaise rencontre, ils se desbauchent. Nous en verrons, di-ie, d'aucuns qui seront tels: mais ici Sophar exprime bien plus, c'est assavoir, que les meschans ont leur malice dedans les os, qu'ils sont confits, et se plaisent là dedans. Et nous voyons aussi que si le diable a empoisonné les hommes, ce n'est point pour leur donner quelque petite pointure: mais c'est pour leur fourrer son venin au plus profond du coeur, tellement qu'en leurs esprits, et en leurs sens ils conçoivent tout mal. Voila donc comme Dieu punit ceux qui l'auront mesprisé, et qui se seront ainsi iettez à mal, c'est qu'ils ne feront tousiours qu'empirer, et aller de mal en pis. Par cela voyons-nous que la repentance n'est point en la main des hommes, comme ces gaudisseurs disent, se mocquans de Dieu, O il ne faut qu'un bon souspir en la fin. Et qui est-ce qui le leur donnera? Parquoy apprenons de ne point crouppir en nos iniquitez: car quand elles seront entrees iusques dedans nos os, et iusques à la moelle, il faudra que nous soyons transportez au sepulchre avec nostre malice: nous aurons beau combatre: mais il faudra que nous demeurions là en nostre vieille peau. Craignons donc qu'une telle vengeance de Dieu ne tombe sur nous. Au reste, il y a l'autre doctrine que nous avons à recueillir (comme i'ay desia touché) que les os des meschans sont pleins en leur ieunesse, et qu'ils coucheront avec eux au sepulchre, ou la malice couchera avec soy, dit Sophar. Par cela il signifie que quand les meschans seroyent crevez, par maniere de dire, de biens, et de tous leurs desirs, Dieu les amaigrira bien, et qu'ils seront comme dessechez, et faudra qu'ils s'en aillent au sepulchre tout desnuez. C'est pour confermer le propos qui avoit esté tenu n'agueres, c'est assavoir, que les meschans quand ils auront tous leurs souhaits, et qu'ils s'esgayeront, qu'il semblera qu'ils soyent les plus heureux du monde, c'est Gomme Si leurs os estoyent pleins en ieunesse, c'est à dire, que du commencement Dieu leur eust donne tout ce qu'ils peuvent souhaiter: mais en la fin ils s'en vont coucher. Et avec qui ? Chacun se contente de soy, c'est à dire, il ne leur demeure que leur corps, car Dieu les despouille, et quand ils sont du tout desnuez, il les envoye au sepulchre. Par ceci nous

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sommes admonnestez quand nous verrons que les meschans auront à boire et à manger tout leur saoul, mesmes iusques à crever, que les biens leur abondent plus qu'ils n'en demandent, qu'ils sont honorez, qu'ils ont toutes leurs delices: quand donc nous verrons cela, nous sommes advertis de ne nous point troubler: car puis que nostre Seigneur nous a declaré, qu'il faut qu'ainsi soit, c'est bien raison que nous passions par dessus un tel scandale sans en estre esbranlez. Mais notons bien leur fin que declare ici Sophar, qu'un chacun d'eux s'en ira coucher avec soy au sepulchre. Puis qu'ainsi est donc attendons que nostre Seigneur despouille les meschans, et alors nous n'aurons plus d'occasion de leur porter envie, ni de nous desbaucher avec eux. Si on dit, que cela est commun à tous, c'est assavoir, que nous allions en la poudre, et que nous y pourrissions: il est vrai: mais nous avons une bonne compagnie, quand nous aurons cheminé durant nostre vie en la crainte de Dieu, car nous saurons qu'en lui remettant nos ames entre ses mains, il en sera bon gardien et fidele: nous aurons une bonne compagnie, quand nous cognoistrons que les Anges de Dieu mesmes (comme l'Escriture le monstre) recevront nos ames pour les mettre en ceste garde bonne et seure, iusques à ce que nous ressuscitions en la gloire celeste. Combien donc que selon l'apparence il faille qu'un chacun de nous soit retranche de ce monde, et de la compagnie des hommes, et que nous soyons iettez au sepulchre: si est-ce que nous serons bien accompagnez selon Dieu, quand nous aurons cheminé en sa crainte. Or au contraire il faut que les meschans demeurent couchez en la poudre: et combien qu'ils ayent eu grande suite et grande bande. qu'ils ayent tiré longue queue (comme on dit) si faudra-il que Dieu les amene à ceste fin, qui est ici declaree.

Or il est dit puis apres: Que si le mal leur est doux en la bouche, ils le retienent sous la langue, ils l'espargnent sans l'avaller, mais l'ont tousiours là en leur palais. Au reste, qu'il leur sera converti en leurs entrailles en fiel d'aspic. L'ont-ils englouti ? Qu'ils desgorgent. Mais encores il est parlé entredeux des enfans des meschans, et cela avoit e té oublié. Sophar donc dit entre autres choses, Que les enfans des meschans flatteront les povres, et que leurs mains rendront les richesses qu'ils avoyent possedees. Par ceci il signifie que Dieu declarera sa vengeance, et la fera sentir, non seulement en la personne de ceux dont il parle, mais en leurs enfans: comme aussi l'Escriture dit, Que Dieu fera retourner l'iniquité des peres sur le giron des enfans. Il semble bien de primeface que ceci ne conviene point à la iustice de Dieu: car l'ame gui aura peché portera la punition de son iniquité, comme il est dit en Ezechiel. Comment donc est-ce

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que Dieu punit les enfans a cause des peres? Voire: mais il nous faut presupposer que Dieu exemptera bien quelquesfois les enfans des meschans par sa pure grace, et ne laissera pas de les benir, combien qu'ils ayent merité malediction. Au reste, quand Dieu voudra accomplir ce iugement, dont il parle ici, il laissera les enfans des meschans aller leur train apres leurs peres. Ils ne pourront donc sinon tousiours augmenter le mal, et estans desnuez de l'Esprit de Dieu, ils ne feront sinon provoquer son ire, et continuer d'amasser la vengeance sur leurs personnes, comme Dieu l'avoit exercée sur leurs peres. Il est vrai que tout leur vient de là, que Dieu ne les retire point, qu'il ne les touche point de son sainct Esprit afin qu'ils n'ensuivent leurs peres. Mais quoi ? y est-il tenu, ni obligé ? Nenni. Ainsi donc ne trouvons point estrange ceste espece de punition dont parle ici Sophar: c'est assavoir, que Dieu appovrira les enfans des meschans, et qu'ils seront si contemptibles, qu'il faudra qu'il aillent flatter les plus malotrus. Leurs peres estoyent orgueilleux iusques au bout, tellement que les plus grans et plus honorables n'osoyent aborder à eux, on les craignoit: comme nous voyons que ceux qui ont ainsi le coeur enflé de presomption, quand ils ont commencé à mespriser Dieu, il faut bien qu'ils reiettent les hommes. Nous voyons donc un orgueil insupportable en eux, qu'ils ne daignent pas regarder d'un bon oeil ceux qui les viendront supplier, et leur faire la court. Or cela est-il? Il faudra que leurs enfans flattent les plus mesprisez. l'ai dit que ceste vengeance s'accomplit, quand Dieu permet que les enfans suivent leurs peres: et c'est une chose qui nous est bien necessaire de savoir, afin que nous considerions quelle est la vengeance de Dieu sur les meschans, veu qu'il faut qu'elle s'estende iusques sur leurs enfans: tout ainsi que nous cognoissons une bonté infinie de nostre Dieu, quand il luy plaist à cause de nous, benir nos enfans, et leur faire sentir sa misericorde. Car ne voila point lors un tesmoignage excellent de l'amour qu'il nous porte? Ainsi à l'opposite, quand nous voyons que le feu de son ire est allumé, tellement que ce n'est pas seulement pour persecuter nos personnes, mais qu'il s'embrase plus loin, et que nos enfans y sont comprins: ne voila point pour nous faire dresser les cheveux en la teste? Apprenons donc de cheminer tant plus soigneusement en la crainte de Dieu, afin que nous n'attirions pas ceste horrible punition sur nous, et sur nos successeurs. Et cependant aussi cognoissons que nostre Seigneur benira le lignage de ceux qui l'auront craint et honoré, afin que nous ayons tant mieux courage de nous adonner à son service, voyans qu'il est si liberal, qu'il ne se contente Point de nous faire

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promesse, mais qu'il la veut estendre iusques à nos enfans. Voila (di-ie) ce que nous avons à noter de ce passage.

Or il est dit consequemment, Que leurs mains rendront les richesses. Et cela est conforme à ce que Sophar adiouste, A-il devoré? qu'il desgorge, et que Dieu lui face rendre ce qu'il aura englouti. Ici il est signifié que les meschans pourront bien amasser beaucoup en peu de temps, et s'enrichir: mais ce ne sera point pour iouyr des biens qu'ils auront ainsi acquestez. Et pourquoy? Ou il faudra que leurs enfans soyent appovris, ou qu'eux-mesmes desgorgent. Car Dieu n'attendra pas tousiours si long temps pour leur faire rendre conte: mais quand il semblera qu'ils soyent parvenus iusques au bout, il faudra que Dieu face une cure, et qu'il leur face rendre la gorge pour les desnuer de tant de biens qu'ils avoyent amassez. Nous voyons bien les exemples de ceci: mais il y en a bien peu qui y pensent. Nous voyons (di-ie) des hommes qui pillent et attrapent de tous costez. Et bien, Dieu leur lasche la bride, qu'ils auront les moyens et les occasions de s'enrichir, ils acquestent et champs, et possessions, ils manient argent, et belle traffique: les voila donc si pleins et si saouls que rien plus. Mais auront-ils ainsi tout englouti? Il y viendra un orage, que celui qui s'estoit enrichi de cent mille escus, se trouvera si oppressé, qu'il desireroit seulement eschapper en sauveté: comme un povre homme qui sera au milieu de la mer, voudroit avoir quitté tout son bien, et estre au bord pour sauver sa vie. Ainsi (di-ie) Dieu permettra que les richesses seront pour estrangler un homme quand il en aura tant amassé, et elles lui seront comme son bourreau: ou bien il en sera desnoué et appovri, quand il y viendra ainsi quelque orage soudain. Nous en verrons aussi d'autres qui se mineront petit à petit. Il est vray qu'on dira, Voila une mauvaise fortune, voila un tel qui s'estoit bien enrichi, il avoit par son industrie si bien profité qu'il estoit parvenu iusques là: et maintenant il lui est advenu un tel cas, ou celui-là lui a fait faute, ou il a fait un fol marche, ou il s'est hazardé par trop. Nous regardons donc ces causes moyennes, Mais si faut-il venir au principal, ce que nous ne faisons pas: et en cela monstrons-nous combien nous sommes aveugles, de ne considerer pas que quand telles gens se sont enrichis par cruauté, par rapines, par fraudes, par tromperies, par finesses, et qu'ils avoient ravi le bien d'autrui, et n'ont eu pitié ne de vefves, ne d'orphelins, voila pourquoy ils sont ainsi desnuez de leur bien.

Ainsi donc ne cognoissans point la main de Dieu, combien qu'elle se monstre, nous pervertissons tout. Pourtant apprenons d'estre mieux advisez

SERMON LXXIV

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que nous ne sommes point: et quand Dieu nous donnera de tels exemples, c'est assavoir, que ceux qui auront esté bien riches, ne seront point seulement diminuez, mais que Dieu besongnera en telle sorte, qu'il leur fera rendre la gorge, que nous verrons à l'oeil comme ils seront appovris, que nous cognoissions que c'est Dieu qui y met la main. Mais quand il est ici dit, Que leurs mains rendront les richesses, comment est-ce que ceux qui auront ainsi tout englouti, se demettent iusques là, qu'ils rendent ce qu'ils auront ainsi attrapé de leurs propres mains? Il ne veut pas dire qu'ils le feront de leur bon gré. Car iamais les meschans n'en viendront là de leur bon gré, sinon que Dieu leur face une grace singuliere pour cognoistre, Helas! i'ai fait grand tort à ceux que i'ay ainsi pillé et trompé, il faut donc que i'advise de restituer tout cela. Si donc ceux qui auront fraudé leurs prochains' en peuvent venir iusques là, c'est une benediction de Dieu. Mais ici Sophar parle de ceux que Dieu maudit. Et comment donc leurs mains rendront-elles ce qu'elles auront prins? C'est qu'on ne sait point les moyens par lesquels Dieu leur fait rendre la gorge, et qu'il semble qu'ils soyent destituez d'esprit et d'intelligence, au lieu qu'auparavant ils estoyent si bien entendus à faire leurs besongnes, et qu'ils faisoyent leurs discours pour prouvoir à leur cas, pour dire, Il faut faire telle chose: et puis quand i'aurai cela, il faudra encores adiouster telle chose, et il y faudra proceder par tel moyen. Auront-ils donc esté si subtils pour attraper de costé et d'autre? On les verra idiots, tellement qu'il semblera qu'ils rapportent toutes ces richesses qu'ils avoyent amassees, que tout cela ne leur couste rien, bref on diroit que c'est comme des petis enfans qui font et desfont leur mesnage. Il est vrai que telles gens ne laisseront pas d'estre tousiours avaricieux comme de coustume, et d'avoir ceste fournaise qui est en eux, qu'ils voudroyent bien avoir devoré une centaine de mondes: mais si est-ce qu'ils s'aveuglent tellement qu'il ne leur chaut de lascher ce qu'ils tenoyent si estroitement auparavant. Et d'où vient cela, sinon que Dieu les destitue de tout sens et raison, afin de les faire ainsi appovrir? Voila donc ce que nous avons à noter en premier lieu de ce passage. Mais encores cependant que les meschans engouffrent ainsi, cependant qu'ils mangent l'un, qu'ils pillent l'autre, et qu'il leur semble .qu'ils n'en ont iamais assez, et que de fait leur abondance croist de plus en plus: ne laissons pas de contempler par foy ce que nous ne voyons pas encores à l'oeil. Voila donc un meschant qui s'enrichit, il attrappe de tous costez. Et bien, que faut-il que ie pense? Il nous faut regarder à ce qui nous est ici dit. Il est vrai que nous n'appercevrons pas encores que nostre

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Seigneur face ceste cure que i'ay dite, et qu'il leur face rendre ce qu'ils auront ainsi englouti et devoré: mais contemplons en sa parole ce que nous ne comprenons pas, et que nous ne voyons point par evidence: et voila qui sera cause que nous ne serons point tentez de mal-faire. Car pourquoy est-ce que nous sommes si convoiteux de ravir le bien d'autrui ? C'est qu'il nous semble que cela nous durera tousiours. Or au contraire' voici Dieu qui nous menace, afin que cela nous serve de bride pour nous reprimer, et que nous ne soyons point tentez d'estendre nos mains aux biens d'autrui; et de nous vouloir enrichir aux despens de nos prochains.

Or il est dit quant et quant, Que si le mal luy est doux en la bouche, il le retiendra. Voici une belle similitude et bien propre, de laquelle use Sophar: car il exprime comme sont les contempteurs de Dieu, c'est à savoir, que là où ils prendront leur appetit, là où ils trouveront quelque douceur, ils se tiendront là, et s'y plairont: comme un homme avaricieux quand il pourra amasser quelque bien, ce lui est tout sucre, c'est miel. De fait c'est comme quand un homme sera affamé, encores que la viande n'ait ne goust ne saveur, si est-ce qu'il la devore: et il en advient (comme dit Salomon aux Proverbes 27, 7) Que celui qui a bien faim, encores qu'il mange quelque viande amere, elle lui semblera douce. Les meschans donc en sont ainsi: c'est à savoir, qu'en tous leurs mesfaits ils trouveront quelque douceur. Et comment cela? Pource que le diable les amielle. Voila un paillard, s'il est une fois eschauffé de sa concupiscence, le diable l'aveugle, et lui fait trouver son peché si doux, que tout son plaisir est là. Si un homme est adonné à yvrongnerie, et à gourmandise, ce sera le semblable. Voila donc comme les meschans et contempteurs de Dieu trouvent une douceur en tous leurs mesfaits: car ils font comme les frians qui lechent leurs babines, et retienent cela comme du sucre, et mesmes aucunesfois ils le retiennent au palais, afin de retenir la douceur plus longuement: et craindront mesmes de l'avaller trop tost. Nous verrons ces frians qui voudroyent (ainsi que disoit l'autre) avoir des cols de grue; afin que la saveur leur demeurast long temps: s'ils boivent quelque bon vin, il est vrai qu'en beuvant il leur semble que iamais n'auront assez tost vuidé le verre, mais si voudroyent-ils bien que ceste douceur leur demeurast long temps qu'ils eussent là une fontaine laquelle leur decoulast tousiours. Ainsi donc Sophar dit, que les meschans prendront saveur à l'iniquité tout ainsi que les frians, quand ils auront quelque friand morceau en la bouche, ils le retiendront sous la langue, ils le remueront au palais, ils lecheront leurs babines,

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les voila si aises que rien plus. Voila comme les meschans en sont: mais en la fin ils trouvent qu'il y a une amertume cachee. Et d'où est-ce qu'elle vient? Quand un homme voudra donner un poison, il faudra qu'il soit confit en miel, et en encre, afin qu'on ne sente point l'amertume du premier coup: mais quand on aura avallé le poison, il s'aigrit plus fort, et l'amertume est plus aigre beaucoup, et plus mortelle, que s'il l'eust sentie du premier coup, quand le morceau estoit encores en la bouche. Ainsi aussi quand les meschans auront avallé ceste douceur, Ô il faudra qu'elle leur soit convertie en fiel d'aspic, dit Sophar. Or nous devons bien mettre peine de retenir ceci. Et de fait combien que quand ceste similitude se declare, chacun voye que c'est une doctrine assez commune, et qu'elle peut estre entendue mesmes des plus rudes et idiots: toutes fois la pratique monstre tousiours que nous n'y avons pas este assez ententifs. Tant y a que ceci a une telle grace, qu'on voit bien que le S. Esprit nous a proposé ceste similitude, afin que nous soyons tant plus incitez à retenir ce qui y est contenu. Ainsi donc cognoissons-nous que le diable nous vient tenter, et qu'il nous fait ses amorses? gardons-nous d'estre allechez par lui: car les vices de prime face auront tousiours quelque douceur, nous serons trompez là: mais c'est un hameçon: tout ainsi que les poissons, s'ils sont affamez, ils se viennent ietter sur la viande, et les voila cependant estranglez, ils tienent à l'hameçon. Ainsi en est-il donc de nous, quand nous souffrons d'estre seduits et trompez par nos vices. Et les Payens mesmes ont bien usé de ceste similitude, comme Platon a dit, qu'autant de voluptez et d'affections qui sont aux hommes, ce sont autant

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d'amorses, et d'allechemens que Satan leur donne pour puis apres les faire precipiter en ruine. Il est vrai que du commencement il y aura quelque apparence de douceur, et semblera bien que cela soit le plus amiable du monde: mais il faudra en la fin que ce qui est ici contenu se monstre, c'est à savoir, que la douceur que les meschans auront sentie en tous leurs mesfaits, se convertisse en fiel d'aspic. Et d'autant qu'il est ici parle des contempteurs de Dieu, à savoir, que quand ils auront masché le poison, et avallé, encores qu'ils n'ayent point senti l'amertume du premier coup, il faudra qu'elle se monstre en la fin: que nous prions Dieu qu'il ne permette point que nous trouvions saveur en nos vices, mais qu'il nous donne esprit de prudence, afin que nous discernions bien, et que nous ne soyons point trompez par une vaine douceur que nous viendrons sentir du premier goust en nos pechez. Que donc nous ne soyons point allechez par cela: mais plustost que nous cerchions une vraye douceur et vive en sa grace, laquelle il nous communique par nostre Seigneur Iesus Christ, afin qu'il nous rassasie de ceste douceur de l'esperance de la vie celeste, à laquelle il nous appelle. Au reste, qu'il ne nous face point mal, si durant ceste vie, où nous sommes affamez, et n'avons point dequoy nous remplir, ou bien que Dieu nous abbate de beaucoup d'afflictions et de miseres, que cela di-ie, ne nous soit point dur à porter, sachans que nous serons participans de cest heritage celeste, où nous aurons pleine fruition de la douceur inestimable que Dieu a promise aux siens, et qui leur est maintenant cachee.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

LE SEPTANTE ET CINQUIEME SERMON,

QUI EST E III. SUR LE XX. CHAPITRE.

Ce sermon poursuit encore l'exposition du verset l5 et puis du texte ici adiousté.

l6. 11 succera le venin d'aspic, et la langue de la vipere l'occira. 17. Il ne verra point les ruisseaux, et les rivieres coulantes de miel et de beurre. 187. Il rendra ce qu'il a acquesté, il ne lui en demeurera point selon la fermeté de son changement, et ne s'en resiouira point. 19. Il a amassé, et il sera appovri, il a pillé la maison, et ne l'avoit point edifiee. 20. Il ne sentira point de contentement en son ventre, et ne pourra garder son desir.

Entre les autres corruptions qui nous induisent à nous retirer de Dieu, et nous adonner mal faire, c'est que la plus part sont persuadez simplement, que d'estre riche c'est une chose desirable:

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et ne regardons pas en quoy consistent les richesses et puis quel est le but de les posseder, assavoir, qu'on en puisse iouir. Le monde donc est aveugle, qu'il ne cognoit point que c'est d'estre riche, et puis à quel propos, et à quelle fin on le doit estre. Et ainsi nous voyons que les povres incredules sont attachez à ceste affection-la, Il faut estre riche quoi qu'il en soit. Or là dessus ils ravissent, ils s'adonnent à pillages et extorsions, il ne leur en chaut, moyennant qu'ils en ayent: et puis cependant ils ne cognoissent pas que Dieu les maudit et qu'apres qu'ils auront amassé beaucoup de biens et qu'il semblera qu'ils ayent englouti toute la terre, ils n'auront nulle iouissance du bien qu'ils possedent. Et pourquoy ? Car Dieu ravira la substance de leurs mains, ou bien il la fera tellement escouler, qu'ils n'en sentiront nul profit. D'autant plus nous faut-il bien noter ceste sentence qui est ici contenue, car en premier lieu il nous est monstré, que les hommes s'abusent, quand ils se font à croire, qu'ayans amassé beaucoup de biens, ils en iouiront. Et toutes fois c'est ce que se proposent tous avaricieux, Quand i'auray et champs et possessions, i'en tireray revenu, tellement qu'il ne faudra point que i'aille cercher ne bled ne vin hors de ma cave, et de mon grenier, i'en auray à revendre. Et puis i'auray ceci et cela, en sorte qu'il faudra qu'on me cerche, et ie n'auray besoin de nul: ie seray honoré, ie seray en credit: si quelqu'un gronde contre moy, i'ay argent en bourse pour l'opprimer. Or quand les hommes font un tel conte, il leur sera bien rabbatu: et c'est (comme on dit en proverbe) conter sans son hoste, car Dieu permettra bien que telles gens entassent, et qu'ils profitent et amassent beaucoup: mais quand ils seront remplis et saoulez, il faudra qu'ils rendent la gorge.

Voila donc ce qui est dit en premier lieu, Il a devoré la substance, nais il la vomira. Et pourquoy? Car Dieu la lui arrachera du ventre. Comment est ce que les incredules se persuadent que le bien qu'ils auront acquesté leur durera tousiours, que iamais ils n'en seront depouillez? C'est d'autant qu'ils n'aperçoivent point qu'il y a un Dieu au ciel, qui est pour leur faire rendre conte, ainsi que cela nous est monstré en ce passage, car il est bien dit, que les avaricieux feront bien leur conte d'estre asseurez en tous leurs biens qu'ils possedent: mais le sainct Esprit nous ramene à ce iugement de Dieu, Quand un homme, dit-il, auroit englouti toute la substance qu'il possede, qu'il ne l'auroit pas seulement ou en son coffre, ou en son grenier, ou en sa cave, mais qu'il l'auroit là enclose en son ventre: et Dieu n'est-il pas pour l'arracher de là? Ainsi donc cognoissons: que ce n'est rien d'avoir devoré: qu'il faut sur tout qu'en acquestant nous puissions protester en verité, que nous tenons de

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Dieu le tout, c'est à dire, que nous l'avons par moyens licites et que Dieu approuve que c'est lui qui nous l'a mis entre mains. Voila le principal où il nous faut tendre: ie di mesmes quand il ne seroit point question d'amasser des biens de ce monde. Ne soyons donc plus si fols, d'imaginer que toute nostre felicité consiste à estre riches: mais que ceci nous viene au devant, c'est assavoir, que les richesses ne sont pas d'avoir beaucoup de biens, qu'on ait eu tant à tort qu'à droit: mais c'est qu'on soit benit de Dieu, qu'on ait dequoi se contenter. Et puis il y a le second, c'est assavoir, qu'on puisse iouir et user du bien qui est entre mains. Or ceci est encores un donc special de Dieu. Au reste, que nous ayons en horreur ceste menace, c'est assavoir, que Dieu nous fera desgorger ce que nous aurons englouti, encores que l'estomac et le ventre l'ait devoré. Apprenons (di-ie) de prendre ce que Dieu nous donnera par sa grace, et de nous en contenter, que nous ne soyons pas comme ces gourmands et yvrongnes qui se saoulent tant qu'il faut puis apres qu'ils vomissent: mais comme un homme sobre et temperant prendra sa refection par mesure, ainsi qu'un chacun regarde de s'augmenter selon que Dieu lui donnera le moyen, qu'ils ne soit point transporté d'une concupiscence si enorme, qu'il attrappe d'un costé, qu'il mange de l'autre, qu'il attire à soy, qu'il pille. Contentons-nous donc (comme i'ay dit) de recevoir ce que Dieu nous donnera. Or il y a ici une malediction encores plus grande qui est adioustee, c'est assavoir, que ceux qui se veulent ainsi enrichir par fraudes, ou par cruauté ou par quelque autre façon illicite, succent le venin d'aspic, et que la langue de la vipere les a cira. C'est suivant ce qui a esté dit ci dessus, assavoir, que la viande des meschans sera convertie en fiel d'aspics en leurs entrailles iaçoit qu'ils y trouveront bien quelque douceur en leur bouche, et mesmes ils lescheront leurs levres, et en remuant la langue ils s'y delecteront. Nous voyons que ceux qui ne pensent iamais en avoir assez, quand ils pourront avoir deceu quelqu'un, les voila tant aises, ils s'esgayent là dessus: et puis quand ils auront quelque prattique en main, Ô voila qui nous viendra bien à propos: que s'ils ont entreprins d'acquerir quelque chose, iamais ne seront à repos, iusqu'à ce qu'ils en soyent venus à bout.

Voila donc ceste douceur qui est en leur langue, mais Dieu convertit le tout en amertume. Notons bien donc quand il est ici parlé, Que les meschans succeront le venin d'aspic, et que la vipere les occira, que c'est pour nous monstrer que Dieu pourra bien changer toute ceste douceur dont les incredules se trompent, car s'ils attrapent, il leur semble qu'ils sont les plus heureux du monde: bref,

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c'est leur paradis quand ils peuvent attraper de coste et d'autre. Mais quoy? Il faut venir à l'issue: car il est dit que Dieu changera le tout, et qu'il convertira en venin d'aspic tout ce qu'on aura cuidé estre miel et succre. Suivons donc simplement ceste requeste que nous a enseigné nostre Seigneur Iesus Christ, pour demander à Dieu nostre pain quotidien. Car sous ce mot-la est compris, qu'apres que Dieu nous aura donné dequoi boire et manger, il lui plaise aussi de tourner cela en bonne substance, car ce n'est point assez que nous ayons dequoy estre repeus: mais il faut aussi que nostre Seigneur benie le tout, et qu'il le face profiter pour nourriture. Or tant s'en faut que celui qui aura beaucoup mangé et gourmandé en soit plus rassasié (comme nous verrons encores derechef) que le tout lui sera converti en poison. Il est vray qu'il en sera bien rempli, mais ce sera comme un povre hydropique car si un hydropique avoit este purgé de ce qu'il à dedans le corps, ce lui seroit beaucoup d'un demi verre de vin, et un morceau de pain alors lui profiteroit plus que toutes les viandes du monde: mais d'autant qu'il est plein de meschantes humeurs au dedans, il boiroit la mer et les poissons (comme on dit) et rien ne lui profitera. Ainsi donc en est-il de ceux qui ont tout devoré cruellement comme les bestes sauvages: il faudra que Dieu leur convertisse le tout en poison: et ainsi apprenons (suivant l'admonition de Moyse Deut. 8, 3) de demander à Dieu qu'il soit nostre Pere nourrissier: car à ceste cause a-il repeu son peuple au desert par l'espace de quarante ans, sans pain, ni autre viande, il luy a donné la Manne du ciel. Dieu (dit-il) t'a ainsi conservé, afin que tu cognoisses à l'advenir que l'homme ne vit point de son labeur, que tu ne dises point, C'est l'industrie de mes mains qui m'a acquis ces choses. Non: mais tout ainsi que tu voi que Dieu a nourri tes peres au desert de la Manne du ciel: quand il te donnera du pain, que tu reçoives cela comme de sa main. Allons maintenant appeter des richesses, et les ravir à nous: regardons ce qui en est prononcé, c'est assavoir, que Dieu les convertit en venin d'aspic, que c'est comme s'il y avoit morsure de scorpion: tant s'en faut que cela nous tourne à profit. Et mesmes nous le pouvons prattiquer encores qu'il ne fust point escrit. Ouvrons les yeux, et nous cognoistrons que Dieu exerce ses iugemens au monde tels qu'ils sont ici contenus. lais quoy? Nous y sommes aveugles: ie ne di point que nous les ignorions du tout: mais nous fermons les yeux pour ne les point appercevoir. Vray est que quelquesfois on ne pourra pas discerner (car les bons auront beaucoup de craintes dont ils seront tormentez), mais tant y a que Dieu donne des marques à ses iugemens, afin que nous en puissions recevoir quelque instruction.

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Il ne tient donc qu'à nous, et à nostre malice, d'autant que nous destournons nostre regard de ce que Dieu nous monstre. Et ainsi apprenons d'avoir quelque prudence: et quand il nous est ici declaré, que tant s'en faut que nous puissions estre substantez du bien que nous aurons ravi, que cela nous sera autant de poison, que nous en serons crevez devant qu'en estre saouls, apprenons de nous contenter du petit que Dieu nous donnera, moyennant qu'il nous profite.

Or il est dit quant et quant: Que les meschans ne verront point les ruisseaux, ne les rivieres coulantes de beurre et de miel. Ici il nous est signifié, que les meschans seront privez de la benediction que Dieu a promise à ses fideles par especial, c'est assavoir, de leur donner telle abondance comme si les rivieres leur couloyent, et vin, et miel, et beurre. Vray est que nous ne verrons point cela: mais tant y a que quand nous sommes substantez de la grace de Dieu, et que nous le cognoissons, et sommes appuyez sur sa bonté, et son amour paternelle, sachans qu'il a le soin de nous nourrir comme ses propres enfans: si les rivieres couloyent pleines de miel et de beurre, nous n'aurions pas tel contentement comme nous avons, car tout peut perir et dessecher en ce monde, fors ceste fontaine laquelle ne tarist iamais, c'est assavoir, la main de Dieu. Ainsi donc ce n'est point sans cause qu'ici notamment il est prononcé, que ceux qui ne sentent point ceste nourriture de Dieu, mais qui ravissent comme des bestes sauvages, auront beau se crever: et que quand ils auroyent tous les puits, et toutes les fontaines du monde, mesmes qu'ils auroyent de grandes rivieres, il faudra qu'ils ayent tousiours soif au milieu, et n y aura pas une abondance telle, qui soit pour les rassasier. Et qui en est cause? C'est qu'ils sont destituez de ceste benediction de Dieu. Car (comme l'ai dit) voila où consiste tout le repos et le contentement des hommes, voila comme ils seront remplis et rassasiez, pour dire, c'est assez: et qu'ils pourront louer Dieu, en allant tousiours leur train. Si donc nous n'avons ceste benediction de Dieu, tous les biens du monde ne nous pourront pas suffire. Ces propos sont assez communs, ce semble: mais qui est-ce qui en est vrayement persuadé? Car si cela estoit, il est certain qu'on verroit l'equité et la droiture regner entre les hommes, et ne faudroit point tant de loix, ne tant de iustices pour reprimer les extorsions qui se commettent: il ne faudroit pas mesmes tant de doctrines d'exhortation: car chacun seroit son maistre et docteur, chacun auroit une iustice enclose en soi, tellement qu'il ne seroit la besoin qu'on vinst devant le iuge, il ne faudroit ne sergens, ni advocats, ne procez. Car nous previendrons le mal, et cognoistrions que Dieu qui nous a mis en ce

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monde les biens entre mains, encores que nous n'eussions pas un seul grain de bled, que mesmes nous n'eussions point une seule goutte d'eau, nous peut rassasier comme bon lui semblera, et comme il nous l'a promis. Et de fait, nous en sommes convaincus par experience. Car en lui demandant nostre pain ordinaire, nous sommes appastelez par sa bonté comme des petis enfans: si nous n'avons pas beaucoup, nous nous contentons: il nous fait la grace que nous sommes nourris, comme si la Manne nous tomboit du ciel. S'il y a beaucoup, il veut que nous l'appliquions à droit usage, c'est que nous ne soyons point comme des gouffres, quand un chacun retiendroit tout à soi ce qu'il aura receu: mais que nous en communiquions à ceux qui ont faute et necessité. Ainsi donc puis que nostre Seigneur nous asseure d'estre le Pere nourrissier des siens, ne craignons pas que nous soyons destituez de ce qu'il cognoistra nous nostre necessaire, contentons-nous de ceste belle promesse. Or il est certain, que si nous avions cest advis-là on nous, un chacun seroit retenu, et ne faudroit point de menaces, ne de loix pour dire, Abstenez-vous de mal faire, ne nuisez point a vos prochains, ne faites tort à nulli, non plus que vous voulez qu'on vous face, car chacun auroit ceste bride pour se reprimer, et s'induire a integrité: nous n'y irions point par contrainte comme nous faisons. Mais encores voit-on que les cupiditez des hommes sont si enragees, qu'on ne les peut nullement domter, il n'y a ne cordeaux, ne chaines qui puissent suffire pour les attacher. Lors (di-ie) il ne faudroit plus de telles forces: mais de nostre bon gré nous aurions comme les mains liees pour ne faire nul mal, et mesmes nous desirerions de servir et profiter à chacun. Voila pourquoi il nous faut bien mediter ceste doctrine: car elle sera suffisante pour nous retirer de toutes les vanitez et dissolutions, de toutes nos cupiditez excessives, et des iniures et extorsions que nous avons accoustumé de commettre pour nous enrichir. D'avantage elle nous incitera aussi de regarder à Dieu, afin de nous reposer on sa seule benediction, et puis de bien user des biens qu'il nous a mis en charge, sachans que nous n'en sommes que dispensateurs, et que c'est à ceste condition-là qu'il nous les a donnez, que nous lui en rendions bon conte, et fidele, monstrans qu'un chacun n'a point gourmandé à part, mais que nous avons communiqué à nos prochains selon la faculté que nous avons receue. Voila donc en somme ce qui est ici contenu.

Or il est dit: Que les meschans rendront ce qu'ils ont acquesté, et qu'il ne leur demeurera point, voire selon la mesure de leur changement, et ne s'en esiouyront point. Ici ce que nous avons desia entendu est exprimé encores plus à plein Comment

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donc est-ce que les meschans ne sont iamais rassasiez, encores qu'ils ayent tant amassé de biens, qu'il semble qu'ils en doivent crever? Pourquoi est-ce qu'ils ont tousiours faute? Et c'est que nostre Seigneur ne fait point prosperer ce qu'ils ont entre leurs mains: car tout ainsi qu'on pourra ietter beaucoup de biens en un gouffre, et il ne s'en sent pas: aussi un homme qui est insatiable pourra ravir de costé et d'autre, et cependant il ne laissera pas d'estre affamé. Et cela vient de deux causes: car tout ainsi que c'est une grace singuliere de Dieu, quand nous pouvons nous contenter de peu, que nous invoquons son nom, que nous attendons nostre nourriture de sa main, comme nous avons experimenté iusques ici, qu'il nous a nourris: aussi au contraire quand il permet que la convoitise des incredules est embrasee, et qu'ils amassent tousiours et qu'ils appetent sans iamais avoir qui les contente: voila comme il les punit. Notons bien donc que la premiere cause pourquoi les meschans ne se peuvent esiouyr, quand ils ont amasse beaucoup de biens, c'est d'autant que nostre Seigneur enflamme leurs cupiditez, et qu'il permet qu'ils ayent une torture là dedans qui ne cesse de les tormenter: et le diable allume tousiours le feu par une iuste permission de Dieu au coeur de ceux qui ne peuvent regarder à lui. Voila quant au premier.

Et puis il y a une seconde cause, c'est que tout ainsi que Dieu augmentera un grain de bled pour la nourriture des siens, qu'il le fera multiplier on cent, qu'ils se contenteront de pou, et seront ongraissez: aussi au contraire il mine et desseche tout ce que les meschans peuvent engloutir. Ils mangeront au double, c'est à dire, ils amasseront tant et plus, mais Dieu consumera tout cela, il soufflera dessus (comme il est dit au Prophete Osee 13, 15) et tout ce a sera aneanti, tellement qu'un grand tas de bien sera esvanouy en une minute de temps. Voila donc Dieu qui extermine ce que les hommes avoyent beaucoup prisé: et voila pourquoi les meschans ne se peuvent esiouyr de ce qu'ils possedent, vrai est qu'ils seront bien enflez de presomption comme aussi nostre Seigneur Iesus Christ le monstre en ceste similitude qu'il propose de ce riche qui avoit fait eslargir ses greniers. Or il dit, Mon ame resiouy toi, maintenant tu as bien dequoi te repaistre: car voici une telle abondance que tu ne pourras iamais avoir deffaut. Ceux donc qui sont addonnez aux biens de ce monde, et qui en ont acquis beaucoup par voyes meschantes, pourront bien se glorifier on leurs richesses, car ce n'est point sans cause qu'il est dit (Ps. 62, 11), Si les richesses vous abondent, n'y mettez point vostre coeur. Le Prophete signifie par cela, qu'il est bien difficile que les hommes soyent riches, qu'ils ne se trouvent enveloppez aux vanitez de ce monde. Et

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c'est pourquoi aussi sainct Paul exhorte Timothee de remonstrer aux riches de ce monde, qu'ils ne soyent point eslevez en orgueil (1. Tim. 6, 17). Par cela il signifie, que les riches font une idole de leur bien, qu'ils cuident estre par dessus le reng des hommes, qu'ils se mettent en oubli. Ainsi donc les meschans se pourront bien esiouir de leurs acquests: mais quelle est ceste ioye-la? Maudite, en sorte qu'il faut en la fin que Dieu la tourne en grincement de dents, et en angoisse. Ainsi donc notons qu'il ne se faut point arrester à un iour, ni à un an, quand nous verrons les meschans triompher, quand nous verrons qu'ils se plaisent en leur condition, et qu'il leur semble qu'il n'y a que felicité pour eux: mais attendons l'issue, et nous verrons en la fin que ce qui est ici contenu sera accompli, c'est assavoir, que leur ioye ne sera peint permanente, et que les meschans (quoy qu'il en soit) sont tousiours en torment et inquietude. Et de fait, si on pouvoit esplucher ce qui est dedans leurs coeurs, on verroit au milieu de leurs resiouissances qu'ils sont tousiours en soin et en perplexité, et qu'il leur ensemble que terre leur doive faillir. Voila un homme qui aura amassé beaucoup de biens, il est vray qu'on ne pourra porter son orgueil, qu'il voudra mettre le pied sur la gorge à tout le monde, que sous ombre de son credit il foulera l'un, il opprimera l'autre, il voudroit qu'on l'adorast: quand il sera en sa maison, il se mire comme un paon en sa queue. On voit tout cela di-ie: mais si est-ce qu'il y a des pointures secretes là dedans, et Dieu ne permettra point que ceux qui se veulent ainsi glorifier en leurs biens, ayent un repos certain: mais il y a là dedans un ver qui les ronge, tellement qu'ils sont tousiours en angoisse et en perplexité, quoy qu'il en soit.

Or notamment il est ici dit Que les meschans rendront selon l'estendue de leur changement. Ce mot ici de primeface pourroit estre aucunement obscur, mais il contient une bonne doctrine: car en somme il nous est monstré, qu'il faudra que les meschans rendent ce qu'ils auront amassé avec grand labeur. Voila pour le premier: comme s'il estoit dit, Les hommes sont bien aveugles et despourveus de sens, quand ils travaillent tant et plus pour acquester des biens: car non obstant toute leur abondance, si faudra-il qu'ils rendent. Et c'est un remors bien dur (car nous savons comme les avaricieux sont attachez à leurs biens), c'est plus que si on leur cassoit les os pour en tirer la moelle: car les biens qu'ils possedent ne leur sont pas moins que leur vie propre. Ceux-la sont bien transportez, qui ne regardent point que les biens sont creez pour l'homme, et que ce n'est qu'un accessoire de la vie presente: toutes fois on voit que les meschans se tormentent, et que s'ils ont quelque perte ou dommage,

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c'est autant comme si on leur avoit coupé trente fois la gorge. Or si faut-il neantmoins qu'ils rendent, non point de leur bon gré, mais d'autant que Dieu leur arrache, ainsi qu'il en a esté parlé ci dessus: voire selon l'estendue de leur changement, c'est à dire, selon qu'ils ont fait leurs changemens et revolutions, Dieu aura son tour pour changer. Et comment cela? Quand un homme sera ainsi convoiteux d'amasser des biens, et que Dieu lui lasche la bride, que fera-il? Il remue tellement les choses, qu'il semble qu'il vueille faire un monde nouveau, il appovrit celui qui estoit riche, il diminue celui qui avoit beaucoup, il abbat celui qui estoit eslevé. Voila donc comme les avaricieux entant qu'en eux est font un monde nouveau, et Dieu (comme i'ay dit) leur donne bien ceste licence-la pour un temps, qu'ils enhavent tout, ce semble: voire, mais ( est du venin et du poison: ils se remplissent, mais c'est pour vomir puis apres, et mesmes pour sentir là de l'amertume horrible de ce qu'ils auront englouti. Or ont ils ainsi tout changé? c'est à dire, ont-ils fait telles revolutions, qu'ils ayent terres et possessions, où auparavant ils n'avoyent rien? qu'ils ayent leurs coffres fournis, où auparavant ils n'avoyent pas trois sols en leurs bourses? Sont-ils en honneur et en credit, où auparavant ils estoyent comme mesprisez ? Ont-ils donc ainsi changé tout le monde? Et Dieu a son tour. Si un homme mortel presume de remuer les choses, qu'il entreprene, qu'il delibere, pour dire, ie ferai ceci et cela: Dieu en la fin ne changera-il point tout? Demeurera-il oisif au ciel? Pensons-nous que toutes ces mutations ici se facent sinon qu'il le permette? Et quand il le permet, s'il dissimule pour quelque temps, pensons-nous qu'il ait resigné son office, et qu'il ne gouverne plus le monde? Nenni, nenni, mais il veut ainsi aveugler les meschans, et permet qu'ils vienent à bout de leurs entreprinses, afin de les ruiner, voire d'une cheute plus mortelle. Et d'autre costé il exerce la foy et patience des fideles. Car quand ils voyent tels changemens, ils en peuvent estre troublez: mais s ils ont ceste prudence en eux d'attendre tout coyement l'issue, et ne se point par trop precipiter, voila Dieu qui espreuve leur foy, et sont incitez par ce moyen-là de retourner à Dieu d'un plus grand desir. Et ainsi nous voyons (comme i'ay desia touché) qu'il y a ici une bonne doctrine contenue, quand il est parlé de la fierté du changement que font les meschans, qu'il semble qu'ils vueillent depister Dieu, et qu'ils vueillent remuer toutes les bornes que Dieu aura mises. Car comme il veut que les royaumes et principautez soyent distinguees, aussi a-il voulu que les limites fussent designees, afin: qu'un chacun possede le sien d'une façon paisible. Or que font ces ravisseurs. ces

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gouffres, ces bestes sauvages? Il semble (comme i'ai dit) qu'ils ne vueillent laisser ne bornes, ne limites, ne rien qui soit, qu'ils vueillent faire un monde nouveau. Ont-ils bien changé? Dieu leur a-il permis cela? Il faut qu'il change puis apres à l'opposite, et qu'il remette les choses en leur premier estat. Voila quant à ceste sentence.

Or il est dit puis apres: Que c'est d'autant que les meschans ont appovri les bons, et qu'ils ont pillé les maisons qu'ils n'avoyent point basties. Ici nous voyons qu'il nous faut tousiours considerer la iustice de Dieu en toutes les punitions qu'il envoye au monde. Il est vrai que c'est desia quelque bonne instruction, quand nous aurons cognu que les changements ne seront point fortuits, qu'on appelle: c'est à dire, que s'il se fait quelque revolution, cela procede de la main de Dieu: mais ce n'est pas le tout. Car si nous attribuons simplement à Dieu une puissance, pour dire, Il gouverne le monde, il fait tout, il n'y a rien qui ne se conduise par son conseil et sa volonté, et que nous ne passions point plus outre, ce n'est pas glorifier Dieu comme il appartient. Car tout ainsi que Dieu veut estre cognu tout-puissant, il veut aussi estre cognu iuste. Vrai est que par les choses qui se voyent nous n'apprehenderons pas tousiours ceste iustice (comme il a este traitté ci dessus), mais tant y a qu'il nous faut avoir ces deux choses-là, c'est assavoir, qu'en premier lieu nous cognoissions, que les choses ne se tournent point ici bas par fortune et adventure. Et pourquoy ? Car Dieu dispose de tout, c'est Dieu qui gouverne et tient la bride. Voila pour un Item. Or quand nous aurons cognu ceste puissance de Dieu, à laquelle tout le monde est suiet, il faut que nous venions en second lien à sa iustice, c'est assavoir, que nous tenions cecy tout resolu et persuadé, que Dieu ne tourne point ainsi les choses de ce monde, comme se iouant de nous ainsi que d'une pelotte. Car les meschans diront que Dieu fait un ieu des hommes, quand il prend plaisir où à les exalter, ou à les abbatre: mais quant à nous, cognoissons que Dieu n'a point une puissance tyrannique ou desordonnee, mais qu'elle est coniointe d'un lien inseparable avec sa iustice, et qu'il fait tout d'une façon equitable. Il est vray (comme nous avons touché) que nous n'appercevrons pas tousiours ceste iustice de Dieu, qu'il la cachera quelquesfois, et que nous ne comprendrons pas la raison pourquoy il fait les choses: mais ce n'est pas à dire qu'il n'y ait tres-bonne raison. Voila en quoi se sont abusez les amis de Iob: et en ceci il ne faut point que nous leur soyons semblables. Ils ont condamné Iob comme un meschant. Et pourquoy? Car ils ont imaginé de lui à la façon commune. Or il ne faut pas que tous les iugemens de Dieu soyent estimez d'une

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mesme mesure. Et pourquoy ? Comme i'ay dit, Dieu quelquesfois fera des choses qui nous seront incomprehensibles. Que ferons-nous là? Que nous concluons neantmoins qu'il est iuste. Voire, mais que nous confessions quant et quant, que ses iugemens sont un abysme qu'on ne peut sonder, car Dieu est doublement loué en l'Escriture saincte de sa iustice. Quelquesfois donc Dieu punira les iniquitez a l'oeil, afin qu'il soit craint et redouté, comme il en est parlé an Prophete Isaie (26, 9), Que si Dieu tient ses assises, et qu'il se monstre Iuge du monde, alors les habitans de la terre apprendront de cheminer droitement: et au lieu qu'auparavant chacun s'estoit donné congé de malfaire, nous pensons, Helas! helas! il y a un Iuge qu'il nous faut craindre. Voila donc comme la iustice de Dieu sera manifestee quelquesfois: mais quelquesfois aussi Dieu besongnera d'une façon qui nous est estrange, que quand nous aurons enquis, Pourquoy est-il ainsi advenu? Comment cela se prend-il? Il faut que nous demeurions là courts. Mais cependant il faut que nous confessions que Dieu est iuste, adorans ses iugemens secrets qui sont en lui comme un abysme. Quoy qu'il en soit donc (comme i'ay dit) il faut que Dieu soit tousiours tenu pour iuste. Or il est ici parlé de la iustice de Dieu qui nous est notoire, et que nous pouvons appercevoir à l'oeil: car il est dit, Pource que les meschans ont appovri les bons, il faut qu'il leur soit rendu en pareille mesure: pource qu'ils ont ravi et pillé les maisons, il faut que Dieu les dechasse, et qu'ils soyent bannis de là, quand ils cuideront habiter en repos. Mais en toutes sortes quand nous aurons bonne prudence, nous pourrons faire nostre profit de tous les changemens du monde. Si quelquesfois Dieu appovrit ceux qui auront bien vescu, cognoissons que si cela se fait au bois verd, que sera-ce du bois sec? Et ainsi tremblons sous la main de Dieu, et prions le qu'il nous face la grace de iouir des biens qu'il nous a mis entre mains, comme son intention est: ou s'il nous en veut despouiller, qu'il nous donne la vertu de porter en patience la povreté qu'il nous envoyera. Voila ce que nous avons à noter.

Mais de l'autre costé quand nous voyons que nostre Seigneur fait desgorger ceux qui auront tout englouti, qu'il leur fait rendre conte, qu'il les contraint de restituer ce qu'ils avoyent pillé, qu'il les desloge des maisons qu'ils avoyent basties par violences, et par fraudes, qu'il les prive des biens qu'ils avoyent amassez par mauvaises pratiques: cognoissons, Voici Dieu qui tient ses assises, il nous monstre, combien qu'il permette aux meschans de s'enrichir, que ce n'est pas afin que cela leur dure à iamais, que ce leur est autant de venin qu'ils ont humé, au lieu que les biens profiteront

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aux fidelles, et leur seront autant de ruisseaux qui decouleront beurre et miel. Cognoissons (di-ie) cela, afin de contempler les iugemens de Dieu, et nous humilier sous iceux. Que nous apprenions aussi de ne point porter envie aux meschans, quand il semblera qu'ils soyent à repos, et à leur aise on leur abondance, et en leurs credits et honneurs: car Dieu convertira le tout à mal, et les exposera en opprobre et diffame envers tous. Voila donc comme il nous faut noter les chastiemens et punitions que Dieu onvoye au monde, pour les appliquer à nostre instruction, comme S. Paul nous en advertit. Mes freres (dit-il Ephes. 5, 6) que personne ne vous seduise par vaines paroles. Vray est qu'on oyt les meschans propos qui se desgorgent, qu'on se mocque des iugemens de Dieu: mais ne vous abusez point par cela: car pour telles choses, dit-il, l'ire de Dieu vient sur les incredules. Comme s'il disoit, N'attendez pas que Dieu frappe sur vos testes, mais cependant qu'il punit les meschans devant vos yeux, cognoissez qu'il ne peut porter l'iniquité' et qu'il faut qu'il se monstre iuge quand on aura bien abusé de sa patience. Faites donc vostre profit de tels chastimens, cognoissans qu'aux despens d'autruy il vous veut faire sages. Voila encores ce que nous avons à noter de ce passage.

Or il y a puis apres ce mot, de ravir les maisons qu'il n'a point edifié. Il est vray que Dieu a bien promis à son peuple de le faire habiter aux maisons qu'il n'avoit point basties: mais c'estoit un donc special de Dieu, quand il mit son peuple en la terre de Chanaan. Au reste, nous savons la sentence generale de l'Escriture saincte, c'est à savoir, Que bien-heureux est l'homme qui mange le labour de ses mains, et qui on est nourri. Apprenons donc quand nous voudrons que le bien nous profite, de l'avoir à telle condition, que nous puissions dire que Dieu nous l'a donné: car Dieu ne se mesle point de fraudes, ne de rapines. Ie confesse bien que les meschans ne seront point enrichis sans sa volonté: mais ce n'est pas pourtant à dire qu'il approuve ce qu'ils font: ce n'est pas aussi que les meschans recognoissent Dieu, pour dire, Ie remercie Dieu, ie lui ren graces de ce qu'il m'a donné cela. Nenny: car ils le tiennent comme du diable, ils ne le tiennent pas d'autant que Dieu les ait benis. De nostre costé donc apprenons (comme i'ay desia touché) de faire valoir ceste promesse, c'est que nous soyons bien-heureux mangeans le labeur de nos mains, c'est à dire, ne mangeans sinon ce que nous aurons par bon moyen et licite,

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et approuvé de Dieu. Et au reste, cognoissons que ce n'est rien quand nous aurons beaucoup basti en ce monde: car tout cela est caduque et transitoire Ne soyons point comme ces fols qui font leur nid en ce monde, en sorte qu'il semble que iamais n'en doivent partir. Que nous n'y soyons point donc attachez. Car quelle est nostre principale maison? Et c'est ce corps ici. Quand un homme aura de grands palais, et les plus somptueux du monde, il est certain qu'il n'y peut pas estre tousiours, il ne se veut pas là tenir en prison. Ainsi le logis le plus propre d'un chacun, c'est son corps: et toutes fois nous voyons quelle fragilité il y a: quelle fermeté y a-il? Il n'y a que corruption et pourriture. Que faut-il donc ? Que nous tendions à ce bastiment celeste, c'est à dire que nous demandions d'estre restaurez tellement que l'Esprit de Dieu habite on nous, que nous soyons ses temples, et que ce qui est maintenant en nous de corruptible et caduque soit renouvellé, que nous soyons en ceste restauration qui nous est promise. Voila donc comme en ce monde il ne faut point que nous cerchions d'attirer le bien d'autrui à nous, pour iouyr de ce qui ne nous appartient pas: mais que nous vivions, nous contentans de ce que Dieu nous donne: et cependant que nous prions Dieu de nous edifier tellement que nous soyons ses temples, afin que par son sainct Esprit il habite en nous, et ne permette point que Satan nous transporte pour lui donner entree à nous, et pour y nourrir nos vices et nos pochez: car par ce moyen il feroit de nos corps des estables infectes. Or nous savons que Dieu ne peut habiter en un lieu pollu: il faut donc si nous voulons qu'il reside en nous, que premierement nous le prions qu'il nous purge de toutes nos infections, afin qu'il nous edifie par sa grace, pour estre vrais temples de son sainct Esprit. Voila comme nous serons bien edifiez. Mais cognoissons que le tout procede de la pure grace de Dieu, comme l'Escriture lui attribue cest office, qu'il bastira Sion. Tout ainsi donc qu'en general nostre Seigneur bastit tout le corps de son Eglise, sachons qu'il faut aussi qu'il bastisse chacun de nous. Et c'est cela à quoi il nous faut tendre, et non pas nostre addonnez aux choses caduques et corruptibles de ce monde: mais que nous tendions à ce qui est eternel, et que nous y aspirions de plus en plus, iusques à ce que nous y soyons parvenus du tout.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE SEPTANTE ET SIXIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XX. CHAPITRE.

20. Il ne cognoistra point de rassasiement en son ventre, et ne gardera point son desir. 21. l n'y a point de residu à sa viande: pourtant son bien ne sera point multiplié. 22. Quand son abondance sera pleine, il sera en angoisse, toute main d'homme travaillant viendra à lui. 23. Quand il aura pour remplir son ventre, Dieu lui envoyera la frayeur de son ire, et fera pleuvoir sur sa viande. 24. Quand il fuira les armes de fer, l'arc d'acier le rencontrera. 25. Le glaive sera desgainé, et le tranchera: il le passera par son fiel, frayeur sera sur lui.

Suivant le propos qui fut hier tenu, Sophar adiouste ici, Que l'homme meschant n'a iamais contentement, il n'a point de repos: et puis, qu'il ne lui demeurera rien de reste, et que son bien ne sera point multiplié à l'heritier, ny au successeur. Desia ceste sentence avoit esté declaree, mais pour plus ample confirmation elle est encores reiteree pour un coup, afin que nous la retenions mieux, et aussi que nous en soyons tant plus persuadez. Car si nous voyons un homme qui abonde en biens il nous semble que rien ne lui defaut, qu'il a contentement, et toute felicité: que quand tout lui vient ainsi à gré, il n'est question que de prendre plaisir. Voila donc comme nous ne cognoissons point la povreté qui est cachee en ceux que Dieu aura maudits, et nous en asseons iugement selon ce que nous voyons à l'oeil. Or le iugement de Dieu est enclos dedans leurs os et leurs moëlles. Voila donc pourquoi il nous est utile d'ouyr ceste sentence plusieurs fois, afin qu'elle nous soit tant plus certaine, et que nous en ayons la memoire imprimee en nous. D'autre costé quand un homme sera riche, il nous semble qu'il faudroit que le ciel et la terre se meslassent pour le ruiner. Et pourtant voici Dieu qui declare combien qu'un homme ait grande abondance, toutes fois que cela pourra perir, et s'escouler en sorte qu'il n'y aura nulle attente pour le successeur, ny heritier. Retenons bien donc ces deux poincts, afin que nous apprenions de plus estimer la benediction de Dieu, que toute abondance du monde: et que nous ne soyons point tentez d'appeter des richesses maudites, lesquelles ne peuvent venir à bonne fin, pource que Dieu les dissipera. Voila à quoy ceste doctrine nous doit servir. Ainsi donc en premier lieu, cognoissons que ce n'est point le principal, que nous soyons bien prouveus des biens de ce monde

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en grande quantité: mais qu'il faut que Dieu nous face ce bien singulier, que nous sentions sa grace, que nous cognoissions qu'il nous veut estre Pere, et que nous prenons nostre nourriture de lui. Voila qui nous donnera et contentement et repos.

Or nous voyons quelle est la cupidité des hommes, c'est à savoir un desir qui iamais ne pourra estre esteint. Apres, qu'est-ce des biens de ce monde? Il est vrai que nous y serons esblouis par fois et par bouffees: mais cependant Dieu ouvre les yeux de ceux qui sont ainsi adonnez à amasser des richesses, qu'ils cognoissent que cela n'est rien, et que c'est comme une fumee qui passe tantost. Il est donc impossible qu'un homme se contente, et qu'il soit rassasié quand il ne regardera qu'à ses biens qu'il a entre mains. Voila le seul moyen pour avoir repos, et pour sentir que nous avons à suffisance: c'est à savoir, que Dieu se declare nostre Pere, que nous sachions qu'il a tousiours sa main estendue pour nous donner ce qui nous est besoin. Quand nous aurons ce regard-là, nous aurons un bon repos: et encores que nous n'eussions pas un morceau de pain, par maniere de dire, si est-ce que sachans que Dieu est assez riche pour nous substanter, nous attendrons de lui ce qu'il nous promet: car il dit (Pse. 34, 11), Que les lions, et le bestes sauvages, combien qu'elles soyent adonnees à rapines, et qu'il semble qu'elles doivent tout engloutir, ne laissent point d'avoir faim, et indigence: mais que Dieu nourrira les siens au temps de famine (Pse. 37, 19). Vray est qu'ils n'en seront pas tousiours exemptez, qu'ils ne se voyent quelquesfois en destresse: mais Dieu y subviendra quand ils seront venus iusques à l'extremité . Voila (di-ie) en quoy se resiouissent les fidelles. Et c'est ce bien duquel il est ici parlé, car tout ainsi que les meschans n'ont pas une vraye approbation du bien, aussi les enfans de Dieu estiment un morceau de pain qui leur est donné, comme si Dieu se declaroit estre leur Pere: car par cela ils sont aussi confermez, que s'il les a auiourd'hui nourris, demain il fera aussi bien son office: qu'il a tousiours dequoy, et que sa grace ne diminue point, ne sa bonté. Voila pourquoy il est dit (Ps. 31, 20), Que la bonté de Dieu est cachee a, ceux qui le craignent. Il est vrai que ce n'est pas le principal de ce que Dieu veut que nous sentions de l'amour qu'il nous porte, et de sa grace, de penser a la nourriture corporelle: mais il nous faut

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monter plus haut, c'est à savoir, qu'encores que nous fussions miserables en ce monde, Dieu nous a appresté des richesses là haut au ciel, ausquelles nous devons tendre, et estre du tout ravis. Cependant si est-ce que tout ce que Dieu nous fait de bien ici bas, desia nous est comme un goust qu'il nous donne de sa bonté souveraine. Or revenons maintenant à ce passage que nous avons allegué du Pseaume, Seigneur, combien est grande la multitude de ta bonté, que tu as cachee à ceux qui te craignent! Pourquoi est-ce que le Prophete parle ainsi? c'est d'autant que combien que Dieu espande par tout ses largesses (comme il est dit Ps. 145, 9, que sa misericorde est sur toutes creatures, voire iusques aux bestes brutes) si est-ce que les meschans et iniques, encores qu'ils gourmandent, et se crevent des biens de Dieu, si ne sentent-ils pas la bonté qui est en lui, ils sont privez de ceste cognoissance-là. Et pourquoy Car Dieu l'a cachee à ceux qui le craignent. Or donc voila quant au premier qui nous est ici monstre, c'est à savoir que nous ne devons point iuger les hommes bien heureux selon la grande quantité des biens qu'ils possedent, mais qu'il nous faut venir au contentement: car il est impossible que ceux qui mescognoissent la grace de Dieu, et qui ne s'en soucient, ayent contentement: d'autant que le bien qu'ils ont, leur est incognu, et c'est autant comme s'ils en avoyent faute.

Et puis il est dit, Qu'il n'y aura point de residu en leur viande. C'est une chose estrange, quand un homme aura beaucoup amassé, et qu'il semblera qu'il doive laisser ses enfans comme des petis rois, que Dieu minera le tout, et qu'il n'y aura point de residu. Il est vrai que cela n'advient pas tousiours, et aussi (comme nous avons declaré) Dieu ne veut point avoir une mesure egale en ce monde pour executer ses iugemens (car que seroit-ce? Il n'y auroit rien de reserve pour le dernier iour) mais tant y a que nous appercevrons quelques enseignes, que Dieu consumera le bien d'un homme, en sorte qu'on le verra perir à l'oeil, et ne sauraon qu'il sera devenu, ne par quel moyen il aura esté appovri. Quand nous voyons telles choses, ne devons-nous pas penser que Dieu exerce son office, et qu'il nous donne occasion de penser à lui, et le cognoistre nostre Iuge, afin que nous ne soyons point tentez de nos appetis desordonnez, comme nous avons de coustume, que nous ne cuidions point que nostre felicite consiste à beaucoup attirer à nous, que nous n'imaginions point que les richesses soyent perpetuelles: mais que tousiours nous recourions à ce poinct de lui demander nostre pain ordinaire, et auiourd'huy et demain, et pour toute nostre vie. Voila comme nous avons à pratiquer ceste doctrine.

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Or quand Sophar u ainsi parlé, il adiouste, Que quand le meschant sera en grande abondance, il ne laissera oint d'estre en angoisse, et que toute main d'homme travaillant viendra à lui, ou bien toute main d'homme habile pour faire quelque exploict viendra à lui. Ainsi le sens peut estre double. Ce mot qui est ici couché, emporte un homme qui sera prompt à executer. On le peut donc prendre pour un homme qui travaille, et on le peut prendre aussi pour un homme qui est disposé à faire nuisance, à faire quelque iniure et violence: mais tant y a que le sens naturel est tel, que toute main travaillante viendra à ceux qui sont meschans, et toutefois que cela ne leur profitera rien. Voyons quelle est la somme. Sophar veut dire, qu'il ne nous faut point abuser, si nous voyons les meschans estre farcis iusques au bout. que nostre Seigneur entasse les biens en leurs maisons, qu'il semble qu'il leur en vueille donner cent fois autant qu'aux autres, et que tout le monde soit prest à les servir, qu'ils ayent gens à loage, qu'un chacun s'efforce, pour dire, Voulez vous m'employer ? Car quand ils auront toutes mains qui tascheront de les servir pour les faire profiter, si ne laisseront-ils pas d'estre en angoisse. Voici un iugement admirable de Dieu, et d'autant plus nous doit-il estre sensible, c'est à dire, nous en devons estre tant plus touchez. N'est-ce pas une chose contre nature, qu'un homme qui aura dequoy se bien faire, tellement que rien ne lui defaut, et mesmes s'il veut avoir grande suite, qu'il y en aura beaucoup qui s'employeront pour lui, afin qu'il soit en delices et voluptez: que celuy-là neantmoins ne puisse iouir de son bien, qu'il soit tousiours en angoisse, qu'il lui semble que terre lui doive faillir? Voila une chose contre toute raison: neantmoins nous en voyons assez que Dieu persecute ainsi, d'autant qu'ils ont acquis leurs richesses par mauvaises pratiques, et esquels il monstre bien que tout cela ne leur peut rien servir, d'autant qu'il maudit le tout. Voila (di-ie)un iugement de Dieu qui est bien estrange, que si nous demandons comment cela advient, nous n'en trouverons pas le moyen: il faut donc conclure que c'est Dieu qui besongne ainsi. Apres, il nous semble que si nous avons les hommes propices et favorables, et qu'un chacun demande de nous faire service, que tout va bien, et que nous ne pouvons avoir faute. Or il est dit ici, Que quand les meschans auront ainsi gens à leur poste, qu'ils auront comme une armee qui sera preste à travailler pour leur profit: cela ne sera rien, il n'y aura tousiours qu'angoisse. Ici donc Sophar nous a voulu augmenter ce qu'il avoit dit auparavant, il nous a(di-ie) voulu donner une certitude plus grande du iugement de Dieu sur les meschans: et pour ce faire il nous met ici au devant leur abondance, et

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le bon vouloir que les hommes leur portent. Voila les riches qui cependant s'esgayent, et nous semble qu'ils ont tout gaigné, que Dieu n'a plus quasi de puissance pour leur nuire. Voila comme les hommes s'enyvrent en leurs vaines phantasies. Or l'abondance que profitera-elle? Rien qui soit: car nous voyons les meschans estre tousiours en angoisse, combien qu'ils agent dequoy pour s'esgayer, et qu'il ne faille que dire le mot, et la table leur sera apprestee: ils auront des serviteurs à leur poste, ils pourront avoir gens à loage, bref, il semble que le monde soit creé pour eux: et toutes fois ils ne peuvent iouyr d'un morceau de pain à leur aise, comme fera un povre homme qui n'aura pas cinq sols vaillant, et se recommande à Dieu, car un tel travaille, il vit au iour la iournee, il ne sait pas quand il aura disné dequoy il souppera: mais il se remet en Dieu, sachant qu'il est pour le moins comme les oiseaux levans le bec au ciel ausquels Dieu donne pasture. Ainsi (di-ie) les povres gens sont là comme des petis corbeaux, selon qu'il en est parlé au Pseaume (147, 8): et Dieu par sa benediction les nourrit: nous voyons cela.

Ainsi donc apprenons de nous tourner à Dieu, sachans que nous n'aurons point de faute, quand il aura le soin de nous: et que s'il ne nous donne point grande quantité de biens, sa benediction nous suffira. Advisons bien à nous, di-ie, que nous ne soyons point en angoisse si Dieu ne nous fait du bien, comme nous voudrions: et encores qu'il nous traitte maigrement, que nous ne laissions point d'avoir nos coeurs eslargis: bref ayans ceste fiance qu'il ne nous veut iamais deffailir, ne soyons point tormentez outre mesure. Au reste, c'est un signe d'ingratitude aux hommes, quand Dieu se sera monstré liberal envers eux, qu'il leur aura beaucoup eslargi de biens, et cependant qu'ils seront en doute, qu'ils ne cesseront de penser à Ceci et à cela: c'est signe, di-ie, qu'ils n'ont point cognu la grace de Dieu, ou bien en la cognoissant qu'ils ne l'ont point prisee comme ils devoyent. Si donc Dieu nous donne dequoy, apprenons de nous contenter, sachans qu'il nous met sa bonté devant les yeux, afin que nous sachions nous appuyer sur icelle, et y avoir nostre repos. Il y a aussi un autre poinct: assavoir, que combien que nous ayons faute des biens de ce monde, et qu'il nous semble qu'il nous pourroit advenir beaucoup de maux et de calamitez: toutes fois si faut-il que nous resistions à telles solicitudes. Vrai est que nous ne pouvons pas estre du tout sans Souci, et ne le faut pas: mais tant y a qu'il faut moderer nos passions, sur tout que nous cognoissions que c'est d'estre nourris de Dieu, pour lui demander pasture, et pour l'attendre aussi de sa bonté sans nous tormenter

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par trop. Quand les hommes nous seront favorables, cognoissons, Dieu fait cela pour nostre soulagement: mais si ne faut-il point nous arrester aux hommes, car Dieu pourra maudire leur labour, en sorte qu'ils pourroyent se lever matin, et se coucher tard, et toutes fois n'advanceroyent rien. Il ne faut donc sinon que Dieu nous benisse, et quand nous serons destituez de toute aide, sa seule grace nous suffira bien: mais au retours nous pourrions avoir tout le monde de nostre costé, si ce n'est que Dieu ait sa main estendue, il est certain que tout s'en ira au rebours. Voila ce qui nous est monstré par ceste sentence. Si nous la pouvons prattiquer, nous aurons beaucoup profité en toute nostre vie. Mais c'est pitié, que quand chacun aura confessé ces choses, comme nous en somme assez convaincus, si est-ce que nous ne pouvons pas nous y résoudre: et nous monstrons bien par effect, que nous ne croyons point qu'il n'y a que la seule benediction de Dieu qui profite aux hommes, et qui leur donné contentement. Car nous ne pouvons regarder à lui: si quelquesfois il nous exerce, qu'il retire sa main, et qu'il ne nous donne point telle abondance comme nous souhaiterons alors nous ne cognoissons point qu'il soit tout-puissant pour nous secourir, et toutes fois en nous affligeant il nous vouloit appeller là, comme s'il nous donnoit un coup d'esperon pour nous soliciter à le requerir, et lui demander qu'il ait pitié de nous. Or il nous semble que nous n'aurons point assez de nourriture, sinon que nous ayons abondance en main: et ne regardons pas que quand il plaira à Dieu de nous traitter maigrement, sa seule benediction nous suffira plus que toute l'abondance du monde.

Or passons plus outre. Il est dit, Que quand le meschant remplira son ventre, Dieu envoyera la frayeur de son ire, et pleuvra sur sa viande. C'est une confirmation de ce que nous avons dit n'agueres. Il est vrai que Sophar passe encores plus outre: car il avoit dit, Que les meschans seront en angoisse, combien qu'ils soyent fournis et prouveus iusques au bout, et qu'ils ne laisseront pas d'estre tousiours empeschez, d'autant que Dieu ne leur donnera point de contentement, mais plustost qu'il leur donnera des aiguillons, et pointures cachees, en sorte qu'il faudra qu'ils se tormentent tousiours: et mesmes qu'encores que les hommes s'efforcent de les servir, cela n'advancera rien. Sophar a-il ainsi parlé? Il adiouste, Qu'il se pourra bien faire que les meschans ne sentiront pas du premier coup la malediction de Dieu, et qu'ils se baigneront en leur fortune (comme on dit), mesmes ils s'y glorifieront. Bref, voila les meschans qui sont tellement à leur aise, voire en apparence, qu'il semble qu'ils ne sentent point l'ire de Dieu: mais voici Dieu (dit Sophar)

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qui en une minute de temps fera pleuvoir sur leur viande. Et comment? La fureur de son ire. Nous voyons ce que i'ay touché, c'est assavoir, qu'ici i! y a un degré plus haut que ce que nous avons exposé ci dessus. Car ceste angoisse dont il a este fait mention, et l'inquietude, et le torment qu'ont les meschans, c'est pource qu'ils se defient tousiours: car ils ne regardent point à Dieu, et en ce monde il n'y a rien de certain, ils sont là donc en grands tormens. Or toutes fois il est dit, Qu'ils pourront estre à leur aise pour quelque temps, qu'ils seront esblouis, qu'il leur semblera qu'ils seront heureux en tout et par tout. Et bien, est-ce que la benediction de Dieu soit sur eux pourtant? Nenni. Comment donc? Dieu permettra que les meschans s'esgayent ainsi de plus en plus, et quand ils mettent ainsi leur confiance en leurs richesses, ils ne font que provoquer Dieu d'avantage: car ils ne cognoissent pas celui dont le bien procede, et prenent occasion de là de se desborder tant plus. Voila donc les meschans qui s'abrutissent quand ils n'ont pas ceste inquietude qui les picque, mais qu'ils sont en repos, qu'ils se contentent, cuidans que tout va bien pour eux. Or d'autant plus faudra-il que la vengeance de Dieu s'augmente. Pourquoy? Pource qu'ils auront mal acquis leurs biens, qu'ils les auront eu par fraudes et par rapines, qu'ils les auront mal dispensez, d'autant qu'ils n'en auront point subvenu à ceux qui en avoyent faute, mais auront esté des gouffres. D'avantage, il y aura encores ceste ingratitude contre Dieu, et cest orgueil, qu'il semble qu'ils veulent despiter celui auquel ils sont tant obligez comme s'ils ne tenoyent rien de lui: qu'ils presument de leurs richesses: et puis ils font leur paradis en ce monde, ils s'enorgueillissent, ils se font des cornes pour venir hurter contre Dieu. Voila (di-ie) un comble de toute iniquité, qui est cause que la vengeance de Dieu est plus horrible sur leurs testes. Et c'est ce que Sophar dit maintenant Mes amis, encores qu'on voye les meschans estre du tout enyvrez en leurs biens, et qu'ils cuident que nul mal ne leur peut advenir, n'estimons point que leur condition soit meilleure pour cela: Et pourquoy? Car quand il ne sera question que de s'esgayer, que tout le monde leur favorisera, Dieu envoyera le feu de son ire, lequel tombera sur eux comme un orage, et une pluye qui vient soudain. Quand on sera en temps d'esté, il ne faudra qu'un vent qui souffle, et voila un orage qui vient sans qu'on y ait pensé: ainsi aussi l'ire de Dieu sera soudaine, quand il voudra punir les hommes.

Ainsi voila pourquoy il ne nous reste sinon de nous cacher sous l'ombre de la bonté de Dieu. Car alors nous serons en seureté soit qu'il nous donne abondance, soit qu'il nous traitte maigrement: quand

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nous serons sous sa main et protection, un morceau de pain nous servira alors comme Manne du ciel pour bonne nourriture: s'il y a abondance, nous sentirons que Dieu en cela se declare Pere envers nous, et qu'il nous traitte comme ses enfans. En toutes sortes donc les fideles appliqueront à leur profit ce que Dieu leur envoyera: mais les meschans auront beau avoir dequoy se crever, si faudra-il que Dieu les ruine, et que le bien leur soit converti en mal. Nous voyons mesmes comme il en est advenu au peuple d'Israel. Il ne se contente point de la Manne du ciel, ce lui est une chose trop fade mais ils ont leurs appetis des viandes qu'ils avoyent mangé en Egypte. Et bien, Dieu envoye de la viande en telle quantité, que le peuple en regorge Mais quoy? La viande est encores en leur gosier (comme il est dit au Pseaume 78, 30) que l'ire de Dieu est venue sur eux. Voila donc comme Dieu surprend soudain, et en une minute de temps ceux qui ne cuident plus estre subiets à lui. Ainsi donc apprenons quand nostre Seigneur nous aura donné du bien, de ne nous point envelopper là, que nous ne facions point un sepulchre de ce qui nous doit estre une eschelle pour monter en haut: comme les incredules qui ne tendent point à Dieu, quand ils auront des biens, ils s'enveloppent là dedans: ils en font donc un sepulchre pour s'attacher en terre. Or au contraire nous devons nous servir des biens que Dieu nous fait en ce monde comme d'une eschelle pour monter en haut, afin que nous soyons conduits à lui, et qu'en cognoissant sa bonté et son amour paternelle, nous appliquions tous ses benefices à tel usage que son intention est. Que faut. il donc? Si nous avons dequoy boire et manger, que nous ayons neantmoins les yeux eslevez en haut, demanda s à Dieu qu'il nous nourrisse, car il nous faut estre tout persuadez, que ce n'est point la viande, de laquelle nous tirons substance, c'est la vertu seule de Dieu de laquelle nous sommes maintenus. Et puis la viande pourra perir, encores qu'elle soit à nostre bouche, ou elle sera convertie en fiel et en venin dedans nostre ventre. Mais sommes-nous pleinement rassasiez? Remercions Dieu de ce qu'il a le soin de nous, et qu'il nous continue sa grace, et que par ce moyen nous soyons tant plus incitez à le servir. Voila donc ce que nous avons à noter de ceste sentence.

Or Sophar adiouste, Que quand le meschant fuira les armes de fer, il rencontrera un arc d'acier En quoy il signifie, que Dieu a beaucoup de moyens pour persecuter et punir les meschans, en sorte qu'ils ne pourront point eschapper de sa main, quoy qu'ils essayent et attentent. Vrai est que les meschans s'enquierent tousiours comme ils pourront fuyr le mal, et pour ce faire ils auront une audace pour tout mespriser, et Sophar aussi a bien voulu

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declarer leur presomption, quand il dit que le meschant fuira les armes de fer: comme s'il disoit, Il est vrai que les meschans sont assez advisez et prudens (comme il semble) pour fuyr tout mal: et quand ils prevoiront quelque inconvenient, ô il y faut remedier, il faut que i'y donne tel ordre. Les meschans donc ne seront pas tant endormis, qu'ils ne regardent de tousiours donner ordre à leurs affaires Mais quoy? Quand ils y voudront donner ordre, se retourneront-ils à Dieu? Auront-ils là leur refuge, afin d'avoir conseil de son sainct Esprit, afin qu'il donne bonne issue à tout ce qu'ils auront entreprins? Nenni: mais il n'y aura que fierté et arrogance, qu'il leur semble qu'ils trouveront bien en leur cerveau de bons moyens et bien propres, et puis ils ne cognoissent pas que c'est à Dieu de tout guider, et d'amener leurs affaires à leur fin et à but: les meschans n'attribueront point cest honneur-là à Dieu. Ainsi donc ils consultent, ils deliberent (comme dit le Prophete Isaie 8, 10) ils font leurs discours, ils concluent, et leur semble qu'ils pourront tout exploiter, et amener à leur fin, comme ils l'ont pensé: mais Dieu monstre que tout viendra au rebours de leur entreprise, d'autant qu'ils ont este ainsi transportez en leurs vaines phantasies. Notons bien donc, que si les meschans ont de l'astuce beaucoup, et qu'il semble aussi qu'il leur sera aisé et facile de trouver des eschappatoires, et qu'ils prouvoyent assez à leurs affaires: Dieu toutes fois les trouvera on la fin, et ils ne pourront point eschapper de ses filets. Voila en somme ce qui nous est ici monstre. Et pourquoy? Car Dieu a divers moyens de persecuter ses ennemis: ce n'est pas comme un prince terrien, quand il aura fait un grand appareil, si cela ne vient point à profit, il sera frustré de son attente, c'est à recommencer: mais sans que Dieu se remue, sans qu'il machine rien, il ne faudra sinon qu'il dise le mot, et il en executera plus que toutes les armees du monde. Nous voyons comme il a combatu quelquefois ses ennemis. A-il suscité de grosses armees quand il a chastié Pharao, et tous les Egyptiens? Nenni: mais il lui a envoyé des vermines, et des ordures. Voila comme Dieu besongne quand il lui plaist.

Et au reste, s'il permet que les meschans eschappent de quelque mal, ce n'est pas que par leur industrie ils ayent surmonté la main de Dieu qui leur estoit contraire: mais nostre Seigneur permet cela, afin que leur condamnation s'augmente tant plus, et qu'ils s'opiniastrent: comme aussi nous voyons qu'il en advient. Car quand les meschans n'auront point esté du tout accablez de quelque mal, ils ne font que secourre l'aureille, et les voila quittes, ce leur semble: et là dessus ils se donnent plus grande licence à l'advenir. Dieu donc quelquesfois

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envoyera seulement quelque petit mal aux iniques, et cependant ils ne les poursuivra pas d'une trop grande rigueur: mais les laissera comme s'ils estoyent eschappez du tout. Mais quoy? C'est pour redoubler puis apres: car d'autant qu'ils se mocquent de la patience de Dieu, et qu'ils provoquent son ire de plus en plus, il faut aussi qu'il desploye sa rudesse, et qu'il foudroye sur eux: au lieu qu'il ne leur avoit donné qu'un coup de verge, il faudra qu'il desgaine l'espee, et que l'arc soit tiré contre eux. Et ainsi apprenons de bien premediter ceci, afin que si nostre Seigneur nous visite, nous ne pensions point eviter le mal par nos subterfuges: mais plu tost apprenons de nous recommander à lui, afin qu'il lui plaise nous recevoir à merci, au lieu que nous estions dignes qu'il nous persecutast comme ses ennemis mortels. Et voila pourquoy ces menaces sont tant reiterees en l'Escriture saincte: car ce n'est pas seulement ici qu'il est dit, Que le meschant fuira les armes de fer, et que l'arc d'acier Ie rencontrera: mais nous voyons comme nostre Seigneur en parle luy-mesme par son Prophete ( nos 5, 19), Tu auras beau te cacher en ta maison: si tu sors aux champs, tu rencontreras les bestes sauvages: quand tu seras eschappé de la gueule du lion, il y aura l'ours qui te trouvera bien. Par cela nostre Seigneur monstre, qu'il a toutes creatures en sa main, qu'il s'en peut servir pour persecuter les hommes, qu'il ne faut point faire nostre conte que iamais nous puissions estre delivrez, iusques à tant que nous ayons trouvé grace envers lui, et qu'il ait eu pitié de nous. Voila donc le seul moyen d'estre à seureté, c'est assavoir, quand Dieu nous aura receus à soy: mais quand nous fuirons loin de lui, il a les mains trop longues: et quand il aura desgainé son glaive, ce n'est pas à dire qu'il n'ait un arc, c'est à dire, qu'il a tant d'especes de chastiemens et de punitions, qu'il faudra en la fin que nous tombions mal-heureusement, iusques à ce que nous ayons esté reconciliez avec lui, comme nous l'avons desia declaré. Or tout ainsi que Dieu menace et d'espees, et d'arc, et des bestes sauvages, et des scorpions, ceux qui s'eslevent contre lui, et qui s'endurcissent fierement contre sa main: aussi au contraire il monstre, qu'il a des moyens infinis pour sauver ceux qui ont leur recours à sa bonté, et qui y mettent leur confiance. Il est vrai que nous serons environnez de beaucoup de maux, il y aura beaucoup de morts qui nous seront apprestees: mais Dieu aussi a diverses façons pour nous secourir, voire qui nous sont incomprehensibles. Pourtant quand nous serons despourveus de tous moyens, qu'il nous semblera que nous soyons perdus, cognoissons, Et bien, Dieu a quelque issue de mort qui lui est cognue, et elle nous est cachee, d'autant

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qu'il veut exercer nostre foy: attendons qu'il nous manifeste sa bonté, et quand il lui plaira de faire reluire sa face sur nous, alors nous cognoistrons qu'au milieu de la mort nous sommes en la vie Voila donc comme les menaces que Dieu fait aux meschants, nous doivent soliciter de recourir à lui: et cependant nous aurons pleine matiere de nous resiouyr, et d'estre en repos, combien que nous soyons entre beaucoup de dangers, et que quand nous serons sortis de l'un, l'autre nous soit prochain, et qu'il nous semble que iamais nous n'en pourrons estre delivrez. Car tout ainsi que Dieu a beaucoup de glaives pour punir les meschans, aussi a-il des delivrances infinies pour secourir à ses fideles. Voila en somme ce que nous avons a retenir de ce verset.

Or il dit pour la fin, Que le glaive sera desgainé, et qu'il le percera par son fiel, et que les frayeurs seront sur lui. Quand il dit que le glaive sera desgainé, et qu'il percera le meschant tout au travers de son fiel, c'est à dire, que ce sera une pluye mortelle qui le navrera au coeur: cela est pour nous signifier que les punitions de Dieu seront quelquefois soudaines. Il est vrai que ceci n'est point perpetuel, pourtant il n'en faut point faire une regle generale. Et aussi (comme nous avons remonstré) il n'est pas question que Dieu accomplisse si tost ses iugemens: mais si est-ce qu'en ceste vie il nous en donne quelque monstre, afin que nous soyons tant plus attentifs à ce dernier iour, où toutes choses seront remises en estat et perfection. Tant y a (comme i'ay dit) que les iugemens de Dieu seront quelquesfois soudains: et c'est ce que Sophar a voulu exprimer, en disant, Le glaive est desgainé, et le transpercera iusques au fiel: comme s'il disoit, Le meschant n'apercevra point de loin que Dieu le vueille punir: il ira donc son train, comme s'il estoit en seureté: mais l'espee ne sera pas si tost tiree du fourreau, qu'elle l'aura percé au travers du corps. Nous voyons donc maintenant quel est le sens de ce passage. Or par cela nous sommes admonnestez de prevoir les dangers de longue main, afin de recourir à Dieu, et le prier qu'il nous ait en sa garde. Et ce n'est point ici seulement que les iugemens de Dieu soudains nous sont monstrez: mais il est dit (1. Thes. 6, 3), que quand les meschans diront, Paix et asseurance, l'ire de Dieu tombera sur leur teste comme une foudre. Par cela nous sommes admonnestez (comme i'ay dit) de prevoir de loin les maux qui nous pourroient advenir, et ausquels nostre vie est subiette. Et pourquoy ?

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Sera-ce pour despiter nostre vie, pour dire que nous sommes miserables, et qu'il vaudroit mieux que Dieu ne nous eust point mis au monde? Nenni: mais c'est afin que nous apprenions de ne nous point endormir en ce monde, de recourir à Dieu, et nous asseurer que quand nous serons soustenus par la vertu de nostre Dieu, nous pourrons despiter et Satan et tout le monde, voire la mort mesme. Et pourquoy? Pource que nous aurons Dieu pour nostre protecteur et garant. Et ainsi notons bien que si les meschans n'appercoivent point leur mal, c'est pour les ruiner tant plustost: et pource qu'il ne leur souvient point d'invoquer Dieu, ains au contraire, qu'il leur semble qu'ils n'ont point besoin de son aide, il faut que la ruine tombe sur eux devant qu'ils y ayent pensé. Et au reste, il est dit quant et quant, Que les frayeurs ne laisseront point d'y estre. Voila donc double mal qu'auront les meschans, c'est que l'espee si tost qu'elle sera tiree du fourreau, les transpercera: et apres cela, Dieu ne les laissera point encores à repos, et combien que le mal soit passé, ils trembleront. Et pourquoy? A la fueille d'un arbre, ainsi qu'il en est parlé, et sans que nul les persecute, ils penseront que la mort les ait desia accablez. Ainsi nous voyons à quoy a pretendu le Sainct Esprit. En premier lieu i nous a voulu monstrer que nous ne devons point porter envie aux meschans quand ils seront bien munis, et qu'il ne semblera point que nul mal puisse approcher d'eux. Et pourquoy ? Car Dieu en un moment les percera, voire d'une pluye mortelle, de laquelle ils ne pourront iamais estre gueris. Voila pour un Item. Et au reste quand nous verrons les meschans estre en frayeur, cognoissons qu'il n'y a qu'un seul moyen pour estre en repos, c'est quand nous savons que Dieu nous a prins en sa protection. Que cela donc nous suffise: car encores qu'il nous faille cheminer en crainte devant lui, si est-ce que nous serons tousiours asseurez en sa bonté, au lieu que les meschans et les contempteurs de sa maiesté seront tousiours en frayeur, tellement qu'ils n'auront iamais repos. Apprenons donc de nous retirer en toute humilité à nostre Dieu, et de vivre avec nos prochains sans faire extorsion à nul, afin qu'il ne nous soit rendu en pareille mesure. Et quand nous y procederons ainsi, il est certain que Dieu nous fera sentir sa bonté, et nous delivrera de tous dangers, et de toutes les frayeurs et espouvantemens qui nous pourront advenir.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon )ieu, etc.

SERMON LXXVII

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LE SEPTANTESEPTIEME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE XX. CHAPITRE.

26. Toutes tenebres seront mussees en ses lieux cachez: le feu qui n'est point soufflé le consumera: mal-heur sera au residu de sa maison. 27. Les cieux reveleront son iniquité, et la terre se levera contre lui. 28. Le germe s'en ira de sa maison comme eau coulante, au iour de son ire. 29. C'est la portion du meschant de par Dieu, c'est l'heritage qu'il aura de Dieu à cause de ses propos.

Nous vismes hier comme les contempteurs de Dieu sont effrayez sans avoir nul reconfort. Vray est que les fideles pourront bien avoir des espouvantemens et des craintes: mais Dieu les console, et quand ils auront leur refuge à lui, ils s'asseurent qu'il les secourra. Quant aux meschans, selon qu'ils ont tout mesprisé, et qu'il y a eu un orgueil tel en eux, qu'il leur sembloit qu'ils ne fussent suiets à nul mal, Dieu les espouvantera en telle sorte qu'il n'y aura nul remede à leur frayeur. Et ainsi apprenons d'estre craintifs pour cheminer selon Dieu: apprenons de nous soliciter, pour ne point estre asseurez comme des meurtriers, et nous sentirons qu'au milieu de tous nos espouvantemens Dieu nous asseurera. Voila donc le seul remede pour n'estre point effrayez outre mesure: c'est que nous cheminions en solicitude, et cognoissans les infirmitez qui sont en nous, les dangers dont nous sommes environnez de tous costez, que nous prions Dieu, qu'il lui plaise de nous tenir la main: que nous-nous desfions de nous-mesmes, apprenans de nous reposer en lui seul. Quand donc nous aurons une telle crainte, Dieu nous resiouyra au besoin, et nous serons asseurez en lui: mais Si nous voulons faire des hardis et des orguoilleux, il faudra que Dieu nous rende confus, et que nous concevions des espouvantemens tels, que desia nous soyons comme en enfer en ce monde.

Or maintenant pour mieux exprimer que les meschans ne trouveront nul moyen de s'asseurer, Sophar adiouste: Qu'en tous leurs lieux cachez, vostre secrets , y aura des tenebres mussees. De primeface il sembleroit qu'il n'y eust pas grand propos en ceste sentence: mais quand elle sera bien entendue, on verra qu'il y a une bonne confirmation de ce qui avoit este dit n'agueres, car ici par les lieux cachez, sont entendues les retraites qu'ont les meschans quand Dieu les persecute: comme ils auront tousiours quelques cachettes pour se tenir là. Nous voyons qu'un meschant aura tousiours

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quelque arriere boutique, qu'il fera du renard, et se fera, par maniere de dire, une caverne, afin de n'estre point surprins: et encores qu'il cognoisse bien que Dieu entre par tout, si se fera-il à croire qu'il y a quelque petit trou auquel il se mussera, tellement que la main de Dieu ne pourra parvenir iusques là.

Or Sophar dit, Que là il y aura des tenebres, c'est à dire, Que combien que les meschans ayent tasché de se retirer en secret, toutes fois quand Dieu les poursuivra, ils auront un effroy là dedans, tellement que sans que nul les poursuive ils trembleront. Bref, il signifie, que quand les contempteurs de Dieu seront loin des coups, alors ils mespriseront toutes menaces, qu'il leur semble que nul mal ne peut approcher d'eux: mais quand ce viendra à l'extremité, qu'ils auront beau se cacher: car sans que Dieu y mette la main, sans qu'il monstre nul signe evident qu'il leur soit contraire, ils auront des tenebres, c'est à dire, ils auront des troubles sur eux. Or ceci nous apprend de ne point cercher des subterfuges obliques pour eschapper de la main de Dieu. Cognoissons donc toutes fois et quantes que Dieu nous adiourne à soy, qu'il faut venir à conte: et pourtant que nous n'imaginions rien de finesse pour en eschapper: mesmes combien qu'il nous semble que le monde nous promette beaucoup de retraites, sachons que tout cela n'est rien. Venons donc franchement à Dieu, presentons-nous devant sa maiesté, le prians qu'il nous reçoive à merci: et quand sa face reluira sur nous, nous serons delivrez et affranchis de toutes tenebres: quand mesmes ce monde seroit confus en beaucoup d'abysmes, si est-ce que nous pourrons tousiours nous asseurer estans en la garde de nostre Dieu. Autrement, quand nous aurions toutes les cachettes du monde, tant s'en faut que cela nous profite, que nous y trouverons plus d'estonnement, que si nous estions descouverts de tous costez, et que nous peussions prevoir le mal qui est sur nous. Et toutes fois les hommes ne se peuvent tenir d'avoir tousiours leurs lieux cachez, comme on le voit. Au contraire, à quoy est-ce que Dieu pretend, quand il nous envoye sa parole? Il vent qu'elle nous soit comme une lampe, voire mesme comme un soleil: qu'un chacun examine ce qui est en soy: que les pechez qui nous estoyent incogous auparavant, nous soyent manifestez, afin qu'un chacun s'y desplaise: et puis, que de loin nous

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appercevions les chastimens que nous avons merité, que nous ne soyons point surprins comme les infideles qui se promettent paix et asseurance: mais que nous descouvrions les iugemens de Dieu, que nous soyons comme en une haute tour au guet, ainsi qu'il en est parlé au Prophete :Habacuc (2, 1), et que nous prevenions le mal qui nous pourroit advenir, que nous le prevenions, di-ie, voire par prieres et oraisons, et par repentance. Voila donc à quoy Dieu pretend quand il nous esclaire par son Evangile. Or nous tirons tout au rebours: car nous esteignons tant qu'il nous est possible ceste clarté-là: et d'autant que nous sommes malins, nous voudrions que ce qui est caché en nous, ne vinst point en avant: bref, nous demandons. tousiours qu'on nous flatte, et aussi nous sommes bien aises de nous abuser en telles flatteries. Et que fera Dieu quand sa parole n'aura rien profité envers nous? Cessera-il? Nenni: mais il accomplit ce qu'il declare par son Prophete Sophonie (1, 12), c'est assavoir, Qu'il entre avec la lanterne iusques aux caves les plus profondes. Car voila ce qu'il dit de la ville de Ierusalem, le te visiterai avec la lanterne: tu as mussé tes thresors en des lieux secrets, mais tu n'y gaigneras rien: car il faudra que tu sois esvantee. Ainsi souffrons que Dieu nous esclaire par sa parole, et alors ne cerchons point de subterfuges: et quand nous serons ainsi venus franchement devant lui, il est certain que nous serons cachez sous son pavillon (comme l'Escriture en parle) qu'il ne nous donnera point une maison, ou une chambre pour nous retirer, mais lui-mesme nous sera une forteresse invincible: bref, nous aurons l'ombre de ses ailes pour bonne seureté. A l'opposite nous sentirons ce qui est ici dit, c'est assavoir, que ceux qui se veulent cacher, et mesmes qui fouissent des lieux profonds (ainsi qu'il est dit au passage du Prophete Isaie 29, 15) maugré leurs dents seront trouvez de Dieu: et quand il n'y auroit que leur conscience qui les persecutast, si est-ce qu'ils sentiront qu'ils n'ont rien gaigné, cuidans eschapper la main de Dieu. Voila ce que nous avons à noter de ce passage.

Or il est dit consequemment, Que le feu qui n'est point soufflé, les consumera. Ici Sophar menace les contempteurs de Dieu, et tous meschans, que sans qu'il leur vienne nul mal du costé des creatures, ils ne laisseront pas à' estre consumez par l'ire de Dieu. Il ne faudra point, dit-il, de feu artificiel: car l'ire de Dieu suffira bien pour aneantir tous ceux qui ne voudront point de leur bon gré s'assubiettir à lui. Ceste similitude est assez commune par toute l'Escriture saincte, c'est assavoir, que Dieu est comme un feu consumant, et que les hommes sont comme paille pour estre bien tost consumez, on bien qu'ils sont comme neige qui

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decoule tantost. Or il est dit notamment, que l'ire de Dieu est un feu, non point pour faire couler les neiges, ou pour brusler la paille: mais pour faire fendre les montagnes et les rochers, pour faire trembler tout le monde, tellement qu'il n'y ait ne ciel ne terre qui ne soyent esbranlez, si tost que Dieu donne quelque signe de son courroux. Et que feront donc les povres creatures qui sont si fragiles? s'il n'y a rien en nous que paille, que pourrons-nous devenir, quand Dieu aura allumé ce feu qui consume tout? Nous voyons maintenant quelle est l'intention de Sophar. Or le saint Esprit parle par sa bouche' et nous monstre qu'il ne nous faut point confier en la faveur du monde: et quand toutes choses nous viendront à souhait, que nous ne serons point eschappez pourtant de la main de Dieu. Et pourquoy? Car quand Dieu voudra (comme il adiouste puis apres) il n'y aura ne ciel ne terre qui ne se leve pour executer sa vengeance. Vray est que pour monstrer aussi son pouvoir, et sa vertu incomprehensible, il permettra bien quelquesfois que les creatures nous seront favorables, que mesmes nos desirs soyent accomplis, que rien ne nous vienne au rebours: et quand nous serons ainsi à nostre aise, il ne faudra sinon que Dieu se declare nostre ennemi, sans qu'il se serve des hommes sans qu'il employe nulle creature, ce seul feu de son ire sera suffisant pour nous consumer. Car combien que quelquesfois l'Escriture saincte, pour nous faire mieux: sentir combien l'ire de Dieu nous doit estre terrible, dira bien, qu'il y a soulfre parmi, ou foudre: toutes fois elle adiouste aussi bien, que cela ne vient point de main d'homme, ne d'artifice aucun, ou moyen in rieur, mais que Dieu seul besongne: comme il en est parlé au 30. chap. d'Isaie (v. 33) Que la gehenne est apprestee desia de long temps aux meschans et ennemis de Dieu. Et quand il est fait mention de feu et de soulfre, il est dit, voire c'est l'Esprit de Dieu qui souffle dedans. C'est autant comme en dit ici Sophar, qu'il ne faudra point de soufflets d'ailleurs, il ne faudra point qu'on aide à allumer ce feu ici. Et pourquoy? D'autant que la vertu qui procede de la bouche de Dieu, quand il se declare contraire aux meschans, est pour les consumer du tout. Maintenant donc apprenons de nous renger tellement a nostre Dieu, que nous ne sentions point l'execution de ceste sentence sur nous: car alors il sera trop tard de crier helas, quand Dieu aura allumé ce feu qui ne se peut esteindre.

Or il est dit, que la parole de Dieu nous doit estre comme un feu ardent, voire non point pour nous consumer, mais afin de purger toutes les ordures et superfluitez qui sont en nous. Car comme l'or et l'argent en passant par la fournaise seront

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espurez, afin qu'ils servent et soyent appliquez en usage: ainsi nostre Seigneur par sa parole nous veut purger de nos mauvaises cupiditez qui sont choses non seulement superflues, mais aussi nuisibles, afin de nous dedier puis apres à son service: il faut que cela se face devant tout. Quand donc Dieu nous veut enflammer en son amour, afin que nous soyons du tout ravis à lui, cela se doit faire par le moyen de sa parole: mais si nous ne le pouvons souffrir, il faut que nous soyons comme de la paille, ou des estouppes, ainsi qu'il en est parlé au Prophete (Iere. 5, 14), Ma parole ne sera-elle point comme un feu consumant, comme un marteau qui brise les pierres, et ce peuple ici ne sera-il pas comme paille? Voila donc comme nous ne pouvons aneantir cest office que Dieu a donné à sa parole, d'estre un feu: elle sera tousiours telle. Or de nostre costé si nous sommes attentifs de nous offrir à Dieu, il nous purgera de nos ordures, nous serons reformez a sa iustice, nous serons enflammez en son amour: mais au contraire, si nous voulons faire des revesches, et que nous reiettions la parole de Dieu par malice et rebellion, soyons certains qu'il faudra, maugré nos dents, et en despit que nous en ayons, qu'elle nous brusle, voire d'autant que nous ne serons que chaume, paille et estouppe, qui est incontinent consumee. Et mesmes quand Dieu nous aura fait sentir nostre condamnation par sa parole, il faudra aussi qu'il y mette la main, et que par effect nous cognoissions que ce n'est point en vain qu'il a prononcé, que le feu consumera les meschans, voire sans qu'on y souffle, sans qu'on l'allume, ne que les hommes y mettent la main, ne qu'il y ait aide aucune du costé des creatures. En somme, apprenons de craindre l'ire de Dieu, et ne nous endormons point quand nous verrons que les choses nous viendront à souhait en ce monde: car cela ne nous pourra servir de rien, quand nostre iniquité sera mise devant Dieu, et qu'il faudra qu'il se declare nostre Iuge. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il est dit quant et quant, Que tout le residu e sa maison ira à mal, ou qu'il n'y aura que malheurté sur le residu de sa maison. Tout ainsi que nostre Seigneur declare sa bonté envers les siens, d'autant qu'il benit et leur mesnage et leurs enfans, et tout ce qui les attouche: aussi à l'opposite il monstre combien son ire est espouvantable, pource qu'elle s'estend sur tout ce qui est prochain aux iniques, comme nous voyons le monde estre pollué on general de nous. Car qui est cause qu'il n'y a ne ciel, ne terre, ne mesme coin au monde, là où l'ire de Dieu n'apparoisse, et sa malediction sur toutes creatures? Ne sont-ce pas nos pechez? Nous savons qu'il est dit, Qu'il n'y a point un seul

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homme sur terre qui face bien, et que nous sommes tous comprins en ceste condamnation generale du peché qui est universel en tous. Or d'autant que Dieu hait de sa nature le peché, il faut que nous lui soyons en detestation. Ainsi donc pource que toutes creatures sont comme maudites à cause que nous sommes souillez et pollus, il faut que et haut et bas elles se sentent de ceste pollution. j Ainsi en est-il en particulier des meschans: car quand un homme sera adonné à tonte iniquité qu'il sera un contempteur de Dieu, se desbordant en tout mal, tout ce qu'il attouche est comme contamine de la pollution qui est en lui: non pas seulement pource qu'un homme meschant corrompt et pervertit ceux qui conversent en sa compagnie, qu'il instruira mal ses enfans, qu'il desbauchera sa femme: mais voila aussi bien la malediction de Dieu qui est secrete sur sa teste, pour s'espancher sur ses enfans, et sur toute sa famille, sur son bestail, et sur tout le reste. Ainsi nous voyons en somme, quand il est ici parlé du residu de la maison des meschans, que c'est pour nous monstrer, que quand nostre Seigneur est contraire aux hommes, il y a bien matiere d'estre estonnez. Et pourquoi ? Car quand en leurs personnes ils seront, abysmez et destruits, il faudra que la vengeance de Dieu s'estende encores plus loin. Or ceci est dit, afin que nous ne portions point d'envie à la felicité des meschans, quand nous les verrons prosperer, sachans l'issue qui les attend telle comme nous l'oyons ici. Quand donc les fideles apprehenderont combien l'ire de Dieu est terrible, il faut qu'ils en soyent tellement touchez, qu'ils n'estiment plus les meschans estre heureux en leur prosperité si caduque: car ils trainent tousieurs leurs liens, iusques à ce qu'ils viennent à leur perdition extreme. Ainsi concluons, qu'il nous vaut mieux d'estre miserables en apparence (moyennant que Dieu nous soit propice) que d'avoir tout ce qui sera souhaité des hommes, et cependant que Dieu nous soit contraire. Voila ce que nous avons a, observer de ce passage.

Or quand Sophar a ainsi parlé, il adiouste, Que les cieux reveleront son iniquité, et que la terre s'eslevera contre lui. Il avoit dit ci dessus, Le feu consumera les meschans sans qu'on y souffle, c'est à dire, que Dieu sans se servir des creatures, sera pour aneantir du tout ceux qui se seront eslevez contre lui. Mais ici il nous signifie une autre espece de punition: c'est assavoir, que Dieu armera ses creatures pour executer sa vengeance contre les meschans. Voila donc comme Dieu besongne en diverses sortes, quand il veut punir les contempteurs de sa maiesté. Quelquesfois (comme nous avons dit) il permettra que tout aille bien pour eux en apparence, et qu'ils ne se doutent ne de

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fient de rien, et qui plus est, qu'ils s'esgayent et se baignent en leur bonne fortune: mais quand ils se seront ainsi enyvrez en leur prosperite, voila Dieu qui les accablera soudain: voire non point d'un feu artificiel, mais de sa vertu secrete et incomprehensible. Cependant toutes fois ce n'est pas à dire que nostre Seigneur n'ait ses creatures en sa main pour les armer contre nous, tellement qu'elles seront autant de glaives, autant d'ares, autant de flesches, autant d'autres armures que Dieu suscitera pour nostre ruine. Or notamment ceci est dit à cause que les meschans, quand ils sont enflez en leur presomption, pensent bien par leur durté gaigner leur cause: comme on voit ces effrontez, quand on les argue de leurs pechez, voire qui sont tant notoires, que les petis enfans en pourroyent estre iuges, si est-ce qu'encores ont-ils un front d'airain: car sinon qu'ils soyent trentefois convaincus, iamais on n'en viendra à bout. Et bien, comment est-ce que Dieu en la fin les fait venir à raison? C'est que les cieux seront armez contre eux, c'est à dire, que Dieu par tous moyens descouvre leur turpitude. Car quand ils auront usé d'une telle impudence, et qu'ils se seront mocquez de toutes admonitions qu'on leur aura faites, qu'ils auront mesmes fait le nicquet contre les menaces de Dieu, il faut qu'ils soyent tellement persecutez, voire sans que les hommes y mettent la main, que quand Dieu seul les poursuivra, ils ne sachent que devenir, sinon de ronger leur frein pour despiter Dieu. Mais leur furie est-elle passee? Si faudra-il quand les meschans auront abusé par trop de la patience de Dieu, qu'ils soyent exterminez avec leur impudence et obstination. Voila donc en comme ce que Sophar a voulu dire.

Or que faut-il que nous facions? Il est vray que bien souvent nous serons diffamez à tort, que nous serons opprimez de fausses calomnies: mais nous pouvons recommander nostre cause à Dieu, et il fera reluire nostre integrité comme l'aube du iour, ainsi que l'Escriture en parle: tellement que quand la nuict sera passee, qu'il S aura eu quelque tourbillon obscur, qui aura empesché que nostre innocence ne soit cognue, nostre Dieu à la parfin se monstrera nostre garant, et il maintiendra nostre cause en despit des malins, et de tous leurs mensonges: mais au contraire quand nous voudrons faire des fins, et que nous cuiderons eschapper par nos ruses et hypocrisies, attendons ce qui est ici dit, c'est assavoir, que les cieux descouvriront nostre iniquité, qu'il faudra qu'en despit de nos dents nous venions au soleil, et que nous soyons descouvers comme en plein midi. Nous aurons esté en cachettes: et bien, Dieu aura permis que nous ayons esté là pour quelque peu de temps: mais il nous saura bien arracher du plus profond des fosses

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que nous aurons cerchees, et monstrera nostre turpitude: il faudra maugréé nous que nous ayons honte d'avoir dissimulé nos pechez lesquels se dresseront alors contre nous, voire avec tontes creatures, combien que pour un temps il ait semblé qu'il n'y eust eu ne ciel ne terre qui ne nous favorisast. Car quand nous aurons Dieu ennemi il faudra que toutes creatures monstrent qu'elles lui sont suiet es. Vray est que cela ne se fera pas tousiours, ne si tost (comme nous avons declaré par ci devant, que les iugemens de Dieu s'executent en diverses sortes:) mais tant y a qu'il faut que nous ayons tousiours ce mot devant les yeux, c'est assavoir, que les cieux descouvriront l'iniquité des contempteurs de Dieu, et que la terre s'eslevera contre eux: afin que nous apprenions de reveler nos iniquitez à Dieu, comme l'Escriture nous exhorte de ce faire. Que donc nous venions de nostre franc vouloir confesser nos dettes, que nous cognoissions que nous sommes coulpables devant Dieu. Avons-nous ainsi revelé nostre iniquité? Dieu la couvre, il l'ensevelit, il la met au profond de la mer, tellement que iamais elle ne viendra en memoire. Apres, avons-nous monstré et au ciel et en la terre que nous ne demandons sinon que Dieu ait pitié de nous, d'autant qu'il nous pouvoit condamner à bon droit? voila le ciel qui nous servira d'un manteau, et la terre pareillement nous couvrira, tellement que nos iniquitez seront ensevelies. Or ie di qu'il nous faut confesser nos iniquitez au ciel, c'est a dire, devant Dieu: il nous les faut aussi confesser en terre, quand nous aurons scandalisé l'Eglise, que nous aurons mal vescu: car il ne faut point que nous ayons honte du passer condamnation devant les hommes, quand nous aurons gemi devant Dieu: mais si nous voulons gaigner par mensonges, il faudra que Dieu monstre que ce n'est pas en vain qu'il a prononcé ceste sentence.

Apres que Sophar a ainsi parlé, il adiouste: Que le germe de sa maison s'en ira comme des eaux coulantes au iour de l'ire de Dieu. Or quand il est ici parlé du germe de la maison des meschans, c'est pour exprimer que toute l'esperance qu'ils ont pour l'advenir les trompera. Car quand les meschans auront esté affligez de la main de Dieu encores penseront-ils germer, ils penseront se renouveller, et se remettre au dessus. Or il est dit, que Dieu destruira ce germe-la, et au iour de son ire il le fera escouler comme des eaux. Vray est que les fideles, quand ils sont affligez de la main de Dieu, se relevent tousiours de ceste esperance, que le mal ne sera point perpetuel: comme ils ont la promesse, que si Pire de Dieu a duré pour une minute de temps, sa misericorde continuera envers eux sans fin. Voila donc les fideles qui se pou

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vent bien consoler, et le doivent faire, sachans que Dieu les fera germer derechef: comme aussi l'Escriture saincte use souvent de ceste similitude, qu'encores qu'ils soyent coupez, la racine demeure en terre. Mais quand ils prennent une telle fiance, presument-ils de leur vertu? Et puis, veulent-ils despiter Dieu ? Nenni: mais apres avoir cognu qu'ils sont dignes que Dieu les delaisse là, ils esperent en lui, qu'il aura pitié de leurs infirmitez. Or au contraire quand les meschans se confient que leurs afflictions ne dureront pas tousiours c'est comme en defiant Dieu, c'est comme en hurtant à l'encontre de lui, savoir qui sera le plus dur. Voila Dieu qui leur est contraire, et de leur costé ils tienent bon, c'est à dire, ils Sont d'une malice si obstinee, qu'ils concluent de ne point plier le col, mais de l'avoir tousiours roide à l'encontre de Dieu. Là dessus ils se flattent, et se font à croire que le mal qu'ils endurent passera, et que quand ils en seront venus à bout, tout ira bien. Et d'où est-ce qu'ils prenent une telle presomption ? Ce n'est point (comme i'ay dit) une confiance de la misericorde de Dieu: mais cela procede d'un orgueil diabolique qu'ils ont, qu'il leur semble que la main de Dieu n'est pas assez forte pour les matter, et ne veulent nullement s'assuiettir à lui. Et pourtant nous faut-il bien noter ce qui est contenu en ce passage, c'est assavoir, que Dieu fera escouler tout ce germe ici comme des eaux: c'est à dire, que les meschans auront beau presumer, et se faire à croire qu'ils pourront estre restaurez: car Dieu les arrachera du tout: et encores qu'il y ait reste quelque germe, c'est à dire, que Dieu y ait laissé quelque petite monstre, qu'il semble bien qu'ils ne soyent pas du toute deffaits: si est-ce que cela s'escoulera encores, voire au iour de l'ire de Dieu. Il nous faut quant et quant peser ce mot: car il nous signifie que nous ne devons pas imaginer que Dieu soit oisif quand il dissimule, et qu'il ne met point la main pour corriger les meschans. Et pourquoy? Car il a son terme opportun. L'ire de Dieu donc a son iour certain et determiné, que nous ne cognoissons pas.

Ainsi cependant que nous verrons les meschans estre en prosperité, et en leurs triomphes, et qu'il ne semblera point que iamais nul mal leur doive advenir: qu'il nous souvienne que l'ire de Dieu a son iour, et que Dieu cognoit bien quand le temps sera qu'il les punisse. Attendons, di-ie, en patience: et cependant apprenons par cela de ne nous point endormir si Dieu nous espargne, si pour un temps nostre Seigneur ne nous fait point sentir sa vengeance, et combien que nous l'ayons offensé, qu'il nous laisse-là tout cois, et qu'il nous traitte doucement: ne nous flattons point, di-ie, là dessus: il n'y a tromperie si dangereuse que ceste-cy, quand

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les hommes estans confits en leurs pechez s'endorment, et ne pensent point à l'ire de Dieu sous ombre qu'il les supporte: car alors ils amassent un thresor d'une ire plus grande, comme sainct Paul en parle au second chapitre des Romains (v. 5). Apprenons donc de ne nous point flatter du temps que nous sommes en repos, mais pensons tousiours à ce iour de l'ire de Dieu, et prevenons-le: voire en tremblant iournellement devant nostre Iuge, le prians qu'il nous reçoive à merci, pource que nous lui sommes tant redevables: et que nous ayons la bouche close quand il sera question de maintenir nostre cause. Or si Sophar eust bien appliqué ceci à son propos, il n'eust pas condamné Iob comme il a fait: mais il eust cognu de Iob ce qu'il dit en general: c'est assavoir que si les meschans prosperent, cependant que Iob ayant mené une vie sans reproche est afflige rudement, ce n'est pas à dire que Dieu le reprouve, et qu'il approuve les iniques: car il a le iour de son ire. Vrai est que Sophar est comme un Prophete de Dieu: mais cependant il pervertit tout comme Balaann, à cause qu'il ne cognoist pas le temps opportun de l'ire de Dieu, duquel il avoit parlé. Et voila pourquoi il nous faut tant plus estre attentifs à ce mot, afin que nous ayons ceste prudence telle que i'ai dite, c'est assavoir, de considerer que Dieu a son temps opportun de punir les meschans.

Pour conclure toute ceste doctrine que nous avons ouye, il dit en la fin: Telle est la portion du meschant, voire de par Dieu, et de par Dieu aussi son heritage est tel à cause de ses propos. Quant à ceste conclusion ici, elle est comme pour seeller ce que nous avons entendu ci devant, afin qu'il nous soit plus authentique en nos coeurs, et que nous en soyons pleinement certifiez, et que nous recevions cela sans aucune doute. Voila donc la portion des meschans. Et de par qui? De Dieu: comme s'il estoit dit: Vrai est que les meschans s'esgayeront en ce monde, et feront des chevaux eschappez: car il ne leur semble point qu'il y ait un Iuge au ciel: ils ne pensent point à lui: mais tant y a qu'ils ne le peuvent pas arracher de sa maiesté, et il leur prepare leur cas. Ceci donc notamment est pour espouvanter les meschans, lesquels mettent Dieu en oubli tant qu'ils peuvent. Il y a aussi une bonne instruction pour tous fideles, afin qu'ils cognoissent, Or çà nous pourrions faire beaucoup de mal qui nous sera pardonné des hommes, et mesmes on ne nous en fera point de reproche: mais si faudra-il venir finalement devant le Iuge: et quand nous viendrons là, ce support des hommes nous tournera en double condamnation. C'est l'advertissement que nous avons à recueillir de ce passage, quand le Nom de Dieu est ici exprime deux fois. Car les hommes bien souvent ne

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s'acquittent pas de leur devoir: ie di mesmes ceux qui sont en office pour ce faire, chacun de nous ne se soucie gueres d'admonnester ceux qui faillent, et de les corriger, mais nous dissimulons tous: mesmes la iustice qui doit mettre la main pour reprimer les scandales, bien souvent laissera tout passer: Les hommes donc en general et en particulier dissimulent, et font semblant de n'y voir goutte: mais Dieu n'est point negligent en son office, car il faudra que ceux qui auront esté supportez, et ceux qui auront donné un tel support, viennent à compte. Ainsi donc ce Nom de Dieu (avec la circonstance du passage) nous doit peser beaucoup, quand nous savons que ce n'est point sans cause qu'il est dit, Telle est la portion du meschant, voire de par Dieu: car c'est pour nous racler toutes ces vaines confiances que nous avons accoustumé de prendre, quand les hommes nous tiennent la main, et qu'ils ferment les yeux à nos pechez, ou qu'ils nous les pardonnent. Ne nous fions point là dessus: car ce nous sera double confusion devant Dieu: et cognoissons (combien que nous soyons ainsi eschappez en ce monde) qu'il faudra que Dieu se monstre nostre Iuge.

Or quand il est parlé de Portion et d'Heritage, c'est aussi pour signifier, que nous devons avoir ceste doctrine resoluë, que Dieu ne laissera point les meschans impunis. Comme chacun appelle sa portion ce qui lui est ordonné: ainsi nostre Seigneur a desia assigné aux meschans ce qui leur appartient: c'est leur heritage, c'est à dire, voila comme leur patrimoine, tellement qu'il n'y a rien plus propre à l'homme, qu'est ce chastiment que Dieu fera sur les meschans. Et notamment il parle des propos. Et comment ? Il est vrai qu'aucuns restraignent ceci aux blasphemes que les meschans desgorgent contre Dieu: mais le mot qui est ici ne sonne point mal. Ainsi donc il le faut prendre plus simplement: c'est assavoir que les meschans auront beau amener tant d'excuses qu'ils voudront, ils ne gagneront rien pour tout cela: car avec leur propos ils seront condamnez. Il est vrai que Sophar regarde à Iob, et en cela il applique mal ceste sentence (comme il a esté declaré ci dessus) toutes fois elle ne laisse pas d'estre vraye et bonne. Et c'est le sainct Esprit qui en prononce ici en general: Que les meschans avec tout leur propos seront exterminez de la main de Dieu. Ce n'est point donc sans cause que ce mot est ici couché: car nous voyons tous les coups comme les meschans veulent plaider à l'encontre de Dieu, et cuident faire merveilles avec leurs tergiversations. Or il est vrai que Dieu les laisse pour un temps ainsi plaider: mais en la fin il monstre ce qui est escrit en Genese (6, 3), Mon eprit ne debattra plus avec l'homme. Dieu avoit supporté une malice tant enorme que rien

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plus: voyant que les hommes abusoyent ainsi de sa patience, il dit, le ne veux plus contester, il faut que i'y mette la main. Voila donc ce qui est ici dit, que les meschans auront bien langue affilee pour se vouloir iustifier, ils sauront bien rhetoriquer à l'encontre de Dieu: mais sera-ce pour advancer leur cause? Nenni, nenni. Plustost ils aguisent le glaive, et faudra que Dieu exerce un iugement tant plus rigoureux, et une vengeance tant plus espouvantable sur leurs testes. Ainsi les hommes pourront estre armez de leurs langues pour plaider contre Dieu, mais Dieu aura sa main armee, et la levera du ciel pour rendre confus tous ceux qui auront ainsi plaidé contre lui. Or ce mot devroit mieux toucher les meschans qu'il ne fait pas. Mais quoi? En ceci voit-on qu'il y a une stupidité brutale en une grande partie du monde. Auiourd'hui il ne sera point question de plier sous la parole de Dieu, sous les corrections qui nous Sont faites en son nom et authorité: car les hommes se rebecqent avec une audace telle, qu'on cognoist bien qu'il n'y a plus de religion moins qu'entre les Turcs et les Payens. Et non seulement les admonitions seront superflues, quand elles se feront à chacun en privé: mais si on parle en chaire des fautes toutes patentes, au lieu qu'on devroit demander pardon à Dieu, et avec toute humilité le requerir, qu'est ce qu'on y voit, sinon que les hommes ont deliberé de se rebecquer pleinement contre Dieu? Exemple: Quand ie par ay dimanche dernier de ceste insolence qui avoit esté faite si vilaine ici aupres à Cologny, ce sera à se iustifier, et à conspirer à l'encontre de Dieu, et regarder comme on pourra couvrir une chose qui est toute notoire. Voila un sermon qui est rompu en un temple, on ne peut gaigner cela que ces galans cessent quand ils en sont admonestez, on a remonstré cela. O comment? Il ne faut point endurer telle chose: on cerchera les moyens de colorer tout, mesmes on en voudra intenter querelle, comme si on leur avoit fait un grand tort. Et povres gens, il estoit question de vous preparer à la Cene: ie vous remonstroye ceste dissolution si vilaine pour vous y desplaire: c'estoit pour le moins (si vous n'estiez endiablez) que vous fussiez aucunement touchez pour vous ronger: et vous venez au contraire comme enragez pour machiner tout mal. Ne Voit-on pas par cela que vous ne demandez sinon à batailler manifestement contre Dieu? Or si nous parlions des choses qui sont plus cachees, et toutes fois que tout le monde cognoist. Car on voit les paillardises toutes communes, on voit les blasphemes, on voit les yvrogneries, les gourmandises, et autres dissolutions, on voit un mespris de la parole de Dieu et de tout ordre Ecclesiastique, on voit les corruptions et cruautez, et qu'il y a autant d'humanité qu'entre des loups,

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qu'il n'est question que d'outrager l'un, et piller l'autre, qu'on n'en a plus nulle vergongne. On voit tout cela. Mais encores que seroit-ce s'il y a des choses plus enormes, et qu'on en parlast en chaire? On en devroit bien estre plus fasché. Et en quelle conscience viendrez-vous recevoir la cene de ma main? Tu y viendras comme Iudas: mais en tremblant il faudra que tu sentes la vengeance de Dieu comme Cain, et que tu es reprouve tout manifeste, et tout declaré. Or i'ay amené cest exemple, afin que nous apprenions de ne plus nous robecquer à l'encontre de Dieu: car quand il voudra contester contre nous: helas! quelle defense aurons-nous pour avoir victoire en nostre cause, Mais encore ne pensons pas que Dieu se doive amuser à faire un long procez: car il conclura, et executera sa sentence, sans la prononcer de nouveau: car nous en avons assez en l'Escriture saincte, là où il se demonstre Iuge du monde. Craignons donc de

contester ainsi avec lui: mais apprenons de plier le col pour recevoir son ioug, et il nous sera aisé à porter, quand il ne trouvera point de rebellion en nous. Voila ce que nous avons à noter de ce passage, assavoir que quand nous confesserons nos fautes devant Dieu, nous serons absouts par sa misericorde: mais si nous voulons plaider, si nous voulons user de subterfuges pour couvrir nos iniquitez, non seulement nous en serons convaincus par su parole, mais il faudra qu'il mette la main si rude sur nous, que nous serons accablez sous lui voire sans qu'il y ait aucun remede: et alors il né sera plus temps de demander pardon. Usons donc de ce temps opportun que Dieu nous a assigné, quand il nous presente par son Evangile le moyen d'obtenir de lui misericorde.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE SEPTANTEHUITIEME SERMON,

QUI EST LE . SUR LE XXI. CHAPITRE.

1. Et Iob respondant dit, 2. Oyez mes propos, et que cela soit pour vos consolations. 3. Supportes moy, et ie parleray: quand i'auray parlé, mocquez vous. 4. Mon propos est-il à l'homme? et s'il estoit ainsi, comment mon esprit ne defaudroit-il? 5. Regarde moy, et soyez estonnez, et mettez la main sur la bouche. 6. Mesmes quand i'en ay memoire, ie suis en horreur, et frayeur saisit son corps.

Il semble bien que le propos qui est ici deduit par Iob soit contraire à la parole de Dieu, d'autant qu'il allegue que Dieu ne punit point les meschans, mais qu'il les laisse là., tellement qu'ils prosperent. Or par ci devant nous avons veu qu'il nous faut considerer les iugemens que Dieu exerce en ce monde, selon que l'Escriture saincte nous en rend tesmoignage. Il semble donc de prime face que ce propos de Iob soit repugnant à toute verité: mais il nous doit souvenir de ce qui a este declaré par ci devant, c'est assavoir que quand l'Escriture saincte parle des iugemens de Dieu, elle ne dit pas que Dieu les accomplisse sans qu'il y ait rien à redire, car il commence bien maintenant de se monstrer Iuge du monde: mais ce n'est pas en tout et par tout, ce n'est point d'une façon egale. Il

nous doit donc suffire que Dieu nous donne quelque signe que les meschans ne peuvent pas eschapper de sa main, et qu'il faudra que tous vienent à conte: mais tant y a que Dieu ne laisse point quelquesfois de dissimuler: et nous voyons cela par experience. Ainsi il nous faut tellement recognoistre que Dieu gouverne le monde par sa providence, maintient et conserve les bons, punit les mauvais, que nous n'en facions point une regle certaine, que tous ceux qui sont meschans soyent punis du premier iour, que Dieu ne differe pas iusques au lendemain, qu'il n'ait point de patience, qu'il ne se reserve rien en la vie à venir: car nous entrerions en une grande confusion. Ainsi donc quand nous cognoistrons les iugemens de Dieu en telle sorte, que nous en devions attendre l'accomplissement et la perfection au dernier iour, par cela nous pourrons bien soudre la contrarieté qui semble estre ici de primeface au propos de Iob avec l'Escriture sain te. quoy est-ce que Iob pretend? Que nous voyons les meschans prosperer et que tant s'en faut que Dieu les punisse, que iusques à la mort ils sont transportez de toutes leurs delices et voluptez, qu'ils ne trainent point en langueur, qu'il semble que Dieu les vueille exempter de tout

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mal par privilege. Or il semble bien que Iob vueille signifier que tout se gouverne par fortune, que Dieu n'ait point esgard aux choses humaines et qu'il ne s'en soucie: mais son intention n'est pas telle, comme aussi il proteste, afin qu'on ne soit point scandalisé de son propos. Quoy donc? Il veut monstrer que quand Dieu visite un homme, il ne faut point du premier coup assoir sentence de condamnation sur lui, pour dire, Celuy-la est meschant, celuy-la est hay et reietté de Dieu: mais il faut bien examiner sa vie. Et pourquoy ? il ne faut point estimer que Dieu traitte tousiours les hommes en ce monde entierement selon qu'ils l'ont desservi. Pourquoi est-ce que tant d'iniques que nous voyons sont espargnez? Car il ne semble pas que leurs iniquitez soyent cognues de Dieu, puis qu'il n'en fait nul chastiement. Ainsi donc cognoissons que nostre Seigneur se reserve au dernier iour beaucoup de punitions, qui n'apparoissent point auiourd'hui. Et au reste, qu'il traittera en sa grande rigueur ceux qu'il aime, et qui ne l'ont point offense si griefvement, et cela n'est point à cause de leurs pechez. Si nous ne savons point pourquoy, humilions-nous: car il faut que Dieu soit glorifié en toutes ses oeuvres, combien que la raison ne nous soit point encores cognue. Maintenant donc nous voyons à quoi Iob pretend.

Mais pour mieux faire nostre profit de ce qui est ici contenu, deduisons et espluchons les choses par ordre, comme il les met: Escoute moy (dit-il) et soyez attentifs à mes propos, et que cela vous soit pour consolation: c'est à dire, Au lieu que vous estes venus pour me consoler. Defait nous savons que les amis de Iob estoyent là venus à ceste fin, mais ils sont troublez le voyans en si povre estat: et selon la raison humaine, ils concluent que Iob est un homme desesperé. Voila comme ils sont esblouis en ceste sentence generale, que Dieu punit les meschans. Ainsi ils mettent Iob au reng des plus meschans, ce qu'ils ne devoyent pas faire. Ainsi donc maintenant il leur dit, que s'ils sont venus pour le consoler, il ne demande sinon patience, et qu'il soit escouté par eux.

Et puis il proteste en second lieu, que son propos ne s'adresse point aux hommes: comme les hypocrites se contentent de s'estre iustifiez devant le monde: et de fait ils fuyent tousiours la presence de Dieu: iamais ils ne viennent à cognoissance que par force, et quand on aura bien examiné ce qui est en eux. Iob donc dit, Que son propos n'est point aux hommes, c'est à dire, qu'il n'est point mené d'ambition ne de vanité, pour vouloir faire des mines et des parades devant les hommes: mais qu'il s'addresse à Dieu. Et qu'ainsi soit (dit-il) si i'avoye regard aux hommes, mon esprit pourroit-il subsister ? Vous me voyez ici en telle necessité,

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qu'il n'y a creature qui puisse durer en une condition si miserable. Il faudroit que desia ie fusse abysmé cent fois: et quand vous voyez que neantmoins mon esprit ne defaut point, n'est-ce pas un signe que ie cognoy la main de Dieu, que ie me remets là, que ie m'appuye sur lui? quand ie ne suis point ici comme un roseau branlant, ne pouvez-vous pas cognoistre que i'ay un meilleur fondement, et plus ferme? Puis qu'ainsi est donc que vous voyez que ie parle comme devant Dieu, escoutez-moi.

Et puis il adiouste: Pensez que ie ne suis pas sans compassion: quand ie me regarde, il faut que i'aye horreur de moy, et que ie contemple ici une chose qui m'espouvante. Car Iob estoit comme un spectacle de toute frayeur: et quand nous lisons ce qui lui est advenu, il faut que les cheveux nous dressent en la teste. Il dit donc qu'il ne pouvoit pas penser à soi, ni avoir memoire de si grandes calamitez qui luy estoyent advenues, sans qu'il fust saisi de frayeur. Quand donc vous aurez bien cognu mon estat (dit-il) alors vous serez estonnez, et mettrez la main sur la bouche: c'est à dire, Vous ne m'accuserez plus comme vous avez fait iusques ici: car vous devisez de moi trop à vostre aise, et c'est signe que vous n'avez nulle compassion ne pitié d'une misere si grande comme elle est en ma personne. Or ici nous avons à noter en premier lieu, que si nous voulons consoler les povres affligez, il nous faut bien regarder comment: car il y a une prudence singuliere requise en cest endroit, ainsi que nous avons veu par ci devant. Car les afflictions sont comme maladies: et si un medecin use d'un mesme remede envers tous malades, et que sera-ce? Il y a quelque maladie chaude, il y en a une froide, il y en aura une qui voudra que l'homme soit desseché, et l'autre qu'il soit refreschi, l'une qu'il soit reserré, et l'autre relasché. Voila donc comme un medecin meurtrira les malades, quand il n'aura point le regard aux maladies: mesmes il faut avoir cognu les complexions des malades. Ainsi en est-il, que nous devons contempler ceux que Dieu visite par afflictions: il faut en premier lieu regarder quelles sont les personnes, et puis comme nous les voyons disposees. le di quelles sont les personnes: car si un homme a vescu sans reproche, et qu'il ait cheminé en la crainte de Dieu, qu'il ait monstré tous signes d'integrité, quand nous le condamnerons, si nous le voyons affligé, et que sera-ce? Et puis encores qu'un homme eust failli lourdement, et que pour quelque temps il eust despité Dieu, s'il est matté par les adversitez qu'il endure, et que nous n'appercevions sinon une droite repentance, et que nous viendrons neantmoins à user contre lui de grande rudesse, ne voila point une cruauté brutale et meschante? Plustost

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nous devons tendre la main à ceux qui sont ainsi abbatus, et les relever: comme il est dit, que l'office de ceux qui veulent fidellement enseigner au nom de Dieu, est de renforcer les genoux tremblans, de fortifier les mains debiles, de donner consolation et resoiouyssance à ceux qui sont en destresse et angoisse.

Voila donc comme nous devons user de grande prudence pour consoler ceux qui sont en affliction: et pourtant ce n'est point sans cause que Iob dit à ses amis, qu'il vaut beaucoup mieux qu'ils se taisent, que de parler pour aggraver son mal, et qu'il recevra pour consolation leur silence. Et mesmes il adiouste, que quand ils l'auront ouy, alors il leur permet de se moquer, non pas qu'il entende qu'ils puissent avoir raison de ce faire: mais c'est qu'il les argue de leur temerité, comme on dit en proverbe, De fol iuge brefve sentence: car ceux-ci se hastoyent par trop de condamner Iob devant que l'avoir ouy. Ainsi quand il dit qu'ils se pourront moquer apres l'avoir entendu parler, il signifie qu'il n'y a que confusion et temerité en eux, et qu'ils devisent d'une chose incognue, et de laquelle ils n'estoyent pas encores bien informez. Nous avons donc à noter une doctrine commune de ce passage: c'est de nous tenir bridez, quand il est question de iuger, et que nous ne soyons point ainsi precipitans, mais que nous ayons bien cognu la verité du fait. Et d'autant plus nous faut-il bien estudier a cela, que nous voyons que les hommes de nature sont tant enclins que rien plus à ceste temerité et precipitation. Car combien que nous veillions avoir reputation d'estre meurs, et dé sens rassis: toutes fois il s'en trouvera bien peu qui s'addonnent à cela: mesmes qui pis est nous en verrons beaucoup qui veulent monstrer leur subtilité, quand ils se hasteront, de peur qu'on ne les tienne pour gens tardifs. Voila qui est cause souvent de nous precipiter en trop grande hardiesse, et de nous faire iuger à tors et à travers de nos prochains, sans propos, sans equité aucune. Voyans que ce mal est si naturel en nous, apprenons d'examiner les choses devant que parler. Il est dit, Que le sage escoutera tousiours, et que le fol aura la bouche ouverte, que iamais les propos ne lui defaudront. Ce n'est point sans cause que Salomon parle ainsi (Prov. 17, 27. 28), et nous le saurons bien dire: mais cependant nous le pratiquons mal. Et pourtant quelle est nostre sagesse principale ? Sainct Iaques nous le monstre, quand il dit (1, 19), Que nous soyons tardifs à parler, et que nous souffrions d'estre enseignez, car quand nous aurons usé de ceste modestie-là, de ne nous point haster en nos propos, Dieu nous fera la grace que nous cognoistrons les choses: et les ayant cognues, nous en parlerons comme il en va.

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En somme, nous aurons beaucoup profité, quand nous aurons apprins de n'estre point iuges trop hastifs: car nous ne pouvons pas iuger nos prochains ainsi à la volee sans mespriser la bonté de Dieu en double sorte. Pourquoi? Car il faut que tous comparoissont devant son siege iudicial comme sainct Paul le remonstre (2. Cor. 5, 10). Si donc ie iuge sur mon prochain devant que d'avoir bien cognu ce qui en est, i'entrepren sur l'authorité de Dieu, ie m'attribue ce qui n'est pas à moi, ne mesmes à un Ange de paradis. Quelle audace est-ce là ? Il est vrai que quand nous aurons cognu le mal, et que nous l'aurons cognu non pas selon nostre phantasie, mais à la verité, nous le pourrons condamner hardiment, et ne serons point temeraires en ce faisant. Pourquoi ? Car nous ne iugeons pas, mais seulement nous ratifions le iugement que Dieu en a donné par sa parole. Mais quand nous sommes ainsi hastifs, c'est un sacrilege, d'autant que nous despouillons Dieu du droict qui lui est propre, et le ravissons à nos personnes. Et puis outre cela Dieu est offensé par nous, d'autant que nous voulons iuger des choses secrettes,. Or il faut que nous cognoissions nostre mesure, et que nous avons besoin de nous enquerir de ce qui nous est incognu, et que nous ne disions pas, Il en va ainsi, iusques à ce que nous en soyons bien informez. Ces doux raisons-là nous devroyent bien tenir on bride, afin que nous ne soyons point trop hardis à iuger de nos prochains.

Au reste, si ainsi est qu'il nous faille garder ceste modestie envers les personnes, que sera-ce de la doctrine de Dieu? Comme si quelqu'un devant qu'avoir bien examine une doctrine, en dit sa ratelee: ie vous prie, ceste temerité-là n'est elle pas à condamner au double? I'ai desia monstré que nous sommes sacrileges en ravissant l'honneur de Dieu, si nous iugeons des personnes de nos freres devant qu'avoir bien cognu. Or il est certain que la doctrine est beaucoup plus precieuse que ne sont pas les personnes. Ie m'en irai repousser une doctrine à la volee, voire quelque doctrine qui sera de l'Escriture saincte, quelque article de foi: ne voila point prophaner les choses sainctes? Et tontes fois nous voyons les hommes estre hardis tant et plus en cest endroit. Car auiourd'hui qui sont ceux qui veulent estre plustost creus quant à la doctrine, sinon des yvrongnes, gens dissolus et prophanes, qui savent autant que c'est des secrets de Dieu, comme des bestes brutes, voire des pourceaux mesmes? Ceux-là voudront ietter leur groin à l'encontre de la doctrine, et disputeront fort et forme à l'encontre de la verité, qui sera bien ratifiee par l'Escriture saincte. Et qui leur donc ne ceste audace? C'est qu'ils ne daignent pas escouter. Et

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Dieu les punit de leur presomption et monstre qu'ils sont du rang des fols, qui ont tousieurs la langue à delivre, et iamais n'ont les aureilles ouvertes pour escouter en patience. D'autant plus donc nous faut-il prattiquer ce passage, et ceste admonition qui nous est ici faite, et qu'un chacun de nous apprenne d'estre tardif à iuger: et quand nous le ferons, nous serons dociles: car nul ne sera iamais bon maistre, sinon qu'il ait esté disciple. Si un homme veut faire un mestier du premier iour, et que iamais n'ait esté apprentif, il fera de belles besongnes, il se pourra bien advancer. Si cela est aux arts mecaniques, que serace de la doctrine de Dieu, qui surmonte tout esprit humain, laquelle mesmes les Anges adorent? Et ainsi Don seulement il faut que nous ayons esté escoliers pour estre maistres, mais il faut que nous perseverions tout le temps de nostre vie à profiter et comprendre, quand nous voudrons enseigner les autres un homme ne doit point penser quand Dieu lui aura fait la grace d'enseigner les autres, que de son costé il ne doive plus profiter: mais cognoissons que nul ne pourra iamais estre bon docteur et fidele, qu'il ne tasche de profiter aussi bien que les autres Bref il faut que nous soyons tous disciples de Dieu, et ceux qui enseignent, et ceux qui escoutent, et que nous profitions en la doctrine de plus en plus, voire iusques à la mort. Voila donc quant à ce passage. Or venons à ceste protestation que fait Iob, Mon propos (dit-il) ne s'adresse point aux hommes: et si ainsi estoit, comment mon esprit ne seroit-il defailli ? Ici Iob monstre à tous enfans de Dieu comme ils doivent parler. Desia il avoit protesté le semblable ci dessus: mais ce n'est point sans cause qu'il, le reitere: pource qu'il est certain que quand nous vaguerons ici bas, nos propos traineront beaucoup de queues superflues, et nous n'irons point en rondeur ni en verité comme nous devons. Qui est cause d'entortiller nos propos, comme nous avons accoustumé de faire, tellement qu'on ne pourra point tirer la pure verité de nous? C'est que nous regardons les hommes: car selon que les hommes s'esblouissent, et qu'ils ne discernent pas des choses comme il faut, desia nous sommes enclins de nostre ceste à les suivre, et puis le diable se mesle parmi pour tout brouiller. Ainsi donc iamais nos propos ne seront bien deduits et vuidez, sinon que nous ayons Dieu devant nos yeux, et que nous parlions comme en sa presence. D'autre costé nous ne sommes point touchez à bon escient quand nous devisons avec les hommes: car ils iugent à l'oeil, et nous ne demandons qu'à cacher nos vices, et nous semble que c'est assez quand le mal ne sera point si manifeste. Voila donc comme les hommes s'endorment en leurs pechez, et iamais ne parlent franchement comme ils doivent, sinon

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qu'ils cognoissent que Dieu les adiourne devant lui, et leur fait leur procez, et qu'eux previennent cela et n'attendent pas que Dieu les condamne: mais que plustost ils passent condamnation de leur bon gré. C'est pourquoy Iob proteste ici que son propos ne s'adresse point aux hommes. Vray est qu'il nous faut bien avoir regard à nos prochains quand nous parlons, afin que nos propos soyent pour les edifier: car si nous iettons des paroles legeres et esgarees, nous donnerons scandale à nos prochaine, nous les pourrons offenser en diverses sortes. Nous devons donc parler nous adressans aux hommes, c'est à dire, regardans ce qu'il leur sera profitable: mais tant y a qu'il nous faut avoir ce qui est dit ici de Iob, c'est que Dieu aille devant. Iob donc n'entend pas simplement qu'il mesprise les hommes, et que s'il les voit rudes et idiots' il ne vueille point s'accommoder à eux en façon que ce soit. Nenni: mais c'est d'autant qu'il n'est point mené de ceste vanité-là, de contenter seulement les hommes, et que Dieu soit mis en oubli, ou qu'il soit mis derriere: mais que quand il parle, desia il fait son conte qu'il est comme en la presence de Dieu, que toutes ses pensees sont cognues de ce Iuge celeste, qu'il ne faut point qu'il desguise rien, on pense advancer sa cause quand il aura obscurci la verité. Voila à quoi Iob regarde. Et ainsi (comme l'ai desia touché) que nous ayons ceste prudence en nous, de prier Dieu qu'il nous appelle vrayement à soi, c'est à dire, que toutes fois et quantes que nous serons visitez de sa main, il touche nos coeurs et nos esprits tellement au vif, que nous cognoissions que c'est lui qui nous punit pour nos fautes, et que toutes nos pensees soyent desployees devant lui, que nous ne soyons point esblouis pour nous enyvrer en nos propos, comme sont ceux qui babillent ainsi seulement pour complaire aux hommes.

Voila, di-ie, dequoi nous devons estre enseignez en ce passage. Et nous faut bien retenir la raison que Iob adiouste: Si ainsi est, comment et pourquoy non esprit ne defaut-il? Il semble qu'il laisse ce propos ici comme coupé: mais le sens est, que ceux qui s'adressent ainsi aux hommes sans regarder à Dieu, en la fin defaudront: et que quand ils auront fait belles mines de prime face, l'hypocrisie en la fin se monstrera. Et de fait nous le voyons par experience: car ceux qui sont ainsi menez d'ambition, et qui veulent tousiours estre reputez des hommes, et qui n'ont autre regard que celuy la, il est vray qu'ils tiendront de beaux propos, qu'il y aura une rhetorique tant belle, qu'en les oyant parler on sera tout esbloui, ce sera une chose merveille ce: sur cela ils se baignent quand on leur applaudit: mais en la fin Dieu les presse, tellement qu'il monstre qu'il n'y a que toute feintise.

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Dieu donc leur oste ce fard-la: comme quand les femmes qui se fardent viennent au soleil, et que la chaleur a donné dessus, voila ce fard qui est oste, tellement qu'on voit leurs crevasses, que leur vilenie est si manifeste, qu'il faut qu'elles s'en aillent cacher. Ainsi en est-il des hypocrites: car avec leurs belles mines ils seront prisez du monde tant et plus, qu'on pensera qu'il n'y ait nul mal en eux. Et bien, Dieu les laisse là pour un temps, qu'ils reluisent quant aux hommes: mais en la fin Dieu se mocque de leur feintise, et les voila tout desfigurez ils sont pressez au double et au triple tant qu'ils n'en peuvent plus, il n'est plus question de babiller comme ils ont fait. Voila toute leur belle rhetorique qui leur defaut. Notons bien donc ceste raison ici, afin que nous apprenions devant que Dieu nous contraigne par telle force et violence, de venir à lui de nostre bon gré, et regarder à parler comme en sa presence. Voila donc la raison qui est ici mise, qui nous doit servir comme d'une menace, afin que nous fuyons toute hypocrisie, et que nous suivions ceste rondeur-la, de nous establir comme en la presence de Dieu, et de le regarder tousiours en nos propos. Car si nous regardons à lui, il est certain qu'il nous fera la grace de subsister, voire quand nous suivrons l'exemple de Iob. Car il a bien fallu en la fin que Cain et Iudas, et leurs semblables ayent senti la presence de Dieu, non pas qu'ils en ayent este esmeus pour retourner à repentance: car Dieu aussi les avoit amenez là par force. Mais suivons Iob, c'est à dire, demandons de nous tenir devant la face de nostre Iuge, et venons-y en tonte humilité, cognoissans sa iustice pour lui donner la gloire qui lui appartient, et qu'il merite. Quand nous irons ainsi, et que nous requerrons d'estre secourus par sa bonté, Ô il est certain que nos esprits ne defaudront point, encores que nous soyons pressez iusques au bout, qu'il semble mesmes que nous soyons abysmez: nous ne laisserons pas, di-ie, d'estre soustenus, et en la fin restaurez, tellement que Dieu monstrera que tous ceux qui le cerchent, et qui viennent à lui d'un franc vouloir, il les reçoit, voire comme pour les tenir en son giron, et leur veut donner un tel appui, que iamais ils ne defaudront,. encores que leur infirmité soit grande.

Or Iob n'adiouste point sans cause, Que quand ses amis le regarderont, ils seront estonnez et contraints de clorre leur bouche, et de mettre la main dessus pour s'imposer silence. Car si nous cognoissions les iugemens de Dieu à bon escient, il est certain que nous serions mieux attrempez que nous ne sommes point. Mais qui est cause que nous sommes si hardis pour iuger ainsi à la volee, sinon d'autant que nous n'examinons pas bien ce que

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Dieu nous monstre? Comme quoy? Si nous voyons que Dieu afflige quelqu'un, il est vrai que nous sentirons bien que cela vient de lui: mais c'est une apprehension volage. Et bien, voici Dieu qui punit un tel à cause de ses pechez: et là dessus il n'est question que de foudroyer. Or i'ay dit que si nous considerions les iugemens de Dieu comme il appartient, nous serions plus attrempez. Et pourquoy? Car pour bien considerer les iugemens de Dieu, il faut devant toutes choses que nous pensions à nos pechez, et qu'en la personne d'un homme Dieu en veut tousiours instruire mille' et beaucoup plus: qu'autant de chastimens, et d'adversitez qui se monstrent, ce sont autant d'enseignemens et d'instructions que Dieu nous baille à tous. Quand donc quelqu'un sera affligé, il ne faut pas que nous regardions que c'est de lui seulement, mais que nous pensions à nous: et cependant quand nous viendrons devant la maiesté de Dieu, il est certain que nous n'aurons point les cornes levees, mais nous aurons une telle reverence, que quand nous iugerons nostre prochain, ce sera avec crainte et frayeur. Car il faudra aussi qu'un chacun de nous se soit iugé et condamné auparavant, et que nous ayons cognu que nous meritons de recevoir condamnation beaucoup plus griefve de nostre Dieu. le suis une povre creature mortelle, un povre ver de terre, ie m'en vay iuger mon prochain: et quand Dieu tiendra ses assises, que fera-il contre moy? Si nous pensions à cela, ie vous prie, ne serions nous pas saisis de frayeur?

D'autre costé quand nous voyons le iugement de Dieu sur un homme, ne devons nous pas cognoistre que nous en avons beaucoup plus merité; et qu'il nous pourroit traitter plus rigoreusement? Il est vrai que nous ne pouvons pas accuser Dieu de cruauté: il est iuste. Si donc il punit un tel ainsi rudement, que sera-ce de moy? Quand, di-ie, nous aurons une telle consideration, ce sera pour nous faire humilier et cheminer en crainte devant Dieu: et non seulement cela, mais aussi pour estre saisis de frayeur, cognoissans la condamnation qui estoit sur nous, sinon que Dieu eust usé de pitié et de misericorde, comme il nous la fait sentir. Mais sur tout quand nous voyons des iugemens de Dieu notables, c'est à dire, qui sont dignes de memoire, et qui ne sont point accoustumez: cela nous doit toucher encores plus au vif, et nous devons concevoir une frayeur si grande, que nous soyons estonnez pour avoir la bouche close. Exemple. Quand nous verrons les adversitez communes, et ausquelles nous sommes comme duits par usage: si est-ce qu'il ne nous faut point estre si eslourdis que nous ne cognoissions la main de Dieu, et en la cognoissant que nous ne soyons abbatus et humiliez de crainte' mais voici Dieu

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qui desploye quelquefois son bras, tellement que nous verrons des choses que nous n'avions point cognues, et n'eussions iamais pensé: comme il y aura des punitions horribles: Comment? Ceci est estrange; on n'a point ouy parler d'une telle chose: nous verrons, di-ie, cela, et il nous y faudroit encores mieux penser. Or quand Dieu voit que nous sommes endormis, et par trop nonchallans, il nous resveille: comme si un homme estoit tellement assoupi du sommeil, que quand on l'appelle il ne respondist point: toutes fois si on le vient heurter, ou qu'on lui vienne tirer le bras par force, il faut qu'il se resveille. Ainsi nostre Seigneur en use-il envers nous: car pource que nous ne sommes point esmeus des corrections communes qu'il nous envoye mais sommes tardifs et nonchallans, il nous monstrera des punitions grandes et excessives, et desquelles nous n'avons point ouy parler auparavant comme s'il nous vouloit resveiller par force. Parquoy advisons de faire nostre profit des iugemens de Dieu: non point simplement pour estre saisis de frayeur, ni tellement espouvantez que nous le fuyons: mais afin que nous Soyons incitez de recourir à lui, et de cheminer en sa crainte. Requerons-lui aussi qu'il nous tienne la main forte et qu'il ne permette point que nous trebuschions, veu qu'il ne nous peut advenir autrement, sinon que nous soyons soustenus et preservez de lui.

Voila donc à quelle fin il nous faut estre estonnez des iugemens de Dieu. Mais au contraire nous voyons que les hommes ne demandent sinon à les mettre en oubli, c'est matiere de melancholie ce leur semble. Si Dieu afflige quelqu'un nous en devons tous faire nostre profit, comme i'ay desia declaré. Au contraire il y en a bien peu qui ne suppriment une telle doctrine: qui plus est, encores que Dieu s'adresse à nous, et qu'il nous batte de ses verges, si est-ce que nous taschons d'embrouiller nos esprits, et de cercher des vaines tergiversations çà et là pour celer la main de Dieu: et encores que nous sentions bien les coups, si ne voulons nous point cognoistre que c'est Dieu qui nous visite. Voila comme nous voulons ensevelir la memoire des iugemens estranges de Dieu qui sont pour effrayer les hommes, mesmes qui devroyent esmouvoir les pierres. Encores, di-ie, sommes-nous si meschans de les vouloir ensevelir: comme nous en avons veu les exemples ici. Quand nostre Seigneur a fait des iugemens qui sont si espouvantables, que les aureilles en devroyent corner, il ne faut point qu'on en parle: car ces bons defenseurs de l'honneur de Geneve feront une queremonie la dessus. Quand, di-ie, on parlera de celui que Dieu a voulu estre en spectacle horrible, et en effroy et espouvantement à tous, quand on reduira cela en momerie, qu'on monstrera qu'un blasphemateur

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qui despitoit Dieu et toute religion a este comme ravi, en sorte que la mere qui l'a porté au ventre depose que le diable l'en a emporté: ils diront qu'on deshonore la ville. Voila ces bons zelateurs de l'honneur de la ville, qui voudroyent que Geneve fust abysmee (comme on cognoist bien quels ils sont, et ne les faut point monstrer au doigt, il ne les faut point nommer par leurs noms, car ils sont assez cognus) et cependant ils feront bien semblant de vouloir defendre l'honneur de la ville: mais on voit bien de quel coeur ils y procedent. Voila donc comme les meschans voudroyent ensevelir les iugemens de Dieu, d'autant qu'ils voudroyent l'arracher de son siege s'il leur estoit possible, afin de n'estre point suiets à sa iurisdiction: mais encores quand il besongne d'une façon espouvantable, il faut que nous soyons pires que bestes brutes si nous n'en sommes esmeus: et toutes fois ces galans voudroyent que tout cela fust enseveli. Au reste notons bien ce qui est ici monstré, c'est assavoir que si Dieu leve sa main forte qu'il besongne d'une façon qui n'est point accoustumee, c'est afin de resveiller ceux qui sont par trop endormis: c'est qu'il nous veut amener à ceste crainte et frayeur, qu'estans estonnez nous recourions à lui, et apprenions de nous cacher sous son ombre, et que nous le prions qu'il nous guide, et qu'il ne permette point que nous trebuschions iusques au profond des abysmes. Voila ce que nous avons à noter en ce passage.

Or quand Iob parle de clorre la bouche, c'est une façon de parler qui est assez commune entre les Hebrieux: comme quand il est dit, e Prophete et le sage mettront la main sur leur bouche, c'est pour signifier que les choses seront si confuses, que les plus savans et mieux experimentez ne sauront que dire, et auront perdu toute raison. Ainsi maintenant Iob dit, Que ceux qui seront espouvantez doivent mettre la main sur la bouche pour s'imposer silence. Et pourquoy? Car ce iugement que Dieu exerçoit sur la personne de Iob estoit terrible et espouvantable au sens humain, et quand on en eust voulu iuger selon la chair, qu'on n'eust peu sinon estre confus en contemplant la personne de Iob. Or maintenant recueillons une doctrine commune de ceci: n'est que quand Dieu besongnera d'une façon qui nous est cognuë, nous ayons à le glorifier, car il nous met les paroles en la bouche quand il nous monstre la raison de ses oeuvres, et qu'il veut qu'elles nous soient cognues, que nous en puissions parler. Au reste quand nous verrons que les oeuvres de Dieu outrepassent nostre sens, et que nous ne savons pas pourquoy c'est qu'il dispose les choses ainsi que nous les voyons, que faut-il faire ? Que nous mettions la main à la bouche, n'est à dire, que nous n'ayons point ceste

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audace d'en babiller. Que nous cognoissions donc nostre faculté, afin de ne nous point esgarer à travers champs: mais que nous suivions tousiours le droit chemin. Pour ce faire il faut que nous sachions seulement ce qui nous est donné: comme S. Paul aussi nous ramene à ceste regle, de ne point plus savoir que iusques là où Dieu nous conduit (Rom. 12, 3). Cependant qu'il nous tend la main, allons hardiment: mais quand nous n'avons point de conduite de Dieu, il faut demeurer là, et que nous soyons comme muets. Il est vrai que nous devons tousiours avoir la bouche ouverte en une sorte, c'est assavoir, pour glorifier Dieu: mais quand nous presumerons de tout assubiettir à nostre sens, et que nous ne voudrons pas que Dieu se reserve rien, où sera-ce aller cela? N'est-ce point despitter Dieu manifestement? Il nous voudra cacher une chose. Et pourquoy? Afin que nostre ignorance nous soit cognue, et que nous ne laissions pas cependant de recognoistre qu'il est iuste, et d'adorer son conseil admirable, et incomprehensible.

Ainsi donc (comme i'ay desia touché) quand Dieu nous monstrera la raison de ses oeuvres, et bien remercions sa bonté, pour dire, Seigneur, tu descens bien bas a nous povres creatures, quand tu daignes bien nous declarer pourquoy tu fais ceci, ou cela: ta bonté merite bien d'estre magnifiee par nous, quand tu la communiques si priveement à ceux qui ne le valent pas. Mais si Dieu nous cache la raison de ses oeuvres, et que cela nous soit trop haut: que nous ayons la bouche close, c'est à dire, que nous ne soyons point legers pour babiller à nostre phantasie, mais que nous glorifions Dieu, et que nous n'ayons point honte d'estre ignorans, car c'est la vraye sagesse des fideles, de ne point savoir sinon ce qu'il plaist à Dieu de leur monstrer. Que donc nous facions silence à Dieu en quelque sorte qu'il besongne, iusques à ce que le dernier iour de revelation soit venu, quand nous le verrons face â. face en sa gloire et en sa maiesté.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE SEPTANTE ET NEUFIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXI. CHAPITRE.

7. Pourquoy les meschans vivent-ils, et vieillissent, et s'esgayent en richesses? 8. Leur semence se maintient devant leurs yeux avec eux, et leur generation est en leur presence. 9. Leur maison est paisible sans crainte, la verge de Dieu n'est point sur eux. 10. Leur taureau vient à saillir, et ne fausse point sa semence: leur vache veelle, et n'est point sterile. 11. Ils envoyent hors leurs petis comme brebis, et leurs enfans sautent. 12. Ils font sonner le tabourin et la harpe: et se resiouyssent au son des orgues.

Nous vismes hier à quelle intention Iob deduit ici un propos, qui de primeface pourroit estre trouvé assez mauvais, c'est que Dieu laisse les meschans impunis. Car il semble bien que cela ne convienne pas à son office, veu qu'il est Iuge du monde, c'est à lui de remedier aux maux qui se commettent ici bas. Quand il voit que les hommes se destordent, ne les doit-il pas reprimer? Ou quand il voit qu'on le mesprise, ne doit-il pas maintenir sa gloire, et humilier ceux qui s'eslevent ainsi en orgueil et rebellion? Or nous voyons les

meschans qui s'esgayent contre Dieu, et demeurent là. Il semble donc que Dieu soit comme endormi. Ainsi donc Iob, en faisant telles queremonies, ne blaspheme-il point contre Dieu? Nenni: car il veut monstrer simplement, qu'encores que Dieu soit Iuge du monde, ce n'est pas à dire que les chastimens et vengeances qu'il fera sur les pechez soyent tousiours notoires, qu'on les aperçoive à l'oeil, qu'on les puisse marquer au doigt. Il faut donc tout ainsi que Dieu differe ses iugemens, que nous ayons nostre esprit enserré et ne le laissions point extravaguer selon les fantasies de la raison humaine, que nous ne soyons point trop hastifs: et quand nous voyons que les punitions ne se font pas telles qu'il seroit à souhaiter, que nous ne soyons point troublez pour cela, ni scandalisez: mais que nous attendions tout coyement, iusques à ce que le temps opportun soit venu, lequel Dieu cognoist et non pas nous. Nous voyons donc maintenant en somme à quoy Iob pretend. Or si est-ce qu'il mesle aussi parmi les tentations que pouvoyent avoir les fideles: car d'autant que Dieu delaye ainsi, et qu'il leur semble par trop tardif,

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il ne se peut faire qu'ils ne conçoivent quelque ennui et fascherie: mais tant y a qu'il nous y faut resister.

Or regardons maintenant comme Iob parle. Pourquoi (dit-il) les meschans vivent-ils ? Pourquoi est-ce qu'ils vieillissent? Pourquoi est-ce qu'ils s'augmentent en richesses? Comme s'il disoit, Les hommes entre leurs principaux desirs s'estiment bienheureux quand ils sont en santé, et puis qu'ils ont longue vie, et qu'ils sont abondans en biens. Voila en quoy on met volontiers la felicité des hommes Or on trouvera tout ceci aux meschans: leur bestail prospere, leur lignee, tout leur vient à propos: et quand ils auront mené ioyeuse vie, ils s'en vont en une minute de temps au sepulchre, c'est à dire, qu'ils ne languissent pas comme les bons qui trainent leurs ailes tout le temps de leur vie, qui sont maladifs, et abbatus de beaucoup de povretez. Ainsi les meschans s'esgayent, et puis Dieu les retire de ce monde sans grandes douleurs. Il semble donc que les pires soyent les plus favorisez de Dieu. Où en serions-nous, quand nous voudrions iuger que Dieu execute du premier coup les punitions qu'il veut faire sur les meschans? Mais combien que nous ayons en somme ce que Iob dit ici, neantmoins il sera encores bon, pour mieux esclarcir le tout, que nous cognoissions quel a esté l'erreur de Sophar. Vrai est que toutes les sentences que nous avons ouyes au chapitre prochain, sont bonnes et vrayes: mais (comme nous avons dit) elles sont mal appliquees, d'autant que Sophar vouloit conclure, que quand on verra un homme griefvement afflige, il faut qu'on dise qu'il est ennemi de Dieu: et quand on verra un homme estre à son aise, que par cela on cognoisse que Dieu lui est propice, et qu'il l'aime. Or il ne faut pas que nous y procedions ainsi: et de fait c'est l'erreur des Sadduceens. Car les Sadduceens combien qu'ils n'estimassent point que les ames fussent immortelles, et qu'il leur sembloit que les hommes ne vivoyent en ce monde sinon comme bestes, qu'il n'y avoit point de vie celeste, ne de resurrection: combien, di-ie qu'ils fussent ainsi brutaux, si est-ce qu'ils n'estimoyent pas qu'il n'y eust un Dieu, et qu'il ne se fallust dedier à son service, et cheminer en integrité et bonne conscience, et que Dieu ne regardast ceux qui vivoyent sainctement pour les aider et secourir, et leur monstrer sa bonté, et qu'aussi il ne punist les meschans. Et comment cela s'accordera-il, veu qu'en ce monde souvent les gens craignans Dieu ont fort mauvais temps? Car les Sadduceens disent que Dieu recompense en ce monde ceux qui le servent, et qu'il punit ceux qui le mesprisent. Et ainsi selon leur phantasie il n'y auroit point d'esperance aux hommes pour l'advenir, mais selon que Dieu les traitteroit

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leur vie durant, ils auroyent receu ou bien ou mal.

Or pour resister à une telle phantasie, et reprimer un erreur si pernicieux, notamment nostre Seigneur ne veut pas tousiours punir les meschans, afin que nous cognoissions qu'il y a un iugement principal qui n'est pas encores apparu. Apres, Dieu ne monstre pas tousiours signe de l'amour qu'il porte à ses enfans: car il les laisse là comme en proye et à l'abandon, qu'ils sont tormentez et assaillis, qu'ils n'ont point de secours de lui. Et pourquoy? Afin que nous sachions qu'il y a un salut meilleur et plus excellent, qui nous est appresté au ciel. Voila comme nostre Seigneur nous appelle au dernier iour: et c'est une trompette qui sonné à nos aureilles, toutes fois et quantes que les meschans ne sont point punis comme ils l'ont mérité, et que Dieu les espargne, et aussi que les bons sont affligez tant qu'ils n'en peuvent plus, et combien qu'ils invoquent Dieu, qu'ils ne sont pas exaucez en apparence, qu'on n'appercoit point que Dieu ait pitié d'eux: mais plustost qu'il semble qu'il leur tourne le des, qu'il les ait reiettez, et qu'il ne vueille nullement les delivrer des maux sous lesquels ils travaillent. Or donc nous voyons quelle estoit la brutalité des Sadduceens, quand ils ont cuidé que les hommes fussent mortels du tout, et qu'il n'y eust point de vie celeste pour eux, et que le bien et le mal que nous pouvons esperer, ou craindre, n'est qu'en ce monde. Tant y a qu'ils se sont endurcis en ceste opinion si lourde et sauvage: et Sophar et ses compagnons estoient aucunement enveloppez en une telle apprehension: Voici Dieu qui est Iuge du monde: quand donc il y a des gens affligez et batus de ses verges, il s'ensuit qu'il les hait, et qu'ils sont les plus reprouvez. Ceste conclusion-la est sotte et mauvaise. Et pourquoy? Car elle procede de cest erreur diabolique, que les ames sont mortelles, qu'il n'y a point de resurrection, qu'il n'y a point de royaume de Dieu.

Or au contraire, ces deux choses se peuvent tres bien accorder, c'est assavoir, que Dieu soit Iuge du monde, et neantmoins que les bons soyent ici comme maudits, que leur vie soit subiette à beaucoup de maux, et que les meschans s'esgayent qu'ils soyent en prosperite, qu'ils facent leurs triomphes, et ayent tout à souhait: ces deux choses, di-ie, ne sont pas repugnantes. Et pourquoy? Car Dieu n'est pas Iuge du monde pour nous assigner un certain temps, tellement qu'il faille qu'il execute ses iugemens quand la phantasie nous montera au cerveau, non, mais Dieu est Iuge du monde, et toutes fois il pourra dissimuler tellement, que quand les hommes seront pervers, qu'ils l'offenseront tant et plus, il ne fera point semblant de les punir, car il se reserve le iugement en autre temps (comme

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desia nous avons dit) il n'est pas obligé à se monstrer iuge ni auiourd'huy ni demain: il n'est pas comme les creatures, qui perdent les occasions de faire leurs affaires. Quand i'aurai une chose en main, et que le moyen me sera facile, si ie n'en use, cela m'eschappe: i'y voudrai retourner, et ie n'y viendrai point à temps. Et pourquoy? Dieu par cela nous veut inciter à estre diligens, et que quand il nous ouvre la porte, nous entrions: quand il nous monstre le chemin, que nous marchions. Mais de lui, il ne faut pas qu'il soit suiet à nostre condition, pour dire, que s'il ne besongne tantost, l'opportunité lui eschappera. Nenni, il recouvrera tousiours à son plaisir le temps, et l'heure, et le moyen. Et ainsi notons qu'il ne faut point conclure que Dieu punisse les meschans durant ceste vie, combien qu'il soit Iuge du monde. Vrai est que nous pouvons bien conclure qu'il le fait en partie. comme quoy? Dieu est Iuge du monde: il s'ensuit donc qu'il voit les forfaits qui se commettent, et les note et enregistre. Apres, il a le soin et souci des bons, et de ceux qui cheminent en sa crainte et en son service, et qui se confient en lui, et l'invoquent, il les vent secourir. Et de fait, les fideles sentent que Dieu leur est prochain, et qu'il veille pour leur salut: ils le cognoissent par experience, d'autant qu'ils sont assistez de lui ou en une sorte ou en l'autre. Les meschans aussi en despit de leurs dents sentent sa main quand il les persecute. Mais est-ce à dire que les iugements de Dieu soyent tousiours notoires ? Nenni. Est-ce qu'il punisse ici chacun selon qu'il l'a desservi, et en telle mesure ? Nenni. Mais Dieu donne quelques signes par lesquels on cognoist qu'il faut que tout vienne en conte devant lui, et que les hommes passent par ses mains: il donne aussi quelque signe pour monstrer que iamais il ne met les siens en oubli, mais qu'il les a sous sa protection et sauvegarde.

Voila, di-ie, ce que nous avons à conclure quand l'Escriture saincte nous dit, que le monde se gouverne par la providence de Dieu, et qu'il faut que tout soit rengé à lui. Mais tant y a que si nous voulions que nostre Seigneur nous monstrast maintenant en pleine perfection qu'il est Iuge des hommes, et qu'est-ce qui seroit reservé (comme desia nous avons declaré) au dernier iour, lequel est toute nostre attente ? Quand l'Escriture saincte solicite les fideles, et les exhorte à bien vivre, et sainctement, elle dit, Mes amis, que vous ayez vos coeurs eslevez en haut à ce dernier iour. Car aussi il est impossible que nous ayons une fermeté et constance en nous d'adherer à Dieu, sans iamais nous en destourner, sinon que nous surmontions les choses d'ici bas pour eslever là haut nos esprits, et que nostre ancre y soit du tout arrestee: il faut cela.

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Ainsi donc nous voyons que Iob a icy combatu contre ceste fausse opinion et maudite des Sadduceens, lesquels ont cuidé que Dieu n'exerceast ses iugemens qu'en ceste vie caduque: et a voulu monstrer que les meschans peuvent bien prosperer que toutes choses leur viendront 6, souhait mais que pour cela il ne faut point que nous soyons troublez, comme si tout se gouvernoit par fortune, qu'il n'y eu t que confusion ici bas. Nenni: mais il faut que nous ayons nos esprits recueillis iusques à tant que nostre Seigneur se monstre, lequel est comme caché, cependant que les choses sont confuses, et qu'elles ne sont pas ordonnees comme nous pourrions bien desirer. Voila donc Dieu qui ne monstre pas tousiours sa face: mais cependant si faut-il que nous voyons plus clair que de nostre sens naturel. Comme quand le temps est troublé, nous ne verrons point le soleil: mais nous ne sommes pas si despourveus de sens, que nous ne sachions bien que le soleil luit tousiours par dessus les nues. Si on demandoit à un petit enfant, Où est le soleil? Il n'y en a plus, diroit-il: car il n'est pas instruit iusques là, de savoir que la clarté que nous avons vient du soleil, quelque empeschement qu'il y ait entre deux. Or nous qui avons par usage cela tout resolu, que le soleil fait son circuit ordinaire, quand il est levé, encores qu'il y ait des nues qui nous empeschent de le voir, nous ne laissons pas de dire, Le soleil luit, mais le temps n'est pas clair ne serain que nous apercevions ce qui est caché. Ainsi quand nostre Seigneur envoye des troubles en ce monde, et que nous voyons l'iniquité qui se transporte comme sans bride, qui est comme un deluge qui s'espanche par tout, et que nous n'appercevons pas que Dieu y vueille resister, mais qu'il semble que toutes choses vont là comme à l'abandon: que les bons sont opprimez, et combien qu'ils souspirent et gemissent à Dieu, qu'il ne fait point de semblant de les secourir: quand, di-ie, nous voyons tout cela, il nous faut avoir une raison plus haute que nostre sens naturel. Et nous faut lors resoudre, que tant y a que Dieu nous assiste encores: et aussi veu qu'il ne permet pas que le monde soit du tout abysmé, mais qu'il y a encores quelque bride secrette, qu'il retient les meschans, que nous voyons que tout n'est pas en sang, et en meurtres: cognoissons que Dieu domine, encores que ce soit d'une façon obscure. Et puis voyons-nous que les bons ne soyent point aidez et delivrez de sa main? Si est ce toutes fois qu'il les maintient et conserve: car sans ce a aussi ils periroyent du premier coup. Combien donc qu'ils soyent tormentez d'afflictions, ce n'est pas à dire que Dieu leur ait tourné le des pleinement, et qu'il n'ait plus regard à eux. Au contra e au milieu des nues obscures et

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espesses, il leur fait tousiours sentir qu'il est prochain d'eux pour leur subvenir au besoin. Il faut donc que nous ayons tousiours cela persuadé, que Dieu gouverne, voire d'une façon secrete.

Or maintenant non seulement nous avons l'intention de Iob, mais nous voyons à quel usage et à quelle fin nous devons appliquer ce propos pour en recueillir une bonne doctrine. Il ne se peut faire quand nous voyons les choses ainsi desbordees comme elles sont durant ceste vie, que nous ne soyons faschez: car nous sommes si tendres et debiles que rien plus: et puis nous enclinons tousiours au mal, et le diable d'antre costé nous solicite à defiance. Quand donc nous ne voyons point que nostre Seigneur reprime les meschans, et qu'il les corrige s'ils ont failli, ni aussi à l'opposite qu'il donne secours aux bons: il est vrai que ceci nous pourroit bien fascher: car nous pourrions concevoir quelque chagrin et ennui en nous, pour demander a Dieu pourquoy c'est qu'il dissimule (car il semble qu'il soit endormi) mais si est-ce qu'il ne faut point que nous soyons si hastifs ne si bouillans. Et pourquoy? Car nostre Seigneur sait comment il doit exercer ses iugemens, ce n'est pas à nous de lui imposer loy. Voire? mais il seroit temps ou iamais. Et qui sommes-nous? Faut-il que nous presumions d'en determiner? Et au reste si nous disons que c'est trop attendu, cognoissons que nous ne regardons que devant nos yeux. Or il y a une autre vie: ce n'est rien que de ce passage auquel nous sommes. Quand les hommes auront ici vescu, et bien, ils ont accompli leur chemin: mais ce n'est qu'une petite course au prix de ce temps qui est permanent' et de ceste vie laquelle durera à iamais. Ainsi donc quand nous aurons consideré que les hommes ne sont pas creez seulement pour estre ici quelque espace de temps en ce circuit qu'ils font, mais que Dieu les appelle plus loin: il ne nous semblera point que Dieu soit trop tardif, combien qu'il n'execute pas du premier coup les corrections qui sont à desirer sur les meschans. Car (comme desia nous avons monstré) il recouvrera bien son occasion que nous cuidons avoir este perdue.

Voila comme il nous faut batailler conte les mauvaises phantasies qui nous viennent au devant, lors que les choses ne sont pas reduites en tel ordre que nous voudrions bien. Que nous cognoissions donc alors, Il est vrai que Dieu ne besongne point, ce nous semble: mais tant y a qu'il pourra bien tousiours faire son oeuvre. Seulement attendons, et tenons-nous cois: et la fin ou l'issue nous monstrera qu'il n'a pas esté endormi, lors que nous n'avons point apperceu qu'il eust regard à ces choses basses. Voila donc comme nous avons à prattiquer ceste doctrine de Iob. Et quand il y en aura qui diront d'en costé, Et si Dieu gouverne le

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monde, pourquoy est-ce qu'il ne remedie à tant de maux qui se commettent? Pourquoy est-ce qu'il ne delivre les siens, lesquels il voit estre tormentez tant et plus? Or il veut ainsi exercer la foy et la patience de ses enfans: il convie les meschans et incredules par sa douceur, mais il les rendant plus inexcusables, quand ils prennent par sa bonté, occasion de s'endurcir: c'est pour tousiours agraver leur condamnation d'autant plus. Voila ce que nous avons à respondre. Et puis si quelquesfois nous sommes tentez de souhaiter que Dieu se haste: voire mais ce n'est pas à nous de lui imposer loy. Il est vrai que nous pouvons bien gemir, nous pouvons bien dire, Et Seigneur, iusques à quand? Mais si faut-il que tous nos desirs et requestes soyent réglées en patience, et que nous soyons suiets à Dieu quoy qu'il en soit, et que nous souffrions qu'il dispose le tout selon sa bonne volonté: c'est à nous de souhaiter, mais en nos souhaits si ne faut-il pas que nous pensions assuiettir Dieu à nos appetits: ains plustost qu'en cela nous donnions approbation de nostre obeissance, quoy qu'il ne face pas les choses comme nous pourrions imaginer.

Voila quelle est la vraye pratique de ceste doctrine de Iob. Mais sur tout que nous tendions à ce but, de tousiours estre confermez en ceste attente du dernier iugement. Voila comme il nous y faut proceder, et cognoistre que Dieu est iuste, comme son office est de gouverner le monde. Quand nous aurons prins ces deux articles-là, c'est un bon fondement pour bastir dessus. L'office de Dieu est de gouverner le monde: car il ne faut point que nous imaginions qu'il soit comme une idole. Si nous cognoissons Dieu estre une essence incomprehensible, pour dire, Dieu a toute maiesté en soy, et cependant que nous le despouillions de ce qui lui est propre, et qui ne peut estre separé de lui: nous en faisons une idole, et une chose morte: comme de fait quand il ne gouvernera point ses creatures, et que tout ne sera point sous son empire, que tout ne sera point disposé par sa main, ne par son conseil: ie vous prie, n'est-ce pas comme deschirer Dieu par pieces? N'est-ce point aneantir sa maiesté ? Il est bien certain. Ainsi donc il nous faut tousiours avoir cest article resolu, que Dieu gouverne, et que tout est sous sa conduite et son conseil. Or il nous faut adiouster aussi bien, qu'il est iuste qu'il ne gouverne point d'une façon confuse ni à l'estourdie, que son Empire n'est pas seulement pour monstrer sa puissance absoluë, comme les tyrans se feront valoir, usurpans une licence pour faire à tors et à travers tout ce que bon leur semblera: mais Dieu a une puissance telle que sa iustice en est la vraye regle. Or avons-nous ces deux poincts-là? il nous faut puis apres estre

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confermez en l'esperance de la resurrection par les troubles qui sont en ce monde. Quoy? Nous voyons que les meschans vivent et vieillissent, nous voyons qu'ils menent tous leurs iours en ioye, qu'ils font grand chere, nous voyons que tout leur vient à souhait et en leurs enfans, et en leur bestial, et en leurs maisons, qu'il semble que Dieu les tienne entre ses bras il faut donc conclure qu'il y a un autre iugement. Et ainsi esiouyssons-nous en ceste attente de la venue de nostre Seigneur Iesus Christ. Nous voyons que les bons sont ici affligez et molestez: et toutes fois ceux-là sont heritiers du monde. Et où est cest heritage? Ils n'ont pas quelquesfois un morceau de pain à manger: on les gourmande: ils invoquent Dieu, et ne sont pas delivrez. Il faut donc sentir que Dieu se reserve à monstrer aux siens l'amour qu'il leur porte, et que ce qu'il leur a promis de sa grace, il ne le veut point maintenant accomplir en tout et par tout, afin qu'ils soyent esmeus par ce moyen de cercher cest heritage celeste qui leur est promis, qu'ils tendent là, et qu'ils y aspirent.

Ainsi donc au lieu que de nature nous sommes enclins à nous scandaliser, et à nous desbaucher mesmes, quand nous voyons les choses estre mal ordonnees: que cela nous serve d'autant de confirmation, que ce nous soit comme coups d'esperons pour nous picquer, afin que nous tirions à ceste vie celeste, pour dire, Et bien Seigneur, nous voyons que les meschans ont ici la vogue: mais qu'il ne faut point que nous portions envie à leur felicité: car ta malediction s'appreste pour estre horrible sur eu. Et ainsi il vaut beaucoup mieux que nous soyons miserables, et que cependant tu nous regardes en pitié, et que nous ne soyons point enveloppez en la confusion qui est apprestee à ceux qui maintenant font leurs triomphes. Et bien Seigneur, tu nous as promis de nous estre Pere: nous t'invoquons, et toutes fois nous ne voyons point ton aide du premier coup: par cela nous voyons bien Seigneur, que ce n'est pas ici qu'il nous faut arrester. Au ciel, au ciel donc: car c'est là que tu nous appelles. Et ainsi ne regardons point à ceste vie ici, et qu'il ne nous face point mal d'y estre agitez entre beaucoup de vagues et tourbillons, veu que par ce moyen nostre Seigneur nous sollicite de venir en haut à lui comme s'il nous donnoit des coups d'esperon. Voilà donc la principale pratique que nous devons avoir de ce passage. Et ainsi tant s'en faut que Iob se soit ici desbordé, qu'il a traitté les principaux articles de nostre foi, quand ici il nous monstre qu'il ne nous faut point combatre contre la providence de Dieu, quand elle ne se monstre pas du premier coup: qu'il ne faut pas aussi qu'à la façon des Sadduceens nous constituions ici bas une perfection

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de toutes les oeuvres de Dieu. Au contraire, que nous regardions tousiours à ceste resurrection derniere, d'autant que ce sera là où toutes choses seront reduites, et ce qui est maintenant confus sera ramené en son ordre.

Au reste, si nous sommes de prime face preoccupez de quelque tentation, que nous ne perdions point courage: mais que nous retournions à ceste conclusion que fait ici Iob, car (comme i'ay desia dit) nous experimentons par trop combien nous sommes debiles, et que nous defaillons bien toit quand nous avons quelque tentation qui nous presse. Quand donc les choses iront à tors et à travers (comme on dit) et que nous serons ici opprimez, et que les meschans auront la vogue: nous serons saisis de fascherie, que nous concevrons une amertume en nostre coeur, et ce sera pour entrer en dispute, comme Iob commence ici. Nous pourrons donc bien entrer en dispute: car il ne se peut faire que nous ne soyons agitez de prime face, Qu'est-ce que ceci veut dire? Comment est-ce que Dieu l'entend ? Mais il ne nous faut point demeurer là: et pourtant quand nous aurons disputé Qu'est-ce que ceci veut dire? que nous venions à y

ce que l'Escriture nous monstre, c'est assavoir que si Dieu tenoit ici un ordre si exquis qu'il n'y eust que redire, où seroit nostre paradis? Quelle foy, quelle esperance aurions-nous plus? Mais d'autant que nostre Seigneur nous veut attirer plus loin, il laisse les choses maintenant comme en suspens tellement que nous pouvons dire, Oh en sommes-nous? mais c'est afin que nous regardions à ceste esperance de la resurrection. Et ainsi donc que nous ne perdions point courage, encores que nostre nature nous encline à beaucoup de mauvaises tentations: mais apprenons d'y resister, et que nostre conclusion se prenne telle que Iob a fait: c'est à dire, encores que du premier coup nous ayons este esbranlez, que nous concluions neantmoins que Dieu est iuste en tout ce qu'il fait: et combien qu'il differe ses iugemens, que pour cela il ne perd pas l'occasion de les executer quand bon lui semblera. Car ce qu'il espargne les meschans, c'est qu'il attend iusques à ce que leur tour soit accompli. Voila ce que nous avons à observer sur ce passage.

Or notamment Iob dit ici (apres avoir parlé de la prosperité des meschans) Qu'ils courent au son du tabourin et de la fleute, et qu'ils sautent au son des orgues, qu'ils menent leurs iours en ioye et en liesse, et qu'ils descendent en une minute de temps au sepulchre. Ici Iob veut exprimer quelque chose d'avantage que ce qu'il avoit dit, que les meschans vivent et vieillissent, et que tout leur vient à souhait: c'est qu'aussi de leur costé ils se donnent du bon temps, et sont comme enyvrez en ces biens

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que Dieu leur envoye. Ce sont deux choses diverses, que d'avoir santé corporelle, d'avoir lignee, d'avoir beau bestail, d'avoir de grandes possessions, d'estre riche en toutes sortes, d'estre honoré: et, de prendre là un tel plaisir, qu'on y soit comme esvanoui. Pourquoi? Abraham a esté riche, il a este sain et robuste en son corps: comme Iacob le monstre assez, quand il dit, Que ses iours ont este mal-heureux au prix de ceux de ses peres. Voila donc Abraham qui est robuste et en bonne vigueur: et aussi il lui a esté promis qu'il mourroit en bonne vieillesse et vertueuse, estant saoul de vivre ici bas. Il a esté riche: car combien qu'il n'eust point d'heritage, ni de possessions: si est-ce qu'il avoit et grande famille, et grand bestail, comme l'Escriture le monstre. Or cependant y estoit-il enyvré? Estoit-il comme esbloui en ses richesses? Nenni: mais il a esté pelerin en ce monde, il a cognu que Dieu l'appelloit plus loin, il ne s'est pas aussi fondé en sa vertu, il n'a point esté comme ceux qui s'esgayent, et qui font des chevaux eschappez quand Dieu leur donne vigueur et santé en leurs corps: mais il a tousiours este comme matté devant Dieu, et n'a pas laissé de s'humilier, tellement que son exemple nous peut servir de beaucoup. Or cependant les mondains, et ceux qui ne regardent point plus loin qu'à la terre, quand ils ont des richesses, qu'ils ont santé corporelle, ils sont là enyvrez, tellement qu'ils s'oublient, et ne regardent plus à Dieu. Comme nous voyons qu'en une mesme table l'homme temperant pourra bien prendre sa refection de ce qu'il y a sobrement et sans en abuser: et un autre gourmandera pour se crever, sur tout quand il aura vin à commandement: comme nous en voyons d'aucuns qui ne taschent qu'à s'abbrutir du tout, et leur semble qu'ils ont un gosier pour entasser le vin, ils se mettent là à la gehenne d'eux-mesmes pour se remplir tant mieux. Ainsi en est-il, qu'aucuns pourront bien avoir quelque felicité: et toutes fois ils ne s'y esgayeront point, ils se retiendront tousiours en crainte et en bride: mais ici Iob dit, que les meschans abuseront des dons et graces de Dieu: et que quand il leur laisse comme la bride sur le col, alors ils se iettent à travers champs, qu'il leur semble qu'il n'y ait plus de suiection pour eux: que mesmes ils s'esgayent au son du tabourin et de la fleute, qu'il n'est question que de danser et de faire grand' chere, qu'ils sont là du tout abrutis. Voila ce que Iob a voulu exprimer en ce passage.

Or quand il nous fait ici une description des contempteurs de Dieu, et qu'il nous les monstre comme en peinture: c'est afin que nous apprenions de nous retirer d'une telle stupidité. Et ainsi quand Dieu nous donnera du bien en abondance,

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apprenons de ne nous y point enyvrer: mais que nous cheminions tousiours en crainte, nous tenans en bride, que nous soyons vigilans car nous ne sommes point enfans de la nuict, comme dit sainct Paul (1. Thes. 5, 5): Dieu nous esclaire par sa parole, il veut que nous cheminions comme en plein midi. Voila ce que nous avons à noter de ce passage. Au reste quand Dieu ne nous envoye point nos aises et nos delices, cognoissons qu'il nous retranche nos morceaux, d'autant qu'il voit que nous n'en sommes point capables. Un homme ne donnera point à son enfant plus a manger qu'il ne sait lui estre propre, ou autrement il sera fol: ainsi Dieu en use-il envers nous. Il a tousiours la main ester lue pour nous bien faire, il n'est point chiche de son costé, comme s'il avoit peur que rien lui defaillist: mais voyant que nous avons nos appetis de bordez, qu'il n'y a ne regle ne mesure, il nous traitte comme il cognoist nous estre bon, en nous donnant portion convenable. Cognoissons donc que si nous n'avons point dequoi faire grand chere, que nous n'ayons point nos voluptez, c'est Dieu qui nous retranche nos morceaux: car il sait nostre portee, il cognoist bien que l'abondance seroit pour nous gaster.

Voila ce que nous avons à noter en second lien de ce passage, quand il est dit, Que les contempteurs de Dieu courent au son de la fleute et du tabourin. Or cependant nous voyons que ce n'est pas chose nouvelle aux enfans de ce monde, de s'esgayer outre mesure en ces vanitez que Dieu condamne, comme en danses, et semblables dissolutions: cela a esté de tout temps, car le diable qui n'a iamais tendu sinon d'aveugler les hommes, et de les retirer du regard de Dieu, et de la vie spirituelle, a eu ces artifices de ce temps-la aussi: et les hommes ont volontiers suivi ce qui leur sembloit beau et plaisoit à la chair. Quand donc nous voyons auiourd'hui qu'il y a beaucoup de gens qui ne demandent qu'à s'esgayer, et mesmes qu'ils ne tiennent point de contenance: mais qu'ils ne cerchent qu'a, sauter et a dancer comme bestes esgarees, et faire choses semblables: cognoissons que cela n'a point commencé d'auiourd'huy, et que le diable a dominé de tout temps. Mais cognoissons aussi que le mal n'est point excusable pour son ancienneté. On a tousiours ainsi fait: voire pource que le diable a tousiours regné: mais Dieu est-il ietté de sa possession neantmoins? Au reste, il est vrai (comme il sera traitté demain plus à plein au plaisir de Dieu) que la fleute et le tabourin, et choses semblables de leur nature ne sont pas simplement à condamner: c'est seulement l'abus des hommes: mais le plus souvent on pervertit le bon usage. Car il est certain que iamais le tabourin ne sonne pour faire resiouir les hommes,

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qu'il n'y ait de la vanité, ie ne di point superflue, mais comme brutale, car voila les hommes qui sont transportez, tellement qu'ils ne s'esgayent point d'une ioye moderee, mais ils se iettent en l'air, et semble qu'ils doivent sortir d'eux-mesmes. Voila donc comme Iob a ici voulu marquer une ioye maudite, une ioye que Dieu condamne. Par cela estans admonnestez nous devons nous restraindre: et quand nous voyons qu'il y en a beaucoup qui ne demandent qu'a avoir de tels esbats, que nous disions, malheur sur eux: et si nous ne voulons que la mesme malediction vienne sur nous, que nous apprenions de nous separer de telles dissolutions

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et insolences: mais plustost que nous advisions de nous restraindre, et d'avoir Dieu tousiours devant les yeux, afin que nostre ioye soit benite de lui, et que nous puissions user des biens qu'il nous fait, en telle sorte que nous ne laissions pas de tousiours aspirer là haut au ciel. Voila donc comme il nous faut appliquer toutes nos resiouissances à ce but, qu'il y ait une melodie qui resonne en nous, par laquelle le nom de Dieu soit benit et glorifié en nostre Seigneur Iesus

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

L'OCTANTIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XI. CHAPITRE.

Ce sermon contient le reste de la declaration du verset 12 et puis du texte qui s'ensuit

ici.

13. Ils passent leurs iours en bien, et en un moment ils descendent au sepulchre. 14. Ils disent toutes fois à Dieu, Retire toy de nous: car nous ne voulons point cognoistre tes voyes. 15. Quel est le Tout-puissant, que nous le servions? ou quel profit y aura-il de le prier?

Il fut hier declaré que Iob parle ici de ceux qui abusent des biens que Dieu leur fait durant ceste vie mortelle, tellement qu'ils se transportent en ioye, et y sont comme enyvrez. Et par cela nous devons estre advertis de nous resiouir tellement, qu'il y ait tousiours une attrempance en nous, et que nous puissions nous reprimer. Car ce qui nous doit plus faire souvenir de Dieu, c'est quand nous recevons les biens qu'il nous eslargist: cela nous doit attirer à lui et à son amour. Au contraire nous voyons que ceux qui s'esgayent sans mesure et sans ordre, mettent Dieu en oubli, et s'esgayent tellement qu'ils ne pensent plus à lui, et ne lui veulent plus estre suiets. Ainsi donc suivons ceste attrempance que i'ai dite. et apprenons de moderer toutes nos resiouyssances, et que nous ne soyons point ravis en ce monde. Cependant aussi pource qu'il est ici parlé de la fleute, de la harpe, du tabourin, et d'autres instrumens de musique, notons que les choses qui sont bonnes de leur nature, ne doivent point estre tirees par nous en mauvais usage, comme la musique en soi ne peut point estre condamnee: mais pource que le monde en abuse

quasi tousiours, nous devons estre tant plus sur nos gardes: et ce passage ici nous en advertit. Nous voyons auiourd'hui que ceux qui usent de musique s'enveniment à l'encontre de Dieu, ils s'endurcissent. Il y aura les chansons: et quelles? pleines de vilenie, et puis les danses viendront apres pour comble du mal: car il y aura de l'impudicité tousiours, tellement que les danses de soi, et comme on en abuse, ne sont que maquerelages, à bien parler en un mot. Ainsi donc ce n'est point sans cause, que Iob voulant exprimer que les enfans de ce monde, et les contempteurs de Dieu se desbordent en leur resiouyssance, parle du son du tabourin et de la fleute, et d'autres instrumens de musique. Comme i'ai desia touché, il ne condamne pas ces choses, comme si de nature elles estoyent mauvaises: mais il regarde l'abus qui s'y commet: car les hommes ne sont iamais si attrempez, qu'ils usent modestement de la musique. Il y a donc ce vice à noter, afin que nous y pensions pour en faire nostre profit. Bref, que nous excusions les vanitez qui se commettent en la musique tant que bon nous semblera, voici l'Esprit de Dieu qui les condamne, pource que les hommes s'esgayent par trop: et quand ils prennent leur delices et voluptez en ces choses basses' ils ne pensent point à Dieu, et ne rapportent point le tout à lui. Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il est dit finalement, que Dieu permettra

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que les contempteurs de sa maiesté aillent au sepulchre en une minute de temps, apres avoir fait grand' chere en toute leur vie. Ceci est aussi bien noté au Pseaume septantetroisieme (v. 4), combien que là il y a une autre similitude, c'est que les meschans vont à la mort sans estre empeschez ne retenus, qu'ils n'ont point de liens, ne cordeaux. Et par cela le Prophete veut monstrer, que les enfans de Dieu ne font que languir en ce monde, et trainer leurs ailes: car les maladies, et choses semblables, sont comme liens qui nous attirent à la mort, et nous en retirent. D'un costé, quand nous sommes malades, voila la mort qui nous menace: car nous sommes advertis quelle est la fragilité de nostre vie, ce sont autant de messages que Dieu nous envoye pour dire, Apprestez vous: car vous n'avez rien de certain ne ferme au monde. Voila donc les liens de la mort qui nous y attirent. Et puis en languissant nous ne pouvons mourir: il semblera quelquesfois que nous ne devions pas vivre un demi an tout au plus: et toutes fois nous allons tousiours, et cependant voila tousiours le mal qui continue. Nous voyons cela aux enfans de Dieu, et cependant voila les meschans qui s'esgayent, qui sont robustes et en pleine vigueur: et quand ils viennent à la mort, il semble que ce soit à souhait qu'ils s'en aillent coucher. Cola semblera bien estrange: mais retenons ce qui a desia este exposé par ci devant, c'est assavoir que Iob veut monstrer, combien que Dieu ne punisse point ici bas tous forfaits, qu'il ne faut pas estimer toutes fois qu'il soit endormi, ne qu'il ait quitté son office. Pourquoi? Il se reserve à faire iugement apres la vie presente. Voila donc comme nous devons eslever nos esprits plus haut qu'à ceste vie caduque, cognoissans quand un homme aura ici bien en tous ses souhaits, qu'il ne laisse point d'estre mal-heureux, et qu'il ne faut point que nous lui attribuions quelque felicité pourtant La raison? Il viendra devant son Iuge. Et ainsi ne soyons point tentez d'estre semblables à ceux qui mesprisent Dieu, et qui se donnent ici du bon temps, et s'enyvrent en leurs voluptez: mais plustost que nous aimions mieux estre miserables, et que Dieu nous face gouster sa bonté, et que nous prenions nostre contentement là, cognoissans que c'est nostre souverain bien qu'il nous aime et nous soit propice, et que nous apprenion de regarder à c'est heritage celeste. Voila dequoi les fideles sont ici admonnestez.

Or Iob consequemment declare, comme les meschans reiettent du tout Dieu. Ils lui disent Retire toi de nous: car nous ne voulons point cognoistre tes voyes. Vrai est que les meschans ne desgorgeront point un tel blaspheme, que de reietter Dieu: mais par effect ils monstrent assez

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qu'ils se veulent passer de lui, et ne desirent sinon d'estre exemptez de sa suiection: et quand ils ne le peuvent faire, encores s'efforcent-ils de s'eslongner de lui tant qu'ils peuvent: nous voyons cela. Et qu'ainsi soit, quand les hommes veulent vivre sans scrupule de conscience: et qu'à leur escient ils s'abrutissent en sorte qu'ils ne discernent plus entre le bien et le mal, que tout leur est licite: n'est-ce pas dire à Dieu, Retire toi de nous? Car si Dieu nous est prochain, il faut que nous l'ayons la devant nos yeux comme nostre Iuge, et que nous ne pensions, ne disions rien sinon comme on sa presence, que nous n'attentions rien sinon pour estre iugez de lui. Tous ceux donc qui veulent avoir une liberté de vivre à leur poste, c'est autant comme s'ils vouloyent repousser Dieu bien loin, et n'avoir nulle accointance avec lui. Et mesmes le second mot exprime ce que nous devons ici entendre, Nous ne voulons point de tes voyes: car d'estre prochain de Dieu, ou s'en eslongner, cela ne se rapporte point à la maiesté de Dieu: car son essence divine ne se monstre pas, cela n'est point visible aux creatures. Il est vrai que nous en aurons bien quelque sentiment, nous cognoistrons que son essence est infinie qu'elle est espandue par tout: mais cependant si est-ce que nous cognoissons Dieu principalement sous les vertus par lesquelles il se communique à nous, et principalement quand il nous declare sa volonté, quand il nous enseigne quel il est, et qu'il nous monstre comme nous devons cheminer, et comme nostre vie doit estre reglee: voila comme nous sommes prochains de lui: quand nous souffrons d'estre enseignez par sa parole, que nous cognoissons, Voila Dieu qui parle à nous, et qui se declare familierement, afin que nous venions à lui, et que nous-nous y arrestions.

Au reste, quand les hommes ne se veulent point rendre dociles, qu'ils reiettent toute instruction, qu'ils demandent d'estre du tout eslourdis: que si on leur apporte quelque bonne doctrine, ils n'en tiennent conte. Voila comme les hommes s'eslongnent de Dieu au lieu d'en approcher. Et pourtant i'ai dit, qu'ici Iob declare ce qu'il avoit entendu auparavant, c'est assavoir que les meschans et contempteurs de Dieu quand ils ne veulent point se submettre aux voyes de Dieu, ils s'eslongnent de lui tant qu'il leur est possible. Nous ne voulons point donc de tes voyes, c'est à dire, retire toy de nous. Or voici un passage dont nous pouvons recueillir une bonne doctrine et utile: car en premier lien il nous est monstré quelle est la racine de bien vivre, et le fondement: c'est assavoir que nous ayons Dieu comme devant nous. Il est vray que nous ne le pouvons pas fuir: mais de nostre costé il faut que nous lui soyons prochain.

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voila pourquoi l'Escriture quand elle veut signifier, qu'un homme a vescu sainctement, dit, Qu'il a eu Dieu devant ses yeux: au contraire quand elle dit, Qu'un homme a tourné le des à Dieu, elle monstre qu'il ne l'a point regardé, ou que la memoire de Dieu n'a point esté en lui: c'est autant comme s'il estoit dit, qu'un homme a esté desbauche, et qu'il s'est adonné à tout mal, bref, qu'il est desesperé. C'est donc une chose bien notable que ceste façon de parler. Pourquoi? De nature nous sommes desia enclins à toute corruption. Et comment nous en pouvons-nous retirer ? C'est une chose difficile que les hommes se changent, et qu'ils facent force et violence à tous leurs plaisirs et voluptez, qu'on cognoisse qu'ils soyent renouvellez, pour dire qu'ils ne soyent plus ceux qu'ils estoyent. Voila (di-ie) une chose difficile: car un homme s'esgarera tousiours bien loin en mal, sinon qu'il y ait une vertu et force admirable qui soit pour lui faire tourner bride, et renoncer à sa propre volonté, à son sens, et à sa raison.

Or est-il ainsi (comme desia nous avons monstré) que les hommes tendront tousiours à mal iusques à ce qu'ils soyent reformez. Et qui est-ce qui les reformera? Ils ne peuvent point faire cela d'eux-mesmes, il n'y a creature qui en puisse venir à bout: il faut donc que Dieu y besongne, il n'y a que la seule presence de Dieu, quand l'homme cognoistra, Or sus, il me faut cheminer devant mon Dieu qui est mon Iuge, et quoi qu'il en soit ie ne puis eschapper de sa main. Si l'homme a ceste consideration, alors il pourra batailler contre ses mauvaises cupiditez, tellement qu'il sera prest de suivre le bien, au lieu qu'il estoit adonné à mal. Apres, outre ce que nos mauvaises affections nous transportent, nous sommes tellement aveugles, que chacun se fera à croire que le mal est bien: et nous ne discernons pas iusques à ce que Dieu nous esclaire. (Car cependant que nous cheminons les uns parmi les autres, nous sommes rats en paille, ainsi qu'on dit en proverbe, c'est à dire, il n'y a nul ordre entre nous, et chacun abusera son compagnon: nous sommes comme povres bestes, celui qui va devant conduit mal comme un povre aveugle, et c'est pour seduire les autres qui vont comme ils ont accoustumé: car nous faisons de coustume loi. Il n'y a donc autre remede pour nous monstrer quel est le droit chemin, sinon que nous regardions à Dieu, et qu'il nous soit prochain. Voila deux raisons qui nous monstrent bien que ceci nous est plus que necessaire. Qu'un chacun donc se presente devant Dieu, que nous lui soyons prochains, et que nous gardions bien de nous eslongner de lui: car c'est la seule bride qui nous peut donter, et qui nous peut assuiettir au bien, au lieu que nous aurions une licence brutale qui nous

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attireroit à mal. Et puis Dieu qui nous donne prudence et discretion, cognoist bien ce qui nous est bon, et ce qui est necessaire pour nous retenir, afin qu'un chacun ne s'esgare point en ces folles phantasies: mais que nous suivions sa simple volonté, qui est la reigle de toute iustice et droiture. Ainsi donc voulons-nous cheminer comme il appartient? Commençons par ce bout, c'est assavoir, de nous approcher de nostre Dieu. Comment en approcherons-nous ? En premier lieu que nous cognoissions que rien ne lui est caché, il faut que tout vienne à conte devant lui, qu'il soit iuge mesmes aussi de nos pensees. Voila quant au premier.

Et au reste, que nous cognoissions que Dieu nous veut iuger par sa parole: et que ce n'est point sans cause quelle est nommee Glave tranchant de deux costez, et qu'il faut qu'elle examine les pensees les plus secrettes, qu'il n'y ait ne moelle dedans les os, ne rien si secret que tout ne soit examiné par ceste parole. Quand donc nous cognoistrons cela, ce sera pour nous faire approcher de Dieu, pour l'avoir tousiours devant nos yeux, et pour ne rien attenter que sous son obeissance. Ainsi suivant ce qui est ici contenu, que nous desirions de savoir les voyes de Dieu, au lieu que ceux qui en veulent estre ignorans, et qui ferment les yeux à la clarté, repoussent Dieu tant qu'il leur est possible. Or par cela nous sommes admonnestez combien nous devons priser la parole de Dieu. Car c'est nostre souverain bien que Dieu nous soit prochain, et nous à lui. Et comment cela se fera-il, et par quel moyen? C'est quand de son costé il descend à nous, qu'il nous donne sa parole, et nous rend tesmoignage qu'il veut habiter au milieu de nous: et quand nous recevons ceste parole-la, c'est autant comme si nous recevions Dieu, que nous lui fissions hommage, afin qu'il regnast sur nous. Puis qu'ainsi est donc que Dieu nous est present par le moyen de sa parole, nous voyons qu'il ne nous pourroit advenir plus grand malheur, sinon quand Dieu nous laisse errer en nos phantasies, et qu'il ne nous gouverne pas, et que nous n'avons pas la doctrine de salut par laquelle il nous attire à soi. Et au contraire, que le thresor le plus grand et le plus inestimable que nous ayons, c'est que Dieu nous gouverne, que nous soyons enseignez de sa volonté, que nous ayons certain tesmoignage qu'il nous veut recueillir à soy comme son peuple. Mais cela est bien mal cognu du monde: et d'autant plus nous faut-il bien noter ce passage. Et au reste, que nous soyons advertis, que tous ceux qui veulent faire des revesches, et qui ne peuvent plier le col sous le ioug de Dieu, c'est autant comme s'ils le repoussoyent bien loin. Il est vray qu'ils pensent qu'on

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leur fait grand tort, quand on les appelle des ennemis mortels de Dieu, et qu'on dit qu'ils ne demandent sinon à le debouter de toute authorité pour le fouler au pied: O, nostre intention n'est pas telle. Voire, mais feront-ils le S. Esprit menteur, qui a declaré que tous ceux qui ne veulent point s'assuiettir à la doctrine de salut, bataillent tant qu'il leur est possible à l'encontre de Dieu, qu'ils le veulent bannir du monde, qu'ils ne peuvent souffrir qu'il regne, et qu'il ait son authorité ? Voila que le S. Esprit en prononce.

Puis qu'ainsi est, si nous ne voulons estre coulpables d'un tel sacrilege, que nous apprenions de nous humilier: et toutes fois et quantes que Dieu nous envoye sa parole, que nous tremblions sous icelle: et que par cela nous monstrions que nous ne demandons sinon d'estre presens à nostre Dieu, de le regarder tousiours, et de cheminer comme sachans bien qu'il faut que toute nostre vie vienne en conte devant lui, et que nous ne pouvons pas eschapper de sa main. u reste, que la presence de Dieu aussi nous soit desirable. Car ce n'est point assez que nous regardions à Dieu: mais il faut que nous appetions d'estre tousiours sous son regard, et sous sa conduite, car quelquesfois les plus meschans regarderont bien à Dieu: mais ce sera comme les forsaires, qui tirent quand ils se voyent là attachez, et qu'on frappe à grans coups sur eux il faut qu'ils le facent, mais cela est par contrainte. Ainsi les meschans quand Dieu parlera, cognoistront bien qu'il leur est present: mais tant y a que s'il estoit en eux, ils voudroyent aneantir sa deité, laquelle leur est contraire; ils voudroyent aussi debouter Dieu de son empire, ou bien ils voudront le fuir: comme l'Escriture saincte leur attribue cela, qu'ils diront aux montagnes, Couvrez-nous. Voila comme les meschans fuiront tousieurs la presence de Dieu, pource qu'elle leur est espouvantable. Or de nostre costé (comme i'ay dit) il ne faut pas que nous cognoissions seulement qu'il nous est prochain, mais que nous appetions d'estre devant lui, sachans que nostre condition est mal-heureuse, quand Dieu ne nous regarde point. Oh est-ce que Nous pouvons aller, sinon en perdition, quand Dieu n'est point nostre garde? Car si nous-mesmes nous pensons nous garder, où est nostre asseurance? Quels conducteurs sommes-nous? Ainsi donc que nous apprenions de prier nostre Dieu, que iamais il ne se retire de nous quoi qu'il en soit, et que pour ce faire nous goustions ceste bonté infinie qui est en lui, que cependant qu'il nous esclaire par sa parole nous cognoissions qu'il est Iuge du monde, et qu'il nous faudra rendre conte devant lui, non seulement de toutes nos oeuvres (comme nous avons dit) mais de toutes nos pensees. Il est vrai que par cela seul nous ne

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pouvons pas estre retirez à lui de nostre. bon gré. Que faut-il donc? que nous le cognoissions nostre Pere: comme de fait il se monstre tel. L'ayans cognu ainsi bon et pitoyable, il est certain que nous chercherons hardiment d'approcher de lui: estans là venus, nous ne demanderons sinon d'y persister iusques en la fin sans en decliner en façon que ce soit. Voila Cl que nous avons à noter de ce passage, que non seulement nous ayons Dieu devant les yeux, mais que nous aimions qu'il nous regarde et conduise.

Or apres que Iob a ici monstré un tel blaspheme des meschans, et des contempteurs de Dieu il adiouste, qu'ils disent: Quel est le Tout-puissant que nous le servions, et quel profit nous reviendra-il de le prier? Ici Iob exprime l'orgueil qui est en tous incredules et meschans. Et c'est un passage qui est bien digne d'estre note: car l'Esriture saincte monstre, que le principal vice qui est en tous les meschans, n'est cest orgueil-la: comme à l'opposite l'humilité est la souveraine vertu qui soit aux fideles. Et pourquoi? Car si nous avons ceste humilité, outre ce que nous apprenons de nous desplaire en nous-mesmes voire de nous condamner du tout, et nous despouiller de toute imagination de nos vertus, et venir à nostre Dieu pour cercher tout nostre bien en lui: outre cela, di-ie, nous cognoistrons qu'il nous faut estre suiets à celui qui a toute maistrise par dessus nous. Voila donc comme l'humilité est la mere et la racine de toute vertu. Au contraire, quand l'orgueil domine aux hommes, il faut qu'en toute leur vie ils soyent pervers et malins. Or cest orgueil ici est attribué aux incredules, car en premier lieu ils se font à croire que c'est merveilles d'eux, ils se confient en leur sagesse. Et nous voyons qu'on n'en pourra iamais venir à bout, d'autant qu'ils sont ainsi enflez de presomption: car ils veulent estre sages, voire en despit de Dieu, et leur semble qu'ils s'abbaisseroyent par trop s'ils renonçoyent à leur sens, pour escouter ce qui leur est monstre au nom de Dieu. Et puis se sont-ils ainsi fiez en leur prudence? Ils veulent se lascher la bride en tous leurs plaisirs et voluptez: et si là dessus on les redargue, il leur semble qu'on leur fait grand tort. Voila donc les incredules qui seront tousiours fondez en presomption: et pour ceste cause le Prophete Habacuc (2, 4) oppose ceste hautesse à la foy, signifiant que la foy amenera tousiours les hommes en une vraye humilité et obeissance: et au contraire qu'il faut qu'un infidele s'esleve tousiours, et se dresse à l'encontre de Dieu: il est impossible qu'autrement se face. Et ainsi n'est point sans cause qu'ici Iob parlant des meschans les arme de cest orgueil la, qu'il leur semble qu'ils ne se doivent point assuiettir à Dieu. Qui est le Tout-puissant, que nous le servions? Il est

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vray qu'ils n'auront point ces mots ici en la bouche, sinon que Dieu les descouvre: comme il adviendra quelquefois que les hypocrites vomissent des choses execrables. Et lors qui est cause de cela? C'est que Dieu les contraint. Car ils se voudroyent bien cacher, afin que leur turpitude ne fust point cognue devant le monde: mais Dieu ne le permet pas, suivant ce qui est dit (Rom. 1, 28), Que ceux qui n'ont point glorifié Dieu l'ayans cognu, sont mis en sens reprouvé, qu'ils s'adonnent à toute vilenie, et se rendent infames d'eux-mesmes. Dieu donc permettra bien quelquesfois que les meschans diront ainsi qu'il en est ici parlé: mais encores qu'ils se taisent, qu'ils facent mesmes de belles protestations de vouloir servir à Dieu, si est-ce que ceci est en leur coeur, qu'en despitant Dieu ils voudroyent qu'il n'eust nulle authorité par dessus eux. Quel est donc le Tout-puissant, que ,nous le servions? Exemple, Voila tous les pires qu'on pourra choisir qui diront bien de primeface, qu'il y a un Dieu, et que c'est raison qu'il soit honoré de nous: voire en termes generaux ils confesseront bien cela: mais quand ce vient à ioindre (comme on dit) et quand on les voudra regler, et qu'on leur dira: Comment? Et Dieu ne nous a-il point declaré sa volonté, et comme il veut que nous cheminions ? alors on verra qu'ils n'y veulent point entendre. Quand on voudra retirer un avaricieux de son avarice, quand un homme sera adonné à ambition, et qu'on le voudra corriger de ce vice-la, un paillard, un yvrongne, un blasphemateur, alors ils se picqueront contre Dieu: car ils voudroyent avoir licence de mal-faire, et combien qu'ils n'expriment pas ceci de bouche, Quel est le Tout-puissant? si est-ce qu'ils sont enflez comme des crapaux, et ne veulent point se renger là d'estre suiets à Dieu. Nous voyons donc comme Iob n'accuse point ici seulement ceux qui ont prononcé à bouche ouverte ce blaspheme dont il parle, mais tous ceux qui sont ainsi conflez (comme on dit) en eux-mesmes, et qui sont remplis d'une telle arrogance, qu'ils ne veulent point avec toute humilité se renger à Dieu, et ne cognoissent pas que c'est bien raison qu'il ait toute maistrise par dessus eux. Bref, si nous ne voulons estre condamnez comme ceux-ci, il faut que nous facions comparaison de Dieu avec nous: c'est que nous cognoissions, d'autant qu'il est nostre Createur, qu'il doit avoir tout empire, et qu'il faut que tout lui soit suiet. Voila pour un Item: d'autant qu'il nous a rachetez par la mort et passion de son Fils unique, qu'il merite bien d'avoir toute superiorité sur nous.

Or nous ayant acquis si cherement, il ne faut pas que nous soyons plus addonnez à nous-mesmes, mais que nous soyons du tout dediez à son service Apres, d'autant qu'il est nostre Pere, que nous lui

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devons estre enfans. Et voila aussi pourquoi il dit par son Prophete Malachie (1, 6), Si ie suis vostre maistre, où est la crainte? Si ie suis vostre Pere, où est l'amour et l'honneur que vous me devez? Dieu de lare par cela que nous ne pouvons lui estre vrayement suiets, iusques à tant que nous ayons cognu le droit qu'il a sur nous, et que nous lui ayons donné tous ses titres et qualitez. Il est nostre maistre et Seigneur: il faut donc que nous lui portions toute reverence: et quand nous le cognoissons estre nostre Pere, c'est bien raison que nous l'honorions, voire avec un vrai amour. Car un enfant, sinon qu'il soit un monstre si meschant qu'un chacun le deteste, honorera son pere: et il est certain qu'il ne le pourra pas sinon en l'aimant.

Voila donc comme nous avons à regarder Dieu. Et puis sommes-nous venus à nous? Helas! nous sommes povres creatures: qu'est-ce qu'il y a en l'homme dequoi il se puisse glorifier? Il n'y a que malediction. Et cependant comment est-ce que Dieu nous a honorez? Il nous a creez à son image et semblance: et encores que ceste image soit effacee en nous par le peché d'Adam, et que nous n'apportions rien que toute malediction du ventre de nos meres: si est-ce toutes fois que Dieu nous avoit creez à son image. Et voila desia un honneur trop grand et trop excellent. Et puis il nous a bien daigné racheter par le sang de Iesus Christ son Fils unique, il ne l'a point voulu espargner. Et puis il nous a appelez pour estre de sa maison: et non pas seulement à son service, mais comme ses propres enfans et heritiers. Quand donc nous aurons fait toutes ces comparaisons, ie vous prie quand nous aurions des coeurs de fer ou d'acier, ne doivent ils pas estre amollis ? quand nous serions enflez d'arrogance, et que nous en creverions, ne faut-il pas que tout ce venin-là se purge, et que nous venions avec une droite humilité pour obeir à Dieu? Et c'est aussi pourquoi il use de ceste preface en sa Loi, quand il nous veut rendre attentifs à obeir à ses commandemens, et que nous recognoissions l'authorité qu'il a par dessus nous: le suis l'Eternel ton Dieu. Quand il dit, le suis l'Eternel, il nous rameine à nostre creation, pour nous monstrer, Qui estes-vous? le vous ai formez de rien, comme i'ai creé le monde, et vous en estes une partie. Il faut donc que vous teniez vostre estre de moi: et si vous me faites hommage, et que vous me cognoissiez vostre Createur, vous tremblerez sous moi. Or ayant ainsi parlé, il adiouste, le suis ton Dieu, pour monstrer qu'il est Pere de son peuple, et de tous ceux lesquels il veut instruire par sa parole. Et ceste paternité-là (comme i'ai dit) nous doit induire à une reverence amiable Et puis en troisieme lieu il remonstre les benefices

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par lesquels il avoit obligé son peuple à soi. Or maintenant il y en a de plus grans et de plus excellens envers nous: car il ne nous a point retirez d'une servitude terrienne, mais du profond d'enfer: non point par la main de Moyse, mais par nostre Seigneur Iesus Christ.

Puis qu'ainsi est donc, nous voyons comme en toutes sortes nous lui sommes obligez. Et pourtant ce n'est pas raison que doresenavant nous soyons plus adonnez ù nous-mesmes: mais qu'un chacun soit prest de se dedier pleinement au service de Dieu. Et mesmes quant à ce que Iob adiouste, il est certain que si nous cognoissons ce qui nous est monstré en l'Escriture saincte, nous ne dirons plus, Quel profit y a-il de le prier? Nostre Seigneur nous pourroit bien dire, Servez moi, faites ce que ie vous commande, sans nous proposer aucun loyer: car nous sommes tenus à lui, comme il nous est remonstré, Quand vous aurez fait tout ce qui vous sera commandé, encores estes-vous serviteurs inutiles: c'est à dire, que Dieu ne nous sera iamais redevable, mais nous sommes tenus de nous addonner du tout à lui. Dieu donc nous pourroit commander simplement sans adiouster aucune promesse: si est-ce qu'il s'accommode à nous, et voyant que nous ne pourrions estre induits a son service, sinon qu'il nous donnast quelque promesse: quand il dit, Servez moi, il adiouste, Et ie vous serai pere, ie serai protecteur de nostre vie, ie vous aiderai en tontes vos necessitez. Et encores ne se contente-il point de toutes ces promesses-là: car aussi elles nous seroyent inutiles, sinon qu'il passast plus outre: ce qu'il fait quand il dit, le vous pardonnerai vos pechez, ie vous reçoi à moi en miséricorde, i'efface tontes vos iniquitez: apres, ie vous supporterai, et combien que vous soyez fragiles, et ne me serviez pas du tout comme vous devez, si est-ce que i'accepterai ce service à demi que vous m'avez rendu: car ie suis vostre Pere: ie n'examinerai point ric à ric vos oeuvres.

Voila donc tant de promesses que Dieu nous fait pour nous obliger à lui. En cela voit-on que nous n'avons nulle excuse de dire, Quel est le profit de servir à Dieu? Car en le fuyant, si est-ce que nous ne pouvons pas estre sans maistre. Ceux qui veulent cheminer à l'abandon, bride avallee (comme on dit) en despit de leurs dents ils serviront: mais c'est à leurs cupiditez, et au diable. Les payens ont bien seu dire, que le service le plus miserable, et la servitude la plus estroite qui soit entre les hommes, c'est de s'assuiettir à ses vices: voila des maistresses diaboliques que les voluptez: les Payens mesmes ont parlé ainsi. N'est-ce pas donc une chose plus honteuse a nous, quand nous aurons esté enseignez en la parole de Dieu, que

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nous vueillions estre demi rois, et avoir une liberté tant desbridee que rien plus, pour faire tout ce que bon nous semblera? Or il est certain (comme i'ai dit) que nous ne saurions estre en servitude plus miserable ne maudite: et puis il y a le diable qui a toute maistrise sur nous, tellement que nous ne pouvons pas eschapper de sa suiection quand nous voulons estre. exemptez de iustice. Et c'est ce que S. Paul entend quand il dit au sixieme des Romains (v. 20), Vous avez esté affranchis seulement de iustice. Il use de ceste similitude, que les serfs du temps passé estoyent affranchis pour n'estre plus suiets à leurs maistres, estans d'une condition libre et franche. Et bien dit-il, les hommes n'ayans point Iesus Christ, estoyent affranchis tellement qu'ils avoyent une liberté de mal faire, et n'estoyent point suiets à la iustice de Dieu. Nais quoi? Estiez-vous en vraye liberté pourtant? Au contraire, dit-il, vous serviez à peché cependant que vous n'aviez nulle apprehension de la iustice de Dieu. Et maintenant comment en estes-vous? Il s'adresse aux fideles, et dit, Vous avez honte quand vous pensez à vostre vie passee: maintenant vous cognoissez que le diable a dominé par dessus vous, et que c'estoit à vostre perdition et ruine. Vous estes donc confus en vous-mesmes, quand vous reduisez en memoire que vous avez este ainsi delaissez de Dieu, et esgarez comme bestes brutes. Voila quelle est la condition de tous ceux qui se veulent exempter du service de Dieu. Au contraire, quand nous servirons à nostre Dieu, il est certain que ce te servitude-là sera plus honorable que de posseder un royaume, comme ci dessus il a este declare. Dieu ne nous appelle point pour estre en condition de serviteurs, mais il nous veut tenir pour ses propres enfans. Puis qu'ainsi est donc, nous voyons bien que ce n'est point peine perdue de nous adonner au service de Dieu, et qu'il ne faut plus alleguer, Quel fruict y aura-il? veu que nostre Seigneur nous propose que toute nostre beatitude est de cheminer en sa crainte. Et au contraire il ne nous peut advenir plus grand mal-heur, que de nous vouloir exempter de son service. Voila donc ce que nous avons à noter.

An reste, estendons ceci plus loin, comme Iob aussi l'a fait: car il veut signifier que les meschans quand ils sont en prosperité s'esgayent, et leur semble que c'est tout un de vivre bien ou mal, et mesmes en se mocquant de Dieu, ils cuident qu'il leur favorise, sinon que du premier coup il les abysme. Comme quoy? Voila Dieu qui espargnera les meschans quand ils seront desbordez en leurs malefices: là dessus ils s'endurcissent. Et pourquoy? Il leur semble que tout va bien pour eux quand ils n'apperçoivent point les punitions de Dieu: ils s'adonnent à mespris et rebellion, comme

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dit Salomon (Eccl. 8, 11). Voila donc comme les meschans cuident qu'il n'y a nul profit de servir à Dieu, et qu'il vaut beaucoup mieux s'adonner à mal, quand du premier coup Dieu n'execute point ses iugemens. Or au contraire: il faut que nous ayons ceste conclusion en nous, comme il en est parlé au Prophete Isaie (3, 10): Dites, Il y a bon fruict pour le iuste. Quand donc nous verrons toutes choses confuses en ce monde, et qu'il semblera que ce soit mocquerie de servir à Dieu: si faut-il neantmoins que nous persistions tousiours en ceste certitude-là, que nostre Seigneur ne veut point frustrer ceux qui s'attendent à lui, et qu'ils n'ont point este allechez d'une vaine esperance, quand ils auront cerché leur loyer en lui: mais qu'ils pourront dire avec David (Pse. 16, 5), Le Seigneur est mon loyer: comme aussi il dit à Abraham, Abraham, chemine devant moi, car ie suis ton loyer tres-ample (Genese 15, 1). Voila comme il nous faut batailler contre ceste tentation qui est par trop commune, quand les hommes se defient de la promesse de Dieu, voyans que les meschans prosperent, cependant que les povres fidelles sont en affliction, et tormentez de toutes parts. Or il y a encores un mot à noter: n'est qu'apres que Iob a parlé du service de Dieu, en second lieu il met ici la priere, c'est à dire, la reverence qu'on fait à Dieu en s'humiliant sous lui, et en le requerant. Ce n'est point sans cause que Iob a usé de ce mot. Il est vrai que Dieu veut estre honoré et servi de nous en charité, en dilection fraternelle, en attrempance, en humilité, et en-toutes choses semblables: il veut que nous aimions les uns les autres, que nous taschions de subvenir à nos prochains, qu'un chacun s'assuiettisse à ce qui lui est commandé, et que sa vocation porte: que nous vivions ensemble, qu'un chacun travaille sans frauder nulli.

Voila un service de Dieu, ce sont autant de sacrifices lesquels il accepte: mais si est-ce que pour bien servir à Dieu il nous faut commencer par ce bout là, de l'honorer en lui rendant la louange qui luy est deuë: et cela se fait par prieres et oraisons. Exemple: Si un homme chemine sans malefice, qu'on ne le puisse point accuser d'avoir fraudé personne, d'avoir esté cruel, d'avoir molesté son prochain, et qu'on ne le puisse point condamner ne de paillardise, ne d'yvrongnerie, bref qu'il se soit abstenu de tous vices notables quant aux hommes, et cependant qu'il n'ait ne religion ne foy en son coeur, et qu'il laisse là Dieu: sa vie sera-elle acceptee de Dieu pourtant? Nenny: car il n'y a que vanité, tout cela n'est qu'ordure devant

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Dieu. Et pourquoy? Qu'est-ce d'avoir rendu aux hommes ce qui leur appartient, et que Dieu soit frustré, et despouillé de sa preeminence et de son authorité? Et Dieu ne doit-il point estre plus privilégié sans comparaison que toutes les creatures? Ainsi donc ce n'est point sans cause que Iob voulant monstrer quel est le vrai service de Dieu, met ceste espece, assavoir la priere, quand nous venons nous presenter à lui en oraison. Suivant cela l'Escriture saincte monstre que c'est le principal sacrifice que Dieu requiert de nous: comme il en est parlé au Pseaume cinquantieme (v. 15), qu'il a reietté toutes les ceremonies dont les hypocrites font semblant de le servir: car quand ils auront fait beaucoup de belles choses exterieures, il leur semble que Dieu soit bien tenu de les exaucer. Qu'est-ce donc que Dieu requiert de nous. invoque moy au iour de ta necessité et ie t'aideray, et puis tu me glorifieras. Voila donc le principal service que Dieu demande de nous, c'est que nous l'invoquions, sachans que quand nous y viendrons en verité, il nous fera participans de tous ses biens, et nous gouvernera par son sainct Esprit, en telle sorte que nous ne serons iamais despouillez de ses graces.

Voila donc pourquoy Iob voulant monstrer quel est le service de Dieu, dit, que de le prier c'est une chose excellente sur tout. Bref, apprenons par cela, quand nous voudrons avoir une vie bien reglee, et que Dieu approuve et accepte, qu'en premier lieu il faut que nous mettions toute nostre fiance en lui, cognoiassans que nous sommes povres creatures, quand nous n'avons point nostre recours à sa bonté: mais au contraire si nous sommes appuyez sur icelle, que rien ne nous defaudra de ce qu'il cognoist nous estre expedient pour nostre salut. Et puis, que nous advisions d'estre en bon exemple à tous, de n'estre point cruels envers nos prochains: mais plustost tascher de leur subvenir en tout et par tout supportans les infirmes et communiquans de ce que nous avons à ceux qui en ont faute. Quand donc nostre vie sera ainsi reglee, c'est le vrai service de Dieu: mais si nous despouillons Dieu de son honneur, et que nous facions semblant de le servir, et que cependant nous soyons comme chiens et chats entre nous: il est certain que nous aurons beau protester de bouche, que nous voulons servir à Dieu, mais il monstrera par effect que nous lui sommes ennemis mortels, et qu'il n'y a que rebellion en nous, et que nous lui faisons la guerre en toute nostre vie.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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L'OCTANTE ET UNIESME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XXI. CHAPITRE.

16. Leur bien n'est pas en leurs main: le conseil des meschans est loin de moy. 17. Comment la lampe des, meschans est-elle esteinte, et leur perdition vient sur eux, et Dieu partît les cordeaux en son ire ? 18. Tellement qu'ils sont comme paille au vent, et comme chaume en tourbillon. 19. Le Seigneur cache la vertu de ses fils, et lui rend, et le verra. 20. Ses yeux cognoistront son mal, il boit de la fureur du Tout-puissant. 21. Et qu'est-ce qu'il laisse en sa maison de plaisir? Il voit ses leurs accourcis.

Nous avons exposé par ci devant quelle est l'intention de Iob: c'est à savoir qu'on ne voit pas tousiours à l'oeil en ce monde les iugemens de Dieu, pour faire une conclusion certaine, que selon qu'un chacun aura vescu mal ou bien, il soit puni, ou que Dieu lui rende comme son salaire: mais plustost que les choses sont confuses en ceste vie transitoire, tellement que celui qui sera meschant, demeurera à son aise: et celui qui aura bien vescu sera tormenté tout le temps de sa vie. Toutes fois Iob cependant recognoist que Dieu ne laisse pas d'estre iuste Iuge, que les hommes ne se doivent point arrester a l'estat present, que ce n'est pas une vraye felicité, qu'ont les meschans, quand Dieu dissimule leurs pechez, et qu'il les espargne. Nous voyons donc en somme quelle est ceste dispute que Iob traitte ici: et c'est une chose bien utile. Car en premier lieu il nous est bien difficile à persuader, voyana les choses qui sont ici bas, que Dieu les conduise comme bon lui semble, et que les hommes soyent tellement sous sa main et conduite, qu'il faille qu'ils viennent à conte devant lui: cela, diie, ne nous peut entrer au cerveau: ou bien quand nous l'apprehendons, ce n'est pas que nous en soyons bien asseurez. Car nous voyons comme les hypocrites cuident tromper Dieu. Et aussi à l'opposite, quand nous endurons quelque mal, ou que nous voyons les choses n'estre pas bien reglees, que Dieu permet aux meschans de se desborder, et qu'il ne semble pas qu'il les vueille punir, nous doutons, nous entrons en de terribles imaginations Et quoy? Et si Dieu avoit le soin du monde, et que les choses fussent conduites par lui, et n'appercevroit-on pas autre conduite qu'on ne fait? Voila donc un Item. Et au reste selon que nous sommes charnels, sinon que Dieu besongne comme nous l'entendons, il nous semble que iamais il n'y viendra à temps: et si nous n'appercevons ses iuge

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mens auiourd'hui, demain nous sera trop tard, et ne pouvans pas avoir ceste patience et ce repos en nous, de dire, Dieu cognoist le temps opportun, il fera ses iugemens quand il verra estre bon, ce n'est pas à nous de lui assigner iour ni heure: nous n'avons point cela. Et pourquoi, D'autant que nous sommes charnels. Ainsi donc tant plus nous faut-il bien recorder ceste leçon qui est ici contenue, c'est assavoir, que nous passions par dessus tout ce monde, et que nostre foy surmonte les choses d'ici bas: que quand nous verrons les meschans estre en prosperité, et les bons estre tant affligez que rien plus, que cela ne nous retienne point, que nous n'en soyons point tant empeschez que cela nous face defaillir: mais que nous soyons eslevez par foy, pour cognoistre, Et bien, il est vrai que Dieu lasche tellement la bride aux meschans, qu'il semblera que leur vie soit heureuse: au contraire nous voyons les bons estre tormentez, estre en peine et angoisse, qu'il semble que Dieu les ait reiettez, et qu'il ne pense point d'eux, mais attendons et passons outre. Voila comme nous avons à prattiquer ceste doctrine qui nous est ici monstree par Iob. Or nous avons veu pourquoy il en dispute ainsi: c'est d'autant que ses amie lui vouloyent faire à croire qu'il estoit meschant pource qu'il estoit ainsi affligé de la main de Dieu. C'estoit une tentation bien griefve pour lui, et scandaleuse. Il faut bien donc que nous soyons armez de ce qui nous est ici mis en avant, afin que si Dieu nous visite, et que nous soyons traittez rudement de lui, nous ne soyons point toutes fois opprimez en telle confusion que le desespoir gaigne sur nous: mais que nous sachions que Dieu ne laisse pas de nous aimer et nous estre pitoyable, encores qu'il se monstre ainsi rude pour un temps. Voila comme en second lieu il nous faut appliquer ceste doctrine à nos personnes.

Or venons maintenant noter les choses par le menu. Iob fait ici une protestation: c'est assavoir combien que les meschans ne soyent pas punis du premier coup, toutes fois qu'on ne les estime pas heureux pour cela: d'autant qu'il sait que leur felicité ne sera point permanente, et que Dieu y mettra fin. Leur bien (dit-il) n'est pas en leur main. Comme s'il disoit, Vous disputez que Dieu traitte chacun selon qu'il a desservi: or nous voyons tout le contraire: mais tant y a que ie n'estime point que les meschans en

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ayent meilleur marché. Et pourquoy? Car ils ne sont pas maistres de leur fortune (comme on dit) Dieu tient la bride sur eux, et les pourra bien priver de toutes leurs delices, et de ce qu'ils estimoyent appartenir à une felicité pleine et parfaite: comme ils s'esblouyssent en eux-mesmes, et s'enorgueillissent tellement qu'il leur semble que les voila comme demi Anges, bref, ils s'exemptent de tout mal. Or leur bien n'est pas en leur main: c'est à dire, ils se trompent par folle imagination, ils ne font que songer, quand ils diront leur vie estre ainsi heureuse. Pourtant leur conseil est loin de moy: c'est à dire, le ne m'esblouyrai point en ceste felicité presente qu'on apperçoit aux meschans, comme ceux qui s'y enyvrent. Nous voyons maintenant ce que Iob a voulu signifier par ces mots. Ainsi pour bien profiter en ceste doctrine, notons que quand Nous verrons les meschans avoir la vogue, Dieu tient une bride secrete sur eux, tellement que tout ce qu'ils ont auiourd'hui leur sera ravi demain, que rien n'est en leur puissance. Si cela nous estoit bien imprimé au coeur, nous ne serions pas si troublez pource que nous voyons à l'oeil, comme nous sommes. Pourquoi, Car il nous semble que ce que nous voyons auiourd'hui doit demeurer tousiours. Il est vrai que nous confesserons bien qu'il n'y a que revolutions en ce monde, que les choses se changent à chacune minute, que rien n'est certain, que rien n'est ferme: nous le declarons assez de bouche, mais nous ne le pensons pas. Et qu'ainsi soit, si auiourd'hui nous sommes en prosperité, nous en sommes tellement preoccupez, que nous cuidons avoir tout gaigné, et contons sans nostre hoste. Si nous avons quelque affliction: Et ceci durera-il tousiours? nous ne cuidons iamais en voir la fin. Si nous portons envie aux meschans, nous imaginons que iamais ils ne seront ruinez: et si nous les craignons, nous sommes saisie d'une telle frayeur, que nous n'y sentons point de remede: si on nous dit, attendons en patience, et Dieu y pourvoira, nous ne pouvons pas nous retenir à la providence de Dieu. Ainsi nous voyons comme les choses presentes nous ravissent, et en sommes preoccupez tellement que nous n'avons point d'arrest en nos esprits, ne pour invoquer Dieu, ne pour nous remettre à lui, ne pour cognoistre qu'il pourvoira aux choses en temps et en lieu. D'autant plus nous faut-il estudier ceste doctrine, où il est dit, Que le bien des meschans n'est pas en leur main: c'est à dire, que les hommes pourront estre en prosperité, mais leur vie est pendente d'un filet (comme nous avons veu par ci devant) et tout ce qu'ils cuident avoir, Ils ne l'ont pas sinon comme par emprunt, et en un moment tout leur sera ravi. Que nous cognoissions cela: et l'ayans cognu, si Dieu nous eslargit de ses graces

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quant à la vie presente, que nous tenions tout de lui: voire estans prests d'en estre despouillez, comme il nous en a revestus. Voici Seigneur, il est vrai que tu m'as donné dequoy vivre: mais ceci ne m'est point certain, il ne faut point que ie face mon conte d'en iouyr tousiours: ce sera iusques à ton bon plaisir. Voila comment c'est que les fidelles en possedant ne possederont point, comme dit 8. Paul (1. Cor. 7, 30): car ils ne se persuadent pas que les choses leur soyent permanentes, ils cognoissent qu'ils pourront estre appovris quand il plaira à Dieu, et rien ne leur sera nouveau quand il sera advenu. Comme aussi à l'opposite, si Dieu nous envoye povreté, Et bien Seigneur, tu as les richesses en ta main, tu nous en pourras distribuer si tu cognois qu'il soit bon: cependant qu'il te plaise nous appasteler: et d'autant que tu vois nostre indigence, que tu y vueilles subvenir, que tu ne permettes point que nous soyons affligez outre mesure. Quand nous verrons aussi les meschans se glorifier en leur abondance, ce n'est rien: cognoissons que ce qu'ils cuident avoir en main, ils ne l'ont pas. Et pourquoy? D'autant que nostre Seigneur est par dessus. Voila ce que nous avons à retenir.

Et puis quand il est dit, Que le conseil des meschans soit loin de nous: apprenons qu'il ne faut pas que nous soyons comme en tenebres pour nous endormir aux choses presentes, et pour nous plaire par trop en l'abondance, et pour nous despitter contre Dieu, sinon qu'il nous traitte à nostre souhait. Il ne faut pas donc que nous en soyons ainsi: car quel est le conseil des meschans? C'est que quand nostre Seigneur leur envoye ce qu'ils desirent, le voila tellement enflez d'orgueil qu'on ne les peut plus porter, Ils ne se recognoissent plus hommes mortels, mais s'eslevent par dessus leur degré, et montent si haut, qu'il faut en la fin qu'ils trebuschent, et qu'ils se rompent le col: il n'y aura que outrecuidance en eux, il y aura une yvrongnerie spirituelle, ils seront là abrutie: tellement que quand on parlera de la mort, ou de maladie, ou de povreté, O il leur semble que cela ne les peut attoucher, et qu'on leur fait grand tort. Quand on les voudra humilier, en disant: cognoissons combien nostre condition est caduque et fragile: Ouy, et suis-ie comme les autres? suis-ie du rang de ceux qui sont ainsi traittez? Voila donc les meschans qui s'enorgueillissent tellement en leur prosperité qu'il n'y a plus de raison envers eux: bref, ils mettent en oubli qu'ils soyent hommes et creatures, et se font à croire qu'ils ne sont plus suiets à toutes les corrections que Dieu nous envoye en ce monde. Au reste, quand ils sont affligez, alors ils se despitent, ils grincent les dents à l'encontre de Dieu, on voit qu'ils escument leur rage. Et pour

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quoy? Car ils n'ont point apprins de s'assuiettir à la main de Dieu, de s'offrir à lui en sacrifice, afin d'estre dediez à lui, pour estre traittez comme il lui plaira: ils ne savent que c'est de tout cela. Ainsi donc il faut quand Dieu nous traittera doucement, nous tenir tousiours en bride: et que nous sachions qu'il nous declare son amour paternelle, afin de nous attirer à soy: et que nous y venions en vraye humilité, comme il appartient: Et bien Seigneur, puis que tu te monstres ainsi doux, c'est bien raison que i'adhere à toy. Et comment? Ce n'est pas en constituant ici la felicité: mais à l'opposite quand tu m'affligeras, et bien Seigneur tu me resveilles, afin de ne me point arrester et annonchalir ici bas, mettant ma confiance en ce monde, et aux choses de la terre: tu me veux ici humilier et domter, afin que de tant plus grand courage ie regarde à toy pour aspirer à ton royaume celeste. Voila comme il faut que nous ayons nostre conseil separé d'avec celui des meschans, c'est à dire, que nos esprits ne soyent point ici enveloppez, tellement que les choses de ce monde nous abrutissent et enyvrent, en sorte que nous ne pensions plus à Dieu: mais au contraire il nous faut mespriser tout ce en quoy les meschans ont accoustumé de s'esgayer, sachans qu'encores que nous soyons povres et miserables, nostre condition n'en est pas pire pourtant, quand nous espererons que Dieu aura pitié de nous. Voila ce que nous avons à noter en somme de ce passage.

Or Iob adiouste: Comment la lampe est-elle esteinte aux meschans, et leur perdition vient-elle sur eux, et Dieu establit-il les cordeaux? ou les douleurs? C'est pour confermer le propos qui a este desia ouy. Par ce mot de lampe, Iob signifie la prosperité: comme l'Escriture saincte a ceste façon de parler, qu'elle accompare les biens de ce monde à la clarté, et les afflictions aux tenebres. Il dit donc Que la lampe des meschans sera esteinte: mais il en parle comme par estonnement, voire pource que ceci se fait outre le sens humain, et outre ce que nous pouvons concevoir. Car (comme i'ay dit) nous avons les yeux esblouis, en sorte que nous ne pouvons pas voir de loin ce que Dieu veut faire, et ce que mesmes il a prononcé. Quand nous voyons les meschans prosperer, il nous semble que ceste clarté-là ne sera iamais esteinte: nous ne le pouvons apprehender, combien que l'Escriture en parle combien que nous en ayons l'experience tous les iours, quand nous voyons que Dieu aura ruiné les meschans apres qu'ils auront esté eslevez comme iusques aux nues. Avons-nous veu cela? Il ne nous en souvient tantost plus, et ne cuidons pas que la chose puisse iamais advenir: et toutes fois Dieu nous l'a monstree comme au doigt. Ainsi donc d'autant que le sens humain ne monte pas si haut,

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et que nous sommes si fort retenus aux choses presentes, que nous ne pouvons concevoir ce que Dieu veut faire: Iob parle ici comme d'une chose estrange. Comment (dit-il) la lampe des meschans est-elle esteinte, et leur perdition vient sur eux? Quand il dit, Que leur perdition vient sur eux, il monstre que quand Dieu traittera doucement les meschans, voire pour un temps, il ne faut pas que nous ayons nos yeux fichez en la terre: car quand il est question de savoir si Dieu est Iuge, et si les meschans en la fin seront punis, il ne faut pas que nous regardions ce qui peut advenir de ce costé-cy, ou de cestuy-la. Nenni: car quand ils seront enyvrez en leur abondance, qu'ils seront eslevez en leur hautesse, et qu'il semblera qu'il n'y ait rien qui leur puisse nuire, que toutes creatures soyent deputees à leur service, ce n'est rien de tout cela. Et pourquoy? Car Dieu leur envoyera d'enhaut leur perdition. Or quand nous voudrons regarder bien haut, il n'est pas question de regarder selon nostre sens: car nous ne parviendrions pas iusques à Dieu: il y a trop longue distance: nous serions esvanouys entre cy et la. Que faut-il donc? Que nous contemplions Dieu par foy, que nous eslevions tous nos sens par dessus nous-mesmes. Voila donc comme il nous faut iuger de la ruine des meschans, c'est assavoir, non pas regarder ce qui leur peut advenir selon le monde, mais ce que Dieu peut. Et quelle est la puissance de Dieu? Infinie, une puissance que nous ne concevons pas. Ainsi donc ceci est pour nous apprendre quand les choses semblent impossibles aux hommes, que nous ne laissions pas de conclure, Et Dieu besongnera d'une façon qui nous est cachee et incognue: voire, en sorte que nous serons contraints de nous en estonner en oyant comme cela s'est fait. Voire, car Dieu nous monstrera qu'il n'est point suiet à tous les moyens de ce monde, et que les choses qu'il fait nous doivent estre admirables. Voila en somme ce que nous avons à retenir.

Or il est dit, Que Dieu entendra les cordeaux en son ire. Il est vrai que ce mot est exposé par aucuns Douleurs, comme aussi il se peut prendre: mais le sens naturel est que Dieu en son ire fera les partages, car ce mot de cordeau en l'Escriture se prend pour partage, pource qu'anciennement quand on vouloit arpenter (comme on dit) les terres, c'est à dire, les mesurer, on usoit de cordeaux. Et l'Escriture saincte applique ceste similitude-là à ce t ordre de la providence de Dieu, que tout ainsi que les terres sont arpentees pour mettre les limites, et pour diviser les possessions, afin qu'un chacun ait son droit, que les choses ne soyent point confuses: aussi Dieu reduit en ordre par sa providence ce qui est confus: c'est donc autant comme s'il estendoit les cordeaux. Or il est dit, Que Dieu

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les entendra: voire, mais que ce sera en son ire. Et pourquoy? C'est pour nous advertir que nous ne devons point estre trop confus, si les choses ne viennent pas du premier coup à propos. Comme quoy? S'il nous semble que tout soit meslé en ce monde, et qu'il n'y ait plus ne brides ne cordeaux, que les meschans s'esgayent, et qu'ils se iettent à travers champs, que les bons soyent foulez au pied, qu'on les assaille de grans outrages et extorsions, que les remedes n'apparoissent point, que le mal empire, que Dieu face semblant de tourner le des, qu'il n'y ait plus de iustice au monde, que le plus fort l'emporte, bref que nous soyons ici comme en des grosses tempestes, que tout soit confus au monde: si ne faut-il point que nous soyons engloutis de desespoir. Et pourquoy? Attendons que Dieu desploye les cordeaux en son ire: car combien qu'auiourd'hui il cache ces cordeaux-là, et qu'il ne distingue pas les limites, que les choses ne soyent point reduites en bon ordre: si est-ce qu'il tient tousiours les cordeaux en sa main, et monstrera bien qu'il sait comment il les doit desployer et despartir. Et pourquoy ne le fait-il pas du premier coup? Pource que ce n'est pas encores le temps opportun. Il est vrai qu'il ne laisse pas d'estre tousiours le iuge des meschans: mais il ne veut pas du premier coup monstrer sa vengeance sur eux il ne veut point si tost mettre en execution ce qui a determiné en soy: et aussi il ne nous est pas expedient. D'avantage il faut que les meschans soyent rendus plus inexcusables: ce qui se fait quand Dieu les convie à repentance (comme dit sainct Paul Rom. 2, 4) cependant qu'il les supporte: car d'autant plus sont-ils coulpables devant luy de ce qu'ils ont ainsi abusé de sa bonté et patience. Au reste, les bons cependant qu'ils sont tormentez ont dequoi s'humilier: il faut que leur foy soit exercee par ce moyen-là, afin qu'ils attendent en patience le secours de Dieu, qu'ils sachent que leur salut est cache, d'autant qu'il gist en esperance: et que Dieu les incite par cela à venir à lui, à ce qu'ils cerchent leur heritage et felicité hors de ce monde. Voila donc comme nostre Seigneur non sans cause differe ses iugemens: car le temps n'est pas tousiours opportun pour executer son ire, comme il le cognoist mieux que nous. Voila ce que nous avons à retenir en somme de ce verset. .

Or il est dit quant et quant: Qu'alors ils seront comme paille a? vent. En quoy Iob signifie qu'il n'y à point de racine en toute la felicité, en laquelle les meschans se glorifient, et s'enorgueillissent. Ceste similitude est assez frequente, tellement qu'elle n'a pas besoin d'estre exposee: car aussi ce nous est une chose assez cognue, comme la paille est demenee au vent et aux tourbillons. Ainsi donc Iob proteste

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ici que la felicité des meschans n'est point tellement enracinee, que quand il y viendra un tourbillon de l'ire de Dieu, elle ne s'esvanouysse, et s'escoule ça et là, tellement qu'il n'y aura point d'arrest. Et cependant notons qu'il monstre que l'ire de Dieu viendra en une minute, lors qu'on n'y pensera point: comme il est dit (1. Thess. 5, 3), Que les meschans seront surprins: et que quand ils diront, Paix, asseurance, voila la ruine pour les accabler soudain: et ce sera comme le mal d'enfant qui surprend une femme quand elle n'y pense pas. Iob donc a voulu exprimer ceci, afin qu'il ne nous face point mal de languir, si Dieu n'envoye pas les choses ainsi que nous voudrions. Et de fait qui est cause que nous sommes tant impatiens quand Dieu laisse aller les choses en confus? Et c'est qu'il nous semble qu'il faudra de longs preparatifs, et nous voudrions que nostre Seigneur monstrast des signes comme il veut besongner, et que nous en eussions quelque apparence de longue main. Nous voudrions en somme que Dieu fust comme un homme mortel, et qu'il s'empeschast beaucoup quand il veut mettre la main à l'oeuvre, qu'il fallust qu'il cerchast des aides de costé et d'autre, et des moyens. Voila comme nous voudrions assuiettir Dieu, et toute sa maiesté à nostre condition. Que faut-il donc? Que nous cognoissions qu'en une minute de temps il pourra achever son oeuvre, mesmes quand il n'y aura point de moyen, et que les choses n'y seront nullement disposees. Ainsi apprenons que toute la felicité des hommes n'est qu'un songe, assavoir, quand ils cuident estre bien heureux, et qu'ils s'enorgueillissent en leur fortune, que tout cela n'est qu'une imagination frivole qui s'esvanouyra tantost. Et pourquoy ? D'autant qu'il n'y a nulle racine. Il vaut donc beaucoup mieux que nous soyons miserables en apparence, et que cependant nous ayons racine vive en Dieu, que nous sachions que iamais nous ne serons destituez de sa vertu, et de son aide: que nous cognoissions cela, comme c'est le souverain bien: et qu'il nous suffise de l'avoir, et que tout le reste ne nous soit rien au prix. Et cependant encore qu'il nous semble que les meschans demeureront tousiours en leur condition, et que Dieu les a tellement ici establis, que iamais ils ne seront esbranlez, et qu'eux aussi sont enflez de cest orgueil-là (comme il est dit au Pseaume, que iamais le mal ne viendra iusques à eux) que nous ne laissons point de comprendre ce iugement de Dieu tel qu'il est ici declare, c'est assavoir, soudain, et qu'il ne faudra pas que les choses soyent conduites de longue main: car Dieu est par dessus tout cest ordre commun de nature, tellement qu'i peut besogner d'une façon qui nous est estrange et nouvelle.

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Or ici Iob adiouste quant et quant: Que Dieu non seulement punit les meschans en leurs personnes, mais qu'il espand aussi ses chastimens et punitions qu'il envoye sur eux, iusques à leurs enfans: et que les meschans durant leur vie cognoistront qu'il n'y a que vanité en leur cas: et qu'il faudra mesmes devant que Dieu les ait abbatus, qu'ils apperçoivent maugré qu'ils en ayent, qu'ils sont mal fondez. Il est vrai qu'ils ne laissent pas de s'enorgueillir pourtant: mais quoy qu'il en soit Dieu les presse iusques là, qu'ils apperçoivent qu'ils ne peuvent pas tousiours durer ainsi. Voila en somme ce que Iob a voulu ici traitter. Or en premier lieu nous avons à noter quand il est parlé des enfans, que c'est suivant la doctrine commune de l'Escriture saincte, c'est assavoir, que Dieu non seulement benit les fideles quant à eux, mais aussi qu'il continue sa grace sur leurs enfans. Voila Dieu qui nous porte une telle amour, qu'il ne se contente pas, et ne lui est point assez d'avoir le soin de nostre salut, et de nous donner ce qu'il cognoist nous estre propre et utile: mais il embrasse aussi nos enfans, et se veut declarer Pere envers eux. Voila donc comme la bonté de Dieu nous est descrite en l'Escriture saincte: c'est que quand il nous a receus à soy, et qu'il nous a testifié que nous sommes sous sa main et protection, il monstre aussi ceste faveur sur nos enfans à cause de nous. Puis qu'ainsi est, nous avons bien à nous reposer en lui: car il nous faut conclure, que si à cause de nous il poursuit sa grace envers ceux qui nous succedent, par plus forte raison nous le sentirons tousiours Pere propice. Nous faut-il donc defier de lui, et de sa bonté, veu qu'il est tant debonnaire de regarder aussi à ceux qui descendent de nous i Or au contraire il est dit: Que Dieu maudit la race des meschans. Et comment? Car ils sont destituez de la conduite de son sainct Esprit, tellement qu'il faut que tout aille à mal. Et en cela nous n'avons point occasion de murmurer contre Dieu, comme il y en a d'aucuns qui trouveront cela estrange. Et comment (diront-ils) est-il possible que Dieu punisse les enfans à cause des peres? N'est-il pas dit, Que celui qui peche portera son iniquité, et que le fils ne sera point puni à cause du pere? Ouy bien, voire tellement que le fils ait dequoi se plaindre, comme s'il estoit iuste, et que cependant la punition qui est deuë à son pere, Dieu la fist tomber sur lui qui est innocent: car cela ne peut advenir. Mais quand il est dit que Dieu rendra l'iniquité des peres au giron des enfans, ce n'est point qu'il leur face tort: mais c'est pource qu'il laisse là les meschans. Or quand nous sommes delaissez de Dieu, que pouvons nous faire sinon tout mal? Voila donc Dieu qui ne fait point ceste

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grace aux meschans de leur donner son sainct Esprit: et ainsi il faut que le diable regne sur eux, et qu il les s, licite pour provoquer de plus en plus l'ire de Dieu, et advancer leur perdition. Les enfans donc sont là enveloppez avec leurs peres: car quand une maison est maudite de Dieu, la voila en la possession et servitude de Satan, l'Esprit de Dieu n'y domine point. Ainsi donc les enfans sont tellement punis pour leurs peres, que c'est une iuste vengeance sur eux-mesmes aussi: ils ne peuvent pas dire, Nous sommes innocens: car ils sont trouvez coulpables devant Dieu comme leurs peres. Et au contraire, quand les enfans des fideles continuent, et qu'ils suivent le train de leurs peres: alors la benediction de Dieu se monstre, tellement que les hommes n'ont dequoy se glorifier: les enfans ne diront pas, Voici un heritage qui nous appartient, Dieu nous fait prosperer d'autant que nos peres ont este dignes d'avoir une telle succession. Nenni: mais il faut que le tout soit attribue à une bonté gratuite de Dieu, lequel besongne, n'estant point obligé aux hommes, et sans qu'il leur doive rien, mais pource qu'il lui plaist ainsi.

Voila donc ce que nous avons à retenir, quand il est dit, qu'encores de Dieu ne punisse point du premier coup les meschans, qu'il s'adressera à leurs enfans, c'est dire, qu'il reservera la punition sur eux. Et c'est en continuant ce propos, qu'il ne faut pas que nous asseons iugement sur la providence de Dieu par ce que nous pouvons voir en ce monde: mais qu'il faut que nous ayons nos esprits paisibles pour differer iusques à ce que Dieu monstre que son temps est venu. Ce n'est pas donc à nous de limiter les temps. Les hommes sont pervers quand ils se hastent ainsi: mais voici Dieu qui a sa façon, laquelle nous est aucunesfois estrange: si faut-il que nos esprits soyent humiliez, pour dire, Seigneur, nous trouverons bon tout ce que tu feras, encores qu'il ne soit point conforme à nostre phantasie. Voila donc ce que nous avons à noter sous ce mot de cacher, ou reserver, quand il est dit, que Dieu reserve aux enfans des meschans la punition qu'il a exercee sur leurs peres. Il est vray que ceci ne pourra pas entrer au cerveau de tout le monde, et aussi ce n'est pas une doctrine commune. Et voila pourquoi i'ai dit qu'il nous y faut bien appliquer toute nostre estude: car les hommes de leur naturel sont hastifs et impatiens, en sorte que nous voudrions que Dieu nous monstrast tousiours à l'oeil ce qu'il veut faire, et ne pouvons pas donner lieu à sa providence, sinon quand il monstre sa main toute manifeste. Et au contraire, à quelle condition sommes-nous en ce monde? N'est-ce point pour estre en des combats assiduels, sachans bien qu'il faut que nous soyons remuez, et agitez de costé et d'autre en ce

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monde? Et ainsi exerçons-nous en ces reserves, desquelles il est ici parlé. Quand nous voyons que les meschans font leur triomphes, qu'il semble que Dieu les ait privilegiez par dessus tous les autres: Et bien, attendons. Et pourquoy? Car il nous est parlé de ce mot de reserve, et de ce mot de cachette. Nous ne voyons pas maintenant ce qui en est: gardons-nous donc de iuger des choses incognues, car nous serions redarguez de temerité. Et quand verrons-nous ? Quand il plaira à Dieu de nous ouvrir les yeux, et d'executer ce qu'il a deliberé en soy. Cependant aussi pratiquons ceste doctrine qui nous est ici monstree, quant à la reserve des biens que Dieu a apprestez à ses fideles. Car il est dit, Qu'ils sont cachez. Il faut donc quand nous voulons esperer en Dieu, et nous consoler en ce qu'il nous a promis, que nous passions par dessus le monde, et que nous regardions les choses invisibles: car quiconque s'arrestera à ce qui luy est manifeste, il renonce la foy et à l'esperance, bref il se ferme la porte de salut. Au reste (comme i'ay desia, touché) Iob declare que les meschans verront bien que tout leur cas n'est que vanité et folie. Mais ce n'est pas qu'il vueille dire qu'ils le sentent à bon escient, ne qu'ils en soyent touchez: car si l'ambition n'aveugloit les hommes, et qu'ils ne fussent du tout eslourdis: il est certain que quand ils auroyent apperceu qu'ils sont mal-heureux en s'eslevant, alors ils se rengeroyent à Dieu, alors ils ne mettroyent pas ainsi leur confiance en ce monde. Pourquoy donc est-ce que les incredules s'eslevent, et qu'ils sont auiourd'hui tant forcenez en outrecuidance et presomption, qu'ils ne se peuvent renger à nulle iustice et raison: mais qu'ils despitent Dieu, en mesprisant et lui et sa grace? D'où vient une telle rage? C'est pource qu'ils ne cognoissent point ce qui leur est appresté, et en voyant ils n'y voyent goutte: c'est à dire, combien que nostre Seigneur leur donne beaucoup de signes de son ire, que neantmoins ils n'en veulent rien cognoistre. Il est vrai qu'ils sont bien persecutez et qu'ils ont là dedans des picqures qui les tourmentent beaucoup: mais quoy qu'il en soit, si ne sont-ils point touchez au vif pour cognoistre la ruine qui leur est prochaine, sinon du mal qui leur peut advenir selon le monde: car ils seront bien en perplexité pour dire, Il me faut prouvoir à un tel danger, auquel ie pourroye tomber. Voila donc comme les meschans en sont.

Et c'est une chose que nous devons bien noter: car il ne suffit pas que nous soyons touchez par bouffees pour sentir nostre fragilité, cela seroit peu de chose: Dieu y contraint bien les meschans, et ils n'y profitent rien: car nous les voyons tousiours

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obstinez, quoy qu'il en soit. Que faut-il donc ? Quand nous oyons parler de la vanité de ce monde, et des choses de la vie presente, que nous sachions combien que les hommes ayent mis beaucoup de peine à s'advancer, que mesmes ils soyent venus à bout de leurs entreprises, que tout cela n'est rien: d'autant que non seulement ils ne iouyront pas comme ils pensent des biens qu'ils auront amassez, mais que leurs successeurs mesmes seront maudits en iceux, et n'en auront point de iouyssance. Il ne faut point donc que nous portions envie à la prosperité des meschans, d'autant qu'elle est caduque et variable, et mesme qu'elle ne leur peut tourner qu'à malediction et ruine. Voila donc comme ces e doctrine doit estre appliquee en usage. Et au reste quand Dieu nous envoyera prosperité et abondance, que nous sachions aussi que cela ne sera point permanent: car il nous faut tousiours là venir, que Dieu nous veut attirer plus loin que ce monde. Cognoissons donc les vanitez qui sont ici bas, et cognoissons-les en telle sorte qu'il ne nous face point mal quand rien ne nous sera ici certain. Et pourquoy? Car si nous voulons estre enracinez ici bas, nous renoncerons au royaume des cieux. Mais quiconques a ceste cognoissance, que nostre vie est avec Dieu, et qu'elle nous sera revelee à la venue de nostre Seigneur Iesus Christ: il ne lui fera point mal d'estre remué en ce monde, de voir qu'il n'y a que revolutions et changemens, et qu'il n'y a rien de certain, et que pourtant il faut que nous aspirions à ceste vie celeste laquelle Dieu nous appelle, et nous convie iournellement par sa parole. Cependant toutes fois que nous ne laissions pas parmi tous les troubles dé ce monde, et les choses ainsi confuses comme on les voit, de savoir que Dieu conduit et gouverne tellement le monde par sa providence, que rien ne se fait ici bas sans sa volonté. Et combien que la raison ne nous soit point manifestee du premier coup, si est-ce qu'il en est ainsi neantmoins. Nostre office donc est d'estre paisibles, et attendre patiemment, iusques a ce que Dieu nous monstre par experience que l'issue des meschans sera maudite, et que les afflictions des bons leur seront converties à salut. Mais en attendant que Dieu nous monstre cela par effect, que nous cheminions tousiours paisiblement sous lui, et que nous ne soyons point desbauchez pour chose qui nous advienne, que nous soyons prests d'estre affligez quand il lui plaira: et quand il nous aura donné prosperité, que ce soit pour nous faire gouster sa bonté paternelle, et nous attirer de plus en plus à lui.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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L'OCTANTEDEUXIEME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE XXI. CHAPITRE.

22. Qui est-ce qui enseignera la science à Dieu lequel iuge les choses hautes ? 23. Cestui-ci meurt en pleine force, à son aise, et en repos. 24. Ses entrailles sont pleines de laict, et ses os sont arrousez de moelle. 26. L'autre meurt en angoisse, et ne mange point son bien. 26. Tous deux sont couchez en la poudre, et les vers les couvriront. 27. Ces choses ne me sont point incognues, et vos entreprinses pour me faire tort. 28. Car vous dites Où est la maison du prince? et où est aussi bien ie tabernacle des meschans? 29. Enquerez-vous des passans: car vous ne pourrez nier leurs signes. 30. Le rneschant est reservé au iour de perdition: ils seront amenez au iour de l'ire. 31. Et qui est-ce qui lui monstrera sa voye en sa presence? et qui est-ce qui luy recitera ce qu'il a fait? 32. Il sera porté au sepulchre, il sera couché au tombeau. 33. La terre glaireuse lui sera douce, et les hommes suivans viendront apres lui: et le nombre de ceux qui ont precedé est infini. 34. Et ainsi vous me consolez en vain: et en vos responses il n'y demeure que mensonge.

Iob continuo ici le propos qui fut desia hier demené: c'est assavoir, combien que nous trouvions estrange selon nostre phantasie que Dieu traitte ainsi les hommes en confus: toutes fois que ce n'est pas à nous de le redarguer, ne de plaider contre sa iustice, ne de murmurer comme s'il faisoit mal: mais qu'il nous faut plustost humilier sous sa maiesté, sachans que sa providence et conduite est une sagesse trop haute et trop profonde pour estre comprinse de nous. Voila ce qui est ici contenu. Or pour monstrer qu'il en est ainsi, il dit, L'un mourra en destresse, et l'autre mourra à repos: c'est à dire, que nous en verrons d'aucuns qui tout le temps de leur vie ne feront que languir en grandes miseres: et puis en la fin ils meurent estans faschez de vivre, d'autant qu'ils n'ont eu en leur vivant qu'ennui et torment: les autres sont gras et en pleine santé, mesmes ils sont riches et opulens. C'est ce que Iob signifie par ceste similitude, que leurs tetins sont pleins de laict, leurs os sont rassasiez de moelle, c'est à dire, les voila gras en toutes sortes. Or en voyant ceste diversité, la cause nous sera inconnue. Car si on disoit, Et pourquoi est-ce que les uns prosperent ainsi, et que tout le temps de leur vie ils sont en delices et en repos, et les autres en langueur continuelle ? Que veut dire cela? on ne verra point la raison manifeste. Il

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est vray qu'il y aura. des iugemens de Dieu qui nous sont notoires (comme il a este touché ci dessus) tellement que si nous ouvrons les yeux, nous pourrons bien noter, Voila pourquoi Dieu traitte ainsi les hommes: mais ce n'est pas tousiours: car aussi Dieu veut esprouver nostre obeissance quand il nous tient les yeux bandez, et que nous ne cognoissons point la raison de ses oeuvres, que nous y sommes comme aveugles. Si alors nous le glorifions, et que nous confessions qu'il est iuste et equitable, encores que cela ne nous soit point manifeste: voila une bonne approbation de nostre foy, et du service que nous lui rendons. Au contraire, si nous voulons faire des entendemens aigus et rusez, et nous enquerir outre mesure, et ne point advouër que Dieu est iuste sinon qu'il nous monstre dequoi: voila un orgueil diabolique: et en cela monstrons-nous bien que nous ne voulons estre suiets à Dieu sinon par force, et quand il nous viendra à gré. Ainsi donc notons bien que Iob parle ici des iugemens de Dieu qui nous sont encores cachez, comme la pluspart sont de telle sorte. Or que faut-il là dire? Qui est-ce qui enseignera science à Dieu? C'est à dire, Qui est-ce qui monstrera a Dieu son office? Qui est-ce qui lui enseignera sa leçon pour dire, Il faut qu'il besongne d'une telle sorte et telle? Sera-ce nous? Pourrons-nous monter si haut, que nous parvenions à ceste hautesse infinie en laquelle Dieu est? Helas! il y a trop longue distance. Et si nous y voulons nous eslever, Dieu saura bien nous abaisser à nostre confusion: car c'est à lui de iuger les choses hautes. Cheminerons-nous par dessus les Anges de paradis? Or il faut qu'en toute humilité ils adorent les secrets de Dieu, et ses iugemens incomprehensibles: et l'homme mortel qui n'est que pourriture entreprendra-il de les sonder, et en vouloir savoir la raison? Voila donc comme il nous faut humilier pour regarder les iugemens de Dieu: et quand Ils ne nous sembleront pas estre raisonnables, que toutes fois nous apprenions d'y acquiescer, tenans nos esprits bridez, et comme captifs, afin que Dieu ne soit point deguisé par nous, et que nous ne transfigurions point sa maiesté et sa gloire. le di qu'il nous faut accoustumer à regarder les choses et conclure que Dieu les fait selon raison, combien qu'il ne nous le semble pas. Et pourquoy? Car (comme i'ay desia dit) durant ceste vie nostre Seigneur veut voir si nous le confesserons estre iuste,

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et sage, et bon, encores que nous n'ayons point cognoissance de sa iustice, de sa bonté et sagesse. Il est vray qu'il nous en monstre assez de signes: Dieu ne veut point estre glorifié de nous, et cependant que nous ne sachions ne comment ne pourquoi il nous donne matiere suffisante de la glorifier: mais si est-ce qu'il fait beaucoup de choses, là où nous sommes comme aveugles. Il ne faut point donc que les hommes usurpent ce qui n'est point à eux: c'est assavoir, de dire, Et bien, selon que nous voyons nous pouvons iuger, voire? et que deviendra cependant la louange que tu dois a ton Dieu et à ton Createur? Le veux-tu mesurer selon ta capacité? Tu n'es rien. Ton esprit qu'est-ce? Est-il si ferme et si puissant, que toute la gloire de Dieu puisse estre là enclose et comprinse? N'est-ce point trop t'attribuer? Ainsi donc quand nous verrons les choses confuses ici bas, que faut-il faire? Que nous cognoissions que neantmoins Dieu dispose de tout comme il appartient, et qu'il sait les raison qui nous sont cachees, et qu'au dernier iour ce qui est maintenant comme enseveli, sera tout manifeste, et qu'il faut que nous demeurions comme en suspens iusques là. Vray est que nous pourrons bien prier Dieu qu'il nous face la grace de sentir pourquoy il nous afflige, si nous sommes affligez. Quand un homme languira ainsi, et qu'il aura beaucoup d'angoisses et de miseres: il pourra recourir à son Dieu, pour dire, Helas Seigneur! ceci me sembleroit estrange, et pourtant ie pourroye perdre patience si ie n'estoye assiste par ta bonté: et mesme ce qui est pour mon bien et profit me seroit converti en mal-heur et confusion: et combien que ie n'apperçoive point la cause pour laquelle tu me punis ainsi, si est-ce qu'il faut que ie cognoisse que c'est pour mon bien. Toutes fois vueille me donner à cognoistre là où tu tens en m'affligeant. Si un homme est à son aise, il faut aussi qu'il se tienne en bride, et prie Dieu qu'il ne permette point qu'il abuse du bien qu'il a, comme pour dire, le suis plus digne que les autres d'estre aimé de Dieu: car ie voi qu'il me traitte d'une autre façon: i'en voi tant de povres miserables, et cependant i'ai tout ce que ie pourroye souhaiter, c'est signe que Dieu se contente de moi. Ainsi donc que cest orgueil-la et ceste outrecuidance n'entre point en nostre cerveau. Et afin que nous n'en soyons point tentez, nous avons à prier Dieu qu'il nous face sentir pourquoy c'est qu'il nous espargne. Nous pourrons bien donc demander à Dieu qu'il nous declare la raison de ses oeuvres: ouy, entant qu'il nous est expedient: mais il faut aussi que nous y aillions en toute humilité, ne presumans pas d'assuiettir Dieu à nostre sens, pour dire qu'il nous deschiffre en tout et par tout pourquoi il fait ceci ou cela. Nenni: mais attendons en

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patience iusques à ce qu'il nous declare ce qui nous est maintenant cognu seulement en partie. Et d'autant que nous ne pouvons point pleinement cognoistre ce que c'est des oeuvres de Dieu, et la raison d'icelles, iusques a ce que nous soyons transfigurez en son image: ayans en ceste vie quelque petit goust de sa bonté et iustice et sagesse, tel qu'il lui plaist nous communiquer par sa saincte parole, où il nous enseigne ce qu'il cognoist nous estre expedient pour cest heure, contentons nous. (Je qui ne se peut faire iusques à ce que nous ayons renoncé à ceste curiosité qui est en nous, et à l'audace exorbitante à laquelle nous sommes par trop enclins et adonnez.

Retenons bien donc ceste sentence où il est dit, Qui est-ce qui enseignera à Dieu son office? Sommes-nous si grans docteurs que nous puissions monstrer à Dieu sa leçon, et le contreroller? Or est-il quand les hommes murmurent ainsi contre la providence de Dieu, et qu'ils y trouvent à redire, c'est autant comme s'ils vouloyent enseigner Dieu: Et quelle arrogance est-ce, qu'une creature, où il n'y a que toute bestise et ignorance, vueille enseigner son Createur? Voila donc un monstre execrable et contre nature, quand les hommes s'eslevent iusques là, de vouloir contredire et repliquer aux oeuvres de Dieu. Il est vray que nous n'y pensons pas de prime face: mais tant y a que tous les murmures, et toutes les repliques que nous faisons, tous les mescontentemens que nous avons de ce que Dieu fait contre nos sens et nostre appetit ce sont autant de blasphemes: car c'est la queue de toutes nos mauvaises pensees. Bref, quiconque n'acquiesce à la providence de Dieu en toute humilité, confessant universellement que tout ce qui procede de lui est bon et iuste: celui-la entant qu'en lui est veut arracher Dieu de son siege celeste, et le despouiller de sa maiesté, et se veut comme mettre en son lieu et en sa place. Nous aurons beau protester que nostre intention n'est pas telle, mais la chose le monstre. Bref toutes fois et quantes que nous serons chatouilliez de ceste curiosité de nous enquerir par trop des choses celestes, et qu'il y aura cependant l'audace meslee parmi pour nous despiter contre Dieu: notons bien qu'il nous faut venir à ceste comparaison, Qui es-tu? Et qui est Dieu? C'est ton Createur: et tu t'adresses à lui pour disputer de ses oeuvres, comme si tu estois son pareil? Et que presumes-tu? As-tu de quoi, que tu entres ainsi haut, et que tu vueilles tout assuiettir à ton sens? Où en es-tu povre creature? Quand nous serons venus à ceste comparaison, il faudra que nous soyons plus qu'enragez, si cest orgueil, duquel nous estions enflez n'est du tout abbatu

Voila donc ce que Iob a voulu enseigner ici,

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disant, Qui est-ce qui monstrera le savoir à Dieu? Et au reste pource que les hommes sont ainsi outrecuidez, et qu'il est difficile de les reprimer, sinon qu'ils soyent tenus comme par violence, et par maniere de dire enchainez: il dit, Si est-ce que Dieu iugera les choses hautes. Comme s'il disoit, Et bien, quand les hommes usurperont ce qui ne leur appartient pas, de plaider contre Dieu: en la fin que profiteront-ils? Il est vrai qu'ils pourront alleguer ceci et cela: mais si est-ce que Dieu ne sera point diminué. Que les hommes donc s'eslevent tant qu'il leur sera possible, Dieu demeurera tousiours en son lieu en despit de leurs dents: et non seulement il demeurera en son entier, mais il iugera par dessus les choses hautes, et nous serons ici sautans comme des grenouilles. Volerons-nous par dessus les nuës? Et encores que nous eussions des ailes pour y voler: si est-ce que les Anges ont bien une gloire plus haute et plus excellente. Et toutes fois les Anges sont-ils compagnons à Dieu, ou esgaux à lui? Mais au contraire il est dit, Qu'ils cachent leurs faces de leurs ailes: comme nous l'avons veu en Ezechiel sous la figure des Cherubins, que les Anges, combien qu'il y ait une maiesté grande en leur nature, neantmoins en contemplant la gloire de Dieu sont contraints de se cacher devant ceste gloire qui est en leur Createur. Puis qu'ainsi est donc que des creatures si nobles et si excellentes sont comme confuses, quand il est question d'approcher de ceste maiesté de Dieu: que sera-ce de nous en comparaison? puis que Dieu iuge les choses hautes, presumerons-nous de nous eslever contre lui? Or nous ne pouvons pas parvenir iusques là: et ce que nous aurons tiré contre lui ne lui apportera aucun dommage: mais il faudra que le tout retourne à nostre confusion: c'est autant comme si nous iettions des pierres sur nos testes, il faudra qu'elles retombent sur nous, et cependant nous ne pourrons pas atteindre iusques a Dieu. Nous lui pourrions bien ruer quelque coup s'il estoit de costé ou d'autre de nous: mais puis qu'il est par dessus, voire et si haut que nous ne pouvons pas parvenir iusques à lui, si nous voulons nous eslever à l'encontre, c'est comme si nous iettions une pierre en haut et il faudra (comme i'ai dit) qu'elle retombe sur nos testes, et que nous en soyons accablez. Ainsi en est-il donc de tous ceux qui veulent faire ces argumens, et qui disputent à leur phantasie des oeuvres de Dieu, et repliquent à l'encontre de lui: ils rueront bien des pierres, mais il faut qu'elles retombent sur eux. Et c'est ce qui est dit, Que tous ceux qui se hurteront contre ceste pierre, il faudra qu'ils en soyent froissez et cassez: et mesmes eh la fin ceste pierre tombera sur eux pour les froisser et accabler du tout. Et notons mesmes que Dieu iuge les choses hautes, non seule

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ment en ce qu'il est souverain pur dessus toutes creatures: mais entant qu'il s'adresse notamment à ceux qui se veulent ainsi faire valoir plus qu'il n'appartient, et outre leur degré, car il dit, qu'il est l'ennemi mortel de tous orgueilleux. Apprenons donc quand il y en aura qui se veulent ainsi eslever, qu'il faudra que ce soit à leur ruine: comme il est escrit, Celui qui s'humiliera sera exalté: et au contraire, celui qui s'eslevera, il faut qu'il soit aneanti. C'est le propre office de Dieu d'en faire tousiours ainsi. Notons donc qu'il n'y a rien meilleur, que d'estre sages seulement entant qu'il plaist à Dieu de nous instruire: et sachons que de lui obeir, et nous assuiettir à lui on tout et par tout, c'est nostre raye sagesse. Et quand les choses ne nous viendront point à gré, que nous serions volontiers solicitez à entrer en quelques disputes: que nous soyons retenus: et disons, Voire, mais tant y a que Dieu a en soi une telle perfection que rien ne peut proceder de lui qui ne soit bon et equitable, sa simple volonté nous doit suffire: car c'est la regle de tout bien, c'en est la fontaine, puisons de là hardiment. Ainsi quand il nous declare la raison de ses oeuvres, et bien, remercions-le, et en toute humilité recevons ce qu'il nous monstre: mais s'il nous les veut cacher, souffrons d'estre ignorans tant qu'il lui plaira, sachans bien qu'il nous revele ce qu'il cognoist nous estre utile. Quoi qu'il en soit, tant y a qu'il nous veut tenir en certaine mesure, afin que nous apprenions que c'est de lui obeir, et confesser qu'il est iuste' encore qu'il ne nous monstre point la raison de ce qu'il fait. Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il dit puis apres: Que les uns et les autres sont couverts en la poudre, et que les vers mesmes les mangent: pour monstrer que c'est une tentation grande. De fait, quand nous voyons une fin semblable aux uns et aux autres, encores que nous ayons este diversement traittez en ce monde, il sembleroit qu'il n'y eust plus de iugement de Dieu. Mais il faut que nostre foi outrepasse les sepulchres, et tout ce que nous pouvons voir à l'oeil. Et c'est ce qui nous est souventesfois remonstré, que la foi est une vision et un regard des choses invisibles. Nous verrons quelque preud'homme qui aura servi à Dieu tout le temps de sa vie, et aura cheminé en grande integrité, et neantmoins il sera en langueur continuelle, et Dieu ne cessera de lui envoyer beaucoup de tormens iusques à la mort, en laquelle encores il faudra qu'il languisse beaucoup. Un autre qui sera desbordé à tout mal mourra à son aise. Comme i'ai dit, voila les choses confuses. Et quelle en est la fin? Les voila au sepulchre. Sont ils en la poudre? Ils pourrissent là, les vers les mangent, il semble que celui qui a mis peine de

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servir ù Dieu, a perdu son temps Et pourquoi? Les voila tous recueillis en un monceau et les bons et les mauvais: tant ceux qui ont ici vescu en delices et voluptez, que ceux qui n'ont eu que dueil et travail en ce monde. Que dirons nous là? Il est certain que nous serons confus, si nous voulons nous arrester à ce qui se peut voir. Que reste-il donc? C'est que nous montions plus haut, et cognoissions que Dieu se reserve un iugement qui n'apparoist point auiourd'hui, voire, car la foi regarde les choses invisibles, les choses cachees. Cognoissons donc que combien qu'à la mort tout soit semblable, neantmoins il y a bien une condition diverse. Et quand sera-ce? Nostre Seigneur le monstrera en temps opportun. Mais cependant nostre office est de tousieurs cheminer en sa crainte, et conclure, puis qu'il est Iuge du monde, que l'iniquité ne demeurera point impunie: que ceux qui ont travaillé à lui obeir, et à cheminer selon sa iustice, n'auront point travaillé en vain, et ne seront point frustrez de leur attente. Voila qu'il nous faut conclure, et passer tousiours plus outre. Et nous voyons mesmes que Dieu nous a voulu declarer cela par la bouche d'un seducteur. Car combien que Balaam s'efforçast de traverser toute la verité, et la convertir en mensonge: si est-ce que Dieu le tient là comme en torture, qu'il faut qu'il dise, Que la mort des iustes est desirable. Que ma mort (dit-il) soit semblable à la mort des iustes. Il ne dit point cela de son bon gré (car il voudroit aneantir entant qu'en lui est, et abolir la maiesté de Dieu) mais tant y a que quand Dieu le fait ainsi parler, c'est plus que s'il eust envoyé tous les Anges de paradis. Dieu (di-ie) a alors authorisé ceste doctrine d'une marque particuliere, quand il a contraint et forcé un meschant, un ennemi de verité de parler en telle sorte. Voila donc ce que nous avons à retenir: c'est qu'il ne faut point que nous ayons nostre regard fiche au sepulchre, quand nous voyons que tout est là mis en un monceau, et qu'il n'y a nulle difference entre les bons et les meschans, entre riches et povres, entre ceux qui ont vescu à leur aise et ceux qui ont tousiours esté en angoisse. Il est vray qu'en la mort tout est confus, mais Dieu saura bien tout ramener en ordre et en estat de perfection: comme il est dit, qu'à la venue de nostre Seigneur Iesus Christ, quand il apparoistra pour iuger le monde ce sera la restauration de toutes choses. Si ainsi est donc que Iesus Christ viendra pour restaurer le monde, il faut que le monde soit auiourd'huy comme dissipe, que les choses y soyent en confus: mais cependant que nostre foy passe outre ces choses ici, et que nous attendions en patience que Dieu parface son oeuvre, et qu'il remedie à tout.

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Or Iob adiouste quant et quant: Que les pensees de ceux qui taschoyent à le confondre, ne lui sont pas inconnues, ne leurs entreprinses qu'ils ont de lui faire tort, comme s'il disoit, le voi à quoi vous pretendez: Car vous estes comme supposts de Satan pour me mettre en desespoir. Or ie me tiendrai ferme en l'esperance que i'ay en mon Dieu: et combien que ie soye ici tant opprimé que rien plus, si est-ce que ie continuer y à invoquer celui qui m'a promis d'estre mon sauveur, et ie ne seray point vaincu par toutes vos tentations. Voici donc Iob qui s'arme et se munit contre tout ce qui lui estoit allegué par ses amis: car il voit bien qu'ils ne tendent à autre fin et but, sinon de le mettre en desespoir. Or ce passage ici contient une doctrine utile: c'est que nous soyons tousiours advisez de cognoistre les ruses de Satan, quand il tachera de nous mettre en desespoir, et que nous soyons munis à l'encontre. Car si nous avons la prudence de nous donner garde de la malice des hommes quand nous voyons qu'ils taschent à nous nuire, et qu'ils machinent nostre ruine et perdition: ne faut-il pas que nous aguisions encores mieux nos sens et nos esprits pour resister à Satan, qui est le prince de toute iniquité? Voila donc ce que nous avons à cognoistre. Quand les hommes nous machinent quelque mal, et bien, nous faisons bon guet, nous cognoissons la force et la vertu qui est en nos ennemis: et si nous ne la pouvons repousser par force, nous usons de finesse. Quand nous verrons un homme qui tachera à nous seduire par mauvais conseil, et bien cela nous est-il cognu? Il s'en faut garder. Or nostre combat (comme dit sainct Paul Ephes. 6,12) n'est pas contre la chair, et le sang: c'est à dire, quand nous avons à resister aux hommes, cela n'est rien: mais nous avons nos ennemis spirituels, qui sont les principaux. Voila Satan qui desploye toutes ses forces, nous avons à batailler contre les diables qui sont en l'air, qui nous circuissent et environnent de tous costez: ils ont leurs dards enflammez, desquels ils nous auroyent incontinent abbatus si nous n'estions bien munis et equipez de toutes sortes. Il faut donc que nous soyons vigilans en cest endroit sur tout, et que nous cognoissions les ruses de Satan, comme sainct Paul aussi en parle en un autre lieu, en la seconde des Corinthiens (2,11). Voila ce que nous avons à noter de ce passage: que d'autant que Iob a esté muni contre les tentations qui lui estoyent dressees par ceux que le diable suscitoit contre luy, il faut quand nous verrons des hommes qui ne demandent qu'à nous mener a perdition, que nous ayons les yeux ouverts pour cognoistre leurs ruses, afin de les pouvoir rembarrer. Et si nous avons cest advis quant aux hommes, que nous l'ayons sur tout quant à Satan: pource que c'est le principal ennemi

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et auquel il faut sur tout resister pour repousser toutes les pratiques et machinations . qu'il pourra dresser contre nous. Et par cela notons que toute excuse nous est ostee, quand nous serons surprins des tentations desquelles chacun se doit donner garde. Quand nous serons desbauchez, un chacun allegue qu'il en a eu le moyen, et qu'il a esté seduit par un autre: bref nous pratiquons ce qui nous a esté monstré par nostre pere Adam. La femme que tu m'as donnee, m'a deceu. Voire? mais cependant nostre Seigneur nous a donné assez de prudence, moyennant que nous vuoillions estre vigilans. Mais ceux qui veulent estre endormis à leur escient, ne faut-il pas que Satan les attrappe en ses filets, et qu'ils s'esgarent ça et là? N'en sont-ils pas bien dignes ? Car il semble que de leur bon gré ils se veulent rompre le col, et qu'ils ayent cerché les fosses où ils tombent, et sont bien aises quand ils trouvent quelque moyen de se desbaucher. Il y en a beaucoup qui cerchent les scandales: et puis ils diront, O voila un tel qui m'a seduit. Or si nous faisions le guet comme Dieu nous admonneste, nous serions tousiours preservez des dangers dont nous sommes attrapez. Voila donc ce que nous avons à noter de ce lieu.

Or Iob dit quant et quant, Enquere-vous de ceux qui passent leur chemin: vous ne pourrez nier leurs signes. Ce passage est exposé en diverses sortes. Il y en a qui prenent les passans en un sens allegorique, pour les fideles, d'autant qu'ils sont pelerins en ce monde, et qu'ils ne s'y arrestent pas: mais cela est par trop contraint. Aucuns entendent que Iob a ici voulu dire, que ses amis le iugeoyent comme un passant, c'est à dire, comme un homme incognu: comme s'il disoit, Vous me traittez plus mal que vous ne feriez un passant et un homme incognu. Les autres le prennent d'une autre façon. Mais tenons nous au sens naturel, c'est assavoir que Iob veut ici dire, que si ses amis (au moins qui en avoyent le titre, et qui estoyent venus sous cest ombre-la) avoyent un iugement entier, et non corrompu, ils n'useroyent point de telles calomnies à l'encontre de lui. Il dit donc: Voire, que vous demandiez aux passans ce qui est de ce que vous avez disputé iusques ici: et chacun en pourra dire. Et pourquoy? D'autant qu'ils ne sont point mal affectionnez, d'autant qu'ils ne sont point preoccupez de quelque mauvais iugement ils en diront la verité, et ce qui en est: il faut donc que vous aussi soyez ainsi attrempez. Voila en somme ce qu'il veut dire. Or par cela nous sommes admonnestez qu'il n'y a rien si contraire à raison et verité, qu'une mauvaise affection qu'un homme aura nourrie et conceue en soy: car il en sera aveuglé, en sorte qu'il ne discerne plus, et la clarté lui sera tousiours comme tenebres. Ceci

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nous pourra beaucoup servir, quand nous l'appliquerons à nostre usage comme il faut. Pourquoy? Nous voyons comme chacun lasche la bride à ses passions. Quand nous iugeons, est-ce regardans à la raison, pour nous conduire par icelle? Nenni: mais nos passions dominent en telle sorte que nous n'y voyons goutte, d'autant que nous sommes preoccupez de quelque phantasie. L'un sera mené de son orgueil, et il ne veut point fleschir quoi qu'il en soit: et si on l'avertit, il n'escoutera rien: quelque remonstrance qu'on lui face, rien ne vaudra envers lui. Quand donc un homme est ainsi endurci contre Dieu, et contre toute equité: il lui semble qu'il ne pourroit acquerir meilleure reputation que d'estre opiniastre iusques au bout. Apres, l'autre sera envenimé de quelque haine, ou de quelque despit: là dessus il iugera à la volee sans pouvoir s'enquerir si la chose est telle, ou non. D'autant que ce vice regne ainsi en nous, et qu'il a la vogue: tant plus devons-nous noter ce passage, où il est dit, Que les passans mesmes nous enseigneront: c'est à dire, que ceux qui iugeront d'une chose pour l'avoir seulement regardee en un moment, et comme en passant, seront meilleurs iuges et plus iustes que nous ne serons point. Et pourquoi? Ils ne seront point preoccupez de leurs affections mauvaises, qui les empeschent de bien iuger, et à la verité. Voila ce que Iob a voulu dire en ce passage.

Or il adiouste en la fin pour conclure son propos qu'il avoit tenu, Que l'inique est reservé au iour de sa perdition, et que telles gens seront comme traine au iour de la fureur. c'est le moyen pour ne nous point precipiter en iugement temeraire, quand Dieu ne punira pas les pechez des hommes si tost que bon nous semblera, et qu'il affligera les bons, et les tiendra comme sous beaucoup de tormens et de fascheries. lors donc disons: Tant y a que l'inique est reservé à son iour. Si nous avions ce mot de reservé (comme il en fut hier traitté) bien imprimé en nos esprits, cela seroit pour nous retenir en crainte, que nous ne serions point tant transportez comme nous sommes, voyans les troubles, et les choses ainsi confuses comme elles sont durant ceste vie. Mais nous ne pouvons rien reserver à Dieu, et nous semble s'il ne fait auiourd'hui son oeuvre, que demain il n'y viendra point à temps: cela est cause de pervertir tout, que nous avons nos esprits entortillez: et puis avec telle hastiveté nous prononçons à l'adventure: et cependant nous ne donnons point lieu à la foi, nous ne pouvons plus rien cognoistre que c'est de Dieu, ne de sa iustice, sinon selon l'experience. Et par ce moyen nous voudrons forclorre toute la parole de Dieu, pour dire qu'elle ne nous vaudra plus rien, et que nous ne croirons à rien de ce

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qui est là contenu: mais que nous croirons à nos yeux propres. Et ne voila point nous separer de Dieu et nous aliener de son escole pour n'y plus estudier Se faut-il esbahir si les hommes apres cela sont tant forcenez qu'on ne puisse plus rien gagner avec eux: mais que le diable les possede, et les transporte du tout: comme nous en voyons auiourd'hui beaucoup de tels? Non, il ne s'en faut point esbahir: c'est un iuste iugement. Ainsi donc d'autant plus nous faut-il bien noter ceste doctrine, où il est dit, Que le meschant est reservé au iour de sa perdition. En somme quand nous voyons ici les meschans estre à leur aise et en prosperité, et qu'ils font leurs triomphes: il est vray qu'il ne se peut faire que nous ne soyons tentez, et n'ayons quelque pointe là dedans: Et comment? Qu'est-ce que ceci veut dire, que Dieu soit là au ciel oisif, qu'il semble qu'il dorme, qu'il ne prouvoye point aux choses d'ici bas? Nous pourrons bien, di-ie, avoir quelque telle phantasie: mais il la faut repousser, pour dire, Et bien Seigneur, tu m'admonnestes qu'il faut regarder plus loin qu'à ce monde. De prime face il nous sembleroit que tu fusses endormi: mais cependant c'est tout l'opposite. Car quand nous voyons qu'il y a un autre iugement sur les meschans, lequel nous est incognu: il faut bien que nous sachions aussi qu'il y a un repos eternel pour les bous. Dieu donc nous donne desia une declaration de sa iustice, qu'il y a un iugement reservé, auquel toutes choses seront remises en ordre et en estat. Voila comme il nous faut faire nostre profit des exemples qui sont devant nos yeux. Pourtant si les choses vont mal à nostre appetit, si les meschans triomphent, et que Dieu ne face point semblant de les punir: au contraire si les bons sont tourmentez, et qu'on n'apperpoive point qu'ils soyent secourue, mais qu'il se commette beaucoup d'outrages, et d'iniures, et de violences à l'encontre d'eux, et que cependant Dieu n'y mette point la main pour y prouvoir: recourons à ce qui nous est dit, Et bien, il y a un autre iugement: car le meschant est reservé à sa perdition. Et d'autant que les meschans sont auiourd'hui espargnez, notons que leur vengeance sera tant plus horrible: leur marché n'amende point pour cela, mais leur condamnation s'empire tousiours de plus en plus. Et pourquoy? Le terme leur est bien cher vendu, d'autant qu'ils se sont ainsi mocquez de la bonté de Dieu, qu'ils ont abusé de sa patience, qu'ils ont tousiours continué à mal, et mesmes qu'ils ont este endurcis, et ont exercé leur malice à l'encontre des bons et des enfans de Dieu. Ainsi donc les fideles se doivent resiouir au milieu de leurs tristesses, quand ils voyent que les meschans sont ainsi reservez au iour de leur perdition. Il est yray que pour un temps les meschans;

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seront en ce monde comme en un paradis: mais sera-ce tousiours ainsi? Non: car ceste vie est brefve et caduque, et il faudra qu'ils viennent à conte. Et quand il leur sera reproché qu'ils se sont iouëz avec Dieu qu'ils ont mesprisé sa maiesté: et que sera-ce? Quelle horrible vengeance leur sera là apprestee? Que nous concevions donc une telle horreur de la condition finale des meschans, que nous soyons retenus pour ne nous point mesler parmi eux, et n'estre point entachez de leurs vices et de leurs infections, afin que nous ne soyons point enveloppez eu une mesme fureur de Dieu. Et puis sommes-nous opprimez? voyons-nous les bons qui sont là en fascherie et en angoisse? Et bien, cognoissons, Il est vray que nostre vie est miserable en apparence: mais c'est pour nous faire passer plus outre: ce sont comme des coups d'esperon pour nous donner courage, et nous inciter à regarder à la vie celeste, et en y aspirant mespriser tout ce eu quoi les meschans ont accoustumé de se plaire, et constituer ici bas toute leur felicité.

Or en la fin Iob dit, Qui est-ce qui pourra iuger en face contre lui, et qui est-ce qui lui rendra ce qu'il a fait? Il semble bien de prime face qu'ici il parle de Dieu: mais c'est plustost du meschant que ceci est dit. Toutes fois tant y a que c'est pour approuver la iustice de Dieu, et monstrer que le meschant, combien qu'il soit eschappé de la main des hommes, ne laissera point de venir devant le Iuge celeste. Voila en somme ce que Iob a voulu dire. Ainsi donc combien que les meschans ayent passé leur vie, et que personne ne se soit oppose à eux, et que quand ils vivent, il semble que les voila eslevez iusques aux nues: si est-ce qu'ils ne laisseront pas de venir au sepulchre. Or il est vrai que selon les hommes cela pourroit tousiours est e ramené en confirmation de la tentation: Et comment ? Nous voyons que tout est esgal: mais Iob ici conclud contre ses ennemis, que combien que la fin soit pareille en apparence, toutes fois il y a un iugement de Dieu par dessus cela, et qu'il ne faut point que les hommes s'abrutissent pour demeurer seulement au sepulchre et à ce qui apparoist là: mais qu'ils cognoissent, Dieu restaurera les choses, tellement que les boucs seront separez d'avec les agneaux, quand Dieu monstrera qu'il est Iuge du monde: mais le temps n'est pas venu encores. Voila quelle est la comparaison que fait ici Iob.

Or derechef il reitere ce qu'il avoit dit, c'est assavoir, qu'on ne pourra pas discerner entre les uns et les autres par l'apparence exterieure. Pourquoi? Voila l'homme gui sera tout aise d'avoir de la terre glaireuse, mais que son corps soit enseveli: ce lui est tout un apres la mort, et les uns sont mis

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avec les autres au sepulchre. Voila quelle est la condition du genre humain, comme il est dit au Ps. (49, 15). Qu'on apporte au sepulchre les corps des grands et des petits, des vieux et des ieunes, et que tous s'en vont comme troupeaux de moutons au sepulchre. Ainsi donc selon l'apparence nous ne pourrons pas discerner des iugemens de Dieu. Et pourquoi est-ce que Iob parle ainsi ? Est-ce qu'il vueille mettre tout en confus? Non: mais cela est bon et utile aux enfans de Dieu (comme desia nous avons declaré) d'estre premunis de longue main contre les tentations qui leur pourroyent advenir, voyans ainsi la fin des bons et des meschans estre semblable quant à l'apparence: afin que quand ils seront affligez ils puissent invoquer Dieu, sachans que si leur condition est povre et miserable en ce monde, il y a un bien qui leur est appresté l'esperance duquel peut bien amoindrir et adoucir toutes les tristesses et fascheries qu'ils pourront avoir en ce monde. Il est bon donc que les hommes cognoissent les tentations qui leur peuvent advenir. Il est vrai qu'il ne nous faut point estre ici trop hastifs, tellement que quand nous orrons parler de la delivrance que Dieu nous veut donner en nos maux, nous venions incontinent à repliquer: Et quand sera-ce? Il ne nous faut point arrester à telles phantasies: mais en general il nous faut apprendre à estre patiens en tout et par tout, pour ne nous point precipiter en des phantasies volages, ou concevoir des choses lesquelles Dieu nous veut estre maintenant incognues. Que nous lui laissions donc le iugement iusques à ce qu'il nous le revele, et que nous cognoissions en perfection comment il fait les choses que nous ne pouvons pas auiourd'hui comprendre. Voila pourquoi Iob monstre ici que tous vont au sepulchre, et que tous y sont apportez: c'est afin que nous facions ceste conclusion, Et bien: il est

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vrai qu'en la mort tout est semblable, nous ne discernons point entre les bons et les meschans: et comme dit Salomon en son Ecclesiaste (9, 4)un chien vivant vaudra mieux qu'un lion mort: et la mort de l'homme est semblable à la mort d'un chien, veu que le corps de l'homme pourrira aussi bien que le corps des bestes. Nous voyons tontes ces choses: mais il ne faut pas pourtant que nous en demeurions-là. Contemplons donc ce qui nous est monstré au miroir de la parole de Dieu: c'est assavoir, qu il y a un iugement plus grand que Dieu reserve, lequel il executera lors qu'il se monstrera iuge du monde. Voila comme il nous faut avoir cognu les tentations, et les ayans cognues il nous y faut resister, et passer outre: et que nous ne soyons point si fols de dire, O quiconques aura bien en ce monde, qu'il le prenne: car à la mort il n'y a plus d'esperance. Mais au contraire il faut dire, Si nous avons du mal en ce monde, cognoissons qu'il y a une esperance meilleure qui nous est apprestee, et c'est là où Dieu nous appelle. Si nous avons du bien en ce monde, remercions-le de tout: mais ne nous fions point en cela: car le bien nous pourra estre esté du iour au lendemain, sur tout quand nous en aurons abusé. Voila, di-ie, comme il nous faut considerer les choses presentes, et regarder que si nous en iugeons selon nostre sens humain, tout sera perverti: et c'est afin que la foi domine en nous, et que la parole de Dieu nous conduise, que ce soit comme une lampe pour nous monstrer le chemin au milieu des tenebres de ce monde, iusques à ce que nous en soyons parvenus à ceste clarté celeste, où il n'y aura point de cognoissace en partie: mais où il y aura toute perfection quand nous contemplerons nostre Dieu face à face.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON LXXXIII

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L'OCTANTETROISIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XXII. CHAPITRE.

1. Eliphas Themanite respondant, dit, 2. L'homme profitera-il à Dieu? c'est à soi que l'homme sage profite. 3. Que chaut-il au Tout-puissant, si tu es iuste? Ou quel gain aura-il, si tu chemines en integrité? 4 Dieu craint-il à cause de toi, de t'arguer, ou de descendre avec toi en iustice? 5. Ta malice n'est-elle pas grande? et tes iniquitez ne sont-elles pas sans fin? 6. Tu as prins gage de ton frere sans raison: tu as despouillé celui qui estoit nud. 7. Tu n'as point donné de l'eau à boire à celui qui avoit soif: tu as refusé le pain à celui qui avoit faim. 8. Et l'homme robuste possedoit la terre: et celui qui avoit authorité habitoit en icelle.

Quand nous avons affaire aux hommes, si nous pouvons reprocher quelque chose à nostre partie adverse, ou que nous trouvions à redire en luy, il nous semble que nous avons nostre cause gaignee: ie di mesmes quand nous aurons tort, et qu'il ne faudra aussi d'autre iuge pour nous condamner que nostre conscience. Si un homme m'accuse, et que ie me sente coulpable: i'iray chercher s'il y a point aussi à remordre en luy: et voila que ie mettray en avant pour mon absolution. Pourquoi, Car il me semble que ie divertiray d'autant ceux qui doivent estre iuges de ma cause, afin qu'ils ne soyent point du tout arrestez à moy, et que le mal que i'ay commis soit comme obscurci et enveloppé. Voila donc l'usage commun que nous pratiquons les uns avec les autres: c'est assavoir que nous cercherons quelque subterfuge, et cela nous servira d'eschappatoire quand nous pourrons dire, Et comment? l'ay fait un tel plaisir à un homme: et quand ie l'auroye puis apres offensé, cela doit estre mis en balance. Voila comme nous voudrons amoindrir la faute que nous aurons faite: ou bien nous alleguerons, Et si i'ay failli en cest endroit, cestui-ci est-il du tout innocent? Or quand nous venons à Dieu, toutes ces choses-là s'en vont bas. Il est vrai que nous voudrions user d'un mesme style envers Dieu comme envers les hommes mortels: mais c'est un abus. Pourquoy ? Qu'est-ce que nous lui pouvons reprocher, Qu'est-ce que nous trouverons à redire en lui ? Qu'est-ce que nous lui alleguerons que nous lui ayons fait de servie, pour dire qu'il soit tenu et obligé à nous? Il faudra que nous ayons la bouche close en tout cela, tellement qu'il ne sera question sinon de confesser la dette, et passer condamnation avec toute

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humilité sans user de replicques, et sans intenter procez, d'autant que nous ne gagnerons rien. Et c'est l'argument qui est ici traitté par Eliphas. Et ainsi nous voyons que du propos qu'il tient on peut recueillir une bonne doctrine: et il eust tres bien parlé, moyennant qu'il eust appliqué ceci comme il devoit: mais il s'est mal adressé à la personne de Iob. Voila en quoy il a failli. Tant y a que ceste doctrine en soy et en general nous est bien utile: c'est assavoir que quand Dieu nous advoue devant lui, et qu'il nous solicite à recognoistre nos fautes, il n'est plus question de cercher quelque replique, pour dire, Si i'ai failli en cest endroit, Dieu me doit bien pardonner: Car voila en que ie l'ay servi, et il devroit recognoistre telle chose, et ceci merite bien d'estre recompensé. Que nous ostions donc tous ces menus fatras: car ils n'ont point de lieu quand nous venons à comparoistre devant Dieu. Pourquoy? Car nous ne lui apportons nul gain, il ne reçoit de nous ne froid ne chaud (comme on dit) et comme nous ne lui pouvons profiter, aussi ne pouvons-nous lui apporter aucun dommage. Cela conclu et arresté, nous voyons que toute presomption doit estre abbatue en nous, et qu'il n'y a autre remede, sinon qu'en toute humilité nous passions condamnation.

Mais afin que ceci soit mieux entendu, deduisons les choses par ordre, ainsi qu'elles sont ici contenues. Quel profit (dit Eliphas) apportera l'homme à Dieu? C'est à soy que l'homme sage profite. Il est vrai que de prime face il nous semble bien que nous meritons beaucoup envers Dieu, quand nous mettons peine à le servir et honorer: mais nous sommes par trop aveuglez en cela: car nous imaginons que Dieu puisse recevoir quelque bien de nous, comme s'il en avoit faute. Or au contraire il ne peut ni croistre ni diminuer, il est tellement la fontaine de tout bien, qu'il n'empruntera rien d'ailleurs: et ce que les hommes lui apportent, ce n'est point pour subvenir à sa necessité, ou bien pour l'augmenter en façon que ce soit. Si i'avoye affaire (dit-il) m'en iroy-ie à toy? Toutes creatures ne sont-elles pas en ma main? Au reste nous savons que Dieu ne cerche rien hors de sa maiesté. Ainsi donc ostons ceste folle phantasie, que nous apportions quelque bien ou profit à Dieu: mais plustost confessons avec David au Pseaume 16 (v. 2), que nostre bonté ne parviendra point iusques

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à lui. Car que les hommes s'efforcent tant qu'ils voudront: si est-ce que Dieu ne pourra rien recevoir de leurs mains, voire pour dire qu'il ait besoin d'en faire son profit. Et mesme apres que Dieu nous aura eslargi tant de graces que nous en serons rassasiez, nous ne lui pouvons faire aucune recompense: comme il en est parle au Pseaume 116 (r. 12). Qu'est-ce que ie rendrai au Seigneur pour tant de choses que i'ay receuës de lui ? le ne pourrai rien, sinon que i'invoquerai son nom. Tant s'en faut donc que nous puissions obliger Dieu à nous, que quand il nous aura fait des biens tant et plus, nous ne pouvons pas lui rendre la pareille: et mesmes nous ne saurions lui apporter une seule goutte de service. Voila quant au premier que nous avons ici à observer. Or si on demande Pourquoy donc est-ce que Dieu requiert de nous que nous soyons ententifs à le servir? Il semble qu'il ait regard à soy. Or il n'est question que de nous et de nostre salut: Dieu ne regarde point à ce qui lui est utile, quand il nous donne la reigle de bien vivre, et qu'il nous commande de nous abstenir du mal, et requiert que nous facions ceci et cela. Dieu donc en toute sa Loy n'a aucune consideration de son profit: mais il regarde ce qui nous est bon et expedient pour nostre salut. Faisons bien, cela retournera à nous: faisons mal, cela sera à nostre dommage: quant à Dieu, il demeure tousiours en son entier. Il est vrai qu'entant qu'en nous est, nous violons sa maiesté, nous aneantissons sa iustice, et sommes coulpables de cela: mais ce n'est pas à dire que nous puissions rien diminuer de Dieu, que nous le puissions priver de ce qu'il a que nous puissions toucher iusques à lui pour lui faire aucune iniure. Nenni. Ainsi donc l'homme ne nuira qu'à soy-mesme: et aussi tout le profit qui revient de lui, retournera à sa personne. Et en cela voyons-nous la bonté inestimable de nostre Dieu: car il nous commande soigneusement, et nous declare comme nous avons à vivre. Et pourquoy le fait-il? Est-ce qu'il vueille estre bon mesnager, pour dire, il m'en reviendra aucun profit? Nenni: mais pource qu'il procure nostre bien et nostre salut. Si ie servoye sans regarder à mon profit, et que ie fusse tant soigneux du bien de quelqu'un, que ie l'allasse soliciter, Vous avez à faire ceci et cela, que soir et matin ie fusse apres lui pour le picquer et l'inciter à mettre ordre à ses affaires, et qu'il ne m'en revinst rien de tout cela: ne seroit-ce point un signe d'un amour qui est bien rare et singulier? Et voila nostre Dieu qui en use ainsi envers nous. Et tontes fois quel est-il? Quand nous apprehendons sa maiesté infinie, et que nous regardons que Dieu daigne bien penser de nostre salut, et en avoir une telle solicitude: ne faut-il pas que nous soyons touchez au vif, mesmes

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que nous soyons comme ravis en estonnement d'une telle bonté? Et maintenant quelle ingratitude sera-ce aux hommes, quand Dieu ne peut rien gagner sur eux, qu'ils sont là tant endurcis et stupides, que quand il leur aura monstré le chemin de salut, et qu'il les exhortera d'y venir, ils ne daignent point marcher un pas, mais plustost reculent? Y a-il nulle excuse quand nous serons ainsi ingrats à la bonté de nostre Dieu? Or il y a encores plus: c'est que nostre Seigneur, combien qu'il ne reçoive rien de nous, encores monstre-il qu'il est comme obligé, Ay-ie affaire (dit-il) de tout ce que vous m'apportez? Et qu'ainsi soit, il ne peut rien recevoir de nous. Il est vrai: mais ce que nous faisons, Dieu l'accepte, il le met en ses contes, tout ainsi que si cela le valoit: comme nous voyons qu'il s'accompare à un pere de famille qui a une vigne, lequel l'ayant fait cultiver, en recueille le vin: ou qui a un champ, et en recueille le bled. Dieu usant de telles similitudes monstre qu'il a nos oeuvres tellement agreables, que ce lui sont comme sacrifices plaisans et de bonne odeur. Et mesmes il dit, que quand nous faisons bien aux povres, c'est comme si nous lui faisions à lui-mesme, qu'il accepte cela comme fait à soy: ainsi que nostre Seigneur Iesus mesme en parle, Ce que nous aurez donné à l'un des plus petis de mes membres, ie l'advouë comme s'il avoit esté fait à ma personne. Quand donc nostre Seigneur descend iusques-là, qu'il s'assuiettit à une condition d'homme mortel et corruptible, et dit qu'il reçoit ce que nous ferons à nos freres, combien que nous ne lui puissions rien apporter, et qu'il s'oblige volontairement à nous sans nous estre redevable: de nostre costé voyans tout cela, ne faut-il pas que nous soyons ravis en admiration de ce que nostre Dieu use envers nous d'une telle humanité? Ainsi donc notons bien ce qui est dit en ce passage, Que quand l'homme aura mis peine de vivre sainctement, et droit, selon que Dieu lui commande: ce n'est pas à dire qu'il ait apporté quelque profit à Dieu en toute sa vie: il a profité seulement à soy: mais si est-ce que nostre Seigneur pour nous donner courage de bien faire, veut bien accepter ce en quoy il n'a nul profit: il le requiert comme s'il en amendoit, et nous declare que ce ne sera point peine perdue que cela, ne chose inutile.

Voila, di-ie, quelle est l'intention de nostre Dieu quand il nous solicite a bien vivre. Et au reste cognoissons aussi à quelle fin ceci nous est dit en ce passage: car il nous faut retenir ceste circonstance que i'ai dite, c'est assavoir, que quand nous venons à conte devant Dieu, nous mettions en oubli toutes ces folles pensees que nous avons de lui pouvoir apporter quelque gain, d'avoir desservi quelque chose envers lui: que tout cela, di-ie,

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soit abbatu. Et pourquoy? Il n'est point comme une creature qui ait besoin qu'on lui aide, et subvienne, il n'a faute de rien, et se contente de soy. Puis qu'ainsi est donc que nostre Dieu n'est obligé à nous en façon que ce soit: apprenons de nous humilier devant lui, et que nous soyons contristez de nos fautes, voire pour y estre du tout confus, et demander à Dieu qu'il nous les pardonne. Mais pourquoy nous les pardonnera-il? Ce ne sera point pour dire, Il cognoist que i'ay tasché de bien vivre, i'ay fait ceci et cela. Car qu'est-ce de tout ce que nous pourrons ainsi alleguer? Rien du tout. Et ainsi que nous oublions tous ces subterfuges-là, passans condamnation: car quand nous aurons use de toutes telles repliques, elles ne pourront point venir iusques à Dieu. Si nous avons affaire aux hommes mortels, et que nous usions de telles fanfreluches pour couvrir nos fautes: si est-ce qu'encores sommes-nous confus de honte, si nostre mensonge apparoist. Que sera-ce donc quand nous viendrons à notre Dieu? Et en cela voyons-nous comme les Papistes sont abusez. Car combien qu'ils ne puissent pas nier que Dieu ne les tienne tous sous malediction, quand il voudra user de rigueur envers eux: si est-ce qu'ils mettront leurs satisfactions en avant, et veulent là marchander avec Dieu: que s'ils ont failli en un endroit, ils pourront bien reparer la faute par quelque antre remede: mesmes ils auront leurs oeuvres qu'ils appellent de superabondant, que Dieu n'a point commandees, qui seront pour remplir les troux quand ils auront commis quelque mal, et que Dieu les presse. Et bien, (diront-ils) si nous avons peché, voila qui recompensera: et mesmes s'il est mis en balance, encores y aura-il du superabondant. Voila où en sont les Papistes, tellement que ce leur est une grande absurdité que la remission des pechez soit gratuite, que Dieu nous pardonne par sa pure bonté. Ils confesseront bien que cela est vrai quant à la coulpe, mais quant à la peine c'est à nous de la racheter. Quand les hommes sont transportez d'un tel orgueil, ne faut-il pas dire, qu'ils ont du tout transfigure Dieu, et qu'ils ne cognoissent plus quel il est? D'autant plus nous fau-il bien noter ce qui est ici contenu: c'est assavoir que nous aurons beau nous faire a croire que nous pouvons apporter quelque profit à Dieu: cela n'est que pure folie, ce n'est qu'une phantasie vaine. Et ainsi quand nous aurons conceu quelle est sa hautesse, apprenons de recognoistre nos fautes en toute humilité, n'ayans aucune replicque: car nous ne pouvons lui rien reprocher, comme aussi nous ne lui pouvons alleguer qu'il ait rien receu de nous, ne qu'il soit en rien oblige. Voila pour un Item.

Or il est dit quant et quant, Qu'il ne chaut à

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Dieu si nous faisons bien ou non, ou si nous cheminons en integrité. Quand Eliphas parle ainsi, il n'entend pas que Dieu ferme les yeux, et qu'il n'y ait envers lui nulle discretion de bien et de mal: mais il entend qu'il ne luy en chaut quant à soy. Il est vray que Dieu selon qu'il est la fontaine de toute iustice et droiture, aime l'equité: et si nous vivons iustement, voila comme une image de Dieu. Car il est certain que nous n'avons pas le bien en nous: mais c'est comme nous voyons que le soleil reluit ici bas, quand il iette ses rayons. La clarté que nous voyons ici bas, ne vient point de la terre: nous verrons la elarté sur les maisons, sur la terre: et toutes fois elle ne procede point de là: mais c'est une elarté reflexe (qu'on appelle) qui se reiette selon que la terre la reçoit: elle se tient donc là sur la terre. Comme aussi quand en un miroir nous-nous regardons, le miroir n'a point de face: mais la face de l'homme se vient là presenter, et le miroir la monstre. Ainsi donc quand nous faisons bien, cela n'est pas de nous (car on n'en sauroit arracher que toute ordure et povreté, comme nous sommes corrompus de nature) mais nostre Seigneur espand sa bonté et sa iustice sur nous. Si donc il nous fait ces e grace en nous regenerant par son sainct Esprit, que nous vivions sainctement, nous sommes comme des miroirs ansquels son image est là comme representee: et c'est une clarté laquelle vient d'enhaut, mais elle se monstre ici bas. Or d'autant que Dieu recognoist tout ce qui est bon estre de lui, voila pourquoy il aime le bien: comme il est impossible qu'il en face autrement, veu qu'il en est la source et la fontaine. Au reste il ne lui chaut à son regard, c'est à dire pour son profit, ou advantage qu'il en reçoive, il ne lui chaut comme les hommes vivent. Quand les hommes feront du pis qu'ils pourront, osteront-ils ceste iustice qui est en Dieu? Pourront-ils amoindrir sa maiesté? Pourront-ils aneantir sa gloire et son honneur ? Pourront-ils accourcir les limites de son royaume? Nenni. Voila donc comme il est dit, qu'il ne chaut à Dieu que les hommes facent. Mais quant à nous, regardons si ce n'est pas nostre beatitude de nous renger à lui, et nous rendre suiets en obeyssance. Et veu que n'ayant besoin de nous, ne de nostre vie, ou de nos oeuvres, il a toutes fois telle solicitude que nous vivions sainctement: cognoissons par cela l'amour qu'il nous porte, ainsi que desia il a esté dit, qu'il nous daigne bien conioindre à soy, et nous y conioindre en telle sorte, que si nous vivons bien, il dit que son regne est establi: si nous vivons mal, il dit qu'il ne regne plus. Et comment? Pouvons-nous ennpescher Dieu que son empire souverain ne lui demeure tousiours? Nenni. Et pourquoy donc use-il d'un tel langage? C'est (comme i'ay desia dit) pour nous declarer comme

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il nous aime, ainsi qu'il en est parlé au huitieme chapitre des Proverbes (v. 31), là où la sagesse de Dieu est introduite, que son plaisir et ses delices sont d'habiter entre les hommes. Dieu parle ainsi pour nous monstrer qu'il ne veut point retenir lé bien qu'il a en soy comme enserré et caché: mais qu'il veut qu'il soit espandu entre nous, et que nous en soyons participans: et qu'ainsi il prend plaisir à nous esclairer, tellement que nous ne sommes point comme bestes brutes, mais que nous le cognoissons en concevant ce qu'il nous monstre, en telle sorte que nous sommes eslevez là haut en son royaume. Autant en est-il aussi en tout et par tout: c'est qu'il prend plaisir de nous eslargir de ses biens pour nous en donner une telle iouyssance, qu'il se conioint à nous, et nous à lui. Dieu donc a eu un tel soin de nous, qu'il lui chaut comme nous vivons: mais non pas pource qu'il en ait ne profit ne dommage. Voila en somme ce que nous avons à noter.

Or il est dit quant et quant, Sera-ce pour crainte qu'il ait de toy, qu'il t'arguera, ou qu'il descendra avec toi en iustice? Ici il nous est monstré encores plus clairement que nous ne gagnerons rien, voulans tergiverser avec Dieu, comme nous avons accoustumé de faire avec nos semblables. Car pourquoi est-ce qu'on use de tant de cavillations en procez et en querelles qu'on a avec les hommes, sinon pour mettre quelque rempart, et pour apaiser la partie: ou bien pour l'intimider afin qu'elle ne poursuive point plus outre avec telle rigueur? Exemple, Quand quelqu'un sera assailli, il regardera: C'est homme ici me poursuit vivement: que faut-il que ie face? Lors il viendra user de quelque subterfuge: ou bien il baillera quelqu'un en queuë à sa partie adverse pour lui mettre la puce en l'aureille, comme on dit: Ne penses-tu pas que ton adverse partie est plus forte que toy? Ou bien il lui suscitera par dessous terre quelque chose: tellement que l'homme se retire, et est refroidi, et n'ose pas poursuivre comme il avoit commencé: car il craint que le mal ne lui retombe sur la teste. Ainsi donc, pource que nous avons accoustumé de faire peur aux hommes mortels afin d'eschapper de leurs mains, et que nous leur monstrons les dents, que nous leur donnons quelque signe que nous avons le moyen de nous revenger: il nous semble que nous pourrons faire le semblable envers Dieu. Et quelle folie? Ne faut-il pas que nous soyons bien despourveus de sens? Mais pource que les hommes sont tant outrecuidez, qu'ils cuident pratiquer envers Dieu ce qu'ils font envers leurs prochains: pour ceste cause il est dit, Et penses-tu que Dieu se taise pour crainte qu'il ait de toy? Or qu'est-ce qui esmeut les hommes d'espouvanter ainsi leur partie adverse? Pource qu'on regarde,

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Cestui-ci me veut faire tort, il faut que ie l'empesche, et encores s'il m'assaut, ie le repousserai: ou bien, i'aurai le moyen de iustice pour le rembarree. Voila donc ce qui nous empesche de poursuivre les uns les autres: c'est assavoir quand nous voulons nous maintenir, et que les meschans nous veulent nuire, nous avons la iustice qui se met entre deux: car nous ayans là nostre refuge, voila qui les empesche d'executer ce qu'ils ont entreprins, et c'est comme nous y pocedons, quand nous avons affaire aux hommes mortels. Or ne pensons pas que Dieu soit mené d'une telle affection. Et pourquoy? Qu'est ce que nous luy pouvons faire? Luy pouvons-nous apporter ne chaud ne froid, comme i'ay dit? Ainsi donc Dieu ne nous poursuit point de peur qu'il ait que nous n'anticipions sur luy, que nous ne luy mettions le pied sur la gorge: car s'il veut seulement souffler, il faudra que nous soyons abbatus: et ceux qui se dressent ainsi à l'encontre de Dieu, que font-ils, sinon qu'ils se rompent le col? C'est autant comme si un homme se cassoit les nerfs et les veines en s'efforçant d'aller en haut, et il ne peut: il faut qu'il demeure là tout court, et que s'il veut s'efforcer outre mesure, il se rompra tout le corps. Voila donc une cheute mortelle. Ainsi en est-il, quand les hommes ont ces 3 arrogance diabolique de s'eslever contre Dieu. Il ne faut point donc que nous pensions que nostre Seigneur se doute de nous: car il se mocquera d'une telle outrecuidance, comme il est dit au Pseaume 2 (v. 4). Et bien: il est vrai que les hommes feront grand bruit quand ils machineront par ensemble. Et sur tout si les rois et les princes ont des ligues, et qu'ils complottent à l'encontre du Dieu vivant, que les peuples aussi s'y accordent, ils feront grand bruit: mais ce n'est qu'ici bas, et les hommes sont comme des sauterelles, ainsi que le Prophete Isaie en parle (40, 22). Les sauterelles ont de si longs pieds, qu'elles pourront sauter: mais il faut qu'elles retombent bas incontinent. Ainsi les hommes se remueront bien ici: mais sauteront-ils par dessus les nues? Nenni. Cependant celui qui habite aux lieux souverains ne s'en fera que rire. Cela est pour monstrer quel est le siege de Dieu, c'est assavoir par dessus les cieux: tellement que les hommes ne pourront iamais atteindre iusques les à lui: il se rira là haut en son repos cependant qu'ils feront ici grand bruit. Et ainsi apprenons, quand Dieu nous adiourne, et nous fait nostre procez, que ce n'est point que nous lui puissions nuire, ce n'est pas qu'il ait regard à soy pour empescher que nous n'anticipions sur lui: nenni. Pourquoy donc? C'est afin de nous faire sentir le mal qui est en nous, et que nous soyons incitez par cela de cercher le remede, et qu'avec vraye repente ce nous venions à lui. afin d'estre

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gouvernez selon sa volonté. Dieu donc en punissant les hommes procure leur salut: en les condamnant, il les veut absoudre: ou bien, quand ils sont chastiez, il veut ratifier et confermer sa iustice, pour monstrer que nul mal ne demeurera impuni. Et cependant il veut aussi aneantir cest orgueil qui est aux hommes, d'autant qu'ils se plaisent en leurs vices, et s'y glorifient: Dieu veut mettre bas tout cela quand il les amene en iugement. Et ainsi apprenons de ne nous plus flatter, toutes fois et quantes que nous aurons quelque remors là dedans, et que nous serons condamnez par la parole de Dieu, qu'on nous monstrera nos vices qu'on grattera nos rongnes: apprenons, di-ie, de n'user plus de subterfuges: car nous ne ferons qu'empirer nostre marché. Et sachons que Dieu ne nous craint pas, que nous lui puissions apporter aucun dommage: mais nous solicite a sentir nos fautes pour nous y desplaire: et que par ce moyen il nous tend la main pour nous amener à salut: ou bien qu'il veut que nostre condamnation redouble et que nous soyons tant plus inexcusables, quand nous lui aurons resisté, et qu'avec la malice qui est en nous il y aura eu ceste obstination et rebellion pour ne point fleschir quand il aura tasché de nous reduire à soy. Voila en somme ce que nous avons à considerer.

Or Eliphas adiouste quant et quant, Ta malice n'est-elle pas grande? et tes iniquitez ne sont-elles pas sans fin? Il est vrai que ceci est tres mal appliqué à la personne de Iob (comme desia il a esté noté) mais cependant il nous faut tenir à ceste doctrine generale, afin de l'appliquer à nous selon qu'il nous en est besoin. Notons donc que par la bouche d'un homme estourdi. et qui n'auroit point telle prudence comme il devoit pour approprier la verité a son usage, le sainct Esprit nous monstre ce que nous avons à faire, quand nous venons en conte avec Dieu: n'est que nous sachions que nous lui sommes obligez en tout et par tout, et qu'il n'est tenu à nous en rien qui soit: d'avantage aussi que nous ne lui pouvons faire aucun dommage: et que quand il nous condamne, et nous amene en iustice, ce n'est pas pour son profit, mais pour nostre salut, et nostre bien: voire mesmes que quand nous sommes condamnez, c'est afin d'estre puis apres absouts de lui, afin que nous ne tombions point en ceste condamnation extreme, en laquelle les meschans seront contraints de venir en la fin. D'autre part que quand Dieu nous amene ainsi en iugement, c'est afin de faire examen de nos pechez et esplucher toute nostre vie, afin de nous desplaire en nos vices. Mais cependant quand nous aurons bien remué tout ce qui est en nous, et qu'il nous semblera que nous ayons cognu ce qui en est: sachons que nous n'en avons point encore apperceu

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la centieme partie, ie di mesmes ceux qui y voyent bien clair, et qui ne se veulent point flatter ne nourrir en mal. Car quoy qu'il en soit, selon que les hommes sont eslourdis, et ont une veuë courte et obscure, il est certain qu'ils n'apprehenderont point la centieme partie de leurs pechez: mais Dieu qui voit beaucoup plus clair que nous, les cognoist. Si nous tombons en un vice auiourd'hui, et que nous en soyons tout convaincus, nous commettrons une faute demain de matin encores derechef: voire et le iour ne se passera point qu'il n'y ait un grand nombre d'offenses et de transgressions Et puis ce sera tousiours à recommencer, car nous ne serons point convaincus d'un vice tant seulement, ou de deux, ou de trois, mais d'une centaine. Et ainsi donc où en serons-nous? Quand l'homme a bien examiné sa conscience, et qu'il se trouve coulpable en tant de sortes, et qu'il vient à conclure, Dieu en cognoist encore cent fois plus: où en peut-il estre là dessus ? No devons-nous pas estre là bien estonnez ? Ne faut-il point que les cheveux nous drossent en la teste, pour estre comme plongez aux abysmes de mort?

Voila ce que nous avons à noter de ce passage: c'est assavoir, que toutes fois et quantes qu'en oyant prescher la parole de Dieu, les vices desquels nous sommes entachez sont là condamnez: un chacun ait à entrer en soi, qu'un chacun se face son procez, et n'attende pas que Dieu le poursuive: mais qu'il cognoisse, Helas! i'ay failli en telle sorte, et non seulement pour un coup, ne pour deux, mais tant et plus. Et si i'ay failli en ceste sorte, il y en a bien d'autres: que si Dieu veut remuer mes ordures, que sera-ce ? Il faudra que i'en creve du tout. Cela' di-ie, nous amenera à humilité et repentance: tellement que nous ne serons plus ainsi tardifs comme nous estions d'approcher de nostre Dieu: pour le moins nous ne serons plus si revesches de nous rebecquer à l'encontre de ses corrections. Et mesmes que nous soyons tant plus soigneux de ce faire, quand nous voyons que la plus part se plaisent et se glorifient en leurs vices, et au lieu de gemir et estre confus de honte, ils veulent faire des bons Chrestiens, voire des plus parfaits qu'on puisse trouver. Il est vrai qu'ils diront en general: O ie suis homme, et il faut que tous se confessent pecheurs: mais tant y a qu'il n'y en a point qui facent mieux que moy: ie n'en sache point qui voulust mieux vivre. Et qui sont ceux qui parlent ainsi? Povres desbauchez, voire si desbauchez que l'air put de leurs iniquitez: et cependant il viendront icy se mocquer pleinement de Dieu. Or (comme i'ay dit) si nous espluchons bien quels nous sommes, il ne nous restera sinon d'estre confus du tout, pour passer condamnation, non point d'un peché, ne de deux: mais en tout et

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par tout, cognoissons que nous sommes maudits de Dieu, et plus que miserables, si ce n'est qu'il ait pitié de nous. En somme il nous est ici monstré qu'il ne faut pas que les hommes se confessent pecheurs devant Dieu comme par acquit: comme ceux à qui il semble que c'est assez quand ils auront dit: O ie ne nie pas qu'il n'y ait des fautes en moy. Non, n'en faisons pas ainsi: mais que le fardeau nous soit si pesant que nous n'en puissions plus. Car de fait voila comme Dieu sera vrayement glorifié: ce n'est pas quand les hommes diront qu'ils ont quelques petites infirmitez et imperfections en eux: mais quand avec David ils parleront de ceste grandeur de leurs pechez et de la multitude de leurs iniquitez (Ps. 38, 5). Et c'est aussi comme Daniel en parle en sa confession (9, 20): lui qui estoit comme un Ange en comparaison des autres' et toutes fois il dit, l'as confessé mes pechez et ceux de mon peuple, il ne parle point comme de quelque petite faute: mais il dit nos pechez sont grans et enormes, Seigneur. Et ainsi apprenons de recognoistre qui nous sommes, voire et en telle sorte que Dieu soit vrayement glorifié en tout et par tout. Voila un Item. Et aussi quelle esperance aurons-nous que Dieu nous reçoive, et qu'il nous soit pitoyable et propice, si ! nous ne sommes comme accablez des fautes que nous avons commises? Nostre Seigneur Iesus ne dit pas, Venez à moy vous tous qui direz, Ie suis pecheur, il y a des infirmitez en moy: nenni: mais, Vous tous qui estes chargez et qui travaillez, qui avez les espaules courbees sous la pesanteur de vos pechez. Voila ceux qui sont appellez de Iesus Christ, afin de trouver merci en lui, et en sa grace: et non pas ceux qui se mocquent ainsi de Dieu, faisans une confession à la volee sans estre touchez en leur coeur. Voila ce que nous avons à noter sur ce mot. Et au reste, pour venir à une telle cognoissance, il nous faut faire un examen special des fautes que nous avons commises: car iamais un homme ne dira en verité, Ie suis comme abysmé aux enfers, si ce n'est qu'il se soit bien espluché et qu'il ait regardé à ses fautes, et l'une apres l'autre, qu'il les ait bien notees. 6i donc nous n'avons fait un tel examen special, iamais nous n'apprehenderons que nos iniquitez soyent sans fin et sans nombre.

Voila pourquoi cest ordre nous est ici couché: car Eliphas apres avoir prononcé en general, que le peché de Iob estoit grand, et ses iniquitez sans fin, dit: N'as-tu point despouillé celuy qui estoit nud? n'as-tu point ravi gage sans raison? n'as-tu point retiré le pain de celui qui estoit affamé? n'as-tu point refusé de l'eau à boire à celuy qui avoit soif? et cependant ne t'es-tu point accordé avec gens pleins de violence? Voila pourquoy maintenant Dieu te perse

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cute. Or il est vray (comme desia nous avons dit) qu'Eliphas fait grand tort et iniure à Iob: mais cependant l'Esprit de Dieu nous veut ici instruire de l'ordre que nous avons à tenir pour nostre bien humiliez devant Dieu, afin de ne nous point endurcir, et de provoquer par ce moyen sa vengeance quand nous voudrons nous rebecquer à l'encontre de lui. En somme notons que iamais les hommes ne se sentiront pecheurs comme ils doivent, sinon qu'en particulier ils regardent à eux, et puis qu'ils entrent en conte comme par Item. Il est vrai que nous n'en pourrons pas venir à bout, et qu'il nous faudra tousiours conclure avec David (Pse. 19, 13): Qui est-ce qui cognoistra ses pechez ? Mais ce n'est point pourtant à dire, qu'il nous faille seulement passer par dessus, et non pas enfoncer les choses. Si un Iuge terrien sait estre aigu et attentif pour un procez, qui ne sera seulement que pour la vie d'un homme: ie vous prie, quand nous aurons offensé nostre Dieu, ne faut-il pas que là nous ayons une plus grande solicitude? Et mesmes quand un procez ne sera point criminel, mais qu'il sera seulement de quelque petite somme d'argent: si faut-il qu'un iuge regarde là de pres s'il a tesmoins, si le proces est bien conduit, que les choses soyent verifiees: et toutes fois il ne sera question que de dix, ou de vingt florins, de cent escus, ou de ie ne say quoy. Et si un iuge ne fait son devoir, il faudra qu'il soit tenu coulpable devant Dieu comme un larron: Car il est pire mes les qu'un larron, veu qu'il vole le bien d'autrui, et la substance qui appartenoit à l'un pour la donner à un autre. Et ie vous prie, quand Dieu nous fait cest honneur de nous constituer iuges de nostre vie, voire et qu'il le fait pour nostre salut: serons-nous excusables si nous sommes nonchalans, et que nous fermions les yeux à ce qui nous est tant profitable et utile? Il est bien ce, tain que non. Ainsi donc pesons bien ce que i'ai touché: l'est assavoir, que les hommes iamais ne se cognoistront vrayement pecheurs comme ils doivent, et comme il est requis, iusques à tant qu'en particulier ils ayent bien examiné leur vie. Et de fait nous voyons comme David en use: car un seul peché le ramene iusques au ventre de la mere, quand il voit qu'il a commis une transgression si vilaine devant Dieu, qu'il avoit esté cause d'un meurtre cruel, non seulement d'un homme, mais de plusieurs, voulant faire mourir Urie. Apres donc qu'il a veu la vilenie de son peché, ceste enormité-là ne le contraint point seulement de penser à ce seul peché: mais il regarde à soy de plus pres, me mes il se vient à contempler iusques au ventre de la mere, et se condamne en tout et par tout. Voila aussi comme il nous en faut faire. Et pourtant, ç'a esté une chose diabolique que de

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ceste confession Papale, quand on a voulu que les hommes se confessassent en l'aureille d'un Prestre pour desgorger là leurs pechez: comme si un gourmand alloit vomir le vin, quand il en aura tant entassé que son estomac ne le pourra plus porter. Dieu donc ne veut point que nous ayons une telle maniere de confession: comme aussi elle est du tout contraire et repugnante à sa parole. D'autre costé il ne veut point aussi que nous disions en un mot, l'ai failli: que nous passions seulement par dessus la braise (comme le proverbe en est en ce pays) mais que nous pensions de pres à nous, et qu'un chacun entre en sa conscience, et que nous cognoissions, Or ça, ie ne suis point seulement coulpable devant Dieu d'une seule faute, mais d'une telle, et de telle: et non seulement pour un coup, mais i'y retourne tousiours. Quand donc nous en ferons ainsi, nous examinans d'une telle façon spéciale, nous pourrons bien conclure: Et Seigneur, nos iniquitez sont infinies, nos transgressions sont sans fin. Voila, di-ie, en quoy Dieu veut estre glorifié. Voila comme les povres pecheurs seront touchez au vif, et navrez en leur conscience pour

se desplaire en leurs vices. De fait ceux qui ne font que se confesser en general pour dire, Ie suis pecheur comme le reste des hommes: monstrent bien qu'ils ne sont point touchez là dedans au profond de leur coeur, et qu'ils ne savent que c'est de cognoistre leurs pechez pour s'y desplaire. Or de nostre part apprenons de bien cercher et sonder tous nos vices: et quand nous en aurons recueilli quelque nombre, que nous sachions qu'il y en a cent fois plus, et que nous soyons confus en nous-mesmes les, que nous passions condamnation en souspirant devant Dieu, pour dire: Helas Seigneur! il est vrai que nos pechez sont en grand nombre, que nos iniquitez sont infinies: mais que la multitude de ta misericorde s'espande sur nous, comme David en parle (Pse. 40, 13). Car voila le seul moyen d'obtenir pardon de toutes nos offenses, c'est quand il plaist à Dieu de les couvrir et abolir par sa bonté, et nous en nettoyer par la vertu de son sainct Esprit.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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L'OCTANTEQUATRIESME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXII. CHAPITRE.

Ce sermon poursuit l'exposition des versets 6, 7, 8 et puis du texte ici adiousté.

9. Tu as laissé aller les vefves vuides, et le bras de l'orphelin a esté cassé. 10. Et pourtant les laqs t'environnent, et la frayeur soudaine t'espouvante 11. Et les tenebres font que tu ne voyes, et les grosses eaux te couvrent.

On pourroit trouver estrange, comment et pourquoy Eliphas accuse ici Iob des crimes que iamais on n'avoit apperceus en lui. Car (comme nous verrons cy apres) Iob avoit esté toute sa vie homme fort humain et liberal: comme il proteste qu'il a esté le tuteur des orphelins, le protecteur des vefves, qu'il a servi d'yeux aux aveugles, de iambes aux boiteux, que sa main n'a iamais esté close aux indigens. Pourquoy donc Eliphas l'accouse-il d'avoir ravi le bien, et la substance de ses prochains? de n'avoir point esté pitoyable, d'avoir este homme cruel, d'avoir gourmandé son bien lui seul ? Il semble qu'en ces choses il n'y ait nul

propos. Mais il nous faut noter qu'Eliphas iuge de la personne de Iob par l'affliction: et voila qui est cause qu'il pervertit tout: comme nous avons monstre ci dessus, qu'il nous faut avoir prudence quand Dieu afflige un homme, qu'il ne faut pas que nous concluions là dessus qu'il est meschant, et qu'il est traitté selon qu'il l'a desservi: c'est mettre la charue devant les boeufs, comme on dit en proverbe. Or voila comme en fait Eliphas, et ainsi son iugement est corrompu. Au reste ce qu'il propose ici, ne doit pas estre simplement entendu: mais c'est autant comme s'il exhortoit Iob a, bien regarder à toute sa vie, et que puis qu'il estoit ainsi affligé d'une façon non accoustumee, il faloit conclure qu'il avoit esté un homme meschant, et que ses offenses estoient si enormes, que Dieu avoit desployé une horrible vengeance sur lui, comme s'il disoit, Regarde si durant ta prosperité tu n'as pas esté cruel? Regarde si tu n'as point contraint

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les povres gens à des choses mauvaises? regarde si tu n'as point desnié l'assistance à celui qui t'en a requis? pense, si tu n'as pas este un contempteur de Dieu ? Et quand maintenant encores tu en demeures-là, et que tu te veux iustifier: c'est signe que tu te mocques de Dieu pleinement: car il est temps ou iamais de t'humilier. Quand tu es ainsi abbatu, ne faut-il pas que tu recognoisses ton iuge, et que tu te condamnes? Or tu persistes tousiours à vouloir debatre contre Dieu: il faut donc conclure que tu es un mocqueur. Voila comme Eliphas y procede. De là nous voyons que c'est de iuger ainsi à la volee: car nous ne regardons pas le bien qui sera aux hommes, ni les vertus que Dieu y a mises, et usons de coniectures frivoles, là où il n'y aura nulle apparence. Eliphas avoit-il iamais veu en Iob ce qu'il lui met ici au devant? Nenni: comme Iob le declare puis apres. Pourquoy donc Eliphas l'argue-il ainsi? Pource qu'il est préoccupé de ceste folle phantasie Puis que Iob est rudement puni de Dieu, il faut donc qu'il ait commis quelques crimes, voire et que Dieu le reiette du tout. Voila une mauvaise conclusion que prend Eliphas. Et pourquoy? Dieu punira les siens quelquesfois, non pas selon les fautes qu'ils auront commises, mais d'autant qu'il veut esprouver leur patience, et puis il veut monstrer que s'il traitte ainsi le bois verd, que sera-ce du sec? Et au reste, il les veut mortifier quant à ce monde: aussi il leur apprend, que les miseres que nous endurons ici bas n'empescheront pas ceste beatitude qui nous est promise, d'autant qu'elle est cachee, et qu'elle ne se monstre pas en ce monde. Voila donc comme Dieu a plusieurs raisons pourquoy il affligera les siens. Or que nous allions conclure, que c'est d'autant qu'ils ont mené une vie maudite et perverse: c'est tout pervertir. Mais il y a encores une queue qui est pire: c'est qu'alors nous entrons en des folles coniectures. Qu'est-ce donc ? Cest homme ici a esté en apparence de bonne sorte: et comment donc trouverons-nous en lui pourquoi il merite d'estre ainsi traitté? Voila qui nous donne occasion de songer et resver, comme en fait ici Eliphas. Parquoy nous devons estre plus sobres, et nous moderer, quand il est question d'asseoir iugement sur nos prochains: et par ainsi que nous n'y allions pas à l'adventure, mais que nous examinions bien leur vie: et quand nous aurons cognu un homme estre meschant, et contempteur de Dieu, que ses vices seront notoires: alors nous pourrons bien dire, Dieu le punit. Pourquoy? Afin que nous soyons enseignez par son exsemple, et que ce nous soit une instruction utile. Et au reste, quand nous n'aurons point apperceu en un homme cause pourquoy Dieu le doive punir à la rigueur: s'il luy advient quelque calamité tenons nous en suspens, et

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pratiquons ce qui nous est allegué du Pseaume (41, 2), c'est que nous soyons plustost pitoyables, et enclins à la bonne partie, et que nous cognoissions, Helas! si nostre Seigneur nous vouloit traitter selon que nous l'avons desservi, que deviendrions nous ? Car nous ne sommes pas meilleurs que cestuy-cy: mesmes nous pouvons dire que nous sommes pires: et toutes fois nous voyons comme il est affligé. Par cela apprenons que Dieu nous veut mener plus loin, et qu'il nous monstre que nostre vie n'est rien: et puis il veut exercer les siens en divers combats, et quand ils auront esté patiens au milieu de leurs afflictions, qu'ils se consolent en ce qu'ils cognoissent qu'il y a un repos meilleur qui leur est appresté ailleurs. Voila donc comme nous avons à y proceder.

Or maintenant espluchons par le menu ce qui est ici couché. Eliphas dit, Tu as prins gage de ton prochain sans cause, tu as despouillé celui qui estoit nud. Icy nous voyons que nos pechez ne laissent point d'estre desplaisans à Dieu, combien que les hommes ne les condamnent point. Car si un homme est trop cruel à prendre gage de quelque povre, quand il luy prestera en sa necessité, s'il lui oste ou la couëte de son lict, ou sa robbe de laquelle il doit estre vestu: personne ne l'appellera en iustice pour cela, car quand il y seroit appellé il seroit absout. Pourquoy? Il a presté son argent, il lui estoit licite de prendre gage pour s asseurer. Quant aux hommes on ne sauroit aucunement le forcer: mais quant à Dieu, il ne faut pas que nous cuidions estre absouts pour cela. Et ainsi quand nous penserons et cuiderons estre iustes et innocens devant Dieu, si nous n'avons esté reprins devant les hommes, c'est un abus: car la police terrienne n'est point pour nous amener à ceste perfection que Dieu requiert de nous comme de ses enfans, il suffit que par icelle nous soyons entretenus tellement qu'un chacun ait son droict, que le plus fort ne l'emporte point, que les fraudes, rapines, iniures, et outrages soyent chastiez. Voila dequoi doit servir la poli e de ce monde. Mais quand nous venons devant Dieu, ce n'est pas assez que nous alleguions. Ie n'ay pas este larron pour estre mené au gibet, ou pour estre fouetté, ie nay point meurtri un homme pour estre condamné à mort, ie n'ay point commis aucun crime qui emporte ne punition corporelle, n'infamie. Quand nous aurons allegué tout cela, ce n'est rien. Et pourquoy? Car quand i'auray hay mon prochain en secret, desia ie suis tenu pour meurtrier devant Dieu, quand i'auray tasché de corrompre et abuser la femme d'autruy, ou mesmes que i'auray eu un regard impudique: me voila condamné, comme un paillard. Si i'appette le bien d'autruy, et que ie machine de l'attirer à moy, quand les hommes ne m'en feront nulle reproche,

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me voila tenu pour larron devant Dieu. Nous pouvons donc recueillir de ce passage une doctrine utile, c'est qu'il ne nous faut point flatter quand les hommes ne nous pourront reprocher en toute nostre vie, que pour nos mesfaits nous ayons esté tirez en iustice. Bref, quand on nous pourra estimer tant iustes que rien plus, il ne faut point que nous pensions estre eschappez pour cela. Et la raison? Celuy qui aura prins gage en asseurant son argent, est estimé devant Dieu quelquesfois comme un meurtrier. Il est parlé ici notamment de prendre gage sans cause. Et pourquoy ? Car simplement la chose n'est pas mauvaise de soy, et Dieu ne la reiette pas du tout, c'est assavoir, qu'on prenne gage: car s'il est licite d'acheter le bien d'autruy, il sera licite de prendre gage. Voila une hypoteque d'un champ, on d'un pré, qui est une chose que Dieu ne condamne point: et aussi quand on apportera quelque meuble, cela en soy ne doit point estre du tout reietté: mais il est dit, qu'il est mauvais de prendre gage sans propos et sans raison. Et comment cela ? Or Eliphas adiouste son intention, tellement qu'il ne nous en faut point chercher glose d'ailleurs. Il dit donc, que Iob a prins le gage de son prochain, qu'il a despouillé celui qui estoit nud. Et C'est suivant ce que nostre Seigneur declare en sa Loi, Que les gages que nous prenons ne doivent point estre de ce qui servira a un homme pour sa necessité ordinaire: car si un homme est despouillé, et qu'il ait froid, quand nous serons si cruels de prendre sa robbe, c'est comme une espece d'homicide. Si un homme se descouche, quand il aura faim, et pour acheter du bled, ou d'autres choses pour sa nourriture, il engagera la couette de son lict, celui qui la prend est bien inhumain: car entant qu'en lui est il le tue, changeant seulement l'espece de mort, et c'est comme si un homme estoit en danger de s'estrangler: et bien ie lui lascherai le cordeau, mais ie lui couperay là gorge au lieu. Ainsi donc quand un povre homme n'aura que manger, et qu'il sera contraint de bailler son lict afin d'avoir du pain: voila une cruauté par trop vilaine, et qui ne se peut excuser. Et pourtant nostre Seigneur dit en sa Loi, Advise que le gage d'un povre homme ne couche point chez toi: quand tu verras que cela lui sert à sa necessité, et qu'il ne s'en peut passer qu'il ne lui en soit mal, que tu lui rendes: et si le povre homme a sa couche, et que tu lui laisses ayant subvenu à sa necessité, ses costez te beniront: si tu lui as rendu sa robbe, tellement qu'il n'ait point froid, son corps te benira. Au contraire, quand un povre homme sera descouché, et mal à son aise par ta malice, et de ce que tu auras esté si vilain de ne luy avoir rien voulu prester sans gage: encores que le povre homme ne demande point vengeance, et

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qu'il soit comme muet, si est-ce que tu seras maudit, et la necessité de lui sera assez suffisante pour t'appeller en conte et en iugement devant Dieu.

Voila ce que maintenant Eliphas signifie. Voire dit-il, tu as despouillé celui qui estoit nud: c'est à dire, Quand quelque povre est venu à toy, et qu'il t'a demandé argent à emprunter, tu n'as point regardé en prenant gage de lui s'il te bailloit sa robbe, s'il te bailloit sa couche, s'il te bailloit son pot, tellement que quand il avoit du pain, il ne savoit comment le manger: tu lui as ravi ce qui lui estoit necessaire. Nous voyons donc que pour cheminer selon Dieu en integrité, et pour vivre comme freres ensemble, ce n'est pas assez que nous observions les loix terriennes, et que nous ne facions rien contre la police du monde: mais qu'il nous faut venir plus haut, c'est de garder ceste equité de nature, de ne faire à autrui sinon ce que nous voulons qu'on nous face. Pourtant qu'un chacun regarde de pres que c'est qu'il voudroit qu'on lui fist, c'est a dire, ce qu'il ingeroit estre equitable, quand il seroit en telle necessité. Or il n'y a celui qui ne sache bien dire, Et comment? Nostre Seigneur nous commande de nous entretenir les uns les autres: et quand i'auray faim, ie suis aussi bien suiet à avoir froid: et celui qui m'arrache la robbe du des, ne monstre-il point qu'il ne demande qu'à me couper la gorge ? Nous saurons bien alleguer ceste raison-là: quand donc nous ferons le semblable à autrui, faut-il autre iuge pour nous condamner? Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il sensuit puis apres: Tu n'as point donné à boire de "eau à celui qui avoit soif, tu as retiré le pain de celui qui estoit a/famé. Ici Eliphas monstre que Iob pourroit estre puni de Dieu, d'autant qu'il n'aura point eu pitié des hommes pour les secourir en leur indigence. Or pour recueillir fruict de ceste doctrine, il nous faut laisser la personne de Iob, comme nous avons touché par ci devant: et pourtant, qu'un chacun regarde à soi quand Dieu nous visite, et nous traitte d'une telle rigueur, que nous sommes contraints de sentir nos fautes: examinons bien, di-ie, si ce n'est pas pource que nous n'avons point exercé telle humanité envers nos prochains comme il nous estoit commandé, et le devions faire. Or il est dit (Prov. 21, 13), Que celui qui estoupera son aureille quand le povre crie, et lui demande secours, il criera à son tour, et ne sera point exaucé. Voila Dieu qui nous menace, que quand nous n'aurons daigné subvenir à ceux qui demandoyent secours de nous, combien que nous eussions la faculté et le moyen, il permettra que nous tombions en quelque mal, voire les plus riches et les plus aisez: car Dieu a beaucoup

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de chastimens en sa main que nous ne concevons pas du premier coup. Il est vrai que ceux qui sont riches ne pensent iamais tomber en quelque perplexité, en sorte qu'il leur semble que quand il y auroit trouble et confusion par tout le monde encore seroyent-ils on paix. Or nostre Seigneur declare que ceux qui n'auront point este en aide à leurs prochains à la necessité, et n'en auront tenu conte, viendront en leur rang, et qu'ils ne seront point aidez, qu'il n'y aura personne qui leur subvienne: mesmes ils ne seront point exaucez d'enhaut, et s'ils veulent avoir leur refuge à Dieu, la porte leur sera fermee: comme il est dit (Iaq. 2, 13), Iugement sans misericorde à celui qui n'aura point fait misericorde. Et c'est la menace la plus horrible qui nous sauroit estre faite, quand Dieu nous declare, que nous serons traittez de lui sans misericorde. Et que pouvons nous attendre si Dieu n'a pitié et merci de nous? Il faut que nous soyons tous abysmez. Or est-il ainsi que Dieu nous prive et nous forclost de toute esperance de sa bonté, quand nous sommes ainsi cruels envers nos prochains. Apprenons donc si Dieu nous visite et que nos afflictions soyent grandes, de chercher bien la cause pourquoy, et d'examiner: Or ç'à i'ayeu moyen d'aider à ceux qui avoyent faute des biens de ce monde: comment les ay-ie secourus? M'en suis-ie acquité? S'il y a eu quelqu'un qui ait eu faute de mon secours, ay-ie tasché de lui donner aide? Si on est venu vers moi, ay-ie esté prest de communiquer de ma substance? Si nous cognoissons cela, gemissons devant Dieu, et cognoissons qu'il nous fait une grand' grace de nous admonnester de nos fautes.

Et au reste, notons que tous ces subterfuges sont frivoles, de dire, Et comment? Faut-il que ie soye du tout desnué de ma propre substance? Ce que Dieu m'a donné n'est-il pas à moi, pour en distribuer selon que bon me semblera, et non plus Et quand i'ay du bien ie ne l'ay point ravi et si ie n'en fay tort à nul, pourquoi ne me sera-il licite de posseder ce que ie tien de Dieu? Car ie lui en rend graces, cognoissant qu'il m'est donné de lui. Nous aurons, di-ie: beau alleguer tout cela" car combien que nostre Seigneur donne aux riches ce qu'ils possedent, voire quand ils l'ont de moyen licite, en sorte qu'ils peuvent protester qu'ils Pont de lui: toutes fois ce n'est pas pour en user, tellement qu'ils n'ayent point regard à la necessité d'autrui, ou qu'ils le facent seulement par acquit. Car Dieu quand il nous donne du bien en abondance, nous fait cest honneur-la, que nous sommes ses procureurs et receveurs. Or nous voyons qu'un receveur n'aura point seulement la charge de recevoir et d'amasser le bien, mais aussi de distribuer si le maistre lui commande. Quand donc nostre Seigneur

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nous constitue comme dispensateurs des biens qu'il nous a mis entre mains, il veut que nous les distribuons. Et où? Nous savons qu'il n'a que faire que nous employons rien pour lui: il veut donc que nous subvenions à nos prochains, et à ceux qui ont faute. Et pourtant ceux qui ont du bien en abondance, il ne faut pas qu'ils alleguent, O ceci est mien, voire: à telle condition que tu en subviendras à ceux qui en ont faute: mais pour le gourmander toi seul, Dieu ne le t'a pas ainsi donné. Vray est qu'on ne peut pas imposer loi en ceci comme sainct Paul le monstre: que ce n'est point comme si un prince faisoit une taille: car il demandera quelque quantité du bien qu'un chacun possede, il faut que la taxe soit faite là dessus. Dieu n'y procede pas ainsi: car il aime ceux qui lui font offrande de pure liberalité, et d'un franc courage, comme dit sainct Paul (2. Cor. 9, 7). Il ne faut point donc que le riche donne au povre par necessité ou contrainte, mais d'un franc vouloir. Tant y a que nous ne sommes pas excusez si nos prochains ont eu et faim et soif, quand nous aurons cognu la necessité, et que nous n'y aurons donne nul secours: car lors nous aurons gourmandé et mal usé du bien que Dieu nous avoit mis entre mains. Quand, di-ie, nous en aurons fait ainsi, il est certain que Dieu nous tiendra coulpables comme meurtriers. Voila quant à ce verset, où il est dit, Que celui qui est puni de Dieu a refuse le pain à un povre affamé, et qu'il n'a point donné à boire de l'eau à celuy qui avoit soif.

Or il adiouste puis apres:. L'homme robuste cependant possedoit la terre, et celui qui avoit authorité habitoit en icelle. C'est pour monstrer que les riches d'autant qu'ils sont à leur aise n'ont point de compassion: car ils ne savent que c'est d'avoir faute ils ne savent que c'est de necessité: et ainsi ils n'en sont point touchez: bref, quand ils sont saouls il leur semble que tout le monde le doit estre aussi bien qu'eux. Voila en somme ce qu'a entendu ici Eliphas. Or il rapporte ceci à la personne de Iob. Il lui reproche donc que la terre n'a pas este crée pour un petit nombre de gens, comme les riches ne pensent iamais avoir assez, mais de iour en iour ils font de nouveaux acquets: Et ceci me viendroit encores à poinct, il faut adiouster telle piece. Il ne leur faudra que six pieds quand ils auront leur iuste mesure, c'est à dire, quand ils seront ensevelis: et celui qui aura des possessions pour nourrir une centaine de personnes, cuide encores mourir de faim, comme ils sont gouffres insatiables, ils ne se contenteroyent pas de posseder la terre, mais ils arracheroyent volontiers le soleil du ciel: car ils portent envie aux pauvres qu'ils ayent cela commun de iouyr de la clarté du soleil. Voila donc comme ces gouffres voudroyent tout engloutir, et leur

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semble que le monde soit creé pour eux. Or Eliphas redargue ici une telle vanité, comme aussi elle est bien à condamner: toutes fois il applique mal cela à la personne de Iob: mais tant y a que ceste doctrine nous est utile. Ainsi donc cognoissons que si un homme abuse de son credit, et d'autant qu'il a les moyens de gaigner, et de prattiquer tousiours, s'il ne cesse d'attrapper, et qu'il ne puisse rassasier sa cupidité, mais qu'elle soit insatiable, pour dire, l'aurai ceci, voila que ie pourrai encores attrapper, qu'il grippe de costé et d'autre: c'est autant comme s'il vouloit que la terre fust creee pour lui seul. Et c'est ce qui est dit ici: Que ceux qui sont en authorité y habitent. Vrai est que nostre Seigneur veut bien qu'il y ait police: ce n'est pas chose mauvaise qu'il y ait des riches et des povres: l'un et l'autre sont creez de Dieu, dit Salomon (Prov. 22, 2). En disant cela, il entend deu: choses, c'est que les riches ne doivent point mespriser les povres, d'autant qu'ils sont creatures de Dieu: il ne faut point aussi que le povre condamne le riche, d'autant que Dieu a voulu qu'il y ait richesse et povreté. Ainsi donc il sera bien licite à un homme de posseder des richesses, et iouyr de ce qu'il a: mais cependant si faut-il qu'il cognoisse que nous vivons en ce monde à ceste condition de communiquer mutuellement les uns avec les autres, et que Dieu ne donne point seulement habitation ou domicile à ceux qui peuvent vivre sur le leur: mais il dit qu'il a donné la terre pour l'heritage des hommes, cela est dit en general. Et ainsi, combien qu'il y en ait qui n'ayent point un pied de terre, tant y a qu'il faut qu'ils habitent au monde à loage, si ce n'est point en proprieté: que ce soit en pays estrange, s'ils ne sont au pays de leur naissance, et que Dieu les vueille ainsi exercer Que si les riches habitent chez eux, et qu'il leur semble qu'ils doivent par l'estendue de leurs ailes reietter les autres bien loin: c'est autant comme s'ils vouloyent despiter Dieu, et usurper en despit de lui tout le monde. Voila donc ce que nous avons à observer en ce passage.

Or c'est une doctrine bien utile, pour enseigner à ceux qui sont eslevez en credit, de ne se point aveugler en orgueil, et de n'abuser point de leur authorité, comme ils ont accoustumé de faire. Quand donc un homme sera riche, qu'il cognoisse qu'il ne doit pas pourtant occuper toute la terre: que s'il est en authorité, ce n'est pas qu'il doive despriser les povres qui sont de nulle estime. Non: car il faut que les uns supportent les autres, et qu'on s'accommode tellement, que celui qui sera riche donne moyen aux povres de vivre avec lui, et qu'ils gaignent leur vie honnestement quand ils travailleront à son advantage: que celui qui est

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povre, combien qu'il n'ait rien qui lui soit propre, toutes fois se contente quand il plaira à Dieu qu'il puisse gaigner sa vie sans faire tort à autrui, et que les uns communiquent tellement avec les autres, que le train commun suive, et qu'un chacun soit nourri et substanté. Voila donc comme les riches sont admonnestez de ne point mespriser les povres d'un orgueil tel qu'ils ont accoustumé de faire, et que les povres aussi cheminent selon leur degré et petitesse, et que tous vivent comme estans logez en ce monde de la main de Dieu, et estans nourris par sa grace. (J'est en somme ce qui nous est monstré en ce passage.

Or il est dit quant et quant, Que Iob pourroit avoir renvoyé les vefves sans aucun secours n aide, et que le bras de l'orphelin avoit esté cassé par lui, c'est à dire, qu'il l'avoit debouté en sorte qu'au lieu que les povres orphelins devoyent estre secourus, plustost ils ont esté opprimez. Notamment il est ici parlé des vefves et orphelins, pource que nostre Seigneur les recommande par especial, à cause qu'ils ont moins d'aide. Car la femme sera sous l'ombre de son mari, et sous sa protection, cependant qu'elle aura son mari vivant: celui aussi qui est en aage d'homme, est desia pour se maintenir: mais voila une vefve qui n'aura ne conseil ne moyen, voila un povre orphelin qui ne sait que c'est des affaires, ceux-là donc sont plus exposez en pillage, et pourtant nostre Seigneur veut qu'ils soyent tant plus recommandez: car nous avons accoustumé de bien faire à ceux dont nous attendons recompense. Mais au contraire Dieu veut esprouver nostre charité, quand nous ferons bien à ceux qui ne nous peuvent rendre la pareille. Et puis d'autant que les hommes sont opprimez, c'est là où nous devons employer les moyens que Dieu nous donne. Or cela est aux vefves, et aux orphelins: et ainsi Dieu les recommande. Il conioint aussi les estrangers, pource qu'ils ne seront point apparentez, qu'ils n'ont point alliances ni amitiez de longue main pour estre soustenus. D'autant plus faut-il que les enfans de Dieu ayent pitié de telles personnes. En somme nous voyons que Dieu en sa Loi, et par toute l'Escriture saincte monstre qu'il est plus griefvement offensé, quand on affligera les vefves, et les orphelins, et les estrangers, que quand on fera mal à d'antres, pource qu'ils sont destituez de secours. Ainsi d'autant plus en faut-il avoir pitié: et pource qu'ils n'ont point dequoi nous rendre la pareille, nous monstrons que nous sommes enfans de Dieu, quand nous leur sommes charitables: et aussi Dieu recognoist cela, et le met en ses contes . Et ainsi ne doutons point que ce ne soit beaucoup plus nostre profit d'avoir ainsi traitté et les estrangers, et les vefves, et les orphelins, que si les hommes nous avoyent desia recompensé.

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Au contraire, quand nous affligerons ceux qui sont desia ainsi exposez à beaucoup d'iniures, et que nous adioustons mal sur mal: nous sommes venus au comble de toute leur malice, c'est signe que nous avons perdu tout sentiment humain, et que nous sommes comme bestes brutes.

Et pourtant Eliphas pour arguer ce peché, dit ici, Tu as reietté la vefvre, et ne lui as point donné de secours, tu n'as point aidé à l'orphelin quand il estoit foulé. Bref cognoissons que nostre Seigneur veut que les foibles soyent supportez par ceux qui ont plus de moyen et de puissance. Si nous ne le faisons, nous monstrons que nous ne sommes point enfans de Dieu Car où est-ce que Dieu regarde? Où est ce que principalement il exerce sa pitié et misericorde? C'est envers ceux qui sont opprimez, qui n'en peuvent plus. Or il est dit que nous devons ressembler à nostre Pere celeste. Voila l'approbation que nous devons donner, que Dieu ne nous a point appellez en vain pour estre ses enfans, c'est quand nous sommes conformez à lui. Or nous savons que Dieu combien qu'il soit pitoyable envers toutes ses creatures, combien que sa bonté s'espande par tout: neantmoins par especial prononce qu'il regarde ceux qui sont foulez et opprimez par iniures, par violences, et qu'il les veut secourir, qu'il est le tuteur des orphelins, qu'il maintiendra les vefves et les estrangers. Puis que Dieu declare cela, il faut que nous luy ressemblions en cest endroit: et si nous faisons au contraire, c'est signe que nous renonçons à Dieu, et à la grace qu'il nous avoit faite, de nous choisir pour ses enfans. Voila ce que nous avons à noter en ce passage.

Or venons maintenant à ce que dit Eliphas, Pour ceste cause les lacqs t'environnent de tous costez et les frayeurs soudaines t'espouvantent. Il nous faut tousiours retenir ce qui a este declaré, que ceci a este mal approprié à la personne de Iob: mais cependant en general retenons aussi que ces choses nous sont mises devant les yeux, afin que nous cognoissions que toutes calamitez et miseres sont autant de chastimens que Dieu nous envoye pour nos pechez. Il est vray (comme desia il a esté dit) que Dieu ne punira point les pechez des hommes à mesure egale: mais tant y a que nous ne souffrons rien que nous ne soyons admonnestez d'examiner nostre vie, et de gemir devant Dieu, sachans que nous sommes coulpables devant sa maiesté. Voila un Item. Et au reste encores que Dieu ait autre but que de punir nos pechez, si faut-il qu'un chacun regarde à soi quand il est visité de Dieu, et que nous ne fermions point les yeux quand nostre Seigneur nous allume la clarté. Si donc nous avons des afflictions, sachons, Voici Dieu qui nous a tendu ses laqs. Et pourquoy ?

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D'autant que nous estions commes bestes farouches: car si nous eussions cheminé comme brebis de son troupeau, il n'eust pas tendu les filets pour nous prendre. On ne tendra point les filets aux brebis et aux moutons, ce sont bestes qui se laissent aisement manier: il ne faut que sibler, et elles viennent Et ainsi quand nous viendrons de nostre bon gré à la simple voix de nostre Dieu, il ne faudroit point qu'il chassast apres nous, qu'il nous tendist ses filets: car cela se fait apres les bestes sauvages. Sachons donc que si Dieu nous traitte en rigueur c'est d'autant que nous lui avons este rebelles: et là dessus faisons examen de nostre vie, et enquerons nous si nous ne l'avons pas offensé. Et puis quand il nous viendra des frayeurs, que nous serons estonnez: sachons que c'est d'autant que nous n'avons point cheminé paisiblement en l'obeissance de nostre Dieu. Car il promet à ceux qui auront paix avec luy, qu'il les gardera, combien qu'ils soyent assiegez d'ennemis: et que combien qu'ils soyent au milieu de beaucoup de dangers, toutes fois ils seront tousiours à sauveté, et dormiront à leur aise, et en repos sous son ombre. Pourtant quand nous serons e tonnez de frayeurs, cognoissons que c'est Dieu qui nous persecute, d'autant que nous n'avons point cheminé simplement sous son obeissance. Bref, tout ainsi que la paix est un donc singulier de Dieu, aussi les troubles qui nous viennent sont autant de maledictions de luy. l'ay dit, que la paix est un donc singulier de Dieu. Et comment cela? Quand nous aurons invoqué Dieu avec une vraye certitude qu'il nous exaucera, et qu'il ne demande sinon que nous venions à lui

voila un bien inestimable, voila un thresor qui né se peut assez priser: et aussi nous ne pouvons obtenir cela que par le moyen de la foi, quand nous Cognoissons que Dieu nous est Pere en nostre Seigneur Iesus Christ. Or cela ne s'entend pas seulement du salut eternel de nos ames, mais aussi quant à ce monde nous avons ce privilege de pouvoir recourir à Dieu, et de luy recommander nostre vie, et de le cercher en toutes nos necessitez. Quand donc nous aurons ceste paix-la de nous appuyer sur la providence de Dieu, et que nous reietterons nos soucis, et toutes nos perplexitez en luy: voila Dieu qui nous fait un bien singulier. Or au contraire quand nous sommes ainsi troublez, il est dit, que c'est une malediction extreme. Et pourquoy? La condition de l'homme n'est-elle point plus que miserable, quand il est ainsi en frayeur et estonnement, et qu'il ne voit que dangers tout a l'environ de lui, et que cependant il ne sait retourner à Dieu pour trouver en luy repos et asseurance? quand l'homme est ainsi effrayé, ne le voila point desia comme en un enfert? Il est bien certain. Et ainsi que nous sachions (encores que le tout

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nous vinst à souhait) que ai nous n'avons paix, ce n'est rien. Mais cependant notons aussi qu'il ne nous faut point cercher nostre paix en ce monde comme les meschans: car cependant qu'ils ne sont point persecutez ne molestez, ils se font à croire merveilles, ils s'esgavent là dessus, et despitent Dieu: il ne faut pas que nous ayons une paix qui procede de nonchalance et stupidité. Et pourquoy? Car ceux qui sesgayent ainsi en ce monde, iamais n'ont paix sinon en oubliant Dieu: et c'est une paix maudite. Il vaudroit mieux que nous fussions en trouble pour venir à nostre Dieu, et cercher le moyen de nous reconcilier à lui, que d'estre ainsi stupides. Ainsi donc notons bien qu'il ne faut point que nostre paix soit seulement quand nous serons à nostre aise, mais elle doit estre fondee en Dieu, et se rapporter là. Cependant cognoissons quand nous sommes en trouble, que c'est Dieu qui nous visite pour nos pechez: mais aussi il nous appelle à soi par ce moyen-là, afin que nous cerchions la paix telle qu'elle nous est promise de lui. De fait Eliphas monstre, que les troubles dont il parle, et les frayeurs dont Iob (selon son opinion) estoit saisi, ne sont sinon à cause qu'il ne pouvoit esperer en la bonté et en la grace de Dieu. Or c'est un poinct bien utile, et digne d'estre noté que cestui ci. Car il pourra bien advenir que les fideles mesmes seront en grands troubles et fascheries (comme ils ne sont pas insensibles) toutes fois Dieu ne laisse pas de leur esclairer. Quand ils se voyent là comme en des abysmes profonds, si est-ce qu'ils ont tousiours quelque clarté de Dieu, ils sentent sa bonté: et quand ils ont receu quelque consolation, il les meine tousiours plus outre, d'autant qu'ils sont appuyez sur sa promesse qui est infaillible: bref quelques assauts qu'ils ayent, ils lèvent tousiours la teste pour esperer salut de lui. C'est comme un homme qui sera prest d'estre noyé: si Dieu lui tend la main, et bien, le voila comme restauré, il regarde au ciel. Mais quand nous n'avons nulle clarté, et que les tenebres nous environnent de toutes parts, et que nous ne pouvons appercevoir nulle bonté de Dieu, ne qu'il nous vueille faire grace, mal-heur sur nous. Si donc nous voulons estre asseurez en tous ces combats spirituels qu'il nous faut soustenir en ce monde, qui sont autant de troubles et d'espouvantemens que Dieu nous envoye pour esprouver nostre fermeté et constance: advisons d'autre part de ietter les yeux sur ceste clarté qu'il nous monstre, c'est à dire, sur les promesses qu'il nous donne, lesquelles sont contenues en sa parole. Et quand nous y serons attentifs pour nous y appuyer et arrester du tout, ne doutons point qu'il ne nous donne un tel repos, que nous pourrons dire, Seigneur, ie ne craindray nul mal, quand ie chemineroye en l'ombre de mort, moyennant que ie soye sous l'ombre de tes ailes, et en ta conduite.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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L'OCTANTECINQUIESME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXII. CHAPITRE.

12. Dieu n'est-il point là haut au ciel? Regarde le commet des estoilles comme elles sont eslevees. 13. Cependant tu as dit, Qu'y sait Dieu? Iugera-il par la nuee? 14. La nuee ne lui sera-elle point comme cachette pour ne rien voir? 11 chemine par le cercle du ciel. 15. N'as-tu point observé la voye ancienne, par laquelle' les meschans ont cheminé ? 16. Lesquels ont esté abysme devant leur temps, et leur fondement a esté comme une riviere escoulee. 17. Et ils disoyent à Dieu, Retire-toy de nous. Et qu'est-ce que le Tout-puissant nous pourroit faire?

Comme nous avons veu ci devant, qu'Eliphas accusoit faussement Iob d'avoir mal conversé avec

les hommes: voyant que Iob ne recevoit point condamnation, il adiouste qu'il est un contempteur de Dieu, comme defait voici l'extremité où les hommes tombent quand ils sont adonnez a mal c'est qu'estans corrigez de la main de Dieu ils né se reduisent point, mais s'endurcissent plustost. Quand donc les verges de Dieu ne nous peuvent donter, c'est signe que nous sommes desesperez du tout: car c'est la vraye medecine pour nous ramener au chemin de salut, que Dieu nous monstre nos fautes, et qu'il nous les face sentir. Ceux donc qui se rebecquent ainsi contre la main de Dieu, monstrent par cela qu'ils sont incorrigibles, et que leurs maladies sont incurables. Or vrai est

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que ceci est mal attribué à Iob: mais cependant il nous faut suivre l'ordre que nous avons tenu iusques ici, c'est assavoir, puis que la doctrine est bonne et saincte, qu'un chacun de nous en face son profit. Notons donc en premier lieu, que ceux qui ne s'humilient point sous la main de Dieu quand ils sont chastiez par adversitez, monstrent qu'ils n'ont eu en eux nulle religion, ne foi, qu'il n'y a que mespris de Dieu. Car encores que nous ayons esté si mal advisez de nous desbaucher, et de continuer nostre mauvais train quand Dieu dissimule: si est-ce qu'il est temps de nous amender ou iamais, lors que Dieu nous visite, et quasi qu'il nous contraint par force. Si Dieu ne faisoit que parler, cela desia nous devroit bien suffire: mais quand il frappe sur nous, c'est comme une aide qu'il donne à sa parole, veu que nous sommes trop rudes à l'esperon. Or si cela ne nous amende, qu'est-ce à dire, sinon que nous sommes comme enfans perdus? Voila donc ce que nous avons à noter en premier lieu. Et quant à la personne de Iob, veu que lui qui estoit (comme desia nous avons declaré, et verrons encores plus à plein) d'une telle perfection, a esté neantmoins blasmé, et a soustenu tels opprobres, qu'on l'accousoit avoir esté cruel et desloyal, et qu'en la fin il a esté reputé un contempteur de Dieu: si quelquesfois les hommes nous condamnent ainsi à tort, apprenons d'estre patiens, car Dieu permettra que nous soyons ainsi blasmez, afin que nous apprenions de cheminer comme devant lui, et de n'estre point menez d'ambition, et n'appeter point la gloire et louange des hommes mais de nous contenter quand nostre conscience nous respondra bien devant Dieu. Nous savons que de nature nous sommes enclins à ceste folle outrecuidance, que nous voulons estre prisez, nous voulons, s'il y a du bien en nous, que tout le monde le cognoisse, et qu'on ne nous reiette pas. Or cependant voila de l'ambition qui se mesle parmi, que ce nous est assez moyennant que les hommes nous estiment, et que nos vertus soyent loucees ici bas: et Dieu est mis cependant en oubli. Et ainsi il nous est utile que nostre Seigneur permette que les hommes Nous facent tort, et que quand nous aurons tasché de bien faire, qu'ils convertissent tout en mal, que nous soyons blasmez et denigrez par eux: cela nous est utile, afin que nous apprenions d'avoir Dieu pour nostre Iuge, et de nous contenter quand nous serons approuvez de lui: et lors encores que tout le monde nous reiette, que ce nous soit tout un. Et si cela nous est dur, ayons devant les yeux l'exemple de Iob, lequel nous a surmonté de beaucoup en toute saincteté, et neantmoins si voyons-nous comme on l'a iuiurié à fausses enseignes: et cela ne s'est point fait que Dieu ne le voulust, afin qu'il apprinst ceste leçon

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que i'ai dite, qu'il ne nous faut point cercher d'estre honorez des hommes: mais qu'il nous doit suffire d'estre approuvez de Dieu, et que nostre conscience nous rendra tesmoignage qu'il nous accepte.

Or venons maintenant aux propos que tient ici Eliphas. Comment? Ne cognois-tu pas que Dieu est là haut Regarde le sommet des estoilles comme elles sont eslevees. D'autant qu'Eliphas accusoit Iob d'impieté et de mespris de Dieu, il use d'exhortation, Regarde (dit-il) pour le moins à Dieu. Et de fait c'est le seul moyen pour nous resveiller quand nous avons es endormis, que nous n'avons point pensé à nos p chez, ou qu'il y a eu de la fierté, et de la rebellion en nous: il faut que nous pensions seulement à Dieu, et cela sera pour nous ramener à raison. Et pourquoi? Car cependant que nous demeurons ici bas, nous concevons une asseurance charnelle, tellement qu'il ne nous chaut de rien. Et il ne s'en faut point esbahir: car nous ne voyons rien aussi à l'entour de nous qui nous puisse troubler, attendu que desia de nous-mesmes nous sommes pleins de fierté. Or donc il faut venir a Dieu: et quand nous contemplons sa maiesté, en despit de nos dents il faut alors que nous apprenions de baisser la teste, et d'adorer ceste hautesse infinie qui est en lui. Et ainsi l'ordre que tient ici Eliphas est tres-bon, et nous le faut tenir pour regle, toutes fois et quantes que nous ne sommes point touchez de nos pechez, que nous ne meditons pas la vengeance de Dieu, que nous sommes enyvrez de nos delices: bref quand le mal nous plaira, et qu'on ne pourra point nous attirer à repentance, voici le remede: c'est que nous cognoissions, Et si est-ce qu'il y a un Iuge devant lequel il nous faut rendre conte. Et quel est-il? Est-il comme une creature mortelle? Helas! non. Quand donc nous venons à concevoir ceste maiesté incomprehensible qui est en Dieu, ceste hautesse inestimable: il faut que nous soyons estonnez pour nous humilier, et n'estre plus ainsi eslevez comme nous estions. Voila l'intention d'Eliphas. Dieu (dit-il) n'est-il point là haut au ciel? Pourquoi est-ce qu'il parle ainsi du siege de Dieu, sinon pour le discerner d'avec les creatures, et les choses de ce monde ? Vrai est que Dieu (comme il est d'une essence infinie) n'est pas enclos au ciel, sa maiesté est par tout es )ardue, il remplit aussi bien la terre (comme il est declaré). Les cieux ne te comprenent point, (disoit Salomon en dediant le temple) et Dieu lui mesme en son Prophete Isaie dit (66, 1), Le ciel est mon throne royal, et la terre est mon marchepied. Dieu donc n'est point enclos au ciel: mais ce n'est pas sans cause toutes fois que l'Escriture en parle ainsi. Pourquoi? Il y a comme une marque de maiesté et de gloire telle au ciel,

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que quand nous eslevons là les yeux, il faut que nous soyons esmeus. Contemplons la terre ici bas: il est vrai que les oeuvres de Dieu qui s'y voyent, nous incitent à le magnifier: mais pource que nous ne sommes point touchez d'une telle reverence, quand nous aurons circui çà et là ici bas, comme quand nous regardons au ciel, pource que là il y a une marque et impression de la gloire et de la maiesté de Dieu: ne trouvons point estrange si l'Escripture saincte, quand elle nous veut induire à honorer Dieu, nous dit, qu'il est là haut au ciel. Et de fait si on nous disoit, Dieu est en ce monde: comme nous sommes charnels, et comme tousiours nos esprits tendent en bas, nous l'attacherions à un pillier, à une maison, à une montagne, nous le plongerions en une riviere. Voila quelles sont les phantasies des hommes. Or afin que Nous apprenions en pensant de Dieu de ne rien imaginer de terrestre, afin aussi que nous apprenions de passer outre ce monde, et de ne point estre arrestez à nos sens et phantesies: il est dit, Dieu habite és cieux, afin que nous sachions que ce n'est point à nous de l'enclorre en ce monde pour concevoir quel il est (car nous ne le comprendrons iamais, nos sens ont une trop petite mesure) mais plustost que nous apprenions de l'adorer en toute humilité.

Voila donc pourquoi il est dit, que Dieu est là haut au ciel. Et si cela nous estoit bien cognu, il est certain que toutes superstitions seroyent aisement corrigees: comme la source est venue de là, que les hommes ont voulu comprendre Dieu selon leur phantasie et capacité, et ne s'en peuvent tenir. Car tousiours leurs sens fretillent pour s'enquerir: Et quel est Dieu? et sur cela ils le forgent, et conçoivent tel que bon leur semble voire comme si Dieu estoit charnel. Et voila pourquoi il nous retire de là si soigneusement, et nous monstre que nous ne devons rien imaginer de lui selon que bon nous semblera: car ce sont autant de blasphemes et de sacrileges quand nous le transfigurons ainsi d'autant que nous tournons sa verité en mensonge, comme sainct Paul en parle (Rom. 1, 25). Tous ceux qui se forgent des idoles, et qui transfigurent Dieu selon leur cerveau, sont faussaires, et non point faussaires, pour avoir corrompu quelque instrument public, ou quelque tesmoignage: mais pour avoir aneanti la maiesté de Dieu, et c'est un sacrilege si enorme, qu'il outrepasse tous les autres. Or tant y a que tous' ceux qui se bastissent ainsi des folles phantasies à leur appetit, sont coulpables d'un tel sacrilege. D'autant plus donc devons nous bien recorder ceste leçon qui nous est ici monstree, c'est assavoir que Dieu est là haut: afin que toutes fois et quantes qu'on parle de lui, nous sachions que nos sens deffaudront, et qu'ils seront esvanouis cent fois devant que parvenir à ceste hautesse, et

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qu'il la faut adorer en humilité, sans que nous concevions : rien de lui, sinon ce qu'il nous declare par sa parole. Car voila aussi toute nostre sagesse: et (comme i'ai dit) si ceste doctrine estoit bien imprimee en nous, le monde seroit purgé de toutes les superstitions qui y ont tousiours regné. Pourquoi est-ce qu'on s'est ainsi forgé des idoles, et qu'il a semblé que Dieu ne fust point prochain, sinon qu'il y eust quelque remembrance (comme on dit) et quelque figure? Pource que les hommes se sont donné licence de comprendre Dieu, et en penser ce qui n'en estoit point. Voila donc la source de toute superstition: et quand on s'est fait ainsi des figures visibles, ç'a este pource qu'on n'a pas cognu la hautesse de Dieu, et sa maiesté incomprehensible. Et c'est ce qui nous est monstré quand le peuple d'Israel demandant d'avoir quelque signe visible pour representer Dieu, dit, Nous voulons qu'il aille devant nous: c'est à dire, nous le voulons là comme suiet à nous. Or ce n'est pas ainsi que nous devons approcher de Dieu: mais (comme i'ai dit) nous le devons adorer en toute humilité. Et puis, quand les hommes ont cuidé servir Dieu à leur guise, et qu'ils se sont forgé des loix, pour dire, Et ceci sera bon, et telle chose sera agreable à Dieu: Ç'a esté pource qu'ils l'ont voulu faire semblable à eux, et qu'il prinst plaisir en toutes ces petites fanfares qu'ils ont inventees, c'est à dire, en ces choses externes: et en ce faisant ils ont transfiguré Dieu, comme s'ils le vouloyent arracher de son siege celeste pour l'attirer icy bas, comme s'il estoit une creature, comme s'il estoit charnel. Ainsi donc nous voyons que toutes ces sottes devotions qui sont en la papauté, qu'on appelle Service divin, sont venues de là, qu'on n'a point cognu la hautesse de Dieu. Car alors on eust conclu, Dieu ne prendra point plaisir aux choses qui nous semblent bonnes: car il est d'une autre nature que nous: il est Esprit, il nous le faut donc servir d'une façon toute diverse que ce qui complaist à nostre nature, et ne faut pas que nous presumions icy d'attenter de nous-mesmes rien qui soit: mais nous avons sa loy, en laquelle il nous a declaré sa volonté il nous a baillé nostre regle tenons nous à icelle: voila une sobrieté que Dieu demande par sa parole, et à laquelle il veut que nous nous rangions sans en decliner en quelque façon que ce soit.

Sur ce Eliphas dit, Regarde le sommet des estoilles comme elles sont eslevees. C'est suivant le propos que i'ay desia tenu: c'est assavoir, que d'autant que les creatures d'icy bas ne nous esmeuvent point assez à la crainte et reverence de Dieu, nous devons contempler le ciel: car alors nous sommes plus touchez. Vray est que c'est desia une ingratitude trop vilaine, voire une stupidité,

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quand nous ne sommes point induits à honorer Dieu, ayans ouvert les yeux pour regarder seulement à nos pieds. Car la terre produit-elle tant de fruicts par sa vertu? La nourriture que nous en avons, vient-elle de son naturel et de sa condition propre? Et ainsi encores qu'un homme ne regarderoit qu'à ses pieds, il est certain que s'il ouvre les yeux, le voila convaincu qu'il y a un Dieu, lequel il doit adorer: mais si est-ce que d'autant que nous sommes lourds et grossiers, cela ne nous esmeut pas beaucoup. Que faut-il donc? Que pour aider à une telle rudesse et infirmité nous regardions en haut: et alors il faudra que nous soyons bien abbrutis, si le regard du ciel ne nous esmeut, et tout cest ordre qui se voit aux estoilles, et une disposition si belle et si exquise qui nous rend suffisant tesmoignage, qu'il y a un e m ai es té de Dieu ad mirable. Il faut donc que les hommes soyent estonnez en contemplant le ciel. Et au reste, quand nous aurons cognu que le soleil et les estoilles sont des creatures si nobles et si excellentes: que là dessus nous adioustions ce qui nous est ici remonstré, c'est assavoir, que Dieu est par dessus, et que nous ne parvenons point iusques à lui. Quand nous aurons cognu cela, ne faut-il point que nous soyons encores plus ravis en admiration ? Nous voyons que les Payens qui n'avoyent point esté enseignez, ont esté induits à idolatrie par le regard du soleil, et de la lune, et des estoilles. Pourquoi? Car ils ont là veu une telle gloire et dignité, qu'il leur a semblé qu'ils faisoyent tort et iniure au soleil, sinon qu'ils l'adorassent comme Dieu. Or il est certain que les hommes n en peuvent autrement faire quand ils n'ont point meilleure adresse. Ie ne di pas que les Payens soyent excusez pour cela: car ils devoyent concevoir que ce sont creatures que le soleil et la lune, voire creatures mortes, qui n'ont point de sentiment: mais tant y a que n'ayans point d'Escriture ne de loy pour estre enseignez , il falloit qu'ils fussent touchez de ceste gloire et hautesse qui apparoissoit au soleil et à la lune. Voila donc comme ils ont esté esmeus de les adorer' et d'en faire des idoles. Or cest erreur nous servira de condamnation en une autre sorte: car quand Dieu parle à nous et se declare ainsi pleinement pour nous rendre tesmoignage de sa maiesté et nous monstre le chemin pour venir à lui, et là dessus qu'il nous presente comme des seaux authentiques au soleil et à la lune, pour nous ratifier ce qu'il a dit de bouche (comme là nous en voyons approbation par effect) ie vous prie, ne serons-nous pas coulpables au double, si ce regard-là ne nous esmeut, et que nous ne soyons enseignez d'adorer ce grand Dieu et sa maiesté incomprehensible pour nous humilier sous icelle ? Voila donc en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

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Venons maintenant à ce qu'Eliphas reproche a, Iob, Qu'il a cuidé que Dieu ne vist goutte aux choses d'ici bas, car il lui attribue ceste impieté-la, de dire, Que Dieu chemine par le cercle du ciel, et que la nuee lui est comme une cachette pour empescher qu'il ne voye l'estat des hommes pour le gouverner. Or ce qu'Eliphas impute faussement à Iob, on le verra en tous les meschans de ce monde, car pource qu'ils n'apperçoivent point que Dieu soit ici prochain d'eux, ils concluent qu'ils sont tellement eslongnez de lui, qu'ils se peuvent esgayer comme s'il ne les voyoit plus: ils sont comme ces povres aveugles, lesquels quand ils n'ont point de figure visible de Dieu, pensent qu'ils soyent perdus, et que Dieu ne leur soit point prochain. Si les Papistes ne voyent un Crucifix qui leur face la mouë. s'ils ne voyent point leurs marmousets, ils diront, Et comment? Et où est Dieu? Ils ne savent plus que c est de religion, ils ne savent que c'est de Chrestienté, il n'est plus question de prier Dieu si ce n'est qu'ils ayent des marmousets, qu'ils s'agenouillent devant une piece de bois, ou devant une pierre. Et cela a esté tousiours aux Payens: comme nous voyons que les Payens en blasphemant contre la Loy de Moyse, disoyent que les Iuifs adoroient les nuës: et une divinité incertaine et cachee, pource qu'ils ne regardoyent qu'au ciel, et qu'ils n'avoyent point d'images pour se forger Dieu à leur appetit. Voila donc comme auiourd'hui les povres Papistes y procedent, et sont du tout semblables aux Payens: et il est impossible que les hommes se gouvernent autrement, iusques à ce que Dieu leur declare que c'est par autre moyen qu'il leur est prochain. Or cependant que font les meschans, ceux qui n'ont nulle devotion en eux? Ils pensent: O, Dieu est là haut, mais il est là en sa gloire: et que se soucie-il des choses d'ici bas? Il ne s'en veut point empescher ni mesler: et aussi ce n'est pas chose qui lui appartienne, ne qui soit decente à sa maiesté. Voila donc comme les meschans prennent occasion de s'aliener et de se donner une licence de tout mal, quand ils diront, que Dieu ne les voit point. Or il nous faut bien noter ceci: car nous tomberions en une telle confusion, n'estoit que nous fossions retenus de la main de Dieu, et que sa parole nous servist de bride, car quand nostre Seigneur nous declare qu'il habite là haut, qu'il contemple les choses d'ici bas, et que rien ne lui est caché: et bien, nous sommes alors advertis de cheminer comme devant sa face. Et nous a-il declaré cela ? il besongne aussi en nous par son sainct Esprit, il nous ouvre les yeux, afin que nous pensions a sa maiesté en toutes nos oeuvres et pensees: il adiouste pour plus grande confirmation, que sa parole qui nous est preschee, est comme un glaive trenchant des deux costez,

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qu'elle fait examen de toutes nos pensees et affections, qu'elle transperce iusques à la moelle des os: comme il en est parlé en l'Epistre aux Hebrieux (4, 12). Bref, quand Dieu nous declare qu'il a attribué cest office à sa parole, cela nous retient: et si nous n'avions une telle bride, que seroit-ce? Notons bien donc ceste sentence quand il est dit, Que les meschans, sous ombre qu'ils n'aperçoivent point Dieu en leur sens naturel, cuident estre eschappez de sa main, et qu'alors ils s'esgayent et se font à croire de leur bon gré que Dieu ne se soucie point de ce qui se demene ici bas, et que tout y est confus, et que cela ne va point iusques à sa cognoissance

Quant à ce qui est ici dit de la nuee, Que la nuee est comme une cachette de Dieu: cela est bien vrai, mais c'est en un sens tout divers. Car quand l'Escriture nous parle de la maiesté de Dieu, elle nous dit bien, qu'il est cache entre les nuees: mais à quel propos dit-elle cela, sinon afin que nous ne soyons point exorbitans en nos curiositez, comme nous avons de coustumé? Car nous voyons les hommes estre si fretillans que rien plus: et quand on parle de Dieu, ils en disputent sans propos ne raison, et sans modestie aucune. Et voire, mais qu'est-ce ceci? Qu'est-ce cela? Et quand ils disputent de Dieu, il semble que non seulement ils en parlent comme de leur compagnon, mais de ie ne say quoy qui est inferieur à eux. Nous voyons donc ceste audace diabolique aux hommes, qu'ils veulent entrer aux plus profonds secrets de Dieu, ils veulent remuer tout, et ne lui rien laisser: bref il faudra que Dieu soit comme suiet à eux. Voila où nous en sommes. Pour ceste cause l'Escriture saincte nous dit, Que Dieu a les nuees obscures comme des cachettes. Et comment cela? C'est pour se mocquer d'une telle phantasie qui est en nous. Car voulons-nous parvenir iusques à Dieu? Voulons nous comprendre tous ses secrets? Seulement venons iusques aux nuees: il y a encores longue distance devant que nous venions aux estoilles. Voila une nuee seule qui nous empeschera de voir le soleil: et encores que sa clarté vienne iusques à nous, si est-ce que nous ne saurons point en quel endroit il sera: quand le soleil luit en plein midi, si le temps est couvert et pluvieux, nous ne pourrons pas marquer la place du soleil, pour dire, Il est maintenant en tel lieu. Si une nuee empesche que nous ne puissions pas voir une creature qui se monstre iournellement, ie vous prie, comment comprendrons-nous que c'est de Dieu? Ainsi donc l'Escriture saincte se mocque d'une telle outrecuidance qui est aux hommes quand ils se veulent enquerir outre leur mesure et plus qu'il ne leur appartient, et qu'ils veulent disputer de Dieu à plaisir, et en dechiffrer, tellement qu'ils ne lui reservent

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rien qui soit. Il est donc caché en une nuee, dit l'Escriture: voire, mais ce n'est par, que lui ne voye, c'est pour nostre regard: car nous ne le pouvons pas comprendre: la nuee nous empesche, et nostre sens est par trop debile. Et voila pourquoy sainct Paul en ce passage que i'ai allegué dit, Que les hommes s'evanouyssent en leur sens (Rom. 1, 21). Qu'est-ce à dire Esvanouyr, sinon qu'apres avoir vagué çà et là, on s'escoule comme fumee ? Voila ainsi que nous en sommes: mais Dieu de son costé a une veuë si claire, qu'il passera toutes les nuees du monde, qu'il n'y aura rien cependant qui lui soit obscur. Et pour ceste cause il est dit (1. Tim. 6, 16), Qu'il habite une clarté inaccessible. Ce mot-là est bien notable. Dieu donc ne peut pas estre cognu de nous. Et pourquoy, veu que ce n'est que clarté autour de lui? Ce mot d'inaccessible, emporte que nous n'en pouvons pas approcher. Quand l'homme se voudra eslever, il se reculera d'autant plus: ie di s'eslever avec un orgueil et presomption, pour dire, le saurai que c'est de Dieu, et le comprendrai comme bon me semblera. Et de fait, ne voila point une arrogance diabolique? Car (comme i'ai dit) la clarté de Dieu est inaccessible: et cependant. il n'y a que povreté, foiblesse, et impuissance en nous. Ainsi donc les hommes d'eux-mesmes ne peuvent approcher de Dieu: mais il faut qu'il approche de nous, et que nous le concevions tel qu'il se presente par sa parole, nous contentans de ce qui est là contenu. Mais il est dit, combien que ce chemin nous soit inaccessible pour venir à Dieu, que si est-ce qu'il habite en une clarté, c'est à dire, que lui n'a pas les yeux bandez qu'il ne voye, et qu'il ne cognoisse tout. Nous entendons donc maintenant comme la nuee est bien une cachette à Dieu, voire tellement que les hommes ne parviendront point à lui: mais elle ne lui est pas une cachette, pour dire, qu'il ne gouverne tout par sa providence, qu'il ne voye clair, non seulement en tout ce qui se fait ici bas, mais en tout ce qui s'y pense.

Or cependant nous avons à noter, que d'aucuns qui ont cuidé bien honorer Dieu, ont imaginé ce qui est ici dit: qui toutes fois est un blaspheme execrable. Et voila comme les hommes, quand ils veulent honorer Dieu à leur phantasie, pervertissent tout. Il a semblé donc à d'aucuns estourdis que Dieu ne se devoit point empescher iusques à nous, et que cela desrogoit à sa maiesté qu'il gouvernast ainsi tout. Et Dieu se souciera-il d'une mouche, et d'un ver, et des oiseaux de l'air, et de ceci, et de cela? C'est bien-a propos. Voila donc comme les hommes veulent attribuer à Dieu un honneur tel qu'il leur semble beau, pour cependant le despouiller de sa vertu et de sa maiesté. Que faut-il donc? Que nous apprenions d'honorer Dieu selon qu'il

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nous le commande, que nous ne lui apportions pas des services (comme desia il a este declaré) tels que nous aurons forgé à nostre cerveau: mais escoutons simplement ce que Dieu nous dit et declare de lui, ce qu'il aura prononce de sa bouche sacree: tenons-nous à ceste resolution-là, et sachons que quand nous aurons cognu Dieu tel qu'il se monstre en l'Escriture saincte, nous pourrons le glorifier comme il appartient: car c'est aussi le droit honneur qu'il requiert, et qu'il approuve. Or quand il est dit en l'Escriture, que la providence de Dieu et sa misericorde s'estend iusques aux bestes brutes, qu'il n'y a rien qui ne soit soustenu de sa main et de sa vertu: en cela premierement sa puissance nous est demonstree: et puis nous voyons sa bonté infinie, quand Dieu se soucie mesmes des vers de terre, et qu'un oiseau ne tombe pas sans sa volonté, et qu'il ne l'ait preveu et ordonné. Et comment ? Quelle bonté y a-il en Dieu, qu'il daigne bien avoir le soin des choses si contemptibles, et que nous mesprisons? Et au reste de là nous pouvons aussi conclurre quelle est l'amour qu'il porte, suivant la remonstrance de nostre Seigneur Iesus Christ, Combien valez-vous mieux que des petis passereaux? Or si ceux-là sont nourris de vostre Pere celeste: et pensez-vous qu'il n'ait point regard pour vous substanter, et que vous ne soyez tousiours sous ses ailes, et qu'il ne nous convertisse tout à salut, et que rien vous advienne sans sa bonne volonté? Voila donc comme il nous faut honorer Dieu, non point l'assuiettissans à nostre sens et phantesie, mais acceptans tout ce qui nous est monstré de lui en l'Escriture saincte. Or quand nous en ferons ainsi, nous ne dirons plus, Dieu chemine au cercle du ciel, et pourtant il ne se mesle point de nos besongnes, ce lui seroit une chose mal decente d'estre empesche des affaires humaines et terrestres: nous ne parlerons plus ce langage. Et pourquoy? Car Dieu n'a que faire de prendre ses plaisirs en oisiveté. C'est une opinion brutale que conçoivent de Dieu ceux qui le veulent separer de ce monde, et qui pensent que tout n'est pas gouverné par son conseil et par sa vertu. O, Dieu est d'une telle gloire, qu'il faut qu'il soit là haut en une vie heureuse: il ne faut point donc qu'il ait aucun souci. Voila transfigurer Dieu. Car nostre Seigneur (comme i'ay desia dit) n'est point semblable aux hommes mortels qui constituent une grande partie de leur felicité de vivre à leur aise, en repos et oisiveté. Dieu ne s'empesche pas comme nous: il ne faut point qu'il se tempeste le cerveau, qu'il travaille ne des mains, ne des pieds, ne de rien qui soit. Il gouverne tout Et en quelle sorte? Est-ce qu'il se remue? qu'il aille? qu'il vienne? qu'il machine? qu'il face de grans discours? Nenny. Mais il gouverne tout, il soustient tout par sa simple

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parole, laquelle est de telle vertu, qu'il faut que toutes creatures y obeissent . Ainsi donc e cognoissons que Dieu ne se pourmene point là haut comme en des galleries: mais qu'il remplit tout le monde, et qu'il faut que nous le contemplions tousiours prochain de nous. Et pourtant que de nostre ceste nous soyons prochains de lui pour cheminer comme devant sa face, sachans que nous ne pouvons point ma cher un pas qu'il ne nous regarde, et que tout ne soit marqué devant lui. Voila en somme ce que nous avons à noter de ce passage.

Or Eliphas demande à Iob, S'il n'a point observé la voye des anciens, et qu'est-ce que sont devenus les meschans, lesquels (dit-il) ont esté cassez et rompus, et deffaits, et leur fondement, c'est à dire, toute leur fermeté a esté comme une riviere escoulee et tarie? Ici derechef Eliphas conferme le propos qu'il avoit tenu par ci devant, c'est assavoir que de toute anciennete on a cognu que les meschans ont esté punis. Or il est vrai que Dieu (comme nous avons declaré) a tousiours donné quelques exemples de ses iugemens, afin que les hommes fussent tenus en crainte: suivant ce qui est dit au Prophete Isaie (26, 9), Le Seigneur fera ses iugemens, et les habitans de la terre apprendront que c'est de iustice. Ainsi, quand nous voyons que nostre Seigneur estend son bras, qu'il chastie les meschans, et qu'il se monstre leur Iuge: voila qui nous doit inciter à le craindre et l'aimer. Dieu donc a bien donné de tout temps quelques signes, qu'il falloit que les hommes vinssent à conte devant lui, et que les iniquitez ne demeureroyent pas impunies: mais cependant Dieu n'a pas egalement puni ceux qui l'avoyent offensé. Et pourtant il ne faut point que nous facions une regle generale que les meschans soyent punis en ce monde: car il ne faudroit point qu'il y eust iugement reservé iusques au dernier iour. Que deviendroit l'immortalité des ames? Que deviendroit l'esperance que nous avons de la resurrection? Tout cela seroit aneanti. Ainsi donc Eliphas pervertit tout, quand il veut faire une regle generale de certains exemples que Dieu a donné. lais voila ce que nous avons à noter c'est que quand Dieu a puni les meschans, lesquels s'estoyent eslevez contre lui: si cela a esté fait pour un coup, il nous faut conclure, que combien qu'il y ait beaucoup de meschans qui soyent espargnez iusques en la fin, et lesquels apres avoir vescu en toute volupté, meurent en une minute de temps sans languir: si faudra-il qu'ils viennent à conte. Et quand sera-ce? Attendons en patience que ce qui nous est auiourd'hui caché nous soit revelé. Voila donc ce que nous avons à noter en somme de ce passage.

Or cependant posons bien ces mots qui sont

SERMON LXXXV

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ici dits: c'est que les meschans pour un temps se pourront esgayer, voire iusques à blasphemer contre Dieu, et à le despiter: comme Eliphas leur attribue ici qu'ils disent, Retire toy d e nous. El qu'est-ce que le tout-puissant nous fera? Nous verrons donc ceste rage ainsi furieuse aux meschans, qu'ils ne veulent nullement cognoistre Dieu, et le despitent, comme s'il n'avoit plus nulle puissance ni authorité sur eux: mais en la fin Dieu les sait bien reprimer. Or cependant Eliphas reproche ici à Iob qu'il a dit, que ceux-là n'ont pas laissé d'avoir leurs maisons fournies de bien: car il lui sembloit que Iob vouloit nier la providence de Dieu par cela. Et c'estoit tout le contraire: comme la confession que faisoit Iob est du tout telle que nous la devons tenir, c'est assavoir que quand Dieu espargne les meschans, et qu'il semble qu'ils soyent heureux, et que mesmes ils ne font que se mocquer de toute religion, et que cela demeure impuni: neantmoins il nous faut surmonter une telle tentation, et que nous ne laissions pas de conclure que Dieu est le Iuge du monde, et qu'il se monstrera tel, encores que nous ne le voyons pas maintenant. Voila donc une confession droite et entiere que celle que Iob a faite: mais elle a esté mal entendue par Eliphas. Or nous avons desia exposé ces mots, c'est assavoir que les meschans diront à Dieu, Retire-toi de nous: non point qu'ils parlent ainsi: mais c'est d'autant qu'ils fuyent toute cognoissance entant qu'en eux est, et s'abrutissent a leur escient: comme on le voit. Si on parle à ces gaudisseurs qui ne demandent qu'à se donner-du bon temps, si on leur parle, di-ie, du iugement de Dieu qu'on les en menace: c'est matiere de melancolie. et mesmes s'il leur estoit possible, ils voudroient que toute l'Escriture saincte fust bruslee, que iamais ou n'en parlast. Et pourquoy? C'est comme un malfaicteur qui ne voudroit iamais voir

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ne de gibet ne de iustice, ne rien qui soit, bref, il voudroit qu'il n'y eust plus de police au monde. Ainsi les meschans seroyent contens d'aneantir la maiesté de Dieu s'il leur estoit possible: cependant ils reiettent toute doctrine, ils estouppent leurs aureilles, ils bandent leurs yeux afin de ne rien voir ny ouyr: bref, ils s'alienent tant qu'ils peuvent de l'obeissance de Dieu, et voudroyent bien n'y estre point suiets. Et nous en voyons mesmes entre nous de ceux qui contrefont les grans Chrestiens, lesquels seront contens de dire en un mot, Et bien, il faut obeir à Dieu, il faut qu'on presche: mais ils voudroyent qu'on parlast un iargon ie ne say quel, qu'on ne gratast point leurs rongnes. Or telles gens, quelque protestation-qu'ils facent, monstrent bien qu'ils ne demandent que d'estre eslongnez de Dieu, et lui dire, Retire-toi de nous. Car combien qu'ils ne prononcent pas ce blaspheme de bouche, si est-ce qu'on voit bien quel est leur vouloir et intention. Or de nostre costé apprenons de cheminer en crainte et en solicitude devant nostre Dieu: et d'autant qu'il s'est une fois approché de nous, que nous le prions qu'il lui plaise de continuer tellement, que iamais nous ne soyons eslongnez de lui. Et puis que sa parole nous est tant privee (comme il nous la communique iournellement par la predication de son sainct Evangile) que nous le contemplions en icelle, et qu'il nous esleve par dessus les nuees, voire iusques au ciel, par la foy qu'il nous a donnee: que nous croissions de plus en plus en icelle, iusques à ce qu'il nous ait conioints pleinement à lui, pour contempler en perfection ce qui nous est maintenant caché, et pour estre pleinement reformez à son image au nom de nostre Seigneur Iesus Christ.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

IOB CHAP. XXII.

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L'OCTANTESIXIESME SERMON

QUI EST LE IV. SUR LE XXII. CHAPITRE.

Ce sermon poursuit encore l'exposition des versets 15,16, 17 et du texte qui est ici adiousté.

18. Toutes fois il a rempli leurs maisons de bien: que le conseil des rneschans soit loin de moy. 19. Les iustes les verront, et s'en riront, et l'innocent se moquera d'eux. 20. Nostre substance n'a point esté desconfite, et le feu a devoré leur residu. 21. Accointe toy de luy, et traitte paix, et cela te sera à prosperité. 22. Reçoy la loy de sa bouche, et mets ses paroles en ton coeur.

Nous commençasmes hier à deduire à quoy tend ce propos d'Eliphas: c'est assavoir pour redarguer Iob en ce qu'il avoit dit, que Dieu laissoit prosperer les meschans, et qu'il ne les punissoit point: comme la verité est, voire selon l'apparence du monde. Or Eliphas et ses compagnons disoyent, que Dieu ne differe iamais ses iugemens qu'ils n'apparoissent icy bas: à quoy l'experience repugne: en sorte que le propos de Iob est veritable, qu'il faut qu'en patience nous attendions que nostre Seigneur remette les choses en ordre: ce qui ne se fera point en ce siecle. Il faut donc que nous cheminions en esperance. Or l'esperance emporte que nous n'ayons point nostre veuë arrestee aux choses presentes: et mesmes quand tout sera confus, que nous attendions en repos ce qu'il plaira à Dieu de faire. Tant y a qu'Eliphas insiste sur cest article, que si nous regardons bien aux choses du monde, on verra que Dieu de tout temps a puni les meschans. Vray est (comme nous avons dit plusieurs fois) que Dieu a tousiours donné quelques signes de ses iugemens pour tenir les hommes en crainte: mais tant y a que d'en faire une regle egale, cela est contre toute raison et verité. Or venons cependant à ce qui a desia este commencé à traitter. Eliphas parlant des meschans, leur attribue un tel orgueil, qu'ils reiettent Dieu, et ne veulent point qu'il approche d'eux: non pas qu'ils proferent ces mots icy de leur bouche, mais d'autant qu'ils ne peuvent souffrir que Dieu les assuiettisse à luy, comme on le voit. Les hommes donc iusques à tant que Dieu les ait dontez par son S. Esprit, ne peuvent porter le ioug, chacun voudroit avoir licence de faire ce que son appetit porte: mais icy il est fait mention de ceux qui ont esté endurcis de longue main, lesquels se faschent de toute bonne doctrine, et la hayssent, en sorte qu'ils voudroyent que iamais

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n'en fust nouvelles. Or le nombre de telles gens a tousiours este trop grand, comme il est auiourd'hui. Et au reste, quand ils se sont desbauchez iusques là, de reietter la doctrine de Dieu: ils le despitent, comme s'il ne pouvoit rien contre eux. Qu'est-ce que nous fera le Tout-puissant? Il est vrai qu'ils ne desgorgeront pas un tel blaspheme: mais ils cheminent en asseurance comme des meurtriers tellement qu'il ne leur chaut plus de toute menace, et ne s'en font que mocquer: et iusques à ce que la main de Dieu les presse, et les contraigne, ils poursuivront tousiours leur iniquité. Or cela est autant comme s'ils prononçoyent, qu'il ne leur chaut de tout ce que Dieu leur fera. Et ainsi nous voyons en somme, qu'Eliphas a voulu ici exprimer comme les hommes se desbordent quand ils ont persisté à mal, et que les voila tellement endiablez, qu'ils ne peuvent souffrir qu'on les admonneste, ne qu'on les reduise au bon chemin: et mesmes ils despitent Dieu. Comme s'il n'avoit plus nulle authorité par dessus eux. Et ce n'est point seulement en ce passage qu'on le voit: pleust à Dieu que nous n'en eussions point les exemples devant nos yeux. Mais notons ce qui a esté touché, qu'icy l'Esprit de Dieu nous a voulu monstrer comme en un miroir, où c'est que les hommes trebuschent quand ils se sont nourris en leurs pechez de long temps: c'est assavoir, qu'il y a ceste brutalité de hurter contre Dieu. Car il n'y a plus de doleance en eux, comme dit sainct Paul (Eph. 4, 19): leurs consciences sont du tout assopies, tellement qu'ils ne font plus scrupule de rien. Et c'est afin que nous cheminions en crainte, et que nous prions Dieu qu'il ne permette pas que nous venions en une telle extremité.

Or poursuivons maintenant le propos d'Eliphas. Il demande à Iob, S'il n'a point observé la voye de telles gens, ou s'il n'y a point prins garde. Ceux qui exposent este sentence, comme si Eliphas reprochoit à Iob qu'il les a ensuivi, ou qu'il s'est conformé à eux, s'abusent: mais plustost il veut dire que Iob est un homme bien insensé, de ce qu'il doute si Dieu punit les meschans veu qu'il a tousiours apperceu qu'il le fait. Or il se trompe en ce qu'il dit Tousiours, cela s'est peu bien faire: mais cependant Dieu n'a pas laissé de reserver beaucoup de punitions au temps à venir. il a

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abysmé la ville de Sodome avec les autres prochaines: a-il fait le semblable envers toutes les villes qui estoyent ainsi adonnees à mal? Nenni. Il a une fois envoyé le deluge sur tout le monde: voire, mais ce n'a este que pour une fois: et cependant nous voyons que les hommes n'ont pas laissé de provoquer sa vengeance sur eux. Ouy: mais il ne luy faut pas imposer loy qu'il punisse tousiours les pechez egalement, et d'une pareille sorte: il en fera à son plaisir, et faut que nous trouvions bon l'ordre qu'il tient. Voire: car (comme nous avons monstre) s'il ne laissoit nulles punitions, il sembleroit qu'il n'y auroit nul iugement, et qu'il ne faudroit plus iamais venir à conte: et si toutes choses estoyent restaurees en ce monde en telle perfection qu'il n'y eust plus rien à souhaiter ny à redire, il n'y auroit plus esperance de la resurrection. Il faut donc que nostre Seigneur tienne le moyen tel, qu'il nous donne seulement quelques exemples pour cognoistre que les pechez ne demeureront point impunis devant luy, et que ce qu'il differe maintenant, et nous tient en suspens iusques au dernier iour, c'est afin que nous ne nous tenions point attachez icy bas comme si les choses estoyent desia accomplies, en sorte qu'il n'y eust plus rien à souhaiter. Voila donc en somme ce que veut dire Eliphas en ce verset, N'as-tu point prins garde aux voyes du siecle? Car ce mot de Siecle, emporte quelquesfois Ancienneté: comme s'il disoit, Ce n'est point d'auiourd'huy que Dieu commence à punir les meschans, mais les histoires du temps iadis nous monstrent qu'il en a tousiours esté ainsi fait: il y a si long temps que Sodome et Gomorrhe sont peries, il y a si long temps que le deluge a esté. Cognoi donc que Dieu a reduit le monde sous ceste regle-la, qu'il traittera les hommes selon qu'ils l'ont desservi.

Et au reste Eliphas ayant parlé de la punition des contempteurs de Dieu, et de ceux qui s'estoyent desbauchez iusques là, de se mocquer de sa puissance, aggrave encores plus leur malice, quand il dit, Que toutes fois Dieu avoit rempli leurs maisons de bien. Car si les hommes n'estoyent point obligez à Dieu, encores se pourroyent-ils excuser de ce qu'ils ne s'assuiettissent point à luy: mais toute excuse est mise bas, et les hommes sont coulpables d'une telle ingratitude, qu'il faut bien qu'ils demeurent là confus, quand ayans senti que Dieu les attire à soy par douceur, neantmoins ils se sont mis à rebecquer à l'encontre de luy, et n'ont peu souffrir en façon que ce soit qu'il les gaignast. Nous voyons donc maintenant à quoy tend ce que dit icy Eliphas, Que Dieu avoit rempli leurs maisons de bien. Or il est vray qu'il y a desia une obligation generale de tous hommes envers Dieu, d'autant qu'ils sont creez de luy, qu'il les a mis en

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ce monde, et les y maintient: mais quand Dieu se declare à un homme plus specialement, cela est pour le rendre tant plus inexcusable. Comme quoy? Voila un homme qui sera en prosperité, Dieu luy envoye toutes choses à souhait: celuy-la aura moins de raison de murmurer contre Dieu, qu'un autre qui sera affligé et tormenté en beaucoup de façons: et quand les riches et ceux qui sont ainsi à leur aise se rebecquent, et qu'ils font des chevaux retifs, il est certain que cela est à imputer à plus grande offense, et non sans cause: car ceste douceur que Dieu leur a ainsi monstree leur devoit amollir le coeur: et encores qu'ils fussent de nature revesches, et qu'il y eust de la fierté en eux, si est-ce que Dieu, qui les traittoit ainsi humainement, les vouloit gaigner par ceste douceur. Quand donc ils sont ainsi sauvages voila leur offense qui redouble.

Et c'est ce qu'a voulu traitter icy Eliphas. Et ainsi apprenons de nostre costé, de bien priser les graces que Dieu nous eslargit, et tant de benefices que nous recevons de sa main, qui nous sont autant dadvertissemens que nous devons bien nous ranger à son obeissance, que nous luy devons faire cest honneur qu'il nous gouverne, et ait toute maistrise par dessus mus. Car si nous sommes tenus à un homme mortel, encores qu'il entreprenne sur nous, et bien, nous souffrirons de luy. Et pourquoy? l'y suis tenu, dirons-nous: nature nous enseigne cela. Et comment donc recognoistrons-nous envers nostre Dieu les biens qu'il nous a faits, luy qui nous a creez et formez, luy qui nous maintient, lui qui se monstre Pere en tant de sortes envers nous? comment lui pourrons-nous rendre ce que nous lui devons? Et ainsi (comme i'ay desia touché) qu'un chacun regarde bien à soy, et qu'il repute les benefices que Dieu lui a distribuez, afin que ce nous soyent autant d'aides pour nous amener à son obeissance, tellement qu'il domine paisiblement sur nous, et nous conduise, et que nous ne lui soyons nullement rebelles. Et sur tout, quand Dieu nous aura ainsi traitez humainement, et qu'il aura desploye sa liberalité envers nous: que cela soit pour nous rendre dociles envers lui, et que nous ne desirions point que Dieu s'estrange de nous. Car s'il s'en esloignoit, que seroit-ce? Ne pensons nous pas que tout le bien que nous avons' et que nous recevons, ne procede sinon de ce que Dieu nous est prochain? Et si Dieu n'estoit avec nous, quel bien est-ce que nous aurions, veu que tout vient de lui? Ainsi donc c'est une povre condition aux hommes, quand ils taschent de fuir la presence de Dieu, veu qu'ils ne demandent que tout malheur. Parquoy advisons bien de nous humilier, quand nostre Seigneur nous aura remplis de biens: et que nous ne facions pas comme les chevaux qui

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sont trop engraissez, qui regimbent à l'encontre de leur maistre, ainsi que Dieu le reproche aux Iuifs par le Cantique de Moyse (Deut. 32, 15). Ne ressemblons point à ces chevaux qui sont trop bien nourris: mais submettons-nous sous la suiettion de nostre Dieu, Gognoissans que si nous avons receu beaucoup de biens de sa main, en une minute de temps il nous pourra appovrir: que s'il nous a engraissez, nous pourrons tantost devenir maigres: il ne faudra sinon qu'il souffle sur nous, et voila toute nostre substance escoulee. Puis qu'ainsi est donc, que nous cheminions tousiours en crainte, faisans recognoissance et hommage à Dieu du bien que nous possedons, sachans que nous n'en pouvons iouir, sinon qu'il lui plaise continuer sa grace envers nous. Voila comme les richesses seront heureuses et benites, comme les honneurs, et delices et choses semblables ne seront point pour enyvrer et endormir les hommes: mais plustost ils seront vigilans pour remettre tout entre les mains de Dieu: comme s'ils disoyent, Seigneur, il est vrai que iusques ici tu as usé de ceste bonté envers nous, que nous avons este à nostre aise, mais quoy? Si seulement tu destournes ton visage, nous voila peris. Ainsi Seigneur, comme tu nous as soustenus et preservez iusques à maintenant, qu'il te plaise de perseverer iusques en la fin.

Or Eliphas dit ici, Qu'ils ont esté deffaits devant le temps, et que leur fondement a esté comme une riviere escoulee. Nous verrons ceci quelquesfois advenir aux contempteurs de Dieu, que quand ils se seront promis merveilles, Dieu les abbatra, et ils seront frustrez de ceste vaine esperance qu'ils auront conceuë. Nous le voyons donc: et mesmes combien que Dieu permette que les meschans meurent et vivent en prosperité, toutes fois qu'est-ce que de cela? Car si nous regardons à la vie presente, ie vous prie, quelle duree a-elle? Nous vivons: voire mais l'homme sera tousiours tel que l'Escriture saincte le descrit, c'est assavoir comme une herbe qui verdoye, mais il ne faut qu'un vent souffler dessus, la voila flestrie: il ne faut sinon que la faux y passe, et l'herbe deviendra foin, sa substance est sechee et perdue incontinent: il ne faut qu'une chaleur du soleil pour brusler tout. Et ainsi donc cognoissans la fragilité de nostre vie, il ne faut plus que nous trouvions estrange que nous soyons accomparez à une riviere qui s'escoule et qui tarit: ou une riviere qui passe tellement, que s'il y a de l'eau maintenant, quelque peu apres ce n'est pas celle que nous avons veu, cela est naturel: mais ici Eliphas entend quand il y a une riviere qui est tellement desbordee, qu'elle tarit puis apres et n'a plus son cours. Ainsi donc en est-il des meschans, lesquels ont une telle audace, qu'ils pensent que iamais ne pourront deffaillir: mais ils

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seront consumez en sorte qu'il n'y demeurera point une seule goute de vertu. Moyennant donc que nous ne prenions point ceste sentence selon l'intention d'Eliphas, nous pourrons bien recuoillir une bonne doctrine et utile de ce passage: c'est assavoir, que combien que Dieu ne punisse point du premier coup les meschans, mesmes en ceste vie, mais les espargne: toutes fois ils ne laissent pas d'estre semblables à une riviere qui s'escoule, il n'y aura nulle fermeté en eux, et mesmes ils periront devant leur temps. Et comment devant leur temps? Pource qu'ils se promettent ici une immortalité, et leur semble que leur felicité durera à tousiours: mais Dieu trenche leur vie, il se mocque d'eux: et quand ils auront dit, Mon ame, rassasie-toy, et leur aura semblé qu'ils doivent engloutir tout le monde, il ne leur faut pas une coupe de bled pour achever leur vie: car Dieu les fait tomber bas.

Ce n'est point donc sans cause qu'il est dit, Qu'ils perissent devant leur temps. Car ils sont frustrez de leur esperance, en se promettant longue vie: et nostre Seigneur leur accourcit et retranche, comme il en est parle, qu'ils sont comme si on coupoit le filet d'une treme. Il semble que le filet doive tousiours aller plus outre, quand nous voyons comme les tisserans besongnent viste. Mais le filet est-il rompu? La treme cesse. Ainsi en est-il de la vie humaine: quand nous cuidons nous advancer, qu'il nous semble qu'il n'y aura iamais fin, nous sommes enyvrez en nous-mesmes: et cependant voila Dieu qui coupe le filet, et ce n'est plus rien. Meditons donc ceste doctrine ici, en sorte qu'apres avoir cognu quelle est la breveté de nostre vie, nous regardions à l'heritage celeste qui nous est promis, que nostre attente soit là fondee, cognoissans que tous ceux qui mettent leur fondement en ce monde, n'ont gueres de fermeté, qu'ils bastissent sur l'eau, ou en l'air. Il faut donc que tout cela s'escoule: comme nous voyons que Dieu punit la presomption de ceux qui bastissent en ce monde, et qui se confient aux choses presentes: il leur monstre bien que ce n'est que bastir en l'eau ou en l'air, comme nous avons dit. Il n'y a que le royaume de Dieu qui soit certain et immuable: c'est là donc où il nous faut estre fondez, c'est le vrai appui, comme l'Escriture en parle. Voila ce que nous avons à noter en somme de ce passage. Et encores pour mieux faire nostre profit de ceste doctrine, que nous pesions ce mot Devant leur temps, que les meschans seront desfaits devant leur temps, pource que nostre Seigneur les retire d'ici bas, comme s'il les arrachoit par force. Car ils s'attachent ici en terre, comme si iamais n'en devoyent est e ostez: ils prennent ici racine, voire par phantasie. Les meschans donc et les contempteurs de Dieu prendront une telle racine en leur

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orgueil, qu'il leur semble qu'ils ayent un fondement de cent pieds profond en terre, et qu'il est impossible de les esbranler: voire, mais Dieu ne leur fera que donner une petite chiquenaude, et les voila mis bas: car ceste racine-là n'est qu'imaginaire. Et ainsi ce n'est point sans cause qu'il est dit, que les meschans perissent devant leur temps. Toutes fois que nous retenions ce qui a esté monstré: c'est assavoir que ai le temps nous dure, et que nous n'apercevions pas que nostre Seigneur vueille reprimer les meschans et contempteurs de sa maiesté: qu'il ne faut point pourtant que nous perdions courage. Cheminons tousiours plus outre, et permettons à Dieu qu'il use de sa liberté, c'est assavoir que ai bon lui semble il chastie les meschans en ce monde: ai non, que son iugement nous soit cache, iusques à ce que nous venions à ce dernier iour, où toutes choses seront descouvertes.

Eliphas adiouste, Que les iustes les verront, et s'en riront, que l'innocent se mocquera d'eux. Il semble de prime face que ceci ne soit point convenable, veu que les enfans de Dieu doivent ensuivre leur Pere celeste: or nous savons que Dieu est enclin à misericorde et pitié: et quand on se mocque de ceux qui sont affligez, cela n'est pas sans cruauté ce semble. Comment donc est-ce que le sainct Esprit attribue une telle affection aux enfans de Dieu, qu'ils se mocquent des meschans quand ils les verront ainsi ruinez? Or notons en premier lieu, que pour bien contempler les iugemens de Dieu, et en faire nostre profit, il nous faut estre purgez de toutes nos passions charnelles, il ne faut point que nous soyons menez d'appetit de vengeance, que nous soyons esmeus de passions excessives, comme nous avons accoustumé: il faut que tout cela soit corrigé en nous, et que nous ayons un regard pur pour bien regarder ce que Dieu fait. Quand nous serons ainsi disposez, alors sans aucune cruauté nous pourrons nous mocquer des meschans si Dieu les destruit: comme defait il nous faut bien approuver les iugemens de Dieu, et en les trouvant bons il faut aussi que nous en soyons resiouis, pource que nostre salut y est advancé, et que Dieu declare l'amour qu'il nous porte. Apprenons donc quand Dieu punit les pechez des meschans, que nous avons dequoi nous resiouir. Voire mais il faut savoir pourquoi. Il y a double raison: nous avons à nous resiouir, d'autant que Dieu se monstre estre Iuge, et que sa gloire et maiesté y apparoist. Voila un argument de resiouissance: car toutes fois et quantes que nostre Seigneur se monstre, et qu'il nous donne quelque approbation de sa vertu pour le glorifier, il faut que nous en soyons resiouis. Car quelle plus grand'ioye demandons-nous que la presence de

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nostre Dieu, et qu'il approche ainsi de nous? Et puis pour le second, Dieu monstre qu'il a le soin de nous comme de ses enfans, quand il punit nos ennemis et ceux qui nous ont molestez et outragez. Dieu donc en chastiant les meschans ratifie son amour qu'il a envers les bons et les fideles. Voila encores une seconde raison de ioye. Mais cependant il faut (comme i'ay dit) que nous soyons purgez de tout appetit de vengeance, et de toute malice: bref, quand nous aurons despouillé tout ce qui est de nostre chair, et que l'Esprit de Dieu nous gouvernera, nous aurons un zele droit et pur pour nous resiouir de la ruine des meschans, et faire nostre profit des iugemens de Dieu.

Il y a encores un poinct a, noter: c'est que quand il est dit, Que les iustes se mocqueront de ceux que Dieu destruit et ruine, cela ne s'entend pas de tous ceux qui sont affligez: car il y en a beaucoup que Dieu chastie pour leur salut, qui ne sont pas gens du tout incorrigibles: et il les punit seulement en leurs corps, afin que les ames ne soyent point perdues: mais ici il n'est fait mention que des reprouvez. Or nous ne cognoissons pas ceux que Dieu a reprouvez du tout, sinon qu'il nous le monstre. Comme voila de ceux de Sodome et de Gomorrhe, et de ceux qui ont esté exterminez par le deluge: en cela nous avons un certain tesmoignage de la vengeance extreme de Dieu, qu'il n'y a point eu lieu de repentance pour ces miserables, d'autant qu'ils se sont rendus indignes de merci. De ceux-la et autres tels donc nous pouvons nous en resiouir. Mais quand Dieu chastiera nos prochains, et que nous ne saurons point encores s'il veut avoir pitié d'eux, il faut que nous ayons compassion de leurs miseres, et que tellement nous soyons duits au iugement de Dieu, que nous esperions qu'il donnera quelque relasche à ceux qui sont ainsi tormentez. Voila en somme comme il nous faut pratiquer ce passage. Il est vrai que ceste doctrine estant ainsi brevement touchee, pourroit estre obscure: mais si chacun note bien ce que i'ay touché, nous pourrons plus au long puis apres y penser, par ce moyen les choses quoi qu'elles soyent ainsi touchees en sommaire, nous pourront neantmoins suffire. Or en premier lieu i'ay dit, qu'il nous faut avoir ceste humanité envers tous nos prochains, que nous desirions leur salut, et que nous soyons tristes de leur mal: comme sainct Paul nous dit, que la regle de charité le porte: Que vous faciez le dueil (dit-il) pour ceux qui endurent (Rom. 12, 15). Et nous voyons comme les enfans de Dieu ont tousiours eu ceste affection et ce zele-la. Or cependant si nous voyons que Dieu punisse les pechez, nous pouvons aussi nous en resiouir: voire entant que Dieu se declare là, et se monstre à nous, il faut que nostre foi soit ratifiee

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et conformee de plus en plus en lui, quand nous voyons qu'il a le soin du genre humain, et que toutes choses sont conduites sous lui.

Or il s'ensuit, Nostre substance n'est ont deffaite. Il est vray que de mot à mot il S a, Si nostre substance n'est deffaite, ou cachee. Car aussi le mot Hebrieu emporte deux choses: il signifie proprement Cacher, mais pource que quand une chose est mussee, on ne la voit point, et semble qu'elle ne soit plus: par similitude aussi il emporte quelquefois Retrancher, Aneantir. eu reste il sembleroit qu'il deust dire, Leur substance n'a-elle point esté destruite? en rapportant cela aux meschans. Et de fait le passage a esté ainsi translaté par les Grecs. Mais si nous regardons bien de pres, il semble que le sens naturel soit, S nostre substance n'a esté cachee. Et notons que c'est une maniere de parler assez commune aux Hebrieux laquelle emporte une affirmation plus grande comme s'il estoit dit, Voire, ceci est certain que nostre substance est cachee. Le mot aussi de Substance, emporte nostre estat, ou nostre subsistence ce que nous avons en main la façon de nous conserver, ou nous restaurer. le laisse les expositions qu'on donne ici, lesquelles ne conviennent point: retenons simplement ce que veut dire Eliphas. Il fait ici comparaison des iustes avec les meschans, des fideles avec les contempteurs de Dieu. Quant aux fideles, il dit, Pour vray nostre substance est cachee. Or quand il use de ce mot de Cacher, il n'entend pas que leur substance soit perie ne perdue: mais au contraire qu'elle est mise à sauveté comme un thresor. Comment est-ce qu'au milieu de tant de perils où nous sommes, toutes fois nous demeurons debout, et sommes maintenus? Si nous n'estions comme sous les ailes de Dieu, que nous ne fussions bref comme en cachette, que nous ne fussions mussez comme un thresor: il est certain que nostre vie à chacune minute de temps seroit ravie et ça et là. Ainsi donc voici une bien bonne doctrine, quand elle sera ainsi entendue, suivant le sens du texte. Car voici que diront les iustes, Nostre substance et nostre estat, c'est à dire, la vertu de nous maintenir et preserver, tout cela est caché: et cependant ce qu'ont les meschans de residu est devoré par le feu: c'est à dire, que Dieu ne leur laisse rien qui soit, tellement qu'il faut qu'ils soyent exterminez avec tout leur bien. Il est vray que durant ceste vie mortelle il semblera que nous soyons abysmez et accablez du tout, que nous soyons en destresse, bref, que nous n'ayons ne vertu ne substance, mais tant plus nous faut-il pratiquer ceste doctrine quand elle sera appliquee à son droit usage, voire suivant ce que nous dit sainct Paul (Col. 3, 3), Que nous sommes morts, et que nostre vie est cachee. Sainct Paul monstrant quelle est

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la condition des fidelles pendant qu'ils sont au monde, dit que leur vie est cachee, comme si elle n'estoit point: mais elle est en une bonne cachette: car (dit-il) elle est cachee en Dieu avec nostre Seigneur Iesus Christ. La vie de Iesus Christ estant au ciel en ce corps glorieux auquel il est ressuscité, ne nous est pas manifestee: car si nous regardons, ou est Iesus Christ? où est son royaume? Nous n'appercevrons point selon nostre sens naturel ce qui en est: mais tant y a quand nostre vie est cachee au ciel avec Iesus Christ, que nous en pouvons bien estre asseurez.

Et ainsi donc notons en premier lieu, que Dieu voulant esprouver nostre foy et nostre esperance, souffrira que nous soyons environnez de beaucoup de dangers, et que nostre vie soit pendante comme d'un filet, et qu'il y ait des vents qui transportent nostre substance çà et la, que bref nous ayons mille morts devant les yeux, au lieu que nous aurons une petite goutte de vie, et qu'il semble que nous devions perir en mille sortes. Mais ne craignons point pourtant, moyennant que Dieu nous tienne sous son ombre: car quand nous aurons ceste retraitte-la, nous serons bien asseurez. Voila donc comme nous avons à pratiquer ceste doctrine: Et puis quand nous iettons les yeux sur les meschans, en voyant leur perdition, que nous soyons tant plus col Fermez en la bonté de Dieu, et que nous prenions occasion de le magnifier d'avantage pour dire, Et Seigneur, quel privilege est-ce que tu nous fais, quand nostre vie est en ta main, et que tu en es le gardien? et toutes fois en quoi differons-nous d'avec ceux que nous voyons estre consumez? Nous les voyons aller en perdition, nous voyons que leur residu est du tout consume: et Seigneur, en quoi differons-nous d'avec eux? en rien qui soit, sinon de ta pure grace: d'autant qu'il t'a pleu nous choisir à toi comme ton heritage, de ce que tu nous maintiens, et nous as fait la grace de cheminer en ton obeissance, et de ce que tu persistes comme tu as commence un tel bien en nous, et que tu nous conduis par le chemin de salut. Voila ,Seigneur d'où procede tout nostre bien. Et cependant nous voyons ce privilege que tu nous donnes, comme si nous estions exemptez de toutes les miseres de ceste vie caduque, si nous n'estions plus du rang des hommes. Or Seigneur quand tu nous fais cest honneur-la, et ce bien, ne faut-il pas que nous magnifions une telle bonté de toi envers nous? Voila di-ie, comme il faut, apres avoir cognu la grace de Dieu, de laquelle il use envers ses fideles, estre tant plus confermez en icelle, et aussi estre incitez à lui en rendre action de graces. Et pource que cela ne se peut faire sans que nous contemplions la perdition des meschans, et que nous en soyons esiouis: voila

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pourquoi aussi il nous est bon de cognoistre quand Dieu punit les meschans, et qu'il donne quelque signe de sa vengeance ,sur eux, que c'est tousiours pour nous mieux certifier de ceste grace et amour paternelle de laquelle il use envers nous.

Or quand Eliphas a ainsi parlé, il exhorte Iob de s'acointer avec Dieu?, et d'avoir paix avec lui, et que cela lui tournera à prosperité. Et puis il adiouste, Qu'il reçoive la Loi de Dieu, et qu'il mette ses paroles en son coeur. En disant que Iob s'acointe de Dieu, il entend qu'au paravant il s'en estoit retire: en disant qu'il ait paix avec lui, il signifie que par sa mauvaise vie il s'estoit declaré comme ennemi de Dieu. Or ceci est mal appliqué à sa personne, comme desia nous avons veu: mais cependant la doctrine en soi est vraye et de grand profit. Et comment cela? En premier lieu il nous est ici monstré, que quand les hommes se desbordent, c'est autant comme s'ils s'alienoyent de Dieu. Sommes-nous donc adonnez à nos vices ? Nous despitons le Seigneur, et l'empeschons qu'il n'approche point de nous: c'est autant comme si nous prenions congé de lui, ou bien sans congé que nous fussions comme fuitifs. Et de fait ce n'est point sans cause que l'Escriture dit, que les hommes n'ont point la crainte de Dieu devant les yeux, et qu'ils ne cognoissent plus Dieu, quand ils se donnent une telle licence. Nous voyons donc que les hommes sont comme sauvages, et qu'ils s'abbrutissent tellement qu'ils ne sont plus de la maison de Dieu: et leur semble neantmoins qu'ils sont bien, estans eslongnez de lui, toutes fois et quantes qu'ils ne pensent point à leurs vices et pechez. Voila le premier. En second lieu il nous est monstré que les hommes font la guerre à Dieu. Il ne faut point ici de heraut, ne de trompette, pour faire une defiance solennelle: car les hommes se declarent ennemis mortels de Dieu, et menent guerre à l'encontre de lui toutes fois et quantes qu'ils se desbauchent, et se destournent de son obeissance. Si les suiets s'eslevent contre un roy, ie vous prie ne voila point une guerre qui est beaucoup plus meschante, que s'il y avoit quelque couleur de raison, et que les solennitez fussent observees, comme on a de coustume? Or est-il ainsi qu'un homme quand il se desbauche, a une armee dressee contre Dieu: car autant d'affections et de cupiditez meschantes qui sont en nous, ce sont autant de gensdarmes qui sont armez pour batailler à l'encontre de Dieu et de sa iustice: il est bien certain. Tant plus donc nous faut-il bien noter ce passage, c'est assavoir que nous ne pouvons pas nous donner telle licence de mal-faire, que ce ne soit oster toute la privauté que nous avons avec Dieu, et nous rendre comme bestes sauvages, nous escarter en

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telle sorte que nous ne soyons plus sous sa main et obeissance.

Mais il y a encores un mal plus grand et plus enorme, c'est assavoir que nous venons batailler à nostre escient à l'encontre de Dieu. Comment? Voici une chose excecrable, qu'une creature s'esleve contre celui qui l'a formé. Et qu'y gaignerons-nous? qui sera la victoire? Nous voyons bien que nous sommes plus qu'insensez, quand nous ne laissons pas cependant de nous venir ietter ainsi furieusement contre lui. Voila ce que nous avons à noter de ce passage. Et à l'opposite suivons l'exhortation qui nous est ici faite: c'est que si pour un temps nous avons esté desbauchez, et que nos cupiditez nous ayent fait comme esgarer et escarter, tellement que nous soyons devenus bestes sauvages, que nostre Seigneur n'ait peu chevir de nous, que nous ne nous soyons pas tenus sous sa conduite comme il appartenoit: que nous cerchions de nous acointer avec lui, c'est à dire, que nous mettions peine à nous apprivoiser de lui. Et comment cela se fera-il ? Nous savons que nostre Seigneur nous appelle à soi par sa parole: et quand il voit que nous sommes esgarez et hors du chemin, Retournez, retournez, dit-il. Dieu donc faisant que sa parole nous soit preschee, ne tend à autre fin, sinon de nous apprivoiser, au lieu que nous avons este sauvages: c'est à dire, de nous rendre dociles, et de chevir de nous du premier coup. Quand nous aurons apprins ceste leçon, nous aurons beaucoup profité pour toute nostre vie: car à quoi est-ce que tend toute l'Escriture saincte, sinon de nous apprivoiser avec Dieu? Il est vray que nostre Seigneur de sa part se rend si familier que rien plus, il est comme une nourrice, comme une mere: il ne s'accompare pas seulement aux peres, qui sont tant benins et humains envers leurs enfans: mais il dit, Qu'il est plus que mere, et que nourrice. Puis qu'ainsi est donc que Dieu use d'une telle familiarité, que nous ne soyons plus comme bestes sauvages: que si nous l'avons esté, ne continuons point. Et cependant quand nous voyons que nous avons este si pervers et si insensez de lui faire la guerre par nos pechez, que nous venions à cercher paix avec lui. Et comment? Or il n'est pas en nous de ce faire: mais il faut qu'il nous previenne par sa bonté infinie: ce qu'il fait quand l'Evangile se presche, lequel est nommé doctrine de paix: et comme sainct Paul en parle (2. Cor. 5, 18. 19), c'est le message de reconciliation. Puis qu'ainsi est donc que Dieu nous appelle à soi de son bon gré, et qu'il nous previent, et anticipe, qu'il n'attend pas que nous venions ce cher la paix: avec lui, mais qu'il vient au devant, et ne demande sinon de se reconcilier avec nous: que nous ne soyons point si malheureux

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de le reietter par nostre ingratitude, et ne tenir conte du bien qu'il nostre offre: mais qu'en vraye humilité nous venions nous rendre et assuiettir à lui, sachans qu'il est prest de nous recevoir au nom de nostre Seigneur Iesus Christ,

et qu'il nous fera sentir qu'il nous veut estre Pere benin et pitoyable, quand nous lui serons vrais enfans.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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L'OCTANTESEPTIESME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE XXII. CHAPITRE.

Ce sermon et encore sur le verset 22 et puis sur le texte qui est ici adiousté.

23. Si tu te convertis au Tout-puissant, tu seras edifié, et chasseras l'iniquité loin de ton tabernacle. 24. Tu mettras l'or sur la poudre, et comme cailloux de riviere l'or d'Ophir. 25. Le Tout-puissant chassera tes ennemis, et auras munition ferme. 26. Tu prendras plaisir sur le Tout-puissant, et esleveras tes mains à Dieu. 27. Tu le prieras, et il t'exaucera, et tu lui rendras tes voeus. 28. Tu decreteras la chose, et elle te sera establie, et sa lumiere resplendira sur tes voyes. 29. Si les meschans sont mis bas, ie suris eslevé: et Dieu sauvera l'humble des yeux. 30. L'innocent delivrera la region: et sera gardee par la pureté de tes mains.

Suivant ce que nous avons desia declaré, il nous faut prendre ceci comme une exhortation qui nous est faite à tous, pour nous monstrer quelle est la vraye repentance. Vray est qu'Eliphas a mal appliqué ceci à la personne de Iob: mais cependant le sainct Esprit nous a voulu donner une doctrine commune, et laquelle nous pourra beaucoup profiter. Ci dessus nous avons veu que c'est de s'apprivoiser avec Dieu, apres qu'on a esté comme eslongné de lui: car quand les hommes s'adonnent à mal, ils mettent Dieu en oubli, et lui tournent le des, et deviennent comme sauvages. Tout ainsi que ceux qui se desbordent en telle façon s'alienent de Dieu: ainsi nous faut-il apprivoiser de lui, souffrans qu'il nous gouverne, que nous lui soyons dociles, que nous soyons des agneaux, et que si tost qu'il nous aura fait signe, que nous venions à lui, que nous ne soyons point (en somme) comme bestes sauvages. Or apres qu'Eliphas a parlé ainsi, il adiouste maintenant, Que celuy qui a esté desbauché, doit prendre la Loy de la bouche de Dieu, et mettre ses paroles en son coeur. Voici un poinct bien notable, pource que la

reigle de bien vivre est: que nous escoutions Dieu parler à nous, et que nous sachions que le chemin qu'il Nous monstre est celui que nous devons tenir. Puis qu'ainsi est donc que les hommes sont destournez du chemin de salut, si tost qu'ils declinent de la Loy de Dieu: voila pourquoi notamment il est dit en ce passage, que nous devons recevoir la Loi de sa bouche. Or pource que ce n'est pas le tout d'approuver ce qui nous est dit, Eliphas adiouste, qu'il nous la faut mettre en nostre coeur: car encores qu'un homme se rengeast à l'obeissance de Dieu quant a l'apparence, ce n'est pas le principal: nous savons que nous n'aurons pas beaucoup gagné, nous estans abstenus de mal-faire seulement quant aux yeux, aux mains, et aux pieds: il faut que le coeur marche devant, qu'il conduise tout le reste. Voulons-nous donc bien profiter en l'escole de Dieu? Il faut que sa parole prenne racine en nos coeurs: comme il est dit (Ierem. 5, 3), Qu'il regarde la verité, et qu'au contraire il a toute hypocrisie en detestation. Maintenant nous-voyons comme il nous faut retourner à Dieu quand nous en avons esté comme bannis: c'est assavoir, que nous lui soyons disciples, et qu'il soit nostre maistre. Or de là Nous pouvons recueillir, que tous ceux qui ne cheminent point selon la pure parole de Dieu, sont esgarez, combien que les hommes les approuvent: comme nous voyons souvent qu'on estimera qu'il n'y ait que toute saincteté en ceux qui suivent leurs folles devotions. Et ç'a este un abus ordinaire des le commencement du monde, lequel regne encores auiourd'hui par trop, que le monde se voudra gouverner à son appétit, et cependant on estimera que cela doit estre trouvé bon de Dieu. Au contraire, qu'est-ce qui en est ici prononce? C'est que tous ceux qui ne cheminent point selon la parole de Dieu sont esgarez. Il est

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vrai qu'ils se peuvent faire à croire que leur vie est bonne et saincte, on leur pourra applaudir: mais il n'y a qu'un seul Iuge competent qui puisse prononcer de ceci avec authorité, c'est Dieu. Or nous oyons ce qu'il en declare. Il ne faut plus donc repliquer, pour vouloir approuver nos folles devotions, et que chacun dise, qu'il lui semble que telle chose soit bonne. Il faut, di-ie, que toutes nos phantasies soyent mises bas, et que nous escoutions Dieu parler, et qu'il ait toute maistrise sur nous, de nous monstrer le chemin qu'il veut que nous suivions. Voila ce que nous avons à retenir en premier lieu.

Il est vray que ceste doctrine nous est souventes fois touchee, mais ce n'est point sans cause que le sainct Esprit en parle tant: car nous voyons comme les hommes sont attachez à leur propre sens, nous voulons tousiours estre sages en nostre cerveau, et ne pouvons faire cest honneur à Dieu qu'il ait toute maistrise sur nous, et que nous lui soyons suiets: et voila comme nous pratiquons ce proverbe d'estre serviteurs du diable, de faire plus qu'il ne nous est commandé. Qu'on espluche tout ce qu'on appelle service de Dieu en la Papauté: qu'est-ce qu'on y trouvera sinon pures inventions humaines ? Il n'y a point une seule syllabe en l'Escriture saincte, qui rende tesmoignage que ces choses ausquelles les Papistes travaillent tant, soyent agreables à Dieu: mais tout au rebours: et neantmoins nous voyons comme ils y sont acharnez. Et pourquoi? Cela vient de cest orgueil diabolique que les hommes ne se peuvent assuiettir à Dieu, qu'ils ne peuvent point recevoir la Loi de sa bouche. Il est vray que de primeface ils diront assez que c'est bien raison que Dieu domine par dessus nous: mais cependant si voit-on la rebellion dont ils usent. Comment est-ce que nous combatons auiourd'hui, sinon que nous demandons qu'on n'adiouste ne diminue rien à la pure Loi qui nous est donnee du ciel? Si les Papistes se pouvoyent laisser gouverner par la pure doctrine de Dieu, nous aurions tantost accordé par ensemble il n'y auroit plus nulle dispute: mais ils veulent que leurs loix et statuts soyent observez, et cependant qu'on ne tienne conte de ce que Dieu ordonne. Voila dequoi nous combatons. Or combien que nous sachions que ce sont autant d'abus et de superstitions, quand les hommes veulent ainsi cheminer leur appetit: si est-ce encores qu'on ne se peut tenir de se vouloir tousiours advancer outre mesure. Et nous voyons combien il est difficile de retenir les hommes en ceste bride, c'est assavoir qu'en tout et par tout ils plient le col, et qu'ils reçoivent le ioug que Dieu leur veut mettre dessus: et quand nous aurons reietté la tyrannie du Pape, nous ne pouvons nous renger paisiblement pour obeir à

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Dieu sans contradiction: mais si quelque chose nous semble estre dure et fascheuse, nous viendrons nous rebecquer à l'encontre. Et qui nous donne ceste audace, sinon d'autant qu'il y n volontiers ceste hautesse et presomption aux esprits humains, de ne point acquiescer à la simple Loi de Dieu? Nous voyons donc combien il nous est utile que cest article nous soit reduit souvent en memoire, c'est que nous escoutions Dieu parler. Or par cela il nous est monstré que nous sommes comme povres bestes, qu'il n'y a ne prudence ne conseil en nous, et que iamais nous ne cognoistrons le droit chemin, iusques à tant que Dieu nous ait tendu la main, et monstré par où nous devons cheminer. Voila un Item.

Au reste, il nous est aussi declaré que nous serons transportez par nos affections mauvaises, iusques à ce que nous ayons apprins, et nous soyons accoustumez d'obeir à Dieu sans quelque contradiction ni replicque. Or cependant que nous aurons quelque reserve, il ne se pourra faire que nous ne combations contre la doctrine de Dieu, et soyons picquez et envenimez si elle nous fasche trop, c'est assavoir outre nostre phantasie. Que faudra-il donc? Que nous ostions tonte repugnance de nous, et toutes les belles raisons que nous pouvons avoir de nos phantasies et cupiditez mauvaises, que nous soyons paisibles comme agneaux, et que Dieu nous manie comme il voudra: si tost qu'il nous aura fait signe, que nous venions à lui. Finalement il nous est ici monstre, que nous ne devons point estre comme roseaux branslants pour nous laisser mener çà et là: comme les Papistes diront bien qu'il faut suivre ce que Dieu commande, mais ils meslent leurs menus fatras parmi, et qui pis est ils auront en telle estime ce que les hommes auront imagine, que l'Escriture saincte sera mesprisee: quoi qu'il en soit ils feront un meslinge confus, tellement qu'on ne sait qui le doit emporter ou Dieu, ou les hommes. Or ici (comme i'ay touché) le sainct Esprit discerne entre Dieu et les creatures, signifiant que iamais nous ne serons bien reglez, qu'il n'y aura point une droite reformation en nostre vie, sinon que Dieu domine lui seul par dessus nous, et qu'il soit nostre docteur et maistre, et que nous sachions que toute la perfection de nostre vie gist a lui obeir simplement. Voila donc quant à ce mot.

Mais nous devons bien aussi retenir ce qu'Eliphas adiouste, de mettre la Loy de Dieu en nos coeurs: car (comme i'ay desia touché) il n'est point question de servir à Dieu en faisant belle mine: les hommes nous pourront assez iustifier, quand ils verront qu'il n'y aura que redire en nous. Pourquoi? D'autant qu'ils ne regardent point iusques aux affections cachees: car cela est propre à Dieu

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de sonder les coeurs. Or tant y a que quand on nous aura estimé comme des Anges, Sinon que nostre coeurs soit droit et pur, et qu'il y ait ceste rondeur et integrité dont l'Escriture parle tant, tout le reste ne sera que fumee. Et ainsi quand nous voudrons vivre sainctement, il ne faut point commencer par les pieds, ne par les mains, pour dire, le m'abstiendrai de mal-faire, en sorte que ie ne serai point reprehensible: mais qu'un chacun entre on soi, que nous cognoissions que tous nos appetits mauvais sont autant de rebellions contre Dieu, et qu'il ne pourra point dominer sur nous, iusques à ce que cela soit aneanti. Advisons donc de purger nos coeurs, afin que nous cheminions en integrité devant nostre Dieu: advisons, di-ie, pour produire bons fruicts en toute nostre vie, qu'il y ait bonne racine auparavant. Et c'est ce qui nous est monstré, quand il est dit (Galat. 5, 25), Si vous vivez de l'Esprit, cheminez aussi selon l'Esprit. Il y a la vie, et puis les oeuvres. Il faut en premier lieu que nous vivions de l'Esprit de Dieu, c'est à dire, que le sainct Esprit habite en nous pour abbattre tout ce qui est contraire à la parole de Dieu, et à sa iustice. Et puis que cela se demonstre en toute nostre conversation, que les hommes cognoissent quels arbres nous sommes quand nous aurons ainsi fructifié. Voila pourquoi aussi il est dit, que la parole de Dieu a cest office, d'estre comme un glaive trenchant des deux costez pour examiner iusques aux moelles, qu'il n'y a pensees ni affections aux hommes, que tout cela ne soit descouvert. Et aussi en l'autre passage il est dit (1. Cor. 14, 24. 25), Que ceux qui profitent en la parole de Dieu doivent estre redarguez en eux mesmes, c'est à dire, qu'il faut qu'ils comparoissent comme devant Dieu, et s'adiournent devant son siege celeste, et qu'ils descouvrent là leurs offenses qui estoyent auparavant cachees. Voila pourquoi notamment i'ai declaré, que pour bien profiter en l'escole de Dieu, il faut que nous prenions sa parole en nos coeurs.

Or il s'ensuit quant et quant: Si tu te convertis au Tout-puissant, tu seras edifié, et chasseras l'iniquité loin de ton tabernacle. Et puis, Tu mettras l'or sur la poudre, et l'or d'Ophir te sera en telle quantité comme les cailloux en une riviere. Ici; Eliphas pour mieux inciter Iob, lui monstre le bien qui lui reviendra quand il sera ainsi converti à Dieu. Or il nous faut laisser tousiours la personne de Iob pource que ceci y a esté mal appliqué: mais cependant la doctrine ne laisse pas de nous estre bonne et propre pour nostre salut: comme aussi nous voyons que Dieu use d'un tel style, quand il nous exhorte à penitence: c'est qu'il ne nous commande pas simplement ce que nous avons à faire, mais il adiouste la promesse pour nous donner meilleur

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courage. Et de fait si nous n'oyons sinon ce qui est de nostre devoir, et que nous ne seussions pas quelle est la bonne volonté de Dieu envers nous, cela seroit pour nous retenir et empescher, tellement que nous n'aurions nul zele, ni affection d'approcher de Dieu. Quand un homme sera en doute, et qu'il ne sait s'il profitera ou non en venant à Dieu, il s'anonchalit. Pour avoir donc courage de nous reduire au bon chemin, il faut que nous soyons certifiez que Dieu nous attend, et qu'il sera prest et appareillé à nous recevoir, qu'il a mesmes desia les bras estendus. Si nous n'avons ceste certitude en nous, nous ne pourrons pas remuer un doigt, tant s'en faut que nous venions à lui comme nous devons: qui pis est, les hommes tascheront tousiours de reculer quand ils douteront de la bonne volonté de Dieu, sa maiesté leur sera espouvantable: si nous concevons que Dieu veut traitter à la rigueur, et qu'il nous est Iuge, il faut que nous soyons tellement effrayez, que nous le fuyons tant qu'il nous sera possible. Ainsi nous voyons en somme, que ai nous n'avons gousté la douceur paternelle de Dieu, et que nous soyons asseurez qu'il est prest de nous recevoir à merci, iamais on ne pourra gaigner ce poinct, que nous venions à repentance.

Voila pourquoi notamment il est dit en ce passage, que si Iob se convertit, Dieu le benira en toutes sortes: qu'au lieu qu'il a esté despouillé de toute sa substance, il sera enrichi derechef plus que iamais, que l'or et l'argent abonderont chez lui, qu'il aura toutes choses à souhait, que Dieu le fera prosperer en sorte qu'il n'y aura que ioye et action de t races. Nous voyons donc en somme quelle est ici l'intention d'Eliphas: c'est que Iob soit incité de retourner à Dieu, quand il aura conceu ceste bonne esperance qu'il n'y viendra point en vain, et qu'il ne sera point frustré en cerchant Dieu: pour e qu'il est tousiours prest à nous pardonner nos fautes quand nous recourons à lui, et qu'il abolira tous nos pechez par sa bonté infinie. Il est vrai qu'Eliphas excede tousiours mesure en ce que nous avons veu, c'est qu'il lui semble que Dieu face egalement prosperer en ce monde tous ceux qu'il aime. Or cela est par trop: car nous voyons Gomme Dieu afflige les siens, et qu'il esprouve leur patience quand il les assuiettit à beaucoup de miseres, et pour cela il ne laisse pas de les aimer. Il ne faut point donc que les hommes se trompent, en imaginant que Dieu leur envoyera tous leurs

i souhaits lors qu'il leur sera propice: mais tant y a qu'il nous faut revenir à ce qui est dit en la Loi, c'est assavoir, Que comme toutes adversitez sont verges de Dieu pour punir nos pechez: aussi au contraire, que quand il nous aura receus à soi, venans avec repentance, nous serons traittez de lui

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tant doucement qu'il nous fera prosperer, entant qu'il sera expedient pour nostre salut. Quoi qu'il en soit, ceste doctrine est vraye et bien utile, Que quand nous retournerons à Dieu, l'iniquite sera chassee arriere de nous, et que par ce moyen nous prospererons. ( Car qui est cause que nous sommes ainsi affligez, l'un de povreté, l'autre de maladies, l'autre par beaucoup de tormens qu'on lui fera? Est-ce que Dieu prenne plaisir à nous rudoyer, lui qui est nostre Pere? Il est bien certain que non: mais c'est que nous ne sommes point capables de iouyr des biens qu'il nous a apprestez, et lesquels il est prest de nous eslargir: il voit que nous ne pourrions pas souffrir qu'il nous traittast selon son naturel, c'est à dire, qu'il nous envoyest tout ce que nous pourrions desirer: car si nous avions des biens en abondance, que nous eussions santé et repos, nous serions incontinent enyvrez en Dos delices, et regimberions à l'encontre de nostre Dieu, comme des chevaux qui sont par trop nourris et engraissez. Dieu donc voyant que nous ne pouvons point user des biens qu'il nous fait, les retranche: non pas qu'il en soit chiche (comme nous avons dit) mais il cognoist nostre portee, et faut qu'il nous eslargisse de ses biens en petite portion, et qu'il nous face avoir faim et soif, veu que nous sommes ainsi enclins à gourmander: et pource aussi que ceste yvrongnerie spirituelle vient apres, qui est la plus mauvaise queue, quand nous ne tenons plus conte de lui, et nous esgayons tellement qu'il ne peut iouyr de nous. Voila donc pourquoi nous sommes affligez en tant de sortes. Et puis, regardons les offenses qu'un chacun de nous commet: et ai Dieu nous laisse là, et qu'il ne nous redresse point, il n'y aura celui qui ne s'endorme en ses pechez, et s'y endurcisse: et puis l'audace croist de plus en plus. Dieu donc voyant que s'il nous supporte par trop, il nous laissera aller en perdition, remedie à ce mal-là: et tant plus sommes-nous tenus et obligez à lui. Bref, nous contraignons Dieu à nous traitter avec telle rigueur qu'il fait: car si nous donnions lieu à sa bonté, il est certain qu'il nous feroit prosperer en toutes sortes, et que ce monde nous seroit comme un paradis terrestre, qu'il n'y auroit que repos et ioye: nous aurions de quoi avoir tousiours la teste levee devant lui, comme il en est ici fait mention. Pour ceste cause donc il est dit, que si nous retournons à Dieu, il changera toutes nos adversitez et miseres en bien: que nostre vie sera si heureuse, que nous aurons dequoi nous resiouyr pleinement, et lui rendre action de graces de ce qu'il aura este un si bon Pere envers nous, et que nous l'aurons cognu tel. Voila quelle est la somme de ce passage.

Or nous avons à recueillir de ces mots une doctrine bonne et utile: c'est de nous humilier

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toutes fois et quantes que nous sommes affligez: que nous ne facions point comme nous avons de coustume, a savoir de nous rebecquer à l'encontre de Dieu en nous despitant, et nous fascher et chagrigner comme s'il nous faisoit grand' iniure. Si quelqu'un est pressé en ses affaires domestiques, et qu'il n'ait pas ce qu'il lui viendroit à propos il se fasche et murmure en son coeur à l'encontre de Dieu: si l'autre est battu de maladie, si l'antre est encores plus pressé de povreté, on orra des murmures par tout. Voila donc comme nostre chair nous sollicite tousiours, et nous aiguillonne à nous rebecquer à l'encontre de Dieu. Et pourquoi? C'est d'autant que nous ne cognoissons point qu'en nous chastiant il nous veut amener à la cognoissance de nos pechez, afin que nous gemissions en nous-mesmes, et qu'estans confus des maux que nous avons commis et commettons iournellement nous retournions à lui pour lui en demander pardon. Au reste il nous faut appliquer à nostre usage ce qui a esté touché, c'est assavoir que nostre Seigneur voyant que nous sommes par trop tardifs de nature à retourner à lui, quand nous en avons esté eslongnez, nous y convie doucement, et nous donne bonne esperance que nous serons receus de lui, et que nous ne le cercherons point en vain. Que demandons-nous plus ? Quand nous avons offensé nostre Dieu, nous meritons qu'il nous reiette: et me mes quand nous lui demanderions cent mille fois pardon, nous devrions estre repoussez de lui. Quand au contraire il vient à nous, et nous testifie qu'il ne demande sinon que de se reconcilier avec nous, quand nous cercherons appointement envers lui, et que desia il y est tout disposé: quand donc nous oyons cela, ne faut-il pas que nous soyons bien durs et revesches, si nous ne venons à lui, et si de tous nos sens et affections nous n'y tendons et aspirons?

Et au reste, notons bien que voici le seul remede pour nous reduire à Dieu, c'est que nous reduisions bien en memoire les promesses qu'il nous donne: car sans cela nous le fuirons tousiours (comme i'ai dit) et encores que nous facions semblant de nous desplaire en nos pechez, ou que nous ayons quelque remors on scrupule d'avoir mal vescu: si est-ce que iamais nous n'aurons courage de changer nostre vie, iamais nous ne pourrons avoir ce zele de nous addonner à Dieu, que nous ne cognoissions qu'il nous vueille estre propice. Et ce nous est une chose bien utile: toutes fois elle est bien mal pratiquee auiourd'hui, comme pour exemple, en la Papauté on parlera bien de penitence, cependant on ne sait que c'est: car le diable les a tellement ensorcelez, que leur penitence n'est sinon de iusner quelques iours, de barbetter quelques pal nostres, de faire des Agios. Et il

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estoit question que l'homme renonçast à soi-mesme et qu'il fust devestu de sa vieille peau, et tellement renouvellé, que ce ne fust point seulement quant à l'apparence, mais quant aux affections interieures: mais on ne sait rien de tout cela en la Papauté. Mais encores prenons le cas qu'ils seussent que c'est de repentance, et comme il se faut convertir à Dieu: si est-ce que le principal leur defaut, d'autant qu'ils n'asseurent point les povres pecheurs que Dieu leur sera pitoyable, qu'ils ne savent que c'est de grace ne de misericorde. Ils diront assez qu'il faut faire penitence: mais comment? A l'aventure, veu qu'ils savent si c'est temps perdu, ou s'ils gaignent quelque chose quand ils cerchent de se reduire à Dieu. Or qu'en adviendra-il? Assavoir, ce que nous avons monstré, et ce que l'Escriture nous declare suffisamment: que les hommes pourront bien tourner à l'entour du pot: mais tant y a que iamais n'approcheront de Dieu de leur bon gré, et d'une affection pure et ronde, qu'ils ne soyent persuadez de son amour paternelle: comme il est dit au Pseaume (130, 4), Seigneur, iamais tu ne seras craint, et iamais on ne t'obeira, sinon quand on aura cognu ta bonté.

Nous voyons donc combien ceste leçon qui nous est ici monstree nous est utile. Or pour mieux exprimer cela, il dit notamment: Que l'homme se resiouyra en Dieu: apres, qu'il l'invoquera, qu'il sera exauce, et lui rendra ses voeus. Ce mot doit bien estre pesé, quand il est dit: Que ceux qui seront retournez au bon chemin, se resiouyront en Dieu: car c'est pour discerner la felicité qu'imaginent les enfans de ce monde et les incredules, d'avec celle que Dieu nous donne comme à ses enfans. Si les incredules ont des biens en abondance, qu'ils soyent en repos, et que Dieu leur donne santé: ils s'estimeront bien-heureux là dessus. Pourquoi? Car leurs sens ne montent point plus haut. Les hommes donc qui sont charnels et terrestres ne regardent qu'à ces choses presentes. Voila comme nous sommes retenus entre les filets de Satan: car si les choses nous viennent à propos quant au monde, ce nous est assez, nous ne desirons rien plus, nostre vie est heureuse, ce nous semble. Voire, mais où est-ce que nous pensons ? Au contraire, voici Dieu qui prononce que nous serons bien-heureux quand nous cognoistrons qu'il nous est propice en recevant comme de lui et de sa main les biens que nous avons, et que nous lui en rendrons action de graces, sentant que ce sont autant de tesmoignages de sa bonté et de son amour. Ainsi donc les gens prophanes en s'esgayant et glorifiant aux biens de la terre: ne regardent point plus loin: ce leur est tout un comme ils en soyent avec Dieu, moyennant qu'ils ayent ici tout ce que leur souhait porte. Or au

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contraire les fideles, encores qu'ils eussent tout ce qu'il est possible d'y imaginer, ne se contentent pas de cela. Pourquoy ? Ils regardent au principal, c'est assavoir, si Dieu les aime, et qu'il soit leur Pere. Et de fait les biens de ce monde n'ont nul goust ne saveur envers eux, sinon qu'ils soyent confits en ceste bonté de Dieu. Et aussi c'est la vraye saulse (comme on dit en proverbe) pour nous faire trouver bon goust aux biens que Dieu nous envoye, que là nous recognoissions sa bonté et son amour, qui nous sont autant de tesmoignages de nostre salut. Quand les incredules auront leur table bien garnie, ils boivent, ils mangent, et gourmandent, ce leur est tout un: et quand ils sont bien saouls, c'est à s'esbattre. Et ont-ils passe le temps? Il faut retourner à faire grand' chere, ou bien il faut dormir. Bref, les gens prophanes ne se peuvent donner du bon temps, sinon en mettant Dieu en oubli, et pour le dire en un mot, en s'abbrutissant. Car il faut qu'ils soyent comme assopis, qu'ils ne regardent nullement à Dieu, quand ils se veulent tenir à repos et à leur aise. Or au contraire, un homme fidele, encores qu'il ait à boire et à manger, si est-ce qu'il ne prendra nul appetit à cela, sinon d'autant qu'il cognoist, Voici mon Dieu qui m'est un Pere nourricier: et s'il a le soin de ce corps fragile et caduque, par plus forte raison il aura soin de mon ame, comme aussi elle lui est bien plus precieuse. Car si en ce monde, où nous sommes comme estrangers, il daigne bien estendre son bras iusques à nous: qu'est-ce qu'il fera quand nous serons recueillis en son Royaume? Si un fidelle n'a cela, il ne peut ne boire ne manger, il est en souci, et angoisse. Bien-heureux est l'homme (dit Salomon Prov. 28, 14) qui solicite son coeur, et qui le desploye comme devant Dieu. Or maintenant est-il possible que l'homme s'esiouysse' et s'asseure en Dieu, qu'il y ait tout son repos, sinon qu'il puisse conclure, Mon Dieu m'aime? Il est certain que non. Car ce que les mondains s'esiouissent, est plustost une brutalité que vraye ioye. Et de fait nous voyons cela mesmes par la pratique toute patente, car la plus part, quand il est question de boire et de manger, comment est-ce qu'ils y vont? comme bestes brutes. Si un porceau est en son auge, qu'on lui porte sa lippee, il remplit son ventre tant que la viande lui dure: autant en fait un boeuf, ou un asne. Et voila comme auiourd'hui la pluspart du monde en fait: car on gourmandera les biens de Dieu sans prieres, sans action de graces, et sans recognoissance aucune. Les fideles au contraire pensent à Dieu, sachans bien que les viandes leur tourneroyent à condamnation, si ce n'estoit qu'ils fussent certains les avoir de la pure grace de Dieu. Car autrement ce seroit autant de larcins que de tous les biens dont ils iouissent, s'is

SERMON LXXXVII

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ne lui en faisoyent recognoissance par prieres et oraisons. Il est vrai que ce n'est point assez de la ceremonie: car il y en aura beaucoup auiourd'hui qui prieront Dieu de bouche, et rendront graces, sans que leur coeur cependant soit touché. Mais ie parle maintenant de ceux qui vrayement regardent à Dieu: car en contemplant les viandes ils cognoissent, Voici Dieu qui nous fait participans de ses biens. A quelle condition ? Si nous sommes ses enfans, et bien, nous iouyssons de nostre heritage, ce nous est desia comme un arre qu'il nous donne qu'il a creé tout à cause de nous: mais si nous né sommes ses enfans, il faut que ceci nous soit reputé à larrecin, voire à sacrilege. Or quand les fideles entrent en telle tentation, là dessus il faut qu'ils soyent saisis de tristesse, et que leurs coeurs soyent angoissez, qu'ils ne puissent point avaller une miette de pain en ioye et contentement. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage quand il est dit, Que l'homme qui sera vrayement converti s'esiouira en son Dieu: comme aussi il en est parlé en la Loy, Tu beuvras et mangeras comme en la presence de ton Dieu, et t'esiouiras devant luy. Là nostre Seigneur aussi bien separe ses enfans et ses fideles d'avec les incredules, monstrant que ceux-ci ayans à boire et à manger en abondance ne laisseront pas d'estre maudits, et que toutes leurs delices et voluptez leur seront converties en confusion. Que nous ne soyons point donc tentez de leur ressembler: mais si nous voulons avoir une vie heureuse, et une droite iouyssance des biens qui nous sont ici eslargis, il faut que Dieu soit devant nos yeux, et que nous lui facions hommage du tout, et que nous sachions que c'est lui qui se monstre nostre Pere nourricier, et qui nous fait sentir sa bonté, afin que nous soyons attirez plus haut, et que nous soyons tousiours tant plus certifiez de ceste amour paternelle qu'il nous porte: bref, que les biens corruptibles qu'il nous eslargit en ce monde nous soyent comme aides pour nous eslever au ciel, et que là nous apprehendions la vie eternelle à laquelle ce bon Dieu nous convie.

Au reste, le moyen est exprimé quant et quant de nous bien resiouyr en Dieu: c'est que nous l'invoquions, et qu'estans exauce de lui, nous lui rendions nos voeus. Voila une bonne declaration et bien utile de ceste ioye: car puis qu'il n'y a que malediction de Dieu en tous les biens que nous recevons de sa main, si ce n'est que là nous goustions sa bonté pour nous resiouyr en lui, et y prendre tout nostre repos et contentement, il nous faut bien adviser comme nous pourrons parvenir là, et quel est le vrai moyen. Or il est ici exprimé, qu'il nous le faut invoquer en premier lieu: et puis lui rendre nos voeus quand nous aurons este exaucez

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de lui. Il y a deux choses qui sont ici de nostre office: et la troisiesme est la promesse que Dieu nous donne, que nous ne l'invoquerons point en vain, et que nos prieres ne seront point frustratoires ni inutiles. Nous avons donc à commencer par ce bout, c'est assavoir, à prier Dieu, voire devant que nous iettions nos mains çà et là, quand il est question de boire et de manger. Car quand nous n'aurons point commencé par ce bout, c'est assavoir, d'invoquer nostre Dieu, voila pervertir tout ordre. Ainsi donc apprenons que le principal exercice et estude que doivent avoir les fideles en ce monde, c'est de recourir à leur Dieu, et en cognoissant qu'il est la fontaine de tout bien, le cercher en lui, protestans que ne quant an corps, ne quant à l'ame ils n'attendent pas une seule goutte de bien, sinon ce qui leur sera donné par sa pure misericorde et gratuite. Si nous avions bien retenu ceste doctrine, nous serions plus enflambez à prier Dieu que nous ne sommes pas. Or nous voyons que la necessité nous y presse, voire en telle sorte que nous y sommes confus. Chacun confessera bien que les povretez et afflictions qui nous environnent sont infinies: et cependant comment sommes-nous lasches et tardifs à prier Dieu? Quand il y a cent mille raisons en un iour qui nous pressent à prier Dieu à grand' peine pensons-nous de lui trois ou quatre fois, et, encores tant froidement que rien plus. Nous aurons donc beaucoup profité ayans retenu ceste leçon pour la pratiquer comme il faut, protestans que tous les biens que nous recevons sont en lui et en sa main, et qu'il faut qu'il nous les donne. Or la promesse est adioustee quant et quant qu'il nous exaucera: afin que nous n'y allions point en doute, comme nous avons accoustumé de faire. Et sans ceste promesse ici toutes prieres ne sont que pure hypocrisie. Car qu'est-ce que prier Dieu? C'est un tesmoignage que nous rendons de nostre foy. Or si nous de tous, et que nous soyons là en branle et en perplexité, ne sachans si Dieu nous voudra exaucer on non, il est certain que nous n'avons nulle foy.

Ainsi donc nous prenons le Nom de Dieu en vain, quand la priere qui doit estre un tesmoignage de nostre foy, declare qu'il n'y a en nous qu'incertitude: et ne faut pas que nous pensions estre exaucez quand nous irons en telle sorte. Et de fait c'est un des principaux articles de nostre Chrestienté que cestui-ci: c'est assavoir quand Dieu nous certifie qu'il est prest de recevoir nos requestes toutes fois et quantes que nous venons à lui, estans persuadez qu'il nous attend, et qu'il ne demande sinon que nous le cerchions, que la porte nous est ouverte, voire moyennant que nous y venions au nom de nostre Seigneur Iesus Christ. Et en cela voit-on comme toute la Chrestienté a esté abolie sous le

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Pape, et est encores à present. Car on parlera là assez de prier Dieu: mais cependant quelle certitude a-on d'estre exaucez? Au contraire ils n'ont point honte de dire qu'il nous y faut aller en doute: ie di mesmes les grans docteurs, et non pas seulement les idiots. Ils diront que c'est presomption, si nous sommes asseurez en priant Dieu qu'il nous exaucera, que nous obtiendrons nos requestes, or c'est un sacrilege horrible, que quand il est question de prier Dieu un chacun regarde çà et là. Voila d'où sont venues ces superstitions, qu'il faut avoir des patrons et advocats pour interceder envers Dieu: et quand chacun aura eu un patron familier, encores en faut-il avoir une garenne: car ce n'est iamais fait. Et puis ont-ils bien ravaudé? ont-ils bien rapetassé, tellement qu'ils ne savent de quel costé se tourner, ni à quoy se tenir? Les voila aussi grans clercs en la fin comme ils estoyent au commencement (ainsi qu'on dit) car ils ne savent s'ils ont rien gagné en priant Dieu. Il y a aussi qu'ils ne prient iamais Dieu que le dernier, il faut que les patrons et advocats ayent les premiers mots et comme les premices. Or l'oraison est le principal service que Dieu demande de nous: et que sera-ce quand nous le transporterons aux creatures, et que Dieu n'ait que le refus et le relief? Voila comme on en fait en la Papauté: et non pas les idiots (comme i'ai dit) mais les plus grands clercs, et ce suivant ceste doctrine diabolique qui est là tenue. Et ainsi nous voyons que toute la Chrestienté a esté là destruite et abolie. Et d'autant plus devons nous magnifier la bonté de Dieu, quand il nous a retirez de tels abysmes: et tant mieux observer la doctrine qui est ici declaree, c'est assavoir d'estre asseurez que nous ne cercherons point nostre Dieu en vain quand nous l'invoquerons en verité: veu qu'il nous declare que nous serons exaucez de lui, mesmes qu'il n'attendra pas que nous ayons la bouche ouverte, que desia il n'ait la main estendue pour nous secourir au besoin, comme il en parle par son Prophete Isaie. Et voila pourquoy tant souvent en l'Escriture saincte ces promesses sont tant reiterees, et ce n'est point sans cause. Car

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les hommes, quelque chose que Dieu leur promette, ne peuvent estre persuadez qu'ils seront exaucez de lui. Bref, nous ne pouvons adiouster foy à Dieu: mais de nos mensonges, nous y croyons par trop.

Voila pourquoi Dieu nous ratifie les promesses qu'il nous a donnees de nous exaucer. Mais il nous faut noter à quelle fin c'est que Dieu nous est si liber , et si facile à nous secourir en toutes nos necessitez: c'est afin que nous lui rendions nos voeus, c'est à dire, que par action de graces nous protestions que nous sommes en tout et par tout obligez à lui: car ce mot de Voeu emporte comme un tesmoignage solennel que les hommes donnent, monstrans qu'ils n'ont rien sinon ce qui leur est donné d'en haut, et qu'ils ne sauroyent rendre la pareille a Dieu, qu'ils n'ont rien pour lui presenter sinon qu'ils lui rendent louanges et actions de graces: comme il est dit au Pseaume, Que rendraiie au Seigneur pour tous les biens que i'ai receus de lui? le prendrai le calice de salut et invoquerai son nom. Nous voyons donc que nostre Seigneur ne demande de nous, sinon que nous lui facions hommage de tous ses biens, et qu'en cognoissant sa liberalité, d'autant plus nous exaltions sa misericorde, de laquelle il a usé envers nous. Voila le moyen de nous resiouyr en nostre Dieu: c'est que cognoissans combien nous sommes tenus à lui, nous lui rendions graces de tous ses benefices: et que par cela nous soyons incitez à l'advenir de le recognoistre nostre Pere, et lui faire l'honneur et l'hommage qui lui appartient, estans asseurez qu'il ne nous deffaudra iamais: que puis que nous l'avons senti si bon et pitoyable, il continuera: et que non seulement il nous fera cognoistre en ce monde que ce n'a point esté en vain que nous avons mis nostre confiance en lui, mais qu'il nous donnera une vraye et parfaite iouyssance de sa bonté, quand il nous aura recueillis en ce royaume celeste qui nous a esté acquis par nostre Seigneur

Iesus Christ.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON LXXXVIII

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L'OCTANTEHUITIESME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XXIII. CHAPITRE.

Ce sermon contient encore quelque chose de ce qui concerne les trois derniers versets

du chap. precedent: et puis le texte qui s'ensuit.

1. Iob respondant, dit: 2. Mesmes qu'auiourd'huy mon propos soit en amertume, ma pluye surmonte mon gemissement. 3. Que ne say-ie ou il se peut trouver, et que ie vienne à son siege? 4. Là ie plaideroye ma cause devant lui, et rempliroye ma bouche d'argumens. 5. le cognoistroye ce qu'il me respondroit, et entendroye ce qu'il me diroit. 6. Debattra-il avec moy par force? Non: mais il mettroit vertu en moy. 7. Là le iuste debattra avec lui, et ie seroye absous à tousiours.

Nous avons à faire comparaison entre le dernier propos d'Eliphas, et la response que nous avons maintenant ouye de Iob. Or Eliphas maintient de son costé, que Dieu cognoistra tousiours ceux qui sont iustes, et que non seulement il leur fera grace, mais à tout un pays en faveur d'eux. Iob respond à cela, que s'il est traitté en extreme rigueur de la main de Dieu, ce n'est pas qu'il l'ait desservi. Et qu'ainsi soit, que s'il lui estoit licite et permis de plaider sa cause, il monstreroit bien que ce n'est point pour ses pechez que Dieu le punit ainsi. Voila donc les deux propos contraires qui sont ici demenez. Or touchant le premier qui est d'Eliphas, il est vray que nostre Seigneur a promis de se monstrer propice envers ceux qui le serviront en pureté de coeur, et que non seulement cela sera pour leurs personnes, mais pour leurs familles, et mesmes pour un pays: toutes fois ce n'est pas que Dieu se vueille obliger à une regle certaine, car nous voyons comme il exerce en patience les siens, et ceux qui auront tasché de lui obeir en tout et par tout. Il n'y a pas donc une mesure egale, comme nous avons declaré par ci devant. Et de fait s'il est dit ici, Qu'un pays sera delivré par la pureté des mains d'un homme: nous oyons à l'opposite ce que dit le Prophete Ezechiel (14, 14): Si Iob, et Daniel, et Noé estoyent en ceste ville-ci, ils delivreront leurs ames, mais il faudra que leurs enfans mesmes perissent. Il semble bien là que le Prophete ait regardé à ce passage ici, pour monstrer que Dieu n'est point tenu de sauver un pays au regard d'un homme seul. S'il le fait (comme il pourra advenir) il est bien en sa liberté: mais cependant de lui imposer loy c'est une chose trop desraisonnable. Vray est qu'il fut dit à Abraham,

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que s'il se fust trouvé en Sodome iusques à cinq hommes iustes, Dieu eust eu pitié de toute la ville à cause d'eux: et que combien qu'elle fust remplie de pechez execrables, si est-ce que Dieu encores n'eus point usé de ceste vengeance qui est escrite en Moyse, si là se fussent trouvez seulement cinq hommes iustes. Là dessus Eliphas veut conclurre, que toutes fois et quantes qu'il y aura un homme iuste en un pays, qu'il sera cause que le pays sera sauvé: mais cela ne doit pas estre estendu si loin, comme nous avons declaré. Et ainsi retenons en somme, que toutes les promesses temporelles qui sont contenues en l'Escriture saincte, c'est à dire, celles qui concernent l'estat de la vie presente, ne sont pas si generales, qu'il nous y faille arrester tousiours: car nostre Seigneur reserve à ses fideles en l'autre vie la plenitude de sa grace, il lui suffit bien qu'ici ils en ayent quelque goust: comme aussi il ne leur seroit pas utile d'estre pleinement rassasiez en ce monde de ses biens. Si nous avions nostre felicité à souhait (comme il a esté traitté ci dessus plus à plein) et que seroit-ce? Chacun se voudroit ici endormir, et l'esperance que nous avons de la vie celeste seroit comme assopie, mesmes elle s'aboliroit du tout. Il est donc besoin que Dieu nous resveille par afflictions, afin que nous pensions à cest heritage immortel qui nous est promis, et que nos esprits s'eslevent là: et faut que nous soyons exercez à ceste fin en beaucoup de miseres. Voila pourquoy i'ay dit, qu'il ne faut pas nous appuyer indifferemment sur la certitude des promesses de la vie presente: car Dieu nous en distribue selon qu'il cognoist nous estre expedient, et tousiours il regarde à nostre infirmité: tant y a que Dieu fera prosperer ceux qui desirent à le servir, et leur fera sentir tellement sa grace, que desia ils auront comme un gage des biens inestimables qui leur sont apprestez au ciel: mais si ne faut-il point qu'ils s'amusent ici seulement. Et au reste quand il plaira à Dieu d'affliger ceux qui auront cheminé droitement, il ne faut point que pour cela ils soyent estonnez, ne qu'ils perdent courage, ne qu'ils concluent que Dieu les a reiettez: mais plustost qu'ils cognoissent qu'il les veut attirer à soy par ce moyen, et qu'il veut amortir leurs concupiscences charnelles, qu'il veut

IOB CHAP. XXIII.

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retrancher les superfluitez qui sont en eux quant au monde, afin qu'ils soyent tant plus disposez de passer outre, et qu'ils ne s'arrestent point aux choses presentes. Voila comme au milieu des afflictions il nous faut tousiours consoler, et faire nostre profit de ce que Dieu nous fait sentir ses graces, cognoissant que c'est bien assez que nous en ayons ici quelques promesses, et que la perfection ne se doit pas maintenant monstrer: comme aussi il ne seroit pas bon pour nostre salut. Là dessus nous voyons que Iob a eu iuste raison de reprendre ainsi Eliphas: mais cependant il excede mesure, comme il avoit fait ci dessus.

Et cela sera mieux entendu par les mots dont il use. Il dit, Que la pluye qu'il endure surmonte son gemissement, combien que son propos soit en amertume. En quoy il signifie qu'il a des complaintes bien dures: mais que si on regarde à son mal, et qu'on le pese bien, on trouvera qu'il est encores plus grief que toutes les queremonies qu'il fait. En somme, Iob s'est voulu excuser de ce qu'il se plaint tant, et qu'il ne se peut retenir, qu'il ne peut adoucir sa tristesse. Il monstre que ce n'est point sans cause qu'il est ainsi excessif: car le mal qu'il endure surmonte encores toutes les complaintes qu'il fait.

Or pour cela encores seroit-il à supporter: mais il entre quant et quant au propos que nous avons veu en un autre lieu: c'est qu'il voudrait plaider contre Dieu, et monstre que s'il pouvoit venir là, et qu'il eust licence de maintenir sa cause, il en viendroit bien à bout, et que là dessus il seroit absous. Car alors, dit-il, Dieu n'useroit point contre moy de puissance, mais il auroit sa iustice reglee: et quand i'auroye une telle audience, quant et quant la cause seroit gagnee pour moy. Ce propos seroit difficile à entendre, si nous ne reduisions en memoire ce qui a esté declaré par ci devant, c'est assavoir, que Dieu combien qu'il soit tousiours iuste, a neantmoins deux especes de iustice. L'une, c'est celle qu'il nous a declaree par sa Loy: ie di iustice pour traitter les hommes, et pour les iuger. Si donc Dieu nous adiourne devant son siege, et que là il nous traitte selon la regle de sa Loy, voila une espece de iustice. Or nul ne peut contredire quand nous serons condamnez selon la Loy de Dieu, que ce ne soit à iuste cause. Car qu'est-ce que Dieu requiert de nous, que nous ne lui devions? Et si nous sommes defaillans, que pouvons nous replicquer quand il nous chastiera selon nos demerites? Voila donc une iustice de Dieu, laquelle sera confessee sans aucun contredit. Il est vray que les meschans ne laisseront pas de gronder tousiours: mais tant y a qu'eu tous leurs murmures si ont-ils la bouche close, veu que leur conscience propre les condamne, tellement qu'il ne leur faut

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point porter un procez formé d'ailleurs, ne faire longues inquisitions: car ils ont ce cautere qui les brusle là dedans.

Or il y a une autre espece de iustice qui nous est plus es range: c'est quand Dieu nous voudra traitter Don point selon sa Loy, mais selon qu'il peut iustement faire. Et la raison? Quand nostre Seigneur nous baille nostre leçon en sa Loy, et qu'il nous commande de faire ce qui est là contenu: combien que cela surmonté toutes nos vertus, et que nul homme mortel ne pourroit venir b' bout d'accomplir ce que Dieu Nous commande: toutes fois si est-ce que nous lui devons encores plus, et sommes obligez, et la Loy n'est pas une chose si parfaite n'exquise, que ceste iustice infinie de Dieu, suivant ce que nous avons desia veu, que selon icelle il trouveroit iniquité en ses Anges, et le soleil ne seroit point clair devant lui. Voila donc comme il y a une iustice plus parfaite que celle de la Loy: et si Dieu en vouloit user, encores qu'un homme eust accompli tout ce que la Loy contient, si est-ce qu'il ne laisseroit pas d'estre condamné. Vray est que nostre Seigneur n'en use point: car il s'accommode iusques là à nous, qu'il reçoit et accepte ces e iustice telle qu'il l'a commandee, comme si elle estoit du tout parfaite, encores qu'elle soit aucunement compassee à la condition humaine: ie di de l'homme non corrompu par le peché. Or ce propos a besoin d'estre encores deduit plus au long, voire quant à la premiere iustice. Il est vray que nul ne se trouvera qui ait accompli la Loy de Dieu, ie di mesmes des fideles: car si nous demeurons en nostre naturel, tant s'en faut que nous l'accomplissions, que nous ne pouvons pas avoir une seule bonne pensee. Qu'est ce que l'homme en soy? un ennemi mortel de Dieu, et de tout bien.

Ainsi donc nous n'avons garde de nous acquiter envers Dieu quand il nous laissera tels que nous sommes: au contraire, nous ne ferons que provoquer son ire. Et puis quand il nous fait la grace par son sainct Esprit d'aimer le bien, et que mesmes il met une telle vertu en nous, que nostre vie soit comme un miroir et exemple de saincteté: si defaillons-nous en tant de sortes, que nous sommes coulpables en mille articles quand il y en aura un que nous pourrons proposer à Dieu. Qui plus est iamais nous ne faisons rien de bien, où il n'y ait quelque tache, en sorte que nous serions coulpables en tout et par tout devant Dieu s'il nous vouloit traitter à la rigueur. Mais il y a que Dieu quand il nous fait la grace de nous gouverner par son sainct Esprit, accepte le bien qu'il a mis en nous, combien qu'il soit imparfait. Il est vray que puis que nous defaillons, nous n'avons point ce qui seroit requis: mais Dieu ne nous impute point nos

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infirmitez et nos vices, il ferme les yeux à tout cela: comme un pere ne voudra point par trop enquerir de son enfant: il voit bien les vices qui y sont, mais il les supporte. Ainsi Dieu besongne-il envers nous: car il use de ceste pitié en nous pardonnant toutes les infirmitez esquelles nous defaillons. Or venons maintenant à ce qui est ici dit. Iob cognoissoit bien qu'il estoit un povre pecheur il n'estoit pas si aveuglé d'orgueil, qu'il se fist à croire qu'il estoit du tout iuste, et que Dieu n'eust que mordre sur lui: mais il entend que si Dieu le vouloit traitter à la façon commune c'est à dire comme il a declaré en sa Loy, qu'il benira ceux qui l'auront servi, et les traittera si doucement, qu'ils pourront bien sentir qu'il est un bon Pere: en ceste façon et suivant ceste regle, il respondroit bien devant lui. Ainsi il veut dire que Dieu use à son endroit d'une iustice qui est secrette et cachee aux hommes, qu'il ne le traitte plus selon la forme de sa Loy, mais qu'il a quelque consideration que les hommes ne peuvent pas apprehender, et qui surmonte toutes leurs pensees, et tous leurs sens.

Voila quelle est son intention. Ceci sera mieux entendu quand nous l'aurons appliqué par forme d'exemple en la personne de Iob, et en la personne d'un autre qui sera mis comme à costé. Voila un homme que Dieu aura choisi à soy: et bien, cest homme aura mis peine de cheminer sainctement et en bonne conscience: Dieu le benira, et pourra-on là voir quelque marque que Dieu ne met point les siens en oubli, ainsi qu'il les gouverne, et en a le soin. Et pourquoy? Est-ce que cest homme-la le merite ? Nenni: car si nous cerchons merite ou dignité en la creature, il faudroit qu'elle apportast de son propre à Dieu, or s'il y a du bien en l'homme, desia cela procede de la grace du sainct Esprit L'homme donc n'apporte rien du sien à Dieu: mais encores le bien qui est en nous ne seroit pas digne ! d'estre agreable à Dieu, ainsi pourroit estre reietté, pource qu'il y a tousiours quelque tache. Ainsi donc quand nostre Seigneur fait prosperer ses fideles: apres leur avoir donné l'affection de cheminer selon sa volonté, il use de ceste iustice ordinaire, c'est assavoir celle qu'il nous propose en sa Loy. Mais voicy Iob qui est fidele, qui a servi à Dieu d'affection pure et droite, et toutes fois il est tormenté iusques au bout, il semble que Dieu l'ait mis sur un eschaffaud pour desployer là une vengeance horrible: bref, selon l'opinion des hommes il est traitté plus rudement que Cain ne Iudas. Et que veut dire une telle façon et si estrange? Or là dessus Iob dit que nostre Seigneur use de sa iustice secrette: c'est à dire qu'il n'use point de ceste regle ordinaire qui est contenue en sa Loy, mais il veut esprouver la patience de Iob,

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il veut qu'il soit en exemple a tout le monde: bref, il veut monstrer quelle autorité il a sur ses creatures. Mais en cela il ne laisse point d'estre iuste: ie di, encores qu'il le fist du tout en telle sorte, car desia nous avons declare, que Dieu n'use point de ceste iustice extraordinaire envers les hommes: mais Iob le pense ainsi. Voila donc comme Dieu sera iuste, encores qu'il ne procedast pas selon la regle de sa Loy.

Or maintenant espluchons bien si Iob parle droitement en parlant ainsi. Il est certain que non, il y a de l'excez. Et qu'ainsi soit prenons la sentence qui est icy couchee, 11 ne debatra point avec moy par force, dit-il, mas là i'auroye raison. Comment entend-il que Dieu ne debatra point avec luy par force? (:'e seroit vouloir entrer en iustice, quand il luy voudroit donner audience. Iob donc presuppose que Dieu use envers luy d'une puissance absolue qu'on appelle: pour dire, le suis Dieu, ie feray ce que bon me semblera, encores qu'il n'y ait point de forme de iustice, mais comme une domination excessive. Or en cela Iob blaspheme Dieu: car combien que la puissance de Dieu soit infinie, si est-ce que de la faire ainsi absolue, c'est imaginer en luy une tyrannie, et cela est du tout contraire à sa maiesté, car nostre Seigneur ne veut point estre puissant qu'il ne soit iuste: et ce sont choses inseparables, que sa iustice et sa puissance. Ainsi le propos de Iob est mauvais non pas que son intention soit (comme nous avons traitte) de blasphemer Dieu: mais tant y a que ces mots luy eschappent, lesquels sont extravagans: et cela vient de ce que ses passions ne se peuvent reprimer. Or venons maintenant à taitter la chose en verité, comme elle est. Iusques icy nous avons seulement esbauché les propos. Quand nous avons dit, qu'il y a deux especes de iustice en Dieu: cela est vray: mais l'application a esté selon la phantasie de Iob, et ceste application-là est mauvaise. Mais venons maintenant à la pure verité, pour savoir comment il en va. Il nous faut retenir ce qui a esté declaré, c'est assavoir que Dieu en sa Loy s'accommode a nous, qu'il ne requiert pas ce que nous lui devons, mais ce qui est selon la mesure de l'homme. le ne di point de l'homme selon que nous sommes corrompus: mais ie parle de l'homme en son integrité, comme estoit Adam devant sa cheute, et comme sont les Anges de paradis. Voila donc Dieu en sa Loy qui regarde nostre portee, voire: mais retenons bien comment s'entend ce mot de Portee: car ce n'est pas selon ceste povreté en laquelle nous sommes maintenant (car nous ne pouvons que tout mal) mais selon cest estat, où nous fussions demeurez entiers s'il n'y eust point eu de corruption en nostre nature. Et pour mieux comprendre cela, que nous prenions les Anges pour un miroir. Voila

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les Anges qui taschent de servir à Dieu: ils ne sont point tentez de mauvaises affections comme nous' il n'y a point de rebellion en eux, ne de peché: mais si est-ce que l'obeissance qu'ils rendent à Dieu, combien qu'elle soit pure selon nostre regard, ne laisse point d'estre imparfaite, si on l'accompare à la maiesté de Dieu infinie. Or maintenant Dieu, quand bon lui sembleroit, nous pourroit bien traitter d'une façon extraordinaire, c'est à dire que combien qu'il n'y eust point de regle de la Loy, ou mesmes quand nous aurions accompli tout ce qui est là contenu, encores nous pourroit-il condamner: mais il ne le veut pas faire. Et pourquoy? il se contente de ceste regle qu'il a donnee, monstrant qu'il a pitié de ses povres creatures. Et voila pourquoy les Anges sont purs et reputez iustes devant lui.

Or maintenant passons plus outre. Dieu a promis de benir ceux qui cheminent en pureté de coeur et de mains, voire, mais c'est tousiours en se reservant ceste cognoissance, de iuger ce qui nous est propre et expedient pour nostre salut. Car si Dieu voit que nous ayons besoin d'estre chastiez, il le fera: et encores que nous l'avons voulu servir, et que nous y ayons mis peine, si ne laissera-il point pourtant de nous traitter quelquesfois en rigueur, tellement qu'il semblera que nous l'ayons offensé plus grievement que les plus meschans du monde, d'autant qu'il nous afflige ainsi. Mais ce n'est pas comme Iob l'a entendu. Et pourquoy? Il lui semble que Dieu se doit contenter de l'obeissance qu'il lui a rendue, il lui semble que ce qu'il est affligé, cela procede simplement d'une puissance de Dieu, et que Dieu y va comme à l'estourdie, et qu'il veut ici desployer son bras robuste pour abysmer une povre creature, laquelle ne sait que dire ne que faire, et qu'il n'y a point de raison. Or voila des propos qui sont à condamner, et mesmes qui sont detestables. Quoy donc? Quand Dieu a ainsi affligé Iob comme nous le voyons, il est bien vrai qu'il ne l'a point voulu punir selon qu'il l'avoit desservi à la façon commune: mais si est-ce que selon la Loy mesmes Dieu le pouvoit ainsi punir. Et pourquoy? Il est vrai que Dieu nous supporte, et qu'en nous supportant il accepte nos oeuvres que nous faisons par la grace de son sainct Esprit, combien qu'elles soyent vicieuses. Mais est-il tenu de ce faire ? Nenni. Nous a-il donné sa Loy à telle condition qu'il y ait suiettion de lui à nous, et qu'il nous soit obligé? Nenni. Il le fait par sa bonté gratuite. Or maintenant si on le vouloit contraindre à cela, ne lui feroit-on pas tort? Ouy. Iob donc s'abuse en cest endroit: car quand un homme aura cheminé le plus droitement qu'il sera possible, encores se trouvera-il coulpable devant Dieu, tellement qu'il lui pourra envoyer

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toutes les afflictions du monde, et faudra que l'homme se condamne, et s'humilie, et cognoisse qu'il en a encores plus desservi.

Voila donc en quoy Iob s'abuse. Car d'autant que Dieu supporte ses enfans pal sa pure bonté, et qu'il accepte leurs oeuvres, combien qu'elles ne le meritent pas: il semble à Iob que Dieu maintenait use de cruaté envers lui, ou pour la moins qu'il use d'une puissance absoluë, et non fait. Il est vrai que Dieu n'a point voulu punir les pechez de Iob, il a eu un autre regard, et y a procede d'autre sorte: comme nous avons monstré, qu'il vouloit exercer sa patience. Et il y avoit beaucoup de meschans au monde qui s'esgayoyent de ce temps là, et qui faisoyent leurs triomphes: et Dieu dissimuloit. Et ainsi nous voyons bien que son intention n'a pas esté de traitter Iob selon qu'il l'avoit desservi: mais si est-ce qu'il faut tousiours conclure que Dieu selon la regle de la Loy pouvoit envoyer des afflictions cent fois plus à Iob, tellement qu'il ne les eust peu porter. Et pourquoy? La moindre offense que nous aurons commise, aura desia violé la maiesté de Dieu. Et ie vous prie quelle punition suffira pour une chose si enorme, quand la maiesté de Dieu sera ainsi violee par nous, et sa iustice mise bas? Et quand nous serions cent mille fois abysmez, ce ne seroit pas selon l'enormité du peché que nous avons commis. Ainsi donc Iob dispute mal, en disant que Dieu ne le traitte point selon la regle de la Loy. Il est vray que s'il disoit, Selon sa façon ordinaire, entendant que Dieu ne veut point punir ses pechez, mais qu'il y a une autre cause: s'il eust ainsi parlé, cela estoit bon et vray. Mais il dit: le voy bien que Dieu use d'une puissance excessive: il foudroye contre moy, comme s'il me vouloit abysmer: il faut donc que ie me taise. Quand il parle ainsi, il est certain qu'il fait comme du cheval eschappé: non pas qu'il ne soit tousiours patient: mais ceste patience n'est pas telle qu'il n'y ait par fois de grans bouillons, et des escumes qui se desbordent. Voila donc l'ouverture du propos que tient ici Iob. Or pource que ces choses sont assez hautes, la deduction de la suite du propos pourra encores donner quelque clarté plus grande.

Venons donc à ce que dit Iob, apres avoir proposé, que sa pluye surmonte son gemissement, quelques amertumes qu'il ait desgorgé. Il dit, S'il ,m'estoit licite de trouver Dieu. Et qu'entend-il par cela? C'est qu'il peust venir pour plaider à la façon des hommes. Or il est certain que quand Dieu s'abaisseroit iusques là de plaider avec nous, nous ne pourrions iamais gaigner nostre cause. Et voila pourquoy en son Prophete Isaie il dit (1,18), Prenons iuge ou arbitre entre nous, pour savoir qui le gaignera. Dieu parlant ainsi n'entend pas

SERMON LXXXVIII

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de resigner son office, ne de se mettre si bas, qu'il se submette à la cognoissance d'un homme, et que nul presume de donner sentence sur lui. Nenny: mais il signifie en somme, que quand il se voudroit demettre de son authorité, et qu'il y auroit quelque homme pour iuger entre luy et nous, nous ne laisserons pas d'estre condamnez, nous aurons beau faire, nous aurons beau amener toutes nos raisons: si est-ce qu'il nous faudra demeurer confus, d'autant que Dieu trouvera tousiours trop à redire en nous. Voila donc on Item. Et pourtant Iob en disant, qu'il voudroit trouver Dieu pour plaider contre lui, c'est à dire, que Dieu descendist iusques là, qu'il le prinst comme son adverse partie pour traitter sa cause devant un iuge. Or il s'abuse bien: car quand il auroit un tel privilege, et que Dieu loi auroit accordé sa demande, si est-ce que tousiours il demeureroit confus. Mais qui est cause de ce qu'il s'abuse? C'est pource que les tormens l'ont troublé en sorte qu'il ne cognoist plus: mais comme en tenebres il voit trouble, ou il a comme les yeux bandez, et ne pense pas que Dieu trouveroit encores à redire plus en lui qu'il ne monstre, quand il lui plairoit l'examiner à la rigueur. Or par cela nous sommes admonnestez de nous tenir sur nos gardes, quand Dieu nous envoye des afflictions. Que nous advisions donc de nous tenir courts en bride. Et pourquoy? D'autant que nous serons incontinent esblouis en nos passions, le mal nous pressera si fort, que nous ne saurons plus que devenir. D'autant plus donc faut-il qu'un chacun pense de pres à soy: et quand Dieu nous envoyera des afflictions, que nous sachions qu'incontinent nous serions vaincus et abattus, n'estoit qu'il nous soustinst de sa grace. Et au reste' que nous ne croyons point nos appetits: mais quand nostre raison humaine nous mettra quelque chose au devant, que nous disions, Helas! qu'est-ce que tu veux imaginer povre creature? car outre ce que tu n'es pas iuge competent en ta cause propre, ton mal t'a ici aveuglé, tu te destournes du droit chemin: si tu estois à repos, tu pourrois beaucoup mieux iuger que tu ne fais, mais ta phantasie te transporte. Puis qu'ainsi est donc, il ne faut pas que tu presumes de plaider ici ta cause: mais que tu passes condemnation de ton bon gré, sachant que devant Dieu tu n'auras que respondre, et qu'il faudra que tu demeures confus. Voila ce que nous avons à noter de ce passage.

Or passons plus outre. Iob dit: Dieu disputeroit-il alors contre moi par puissance? Nenni: mais il me donneroit force. En ceci il signifie que maintenant Dieu dispute ou debat contre lui par puissance. Or c'est attribuer à Dieu une chose qui ne lui peut nullement convenir. Et de fait, quand ces docteurs Sorboniques disent, que Dieu a une puissance

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absoluë, c'est un blaspheme diabolique qui a este forgé aux enfers: car il ne faut point que cela entre au cerveau de l'homme fidele. Il faut donc dire que Dieu a une puissance infinie, laquelle toutes fois est la regle de toute iustice: car c'est deschirer Dieu par pieces, quand nous le voudrons faire puissant, et qu'il ne sera plus iuste. Vrai est que sa iustice ne nous sera pas tousiours patente, mais elle ne laissera pas d'estre tousiours en son entier. Il ne faut point que nous mesurions la iustice de Dieu selon nostre apprehension (car ce seroit la restreindre par trop): mais tant y a qu'il nous faut avoir ce poinct resolu, que la puissance de Dieu ne se peut separer de sa iustice, d'autant que Dieu ne se peut desmembrer. Or maintenant Iob presuppose que Dieu debat contre lui par puissance: c'est à dire, qu'il se monstre terrible, tellement qu'il ne peut avoir raison de lui, pource qu'il n'y a autre chose, sinon, Ie suis ton Dieu, et ie puis disposer de toy comme bon me semble. Cela est bien vrai: mais Dieu dispose tellement de ses creatures, qu'il ne nous faut iamais imaginer que sa puissance ne soit coniointe avec sa iustice, comme desia nous avons dit. Et voila en quoy Iob a failli, disant, O, alors Dieu ne disputeroit point en puissance avec moi: car il est certain que quand Dieu auroit disputé contre Iob en puissance, ce n'est pas avec une puissance absoluë, une puissance tyrannique: mais avec une puissance qui estoit iuste combien que ceste iustice-là fust incomprehensible aux hommes. Or ici nous sommes admonnestez quand on nous parle de la puissance de Dieu, de l'adorer, en sorte que nous confessions qu'il est tousiours iuste. Pour ce faire (comme desia nous avons touché) il ne faut point mesurer sa puissance selon nostre sens: car que seroit-ce ?

Et voila qui est cause de tant de murmures qu'on orra contre Dieu. Car si les hommes ne comprenent la raison pourquoy Dieu fait ceci ou cela, ils se faschent contre lui, et grincent les dents, et se despitent. Et c'est une audace et outrecuidance diabolique, quand nous voulons que Dieu se gouverne à nostre appetit, et venons contreroller tout ce qu'il fait, et ne le pouvons trouver bon, Sinon qu'il nous monstre pourquoi. Or au contraire il faut que nous adorions ceste puissance secrete, confessans qu'il y a là une iustice enclose que nous ne pouvons maintenant voir. Il y en a d'autres, qui pour prouver que Dieu est iuste, veulent abolir la puissance: comme auiourd'hui ceux qui ne peuvent souffrir qu'on preche que Dieu nous a esleus par sa bonté gratuite, et qu'il dispose toutes choses selon sa volonté, et que rien n'advient sinon comme il est ordonné et conduit par sa main. Car d'autant qu'ils ne peuvent digerer

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cela, ils viendront proposer, Et comment'! Et si Dieu en a ainsi choisi d'aucuns, et qu'il ait reprouvé les autres: il s'ensuivra qu'il a creé les hommes à perdition. Et cela est-il convenable à la iustice de Dieu? Et apres, si toutes choses se font par la volonté de Dieu, et veu qu'il y a tant de choses mauvaises, que dira-on là dessus? Or ces povres fols, ou plustost enragez, ne se peuvent humilier iusques là, de dire, Il est vrai que nous trouvons ces choses estranges, que Dieu ait creé des hommes qu'il ne vueille point sauver: mais cognoissons que la iustice de Dieu est trop haute et trop profonde pour nous: le iour viendra que nostre Seigneur nous rendra capables de cognoistre ce qui nous est maintenant caché. Il est dit (1. Cor. 13, 9 s.; 1. Iean 3, 2), que nous cognoissons en partie et en obscurité: mais quand nous serons semblables à lui, non seulement nous le verrons tel qu'il est, mais nous cognoistrons en perfection les choses qui maintenant ne nous sont point revelees. Ces yvrongnes ici qui Sont enyvrez de leur outrecuidance, ne peuvent donner ceste gloire à Dieu, de s'assuiettir pleinement à lui. Apres quand on parlera de la providence de Dieu, ils disent, Et comment se peut-il faire qu'un homme soit condamné au mal qu'il a commis, et que toutes fois cela se face par la volonté de Dieu? Ils ne peuvent discerner que l'homme estant convaincu par sa malice, est condamné à bon droict, mais que Dieu a une fin qui nous est incognuë. Et Iob a bien monstré cela, quand il attribue à Dieu tous les chastimens qui luy sont advenus: car quand les brigands l'ont despouillé de sa substance, il dit, que c'est Dieu qui l'a fait: mais c'est à un autre regard que les brigands. Si donc ces choses nous sont estranges, tant y a qu'il ne faut pas que nous venions à mesdire de la iustice de Dieu.

Et c'est ce que i'ay dit que nous devons noter de ce passage, c'est assavoir, que nous ne devons pas assuiettir Dieu à une telle regle, que nous pouvons concevoir en nostre sens: car sa iustice surmonte toute nostre capacité. Que faut-il donc? Nous humilier: et quand Dieu besongnera d'une façon qui nous sera estrange et incognue, que nous ne laissions pas pourtant de tousiours conclure, qu'il est iuste. Car voila aussi comme Dieu esprouve l'honneur que nous lui devons, c'est quand les choses viennent tout au rebours de nostre raison, et de nostre appetit, et que neantmoins nous magnifions tousiours son nom. Car si Dieu nous traittoit à nostre souhait, et que tout le monde se gouvernast comme nous l'aurions conclu en nostre teste Ô il nous seroit bien aisé de dire, Dieu est iuste, Dieu est bon. Et pourquoi ? D'autant que nous aurions desia conclu en nous-mesmes qu'il faut

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qu'ainsi soit. Or que seroit-ce lors de la iustice de Dieu? Ce seroit une suiettion qu'il nous porteroit: c'est à dire, quand Dieu voudroit faire ce que nous voudrions, alors il seroit sage, c'est bien à propos. Au contraire (comme i'ay dit) il esprouve nostre humilité, quand il besongne d'une sorte que nous ne pouvons par trouver bonne en nostre sens naturel, et qu'alors nous confessions neantmoins qu'il est iuste, et que nous demeurons là comme captifs sous la bride d'humilité. Voila comme nous rendons à Dieu la gloire qui lui appartient. Et ainsi apprenons de ne dire point avec Iob, que Dieu debat avec nous en puissance, encores qu'il use de grande rigueur envers nous, que nous ne sachions de quel costé nous tourner, et qu'il semble que nous soyons pressez par trop: gardons-nous d'attribuer à Dieu une puissance absoluë, mais cognoissons qu'il y a tousiours une iustice incomprehensible en lui, laquelle il nous faut adorer, quand nous ne l'appercevons pas, et qu'elle ne se declare point: que nous facions tousiours ceste conclusion-la, Seigneur tu es iuste, et tes iugemens sont un abysme. Voila pourquoi notamment il est dit au Pseaume (36, 7), Tu es iuste Seigneur et tes iugemens sont un abysme profond. Et pourtant il faut que l'homme s'abaisse en cest endroit: que s'il pres me d'entrer iusques là, il est certain que iamais n'en pourra venir à bout, mais il sera là plongé et comme abysmé. Combien donc que nous voyons de si grans abysmes et obscurs, si est-ce neantmoins qu'il nous faut confesser que Dieu est iuste.

Et au reste, au lieu que Iob dit ici, que Dieu luy donneroit vertu, quand il ne voudroit point debatre par sa puissance absoluë, confessons que Dieu nous donne tousiours vertu, voire en la plus grande rigueur dont il use. Car s'il ne nous donnoit vertu, que seroit-ce? Il ne faut point que Dieu desploye une force extreme pour nous aneantir: il ne faut sinon qu'il souffle sur nous, et c'en est fait. Car qu'est-ce que l'homme? Une petite rousee qui est incontinent dessechee, une fleur, ou un brin d'herbe et encores moins, ce n'est qu'un ombrage, bref. Si donc Dieu ne monstre sa puissance pour nous maintenir, nous voila aneantis, voire aux moindres afflictions qu'il nous pourra envoyer. Que seroit ce donc si nous n'estions soustenus par lui, quand il nous voudroit chastier plus rudement ? Mais il nous supporte, tellement que quand il frappe sur nous d'une main pour nous abbatre, il a l'autre dessous pour nous relever, et ne permet point que nous defaillions. Concluons donc que quand nous serons affligez, Dieu nous donnera une telle vertu que nous demeurerons constans et invincibles: voire s'il nous est prochain, c'est a dire, à nous qui sommes des siens. Que si nous sentons une telle

SERMON LXXXIX

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assistance de lui, il nous doit bien suffire, sachans qu'il aura tellement regard à Dos infirmitez, qu'il nous fera cognoistre sa grace de plus en plus, et la desployera en telle abondance, que nous en serons

bien munis pour persister iusques en la fin en sa saincte vocation.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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L'OCTANTENEUFIESME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXIII. CHAPITRE.

Ce sermon est encore Sur le 7. verset et puis sur le texte ici adiousté.

8. Si ie vay en avant, il ne m'apparoist point: si ie vai en arriere, ie ne l'atteindrai point. 9. Si ie vai à gauche, où il fait son oeuvre, ie ne l'apperçoi point: si ie tourne a la main droite, il se cachera, et ne le verrai point. 10. Selon qu'il cognoit ma voye, il n'esprouve, et sortirai comme l'or. 11. Mon pied a tenu son chemin: i'ay gardé sa voye, et ne m'en suis point destourné. 12. le n'ay point reietté le commandement de ses levres, c l'ay serré. et ai caché le propos de sa bouche plus que mon vivre (ou ma coustume).

Suivant le propos qui fut hier tenu Iob proteste ici que quand Dieu le voudra traitter selon qu'il a merite, il ne seroit point affligé comme il est: car tousiours il entend, si Dieu procedoit avec lui selon la regle de la Loi. Et par cela il signifie, qu'il n'est point puni comme pecheur: mais que Dieu a une autre raison laquelle lui est incognuë. Or cela est bien vrai, que Dieu n'use point envers lui d'une façon ordinaire, quand il desploye une telle rigueur: car Iob n'estoit pas comme ceux qui auront tellement transgressé la Loi de Dieu, qu'il faut que leur punition soit pour exemple aux autres. Iob n'estoit pas de ce nombre-la, il avoit mis peine de vivre sainctement, et non pas seulement devant les hommes, mais quant à Dieu aussi il s'estoit porté on sorte qu'il pouvoit estre tenu comme un demi Ange en comparaison des autres. Et ainsi il a bonne raison de dire, que la punition qu'il endure n'est pas pour ses pechez, moyennant qu'il recognust que Dieu le pourroit faire quand bon luy sembleroit: car si nostre Seigneur supporte les hommes, ce n'est pas à dire qu'il y soit tenu, et qu'il n'ait liberté de les chastier plus rudement quand il voudra. Iob donc en cela faut, qu'il ne cognoit point que c'est par la pure grace de Dieu qu'il n'est point puni pour ses pechez. Et au reste, quand il entre aux iugemens secrets de Dieu, il fait mal,

cuidant que Dieu a une puissance absoluë, et ne recognoissant pas une iustice qui est cachee en lui. combien que les creatures ne l'aperçoivent pas. Voila pourquoi il dit: Que le iuste pourroit debatre avec Dieu, quand il lui plairoit d'user de ceste regle de la Loi.

Or il est certain quand nous y procederons ainsi, qu'encores faut-il que nous soyons tous condamnez: car qui est l'homme mortel qui se pourra vanter d'avoir accompli la Loi de Dieu? Or il est escrit, Maudit sera celui qui n'aura accompli toutes les choses qui sont ici contenues. Et ainsi voila comme tout le genre humain est enclos sous malediction, quand Dieu voudra user de ceste rigueur de sa Loi envers nous: comme aussi sainct Paul en traitte, sur tout au troisieme chapitre des Galatiens. Iob donc s'abuse en disant, que l'homme iuste pourra plaider sa cause, moyennant que Dieu luy donne audience selon la regle de sa Loy. Car (comme nous avons dit) il nous faut tous passer condamnation, et non seulement pour avoir failli en un endroit, mais en tout et par tout nous sommes coupables, d'autant que iamais nous ne servons à Dieu d'une telle affection comme il seroit requis, et d'une telle perfection, comme il le merite, et comme nostre devoir est. Il s'ensuit donc que ce n'est point seulement en une partie que les hommes se trouvent transgresseurs de la Loy de Dieu, mais en tout et par tout. Au reste, il est vrai que les iustes pourront bien comparoistre devant lui, mais ce n'est pas pour venir à conte. Car où est-ce que gist nostre beatitude, sinon quand nos pechez nous sont pardonnez, que Dieu les a ensevelis, comme il est escrit au Pseaume trentedeuxieme (v. 1) ? Et qui osera ouvrir la bouche pour plaider contre le Iuge celeste ? Il faut que nous ayons Iesus Christ pour nostre advocat: et lui, en plaidant nostre cause, n'allegue pas nos merites, il ne s'oppose pas pour dire, que Dieu

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nous fait tort quand il nous punira: mais il met en avant la satisfaction qu'il a faite, et que puis qu'il nous a acquitez de nos dettes, maintenant nous sommes absous devant Dieu. Et ainsi donc nous voyons comme Iob a failli en disant, Que l'homme iuste et droit pourroit plaider sa cause devant Dieu.

Or quant à l'autre poinct où il est dit, Que s'il cerche Dieu devant, il ne l'appercevra point: s'il va en arriere, qu'il ne le pourra acconsuivre: s'il tourne à gauche, qu'il lui sera caché: s'il tourne à main droite, qu'il ne l'appercevra non plus. Par cela il signifie que les iugemens de Dieu lui sont incomprehensibles: ce qui est bien vrai. Aucuns exposent ceci des quatre parties du monde: et tout revient à un: car c'est comme il est dit au Pseaume (139, 8), Qui me donnera des ailes pour fuir? car si ie passe la mer, la main de Dieu est trop longue, encores me supprendra-elle: si ie descen aux abysmes, là ie serai trouvé de lui: si ie veux monter sur les nues, encores faudra-il que sa main m'arrache et me tire de là. Ainsi en est-il donc en ce passage, quand nous l'entendrons de l'Orient et le Soleil couchant, le Midi, et la bise. Iob signifie que les hommes auront beau faire de longs discours: car quand ils auront trotte par tout le monde, si est ce que iamais ils ne viendront iusques aux grans secrets de Dieu: car ils surmontent toute leur portee et faculté. Or le sens demeure tousiours tel que nous avons dit, c'est assavoir, que Iob dit ici, que la façon de laquelle Dieu use envers lui est si haute et si profonde, que l'esprit humain ne pourroit parvenir iusques là. C'est une sentence bien vraye, moyennant qu'elle soit bien appliquee: mais la faute est, que Iob quand il n'apperçoit point la raison de ce que Dieu fait, imagine qu'il n'y a qu'une puissance absoluë (qu'on appelle) c'est à dire, que Dieu besongne à son plaisir, sans tenir nul ordre, nulle regle, et qu'il en fait comme bon lui semble, ainsi qu'un prince quand il ne voudra point se regler par raison, mais voudra suivre son appetit. Iob en cela blaspheme contre Dieu, mais c'est d'autant qu'il a des passions soudaines, et ces mots lui eschappent sans y avoir pensé: toutes fois il ne laisse pas de tousiours conclurre que Dieu est iuste et irreprehensible, il a tousiours cela en soi. Mais cependant quand il est passionné, il ne peut pas retenir sa langue, qu'il n'y ait quelques mots exorbitans. Voila ce que nous avons à retenir en somme. Or pour appliquer ceste doctrine à nostre usage, cognoissons qu'il ne nous faut point venir devant Dieu pour plaider là nostre cause: car sans qu'il face long procez contre nous, il faudra que nous soyons tous condamnez, et d'autant plus que nous cuiderons avoir les defenses et excuses, il faudra que nos pechez s'augmentent. Il n'y a donc

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autre remede, sinon qu'en cognoissant que nous lui; sommes tous redevables, nous lui demandions pardon et merci. Voila en quelle sorte il nous faut venir à Dieu: c'est que nous ne pretendions point d'estre iustes, ne lui pouvoir satisfaire: mais que cognoissans les pechez que nous avons commis, nous demandions qu'il nous reçoive par sa pure bonté et misericorde, et que nous n'ayons point la bouche ouverte pour plaider nostre cause: car ceste dispute-la ne nous appartient point, l'office en est donné à nostre Seigneur Iesus Christ. Que nous ayons donc la bouche close de nostre costé, et que Iesus Christ soit nostre advocat, et intercede pour nous, afin que par ce moyen nos fautes soyent ensevelies, et que nous soyons absous au lieu d'estre condamnez. Voila ce que nous avons à retenir en premier lieu.

Et voila comme nous serons delivrez à iamais de nostre iuge: comme sainct Paul en parle (Rom. 8, 30) Qui est ce qui attentera contre les enfans de Dieu, puis qu'il les iustifie? Qui est-ce qui sera leur partie adverse, puis que Iesus Christ a prins leur cause en main, et qu'il la veut plaider? Voila, di-ie, tout nostre refuge: mais sans cela nous sommes perdus, et ne faut pas que nous pensions approcher de Dieu: car nous serons foudroyez de son ire, comme nous en sommes dignes. Quant au second poinct, il nous faut noter que les iugemens de Dieu nous sont souventesfois cachez: mais il ne faut pas pourtant que nous les trouvions estranges pour nous rebecquer à l'encontre, et pour dire qu'il n'y ait point de raison: plustost cognoissons que la iustice de Dieu est trop haute pour une telle rudesse qu'il y a en nous, et que si nous y voulons atteindre, c'est par trop presumer. Il faut, di-ie, que nous ayons cela pour tout resolu. l'ay dit que les iugemens de Dieu nous sont bien cachez, et que nous aurons beau nous enquerir et sonder et esplucher, nous serons là confus: mais est-ce à dire pourtant que Dieu n'ait point de regie en soy? Nenni. Et pourquoy? Faisons comparaison de lui avec nous: quelle distance y aura-il? Mes voyes, dit-il (Isaie 55, 9), sont plus lointaines des vostres, que n'est le ciel de la terre. Il est vrai qu'il use de ce propos là, pour monstrer qu'il ne nous faut point estimer sa misericorde selon nostre nature: mais tant y a qu'en general Dieu monstre que c'est une chose contre toute raison, que de le mesurer à nostre aulne, comme on dit. Que reste-il donc? C'est que nous ayons en admiration les secrets de Dieu quand ils nous sont cachez, et qu'en les adorant nous confessions que tout ce qu'il fait est disposé avec une sagesse droiture, et bonté infinie: et que si quelqu'un attente d'en douter, qu'il faudra qu'il demeure confus, comme il est dit au Pseaume (5l' 6), Seigneur

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tu seras tousiours iustifié quoi qu'il en soit. Car David voyoit bien l'audace diabolique qui est aux hommes, lesquels ont tousiours leurs replicques à l'encontre de Dieu, et le voudroyent controller. \Mais qu'y gagnent-ils ? Rien, sinon qu'il faudra que Dieu maintienne sa droiture, et qu'eux avec leur audace soyent du tout abysmez.

Voici donc un poinct qui merite bien d'estre retenu, quand il est dit que si nous allons depuis le Soleil levant iusques au Soleil couchant, que nous tirions de la Bise au Midi, quand nous aurons tracassé tout le monde, encores n'atteindrons nous point Dieu. Par cela il nous est monstré, que Ie conseil de Dieu est un tel abysme que nous n'y pourrons point parvenir, que la droiture qu'il a est une chose infinie. Or regardons nostre portee, regardons quelle infirmité il y a en nous. Quand un homme voudra employer toute sa vie à voyager, encores ne pourra-il pas cognoistre tout le monde. Et qu'est-ce que nous aurons cognu de Dieu, quand nous aurons esté iusques au centre de la terre, c'est à dire, iusques au plus profond? et mesmes quand nous aurons voltigé par dessus les nues, encores serons-nous bien loin de cognoistre tout ce qui est en Dieu. Ainsi donc apprenons deux choses en somme: l'une, que quand Dieu ne besongne pas à nostre guise, il ne faut point que nous regardions, Et les creatures peuvent ceci et cela, et les hommes ont ceste coustume, et c'est ainsi qu'on a tousiours besongné, et voila ce qui est de l'ordre de nature. Il n'est point question d'enclorre la vertu de Dieu ni en l'ordre de nature, ni en telles limites. Que faut-il donc? Que nous confessions que ses iugemens sont un abysme si profond, que nous n'y pouvons point parvenir. Et cependant tenons pour tout resolu, que Dieu ne laisse point d'estre iuste, encores qu'il nous semble qu'il y aille à tors et à travers, et que nous trouvions à redire en ce qu'il fait, que nous ayons des phantasies et des couleurs apparentes: que toutes fois, di-ie, nous tenions cela pour conclu, Seigneur tu es iuste: comme nous voyons aussi que Ieremie en parle (12, 1). Vrai est qu'il s'est tormenté voyant les meschans avoir la vogue, et que les bons estoyent foulez iusques au bout, que tout alloit en desordre, que le plus fort l'emportoit, qu'il n'y avoit plus ne iustice ni equité entre les hommes. Ieremie se lamente de cela, et en est fasché. Apres, il voit que les meschans demeurent impunis, comme si Dieu estoit endormi, et qu'il ne pensast plus à faire son office. Voila donc une tentation que sentoit le Prophete bien dure et fascheuse. Mais pource qu'il cognoit bien que le sens charnel ne peut concevoir les iugemens admirables de Dieu, il fait une preface devant que faire sa complainte et querimonie, Seigneur, dit-il, tu es iuste, et tes

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iugemens sont droits. Quand il parle ainsi, c'est pour monstrer que son intention n'est pas d'entrer en dispute avec Dieu et contester comme avec son compagnon et pareil, ou bien de revoquer en doute ai Dieu besongne par raison ou non. Ieremie s'oste ceste liberté, et coupe la broche à ce qu'il peut concevoir en son esprit. Il fait donc ceste conclusion devant qu'entrer en propos, Seigneur, quoi qu'il en soit, combien que les hommes puissent imaginer que tu fais les choses sans raison, ai est-ce que tu ca iuste et irreprehensible en tout et par tout. Ainsi nous en faut-il faire: et que nous ne disions point avec Iob, Il est impossible que nous cognoissions la raison des oeuvres de Dieu (cela est bien vrai, mais ce n'est parler qu'a demi bouche) mais, Noua ne pouvons pas monter ai haut: toutes fois ai faut-il quand Dieu besongne d'une façon qui nous est incomprehensible, que nous ne laissions point pourtant de le recognoistre iuste de l'adorer et nous humilier devant lui. Voila en somme ce que nous avons à retenir. Et cependant que nous soyons admonnestez que nous aurons beau faire nos discours, nous ne le gaignerons pas pourtant. Il est vrai que les hommes auront une grande agilité en leurs esprits: mais il ne faut pas que cela ne us donne occasion d'outre-cuidance: comme nous voyons que beaucoup, quand ils auront esprit assez esveillé, il leur semble qu'ils pourront trouver la raison de toutes choses, et voila qui les fait esgarer, tellement qu'ils s'esblouissent en la fin en leurs sens: c'est à dire, Dieu punit leur arrogance pource qu'ils entreprennent par trop. Ainsi donc pensons bien que quand nous aurons discouru et çà et là, ce n'est pas pour trouver la fi de toutes choses: car nostre Seigneur nous monstrera que nostre esprit est par trop debile et rude pour atteindre à ceste hautesse. Il faut donc que nous cognoissions en partie: et qu'il nous suffise que nous goustions en certaine mesure les choses qui nous sont utiles à salut, attendans que nous en ayons pleine revelation au dernier iour. Voila encores ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or Iob adiouste quant et quant: Selon qu'il cognoist ma voye ie seray esprouvé de lui, et sortiray comme or. Par ceci Iob signifie que Dieu a un avantage grand sur luy: Ie ne le puis cognoistre, et il me cognoit: ie ne sai point ses oeuvres, et il iuge des mi mes, et non pas seulement des oeuvres,

mais de toutes mes pensees: bref, il m'esprouve (dit-il) comme l'or en la fournaise tellement qu'il n'y a si petite escume ou infirmité en moi, que Dieu ne voye et qu'il ne discerne: et ainsi ie n'auray point de raison de lui quand ie voudrai plaider. Voila la conclusion qu'il fait. Or ceste sentence est bien vraye, que Dieu cognoissant nos voyes

IOB CHAP. XXIII.

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nous examine et esprouve comme l'or en la fournaise: mais cependant avons-nous occasion de nous plaindre pource que nous sommes inferieurs a lui? Faut-il qu'une creature se rebecque tellement, qu'elle se vienne eslever pour prendre à partie son Createur? Si Dieu ne nous donne un mesme privilege que le sien, faut-il que nous disions qu'il nous ait fait tort et iniure? Et ainsi donc, quand ceci nous viendra au devant, que Dieu cognoit toutes nos voyes, et que nous sommes examinez par lui, et qu'il nous purge et discerne toutes les affections et pensees vicieuses et superflues qui sont en nous: sachons que par cela nous devons estre instruits à humilité et crainte, et non pas estre incitez à faire aucune querimonie, comme Iob fait en ce passage. Or cependant nous voyons comme Dieu nous veut en toutes sortes tenir en bride courte pour nostre salut: car quand il nous examine ainsi, est-ce pour profit qui lui en revienne? Nenni: mais il cognoist que cela nous est bon, comme aussi quand il s'approche de nous, est-ce pour crainte qu'il ait, et pour profit qu'il y cerche? Nenni: rien de cela: mais il sait qu'il nous est besoin d'estre exercez en obeissance. Car c'est aussi le principal de ce qu'il demande de nous, et c'est la mere de toute vertu pour nous amener à salut. Il faut donc que nous soyons vrayement suiet a , a Dieu. Car sinon qu'il eust sa maiesté par dessus nous, et qu'il nous monstrast quels nous sommes, et quelle est nostre condition, et qu'il nous tinst sous ses pieds: que seroit-ce, attendu l'orgueil qui est en nous tous, et l'audace? Dieu donc ne nous monstrant point la raison de ses oeuvres, le fait afin que nous apprenions de lui estre obeissans. Au reste, si nous ne voyons point pourquoi il fait ceci ou cela, comment comprendrons-nous son essence? De nostre costé quand il nous esprouve, c'est (comme i'ay dit) pour nostre salut. Et de fait qui est celui de nous qui s'examine? Mais au contraire au lieu que nous devons allumer la clarté pour cercher nos povretez et nos vices, nous esteignons la lampe que Dieu avoit allumee. Qu'est-ce de la discretion que Dieu nous a donnee entre le bien et le mal, sinon comme s'il avoit allume une chandelle, afin que nous puissions appercevoir le mal qui est en nous? Or nous voyons comme les hommes travaillent à esteindre toute ceste cognoissance, qu'ils voudroyent avoir aneanti leurs consciences, et qu'il leur fust licite de vivre comme des porceaux, qu'ils n'eussent plus honte ne vergongne du mal qu'ils commettent. Les hommes donc se voudroyent ainsi abbrutir: et ainsi nous voyons qu'ils s'efforcent d'esteindre la lampe et la chandelle que Dieu avoit allumee en eux, afin de les attirer à cest examen. Puis qu'ainsi est donc, c'est bien raison que nostre

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Seigneur nous sonde et nous esprouve, d'autant que nous ne voulons point faire cest office, et que de nostre bon gré nous voulons estre semblables à des bestes brutes, n'ayans plus ne prudence ne raison en nous. Voila donc ce que nous avons à noter de ce passage: c'est que puis que Dieu cognoist desia nos voyes, et nos oeuvres, il faut bien conclure que quand il nous fait passer comme l'or par la fournaise, cela est pour nostre profit et salut: et encores que nous n'appercevions point de raison, il nous faut contenter que nostre Dieu est iuste, et qu'il nous monstrera en la fin pourquoi il nous a ainsi esprouvez, et mesmes pourquoi c'est qu'il nous fait passer par tant d'afflictions comme l'or par le feu, combien donc que cela nous soit aigre à porter: si est-ce que Dieu ne le fait point sans cause. Nous ne l'apprehendons point, car nostre sens est trop debile: mais nostre Seigneur avec le temps nous fera sentir qu'il n'a point besongné à l'adventure, et qu'il savoit ce qui nous estoit propre pour nostre salut. Voila en somme ce que nous avons à retenir.

Or quand Iob a dit cela, il adiouste une protestation: c'est Que son pied a marché par le chemin de Dieu, et qu'il n'a point delaissé sa voye, qu'il n'a point destourné le commandement de la bouche de Dieu de soi, qu'il l'a caché plus que son vivre, ou sa façon de faire. Il est vrai que Iob pouvoit bien protester qu'il avoit cheminé en telle droiture qu'il n'estoit pas du rang de ces contempteurs de Dieu,

des gens dissolus et addonnez à mal. Iob pouvoit

bien declarer cela: car la verité estoit telle: comme nous voyons aussi que David dira bien, Seigneur, i'ai gardé tes commandemens de tout mon coeur: ta Loi, Seigneur, m'a este plus precieuse que l'or et l'argent, ce sont este toutes mes delices: ie ne me suis point baigné en mes affections mauvaises, mais i'ai prins tout mon plaisir à ouyr ta Loi. Quand David parle ainsi, est-ce qu'il se glorifie devant Dieu ? Nenni: Car en l'autre passage il dit (Ps. 130, 3; Ps. 143, 2), Et Seigneur, qui est-ce qui pourra subsister devant toi? Si tu entres en conte avec les hommes, il n'y aura nulle creature qui puisse estre iustifiee: Seigneur donc n'entre point en iugement avec ton serviteur. Seigneur qui est-ce qui subsistera quand tu voudras observer toutes nos fautes? Nous voyons donc que David passe condamnation franchement: mais quand il proteste d'avoir suivi les commandemens de Dieu, c'est comme s'il faisoit recognoissance à Dieu, et hommage des graces qu'il avoit receuës de lui: Et Seigneur tu m'as fait tant de bien, tu m'as gouverné par ton S. Esprit: cela ne vient point de mon inclination propre quand i'ai suivi tes commandemens, mais ie m'y suis addonné selon que tu m'y guidois. David faisant un tel hommage à Dieu,

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se conferme de plus en plus en bonne esperance, et comme il a senti Dieu tant bon et tant humain il s'asseure qu'il ne lui defaudra iamais. Si Iob y eust ainsi procede, ceste protestation eust este bonne et saincte: mais quoi? Il voudroit ici plaider, et alleguer que quand Dieu le traitteroit selon la regle ordinaire de sa Loi, il n'auroit point occasion d'user d'une telle rigueur envers lui. Iob faut lourdement en cela: car encores que Dieu l'eust voulu punir des transgressions qu'il avoit commises, il le pouvoit faire: et ce qu'il ne le fait point, cela est de sa pure liberalité. Ainsi Iob ne discerne point assez entre l'intention de Dieu, et sa personne de lui: car il devoit cognoistre, Seigneur il est vrai que tu me chasties, sachant que tu le pourrois faire, mesmes selon la Loi: il est vrai que i'ai mis peine à cheminer devant toi en la plus grande integrité qu'il m'a esté possible: mais si est-ce qu'il y a tousiours à redire: tu trouveras donc toutes mes oeuvres vicieuses. Iob pouvoit ainsi parler, et dire, Et bien Seigneur ie cognoi mesmes que tu m'espargnes, et cela vient de ta bonté paternelle: et si ie suis affligé, tu me fais la grace de cognoistre que ce n'est point pour mes pechez, mais d'autant qu'il te plaist d'exercer ma patience. Cependant me voici tourmenté iusques au bout: il faut donc conclure, que tu le fais d'un iugement secret et admirable. Si Iob eust ainsi parlé, tout alloit bien: mais il est transporté de ses passions, et en cela nous sommes admonnestez (comme il a este dit par ci devant) de nous tenir pour suspects quand nous sommes affligez: car nous sommes comme esblouys, tellement que nous ne pouvons pas discerner ce qui est bon. Et si cela est advenu à Iob, qui nous est ici mis devant les yeux comme un miroir de patience: que sera-ce de nous? Ainsi donc prions Dieu qu'il nous retienne quand il nous afflige, tellement que nous le puissions glorifier: et si des choses nous viennent en phantasie pour murmurer contre lui, que cela soit rabbatu, sachans que nous ne pouvons pas dire un seul mot de nous-mesmes, que ce ne soit pour provoquer l'ire de Dieu d'advantage. Voila,, donc ce que nous avons à retenir.

Et au reste, en poursuivant ceste sentence, cognoissons que c'est de vrayement servir à Dieu: car Iob nous monstre ici ce qui est de faire. Quand donc nous voulons nous addonner et dedier pleinement à l'obeissance de nostre Dieu, par où nous faut-il commencer? C'est de tenir le chemin qu'il nous monstre. Il ne faut point donc que les hommes se bastissent leurs devotions à plaisir: comme nous voyons que le monde est pal trop addonné à cela. Quand il y en a qui sont bien devots, et qui veulent faire merveilles, par où entrent-ils? C'est qu'ils regardent ce qui leur semblera

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bon. Voire? Comme si Dieu n'avoit nulle maitrise sur nous, et comme si le principal de son service n'estoit point obeissance. Ainsi donc ceux qui veulent droitement servir à Dieu, qu'ils ferment la porte à toutes leurs phantasies, qu'ils ne se gouvernent point selon leur sens propre, ne leur sagesse, mais qu'ils s'assuiettissent à la parole de Dieu, suivant ce qui est ici declaré, l'ai marché, i'ai mis mes pieds au chemin de Dieu, ie ne m'en suis point destourné, ie n'ai decline nullement de sa voye. Si on eust tenu ceste regle, et qu'elle eust este bien observee, nous n'aurions pas auiourd'hui si grands debats avec les Papistes touchant de bien servir à Dieu Car qu'est ce qu'on appelle en la Papauté Service de Dieu? Ce qui est controuvé d'eux-mesmes, sans que Dieu iamais en sonnast mot. Qu'est-ce qu'on appelle Devotions? Ce sera l'appetit d'un chacun. Quand un homme aura phantasie à une chose, il se fora quant et quant à croire que Dieu aussi y prend plaisir, et n'y aura celui qui n'entreprenne. Voila l'audace qui a regné tousiours au monde, c'est assavoir, que les hommes voudront estre maistres, et faire des loix à leur poste, et que Dieu accepte ce qu'ils auront ainsi forgé. Or au contraire,. le S. Esprit nous monstre qu'il ne faut point que nous levions un pied pour marcher en avant, ai ce n'est an chemin que Dieu nous monstre. Il faut que nous soyons là retenus: car celui qui se voudra esgayer, et qui voudra faire ici des gambades, et sauter et s'esgarer çà et là, il se pourra bien rompre le col et les iambes, mais il ne fait rien: c'est à dire nous ne pouvons profiter, plustost nous reculons tousiours au lieu d'advancer, quand nous voulons ainsi aller à nostre phantasie. Apprenons donc que la façon de bien vivre et droitement, et laquelle Dieu approuve, c'est que nous mettions nos pieds an chemin, voire que nous n avons point fait, mais que lui nous a monstré par sa parole

Et ce n'est point encores sans cause que Iob adiouste: Qu'il ne s'en est point retiré. Car par cela il signifie que les hommes sont tousiours sollicitez d'un appetit fretillant pour se fourvoyer de leur droit chemin: comme de fait nous voyons que Dieu ne nous peut retenir en son obeissance sinon par force: et celui qui voudra cheminer en telle simplicité qu'il n'adiouste ne diminue à la parole de Dieu, il ne laissera pas toutes fois d'avoir des aiguillons en soi, et estre chatouillé de sortir hors du chemin. Et sur tout quand nous voyons qu'un chacun se donne une telle liberté, pour dire, O cestui ci fait une telle chose: nous sommes esmeus: et puis nous voyons un tel exemple, et nous voulons alors nous destourner là: bref, en toutes façons nous sommes aisément transportez de l'obeissance de Dieu, à cause que nos esprits sont curieux

IOB CHAP. XIII.

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et phantastiques, et aussi que par tout le monde nous voyons des choses qui nous attirent à mal. Et pourtant advisons de pouvoir protester en verité avec Iob que nous n'avons point decliné du chemin que Dieu nous monstroit.

Or pour ce faire il faut que nous soyons attentifs à escouteer ce que Dieu nous monstre par sa Loi: car les hommes encores se cuideroyent persuader que Dieu approuvast ce qu'ils font, et qu'ils sont au bon chemin' n'estoit ceste declaration que Iob adiouste, c'est assavoir, Qu'il s'est du tout addonné à ouyr le commandement des levres de Dieu. Pourquoi est-ce qu'il parle du commandement des levres? Il semble que ceci soit superflu: mais c'est pour mieux exprimer, que l'homme aura une vie desreglee et confuse, sinon d'autant qu'il l'aura compassee à la Loi de Dieu, et que toutes ses pensees, et ses oeuvres soyent là reglees, tellement qu'il ne presume point d'en decliner tant peu que ce soit. Et ceci est pour nous monstrer l'usage de la parole de Dieu, et aussi l'utilité qui nous en revient. L'usage donc de la parole de Dieu est de nous tenir au bon chemin: pource que si nous attendions des inspirations du ciel, Satan (comme il se transfigure) nous pourroit mettre beaucoup d'illusions au cerveau: mais Dieu a coupé broche à ses erreurs en nous donnant l'Escriture saincte: car il veut qu'on se tienne là. Et ainsi donc advisons d'user du bien que Dieu nous presente. Or il y a l'utilité quant et quant: car y a-il chose plus desirable que d'estre asseuré de ne point faillir? Si nous cheminions en doute, comme font les povres Papistes, comme font tous ceux qui se gouvernent à leur teste: si donc nous estions en doute, assavoir si Dieu acceptera ce que nous faisons, et que seroit-ce? Mais quand nous avons cela tout conclu, que le chemin qu'il nous monstre est infallible, et que nous y pouvons bien marcher qu'en nous advançant là nous approcherons dé lui, et du but de nostre salut: quand donc nous aurons une telle certitude, voila un thresor inestimable. Et ainsi donc ne nous privons pas de la grace que Dieu nous fait: comme nous voyons que le monde est si malin et pervers, qu'il aimera beaucoup mieux s'addonner à ses phantasies, que de suivre la verité qui est toute certaine, et laquelle ne nous peut mentir. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage, quand Iob parle du commandement des levres de Dieu, pour monstrer que Dieu en nous ordonnant sa parole qui se presche par la bouche des hommes, a voulu que nous fussions là arrestez, afin de ne point chercher des speculations vaines ne çà ne là.

Or il adiouste: Qu'il a caché la parole de Dieu plus que son vivre, ou sa façon de faire. Le mot dont il use ici signifie proprement Ordonnance

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Decret: et de fait, trois versets apres quand il dira, que Dieu a decreté de lui, on qu'il a regardé de lui, il use de ce mesme mot qui est ici mis. Voici donc sa propre signification, c'est assavoir pour Decret, Ordonnance, commune façon de faire. Et puis quelquesfois par similitude il se prend pour le vivre ordinaire d'un homme, ou sa provision d'autant que c'est une espece de loi quand l'homme prouvoira de son vivre: car il ne mangera point pour se crever en un iour, mais il aura sa portion pour sa nourriture et substance, et se contente de cela. Voila donc comme ce mot aussi se prend pour le vivre ordinaire, et la provision d'un chacun. Or tous les deux peuvent estre assez convenables. Comment donc est-ce que Iob l'a ici entendu ? c'est que la parole de Dieu lui a esté un thresor qu'il a plus prisé que toutes les choses du monde. Qu'est-ce qui est plus cher aux hommes que leur nourriture ? Car selon que nous aimons nostre vie, nous tendons aussi à nous prouvoir de choses necessaires. Si le pain nous defaut, et qu'est-ce? combien nous trouvons-nous estonnez? Selon donc que les hommes ont grand souci d'estre entretenus en leurs necessitez, quand Iob prefere la parole de Dieu à son ivre, à son boire et à son manger: par cela il monstre' que ceste vie presente ne lui a pas esté tant que d'estre attentif à obeir à Dieu et qu'il a plus aimé d'estre enseigné par sa parole, que d'estre nourri de la meilleure viande qui soit au monde. De là nous pouvons recueillir une bonne admonition. Car nous voyons comme les hommes appetent de vivre, et non seulement appetent, mais ils sont enragez d'un tel appetit, qu'il n'y a ne mesure ni attrempance en eux. Or cependant ils ne savent pourquoi ils vivent, ils ne savent pourquoi ils demandent de vivre: car ils n'ont point de regard à Dieu. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ce qui nous est ici dit: c'est assavoir, que nous ne desirions point de vivre en ce monde, si ce n'est pour tousiours servir à nostre Dieu, et nous dedier à sa gloire, et pour estre confermez de plus en plus en ceste esperance de la vie celeste, à laquelle il nous convie. Voila le but auquel il nous faut appliquer tous nos sens et toutes nos estudes. Et si cela est, il s'ensuivra quant et quant que nous prefererons la doctrine que Dieu nous donne (qui est la pasture spirituelle de nos ames) à tous les vivres que nous pourrons desirer pour nos corps. Car qu'est-ce quand nous serons nourris et de pain et d'eau, et mesmes de vin, et d'autres viandes les plus delicates et friandes qu'on sauroit trouver? Qu'est-ce que cela, si cependant nos ames sont affamees ? Les boeufs et les asnes, et les chevaux: auront une meilleure condition et plus excellente que nous. Ainsi donc apprenons de preferer la parole de Dieu. Par la

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quelle nos ames sont nourries, à tout ce qui concerne ceste vie temporelle et caduque: et que ce ne soit point seulement pour dire, le suis enseigné: mais que ce soit pour nous addonner au service de Dieu, comme Iob en parle.

Venons maintenant à ce que nous avons declaré, que ce mot signifie Commune façon de faire. Quand nous le prendrons ainsi, il est vrai que le sens ne changera pas en somme: mais il y aura encores un autre poinct bien utile, et digne d'estre recueilli. Car Iob par ce moyen declare, qu'il n'a pas esté sage comme les enfans de ce monde qui veulent tousiours suivre leur prudence charnelle: mais qu'il a quitté tout ce qui lui sembloit bon, pour s'assuiettir à Dieu. Et c'est une chose bien necessaire, comme desia nous avons touche, que nous sommes vagabons et errans si nous ne tenons le chemin que Dieu nous monstre. Et comment cela se pourra-il faire? Ostons, ostons nos coustumes, nos ordonnances, nos façons de vivre: que tout cela soit abbatu et aneanti. Car cependant que les hommes se plaisent en leurs inventions, cependant qu'ils sont adonnez à leur coutumes, cependant qu'ils sont obstinez à leur façon de vivre: il est

impossible qu'ils se puissent adonner à Dieu, c'est comme qui voudroit coiffer un veau, ou une vache: et ce n'est pas leur naturel, ils ne le pourroyent pas souffrir. Encores sommes nous plus farouches quand il est question d'obeir à Dieu, que ne sont pas en telles choses les bestes brutes. Ainsi donc pour estre façonnez à obeir à la Loy de Dieu, il faut en premier lieu que nous apprenions de nous despouiller de toutes ces belles inventions qui nous viennent au cerveau, Et pourquoy cecy ne serait bon? Nous l'avons ainsi accoustumé, et chacun fait ainsi, voila comme on en a esté de tout temps. Il n'est plus question d'alleguer toutes ces choses. Et pourquoy? Il n'y a sinon, Dieu a parlé, il nous faut ranger là. Ainsi donc nous voyons que ce n'est point sans cause que Iob dit, Qu'il a cerché le propos de Dieu, et la doctrine qui est là contenue, qu'il l'a cachee, et l'a estimee par dessus tout le reste. Or quant a ce mot de Cacher, il ne pourroit pas estre de luit pour auiourd'huy: nous le reserverons donc à demain.

Et cependant nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE NONANTIESME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXIII. CHAPITRE.

Ce sermon est encore sur le 12. verset, et puis sur le texte ici adiousté.

13. Il est en un propos, qui est-ce qui l'en destournera? Ce que son ame desire, il le fait. 14. Il parfera de moy ce qu'il a decreté, et beaucoup de telles choses sont en lui. 15. Voila pourquoi ie suis effrayé de lui, quand i'y pense ie le redoute. 16. Dieu a amolli mon coeur, le Tout-puissant m'a troublé. 17. Car ie ne suis pas retranché par les tenebres, et a caché l'obscurité de ma face.

Nous vismes hier, comme pour obeir droitement à Dieu, il nous faut quitter toutes nos coustumes et façons de faire, et que nous n'alleguions point ceci ne cela pour le faire trouver bon: mais puis que nostre Seigneur a parle, tenons nous à sa simple parole qu'il nous aura dite. Or il reste de noter ce mot qui est ici couché, c'est assavoir, qu'il nous faut cacher comme en un thresor, en nos coeurs, la doctrine de Dieu: car si elle n'est ainsi cachee, iamais elle ne prendra racine vive, comme

nous en verrons beaucoup, qui seront esmeus oyans parler de Dieu, et auront quelque bonne affection: mais cela n'est point droitement planté en eux: et pourtant nous voyons que la foy, qui estoit apparue pour un temps, s'esvanouyt. Notons bien donc qu'alors nous aurons profité en l'escole de Dieu, quand sa parole sera ainsi profonde en nos coeurs, c'est à dire, que nous l'aurons receuë d'une telle affection, que ce ne sera point un mouvement volage pour approuver ce qu'on nous dit: mais que nous y serons affectionnez a bon escient. Et voila pourquoy souvent il nous est remonstré, que le service de Dieu est interieur et spirituel. Car quand nous aurons satisfait à tout le monde, et qu'on cuidera qu'il n'y ait que redire en nous, Dieu pourra reietter toute ceste belle apparence, en laquelle on nous applaudit, sinon que le coeur marche devant.

Ainsi donc retenons ceste sentence, Qu'il nous

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faut cacher la parole de Dieu. Et comment? Non pas qu'elle soit ensevelie: car si nous croyons de coeur à iustice, il nous faut faire confession de bouche à salut. Il faut donc que la parole de Dieu se monstre (car sans cela on pourra iuger qu'elle n'est pas en nous) mais si faut-il que neantmoins les bonnes oeuvres que font les fidelles procedent de ceste affection cordiale que nous avons dit: et non point de quelque mouvement volage, et inconstant. Et au reste ce mot de Cacher sera assez entendu, quand nous prendrons la similitude d'un thresor, voire appliquans aussi ce que nostre Seigneur Iesus dit (Matt. 13, 52), Que quand un homme est bien prouveu, il pourra tirer ce qu'il luy faut pour son mesnage, et pour l'usage aussi d'autruy. Car si un homme est tant chiche, qu'ayant un coffre plein d'argent, ayant ses greniers et caves bien fournies, il meure de faim, et qu'il ne subvienne à personne: dira-on que celuy-là sait que c'est d'estre riche? Nenni: mais il est du tout brutal. Cognoissons donc, que ce que nous aurons amassé, c'est afin d'en pouvoir user prudemment selon que la chose le requiert: et quand nous aurons ce thresor de la doctrine de salut cache en nos consciences, c'est pour profiter non seulement à nostre usage, mais aussi pour edifier nos prochains. Et mesmes ayons memoire de ce que dit sainct Paul (1. Tim. 3, 9), que l'estuy de la foy est la bonne conscience. Voila donc en somme ce que nous avons à noter de ce mot, que pour estre enseignez en la parole de Dieu, il ne faut point que nous en ayons seulement quelque opinion en nostre cerveau, mais que nous la gardions diligemment en nostre coeur, comme un thresor inestimable.

Maintenant venons à ce que Iob adiouste. Il dit, Quand Dieu sera en un propos, que nul ne l'en pourra destourner. C'est tousiours en poursuivant ce qu'il avoit dit, que Dieu usoit d'une puissance absolue contre luy, tellement qu'il n'estoit pas question de venir en procez, pour obtenir son droit. Or nous avons declaré que cela est excessif: car combien que Iob seust que Dieu ne le punissoit point pour ses pechez qu'il eust commis: si est-ce qu'il devoit estre resolu, que Dieu estoit iuste, et equitable en tout ce qu'il fait. Or il imagine une puissance exorbitante, et qui n'a ne regle ne mesure: en cela il fait iniure à Dieu. Mais cependant ceste sentence est vraye, quand elle sera apropriee comme elle doit: c'est que Dieu est en un propos, c'est à dire, qu'il est constant et ne varie point, et que nul ne l'en pourra destourner. Comme nous voyons mesmes que Balaam ce menteur a este contraint de recognoistre que Dieu ne ressemble point aux hommes, qui changent de propos, et sont variables et inconstans. A-il dit une chose qu'il ne l'execute?

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dit-il. Ainsi ceste doctrine de soi est bonne, et l'Escriture saincte est pleine de ce propos: mais il reste de l'approprier à nostre instruction. Or l'usage en est double: c'est que quand Dieu a parlé, et qu'il nous promet de nous estre propice et favorable, et de nous secourir en toutes necessitez, cela nous soit conclu: et que nous ne doutions point s'il accomplira ou non ce qu'il a promis, pourquoy ? Car sa verité est infallible. Ainsi à l'opposite, quand il nous menace, que nous tremblions, sachans qu'il ne nous faut point iouer à un tel maistre. Voila donc à quelle fin tend tout ce qui nous est dit en l'Escriture de la constance de Dieu, et de la fermeté qu'il a pour executer son propos. Nous savons que Dieu desploye son coeur, quand il nous testifie de nous estre pitoyable et de nous recevoir à merci. Quand donc nostre Seigneur nous appelle ainsi à soy, ce n est point pour nous frustrer, et nous allaiter de quelque vaine esperance. Et ainsi, ayans un tesmoignage certain de sa volonté, arrestons-nous hardiment là, et y soyons appuyez. Et pourquoy? Il ne change point. Quand tout le monde se dressera contre luy, il ne le fera point varier de son propos. Et voila comme nous pouvons nous glorifier contre tout ce que le diable pourra machiner: et mesmes quand nous verrons tout le mon e dressé contre les promesses de Dieu. nous serons tousiours neantmoins à repos, Comme nous voyons aussi que le sainct Esprit arme les fideles d'une telle fiance, et les enseigne à despiter tous leurs ennemis: voire, Conspirez, faites du pis que vous pourrez: mais si est-ce que ce que Dieu nous a promis tiendra iusques on la fin.

Or il dit, qu'il nous sera prochain, et quand le diable et les hommes machineront contre nous tout ce qu'ils pourront inventer, qu'il repoussera toutes leurs munitions. Puis qu'ainsi est donc nous pouvons despiter tout ce que nos ennemis complottent et machinent. Et pourquoy? Car ils ne pourront en la fin resister à Dieu, n'empescher qu'il n'accomplisse ce qu'il a dit. Voila donc comme nous avons à prattiquer ceste doctrine de la fermeté qui est en Dieu. Et ainsi recevons ce que nous avons touché quant aux menaces: que si Dieu nous reprend de nos vices, et qu'il nous face ce bien de nous advertir, que nous ne demeurions pas incorrigibles on nos transgressions: mais qu'un chacun s'humilie, que nous soyons sur nos gardes, qu'avec toute solicitude nous advisions de prevenir la malediction laquelle Dieu nous propose, car c'est aussi à ceste fin qu'il nous veut faire sentir son ire: c'est, di-ie, à ce qu'il ne soit point contraint de l'executer contre nous. Voila quel est le vray usage de ceste doctrine, que Dieu est en un propos, et que nul ne l'en pourra destourner. C'est aussi

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pourquoy il est dit (Pseau. 62, 12. 13), Que Dieu a parlé une fois, et que le Prophete a ouy ces deux choses, qu'il y a une puissance en Dieu, et iugement: comme s'il disoit, Seigneur, il ne faut point que tu reiteres tes propos: car quand tu as dit le mot, cela nous doit estre plus qu'assez: c'est autant comme si nous avions cent mille tesmoins, et que tu n'eusses cessé de redire et reiterer ce que nous aurons une fois entendu: il ne faut point que nous ayons les aureilles tant batues. Pourquoy? La verité de Dieu est si certaine, que quand il n'y aura qu'une seule syllabe, c'est autant comme si nous avions un grand volume. Et toutes fois nous voyons comme nostre Seigneur nous appelle quand il ratifie ses promesses, et ne se contante point d'avoir parlé pour un coup: mais il nous redit souvent ce que nous avons une fois entendu, et veut que tout le temps de nostre vie nous soyons enseignez en sa bonté. Or bien, cela est il superabondaut? Il nous faut donc cognoistre la bonté infinie de nostre Dieu, lequel condescend ainsi à nostre rudesse: mais ce n'est pas à dire, qu'il nous faille prendre ceste audace de revoquer en doute ce qu'il nous a dit, et disputer si la chose sera certaine quand Dieu nous a rendu tesmoignage. Car il nous faut plustost noter ce qui nous est dit au Pseaume (12, 7), que les propos de Dieu sont comme un argent espuré par sept fois en la fournaise, où il n'y aura point d'escume ne de superfluitez: que ce n'est pas comme des hommes mortels qui sont doubles, ou bien qui peuvent desguiser une parole qu'ils auront dite, ou bien ils s'en peuvent retracter, ou trouveront quelque moyen subtil pour s'en destourner. 11 n'y a rien de cela en Dieu. Pourquoy? Ses propos sont comme un argent bien purgé, et où il n'y a rien de superflu. Ceste signature, di-ie, doit estre faite par les fideles on tout ce qu'ils oyent de la bouche de Dieu. Si tost donc que Dieu a parlé, que nous y appliquions là ceste signature, suivant ce qui nous est declaré, qu'il n'y a que toute verité et certitude en ce qui est là prononcé. Et cependant cognoissons l'honneur que Dieu nous fait, quand il veut avoir approbation de nous pour testifier sa verité. Car il n'y a que mensonge en l'esprit humain: et Dieu nous fait cest honneur-la, qu'il veut que nous soyons ses tesmoins: comme sainct Iean en parle (3, 33), Que quiconque croit en Iesus Christ, celui-là a signé que Dieu est veritable. Ainsi, puis que nous voyons que Dieu nous fait cest honneur-là, de nous ordonner ses tesmoins, combien qu'il n'y ait que vanité en nous: d'autant plus devons-nous estre enflammez pour recevoir en toute obeyssance ce que nous avons entendu de lui, et pour nous en tenir tout asseurez.

Il s'ensuit quant et quant: Qu'il fait ce que

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son ame desire. Voicy encores une sentence qui est bien vraye, quand elle sera bien entendue. Vray est que Iob a failli (comme nous avons veu) d'autant qu'il a imaginé que Dieu usoit d'une puissance desreglee, et qu'il ne pouvoit pas iuger autre chose, sinon que Dieu vouloit desployer son bras avec impetuosité si grande, qu'il n'y avoit nulle raison. Vrai est que Iob n'a pas conclu en soy ce blaspheme (comme nous avons declarë) mais il est question ici de ses premieres passions qui estoyent ainsi excessives. Or maintenant regardons quel profit nous apporte ceste doctrine, c'est que Dieu parfait ce qu'il desire. Il nous faut cognoistre en premier lieu quel est le desir de Dieu. Nous savons qu'il ne se peut accorder avec nulle iniquité: il faut donc que le desir de Dieu soit iuste et equitable. Puis qu'ainsi est, apprenons de le glorifier en tout et par tout. Et premierement quand nous verrons les choses confuses en ce monde, et qu'il nous semblera que tout doive aller autrement qu'il ne faut: regardons à ce qui nous est dit, que Dieu tient la bride, et que rien ne se fait qu'il ne l'ait disposé en son conseil. Souventesfois nous pourrions bien trouver estrange ce qu'il aura fait: car nos yeux sont par trop debiles pour comprendre la puissance infinie de Dieu. Que faut-il donc ? Concluons, d'autant que Dieu est iuste, qu'il nous faut approuver toutes choses qu'il fait, encores qu'elles ne nous viennent point à gré: et combien qu'il nous semble que Dieu doive autrement besongner, toutes fois captivons nos sens, et tenons-les en telle servitude, que nous confessions tousiours que Dieu ne dispose rien qu'il ne compasse en iustice et droiture. Et cependant notons aussi en particulier que Dieu dispose nostre salut, puis qu'ainsi est qu'il nous a appellez. Car ie ne parle point maintenant de tous hommes en general, mais ie parle de la consolation que peuvent recueillir les fideles quand Dieu s'est une fois manifesté à eux, et les a appellez specialement pour estre ses enfans, et qu'il leur a desployé son coeur, comme nous avons dit. Il ne faut point donc que les fideles soyent en suspens, ou qu'ils pensent que leur salut soit en branle. Pourquoy? C'est un depost qui est en la main de Dieu. Et qui est-ce qui le pourra arracher de là? Ainsi donc que les fideles se glorifient hardiment de leur salut. Et pourquoy? Car Dieu est tout-puissant: comme il est parlé au dixieme de sainct Iean (v. 29), Le Pere qui vous a donné à moi est plus fort que tous. A quel propos est-ce que Iesus Christ parle ainsi? C'est pour monstrer que nostre salut ne despend point ne de nous, ne des creatures: qu'il n'est point ici exposé à tous hazards, mais que Dieu le tient comme en son giron: et d'autant que nul ne pourra venir à bout de le vaincre, que nous pouvons estre asseurez que

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nous ne perirons iamais. Et pourquoy ? Pource que Dieu dispose de tout, et qu'il aime tellement nostre salut qu'il le veut procurer. Et nous en avons bon tesmoignage par l'Evangile: nous en avons, qui plus est, un gage bien certain en nostre Seigneur Iesus Christ, lequel nous est donné, afin qu'estans en lui, nous communiquions à sa vie et à tous ses biens. Et ainsi donc quand ceste doctrine sera pratiquee comme elle doit, nous verrons que non seulement elle est vraye et saincte, mais qu'elle nous est utile tant et plus.

Or il adiouste puis apres: Dieu parfera ce qu'il a decreté de moi, et il y a beaucoup de choses semblables en lui'. Ici Iob use du mot qui fut hier exposé, nous dismes qu'il signifie deux choses: c'est assavoir, Loix, Statuts, et façons de faire, un ordre, ou un ordinaire: et puis il signifie la provision d'un homme et sa nourriture. Maintenant Iob dit, que Dieu fera son ordinaire. Il dit donc, Il fera mon ordinaire: ou bien, Il fera mon decret. Or combien que la signification soit double, toutes fois la circonstance du lieu nous monstre quel est le sens c'est assavoir que Iob a entendu que Dieu parfera ce qu'il a decreté de lui. En quoy il signifie, que nous ne sommes pas ici conduits par fortune ni à l'adventure. La raison? Dieu a ordonné de ce qui sera de nous. Quand il nous a mis au monde, ce n'a pas este pour nous ietter là comme à l'abandon, et que nous cheminions à l'adventure: mais il a establi de nostre vie et de nostre mort ce qui en sera. Cognoissons donc que nous cheminons tellement sous la conduite de nostre Dieu, qu'il ne peut tomber un cheveu de nostre teste (comme dit nostre Seigneur Iesus Christ) sinon par sa bonne volonté., Car si sa providence s'estend iusques au: passereaux, et aux vers de la terre: et que sera-ce de nous lesquels il prise beaucoup plus, comme de fait ii nous a creez et formez à son image et semblance? Voila donc un article que nous devons bien noter, c'est assavoir qu'un chacun de nous a son decret: c'est à dire, que quand Dieu nous a mis en ce monde, il a quant et quant ordonné ce qu'il veut qu'il soit fait de nous: et qu'il conduit nos pas tellement que nostre vie n'est pas en nostre main non plus que nostre mort: et que nous aurons beau entreprendre ceci et cela: car au lieu d'advancer nous reculerons, sinon que Dieu nous guide. Apprenons donc de n'estre point ainsi esperdus, quand nous verrons les choses troublees au monde, comme si Dieu estoit eslongné, et qu'il ne pensast plus de nous: car il y a prouveu et y prouvoira. Voila donc comme il faut que les fideles se consolent en la providence de Dieu.

Or il est vrai que Iob a appliqué mal ceste sentence: car en ses premiers bouillons (comme on

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dit) il a ici parlé à la desesperee. Voila. (dit-il) ie say que c'en est fait. Et pourquoy? Dieu a decreté de moy ce que bon lui a semblé, et il sera accompli, ie ne profiterai rien en me rebecquant à l'encontre. Or il ne faut pas que nous commencions par là: mais devant que nous parlions du decret de Dieu, que nous cognoissions sa iustice pour lui attribuer la gloire qui lui appartient. N'imaginons point donc en Dieu ceste puissance absolue dont nous avons parlé ci dessus: car ce seroit le faire semblable à un tyran: et c'est un blaspheme execrable. Cognoissons que Dieu en disposant toutes choses, a une regle qui est souveraine, et à laquelle toute iustice et droiture se doit conformer. Or cependant il ne nous faut pas faire comme font ces glorieux qui debattent contre la providence de Dieu, et contre son election eternelle: car s'ils ne voyent la raison pourquoy Dieu fait toutes choses, ils imaginent cela estre tyrannique. Et quel blaspheme est cela? Telles gens ne sont-ils pas plus qu'endiablez Ils sont les plus ignorans, et neantmoins attentent d'enquerir les secrets de Dieu. Il est vrai qu'ils feront bien semblant d'estre grands clers: mais ce sont pures bestes: toutes fois si veulent-ils que Dieu leur monstre la raison de ! tout ce qu'il fait: autrement ils ne lui accorderoyent iamais, ne qu'il conduise toutes choses ici bas par sa providence, ne qu'il ait esleu devant la creation du monde ceux qu'il a voulu à la vie eternelle. Ainsi donc gardons-nous d'une telle rage: mais en confessant que tout ce que Dieu fait, est iuste et bon, notons que ses oeuvres nous seront souvent incomprehensibles, et ne faut point pourtant que , nous contrevenions à sa volonté. Dieu veut-il cela? Concluons qu'il est bon. Et voire, mais nous ne voyons point la raison pourquoy. Et celuy qui veut assuiettir la volonté de Dieu à quelque raison, que fait-il, sinon qu'il le despouille de sa gloire? Car la volonté de Dieu est la seule regle de toute raison, et la fontaine de toute iustice. Contentons-nous donc de cela, et ayons ceste modestie de dire, que Dieu ne veut rien qui ne soit iuste et equitable. Au reste quand nous aurons cognu en general ceste iustice et droiture: cognoissons aussi que Dieu nous fait ce bien de conioindre et unir sa iustice à nostre salut: comme aussi il y conioint sa puissance. Quand nous dirons que Dieu est Tout-puissant, cela n'est pas seulement pour l'honorer: mais afin que nous puissions estre à repos, et que nous soyons invincibles contre toutes tentations. Car selon que la puissance de Dieu est infinie, il nous saura bien maintenir et garder. Autant en est-il de sa iustice. Puis qu'ainsi est donc qu'il y a comme un lien inseparable entre la iustice de Dieu et nostre salut, commençons par ce bout-là: afin que quand nous dirons, Dieu accomplit tout ce

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qu'il veut, et quand nous dirons aussi bien que ce qu'il a decreté de nous, il le parfera: nous sachions qu'en tout cela il n'y a rien d'excessif, mais que le tout est reglé par une iustice et sagesse admirable. Au reste si nous voulons avoir une brefve exposition et familiere de ce mot, notons que Dieu a decreté de nous ce qu'il en veut faire quant au salut eternel de nos ames, et puis il l'a decreté aussi quant à la vie presente. Touchant du premier decret, devant que le monde fust creé, Dieu nous a choisis pour ses enfans. Et qu'est-ce qu'il a regardé, sinon sa misericorde infinie quand il lui a pleu de nous choisir? Car nous sommes de la masse corrompue d'Adam. Pourquoy est ce qu'il nous a preferé aux autres (comme dit sainct Paul 1. Cor. 4, 7) quand il nous a discernez pour nous rendre excellens par dessus nos compagnons? Nous meritions d'estre perdus et damnez, et il a pleu à Dieu de nous retirer de ceste perdition.

Voila donc comme il faut que nous glorifions Dieu en ce decret, quand il lui a pleu nous choisir et nous appeller à salut, et nous constituer heritiers de son royaume. Or ce decret ici nous a esté declaré en nostre Seigneur Iesus Christ: et si nous sommes membres de Iesus Christ, nous sommes asseurez de nostre adoption. Il ne faut point donc que nous allions visiter les registres de Dieu là haut au ciel: contentons-nous du tesmoignage qu'il nous en a rendu. Car si un homme qui pourra seulement avoir une copie authentique du registre, se contente de cela: et ne faut-il pas quand Dieu nous a declaré son conseil touchant nostre salut, ne faut-il pas (di-ie) que nous y acquiescions? Voila donc comme il nous faut reposer, sachans que nostre salut n'est point variable, puis qu'ainsi est que Dieu en a fait son decret qui ne se pourra changer. Or cependant quant est du decret de ceste vie presente, cognoissons que Dieu conduit tous nos pas, et que rien ne nous advient de cas fortuit: mais qu'il pourvoit à tout, que nous ne pouvons aller ne venir, ne rien faire, sinon comme 11 l'a ordonné. Sachons donc qu'estans ainsi en la protection de Dieu, nous serons bien: et puis qu'il veille sur nous, et qu'il en a le soin, ne doutons point que le diable puisse venir à bout de nous, ni aussi tous nos ennemis. Car Dieu y prouvoira, et nous saura bien garder de toutes les entreprises qui se feront à l'encontre de nous. Or cela non seulement nous doit consoler: mais c'est aussi pour nous donner courage d'exercer nostre office, et qu'un chacun chemine en sa vocation, ne doutans point que Dieu ne remedie à toutes les machinations et entreprises qui se feront contre nous, et qu'il rompra tous les filets, lesquels les hommes auront tendu pour nous surprendre. Quand nous voyons que Dieu a un tel soin de nous, et que la

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haut il decrete tout ce qui se doit faire ici bas: ne voila point une bonté qui nous devroit ravir en estonnement ? Nous sommes ici comme des grenouilles, nous sommes des sauterelles, ainsi que le Prophete Isaie en parle (40, 22): bref nous serions comme rats en paille (ainsi que dit le proverbe) n'estoit que Dieu eust dispose de ce qui nous doit advenir. Mais quand nous voyons cela, nous pouvons bien dire, le say que Dieu qui est mon Sauveur et mon Pere, d'autant qu'il a mon salut en sa main, ne permettra point que ie perisse: et cela me doit est e tout certain, puis qu'il me l'a ainsi promis.

Or Iob adiouste quant et quant, Qu'il y a beaucoup de choses telles en lui: comme s'il disoit, qui est-ce que ie m'adresse? Car quand tout le monde se dressera contre lui, il n'y gagnera rien: et ie suis ne povre vermine: ainsi donc il faut que ie me deporte. Or il dit bien quant à cela, moyennant qu'il attribuast à Dieu l'honneur et la louange de iustice, voire en ses afflictions qu'il endure: mais il est passionné en sorte qu'il ne recognoist pas Dieu iuste et equitable ainsi qu'il doit. Que faut-il donc? De nostre costé quand chacun aura cognu qu'il est sous la main et conduite de son Dieu: qu'il pense que tout le monde y est pareillement. Car si le diable n'estoit suiet à Dieu, que seroit-ce? Nous voyons de quelle rage il se dresse contre nous: nous voyons aussi quelle est la fureur des meschans, tellement qu'il semble qu'ils nous doivent engloutir: ce sont comme de grans orages et impetueux qui viennent pour nous abysmer. Notons donc que non seulement Dieu tient ses enfans en sa charge pour les maintenir: mais qu'il gouverne tellement tout le monde, que le diable (quoy qu'il attente) ne pourra venir à bout de ses entreprinses, que tousiours ceste providence celeste ne soit par dessus. Voila comme nous avons a pratiquer ceste doctrine.

Or en la fin Iob dit: Qu'il est effrayé devant Dieu, et d'autant plus qu'il y pense, il le redoute. Car (dit-il) il a amolli mon coeur, le Tout-puissant m'a estonné. La raison? Pource qu'il ne m'a point (dit-il) retranché par tenebres, et a caché de ma presence l'obscurité. Il y en a qui prennent ce passage ici, Qu'il n'a point caché, mais c'est tout au rebours. Voici en somme que veut dire Iob. Pour le premier il dit, qu'il est effrayé pensant à Dieu: et puis il adiouste la raison pourquoy, c'est d'autant que Dieu lui a fait sentir sa maiesté espouvantable. En quelle sorte? Voila (dit-il) pource que ie cognoy que i'ay affaire à lui, et qu'il est ma partie adverse. le n'endure point des afflictions, ne sachant dont elles procedent: mais ie cognoy que c'est la main de Dieu qui me persecute. Voila pourquoy ie suis ainsi effraye. Or ce passage ici

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nous est bien utile, quand nous le pourrons appliquer selon qu'il appartient. En premier lieu ce n'est point sans cause que Iob dit, qu'il est effraye de la presence de Dieu, pource qu'il In. fait sentir sa maiesté. Car c'est bien raison toutes fois et quantes que nous pensons à Dieu, que nous soyons touchez, et saisis d'une frayeur pour redouter sa maiesté, et mesmes encores que Dieu se monstre amiable envers nous, et qu'il nous convie a soy, et que par maniere de dire il nous mignarde comme des petis enfans: si est-ce que nous ne devons pas venir tellement à lui, qu'il n'y ait tousiours une crainte et humilité. Notons bien donc que celui qui a une droite cognoissance de Dieu, sera solicite de venir à lui, et y viendra de fait, s'esiouyssant de ce qu'il cognoit Dieu estre son Pere: et toutes fois il lui portera tousiours une crainte, et une obeyssance pour l'honorer. Et voila pourquoy il est dit au Pseaume cinquieme (v. 8), Seigneur i'entrerai en ton temple en la multitude de ta bonté, et là i'adorerai en crainte. C'est en somme ce que nous avons ici à noter de ceste crainte de la maiesté de Dieu. Cependant cognoissons qu'il ne nous la faut point avoir telle que Iob, c'est assavoir, que nous soyons du tout effrayez, tellement que nous fuyons la puissance de Dieu comme redoutable, et que nous ne demandions que de nous cacher devant lui: mais apres que nous aurons conceu ceste crainte, que nous soyons aussi resiouys, sachans bien que Dieu ne nous veut pas effaroucher: mais qu'il nous veut attirer à soy. Et il est besoin que nous soyons ainsi abbatus selon la presomption qui est en nostre nature: car il y a un tel orgueil en nous, que iamais nous ne ferons à Dieu l'honneur qui lui appartient, iusques à tant que nostre chair soit domptee et mattee. Et comment cela se fera-il ? Par force. Car de nostre bon gré iamais nous ne pourrons estre humbles et modestes. Il faut donc que Dieu use ici d'une violence, et qu'il mortifie ce qui est de nostre chair, que nous soyons comme cassez et rompus pour plier sous lui. Mais cela est-il fait? il nous redresse, et se contente que nous lui facions hommage, quand de sa part il se declare estre nostre Pere. Il n'est point donc question que nous soyons saisis d'une telle frayeur que nous ne sachions que devenir: mais apres que nous aurons adoré Dieu en crainte, approchons aussi de lui en la multitude de sa bonté.

Or tant y a que ce que dit ici Iob est bien notable: c'est assavoir, qu'il avoit conceu une telle frayeur à cause que Dieu avoit amolli son coeur et qu'il l'avoit espouvanté, ouy le persecutant. Car par cela Iob signifie, que combien qu'il eust tousiours craint Dieu, toutes fois quand il est assailli de telles tentations, alors il conçoit une telle crainte,

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que Dieu lui est comme incognu. Or ceci emporte deux poincts: l'un c'est, que de nostre nature nous pourrons estre sourds et stupides, que nous ne saurons que c'est de craindre Dieu (comme il a este dit) iusques à tant qu'il nous y contraigne par force. Voila donc les hommes qui seront asseurez comme des meurtriers, iusques à tant que Dieu les ait bien mattez. Or pour ceste cause voyons-nous qu'il nous est plus que necessaire d'estre affligez: car autrement nous ferions des chevaux eschappez, nous ne saurions que c'est d'obeir à Dieu, de lui rendre suiet ion aucune. Il faut donc qu'il nous face craindre par les afflictions qu'il nous envoye. Voila un Item. L'autre est, que les fideles seront quelquesfois si estonnez des iugemens de Dieu, que les voila surprins, voire et surprins en telle sorte qu'ils sont esperdus: ouy pour quelque peu de temps, comme Iob a este: mais en la fin Dieu le releve. Or ceci est bien digne d'estre noté: car le diable use de ces deux extremitez qui sont en nous. L'une c'est, qu'il a une nonchalance, tellement que sinon que Dieu nous attire à soy d'une façon violente, nous sommes endormis en nos pechez. Si le diable a gaigné cela sur nous, il se contente: mais quand Dieu nous resveille, alors le diable tasche de nous mettre en desespoir. Or il nous faut aller au devant d'une telle astuce. Apprenons donc que si Iob a esté ainsi saisi de grande frayeur, le semblable nous pourra bien advenir, et beaucoup plus, sinon que nostre Seigneur nous mortifie.

Cependant il nous faut regarder comme les hommes sont amenez à ceste crainte et frayeur. L'experience monstre que cela n'est pas perpetuel: et qu'ainsi soit, nous en verrons beaucoup de malins, qui ne laisseront pas de grincer les dents quand Dieu frappe sur eux à grans coups. Voila Dieu qui exercera ses vengeances contre ses ennemis: et toutes fois s'amenderont-ils pour cela: auront-ils le coeur amolli ? Nenni. Il y a plus d'iniquité et de malice qu'auparavant tellement qu'ils sont là à se rebecquer contre Dieu comme des bestes restives. Voyans donc que les afflictions ne peuvent pas tousiours domter et matter les hommes, et qu'ils prennent le frein aux dents pour aller tout au rebours de Dieu: par cela soyons instruits que ce n'est point sans cause que Iob dit ici qu'il a esté effrayé, d'autant que Dieu ne l'a point retranché en tenebres. Il met ici Devant les tenebres: mesmes il y a, A la façon des tenebres de mot à mot: et on l'a mal exposé, Dieu ne m'a point retranché devant que ceste calamité me fust advenue. Iob ne l'entend pas ainsi: mais plustost il signifie, Dieu ne m'a point retranché comme en cachette: les afflictions que i'endure ne sont pas incognues: comme les hommes souventesfois quand

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ils seront tormontez, qu'ils auront quelque fascherie, ne savent de quel costé cela leur vient.

Et puis il adiouste, Il a caché l'obscurité de ma presence. Mais on a ici corrompu le texte, disant Il n'a point caché: à l'opposite il est dit, Il a caché l'obscurité, etc. C'est à dire, Il me contraint de me venir presenter devant lui: comme un malfaicteur sera trainé par force devant son Iuge, et s'il pouvoit fuir, il eschapperoit volontiers: mesmes s'il se trouvoit en quelque anglet, lui-mesmes se couperoit la gorge, il se deferoit, et lui-mesnne seroit son bourreau: mais maugré qu'il en ait il faut qu'il comparaisse, et qu'il oye sa sentence. Ainsi donc Iob monstre comme il a este manie: c'est à dire, Ce n'est point en cachette que ie suis affligé: ie ne puis pas dire, Voici une mauvaise fortune, car Dieu se monstre ma partie adverse et me fait sentir que c'est à lui que ie doy rendre conte, et qu'il m'a monstre sa main. Or ceci est bien notable: car nous voyons souvent comment c'est que les hommes sont bien peu touchez de la frayeur de Dieu, quand il se declare par afflictions tesmoins Pharao et les Egyptiens. Car y a-ii iamais eu des verges de Dieu plus rudes que celles-là? Et neantmoins on voit comme tous se sont endurcis à l'encontre. Et pourquoy? Il est vrai qu'ils ont cognu par fois la main de Dieu: mais cela a esté tantost passé, et se sont esblouys d'eux-mesmes, ou bien le diable les avoit tellement ensorcelez, qu'ils ont seulement cuidé avoir Moyse et Aaron pour leurs parties adverses: mais Dieu leur a bien monstre, que quand il tient les hommes enserrez, il leur fait sentir sa main, et qu'il

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faut bien maugré leurs dents, qu'ils cognoissent qu'il est leur Iuge, et qu'il est assez puissant pour les dompter, voire pour les casser et accabler du tout. Et ainsi prions Dieu qu'il ne permette point quand nous serons affligez de sa main, que nous allions avec lui à l'estourdie, comme Moyse aussi en parle (Levit. 26, 28): mais que nous ayons les yeux; ouverts pour contempler que c'est lui qui nous chastie, et que nous ne soyons pas si stupides, et si eslourdis, que nous ne cognoissions sa main. Car quand il est dit par le Prophete (Isa. 9, 12), Qu'ils n'ont point regardé à la main qui les frappoit: c'est pour monstrer comme ce peuple rebelle D'a point esté gaigné par les verges de Dieu. Or advisons que cela ne nous advienne point: mais prions Dieu que quand il nous aura fait sentir sa main forte pour nous humilier, il ne permette point que nous soyons incorrigibles: et aussi qu'il nous face la grace que nous ne soyons point tellement engloutis de tristesse, que nous soyons effarouchez pour le fuir: mais plustost qu'il nous attire à soy, tellement que nous confians que tout ainsi que son office est de mettre au sepulchre, aussi il en peut retirer: nous disions avec le Prophete, Le Seigneur nous vivifiera au troisieme iour, et combien que nous soyons morts pour quelque espace de temps, toutes fois nous serons vivifiez par sa bonté. Que nous venions donc tousiours à celui qui a fait les playes, sac ans qu'il est le souverain medecin qui nous en garentira au nom de nostre Seigneur Iesus Christ.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

LE NONANTE ET UNIEME SERMON,

QUI EST LE . SUR LE XIV. CHAPITRE.

1. Comment les temps ne sont-ils cachez du Tout-puissant, et que-ceux qui le cognoissent n'appercoivent ses iours? 2. On change les bornes, on ravit, et pille-on les troupeaux, et s'en paist-on. 3. Les autres prenent l'asne de l'orphelin, ils prenent pour gage le boeuf de la vefve. 4. Ils destournent les povres de la voye, tellement qu'ils se cachent, et les debonnaires sont serre en la terre. 5. Ils sortent du matin comme asnes sauvages au desert pour la proye: le desert luy donne le pain, à luy et à ses enfans. 6. Ils cueillent par les champs leurs moissons, ils vendangent par les vignes, voire les meschans. 7. Ils despouillent l'homme nud, tellement qu'il chemine sans vestement par le froid. 8. ils sont arrousez de la pluye de la nuict par les montagnes, et embrassent la pierre pour leur couche. 9. Ils pillent le pupille, et prenent gage sur le povre.

Le propos qui est icy traitté a esté deduit par cy devant en un autre endroit: mais il n'y a rien qui ne nous profite, quand nous aurons bien regardé pourquoy Dieu nous propose tant souvent ceste doctrine icy. Il est question que Dieu n'exerce pas ses iugemens à veuë d'oeil, en sorte qu'on

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cognoisse qu'il a le soin des bons pour les maintenir, et qu'il est ennemi des meschans pour les chastier comme ils l'ont merité. Nous ne voyons point cela: car les choses sont confuses au monde. Vray est que Iob en a tenu cy devant long propos: mais nous savons que c'est un tel scandale, et si grand que nous en sommes troublez à chacune fois: ie di, les plus parfaits. Si le mal continue, et que Dieu n'y mette point de remede, chacun se tormente, et dispute-on, comment il est possible que Dieu soit si patient, et comme il dissimule tant, et qu'il semble qu'il soit comme endormi quand il permet ainsi tout. Il est donc besoin que nous soyons confermez en ceste doctrine qui est icy contenue, et qu'elle nous soit souvent reduite en memoire: afin que quand nous voyons les choses troublees au monde, nous ayons tousiours ceste clarté de foy, qui nous serve pour voir les iugemens de Dieu, combien qu'ils nous soyent cachez pour ce iourd'hui. Ainsi le but est, que Iob veut ici monstrer, que Dieu pour un temps cache ses iugemens, et qu'il n'execute pas du premier coup sa vengeance sur les meschans, et ne delivre pas les bons: mais qu'il permet qu'ils endurent beaucoup d'iniures.

Pour prouver cela il dit, Comment les temps ne sont-ils cachez au Tout-puissant, et que ceux qui le cognoissent ne voyent-ils point ses iours? Nous avons veu cy dessus qu'Eliphas pretendoit que Dieu estoit tellement Iuge du monde, qu'un chacun appercevoit comme il pense de ceux qui le servent, et qu'il a l'oeil sur eux, et qu'il leur tend tousiours la main, que les meschans sont d'autre part chastiez par sa main. Or c'est tout l'opposite, dit Iob. Car qu'ainsi soit, on voit que tout est plein de brigandages, on voit que les plus forts l'emportent par violence, ceux qui ont travaillé ne mangent point le labeur de leurs mains: mais leur substance leur sera ravie. Quand les bons sont ainsi molestez et affligez, et que les meschans sont endurez, et qu'on ne les punit point, et que Dieu les attend comme s'il ne lui challoit des choses de ce monde: que dira-on sinon qu'il dissimule, et qu'il ne veut point se monstrer iuge iusques à ce qu'il cognoisse le temps opportun? Or si nous voulons enquerir la raison pourquoi nous y serons confus. Il faut bien donc conclure que les iugemens de Dieu sont secrets et admirables, et qu'ils outrepassent tout sens humain, et que nous defaudrons ici entre nos esprits: mais qu'il nous faut adorer les secrets de Dieu qui nous sont incognus, confessans qu'il est iuste, encores que nous trouvions estrange ce qu'il fait. Au reste, on s'est beaucoup tormenté en ceste premiere sentence, où il est dit, Comment les temps ne sont-ils cachez de Dieu? Car il semble que Iob blaspheme en voulant exclurre Dieu du gouvernement

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de ce monde. Et on a dit qu'il entend par les temps, les choses qui sont suiettes à changemens et revolutions: comme si Iob vouloit dire que Dieu gouverne bien le monde en general, mais qu'il ne se mesle point de tout, tellement qu'il ordonne et conduise les affaires particulieres par le menu.

Or cela est loin du sens naturel: car il ne nous faut point cercher d'exposition ni de glose qu'au texte mesme, car il est dit ici: Comment les temps ne sont-ils cachez? Qu'entend Iob par cela? Il s'expose en adioustant, Comment ceux qui cognoissent Dieu, n'apperçoivent-ils ses iours? Nous savons que les iours de Dieu sont appellez ceux auquel ils se manifeste et declare. Car quand Dieu ne punit point les meschans, et qu'il ne delivre point les bons! et ne les exauce pas en leurs requestes du premier coup: nous sommes comme en tenebres, il semble que Dieu soit caché, et qu'il se retire de ce monde, qu'il s'en separe pour laisser tout à l'abandon. Bref, sinon que Dieu nous face sentir sa providence, et que nous soyons convaincus qu'il gouverne haut et bas: nous sommes comme en la nuict: voila un temps obscur: il n'y a clarté sinon en la face de Dieu, quand il se monstre Pere de tous les bons, et qu'il les conserve par sa grace, et qu'à l'opposite il punit les meschans comme ils en sont dignes. Voila, di-ie, ce qui nous esclaire: c'est le vrai iour du Seigneur. Et toute l'Escriture saincte en parle ainsi: comme quand elle dit aux meschans, Vous resiouissez-vous du iour du Seigneur? Il vous sera converti en tenebres et non pas en clarté, il sera plein d'effroi et d'estonnement. Pourquoi ? Quand Dieu apparoist, il faut que les meschans soyent estonnez, pource que sa presence est pour les abysmer. Car qui est cause que les meschans sont ainsi obstinez, et qu'ils se mocquent de toutes menaces, et qu'ils poursuivent en leurs meschantes affections, sinon qu'il leur semble qu'ils sont eschappez de la main de Dieu? mais quand Dieu se declare à eux, il faut qu'ils soyent estonnez maugré leurs dents.

Or retournons maintenant au texte. Il est dit, Que les iours de Dieu ne sont point contemplez de ceux qui le cognoissent: c'est à dire, des bons qui se fient en Dieu, et s'attendent à son secours, et au salut qu'il leur a promis: que ceux-là ne peuvent du premier coup appercevoir qu'il les vueille aider: ils le cerchent, et cependant ils demeurent là en suspens, comme s'ils n'avoyent rien profité en l'invoquant. Voila donc comme les bons ne peuvent contempler la presence de Dieu: c'est à dire, ils ne peuvent pas sentir si tost par experience que Dieu leur soit prochain, comme il se declare disant qu'il est tousiours prest à exaucer ceux qui l'invoquent en verité. Or maintenant nous avons

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le sens naturel du passage: c'est assavoir, que les temps ne sont cachez de Dieu pource qu'il n'execute pas ses iugemens à chacune minute de temps, mais il differe, il prolonge: cependant nous n'appercevons pas ses iours. Car auiourd'hui il nous semblera que Dieu ne se soucie nullement de nous, il nous semblera pour quelque temps qu'il se separe et s'eslongne de nous, d'autant que sa providence ne nous est pas cognuë. Il est vrai que Dieu voit et regarde toua les iours, et n'a pas les yeux bandez: mais ceci se rapporte à nostre sens, comme l'Escriture a accoustumé de s'accommoder à la rudesse et infirmité des hommes. Dieu donc a ses temps, et lors il monstrera qu'il voit les choses: non pas qu'il n'aperçoive tout dés le iourd'hui, mais de nostre costé nous ne pouvons pas iuger qu'aniourd'hui il ait le soin des hommes, et qu'il ait les yeux ouverte pour noter et marquer les maux qui se commettent, afin qu'il y mette ordre. Noua ne voyons point cela, voire quant à nostre apprehension: il y a quelque temps caché au x hommes, mais cognu de Dieu: c'est à dire, que Dieu prolonge ses iugemens, et ne les excecute pas du premier coup. Voila quant au sens de la lettre.

Or maintenant advisons de recueillir l'instruction de ce passage telle qu'elle nous est donnee. l'ay desia dit, que c'est une tentation bien mauvaise aux fideles, quand les choses sont confuses au monde, et qu'il semble que Dieu ne s'en mesle plus: mais que fortune gouverne et domine. Et voila qui a este cause de ces proverbes diaboliques, Que tout se demene par cas fortuit, Qu'il y a une conduite aveugle des choses, et que Dieu se iouë des hommes comme de pelotes, qu'il n'y a ne raison ne mesure, ou bien que tout se gouverne par quelque necessité secrete, et que Dieu ne daigne pas penser de nous. Voila ces blasphemes qui ont regné de tout temps. Et pourquoy? Car (comme i'ay desia dit) le sens humain s'esblouit, quand nous voulons iuger des choses confuses, et qui outrepassent nostre iugement et raison. Que faut-il donc? que nous soyons armez contre tels scandales: et que quand Dieu ne se declare point Iuge, et qu'il semble plustost qu'il soit là enfermé au ciel, et qu'il se donne du bon temps, et qu'il ne se vueille point empescher de nos affaires: tontes fois nous tenions ceci pour conclu, qu'il ne laisse pas de faire son office: voire, mais c'est d'une façon qui nous est secrette et incognuë. Et au reste, encores que ses iugemens nous soyent admirables, que nous ne laissions pas de les adorer avec toute humilité, confessans qu'il est iuste, et attendans en patience qu'il nous monstre la raison pourquoi il differe ainsi Que si cela nous semble estrange, souvenons-nous de ce qui a esté traitté ci dessus, c'est assavoir, que nous avons les esprits ai pervers

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et malins, que nous tournerons tout au rebours les oeuvres de Dieu, et n'en pouvons iamais faire nostre profit. Si Dieu tenoit un tel ordre, qu'incontinent qu'un homme auroit failli il fust chastié selon son offense, que les bons fussent ici en paix et en repos: quelle esperance y auroit-il plus de la vie eternelle? Car encores ne peut-on venir a bout de nous arracher d'ici bas. Si donc Dieu nous donnoit un estat paisible et parfait, et où il n'y eust que redire: la foi seroit aneantie du tout, nous n'aurions plus esperance de la vie immortelle, il n'y auroit plus de resurrection selon nostre phantasie. Voila comme les hommes, quand ils pourroyent sentir les iugemens de Dieu selon qu'ils les desirent, s'endormiroyent ici bas, et s'y attacheroyent. Or il vaut beaucoup mieux que les choses soyent confuses, afin de nous resveiller, car si nous estions en paix, nous serions endormis, nous n'aurions plus de sentiment, ne rien qui soit: mais ai les choses vont mal, nous sommes contraints de penser à Dieu, et d'eslever nos sens en haut, et mediter qu'il y a un iugement qui est appresté, lequel ne se monstre pas encores: et voila comme nostre Seigneur nous conduit iusques à l'attente du dernier iour, et de la resurrection qu'il nous a promise. Mais tant y a que les hommes ne laissent point de s'envelopper en beaucoup d'imaginations fausses et meschantes. Car (comme i'ay desia dit) pource que les choses ne nous viennent point à souhait, nous sommes tentez de cuider que Dieu ne pense point de nous, et qu'il n'y a plus d'esgard, et que c'est temps perdu de le servir, et que c'est tout un de vivre bien ou mal, que les bons ne profitent rien cheminans en crainte sous lui.

Voila comme les hommes se desbordent à toute impieté, d'autant que nostre Seigneur n'a pas ses iugemens reglez selon que leur appetit porte, et selon leur sens et phantasie. Pour ceste cause apprenons, non seulement de nous defier de toute nostre prudence charnelle, mais de cognoistre qu'elle est ennemie à la sagesse de Dieu, et qu'il ne faut point que nous laschions la bride à ce que nous pouvons penser de nous-mesmes: mais que nous meditions bien la doctrine qui est ici contenue, c'est assavoir, que les iugemens de Dieu sont cachez aux hommes, et qu'ils surmontent tout ce que nous pouvons apprehender: que c'est une mesure trop petite que nostre cerveau pour enclorre une chose infinie. Car voila aussi pourquoi l'Escriture saincte appelle les iugemens de Dieu des abysmes incomprehensibles, et qu'on ne peut sonder. Il faut donc que ceci nous viene en memoire pour nous retenir en bride, et que nous soyons sobres et modestes, afin de ne point nous avancer par trop, mais que nous attendions que Dieu nous revele ce qui nous

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est auiourd'hui caché. Voila le but où il nous faut rendre, si nous voulons recueillir bonne instruction

et utile de ce passage.

Or maintenant notons aussi, que si l'iniquité regne, et qu'il n'y ait point de remede, cela ne doit point nous sembler nouveau: car il en a este ainsi de tout temps. Il est certain que si nous faisons comparaison entre l'estat qui estoit du temps de Iob, et celui qui est auiourd'hui, il y avoit alors beaucoup plus d'integrité. Car nous savons que le monde empire, et que les hommes s'endurcissent à tout mal, que la corruption s'augmente de plus en plus: mais tant y a que desia du temps de Iob on voyoit les complaintes qui sont ici faites: c'est assavoir, que les riches estoyent comme des gouffres pour engloutir tout, qu'ils mangeoyent les orphelins, ils pilloyent les vefves, il n'y avoit que cruauté en eux: apres, si les povres avoyent travaillé, et que mesmes ils eussent presse l'huile en leur maison, qu'on ne laissoit point de leur venir ravir leur substance: apres avoir fait vendange, ils ne laissoyent point d'avoir soif: car le vin leur estoit tiré hors des mains: voire, que la cruauté estoit iusques là, que les povres gens estoyent despulliez de leurs robbes, qu'il falloit qu'ils allassent tous nuds, et qu'au lieu de leurs couëtes et coussins ils embrassassent les pierres, qu'ils dormissent à la pluye, et à la rosee de la nuict, au vent et à la froidure. Or si telles cruautez ont desia este du temps de Iob: auiourd'hui que le monde est desbordé à tout mal, que nous sommes venus au comble de toute iniquité, se faut-il esbahir s'il y a des cruautez beaucoup, si les plus forts l'emportent par la violence, et qu'il n'y ait plus ne raison, ni equité, ne droiture, que les hommes soyent comme bestes sauvages? Cela, di-ie, ne nous doit point estre nouveau, quand nous voyons que lors qu'il y avoit plus de iustice beaucoup, neantmoins telles extorsions ne laissoyent pas d'estre meslees parmi. Il est vrai que ceci nous est difficile à comprendre. Tant y a que ce n'est point en vain qu'il est escrit. Mais afin que nous en recevions instruction, et qu'un chacun se dispose, quand ces iniquitez regnent ainsi, d'estre patient, et de porter le tout paisiblement, puis que Dieu nous veut exercer en cela, comme ceux qui ont vescu devant nous ont monstré le chemin à ceux qui devoyent suivre. Que nous apprenions, di-ie, de nous apprester à ces choses, voire pour estre patiens: car il ne nous faut point endurcir à la cruauté des meschans pour leur ressembler: il ne nous faut point pratiquer ce proverbe maudit, de hurler entre les loups. Mais tant y a qu'il faut que nous soyons armez de patience: ce qui ne se peut faire, que nous n'ayons prins ceste conclusion en nous-mesmes, Puis que Dieu a permis que de tout temps il y eust beaucoup

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d'extorsions et de violences, de malices et cruautez: que si le semblable est auiourd'hui, il faut que nous baissions la teste' que nous attendions en patience que Dieu remedie à nos maux, et que nous sachions que cela ne se fera point du premier coup. Et pourquoy? Car Dieu dissimule pour un temps, et semble que les choses soyent cachees de sa face, et qu'il ne vueille rien appeller à conte. Il faut donc que cependant nous facions silence: car si nous murmurons, ce sera pour accuser Dieu, comme s'il ne gouvernoit point le monde en iustice. Et qu'est-ce sinon usurper une superiorité par dessus lui, qui est un blaspheme trop execrable ?

Venons maintenant à un autre poinct que nous avons à observer: c'est de considerer par le menu les iniquitez que Iob marque ici. Or il y a bien d'aucunes choses qui semblent de prime face estre excusables, comme quand il dit, Que les riches prenent gages des orphelins, qu'ils ravissent leurs asnes, qu'ils prenent les boeufs des povres vefves. Et Bien, comme il a este dit par ci devant, c'est chose licite de prendre gage, en toute police cela sera permis: mais notons que quand Dieu a permis à son peuple, que ceux qui prestoyent leur argent prinsent gage: ç'a esté à telle condition que les povres gens ne fussent point grevez outre mesure, et que leur substance ne fust point ravie: comme nous avons declaré ci dessus, de prendre le lict d'un povre homme en sorte qu'il soit contraint de coucher sur la paille. Voila une cruauté qui ne sera point punie des hommes: mais elle ne laisse point de venir à conte devant Dieu, et estre enregistrée, iusques à ce que ceux qui n'ont eu nulle pitié de leurs prochains, cognoissent aussi que le iugement sera executé sur eux sans aucune misericorde: et mesmes quand les povres gens ne demanderont nulle vengeance à Dieu, il ne laissera point de la faire: comme il le prononce par Moyse. Que les costez de celui qui a froid crieront, combien qu'il ait la bouche close, combien qu'il endure tout. Tant y a donc que Dieu regarde la pitié du povre homme à la condamnation de celui qui a este ainsi cruel. Ainsi ce n'est pas sans cause que notamment Iob entre les cruautez qui se commettoyent de son temps recite que les riches prenoyent gages des orphelins et des vefves, voire les gagea qui leur estoyent necessaires pour leur nourriture, comme voila un orphelin qui aura un asne pour travailler: or s'il lui est ravi, c'est autant comme si on lui estoit le pain de la bouche. Voila une vefve qui aura une vache, elle en tire le la t pour acheter du pain: et si cela lui est esté, elle demeure du tout despouillee et desnuee. Si cela n'est reputé larcin devant les hommes, et qu'il ne soit point puni: si est-ce que devant Dieu il faut qu'il vienne à conte et qui pis est, combien

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que nous amenions nos excuses tant qu'il nous est possible, si est-ce que nous sommes convaincus, et nous mesmes en sommes iuges. Comment donc est-ce que Dieu fera son office au prix ? Quand nous voyons un povre orphelin prest à mendier son pain, et que nous voyons qu'on le despouille de sa substance, que nous voyons une povre vefve opprimee: nous sommes esmeus et touchez de dire, Et quelle cruauté est-cela? Nous qui sommes hommes mortels, povres vers de terre, en cognoissant le mal nous le condamnons: et ie vous prie, Dieu sera-il aveugle? Aura-il les yeux fermez? Et ainsi combien que les hommes taschent de se couvrir par beaucoup de subterfuges: si est-ce neantmoins que tousiours ils ont une telle impression en leurs coeurs, qu'il faut qu'ils discernent entre le bien et le mal, et quand ils auront esté iuges, qu'ils cognoissent qu'il faudra venir devant le Iuge celeste qui voit beaucoup plus clair que nous ne faisons pas.

Or cependant il nous faut aussi noter ce qui est ici dit, Que les bornes estoyent remues: qui est une chose trop confuse. Car les bornes sont pour distinguer les heritages, ainsi qu'il y a pour traffiquer entre les hommes, l'argent qui est comme la foy publique. Si nous n'avions l'argent pour traffiquer les uns avec les autres, et que seroit-ce? Il est vray que devant qu'il y eust argent monnoye, les hommes avoyent bien eu quelque communication ensemble par eschange: mais ceste simplicité-là n'est pas auiourd'hui, et ne la pourroit-on exercer en tel temps si pervers qu'on le voit. L'argent donc monnoyé qui sera manié, et qui aura mise, est comme un respondant ou une fiance qu'on appelle, afin que les hommes puissent communiquer les uns avec les autres. Il y a puis apres les bornes qui sont pour les champs et possessions, si cela n'est certain et continuel, il n'y aura plus d'humanité entre nous, et nostre vie sera plus confuse, que celle des bestes brutes et sauvages. Et toutes fois nous voyons que desia de si long temps il y a eu ceste fraude et malice, de changer les bornes, et de falsifier une chose qui devoit estre comme saincte entre les hommes. Suivant donc ce que i'ay desia dit, si les bornes ne sont inviolables: il est certain que tout est exposé en proye et en ravissement, et qu'il n'y aura plus que brigandage au monde. Mais voyans que cela a esté des lors qu'auiourd'hui nous soyons confermez contre un tel scandale. Cependant tontes fois le temps n'est point pour iustifier ceux qui faillent. Et nous faut noter ce poinct: car il y en a beaucoup qui pensent faire bouclier quand une chose aura este accoustumee, et qu'elle sera de long usage. Or ie vous prie, auiourd'hui ne savons-nous pas que ceux qui arrachent les bornes sont pires que larrons?

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Nous avons bien un tel iugement: car encores que nous n'eussions point de Loi de Dieu, ne d'Escriture, si est-ce que nous avons cela engravé en nos coeurs, que nous detestons une telle fausseté et quand on alleguera. Voila comme on en a usé, on l'a ainsi pratiqué il y a plus de trois mille ans: assavoir si ceux qui auiourd'hui falsifient les bornes sont iustifiez, pour dire, qu'ils sont en possession de cela de long temps? Nenni. Et ainsi apprenons de ne nous point endurcir aux exemples que nous verrons: si les hommes commencent à mal faire, et à despiter Dieu, et que les autres poursuivent, tellement qu'il semble que tout leur soit permis, et que l'usage soit comme une loi, ne nous endormons point là dessus. Car Dieu ne change point pourtant, lui qui est la regle de toute droiture: et ce qu'il a establi une fois, il faut qu'il demeure à iamais: il faut que toutes les oeuvres des hommes y soyent rapportees, et qu'elles s'y compassent: si tost qu'on en sera decliné, il faut que cela se condamne. Pourtant notons bien que quand les fautes et iniquitez des hommes seront en usage, il Defaut pas que nous disions, le puis ensuivre cela, d'autant que c'est une chose tout accoustumee entre les hommes: nenni, nenni: mais regardons tousiours à Dieu, lequel (comme i'ay dit) a establi une regle qui un changera point: et combien que les hommes se tournent çà et là, et que les choses semblent bien estre confuses, si est-ce que la iustice de Dieu demeurera tousiours inviolable et en son entier. Et ainsi que nous apprenions de nous recueillir en patience, et de cheminer en la crainte de Dieu, et de regarder â. ceste droiture qu'il nous commande.

Il est dit puis apres: Que les povres estoyent enserre, et qu'on les faisoit destourner de la voye, et les meschans avoyent la vogue, et qu'au lieu d'estre cachez ils dominoyent par les rues, et tenoyent le

pavé comme en possession. Or auiourd'hui cela se voit autant ou plus qu'on ne l'a veu alors: mais tant y a que nous sommes admonnestez, quand nous verrons qu'il n'y a point de iustice, que ceux mesmes qui ont la charge de reprimer les iniquitez, et qui sont assis au siege de Dieu, qui ont le glaive et le baston de iustice en main, ne font point leur devoir, que nous n'en devons point estre scandalisez par trop. Il est vrai que nous devons bien gemir en premier lieu, d'autant que ce siege qui devoit estre consacré au service de Dieu est ainsi prophané par les hommes: et puis cognoistre aussi que nous sommes chastiez iustement de nostre Dieu, quand il ne permet point que la iustice domine comme il appartient: car c'est signe que nous ne sommes pas dignes qu'il nous gouverne. Il faut donc que nous gemissions quand nous voyons des offenses commises. et que les seigneurs de

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iustice et les magistrats n'y mettent point la main, qu'ils n'ont point une telle vertu et vivacité comme ils devroyent. Cognoissons, di-ie, que Dieu nous chastie par ce moyen-la: voire, d'autant que son nom est blaspheme, que cela nous touche, et que nous en soyons contristez. Mais cependant si faut il conclurre en la fin, que puis qu'ainsi est que Dieu ne fait point que les choses soyent encores auiourd'hui reduites en perfection, qu'il faut que nous attendions qu'il se monstre Iuge au dernier iour. Et au reste nous avons aussi à nous armer contre un tel scandale, quand nous voyons que les meschans prennent telle licence, que quand ils auront batu l'un, frappé l'autre, et fait beaucoup de tort et de violences, encores il n'y aura nul remede: mais c'est tousiours à recommencer, et faut que les bons ayent la bouche close quand ils sortiront de leurs maisons, qu'on se mocque d'eux, et pourtant qu'il faut qu'ils se tiennent là comme enserrez. Quand nous verrons tout cela, et bien prions Dieu qu'il lui plaise d'avoir pitié de nous, et que si les hommes sont froids, il desploye sa vertu: mais s'il differe, et que les choses ne viennent pas selon nostre desir, adorons ses iugemens secrets.

Voila donc pourquoi ceci nous est descrit, c'est assavoir que les iustes seront enserrez, qu'ils ne s'oseront pas monstrer par le chemin, et qu'il faudra qu'ils se cachent, et qu'ils soyent tenus comme prisonniers. Cependant notons que c'est de l'estendue des meschans, que quand on aura fermé les yeux à leurs iniquitez, et qu'on ne les aura point corrigez en temps opportun ils cueillent une audace telle qu'ils s'osent monstrer en pleine rue, et faire là leurs triomphes. Et pleust à Dieu que nous n'en vissions point les exemples auiourd'hui. Mais quoy ? Un homme de bien à grand' peine osera-il aller par les rues qu'il ne soit picqué et brocardé, qu'on ne le fasche et moleste: et si on le vient assaillir, à grand' peine osera-il maintenir sa bonne cause, et cependant que feront les pendars qui devroyent estre attachez an gibet il y a dix: ans ? O, ceux-là s'en iront la teste levee, voire avec une audace telle, que non seulement ils feront honte à, un chacun particulier, mais aussi à toute la iustice. Car quand il se faudra trouver ou en privé, ou en commun, un pendard viendra là monstrer son front de putain: et on le souffre, on l'endure ainsi despitter Dieu et les hommes tout manifestement. Ainsi donc nous avons à noter que quand il n'y aura point du premier coup les chastimens qui devroyent estre, les meschans s'enorgueillissent en telle sorte qu'ils dominent sur les povres et simples, et se desbordent à toute impieté, et prenent une telle audace, qu'il faut que les bons se cachent comme en prison, qu'ils n'osent

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plus sonner mot. Quand nous voyons cela, di-ie, que nous attendions en patience que Dieu y motte ordre. Cependant toutes fois cela doit advertir ceux qui sont constituez de Dieu en estat public, de faire leur office soigneusement, et d'y besongner en telle vertu qu'ils ne soyent point coulpables d'un tel desordre et confusion si extreme comme elle est ici monstree: autrement il faudra que cela leur revienne sur leur teste. Car non seulement ils porteront une partie du fardeau, mais il faudra qu'ils en soyent accablez du tout. Voila en somme ce que nous avons à noter.

Or il est dit quant et quant: Que les meschans se levent du matin pour aller à leurs besongnes, voire pour piller et ravir (dit Iob) comme des asnes sauvages, qui sont bestes legeres et fort agiles. Ici il signifie que les pieds des malins et pervers sont hastifs à courir pour espandre le sang, et pour faire tous leurs malefices. C'est une vertu que Dieu a donnee aux hommes, que diligence: mais cependant il faut qu'ils cognoissent à quoi et à, qu'elle fin ils sont creez pour s'apliquer la, et y employer toute leur industrie et agilité. Nous savons ce qui est dit de l'ordre de Dieu au Pseaume 104 (v. 23), que quand le soleil se leve, c'est plus que si Dieu sonnoit une trompette: car il nous esclaire, afin que chacun aille à son ouvrage et à sa besongne: pour nous monstrer par cela qu'il ne nous a point faits pour estre oisifs et inutiles, mais qu'il se faut appliquer à quelque chose pour servir à Dieu et à nos prochaine. Voila donc le soleil qui nous est comme un soliciteur de Dieu, afin que nous soyons diligens à faire ce qui est de nostre devoir. Or les hommes souvent auront assez de diligence, ils se voudront bien employer, ils se leveront assez matin. Mais pourquoi faire? Pour aller yvrongner et gourmander, et se desborder en tonte intemperance: comme il en est parlé au Prophete Isaie (5, 11), que le iour ne sera point assez long pour faire leurs dissolutions. Et puis en la fin quand ils seront tant las qu'ils n'en pourront plus, ils s'abbrutissent du tout: car ils dorment de iour, et veillent la nuict tellement que l'ordre de nature est du tout renversé par eux. Les autres se levent du matin. Et pourquoy? Pour faire quelque trahison et lascheté à leurs prochains, pour tromper l'un, et circonvenir l'autre: les autres iront à leurs paillardises, les autres leurs traffiques meschantes. Voila donc où c'est que la pluspart des hommes appliquent leur diligence. Or notamment ceci nous est monstre, afin que nous cognoissions où c'est qu'il nous faut appliquer. Quand donc le soleil se leve, que nous apprenions de remercier Dieu, de ce qu'il nous esclaire ainsi, afin que Nous puissions tourner nos mains, c'est à dire, nous employer

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où il nous appelle, et là où il se veut servir de nous.

Et au reste que nous ayons tousiours ce but, de savoir à quoi nous sommes appellez, et que c'est que Dieu approuve: et gardons-nous bien d'abuser de la clarté du soleil, et de la diligence que Dieu nous aura donnee, l'appliquans à nuire nos prochain, ou faire tort ou dommage à aucun. Plustost quand nous verrons et les larrons, et le paillarde, et les yvrongnes estre ainsi diligens au mal, que nous apprenions de nous redarguer, Comment? Et cestui-ci cet le plus diligent du monde. Et pourquoi faire? Pour s'aller meurtrir. Si un homme est adonné yvrongnerie et à gourmandise, il se met desia au sepulchre devant sa mort. Car nous voyons ce yvrongnes qui seront comme des charongne, ils seront à demi pourris. Et dequoy? C'est un salaire qu'ils remportent de leur belle diligence à gourmander et abuser des bonnes creatures de Dieu. Les autres s'en vont à leurs paillardises, les autres à leurs pillages et brigandages. Or combien que ceux-là pensent faire leur profit, si est-ce qu'ils ne sont diligens qu'à leur perdition: car quand ils se seront bien tormentez, ils n'auront rien fait, sinon amasser comme un monceau de bois, et le feu de l'ire de Dieu se mettra dedans pour tout consumer en la fin. Quand donc nous voyons les contempteurs de Dieu, et les meschans estre ainsi diligens à mal faire: ie voue prie, si nous sommes des faineans, que nous ayons les bras rompus, n'est-ce pas une grand' honte à nous? Ceux-là mesmes ne seront-ils pas les tesmoins de ce que nous aurons esté ainsi inutiles? Voila donc ce que nous aurons à noter de ce

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passage: c'est assavoir que nous sommes admonnestez d'estre diligens: mais que nous advisions d'appliquer ceste diligence ou Dieu nous veut employer. Et pour ce faire que nous regardions à sa bonne volonté, qui est que nous communiquions les une avec les autres pour aider à nos prochains, qu'un chacun regarde quelle est la faculté et le moyen qu'il a pour secourir à ceux qui ont faute de lui. Voila quelle doit estre i nostre diligence. Et au reste que nous cheminions comme enfans de clarté, puis que Dieu nous esclaire maintenant et de iour et de nuict: invoquons-le de nuict: gemissons à lui: et de iour quand il nous envoye son soleil, et que Nous voyons ce que nous avons à faire, et quel est nostre office, employons-nous fidelement

cela: et que pour le moins nous soyons aussi hastifs comme ceux qui s'addonnent ainsi à mal, afin qu'ils ne soyent point tesmoins de nostre paresse. Et combien que nous ne voyons point que Dieu les punisse du premier coup, tenons neantmoins pour tout resolu, qu'il y a une horrible vengeance qui leur est apprestee, laquelle ne se monstre pas: mais ne laissons point pourtant de la contempler de loin: comme il faut aussi que nostre foi surmonte toutes les choses qui nous sont maintenant invisibles, et qu'elle contemple ce qui est cache. Voila donc comme nous avons à faire nostre profit, mesmes des confusions qui se voyent en ce monde, iusques à ce que nostre Seigneur rameine tout en estat et en perfection, qui ne sera qu'au dernier iour.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

LE NONANTE DEUXIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXIV. CHAPITRE.

10. Ils contraignent l'homme nud d'aller sans vestement, et ostent la glane à l'affamé. 11. Ceux qui pressent l'huile en leurs murailles, et foulent le pressoir, ont soif. 12. les hommes crient de la ville l'ame des navre se presente, et Dieu n'y met point d'empeschement. 13. Ils sont entre ceux qui hayssent toute clarté, ne cognoissans point les voyes d'icelle, et ne se tiennent point au sentier. 14. L'homicide se leve de matin, il meurtrit le povre et l'indigent, et de nuict il est semblable au larron. 15. L'oeil de l'adultere desire le soir, disant, L'oeil ne me verra point: et cache sa face. 16. Il perce de nuict les maisons qu'il avoit marquees de iour, et ne s'accorde point avec la clarté. 17. La lumiere du matin lui est comme ombre de mort: si quelqu'un les cognoit, les voila en frayeur de l'ombre de mort. 18. Ils sont legers par dessus les eaux, leur portion est maudite en terre, et ne voyent point 7e fruict des vignes.

Iob continue ici à monstrer l'estat qui se contemple par tout le monde, sans que Dieu y remedie ni pourvoye. Et cela est pour monstrer

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que les iugemens de Dieu ne sont point tousiours visibles, et qu'on ne les apperçoit pas du premier coup: mais qu'il faut en patience se tenir coi, iusques à ce que nostre Seigneur estende sa main, comme il sait le temps opportun de ce faire: et ce n'est pas à nous de le constituer. Maintenant donc Iob allegue, que le monde est plein de pillages, en sorte que les povres gens vont tout nuds, que ceux qui ont glané n'ont pas pour manger un morceau de pain, qu'on leur ravit mesmes ce qu'ils ont peu glaner apres les riches. En quoi il signifie, que ceux qui ont dequoi abusent de leur credit, et de leurs richesses, pour du tout consumer les povres gens. Et c'est une chose par trop exorbitante: tant y a neantmoins que Dieu n'y prouvoit point, encores qu'il soit Iuge du monde. Cela nous pourroit troubler de prime face, comme nous voyons que beaucoup pensent que Dieu soit endormi, quand il ne besongne pas à leur appetit: mais il faut que nous ayons cela tout resolu en nous, et que de longue main nous l'ayons preveu, afin que nous n'en soyons point troublez ni scandalisez, quand il adviendra: car il en a esté ainsi de tout temps, et Dieu toutes fois n'a pas laissé d'estre Iuge du monde: mais les temps semblent estre cachez, pource que nous ne voyons pas Son iour si tost. Il est vrai qu'il cognoist tout: mais cependant il se cache, c'est à dire, il ne monstre pas qu'il vueille avoir le soin de ceux qui sont affligez pour les secourir: car il esprouve leur patience pour un temps.

Apres qu'il a ainsi parlé, il adiouste, Que ceux qui ont travaillé, et qui mesmes ont dequoi, ne pourront pas iouyr de leurs biens. Celui (dit-il) qui aura pressé l'huile en ses murailles, celui qui aura foulé le vin, ne laissera point d'avoir soif. Vrai est que ceci adviendra souvent pour quelque iuste punition de Dieu: comme nous voyons aussi que les menaces en sont mises en la Loi, Tu planteras les arbres, et n'en mangeras point le fruict: tu cultiveras la terre, et semeras le bled, et ne feras point moisson: tu travailleras aux vignes, et n'en beuvras point le vin. Quand nostre Seigneur parle ainsi, ce n'est pas qu'il vueille laisser les choses confuses au monde: mais au contraire il menace de punir ceux qui n'auront pas bien usé des biens qu'il leur fait. Or tant y a que de nostre costé nous ne pouvons pas tousiours marquer à l'oeil pourquoi c'est que Dieu dissimule, quand les uns pillent et ravissent, et que les autres Sont despouillez de leur substance, nous ne pouvons pas voir la raison: car Dieu aussi nous veut humilier, afin que nous lui facions cest honneur de confesser qu'il est iuste: voire estans là comme esblouys, nous ne pouvons discerner que c'est qu'il veut. Et voila à quoi Iob a ici pretendu: comme s'il disoit, Nous voyons ceux qui ont travaillé, mourir de faim et

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de soif, et cependant les autres ravissent leur substance. Or il seroit bien en Dieu d'y remedier, il

ne le fait pas: il faut donc conclure que Dieu ne besongne point d'une façon qui nous soit cognue, et que nous comprenions en nostre sens: mais que c'est un conseil admirable qui surmonte l'esprit humain, tellement que nous y sommes comme

aveugles. Et ne faut pas que nous pretendions de mesurer tout ce que Dieu fait à nostre raison (car nous entrerions en un abysme) mais prions le qu'il nous face la grace de nous contenter de ce qu'il nous monstre, et que nous ayons ceste sobrieté et modestie de cheminer en ignorance iusques à ce qu'il nous revele les choses pleinement. Car il nous faut tenir en nostre mesure: et si nous voulons faire des chevaux eschappez, il n'y aura ne chemin ne sentier pour nous. Voila donc l'intention de Iob, de nous monstrer que les iugemens de Dieu ne sont pas reglez à la discretion des hommes, mais qu'ils nous sont secrets et cachez.

Pour ceste cause il adiouste, Que les hommes crient de la cité, et que l'ame des navrez, voire de ceux qui se meurent, se lamente, et que Dieu n'y met point d'empeschement, ou Dieu ne fait rien desraisonnable: car ce mot se peut prendre en ces deux sortes. Vrai est qu'aucuns exposent que Dieu ne reçoit point la priere: et ces deux mots ont quelque similitude: toutes fois il ne se peut prendre pour Priere: car il faudroit qu'il y eust Thephila et il y a Tiphla. le confesse bien que si les poincts le pouvoyent souffrir, ceste exposition-là seroit plus propre et convenable, à cause qu'il est ici parlé de Crier. Il est donc dit que les hommes crient. Et pourquoi? Pource qu'ils sont iniustement tormentez: et toutes fois Dieu n'a point d'esgard à leurs requestes. Mais ceste translation aussi est bien propre, que Dieu n'y met point d'empeschement: iaçoit que la plus part le prennent en un autre sens, c'est assavoir, que Dieu ne fait rien desraisonnable. Et de fait ce mot ici est mis quasi par toute l'Escriture saincte en telle signification, c'est à dire, pour une chose qui n'est point bien reglee, ou qui n'a point de fondement, qui n'a point de verité en soi, ou mesmes qui est deshonneste, qui est à condamner. Vrai est donc que la signification telle est plus commune en l'Escriture: mais il faut regarder la circonstance du passage. Or Iob ne veut pas ici traitter, que tout ce que Dieu fait est fonde en raison et en equité: il est vrai qu'il le cognoist ainsi: mais la dispute qu'il demeine tend à Une autre fin et diverse, c'est assavoir que nous sommes confus quand nous voyons l'estat du monde. Pour' quoi? Si c'estoit à nous, il n'y auroit celui qui ne voulust disposer les choses tout autrement. Nous avons donc à retenir en ce conseil et regime que

nous voyons, que Dieu ne se gouverne point à

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nostre phantasie, et que mesmes il n'exerce pas ses iugemens de telle sorte, qu'on les puisse observer, et qu'on puisse dire, Voila Dieu qui besongne. Nenni: mais souvent il sera comme cache. Voila, di-ie, l'intention de Iob. Ainsi il nous faut prendre ce passage, Que les hommes crient de la cité, et les ames de ceux qu'on tormente et qu'on oppresse se lamentent, et Dieu n'empesche pas que tout cela ne s'execute: c'est à dire, il laisse aller les choses en desordre: voire pour un temps Car encores qu'il dissimule, ce n'est pas qu'il soit endormi (comme il a este traitté) mais si est-ce qu'il nous faut tenir en suspens, et ne faut pas que nous facions une regle generale, que si tost que les hommes auront failli, Dieu les punisse, que sa iustice nous soit apparente et visible. Nous voyons ici le contraire, quand notamment Iob dit, que les hommes crient de la cité: comme s'il disoit, le ne parlerai point des fautes qui sont incognuës (car il se pourra commettre beaucoup de fraudes et de violences en cachette) mais on voit les iniures toutes notoires, cela est cognu par toute une ville, les rues en seront pleines, chacun en saura parler: et ceux qui sont ainsi affligez crient, tellement qu'il y a beaucoup de tesmoins de l'iniure qui est faite, voila la necessité mesmes qui est si extreme, qu'on voit qu'il est temps de les secourir ou iamais, car ils sont comme au bout de leurs sens: et cependant Dieu ne fait pas semblant de les vouloir aider: il semble qu'ils ayent crié en vain, et que c'est temps perdu que les hommes ayent eu leur recours à Dieu. Quand on voit cela, que dira-on? sinon que Dieu ne besongne point à nostre guise, et qu'il faut que tous nos sens soyent là comme esblouys; Que nous apprenions donc d'adorer ceste sagesse qui nous est incomprehensible, pour dire, Seigneur, il est vrai que nostre chair et nostre nature nous solicite à murmurer contre toy: mais tant y a qu'il ne faut point te regler à nostre appetit. Pourtant nous attendrons en patience que ton heure soit venue: et tu besongneras selon que tu cognois qu'il est utile et expedient.

Or ceste doctrine est bien digne d'estre notee: car nous voyons combien nous sommes soudains: et outre cela quand on nous touche du doigt, nous sommes si faschez, qu'il n'est point question d'invoquer Dieu: seulement si nous avons ietté quelque souspir, si nous ne sommes bien tost aidez de lui, il nous semble qu'il nous fait grand tort. Voyans donc qu'il y a de tels bouillons en nous, et que nos passions sont si excessives, d'autant plus nous faut-il bien noter ceste doctrine, où ii est dit, Que les hommes crient de la cité, voire ceux qui sont comme desia destinez à la mort, et que Dieu n'empesche pas qu'ils ne souspirent ainsi, et qu'on ne les tormente. Si cela nous semble estrange,

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cognoissons en premier lieu que nostre Seigneur a menace ceux qui n'ont point eu pitié de leurs prochains, qu'ils crieront, et ne seront point exaucez. Car il dit, Les povres ont demandé que vous leur fissiez merci mais quand ils sont venus pour obtenir quelque grace de vous, vous leur avez esté cruels, vous avez eu les aureilles sourdes à toutes leurs requestes: le temps viendra que vous crierez, et il n'y aura nul qui vous escoute. Quand nous oyons une telle menace de Dieu, il nous faut regarder si ceux qui crient et se lamentent n'ont point use de cruauté envers les hommes, et si ce n'est pas de raison que Dieu les punisse, qu'ils gemissent là, qu'ils souspirent, et ne soyent point secourus. ainsi donc quand il nous est ici dit, que les cris s'eslevent iusques au ciel, et que ceux qui crient sont tormentez iusques au bout: regardons un peu s'ils ne sont pas dignes d'estre ainsi traittez, et faut que nous cognoissions cependant que Dieu est iuste iuge. Au reste, si on ne peut pas dire que ce soit pour nous punir, que Dieu! nous laisse ainsi endurer (comme il adviendra, que ceux qui se lamentent, et qui seront ainsi opprimez, auront tousiours este doux et humains, qu'ils n'auront point fait tort ni iniure à leurs prochains, qui soit digne de telle punition, c'est à dire, qui ait esté cognue) que nous adorions alors les secrets admirables de Dieu, veu qu'il ne veut point que nous cognoissions la raison pourquoy il fait ainsi. Voila, di-ie, comme nous devons prattiquer ce passage.

Pourtant si nous sommes affligez, et que nous crions à Dieu, et que nous ne puissions appercevoir qu'il nous vueille aider: n'estimons pas toutes fois qu'il nous ait mis en oubli, et ne perdons pas courage. Pourquoy? Car sa providence surmonte tous nos sens. Il faut donc que nous apprenions de nous tenir cosy, quand nous verrons le sepulchre devant nous, que nous aurons crié et aurons demandé à Dieu qu'il ait pitié de nos miseres: et s'il est lors comme enclos au ciel, et que nous n'appercevions point sa main pour nous donner quelque allegement: ne laissons pas de le requerir tousiours, et nous ne serons point frustrez de nostre esperance. Tant y a qu'il nous faut ici passer tout sens humain. Et voila pourquoy aussi sainct Paul dit (Rom. 4, 18), qu'à l'exemple d'Abraham nous devons esperer par dessus esperance. Et nous avons le semblable à noter en ce passage: car cependant que les hommes voudront estre sages à leur phantasie, il est impossible qu'ils se reposent en Dieu, ne qu'ils s'appuyent sur sa bonté, ne sur le salut qui leur est promis. Et pourquoy ? Car Dieu pour exercer nostre foy, fera que nous serons environnez d'une centaine de morts, que nous serons mesmes comme engloutis aux abysmes. Que

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faut-il donc ? Apprenons de ne point iuger de nostre salut, lequel nous attendons de Dieu, selon nostre sens et nostre raison humaine (car ceste mesure-la est trop petite) mais prattiquons ce passage de sainct Paul, d'esperer contre esperance. Ne voyons-nous goutte? Dieu voit pour nous. N'y a-il nul moyen d'eschapper? Dieu en trouvera. La mort nous est-elle desia apprestee selon qu'il semble ? Dieu y pourra remedier. Si nous ne cognoissons pas en quelle sorte, ce n'est pas à nous d'en iuger: mais taisons cest honneur à Dieu, qu'outre tout ce que les hommes peuvent comprendre, il nous sauvera en telle aorte que nous serons contraints d'estre comme ravis en estonnement. Car voila aussi comme il nous est parlé du salut de l'Eglise, que quand les fideles pensent comme Dieu les a delivrez, ils estiment cela comme un songe, que la chose ne se pourroit comprendre par raison humaine, d'autant que ce n'est point selon l'ordre de nature. Voila, di-ie, comme nous devons nous tenir coys pour nous appuyer sur la bonté de Dieu, et nourrir ceste esperance qu'il nous donne par ses promesses: voire quand nous crions à lui, et qu'il ne fait point semblant de nous exaucer, que nous ne laissions pas de continuer tousiours en nos requestes, et d'esperer par dessus toute esperance, c'est asaavoir par dessus tout ce que nous pouvons voir et iuger. Voila quant à ce passage.

Or il s'ensuit puis apres, Que ceux qu font mal fuyent la clarté, et qu'ils se cache. Comme un larron qui cerchera tousiours les tenebres de la nuict, et quand le iour vient, il lui semble que c'est l'ombre de mort: un adultere et un paillard espie quand le soir sera venu afin d'entrer en son bordeau. Voila donc comme les hommes hayssent la clarté en mal faisant. Et à quel propos est-ce que Iob dit ceci? C'est pour nous monstrer que Dieu ne iuge point le monde comme il avoit este dit par Eliphas: car l'intention d'Eliphas (comme nous avons veu) estoit que les choses sont tellement reglees ici bas, qu'on peut appercevoir que Dieu conduit et gouverne tout. Or il est vrai que nous le pourrons bien appercevoir: mais ce ne sera pas de nostre sens naturel: il faut que nostre foy ait ici son regne, il faut que nous regardions plus loin qu'aux choses presentes et visibles. Que dit donc ici Iob, Voila les hommes (dit-il) qui se condamnent d'eux-mesmes quand ils pechent: et ils ne sont point condamnez de Dieu à veuë d'oeil: c'est à dire, du premier coup Dieu n'execute point sa vengeance sur eux, mais il les laisse là en paix. es hommes donc sont contraints de s'accuser, de faire comme leur procez criminel: ils se condamnent, et Dieu les espargne. Que veut dire cela? sinon que Dieu se reserve un iugement plus grand, et

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qu'il permet qu'en partie les choses soyent confuses en ce monde, afin que nous tirions à lui en haut, et que nous cognoissions que voici le temps où il nous faut estre exercez en beaucoup de combats et de tentations (c'est le temps de troubles) et qu'il n'est question que d'avoir ceste esperance de la parole de Dieu pour nous eslever: et que nous ne cheminions point selon nostre sens, et ne soyons point arrestez à ce qu'on peut maintenant voir: car ce seroit pour nous faire fourvoyer de toute raison et droiture. Voila en somme à quoy Iob a pretendu.

Notons bien donc ce qu'il dit, c'est asaavoir que ceux qui veulent mal faire cerchent les tenebres de la nuict, et qu'il leur fait mal quand ils voyent le iour poindre, et que cela leur est comme ombre de mort. Il est vray que les hommes viendront quelques fois à telle impudence, qu'en plein midi il ne leur chaut de mal faire, et (comme il est dit au Prophete Ezech. 16, 25) ils sont semblables à des putains qui esraillent les iambes, et n'ont plus de vergongne ne de discretion de bien ne de mal. Ils n'ont plus de doleance, comme dit sainct Paul (Eph. 4, 19): et comme Salomon en parle, quand ils sont venus au profond (qui est le mespris de Dieu, et de toute equité) ils deviennent comme brutaux, et n'ont plus discretion entre le bien et le mal: mais ai est-ce que Dieu leur laisse encore quelques traces, qu'ils sont contraints en despit de leurs dents de se condamner en leurs pechez. Quand nous n'aurions point d'Escriture, que nous l'aurions ne loy, ne police, ne rien qui soit: regardons seulement à ce qui nous est ici dit, c'est que si un homme veut mal-faire, il trouvera quelque moyen de se cacher. Quand cela y est, ne peut-on pas bien conclurre que le mal est mal, et qu'il est à condamner? Qui est-ce qui contraint un homme, lequel se voudroit plaire en sa paillardise, en ses larrecins, en son yvrongnerie, en ses dissolutions et choses semblables, de fuir la presence des homme ? Il se voudroit mesmes glorifier en iniquité, et on faire vertu: et neantmoins il se cache, qui est-ce qui le contraint à ce faire? Si on dit, Un homme est seul, et n'y a personne qui se vueille accorder avec luy en son mal: et tout le monde est plein d'iniquité. On voit que bien souvent les hommes auront complot ensemble, et que ceux qui sont adonnez à quelque vice ne demandent ail on que les autres facent comme eux: et cependant ai est-ce qu'en mal faisant ils se cachent l'un de l'autre, tellement qu'ils voudroyent que leur vilenie ne fust iamais cognue. En cela donc les meschans monstrent qu'il y a mesmes une loy en nature qui ne se peut abolir, qu'il y a une discretion entre le bien et le mal. Et quand nous voyons cela, il faut conclure que Dieu donc est

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iuge: car qui est-ce qui a imprimé aux coeurs des hommes un tel sentiment, qu'il ayent honte et remors de leurs pechez? Ils n'ont pas cela de leur bon gré. Or ai est-ce qu'ils fuyent la clarté du soleil, et ils devroyent bien fuir plustost la clarté du iugement de Dieu. Nous voyons comme les hommes s'abbrutissent d'eux-mesmes,. qu'ils voudroyent endormir leurs consciences, qu'ils ne fussent plus sensibles pour ne point penser a Dieu. Ont-il tout fait? Si faut-il en despit de leurs dents qu'ils entrent en eux, et qu'ils soyent tenus de ceste bride pour dire en leur conscience, l'ay peché, et ne sauroye excuser ma faute.

Quand donc nous voyons cela, ne faut-il pas conclure que Dieu iuge le monde? Car cela vient de luy: les hommes n'auroyent iamais une telle consideration d'estre navrez de leurs pechez, et d'en avoir quelque repentance: tant y a que Dieu les y contraint par force. Or si Dieu contraint ainsi les consciences, et les cauterise, faisant qu'il y ait là comme un feu bruslant: pensons-nous qu'il ne doive point une fois appeller les hommes devant luy, et qu'il ne faille que tout vienne en conte; et que les registres soyent desployez (comme il en est parle en Daniel 7, 10) et que ce qui est maintenant enseveli en obscurité soit descouvert, comme Sainct Paul en parle aux Corinthiens (1. Cor. 4, 6)? Ainsi donc quand il ny auroit que ceste honte qu'ont les meschans, voila encores une approbation toute certaine et infallible du iugement de Dieu. Mesmes il nous faut revenir à ce que dit sainct Iean, que Dieu est plus grand que nos consciences (1. Iean 3, 20). Quand sainct Iean a dit, que ai chacun entre en soy, il ne faut point qu'il ait d'autre tesmoin, ne partie adverse qui l'accuse, que luy-mesme sentira son mal, et en sera assez convaincu. Et mes amis (dit-il) si nous cognoissons nos pechez, voire estans contraints comme par force, que sera-ce de Dieu ? Pensons-nous qu'il soit aveugle quand nous verrons clair? N'a-il point beaucoup plus d'authorité que nos consciences ne peuvent avoir? Ainsi donc si un homme se condamne d'un peche, il faut conclure qu'il est damnable devant Dieu d'une centaine: s'il se trouve estonné et effrayé en son mal, comment pourra-il supporter la vengeance horrible de Dieu, laquelle nous est apprestee, si nous persistons en nos offenses, et que nous y soyons obstinez? Or voici une doctrine qui est des plus necessaires, et des moins pratiquees. Car (comme i'ay desia dit) ai les hommes avoyent une seule goutte de raison en eux, quand il n'y auroit que ce remors et ceste honte qu'ils ont de leurs pechez, encores devroyent-ils estre convaincus qu'ils ne pourront eschapper de la main de Dieu: et toutes fois et quantes que nous voyons un homme qui est obstiné à mal faire, ou

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bien que nous sentons nos pechez, c'est comme ai Dieu nous adiourcoit à son iugement, et qu'il nous contraignist d'y penser. Or cela ne se fait point une fois l'an, mais nous avons des examens infinis tous les iours, tellement que quand nous avons failli en quelque chose, voila incontinent le remors, voila ceste pointure qui nous touche: et c'est autant comme si Dieu nous envoyoit un sergeant pour dire, Il faut venir devant moy, le suis vostre iuge. Nous verrons beaucoup de ceux qui auront failli, qui taschent de couvrir leurs pechez, et sont subtils à cela. Et pourquoy? sinon qu'ils cognoissent que le peché est damnable. Voici Dieu qui nous admonneste, et cependant qui est-ce qui y regarde? Les hommes ne s'endurcissent-ils pas d'une certaine malice contre telles admonitions de Dieu? Et ne faut-il pas dire que nous soyons bien ensorcelez de Satan ?

Mais il y a encores plus: car outre tels advertissemens Dieu nous monstre par sa parole quelles sont nos fautes, et nous les fait sentir, et nous attire soy: et cependant nous ne laissons pas de croupir toujours en nos ordures, et d'estre comme insensibles. Par cela donc voit-on que ceste doctrine est bien mal pratiquee: mais si n'est-elle pas escrite en vain, et (comme desia nous avons dit) si est-elle bien digne d'estre notee quant à soy: c'est assavoir puis qu'ainsi est que les hommes taschent de s'excuser, et iustifier en leurs maux, et qu'ils n'en peuvent venir à bout: qu'il faut bien qu'un chacun de nous se resveille, et que nous cognoissions aussi que nous ne gagnerons rien en desguisant le choses: car cela sera seulement pour fuir les reproches des hommes. Si un homme a paillardé de nuict en cachette, s'il a desrobbé, s'il a circonvenu son prochain, ou bien qu'il ait fermé la porte pour faire quelque trahison: il est vray qu'il ne sera condamné des hommes, quand sa turpitude ne sers pas cognue de tous: mais pourra-il fuir la presence de Dieu? Et au reste notons bien ce qui nous est remonstré par l'Apostre (Hebr. 4, 12), que la parole de Dieu a ceste vertu, d'estre comme un glaive trenchant des deux costez qu'il faut qu'elle perce et les os et les moelles qu'il n'y a rien qui lui soit caché, que Dieu nous examine en nos pensees et en nos affections, quand i' ordonne que sa parole nous soit preschee. Et adioustons aussi la doctrine que nous donne sainct Paul (1. Thess. 5, 5), c'est que puis que nous avons l'Evangile qui nous esclaire, nous ne sommes plus enfans de la nuict, mais enfans de clarté. Ceux qui n'ont point la parolle de Dieu cuident avoir beaucoup gagné, quand leur peché sera enseveli, et qu'il ne viendra point en memoire. Mais quoy? Dieu nous esclaire par sa doctrine tellement que de nuict nous avons le iour: comme il est dit, que

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le soleil ne luira plus de iour sur l'Eglise, ne la lune de nuict: mais le Seigneur nous sera en clarté continuelle. Il est vrai que cest ordre de nature demeure tousiours en son estat: mais cependant, qu'un homme s'en aille coucher, qu'il ait bien fermé sa chambre, qu'il soit caché tellement qu'on ne saura ne ce qu'il dit, ne ce qu'il fait: si est-ce qu'il a tousiours ceste doctrine de l'Evangile qui lui allume, et il ne peut esteindre ceste cognoissance que Dieu lus a donnee. Et de fait combien que les contempteurs et gens prophanes s'y efforcent (comme nous voyons qu'il S en a auiourd'hui qui sont comme bestes enragees, qui ne demandent qu'aneantir toute religion) si faut-il que Dieu ait tousiours ceste lampe ardente devant eux, et que là ils cognoissent leur condamnation. Puis qu'ainsi est donc que Dieu nous a donné la doctrine de son Evangile, et que nous ne pouvons pas amortir ceste clarté: pensons à nous, et cognoissons que quand les larrons, les paillards, et autres malfaicteurs cerchent leurs cachettes, ils nous monstrent comme nous avons à cheminer, puis que Dieu est avec nous, et que nous luy sommes presens, et qu'il se monstre là comme en face pour estre ou nostre Pere, ou nostre iuge Que nous apprenions donc de lui dedier toute nostre vie: et au lieu que nous voyons que ceux qui veulent couvrir leurs malefices, fuyent la clarté comme l'ombre de la mort, et qu'ils s'esiouissent quand la nuict vient: que nous usions de ceste clarté qui nous est donnee, afin de n'estre point esgarez au milieu du chemin, et de ne nous fourvoyer, puis que nostre Seigneur nous appelle, et qu'il nous tend la main pour nous attirer à soy.

Voila donc comme il faut faire profiter la grace que Dieu nous aura donnee, quand par son Evangile il nous aura fait cognoistre nos pechez, et les povretez qui sont en nous. Au reste notons, que tout ainsi que les meschans hayssent la clarté du iour, et voudroyent que le soleil fust arraché du ciel, afin qu'ils eussent tousiours liberté de malfaire, ils fuyent encores plus la lumiere de l'Evangile. Et voila pourquoy aussi ceste doctrine est tant mal receuë du monde: comme Iesus Christ en parle. On s'esbahit comment c'est que les hommes sont si rebelles à Dieu, et sur tout quand il nous envoye son Fils pour nostre Redempteur, et que la remissions de nos pechez nous est presentee, et que Dieu nous demande avec une si grande douceur et benignité que rien plus. Comment se peut-il faire (diront plusieurs) que les hommes soyent ainsi revesches que de reietter la bonté de Dieu ? Ne voila point une ingratitude trop enorme? Il est bien certain. Mais voici la raison pourquoy l'Evangile est hay du monde: car quiconque fait mal, il hait la clarté, dit Iesus Christ (Iean 3, 20). Or il

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est ainsi que la plus grande partie des hommes s'adonnent à tout mal: et mesmes ceux qui sont convaincus de leur obstination, ne laissent pas de s'endurcir, et veulent fermer les yeux pour despiter Dieu à leur escient. Puis qu'ainsi est donc, si la dessus on voit que les hommes ne veulent point gouster l'Evangile, qu'ils n'y veulent mordre, mais plustost qu'ils font des enragez: se doit-on esbahir de cela? Le faut-il trouver estrange? Nenni: car nous voyons que les larrons, les meurtriers, et paillards, et tous autres malfaicteurs voudroyent bien avoir aveuglé le soleil, et qu'il ne luisist plus au monde. Or la clarté de l'Evangile (comme nous avons monstré) est beaucoup plus grande: car elle n'est pas seulement pour guider nos yeux, pour nous monstrer le chemin par dehors: mais elle entre iusques en nos pensees cachees, il faut qu'elle examine ce qui est caché au plus profond de nos coeurs. Ainsi donc voila pourquoi les meschans ne veulent point venir à ceste doctrine, ne s'y ranger en façon que ce soit: mais tant S a que de nostre costé il nous faut tenir tout l'opposite, comme nous avons dit. Et pourtant quant à l'ordre de nature, si Dieu fait luire son soleil, que nous cognoissions que c'est afin qu'un chacun s'adonne à bien, et s'employe à son devoir. Voila pour un Item. Et puis, quand nous aurons cheminé selon nostre vocation et nostre estat, et qu'un chacun aura servi et à Dieu et à ses prochains au long du iour: que nous sachions que la nuict ne nous doit point servir de tenebres pour nous donner licence de mal-faire. Et pourquoi? Car ceste lampe de la parole de Dieu ne s'esteint iamais, comme nous avons desia declaré. Que donc et de iour et de nuict nous soyons enfans de clarté, que nous soyons esveillez et esclairez, comme sainct Paul en parle (Ephes. 5, 8): que nous ne soyons point, di-ie, endormis pour nous flatter en nos vices, que nous ne pensions point estre innocens devant Dieu: mais plustost qu'un chacun se solicite, que nous ne soyons point enyvrez en nos esprits pour n'avoir point de honte du mal, mais que nous soyons sobres, non point seulement de boire et de manger, mais en tous nos appetis, et en toutes nos cupiditez: qu'il y ait une bride courte, que nous sachions retrancher les concupiscences superflues qui nous attirent à mal. Voila ce que nous avons à noter en somme de ce passage.

Or cependant Iob adiouste pour la fin, Que les meschans sont legers sur les eaux, et s'escoulent: et cependant ils vont au sepulchre. Comme la terre seche, dit-il, et la chaleur du soleil hument les neiges, et toute l'humidité qui y est, ainsi le sepulchre engloutit les meschans. Il semble bien que Iob ait ici voulu monstrer que Dieu punit tous les malefices qui se commettent en ce monde: et en cela il

SERMON XCII.

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s'accorderoit avec Eliphas: mais son intention est toute diverse. Car il veut monstrer en somme, que les meschans perissent en telle sorte, qu'on ne peut pas appercevoir la main de Dieu notable sur eux, pour dire, Voila Dieu gui a puni un tel, d'autant qu'il avoit mal vescu: mais au contraire, pource que les meschans s'esvanouissent comme eau, il n'en est plus de memoire. Ils vont au sepulchre: voire, mais aussi font les bons. Ainsi donc nous voyons que Iob conclud ici, que Dieu n'exerce point sa iustice pour punir les pechez des hommes, tellement qu'on puisse tousiours l'appercevoir. Or cependant reduisons en memoire ce qui a esté dit ci dessus, que Iob ne blaspheme pas contre Dieu, pour se faire à croire qu'il n'y a nulle providence, que tout se gouverne par fortune, et que Dieu cependant est endormi au ciel. Nenni: mais son intention est de monstrer, que les iugemens de Dieu ne sont pas tousiours visibles. Il nous faut tousiours retenir ceste sentence-là, et qu'elle nous vienne tous les coups devant les yeux. Car c'est une doctrine bien utile, comme desia nous avons monstré: mais il la faut reiterer derechef: c'est, Que les bons seront grandement foulez. Car apres avoir langui long temps, ils meurent devant leurs iours: et si est-ce qu'ils n'ont que trop vescu selon leur vouloir. Et pourquoy? Car leur vie n'a este qu'une langueur continuelle. Nous verrons cela. Cependant que sera-ce des meschans qui auront mesprisé Dieu, qui auront esté pleins d'outrages, de cruauté, et de malice ? Ceux-là apres s'estre donné du bon temps, ils meurent, voire comme si une eau couloit: car on n'appercevra pas quelque marque certaine que Dieu desploye sa vengeance sur eux, mais leur mort est douce et gracieuse. Quand on voit cela, que peut-on dire? C'est un grand scandale pour ceux qui iugent selon leur sens humain, quand on voit que nostre Seigneur ne punit pas tousiours les meschans, mais qu'il les laisse aller comme leur train commun: et puis quand ils meurent, que là encores on n'apperçoit sinon ce qui est commun et general en tous hommes. Or il ne faut point pourtant que nous estimions qu'ils soyent eschappez, ne qu'ils doivent demeurer impunis: mais regardons à ce iugement lequel nous attendons, et comme il nous est promis en l'Escriture saincte: et sachons que nostre Seigneur nous rappelle là, quand il ne fait point ses iugemens en perfection, mais seulement en partie pour nous en donner quelque marque, qui soit pour nous monstrer que les choses ne sont pas encores reduites en estat, afin que nous esperions la venue de nostre Seigneur Iesus Christ,

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et que nous soyons tant plus affectionnez à l'attendre comme nostre Redempteur.

Voila donc comme il nous en faut faire, quand nous voyons maintenant les tyrans dominer, le sang innocent estre espandu, que nous voyons les paillardises et autres dissolutions, les iniures, outrages, et violences, que les povres gens sont foulez, qu'on leur tient le pied sur la gorge, que toutes choses sont confuses en un tel meslinge que nous ne savons que dire, que Nous cognoissions, Et bien Seigneur, si tout estoit ordonne comme nous desirons, nous n'aurions plus d'esperance de la venue de nostre Seigneur Iesus Christ, ne de la resurrection qui nous est promise, ne de son royaume celeste, nous serions desia comme en un paradis: mais quand nous sommes agitez comme en une mer bouillante, que nous sommes au milieu des tempestes et tourbillons, Seigneur, c'est afin que nous apprenions d'aspirer au repos qui nous est appresté au ciel, et que tu nous as promis, que nous ayons tousiours la veuë dressee à la venue de nostre Seigneur Iesus Christ ton Fils, lors qu'il viendra pour nous recueillir tous à soy, comme tu nous as commis en sa charge, et en sa protection et conduite. Et au reste, cognoissons quand nous voyons les meschans qui se cachent auiourd'hui en mal-faisant, que nous ne pouvons pas neantmoins nous cacher de la presence de nostre Dieu: que si ceux-là fuyent le soleil' nous ne pourrons pas fuir le regard de celui qui sonde les coeurs. Que faut-il donc Puis que nous ne gagnons rien en cerchant des cachettes pour fuir de la presence de nostre Dieu, que de nostre bon gré nous venions nous presenter devant sa face: qu'au lieu que les meschans le f lent, et mesmes qu'ils se mocquent de toutes les menaces qu'on leur fait de son iugement, nous ne demandions sinon de venir devant nostre Dieu: et puis qu'il nous fait ceste grace, que nous soyons nos iuges nous-mesmes, que nous n'attendions pas que nous soyons condamnez de lui, mais afin d'estre absous, que nous-mesmes nous passions condamnation de nostre bon gré. Voila donc comme nous devons pratiquer ce passage: c'est que nous apprenions de nous condamner quand nous venons nous presenter devant Dieu, et que nous y venions selon qu'il a promis de recevoir à misericorde tous ceux qui auront desplaisance de leurs pechez, et qui ne cercheront sinon la grace qui nous est offerte et presentee tous les iours en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE NONANTETROISIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE. XXIV. CHAPITRE.

19. Comme la terre seche, et la chaleur hument les eau c de la neige: ainsi ceux qui pechent, au sepulchre. 20. L'homme amiable le mettra en oubli, les vers en prendront douceur: il ne sera plus en memoire, l'inique sera brisé comme un arbre. 21. 11 afflige la femme sterile qui n'enfante point, et ne fait nul bien à la vefve. 22. Il tire à soy le robuste, tellement qu'il se desfie de sa vie. 23. On lui donne tout à seureté, et en repos, et ses yeux guettent les voyes d'iceux. 24. Quand ils sont eslevez pour un peu, ils sont ravis (ou meurent) ils sont appovris, ils sont enserrez comme tours, ils sont coupez comme te sommet des espics. 25. Qui est-ce qui me rendra menteur s'il n'est pas ainsi, et qui est-ce qui redarguera mes propos?

Pour faire nostre profit de ceste doctrine, il nous doit souvenir de ce qui a esté declaré par ci devant, c'est assavoir que ces choses nous sont recitees afin que nous ne soyons point faschez par trop ni troublez, voyans qu'il y a beaucoup de choses confuses en ce monde: car si nous voulions maintenant avoir un estat parfait, où seroit nostre esperance? Il faut donc que nous portions patiemment les desordres, par lesquels Dieu nous veut exercer et humilier: et cependant que nous cerchions le vrai remede, voyans que les choses sont ainsi troublees quant aux hommes, et que ceux qui y doivent mettre la main defaillent en leur office. Que nous apprenions donc de recourir à Dieu, d'esperer en lui, et que nous ne doutions point qu'en la fin il aura pitié de nous, encores que pour un temps il faille que nous souffrions beaucoup d'iniures et d'opprobres. Or comme Iob avoit ci dessus monstré les violences et extorsions qui se commettoyent, il avoit dit aussi qu'on ne voit point que Dieu punisse ceux qui ont ainsi tormenté les povres gens. Il adiouste une similitude qui se peut entendre doublement, à cause que la sentence est bien brefve et rompue. Il y a, La terre seche, et la chaleur boivent les eaux de la neige, au sepulchre il peche. Il y a ainsi de mot à mot. Or on le prend comme s'il estoit dit, que le sepulchre engloutit tous les meschans, ainsi que la terre seche boit l'eau de la neige, et qu'elle s'escoule au soleil et à la chaleur. Par cela Iob ne veut pas dire, que Dieu punit a veuë d'oeil ceux qui l'ont merite: mais il entend qu'ils meurent comme les autres, qu'il n'y a point d'execution faite sur leurs

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personnes en laquelle on apperçoives la iustice de Dieu: mais plustost qu'ils vont le train commun, que Dieu permet qu'ils decedent d'une mort naturelle. Quand donc nous ne voyons point que Dieu punisse les meschans, et ceux qui ont fait tant de maux et tant de cruautez: il semble qu'il soit là comme endormi au ciel, et les infirmes et ignorans en sont scandalisez comme s'il n'avoit point de regard sur le monde comme s'il ne disposoit point tout pour nous gouverner, pour maintenir les bons, et r primer ceux qui se desbordent ainsi. lais (comme desia nous avons monstre) l'intention de Iob est de nous advertir qu'alors il nous faut adorer les secrets iugemens de Dieu: sachans que Si nous ne comprenons pas la raison de ses oeuvres, il ne faut pas pourtant que nous blasphemions contre lui, et ne faut point aussi que nous soyons degoustez: mais que nous attendions tout coyement, que Dieu se declare, voire en temps opportun. Ce n'est pas à nous de lui determiner son iour, il faut que nous attendions, sachans qu'il n'execute pas ses iugemens en la vie presente: afin que nous apprenions d'este de nostre foy et nostre espoir plus loin que ce monde.

lais le sens sera bien aussi convenable, quand ceste similitude sera appliquee à une autre fin, Comme la terre seiche et la chaleur boivent les eaux de la neige, ainsi les meschans pechent iusques au sepulchre. Comme si Iob disoit, Ils sont si accoustumez à mal-faire, que leur nature y est du tout adonnee: comme on dit aussi en proverbe, que les hommes quand ils sont habituez où à bien ou à mal, c'est comme leur naturel de la coustume qu'ils ont prinse: car ils ont un tel pli, qu'ils suivent cela sans qu'il leur couste rien. Iob donc veut ici declarer, que ceux dont il parle ne pechent point pour une bouffee: comme on pourra voir quelqu'un qui sera desbauché ayant une occasion qui l'incite, et encores qu'auparavant il ait vescu honnestement et sans reproche, si est-ce qu'alors il est comme ravi d'une tempeste. Nous en verrons donc aucuns qui commettront quelque mal, ou outrage: mais ils n'y continuent pas. Iob declare qu'il ne parle point ici de ceux qui ont ainsi failli pour un coup, et qui ont este vaincus de quelque tentation: mais qui se sont endurcis en leurs vices, et qui en ont fait comme un ordre naturel. Tout ainsi donc que le soleil a ceste nature de faire fondre les neiges, et puis la terre seche les boit: ainsi les meschans

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iusques au sepulchre continuent à mal-faire, c'est à dire iusques à la mort. Quand nous voyons tels exemples, et mesmes que nous sommes advertis par ceste sentence de penser à ce qui est par trop ordinaire au monde: apprenons de recourir à Dieu, et le prier qu'il nous face la grace qu'estans pliez sous sa main, nous soyons tellement adonnez à le servir et honorer, que cela nous soit comme naturel. Il est vrai que les bons auront tousiours quelque repugnance en eux: car iamais ils ne cheminent si droitement qu'il n'y ait quelque difficulté, et contradiction (comme il y a un combat perpetuel entre la chair et l'esprit) mais si faut-il pourtant que ceste vertu que Dieu met en nous, gaigne iusques-là que nous aimions le bien d'une franche volonté, et y adherions du tout. Nous avons donc à prier Dieu qu'il nous fortifie iusques-là: et d'autre costé nous avons aussi à lui demander qu'il ne permette point que le diable gaigne une telle possession sur nous, qu'il nous traine et çà et là, et que nous soyons tant endurcis à mal-faire, que ce soit comme nostre naturel. Au reste quand nous voyons des gens ainsi obstinez à toute iniquité, ne trouvons point cela nouveau: car il en a esté ainsi de tout temps, comme nous en voyons ici l'exemple.

Or en la fin Iob dit, Que l'homme paisible mettra telles gens en oubli, que les vers y prendront douceur, et qu'ils ne seront plus en vie. Par ceci il monstre bien que les meschans ne regneront pas tousiours qu'il faut qu'ils prenent fin: mais tant y a que Dieu les laisse en paix iusques à la mort, et qu'il ne semble point que leur condition soit pire que celle des autres qui ont vescu en toute equité et droiture, qui n'ont fait nul tort à leurs prochains. Si on fait comparaison donc de ces pillars et brigans, qui ont mangé la substance d'autruy, qui ont esté cruels à merveilles, si on fait comparaison d'eux avec les bons qui ont vescu en simplicité: on trouvera que c'est un estat pareil, que tout est là meslé, tellement qu'on ne peut dire, sinon que les choses sont confuses au monde: voire bien si nous ne regardons point plus loin, c'est assavoir, que Dieu se reserve à punir les meschans, iusques à la vie à venir, afin que nous ne soyons point du tout arrestez ici bas, et que nous regardions tousiours à la venue de nostre Seigneur Iesus Christ, qui doit restaurer toutes choses qui sont maintenant confuses. Or maintenant quand nous contemplons la brefveté de nostre vie, que nous voyons ceux qui ont este adonnez à piller les povres gens, aller au sepulchre, et estre viande à vers (comme il en est ici parlé) cognoissons que nous sommes bien miserables, si nous ne tendons à ceste immortalité qui nous est promise. Or ici Iob nous met comme une peinture vive, et une image de la vie

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humaine, et de la mort: afin que nous cognoissions que c'est de nous, si nous n'avons une esperance meilleure que de ce qui se peut voir à l'oeil. Que sera-ce donc que nous ayons vescu sainctement, et tasché de servir à Dieu, et de lui complaire, que nous ayons conversé avec nos prochains sans fraude et iniure aucune? Si faut-il que nous soyons recueillis an sepulchre avec les meschans, et que là tout soit confus, que nous pourrissions. Voila que c'est des hommes, quand ils seront considerez en leur naturel. Or quelle povreté sera-ce si nous n'avons une meilleure attente? Ainsi donc voyans les revolutions qui se font en ce monde, que nous soyons advertis et solicitez de lever la teste et de regarder à la vie celeste qui nous est promise: et combien que nous soyons comme povres charongnes suiets à pourriture, que nous vivions neantmoins en ceste esperance, que nostre Seigneur nous envoyera celuy qui nous a une fois rachetez lequel ne souffrira point que le prix si cher et inestimable qu'il a livre pour nostre salut perisse, ne qu'il soit frustratoire. Voila donc en quoy il nous faut resiouir, et voila aussi ou toute nostre gloire consiste.

Iob poursuit à declarer comme les meschans sont du tout enclins et adonnez à mal sans aucune crainte ny reverence de Dieu, et mesmes sans avoir nulle honte qui les retiene quant aux hommes. Il met seulement une espece, Qu'ils foulent et oppriment les femmes steriles qui n'ont point enfanté, qu'ils ne font nul bien aux vefves: mais il n'y a nulle doute que sous une espece Iob n'ait voulu comprendre toutes povres gens qui ne se peuvent revenger, et qui n'ont point de support ne d'aide du costé des hommes. Il dit donc que les meschans s'adressent à telles gens, pource qu'il leur semble que c'est une proye toute apprestee pour eux. Et notamment il parle des femmes steriles: car si une femme a des enfans encores qu'elle soit vefve, pourveu que les enfans facent leur devoir, voila une femme qui a son secours, elle a son baston de vieillesse, comme on dit: mais si une femme est vefve, et qu'elle soit sterile, la voila toute desolee. Ce sont donc telles proyes que cerchent et desirent les meschans, pource qu'il leur semble qu'il n'y a nul qui s'y oppose, et que tout leur est permis, et ne regardent point à Dieu, lequel se nomme protecteur des vefves. Autant en font-ils et des orphelins et des estrangers, comme il en a esté parlé cy dessus: mais Iob maintenant se contente de donner un exemple: comme s'il disoit que telles gens, qui ne sont point retenus de la crainte de Dieu, pensent avoir liberté de mal faire, quand du costé des hommes ils ne voyent point qu'on les puisse empescher. Quand donc ils auront attiré le bien d'autruy à eux, sans qu'il y ait aucune defense, alors ils

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s'abandonnent tant plus, et se donnent toute liberté. Pourquoy ? Car ils ne regardent point à Dieu.

Or secondement il adiouste, Qu'ils tirent les robustes apres eux: c'est à dire, quand ils ont exercé ce mestier long temps, de manger et fouler les povres gens, et ceux qui n'avoyent pas le moyen de se defendre, qu'ils cueillent une audace plus grande, et qu'alors ils se ruent aussi bien sur les riches, et qu'ils se font craindre et redouter de tous, tellement qu'on est contraint de se racheter de leurs mains, comme si on estoit entre les brigans, que chacun se desfie de sa vie, que mesmes on est contraint de venir appointer avec eux, et encores qu'on les ait appaisez, qu'on n'y gagne rien. Et pourquoi? Apres qu'ils out esté traistres et desloyaux, ils deviennent comme bestes sauvages: apres avoir mangé et pillé les povres gens, tellement qu'on voit qu'il n'y a plus nulle humanité en eux, encores faut-il qu'on leur donne quelque rançon, et iamais on n'est à seureté: car ils espient la vie de ceux qui leur ont donné, et leur semble que c'est une taille qu'ils doivent recevoir quand on leur aura fait quelque present de corruption. Nous voyons donc maintenant en somme quelle est l'intention de Iob, c'est à savoir que les meschans apres avoir foule les povres gens qui ne se peuvent aider, et qui n'ont point de secours du costé des hommes: sur cela ils viennent plus hardis, et sont comme bestes sauvages, tellement qu'ils n'espargnent nul, et se ruent sur les riches, et sur les robustes, sur ceux qui sont en credit et authorité: et la contusion est alors extreme, tellement qu'il n'est question que de ravir avec une violence brutale, qu'il n'y a plus, bref, nulle humanité ni honte. Or ceci nous est declare, afin que quand nous voyons de tels exemples, nous ne soyons point troublez (comme il a este dit) mais plustost qu'estans premunis contre un tel scandale, nous cognoissions que nostre Seigneur permet que les choses soyent ainsi enveloppees afin que nous tendions à l'heritage auquel il Nous appelle: que nous ne facions point ici nostre nid, comme si nous y avions un repos certain: mais plustost que nous apprenions d'estre pelerins en ce monde, d'estre errans: et que quand il n'y aura nulle fermeté pour nous (comme sainct Paul dit, que c'est la condition des Chrestiens, d'estre remuez ca et là) nous sachions faire nostre profit de toutes ces choses: car iusques à ce que Dieu nous ait arrachez de ce monde comme par force, nous ne serons point adonnez à tendre à la vie celeste. Et voila pourquoy il permet qu'il y ait tant de mutations, et que les choses soyent ainsi remuees à tors et à travers, que tout aille en confus, qu'il y ait un desordre si grand que nous en sommes estonnez, que les cheveux nous en

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dressent en la teste: tout cela nous doit servir pour nous retirer de ce monde, afin que nous n'y soyons point trop arrestez Voila donc à quoy il nous faut appliquer toutes ces choses.

Au reste si ceux qui n'ont nul support endurent beaucoup de violences, qu'ils cognoissent que Dieu les destitue d'aide humaine, afin qu'ils regardent tant plus à lui: car il ne nous faut point attribuer cela à fortune, quand personne ne nous subviendra à la necessité. Cognoissons donc que Dieu nous a despouillez de tout moyen humain, afin que nous soyons humiliez en nous-mesmes, et que nous regardions à lui, que nous le cerchions, et que nous ayons là tout nostre refuge. Voila donc comme nous avons à pratiquer ceste doctrine. Et au reste cependant cognoissons que nostre Seigneur veut exercer nostre charité; quand les meschans font quelque iniure et outrage à ceux qui n'ont point secours entre les hommes: c'est, di-ie, afin que selon que nous avons la faculté chacun s'employe à aider telles gens: car voila où Dieu nous esprouve, c'est où il examine, si nous le craignons, si nous avons quelque charité en nous. Si nous voyons quelqu'un de nos amie et parens, et bien, nature nous induit à lui aider si on le fasche et moleste: mais quand nous voyons une povre personne qui n'a point de support, et qu'on l'outrage, si nous ne taschons à lui aider et le soulager en sa necessité, il faut que cela soit enregistré devant Dieu: car c'est signe que nous n'avons point une seule goutte de Chrestienté en nous. Et pourquoi? Car (comme nous avons declaré) nostre Seigneur nous recommande ceux qui sont destituez d'aide humaine, et permet qu'ils soyent affligez expressement devant nos yeux, afin que nous mettions peine de les secourir, et si nous ne le faisons, mal-heur sur nous, pource qu'il n'y aura nulle excuse. Car nous devons penser quand il y en a ainsi qui sont opprimez, que cela ne vient point de cas d'aventure, mais plustost que Dieu nous les envoye. Ainsi de nostre costé quand Dieu nous fait tesmoins de quelque iniure qui se fait à un povre homme, si nous ne venons au devant, et que nous ne lui servions de bouclier entant qu'en nous est, il est certain que Dieu nous note et nous marque. Car il veille là dessus, pource que tout expres (comme i'ay dit) il vouloit prendre un examen de nostre charité qui est en nous.

Or venons maintenant au second article qui est ici declaré par Iob. Il est dit, Que les meschans (dont il parle) tirent les robustes apres eux, comme une ravine arrache les arbres, et demolit les maisons Ainsi donc ceux qui de long temps ont este endurcis à mal faire, sont comme grosses tempestes et orages qui renversent tout, iusques aux maisons et aux arbres. Ceci se voit à l'oeil, et pleust à

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Dieu que nous n en eussions point tant d'experience. Car du premier coup ceux qui sont affamez et qui demandent d'en avoir, n'osent pas se ruer sur ceux qui sont robustes, et qui ont des ongles et des griffes pour se revenger, mais ils commencent par les petis. Or leur a-on donné licence de mal-faire? alors ils se ruent sur les plus robustes. Et ceci n'advient pas sans un conseil admirable de Dieu: car c'est un iuste payement sur les riches, et sur ceux qui sont en credit et authorité, d'estre ainsi tormentez par les meschans. Pourquoi ? Quand un homme se desborde à mal-faire, s'il frappe l'un, s'il desrobbe l'autre, s'il fait quelque autre enormité: et bien, ceux qui sont bien aisez, et qui ont dequoi se maintenir, ne s'en font que rire: il est vrai qu'ils condamnent telles gens, mais en les condamnant taschent-ils d'y .mettre remede aucun? Nenni. Et pourquoi? Cela ne les attouche pas, ce leur semble, O, s'il s'adressoit à moi, ie lui monstreroye bien que i'ay des dents. Voila comme parlent ceux qui ont credit, qui sont riches, et qui sont bien munis, tellement qu'on ne les peut toucher. Or cependant voila les povres qui Sont foulez iusques au bout. Quand ces rustres ausquels on aura tout permis, et ausquels on aura donné toute licence, voyent qu'on ne les a point punis, ils se vienent attacher aux plus grans. Et qui le permet? Pensons-nous que Dieu ne dispose point tout cela? Car s'il g eust eu quelque humanité en nous, ne devions-nous pas avoir compassion et pitié de voir les povres gens foulez, pour y resister tant qu'il nous eust este possible? Or nous n'en faisons rien: et quand un povre homme sera outragé et molesté, nous ne tenons conte de reprimer le mal: mais plustost nous lui laschons la bride, donnans occasion aux meschans de se desborder ainsi. Ne faut-il pas puis apres que nous soyons picquez par eux, et que Dieu permette et dispose aussi que le mal retourne sur nos testes ?

Voici donc un passage qui est bien digne d'estre noté: car comme en un miroir le S. Esprit nous propose comme les iniquitez s'augmentent de plus en plus, et qu'elles viennent iusques au comble quand on leur donne la vogue, et qu'on ne tasche point d'y remedier en temps opportun. Or ceste leçon ici s'adresse sur tout à ceux qui sont riches, et en authorité. Il est vrai qu'ici nous ne verrons pas tels exemples, comme on peut faire en ces grans cours de princes: car quand il y aura des mignons trois ou quatre qui seront en grand credit ils feront trembler tout le monde, tellement qu'il faudra que ceux qui auront et vingt et trente mille livres de rente passent par leurs pattes, et facent des chiens couchans, qu'ils se rachettent, et donnent une partie de leur substance pour rençon. Nous

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ne verrons pas ici de tels exemples: mais selon la mesure, si est-ce que par tout on peut contempler ce qui nous est ici declaré. Et aussi c'est bien raison que la providence de Dieu s'estende par tout le monde, et sur les grans et sur les petis. Tant y a donc qu'on peut appercevoir comme ceux qui ont eu liberté de nuire et de piller, et faire beaucoup d'extorsions envers les petis, en la fin il faut qu'ils facent aussi bien craindre les grans: et Dieu veut advertir ceux qui ont le moyen et faculté d'aider aux povres gens et les maintenir, quand on leur fait quelque tort et iniure, que s'ils ne s'y opposent, il faudra qu'on viene aussi à les picquer, c'est à dire, qu'en la fin ils en respondront en leur propre personne: et qu'on les pillera, et leur crevera on les yeux, comme ils en sont dignes: et Dieu sera glorifié quand il leur envoyera un tel payement. Il est vray que la confusion s'augmente tousiours de plus en plus: mais tant y a que les fideles peuvent contempler en cela les iugemens de Dieu secrets et par dessus l'apprehension humaine d'autant que Dieu les esclaire par sa parole. Et voila comme il nous faut cognoistre que nous sommes cause de tous les desordres qui sont au monde. Nous saurons bien nous plaindre si les choses ne vont pas à nostre appetit, nous crierons helas, et à l'arme, et mesmes nous serons tantost prests d'accuser Dieu: et cependant nous ne regardons pas que la faute procede de nous, et que nous sommes coulpables d'un tel mal: car si chacun taschoit a reprimer les vices et les iniquitez, et quand il y a quelque mal, qu'un chacun s'employast à l'empescher: il est certain que Dieu beniroit une telle affection et que nous aurions un ordre desirable entre nous, et matiere de nous resiouir. Mais quoi? Au lieu de cercher remede à ce qui va mal, il n'y a celui qui n'apporte quelque bois pour allumer le feu, ou qui ne soit une allumette luy-mesme. Voila comme nous en faisons. Et ainsi faut-il trouver estrange, si les choses sont meslees tellement qu'il n'y ait ne fond ne rive, que ce soit comme un abysme? Car (comme i'ay dit) nous ne cessons d'adiouster tousiours du bois quand le feu est allumé. Et ainsi que les riches, et ceux qui sont en authorité regardent à eux: et quand ils verront qu'il se commet des outrages et iniures, et que les povres gens sont opprimez: qu'ils leur tendent la main et taschent de les secourir. Or si cela appartient aux riches et à ceux qui ont le moyen d'aider aux povres: combien plus appartiendra-il a ceux qui ont le glaive de iustice en main? Si ceux-la sont lasches, ils sont dignes que tout le mal auquel ils auront dissimulé retourne sur leur teste, et que Dieu les mette là comme sur un eschaffaut, afin qu'on contemple sa iuste vengeance en leurs personnes. Et d'autant plus doivent-ils bien noter ce qui nous est

IOB CHAP. XXIV.

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ici declaré. Voila donc à quelle fin il nous faut rapporter la doctrine qui est ici contenue.

Cependant il nous faut bien noter les mots dont use Iob: car ce n'est point sans cause qu'il dit, qu'il faut qu'on se rençonne, et rachette de la main de tels meschans, quand ils auront la vogue, et qu'on leur' aura donné une telle audace: et que quand ils auront mangé l'un, et pille l'autre, et qu'on se sera bien abbaissé sous eux, qu'on leur aura fourni les mains pour les appaiser, encores n'a-on rien fait: car ce sont chiens enragez qui ne se contentent de rien: on ne fait mesmes qu'aguiser leur appetit, et telles corruptions sont pour les animer et endurcir d'avantage: car il leur semble que c'est un tribut qui leur est deu, et veulent si on leur a fait un present, qu'on y retourne tousiours, et qu'il n'y ait iamais fin, comme ils sont insatiables.

Il s'ensuit, Que les povres gens se deffient de leur vie. le di mesmes ceux qui auparavant estoyent riches et en credit, qu'il faudra qu'ils tremblent. Et comment? le voi ces meschans qui peuvent tout, et ils me brasseront incontinent quelque potage, et ie ne sai comme i'y pourray resister: il faut donc les amadouer, il les faut gaigner, pour le moins que ie ne les irrite point. Voila comme ceux qui auparavant estoyent asseurez, il faut quand ils ont lasché par trop la bride aux meschans, qu'ils tremblent, et se deffient de leur vie, tellement qu'ils ne savent où ils en sont iusques à ce qu'ils ayent appaisé les meschans, et ils ne trouvent point moyen de ce faire. Il faut donc qu'ils soyent tousiours en perplexité et angoisse. En ceci nous avons un beau miroir, pour nous monstrer que c'est de ne point remedier au mal en temps et en lieu, et de laisser croistre tellement les mauvaises herbes, qu'elles gaignent: car on n'en peut venir à bout quand on voudroit bien les arracher, d'autant qu'on n'y est pas venu à heure. Nous voyons le mal que c'est: et mesmes Dieu fait que le courage deffaut à ceux qui pouvoyent donner facilement remede au mal, en sorte qu'ils sont là comme ayans les bras rompus, et n'ont ne vertu, ne magnanimité en eux, mais tout s'escoule. Et pourquoi? Comme i'ay dit c'est une iuste punition de ceste lascheté dont on use quand on ne fait point son devoir de reprimer le mal du premier coup. Car cependant qu'on voit les povres gens estre tormentez, et qu'on leur fait quelque cruauté ou violence: si on ne donne point remede à cela, il faut que le mal domine en sorte, que ceux qui voudroyent bien et le peuvent aussi de fait, ne puissent apres y mettre la main, d'autant que nostre Seigneur ne leur fait point cest honneur ne ceste grace. Or donc pensons, pensons bien

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Et au reste, cognoissons quelle povreté c'est quand les hommes ne se reposent point en Dieu et qu'ils n'ont point ceste consideration de descharger sur lui toutes leurs solicitudes, afin de s'appuyer sur sa protection. Et pourquoi? Car ce qui nous est ici descrit par Iob, est une chose ordinaire en ce monde, que les hommes ne se fient point en Dieu. Si nous voyons que les meschans ayent la vogue, que ferons nous? O, il faut adviser de nous entretenir avec eux: et cependant nous ne regardons point que c'est nourrir le mal assavoir, que nous leur donnons tant plus d'audace. C'est comme s'il y avoit un enragé qui ne demandast qu'à tout tuer, et que l'un lui vinst donner une espee au poing, que l'autre le fournist de pierres, et que l'autre lui donnast quelque moyen pour l'envenimer d'avantage. Autant en font ceux qui amadouent ainsi les meschans, quand ils les voyent en credit, l'un leur viendra faire quelque present de corruption, pour exposer la iustice en vente: l'autre viendra s'accointer avec eux par quelque moyen subtil: et c'est tousiours les enflammer d'avantage, on aguise leur rage d'autant plus. Car s'ils estoyent retenus auparavant de quelque doute, maintenant ils concluent que tout leur sera licite, et qu'il ne faut plus qu'ils craignent, pource que tout le monde les redoute: O, cestuy-ci est venu à iube en la fin, et il faudra que les autres passent aussi bien par dessous mon bras, ie leur feray faire le tour du singe. Voila comme les meschans conçoivent tant plus grande hardiesse, quand on les vient amadouer ainsi. Or si est-ce que selon les hommes on en fait tousiours en ceste sorte: car quand nous n'avons point d'esgard à Dieu, il faut que nous craignions, et soyons tousiours en perplexité pour dire, Il est besoin que ie me donne garde de cestui-ci: car ie voi bien qu'il faudra que ie passe par ses mains: et maintenant que feray-ie? Si ie vien à lui par raison et avec bonne remonstrance, c'est en vain: car il en a desia les aureilles toutes pleines. Il vaut donc mieux que i'y aille par autre moyen: c'est que ie lui remplisse la gueule comme à un loup ravissant, il faut que ie lui porte. Ou bien, quand ie voi qu'il est plein d'ambition, et qu'il se veut avancer quoi qu'il en soit, qu'il se veut faire valoir, et se mire en ses ailes, ô i'auray cause gaignee quand ie sauray faire du chien couchant: ie ne say point d'autre remede, il faut passer par là.

Voila, di-ie, l'ordinaire. Or que faut-il à l'opposite? C'est que quand nous voyons les meschans estre ainsi pleins d'avarice, et d'ambition, et aussi qu'ils sont comme bestes sauvages pour tout destruire, nous regardions à Dieu, Seigneur, si est-ce que tu tiens la bride aux hommes, tu les pourras reprimer. Car si Dieu ne besongne si tost que

SERMON XCIII

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nous voudrions, cognoissons qu'il nous veut souffleter pour un temps: toutes fois soyons certains qu'il veille pour nostre salut, et qu'il ne permettra point que nous soyons pleinement exposez à la volonté de ceux qui se desbordent ainsi. Car nostre Seigneur nous i en sa main, il approche de nous, et combien que nous ne l'appercevions pas si tost, si est-ce qu'il nous a en sa garde, il nous maintient et est nostre garand. Ainsi donc nous pouvons franchement despiter les meschans avec toute leur audace, cognoissans que Dieu veille pour nostre salut, et qu'il nous preservera de leurs mains, de leurs pattes, et de leurs gueules. Voila où il nous faut revenir, quand nous voyons que selon les hommes nous ne saurions que faire sinon nous adonner a mal, et y consentir: il faut que nous contemplions la protection de Dieu, laquelle nous est maintenant cachee selon nostre apprehension, mais nous en avons si bon tesmoignage et certain en l'Escriture saincte qu'il ne nous en faut point douter. Quoi qu'il en soit, gardons-nous de nous venir ainsi racheter par moyens illicites: car en cela nous monstrons nostre desfiance, et incredulité: et puis nous sommes coulpables entant qu'en nous est du mal, puis que nous le nourrissons. Ainsi quand un homme viendra flatter les meschans, et qu'il aidera à les mettre en plus grande vigueur, et qu'il se rachetera de leurs mains par rençon: que fait-il? En premier lieu (comme i'ay dit) il monstre qu'il n'a nulle fiance en Dieu: car si nous pouvions nous reposer sur les promesses de Dieu, il est certain que iamais nous n'attenterions des moyens obliques, nous regarderions tousiours, Dieu me permet-il cela? Me l'a-il defendu? Il ne faut point donc poursuivre plus outre. Et ainsi tous ceux qui taschent de gaigner la faveur des meschans par corruptions et choses semblables, il est certain qu'ils sont vrais incredules, et le monstrent assez: et en la fin il faudra qu'ils ayent leur payement de n'avoir pas honoré Dieu comme ils devoyent, mais avoir esté complices des meschans, entant qu'ils les ont nourris en leurs iniquitez. Car c'est autant, que s'ils avoyent accordé avec eux pour corrompre et pervertir tout ordre: et de vrai ils l'ont fait entant qu'en eux est.

Apprenons donc (comme i'ay desia dit) de regarder à Dieu, et nous fier en lui: et alors nous ne serons plus suiets à ceste povreté dont Iob fait ici mention, c'est de ne savoir que c'est de nostre vie. Car il faut que ceux qui defendent ainsi les meschans, et qui ne s'appuyent point sur la providence de Dieu, tremblent tousiours, et qu'ils n'ayent nulle seureté ne repos Et mesmes il nous faut bien noter ce que Iob adiouste, que quand nous aurons voulu gaigner la faveur des meschans par

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presens, ou autre façon meschante, il nous espient tant plus fort. Ne voit-on pas que ce sont gens sans loyauté? mais puis qu'il n'y a point de crainte de Dieu, ie vous prie, comment pourront-ils estre fideles aux hommes ? Mais plustost comment se peut-il faire, que Dieu ne permette qu'ils usent de trahison et toute meschanceté, veu qu'il n'y a nul qui ne soit adverti devant le coup? Quand donc on se va ainsi ietter aux filets à son escient, y a-il nulle excuse? On voit tout cela à l'oeil, on voit les meschans faire leurs complots ensemble: et tant y a qu'ils ne se fient pas l'un à l'autre. Et comment cela se peut-il faire? Car s'il y a deux meschans qui facent alliance par ensemble, il semble que les voila conioints comme deux doigts de la main tellement que qui en veut à l'un, il en veut à l'autre. Or cependant assavoir s'ils se fient? Mais il est certain que l'un voudroit avoir envoyé l'autre au gibet, moyennant qu'il n'y eust point de dommage: pour le moins il le voudroit voir cent pieds dedans terre, et tous ceux qui leur favorisent sont en la fin ennemis d'eux. Nous voyons par cela comme Dieu gouverne au milieu des confusions. Quand donc nous serons estonnez des choses ainsi confuses et meslees, levons les yeux en haut, et nous verrons comme Dieu gouverne toutes choses. Car mesmes-il ne permet point que les meschans se puissent fier les uns aux autres, mais faut qu'ils tremblent tousiours: et mesmes ceux qui les nourrissent en leur malice, qui s'accordent avec eux, et sont pleins de feintise, afin de les amadouër et leur complaire' ceux-là, di-ie, tremblent tousiours. Au contraire, si nous pouvons nous reposer en Dieu, il est certain combien que les meschans Nous facent beaucoup d'extorsions, et que nostre Seigneur leur permette de nous fouler et nous picquer: tant y a que nous n'endurerons sinon ce qui nous est expedient d'endurer, et nostre Dieu saura donner issue heureuse et profitable à tout Voila, diie, le remede auquel nous devons estre solicitez, voyans les choses estre ainsi confuses en ce monde.

Or quand Iob a ainsi parlé, il adiouste: Que pour un peu de temps ils sont eslevez, et puis ils defaillent, ils sont coupez comme le sommet d'un espic ils sont enserre avec les autres. Il monstre en somme ce qu'il avoit desia dit, c'est assavoir, que si nous ne regardons point plus loin qu'à la vie presente, nous verrons un train confus, en sorte que nous ne saurons point discerner. Car les meschans auront une grande vogue pour un temps, les voila au dessus de la roue (comme on dit) et incontinent ;ils defaillent. Or les bons pourront estre aussi bien eslevez, et en la fin ils trebuschent. Qu'est-ce donc? Nous voyons cela par experience, comme Iob conclud, disant, S'il n'est ainsi, qui me

IOB CHAP. XXV.

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fera menteur ? Voyans donc une telle experience, apprenons de nous retirer à Dieu: car si nous apprehendons seulement les choses presentes, il est certain que non seulement nous serons comme roseaux branslans, mais comme festus, comme paille iettee et chassee du vent çà et là, et qu'il n'y aura nulle fermeté en nous. Il faut donc avoir ceste prudence, de contempler les choses confuses en ce monde, voire en. telle sorte que tousiours la providence de Dieu soit imprimee en nos esprits. Il est vrai que nous ne la pourrons pas apprehender selon nostre phantasie: mais si faut-il la regarder de l'oeil de la foi, que la parole de Dieu nous soit comme un miroir, que l'Escriture saincte nous

serve de lunettes pour regarder plus loin qu'à ce monde: et combien que maintenant les iugemens de Dieu nous soyent cachez, que nous ne laissions pas pourtant de dire, Seigneur, tu es iuste, et de nous humilier sous lui: et que regardans tousiours à ses promesses, nous ne laissions pas de l'invoquer au milieu de nos necessitez, sachans qu'il nous subviendra, et qu'il nous fera sentir sa bonté, en sorte que nous serons à repos et seureté, et nous pourrons glorifier au milieu de toutes les tentations de ce monde.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE NONANTEQUATRIESME SERMON,

QUI EST LE I SUR LE XXV. CHAPITRE.

1. Alors Bildad Subite respondant dit, 2. La principauté et la frayeur est vers celui qui fait paix en ses hauts lieux. 3. Y a-il nombre de toutes ses bandes? et sur qui est-ce que sa clarté ne luit? 4. Et quelle iustice s'attribuera l'homme, estant comparé avec Dieu? Iui qui n'est rien? et comment seroit net celui qui est nay de femme? 5. Voici il ne luira point iusques à la lune, les estoilles ne seront point pures à son regard. 6. Et combien moins l'homme de vent qui n'est que pourriture, le fils de l'homme qui n'est que vermine?

Pource que nous sommes tant adonnez à nous priser, et que ceste folie là procede de ce que nous ne pensons point à Dieu, et quelle est sa maiesté: nous avons ici un bon advertissement, et fort utile, que toutes fois et quantes que nous sommes tentez de nous attribuer quelque gloire, nous iettions nostre regard à Dieu, et cognoissions bien que c'est de lui, quelle est sa vertu et puissance quelle est sa iustice, quelle est toute sa gloire. Or alors nostre caquet sera bien abaissé: car au lieu que nous estions enflez d'orgueil, et enyvrez d'outrecuidance, le seul regard de Dieu est suffisant pour nous aneantir tellement que nous serons confus en nous mesmes. Voila donc pourquoi maintenant en la personne de Bildad le sainct Esprit nous donne ceste admonition: c'est, qu'il faut bien qu'il y ait une principauté souveraine en Dieu, et que nous soyons effrayez pensans à lui, voyans l'ordre qu'il

a mis au ciel, et par tout le monde: et que nous sachions, que tant s'en faut que nous ayons rien qui puisse valoir devant lui, que les estoilles qui nous esclairent lui sont obscures. Puis qu'ainsi est que reste-il aux hommes? Or (pour tout potage ils ne sont que vermine et pourriture. Et s'ils se veulent glorifier par dessus les estoilles, que sera ce? Leur fol e n'est-elle pas par trop grande? Ainsi donc nous voyons à quelle fin tendent les propos qui sont ici contenus: c'est, que pource que les hommes regardans icy bas ne se peuvent humilier, Dieu leur est mis devant les yeux avec sa maiesté, afin qu'ils sachent qu'il n'est plus question de se faire valoir: car quiconques s'exalte devant Dieu il faut qu'il soit du tout abbaiesé.

Or ici Bildad, pour nous faire sentir combien Dieu doit estre craint et redouté de nous, allegue, Qu'il fait paix en ses hauts lieux, c'est à dire, qu'il dispose tellement l'ordre du ciel, qu'on voit là un gouvernement paisible et bien reglé. Ceci se pourroit rapporter aux Anges, comme nous disons en nostre oraison, Ta volonté soit faite en la terre comme au ciel: ce qui signifie que Dieu est mal obey ici bas, à cause de la rebellion qui est aux hommes, d'autant que nous sommes pleins et farcis de beaucoup de mauvaises cupiditez qui ne se peuvent ranger à sa iustice. Ainsi nous demandons, que comme les Anges sont du tout conformez à la volonté de Dieu, qu'ils ne cerchent sinon de lui complaire en tout et par tout: aussi il lui plaise

SERMON XCIV.

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nous reformer, et que nous corrigeant des affections mauvaises qui sont en nostre nature, il face que son regne et empire soit paisible ici bas. On pourroit donc rapporter ce passage à ce qui est là dit des Anges: mais il n'y a nulle doute que Bildad n'ait regardé plus loin, c'est assavoir, à toute ceste conduite que nous appercevrons en l'ordre du ciel. Ainsi donc combien que le soleil soit comme un corps infini à nostre regard, et que son mouvement soit hastif, qu'il semble qu'il doive tout confondre: si est-ce qu'on ne sauroit regler un horloge à tel compas, c'est à dire, faire qu'il suive si bien son train: il est impossible. Nous voyons le semblable en la lune, et en toutes les estoilles: car combien que le nombre en soit infini, si est-ce qu'il n'y a nulle confusion, mais tout est là si bien disposé que rien plus.

Ainsi donc ce n'est point sans cause que Bildad met ici en avant, que Dieu fait paix en ses hauts lieux. Et non seulement nous voyons son regne en ses creatures celestes: mais de là haut il dispose tellement tout l'ordre du monde, que nonobstant que les choses soyent ici confuses, et se remuent, et qu'il y ait beaucoup de changemens, et de troubles: neantmoins Dieu ne laisse pas d'amener le tout à telle fin qu'il l'a ordonné et delibere en soi. Il est vrai que si nous iettons nostre regard en bas, nous ne pourrons pas voir cest empire ainsi paisible comme il nous est. ici declaré: mais si nous contemplons la providence de Dieu, il est certain qu'au milieu des troubles et de toutes les revolutions du monde nous cognoistrons que Dieu gouverne le tout comme bon lui semble. Nous voyons maintenant qu'emporte ce mot, Que Dieu fait la paix en ses lieux hauts: c'est à dire, qu'il tient la bride à toutes ses creatures, tellement que quelques changemens qu'on voye, si est-ce qu'il ne laisse point de gouverner, et que le tout revient à sa volonté, comme il conduit tout par son conseil. Puis qu'ainsi est, concluons que c'est bien raison qu'il y ait puissance, principauté, et estonnement envers lui: c'est à dire, que nous lui facions hommage comme à celui qui domine, et qu'il soit craint et, redouté de nous, qu'avec toute reverence nous le cognoissions maistre et Seigneur souverain du ciel et de la terre. Or de prime face il sembleroit quasi que ce propos fust superflu: mais quand nous aurons bien pese ce que nous avons desia touché, nous verrons bien que ce n'est point sans cause que Bildad remonstre ici ce gourvernement et empire que Dieu a sur tout le monde. Car ce mot nous trottera aiseement par la bouche, et nous parlerons assez de Dieu: mais cependant nous ne concevons point sa maiesté, nous en faisons quasi une idole. Il est vrai que nous ne le confesserons pas, et mesmes nous aurions horreur de ce faire: mais si

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est-ce que nous n'attribuons point à Dieu la vertu qui lui est deuë, et que nous devons sentir en lui. Car nous devisons de sa maiesté, et son nom trottera en nostre bouche comme par mespris, nous en parlons comme par risee le plus souvent: on voit que les hommes sont prophanes tant et plus, et qu'au lieu que quand il est fait mention du nom de Dieu tout genouil se devroit plier, et toutes creatures devroyent trembler, nous avons ceste audace de ne lui porter aucune reverence ni humilité. Bref, les hommes ne cognoissent point la maiesté de Dieu, et n'apprehendent pas sa vertu pour s'humilier devant lui, et s'y assuiettir comme il faut. Il est donc besoin quand on nous parle de Dieu, qu'il nous soit qualifie, c'est à dire, qu'on le sente tel qu'il est. Et voila pourquoi l'Escriture saincte tant souvent lui adioint des titres, ne se contentant pas de son nom simple: mais l'intitulant, Tout-puissant, Tout sage, Tout iuste, lui seul qui a immortalité en soi, apres, qu'il a tout creé, qu'il gouverne tout. A quel propos est ce que cela est dit, sinon pour resveiller les hommes qui sont par trop stupides, et qui n'honorent point Dieu selon qu'il est digne? Bref, autant de fois que l'Escriture sain te honore Dieu, c'est pour nous reprocher nostre ingratitude et stupidité, que nous ne lui rendons pas ce qui lui est deu, mais le despouillons de sa vertu, et de sa gloire entant qu'en nous est, si pour le moins nous le tenons pour tel qu'il est, pour l'adorer, et nous humilier devant lui, et l'exalter et magnifier comme il le merite.

Et pourtant apprenons quand il est ici dit, Que Dieu fait paix en ses hauts lieux, et qu'il gouverne tellement le monde qu'on voit qu'il faut que tout se renge à luy, et quelque contumace et rebellion qu'il y ait, qu'il ne laisse pas de venir à bout d'executer son conseil: quand nous oyons cela, que nous apprenions de n'estre plus endormis pour nous iouer de Dieu comme nous avons de coustume, mais que nous tremblions devant sa maiesté: et sur tout retournons ceste conclusion qui est ici mise, c'est assavoir, qu'il y a empire souverain, et crainte envers luy: c'est à dire, que non seulement nous luy devons estre suiets, mais qu'il faut que nous tremblions avec toute crainte, qu'il soit tellement redouté, que nous n'ayons point ceste hardiesse folle, ou plustost enragee de nous rebecquer contre luy, et disputer contre ce qu'il fait' ou murmurer comme s'il y avoit quelque chose à redire en ses oeuvres. Voila donc comme icy la bouche est close à tous hommes, afin qu'estans despouillez de leur maudite presomption ils apprennent de trembler en la presence de Dieu, et cognoistre que c'est à luy qu'ils doivent tout hommage.

IOB CHAP. XXV.

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Et voila pourquoy Bildad adiouste, Qu'il n'y a point de nombre en ses bandes: et à qui ne luira sa clarté? dit-il. Quand il dit qu'il n'y a point de nombre en ses bandes, c'est pour signifier qu'il faut bien que les hommes soyent plus que phrenetiques quand ils s'attachent ainsi à Dieu, et luy veulent faire la guerre. Il est vray qu'ils ne le confesseront pas: mais cependant il est impossible de murmurer contre Dieu, et de nous despiter contre ses iugemens, ne de nous fascher de ce qu'il fait, que nous ne lui facions la guerre. Et pourquoy? Car en quoy est-ce que consiste l'empire et la principauté qu'il a sur nous? C'est quand non seulement nous cognoissons sa vertu, mais sa bonté et sagesse infinie, sa iustice, sa misericorde, ses iugemens: quand nous avons cela, nous le glorifions. Or donc quand les hommes ne trouvent point de raison en ce que Dieu fait, quand ils l'accusent de cruauté, ou que par impatience ils se despittent à l'encontre de luy, ou qu'ils sont scandalisez de ce qu'il fait: il n'y a nulle doute qu'ils ne taschent de le despouiller de sa gloire divine: et cela ne se peut faire sans batailler contre luy. Ainsi, quand nous ne glorifions point Dieu en sa iustice, en sa bonté, en sa vertu, en sa sagesse infinie, c'est autant comme si nous luy apportions quelque deffiance, pour nous eslever contre luy. Or à qui est-ce que l'homme mortel se prend? Il est dit icy, Que les bandes de Dieu sont sans nombre. Voila tous les Anges de paradis qui sont armez pour maintenir l'honneur de celuy qui les a formez et creez: toutes creatures sont aussi bien disposees pour venger sa maiesté qui est ainsi assaillie de nous, qui ne sommes que vermine et pourriture. Notons bien donc à quel propos il est icy parlé des bandes et armees de Dieu: c'est afin que nous sachions que toutes fois et quantes que les hommes presument de murmurer contre Dieu, et blasphemer contre sa iustice, il faut qu'ils ayent autant d'ennemis mortels, qu'il y a d'Anges au ciel. Or nous savons que le nombre en est infini. Il faut qu'ils sachent aussi que toutes creatures sont armees pour se ruer à l'encontre d'eux: car à quelle fin est-ce que Dieu a creé toutes choses, sinon afin que sa gloire y reluise? Or si les hommes s'assuiettissent à Dieu de leur bon gré, et qu'ils luy rendent l'honneur qui luy appartient: ce qui est icy dit de ses armees et de ses bandes ne sera pas pour les espouvanter, mais plustost pour les resiouir. Et de fait quand l'Escriture nous recite, que Dieu a beaucoup de millions d'Anges tout à l'environ de soy, qui sont prests de faire ce qu'il leur commandera: à quelle fin est-ce qu'elle tend sinon à ce que nous cognoissions, quand Dieu nous aura receus en sa grace, encore que nous venions à estre assiegez de tous costez, qu'il est assez puissant pour nous

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tenir icy bas en bonne seureté? Quand. donc les hommes desployeront toute leur puissance, qu'ils machineront et cecy et cela pour nous ruiner, quand mesmes lé diable s'eslevera contre nous, il ne faut point que nous craignions. Pourquoy ? D'autant que Dieu a ses armees celestes pour nous maintenir: comme il est dit, que les Anges campent tout à l'entour de ceux qui craignent Dieu, au Pseaume trentequatrieme (v. 8): et puis, qu'il a ordonné à ses Anges de nous guider, tellement que l'homme fi elle ne choppera point. Nous voyons donc comme la multitude infinie des Anges est pour nous consoler' afin que nous soyons asseurez que Dieu nous subviendra au besoin et qu'il a dequoy pour ce faire. Mais tout ainsi que les fideles s'appuyent en Dieu, et se rengent avec toute humilité sous luy, estans conservez par la multitude des Anges: aussi faut-il que tous ceux qui se rebecquent, tous orgueilleux, tous rebelles en soyent effrayez, et qu'ils cognoissent quand ils s'attachent ainsi à Dieu, qu'ils ont aussi affaire à beaucoup d'ennemis, que toute la vertu qui est aux Anges se tournera contre eux pour les accabler que toutes creatures seront aussi bien pour maintenir la gloire de celuy, par la vertu duquel elles subsistent.

Ainsi retenons bien ce mot où il est dit, Que les bandes de Dieu sont sans nombre: et là dessus que nous cognoissions que les hommes auront beau conspirer contre nous: car quand ils auront amassé toutes leurs armees, si ne seront-ils pas les plus forts: Dieu gaignera tousiours par dessus. Ne nous abusons plus donc, quand nous verrons que nous sommes bien accompagnez, que nous aurons beaucoup de gens qui nous ressemblent. Et pourquoy? Nous pourrons tous estre confondus de la main de Dieu, et par sa vertu en un moment. Et puis combien que lui seul suffise ou pour nostre salut, ou pour nostre ruine: si est-ce qu'il a encores ses armees, qui sont prestes et appareillees comme un equippage qui nous est incomprehensible, lequel se dressera contre nous quand bon lui semblera. Craignons donc, et apprenons (comme i'ay dit) de ne nous point enorgueillir, quand nous verrons que le monde sera de nostre costé, et qu'il y aura grande puissance pour nous maintenir: tout cela ne nous servira rien, attendu la vertu de Dieu qui nous est ici declaree. Or par là on peut voir combien l'incredulité des hommes est aveugle: car nous avons à choisir, ou que les Anges de paradis nous ayent en leur garde, et qu'ils veillent pour nous, et soyent ministres de salut: ou bien qu'ils nous soyent parties adverses, et ennemis mortels. Voila Dieu qui use envers nous d'une telle bonté et grace, qu'il ordonne ses Anges à nostre service (comme l'Ecriture en parle Pseau. 91, 11) il veut

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que nous soyons munis d'eux, et quant et quant il prononce, que ce sont ses Vertus, comme s'il estendoit sa main sur nous afin de nous pouvoir maintenir. A quoi tient-il donc que nous ne sommes guidez par les Anges, et qu'ils ne nous garantissent de tout mal? Nous ne pouvons choisir un tel bien qui nous est offert, il ne reste sinon de l'accepter. Mais que faisons nous? Tant s'en faut que nous recevions un tel bien que Dieu nous donne, que nous venons en despitant sa maiesté provoquer les Anges, et les armer à nostre ruine et confusion. Faut-il pas donc que nous soyons bien desprouveus de sens, et que le diable Nous ait comme ensorcelez, quand nous aimons mieux avoir les Anges pour ennemis, que de les avoir pour ministres de nostre salut: comme ils sont prests de nous aider, et de nous guider, moyennant que nous soyons membres de nostre Seigneur Iesus Christ, et que nous lui facions hommage comme a nostre Chef? Et ainsi apprenons toutes fois et quantes qu'il nous est parlé de Dieu, de ne point concevoir une chose morte en lui: mais de penser à sa gloire telle qu'elle nous est ici declaree. Et d'autant que nous sommes par trop stupides, qu'il nous souvienne que Dieu a ses bandes, et qu'il a en nombre infini ses Anges, qui sont prests d'executer ses commandemens, et apres cela que toutes creatures lui obeissent, comme c'est bien 13 raison.

Quand il est dit consequemment, Que la clarté de Dieu luit sur tous: ceci s'expose que Dieu espand tellement ses graces sur ses creatures, qu'on aperçoit quelque estincelle de sa bonté et sagesse par tout: combien que par especial on le restraint aux hommes: car c'est là aussi où s'apperçoit la clarté de Dieu, comme il est dit au premier chapitre de sainct Iean, que Dieu n'a pas seulement dés le commencement donné estre à ses creatures, mais qu'il les a vivifiees pour les maintenir en leur estat, voire par la vertu de sa parole: mais quant aux hommes, il leur a donné une clarté en leur vie. Voila donc toutes creatures qui ont esté vivifiees tousiours en nostre Seigneur Iesus Christ, qui est la Parole eternelle de Dieu: mais nous avons une vie plus noble, et plus esquise que n'ont pas ni les bestes, ni les arbres, et les fruicts de la terre. Pourquoi? Nous avons intelligence et raison. Ainsi donc la clarté de Dieu luit sur les hommes: et quand nous sommes ainsi tenus et obligez a lui, ne sommes-nous point tant plus coulpables, si nous faisons esvanouir ceste clarté? Il est bien certain: car il nous faut revenir à ce que dit sainct Paul aux Actes (17, 27), que quand nous irions en tastant comme des aveugles, encores neantmoins la gloire de Dieu se fera sentir. Pourquoy? Il habite en nous, il ne le faut point cercher loin, c'est en luy que nous vivons, et que nous avons mouvement et

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vertu et estre. Voila donc comme on expose ce passage: c'est que Dieu nous ayant faits participans de sa clarté, nous a tellement obligez à soi, que nous sommes plus qu'ingrats si nous taschons d'aneantir sa gloire, et que nous ne lui rendions pas ce qui lui est deu. Et pourquoy? L'homme ne se peut pas remuer qu'il ne sente que Dieu habite en lui: c'est de lui que Nous tenons la vie, et c'est à lui aussi que nous avons à rendre graces de ce qu'il nous a faits creatures raisonnables plustost que bestes brutes. Car pourquoy est-ce que nous valons mieux que les boeufs et les asnes, sinon qu'il a pleu à Dieu de nous preferer? Ainsi donc ceste clarté dont Dieu nous esclaire, nous est autant d'occasion pour exalter sa gloire, et nous assuiettir sous sa main.

Voila un sens qu'on apporte de ce passage, lequel contient une bonne doctrine. Mais quand on aura bien tout regardé, Bildad ne veut pas simplement signifier que Dieu ait espandu sa clarté sur nous, afin de nous donner intelligence et raison: mais il monstre que nous ne pouvons pas fuir sa presence, qu'il faut que nous cheminions comme devant lui, et qu'il voit tout, et qu'il a comme son regard sur nous. Voila donc comme la clarté de Dieu est espandue sur les hommes: c'est d'autant que nous ne pouvons pas nous cacher de sa presence. Et c'est suivant le propos qu'il avoit desia tenu. Car comme il avoit dit que Dieu a ses anges qui sont equippez à son service comme des grosses armees: aussi maintenant il adiouste, que nous aurons beau faire, que nous ne pourrons pas fuir la presence de Dieu. Il est vray que nous sautons comme des grenouilles, et que nous cuiderons faire des chevaux eschappez: mais si est-ce qu'en la fin si faut-il nous renger a Dieu. Et pourquoi? Car sa clarté nous esclaire tellement que nous ne le pouvons pas fuir, comme si nous avions affaire à un homme mortel. Apprenons donc de faire ceste conclusion quand nous serons solicitez d'une telle audace, que nous cuidions fuir la main de Dieu, Voire? et où est-ce que nous irons? Car nous savons que sa vertu est par tout espandue, pource que son regard est infini. Quand nous serions entrez aux abysmes de la terre, si est-ce qu'il ne lai sera point de nous voir et de nous marquer. Que donc nous ne soyons plus si fols de nous eslever contre Dieu, sachans que nous aurons beau brouiller et mesler, et faire beaucoup d'entreprinses et conspirations: car cela ne profitera rien, que tousiours nous ne soyons observez de luy et de son regard. Or c'est une doctrine assez commune en l'Escriture saincte: mais nous la retenons mal, pour le moins elle est bien mal pratiquee de nous. Et qu'ainsi soit, si cecy nous venoit en memoire, que Dieu nous contemple, et

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que tout ce que cous faisons et disons est noté de luy: ie vous prie, ne cheminerions-nous point avec autre crainte et solicitude que nous ne faisons pas? Mais quoy, Nous ne craignons que les hommes: quand nous n'avons point icy bas de tesmoins, ce nous est tout un. Et voila pourquoy les hommes se laschent la bride à toutes leurs meschantes cupiditez: assavoir pource que l'Esprit de Dieu ne domine point en eux, et que ce leur est tout un d'avoir conceu des choses execrables, et de les avoir proposé en eux-mesmes, pourveu que personne ne les redargue. Il y en a donc bien peu qui se mettent cecy devant les yeux, c'est assavoir que Dieu les esclaire. Car s'ils avoyent ceste clarté en memoire, il est certain que cela seroit pour reprimer toutes leurs meschantes affections, pour les purger de toutes ces phantasies dont ils sont enflez. Et defait si nous avons honte des hommes, combien plus nous doit esmouvoir celuy qui est Iuge de tous? Car si les hommes nous iugent, ce n'est pas en leur authorité, ni en leur nom propre: c'est seulement pour approuver le iugement de Dieu, comme à luy seul il compete. Or voila Dieu qui nous voit: et cependant nous ne luy porterons aucune reverence: il ne nous chaudra de provoquer son ire contre nous. Et comment cela se pourra-il faire? Ainsi donc quand nous aurons bien retenu ceste leçon, que Dieu a sa clarté espandue sur tous: il est certain que ce nous sera une bonne bride pour cheminer en toute pureté de conscience, pour non seulement corriger les fautes que nous commettons par dehors envers les hommes, mais tout le mal qui est caché en nous, et toute hypocrisie. Voila donc en somme ce que nous avons à retenir de ce mot.

Or Bildad ayant ainsi parlé adiouste, Quelle iustice donc s'attribuera l'homme en comparaison de Dieu? Il y a de mot à mot, avec Dieu. Et celuy qui est nay de femme comment se pourra-il absoudre? Cecy nous est comme un adiournement authentique pour nous monstrer que nous sommes bien fols dé nous priser, et de nous faire à croire que nous ayons quelque iustice, ou vertu en nous, ne rien qui soit digne de louange. Un brigand qui sera au milieu des bois ne craindra point ne la iustice, ne rien qui soit. Il est vray qu'il porte tousiours un effroy: comme il a esté veu par cy devant, que Dieu a engravé aux coeurs des hommes un tel sentiment de leurs pechez, qu'il faut qu'ils se iugent, et condamnent d'eux-mesmes: mais si est-ce que là dessus les brigans s'esgayent, qu'il ne leur chaut de couper autant de gorges qu'ils rencontreront de povres passans, s'ils les peuvent attraper. Nonobstant toutes fois quand puis apres ils sont tenus courts, et qu'ils voyent que leur payement est appresté: alors ils n'ont plus ceste hardiesse,

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ils n'ont plus ceste rage en laquelle ils s'estoyent abbrutis. Ainsi en est-il de nous: car cependant que nous ne cognoissons point qu'il nous faut rendre conte devant Dieu, et que nous n'apprehendons pas sa puissance infinie, et la principauté qu'il a en soy, il y a telle outrecuidance en nous, qu'il ne nous couste rien de nous magnifier par dessus les nuees: et si on nous parle de iustice, nous la trouverons aisement en nous, nos vices nous sont vertus. Voila donc comme les hommes, iusques à tant que Dieu les ait adiournez devant soy, et là attirez comme par force, sont enyvrez d'une audace telle qu'ils ne se peuvent cognoistre tels qu'ils sont. Car s'ils se cognoissoyent, il ne seroit plus question de se priser. C'est pourquoy maintenant Bildad dit notamment, L'homme mortel se pourra-il iustifier avec Dieu? Ce mot icy pese beaucoup, comme s'il disoit, Et bien, cependant que les hommes sont entr'eux, ils pourront bien iuger de leurs vertus un chacun d'eux dira, Moy ie suis homme de bien et mesmes il s'estimera beaucoup plus que les autres quand il se viendra mettre en balance, Et cestuy-cy a telle chose en soy, il a un tel vice. Nous savons si bien contreroller les autres que merveilles, pour les mettre bas: et cependant nous ne voulons point confesser nos infirmitez, nous les couvrons entant qu'en nous est. Et s'il y a quelque petite goutte de vertu (au moins comme il semble: car tout cela n'est que fumee, comme nous dirons tantost) ô nous voulons que Dieu nous tienne tant chers et tant precieux, qu'il se despouille afin de nous revestir. Voila donc quelle est l'arrogance des hommes, voire cependant qu'ils ne regardent qu'entr'eux: mais quand nous sommes venus devant Dieu, et que nous cognoissons quels nous sommes, et que nous entrons à faire examen de nostre vie, estans effrayez de sa maiesté, laquelle ne souffre point que nous soyons entortillez en nos hypocrisies et mensonges: lors nous oublions toutes ces folles vanteries, desquelles nous avions esté pour un temps abusez. Et ainsi apprenons suivant ce qui nous est icy declaré, quand nous serons tentez d'orgueil, et cuiderons avoir quelque vertu pour nous estimer apprenons, di-ie, de nous adieurner devant Dieu et n'attendons pas qu'il nous y traine, mais qu'un chacun face cest office envers soy-mesme: car voicy nostre Seigneur qui nous monstre la procedure que nous avons à tenir. L'homme donc cuidera bien tousiours avoir ie ne say quoy dont il se puisse magnifier: mais pour corriger ceste folie et arrogance-la, qu'il regarde seulement, Qui es-tu? Or pour savoir qui nous sommes, venons à Dieu. Car iamais l'homme ne se cognoist cependant qu'il se regarde en soy tant seulement, ou cependant qu'il se compare avec ses prochains: mais c'est quand nous avons levé les yeux en haut, et que nous

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contons qu'il nous faut venir devant le siege iudicial de celuy qui cognoist tout, qui n'est point comme les hommes mortels qui se contentent de menus fatras et envers lequel nous ne pouvons point faire valoir nos coquilles, comme sont toutes les choses de neant qui sont icy beaucoup prisees. Quand donc nous aurons cognu que tout cela s'esvanouit devant Dieu, alors nous apprendrons de nous renger, et n'estre plus tant eslevez en tel orgueil.

Et voila pourquoy il est dit, L'homme, voire celuy qui est nay de femme comment se pourra-il iustifer au regard de Dieu? Mais encores pource qu'il n'y a rien plus difficile que d'amener les hommes à raison, et faire qu'ils soyent du tout despouillez de ceste vaine confiance de laquelle ils s'abusent, icy Bildad adiouste, Que iusques à la lune il ne luira point, et que les estoilles ne seront point pures devant Dieu: et que sera-ce donc de l'homme qu n'est que vermine, du fils de l'homme qui n'est que pourriture? Il est vray que ce mot se peut exposer en diverses sortes, assavoir, que Dieu iusques à la lune ne luira point: ou bien qu'il ne tendra point son tabernacle, c'est à dire, qu'il ne daigne point en approcher: et que les estoilles ne sont point pures, c'est à dire, qu'il faut que toutes les creatures, ausquelles neantmoins nous voyons une grande noblesse, soyent comme eslongnees de Dieu: qu'il y a une distance par trop longue. Et cecy notamment est dit, pource que les creatures d'en haut ont plus d'excellence que celles d'icy bas. Mais quoy qu'il en soit, voila Dieu qui est tant eslongné et de la lune et des estoilles, qu'il y a une distance infinie. Et comment donc approcherons-nous de luy? Or ce sens-la est assez convenable: et defait comment qu'on le prenne, ou pour luire, ou pour tendre son tabernacle, tout revient à un. En somme Bildad vent signifier, que si nostre Seigneur vouloit appeller devant luy ses creatures il ne se trouvera plus de clarté en la lune, les estoilles seront obscures: et neantmoins voila ce qui esclaire le monde: si faudra-il toutes fois que tout cela soit aneanti, quand la maiesté de Dieu viendra en avant. Or que maintenant les hommes se plaisent, et se glorifient. Où sont les ailes pour nous faire monter si haut, que nous prenions la lune aux dents (comme on dit) ou que nous montions par dessus les estoilles ? Si est-ce que quand nous cuidons avoir en nous rien qui soit' et que Dieu vient en avant, il faut que tout soit englouti, et mis à neant par sa gloire incomprehensible. Nous voyons donc maintenant où sont les hommes quand ils se veulent glorifier. Il faut bien, di-ie, que Satan les ait du tout ensorcelez: car c'est autant comme s'ils volleyent par dessus les estoilles. Et sont-ils assez

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habiles pour ce faire ? Quand l'homme voudra seulement se ietter quatre pas en haut' c'est pour se rompre le col, apres s'estre rompu tous les nerfs. Or toutes fois et quantes que nous cuidons avoir quelque chose pour nous glorifier, nous faisons un tel saut, que c'est pour faire rompre le col et aux hommes et aux Anges par maniere de dire. Ne faut-il pas donc (comme i'ay dit) que nous soyons plus qu'enragez ? Voila quelle est l'intention de Bildad.

Au reste, quant à ce qu'aucuns exposent cecy des Eclipses de la lune, cela ne peut nullement convenir: mais le sens est plus simple, c'est assavoir, que les creatures les plus nobles, et qui semblent mesmes avoir quelque divinité, ne sont rien quand on en fera comparaison avec Dieu: qu'il faut que tout cela soit abbaissé, et que Dieu demeure en son entier, et que nous cognoissions qu'il n'y a ne iustice, ne vertu, ne sagesse qu'en luy seul: que tout le reste n'est que vanité. Voire: mais l'experience toutes fois monstre que le soleil n'est pas obscur, ny les estoilles. Ouy bien quant à nous. Et puis il nous faut noter, que la clarté qu'ils ont, ils l'empruntent d'ailleurs: ce sont comme petites estincelles que Dieu monstre là de sa gloire. Et ainsi il n'y a ne soleil, ne lune, ny estoilles qui se puissent glorifier comme de leur propre. Tant y a aussi que si Dieu vient à l'opposite, il faut que ceste clarté soit obscurcie avec tout le reste: car si le soleil nous fait obscurcir le regard des estoilles, ie vous prie que sera-ce de la clarté infinie de Dieu? Maintenant nous avons l'intention de Bildad. Voire iusques à la lune, dit-il, il n'y aura point de clarté, les estoilles ne seront point pures devant Dieu. Comme s'il disoit, Il est vray que nous voyons de la clarté espaudue par tout le monde, nous avons nos yeux qui reçoivent la clarté et en iouissent: mais tant s'en faut que cela soit rien devant Dieu, que si nous venions mesmes iusques aux corps de la lune, et de toutes les estoilles du ciel, tout cela (dit-il) sera obscurci et esvanouy en comparaison de la gloire de Dieu. Or venons maintenant aux hommes. Quels sont-ils? Qu'est ce qu'ils peuvent? Quelle est leur vertu ? Dequoy se peuvent-ils vanter ? Ils ne sont que vermine et pourriture: et là dessus encores ils se voudront iustifier Maintenant il reste de pratiquer ceste doctrine, et l'appliquer à nostre usage. Icy il nous est monstré, que quand nous viendrons devant Dieu, nous ne pouvons rien apporter qui soit digne de louange. Les hommes donc sont il y declarez vuides de tout bien, et qu'il n'y a pas une seule goutte de iustice, par laquelle ils se puissent faire valoir: mais qu'il faut qu'ils passent condamnation, cognoissans qu'il n'y a en eux que toute povreté et misere. Or si ceste

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doctrine estoit bien cognuë des hommes, nous n'aurions pas auiourd'huy tant de combats et de disputes comme nous avons avec les Papistes: car eux de leur costé prisent leur franc arbitre, comme si les hommes avoyent quelque vertu pour se disposer à Dieu. Il est vray qu'ils confesseront bien que nous sommes infirmes, et que nous ne pouvons rien sans l'aide de Dieu, et sans estre adressez par la grace de son sainct Esprit. Mais quoy? Cependant ils attribuent aux hommes quelques preparatifs: et puis, qu'ils sont cooperateurs de Dieu pour aider à sa grace, pour besongner en commun: bref ce sont ses compagnons Et puis ont-ils mis un tel fondement? Il faut s'attribuer cecy et cela, tellement qu'il n'est plus question que de magnifier les hommes en leurs vertus et merites. Car combien qu'ils confessent tousiours que nous avons besoin que Dieu ait pitié de nous, et qu'il nous face misericorde, Ô si est-ce qu'ils souffrent le vent dedans la vessie pour la faire enfler: c'est à dire qu'ils s'abbreuvent de ces doctrines diaboliques, pour se faire à croire qu'ils meritent, et que Dieu les accepte selon qu'ils peuvent estre dignes de sa grace, et qu'il a tousiours regard à leurs vertus. Voila donc comme les hommes sont enflez de vent par ces phantasies diaboliques qui regnent en la Papauté. Et puis (diront-ils) si nous deffaillons, Ô nous avons nos oeuvres de supererogation, nous pouvons satisfaire à Dieu pour nos pechez: et combien que nous l'ayons offensé, et que nous sachions qu'il nous pardonnera nos fautes, toutes fois nous

luy pouvons apporter quelque recompense, quelque satisfaction: et voila le moyen de nous reconcilier avec luy. Or si ce qui nous est icy monstré par Bildad, et que nous avons veu auparavant, estoit bien cogneu, toutes ces disputes-la s'en iroyent bas. Mais quoy? Il est facile aux Papistes de iuger ainsi à la volee de la iustice des hommes, de leurs merites, de leurs satisfactions, et de leur franc arbitre. Et pourquoy? Car ils ne regardent point à Dieu, et sont là endormis en ceste vaine imagination qu'ils ont conceuë, de iustifier les hommes en leurs propres vertus. Et pourtant nous faut-il bien noter ce passage. Notons donc pour la conclusion, que quand nous pourrons adiourner nos consciences devant Dieu, ce sera pour nous humilier, en sorte qu'il ne sera plus question de rien presumer de nous: mais que nous cognoistrons que nous ne sommes que vermine et pourriture, qu'il n'y a en nous que toute infection et puantise. Que reste-il donc? Apprenons toutes fois et quantes qu'on nous parle du moyen de nostre salut, de regarder où c'est que nous devons avoir toute nostre confiance, c'est assavoir, qu'estans receus de nostre Dieu par sa pure bonté, il nous purge et nettoye par son S. Esprit de toutes nos macules, et nous lave au sang de nostre Seigneur Iesus Christ, lequel il a espandu pour nostre purgation, et qu'il nous rende tellement purs et nets par ce moyen, que nous puissions consister devant sa face.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE NONANTECINQUIEME SERMON,

QUI EST LE . SUR LE XXVI. CHAPITRE.

1. Iob respondant dit, 2. A qui as-tu donné secours? à celui qui n'a point de force? As-tu sauvé le bras où il n'y avoit nulle vertu? 3. As-tu donné conseil à celuy qui estoit destitué de sagesse? Tu en dis ce qui en est. 4. A qui est-ce que tu remonstres ces propos, et de qui l'esprit est-il sorti par toy? 5. Les choses mortes se forment sous les eaux, et en ses lieux voisins. 6. Le gouffre est nud devant lui, et la perdition n'a point de couverture. 7. Il estend le costé de la Bise sur lieu vague, et la terre est fondee sur rien.

Nous avons monstré au commencement de ce livre, que la vertu que requiert sainct Paul en un

bon docteur, a deffailli à ceux qui estoient venus pour consoler Iob: c'est assavoir, de trancher la parole de Dieu droitement et de l'appliquer à son droit usage avec telle prudence, que celui qui est debile soit confermé, celui qui est en angoisse soit resiouy, celui qui est froid soit incité, celui qui erre soit reduit au bon chemin. Or il est vrai que les amis de Iob traittent (comme il a este declaré) une doctrine en general qui est bonne et saincte: mais ce poinct-la leur a deffailli, de l'appliquer bien à la personne de Iob. Notons bien donc que ce n'est point assez que nous parlions de Dieu en commun, sinon qu'un chacun puisse rapporter à bon usage ce au en est dit. Cela sera mieux entendu,

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quand le texte nous sera declaré par chacun poinct Iob demande ici à Bildad, Qu'est-ce qu'on a profité en tous tes propos? Et en premier lieu, A qui est, ce, dit-il, que tu as secouru? Est-ce à un homme debile? As-tu sauvé le bras qui n'avoit point de puissance? Comme s'il disoit, la bonne doctrine ne se doit point ietter en l'air, mais elle doit apporter instruction propre à celuy auquel elle s'adresse. Comme quoy? Si nous voyons un homme qui sera du tout abbatu, et tellement effrayé qu'il a besoin d'estre consolé si on le rudoye, si on tempeste contre luy, et ie vous prie, ne voila point le mettre du tout en desespoir: u contraire, si on voit un homme endurci en ses pechez, un contempteur de Dieu, mesmes qui se mocque de toutes admonitions: si on le vient amadouer, et qu'on le traitte par douces paroles, ne vaudroit-il pas mieux se taire que d'exposer la parole de Dieu en mespris envers un tel homme ? Car plustost il seroit besoin de frapper à grands coups, comme si on frappoit d'un marteau sur une enclume, puis que l'homme est ainsi obstiné. Iob donc monstre ici que c'est en vain que Bildad a parlé de la puissance de Dieu: car ç'a esté sans propos, dit-il: comme s'il disoit, Regarde en quel estat ie suis, il faut, puis que tu t'adresses à moy, que tu ayes regard à ce qui m'est maintenant utile: il falloit donc avoir ceste prudence, et non pas ietter ici tes propos à la volee.

Maintenant nous entendons mieux que c'est que Iob a voulu dire. Mais il nous faut noter de ce passage quelle est l'utilité de la parole de Dieu, quand nous en saurons faire nostre profit. Il est icy dit qu'elle doit fortifier ceux qui sont debiles et les relever: qu'elle doit garentir ceux qui sont impuissans, et du tout abbatus. Et cest usage icy est aussi bien noté par l'Apostre en l'Epistre aux Hetrieux (12, 12), quand il allegue le passage d'Isaie, qu'on doit confermer les iambes qui tremblent, qu'on doit fortifier les bras debiles: car le Prophete Isaie attribue cest office-la à ceux qui ont la charge d'annoncer la parole de Dieu. Allez, dit-il, et confermez les povres debiles, renforcez les iambes qui tremblent, et les genoux qui ne peuvent marcher. Et comment? Nous savons que ceux que Dieu constitue docteurs en son Eglise n'ont que la parole, qui leur est commise en la langue. Ouy bien, mais ceste parole a telle vertu, qu'elle peut corriger la foiblesse qui est aux hommes. Que si nous tremblons tellement que nous ne puissions nous soustenir: quand nostre Seigneur parle à nous, il nous donne une vigueur telle que nous sommes comme restaurez: nous marchons, au lieu qu'auparavant nous n'eussions peu remuer un doigt: nous pouvons appliquer nos bras à bien faire, au lieu qu'auparavant ils estoyent comme rompus. Voila

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donc comme il nous faut faire servir la parole de Dieu: car si nous ne sommes fortifiez par icelle en nos debilitez, que nous ne prenions ce remede-la pour corriger toutes nos foiblesses: il est certain que nous ne savons pas que vaut la parole de Dieu elle nous est inutile par nostre faute. Ainsi donc celuy qui a la charge et office d'enseigner, doit bien regarder quels sont les auditeurs ausquels il parle: car s'il voit qu'ils soyent lasches et refroidis, il les faut picquer, il les faut exhorter, s'ils n'ont point de courage, comme defait nous voyons que beaucoup sont là en branle: ils se deffient, et quand on leur parle de la providence de Dieu, afin qu'ils se puissent appuyer sur icelle, ne laissent point de s'effaroucher: quand ils orront seulement une fueille tomber, les voila esmeus, ils sont tant craintifs que si on ne les conferme iournellement, iamais on ne les pourra tenir debout qu'ils ne tombent, ou flechissent. Celuy donc qui est ordonne pour docteur sur l'Eglise de Dieu, doit avoir ceste consideration et prudence, si les auditeurs sont ou lasches ou tardifs, de les exhorter et leur donner courage, de leur remonstrer que Dieu ne deffaut point aux siens, afin qu'ils l'invoquent, et que l'ayans invoqué ils iuissent de son aide, et cheminent hardiment.

Et au reste tout ainsi que nous devons tendre à ce but-la nous qui enseignons les autres, aussi faut-il qu'un chacun en son endroit face le semblable, ainsi que dit l'Apostre: car il applique ce passage-la à toute personne privee, disant, Mes amis, le Prophete Isaie a declaré que ceux que Dieu chois t pour annoncer sa parole, doivent donner vigueur et vertu à ceux qui sont debiles, et qu'ils les doivent faire marcher au bon chemin. Or regardez à vous: qu'un chacun s'efforce quand il se voit ou debile, ou froid, et qu'il sera empesché par sa deffiance, ou par trop grande crainte de servir à Dieu, et à ses prochains: qu'il se renforce, qu'il vienne cercher vigueur en la parole de Dieu. Ne vous flattez point en vos vices: quand vous sentez de l'infirmité, ne dites point, le suis infirme: mais cognoissans quels vous estes, que vous cerchiez le remede en la parole de Dieu. Venez lire, et escoutez les promesses qui sont là contenues: entendez comme Dieu declare qu'il maintiendra les siens, qu'il y a assez de vertu en son Esprit quand ils deffaudront: et attendez de luy un tel secours, et en l'attendant que vous cheminiez tousiours en ceste confiance. Nous voyons donc maintenant comme nous avons à faire nostre profit de ce que Iob dit icy, reprochant à Bildad que ce n'a esté qu'un son inutile de tous les propos qu'il avoit espandu en l'air. Et pourquoy? Car, dit-il, ce n'a pas esté pour fortifier le debile, pour sauver et garentir le bras qui e toit comme rompu. Et ainsi notons

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bien que nous aurons profité en la parole de Dieu, quand nous pourrons estre agiles et bien disposez à bien faire, n'ayans point les bras rompus, ne les genoux tremblans, mais ayans une vigueur pour nous appliquer au service de Dieu et de nos prochains. Voila comme nous aurons este bons escoliers du sainct Esprit. Mais cependant que nous sommes lasches et froids, que nous ne pouvons marcher un pas sans tomber ou flechir: notons que nous avons mal profité en ceste escole celeste, et que cela vient de nostre faute. Car il est certain que la parole de Dieu a ceste nature et proprieté de nous fortifier, tellement que nous ne serons plus foibles, voire s'il ne tient à nous. Ainsi donc que ceux qui ont la charge d'enseigner tendent tousiours à ce but-la, et qu'un chacun aussi ait ceste prudence, de considerer en son particulier quand nous lisons l'Escriture saincte, que nous venons au sermon, Or çà, ie suis debile, i'ay besoin de cueillir vigueur nouvelle, il faut donc que ie soye attentif à recevoir ce remede-la que la parole de Dieu me donne. Bref selon qu'un chacun cognoit ses maladies, qu'il tasche de faire ce que Dieu luy ordonne, et qu'il embrasse ses promesses pour y remedier.

Apres que Iob a ainsi parlé, il adiouste, A qui est-ce que tu as donné conseil? A-ce esté à celuy qui avoit faute de sagesse? Notamment il est dit de la Loy de Dieu, qu'elle est pour instruire les ignorans, et les petis: et cela s'estend à toute l'Escriture saincte, qui n'est qu'une simple exposition de la Loy. Voila donc comme nostre Seigneur veut faire servir toute sa parole, assavoir que d'autant que nous sommes povres aveugles, et qu'il n'y a en nous qu'ignorance, nous soyons fidelement enseignez, que nous n'errions plus, et que nous cognoissions quel chemin nous avons a tenir en somme. Et cela n'est point pour deux ne pour trois: car qui est celuy qui se pourra vanter d'avoir prudence, et d'estre assez sage pour se savoir gouverner? Il est vray que les hommes seront bien assez fols de presumer tant de leur esprit naturel: mais Dieu se mocque d'une telle arrogance, et monstre bien qu'il n'y a que vanité en toute leur belle presomption, Car il surprend les sages en leur astuce, monstrant qu'ils se sont abusez quand ils ont voulu cheminer selon leur phantasie. Cognoissons donc que et grans et petis nous sommes tous comme povres aveugles, et qu'il n'y a, di-ie, aux hommes qu'ignorance, iusques à ce que nous ayons profité en l'escole de nostre Dieu. Or cependant sachons que Dieu nous guide, et qu'en sa parole nous avons toute perfection de sagesse, et que ce n'est point en vain que ce titre luy est attribué, qu'elle est pour enseigner les ignorans. Voila pourquoy notamment Iob reproche à Bildad, qu'il n'a point

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donné conseil à celuy qui estoit desprouveu de sagesse: comme s'il disoit, qu'il a prophané la doctrine quand il ne l'a seu appliquer prudemment comme il devoit. Afin donc qu'un tel reproche ne s'adresse

point à nous, apprenons de tellement user de la parole de Dieu, qu'elle nous serve de bonne instruction, et qu'en recevant une telle doctrine nous ne soyons plus comme povres bestes errantes et esgarees. Que celuy aussi auquel cest office est donné de Dieu d'enseigner les autres, regarde bien, quoy qu'il en soit, qu'il faut que les hommes soyent gouvernez par la main de Dieu et par sa bouche. Il est vray, que iusques à tant que Dieu les ait convaincus de leur ignorance, ils se glorifieront en eux-mesmes: et pour ceste cause faut-il qu'il humilie cest orgueil, comme aussi sainct Paul en parle (2. Cor. 10, 5), quand il dit que l'Evangile doit servir à cela, d'humilier toute hautesse qui s'esleve à l'encontre de nostre Seigneur Iesus Christ: et en ensuivant ce qu'il dit aussi en l'Epistre des Corinthiens premiere (3, 18), qu'il faut que nous devenions fols, afin d'estre sages en l'escole de Dieu. Il est vray que cela nous semble estrange, mais c'est nostre A. B. C. c'est une leçon en laquelle il nous faut continuer tout le temps de nostre vie. Et ainsi les Ministres de la parole de Dieu doivent monstrer aux hommes, qu'il n'y a ne conseil ne sagesse en eux, afin qu'ils ne se fient plus en leur vertu ni en leur raison, qu'ils ne soyent point si outrecuidez de dire, le say bien comme il me faut vivre, non: mais que tous s'estiment comme fols, c'est a dire, qu'ils cognoissent qu'il n'y a en eux que vanité. Car s'il y avoit une seule goutte de sagesse en nous, Dieu ne nous porte point d'envie qu'il ne nous laissast en nostre entier: mais Dieu veut abaisser nostre arrogance pour nostre profit, afin que nous soyons humiliez, et devenions humbles et petis pour l'exalter luy seul, et nous assuiettir du tout à ce qu'il nous dira. Nous voyons donc que les Ministres de la parole iamais ne pourront edifier le peuple, qu'ils ne commencent par ce bout: c'est de monstrer aux hommes qu'ils sont pleinement despourveus de sagesse. Et il faut aussi qu'un chacun en son endroit reçoive ceste admonition icy, et que cognoissans que toute prudence nous deffaut, et que nous en sommes vuides, nous sachions que nous la trouverons en la parole de Dieu. Pourtant ne craignons point que nous ne soyons suffisamment enseignez et en toute perfection, quand nous souffrirons que Dieu nous declare sa volonté, et que nous l'en requerrons, estans prests de recevoir tout ce qu'il nous dira. Quand donc nous aurons ceste prudence de nous laisser gouverner par la bouche de Dieu, nous aurons là une vraye perfection de toute sagesse, et en laquelle il n'y aura que redire. Et pourquoy? Le

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sainct Esprit n'a pas menti en prononçant que c'est le propre office et le vray naturel de la bonne doctrine, d'enseigner ceux qui defaudront en prudence et en raison.

Or en la fin Iob redargue Bildad de ce qu'il a parlé à l'esgaree. Car en disant, Tu en as dit ce qui en est, il signifie que les propos de Bildad n'ont pas este reglez ni compassez à l'affaire qu'il avoit à manier. Et c'est un mot qui est bien digne d'estre noté: car ceux qui voltigent ainsi en l'air en parlant, ne savent que c'est de trancher droitement la parole de Dieu, mais ils y vont par circuits, tournans seulement à l'entour du pot: comme nous en voyons beaucoup qui devisent en general, et ne sauroyent appliquer la doctrine à profit comme ils doivent. Que sera-ce quand nous aurions esté icy un demi iour, et que i'auroye exposé la moitié d'un livre, et que sans avoir esgard à vous ni à vostre profit et edification i'auroye icy speculé en l'air, que i'auroye traitté beaucoup de choses en confus? Chacun s'en retourneroit en sa maison comme il est venu au temple: et cela seroit prophaner la parole de Dieu, tellement qu'elle n'auroit point d'usage envers nous. Que faut-il donc ? Retenons bien ce qui est icy dit: c'est assavoir que nous devons rapporter ce que nous disons à une fin certaine: et que quand nous traittons une matiere, nous parlions à propos, que nous sachions reduire les choses en leur ordre, et qu'il n'y ait nulle confusion. Comme quoy ? Suivant ce que i'ay desia dit, si nous voulons consoler ceux qui sont tristes et faschez, et qui se trouvent empeschez en leur conscience, ou qui ont quelque grand trouble: il faut que nous cerchions les moyens de les consoler, en leur proposant la misericorde de Dieu, et que nous congoissions la maladie pour y appliquer les remedes. Si nous voulons abbatre la fierté qui est aux hommes, et la rebellion: il faut que nous monstrions quelle est la vengeance de Dieu, et que nous leur facions sentir en despit de leurs dents qu'il n'est point question de s'en mocquer. Car c'est celuy qui peut tout abysmer par son souffle, et qui est comme une foudre pour mettre tout à neant. Quand on voudra exhorter à patience ceux qui sont tormentez, et qui ne peuvent point souffrir paisiblement les afflictions que Dieu leur envoye, ou qui se deffient et desesperent: il faut cercher les arguments qui sont propres à cela: car si on parloit beaucoup en confus, et que seroit-ce? C'est comme si on venoit à un medecin, et qu'on luy demandast remede pour une maladie: et s'il alloit traitter de son art en general, et qu'il en disputast, et le povre malade rendroit l'esprit cependant, là où il eust peu estre restauré si on y eust remedié soudain: et tous ces propos dequoy auront-ils servi? Quand on viendra à un masson

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pour luy bailler quelque bastiment en main, et s'il dispute de bastir des chasteaux, et qu'il propose de dresser de grans bastimens en l'air, et qu'il dispute comment il fera, et cependant qu'il ne regarde point à l'oeuvre presente: et que sera-ce? Si on vient à un advocat pour demander conseil de quelque procez, et qu'il aille disputer des loix en general, et qu'il ne reduise point les choses à la cause presente: autant en sera-il. Ainsi donc notons bien que quand nous traittons la parole de Dieu, il faut que nous ayons un certain but, pour ne point vaguer çà et là: mais que nous tranchions droit, sachans à quelle fin nous parlons, afin que nos propos ne soyent point extravagans, qu'ils ne s'esgarent point çà et là: car autrement nous pourrions bien dire beaucoup de bonnes choses: mais tout ce bien-la dequoy servira-il? C'est ce que Iob a voulu icy monstrer, redarguant la temerité de Bildad, lequel n'a point eu ceste prudence de faire servir la bonne doctrine à son usage

Or il dit encores un mot qui pese plus: A qui, dit-il, remonstres-tu ces propos, et de qui est-ce que l'esprit est sorti de toy? En disant, qui remonstres-tu ces propos? il monstre que nous devons avoir esgard aux personnes ausquelles la doctrine s'adresse, comme desia nous avons declaré. le ne suis point icy pour moy seul: il est vray que nous devons tous profiter en commun: car quand ie monte en chaire, ce n'est point pour enseigner seulement les autres, ie ne me retire point à part (car ie doy estre escolier, et la parole qui procede de ma bouche me doit servir aussi bien qu'à vous, ou mal-heur sur moy): mais cependant si ie me contentoye de m'estre repeu, et que ie n'eusse point regard à vous et à vostre capacité, pour faire servir la doctrine que ie porte: et que seroit-ce? Ainsi donc il faut bien que nous ayons ceste prudence d'accommoder la doctrine à ceux lesquels Dieu nous recommande. Car il nous oblige à son peuple, quand il nous constitue en cest office que nous sommes ses messagers: il nous conioint à son Eglise, tellement qu'il nous faut là avoir nostre veuë dresse . Pourtant si nous iettons nos propos en l'air, fermans les yeux, n'ayans nulle consideration de cou ausquels nous parlons: c'est par trop abuser de la parole de Dieu. Notons bien donc que ceux qui ont ceste charge d'enseigner, quand ils parlent à tout un peuple, doivent adviser quelle doctrine sera bonne et profitable, pour la dispenser fidelement et avec bonne discretion, tellement que ce soit à l'utilité commune de tous. Si nous n'avons cela, nous ferons un meslinge, nous ferons de la parole de Dieu un potage qui sera meslé en sorte qu'il n'y aura plus ne goust ne saveur. Et pourquoy? Car le principal est que nous sachions que c'est que demande celuy qui vient pour estre

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enseigné. Ie ne di pas qu'il demande selon son appetit charnel: mais ce qui luy est propre, et qui luy peut servir.

Venons maintenant à declarer ce que met icy Iob. De qui l'esprit est-il sort de toy? Vray est qu'on a ainsi exposé ce passage, comme s'il estoit dit, En quel esprit parles-tu? Est-ce de Dieu, ou des hommes? Et ce sens n'est pas du tout à reietter: car defait quand quelqu'un se mesle de porter la doctrine de salut, il faut bien qu'il prenne garde qu'il ne s'avance point de son sens naturel, sachant qu'il n'est point question icy que l'homme se face valoir: mais qu'il doit se gouverner par l'Esprit de Dieu, et avoir ceste vertu dont parle sainct Paul, afin qu'on cognoisse que c'est Dieu qui l'a envoyé. Cela donc est bien requis: mais quand on aura regarde au fil du texte, plustost Iob, suivant ce qu'il avoit desia touché veut monstrer que les propos de Bildad n'ont pas esté bien ordonnez, pource qu'ils n'ont point vivifie son ame: et c'est le principal que nous devons observer en la parole de Dieu. Nous avons desia dit, que la parole de Dieu est pour enseigner les ignorans, qu'elle est pour fortifier les debiles: voire d'autant qu'elle exhorte ceux qui sont lasches, et qui n'ont que froidure en eux, et paresse: et qu'elle redargue ceux qui sont endormis en leurs fautes, qu'elle picque ceux qui ne peuvent venir avant, qu'elle redresse ceux qui sont desbauchez: mais cecy est encores plus, c'est assavoir, qu'elle ressuscite les morts. Et c'est ce que maintenant Iob veut monstrer, disant, De qui est-ce que l'esprit est sorti de toy? c'est à dire, en vertu de tes propos Notons bien donc que la parole de Dieu sera traittee comme elle doit, quand elle nous donnera courage pour marcher, et pour nous fortifier en nos foiblesses, pour nous rendre agiles quand nous aurions eu les iambes rompues, et quand, au lieu que nous aurons esté auparavant desprouveus de toute vertu elle nous rendra forts et robustes: mais elle nous doit donner vie quand nous serions comme en la mort. Et notamment cela est dit de l'Evangile: car voila comme nostre Seigneur Iesus en parle au cinquieme de sainct Iean (v. 25): Le temps est venu, dit-il, que la voix du Fils de l'homme sera ouye, non pas des vivans, mais de ceux qui sont morts. Et qui sont ceux-la? Or il ne faut point que nul s'en exempte: car par où est-ce que Dieu commence à faire valoir sa doctrine en nous ? C'est en nous retirant de ceste mort spirituelle en laquelle nous estions tous detenus: car devant que Dieu nous ait illuminez par sa parole, nous sommes aveugles: devant qu'il nous ait ouvert les aureilles, nous sommes sourds: devant qu'il nous ait donné la foy, nous n'avons ny ame, ny coeur. Il est vray que nous aurons bien quelqu'apparence

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de vie: les incredules boivent et mangent comme font les fideles: apres, ils peuvent manier leurs besongnes, mesmes il semble qu'il y ait de belles vertus en eux souventesfois: mais tout cela n'est rien pource que d'autant qu'ils sont alienez de Dieu, il n'y a que mort en eux, il n'y a que toute contusion.

Ainsi donc il faut que Dieu nous retire de la mort quand il nous attire à soy, et qu'il commence par ce bout-la pour faire valoir sa parole en nous. Et de fait regardons quelle est la vertu des hommes, iusques à ce que Dieu les ait fortifiez par sa parole. Ils se confient en eux-mesmes, c'est à dire, ils sont appuyez sur un roseau qui sera pour leur faire rompre le col: et mesmes c'est comme si un homme se vouloit fonder sur un pic: quand il y auroit un bois pointu, et mesmes qui fust ferré par le bout, et qu'un homme se vinst là appuyer, et le voila empicqué. Telle est la confiance que nous avons en nostre vertu, qu'il faut qu'elle nous soit mortelle. Notons bien donc qu'il n'y a point une seule goutte de vie en nous iusques a ce que Dieu nous retire de la mort, voire et qu'il le face par le moyen de sa parole. Et en cela voyons nous combien la condition de tous incredules est miserable. Il est vray qu'ils sont tellement enyvrez en leurs desbordemens, qu'ils ne cognoissent point leur mal: mais tant pis, si est-ce que l'Escriture saincte se monstrera tousiours vraiye, quand elle prononce que cependant que nous sommes alienez de Dieu, nous sommes morts et perdus du tout, il n'y a en nous que tout mal-heur. Et cependant nous voyons quelle est l'ingratitude du monde. Combien s'en trouvera-il qui souffrent d'estre ressuscitez et vivifiez ? Dieu nous offre ce bien quand il veut que sa parole se presche à tous, et qu'elle soit publiee. Voila donc la vie qui se presente: et nous la reiettons, c'est à dire, on voit que la plus grande multitude s'en retire, et repousse un tel bien duquel elle po voit iouir. Ne voila point une ingratitude trop vilaine? Et ne faut-il pas que les hommes soyent bien insensez ? Tant y a qu'on voit combien il y en a peu qui se rengent à l'Evangile, et qui y prestent l'aureille on voit qu'ils ne font que blasphemer à l'encontre, ou s'en mocquer, ou bien qu'ils en détraquent, et se vienent eslever contre Dieu avec une rage telle, qu'on en peut moins chevir que de bestes sauvages. Quand donc nous voyons que le nombre de ceux qui redoivent la bonne doctrine de salut, est si petit, et que la plus part s'en eslongnent, et que les uns (comme i'ay dit) n'en tiennent conte, les autres s'en mocquent, les autres s'eslevent en telle rage à l'encontre, qu'ils monstrent bien qu'il n'y a en eux qu'impieté contre Dieu: en cela voit-on combien Satan en a ensorcelé.

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Quoy qu'il en soit, nous devons bien noter ce passage où il est dit, que l'esprit nous doit sortir, c'est à dire, que là où auparavant nous estions trespassez, quand nous oyons la parole de Dieu elle nous doit donner telle vigueur que nostre esprit se monstre, lequel auparavant estoit non seulement assopi, mais du tout esteint. Vrai est que la parole de Dieu ne pourra point ceci d'elle mesme entant qu'elle est prononcee par la bouche d'un homme mortel: car il faut qu'elle soit vivifiee auparavant pour nous vivifier. Comment cela? Quand ie parle, il n'est pas en moi de toucher les coeurs, ne de faire en chacun entrer la doctrine que ie propose, tellement qu'il soit esmeu de venir à Dieu. Quoi donc? Il est besoin que nostre Seigneur par son sainct Esprit face valoir sa parole, et qu'il la vivifie devant qu'elle entre en nous, et qu'elle y prenne racine, et que ce nous soit une semence incorruptible de vie. Voila donc comme il faut que Dieu besongne par sa vertu secrette, pour faire valoir sa doctrine qui nous aura este preschee par les hommes. Il est vrai. Mais d'où vient ceste faute là ? De nous. Car il faut que Dieu nous perce les aureilles, on nous ne l'escouterons iamais: il faut aussi qu'il amollisse nos coeurs, et qu'il les rende comme de chair, d'autant qu'ils sont durs comme pierre et pleins de rebellion. Tant y a que la parole de Dieu en soi doit contenir ceste vertu et proprieté que i'ai dit, c'est assavoir de mortifier nos ames. Et ne nous esbahissons point de cela: car à quelle fin est-ce que Dieu a ordonné, et qu'il a voulu que sa parole se presche? Il nous veut amener à soi, et se veut approcher de nous: et non seulement cela, mais il veut habiter en nous. Or il est la fontaine de vie, et il n'y a en nous que mort. Ainsi donc puis que par le moyen de la parole, Dieu nous fait participans de soi et de ses graces, puis qu'il veut habiter en nous, et mesmes qu'il vit en nous afin que nous vivions en lui: ne voila point ceste resurrection de laquelle nous avons parlé? Et ainsi cognoissons en somme que cependant que nous sommes alienez de Dieu, quelque belle apparence que nous ayons, nous voila plus que miserables, il n'y a que rnalediction en nous, nos povres ames sont mortes, encores qu'il y apparoisse quelque vigueur par phantasie. Que faut-il donc? Que nous soyons vivifiez entant que Dieu nous recueille à soi: ce qu'il fait par le moyen de sa parole. Voyans ce thresor estre tel et si inestimable, que nous le prisions. que nous le facions valoir comme il le merite, et que nous n'empeschions point Dieu par nostre ingratitude de nous faire sentir sa vertu et efficace laquelle il nous offre. Voila donc en somme ce que nous avons à noter de ceste preface de Iob.

Or il adiouste consequemment, Qu'il pourra

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dire beaucoup de choses de la puissance de Dieu: mais qu'il faut savoir à quoi cela se rapporte: car si les propos sont ainsi pendus en l'air, il vaudroit mieux se taire. Ainsi il faut qu'on advise pourquoi on dispute de la parole de Dieu, et que les personnes soyent edifiees d'une telle doctrine. Iob donc monstre ici que ce n'a point esté là le noeud

de la matiere (comme on dit) et que Bildad n'a fait que va(ruer en ses propos. Pourquoi? Il falloit, dit-il, venir à un antre poinct, comme il en sera traitté ci apres. Mais cependant il monstre qu'il n'est pas ignorant de ceste vertu dont Bildad a parlé, monstrant comme Dieu gouverne tout, et que telle vertu et maiesté qui est en lui nous doit estre espouvantable, et qu'en toute reverence il nous faut venir à lui pour lui faire hommage, et nous y as

suiettir. Vrai est que ceste doctrine de soi est bien utile, et que quand elle sera preschee en general, nous ne la devons point mespriser: mais si est-il besoin toutes fois qu'en un affaire particulier nous advisions comme on la doit traitter, sachans qu'il n'est point question de tenir longs propos des choses qui ne conviennent point à la matiere qu'on aura en main, mais qu'on doit venir au poinct, comme on dit Voila donc en quoi Bildad est redargué par Iob: c'est que quand il a disputé de la puissance de Dieu, il n'a point regardé à quoi pouvoit servir ce propos. Et voila pourquoi Iob maintenant dit,

le ne suis pas ignorant que Dieu n'ait creé tout le monde, qu'il ne gouverne tout, qu'il ne tienne tout en sa main, et que sa maiesté ne doive estre redoutable: ie cognoi toutes ces choses. Or pour mieux entendre ce propos, notons qu'il y a des personnes ausquelles il faut monstrer la puissance

de Dieu pour les amener à une crainte de sa maiesté, tellement qu'ils avent religion telle qu'ils doivent. Et pourquoi ? Car nous verrons beaucoup de gens sauvages, qui à grand' peine ont iamais conceu qu'il y a un Dieu au ciel qui gouverne tout: ils sont là abbrutis. Il est vrai que si on leur parle de Dieu, ils feront le nicquet pour dire, O voila il y a un Dieu. Voire, mais iamais n'ont senti que c'est de sa gloire, iamais n'ont apprehendé ceste vertu admirable qui est en lui. Il leur faut aussi monstrer que le service de Dieu est spirituel, et qu'il faut venir à lui en integrité et rondeur, et que nous soyons purgez de toute feintise. De savoir quelle est la volonté de Dieu, o iamais ne s'en sont conquis: car ils ont esté trop empeschez aux choses de ce monde. Voila donc comme beaucoup de gens

sont prophanes, et tellement enveloppez aux delices de la vie presente, qu'ils ne pensent point à Dieu. (Jeux-là ont besoin qu'on leur traitte au long les propos qui ont esté touchez ci dessus, pour leur taira sentir quelle est la maiesté de Dieu. Il est

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vrai que nous en avons tous besoin, chacun selon sa mesure: mais ie di que ces propos ici se peuvent deduire au long à ceux qui ont besoin d'estre appellez à la cognoissance de Dieu, pour les faire trembler sous la maiesté de celui duquel ils s'estoyent mocquez auparavant. Voila un Item que nous avons à noter. Il y en a d'autres aussi qui ont besoin d'estre ramenez à ceste consideration-là: ie di mesmes de ceux qui ont une droite crainte de Dieu: il faut, di-ie, qu'ils soyent enseignez, et qu'on leur reduise en memoire que c'est de sa maiesté afin qu'ils tremblent tousiours sous icelle, et soyent humiliez comme il appartient. Mais tant y a que ce n'est pas le tout: car il ne faut point s'arrester là en general. Et pourquoi? Quand ils sont ainsi enseignez, et bien, c'est le fondement qui est mis, il faut puis apres bastir dessus: voire en telle sorte qu'on sache appliquer le bastiment à ce qui est desia fondé sous terre. Quand donc on parle à ceux qui ont religion en eux, et qui s'abbaissent et s'humilient sous la puissance de Dieu: il ne faut pas qu'on s'arreste à ces propos generaux: mais il nous faut en particulier regarder ce qui est utile à chacun, voire pour bastir sur le fondement qui aura desia esté mis. Voila ce que Iob a voulu ici declarer.

Or maintenant venons aux mots desquels il use. Il dit, Que les choses mortes sont formees sous les eaux, et aux lieux voisins. Comme s'il disoit, Et bien, tu m'as ici parlé de la puissance de Dieu à cause que ses bandes sont infinies, a cause que toutes creatures sont en sa main: et ie confesse tout cela, mesmes ie contemple plus loin: car ie regarde iusques aux abysmes, iusques au centre de la terre, ie regarde que Dieu produit les choses qui n'estoyent rien auparavant, ou bien il vivifie les choses qui estoyent mortes. D où est-ce que vient la vie de toutes creatures? cela est comme une chose cachee aux abysmes les plus profonds. Si on demande, Comment est-ce que nous sommes conservez en nostre vertu? où est ce que Dieu a cerché la vie qu'il a donnee aux hommes? C'est autant comme s'il fust allé la prendre aux abysmes. Comment est-ce que la terre produit ses fruicts? comment est-ce que le bled qui porte un tel gérme, puis apres fructifie? Or voila des secrets de Dieu qui sont cachez. Là dessus Iob vient en haut, et dit, Ie cognoi bien que Dieu a estendu le ciel, dit-il, et l'a estendu en un lieu vague, où il n'y avoit nulle disposition. C'est autant comme si quelqu'un vouloit tapisser l'air: or cela est impossible aux hommes: mais Dieu a voulu ici monstrer sa vertu admirable.

Vrai est que Iob notamment met le costé de la Bise, et toutes fois il parle du ciel universel mais c'est d'autant que le ciel tourne à l'entour du pole qui est là: et que comme en des roues

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d'un chariot il y a le bois qui traverse qui est mis au milieu, et les roues tournent à l'entour de ce bois-là par le pertuis qui est au milieu: ainsi est-ce du ciel. On voit cela manifestement: c'est à dire ceux qui cognoissent mieux le cours du firmament ils voyent que le ciel tourne ainsi. Car du costé de la Bise il y a une estoille qu'on voit à l'oeil, qui est comme cest aixieu qui est au milieu d'une roue, et voit-on le firmament tourner au milieu. Il y en a une autre qui est cachee de nous, que nous ne pouvons pas appercevoir, qu'on appelle le Pole Antarticque. Et pourquoi? Pource que le ciel aussi tourne à l'entour, comme s'il y avoit un bois où fust mise la roue, ainsi qu'il a esté dit. Quand ie parle de ce cours du ciel, ie n'enten pas le cours du soleil tel que nous le voyons tous les iours: car le soleil a un mouvement especial pour soi: mais c'est un mouvement universel pour tout le firmament du ciel. Or ces deux estoilles sont là comme attachees, elles ne sont pas mouvantes ni errantes. Voila donc pourquoi Iob dit, Que Dieu a estendu le ciel du ce té de la Bise. Et pourquoi en pareil? C'est un miracle tel, qu'il faut que nous en soyons ravis en estounement. Il est vrai qu'on en aura quelque experience, qui fait qu'on en parle: mais tant y a que cest ordre ainsi bien composé nous monstré qu'il y a une sagesse telle en Dieu qu'il faut que nous confessions que cela surmonté tout sens humain, et que nous ne pouvons sinon adorer ceste grandeur de nostre Dieu, qui s'est ainsi declaré en la creation du monde.

Et voila pourquoi il dit, qu'il a fondé la terre sur rien. Car sur quoi est-ce que la terre est arrestee? Sur l'air. Tout ainsi que nous voyons l'air

par dessus nous, ainsi par dessous la terre il y en autant, tellement que la terre est pendante au milieu. Or il est vrai que les Philosophes disputent bien pourquoi c'est que la terre est ainsi demeuree veu qu'elle est au plus profond du monde: et que c'est merveille comme elle n'est abysmee, veu qu'il n'y a rien qui la soustienne, toutes fois ils n'en peuvent donner autre raison, sinon ce qu'on voit en l'ordre de nature qui est une chose si admirable, qu'il faut que les hommes soyent ici confus, et qu'ils soyent eslevez par dessus eux-mesmes, et glorifient Dieu, cognoissans qu'il y a une sagesse infinie en lui. Ainsi donc nous voyons à quoi tendent les propos de Iob: c'est pour monstrer qu'il n'estoit pas si brutal que de nier la maiesté de Dieu, qu'il cognoist assez sa gloire: mais il veut dire que ce n'est pas le tout d'avoir traitté cela en general, mais qu'il le faut appliquer en usage, comme demain au plaisir de Dieu nous en parlerons encores plus à plein.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON XCVI

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LE NONANTE SIXIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXVI. CHAPITRE.

8. Il lie les eaux sur la nuee, et la nuee ne s'enfondre point sous icelles. 9. Il tient la face de son throne, et estend la nuee au dessus. 10. 11 a mis bornes Sur les eaux, iusques à ce que la clarté et les tenebres soyent consumees. 11. Il fait trembler les colonnes du ciel, et l'espouvante en sa menace. 12. Il fend la mer en sa vertu, et appaise l'orgueil par son intelligence. 13. 11 a orné les ceux par son Esprit, il a formé de sa main le serpent lissant. 14. Ce sont ici les bords de ses voyes: et combien peu en oyons-nous? Et qui est-ce qui cognoistra la frayeur de sa puissance ?

Nous commençasmes hier à exposer comme nous devons faire nostre profit de ce qui est ici contenu des oeuvres de Dieu: c'est qu'en les considerant avec toute reverence nous lui rendions l'honneur qu'il merite. Car quand nous aurons bien pensé à tous les miracles que Dieu fait, et qu'il ne sera point cependant honoré de nous, quel profit est-ce qu'il y aura en cela? Apprenons donc toutes fois et quantes que les oeuvres de Dieu nous seront mises au devant, que c'est afin que nous cognoissions sa maiesté, et que nous lui rendions la louange dont il est digne. Iob a remonstré, que la terre a esté fondee, et subsiste encore auiourd'hui par un moyen admirable: nous marchons tous les iours dessus, et toutes fois il y en a bien peu qui y pensent pour en taire le profit qui a esté dit. Apres, quand il nous est dit, Que Dieu lie les eaux en la nuee, et que la nuee ne s'enfondre point: voila un miracle que nous voyons tous les iours à l'oeil, et cependant nul n'y pense si ce n'est bien maigrement, en sorte que cela s'escoule, et ceste vertu de Dieu n'est point honoree de nous. Pour ceste cause doue Iob voulant protester qu'il n'estoit point du nombre de ceux qui passent par ce monde brutalement sans cognoistre leur Createur, dit, le sai que Dieu lie les eaux en la nuee. Or pource que cela nous est tout accoustumé, nous n'en faisons pas grand conte: mais Dieu cependant ne laisse pas de nous y monstrer une vertu miraculeuse. N'est-ce point un miracle, que les eaux soyent ainsi pendues en l'air, et qu'elles se tiennent là fermes ? Nous voyons que les eaux s'escoulent, et mesmes l'air est tant subtil, qu'il leur donnera tousiours lieu, et les eaux de leur nature sont plus pesantes que l'air: il faut donc qu'elles tombent bas: toutes fois nous voyons

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qu'elles sont là retenues comme dedans des barils, ainsi qu'il en est parlé au Pseaume (33, 7): car le Prophete use de ceste similitude-là, voulant exprimer le miracle qui est si mal recognu des hommes.

Nous voyons donc maintenant qu'emporte ce verset où il est dit, Que Dieu lie les eaux aux nuee, voire sans que les nuees s'enfondrent. C'est pour nous monstrer toutes fois et quantes que les nuees se font en l'air, et que nous voyons là les eaux encloses, et que la terre n'est point abysmee, que cela se fait d'autant que Dieu estend sa main: et par ainsi que nous sachions qu'il se monstre à nous, et nous veut faire sentir quelle puissance il a, c'est as voir, infinie: et qu'il nous veut resveiller, pource que nous ne le regardons point quand le ciel est serain et pur, et n'appercevons point sa gloire qui se demonstre ainsi: que pourtant il nous veut enseigner par une autre façon nouvelle quand il serre ainsi les eaux, et qu'il les fait loger en l'air, qu'elles sont là comme pendentes, qu'elles sont tenues comme en une bouteille, ou en un baril. Quand donc nous voyons cela, Dieu nous reproche nostre ingratitude, et nous appelle à soi, et nous monstre qu'en toute façon il a une puissance admirable: mais en voyant nous ne voyons goutte. Si on demande, Comment cela se peut-il faire dequoi parle ici Iob ? Nous sommes convaincus par raison, et c'est une chose qui se demonstre evidemment, que Dieu est par dessus l'ordre de nature: et cependant il n'y a nul qui en soit touché, et ne le confessons pas sinon par force. En cela donc voit-on que les hommes entant qu'en eux est obscureissent la gloire de Dieu, et la mettent sous le pied. Et d'autant plus nous faut-il bien estre advertis quand nous voyons les changemens au ciel et en terre, de noter ce qui nous est ici monstre. Dieu feroit bien que le temps seroit tousiours couvert, ou bien que le ciel seroit tousiours serain, qu'il n'y auroit iamais nuee.

Or veut-il qu'il y ait des changemens: car nous serions endormis quand les choses continueroyent en un estat: il nous sembleroit que c'est fortune, qui gouverne: mais en telle varieté nous sommes contraints (vuoillions ou non) de penser que la main de Dieu besongne, et qu'il n'est point oisif au ciel, et qu'il n'a point seulement une fois creé le monde, pour puis apres le laisser là: mais qu'il. dispose tout, et qu'il a une conduite telle de ses

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creatures, qu'il veut que nous sentions qu'il nous est prochain. Voila donc à quoi nous devons penser quand le ciel se trouble, que les nuees se font en l'air, qu'il y a des pluyes, et changemens de temps: c'est assavoir que nostre Seigneur se declare par ce moyen-là à nous, et qu'il nous attire à soi, voyant que nous n'y pençons pas assez. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il est dit, Qu'il tient la face de son throne, et qu'il met la nuee au devant, quand il lui plaist. Ce mot dont use Iob signifie quelquesfois Serrer, et il signifie aussi Ioindre, comme quand on fera une liaison pour un edifice, qu'on conioint les bois, qu'on les enclave, que les pierres sont disposees, et tiennent ensemble avec le mortier. Il est donc dit, que Dieu fait une telle liaison à la face de son throne: car le ciel est nommé son siege. Non pas qu'il soit enclos là dedans (car nous savons qu'il remplit tout, et que son essence est tellement infinie, qu'elle est espandue par la terre aussi bien qu'au ciel) mais c'est afin que nous apprenions de regarder en haut, quand nous voulons penser à Dieu: car selon nostre infirmité et rudesse nous abbaissons tousiours Dieu au lieu de l'exalter. Ainsi donc quand il nous est parlé de lui, il faut que nous eslevions nos sens pour l'adorer avec toute reverence, et que nous ne pensions point aux choses terrestres pour rien imaginer de lui selon nostre sens et phantasie. Voila pourquoi le throne de Dieu est au ciel, selon que dit l'Escriture. Ce n'est pas di-ie, qu'il soit là enclos: mais c'est pour nous monstrer la hautesse de sa maiesté, afin que nous ne pensions point de lui â nostre guise, et selon nostre esprit rude grossier et pesant, comme il est. Bref, il nous faut passer par dessus toutes creatures, quand il est question de penser droitement à Dieu. Or venons maintenant à ceste sentence où il est dit, que Dieu a fait une liaison on son throne. Et de fait si nous regardons bien à cest ordre qui est au ciel, c'est une chose qui nous doit ravir en estonnement. Tous les philosophies ont assez enquis, et subtilement que c'est du ciel, de quelle nature il est: mais ii n'y a que coniectures, tellement que la meilleure conclusion que nous puissions faire, c'est de cognoistre que Dieu a fait ici un tel chef d'oeuvre, qu'il faut que nous, ayons le tout en admiration, confessans que nous ne pouvons pas comprendre une chose si haute, et si profonde et secrette. Ainsi ce n'est point sans cause, que Iob voulant magnifier la maiesté de Dieu, parle ici de ceste liaison qu'il a faite quant à son throne.

Et puis il adiouste derechef, Que Dieu estend la nuee quand bon lui semble. Quand donc nous voyons ce changement-là, c'est afin que nous cognoissions qu'il n'y a point seulement un ordre establi, et que Dieu en creant le monde ait voulu

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puis apres estre oisif: mais que iournellement il conduit et gouverne toutes choses qu'il a une fois creées, et qu'il a tousiours sa main prochaine et du ciel et de la terre, et de tout le reste, qu'il se declare estre nostre Pere, et nous le fait sentir. Ainsi donc, que nous ne soyons point si aveugles de contempler le ciel, que là nous n'appercevions ceste image vive de la maiesté de Dieu, et d'une vertu miraculeuse qui s'y monstre. Car il vaudroit mieux que nous euesions les yeux crevez, que d'avoir iouissance de ces beaux ouvrages de Dieu, et de les voir, si nous ne venions à en faire nostre profit montans iusques à l'autheur. Les bestes brutes ne seront pas coulpables d'avoir eu la clarté: mais c'est d'autant qu'il n'y a point de raison pour cognoistre l'ouvrier. De nostre costé, Ô il est certain qu'il ne faudra autre chose pour nous condamner devant Dieu, et nous oster toute excuse, sinon qu'avec les yeux il nous a donne quelque raison et intelligence, pour comprendre les choses admirables qu'il nous monstre et haut et bas. Voila donc dequoi nous devons estre advertis. Et c'est à ce propos que le sainct Esprit nous met ici au devant ceste varieté qui est au ciel, dont il parlera encores tantost. Bref, le principal de nostre vie c'est qu'estans participans de toutes choses que Dieu a creées à nostre usage, nous apprenions de magnifier celui qui nous a fait une telle grace, et que nous ne possedions point ses creatures sans lui en faire hommage. Voila en somme ce qui nous est ici monstré.

Or Iob adiouste quant et quant: Qu'il a mis bornes aux eaux, iusques à ce que la clarté et les tenebres prennent /in. Voici encores un autre ouvrage de Dieu bien digne de memoire, c'est que les eaux basses sont limitees, et que Dieu les retient, et qu'elles ne peuvent passer leurs bornes: et que cela dure, et est continuel, et sera iusques en la fin du monde. Il a parlé des eaux d'enhaut, c'est à dire de celles que Dieu attire aux nuees et qui sont la retenues en l'air iusques à ce qu'il les face decouler par pluyes: maintenant il est certain que si Dieu ne mettoit borne à la mer, et aux eaux, toute la terre en seroit couverte. Si on demande aux Philosophes et à, ceux qui s'enquirent de tout l'ordre de nature, ils confesseront que si les elemens avoyent leur pleine situation on tout et par tout selon leur nature, la terre seroit cachee sous les eaux. Et de fait l'experience le monstre: car pourquoi est-ce que la terre est nu milieu du monde, sinon d'autant qu'à cause de sa pesanteur elle est ferme et solide? Car les eaux sont plus legeres, et puis elles coulent elles n'ont point une telle fermeté: l'air consequemment est par dessus les eaux: et le feu est encores au dessus. Nous voyons donc que les elemens sont distinguez selon

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leur proprieté. Puis qu'ainsi est (comme Nous voyons) que l'air environne toute la terre, il faudroit aussi que les eaux fussent tout à l'entour entre deux, assavoir entre la terre et l'air (car c'est leur propre place et situation) et comme le feu s'espanche par tout, ainsi faudroit-il que les eaux ne laissassent point on pié Je terre gui demeurast à sec: les montagnes mesmes les plus hautes seroyent cachees là dessous. Or nous voyons des lieux bas et encavez qui demeurent secs, la mer est eslevee par dessus: et mesmes on le peut appercevoir de la raison que i'ay desia monstre: car quand nous considerons que c'est de la mer, sur tout quand elle se hausse, c'est merveilles, comme il est possible que la terre n'en soit couverte: nous voyons qu'il y a ici un miracle tout notoire: ouy, si les hommes ne ferment les yeux par leur ingratitude. Les Payens mesmes recognoissent (comme la raison les pousse cela) que quand Dieu a voulu qu'il y eust quelque place vuide, ç'a esté pour loger le genre humain: et qu'il a eu esgard aux hommes, quand il a ordonné qu'il y eust une partie de la terre qui demeurast ainsi à sec: les incredules parlent ainsi. Et pourquoi ? car la verité est si forte qu'il faut qu'ils la confessent. Mais cependant qui est-ce qui glorifie Dieu? Comment cognoissons nous le bien qu'il nous a fait? Nous sommes muets quant à sa louange: qui pis est nous prophanons la terre qu'il nous a donnee pour y demeurer. Il a fait retirer les eaux, et les a là comme enchainees: et cependant qu'il nous donne lieu pour habiter ici, la terre (comme i'ay dit) est polluee par nos ordures, par nos iniquitez Voila toute la recognoissance que Dieu reçoit de nous, c'est que cependant il n'y a nulle bouche qui s'ouvre pour le glorifier. lit ainsi ce n'est point sans cause que ces choses nous sont remonstrees, veu que nous avons nos esprits si eslourdis que nous n'y pensons point. Mesmes il nous faut noter ce qui sera dit encores derechef, et comme aussi il en est parlé sur tout au Prophete Ieremie (5, 22): c'est que la mer est une chose si impetueuse, qu'il semble qu'il n'y a nul moyen de la retenir: or si est-ce qu'il y a une bonne barre. Il semble que la mer menace la terre de l'abysmer, et ne se iette vague qu'il ne semble que la terre doive estre engloutie. Quand donc nous voyons une telle violence en la mer, gui est une chose si effrayante que les cheveux nous en dressent en la teste: ne faut-il pas que là nous contemplions la main de Dieu forte et invincible et confessions que sa vertu de laquelle il est ici parlé, nous est plus que manifestee? D'autant plus donc en devons-nous estre touchez au vif. Mais quoi? Quand Dieu fait ainsi remuer la mer, nous n'avons point ceste prudence en nous, de venir iusques à cognoistre la bonté infinie de nostre Dieu

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envers nous, de cognoistre aussi sa vertu egale pour lui en rendre graces, pour nous fier tant plus en lui, pour confesser que c'est de lui que nous tenons nostre vie en plusieurs sortes: non seulement entant qu'il nous a creez et mis au monde, et nous y nourrit, mais mesmes en ce que la terre n'est pont abysmee sous les eaux, ainsi qu'il y a quelque lieu sec pour y habiter. Voila, di-ie, à quel propos notamment il est ici parlé de la mer, qu'elle est retenue de Dieu, que les eaux, sont là comme encloses, combien qu'il n'y ait ne chaines ne cordes qui en puissent venir à bout. Tontes les bestes sauvages du monde se pourroyent plus aiseement dompter, que la mer ne fera: mais Dieu y domine, et y domine d'une façon admirable et incomprehensible.

Et mesmes il nous faut noter le mot que Iob adiouste, c'est assavoir, que cela se fera iusques à tant que les tenebres et la clarté prendront fin, et qu'elles seront meslees ensemble. C'est pour signifier que Dieu ne fait point ce miracle ici d'on iour, ou d'une minute de temps, mais perpetuel: que cela a tousiours duré, et qu'il continuera. Car combien que les tempestes adviennent souvent, et qu'elles retournent: neantmoins Dieu empesche tousiours que la mer ne gagne pas, sinon d'autant qu'il luy plaira pour menacer les hommes, afin qu'ils apprennent de s'humilier, et de cheminer en plus grande solicitude. Voila donc comme Iob a voulu augmenter la louange de la vertu qu'il declare ici estre en Dieu, quand il dit, Que les barres et les bornes ont este mises aux eaux, iusques à ce que le monde prenne fin, et que la clarté soit meslee avec les tenebres, c'est à dire, qu'il n'y ait plus d'ordre de nature: car voila qu'emporte ceste façon de parler. Si on allegue, que non seulement la mer, mais aussi les rivieres gagnent quelquesfois, qu'elles se desbordent tellement qu'elles minent tout, que maisons et vignes sont enfondrees, et qu'on voit en la mer de plus grandes violences et excessives: la response à cela est, que cependant Dieu ne laisse point de conserver le monde en general: et ce qu'il permet que la mer se desborde ainsi, c'est pour nous faire penser à sa vertu, laquelle nous est ici monstree. Car si nous estions bien advisez, mesmes les qu'il y eust quelque peu de raison en nous il est certain que iournellement nous ferions hommage à Dieu de nostre vie, pource qu'il la conserve au milieu du sepulchre. Comment sommes nous ici en terre? Il est certain que nous sommes comme en un sepulchre: car voila la mer et les eaux, qui sont eslevees par dessus nous. Et à quoy tient-il que nous ne sommes engloutis par icelles, si ce n'est que Dieu a sa main entredeux? Or tant s'en faut que nous regardions à cela, que nous sommes comme des pourceaux, nous remplirons

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nostre ventre, et nous saoulerons des biens de Dieu, et ne pensons point à ce qu'il nous monstre à l'oeil, c'est assavoir, que nous ne pouvons vivre une seule minute de temps sinon par miracle: car il retient ainsi la mer. Pourtant Dieu, afin de nous inciter à cognoistre quelle est sa vertu, permet bien à la mer qu'elle se desborde. Quand nous oyons parler de cela, nous-pensons à nous, ou y devons penser, ai nous ne sommes par trop stupides: nous regardons, A quoy tient-il que le semblable n'advienne sur tout le monde, si non que Dieu veut conserver l'ordre de nature qu'il a mis pour nous garder? Ainsi donc il n'y auroit sinon un gouffre et un abysme, n'estoit que la main de Dieu dominast par dessus. Voila comme nous devons faire nostre profit de la conduite que Dieu a par dessus la mer, et sur les eaux: afin de cognoistre quel soin paternel il a de nostre vie, et que sentans combien nous sommes obligez à luy, nous taschions de le servir et honorer, et cheminer en son obeissance avec plus grande solicitude. Et au reste si quelqu'un replicque, que ces choses sont communes, et qu'il ne auroit la besoin d'en prescher, pource que les petis enfans savent cela: tant pis. Car s'il ne faut point que nous ayons este à l'escole ny apprins science profonde pour cognoistre ce qui est commun et ordinaire à tous, et cependant que nous monstrions par effect que nous n'avons rien retenu de tout cela: ne sommes-nous pas tant plus inexcusables? Voila donc pourquoy nostre Seigneur nous propose ces choses, qu'un chacun voit et contemple: et c'est autant comme s'il estoit dit que nous abusons meschamment de ce regard qu'il nous a donné, puis qu'ainsi est que nous ne profitons point en la contemplation de ses creatures pour le magnifier en sa vertu qu'il demonstre là. Ainsi combien que ce ne soit point grand' chose (ce semble) de cognoistre que la mer est ainsi retenue, et les eaux, tellement que la terre ne perit point: toutes fois c'est une grande sagesse, de bien apprehender au vif que Dieu se declare en cela estre nostre Pere, et nous monstre qu'il nous a sous sa protection, qu'il nous donne une telle experience de sa bonté et vertu, qu'il ne faut point que nous y soyons endormis. Quand nous aurons ces choses bien imprimees en nos esprits, nous aurons bien profité non seulement pour un iour, mais pour tout le temps de nostre vie: car c'est une sagesse parfaite (dit l'Escriture) de bien contempler les oeuvres de Dieu pour les rapporter à leur droite fin.

Or il s'ensuit quant et quant, Que les colonnes du ciel tremblent,. et qu'il les espouvante à sa voix. Apres que Iob a parlé de l'ordre qui s'apperçoit tous les iours au monde, il adiouste quant et quant, Qu'aux tonnerres et tempestes on voit de tels mouvemens, qu'il semble que tout doive fondre, que

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Dieu fait alors trembler le ciel et l'air: et que c'est une autre façon et diverse pour nous faire sentir sa puissance et sa vertu: voire moyennant que nous eussions le sens et la raison d'y penser. Vray est qu'il n'y a point de piliers qui soustiennent le ciel: mais c'est une similitude que met ici Iob pource que les grans palais sont bastis avec piliers, et les lieux qui sont vagues, qui ne se peuvent point soustenir: comme si on fait un grand temple, il faudra qu'il y ait des piliers qui aident à soustenir une telle masse. Ainsi en est il donc du ciel, qu'il semble bien que voila un edifice qui merite d'avoir des piliers: il n'y en a point toutes fois, mais la vertu de Dieu supplee à un tel edifice de ceci dequoy les hommes ne se peuvent passer. Et de fait qu'est-ce que tous les hommes peuvent pour bastir, sinon qu'ils ensuivent ce que Dieu leur a monstré? Mais ce n'est qu'une petite estincelle de la vertu et sagesse qui est en luy, laquelle est infinie. Les hommes donc ne pourront pas faire une sale de cent piez de long et de large, qu'il n'y faille des piliers. Or voila le ciel qui a une espace infinie en comparaison, et toutes fois nous voyons qu'il est soustenu par la seule vertu de Dieu. Quand donc Iob parle des colonnes, il entend que s'il tonne, s'il plaist à Dieu d'envoyer quelque tempeste, ou tonnerre, l'air en retentit: et c'est par maniere de dire comme si les fondemens et les piliers du ciel en estoyent esbranlez: afin que nous sachions que Dieu est là haut par dessus tout, et qu'il y habite pour tout gouverner, non pas (comme i'ay dit) qu'il y soit enclos: mais sur cela que nous advisions d'eslever nos sens et nos esprits, que nous pensions de luy pour l'adorer en toute reverence et humilité, et que nous n'en imaginions rien de charnel ne de terrestre Nous voyons donc quel est le propos de Iob: c'est assavoir, tout ainsi que Dieu d'un costé nous declare sa vertu, quand il tient la mer comme enchainee, qu'il y a mis des bornes qu'elle ne peut outrepasser: aussi d'autrepart quand il lui plaist de faire esclatter les tonnerres, et qu'il esmeut quelque tempeste an ciel, alors il semble que tout doive abysmer, et qu'il n'y ait plus rien qui doive subsister.

Voila donc une autre espece en laquelle Dieu nous fait sentir sa vertu. Et de fait les Payens l'ont bien eu confesser: voire, non point par quelque raison subtile, mais seulement par l'experience commune, disans que quand nous oyons les foudres et tempestes, il faut que les hommes en despit de leurs dents soyent esmeus pour sentir quelque divinité. Voila comme les Payens ont parlé: et mesmes les contempteurs de Dieu, gens prophanes et brutaux qui ne demandent sinon qu'à. se mocquer de toute religion, qui tirent la langue

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contre Dieu, et tout ce qu'on pourra dire de la conduite en l'ordre de nature: ceux-la quand ils oyent tonner, alors ils sont esmeus: et l'experience le monstre. Pourquoy? A cause que nostre Seigneur donne un signe excellent de sa vertu. Or voila pourquoi Iob adiouste maintenant ce qu'il avoit traitte de l'ordre continuel de nature, les tempestes, et les tonnerres: pour monstrer qu'encores que les hommes despitent Dieu à leur escient, encores qu'ils soyent si endurcis qu'ils ne vueillent point appercevoir ce qu'il leur monstre: si faut-il quand Dieu fait ainsi trembler les colonnes du ciel, qu'il esmeut de tels tonnerres, qu'il semble que tout doive estre confus: que les hommes alors soyent comme forcez de concevoir quelque divinité, et de sentir qu'il y a une puissance souveraine par dessus, laquelle domine: car les choses ne passent point à l'aventure, il faut qu'il y ait quelque volonté, il faut qu'il y ait quelque conseil qui gouverne ceci. Voila à quel propos nous est amenee ceste sentence.

Or de là nous sommes advertis en premier lieu combien nostre nature est brutale. N'est-ce pas pitié, voire une horreur, que nous soyons creatures raisonnables, et que mesmes il nous semble bien que nous ayons une telle sagesse que nous pouvons tout comprendre: et cependant voici Dieu qui nous donne tant de signes de sa maiesté et haut et bas, il se manifeste à nous, il nous est prochain, voire il se declare d'une façon si familiere que nous ne pouvons pas souhaitter d'avantage: et que toutes fois nous passions outre, que cela n'entre point iusques à nous, quand mesmes nous en sommes tant admonnestez? Ne voila point une grande perversité, et trop enorme? Ainsi donc cognoissons que nous sommes de nature si malins, que nous ne demandons qu'aneantir la gloire de Dieu, et que quand elle nous est manifestee, nous fermons les yeux à l'opposite, et ne la voulons point appercevoir. Pour ceste cause cognoissons que quand Dieu foudroye du ciel, ou qu'il tonne, ce sont autant de reproches qu'il nous fait: comme s'il disoit, malheureuses creatures, ie vous ay logez au monde, ie vous ay donné la terre pour y habiter, et là ie vous ai rempli de tous biens: et quand i'ay esté si liberal envers vous pour me monstrer un Pere si benin et si pitoyable, vous ne me cognoissez point, vous avez esteint tout ce bien-la par certaine malice et obstination, vous ne demandez qu'à obscurcir la clarté qui est devant vos yeux. Puis qu'ainsi est, il faut que ie vienne à vous d'une façon espouvantable, et que ie vous adiourne pour vous faire sentir qu'en despit de vos dents vous ne pouvez fuir ceste maiesté incomprehensible qui est en moi. Voila donc ce que nous avons à observer, quand les tonnerres s'eslevent en l'air, et qu'il y a

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quelque autre tempeste: que c'est autant comme si Dieu nous reprochoit la malice et ingratitude qui est en nous, d'autant que nous ne faisons point nostre profit de l'ordre commun et continuel qu'on apperçoit au ciel et en la terre: comme de fait nous ne pouvons pas ouvrir les yeux, que Dieu ne se presente à nous de tous costez. Et voila aussi à quelle intention ceci nous est recité, et que quand l'Escriture nous a parlé de l'ordre general qui est au monde, et lequel on voit comme ordinaire, elle nous propose aussi ce qui est extra ordinaire, comme il est ici parlé des tonnerres.

Or il est dit quant et quant, Qu'il fend la mer par sa puissance, et par son intelligence qu'il appaise l'orgueil. Ici Iob reitere ce qu'il avoit desia dit. Il est vray que c'est encores une autre espece qu'il touche, disant, que Dieu fend la mer. Car quand les tourbillons s'eslevent, il semble que la mer se doit ruer sur nous et tout engloutir: mais quand on est au milieu, on apperçoit un regard plus espouvantable. Car il semblera que les vagues soyent comme des montagnes, et ce qui sera entre deux est comme un gouffre, on n'y voit point de fond. C'est ce que Iob a voulu signifier disant, Que Dieu fend la mer, et puis il appaise un tel orgueil. Et ce changement-la ainsi soudain, est pour monstrer tant mieux la puissance de Dieu. Car si on est au milieu de la mer, et qu'il y ait une grosse tempeste, qu'on voye de telles montagnes d'eau, et si espesses: iamais on ne pense que non seulement au bout de deux ou de trois heures la mer puisse estre appaisee, mais au bout d'un an: il semble que ce soit une chose impossible qu'un tel changement si grand et si divers puisse estre incontinent appaisé: et toutes fois on appercevra que la mer apres avoir esté ainsi bouillante, deviendra calme et sera reposee. Quand donc les choses se changent ainsi soudain, ne peut-on pas voir une vertu admirable de Dieu ? Voila donc ce que Iob a voulu ici signifier. Et de là nous pouvons recueillir qu'il a voulu plus clairement exprimer et plus magnifier ce qu'il avoit dit auparavant. Car en general il avoit declaré, que Dieu a borné la mer: maintenant il dit, qu'il la fend par sa puissance.

Là dessus il dit, Que Dieu a orné le ciel par son Esprit: et qu'il y a formé le serpent glissant. Quand il parle ici du serpent, il n'entend pas les serpents qui sont en terre: car à quel propos auroit-il conioint cela avec le ciel? fais il parle de ceste quantité d'estoiles qu'on a communement appellé Serpent, à cause qu'il y a un reng d'estoiles qui est tortu, et semble bien que ce soit un Serpent qui tourne la queue. 1t cause donc qu'il y a un tel tour, on a dit: c'est la figure d'un serpent: et c'est afin que les hommes puissent mieux distinguer

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les oeuvres de Dieu. Il est vray qu'on y a meslé des fables, voire des fables meschantes: car le diable a eu cest artifice de tousiours divertir les hommes de la creation du monde, là où ils ont un tesmoignage singulier de la maiesté de Dieu. Mais tant y a que l'origine du mot de Serpent, n'a este sinon pour advertir les hommes qu'ils contemplassent mieux l'ordre des estoilles. Au reste, ici sous une espece Iob comprend le tout, quand il dit que Dieu a orné les cieux par son Esprit. Voire: et de quels ornemens? de quelle beauté? Ce sont (dit-il) les estoiles qui donnent forme au ciel: car sans cela ce seroit une chose vague, et nostre veuë y seroit esperdue: mais quand de iour nous aurons le soleil, que de nuict nous voyons les estoiles, alors nous cognoissons tant mieux que Dieu ne s'est point contenté d'avoir seulement fait ceste estendue entant qu'il nous estoit necessaire d'avoir pour respirer en l'air, et qu'il nous esclaire aussi de là haut: mais que de superabondant il a voulu y adiouster ornement. Il y a donc mis les estoilles, et a garni le ciel d'une telle beauté, afin que nous soyons tant plus incitez à le magnifier en sa bonté, en sa sagesse et vertu: bref que nous le glorifions en toutes sortes. Ainsi maintenant nous voyons comme Iob nous propose les oeuvres de Dieu, pour nous testifier que de son ceste il n'a point vescu au monde comme les gens prophanes et contempteurs qui ne portent nulle reverence à Dieu, qui ne cognoissent point sa puissance et vertu pour l'adorer: mais qu'il a eu tout cecy imprime en son coeur et en son esprit. Cependant nous commes aussi admonnestez de ne point avoir les yeux fermez, quand Dieu se declare ainsi à nous: afin que ceste ingratitude ne nous soit point reprochee, que nous ayons esté pires que bestes brutes, iouissans des biens inestimables que Dieu nous faisoit, sans que nous luy en ayons rendu aucun hommage.

Or pour conclusion Iob dit, Que ce sont ici les bords de ses voyes. Et qu'est-ce, dit-il, quelle portion concevons-nous de luy? Et qui est-ce qui comprendra sa vertu espouvantable ? Voici une conclusion qui est bien digne d'estre notee, comme aussi elle pese beaucoup: car nous ne faisons rien à contempler les oeuvres de Dieu, sinon que nous concluions finalement qu'elles outrepassent nostre sens et apprehension, que ce sont choses si grandes et si hautes, qu'il faut que nous soyons là comme esblouis. Car quand un homme appliquera toute son estude pour cognoistre Dieu et au ciel et en la terre, qu'il voudra le glorifier en toutes ses vertus: s'il cuide venir à bout de cognoistre tout, il est certain qu'il deshonore Dieu. Pourrions-nous faire plus grand deshonneur à Dieu, que de vouloir enclorre sa puissance en nostre sens? C'est plus que

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si un homme vouloit clorre et la mer et la terre en son poing, ou la tenir entre deux doigts, c'est une rage plus excessive: car aussi le ciel et la terre ne sont pas si grans que la iustice, la vertu, la sagesse, et bonté qui est en Dieu, ce n'en sont que petites marques. Ainsi donc quand les hommes seront les plus diligens qu'on pourra dire à mediter les oeuvres de Dieu: s'ils cuident estre si aigus que d'en venir à bout, et qu'ils soyent si arrogans de dire, O i'ay cognu ce qu'il en faut savoir, et ie voy maintenant parfaitement combien Dieu est bon et sage: Ô voila une iniure vilaine qui luy est faite. Pourtant notons bien que le principal que nous devons tenir en bien considerant les oeuvres de Dieu, c' Et de penser à nostre infirmité et rudesse, et de cognoistre que nostre sens est par trop petit pour monter si haut, et que nous confessions, avec David, Seigneur, que tes oeuvres sont admirables, et qui les racontera? Il est vray que David les raconte bien, et qu'il instruit les autres, afin qu'un chacun y pense: mais apres avoir dit ce qu'il peut, il adiouste pour la fin, Et Seigneur, qui est-ce qui en viendroit. B bout? Ainsi en est-il maintenant parlé en ce passage. Voici les bords, dit Iob: ce ne sont (dit-il) que les fauxbourgs: car si nous voulions venir iusques à la fin des oeuvres de Dieu, iamais nous ne pourrions atteindre là: car nous sommes trop tardifs, et trop pesans pour monter si haut: nous ne sommes point si agiles pour nous estendre tant au long et au large: et nous n'avons pas une telle vivacité en nous, qu'il ne faille que tous nos sens y soyent abysmez. Ainsi donc quand nous aurons bien appliqué toutes nos estudes pour cognoistre les oeuvres de Dieu, combien elles sont excellentes: si nous ne venons pas à la perfection de ceste cognoissance, que ceci nous vienne en memoire, que nous n'en avons apperceu seulement que les bords, et qu'il est impossible que nous sondions iusques au profond. Car aussi nous n'en sommes point capables: nous sommes trop grossiers et trop infirmes, il n'y a en nous qu'une petite portion de ce qui est en luy: mesmes quand les Anges de paradis nous viendroyent estre prescheurs, si est-ce qu'ils ne pourroyent point exprimer qu'une petite portion des oeuvres de Dieu. Et que feront donc ici bas les creatures mortelles? Puis qu'ainsi est, apprenons de tellement magnifier Dieu, qu'il n'y ait rien qui nous empesche de luy rendre la louange qui luy est deuë. Car encores que tout le temps de nostre vie nous appliquions tous nos sens à le glorifier et magnifier: si est-ce qu'il est impossible de nous acquiter de la centiesme partie de l'obligation que nous avons encores luy.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, ect..

SERMON XCVII

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LE NONANTESEPTIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XXVII. CHAPITRE.

1. Iob derechef print sa sentence, et dit, 2. Dieu est vivant; qui a esté mon droit, le Tout-puissant qui a mis mon ame en amertume. 3. Cependant que l'haleine me durera, et que l'esprit de Dieu sera en mes narrines: 4. Mes levres ne diront point iniquité, et ma langue ne proferera point de fraude.

Icy nous avons le mesme propos, qui avoit desia este traitté cy dessus. Car Iob maintient qu'il n'est point affligé pour ses fautes qu'il a commises: mais qu'il y B quelque raison secrette, et que quand il voudroit debattre et plaider, il auroit cause gagnee, non pas contre Dieu, mais contre ceux qui le vouloyent arguer comme un meschant, et conclure que les afflictions qu'il endure' respondent à la grandeur de ses pechez. Iob donc maintient que ce n'est point cela qui a induit Dieu à le persecuter, c'est à dire qu'il fust meschant par dessus les autres: mais qu'il y a quelque raison cachee et incognue aux hommes, et qu'il faut monter plus haut qu'à ceste iustice ordinaire qui nous est declaree en la Loy de Dieu. Nous voyons donc maintenant quel sera l'argument de ce chapitre: et pourtant il est dit, Que Iob derechef a prins sa sentence.

Or afin que ce qu'il dit ait plus d'authorité, il commence par une protestation qui emporte serment. Dieu, dit il, est vivant, lequel a esté mon droit, le Tout-puissant qui a mis mon ame en angoisse: et si est-ce que iamais ie ne fleschiray: et quand i'ay maintenu que i'estoye iuste, ce n'a pas esté eu m'eslevant, ce n'a pas esté par hypocrisie, ne par rebellion, ce n'a pas esté aussi que ie ne cognusse que Dieu me peut ainsi affliger: mais tant y a que ie ne suis point tel comme vous me faites: et iamais ie ne confesseray que Dieu me persecute selon que i'en suis digne, voire si on fait comparaison de moy avec les autres. Car voua pretendez une chose qui est fausse et mauvaise, c'est que Dieu traitte les hommes en ce monde et en la vie presente selon qu'un chacun en est digne, et qu'il l'a desservi. Or il n'en est pas ainsi: car Dieu souvent differe les punitions qu'il veut faire sur les hommes, qu'on ne les apperçoit pas iusques apres la mort: et aussi à l'opposite souvent il monstre signe de grande rigueur contre ceux qu'il aime, et qui l'ont servi fidelement. Il ne faut point donc que nous hastions les iugemens de Dieu, et que nous cuidions qu'ils soyent executez du premier

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coup: car il faudroit que Dieu fust iniuste. Nous voyons les choses maintenant confuses, et s'il n'y avoit un ordre meilleur, que nous attendons et esperons pour l'advenir, que seroit-ce? Dieu seroit plus qu'aveugle. Car nous savons bien dire, que les choses ne vont pas comme elles devroyent. Il ne reste donc sinon ou que Dieu ne sache qu'il fait, ou bien que nous esperions qu'il iugera une fois le monde: et quand nous sommes comme en suspens, et que nos esprits sont retenus en doute, d'autant que les choses sont comme en confusion, en cela Dieu nous veut exercer, et nous monstrer que c'est maintenant le temps de combat. Comme donc en une bataille on ne sait qui l'a gagné ne perdu, cependant que les coups volent çà et là, et qu'on est effrayé: mais si est-ce que la victoire monstre qui c'est qui l'a gagné: ainsi il faut qu'en tel meslinge de ce monde tout soit confus, en sorte que selon ce qui apparoist au iugement humain on ne puisse appercevoir ni esperer que Dieu reduise les choses en leur estat. Voire, mais nous devons attendre qu'il le fera neantmoins: toutes fois ce n'est point auiourd'huy ne demain.

Maintenant ici Iob tient un propos qui semble estre estrange: c'est qu'il dit' que Dieu luy a esté et ravi son droit: car il semble qu'il conteste ici contre Dieu comme estant iuste de son costé: et puis en second lieu il accuse Dieu de cruauté et violence, Voila donc deux choses qui pourroyent estre bien estranges, sinon qu'on cogneust l'intention de Iob. Or notons quand il dit, que Dieu luy a ravi son droit, qu'il n'entend pas que Dieu use d'une façon tyrannique contre luy, et qu'il n'entend pas aussi estre tellement iuste, que Dieu n'ait bonne occasion de le chastier encores plus rudement: mais il regarde plustost à ce qui est escrit en la loy touchant la iustice ordinaire, et puis il regarde aux propos de ceux qui l'avoyent condamne: car les amis de Iob (comme nous avons dit) n'ont point passé plus outre que cela: Dieu punit ceux qui ont forfait, et il est Pere et Sauveur des bons: il s'ensuit donc que Iob est un meschant, un contempteur de Dieu, et que toute sa vie est dissolue. Et pourquoy? on le voit affligé iusqu'au bout: si on regarde à toutes les adversitez qui adviennent communement au monde, elles ne sont pas si grandes comme est ceste-ci: il faut donc conclurre que Dieu l'a trouvé un pecheur enorme par dessus tous. Voila la conclusion que faisoyent les amis de

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Iob. Or il y avoit encores pis: car ils s'arrestoyent à ces maledictions que Dieu prononce en sa Loy, estimans que tout cela doit estre accompli en ceste vie presente, et qu'il n'y a plus de loyer pour les bons et pour les serviteurs de Dieu apres la mort, et qu'il ne faut point penser que les meschans soyent punis sinon ici bas. Voila une exposition perverse de la Loy de Dieu: car si nostre Seigneur menace les pecheurs de les punir, il n'entend pas de se restraindre à un certain temps. Il est vray que cela ordinairement se voit durant ceste vie presente: mais non pas tousiours, il n'en faut pas faire une regle generale qui n'ait nulle exception ce seroit par trop assuiettir Dieu.

Ainsi donc nous voyons que Iob avoit bonne cause contre ses amis: et pourtant retenons ce qui a esté declaré par ci devant, qu'il nous faut avoir grande prudence pour iuger des afflictions que Dieu envoye aux hommes, tant à nous comme à nos prochains: car ce sera pour nous faire desesperer à tous coups, si nous voulons comprendre l'affection que Dieu nous porte selon qu'il nous traitte presentement. Vray est que s'il nous afflige, nous serons tousiours dignes d'estre chastiez par sa main: mais quoy qu'il en soit, si nous imaginons que Dieu nous haysse pource qu'il nous traitte rudement, helas que sera-ce? Nous ne le pourrons invoquer, nous ne pourrons avoir nulle consolation qui adoucisse nostre tristesse, nous voila donc perdus. Et pourtant il nous faut avoir ceste prudence de cognoistre que Dieu n'afflige pas tousiours les hommes pour leurs pechez, mais qu'il les veut exercer en patience, qu'il veut donter leurs cupiditez charnelles, qu'il les veut du tout assuiettir à luy: et aussi qu'il leur apprend qu'il ne faut que passer par ce monde en ceste vie presente, comme s'il leur declaroit, que leur repos et leur heritage n'est pas ici. Que si nous en faisons autrement, ce sera pour mettre en desespoir ceux qui endurent: comme il n'a pas tenu aux amis de Iob qu'ils ne l'ayent du tout accablé, en insistant sur cest article-la, que Dieu le punissoit pour quelques grans pechez. Car Iob oyant tels propos, pouvoit estre saisi d'une telle frayeur, qu'il n'eust plus seu que faire, sinon s'estimer comme un homme damné et maudit. Et ainsi voila comme nous en ferions. Et quand il n'y auroit que cest orgueil de condamner les innocens, et que serace ? Ainsi donc retenons bien ce qui est dit au Pseaume (41, 2), Bien-heureux est l'homme qui iuge prudemment sur l'affligé: que si nous voyons des chastimens de Dieu, bien, faisons-en nostre profit, ne regardons point seulement à ceux qui souffrent, mais à nous. Et au reste que nous ne mesurions point les pechez des hommes tousiours selon les afflictions qu'ils endurent: car les bons

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seront souvent plus rudement traittez que ne seront pas les meschans. Il nous faut donc bien examiner quelle est la vie dès hommes, devant qu'aller faire quelque conclusion, pour dire, Celuy-la est affligé de Dieu pour quelque grand peché qui est en luy. Mais cognoissons-nous des meschans ? Voyons nous que Dieu les punisse? Craignons, sachans que Dieu nous les met comme un miroir, et une image vive pour nous monstrer ce qui nous adviendra, et ce que nous devons craindre si nous ne retournons à luy. Mais si un homme a bien vescu, et que nous n'appercevions point pourquoy il endure: demeurons là court, et attendons que Dieu declare son iugement: et cependant ne soyons point trop hastifs. Car celuy qui ne se tiendra coy, il est certain que tous les coups il pourra pervertir les oeuvres de Dieu en voulant estre iuge, et par consequent il usurpera l'authorité de Dieu, laquelle luy appartient a luy seul.

Et ainsi revenons à ce qui est maintenant dit par Iob, Dieu a ravi mon iugement. Quel est le sens de ces mots? Comme nous avons dit, Iob n'entend pas que Dieu use d'une façon tyrannique en ce faisant. Voila pour un Item. Et puis il n'entend pas avoir un tel droit qu'il puisse gagner sa cause, et estre absout quand il debatra de n'avoir point failli: mais seulement il declare, que l'affliction qu'il endure est comme une grosse nuee et obscure qui oste la cognoissance de la droiture qui estoit en luy: et pourtant que ses afflictions ne sont pas les chastimens desquels Dieu menace les transgresseurs de sa Loy. Or pour bien comprendre cela, il nous faut reduire en memoire ce qui a esté desia declaré, c'est assavoir que les menaces qui sont contenues en la Loy, que Dieu affligera les hommes et en leurs personnes, et en leurs biens, et en leur famille, et en leur bestail, ne sont pas perpetuelles: c'est à dire, combien que Dieu punisse et de maladies, et de guerres, et de famine et de faim, et de soif, et d'autres choses semblables: combien donc qu'il punisse ainsi ceux qui l'ont offensé, qui ont esté contempteurs de sa parole: si est-ce que cela n'advient pas tousiours egalement. Pourquoy, Car souvent les afflictions sont communes aux bons et aux mauvais. Et pourquoy donc est-ce que Dieu menace ainsi ? c'est pour monstrer qu'il y a un iugement à venir. Il en donne maintenant quelques signes et apparences: mais s'il accomplissoit ici bas tous ses iugemens en perfection, que seroit-ce? Il n'y auroit plus d'esperance. Dequoy nous serviroit la venue de nostre Seigneur Iesus Christ? Ou que deviendroit la confession de nostre foy, quand nous disons, le croy la resurrection de la chair, et la vie eternelle? Or nous savons que nostre vie est caduque et corruptible: et non seulement cela, mais elle est

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subiette à beaucoup de povretez: nous n'avons pas donc ceste felicité que Dieu nous promet, elle nous est cachee. Et pourtant il faut que les meschans aussi ne soyent point maintenant punis qu'en partie, et que Dieu les attende, et leur reserve la condamnation qu'ils ont merité iusques au dernier iour, que Iesus Christ iugera pleinement le monde. Et ce sera alors que ce passage d'Isaie (45, 23) sera accompli, que tout genouil se ployera devant la maiesté de Dieu: maintenant cela se fait, mais c'est seulement en partie. Il suffit donc qu'il nous donne maintenant quelque goust qu'il est Iuge du monde. Or retournons au propos de Iob. comment est-ce que Dieu ravit le droit des hommes? C'est quand il les punit en telle sorte, qu'il semblera qu'ils soyent comme reiettez de luy, et qu'il s'attache à eux comme à ses ennemis mortels: car alors on ne sauroit dire quant à l'apparence, sinon que les hommes sont meschans et maudits. Et pourquoy? Car nous devons avoir ceste maxime, et regle generale, Que Dieu est bon. Ainsi donc ceux qui luy sont ennemis, il faut dire qu'ils soyent meschans. Or nous verrons un homme estre affligé iusques au bout, en sorte qu'il semble que Dieu soit du tout enflammé contre luy, et que son ire s'attache là specialement: selon nostre sens naturel nous ne pourrons apprehender, sinon, Voila un ennemi de Dieu. Iob donc signifie, que son droit luy a este ravi, d'autant que Dieu avoit mis son ame on angoisse, comme il adiuste, Le Tout-puissant, dit-il, a mis mon ame en angoisse: car cependant que nous n'appercevons point pourquoy Dieu l'a ainsi afflige, voila son droit qui est comme enseveli, tellement

qu'il pourra sembler aux hommes qu'il est un meschant, un detestable. Mais notons bien qu'il parle ici selon le iugement commun, et qu'il n'entend pas cependant que Dieu n'ait iuste raison, voire en son conseil estroit: mais il faut venir là haut, il faut passer par dessus toutes ces grosses nuees et espesses qui obscurcissent la clarté, ou autrement on ne cognoistra point la iustice de Iob. Ainsi nous voyons qu'il y a double iustice en Dieu: l'une qui nous est toute notoire, pource qu'elle est contenue en la Loy, et qu'elle a aussi quelque conformité à la raison que Dieu nous a donnee: l'autre qui passe toute nostre intelligence: nous ne la cou prenons point donc sinon par foy, et faut plustost que nous l'adorions comme une chose qui nous est caché, attendans que le dernier iour vienne, auquel nous verrons face à face ce qui nous est maintenant obscur et caché. Ceste iustice ordinaire qui est contenue en la Loy de Dieu, c'est quand il luy plaist de nous secourir au besoin, et de monstrer qu'il a le soin de nostre salut, quand nous l'aurons craint et servi. Car si nous

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cheminons en son obeissance, que nous le tenions pour nostre Pere, lors il nous monstre aussi qu'il nous advoué. pour siens. Toutes les graces donc que reçoivent les fideles de la main de Dieu en ce monde, quand ils auront cheminé en sa crainte, sont comme approbations de ceste iustice ordinaire qui est conte ne en la Loy. Il est vray que iamais nous ne pourrons meriter que Dieu ait pitié de nous: car quelque chose que nous facions, ie di mesmes quand nous serons gouvernez par son sainct Esprit, il est certain qu'encores toutes nos oeuvres sont souillees, et que Dieu les pourroit reietter à bon droit. Quant est de nous-mesmes, nous ne pourrons avoir une seule bonne pensee: mais encores que Dieu nous gouverne, encores qu'il besongne en nous, si est-ce qu'il y aura tousiours à redire, et nous meslerons de nos infirmitez parmi la grace de son sainct Esprit, tellement que tout ce qui procede de nous sera souille. Nous ne pouvons donc rien desservir envers Dieu: mais tant y a que pour ce que nous ayant appellez, il nous espargne, et nous pardonne les vices qui sont meslez parmi la bonne affection que nous avons de le servir, en ores il recompense les fideles qui ont tasché de suivre et luy et sa volonté: il les recompense, di-ie, en ce monde, et declare qu'il n'a point fermé les veux a ce zele qu'ils avoyent de se renger à luy, mais qu'il l'approuve, et l'a agreable. Voila donc comme Dieu manifeste sa iustice ordinaire quand il favorise aux siens, et à ceux qui se sont pleinement assuiettis à luy, voire en tant que l'infirmité de la chair le porte: car quand ie di, pleinement ce n'est pas à dire en perfection, mais sans feintise comme aussi l'Escriture en parle. Or à l'opposite, quand Dieu punit les paillars, les larrons, les yvrongnes, voila aussi sa iustice ordinaire Nous verrons un meschant, qui aura pillé ses prochains, qui aura esté comme une beste cruelle pour manger et devorer la substance d'autruy: et bien, Dieu souffle dessus sa substance, il ne luy demeure rien: cela nous est une vraye monstre de la iustice de Dieu, et un certain tesmoignage que nous voyons que le bien mal acquis s'escoule: et cela nous fait cognoistre, O Dieu est Iuge. Apres, quand les meurtriers sont aussi bien punis, nous regardons, O il est escrit (Ps. 55, 24) que les hommes cruels n'acheveront point le cours de leur vie Autant en est-il des autres. Nous verrons des contempteurs de Dieu qui se mocquent de luy, et qui s'aigrissent, et s'eslevent avec une rare impetueuse: et Dieu les ruinera. Puis qu'ainsi est donc que nous voyons les meschans estre desia ainsi chastiez en ce monde, ne devons-nous pas penser, que c'est Dieu qui se monstre Iuge? Les cheveux ne nous devroyent-ils pas dresser en la teste, quand nous cognoissons qu'il estend ainsi son bras robuste pour

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executer sa iustice? Voila donc la iustice de Dieu ordinaire, c'est à dire, laquelle nous cognoissons selon qu'elle est contenue en sa Loy. Mais cependant nous verrons les bons estre affligez: nous verrons que Dieu appovrira ceux qui ont tasché de cheminer rondement: nous verrons qu'un homme qui ne se sera point adonné à quelque meschanceté toutes fois il languira tout le temps de sa vie, qu'à grand' peine se pourra-il trainer Et comment cela? qui en est cause? Nous ne savons, et n'en pouvons determiner. Et pourquoy ? Dieu se reserve la raison. Ceci donc n'est point de ceste iustice ordinaire, et n'en faut point faire une mesure egale. Apres' nous verrons les meschans estre en prosperité, et non seulement pour un iour, ne pour deux (comme il a esté declaré ci dessus) mais pour tout le temps de leur vie: mesme que quand ils meurent, c'est comme en riant, ce n'est sinon comme un songe: car en une minute ils seront ravis du monde sans longue maladie, sans endurer beaucoup. Et que veut dire cela? O il ne faut point que nous arguons Dieu d'iniquité, il ne faut point que nous aiguisions nostre bec contre luy: mais cognoissons qu'il a une iustice qui est plus haute que nostre sens, et que nous ne pouvons point parvenir iusques là, mais qu'il faut que la raison maintenant nous soit cachee: toutes fois que nous ne laissions pas d'adorer ses secrets iugemens et de nous y submettre en attendant qu'il nous revele ce que maintenant il se reserve par devers soy comme en son conseil estroit. Voila comme Dieu cache le droit des hommes. Ainsi donc suivant ce que nous avons dit, si un homme est ainsi affligé, que dira-on, sinon qu'il est un meschant? Or il n'est pas ainsi toutes fois. Il est vray que tous sont pecheurs, et Dieu nous pourroit perdre et abysmer quand bon luy sembleroit: mais il ne le veut point faire: car il recognoit les siens comme iustes, il ne leur impute point leurs fautes. Vray est que pour en estre absouts, il faut qu'ils se condamnent devant luy: mais il les veut absoudre quoy qu'il en soit. Cependant il les afflige. A quel propos? Est-ce qu'il les vueille perdre et ruiner? Nenni. Mais il cache leur droit, c'est à dire, il ne monstre point pour lors evidemment qu'il les tienne pour ses enfans, ne qu'il leur ait pardonné leurs offenses: il est ainsi neantmoins, encores que nostre sens ne le puisse pas comprendre.

Au reste, notons aussi, que Iob regarde plus à ce iugement pervers, et à ceste fausse opinion que les hommes conçoivent, quand ils se precipitent n'attendans pas en patience que Dieu leur declare pourquoy il afflige les siens. Car si nous avions ceste discretion et modestie de ne point assoir sentence de condamnation sur ceux qui sont affligez' nous ne trouverions point estrange la procedure de

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Dieu et ne faudroit point dire, que Dieu cache le droit. Mais voila un povre homme qui sera tormenté de beaucoup d'afflictions: là dessus chacun se vient ruer sur luy et le condamner. Telles perplexitez donc sont cause que le droit d'un homme sera comme enseveli: car Dieu devroit (ce semble) maintenir du premier coup la cause de celuy qui est droit devant luy: il ne le fait pas, il dissimule. Ainsi il reserve le iugement à soy, quand il permet que les hommes iugent mal, de nous, et qu'ils en mesdisent, et nous ayent comme en execration, et cependant il nous laisse là comme opprimez. Et voila pourquoy il est dit (Pseau. 37, 6), qu'il fera reluire l'integrité des siens combe l'aube du iour. Ceste promesse-la n'est pas donnee pour dire qu'elle s'accomplisse tousiours à l'oeil: car il faut quelquesfois que nous soyons en opprobre et vitupere. Et mesmes sainct Paul le monstre (1. (Jor. 4, 12. 13), luy qui avoit chemine en une perfection Angelique, il monstre qu'il a esté suiet à cela, qu'il estoit exposé à beaucoup de calomnies non seulement quant à sa vie privee mais que mesmes quant à son office on mesdit de luy: voire que là où il avoit traitté fidellement et en toute pureté la doctrine, toutes fois il y a une telle ingratitude aux hommes, qu'on ne laisse pas de le vilipender. Et bien, i'en appelle, dit-il, au iour du Seigneur, lequel reluira. Il monstre que souvent en ce monde il y aura de ces troubles dont il est ici fait mention, qu'on ne pourra point discerner entre le blanc et le noir, que les meilleurs serviteurs de Dieu seront calomniez et iniuriez. Et pourquoy cela? Quand on les voit affligez, on tire tousiours cela en mauvaise partie, selon que les hommes sont enclins à mesdisances.

Notons bien donc que Dieu ravit le iugement, quand du premier coup il n'apparoist pas, ou pour nous estre garent, on pour declarer qu'il nous tient pour iustes: qu'il ne prend pas nostre cause en mains, mais souffre que nous soyons condamnez par les hommes. Et puis s'il augmente les afflictions de plus en plus, sur cela les hommes s'enhardissent n'est à dire, que s'ils ont esté si pervers à iuger tout au rebours du commencement, ils prennent tant plus · audace: O ie le disoye bien, ne voit-on pas encores comme il est traitté? Ainsi voila les bons qui seront plus qu'opprimez, et Dieu se retire à l'escart, et ne fait point semblant de les tenir pour iustes: mais plustost semble qu'il leur fait la guerre, et qu'il les vueille condamner sur tous autres. Nous voyons donc maintenant que Iob n'a point blasphemé contre Dieu, en disant qu'il luy avoit ravi son droit: et nous voyons comme il nous faut faire nostre profit de ceste doctrine qui est excellente. Sachons donc que Dieu pourra souvent ravir le droit, et neantmoins nous n'aurons

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de quoy l'accouser, ou nous plaindre de luy, nous ne gaignerons point nostre cause en plaidant contre ce qu'il fait: car il a sa iustice cachee, laquelle il nous faut adorer iusques à ce qu'il nous la face cognoistre. Il nous veut maintenant exercer en humilité, quand il besongne envers nous d'une façon estrange, et que nous ne pouvons cognoistre: c'est afin de nous tenir en bride, et que nous le glorifions en disant, Seigneur, il est vray que ie sui comme un povre aveugle icy en tenebres, ie ne voy goutte en cecy: mais si est-ce que tu es iuste, combien que tes iugemens me soyent un abysme, que ie n'y puisse entrer, et mesmes encores que ie soye comme enseveli en la mort, si est-ce Seigneur que ie confesseray que tu es iuste. Quand nous y allons ainsi, voila comme nous avons profité aux afflictions que Dieu nous envoye, desquelles les raisons ne nous sont point apparentes. Au reste pratiquons ce que Iob dit icy, c'est assavoir que si Dieu ravit nostre iugement, nous ne laissions point pour cela de le tenir tousiours Dieu, et de nous humilier sous sa maiesté: comme il dit, Dieu est vivant, lequel a ravi mon iugement, le Tout-puissant qui a mis mon ame en angoisse. Icy Iob ne fait pas du cheval retif: et combien qu'il ait double angoisse, ai est-ce qu'il cognoist bien que Dieu a tout empire et superiorité par dessus luy. Car il n'useroit point de ce propos, Dieu est vivant n'estoit qu'il luy fist hommage, pour dire, Seigneur, ie suis ta povre creature, et tu es celuy qui as toute puissance sur moy. l'ay dit qu'il estoit en double affliction: ce que nous devons bien noter: car nous avons veu comme il estoit persecuté et en ses biens et en sa personne, qu'il enduroit autant qu'il est possible à creature mortelle d'endurer: mais il y avoit l'affliction seconde, c'est qu'il estoit tormenté par ceux qui le venoyent soliciter à, desespoir. Car c'estoit l'extremité de tout mal quand on luy disoit, Dieu te hait, tu rois bien que tu n'as plus nul accez à luy, c'est en vain que tu attens quelque soulagement de sa misericorde: car il t'est contraire, et il t'en donne bien les signes quand tu es ainsi affligé. Que veux-tu faire sinon de condamner toute ta vie passee? Si tu veux avoir quelque misericorde de Dieu, il faut que tu changes du tout, que tu cognoisses que iusques icy tu n'as rien vallu, que iusques icy tu as esté un mocqueur de Dieu, un homme plein d'hypocrisie et de malice. Voila donc les deux afflictions que Iob enduroit, et cependant neantmoins il fait hommage à Dieu: car il iure par son nom: non pas comme ceux qui auiourd'huy blasphèment Dieu en iurant. Car defait les sermens qui se font pour la plus part, quels sont-ils, sinon autant d'opprobres qu'on fait a Dieu, en mesprisant son nom? comme si on iure à la volee,

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on monstre bien qu'on ne tient gueres de conte du nom de Dieu, qui nous devroit nostre tant sacré, que quand nous en oyons parler, il faut que nous baissions la teste, et que nous cognoissions la gloire infinie qui est en luy. Or au contraire le nom de Dieu trottera comme par mocquerie. Et ainsi tous les se mens legers qu'on fait sont autant d'opprobres et iniures pour vilipender le nom de Dieu. Et puis il y a les periures, qui sont encores plus execrables: qu'apres qu'on s'est accoustume à iurer ainsi follement, on poursuit pour falsifier la verité, et la convertir en mensonge, et le nom de Dieu trottera parmi, tellement qu'on s'en iouera par trop sans y penser. Or Iob en iurant a regardé au principal, c'est que quand nous iurons par le nom de Dieu, nous le cognoissions comme nostre Iuge, luy attribuans l'authorité qui luy appartient, que nous soyons là devant son throne pour estre condamnez de luy, si nous avons failli.

nous voyons donc comme Iob recognoist les afflictions qu'il enduroit venir de la main de Dieu, et ne fait point du reveche: il ne regimbe point à l'encontre de son maistre comme un cheval retif: mais il s'humilie, et dit, Dieu est vivant, quoy qu'il en soit. Il est vray que me voicy un homme perdu, i'endure tant qu'il m'est impossible d'estre patient du tout comme ie devroye: mais si est-ce qu'encores ie ne me desespereray point iusques là, de faire de l'enragé, et dire, le ne say que c'est de Dieu ie voudroye qu'il me laissast, et qu'il n'eust plus de puissance sur moy. Au contraire ie cognoy qu'il est mon iuge, qu'il a toute autorité, ie ne luy veux point deroguer en ceste puissance qu'il a par dessus moy, ie me tiendray tousiours sous sa main, recognoissant les afflictions qu'il m'envoye. Et pourtant ce n'est point sans cause que i'ay dit, que nous avons icy une doctrine excellente: car nous sommes enseignez en premier lieu de nous accoustumer a estre chastiez de la main de Dieu' et affligez. Pourtant recognoissans combien nous sommes fragiles, quand il adviendra que nous serons tentez de desespoir, que nous apprehenderons une telle frayeur en nous, qu'il semblera que nous soyons desia iusques aux enfers: et bien, arrestons nous à cela, Dieu cache nostre iugement, il ravit tellement nostre droit qu'il nous semble que nous soyons perdus, et qu'il n'y ait plus de remede. Que faut-il faire? Et bien, Dieu cache mon droit, il faut que nous baissions la teste, et que nous attendions que Dieu nous leve le menton, qu'il nous redresse, et nous remette au dessus, qu'il maintiene nostre cause. Que si nous sommes opprimez des hommes, qu'on nous moleste, qu'un chacun nous tire la langue, que nous soyons en opprobre: toutes fois ne perdons point courage. Et pourquoy? Nous voyons l'exemple qui nous

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est icy proposé. Voila donc comme les fideles doivent venir à ceste pratique pour en faire leur profit: et combien qu'ils ne puissent pas comprendre la raison de ce que Dieu fait envers eux, que neantmoins ils viennent tousiours à ceste humilité-la, pour dire Seigneur, que tu disposes de nous comme il te plaira, et cependant que nous te puissions tousiours louer en toutes tes oeuvres pour dire, Le Seigneur est vivant, combien que nous y soyons maintenant confus. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage: et maintenant il nous sera aisé de cognoistre ce qui est icy contenu. Or puis que nous avons comprins la somme totale, il ne faut sinon conioindre et approprier à ceste doctrine les sentences qui s'ensuivent.

Car Iob dit, Que tant qu'il vivra il ne sortira point ne fraude, ne mauvais propos de sa bouche. Par cela il monstre qu'il parle comme devant Dieu. Or c'est encores un poinct bien digne d'estre noté. Nous avons dit quelquesfois en exposant ce livre, qu'il y a un vice trop commun aux hommes qui les gaste: c'est qu'ils s'attachent ainsi an monde, et ne se recueillent point. devant Dieu pour s'examiner là. Comme quoy? Si les hommes nous accusent faussement, nous sommes tellement arrestez à eux, que nous n'entrons point en nous-mesmes pour nous examiner devant Dieu. Or que faut-il? Qu'au contraire quand nous respondre bien respondre aux hommes, que premierement nous ayons fait nostre procez, et que nous l'ayons tout conclu devant Dieu en nostre conscience, sans avoir esgard ny à cestui-cy, ny à cestui-la. Car voila pourquoy nous sommes hypocrites en tous nos propos, et que nous mettons si grand' peine à couvrir nos fautes, et à les desguiser: c'est que nous voulons retenir ceste bonne reputation et credit que nous avons entre les hommes. Or Iob au contraire monstre, qu'il se presente comme devant Dieu: et combien qu'il parle aux hommes, si est-ce qu'il n'est point preoccupé de ceste folle ambition, qu'il ne vueille point estre blasmé. Nenni: mais il se iuge devant Dieu, et selon que sa conscience luy respond il specifie la chose, et la declare tout manifestement. Ainsi donc notons que c'est une chose aussi mauvaise qu'on en sauroit penser, que d'estre ainsi arresté aux hommes: et quand nous ne commençons point par ce bout icy, c'est assavoir de nous iouger comme en la presence de Dieu, d'avoir les yeux formez quant au monde, et quant à toute opinion qu'on peut concevoir de nous, et à toutes les choses qu'on nous peut mettre sus. Sans donc avoir-esgard à tout cela, il faut que nous pensions à nous-mesmes comme nous en sommes avec Dieu, et alors nous serons droitement humiliez, et ne parlerons point en feintise, nous ne desguiserons point les choses, sachans bien

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que nous n'y pouvons rien gaigner. Voila pour un Item.

Or au reste notons bien ceste façon de parler de laquelle Iob use. Cependant (dit-il) qu'il y aura souffle ou halaine en moy, et que l'esprit de Dieu sera en mes narines. Car il ne parle point de sa vie comme s'il la tenoit sans la grace de Dieu. Il est vray que nous pourrions dire, que c'est une chose assez commune, et que nul ne niera que nous ne tenions de Dieu nostre halaine et toute la vigueur que nous avons: mais cependant combien y en a-il qui le cognoissent à bon escient? Les hommes vivent icy d'une façon brutale, tellement qu'on diroit qu'il leur semble que c'est d'eux-mesmes, et de leur propre vertu qu'ils se soustiennent: bref, il y en a bien peu qui cognoissent droitement ce que dit sainct Paul (Act. 17, 28), que nous vivons en Dieu, et y avons nostre mouvement: bien peu, di-ie, cognoissent cela. Et ainsi notons bien que Iob icy monstre qu'il n'a point esté transporté comme beaucoup, qui sont tellement esblouis de leurs passions, qu'ils ne cognoissent plus rien, et ne savent qu'ils disent. Il est vray qu'il luy est eschappé des mots exorbitans (comme nous l'avons veu, et verrons encores) mais tant y a que tousiours il s'est retenu sur ce bon fondement, encores que l'edifice n'y fust pas de mesme par dessus: si est-ce, di-ie, qu'il est retenu d'une crainte et reverence de Dieu. Et au reste notons bien ceste circonstance, que Iob ne parloit pas estant à loisir et à son aise. Le voila en telles afflictions, qu'il semble que Dieu ait determiné de le destruire du tout: et encores luy fait-il hommage de sa vie, recognoissant que c'est de luy que nous vivons. Et ie vous prie donc, quelle excuse y aura-il, quand nous ne serons point resolus de cela, lors que Dieu nous donnera relasche pour nous faire mediter ses races, et quand nous serons si brutaux de ne point cognoistre et confesser que nostre vie et tout ce qui en depend procede de sa grace et vertu? Ne serons-nous point plus qu'inexcusables? Retenons bien donc toutes fois et quantes que nous pensons à, nostre vie, qu'il nous faut faire ceste confession que fait icy Iob, il n'y a ne souffle ny halaine en moy de ma vertu propre: mais c'est Dieu qui me donne le tout. Il est vray que quand Iob parle icy de l'esprit de Dieu, il ne nous faut point entendre comme ont fait des phantastiques

qui ont cuidé que les hommes eussent l'essence dé l'Esprit de Dieu en eux: car c'est une heresie trop abominable que celle la. Et tousiours il nous faut observer ces façons de parler en l'Escriture saincte, afin de ne tomber point en erreur, tel, que nous disions, que l'Esprit de Dieu soit en nous selon son essence. Car que seroit-ce? Il s'ensuivroit que l'Esprit de Dieu seroit suiet à ignorance, qu'il

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seroit suiet à changement, qu'il seroit muable, que mesmes il seroit entaché et contaminé de nos pechez et de nos vices. Et neantmoins (comme nous avons dit) c'est un poinct qui a fort troublé l'Eglise Chrestienne: comme ce mal-heureux heretique qui a este icy puni, avoit conceu de dire, que les ames des hommes estoyent participantes de l'essence de Dieu. Or c'est une chose execrable et contre nature, tellement qu'il faut bien qu'un homme soit abbruti du tout quand il en vient là. Ainsi donc notons qu'il n'est point icy parlé de l'Esprit de Dieu, pour dire, que son essence soit en nous: mais de son souffle, c'est à dire de ce qu'il nous inspire par sa vertu: comme nous voyons le soleil qui demeure au ciel, et les rayons de sa clarté viennent iusques à nous, tellement que nous iouissons de sa clarté et de sa chaleur: mais est-ce à dire pourtant que nous tenions icy bas le soleil? Et defait quand nous voyons que le soleil par sa vertu qu'il espand icy bas, donne vigueur à la terre, tellement qu'elle fructifie pour donner substance, et

nourriture aux hommes, que sera-ce de la vertu ! incomprehensible qui est en Dieu mesmes et en son Esprit? ne pourra-il point en espandre iusques à nous, sans que cependant nous ayons de son essence? Ainsi donc notons bien que l'Esprit de Dieu n'est point en nous, voire selon son essence: mais sa vertu y est tellement espandue que nous en vivons, nous sommes confermez par ce moyen la, et cognoissons qu'il nous faut faire hommage de toute nostre vie à Dieu, comme c'est de luy que nous tenons tout, et de la grace de son sainct Esprit. Et ainsi advisons que si nous devons recognoistre la grace de Dieu en ce qui concerne la vie presente, par plus forte raison nous devons cercher en luy ce qui est de la vie immortelle: comme c'est à cela qu'il nous appelle, nous monstrant qu'il nous y faut aspirer, iusques à ce qu'il nous ait delivrez de tous les liens et empeschemens de la vie presente.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE NONANTEHUITIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXVII. CHAPITRE.

5. Ia n'advienne que ie vous iustifie: iusques à tant que ie defaille, ie ne quitterai point mon innocence. 6. le retiendrai ma iustice, ie ne la laisserai point: et mon coeur ne me fera point reproche de mes iours. 7. Celui qui me contrarie soit maudit: et celui qui se leve contre moi, soit meschant. 8. Car quelle est l'esperance de l'hypocrite, quand il aura amassé, et que Dieu arrachera son ame?

Apres que Iob a declaré son intention touchant de ce-qu'il avoit dit, et pour monstrer qu'il n'avoit point blasphemé contre Dieu: mais seulement qu'il entendoit que ceste affliction qui lui estoit advenue n'estoit point à cause de ses pechez, qu'il y avoit là un iugement de Dieu extraordinaire et caché aux hommes: il proteste qu'il persistera constamment en ce propos. Or nous devons bien observer cest ordre, c'est de n'estre point constans et fermes en une chose dont nous ne serons pas bien asseurez devant le coup: car en cela aussi different les opiniastres d'avec ceux gui ont une bonne constance et louable. Un homme qui ne iuge point, et qui ne pese pas les choses en bonne raison pour discerner,

s'il conçoit une phantasie, on ne l'en pourra nullement desmouvoir: mais celui-là ne sera pas pourtant nommé constant, et ne merite point d'estre loué: car il n'y a rien pire que de maintenir une chose sans avoir bien cognu quelle elle est. On din, De fol Iuge, brefve sentence: mais celui qui noe seulement se haste de mal iuger, mais s'opiniastrt en cela, il faut qu'il soit un fol desesperé.

Notons bien donc la procedure que tient ici Iob. Car en premier lieu il a declaré ce qu'il entendoit, et a monstré qu'il n'estoit point abbruvé de quelque fausse opinion, et qu'il n'y a point d'erreur en tout ce qu'il disoit, que c'estoit la pure verité. Ayant declaré cela, maintenant il adiouste ceste protestation, que iamais il ne sera diverti de son propos lequel il cognoist estre droit et iuste Ainsi donc quand il sera question de iuger de quelque chose, advisons à nous de pres, et discernons: et si nous n'avons l'esprit suffisant pour ce faire (comme il nous faut tousiours cognoistre nostre rudesse et infirmité) prions Dieu qu'il nous donne esprit de prudence et discretion. Mais quand une chose nous sera bien cognue' que nous serons resolus

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en icelle: que nous ne chancelions plus. Car c'est grand' honte quand des gens obstinez seront ainsi adonnez à leurs folles phantasies, et qu'on ne les en puisse retirer; et quand la verité nous sera cognuë, que nous soyons desbauchez tantost. Il ne nous faudra point d'autres tesmoins ne d'autres iuges, pour condamner nostre temerité et inconstance, sinon les opiniastres qui ont esté ainsi adonnez à leur propre sens. Et pourquoi? Si ceux-la ayans approuvé une chose, s'y tiennent, et quoi qu'on face qu'on ne les puisse gaigner: et ie vous prie, n'est ce point pour le. moins, que ceux à qui Dieu a donné à cognoistre sa verité l'embrassassent, et qu'ils s'y tinssent fermes, et combien qu'on taschast de les en retirer, toutes fois qu'ils demeurassent là resolus? Voila les deux poincts que nous avons à noter de ce passage. L'un est, que nous ne soyons point temeraires à maintenir une chose qui nous est incognue, et de laquelle nous ne sommes point bien asseurez: mais discernons en premier lieu, soyons moderez à bien iuger et droitement. Cela est-il ? c'est à dire, Avons-nous bien cognu une chose ? Savons-nous que c'est à. Ia verité ? Sur cela que nous prenions courage de nous y tenir quoi qu'il en soit, et que nous n'en soyons point esbranlez. Et ceci nous declare quelle est la vraye nature de la foi: car nous ne voyons point d'une opinion volage, voire si nous sommes bien fondez en la verité de Dieu. Et ceux qui disent, Ie croi, et cependant n'ont point de certitude de la verité de Dieu, mais seulement quelque phantesie: il est certain qu'ils sont comme ensorcelez de Satan, s'ils s'affichent (comme on dit) à cela. Voila les Turcs qui sont assez endurcis en tous leurs erreurs: mais faut-il attribuer à foi une telle fermeté qu'ils ont ou plustost une telle dureté? Nenni. Et pourquoi? Il n'y a point de certitude. Il faut donc que nous cognoissions de qui c'est que nous tenons la doctrine, c'est assavoir de Dieu: que nous soyons bien persuadez que c'est lui qui nous a appellez à son escole. Or avons-nous ceste certitude là? Il faut quant et quant conioindre l'affection de perseverer, que nous ne soyons pas comme beaucoup qui plient à tous vents, et si tost qu'ils orront ie ne sai quoi de nouveau, ils oublient ce qu'ils avoyent apprins. En cela ils monstrent assez que iamais n'ont gousté seulement la verité de Dieu. Que faut-il donc ? Comme i'ai dit, que ce que nous cognoistrons estre bon, iamais ne nous eschappe, que iamais nous n'en soyons destournez: mais que nous l'ayons tellement imprimé en nostre coeur, que nous y perseverions iusques en la fin. Voila donc desia ce que nous avons à retenir de ce passage.

Et au reste quand Iob dit ici, Ia ne m'advienne de vous iustifier, notons aussi que ce n'est point une petite faute devant Dieu, de faire semblant de consentir

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à ceux qui maintiennent une mauvaise cause, et qui contreviennent à la verité. Car encores qu'on ne face point cela de coeur, mais qu'on en ait autrement deliberé en soi si est-ce que Dieu est blasphemé en cela: car nous savons combien sa verité lui est precieuse. Ainsi donc s'il y en a qui soutiennent une mauvaise cause, qui s'eslevent contre la verité pour l'obscurcir, qui menent quelque mauvaise pratique: quand seulement nous ferons semblant d'adherer à eux, et à leurs complices, il est certain que devant Dieu nous sommes coulpables d'une mesme iniquité. Or d'autant mieux nous faut-il recorder ceste leçon, quand nous voyons auiourd'hui que la plus part ne font nul scrupule de s'accorder ainsi avec les meschans, pour le moins ils feront bonne mine, encores que le mal leur desplaise: et combien qu'ils voudroyent qu'il fust corrigé, si est-ce que pour eviter les males graces (comme on dit) et pour ne point soustenir des combats tels qu'on les voit, ils feront semblant de plier et de fleschir. Toutes fois et quantes qu'ils verront que les meschans gaignent et ont la vogue: et bien, il faut caler la voile avec eux: et encores qu'à pleine bouche ils n'approuvent point le mal, tontes fois si est-ce que tant s'en faut qu'ils y contredisent, qu'on pensera qu'ils y adherent, et soyent consentans. Nous voyons cela si ordinaire auiourd'hui au monde, que c'est pitié. Il n'y a nul qui s'oppose à maintenir les bonnes querelles: mais plustost ce sera à dire, O ie ne m'en veux point mesler si avant, ie voi qu'on me ietteroit le chat aux iambes, chacun se dresseroit contre moi, ie n'en veux point faire ma propre cause. Voire ? et si nous ne voulons maintenir la verité de Dieu, ne sommes nous pas dignes d'estre reprouvez de lui? Mais encores quand nous donnerons quelque signe de iustifier les meschans, et d'approuver leur mauvaise cause: ne voila point renoncer Dieu comme de propos deliberé, et nous separer de lui? Et que pensons-nous faire et devenir? Ainsi donc ce n'est point sans cause que Iob parle ici d'une telle vehemence, Ia ne m'advienne, qu'il deteste cela comme une chose par trop vilaine, de iustifier l'iniquité. Et pourquoi? Car c'est autant comme de renverser tout l'ordre de Dieu. Et voila pourquoi aussi le Prophete Isaie (5, 20) prononce une malediction si horrible contre ceux qui diront le bien estre mal, et le mal estre bien: car c'est convertir la clarté en tenebres, dit-il. C'est donc un autre poinct que nous avons à observer en ce passage. la ne m'advienne, dit donc Iob, que ie vous iustifie.

Mais encores conferme-il mieux ce propos en adioustant puis apres, Que son adversaire soit maudit. Il est vrai qu'il y a entre deux un autre verset, mais il sera bon de conioindre ces deux sentences. Il dit, Que mon adversaire soit maudit, et celui qui

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s'esleve contre moi soit meschant. Il monstre en premier lieu qu'il est tout asseuré de son baston (comme on dit) car il despite tous ceux qui lui voudront repugner, il les defie comme en un combat. Or il est vrai qu'un homme temeraire pourra bien user de ceste audace, et s'eslever contre tout le monde, et ne point fleschir: mais nous avons desia declaré que Iob ne bastissoit point sans avoir mis son fondement bien seur et ferme, qu'il estoit resolu en la verité de Dieu. Ainsi donc maintenant quand il defie tous ceux qui voudront batailler contre lui, il monstre qu'en telles causes il n'y a point de neutralité, qu'il ne faut point que nous soyons moyens pour nager entre deux eaux: mais que nous soyons d'un costé ou d'autre, que nous ne fleschissions point et çà et là, mais que nous marchions droit en une vraye rondeur pour dire, Ceci est-il la cause de Dieu? il faut que nous en soyons tous advocats, et la maintenions. Y a-il une querelle que nous ayons conceuë mauvaise? Y a-il quelque marque que ce soit contre la verité? que nous taschions de la mettre bas, que cela ne se souffre point. Car si nous dissimulons, nous ne saurions nier que nous ne soyons traistres à Dieu. Ainsi donc nous voyons le zele qui doit estre en nous, non seulement pour confesser la verité quand elle nous sera cognue, et pour declarer que nous la tenons pour bonne, mais aussi pour resister à tous erreurs, et à toutes opinions fausses et meschantes: car nous devons estre enflammez d'une vertu telle qu'elle nous est ici monstree en la personne de Iob. Notons bien donc que quand il sera question de la doctrine de salut, de ce qui appartient au service de Dieu et à la religion, non seulement il nous faut recevoir ce que nous cognoissons estre bon et veritable, et le recevoir d'un esprit docile et obeissant: mais aussi que nous detestions toutes opinions fausses qui sont contraires à ceste verité-là, et qui y sont incompatibles. Il faut, diie, que nous y resistions aigrement, et que nous declarions que tous ceux qui nous contredisent et ne s'accordent avec nous, sont meschans et maudits, c'est à dire, que nous les tenions pour ennemis de iustice et droiture: puis qu'ainsi est qu'ils ne veulent point estre unis à nous en l'obeissance de nostre Dieu, mais lui sont rebelles, et reiettent la verité Puis qu'ainsi est donc qu'ils se separent ainsi de Dieu, qu'ils rompent le vrai lien de toute union, il faut que nous ayons guerre ouverte, et que nous n'accordions nullement avec eux. Car ceux qui veulent gratifier aux meschans, et qui se voudroyent garder de leur desplaire, et nager entre deux eaux (comme on dit) monstrent qu'ils ont double visage, et iouënt (sans changer d'accoustremens) deux personnages, comme on dit. Or Dieu ne pourra souffrir une telle fiction. Et pourtant retenons bien ce

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qui est ici dit, qu'il n'est point question de dire seulement. Et ie suis content que cela ait lieu, et que nous ne repugnions point à la verité: mais si nous voulons monstrer que la verité de Dieu est approuvee de nous, que nous la maintenions quant et quant, et que tous ceux qui s'eslevent à l'encontre de nous soyent ennemis, et que nous les détestions, sachans qu'il n'y a non plus d'accord entre la verité et le mensonge, qu'entre le feu et l'eau. Voila donc ce que nous avons encores à noter.

Au reste Iob adiouste, Que son coeur ne lui fera point reproche de ses iours: ou, il ne declinera point, ou il ne reculera point. Quant au mot, il peut estre prins pour faire reproche: il peut aussi estre prins pour Rajeunir: et de là vient qu'il est prins par similitude pour Reculer, et Retourner en arriere. Or ceste signification-là convient bien, quand il dit, Mon coeur ne reculera point en arriere, comme s'il rajeunissoit, Et comment? De mes iours c'est à dire, de tout le temps de ma vie que i'ai desia passé. En somme, Iob veut signifier, qu'il ne declinera iamais: et comme il avoit persisté iusques à ce iour là pour servir à Dieu, voire en toute integrité, que maintenant il ne fleschira point pour se revolter, et nostre comme un autre homme: mais qu'on le cognoistra tousiours tel qu'on l'a cognu. Et c'est suivant ce que nous avons desia declaré: c'est assavoir, que puis que Dieu nous a fait la grace de nous esclairer tellement que nous discernons entre le bien et le mal, et que nous savons ce que nous devons suivre: il nous faut adviser que nous ne soyons point volages, que nous ne soyons point comme roseaux branlans, mais que nous tenions bon. Ainsi donc advisons à nous, et quand Dieu nous aura mis au bon chemin, que nous ne tournions point la voile, mais que nous suivions tousiours: et mesmes d'autant plus qu'un chacun aura esté advancé, qu'il cognoisse que Dieu l'a oblige à estre tant plus constant, et que ce lui doit estre tant plus grand' honte, et que son ingratitude est tant plus vilaine quand il tournera le des, et quittera le bon chemin. Il est vrai que si tost que Dieu nous declare sa volonté, il faut que nous soyons ravis en l'amour d'icelle, que nous taschions d'y profiter de plus en plus, et que iamais nous n'en soyons divertis. Du premier iour donc nous devons bien estre enflammez à suivre la verité de Dieu, si tost qu'il nous l'aura declaree: mais quand Dieu aura fait la grace à un homme de le conduire non seulement pour un mois, mais pour un an, pour trois, pour dix, et qu'il aura vescu longuement en cognoissant que c'est de Dieu et de son salut: si puis apres il est rebelle et qu'il se revolte, qu'il ne poursuive point iusques au bout: et ne voila point une lascheté beaucoup plus

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grande, que si un homme qui n'auroit point encores prins bonne racine ni assez profonde, se destournoit, et qu'il fust desbauché par quelque legereté? Car si un homme a gousté que c'est du bien, et que tantost apres on l'en destourne, il est vrai que devant Dieu il ne sera pas excusable: mais encores on aura pitié de ce qu'il a esté ainsi diverti devant qu'avoir receu pleine instruction. lais quand un homme aura long temps suivi le droit chemin, et qu'il semblera qu'il Boit des plus fermes, si cependant il s'aliene, et quelle excuse y aura-il en cela?

Voila donc ce que Iob a voulu exprimer en ce passage, monstrant, puis que Dieu lui avoit fait la grace de cheminer droitement, et que par longue espace de temps il avoit cognu que c'estoit du bien, que son coeur ne tournera point maintenant en arriere. Apprenons donc à son exemple, chacun de nous, de bien considerer la grace que Dieu nous a faite quand il lui a pleu de nous attirer à la pure foi de son Evangile: car nous devons penser que par cela il nous a obligez à lui plus que si tous les contracts du monde et les plus solennels estoyent passez. Advisons donc de continuer iusques à la fin, quand nous aurons bien commencé, et qu'estans asseurez que c'est Dieu qui nous a tendu la main, nous suivions le chemin auquel il nous a mis. Mais au reste, qu'un chacun conte bien le temps depuis qu'il a cognu la verité de Dieu. Comment? il y a desia un an, il y en a trois, il y en a dix, il y en a vingt que Dieu s'est manifesté à moi: et comment ai-ie profité depuis ce temps-là? Et maintenant encores, combien que ie ne me sois point tant advancé comme il est requis, toutes fois puis que mon Dieu m'a receu en sa maison, et n'a point permis que ie fusse du tout esgaré, mais m'a fait la grace de perseverer iusques ici: si maintenant ie le renonce, et le quitte, et que sera-ce? Ceste ingratitude là n'est-elle point plus que damnable? Voila comme chacun se doit appeller à conte afin de se confermer en ceste constance que Iob nous monstre ici en sa personne. Voila encores un article que nous avons à noter. En somme nous voyons en ce passage qu'il n'est point licite aux fideles de dissimuler en façon que ce soit, faisans semblant qu'ils croyent une chose laquelle toutes fois ils condamnent par raison, et de laquelle ils sont convaincus qu'elle est mauvaise. Et ne faut point que nous usions de subterfuges: car quelque couleur que nous pretendions, tousiours nous serons condamnez en nostre hypocrisie. Pourquoi? Dieu aime la verité, et la tient si precieuse, qu'il veut quoi qu'il en soit, que nous y adherions. Car en une chose commune, celui qui dira, Et ie le croi ainsi: encores qu'il semble que cela n'emporte point de preiudice, et qu'il ne face tort à nul: si toutes fois cependant il a tout le contraire

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en son coeur, il n'est point à excuser. lais quand il est question de la doctrine de nostre salut, et du service de Dieu, et de son honneur (qui tient le degré souverain)-il ne faut point que nous prenions congé ne licence de fleschir en cest endroit. Car des choses de ce monde il faut desia que nous cognoissions nostre fauté, si nous faisons semblant de consentir à ce que nous reprouvons: mais si nous usons d'un tel subterfuge quand la verité de Dieu est combatue, quand on nous proposera des choses fausses et meschantes: entant qu'en nous est, apres avoir trahi Dieu nous demandons de le despouiller de ce qu'il a tellement conioint à soi, qu'il n'en peut estre separé, sinon qu'il se renonçast soi mesme, c'est à dire, sa verité. Et ainsi notons bien ce qui nous est ici declaré par l'exemple de Iob: c'est a savoir que quand nostre Seigneur nous a fait ceste grace de nous donner la foi au coeur, il faut-que nous ayons la bouche ouverte pour faire confession de ce que nous avons creu, et dequoi avons esté certains, et le prescher, voire en temps et lieu. Et si nous voyons que les hommes se dressent contre la doctrine, laquelle nous cognoissons estre vraye: que nous leur resistions entant qu'en nous est, et maintenions la querelle de Dieu, si nous ne lui voulons estre faussaires. Or combien que ce te doctrine meritast bien d'estre desduite plus au long, il suffit toutes fois que ie l'aye comprinse en bref. Au reste, que chacun pense à soi pour en faire son profit: car c'est aussi le tout que la pratique.

Venons maintenant à ce que Iob adiouste. Quelle est l'esperance de l'hypocrite,. dit-il, encores qu'il ait amassé, si D'eu arrache son ame? Ici Iob proteste qu'il n'entend pas que Dieu ne punisse point les pechez en ce monde, qu'il dorme, et ait les yeux fermez, et laisse couler ici bas les choses en telle sorte que tout universellement soit en trouble. Il faudra, dit-il, que tout vienne à conte en la fin: mais si est-ce qu'on n'apperçoit pas les iugemens de Dieu à l'oeil du premier coup. Voila en somme ce que Iob a ici declaré. Il nous faut tousiours reduire en memoire ce que nous avons veu par ci devant, c'est assavoir, que les parties adverses de Iob debattoyent, que les hommes sont ici traitez e on qu'ils l'ont desservi, et que Dieu se monstre tousiours bon, amiable, pitoyable envers ceux qui le requierent, et l'aiment: à l'opposite qu'il desploye promptement sa rigueur et sa vengeance envers ceux qui le mesprisent, voire tous ceux qui se dressent à l'encontre de lui, tous ceux qui se fourvoyent du bon chemin. Or nous voyons le contraire, c'est assavoir, que les bons sont affligez, qu'il semble que Dieu leur soit ennemi, pource qu'il les persecute rudement tant et plus: et nous voyons les meschans cependant estre en leurs de

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lices et voluptez, faire leurs triomphes, comme si Dieu les tenoit bien delicats en son giron. Que veut dire cela ? C'est que par son moyen nous appercevons que Dieu n'exerce pas ici sa iustice pleinement, mais qu'il se reserve et le salaire des bons, et la punition des meschans au dernier iour, et hors de ceste vie. Iob donc maintenant declare, que combien qu'il ait dit ci dessus que Dieu ne punit point les meschans et qu'il afflige les bons, et qu'il semble qu'il use de cruauté excessive à l'encontre de ceux qui ne l'ont point desservi, et au contraire qu'il flatte les meschans: toutes fois il n'entend pas de despouiller Dieu de son office qu'il ne soit tousiours Iuge du monde, et qu'il ne veille pour gouverner l'estat de la terre. Et comment cela? O, il ne lui faut point assigner certain iour, ne le sommer à heur presente qu'il face son office: mais il est question d'attendre en patience, et il nous fera voir par ci par là des exemples de son iugement. Voila en somme ce que Iob veut ici declarer: et combien que nous ayons veu par ci devant ceste doctrine, tontes fois il ne nous doit point ennuyer qu'elle nous soit reiteree plusieurs fois, attendu que c'est l'un des principaux articles qu'il nous faut tenir, c'est assavoir, qu'au milieu des troubles de ce monde nous cognoissions neantmoins que Dieu ne laisse point couler les choses à l'adventure, et qu'il n'est iamais propice aux meschans, combien qu'il les espargne, et dissimule pour un temps à les punir: que leur condition donc n'est point meilleure pour cela, mais qu'ils sont tousiours mal-heureux, et qu'il y a une vengeance cachee qui leur est apprestee: et qu'il vaudrait beaucoup mieux pour eux que du premier coup Dieu les punist, que de differer ainsi sa punition qui n'apparoist point auiourd'hui. Apprenons donc que c'est une chose necessaire tant et plus, que nous soyons tout persuadez que les bons estans affligez ne laissent pas toutes fois d'estre bienheureux quand ils ont leur recours à Dieu, quand ils plient le col pour porter le ioug qui leur est mis dessus, et qu'ils savent que Dieu veut esprouver leur obeissance, et qu'il ne laisse pas de les aimer. Quand nous serons persuadez de cela, nous aurons beaucoup profité pour tout le temps de nostre vie. Et de fait regardons à l'infirmité qui est en, nous: car si tost que nous avons quelque tentation, nous sommes tant esperdus et effarouchez qu'on ne nous peut resiouyr. Si nous voyons les meschans prosperer, et que Dieu les souffre plus que nous ne voudrions: il n'est question que de grincer les dents, il nous semble qu'il n'y a plus d'attente, et que nous avons este frustrez en invoquant Dieu et le servant. Et puis si nostre condition n'est pas telle comme nostre chair le souhaite: c'est aussi à perdre courage, voire et à nous despitter, et à

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escumer quasi contre Dieu: tant y a que nous sommes tant troublez que nous ne pouvons nous resoudre, qu'au milieu de toutes nos miseres il nous faille recourir à Dieu, et adoucir nos maux en ce que nous cognoissons qu'il nous sera tousiours Sauveur et Pere. Pourtant combatons contre nostre infirmité pour nous resoudre en ceci. Et aussi à l'opposite quand nous verrons la prosperité des meschans, que nous ne defaillions point: mais que nous ayons tousiours bon courage, sachans que Dieu les engraisse comme un boeuf ou un porceau. Car si on veut tuer un boeuf, on l'engraissera, il sera beaucoup mieux traitté quand on l'appreste pour le trainer à la boucherie, que quand on le fera travailler à la charrue. Autant en fera-on d'un porceau. Nostre Seigneur donc traitte les meschans en ce monde comme des boeufs ou des porceaux, il les engraisse, il les soule, il les creve du tout: mais c'est à leur perdition, d'autant qu'ils abusent de sa bonté et patience: ils ne font qu'amasser ce thresor d'ire dont parle S. Paul (Rom. 2, 5), cependant que Dieu leur est ainsi benin, et qu'ils polluent tontes les graces qu'ils reçoivent de sa main. Puis qu'ainsi est donc que ceste doctrine nous est tant utile, et d'autre part que c'est avec grande difficulté qu'elle se peut comprendre: ne trouvons point estrange qu'elle nous soit aussi reiteree plusieurs fois. Car nous avons besoin aussi de recorder ceste leçon, pource que nous ne l'entendrons pas du premier coup: et c'est mesmes bien profité, si pour tout le temps de nostre vie nous avons bien commencé à la concevoir: et puis nous la mettons tantost eu oubli, encores qu'elle nous soit reiteree iournellement.

Or venons maintenant aux paroles de Iob. Quelle est l'esperance de l'hypocrite quand il aura amassé, et que Dieu arrachera son ame? Iob signifie par ces mots, qu'il ne nous faut point enclorre la felicité des hommes en ceste vie presente. Quand donc dirons nous que les hommes sont bien-heureux ou mal-heureux? Il ne faut point que nous ayons nostre veuë arrestee à ce monde (car ce sont des limites trop estroits) mais il faut que nous venions à la mort: d'autant que voila où nostre Seigneur monstre que ce n'est rien d'avoir esté ici à son aise, d'avoir amassé beaucoup de biens, d'avoir esté honoré, d'avoir esté en credit, d'avoir bien gourmandé à repos, bref, d'avoir eu ici tous ses souhaits: Dieu, di-ie, declare en la mort, que tout cela n'est qu'une fumee qui passe et s'esvanouyt. Et ainsi quand nous voudrons bien iuger de la condition des hommes, si elle est heureuse ou maudite, ne regardons pas seulement comme ils vivent ici, et comme ils sont traittez vingt, ou trente, on cinquante ans: mais cognoissons quand les hommes ont passé ici, que Dieu les appelle à soi, comme

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il est dit au Pseaume nonante, que Dieu leur fait faire seulement un tour comme s'ils voltigeoyent: et puis, Retournez à moi, fils des hommes. Voila ce que nous devons concevoir en premier lieu, afin de n'estre point preoccupez d'une folle opinion, comme tous ceux qui ne pensent qu'à la vie presente. Car incontinent ils sont ravis, quand ils voyent, Un tel est un riche homme, il a tant de biens, et puis il a tant de belles possessions, il n'est question que de triompher, il est bien logé, il a argent en bourse. Apres, Celui-là a grand credit, il a des parens, des alliez, un tel est reputé sage, tellement qu'un chacun lui fait la cour. Voila quand nous ne penserons qu'à ce monde comme nous aurons les yeux esblouys, ou bien il y aura des bandeaux au devant, que nous ne iugerons plus; Et ainsi retenons ce qui nous est ici monstre, que Dieu par la mort declare, que ce n'est rien d'avoir vescu en ce monde à son aise, et qu'il ne faut point estimer la condition des hommes par cela: car ce seroit un iugement trop frivole. Et notamment Iob dit, Encores qu'un meschant ait beaucoup amassé: c'est à dire, Prenons le cas que durant ceste vie un homme ait tout ce qu'il est possible de souhaitter, ne pensons pas pourtant que sa condition soit meilleure. Pourquoy ? Que sera-ce, dit-il, quand Dieu arrachera son ame ? Ce mot d'Arracher monstre que tousiours la mort des meschans est violente. Voire: encores qu'ils soyent quasi pourris en ce monde, que Dieu les laisse vivre si long temps qu'ils n'en puissent plus, qu'ils ne facent que se trainer dix ans durant leur vie, encores qu'ils meurent tout saoulez et repeus: si est-ce qu'ils sont arrachez. La raison ? Premierement, pource qu'ils ne se peuvent renger à la volonté de Dieu: et puis iamais ils n'ont cognu à quelle fin ils estoyent mis au monde, c'est assavoir, pour estre rappellez de Dieu: et tant moins sont-ils asseurez de la vie celeste, et de l'heritage immortel lequel nous est appresté. Voila donc trois choses qui defaillent à tous iniques, c'est qu'il ne savent que c'est d'obeir à Dieu, et se laisser gouverner par luy: ils ne cognoissent point la fin de leur creation, c'est à dire qu'ils sont mis en ce monde pour y passer seulement: et finalement ils ne cognoissent point que c'est de la vie celeste, et que c'est où nous avons nostre repos. Et pource que les meschans n'ont iamais apprehendé ces trois choses, il ne se faut point esbahir s'ils sont arrachez de ce monde, et qu'il faille que Dieu les tire par force, tellement qu'ils ne s'en vont point à luy d'on franc vouloir. Au contraire, les fidelles partent de ce monde estans contens d'avoir ici vescu en sa cognoissance, pour iouir pleinement des choses qui nous sont ici promises, et que nous esperons. Les meschans donc sont arrachez.

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Or toutes fois quand nous y aurons bien pensé, c'est une chose contre nature, que d'estre ainsi arrachez. Et combien que ceste rebellion que i'ay dite soit en tous incredules, si est-ce neantmoins que Dieu a quelque fois contraint les Payens de prononcer ces mots, pour declarer que nous sommes inexcusables si nous fuyons ainsi la mort, et que nous soyons par trop adonnez à la vie presente, comme un iuge contraindra un malfaicteur le tenant à la torture, de confesser ce qu'il ne voudroit point: ainsi Dieu (comme i'ay desia dit) a tiré quasi par force une confession des Payens, pour monstrer que tous ceux qui ne meurent point franchement, et d'un courage paisible, sont comme monstres qui renversent toute nature. Voila un Payen qui iamais n'avoit ouy un seul mot de bonne doctrine, quand on luy parle de la mort de son fils. Et ie say, dit-il, que ie l'avoye engendré mortel. Voila une confession traite par un homme qui est pour condamner en general tout le monde. C'est autant comme s'il disoit, quand Dieu nous a ici mis, il faut que nous contemplions comme il luy plaist de disposer de nous: que s'il nous en veut retirer, cognoissons que nostre vie doit estre suiette à sa volonté. Un autre Payen dit, Me voici en ce monde comme si on envoyoit un guet en une tour, ou comme on dit à un gendarme, Va cy, va là: Dieu nous a mis ici bas à ceste condition de nous rappeller quand il voudra. Les Payens ayans parlé ainsi sont tesmoins plus que suffisans, pour condamner tous ceux qui voudront repliquer pour donner en cest endroit quelque couleur à leurs affections mauvaises, et pour les excuser. Et au reste (comme i'ay desia dit) notons que ceux-la n'ont ainsi parlé, sinon estans contrains de Dieu, assavoir, afin que nous ayons comme nostre condamnation escrite et prononcee par eux, si nous n'accordons à sa volonté. Or maintenant que reste-il? si nous voulons estre disposez à mourir franchement, et nous en aller en repos à Dieu, cognoissons les vices qui nous empeschent de ce faire, et cognoissons les remedes pour nous en corriger. En premier lien donc apprenons de nous assuiettir à Dieu, et que nous ne soyons point si pervers et forcenez de nous vouloir exempter de la suiettion de celuy qui nous a creez et formez. Voila où il faut que les hommes fidelles s'appliquent en premier lieu: c'est de recognoistre pourquoi nous sommes creez et formez. Voila Dieu qui a tout empire par dessus nous: il faut donc nous renger à luy, et nous dedier du tout à son service, tellement que et en la vie et en la mort nous soyons tous ours siens. Quand un homme se pourra ainsi assuiettir à Dieu en toute humilité et reverence, et renoncer à soy-mesme, pour dire, il faut que ton gagne par dessus toi et, qu'il

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ait toute maistrise: voila un bon commencement. Il est vray que ceste doctrine nous pourroit tenir. et trois iours et trois mois: mais il suffit bien que nous cognoissions en somme ce que i'en touche, afin qu'un chacun y pense à loisir.

Voila donc la premiere leçon qu'il nous faut recorder, si nous voulons vivre et mourir paisiblement, et n'estre point arrachez par force et violence de ce monde: c'est assavoir, de nous assuiettir à la bonne volonté de Dieu. Or il y a le second, que Nous cognoissions à quelle fin et intention nous sommes mis en ce monde: car sans cela ne sommes-nous pas comme bestes brutes? Un boeuf ne sait pas pourquoy Dieu l'a creé, aussi ne font point les autres bestes: mais l'homme ne peut estre excusé: car il a sens et raison, et Dieu l'appelle plus loin qu'au monde, afin qu'il sache que ceste vie n'est qu'un passage. Les bestes brutes ne savent que c'est de mourir iusques à ce qu'on les assomme, qu'on leur coupe la gorge, ou qu'elles meurent de quelque povreté. Elles ne discernent point donc entre la vie et la mort: mais les hommes ont ceste intelligence-la: et mesmes nostre Seigneur nous monstre tous les iours devant les yeux des miroirs de nostre fragilité. Or si nous n'y pensons, ie vous prie ne sommes-nous pas par trop brutaux? Qui pis est, il faudra que les bestes brutes nous condamnent: car combien qu'un boeuf ne sache pourquoi il est creé, si est-ce qu'encores il suit quelque ordre naturel. Pourquoy est-ce qu'il baisse les cornes, et qu'il plie le col pour porter le ioug, sinon d'autant que nostre Seigneur luy donne quelque instruction sans vouloir, sans sentiment, tellement que les povres bestes ont une inclination à faire ce qui est de leur office? Et cependant, que les hommes soyent plus revesches que ne sont pas les boeufs, les chevaux, ou les asnes: ne voila point une chose trop vilaine? Ainsi donc apprenons pourquoy c'est que Dieu nous a mis en ce monde à quel propos c'est que nous y vivons, assavoir, que nous cognoissions que nous sommes icy comme en un passage, et que nous sommes logez ici bas en terre, que nous sommes nourris et substantez aux despens de Dieu, et que pourtant nous dependions du tout de sa grace, le sentans Pere et Sauveur, comme il se declare tel envers nous par effect, quand nous sommes adonnez à le servir

Voila donc le second article que nous avons à recorder si nous voulons mourir franchement, et non pas estre tirez par force d'une main violente de Dieu. Il y a le troisieme qui est le principal, c'est assavoir, la vie celeste: car la mort nous est tousiours de soy terrible, et quand on nous en parle, il ne se peut faire que nous ne soyons effrayez, que nous ne soyons saisis de quelque estonnement

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quand nous pensons la mort. Et pourtant S. Paul dit, que nous n'appetons point la mort, qu'il est impossible que l'homme s'induise à cela, qu'il desire de mourir: nous fuyons cela tant qu'il nous est possible. Et pourquoy? Car Dieu a imprimé ce sentiment en nous, que la mort est une malediction, et comme une corruption de nature, comme un changement de l'ordre de Dieu, tel qu'il estoit devant le peché de l'homme. Ainsi donc il faut bien que nous fuyons la mort, voire pource qu'elle est contraire à nostre chair, et que sa frayeur nous espouvante par la cognoissance que Dieu nous a donnee. Et pourtant sainct Paul dit en ce passage que i'ay allegué au cinquieme de la seconde aux Cor. que nous desirons la mort, non point de soy, mais pource qua nous savons que maintenant nous sommes comme en des loges caduques. Qu'est-ce de nostre corps? C'est une chose si corruptible, que les fueilles ne sont point si tost pourries que nous sommes: mais nous savons qu'il y a un logis qui nous est appresté, et que quand nous serons restaurez en ceste gloire celeste, nous serons logez non point comme en une petite cahuette sous des fueilles que sont incontinent pourries, mais en un edifice immortel, et plein de gloire. Quand donc nous cognoissons que Dieu nous appelle à une telle vie et si heureuse, et qu'il nous en donne le gage en nostre Seigneur Iesus Christ, il ne faut point que nous fuyons la mort, puis que par là nous entrons en possession parfaite de nostre salut: bref, nous ne venons point à la mort comme font les incredules. Les incredules disent, le ne say où ie vay: s'ils ont quelque opinion de l'immortalité de leurs ames, il faut qu'ils soyent là estonnez, cognoissans, Dieu sera mon iuge: ou bien ils seront tellement abbrutis, qu'ils ne pensent point qu'il y ait une vie meilleure que ceste-cy. Or de nostre costé il faut que nous cognoissions que Dieu nous a creez à son image et semblance, afin qu'il nous recueille à soy: et que nous soyons certains qu'il le fera, quand nous-nous remettrons du tout à luy, suivant l'exemple que nous en monstre nostre Seigneur Iesus Christ. Pere, dit-il, ie te recommande mon esprit. Que nous apprenions donc à dire franchement à Dieu, Seigneur, ie remets mon ame entre tes mains. Voila comme nous serons asseurez quand nous saurons que Dieu est gardien de nos ames: voila comme nous irons volontairement à la mort et d'un franc vouloir, d'autant que nos ames sont en la garde de Dieu, iusques à ce qu'il les ait reunies aux corps, quand ce viendra au dernier iour. Quand nous aurons cela, nous pourrons adiouster pour confirmation de ceste priere, Tu m'as racheté Dieu veritable. Voila comme en parle David, et Iesus Christ en a usé, pour monstrer que c'est une requeste qui doit estre commune à

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tous les membres de l'Eglise. Ainsi donc afin que nous ne doutions point que Dieu ne reçoive nos ames pour les garder, quand sans feintise nous les luy recommanderons, cognoissons qu'il est le Dieu de verité, en sorte qu'il ne permettra point que nous

perissions, quoy qu'il nous adviene, moyennant que nous ayons est esprit et prudence de nous remettre entre ses mains.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE NONANTENEUFIESME SERMON.

QUI EST LE II. SUR LE XXVII. CHAPITRE

8. Quelle est l'esperance de l'hypocrite, quand il aura amassé, et que Dieu arrachera son ame? 9. Dieu orra-il son cri, quand l'affliction viendra sur lui? 10. Prendra-il son plaisir au Tout-puissant? invoquera-il Dieu en tout temps? 1l. le vous enseigneray ce qui est en la main de Dieu, et ne vous celeray point ce qui est vers le Tout-puissant. 12. Voici, vous avez veu toutes ces choses, et pourquoi vous escanouissez-vous en vanité?

Nous vismes hier, que quand on veut iuger de l'estat et condition des hommes, il ne se faut point arrester à la vie presente, mais aller plus outre: car quand nous ne regarderons qu'à la vie de l'homme, nous verrons que ce n'est qu'un ombrage: et encores le cas posé qu'il eust tous ses souhaits, que Dieu luy ottroyast tout ce qu'il desire, qu'est-ce de tout cela, sinon une fumee qui passe bien tost? Il faut donc venir à ceste esperance dont parle icy Iob, pour savoir discerner si la vie de l'homme est heureuse ou mal-heureuse. Et notamment il nous ramene à la mort, declarant, que puis que les incredules ou contempteurs de Dieu sont arrachez de ce monde par violence, il faut conclurre qu'ils sont tous malheureux, et que ce qu'ils ont de plaisir, de richesses, d'honneurs, et choses semblables, que cela n'est que vanité qui les trompe, et qu'il ne s'y faut point amuser. Quand donc l'homme vivra tellement en ce monde, qu'il se cognoit estre en la main de Dieu, qu'il s'appuye et repose sur sa bonté, et que cependant il est prest de desloger toutes fois et quantes que Dieu l'appellera, cognoissant que son heritage perpetuel n'est pas icy, mais au ciel: voila un homme qu'on peut iuger bien-heureux. Mais celuy qui ne regarde point en Dieu, et ne se fie en sa bonté, et qui ne cognoist point mesmes que Dieu l'ait en sa garde. et qui voudroit tousiours demeurer au monde, et n'en peut partir sinon par force et contrainte: combien que

celuy-la ait pour un temps tout ce qu'il souhaitte, Si Est-ce qu'il est miserable creature.

Or pour mieux confermer ce propos, Iob adiouste maintenant, Que les meschans ne seront point exaucez devant Dieu quand ils prieront, voire au milieu dé leurs angoisses. Cecy merite bien d'estre noté: car Iob monstre en quoy consiste le principal bien que nous puissions avoir, et que nous devons souhaitter: c'est d'avoir nostre refuge à Dieu, et qu'il nous soit propice, afin de nous secourir au besoin. Prenons le cas qu'un homme ait tout ce que nous pouvons imaginer, et que cecy luy deffaille: tout le reste ne sera rien, et mesmes luy sera converti en malheur. Qu'un homme rie, qu'il soit en delices et voluptez, que les biens luy regorgent, qu'un chacun l'honore, bref, qu'il semble qu'il soit comme un petit dieu icy bas en un paradis: toutes fois sinon qu'il ait ce privilege de recourir à Dieu, et qu'il soit tout persuadé que ce ne sera point en vain, mais que ses requestes seront ouyes, tout ce qu'il pourra avoir au reste ne sera que malediction et ce sera pour luy augmenter sa ruine tant puis. Notons bien donc que Iob non sans cause nous ramene icy a ce qui est le principal en toute nostre vie, voire quant au bien que nous pouvons souhaitter: c'est que Dieu nous soit prochain, et que nous recourions à luy; qu'il nous oye, et que nous obtenions nos requestes pour estre aidez par sa bonté, selon qu'il en est besoin, et qu'il cognoit nous estre propre pour nostre salut. Et ce n'est point seulement icy, mais quand nous aurons regardé à toute la doctrine de l'Escriture saincte, nous verrons que les hommes sont tousiours malheureux, sinon que Dieu les regarde, et qu'il les vueille exaucer. Il est vray que nous n'apprehendons point cela (tant sommes stupides) mais si est-ce que si nous avions une seule goutte de bon sens, il n'y auroit celuy qui ne cognust que c'est une doctrine plus que vraye. Ainsi donc ouvrons les yeux, et apprenons pour

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iouir de ceste felicité, et savoir sur quoy elle est principalement fondee, de cognoistre, que si nous n'avons Dieu propice, tellement que nous puissions recourir à luy avec une vraye fiance et certitude qu'il sera prest à nous secourir au besoin, que si nous n'avons cela, di-ie, nous sommes plus que miserables. Et au reste si nous avons un tel bien, c'est de pouvoir recourir à Dieu, il n'y a ni afflictions, ni miseres, qui empeschent que nous ne soyons bienheureux: car voila un remede qui Nous doit suffire pour tous nos maux, quand Dieu nous promet qu'il nous fortifiera quand nous serons comme abbatus, qu'il nous delivrera, voire en temps opportun, et mesmes qu'il convertira toutes nos miseres à bien et à salut, que ce nous seront autant d'aides pour nous avancer à la vie eternelle, et qu'il nous fera sentir qu'il ne nous a rien envoyé qui ne nous fust propre et utile. Quand nous avons une telle promesse, c'est pour faire adoucir toutes nos miseres: et qui plus est nous pouvons bien chacun de nous s'y glorifier, comme aussi S. Paul en parle au cinquieme des Romains (v. 1). Car sous ceste paix de Dieu dont il fait là mention, ce que dit ici Iob y est comprins. Nous ne pouvons point avoir paix avec Dieu, si nous ne sommes asseurez de son amour, que nous n'ayons la porte ouverte et accez facile pour venir à luy. Quand nous avons cela (dit S. Paul) nous sommes certains et resolus d'estre enfans de Dieu, pour nous glorifier de cest heritage eternel qu'il nous a promis. C'est en somme ce que Iob a entendu en ce passage disant, Dieu exaucera-il les prieres d'un homme meschant? voire, quand il l'invoquera en son affliction?

Mais ici on pourroit demander, comment c'est que Dieu refuse un homme lequel l'invoque, veu qu'il a promis que tousiours il sera enclin à nous secourir? et mesmes qu'il n'attendra pas qu'il en soit requis, mais previendra nos desirs: pour le moins nous avons cela, que si tost que nous avons ouvert la bouche, Dieu sera prest à nous secourir comme il le dit par son Prophete Isaie (657 24) Mais encores il y a en l'autre passage que i'ay touche, Devant, dit-il, qu'ils crient, ie les exauceray. Maintenant voicy une menace toute contraire, c'est que combien que les meschans ayent recours à Dieu, et qu'ils luy demandent qu'il ait pitié d'eux, toutes fois il ne les exaucera point. La solution est bien aisee, quand nous aurons pesé ce qui est dit au Pseau. (145, 18) c'est, assavoir que Dieu est prochain de tous ceux qui l'invoquent en verité. Or là le Prophete monstre, que beaucoup cerchent Dieu, mais en feintise. Pource que nous sommes convaincus qu'il n'y a autre moyen d'estre delivrez de nos maux, sinon que Dieu nous prene à merci, et nous soit pitoyable: les incredules mesmes invoquent Dieu sans y penser, encores qu'ils se soyent mocquez

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et de la religion, et de tout ce qui nous est dit en l'Escriture de la providence de Dieu, et de sa misericorde et grace qu'il nous faut esperer de luy. Quand donc le mal les presse, Helas mon Dieu! diront-ils. Et qui est-ce qui les contraint à cela? Leur sens naturel. Et ainsi les hypocrites, et tous contempteurs de Dieu auront bien quelque forme de prier: et non pas seulement quand ils prient par acquit et pensans ailleurs: mais quelquesfois on appercevra qu'ils y vont avec quelque affection (car ils y sont contraints), toutes fois ce n'est point en verité: car ils n'ont point ceste cognoissance de dire, Mais Dieu m'appelle, et me convie à soy, ie ne seray point frustré en y venant. Puis qu'ainsi est qu'il luy plait de me recognoistre du nombre de ses enfans, i'y viendray non point avec une folle temerité et presomption, mais i'obeiray à la voix de mon Dieu, ie me fie en sa promesse. Les hypocrites ne peuvent parler ce langage, et pourtant ils n'ont nulle verité en eux. Car il faudroit que la foy y fus, et la foy despend des promesses, que iamais les meschans n'ont gousté. Et puis il y a ce sentiment que nous devons avoir de nos miseres, qu'il faut qu'un homme quand il approche de Dieu, soit confus en soy, se desplaise en ses pechez, et se haisse, qu'il cognoisse qu'il est plus que miserable. Or les meschans et hypocrites n'ont rien de tout cela Combien donc qu'ils ayent la bouche ouverte pour invoquer Dieu, ils ne font que prophaner son sainct nom, d'autant qu'il n'y a nulle droiture en eux: et pourtant ils accomplissent ce que dit le Prophete Isaie au vingtneufieme chap. (v. 13) c'est assavoir, que leur langue et leur bouche viendront bien à Dieu, mais le coeur en sera tousiours eslongné. Ainsi donc notons bien que quand nostre Seigneur declare et testifie! qu'il exaucera tous ceux qui l'invoquent: il entend que leur oraison procede de foy, et que les hommes ayent bien medité ses promesses, afin de prendre hardiesse de là pour venir à luy: et que cependant ils se cognoissent tels qu'ils sont, c'est assavoir, perdus, damnez, et destituez de tout bien: comme aussi il faut que nous sachions cela afin d'avoir nostre recours à la fontaine de sa bonté et grace. Maintenant nous ne pouvons point trouver estrange, si Dieu repousse les hypocrites et les meschans quand ils viennent à luy: car ce n'est point d'une franche volonté, d'une affection pure, et mesmes ils voudroyent fuir Dieu s'il leur estoit possible: mais d'autant qu'ils ne se peuvent passer de luy, et bien, ils y viennent par contrainte Mais qu'est-ce que cela? Ainsi donc apprenons d'offrir sacrifices volontaires à Dieu quand nous le prions, de venir là d'une franche volonté, cognoissans que sans luy nous sommes destituez de tout ce qu'il nous faut, et de ce qui appartient à nostre salut. Et an reste

IOB XXVII.

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ne doutons point qu'il ne nous vueille estre propice, et favorable, puis qu'il nous l'a promis: et que nous ayons tousiours ceste foy, qu'il est tout prest à nous recevoir, et qu'il ne sera point sourd à nos requestes quand nous le viendrons requerir. Voila comme nous serons exaucez de Dieu.

Or notamment Iob met, Quand la tribulation viendra sur l'hypocrite: pource que nous cognoissons alors, et sentons combien valent nos prieres, et quel fruict elles nous apportent. Vray est que Dieu declare sa bonté envers nous à chacune minute de temps: et si nous ne l'avons comprins si tost, si est-ce qu'il nous preserve des maux qui sont desia sur nostre teste, et qu'il a sa main au devant. Ainsi donc en temps de prosperité il faut bien que nous cognoissions la grace de Dieu, que nous sachions que par icelle nous sommes maintenus: mais tant y a que nous n'avons point une experience si certaine et si claire de la grace de Dieu, et du secours qu'il nous fait en prosperité comme en affliction. Car quand le mal nous presse que la mort nous menace, nous avons ce regard dé iuger que nous sommes perdus et desesperez, n'estoit que Dieu vinst au devant pour nous secourir. Et de fait si nous n'avions ceste consideration, comment serions-nous troublez ? Voila donc une monstre toute evidente que Dieu fait, qu'il a eu pitié de nous. Ainsi c'est en affliction principalement que Dieu se declare nostre Sauveur. Et voila pourquoy il est dit au Pseaume (50,15), Tu m'invoqueras au iour de ta necessité: ie t'exauceray, et tu m'en rendras louange. Or cependant est-ce à dire qu'il ne nous faille requerir Dieu, sinon quand nous sommes à l'extremité et que nous n'en pouvons plus? Nenny: car nous serions par trop lasches d'attendre une telle contrainte. Il faut donc que nous invoquions Dieu en tout temps, comme il sera declaré tantost: mais si est-ce que nostre Seigneur nous solicite en nous affligeant, et qu'alors il corrige nostre paresse, et nous aiguillonne pour nous faire venir à luy. Notamment il est dit, que c'est alors que nous le devons invoquer, et que c'est le vray temps opportun: comme il en est parlé au Pseaume trente deuxieme (v. 6), que les iustes requerront Dieu en temps opportun, c'est à dire, quand le mal les pressera: non pas que tousiours nous n'ayons occasion de ce faire, mais alors plus que iamais. Or par cela nous sommes admonnestez, que quand nous serons pressez iusques au bout, tellement que nous n'en pourrons plus, qu'il ne faut point que nous perdions courage, mais plustost que nous soyons enhardis de venir à Dieu, sachans qu'il nous convie non seulement de bouche, mais aussi par effect: et que non seulement il nous tend la main, pour dire, qu'il nous acceptera, mais il nous attire quasi par force, voyant qu'il y a trop de paresse

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en nous. Voila ce que nous avons à noter de ce passage. Or cependant cognoissons quel est le fruict de nostre fi y: c'est qu'en nos miseres nous sommes bien-heureux, que toutes les maledictions que Dieu envoye aux hommes pour leurs pechez nous sont converties à bien par le moyen de la foy, quand nous prions Dieu, et que nous avons nostre recours à luy. Et pourquoy? Car au milieu de nos afflictions il nous apparoist Sauveur, et nous fait sentir qu'il nous est prochain.

Apres que Iob a ainsi parlé, il adiouste, Que l'inique ne prendra point son plaisir au Tout-puissant, et qu'il ne le requerra point tousiours. Quand il dit que l'inique ne requerra point tousiours Dieu, c'est pour confermer ce qui a desia esté touché c'est assavoir que nous ne devons point prier seule ment quand nous n'en pouvons plus, mais que nous en devons faire ordinaire: comme à la verité nous savons bien que nous ne pouvons pas nous passer de Dieu une seule minute de temps. Et defait la grace que nous attendons de luy n'est point seulement qu'il nous delivre de la mort quand nous serons desia comme au bord du sepulchre, mais aussi qu'il nous preserve et destourne le mal de nous. Car nous voyons qu'en ceste vie nous sommes tousiours assiegez d'une centaine de morts, que les miseres ausquelles nous sommes suiets sont infinies. Il faut donc que Dieu nous garde, et qu'il soit nostre muraille et nostre rempar: comme aussi il en parle par son Prophete Isaie (26, 1), Qu'il est nostre forteresse et bouclier, comme tant souvent il est nommé aux Psaumes. Voila donc comme nous devons invoquer Dieu, non point seulement quand il nous touche, et frappe comme à grans coups sur nous: mais alors que nous sommes à repos et à nostre aise, que nous n'appercevons point aucun danger: toutes fois si faut-il que nous regardions à combien de povretez nostre vie est suiette, et qu'estans persuadez que nous n'en pourrions eschapper, sinon que Dieu nous en preservast, nous recourions à luy, pour dire, Helas Seigneur! que tu nous ayes en ta protection, et que par ta providence nous puissions passer parmi tant de morts qui nous environnent. Or cela se doit faire et soir et matin. D'avantage nous savons (sans aller plus loin) les tentations qui nous assaillent iournellement. Et ainsi quand nous prions Dieu, ce ne doit point estre seulement à ce qu'il nous preserve des dangers ausquels nous sommes quant à la vie presente: le principal est qu'il ait sa main estendue pour nous delivrer des tentations de Satan, qu'il ne permette point que nous tombions au mal: comme à chacune minute de temps il y a des cheutes mortelles, ausquelles nous pourrions tomber si nous n'estions soustenus par sa vertu. Ainsi donc regardons le besoin qu'ont les fideles d'estre ainsi defendus et garentis

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de la main de Dieu: car quand Satan ne nous a peu surmonter d'un costé, il a des nouvelles surprinses et devant et derriere: il nous assaut et de costé et d'autre, et haut et bas: il a tant de dards enflammez et ardents, qu'il nous auroit mortellement navrez n'estoit que Dieu nous defendist et preservast. Ainsi donc il n'est point question de prier Dieu seulement une fois le iour, ou mesmes quand la necessité nous y contraindra: mais il faut continuer, et que ce soit un exercice ordinaire.

Et voila pourquoy il est dit; Que l'inique ne priera point tousiours Dieu. Mais il y a encores un poinct que nous devons bien noter: car Iob veut signifier, que quand le meschant quelquesfois fera semblant de prier, neantmoins il ne persiste point en cela, qu'il n'y a point une constance et un fil continuel pour suivre. Et voila en quoy les oraisons des hypocrites different d'avec celles des enlans de Dieu. Car un hypocrite sans examiner son coeur, fera bien ce que feront les enfans de Dieu, en apparence il priera Dieu, et mesmes il cognoistra qu'il a besoin de ce faire: mais si la moindre tentation du monde luy advient, il se despite, et n'est plus question de crier à Dieu: mais il gronde à l'encontre de luy, il escume d'une rage telle, qu'il monstre bien qu'auparavant il n'a rien attendu ny esperé de Dieu et qu'il ne l'a point cerché en droiture de coeur et qu'il n'avoit que feintise. Voila donc comme l'hypocrisie des incredules est descouverte, quand nostre Seigneur ne les traitte pas à leur appetit, mais les tient enserrez en quelque angoisse: car alors ils se despitent à l'encontre de luy. Or au contraire un homme fidele, quand il aura prié Dieu en sa prosperité, et en repos, si Dieu l'afflige, ne laissera pas de perseverer tousiours à le requerir qu'il soit le medecin des pluyes qu'il aura faites. En somme les enfans de Dieu continuent à prier, et ont ceste perseverance la, tellement que combien que Dieu les tormente, et qu'il semble qu'il leur ait tourné le des, et soit sourd à leurs requestes, si continueront-ils neantmoins, et ne se lasseront iamais. Au rebours les incredules apres avoir prié si Dieu ne leur applaudit, et qu'il ne leur gratifie, et face tous leurs desirs, il leur semble qu'ils ont perdu leur temps. Et ainsi nous voyons quelle est la façon de bien prier: c'est en premier lieu que nous n'attendions pas la necessité extreme, mais que nous prevenions plustost, comme il est besoin, prians que nous soyons prevenus par la bonté de Dieu. Voila un Item. Et puis quand nous sommes en affliction et en detresse, que nous ne laissions pas de prier aussi bien qu'en prosperité: car combien qu'il ne semble pas que Dieu alors nous soit favorable, mais plustost que nous estimions selon nostre sens charnel qu'il nous est contraire et ennemi: si est-ce

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qu'il nous faut exercer nostre foy en l'invoquant: et quand il nous semblera que nous n'ayons rien profité en priant, mais que Dieu ait esté sourd à nos requestes, toutes fois que nous persistions, ne nous lassant point: mais quand auiourd'huy nous aurons gemi et souspiré, s'il advient que nous n'ayons point senti d'allegement, que demain nous retournions encores à ce remede. Et defait, voila un malade qui ne s'appercevra point du premier coup de quoy la medecine luy profite: il ne laissera point toutes fois de croire le conseil qu'on luy donnera. Et faut-il que nous adioustions plus de foy aux hommes mortels, qu'à nostre Dieu? Ainsi donc pesons bien ce mot qui est icy couché de prier Dieu tousiours, et penser que ce n'est rien fait si nous allons par bouffees pour demander à Dieu qu'il nous face merci, mais qu'il faut que nous soyons diligens à ce faire, et qu'un chacun se solicite et s'adiourne et soir et matin: Et quoy? povre creature dors-tu icy ? ne cognois-tu pas le besoin que tu as que ton Dieu t'assiste? Et puis quand nous sommes affligez, et que nous endurons mal: que nous ne laissions pas d'invoquer Dieu, et ne perdons point courage, sachans que les afflictions nous tourneront en bien et à salut, et que finalement nous persistions en cela tout le temps de nostre vie. Voire, et que nous ayons une telle perseverance, que nous y soyons importuns: ainsi que nostre Seigneur Iesus nous monstre en la similitude qu'il amene, assavoir, qu'en priant nous ne devons iamais cesser, combien que Dieu ne monstre point par effect que du premier coup il nous ait exaucez.

Or il y a encores, Que le meschant ne prendra point son plaisir en Dieu. Qui est un mot bien notable, et qui contient une bonne doctrine: car icy Iob met la difference entre le plaisir ou la ioye qu'ont les enfans de Dieu et les fideles: et le plaisir que prennent les incredules. En cela nous cognoissons que tous contempteurs de Dieu, tous malins, toutes gens de vie dissolue, combien qu'ils semblent estre les plus heureux du monde, sont malheureux, et qu'il n'y a que toute povreté en eux. Au contraire, combien qu'on estime les enfans de Dieu estre malotrus, povres, et quasi des creatures damnees: toutes fois qu'ils sont bien-heureux d'autant qu'ils prennent leur plaisir en Dieu. Voicy donc un passage digue d'estre bien observé, et souvent reduit en memoire. Il n'y a celuy de nous qui n'appette de se resiouir: mais cependant nous ne cognoissons pas quelle est la vraye ioye, et d'où c'est qu'il nous la faut prendre, et là où il nous la faut rapporter. Et voila pourquoy la ioye de ce monde est maudite par la bouche du Fils de Dieu. Mal-heur sur vous qui riez. Et comment? Dieu veut-il que nous soyons tousiours en melancolie ?

IOB CHAP. XXVII.

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Dieu est-il fasché et offense quand nous avons quelque resiouissance? Et où sont les passages où il est dit, que Dieu ne demande sinon que ici hommes se resiouissent, et qu'il leur donne dequoy pour ce faire? Car il ne se contente pas seulement de les nourrir et substanter, mais il leur donne de superabondant pour les resiouir. Comment donc est-ce que Iesus Christ maudit le ris de ce monde? O c'est pource que les hommes s'enyvrent pour s'esiouir. Et qu'est-ce que leur ioye? C'est qu'ils se mettent en oubli, et se destournent arriere de Dieu: comme nous voyons que la plus part ne se peuvent esiouir sinon qu'ils reiettent Dieu bien loin, se desbordent, et s'adonnent à une telle intemperance, qu'il n'y ait plus ne sens ne raison en eux. D'autant donc que les hommes passent ainsi leur mesure, il faut bien que leur ioye soit maudite. Or d'amener exemple de cela, il n'est la besoin: pleust à Dieu que la chose ne fust pas si cognue ne pratiquee. Mais quoy? Il n'y a celuy qui ne trouve en soy un tel vice. Car quand on parlera de Dieu, nous voudrions que ce fust bien tost despesché: ie di sinon que nostre Seigneur nous ait fait sentir qu'elle est sa douceur laquelle nous trouvons en luy: car celuy qui a une fois gousté cela, ne se peut saouler qu'on parle de Dieu: il preferera à tous les plaisirs de ce monde de mediter en Dieu et y penser. Mais ceux qui sont adonnez à leurs vanitez, il est certain que iamais n'eschapperont assez tost quand on leur parle de Dieu. Et pourquoy ? Ce leur est matiere de melancolie. Et defait nous voyons comme et en banquets et on propos, et choses semblables, si on fait mention de Dieu, ce n'est que pour tout fascher. Ne trouvons point donc estrange, que Dieu prononce ceste malediction horrible sur la ioye de ce monde, veu qu'elle est ainsi perverse, qu'elle se desbauche hors du bon chemin, et qu'elle n'a nul but certain, qu'elle ne nous peut faire resiouir sinon en tonte dissolution et intemperance.

Ainsi donc revenons à ce qui est dit en la Loy: Tu t'esiouiras en la presence de ton Dieu. Ceste doctrine emporte beaucoup de s'esiouir en la presence de Dieu. Or cela ne se peut faire, que nous ne cognoissions que tous les biens que nous avons nous procedent de luy, et qu'il nous les elargit, afin que nous le tenions pour nostre Pere, et que nous luy en rendions action de graces: et puis que nous cognoissions, pois qu'il est la fontaine de tous biens, qu'il nous faut adherer à luy. Bref, ceux qui s'esiouissent en la presence de Dieu, ils ne s'attachent point au: creatures, ny a toutes ces choses corruptibles: mais ils cognoissent qu'il faut tout attribuer à la bonté paternelle de Dieu, et reçoivent les biens qu'il leur distribue pour estre confermez en son amour et en sa grace. Voila

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que c'est de se resiouir en la presence de Dieu. Au contraire, que sera-ce des incredules? Comme desia nous avons dit, iamais ne peuvent rire, ny avoir bon temps, qu'ils ne soyent comme separez de Dieu, et qu'ils ne luy ayent tourné le des, mesmes qu'ils ne l'avent mis en oubli. Or ceste ioye telle est bien maudite. Et ainsi nous voyons maintenant quel est le propos de Iob: car il iuge de la felicité des hommes comme il faut, il ne s'arreste point en ce qui apparoist: car il en adviendra ainsi que mesmes les Payens ont bien seu dire de ceste felicité imaginaire, que c'est comme des belles peintures. Voila un marmouset qui est de bois: or il sera bien doré par dessus, il reluit à merveilles, mais dedans il sera mangé on des tignes, ou des autres vermines: ainsi en est-il donc de tous ces braves mondains, qui se rient ainsi de Dieu pour s'esiouir. Car ils pourront avoir et credit et richesses et voluptez: on estimera donc que leur vie soit la plus heureuse du monde: mais cependant ils sont rongez là dedans, et leur mauvaise conscience est comme un bourreau qui ne cesse de les tormenter, ils ne savent où ils en sont. Et puis qu'ils ne peuvent invoquer Dieu, il faut qu'ils n'esperent point misericorde de Luy, qu'ils n'ayent nulle certitude: mais qu'ils soyent tousiours en tremblement, pource qu'ils ne savent combien cecy leur dura: bref, il faut qu'ils soyent stupides, et semblables à des bestes brutes. Or au contraire, on verra que les fideles s'esiouissent mesmes en aflliction. Car quand nous aurons regardé à Dieu, et contemplé sa face paternelle envers nous: ce seul mot nous console, quand il proteste qu'il ne nous affligera point outre nostre portee, mais qu'il donnera bonne issue à tous nos maux: et que quand nous les aurons porté en patience nous sentirons qu'ils nous ont profité à salut, d'autant qu'il nous estoit expedient et utile d'estre chastiez de la main de nostre Pere, afin qu'il nous retirast des vanitez de ce monde. Maintenant nous voyons ce que i'ay desia touché, c'est assavoir, que combien que les incredules ayent tout ce qu'on a accoustumé de souhaitter, cela n'est rien que vanité et mensonge: et au contraire, les fideles, combien qu'ils soyent opprimez de beaucoup d'afflictions, ne laissent pas d'estre bien-heureux, d'autant qu'ils invoquent Dieu, et peuvent se resiouir en luy pource qu'ils cognoissent qu'il leur est propice, et qu'il les chastie en telle sorte qu'il leur convertit le tout en bien.

Or cependant retenons ce qui a este dit, c'est assavoir, comme on se droit resiouir. Il est vray que nostre Seigneur nous donne matiere et occasion de nous resiouir, quand nous avons du pain à manger, et Ie vin pour boire, et les autres biens propres pour ceste vie. Car il y a de diverses

SERMON XCIX

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sortes de ces largesses que Dieu nous envoye: comme quand il donne lignee à un homme, quand il luy envoyera des biens, qu'il le fera prosperer en d'autres choses semblables, voila tousiours matiere de resiouissance. Mais comment est-ce qu'il nous faut resiouir ? En la presence de nostre Dieu, comme nous avons allegué. Voulons-nous donc nous resiouir tellement que Dieu benisse nostre ioye, et l'approuve, et que ce soit comme en sa presence? Que nous regardions à Dieu, que nous cognoissions que c'est de luy que nous tenons tout bien, pour luy en faire hommage: et puis, que nous ayons telle attente en luy, que nous apprenions de ne nous point amuser aux choses presentes, et n'y point mettre nostre affection: que comme nous savons que ce monde passe, nous sachions aussi qu'il ne nous y faut que passer, voire bien viste, sans nous y attacher, mais tendre tousiours à Dieu comme à nostre vray but.

Or Iob adiouste consequemment, Qu'il enseignera ce qui est en la main de Dieu, et ce qui est vers le Tout-puissant. Et mesmes il adiouste que ses amis estoyent bien desprouveus de sens, quand ayans veu toutes ces choses, neantmoins ils parloyent à l'estourdie, comme nous l'avons veu cy devant. Or desia Iob a suffisamment distingué entre les enfans de Dieu et les incredules: monstrant qu'il ne faut point iuger' que la vie de l'homme soit heureuse par ceste apparence qui ne se monstre que pour un iour, ou pour peu de temps: mais qu'il faut entrer au dedans, et sonder ce qui est au coeur: et que mesmes il faut venir à ceste esperance qui est en la mort, que quand les hommes vivent icy bas, s'ils sont conioints à leur Dieu, et qu'ils l'invoquent, et y ayent leur refuge, et s'adonnent à luy, qu'ils s'esiouyssent en sa bonté, et qu'en la mort ils se puissent remettre en sa garde, et luy recommander leur esprit, sachans qu'ils sont a sauveté estans en sa main: voila ceux qui sont bien-heureux. Au contraire, ceux qu'on estime honorables, qui sont en dignité, en delices et voluptez, que ceux-la sont tousiours mai-heureux: d'autant qu'ils se separent de Dieu, qui est la fontaine de tout bien: et quand ce vient à la mort, ils n'esperent point en luy, nais Sont trainez comme par force, au lieu qu'ils se devroyent remettre paisiblement entre ses mains. Iob donc a suffisamment distingué tout cela: mais il veut encores mieux: confermer son propos: et pourtant il use de ceste preface, qu'il monstrera ce qui est en la main de Dieu, et ce qui est vers le Tout-puissant: et continue ce propos qu'il avoit desia tenu, c'est assavoir, qu'il ne nous faut point arrester icy bas quand nous voudrons bien iuger: mais que par foy nous devons passer outre ce monde, et qu'il nous faut contempler les iugemens de Dieu d'une autre façon. Car voila

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en quoy les adverses parties de Iob s'estoyent trompees, C'est assavoir qu'ils iugeoyent selon l'estat present, et se vouloyent arrester à ces choses basses. Iob donc monstre qu'il nous faut venir à la main de Dieu: voire, et qu'il nous faut noter que ses iugemens sont secrets: comme s'il disoit, ceux qui s'arrestent seulement à ce monde, et qui regardent comme les choses sont disposees auiourd'huy, ceux la auront tousiours un iugement pervers et confus. Et pourquoy ? Car nostre Seigneur nous appelle à soy, et nous declare, que combien qu'il execute ses iugemens en partie, et qu'il nous les manifeste en sorte que nous en pouvons appercevoir quelques signes, toutes fois qu'il se reserve en sa main beaucoup de choses: comme un prince ne desployera point tout son conseil, il fera des edicts autant qu'il cognoistra estre propre pour le regime de son peuple: un homme aussi en sa maison dira ce qui est pour le mesnage, mais il retient par devers soy le reste qui ne seroit point profitable à declarer.

Or si les hommes mortels se donnent une telle liberté, et que sera-ce de Dieu? Faut-il que nostre Seigneur nous monstre icy toute sa iustice et sagesse, et que ses iugemens nous soyent tous cognus et notoires, et qu'il ne luy reste rien par devers soy? Où seroit-ce aller? Nous voyons donc maintenant quelle est l'intention de Iob. Il redarguë l'orgueil pervers des hommes, de ce qu'ils veulent enclore la puissance et iustice et sagesse de Dieu en l'estat present du monde tel comme il se peut appercevoir. Iob à l'opposite, Non, non dit-il: c'est à la main de Dieu qu'il nous faut regarder pour cognoistre ce qui est devers luy. Et comment le cognoistrons nous? par f y: et non point de nostre sens naturel. Car iamais nous ne parviendrons si haut, mais par foy nous pourrons contempler que Dieu se reserve beaucoup de choses, et se les reserve tellement qu'il nous faut estre patiens quand nous voyons que tout est confus et en trouble, et que nous attendions iusques à ce que Dieu nous face voir ce qui maintenant nous est caché. Ainsi nous voyons quelle doctrine nous avons à recueillir en somme de ce passage: c'est assavoir que nous devons faire tellement nostre profit de toutes les oeuvres de Dieu cependant que nous vivons en ce monde, que nous les puissions appliquer à nostre usage. Comme pour exemple, quand nous voyons, Voila Dieu qui se monstre misericordieux en cest endroit, il se monstre rigoureux la: que nous soyons instruits de nous fier en sa bonté, et de cheminer en sa crainte: mais que nous regardions tellemens ses oeuvres apparentes, que cependant nous sachions qu'il se reserve ce qui n'apparoit point encores. Et comment? Maintenant les bons sont affligez, et encores qu'ils ayent leur recours à luy, il ne semble point qu'il les vueille secourir. On voit que les plus simples,

IOB CHAP. XXVII.

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et ceux qui ont vescu sans faire tort à nul, sont tormentez iusques au bout, et comme exposez en proye, et Dieu ne fait point semblant de les delivrer: au contraire, les meschans triomphent, ils s'endurcissent en leurs maux, et leur semble qu'ils peuvent despiter Dieu sans crainte: et Dieu dissimule tout cela. Or toutes fois ne soyons point troublez et scandalisez voyans les choses en tel desordre, et que Dieu n'y met point remede du premier coup. Et pourquoy? Il nous faut reduire en memoire ce qui est icy declaré que Dieu a beaucoup de choses en sa main qu'il retient à soy. Pourquoy le fait-il? Quand nous ne saurions point la raison, si nous faut-il humilier: car toute nostre vraye sagesse est de nous assuiettir à la bonne volonté de nostre Dieu. Mais encores puis qu'il veut par cela exercer nostre foy, et qu'il veut que nous apprenions que c'est de patience par pratique, ne refusons point d'assuiettir là toute nostre apprehension. Au reste puis que Dieu nous declare ses oeuvres en partie que nous ne soyons point si aveugles de ne voir goutte à ce qui est tout patent: car il ne faut pas

que nous fa ions trop longue inquisition pour avoir quelque goust de ces choses: quand nous voudrons regarder, il y a assez pour y estre enseignez. Ainsi donc que nous ne fermions point les yeux à nostre escient, que nous ne facions pas comme ceux dont parle icy Iob, de nous esvanouir en vanité: quand Dieu nous resveille, sachons qu'il veut que nous cognoissions tellement ses oeuvres, que nous luy attribuions l'honneur qui luy appartient, et que nous ne nous arrestions point aux choses presentes, mais que nous venions à conclure qu'il y a un iugement qu'il nous faut esperer, et que là les choses seront remises en leur estat. Et pourtant ne nous esvanouissons point en vanité, c'est à dire ne soyons point destournez ne distraits par les choses de ce monde, mais recueillons-nous en l'esperance que Dieu nous propose, c'est assavoir que Iesus Christ viendra pour nous recueillir à soy, et que là nous verrons que ce n'est point en vain que nous avons esperé en luy, et en Dieu son Pere.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE CENTIESME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XXVII. CHAPITRE.

13. Voici quelle est la portion du meschant envers Dieu, et l'heritage que reçoivent les pillars du Tout-puissant. 14. Si ses enfans sont multiplier, ils seront au glaive: et sa posterité ne sera point saoulee de pain. 15. Leur residu sera enseveli en perdition: et leurs vefves n'en pleureront point. 16. S'ils amassent l'argent comme poudre, et l'or comme bouë: 17. Le iuste s'en vestira, et l'innocent partira son argent. 18. Il edifiera sa maison, comme la tigne, et comme le messier fait sa loge. 19. Quand le riche dormira, il n'amassera rien: il ouvrira ses yeux, et rien n'apparoistra.

Il semble bien de prime face que Iob parle icy un autre langage qu'il n'avoit fait, qu'il se desdise, et s'accorde avec sa partie adverse: neantmoins nous avons desia veu que son intention n'est pas telle. Comment donc prendrons-nous ce qui est icy dit? Car voila pourquoy il a debatu avec ceux qui estoyent venus pour le consoler, assavoir que Dieu ne fait point tousiours ses chastimens eu ce monde tellement qu'on puisse discerner à l'oeil, et qu'on voye tout. Maintenant il tient les mesmes

propos que les autres avoyent tenu: mais notons qu'icy Iob ne parle pas de son sens, mais il pose le cas qu'il soit ainsi que les autres ont dit, voire en partie. Et defait nous verrons au chapitre suivant, comme il renverse ces choses, et monstre en somme (comme desia par cy devant il avoit dit) que les iugemens de Dieu nous sont cachez, et incomprehensibles: car il fera une comparaison de l'or et de l'argent avec la sagesse. Combien que l'or devant qu'on l'ait purgé soit un metal plein d'ordure, et qu'à grand' peine on le cognoist pour le priser, et qu'autant en soit-il de l'argent, combien aussi qu'il soit difficile de trouver les veines, d'autant qu'elles sont confuses en terre: tant y a qu'encores trouve-on les mines de l'or et de l'argent: mais de la sagesse, elle habite plus loin des hommes, on ne la trouvera point en cavant en bas, et ne pourra-on parvenir si haut qu'on l'ait, sinon que Dieu la donne. Par cela Iob signifie que c'est une sagesse trop difficile à nous, de comprendre les iugemens de Dieu, et ne faut pas que nous en facions une regle certaine, comme si auiourd'huy nous en avions une parfaite cognoissance et entiere.

SERMON C

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Ainsi donc nous voyons en somme que Iob ne se contrarie point, et qu'il ne condescend pas au propos et à la doctrine de ceux ausquels il a resisté cy dessus: mais plustost il recite que ce qu'ils ont dit est vray en partie, mais non pas du tout, pource que les iugemens de Dieu ne s'executent pas ordinairement durant ceste vie presente: nous en avons bien quelque signe, mais c'est tout. Maintenant nous voyons quelle est l'intention de Iob: mais il reste de faire nostre profit de ceste doctrine. Nous avons donc deux choses à noter en ce passage: l'une c'est, que ce qui est icy contenu est une declaration des chastimens que Dieu fait sur les meschans: voire quand il luy plaist de les punir en ceste vie transitoire. Mais pour le second nous avons à noter, que Dieu differe telles corrections quand bon luy semble, et les reserve tellement qu'elles n'apparoissent point en ceste vie presente: et qu'il ne faut point que nous soyons troublez par cela, comme si Dieu estoit endormi pour ne point faire son office: car il sait pourquoy il dilaye: la raison nous est incognue: mais tant y a qu'il luy plaist ainsi faire, et sa volonté est la regle de toute equité et droiture.

Voila donc les deux poincts où il nous faudra reduire tout ce qui est ici contenu. Or quant au premier, notons (comme i ay desia dit) que Dieu non sans cause a menacé les meschans, et les transgresseurs de sa Loy, de les chastier en telle façon, voire qu'ils auront leur portion et heritage vers luy. Par cela entendons que si les hommes demeurent impunis icy bas, et qu'il n'y ait personne qui se venge de leurs malefices, des violences et extorsions qu'ils auront faites: Dieu est là haut qui ne leur faudra point. En la fin donc ils viendront à conte, et cela leur sera conte portion et heritage: car combien qu'ils ne soyent point punis du premier iour, si est-ce qu'en la fin Dieu y besongne. le di suivant ce que i'ay desia declaré: non point qu'il en faille faire une regle generale, mais souvent il en adviendra ainsi. Apprenons donc de regarder à Dieu en toute nostre vie, et ne pensons point estre quittes, quand nous serons eschappez de la main des hommes, et ne nous flattons point là dessus comme si nous avions beaucoup gaigné: mais regardons à cest heritage que Dieu declare avoir appresté à ceux qui auront ainsi mal vescu. Tout ainsi qu'un enfant ne possedera pas du premier iour le bien de son pere, mais avec le temps il en sera seigneur et maistre: ainsi à l'opposite Dieu ne punit pas incontinent les meschans quand ils l'ont offensé: mais en la fin si est-ce que leur possession leur est gardee, et leur demeurera certaine comme un heritage qui ne leur peut faillir Voila pour un Item.

Or maintenant il est dit, Que si leurs enfans

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sont multiplie, ils seront au glaive, et que leur posterité sera ruinee, qu'elle sera ensevelie en perdition sans qu'il y ait remede. Par ces mots entendons que Dieu non seulement punit les meschans et les contempteurs de sa maiesté en leurs personnes propres, mais este vengeance s'estend iusques aux enfans. Il est vray que nous trouverions cecy estrange à nostre sens: mais il a desia esté declaré cy dessus, comme Dieu peut punir les enfans des meschans sans leur faire tort. Et pourquoy? Nous sommes tous maudits en Adam, et n'apportons que condamnation avec nous du ventre de la mere. Si donc Dieu nous laisse tels que nous sommes, desia nous sommes destinez à perdition et grans et petis. Quand Dieu raclera tout le monde, et qu'il l'abysmera, le pourra-on accuser de cruauté? Non: car ce qu'il nous traitte doucement, cela vient de sa pure bonté, et non pas qu'il y ait aucun merite. Quand il retire sa grace de la lignee des meschans, et que pour punir les peres il enveloppe les enfans en semblable perdition, et que d'autant qu'un pere ce sera desbauché de plus en plus, il faudra que les enfans accomplissent l'iniquité de leurs peres, et qu'elle soit reiettee comme en leur giron, ainsi que dit l'Escriture: ne trouvons point cela estrange, car Dieu sait pourquoi il le fait. Vrai est que si nous en voulons disputer à nostre phantasie, nous cuiderons bien avoir quelque raison, qu'il ne se doit pas ainsi faire: mais c'est une audace diabolique de vouloir mesurer les oeuvres de Dieu à nostre raison et intelligence. Et cependant aussi retenons ce qui a esté declaré, c'est assavoir, que tout le genre humain est perdu et damné en soi, et que Dieu en peut disposer à la rigueur sans qu'on lui en reproche rien: car nostre salut n'est pas de nous, et quand Dieu nous en certifie, ce n'est pas pour nostre dignité ou merite: mais c'est de sa pure misericorde, comme nous avons declaré. Et ainsi voyons nous que Dieu doit estre glorifié en ceste rigueur qu'il exerce contre les meschans, quand il les punit en la personne de leurs enfans. Or ceci est pour donner plus grande frayeur à tous contempteurs de Dieu, quand ils sont menacez qu'ils seront persecutez iusques à leur lignee: comme au contraire quand nostre Seigneur dit, qu'il sera benin et pitoyable pour faire misericorde en mille generations à ceux qui l'aiment. et qui lui obeissent. Par cela il nous veut mieux certifier en l'amour infinie qu'il nous porte. Car quand nous cognoissons, que Dieu ne se contente pas de nous aimer et de' nous tenir pour ses enfans: mais qu'il daigne bien appeller nostre lignee à cause et en faveur de nous: ne voila point un argument d'une singuliere bonté ? N'avons-nous point occasion de nous resiouyr tant plus en nostre Dieu, veu que non seulement il nous reçoit à soi: mais qu'il fait

IOB CHAP. XXVII.

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aussi nos enfans participans de ceste grace? Au reste pource que les hommes sont durs à l'esperon, et qu'ils ne plient pas aiseement quand Dieu les menace: voila pourquoi il prononce, que quand il les aura punis en leurs personnes, il faudra que ceste rigueur vienne iusques sur leur lignee, et que mesmes apres leur trespas il ne laissera point de monstrer combien il les a hays et detestez, quand il persecutera leur lignee. Quand cela est dit, il faut bien que les meschans (et fussent-ils plus durs que pierre) ayent une terrible frayeur. Comment? Quelle sera la vengeance de Dieu sur nous, veu que nos enfans mesmes y seront enveloppez, et que les esclas mesmes en voleront iusques apres nostre trespas? S'il faut qu'à cause de nous nostre lignee perisse, quelle est nostre perdition, et combien sera-elle espouvantable? Voila donc pourquoi notamment nostre Seigneur menace les meschans de les punir iusques à leurs enfans: c'est afin que nous soyons touchez plus au vif de crainte, veu que les hommes de nature sont stupides et endurais.

Or venons maintenant à ce qui a esté touché au commencement, c'est assavoir que le iugement se peut appercevoir, mais non pas tousieurs. Nous verrons donc les enfans des meschans estre tantost fondus: s'ils ont des biens, cela s'escoule: et quand il avoit semblé qu'ils eussent pour se bien nourrir et grassement on est esbahi qu'on voit que tout cela est dissipé, et ne sait-on comment, sinon qu'on le voit. Ainsi quand nous serons attentifs aux iugemens de Dieu, nous pourrons bien voir par experience que ce n'est point en vain que l'Escriture dit, que Dieu chastiera les meschans en leur lignee. Voila un homme qui aura esté toute sa vie en torment et en peine pour amasser des biens: et. de fait il aura fait un gros amas, et semblera que iamais les richesses ne doivent faillir à ses successeurs: et en moins de rien tout cela est consumé. quoi peut-on attribuer un tel changement, ni à quelle cause, concluons que c'est Dieu qui y met la main. Pourtant ne soyons point aveugles quand nostre Seigneur besongne ainsi: mais apprenons de recevoir instruction de tels exemples, afin que nous ne soyons point transportez d'avarice et que nous ne cuidions poit que la felicite des hommes consiste à amasser beaucoup: ainsi plustost prisons la seule benediction de Dieu, comme c'est celle qui nous nourrit, comme c'est celle qui continuera à nourrir nos enfans. Si Dieu a sa main estendue pour nous substanter, voila nostre suffisance, prions-le qu'il y persevere: et ainsi que nous le sentons Pere benin envers nous, que nous sachions qu'il ne defaudra point à nos enfans apres nostre trespas. lais pource que les meschans mettent si grand' peine à s'enrichir, les richesses

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qu'ils auront amassees seront cause de mettre leurs enfans en plus grande perdition que les peres: quand ils cuident faire merveilles en gaignant beaucoup, ils ne font que filler des cordeaux à leurs enfans pour les ruiner Car s'ils leur eussent fait apprendre quelque simple mestier pour cheminer en bonne conscience, ce leur eust este un bon heritage: mais quand ils possedent, les voila aveuglez, tellement qu'ils s'adonneront à tout mal, et faut que les richesses soyent occasion de les rendre detestables et à Dieu et aux hommes. Car Dieu ne peut porter leur orgueil: et les hommes aussi sont irritez contre eux, pource qu'en se confiant de leurs richesses ils entreprenent et font violence et nuisance à chacun. Il faut donc que Dieu s'attache à l'encontre d'eux. Et puis sont-ils accoustumez à friandise et à yvrongnerie? ils ne s'en peuvent passer: et cela est cause en la fin de les faire abandonner à tout mal: et selon que l'iniquité croist et s'augmente, aussi faut-il que la vengeance de Dieu s'enflamme tant plus, et qu'elle meurisse. Notons bien donc quand nous voyons de tels changements, et que les biens qu'ont acquis meschamment les peres, se dissipent et s'esvanouyssent entre les mains des enfans: que Dieu par cela nous monstre que ce n'est point en vain qu'il a denoncé telles menaces. Voila pour un Item.

Mais cependant aussi notons (comme i'avoye commencé à dire) que cela n'est point perpetuel: car quelquesfois Dieu ravira le bien des iustes et de leurs enfans, tellement qu'ils en seront despouillez. Et pourquoi le fait-il? La raison qu'il a secrette par devers lui nous est incognuë: mais tant y a que nous cognoissons que c'est pour leur bien: car par ce moyen il les veut exercer en patience, ou il leur veut oster l'occasion de s'endormir ici bas: ou, bref, il leur veut donner comme une purge, ou saignee, pource qu'il voit bien que l'abondance qu'ils possedent leur seroit comme une superfluité nuisible. Quand on tirera le sang d'un homme, il semble que ce soit pour lui mal-faire: et de fait voila comme un brigand tuera un homme: mais tant y a qu'un medecin tirera le sang pour la santé du malade, et le fait pour bonne cause. Ainsi il adviendra quelquesfois que Dieu privera les iustes du bien et de la substance qu'il leur aura donnee, ou il appovrira leurs enfans: et ne le fait pas qu'en cela il vueille que nous cognoissions quelque punition: mais tout au rebours, c'est (comme i'ai dit) une purge de laquelle il use envers les siens: par cela aussi il les retire, pource qu'ils pourroient estre enveloppez aux biens de ce monde, et que cela seroit cause de leur perdition et de toute leur lignee. Voila comme ce iugement duquel nous avons parlé par ci devant, n'est point perpetuel: et ainsi n'en faisons point une regle

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generale qui n'ait nulle exception. Mais revenons à ce que nous avons tant souvent dit, et ce qui sera encores declaré au chapitre suivant, c'est assavoir que les iugemens de Dieu ne seront pas tousiours visibles: et que nous ne les pourrons pas marquer, pour dire, Dieu fait tousiours en ceste sorte. Ainsi donc quand Dieu aura puni un homme, soit en la personne de lui, ou en son lignage: que nous regardions à un tel exemple pour en faire nostre profit: s'il dissimule envers les autres, et qu'il ne les punisse point du premier coup, attendons en patience que le iour du Seigneur luise. Car estans en ce monde nous sommes comme en tenebres, les choses sont encores obscures: mais à la venue de nostre Seigneur Iesus Christ tous les livres seront ouverts, et les registres, il n'y aura plus rien de cache: attendons ce iour-là en patience. Et au reste quand Dieu nous affligera, voire tellement que nous pourrons estimer qu'il nous haysse, et nous persecute comme un ennemi mortel: ne laissons pas pourtant de nous humilier sous lui, et cognoistre que par ce moyen-là il nous veut attirer à soi: et souffrons d'estre traittez de sa main comme bon lui semblera, advisans de n'estre point par trop addonnez à nostre phantasie. Car que seroit-ce si chacun avoit sa vie en sa main, pour dire, le veux qu'ainsi soit, cela sera ainsi fait: où seroit nostre obeissance? Et puis regardons quelle sagesse il y a en nous pour appeter ce qui nous est bon: tout au contraire nous sommes tentez de souhaitter ce qui ne sert qu'à nostre ruine. Voila donc pourquoi nous avons à nous retenir en bride, et nous remettre du tout à la bonne volonté de nostre Dieu.

Or il s'ensuit: Que quand le meschant aura amassé de l'or comme la poudre, de riches accoustremens, tapisseries' et choses semblables, tout ainsi que de la terre, le iuste s'en revestira. Ceci pourra advenir souventesfois, et quand il adviendra nous ne devons point estre aveugles, que nous ne cognoissions la main de Dieu pour en faire nostre profit Il est dit, que l'homme aura beau se tormenter, se lever matin, se coucher tard, qu'il n'advancera point, mais reculera plustost, si ce n'est que Dieu le benisse: au contraire qu'il donnera à ses fideles comme en dormant tout ce qui leur est propre. Voila une menace, voila une promesse. Nous voyons que ce n'est point en vain qu'il a parlé ainsi: car il fera prosperer les fideles, et quelquesfois il les advance tellement que les biens leur croissent entre les mains: apres nous verrons qu'il y en aura beaucoup qui ne cessent d'amasser toute leur vie, et cependant Dieu les ruine soudain, en sorte que quand ils auront prins beaucoup de peine, tout s'escoule. Nous voyons cela: mais est-ce tousiours? Nenni. Ainsi donc apprenons de contempler les iugemens de Dieu temporels en

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telle sorte que nous ne l'astraignions point à faire tousieurs de mesme: car il y a grande diversité entre ce qui concerne la vie presente, et les secrets iugemens de Dieu. Tout ainsi il en faut iuger des promesses: car il y a des promesses qui sont pour la vie presente. Or nous ne verrons point ces promesses-là tousiours accomplies d'un fil esgal, mais selon que Dieu cognoit qu'il est expedient Touchant des promesses spirituelles qui appartiennent au salut de nos ames, elles sont certaines, il faut conclure que Dieu ne nous y defaudra iamais. Ainsi donc distinguons entre ce qui est de ceste vie caduque, et ce qui est de la vie celeste, et du royaume eternel de Dieu. Or quant à la vie presente, il est vrai qu'en general nous pouvons bien attendre que Dieu nous y guidera, et que tant qu'il nous y voudra tenir, nous serons substantez par sa bonté, et que nous serons soubs son ombre et soubs sa protection: mais nous ne pouvons pas determiner en particulier s'il nous donnera des biens abondamment, s'il nous donnera santé, s'il nous delivrera de la main de nos ennemis, s'il nous aidera par tel moyen ou tel: nous ne pouvons pas rien specifier de ces choses, il nous faut avoir les yeux bandez: car aussi Dieu veut que nous soyons ici en combat. Mais au reste, nous ne pouvons tomber que sur nos pieds, comme on dit: car toutes les afflictions de ce monde n'empescheront pas que Dieu ne nous conduise au salut qu'il nous a promis, et auquel il nous appelle. Ainsi en est-il des punitions. La malediction de Dieu est tousiours sur les meschans (il est certain) et combien qu'ils soyent riches, qu'ils triomphent, et soyent en credit et honneur: si est-ce qu'ils ne peuvent invoquer Dieu, et pourtant ils n'ont point de repos en leur conscience, mais ils sont en inquietude continuelle, et ne peuvent adoucir leur mal par la cognoissance de la bonté de Dieu: car ils n'en ont point de goust, comme il en fut hier traitté. Ainsi donc combien que Dieu n'execute pas à veuë d'oeil sa vengeance sur les meschans, si est-ce qu'ils ne laissent pas d'estre maudits au milieu de leur felicité: mais quant à la punition derniere, elle ne leur peut faillir, il faut qu'ils viennent là apres avoir bien dilayé. Et mesmes quand ils auront vescu long temps, tellement qu'on pensera que Dieu leur soit favorable, et qu'il leur vueille complaire en tout et par tout: cela leur est beaucoup pire que s'ils avoyent esté chastiez en ce monde: car il faudra payer un escot bien cher de ce qu'ils auront gourmandé les biens de Dieu, et este enyvrez en toute intemperance, et abusé de sa douceur et patience, et qu'ils se seront mocquez de lui, de sa doctrine, et de toute religion. Ainsi donc la derniere punition que Dieu prononce sur les meschans ne leur peut faillir: mais en ce monde il se pourra

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bien faire qu'ils ne seront pas du premier coup punis, voire que nous puissions appercevoir.

Or venons maintenant à ce que dit Iob: Les meschans amasseront, dit-il, l'argent comme la poudre. Car Dieu permet, pour mieux declarer sa vengeance, que les meschans s'enrichissent, tellement qu'il semble qu'ils soyent des gouffres qui engloutissent tout le bien du monde. Et de fait si un homme meschant ne profitoit gueres, on n'appercevroit pas si bien la punition dont il est ici parlé, que quand il est enrichi, et qu'il a amassé beaucoup, et puis qu'il n'en peut iouyr. Si on demande à ceux qui prennent tant de peine à amasser des biens, quelle est leur intention, O ie ne sai ce qui me peut advenir: car ie deviendrai vieil, et i'aurai besoin d'estre secouru, il advient beaucoup d'accidens aux hommes, i'aurai au moins dequoi pour me subvenir en la necessité: et puis, i'ai des enfans, et ie ne les veux point laisser povres. Voila que respondront ceux qui mettent tant de peine à s'enrichir. Voire, mais cependant nous voyons qu'ils ne peuvent iouyr de ce qu'ils ont amasse: soit que d'eux-mesmes ils s'en privent (comme il y en a qui sont si chiches qu'ils se portent envie du bien qu'ils se font, et qu'ils n'osent pas se secourir de leur bien quand ils en ont faute) ou bien que Dieu leur retire le bien des mains: comme il advient par fois, qu'apres qu'il les aura laissé avoir la vogue, en un moment les voila despouillez, et voit-on que eux et leur lignee sont appovris, et ne sait-on comment. Nous voyons donc ceste menace estre executee sur beaucoup, c'est assavoir, que les meschans amasseront et argent, et or, et meubles, et que cependant les bons viendront finalement à en estre revestus. Vrai est que les enfans de Dieu, d'autant qu'ils cheminent en simplicito et droiture, peuvent avoir faute de beaucoup de choses, et semble que la povreté les menace de les saisir du iour au lendemain: mais Dieu y prouvoit en sorte qu'ils passent tousiours leur chemin. Nous voyons donc que les bons seront revestus de la despouille des meschans: mais cependant d'en faire une regle certaine, et d'obliger Dieu à cela, et que seroit-ce? Pourtant il nous faut retenir tousiours, que les iugemens de Dieu ne sont point notoires et visibles pour les marquer à l'oeil. Quand nous voyons un homme riche meschant, nous sommes scandalisez, Et qu'estce que ceci veut dire ? Quand nous voyons les meschans et contempteurs de Dieu estre en honneur: Ô il nous semble que Dieu ne gouverne point le monde, et que les choses se conduisent par fortune. Voila donc la foi qui est du tout aneantie, quand nous voudrons mesurer les iugemens de Dieu par ce que nous pouvons maintenant voir à l'oeil. Et ainsi apprenons de nous tenir en

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suspens: voire, si Dieu arrache le bien de la main des meschans, cognoissons qu'il accomplit ceste menace dont nous oyons ici parler: s'il ne le fait pas, notons qu'il se reserve l'execution de son iugement iusques au dernier iour, et qu'il ne veut pas amener les choses maintenant à perfection, afin de nourrir nostre esperance: et que nous ne soyons point addonnez à ce monde, que nous ne cerchions point nostre felicité ici bas comme en un paradis: mais que nous ayons nos yeux eslevez en haut, et que nous passions tant plus legerement par ici bas comme par un chemin, et que nous cognoissions que nous sommes voyagers et vagabons en ce monde, et pourtant qu'il nous faut tousiours aspirer à cest heritage celeste et permanent.

Autant en est-il de ce qui s'ensuit, c'est assavoir, Que l'inique edifiera sa maison comme une tigne, et que ce sera comme la loge d'un messier, de celui qui garde les vignes. Quand les incredules et contempteurs de Dieu bastissent, il leur semble qu'ils y habiteront mille ans apres leur mort: car par cest orgueil qu'on voit aux edifices que font les contempteurs de Dieu, ne monstrent-ils pas qu'ils imaginent ici une immortalité? Il leur semble qu'ils prolongeront leur vie par leur palais: quand une maison sera pour durer mille ans, un homme se fera à croire que sa maison est attachee à lui, et que par ce moyen il sera renomme. Or Dieu se moque d'une telle outre cuidance. Pour ceste cause Iob accompare les maisons des meschans à la maison d'une tigne. Comment? Une tigne corrompra et gastera tout pour se loger, elle mangera un drap, elle mangera une fourrure, elle rongera tout ce qu'elle trouve: bref, il faut qu'une tigne se loge aux despens et au dommage d'autrui, et qu'il n'y ait cependant que corruption et vermine en son logis. Quand un messier fait sa loge pour garder les vignes, il n'est question que de trois mois: quand on a vendangé, voila la loge qui s'en va bas: et encores qu'on ne la iette point, si est-ce que d'elle mesme elle tombe. Ainsi maintenant il est dit, que les meschans feront de beaux palais, et quand ils edifient ainsi, il leur semble bien que c'est pour y demeurer tousiours. Mais quoi? Que sont-ils eux? comme une tigne, c'est à dire qu'ils n'ont que corruption, et faut qu'avec eux ils apportent tousiours cela. Puis qu'ainsi est, Ô leur logis ne sera point de longue duree. Il est vrai qu'ils feront monstre pour un temps: mais cependant nostre Seigneur abbatra leurs maisons tellement qu'ils n'y seront point long temps. Voila donc un iugement de Dieu notable qu'il execute sur ceux qui se veulent ainsi faire valoir en ce monde: et quand nous en voyons des exemples, nous les devons bien observer, et sur cela estre enseignez de ne nous point arrester à ce monde, et de ne point

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bastir par fraude, par iniquitez par rapines. Si nous sommes logez, que ce soit du bien que Dieu nous a donné: et ceux qui sont bien logez, qu'ils ne s'enyvrent point en leurs cupiditez pour faire ici leur nid: car toutes fois et quantes que les hommes font leur nid en terre, cela n'empeschera point que Dieu ne les arrache. Gardons-nous bien donc de faire un nid ici bas, comme il en sera parlé au chapitre vingtneufieme, que Iob avoit fait son conte de iamais ne changer de condition. Or les hommes en se promettant une telle perpetuité s'abusent, et Dieu se moque aussi de leur folle presomption. Et ainsi quand les fideles seront logez à propos, que toutes fois ils se tiennent comme estrangers en ce monde, et qu'ils soyent tousiours prests d en partir quand il plaira à Dieu. S'ils n'ont point les commoditez qui seroyent à souhaitter, qu'ils passent outre, et qu'ils cognoissent que Dieu les advertit à venuë d'oeil, que ce n'est point ici qu'il faut qu'ils demeurent, mais qu'il faut passer plus outre.

Voila donc ce que nous avons à retenir, quand nous voyons que nostre Seigneur ne veut point que les hommes s'amusent ici bas. Ainsi donc que nous tirions droit le chemin auquel il nous appelle: et alors nous serons benits, lors un chacun habitera en repos tout le temps qu'il a , à vivre, pource que nous ne serons point solicitez de l'inquietude qu'ont les meschans et contempteurs de Dieu. Voila quant à un Item. Et au reste, combien que et nous et nos maisons ne soyent que corruption: tant y a que nous avons ceste promesse pour nous consoler, que quand nous serons restaurez pleinement en la gloire celeste, nous n'aurons plus besoin de ces edifices materiels d'ici bas: et mesme que nostre corps sera bien autre qu'il n'est. Mais cependant aussi apprenons de ne point edifier par rapines, et autres malefices: car c'est la cause qui fait que nostre Seigneur destruit ainsi ces grans palais qui ont esté bastis, et qu'il les envoye eu ruine Comme aussi nous voyons que les Prophetes menacent, que ce seront les palais des chahuans, des bestes sauvages, des oiseaux de proye, et mesmes que les hybouts y habiteront, et les hommes sauvages. Nostre Seigneur donc ne fait point cela, sinon pour se venger des rapines et extorsions qui se commettent pour faire ces grands palais, suivant ce qui est dit au Prophete Habacuc (2, 11), que quand ceux qui ont attrapé le bien d'autruy bastissent, il y a comme une melodie entre les parois, qn'une paroy crie, Ie suis bastié de sang: et l'antre, Moy de meurtre. Que donc les fideles advisent bien quand ils bastissent, que ce soit une substance iustement acquise, s'ils veulent iouir de leur habitation. Et cependant quoy qu'il en soit, qu'ils ne s'y arrestent pas pour y faire

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leur nid: mais qu'ils soyont prests d'en desloger toutes fois et quantes qu'il plaira à Dieu.

Or cependant il est dit. Que le meschant trespassera, et qu'il ne sera point enseveli honorahlement, et qu'il ouvrira les yeux, et rien ne luy apparoistra. C'est pour conclure les propos qui ont esté tenus Car Iob signifie, qu'il pourra bien advenir (comme il advient de fait) que les meschans tresbuscheront, voire apres avoir esté eslevez: car voila où il regarde' que nostre Seigneur esleve les meschans, et puis il les laisse tomber, voire d'une cheute mortelle. Car quant à leur mort ils ne sont point ensevelis honorablement: et au reste quand ils regardent à l'entour d'eux, ils ne trouvent nul secours, et sont frustrez de l'avoir attendu. Ici nous avons un beau miroir des iugemens de Dieu, moyennant que nous n'en facions point comme cens qui out debatu contre Iob, c'est que nous vuoillions astreidre Dieu reduire les choses en leur estat parfait. Car cela ne se fera point iusques au dernier iour: mais cependant si devons-nous estre admonnestez toutes fois et quantes que nostre Seigneur renverse les meschans, et qu'il les abbat: nous devons là contempler sa main. Il ne faut point cereher en ceci quelque hazard, comme les enfans de ce monde imaginent une roue de fortune, par laquelle les hommes sont eslevez bien haut, et puis ils tombent bas Car ce ne sont point choses qui adviennent de cas d'adventure, que les changemens et revolutions que nous voyons au monde: il les faut attribuer à la main de Dieu. Et comment? Quelques fois il punira ceux qui ont abusé de sa grace, quelquefois il les supporte, tellement qu'on n'appercevra pas qu'il les vueille punir: mais ils auront un conte tant plus horrible à rendre, ainsi que nous avons desia touché. Tant y a que si nous voyons les meschans tomber, il faut que nous cognoissions que Dieu ne les a point eslevez sans cause, et que c'estoit afin que leur tresbuschement fust grief pour se rompre du tout le col. Apres donc qu'ils auront este bien haut montez, il faut que Dieu les face ainsi tresbuscher. Au reste quant à la sépulture, ce n'est point sans cause qu'il en est ici parlé. Car combien que cela ne nous face ne froid ne chaud quant à nostre salut: il y a deux choses à considerer. L'une c'est, que les meschans despitent et Dieu et nature à leur mort, et leur semble que maugré que nature en ait ils prologeront encores leur grandeur, et leurs pompes, quand nostre Seigneur les ameine là à pourriture: lors, di-ie, les hommes mondains et charnels feront plus de braveté beaucoup qu'en toute leur vie: car ceste sépulture qu'ils ont tant somptueuse, est pour faire que leur memoire ne meure point, qu'on en parle à iamais. Ainsi donc nous voyons que ceste folle curiosité qu'ont les

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mondains et les incredules d'estre ensevelis en grande pompe, est comme pour continuer leur orgueil en despit que Dieu en ait. Or Dieu se mocque d'une telle presomption: car il les frustre de leur opinion, pource qu'ils ont estimé qu'ils seroyent ensevelis honorablement, au lieu de cela quelquefois il leur donne une sépulture bien estrange. Voila pour un Item.

Or il y a aussi à considerer, que la sépulture a este introduite de Dieu. Ce n'est pas une invention humaine qui n'ait point de fondement: mais Dieu l'a ainsi ordonné, afin que ce nous fust un tesmoignage de la vie eternelle et de la resurrection. Quand les hommes sont ensevelis, on les met là en terre comme en garde iusques à ce qu'ils soyent ressuscitez au dernier iour: ainsi la sépulture nous est comme un miroir de la resurrection. Quand donc les meschans sont privez de sépulture, c'est autant comme si nostre Seigneur declaroit sur eux sa malediction d'une façon visible, voire tant en la mort comme en la vie, ainsi qu'il en est ici parlé. Or cependant notons que si les meschans sont ensevelis honorablement, il ne faut point que nous soyons troublez pour cela, ne que nous pensions que Dieu se soit oublié, et qu'il n'execute ses iugemens en temps opportun. Car nous voyons du riche, comme il en est parlé en l'Escriture, qu'il a esté enseveli. Et Lazare quoy? Il n'en est point de mention tellement qu'on ne sait s'il a esté mangé des chiens, ou s'il a este ietté parmi les champs, l'Escriture n'en parle point, elle ne parle que de la sépulture de riche. Au contraire, si quelquesfois il advient aux enfans de Dieu, de n'estre point ensevelis, faut-il conclure neantmoins qu'ils soyent maudits ? Non: comme quand les meschans seront ensevelis, ce n'est pas à dire qu'ils soyent benits en leur mort. Mais c'est pour nous monstrer que Dieu n'execute point d'on fil egal les punitions temporelles en ce monde,

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et cependant qu'il se reserve le principal au dernier iour. Autant en est-il, quand nous voyons les bons estre bruslez, estre mis en opprobre extreme, et que les enfans de Dieu periront avec les meschans, voire quant aux corps, qu'on les trainera au gibet. Car combien qu'ils soyent martyrs de Iesus Christ, et que ceste ignominie-là soit plus honorable devant Dieu que tous les honneurs de ce monde, si est-ce toutes fois que Dieu ne leur donne point sépulture. Et comment cela, Où est ceste menace contre les meschans dont il est parlé ici? O il nous faut revenir à ce que nous avons dit, c'est as avoir que ce sont iugemens cachez et incomprehensibles pour le iourd'hui, et qu'il faut que nous attendions que nostre Seigneur nous ameine à ce iour, où toutes choses seront descouvertes. Cependant cognoissons que le ciel servira de sépulture a ceux qui sont ainsi tyrannisez, aux innocens, di-ie, qui sont mis en opprobre par les meschans, et par les persecuteurs, et que quand ils auroyent les sepultures les plus honorables du monde, ce ne seroit rien au prix du bien et de privilege que Dieu leur fait. Car sauroit-on trouver une sépulture plus honorable que le ciel? Or nostre Seigneur fait servir ceste sepolture-là à ses enfans, quand il les prive de la sépulture commune et ordinaire. Et ainsi quand il plaira à Dieu que nous soyons ensevelis, cognoissons cela comme un tesmoignage de sa bonté: et quand il en privera les meschans, que nous contemplions aussi sa vengeance et en leur vie et en leur mort. Cependant toutes fois que nous apprenions de nous restreindre, et d'avoir comme les yeux clos quant à ses iugemens secrets, iusques à ce que nous soyons venu au dernier iour, où il nous declarera en perfection les choses qui nous sont maintenant ce o fuses.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE CENT ET UNIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XXVIII. CHAPITRE.

19. Quand le riche s'endormira, il n'amassera rien: il ouvrira ses yeux, et rien n'apparoistra. 20. Troublemens l'apprehenderont comme l'eau: et en la nuict la tempeste le ravira. 21. Le vent d'Orient l'emportera, et s'en ira, et le poussera de son lieu comme un tourbillon. 22. Il se ruera sur lui, et ne l'espargnera point: il s'enfuira de sa main. 23. Il entrefrappera de ses mains contre lui, et siblera contre lui de son lieu.

CE PITRE XXVIII.

1. L'argent a sa source, et l'or le lieu de sa fonte. 2. Le fer est prins de la terre: et de la pierre est fondu l'airain. 3. Dieu a mis fin aux tenebres, et à toute chose tendante à fin la borne d'obscurité et ombre de mort. 4. 11 desborde le fleuve contre l'habitateur, les eaux sont mises en oubli du pied, et ayant esté eslevees plus haut que l'homme, se retirent. 5. D'une mesme terre sort le pain, et sous icelle y a changement comme le feu. 6. Il y a lieu duquel les pierres sont sapphir, et les mottes or. 7. L'oiseau n'y a point cognu de sentier, et l'oeil de l'autour ne l'a point regardé. 8. Les faons du lion n'y ont point marché, le lion n'a point passe aupres. 9. Il met sa main à la roche, et renverse les montagnes iusqu'aux racines.

Suivant le propos d'hier, il est ici dit, que le riche ouvrira les yeux, et ne trouvera rien: en quoi il est signifié que les riches pour un temps seront asseurez, cuidans que rien ne leur doive defaillir: mais en la fin tout leur sera caché, il n'y aura plus d'esperance pour eux: ils se resveilleront, et cercheront secours, mais ils n'en trouveront point. La somme est, que combien que les riches pour un temps soyent comme endormis en leur abondance, pource qu'ils ne cuident iamais avoir faute, et qu'ils ont comme !es yeux bandez en leur outrecuidance: toutes fois Dieu puis apres les contraint de cercher aide sans qu'ils en puissent trouver: et alors ils cognoissent qu'ils ont esperé en vain en leurs richesses et sont confus. Ce iugement de Dieu se voit iournellement: et ainsi nous sommes admonnestez qu'encores que Dieu nous donne tout ce que cous pouvons souhaitter, et que nous ne pensions point iamais avoir faute: il ne nous faut point endormir en cela, cognoissans que nostre vie est suiette à tant de changemens que merveilles. Veillons donc pour invoquer Dieu,

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venons pour ne nous point arrester à ce qui est entre nos mains, veillons pour cognoistre que nous avons besoin d'estre secourus en beaucoup de sortes: et que par ce moyen nous apprenions de retourner à Dieu, et d'estre fondez et appuyez sur sa seule providence et bonté. Voila l'admonition qu'il nous faut recueillir de ce passage. Au reste, ceci ne se voit point tousiours. Apprenons donc (comme il a esté dit) de n'en point faire une regle generale: et combien que les riches meurent en leur abondance, qu'ils ayent grande suite avec eux, qu'un chacun tasche de leur faire service, bref, qu'ils n'ayent faute de rien, ne pensons pas que Dieu ait quitté son office: mais il se reserve ce iugement qu'il execute sur d'aucuns, afin que nous n'estimions point qu'il ne le puisse parfaire en ce monde s'il lui plaisoit. Les autres prennent ce passage un peu autrement, c'est assayoir, ne rapportant point aux riches ce mot, Qu'on regardera, mais à tous: qu'on regardera donc que sont devenus ceux qui estoyent en abondance, et qui se faisoyent ainsi valoir selon le monde, et qu'on n'y verra rien: comme il est dit au Pseaume 37 (v. 35). l'ai veu celui qui estoit eslevé comme un haut cedre en la montagne du Liban, il touchoit de sa teste quasi iusques aux nues: apres ie suis repassé, et ie n'ay point cognu mesmes sa trace. Voila donc comme Dieu fait esvanouir les meschans, tellement que la me noire en est raclee du monde: et ce passage conviendra bien en ce sens. Au reste il y en a qui ne prenent point ceci de la mort ne de la sepulture, comme hier il fut exposé: mais comme s'il estoit dit, que quand le meschant se voudra coucher pour avoir repos, il n'en trouvera point. Tant y a que le plus facile est de dire, que les meschans n'eschapperont point que Dieu ne declare son iugement sur eux. Or cela se fait, comme nous avons dit, mais non pas tousiours. Ainsi donc il ne faut pas que nous cerchions tousiours l'execution des iugemens de Dieu en ce monde: car ce seroit un mauvais principe, et nous serions troublez, comme nous avons declaré ci dessus, quand nous ne verrions point à l'oeil ce que nous aurions imaginé. cognoissons donc que nostre Seigneur differe ses iugemens quand bon luy semble, et qu'il ne les manifeste point ici bas.

Or il est dit consequemment, Que frayeurs apprehenderont l'inique comme une ravine. Il parle ici des eaux, mais il entend que c'est comme un orage

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soudain, quand il y aura une tempeste ou tourbillon qui viendra de nuict. Ce iugement de Dieu est bien notable, comme aussi il est commun, c'est assavoir que Dieu envoye de telles frayeurs aux meschans, qu'ils ne savent que devenir: et que cela vient comme un orage, et comme une tempeste de nuict qu'on n'aura point prevenuë, et de laquelle on ne se donnoit point garde. Notamment ceci est dit, pource que les meschans se font à croire que Dieu les doit laisser en paix, voire cependant qu'ils ne sont point pressez: si est-ce qu'ils ne peuvent estre coys du tout, pource qu'ils ont une mauvaise conscience: mais tant y a qu'ils se promettent merveilles, comme il est dit aux Prophetes, en Isaie sur tout (28, 15), qu'ils font paction avec la mort, qu'ils pensent avoir alliance et complot avec le sepulchre, en sorte que quand la terre seroit couverte d'un deluge, que tout periroit, le mal ne pourra approcher d'eux. Voila donc comme les meschans sont enflez d'orgueil sinon que Dieu les presse, et s'endurcissent en cela. Et defait quand on les menace, quand on leur monstre quelle sera l'issue de leurs entreprinses' tant s'en faut qu'ils en soyent esmeus, qu'ils ne font que s'en moquer. Voila pourquoy il est dit, Que les frayeurs viendront comme une ravine sur eux: suivant aussi ceste sentence de sainct Paul aux Thessaloniciens (5, 3), Que quand ils diront, Paix et assurance, ils seront soudain accablez, que la ruine viendra sur eux, laquelle ils n'avoyent point cuidé, et dont nul ne se doutoit. Ainsi donc quand il nous est parlé d'un tel changement que Dieu envoye sur les meschans, c'est qu'il les ruine soudain, comme s'il envoyoit un orage de nuict: apprenons de n'estre point ainsi enyvrez d'une folie presomption, estimans que Dieu nous laisse en repos: ne nous flattons point, mais plustost cognoissons que nostre Seigneur nous veut tenir en petitesse et humilité, afin que nous ayons nostre esprit plus libre pour venir à luy, et que nous ne soyons point distraits par les vanitez de ce monde: mais plustost que nous soyons incitez de nous adonner du tout a luy. Voila donc comme il nous faut chercher la paix en Dieu, et non pas aux biens terriens Quand nous en ferons ainsi, ne craignons pas d'estre ruinez soudain par orage, et que Dieu envoye une telle frayeur sur nous, que nous en soyons troublez: mais à l'opposite tous ceux qui presument de leur prosperité terrienne, il faudra qu'ils sentent la main de Dieu: et si ce n'est en ce monde, tant y a qu'à la mort il faut tousiours venir à conte, et alors on ne peut pas eschapper les mains du Iuge celeste. Et ainsi que nous cheminions en solicitude. Et au reste, si quelque fois les meschans n'ont pas esté effrayez, ne pensons pas que Dieu ait mis en oubli leurs iniquitez: mais nous n'appercevons pas tousiours presentement.

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(comme i'ay dit) ses iugemens. Il faut donc que nous attendions la declaration de ceci iusques au dernier iour, sachans que nostre Seigneur aucunes fois veut esprouver nostre foy, nous tenant sa main comme cachee. Or au reste il nous faut noter, que combien que les frayeurs que Dieu envoye aux meschans et aux contempteurs de sa parole ne s'appercoivent point, si est-ce qu'ils sentent tousiours dedans leurs coeurs une frayeur cachee: comme il est dit au Prophete Isaie (48, 22), qu'il n'y a point de paix pour les meschans, mais qu'ils sont comme les vagues qui se battent. Cependant qu'il y a quelque vent impetueux, on voit l'eau tellement agite que les vagues s'entrecassent: ainsi faut-il que les meschans sans qu'on les solicite d'ailleurs se tourmentent, et qu'ils soyent leurs bourreaux en toutes leurs pensees et leurs affections. Ils trembleront quand une fueille tombera sans que nul les persecute, comme il est dit: mais ces frayeurs-la seront cachees, pource qu'au dehors ils monstreront beau semblant, et aussi qu'ils ne se cognoissent point, qu'ils sont esleurdis en eux-mesmes, et despitent Dieu, ne recevans point les advertissemens qu'il leur donnoit pour les soliciter à repentance Apprenons donc de cercher ceste paix que i'ai dite, c'est assavoir que nous ayons bonne concience et pure, pour nous appuyer eu nostre Dieu, pour l'invoquer: et alors encores qu'il nous envoye des troubles, si est-ce que nous n'en serons point accablez du tout, que nous n'ayons dequoi nous resiouyr en sa bonté.

Or il est dit finalement: Qu'ils seront ravis du vent d'Orient, qu'ils seront chassez de leur lieu, qu'ils seront accablez de maux et fuiront. Ces similitudes, de vent d'Orient, et de tourbillons sont encores adioustees à un mesme propos: car au regard du pays de Iudee c'estoit le vent le plus impetueux que celui d'Orient, comme toute l'Escriture saincte le monstre. Ainsi il est signifié que les meschans quand ils ont prosperé, et esté riches et puissans, seront neant oins ravis et abbatus, comme s'il se levoit une grosse tempeste, qu'il survinst un vent qui ruinast tout, tellement qu'ils seront contraints de fuir: et si on pensoit qu'ils fussent bien munis, et eux s'estoyent aussi fiez en cela, ils sentiront bien que tout cela ne pourra empescher que le iugement de Dieu ne s'excecute sur eux. Combien donc qu'ils espouvantessent les povres gens, qu'ils fussent en estonnement à chacun: si faudra-il qu'ils fuyent. Et pourquoi? Car il n'y aura plus de vertu en eux pour resister au mal: ils cognoistront bien que les voila accablez, pource que c'est la main de Dieu qui les persecute et les afflige. En somme il nous est ici demonstre, que ceux qui sont ainsi hardis à molester leurs prochains, seront tellement affligez de la main de Dieu qu'ils oublieront ceste audace

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qui estoit en eux, et ce courage de lion, et toute leur fierté, et qu'ils seront couards comme des canes. Et pourquoy? Car ils sentiront la main de Dieu, laquelle ils avoyent mesprisee auparavant. Or par ceci nous Sommes admonnestez de prevoir de longue main les iugemens de Dieu, afin de nous apprester à patience. Ainsi donc encores que Dieu nous laisse à repos, ne laissons pas d'examiner nos pechez, et de cognoistre que nous meritons bien d'estre batus de ses verges. En faisant cela, que nous baissions la teste, et que nous apprenions de nous tenir en bride, et n'estre point hardis à mal faire: que toute nostre hardiesse soit d'invoquer nostre Dieu, et en sa vertu despiter et le peché, et le diable, et le monde, quand nous serons sons la protection de nostre Dieu. Mais cependant que nous cheminions tousiours en humilité et modestie, sachans que ceux qui auront ainsi espouvanté les autres seront contraints de se cacher, et ne trouveront nul refuge: comme il est certain que les meschans auront beau fuir: car il faut que ce qui est dit au Pseaume (139, 7) soit accompli en eux, Que deviendray-ie Seigneur, quand ie voudray eschapper de tes mains? Quand ie pourroye voler par dessus les nues, ta maiesté est là haut pour me rembarrer. 8i ie passe la mer, ta main ira encore plus outre. Si i'entre iusques aux abysmes, tu sauras bien me retirer de là. Ainsi donc les meschans pourront dire aux montagnes, qu'elles tombent sur eux, et ils ne gagneront rien: car la main de Dieu les atteindra' où qu'ils se cachent. Et ainsi notons bien que c'est une folle opinion à celui qui cerchent paix, encores qu'ils soyent persecutez de la main de Dieu: ils la pourront fuir, mais ce sera en vain. Au reste, combien que ceci ne se voye point en tous affaires presentement: si est-ce que Dieu ne laisse point d'estre Iuge du monde, comme tousiours il nous faut revenir là.

Et en la fin il est dit pour conclusion, Qu'un chacun frappera des mains, quand on verra ainsi les meschans: que chacun siblera par risee et mocquerie de son lieu: c'est à dire, que les povres gens qui auparavant estoyent opprimez, et ne s'osoyent pas monstrer par les rues à cause de ces brigans qui les dévoraient, et qui estoyent prests à les manger, se resiouiront quand nostre Seigneur exterminera ainsi ceux qui avoyent esté en credit et authorité, et mesmes ils frapperont des mains, et se mocqueront de cest orgueil et outrecuidance qui est en tels contempteurs de Dieu. Icy on pourroit demander, s'il est licite aux bons et fideles de s'esiouir quand ils verront la ruine des meschans. Mais ceste question est quasi superflue pour ce passage, d'autant qu'ici il n'est point monstré que c'est qui est licite: mais simplement il est signifié que le monde s'esiouit: comme on le voit aussi par experience,

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que les pilla s qui ont molesté chacun, et grans et petis, quand ils meurent, et que Dieu les abbat, voila une ioye commune de tous. Et pourquoy ? Car ils ont esté ennemis du monde. Mais encores nous devons noter en ce mot, que si nostre ioye n'estoit point charnelle, et qu'elle ne provinst point d'un appetit de vengeance, elle seroit bonne et saincte et approuvee de Dieu. Mais quand nous sommes incitez à nous esiouir par vengeance, ou quelque affection charnelle' nostre ioye alors est maudite et à condamner. Et ainsi quand les hommes sont e meus de leurs passions, alors qu'ils s'esiouissent, ou qu'ils se contristent: voila comment leur ioye ou leur courroux est le plus souvent vicieux. Ainsi quand on se voudroit esiouir de la ruine des meschans, il ne faudroit pas que ce fust par une cupidité charnelle: mais seulement approuvant le iugement de Dieu, et s'accordant à ce qu'il declare: et cependant pour estre tousiours confermez et edifiez de plus en plus en sa crainte et en son amour, et aussi pour estre bien reglez en nos passions. Et voila comme il nous sers licite de nous esiouir en la perdition des meschans: mais gardons nous d'estre solicitez par nos affections charnelles, et de mesler rien du nostre. Toutes fois quant au passage present notons, qu'icy il nous est monstré, qu'il faut que les meschans qui Sont pleins d'ambition et de vaine gloire, qui appetent d'estre prisez de tout le monde, soyent rendus detestables et que Dieu les mette en telle haine qu'un chacun s'esiouisse de leur perdition. Voila donc comme ils seront bien frustrez de leur attente. Si cela n'est pas à chacun coup, ne pensons pas que nostre Seigneur ait oublié son office pourtant: mais attendons la revelation qui nous est promise au dernier iour. Et voila pourquoy Iob vient à declarer beaucoup de secrets de nature qu'on voit au monde: et là dessus il fait conclusion, que quand on aura la raison de toutes choses cachees' si est-ce que la sagesse de Dieu surmonte, et est plus haute. Aucuns prennent ceci' comme s'il estoit dit, Les choses changent en ce monde, nous ne voyons pas une perpetuité en tout l'ordre de nature: car où il y s eu des champs fertiles, et qui apportoyent bon blé, on voit que le feu y est, c'est à dire, secheresse: là où on pensoit qu'il n'y eust que du gravier ou du sable, il y aura quelquesfois de l'or, et des pierres precieuses. Nous verrons donc beaucoup de changemens en ce monde, comme il en est parlé au Pseaume cent septieme (34), c'est l'argument que traitte là le Prophete, monstrant qu'à cause des pechez des hommes la terre deviendra sterile' tellement qu'il sembleras qu'on y ait semé du sel: que les lieux qui estoyent bien habitez, seront deserts: que les hommes seront contraints de s'enfuir pour la famine, que le chaud et le froid les affligeront

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tellement qu'ils ne sauront que devenir: et aussi que Dieu surmontant par sa bonté la malice des hommes, rendra les pays fertiles, qui auparavant estoyent secs: là où il n'y croissait point un grain de blé, qu'il y aura ample nourriture. Aucuns donc estiment qu'ici Iob ait voulu faire une telle description comme elle est contenue en ce Pseaume-là. Mais i'ay desia monstre son intention, c'est assavoir, Qu'il y a beaucoup de choses en ce monde qui sont secretes. et où il semble qu'il n'y ait point de raison: tant y a qu'en la fin on y en trouvera, qu'on trouve les choses qui estoyent cachees: mais de la sagesse de Dieu, qu'on n'en pourra point iamais venir à bout, que les hommes ne pourront point iamais atteindre si haut. Et ceste comparaison ici s'appelle du plus petit au plus grand: comme si Iob disoit, Or ca mes amis, de cercher les moyens où on trouvera l'or et l'argent, là où on trouvera les pierres precieuses, c'est une chose fort difficile à l'esprit humain. Il est vray qu'encores en vient-on à bout: mais si peut-on bien appeler cela un secret de nature. Il y a aussi d'autres choses où les hommes sont confus, et n'ont qu'à s'esbahir, pource que quelques fois les rivieres sortiront d'un lieu là où on n'eust iamais pensé: comme il y a les eaux qui croissent, qui se diminuent, qu'on ira quelque fois à pie sec par un lieu, et tantost apres l'eau y regorge: apres les torrens deffaudront, et tantost Ils croissent. Il est vray qu'il semble bien qu'il n'y ait pas grand secret en cela: car les torrens s'augmentent quand les neiges se fondent, et qu'il y a de grandes pluyes: mais on verra des sources, qui quelquefois dessèchent, et puis apres elles degorgent l'eau, tellement qu'on ne sauroit que dire, sinon que Dieu veut monstrer sa vertu en tels changemens.

Voila donc des choses qu'on voit au monde et pour la vie presente, qui sont obscures. Or il est vray encores que l'esprit humain pourra bien s'en enquerir, et y appliquer son estude, tellement qu'il y trouvera quelque raison: mais c'est autre chose de la sagesse de Dieu. Quand nous venons à ses iugemens, ne pensons pas les enclorre en nostre cerveau, ne pensons point en venir a bout: mais adorons ce qui nous est incognu, confessans que la maiesté de Dieu est trop haute par dessus nous, et qu'il ne faut point que nous pensions ainsi l'assuiettir, que nous cuidions la determiner comme bon nous semblera: mais contentons-nous de ce que Dieu nous monstrera, sachans bien qu'il y a une trop longue distance entre Dieu et nous, et qu'il faut qu'il approche, ou iamais nous ne viendrions à luy. Or est-il ainsi, qu'en s'approchant de nous, il ne veut point que nous cognoissions maintenant ce qu'il nous manifestera au dernier iour. Voila donc quelle est l'intention de Iob. Cependant de

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s'arrester beaucoup à toutes ces choses qui sont ici dites, il n'en est la besoin: car l'intention du {3. Esprit n'est pas de nous monstrer l'artifice des mines: car le profit seroit bien maigre si en un sermon, ou en quatre nous apprenions d'aller cercher les mines d'or et d'argent, pource que ce n'est pas ce que nous avons à cercher, et aussi chacun ne s'exerceroit point en ce mestier-la. Ainsi donc il ne nous faut point insister sur chacune partie, quand il nous est parlé des mines d'or et d'argent, quand il est dit que parmi le sable ou en quelque riviere l'or se trouvera, qu'il y aura là des grains: mais il nous doit suffire que nous voyons que Dieu a mis de tels secrets on nature, afin d'estre magnifié de nous. Voila donc la somme que nous avons à retenir: c'est que si nous devons cognoistre la vertu et sagesse de Dieu infinie, mesmes aux moindres choses du monde: par plus forte raison quand il y a des secrets qui nous sont estranges, comme de l'or et de l'argent, et de choses semblables: quand donc cela y est, que nous devons estre plus esmeus que nos esprits se doivent plus resveiller, pour mieux sentir et apprehender la vertu inestimable de nostre Dieu. Car nostre Seigneur ne veut point que nous soyons stupides, comme des troncs de bois, mais que nous contemplions les vertus de ses mains: et de fait c'est bien raison qu'elles soyent cognues, et que nous y pensions: voire tellement que la gloire qu'il merite luy en soit rendue par nous, et que nous soyons incitez par cela à cognoistre quel ouvrier il est: que nous ne soyons point comme ces malheureux qui cheminent par le monde, foulans aux pieds les oeuvres de Dieu, et ne cognoissans point sa maiesté. Que nous ne soyons point donc si brutaux: mais pour le moins encores que nous eussions es si pesans et si grossiers de ne point sentir la maiesté de Dieu et sa vertu es choses communes, et qui sont plus basses: quand nous venons à ce qui nous est estrange, que là nous soyons esmeus, et que nous commencions à sentir qu'il y a un Dieu lequel besongne par façons miraculeuses: autrement nostre ingratitude sera inexcusable, si nous n'y pensons point. Mais cependant notons que Dieu ne nous veut point amuser aux choses du monde, il aime beaucoup mieux que nous venions à luy, et que nous sachions faire nostre profit de l'admonition qu'il nous donne. Voici donc le principal que nous avons à observer en ce passage, que quand il y a des oeuvres de Dieu hautes et magnifiques, nous y appliquions nostre estude, pour les bien considerer, et qu'en les considerant nous apprenions aussi de glorifier Dieu.

Notamment il est dit, Que Dieu a mis bornes aux tenebres. Voila les tenebres qui cachent tout: de iour on discerne entre le blanc et le noir, mais quand la nuict est venue, voila tout qui est meslé

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et confus, nos sens deffaillent, nous ne savons si un homme est une pierre, nous ne savons si une maison est une montagne. Or tant y a que les tenebres qui privent ainsi les hommes de leur veuë et de discretion, encores sont-elles bornees, Dieu en la fin leur donne leur mesure. Par cela Iob signifie, combien qu'en ce monde il y ait grande diversité, voire iusques aux tenebres qui cachent la venuë de toutes choses: si est-ce neantmoins que les hommes en viendront à bout: car Dieu envoye la clarté puis apres. et les tenebres ne dureront pas tousiours. Or ici nous avons une bonne instruction et bien utile, c'est que l'esprit de l'homme pourra bien avoir quelque faculté d'entendre et de iuger quant aux choses basses, et qui concernent ceste vie caduque: mais quant à ce qui est celeste et qui appartient au royaume de Dieu, quant à ses iugemens, tout cela nous est caché. l'ay dit que ceste doctrine nous est bien utile, voire quand elle sera entendue comme il appartient. Il est vray que mesmes des choses les plus petites et plus bases, nous n'y pourrions mordre, sinon entant que Dieu nous donnera la faculté: comme nous voyons qu'il y en a beaucoup de gens simples (comme on dit) et idiots, qui ne cognoissent non plus que bestes brutes. Ceux qui sont ainsi, Dieu les met devant nos yeux comme des miroirs, pour nous humilier. Voyons-nous un homme du tout idiot, qui n'ait point de sens ne de raison? là il nous faut arrester: car c'est un miroir de nostre nature. D'où vient la raison et l'intelligence que nous avons? N'est-ce point un donc singulier que Dieu nous a fait? Ainsi donc tous ceux qui ont esprit et intelligence, qu'ils cognoissent que Dieu les a douez d'une telle grace, et qu'ils en sont d'autant plus obligez à luy. Voila pour un Item. Mesmes quand nostre Seigneur en fait les uns plus aigus que les autres, qu'ils ont industrie pour venir à bout de ce qu'ils entreprennent, qu'ils concluent, qu'ils deliberent, qu'ils font prudemment toutes leurs affaires, et comprendront en peu de temps beaucoup de choses: les autres sont tardifs et pesans, tellement qu'il faut frapper comme à grans coups de marteau, quand on leur voudra apprendre quelque chose: une telle diversité qui est entre les hommes, monstre clairement que si nous avons quelque vertu de bien iuger et discerner, c'est un donc especial de Dieu, et qu'il ne faut point attribuer tellement cela à nature, que nous ne cognoissions que nostre Seigneur en distribue à chacun comme bon luy semble. Voila ce que nous avons à observer.

Au reste, en disant que l'esprit humain de nature est capable de cognoistre les choses d'ici bas, et qui concernent la vie presente: ce mot de Nature n'emporte pas que ce ne soit un donc de Dieu, mais c'est pour signifier que cela est donné

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aux incredules aussi, et à ceux que Dieu n'a point regenerez par sou sainct Esprit, qui est nommé l'Esprit d'adoption, pource que c'est la marque que Dieu imprime à ses enfans. Ainsi donc encores que nous n'ayons point l'Esprit de Dieu, pour estre regenerez et avoir cest arre et ce gage de l'esperance de salut: si est-ce que nous pouvons bien avoir intelligence: c'est une chose commune aux fideles et aux incredules, de iuger des choses d'ici bas. Et mesmes nous voyons les meschans et contempteurs de Dieu souventesfois estre plus aigus et plus prudents en leurs affaires: comme aussi Iesus Christ en parle. Voila donc comme il nous faut retenir, que des choses d'ici bas, et bien, nous les pourrons comprendre en quelque façon. Non point (comme i'ay dit) que cela nous l'ayons d'autre que de Dieu: et mesmes qu'il n'y a point une mesure egale à tous: car Dieu en distribue comme bon luy semble. Mais tant S a encores, que les hommes ne sont point mis en ce monde que Dieu ne leur donne quelque portion de prudence, tellement qu'ils iugent des choses d'icy bas: et non seulement cela, mais aussi ils discernent entre le bien et le mal. Où est-ce qu'on trouvera les hommes si brutaux, qu'ils ne condamnent les larcins, les meurtres, les paillardises? Car nature nous enseigne cela. Apres tous auront quelques loix, quelque police, et voyent bien qu'ils ne se peuvent point passer d'ordre pour conduire les affaires qui appartiennent à la vie humaine. Apres ils auront les arts et mestiers, que l'un sera boulenger, l'autre laboureur de terre, l'autre cordonnier, l'autre drappier, et bien, ces artifices-la sont dons de Dieu, qui sont communs tant aux incredules, qu'aux fideles, lesquels Dieu a illuminez par son sainct Esprit: mais telles graces ne sont que pour les hommes, pource que le genre humain ne se peut maintenir en son estat qu'il n'y ait de telles aides et de tels moyens.

Voila donc en somme ce que nous avons a, retenir: c'est assavoir, que combien qu'il y ait de grans secrets en nature, que les choses qui appartiennent à la vie presente soyent hautes: si est-ce que Dieu encores a donné ceste faculté aux hommes, qu'ils en peuvent venir à bout. Exemple, Quand on parlera d'un mestier: devant qu'avoir seu l'artifice, on trouvera les choses estranges: et mesmes il y a des ouvrages qui sont d'un tel artifice, qu'on s'esmerveillera. Comment est-il possible que cela se face? dira-on. Comment peut-on cognoistre l'or en terre? Voila de l'eau, et on en fera du sel. Comment cela advient-il? Et bien, Dieu a donné ceste industrie aux hommes. Apres, de l'or et de l'argent dont il est icy parlé, et qu'est-ce? Voila du metal qui est meslé parmi la terre, il n'a point de couleur, mesmes il semble qu'il

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soit inutile. Et comment le peut-on discerner ? Comment le peut-on affiner, en sorte qu'on s'en serve, et que ce soit un metal precieux, que ce soit un moyen pour traffiquer entre les hommes, ainsi que nous voyons qu'on applique à cela l'or et l'argent? comment se peut-il faire? Apres quant aux autres arts il n'y a mestier si bas ne si commun ne si vulgaire que du premier coup on ne s'estonné comment on en peut besongner. Mesmes quand nous regardons comme on seme du blé, Comment peut-il croistre? dira-on. Comment fait-on du vin, et autres choses semblables? Et bien, quand tout cela nous est cognu, nous ne le trouvons plus estrange: mais tant y a que Dieu a donné l'artifice: car autrement on seroit là confus. C'est donc ce que i'ay dit, qu'il y a quelque capacité aux hommes pour comprendre les choses naturelles, combien qu'elles soyent obscures du commencement, et combien que les hommes ayent l'esprit dur et grossier, si est-ce qu'ils parviennent à la conduite de ceste vie terrienne, d'autant que Dieu leur veut donner ces aides et moyens pour passer par ce monde: mais quand il est question de monter par dessus ceste vie caduque, alors cognoissons que nous deffaudrons tous. Et voila en quoy tous orgueilleux s'abusent: car il leur semble puis qu'ils sont aigus et subtils aux choses d'ici bas, qu'ils sont bien suffisans aussi de iuger de tous les secrets de Dieu de toute la doctrine de la Loy, des Prophetes et de l'Evangile. Or Dieu les aveugle au double quand ils ont une telle presomption, car la foy est une clarté supernaturelle, comme on dit: la consideration des iugemens de Dieu ne croistra point en nous, et nous n'aurons point cela comme hommes mortels, mais nous l'avons entant qu'il plaist à Dieu par dessus l'ordre de nature de nous en donner. Mesmes nous voyons comme Dieu punit l'orgueil de ceux qui se confient en leur prudence quant aux choses basses. Voila ces braves mondains, quand ils seront rusez en leurs finesses, ils voudront tromper et Dieu et le monde: et mesmes ils sont tant subtils, qu'il leur semble que rien ne leur eschappera: et là dessus ils forgent merveilles, ils font des entreprinses par dessus leur mesure: Dieu les laisse ainsi precipiter, et cependant au besoin il les aveugle en sorte que les petits enfans s'en peuvent mocquer. Car il adviendra souvent que les plus fins et ceux qui cuident estre sages iusques au bout, seront destituez de toute raison, qu'ils seront surprins, comme il est dit en l'Escriture, que Dieu prend les sages en leur astuce comme au trebuschet: nous voyons cela. Et comment est-il possible, qu'un homme qui estoit si bien advisé, que celuy-la soit maintenant ainsi surprins, et qu'il ait este esblouy en un si petit affaire? et n'a-il point de raison en soy? Voire, comme

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si Dieu n'estoit point au ciel pour aveugler ceux qui cuident voir trop clairement. et qui se confient en leur prudence, et sagesse? Il faut qu'il punisse une telle arrogance: car d'autant que les hommes presument d'eux-mesmes, ils ravissent à Dieu son honneur, et il faut qu'il se venge d'un tel sacrilege.

Et au reste, puis que les hommes appliquent leur subtilité à mal, plustost qu'à bien, il faut aussi que nostre Seigneur se venge de ce qu'ils ont ainsi prophané les dons qu'il leur eslargit: car c'est un donc singulier quand Dieu nous donne un esprit bon et aigu: et si nous allons convertir cela à fraude et malice, n'est-ce pas raison que Dieu nous on punisse? Car nous polluons ce qu'il avoit dedié non seulement à nostre salut mais au profit commun de nos prochains. Or si Dieu punit une telle arrogance, quand les hommes se fieront par trop en leurs sens quant à ces choses basses et caduques: ie vous prie quand ils voudront monter par dessus le ciel, et cognoistre tous les secrets celestes, qu'ils voudront apprehender ce que Dieu s'est reservé, et qui doit appartenir à luy seul: quand, di-ie, les hommes auront une telle hautesse, ne faut-il pas que Dieu leur abbate leur caquet, et qu'il les plonge an plus profond des abysme

pour se venger de leur arrogance et fierté? Ainsi donc apprenons, que combien que nostre esprit soit suffisant pour discerner ici bas de ce qui compette et concerne la vie terrienne: ce n'est pas à dire que nous puissions monter iusques au ciel, entrer aux conseils estroits de Dieu, et enclorre en nostre sens et en nostre cerveau ce que nostre Seigneur cache par devers soy. Bref, tout ce qui concerne la vie eternelle sachons qu'il surmonte toute nostre mesure, et qu'il faut que nostre Seigneur besongne en nous, voire par dessus l'ordre de nature, qu'il ne nous illumine point seulement selon que nous sommes hommes, mais qu'il nous donne une clarté nouvelle, laquelle nous est cachee, pource qu'elle procede de cest Esprit d'adoption dont nous avons parlé. Au reste puis qu'ainsi est, cognoissons maintenant que c'est du franc arbitre des hommes, et combien ceux qui le veulent soustenir sont enragez. Car si nous avons franc arbitre pour nous guider selon Dieu, et pour parvenir à la vie eternelle, il faudroit en premier lieu que nous eussions la foy, et la iustice, et la saincteté. Or Voyons nous comme l'Escriture nous condamne comme povres aveugles, et declare qu'il ne faut point que les hommes s'eslevent iusques là, de cuider monter aux secrets de Dieu, mais qu'ils, confessent qu'ils sont destituez de sens et de raison.

Voila donc la premiere leçon qu'il nous faut apprendre quand nous venons en l'escole de Dieu c'est d'estre fols, comme S. Paul dit (1. Cor. 3, 18).

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Il est vray que cecy nous semble estrange: mais si faut-il passer par là, que si nous voulons que Dieu nous instruise, qu'il face office de maistre envers nous, il faut que nous soyons fols: c'est a dire, que nous cognoissions qu'il n'y a point une seule goutte de raison ne d'intelligence en nous, que nous en sommes plus desnuez que ne sont pas les bestes brutes, qu'il y a en nous moins de conseil et de prudence. Et ainsi apprenons de nous humilier, afin que Dieu nous tende la main. Puis qu'ainsi est, maintenant que faut-il? En premier lieu, que nous cognoissions que pour comprendre les secrets de Dieu, il faut qu'il nous donne son sainct Esprit, qu'il esclarcisse nos tenebres, d'autant que nous sommes confus, qu'il vienne monstrer ce que nous avons à cognoistre, et que nous ne presumions point d'avoir nulle cognoissance sinon celle qu'il nous a donnee. Voila pour un Item. Mais il faut aussi pour le second, quand nous aurons receu ceste clarté celeste, et ce donc d'intelligence qui procede du sainct Esprit: que nous venions aussi à l'Escriture saincte. et que

nous ne presumions point de nous enquerir des oeuvres, ne des iugemens de Dieu plus outre que ce qui est là contenu. Contentons-nous donc de savoir ce que Dieu nous monstre, et nous apprend: et que nous ayons ceste sobrieté de dire, Et bien Seigneur, quand tu nous diras, Voila ce que ie veux que vous sachiez, que nous le recevions paisiblement: mais quand tu ne passeras point plus outre, que nos esprits soyent là retenus. Ce sont donc les deux choses que nous avons à noter, pour faire nostre profit de ceste doctrine: c'est de ne point nous ingerer avec une presomption folle de savoir plus qu'il ne nous est permis: mais que nous prions Dieu qu'il nous gouverne en cela, et que par son sainct Esprit il nous esclaire: et puis apres, que nous-nous tenions a sa parole, que nous sourions d'estre enseignez par icelle, n'appetans de rien savoir sinon ce qui est là contenu: comme aussi nostre Seigneur nous y monstre ce qu'il sait nous estre propre et utile pour nostre salut.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, ect..

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LE CENT ET DEUXIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXVIII. CHAPITRE.

le. n tranche les ruisseaux dedans les pierres, et son oeil voit toute chose precieuse. 1l. 11 lie les fleuves qu'ils ne se desbordent point, et produit en lumiere les choses mussees. 12. Mais d'où est trouvee la sapience, et où est le lieu d'intelligence? 13. L'homme ne sait pas son prix, et n'est pas trouvee en la terre des vivans. 14. L'abysme dit, Elle n'est pas en moy, et la mer dit, Elle n'est pas avec moy. 15. Le fin or ne sera pas donné pour elle, et l'argent ne sera point pesé pour son eschange. 16. Elle ne sera pas estimee avec la masse d'or, avec l'onyx precieux, et le sapphir. 17. L'or ne le crystal ne seront point egaux à elle, et point ne sera fait eschange avec les vaisseaux d'or fin. 18. Il ne sera point fait mention du coral, ne du gabis: la sapience est plus precieuse que les perles. 19. La topaze d'Ethiope ne sera pas faite egale à elle, et ne sera pas appreciee avec la masse de pur or. 20. D'où vient donc sapience? et où est le lieu d'intelligence? 21. Elle est absconsee des yeux de tous les vivans, et aussi est celee aux oiseaux du ciel. 22. La perdition et la mort disent, Nous avons ouy de nos aureilles la renomme d'icelle.

23. Dieu cognoist la voye de sagesse, il sait le lieu d'icelle. 24. Il contemple les bouts du monde, et voit tout ce qui est sous le ciel. 25. est luy qui a mis poids aux vents, et mesure aux eaux: 26. Qui a mis ordonnance sur les pluyes, et a ordonné le chemin aux tempestes resonnantes: 27. Lors il l'a veuë et l'a cognuë, il l'a disposee et l'a ordonnee. 28. Et a dit à l'homme, La crainte du Seigneur est sagesse, et se retirer du mal, intelligence.

Nous avons declaré quelle est icy l'intention de Iob, et que c'est qu'il entend par ce mot de Sagesse. Son intention et de monstrer, que les hommes sont par trop outrecuidez, quand ils voudront comprendre tous les secrets de Dieu, et qu'ils ne voudront estre ignorans de rien. Mais pour savoir que le mot de Sagesse signifie, il le prend pour la cognoissance de toutes choses, et principalement de ce que Dieu nous tient caché iusques tant qu'il nous donne pleine revelation des choses qu'il nous distribue maintenant par mesure, et selon qu'il cognoist qu'il nous est utile. Or maintenant

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Iob (comme i'ay dit) remonstre icy qu'il y a beaucoup de choses secretes et obscures en nature: toutes fois que l'homme y parvient, et que Nous y voyons aussi quelque raison selon que nostre Seigneur nous la donne: il faut tousiours revenir là. Au reste notons bien que c'est par mesure: et cependant cognoissons que nostre raison et intelligence ne s'estend point plus loin qu'aux choses icy bas, et qui concernent la vie presente: mais quand nous voulons monter iusques au royaume des cieux, et nous enquerir de ce qui appartient à la vie eternelle, là nous defaillons, et y sommes du tout aveugles.

Et voila pourquoy maintenant il demande, Ou c'est que la sagesse se trouvera? on ne la trouvera point, dit-il, entre les hommes, non pas entre les morts: qu'on s'enquiere de tous les vivans, non plus. Il est vray que beaucoup pourront presumer d'estre sages, et se vanteront aussi d'avoir toute la sagesse enclose en leur manche: mais tant y a que Dieu la tient cachee: et ceux mesmes qui sont decedez, combien qu'ils ne soyent plus enveloppez de ce corps mortel, qu'ils ne soyent plus assoupis icy bas, si ne comprenent-ils pas ce qui est du conseil estroit de Dieu. Ainsi donc nous aurons beau circuir et çà et là, nous aurons beau cercher et haut et bas: iamais l'homme par son industrie ne parviendra à sagesse: car Dieu la tient en sa main. Apres, si on la veut acquerir par richesses, on s'abuse. Les hommes pourront bien (ce semble) par leur industrie venir à estre riches: mais d'estre sages, il c'est pas en eux. Voila donc la sagesse-qui est un thresor si excellent, qu'on ne luy pourra trouver eschange pareille. Qu'on amasse et or et argent, qu'on apporte toutes pierres precieuses: cela ne sera point egal. Ainsi donc nous voyons. en somme que Iob nous veut icy humilier, afin que nous ne cuidions point estre tant habiles que de comprendre les secrets de Dieu, mais que plustost nous ignorions volontiers ce qui passe nostre mesure. Et au reste si nous voulons savoir ce qui nous compete, demandons à Dieu qu'il nous le revele par son S. Esprit: car il faut là venir. Cependant venons aussi à ceste conclusion qui est icy mise: c'est que Dieu ayant toute sagesse en soy: comme il a bien monstre, et ne fust qu'en la creation du monde quand il a ordonné les contrepoids et des vents et des eaux: tout ainsi donc que Dieu luy seul a toute sagesse en soy, et qu'il en est la source: ainsi a-il ordonné aux hommes d'estre sages par ce moyen, c'est qu'ils le craignent et qu'ils le servent. Nous voyons donc en la conclusion de Iob que la sagesse des hommes n'est pas de s'enquerir par une folle curiosité pour tout savoir: mais de se tenir entre ses bornes, et cognoistre que n'est de servir à Dieu, et de s'assuiettir à luy:

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c'est la vraye sagesse, et faut que les hommes se tiennent là comme bridez et arrestez. Voila quant à la lettre de ce passage.

Regardons maintenant d'en faire nostre profit. Et en premier lieu notons bien quand il est dit, Que la sagesse ne se trouvera point entre les vivans, que c'est tousiours pour admonester les hommes qu'ils ne se doivent point fier en leur sens propre, ny s'attribuer un esprit tant aigu ni subtil, qu'ils comprenent la raison des oeuvres de Dieu. Or ceste admonition est bien necessaire, attendu l'orgueil qui est en nous: car si nous sommes fiers et presomptueux en ces choses naturelles, nous sommes encores plus desbordez au reste, tellement qu'un chacun veut estre tant subtil que rien ne luy soit caché: et n'est point question encores qui l'emportera d'entre nous, et qui sera plus sage que son compagnon: mais nous debatons contre Dieu: qui est une chose horrible: mais tant y a que nous le faisons, tant sommes forcenez. Et qu'ainsi soit, si les hommes ne se confioyent par trop en leur propre sens, nous n'aurions pas tant de difficultez que nous avons à renger le monde. Car et grans et petis s'eslevent en telle presomption, qu'il y en a bien peu qui se rendent dociles à Dieu pour se laisser gouverner par luy: mais sur tout quand Dieu veut enseigner, ie di les plus ignorans et idiots, il n'y aura celuy qui ne se rebecque. Et pourquoy? D'autant que tous cuident estre sages: O ie say que c'est de me gouverner, et il semble que ie soye une beste. Voila Dieu qui nous fait cest honneur de nous declarer sa volonté, et cependant nous ne pouvons souffrir qu'il nous enseigne. Quand donc les hommes ne pourront endurer que Dieu soit leur maistre et leur docteur, ne faut-il pas qu'ils soyent plus qu'enragez? Et d'où vient cela, sinon de ceste outrecuidance que tous veulent estre sages! Et pourtant i'ay dit que cest advertissement merite bien d'estre retenu, et que chacun s'y exerce, attendu que de nature nous avons ce vice enraciné en nous, que nous voudrions que Dieu nous laissast à nostre phantasie, et qu'il ne se meslast point de nous enseigner. Et pourquoy? D'autant que nous pensons estre assez habiles de nous-mesmes.

Or donc notons bien quand il est icy dit, Que la sagesse ne se trouve point entre les hommes, que Iob en somme (ou plustost le sainct Esprit par sa bouche) vent icy abbatre tonte la hautesse qui est en nous, quand nous imaginons avoir un si bon esprit et si aigu que nous puissions comprendre toutes choses. Icy le sainct Esprit prononce que les hommes se trompent en s'eslevant ainsi: car la sagesse leur defaut. Et quelle sagesse? C'est de cognoistre les secrets de Dieu. Car (comme il a esté dit) nous pourrons bien avoir quelque

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apprehension des choses qui sont icy bas: et combien qu'elles soyent obscures, tant y a que Dieu nous les revele, et ceste cognoissance-la s'appellera de nature, pource que nous voyons que tous en sont participant, encores que ce ne soit point en meure egale. Mais quand il est question de cognoistre que c'est de Dieu, ou (le ses iugemens: là il faut que tous les sens humains s'esblouissent, et d'autant plus que les hommes penseront s'eslever' il faudra qu'ils soyent abbatus et confus. Voila pour un Item.

Or notamment Iob dit, Que la sagesse ne s'acquestera point par or, ne par argent, ne par quelque pierre precieuse: et c'est pour despouiller le homme de toutes leurs vaines presomptions. Car si un homme est riche, pource qu'il sera estimé des autres, il luy semble qu'il vaut monts et merveilles, et s'oublie. Et ainsi Iob monstre quelque excellence qu'il y ait en nous, que ce n'est point pourtant que nous soyons plus sages, et qu'il ne faut point nous fonder là dessus. Or cecy n'est point superflu: car nous voyons comme le povre monde s'abuse quand ii y a des riches, et gens d'estat, et qui sont en dignité, qui disent quelque chose: Quoy? O il n'est point licite de repliquer à l'encontre, voila un tel qui l'a dit. On est preoccupé d'une telle reputation, en sorte qu'on ne iuge point quand un homme riche aura parlé: et encores que ce soit une pure beste, si est-ce qu'on s'etonne en ceste autorité, et est-on là comme esblouy. Et auiourd'huy qui empesche beaucoup de simples gens d'approcher de la verité de Dieu, et de s'y renger, sinon qu'ils regardent les grans du monde? Et quoy? Voila ceux qui gouvernent tout, voila les riches, toutes gens d'estat qui ne veulent. point recevoir ceste doctrine: c'est signe donc qu'elle ne vaut rien, qu'elle est douteuse, et qu'il ne nous y faut point mesler. Nous voyons comme les richesses sont mises en balance, qu'on cuide que la sagesse soit là comme attachee. Et c'est bien le contraire: car on verra le plus souvent que ceux qui sont riches s'aveuglent d'une vaine arrogance, tellement que les richesses n'apportent que folie pour assoupir les hommes, et les abbrutir du tout. Autant en est-il des grans estats et dignitez. Un homme moyen et de petite condition se cognoistra, et aura ses sens recueillis quand nostre Seigneur luy donnera prudence: et au contraire un homme qui sera haut eslevé s'oublie, il s'aveugle. Car selon qu'il estend ses ailes, en imaginant de soy plus qu'il n'en est: ainsi nostre Seigneur permet que toute sa raison s'escoule, et qu'il soit là comme une idole. Nous voyons cela à l'oeil;: mais nous n'y pensons point. Ainsi donc pesons bien ce qui est icy dit, c'est assavoir que la sagesse ne s'acquestera point par or ne par argent,

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afin que les hommes ne se confient plus en tout ce qu'ils peuvent avoir icy bas, sachans que de comprendre les secrets de Dieu est un donc especial, c'est un thresor qui nous est fermé iusques à ce que Dieu vienne par sa pure bonté nous illuminer, et qu'il nous en distribue ce que bon luy semble

Or cependant notons bien ce que dit icy Iob pour la conclusion, c'est que Dieu dés la creation du monde a eu la sagesse, et l'a eu, et l'a disposee: et puis il a dit à l'homme, Voicy comme vous serez sages, c'est en me craignant. Icy Iob fait comparaison de Dieu avec nous, d'autant qu'il n'est point possible d'abbatre ou donter nostre orgueil sinon par force: et voicy le seul moyen, c'est quand il nous ramene à Dieu. Car on auroit beau nous monstrer l'infirmité et la rudesse de nos esprits, iamais nous ne voulons venir là, et reculons tousiours, et ne laissons pas de retenir en cachette quelque fierté: encores donc que nous soyons convaincus que nous avons l'esprit tant debile que c'est pitié, si est-ce que nous ne voulons point quitter ceste folle opinion que nous ne soyons sages: mais quand on nous ramene à Dieu, il faut qu'alors nous cognoissions que ce n'est rien de nous, et qu'il ne faut plus que nous-nous abusions à nostre cuider. Voila pourquoy Iob met icy Dieu en avant: voire, et afin que nous cognoissions ceste sagesse qui est en luy seul, il nous met devant les yeux la creation du monde. Or ca, dit-il, les hommes auront-ils l'esprit si aigu, qu'ils comprennent tous les secrets de Dieu, comment c'est qu'il a disposé ordre de nature, qu'il a comme pesé les vents et les eaux, et autres choses? Il est vray que les Philosophes (comme nous avons dit) comprendront bien les raisons des choses qu'on voit maintenant: mais si on vient à la creation, c'est une chose si admirable, qu'il faut que les hommes s'esbahissent, et qu'ils adorent la sagesse infinie de Dieu, et confessent qu'elle leur est incomprehensible. Voila donc l'intention de Iob en ce passage: et là dessus il nous monstre comme nous devons resoudre que nostre sagesse ne consiste point à nous enquerir de tout, et à tout examiner et esplucher: mais à savoir ce qui nous est utile selon que Dieu nous l'a disposé. Voicy un passage excellent: car c'est autant comme s'il nous estoit dit, que Dieu seul cognoist ses secrets, et qu'il n'a point de conseiller, comme il est dit aux autres passages de l'Escriture: et ainsi qu'il ne faut point que nous presumions d'entrer eu son conseil estroit, ne de plus cognoistre que ce qui nous est permis de luy: mais que nous apprenions seulement en son escole ce qu'il luy plaist de nous monstrer, et que nous cognoissions que c'est là toute nostre sagesse. C'est pourquoy i'ay dit que ce passage est excellent. Et

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pourquoy? Car il y a deux vices aux hommes qui sont difficiles à corriger: l'un est l'audace, l'autre est une fole vanité

Or quant à ceste audace, c'est que les hommes veulent plus savoir tousiours que Dieu ne leur ordonne: bref, ils veulent estre sages en despit que Dieu en ait: et c'est Dieu qui est la fontaine de toute sagesse. Ainsi donc voila un vice qui est enorme, et neantmois il est bien difficile à corriger: car nous voyons que les hommes viennent d'une impetuosité furieuse, Quoi qu'il en soit, ie veux savoir ceci et cela. Et voire, mais Dieu ne le permet point, il te met là une barre, la porte t'est fermee: par quel costé entreras-tu? Or voila, si est-ce que les hommes veulent quoi qu'il en soit s'enquerir de ce qui ne leur est point permis. Et au reste, il leur semble qu'ils y parviendront de leur propre vertu, Voire: car ils se glorifient tousiours en leur raison, et en leurs sens. Ainsi donc il nous faut batailler contre ceste audace et fierté qui est en nous de nature, et apprendre que nous ne pouvons rien, et qu'il ne faut pas aussi que nous appetions de plus savoir que nostre Seigneur ne veut. Voila pour un Item.

Or le second vice est ceste vanité frivole, c'est assavoir, que les hommes laissent ce qui leur est utile, et là où ils se devroyent arrester, et appliquer toute leur estude, ils n'en tiennent conte, et cependant ils s'iront tormenter à choses vaines qui ne leur apporteront nul profit. C'est là où ils trouvent, et font leurs discours, Et ie veux savoir ceci. Et pourquoi le veux-tu savoir ? Car il me plaist. Voila donc comme nous sommes menez de fols appetits de cognoistre les choses qui ne nous' sont point utiles, et ne nous peuvent edifier, ni en foi, ni en la crainte de Dieu. Et c'est pourquoi nostre Seigneur ne nous revele point beaucoup de choses: d'autant qu'en premier lieu il nous veut humilier. Car il cognoist nostre arrogance, et que nous serions insupportables si nous cognoissions tout: veu que nonobstant nostre ignorance; encores voit-on comme on ne nous peut tenir, que nous ne vuoillions apparoistre Voici Dieu qui nous rabbaisse, et quand nous desirons d'estre veus sages on perfection, nous sommes si ridicules, que les petits enfans se peuvent mocquer de nous: mais combien que nostre Seigneur nous tienne en telle bride, si est-ce que nous ne laissons pas encores de nous vanter, et nous faire accroire, voire et le persuader aux autres, qu'il n'y a que sagesse en nous. Nostre Seigneur donc nous tient sous ceste ignorance où nous sommes. Et pourquoi? Est-ce qu'il nous porte envie, que nous ne sachions ce qui nous et caché? Nenni: mais il nous veut par ce moyen instruire à humilité: et c'est le principal poinct de nostre sagesse que d'estre modestes et sobres, et mesmes sentir l'infirmité qui

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est en nous, afin de ne nous point eslever. Voila donc Dieu qui nous cache beaucoup de choses, afin que nous apprenions d'estre humbles (ce que nous ne serions point, si rien ne nous estoit incognu) et puis il discerne ce que nous est bon: et voila où il nous veut occuper du tout et retenir. Car en l'Escriture saincte nous ne trouvons pas que nostre Seigneur ait voulu paistre nostre curiosité, et qu'il nous ait voulu faire savoir ce que nous desirons. Nous avons les aureilles chatouilleuses, nous fretilons tousiours en nos desirs, Et ie voudroye savoir ceci, Et qu'est-ce que cela? Or ce sont toutes choses frivoles qui ne peuvent profiter: et Dieu pour corriger ceste vanité qui est en nous, et ce fol appetit, nous declare seulement ce qu'il cognoist nous estre bon. Et ainsi retenons bien ce passage, quand il est dit, Dieu a disposé la sagesse, voire et l'a retenue en soi: et cependant a dit aux hommes, Craignez-moi, et vous serez sages. Car par cela Iob signifie en premier lieu, que les hommes se trompent de se vouloir enquerir de tout: ils se rompent le col en volant si haut: c'est voler sans ailes, comme on dit. Ainsi donc, qu'ils apprennent de se contenter de ce qu'il plaira à Dieu de reveler. Voila pour un Item. Et puis pour le second, Que nous sachions bien ce que Dieu nous monstre, et en quoi il veut qu'un chacun de nous s'exerce: c'est que nous sachions ce qui nous peut edifier en sa crainte. Car il ne veut point que nous soyons sages, pour estre speculatifs, et pour voltiger en l'air, mais pour cognoistre comme nous avons à vivre: qu'il y ait sagesse coniointe avec la cognoissance de regler nostre vie comme il appartient.

Or maintenant donc nous voyons en premier lieu qu'il nous faut laisser à Dieu ses iugemens secrets, qu'il ne faut pas que nous presumions de savoir ce qui est par dessus nous: mais contentons nous de iuger de ce que Dieu nous monstre, voire sachans bien que beaucoup de choses sont reservees iusques au dernier iour: que ce sera alors que nous verrons face à face, et que maintenant il nous doit bien suffire de cognoistre en partie selon que nostre Seigneur n us en veut distribuer. Voila ce qui nous est ici monstré. Or quand ie di qu'il ne nous faut point appeter de rien savoir des iugemens secrets de Dieu, i'enten cela, que nous ne desirions point de passer plus outre que nostre Seigneur ne nous instruit par sa parole. Car quand nous savons, Dieu nous veut guider, il ne faut pas que nous craignions d'errer sous sa conduite: mais si nous allons de nostre phantasie speculer ce que Dieu nous cache, nous entrons en un abysme, et c'est raison que nous soyons accablez. Et voila comme Dieu punit l'orgueil de beaucoup de gens, lesquels ne se peuvent contenter de savoir ce qui leur est propre. Et ainsi Iob afin de corriger ces

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deux vices que Nous avons dit, nous monstre, Voila ce que Dieu a dit aux hommes. Ce mot pese beaucoup, Que Dieu a dit aux hommes: car c'est autant comme s'il disoit, Dieu a voulu coupper la broche aux hommes de s'enquerir de ses secrets, et de tout son conseil, sinon de ce qu'il leur monstrera: et cependant il leur declare que la doctrine qu'il veut qu'on apprenne en son escole, est utile pour edifier en saincte vie, afin que les hommes apprennent de s'assuiettir à celui qui les a creez et formez, et cheminer en son obeissance. Voila donc la sagesse que Dieu a ordonnee pour nous. En somme Iob nous mettant au devant la crainte de Dieu (voire d'autant que c'est toute nostre sagesse) signifie que nostre Seigneur nous retire de ce que nous appetons le plus, c'est de ces vaines speculations qui ne nous peuvent de rien servir, sinon de nous enfler d'une folle ambition, d'avoir ceste science pleine de vent qui est pour nous faire beaucoup presumer, et cependant il n'y a nulle utilité ny instruction. Iob donc a icy opposé ces deux choses, il a mis l'une d'un costé, et l'autre d'autre: disant, Les hommes veulent-ils estre sages? Il ne faut point qu'ils se facent sages à la façon de Dieu. Voila Dieu qui a toute sagesse en perfection: d'autant que nous approcherons plus de luy, tant plus serons-nous confus: car il n'est point question de nous faire semblables à Dieu quant à ceste sagesse, mais il est question de nous assuiettir plustost à luy. Voila quelle est nostre sagesse. Nous voyons ce qui en est advenu à nostre pere Adam et à nostre mere Eve: car Dieu n'avoit point esté chiche, qu'il ne les eust douëz d'une telle sagesse qu'il cognoissoit leur estre bon. Voila donc Adam qui est formé à l'image de Dieu, pour avoir intelligence de tout ce qui luy appartenoit, tellement qu'il ne pouvoit rien souhaitter, s'il eust eu un desir modeste et bien reglé. Mais quoy? Voila Satan qui luy souffle en l'aureille, qu'il sera semblable à Dieu, cognoissant toutes choses. Là dessus il se . desborde, et fait du cheval eschappé, O il faut donc que ie n'ignore rien. Nous voyons comme il luy en a prins: car auiourd'huy d'ou vient ceste bestise qui est en nous? car il faut que nous cognoissions en despit de nos dents, quand on nous parle de Dieu, que nous sommes povres bestes, et que toute la clarté que nous cuidons avoir n'est que tenebres, comme aussi l'Escriture en parle. D'où vient cela que l'homme sensuel ne comprend rien des mysteres de Dieu, et que si Dieu nous appelle d'un costé, nous reculons de l'autre, ou bien que nous sommes si lasches, que nous ne pouvons pas approcher de luy? D'où procede cela? C'est le payement de cest orgueil qui a esté en Adam quand il ne s'est point contenté d'estre illuminé dé l'Esprit de Dieu entant qu'il estoit expedient de

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savoir les choses qui estoyent propres à son salut: mais a voulu estre semblable à Dieu. Et quand il a esté ainsi eslevé, il a falu qu'il ait rencontré la main de Dieu puissante, pour le mettre en cest horrible abysme de confusion où nous sommes auiourd'huy

Voila donc pourquoy notamment Iob dit, que Dieu a dit aux hommes. Comme s'il disoit, Or ça que vous advisiez quel chemin vous devez tenir pour estre sages: or ce n'est point de vouloir monter par dessus les nues, et esplucher beaucoup de choses qui nous doivent estre incognues: comme de dire, Pourquoy est-ce que Dieu a tant differé de creer le monde? et qui l'a esmeu de faire cecy et cela? et pourquoy est-ce qu'il dispose les choses ainsi? pourquoy est-ce qu'il permet que les choses aillent un tel train? Vostre sagesse ne gist point là et quand vous cuiderez estre sages par ce moyen, vous ne ferez que vous esgarer, et iamais vous ne pourrez sortir d'un tel labyrinthe: vous ne ferez que vous escarter, en sorte que vous demeurerez confus. Oh trouverez-vous donc la sagesse? C'est, dit-il, à moy de iuger, et discerner ce qui vous est bon. Apprenez de vous contenter de ce que ie vous monstre et enseigne: car c'est à moy de voir ce qui vous est utile, assavoir, de me craindre et honorer. Tenez vous donc là, et ne passez point ces bornes. Maintenant nous voyons l'intention de Iob ou plustost du sainct Esprit. Et ainsi apprenons de ne plus lascher la bride à ceste folle cupidité et fretillante qui est en nous, de savoir ce qui ne nous peut de rien servir, et d'entrer au conseil estroit de Dieu, de vouloir examiner la raison de tous ses iugemens: ce n'est point là où il nous faut occuper, et appliquer nostre estude. A quoy donc? A ce qui nous peut servir en vraye edification. Et c'est ce que dit S. Paul, que toute l'Escriture saincte est utile. Or comment est-ce que Dieu a dit aux hommes que la sagesse estoit de le craindre? Il l'a dit, et l'a monstré aussi par effect, quand il a publié sa Loy, et l'a exposee par ses Prophetes, et finalement par l'Evangile. Voila donc où Dieu nous declare que nostre sagesse est de le craindre. Or maintenant pour mieux faire profit de ceste doctrine, notons en premier lieu quelle est la bonté de nostre Dieu, en ce qu'il nous communique la sagesse qu'il cognoit nous estre bonne et propre: voire combien que nous en soyons privez et exclus de nature. Il a desia esté dit, que la sagesse ne se trouvera point entre les vivans, non pas entre les trespassez, qu'on pourra aller iusques aux abysmes, mais on demeurera tousiours confus: car la sagesse n'est sinon en Dieu: les morts pourront dire, Nous en avons ouy parler, mais c'est tout, nous ne la cognoissons point, nous n'avons nulle privauté avec elle. Or maintenant voicy nostre

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Seigneur qui nous fait cest honneur et ceste grace, de nous presenter sa sagesse, qui est un thresor caché, un thresor inestimable: nous n'y avons nul accez, et Dieu nous la vient offrir, en sorte qu'il ne faut point que nous facions de longs circuits pour la trouver. Et pourquoi? Seulement souffrons d'estre enseignez de nostre Dieu, et ce thresor nous sera presenté. C'est donc un bien singulier que Dieu nous fait, quand il luy plaist nous communiquer ce qui estoit ainsi estrange de nous, et dont nous estions privez et bannis.

Et voila pourquoy aussi il reproche à l'homme ceste ingratitude au huictieme chap. des Proverbes, quand il est dit, La sagesse crie par les rues, par les places publiques, Venez à moy, ie suis preste de me declarer à vous: elle heurte aux portes, elle declare que son bon plaisir est d'habiter au milieu des hommes: et cependant nul ne la reçoit, on s'en moque, on ne tient conte d'un tel bien et si grand, qui nous est offert. Voila donc la reproche que Dieu nous fait, c'est que nous pouvons bien cognoistre que la sagesse est une chose si precieuse, qu'il n'y a or ni argent qui lui puisse estre esgalé: et pourtant, qu'il faut bien dire que nous soyons plus qu'insensez: et que le diable nous a bien ensorcelez, quand nous ne tenons conte d'avoir ceste sagesse, lors qu'elle s'offre à nous. Il n'est point question de l'acquerir, de tracasser beaucoup, de prendre grand' peine, ou de faire grans circuits, recevons-la quand elle nous est mise au devant: et neantmoins nous voyons qu'on n'en tient conte. Pourquoy? Il ne faudra qu'une espingle, comme on dit, pour nous amuser, il n'y a celuy de nous qui ne soit retenu par ses cupiditez, en sorte que nous desirerions plus de profit d'un liard ou d'un sould, que nous ne ferions point la sagesse de Dieu. Et puis il n'y a point seulement une chose qui nous empesche, mais chacun selon qu'il est adonné à un vice ou à un autre, il sera destourné, et sera aisement eslongné de Dieu. Un paillard sera tellement souille en son ordure, qu'il aura les aureilles bouschees, et mesmes il sera du tout sourd, qu'on aura beau parler à lui, Dieu criera haut et clair, mais il n'y entendra rien. Un avaricieux le semblable, un yvrongne autant: bref, nous voyons que les empeschemens sont divers pour destourner les hommes de se laisser instruire de Dieu. lais tant y a que c'est un vice par trop commun et ordinaire que Dieu accuse en ce passage-là, c'est assavoir, que quand il envoye ce thresor de sagesse, lequel doit estre commun aux hommes, et qu'il heurte à leurs portes, qu'il les convie, chacun recule plustost que d'en approcher.

Au reste, comme Dieu accuse et condamne là les hommes de leur nonchalance brutale, et de leur ingratitude, aussi il monstre à tous fideles combien

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ils doivent priser d'estre enseignez de lui: comme quand il est dit au Deuteronome (4, 6), quatrieme chapitre, Voici ta sagesse et ton intelligence, c'est que ton Dieu s'approche de toi, et qu'il te declare sa volonté, qu'il te monstre ce qui te sera bon pour ton instruction, et pour t'edifier en lui. Voila donc où nostre Seigneur nous convie, quand il nous veut amener à lui, quand il declare que toute nostre sagesse et intelligence vraye est de l'escouter, voire pour comprendre ce qu'il nous monstre par sa parole: comme s'il disoit, Povres gens, ne vous abusez point comme font les mondains et incredules pour vous appliquer à choses vaines: mais retenez ce que ie vous monstre, et sachez que c'est toute vostre sagesse et intelligence: et que vous serez fols, voire enragez quand vous attenterez de sortir hors de ces bornes ici. Et cependant il reproche derechef, et en reprochant il monstre que nous n'aurons nulle excuse, quand nous avons sa parole, si nous ne cheminons droitement. Et pourquoi? Tu ne diras plus (dit-il au trentieme du Deuteronome) Qui est ce qui montera au ciel? qui descendra au: abysmes? qui est-ce qui passera la mer? Voici, la parole est en ton coeur et en ta bouche. Nostre Seigneur donc declare là, que nous ne pouvons pas alleguer qu'il nous est trop difficile de comprendre les choses qui sont par dessus nous: que si nous alleguons la durté de nostre esprit, si nous alleguons la hautesse des secrets du ciel, Non, non, dit Dieu, i'ai prouveu à tout cela, ie suis allé au devant: car en vous donnant ma Loi, et vous declarant ma volonté, ie vous ai tellement assigné la sagesse, qu'elle ne demande qu'habiter au milieu de vous: comme aussi il est dit en ce huictieme des Proverbes (v. 31), Ion plaisir est d'habiter au milieu des hommes. Vous ne ferez point donc longs discours pour venir à moi, il n'est point besoin de voler par dessus les nuës, il ne faut point entrer aux abysmes, il n'est point question d'aller outre mer,: car quand ma parole vous est donnee en la bouche, et qu'elle vous est mise au coeur, voila toute vostre sagesse, voila où il vous faut arrester.

Or maintenant donc en premier lien, puis qu'ainsi est, quand les hommes mesprisent ceste grace qui leur est offerte, lors qu'il leur communique sa parole, ils lui font la guerre entant qu'en eux est. Advisons bien donc à nous: car voici un mot qui nous doit beaucoup peser, quand il est dit, Que la sagesse prend son plaisir d'habiter entre nous. Dieu introduit là sa sagesse qu'il nous en oye, comme en sa personne. Ainsi donc puis que le plaisir de Dieu est que nous recevions sa sagesse, cognoissons qu'en la reiettant nous lui faisons la guerre, comme i'ai dit: et que c'est autant comme si nous le voulions despiter à nostre escient, et le

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chasser d'avec nous. Et ne voila point une chose par trop enorme? Au reste ai nous desirons nostre salut, et voila Dieu qui nous monstre le chemin, et nous convie à soi, afin qu'en lui nous trouvions toute plenitude de bien: et nous ne daignons pas y venir, mais lui tournons le des. Apres, quand il nous instruit, c'est afin d'estre cognu de nous, et que nous soyons comme transfigurez en lui: et nous savons que son image et sa gloire est une chose que nous devons preferer à tout: quand donc nous ne pouvons souffrir d'estre enseignez, c'est autant comme si nous voulions convertir la clarté en tenebres, et aneantir la gloire de Dieu, afin qu'elle n'apparust plus, et qu'elle ne fust point cognue. Et ne faut-il pas que les hommes soyent de terribles monstres, et bien endiablez, quand ils taschent ainsi d'abolir la gloire de Dieu, d'esteindre la clarté, voire en laquelle estoit leur bien et leur salut et toute leur ioye? Or tant y a que ce vice est plus que commun. Ainsi donc apprenons de priser ce benefice que Dieu nous fait,. quand il lui plaist de nous convier en son escole, qu'il nous ouvre la porte, afin que nous soyons instruits de lui, et qu'au lieu que de nature nous estions privez de ceste sagesse, il la vient mettre devant nos yeux, et nous la presente si familierement: et mesmes n'attend pas que nous le requerions, mais vient hurter à nos portes, nous sollicite, et ne demande sinon de nous gagner à soi. Quand donc nostre Seigneur use d'une telle douceur envers nous, qu'il nous convie si humainement, apprenons d'estimer cest honneur, et que nous ne lui soyons point tant ingrats quand il veut que nous venions â. Iui. Et mesmes souvenons nous de ce qui a esté dit, c'est assavoir, que c'est de nostre nature: car il n'est point question que Dieu nous instruise comme les Anges du ciel. Quant aux Anges du ciel, combien qu'ils soyent d'une nature si noble et si excellente, combien que desia ils soyent participans de la gloire celeste, combien qu'ils retiennent ceste integrité qu'ils ont eu en leur creation: si est-ce qu'encores ils sont tenus à Dieu tant et plus de ce qu'il lui plaist de les faire participans de sa volonté, et faut qu'ils soyent ravis en estonnement

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pour la grace qui leur est faite. Or il n'est pas ainsi de nous comme d'eux: car premierement nous sommes creatures terrestres quant à nos corps, et combien que Dieu nous ait donné des esprits immortels, si est-ce que nous habitons icy en des loges de fange et d'argile, comme il a este declaré ce dessus, il n'y a que corruption, nous sommes icy parmi les bestes brutes, parmi les vermines, parmi les choses qui sont si basses, et si pesantes, qu'il semble qu'il y ait une distance infinie entre nous et le ciel. Mais il y a encores pis, c'est que nous sommes privez de ceste intelligence qui avoit esté donnee à nostre pere Adam: nous sommes donc comme creatures reprouvees. Combien que les asnes et les boeufs retiennent leur naturel, si est-ce que les hommes sont tellement depravez, et corrompus, que quand il les appelle à soy, au lieu qu'ils devroyent estre ravis d'une telle bonté, ils en sont moins esmeus que les bestes brutes. Voila Dieu qui ne demande sinon que nous soyons participans de sa gloire, voire de tous les biens qu'il a en soy, et nous entrons desia en possession d'iceux quand sa parole nous est preschee. Or maintenant si nous ne pouvons faire nostre profit de tout cela, ie vous prie que sera-ce? Ainsi donc puis que le temps ne peut porter que nous en disions d'advantage, pour le present: advisons en premier lieu de nous tenir en telle ignorance que Dieu voudra: car lui seul cognoist bien ce qui nous est propre et utile. Et ainsi, qu'il nous suffise d'estre enseignez en son escole, d'apprendre ce qu'il nous monstre. Au reste, que nous cognoissions sa volonté ainsi qu'elle est contenue en l'Escriture saincte. Et cependant que nous ne soyons point si ingrats de reietter le bien que Dieu nous veut faire, et qu'il nous offre, que nous soyons là attentifs, et que nous mettions peine de nous despouiller de toutes nos affections mauvaises, et que nous souffrions tellement d'estre enseignez de nostre Dieu, que nous soyons edifiez en ce qu'il nous monstre, que nous y profitions de plus en plus, et que nous desirions d'y estre confermez tout le temps de nostre vie.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

IOB CHAP. XXVIII.

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LE CENT ET TROISIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXVIII. CHAPITRE.

Ce sermon est encore sur tout le texte du precedent.

Nous avons monstré par ci devant que l'intention de Iob est, de monstrer aux hommes qu'ils se doivent tenir en telle sobrieté, qu'ils n'appetent point de plus savoir que Dieu leur permet: et ainsi qu'ils ne trottent point à l'esgaree, mais qu'ils suivent le chemin qui leur est adresse. Pour ceste cause ici Iob nous discerne d'avec Dieu, et monstre que ce n'est pas raison que l'homme mortel s'esleve pour s'enquerir de ce qui est en Dieu, et ne vouloir rien ignorer. Contentons-nous d'estre suiects à celui auquel nous ne pouvons point parvenir, sinon entant qu'il lui plaist de nous eslever à soi, et mesmes qui nous fait ceste grace de s'abbaisser afin que nous le cognoissions: car il seroit impossible à nostre infirmité de monter à ceste hautesse de Dieu: il faut donc qu'il descende à nous. Et ainsi ne pensons point que nostre sagesse soit de savoir tout: mais cognoissons qu'il nous faut estre en un degré qui est beaucoup inferieur à la hautesse de Dieu, et que nous adorions ce qui nous est caché, c'est assavoir, les secrets de Dieu admirables. Voila donc en somme ce que nous avons à noter sur ce passage, quand il est dit, Dieu creant le monde a bien monstre qu'il a une autre sagesse que nous ne pouvons pas avoir. Car ce n'est point à nous de mesurer les vents, ou les eaux, de disposer tout l'ordre du monde et de nature: si cela surmonte nostre capacité, apprenons de nous humilier, et nous contenter de l'intelligence qui nous est donnee.

Or suivant ce qui a desia esté deduit, pesons bien ce mot, Que Dieu a dit à l'homme. Car c'est pour monstrer qu'il ne nous est point licite de plus savoir que ce qui nous est donné d'en-haut. Et au reste, notons bien la grace que Dieu nous a faite par dessus les autres. creatures. Car quand Iob dit notamment, que Dieu s'est addressé aux hommes pour leur donner quelque sagesse par mesure: en cela il monstre, que nous ne sommes point comme les bestes brutes qui vivent sans discretion, mais que Dieu nous a fait un privilege excellent, c'est que nous soyons entendus, que nous ayons quelque clarté et raison pour savoir que. c'est de vivre, que nous ayons quelque modestie et honnesteté. Apprenons donc de priser la grace de Dieu et l'honneur qu'il lui a pleu de nous faire, quand il nous a ainsi separé d'avec les bestes brutes. Or ceci est bien digne d'estre noté, pource que nous

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voyons deux vices extremes aux hommes, selon que iamais ils ne peuvent tenir un bon moyen. Ceux qui veulent estre sages et entendus, s'addonnent à beaucoup de vaines curiositez, ils speculent, ils tracassent et haut et bas, et sont insatiables, ils ont desir de savoir ceci et cela, iamais n'ont repos, d autant qu'ils travaillent tousiours à choses vaines et inutiles. Voila une extremité bien mauvaise, quand les hommes ne peuvent cognoistre leur mesure, mais voltigent ainsi, et se fourrent en des abyesmes si profonds qu'ils ne s'en peuvent tirer. Au contraire ceux qui ne veulent point se tormenter ainsi en vain, que font ils? Ils s'abbrutissent, comme nous le voyons par experience, sur tout en la Papauté. le vous prie, n'avons-nous pas là un beau miroir de ceste sottise qui est aux hommes, que quand ils pensent bien se contenir en quelque modestie, ils ne veulent rien savoir du tout, et se ferment la porte à ce qui doit estre commun à tous hommes: bref, de peur d'estre trop excessifs en curiosité, ils deviennent comme veaux, ou comme autres bestes brutes sans aucune intelligence. Et nous voyons que ceux qui n'ont point entendu un seul mot de latin, afin de s'abbrutir ainsi parlent latin, Mitte arcana Dei, c'est à dire, qu'il ne se faut point enquerir des secrets de Dieu. Voila comme les hommes excedent tousiours leurs limites, ne pouvans tenir bon moyen. Pour ceste cause retenons ce qui est contenu en ce passage, c'est assavoir, que Dieu notamment a dit aux hommes, Voici la sagesse. Iob donc magnifie ici ceste cognoissance que Dieu nous a donnee, en nous separant d'avec les autres creatures: comme il est dit au premier chapitre de sainct Iean, que nous n'avons point seulement vie pour boire et pour manger, et pour exercer nostre corps: mais qu'il y a ceste clarté d'intelligence. Or d'autant que ce bien ici merite d'estre magnifié, advisons que nous n'en soyons point despouillez et privez par nostre ingratitude. Quand Dieu nous ouvre les yeux, si nous les fermons, ne sommes nous pas dignes d'estre diffamez, comme ayans perverti l'ordre de nature? Quand Dieu nous donne discretion du bien et du mal, et qu'il veut que nous soyons ici pour contempler ses oeuvres afin d'approcher de lui, et d'estre participans de son image, selon que nous sommes entendus: si nous profanons tout cela, et ne voulons rien savoir, n'est-ce pas

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manifestement batailler à l'encontre de nostre Dieu pour renoncer au bien qu'il nous vouloit faire, ouy qui est le principal et le plus à estimer? Voila donc deux choses en somme que nous avons à retenir: l'une c'est que Dieu n'a point mis les hommes en ce monde pour les priver de toute intelligence: car il ne veut point qu'ils soyent semblables à des asnes, ou à des chevaux, il les a douëz de raison, et a voulu qu'ils fussent entendus. Il s'est donc addressé à eux notamment, quand il a dit, Voici la sagesse. Pourquoi n'a-il aussi bien parlé aux autres creatures? Pource qu'il ne leur a point voulu faire un tel honneur comme à nous et ne les a point eslevé en un degré si haut. Et ainsi (comme i'ai dit) tous ceux qui ne tiennent conte de profiter en vivant, monstrent bien qu'ils ne demandent sinon de s'aliener du tout de leur Createur. Voila pour un Item.

Mais pour le second aussi, nous avons à retenir que nostre Seigneur nous a mis des bornes qu'il ne nous faut point exceder: et que ceux qui voudront estre sages et bien entendus, il ne faut pas qu'ils s'esgarent à travers champs, et s'appliquent à des folles speculations et resveries, mais qu'ils retiennent ceste leçon en premier lieu, c'est assavoir de ne point appeter sinon ce que Dieu leur monstre. Voila nostre sagesse, que ce soit là tousiours comme nostre preface: et quand nous voudrons estre bien entendus escoutons ceste voix, c'est assavoir, que nostre Seigneur nous tient en telle modestie, qu'il ne veut pas que nous trottions çà et là: mais que nous recevions ce que bon lui a semblé de nous enseigner. Or venons maintenant à ce mot de Crainte de Dieu. C'est nostre sagesse de craindre Dieu. Il semble bien qu'ici Iob restraigne par trop la sagesse des hommes, quand il l'enclost du tout en la crainte de Dieu: car nous savons que nostre Seigneur nous apprend d'autres choses en sa parole. Or est-il ainsi que voila nostre sagesse, c'est d'escouter Dieu quand il parle, et de retenir tout ce qu'il nous dit, et ne point faire des sourds à nostre escient: mais que nous ayons et les yeux et les aureilles ouvertes, quand il nous monstre sa volonté, et parle à nous: comme il est dit au quatrieme du Deuteronome, Voici ta sagesse et ton intelligence, c'est assavoir, que tu profites en l'escole de ton Dieu, puis qu'il daigne bien estre ton maistre. Il falloit donc dire plustost que la sagesse des hommes est, non point de s'enquerir de tout ce que bon leur semblera, mais de venir à la parole où Dieu les veut retenir, et de s'assuiettir là du tout, et ne point exeder leur mesure. Au lieu de cela Iob dit, Que nostre sagesse est de craindre Dieu. Or il nous faut noter en somme, qu'ici, outre la sobrieté dont nous avons fait mention, il nous monstre que nostre sagesse

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est celle qui nous edifie pour cheminer en la crainte de Dieu, et pour lui obeir. Il ne veut point donc ici nous retirer de la foi et de ce qui en depend, c'est assavoir, que nous cognoissions la bonté infinie de nostre Dieu pour estre appuyez sur icelle, que nous ne doutions point qu'il ne nous soit propice, d'autant qu'il nous pardonne nos pechez au nom de nostre Seigneur Iesus Christ: et puis qu'il nous a adoptez, qu'il nous aimera comme ses enfans pour procurer nostre salut iusques en la fin. Iob donc n'exclud point ici la foi en parlant de la crainte de Dieu, mais en somme il monstre, que la vraye sagesse n'est point speculative: comme nous voyons que plusieurs se tormentent et travaillent beaucoup pour savoir ceci et cela, et ne savent pourquoi, il n'y a nulle fermeté. Si on leur demande,. Et bien, quand vous aurez comprins les choses qui vous sont du tout cachees que sera-ce? Quel profit aurez-vous? Il est certain qu'il n'y en aura point, et ils n'en seront pas meilleurs. Ce n'est point assez de se repaistre de vent, et de ce fol appetit, d'estre enflez, comme S. Paul en parle, disant que la science enfle (1. Cor. 8, ). Voila quelle est la vanité des hommes.

Mais à l'opposite Iob dit, que quand nous serons sages selon que nostre Seigneur l'ordonne, nous serons edifiez à bien pour cheminer en la crainte de Dieu. Voila pourquoi aussi au premier chapitre et neufieme des Proverbes la crainte de Dieu est nommee le chef ou le commencement de sagesse. Or il est vray qu'aucuns entendent commencement-là comme un A, B, C, La crainte de Dieu est le commencement de sagesse. Pourquoi? c'est par là qu'il faut commencer: comme on ne mettra point du premier coup un enfant aux sciences les plus hautes et profondes, mais il faut qu'il ait les rudimens. Or ceux qui prennent ainsi les mots de Salomon, 3e fondent sur ce qui est dit en la Canonique de S. Iean (4, 18), que la vraye charité et la parfaite oste et chasse la crainte: mais sainct Iean en ce lieu-là parle de la crainte qu'ont les infideles quand ils fuyent Dieu, tremblans sous sa maiesté, pource qu'ils ne savent où ils en sont. Car quiconques n'a point apprehendé la bonté de Dieu pour venir à lui et s'y fier, comme sont tous ceux qui ne cognoissent point que Dieu s'est voulu reconcilier à nous en nostre Seigneur Iesus Christ, et que, puis qu'il nous a adoptez, il ne faut point que nous doutions qu'il ne se monstre tousiours amiable envers nous, et qu'il ne nous reçoive à merci: tous ceux donc qui n'ont point gousté cela, quand on leur parle de Dieu ils sont en frayeur et estonnement, ils sont comme un povre malfaicteur qui fait, et qui voudroit que toute iustice fust abolie. Voila donc quelle est la condition de tous incredules, qu'ils sont à demi trensis, et tant

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qu'il leur est possible ils fuyent Dieu. Mais quand nous sommes persuadez de la misericorde de Dieu, nous sommes attirez par ceste douceur-là à nous conioindre à luy, nous venons comme la teste levee: non point que nous n'ayons tousiours reverence et humilité, mais tant y a que nous sommes bien resolus que Dieu nous a agreables: et ainsi nous n'avons plus ceste doute et inquietude, de laquelle les pauvres incredules sont tormentez. Sainct Iean parle de ceste crainte-la: mais quand il est dit en Salomon, Que la crainte de Dieu est le chef et le commencement de sagesse, c'est pour monstrer que c'est le principal, bref c'est une doctrine telle du tout que celle qui nous est icy enseignee de Iob, que si les hommes veulent estre sages, il faut qu'ils apprennent de cheminer en la crainte de Dieu, qu'ils soyent edifiez pour reigler leur vie comme il appartient, et non pas s'adonner à des speculations qui les tiennent en branle sans aucun profit, sans aucune fermeté. Et de fait voila pourquoy aussi Salomon en l'autre passage dit (Prov. 14, 17), que mesmes la crainte de Dieu est la fontaine de vie. Il ne l'appelleroit pas fontaine de vie qui tire les hommes de perdition (comme il adiouste) n'estoit qu'il nous faut du tout tenir là, et que c est nostre felicité parfaite.

Ainsi donc maintenant nous voyons quel est le sens de ce passage, c'est assavoir, que ceux qui sont edifiez à craindre Dieu et à luy obeir, sont vrayement entendus, et que c'est là où il nous faut appliquer nostre estude, et non point à des speculations volages. Cecy sera encores plus aisé à entendre, si nous adioustons un beau passage du Prophete Isaie au trentretroisieme chap. (v. 6). Là il parle de la vraye reformation de l'Eglise qui avoit esté au paravant dissipee et confuse, Il dit donc que les choses qu'on voyoit alors estre renversees, reviendroyent en leur estat au temps d'Ezechias, voire selon qu'il estoit figure de nostre Seigneur Iesus Christ: car il n'y a nulle doute que le Prophete Isaie ne traitte là de la perfection qui devoit estre à la venue de Iesus Christ. Or il dit, que la fermeté, la vertu, le salut du temps d'Ezechias sera sagesse et intelligence, et que la crainte de Dieu sera son thresor. Icy nous voyons comme le Prophete declare que là où Dieu n'est point cognu, il faut que tout soit comme dissipé, qu'il n'y ait que desolation: comme aussi il est dit en l'autre passage (Isaie 5, 13), où le Prophete se plaint que tout estoit renversé, d'autant qu'il n'y avoit point de cognoissance de Dieu en la terre, que les hommes estoyent desbordez à tout mal. Et est-ce merveilles quand les hommes s'abusent ainsi de leur gré, si Dieu les met en sens reprouvé, qu'ils n'ont plus nulle honte de se ietter à des pechez si enormes et si vilains, que c'est une chose detestable?

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Voila donc pourquoi le mesme Prophete Isaie dit Que le peuple a este mené en perdition, pource qu'il n'avoit point eu de cognoissance. Ainsi au contraire en ce passage que nous avons allegué, il monstre que quand l'Eglise sera remise en son entier, que les choses seront reduites en bon ordre, la sagesse et intelligence est la fermeté, et le salut et la force. Comme s'il disoit, que le salut de l'Eglise ne peut autrement consister, sinon quand les hommes sont enseignez purement, et cognoissent ce qui leur est utile. Et en cela voit-on que c'est de l'Eglise Papale: car ils ont assez de pompe et nous voyons aussi comme avec un orgueil diabolique ils osent despiter Dieu, qu'ils ne feront nulle difficulté de s'attribuer ces titres tant braves, qu'ils ont la Hierarchie celeste par devers eux, et la confirmation de la verité de' Dieu et de sa doctrine qu'ils tiennent le S. Esprit en leur manche, qu'ils tiennent Dieu attaché en leurs parois: mais cependant quelle est la cognoissance? Tout au contraire nous voyons qu'ils ne demandent sinon d'abbrutir le povre monde: et ainsi nous pouvons bien conclurre que tout l'edifice de l'Eglise de Dieu est renversé par eux et mis en confusion horrible. Et pourquoi Ca; la sagesse y defaut, que le Prophete Isaie prononce estre le salut, la force, et la fermeté de l'Eglise. Ainsi donc voila quant au premier point, mais pour approprier ce passage-la à ce qui est icy contenu, il s'ensuit que le thresor d'Ezechias et de tout le corps du peuple, est la crainte de Dieu. Là donc Isaie nous monstre bien ce que Iob a entendu, c'est assavoir, que ceux qui cognoissent ce que Dieu apprend par sa parole, ne seront point adonnez à des petites subtilitez et frivoles: mais seront edifiez en bien, pour savoir regler leur vie, pour cheminer en la crainte de Dieu: car sous ce mot de Thresor, il monstre que c'est là où les hommes se doivent pleinement arrester comme à leur pleine felicité et parfaite, et là où ils doivent aussi prendre leur contentement et repos. Maintenant nous voyons ce qui est icy dit estre bien vray, c'est assavoir, que les hommes seront sages et entendus, quand ils auront profité iusques là, de cheminer en l'obeissance de Dieu et en saincteté de vie.

Au reste revenons à ce qui a esté desia touché, c'est assavoir, que cependant il nous faut appliquer toute nostre estude, et estendre nos sens à ce qui est contenu en l'Escriture saincte, pource que là il n'y a rien qui ne nous soit utile. Et defait il est impossible de craindre Dieu, et de nous adonner à son service, sinon que nous ayons cognu sa bonté: comme il est dit au Pseaume cent trentieme (7), Seigneur tu es bon, et il y a misericorde envers toy, afin qu'on te craigne. Nous voyons donc que les hommes ne peuvent avoir nul fondement de

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crainte de Dieu, iusques à ce qu'ils ayent cognu et apprehendé sa misericorde, afin de venir franchement à luy et le cercher. Car cependant que nous fuirons Dieu, nous luy sommes farouches, et par consequent nous luy sommes rebelles. Or iamais les hommes ne concevront un droit goust de ceste bonté, sinon estans enseignez par l'Escriture. C'est donc là aussi où est ceste crainte. Car sous ce mot il ne faut point que nous pensions que l'Escriture signifie seulement quelque servitude que les hommes rendront à Dieu, voire comme estans forcez: mais ceste crainte icy emporte que nous soyons pleinement adonnez à nous laisser gouverner par la main de Dieu, que nous cognoissions sur tout quelle est sa bonté et sa misericorde, et que nous luy portions telle reverence que nous soyons vrayement conioints à luy. Et de fait quand il parle de l'honneur qui luy appartient, non seulement il allegue sa maiesté, non seulement il se dit maistre et Seigneur: mais il se dit Pere quant et quant. Car il crie par son Prophete Malachie (1, 6), Si ie suis maistre, où est la crainte? Et si ie suis Pere, où est l'amour? Or il est vray que là il distingue entre l'amour et la crainte: mais puis apres il monstre que tous les deux se rapportent à un: c'est assavoir, que d'autant que nous le devons cognoistre comme Pere et maistre, nous le devons aimer, voire avec telle reverence qu'on toute nostre vie nous ne desirions, et ne taschions sinon de luy obeir.

Ainsi donc maintenant nous voyons, que tant s'en faut que Iob ait icy voulu reietter la foy, que plustost il nous y introduit: car c'est par ce bout-la aussi que nous avons à commencer pour cheminer en la crainte de nostre Dieu. Et voila pourquoy quand S. Paul parle de sagesse, il prie Dieu qu'il ouvre les yeux aux: Ephesiens (1, 18), afin qu'ils cognoissent quelle est l'esperance du salut que Dieu leur a appresté au ciel par la resurrection de nostre Seigneur Iesus Christ: et puis au troisieme chapitre (v. 18) il dit qu'il faut que nous cognoissions la dilection de nostre Seigneur Iesus, et l'amour qu'il nous a declaré, afin de nous rendre certains de nostre salut: que voila nostre longueur, nostre largeur, nostre hautesse, et nostre profondeur. Comme s'il disoit, que nous aurons beau nous estendre de tous costez: que si nous voulons monter, nous ne pourrons pas aller plus haut que de comprendre cest amour qui nous a este declaré en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ: nous aurons beau aussi cereher tous les abysmes, mais si se faut-il bien tenir là: quand nous irons et de costé et d'autre, que voila tout ce qu'il nous faut savoir c'est que nous concevions comme Dieu se declaré nostre Pere et Sauveur, comme il nous a adoptez en la personne de son Fils, et qu'ils nous a voulu

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faire participans de sa bonté et misericorde, en laquelle nostre salut consiste. Nous voyons donc maintenant comme il faut que pour craindre Dieu nous soyons certifiez de sa bonté: mais icy Iob a mis une espece pour le tout, voire afin de condamner toutes ces folles subtilitez, où les hommes s'adonnent quand ils n'ont point ceste affection et zele d'estre edifiez en la crainte de Dieu. Au reste, nous avons à recueillir de ce passage, que la parole qui nous est donnee, et aussi qui est contenue en l'Escriture saincte, est un thresor si excellent que nous ne le pouvons assez magnifier. Nous savons que la sagesse sera prisee, voire des plus ignorans, et des plus idiots: car nostre Seigneur nous a donné ceste impression-la en nature que nous savons que c'est une chose desirable que la vraye sagesse. Or nostre Seigneur intitule sa parole de ce nom tant honorable, et nous monstre que si nous y profitons, voila où toute nostre sagesse consiste. Cecy donc nous doit bien enflammer à cercher ce qui est contenu en l'Escriture saincte Bref' pour profiter en l'escole de nostre Dieu, i! faut avoir cela: ou bien nous monstrons que ce qui est desirable de nature, nous le reiettons et en voulons estre privez. Ainsi donc que nous apprenions d'estre enflammez d'un tel desir de profiter en l'Escriture saincte, que nous preferions la doctrine qui est là contenue à tous nos appetits, et à toutes les vanitez de ce monde qui nous transportent.

Au reste, il ne suffit pas que nous ayons un tel desir de profiter en l'Escriture saincte, mais que nous apprenions aussi de l'honorer comme il appartient. Nous verrons auiourd'huy que beaucoup de phantastiques mespriseront la parole de Dieu, pource qu'il leur semble qu'il y a là une simplicité pour le commun populaire, et que quant à eux ils n'auront point l'esprit assez aigu, s'ils s'adonnent à l'Escriture saincte. Or nostre Seigneur les paye comme ils en sont dignes: car si on sonde ce qui est en eux, on trouvera qu'ils sont doubles aveugles, et que nostre Seigneur les prive du sens commun, qu'ils sont plus insensez que les plus idiots et les plus barbares du monde. Voila, di-ie, quel est le salaire de l'orgueil de tous ceux qui ne tiennent conte de la parole de Dieu. Vray est que de primeface nous verrons là une simplicité grande: car nostre Seigneur n'use point d'un style haut, mais plustost il s'accommode et à grans et à petis: cependant cela ne derogue en rien à la maiesté de l'Escriture saincte. Pourquoy? La bonté de Dieu doit-elle obscurcir sa gloire? Doit-elle empescher que nous ne luy soyons humbles, et que nous ne luy rendions l'honneur qui luy appartient? Mais tout le contraire. Car qui est cause que nostre Seigneur parle ainsi grossement en l'Escriture saincte? C'est sa bonté infinie, que voyant que

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nous avons les esprits trop lourds, il begaye avec nous. Puis qu'ainsi est, apprenons de porter reverence à l'Escriture saincte, combien que nostre Seigneur use là d'un langage commun, voire d'un langage grossier pour gens qui ne sont point lettrez. Or il y a encores plus: car S. Paul nous monstre (1. Cor. 2, 4. 5) que nous devons tant mieux contempler la vertu celeste, et la maiesté divine en l'Escriture saincte, quand il n'y a nul fard, qu'il ny a point un langage affiné, comme nous voyons que les mondains s'estudient à Rhetorique, et colorent leurs mots d'une braveté frivole. En l'Escriture saincte donc nous trouvons un langage grossier, mais cependant voila la maiesté de Dieu qui se monstre: il n'y a rien de charnel ne de terrestre pour luy donner lustre, mais nous sommes convaincus que c'est Dieu qui desploye là son bras, et mesmes sommes contraints de le sentir et dire. Et ainsi tant s'en faut que ceste simplicité de l'Escriture saincte nous doive induire à la mespriser, comme nous verrons ces orgueilleux puants qui n'en tiendront conte: que mesmes c'est afin de nous faire mieux sentir que Dieu n'a que faire d'emprunter nulles aides d'ailleurs, et que sa vertu se monstre là comme à veuë d'oeil, afin que nous en soyons tant plus esmeus pour luy faire hommage, et nous assuiettir du tout à luy.

Ainsi donc notons bien que ce n'est point assez que nous ayons affection de profiter en l'Escriture saincte: mais sachons qu'il nous y faut venir avec toute reverence, que nous ne demandions sinon d'embrasser tout ce qui est là contenu, que nous n'ayons point un bec affilé pour iaser à l'encontre de Dieu, que nous n'apportions point des doctrines ne disputations contraires à la pure doctrine de l'Escriture, mais que nous ayons ceste conclusion generale, Tout ce qui nous est dit, et que nous lisons en particulier, cognoissons-nous que c'est la verité de Dieu? O Seigneur, puis que tu as parlé, il nous suffit de cela, ce n'est point à nous de repliquer, il nous faut tenir à ce que tu auras prononcé sans aucune contradiction. Voila donc ce que nous avons à noter en ce mot de Sagesse: qu'au lieu que les hommes sont distraits par leurs vaines imaginations, quand ils se bastissent des sagesses en l'air, que nous disions, Or nostre Seigneur n'intitule point sans cause sa parole de ce mot de Sagesse: quand il la qualifie ainsi, c'est pour nous monstrer qu'il faut venir là, et qu'il nous y faut assuiettir, et arrester pleinement. Et pourquoy? Car voila aussi où gist toute nostre perfection. Or quant à ce qui est dit de la crainte de Dieu, tout ainsi que l'or et l'argent sont cognus ou en la fournaise, ou à la touche,: il faut que nous ayons ceste approbation pour savoir si nous avons profité en l'Escriture saincte, c'est que nous soyons edifiez

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en la crainte de Dieu. Nous viendrons au sermon, ce Ix qui ont la commodité liront aussi l'Escriture saincte: et bien, voila un exercice sainct et bon, et pleust à Dieu qu'encores nous y fussions adonnez sans comparaison plus que nous ne sommes: mais cependant il nous faut savoir si nous aurons bien employé nostre temps ou non. Et comment le saurons-nous? Ce ne sera pas quand nous saurons bien deviser, et que nous pourrons donner de belles resolutions de ce qu'on nous demandera, que nous serons bien habiles pour soudre toutes les difficultez qu'on nous mettra en avant que nous saurons l'exposition des passages, pour dire, Voila comme il les faut entendre. Il est vray que ces choses sont necessaires, mais ce n'est pas le tout. Comment donc cognoistra-on si nous avons profité et aux sermons, et en la lecture de la parole de Dieu ? Quand nostre vie en rendra tesmoignage: si nous craignons Dieu, c'est signe que nous avons bien estudié en son escole, et que comme il a esté bon maistre et fidele, de nostre costé aussi nous n'avons point perdu le temps. Voila ce que nous avons à retenir. Et au reste, nous voyons aussi que quand l'Escriture saincte veut donner une marque bonne et certaine pour discerner les fideles d'avec les contempteurs de Dieu, elle dit, Ceux qui craignent le Seigneur, qu'ils le louent: Vous qui craignez le Seigneur, entrez en sa maison. Que ceux qui craignent Dieu, s'esiouissent: Que les hommes craignans Dieu, s'appuyent hardiment en luy: Qui craignez Dieu, benissez le Seigneur. Voila di-ie, la vraye marque pour discerner le troupeau de Dieu d'avec toutes les bestes sauvages qui se desbordent.

Ainsi donc quand nous venons au sermon, que nous avons la Bible en la main, que nous apprenions de cognoistre que Dieu ne nous veut point enfler d'une vaine presomption de science, il ne veut point aussi nous chatouiller les aureilles quand elles nous demangent: bref, il ne veut point nous enseigner à curiosité, mais nous vent edifier à le craindre, à l'honorer et à le servir. Quand nous aurons ce but-la, alors nous ne vaguerons point en l'Escriture saincte comme nous avons accoustumé de faire. Car d'où procede ce vice que les hommes ne se peuvent assuiettir pour comprendre ce qui leur est utile, mais que chacun se forgera ie ne say quoy à part? D'où procedent aussi tant d'erreurs, tant d'heresies, et opinions fausses et exorbitantes? C'est que nous ne cognoissons point où c'est que Dieu nous veut conduire par sa parole: c'est aussi que la crainte de Dieu est mise derriere le des, et qu'il nous semble que l'Escriture saincte nous est donee à un usage tout divers. Or puis qu'on abuse ainsi de la parole de Dieu, et qu'on la prophane meschamment, d'autant plus nous faut-il

SERMON CIII

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bien noter ce passage où le Sainct Esprit nous donne la façon de bien examiner ceux qui sont bien entendus et droitement. Pour ce faire (comme desia nous avons dit) il faut que nous cognoissions Dieu tel qu'il est: car iamais nous ne le craindrons iusques à ce que tout ainsi qu'il se declare à nous, nous Ie cognoissions et nostre Dieu, et nostre maistre, et nostre Sauveur, et nostre Pere. Et voila aussi pourquoy Salomon au passage que nous avons allegué du premier des Proverbes' dit, que la cognoissance des choses sainctes est la vraye intelligence: apres avoir parlé de la crainte de Dieu, il met cognoissance des choses sainctes. Il nous faut donc unir ces deux choses, puis que le sainct Esprit en fait une liaison inseparable. Or par cela il signifie que la crainte de Dieu ne sera iamais en nous, iusques à tant que nous soyons venus là où i'ay dit, c'est que nous cognoissions la misericorde de Dieu selon qu'elle nous est offerte en nostre Seigneur Iesus Christ: c'est que nous soyons attirez à luy par sa bonté, par laquelle il nous convie, et que nous ayons ceste hardiesse de l'invoquer comme nostre Pere, que quand nous serons confus nous retournions à luy. Et voila pourquoy aussi il dit en Ieremie (9, 23. 24), Que le sage ne se confie point en sa sagesse, ne le fort en sa vertu: mais que ceux qui se glorifient, se glorifient à me cognoistre, moy, dit-il, qui suis le Seigneur, faisant iugement, iustice, et misericorde. Apres que le Prophete Ieremie a rabbatu les cloux aux hommes, et qu'il a monstré que ce n'est que fumee et mensonge de la sagesse qu'ils cuident avoir en mesprisant Dieu, et se retirant de luy, il les ramene là: que le sage, dit-il, ne se glorifie point sinon à cognoistre Dieu. Et comment le cognoistrons-nous? Est-ce de savoir la regle qu'il nous a donnee, et qu'il a ordonné qu'on suive? Ce n'est point seulement cela: mais que nous le cognoissions estre nostre protecteur, sachans que c'est son propre office de gouverner le monde, qu'il tient toutes choses en sa main: et pourtant que nous le prions de nous recevoir en sa protection: et sur tout qu'il nous conduise, et gouverne par son S. Esprit, d'autant qu'en nous-mesmes nous serons tousiours confus: sachans aussi que vous qu'il n'y a que povreté et misere en nous, il faut qu'il veille pour nostre salut et qu'il nous amene à la perfection à laquelle il nous convient tendre et aspirer tout le temps de nostre vie.

Voila donc où il nous faut appliquer toute nostre estude pour faire nostre profit de ceste doctrine: car voila le moyen par lequel Dieu nous attire à soy, assavoir, sa crainte et son amour. Il est vray que beaucoup de gens volages parleront assez de la grace de nostre Seigneur Iesus Christ, et de la iustice qui nous est donnee en luy, ils pourront babiller de la foy: mais iamais n'ont gousté

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que c'est de l'avoir de Dieu, sinon qu'ils soyent ravis pour venir à luy, et qu'en y venant nous ayons ceste crainte de laquelle il est icy parlé. Et defait puis qu'ainsi est que Dieu nous a rachetez si cherement, faut-il que chacun s'adonne à soy, et à ses appetis? N'est-ce pas raison puis qu'il nous a acquis, qu'un chacun se dedie à luy, et que nous soyons sa vray possession et son heritage? Puis qu'ainsi est qu'il nous recueille comme ses domestiques ne luy devons-nous pas estre obeissans? Voila donc ce que nous avons à noter c'est assavoir, que quand nostre Seigneur nous appelle (comme maintenant nous sommes icy assemblez pour ouir sa parole, comme il nous a donné l'Escriture saincte, et il nous commande de nous y exercer) que nous venions à luy, tellement que nous le cognoissions nostre Pere et nostre maistre, et apprenions de nous assuiettir à son obeissance et à son service, et que nous ne profanions point l'Escriture saincte, en cerchant là des choses frivoles, mais que nous tendions tousiours à ce but de cognoistre nostre Dieu tel qu'il se monstre à nous, et comme il se declare par sa parole, qui est la mesure laquelle il ne veut point que nous passions, ne que nous en soyons divertis quoy qu'il en soit. Or cependant notons que la crainte de Dieu nous doit aussi apprendre de nous retirer du mal, comme il est icy mis pour conclusion: c'est assavoir, que ceux qui auront ce desir de s'assuiettir à Dieu, et de regler leur vie selon sa volonté qu'il faut qu'ils bataillent contre le mal, comme ils y sont enclins de nature, et comme nous savons que nous sommes environnez de beaucoup de tentations, et d'autres choses qui nous destournent de nostre Dieu, que nous avons bon besoin de resister aux tentations de nostre chair, et de tous les allechemens de ce monde, et de nous fortifier, afin que nos affections meschantes ne nous solicitent à nous rebecquer contre Dieu: mais que tout ce qui nous incite soit plustost retranche et abbatu. Et ainsi notons en somme, que nous ne pourrons profiter en la crainte de Dieu, sinon en renonçant à nous-mesmes. Car qu'est-ce que nous avons en nostre nature, sinon une mer et un abysme de tout mal? Or il faut que nous reiettions tout cela, et que nous apprenions de nous exercer en ce que Dieu nous monstre par sa parole, afin que nous ne tombions en ceste confusion de laquelle nous avons parlé, mais que nous cheminions en l'obeissance de nostre Dieu, que nous profitions de plus en plus en son escole, tellement qu'il nous avouë pour ses disciples, et que nous donnions approbation que nous le voulons servir, afin que de son costé il nous tienne pour ses enfans, et qu'il se monstre Pere envers nous.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

IOB CHAP. XXIX.

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LE CENT ET QUATRIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XXIX. CHAPITRE.

1. Iob reprint derechef son propos, et dit, 2. A la mienne volonté que ie fusse comme i'estoye le temps passé, selon les iours que Dieu que gardoit. 3. Quand sa lampe luisoit sur non chef, et qu'en sa clarté ie cheminoye en tenebres. 4. Comme i'estoye aux iours de ma ieunesse, que le conseil (ou la compagnie) de Dieu estoit en mon tabernacle: 5. Que le Tout-puissant estoit avec moy, et mes serviteurs à l'entour de moy. 6. le lavoye mes pas en beurre, et le rocher me decouloit ruisseaux d'huile. 7. Quand ie sortoye à la porte de la ville, là ie me faisoye dresser une chaire.

Il semble bien de primeface que Iob regrete icy le temps passé, se faschant de ce que Dieu luy a changé sa condition, et qu'au lieu qu'il l'avoit fait prosperer au paravant, il l'afflige si durement: mais son intention n'est pas telle. Car il s'adresse à ceux qui iugeoyent mal de son affection, comme s'il estoit un homme reietté de Dieu. Il veut donc monstrer que ceux-ci ont un iugement pervers, d'autant qu'ils regardent aux choses qui apparoissent, et ne vont pas plus loin. Or Iob (comme nous verrons en la conclusion) monstre que s'il falloit ainsi iuger de luy, plustost on devoit regarder au temps de sa prosperité. Notons donc que Iob ne se despite pas icy, se lamentant pour ce qu'il se voyoit despouillé des biens que Dieu luy avoit donnez: mais plustost qu'il redargue ses adversaires, leur monstrant qu'ils procedent mal à iuger de luy, pource que selon ce changement qu'ils voyoyent, ils l'estimoyent un homme du tout damné, et ne leur souvient plus de ce qu'au paravant ils l'avoyent eu en grande reverence comme un homme excellent et choisi entre les autres. Quand donc nous lisons ce passage ne prenons point exemple de nous fascher si Dieu nous afflige: car plustost il nous doit souvenir de ce que nous avons veu que Iob disoit, Si nous avons receu du bien de la main de Dieu, pourquoy est-ce que nous ne serons patiens à endurer le mal qu'il nous envoye? Car nous sommes ingrats à Dieu, si la memoire de ses benefices n'adoucit toutes nos fascheries quand il luy plaist de nous exercer, et nous humilier. Car alors il faut penser, Et comment? Nostre Seigneur par cy devant ne nous a-il pas traittez en sorte que c'est bien raison que nous recevions tout ce qu'il luy plaira? Et mesmes cela nous doit confermer en la bonté de Dieu, que nous

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ne doutions point qu'il ne nous aime, puis que nous l'avons trouvé si bon envers nous par experience. Et n'avons-nous pas matiere de nous contenter quand Dieu nous declare son amour, encores que les choses ne nous viennent point à souhait? Voila donc comment et en quelle sorte il nous doit souvenir de nostre prosperité, quand Dieu nous afflige. Ce n'est pas pour augmenter nostre tristesse, ne pour nous piquer à quelque despit: mais plustost cela nous doit reprimer si nous estions trop tempestatifs, et que nos passions fussent trop vehementes: ceste memoire, di-ie, doit adoucir le mal que nous sentons, c'est que Dieu nous a fait gouster sa bonté, laquelle nous est matiere suffisante de consolation. Et puis d'autant qu'il a eu un tel soin de nous, c'est bien raison que nous soyons du tout adonnez à luy pour souffrir ce qu'il luy plaira. Or c'est un advertissement qui nous est bien necessaire: c'est assavoir, quand le mal nous presse et que nous n'en pouvons plus, qu'il nous doit souvenir que Dieu ne nous a pas tousiours ainsi pressez, mais qu'il a eu esgard à nostre foiblesse et qu'il l'a supportee, et que par cela il nous à testifié son amour, afin que nous esperions en luy, et que nous ne doutions point quand nous aurons esté ainsi exercez en patience, qu'encores il ne remedie à nos maux, et qu'il ne nous en retire. Voila, di-ie, comme il nous faut pratiquer ceste doctrine en toutes nos afflictions.

Mais retournons maintenant à l'intention principale de Iob. Nous avons dit, icy il veut monstrer, que ses adversaires sont comme aveugles et qu'ils iugent follement, d'autant qu'ils s'arrestent à ce qu'on voit maintenant à l'oeil. Car pource que Iob estoit en si grande extremité que rien plus, il leur semble que Dieu l'a reietté, et qu'on le doit estimer comme un homme maudit. Or (comme nous avons veu cy dessus) il ne faut pas que nous y procedions ainsi: mais que nous ayons ceste prudence de laquelle il est parlé au Pseaume (41, 1), de nous retenir afin d'avoir compassion de ceux qui endurent. Et au reste, que nous commencions par un autre bout, c'est que si nous voyons un homme estre batu de la main de Dieu, nous regardions quelle a esté sa vie. S'il a esté un homme meschant et du tout desbordé, là nostre Seigneur nous monstre ce que tant souvent il nous dit, que ses menaces ne sont point vaines, et faut que là nous apprenions aux despens d'autruy (comme

SERMON CIV

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on dit) à cheminer en crainte. Il semblera quelquesfois que Dieu ne regarde point icy bas, et qu'il laisse les choses du tout confuses: mais quand il exerce ses iugemens, cela nous doit instruire à iustice, comme il en est parlé au Prophete Isaie (26, 9), nous devons cognoistre, O il ne se faut point iouer avec Dieu: car s'il dissimule pour un temps, il rapellera finalement à conte ceux qui pensoyent estre eschappez, et qu'on cuidoit aussi qu'ils demeureroyent impunis. Voila donc comme il ne nous faut point assoir iugement simple sur l'affliction: mais il nous faut regarder quelle a esté la vie de ceux que Dieu punit, afin que selon leurs demerites nous recognoissions aussi les chastimens pour en savoir faire nostre profit. Car si nous voyons un homme de bien qui soit affligé en sorte qu'il semblera que Dieu l'ait mis en oubli, et mesmes qu'il le persecute: que devons-nous là dire? Il faut que nous suspendions nos esprits: car c'est une temerité par trop grande a nous, si nous voulons iuger des choses cachees et incognues. Cognoissons donc que nostre Seigneur nous veut humilier, et qu'il faut que nous le confessions estre iuste, encores que la raison de ce qu'il fait ne nous soit point apparente ne notoire. Et ainsi devoyent iuger les amis de Iob, lesquels l'ont condamné iniquement: car d'autant qu'ils l'avoyent veu en toute sa vie comme un miroir de saincteté, et de toute perfection: le contemplans estre ainsi abbatu, qu'il sembloit que Dieu le voulust abysmer du tout, il falloit qu'ils vinssent à ce poinct-la. Or nous ne savons que dire, nos sens sont icy esblouis: cest homme a vescu sainctement, il n'est poinct question qu'il ait esté un meschant, un paillard, un yvrongne, un pariure, un dissolu, un cruel, un orgueilleux, il n'y a rien de tout cela en luy. Pourquoy est-ce donc que Dieu le traitte en telle rigueur? Nous ne savons: tant y a que Dieu nous veut icy humilier, afin que nous sachions que ses iugemens sont quelquefois un abysme, et qu'il ne nous y faut point entrer trop avant: mais plustost que nous le devons glorifier, voire fermans les yeux iusques à ce qu'il nous monstre pourquoy il besongne ainsi.

Voila donc quelle est la prudence dont le Pseaume fait mention quand il dit, Que bienheureux est l'homme qui iuge droitement sur l'affligé. Or cependant il faut aussi appliquer cela à nostre instruction: car (comme dit nostre Seigneur) si Dieu fait ainsi bruler le bois verd, que sera-ce du sec ? Faisons donc comparaison de ceux que nous aurons cognu gens de bien et craignans Dieu, avec nous: et nous trouverons qu'il y a des fautes bien lourdes en nous, tellement que nous sommes contraints de dire, Helas! ie voy bien que Dieu me supporte, et qu'il a pitié de ma foiblesse quand il me traitte ainsi doucement: car ie suis pire que

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cestuy-la: ie voy que s'il me falloit accomparer à luy il s'en faut beaucoup que i'aye cheminé en telle droiture: et neantmoins voila Dieu qui l'afflige, et ie suis à mon aise et en repos. Et est-ce que i'en soye digne? Nenny. Mais mon Dieu cognoist que ie suis tant debile que ie ne pourroye pas porter les affliction: ainsi donc il m'espargne: et pourtant il faut que i'attribue le tout à sa bonté. Mais si ie suis abbatu, et qu'il faille que i'endure des afflictions, il ne faut pas pourtant que ie laisse à tousiours d'invoquer Dieu, sachant que c'est pour mon profit et salut: et quand seulement i'orray ses menaces, que par cela ie me prepare à porter le mal: afin que quand il luy plaira nous toucher de ses verges, que nous ne trouvions point cela nouveau, d'autant que nous y aurons esté preparez de longue main. Nous voyons donc maintenant quelle est l'intention de Iob: car il monstre que ceux qui iugent selon les choses presentes, et selon qu'il leur apparoit, seront convaincus par l'experience, d'autant qu'il avoit cheminé en telle sorte qu'il estoit irreprehensible, qu'un chacun l'avoit en admiration plu tost que de condamner sa vie. O il ne faut pas donc conclure, d'autant que Dieu l'a voulu ainsi tourmenter, qu'il estoit un homme reprouvé, et que tout ce qu'il a fait n'estoit qu'hypocrisie: cela est par trop pervers. Cependant combien que Iob ait parlé à ceux qui l'estoyent venu accuser faussement: tant y a que cecy est escrit pour l'instruction commune de tous enfans de Dieu. Et ainsi donc recueillons de ce passage ce que i'ay desia dit, c'est assavoir, qu'il ne faut point iuger à la volee de tous les chastimens et des verges dont les hommes sont frappez. Il est vray que nous devons bien. avoir ceste regle commune quant aux afflictions, n'est qu'elles sont tesmoignage de la iustice de Dieu sur nos pechez: car si nous estions du tout purs et innocens, il est certain que Dieu nous traitteroit d'une autre façon qu'il ne fait pas Quand donc nous voyons les hommes estre ainsi miserables, et tormentez en tant d'especes, ce sont les fruicts de leurs pechez, tant en particulier qu'en commun: mais cependant si ne faut-il pas que nous mesurions tout à une aune, comme on dit. Et pourquoy? Car il y a diverses raisons, ainsi que nous avons declaré cy dessus, pourquoy Dieu envoye les afflictions au monde. Puis donc que Dieu a divers regards, il ne faut point que nous enveloppions tout ensemble, et que nous facions passer tout sous un fidelium (comme on dit) mais que nous soyons ici prudens, et que nous puissions retenir nos esprits en bride, et que nous y allions par mesure et compas. Pourtant (comme i'ay dit) que nous pensions à la vie d'un chacun, et si ceux qui ont mesprisé et Dieu et sa parole, mené vie dissolue, este abandonnez à tout mal, sont affligez:

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cognoissons que nostre Seigneur nous instruit en leurs personnes, afin que nous ayons les yeux ouverts pour contempler que les fautes ne demeureront point, qu'elles ne viennent à conte devant le Iuge celeste. Mais si nous ne voyons point pourquoy nostre Soigneur afflige cestuy-cy, ou cestuy-la, ainsi plustost l'opposite: qu'alors nous apprenions de dire, Seigneur tu es iuste quoy qu'il en soit: il est vray que nous sommes icy esblouis, et que nostre chair (comme elle est vicieuse) nous solicite et nous pousse à murmurer contre toy: mais nous ne dirons point ainsi comme ceux qui disputent, Et comment est-ce que Dieu l'entend? qui voudront plaider contre luy, non: mais nous serons coys et patiens pour attendre iusques à ce que tu nous reveles ce qui nous est maintenant caché. Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or cependant notons aussi que quand nous avons à iuger de nous-mesmes, il nous faut avoir memoire de ceste mesme doctrine, afin que nous ne soyons point desesperez, encores que Dieu nous presse, et que nous sentions sa main si dure contre nous, ainsi que nous prenions courage à l'invoquer, et ne laissions pas de nous consoler en luy. Voila donc comme encores il nous faut pratiquer ceste doctrine. A l'opposite, en temps de prosperité que nous ne soyons pas ainsi enyvrez en nos aises et en nos delices, comme nous voyons que le monde abuse de la bonté de Dieu, tellement que sinon qu'il nous contraigne par force à penser à nos pechez, nous sommes là comme esblouis. Dieu donc nous laisse-il à repos ? Nous avons comme une yvrongnerie spirituelle, que nous sommes transportez en nostre sens, et faisons comme des chevaux retifs. cardons-nous de nous eslever ainsi en orgueil et presomption quand Dieu nous fait prosperer: mais plustost cognoissons (comme i'ay desia dit) qu'il nous donne loisir de nous disposer à recevoir les afflictions qu'il nous envoyera, sachans qu'il aura pitie de nous, et ne nous traittera point à la rigueur. Que si nous voyons que Dieu laisse à l'abandon les meschans, et qu'il leur mette la bride sur le col, et ne les ruine pas du premier coup, ne pensons pas qu'ils en ayent meilleur marché, et ne soyons point tentez pour leur porter envie de leur bonne fortune, comme il est dit au Psaume trenteseptieme (v. 1): mais exerçons icy nostre foy, attendans que Dieu declare ses iugemens, lesquels il veut cacher pour un temps, comme ce n'est point à nous de luy determiner ne iour ny heure. Il faut donc que les fideles apprennent de se tenir en suspens, toutes fois et quantes que nostre Seigneur monstre qu'il est comme favorable aux meschans, et à ceux qui ont merité qu'il les extermine, et racle du tout de ce monde. Ce n'est pas pourtant

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qu'il leur soit propice, encores qu'il les laisse en prosperité: mais c'est pour les rendre tant plus inexcusables, comme il faudra que cecy leur soit bien cher vendu, quand ils auront ainsi abusé de la patience de Dieu qui les convie à repentance et qui les traittoit si humainement. Voila en sommé ce que nous avons à noter de ceste doctrine.

Or venons maintenant aux mots particuliers dont use icy Iob. Que ne suis-ie, dit-il, comme le temps passé que Dieu me gardoit? Iob en disant que Dieu le gardoit, entend que pour maintenant il estoit delaissé de luy: non pas qu'il eust ceste opinion arrestee, mais il regarde à son sens naturel comme font par fois tous fideles en priant Dieu. car ils useront bien de ceste façon de parler, Seigneur tu m'as delaissé, Seigneur iusques à quand seray-ie mis eu oubli? Seigneur iusques à quand auras-tu ta face destournee ? Seigneur iusques à quand n'allegeras-tu point mon mal? Quand les fideles parlent un tel langage, ce n'est pas qu'ils estiment que Dieu les ait reiettez: car ce seroit une chose vaine et frustratoire d'invoquer Dieu, s'il nous avoit mis en oubli. Que gagnerions-nous d'avoir nostre recours à luy pour dire, Seigneur que tu nous aides en la necessité? si mesmes Dieu ne nous vouloit plus garder: et ie vous prie, ne seroit-ce pas peine perdue de luy dire, Seigneur aide nous? Ainsi donc les fideles en se complaignant que Dieu les a delaissez, n'entendent pas qu'il soit ainsi. Mais il y a double sentiment et apprehension en nous: l'un est de nostre sens naturel, l'autre de la foy. Or nostre sens naturel quel obiect a-il et quel regard ? Les choses que nous sentons, que nous voyons, et que nous touchons. Quand donc Dieu nous laisse en telle extremité, que nous ne savons que devenir, il semble bien qu'il y ait comme une grosse nuee entre luy et nous, tellement que nous ne soyons plus en sa main ny conduite. Or cependant voicy Dieu qui nous promet que quand nous cuiderons qu'il soit eslongné de nous, il nous est prochain: et quand il nous semblera qu'il a les yeux fermez, il veut que nous regardions, Dieu a-il parlé? Tenons nous hardiment à sa promesse.

Nous voyons donc maintenant qu'il y a double apprehension aux fideles: et il nous faut bien pratiquer cela, ce n'est point assez qu'il soit dit mais il faut que chacun le pratique en soy. Quand nous aurons quelque mal, il ne se peut faire que nous ne pensions que Dieu nous ait tourné le des: voila où nostre nature nous pousse. Mais puis apres il nous faut recourir incontinent aux promesses de Dieu, lequel nous dit (Pse. 50, 15), Invoque moy au iour de ton affliction. En nous conviant de l'invoquer, c'est signe que nous sommes en sa garde et protection. Ainsi donc voila comme

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la foy doit reprimer le sens naturel, afin que nous soyons paisibles au milieu de toutes nos miseres, attendans le secours de Dieu, et cheminans comme il nous le commande. Selon cela Iob dit icy, Où sont les temps ausquels Die? me gardoit ? Car il signifie que Dieu a monstre par effect et à veuë d'oeil qu'il l'avoit en garde, comme s'il disoit, Maintenant que Iob est ainsi persecuté, dira-on qu'il soit en la garde de Dieu? Dira-on que Dieu le maintienne? Non: mais plustost que Dieu l'a abandonné comme une miserable creature. Iob donc ne parle point icy de ce qui estoit à la verité, comme si auiourd'huy Dieu l'avoit oublié: mais il parle de ce qui peut sembler aux hommes, et de ce qu'il comprend de son sens naturel. combien qu'il y resiste en vertu de la foy, qu'il soit appuyé sur les promesses de Dieu, et bataille contre ceste tentation qui luy est dressee.

Voila donc comme il nous faut prendre ce passage, et cependant aussi l'appliquer à nous. Et ainsi cognoissons que si nous sommes en prosperité, qu'il ne nous faut point appeller cela bonne fortune (comme les hommes sont tousiours si malins qu'ils ostent et desrobbent à Dieu l'honneur qui luy appartient) mais usons de ce langage, c'est que Dieu nous a en sa garde. Pourquoy donc est-ce que nous prosperons? Pourquoy est-ce qu'estans assiegez de cent mille morts, maintenant nous vivons et sommes maintenus ? C'est pource que Dieu a pitié de nous, et qu'il est nostre protecteur. Voila comme il nous faut tousiours recourir à la providence de Dieu, afin de luy attribuer la louange de tous les biens qu'il nous fait, ie di mesme quant à ceste vie caduque. Et au reste, quand nostre Seigneur change selon l'apparence, et qu'il permet que nous soyons assaillis et d'un costé et d'autre, que l'un nous pille, l'autre nous ait en opprobre, qu'il nous advienne beaucoup d'adversitez, ne peuton pas dire selon l'homme que Dieu nous a delaissez, et qu'il ne nous est plus prochain? Mais cependant que nous ne laissions pas de recevoir les promesses que Dieu nous donne, voire pour esperer contre esperance: comme aussi n'est la leçon qui nous est apprinse en la personne de nostre pere Abraham, comme sainct Paul en parle (Rom 4, 18).

Or Iob adiouste, Que pour ce temps-la Dieu avoit sa lampe allumee sur luy, et qu'il cheminoit en sa clarté au milieu des tenebres. Notons que quelquesfois il est dit' que Dieu nous esclaire quand il nous instruit par sa parole: et voila pourquoy aussi elle est nommee lampe. Mais eu ce passage il y a un autre sens: car Iob ne signifie pas simplement que Dieu l'ait enseigné sa Loy, ou par quelque revelation du sainct Esprit: mais il entend que Dieu luy a donné consolation en toutes ses

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perplexitez, et cependant y a donné bonne issue et desirable. Qu'est-ce donc de la lampe de Dieu? ()'est quand Iob estoit en prosperité, d'autant que Dieu luy assistoit: comme nous voyons aussi que l'Escriture accompare les afflictions de la vie presente aux tenebres. Pour exemple, si nous sommes en guerre, ou que nous soyons tormentez de famine ou de peste: nous voila comme en la nuict, le visage de Dieu nous est caché, nous ne savons de quel costé nous tourner. Ainsi à l'opposite quand nostre Seigneur nous traitte amiablement, c'est comme si le soleil luisoit. Nous voyons que le temps clair resiouit les hommes, au contraire la nuict nous rend melancolique et pesans: aussi quand le temps est chargé et pluvieux, nous sommes comme abbatus, chacun se retire. Ainsi donc notons que Iob continue icy son propos disant, Que la lampe de Dieu luisoit sur luy, quand il a este en ceste condition heureuse, et que chacun luy applaudi soit. En quoy ceste doctrine que nous avons touchee nous est encores mieux confermee c'est assavoir qu'il ne faut point que nous attribuions les biens de ce monde à fortune: comme nous voyons que les hommes sont prophanes et qu'ils ne regardent point a la main de Dieu, soit en bien, soit en mal. Il ne faut pas donc que nous en facions ainsi: mais plustost toutes fois et quantes que cous aurons quelque bien, sachons que Dieu nous esclaire, qu'il nous monstre une face benigne, qu'il veut que nous le cognoissions Pere pour le glorifier. Voila donc comme nostre Seigneur nous monstre son visage en toute prosperité, afin que le voyans nous ayons occasion de louer sa bonté, et soyons aussi attirez à luy quand il nous y convie si doucement: et que cela nous donne courage de l'aimer, et nous adonner du tout à son service.

Nous voyons maintenant que ces façons de parler ne sont point superflues, quand Iob au lieu de dire à la façon des incredules, I'ay eu bonne fortune, i'ay esté à mon aise, dit, Que Dieu luy a esclairé sa lampe, et adiuste, Que Dieu l'a esclairé au milieu des tenebres. Or il dit cela, pource qu'il ne se peut faire, qu'en ce monde il ne faille que soyons en beaucoup d'inconveniens et de dangers, ie di mesmes ceux qui sont ie souhait, comme il semble. quand nous cognoistrons un homme lequel soit comme exempté de toute fascherie, si est-ce neantmoins qu'estant en terre il faut qu'il chemine parmi les espines: tousiours nous serons menacez de beaucoup de morts, et si un homme a ses greniers pleins, et ses caves, ce n'est pas à dire qu'en un moment il ne puisse estre appovri. Ainsi donc notons bien qu'an milieu de ce monde nous sommes comme en tenebres, c'est à dire nous sommes assiegez de beaucoup de fascheries, et de dangers,

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tellement que si nostre Seigneur n'y prouvoyoit nous ne pourrions point marcher un pas, non pas mesmes remuer un doigt, que ce ne fust pour trebuscher en beaucoup de povretez: mais Dieu remedie à tout cela, quand il nous monstre et esclaire sa lampe. Apprenons donc de luy attribuer la louange qu'il merite, c'est que nous ne pourrions pas consister en ceste vie caduque, sinon qu'il nous guidast tousiours, et regardast. Et le prions qu'en nous guidant ainsi il nous face sentir par effect qu'il nous est prochain, et qu'il nous a tellement en sa protection, que nous sommes exemptez de beaucoup de maux, d'autant qu'il ne permet pas que nous y tombions. Or si Dieu merite que ceste louange luy soit rendue quant à tout ce qui concerne l'estat de ceste vie, ie vous prie que sera-ce quant à l'instruction qu'il nous donne de sa parole? Cependant que nous conversons icy bas, nous sommes comme en tenebres, ainsi que dit sainct Pierre (2. Pier. 1, 9), et sommes comme povres aveugles: qui plus est quant à nostre esprit nous sommes si esleurdis, qu'il faudroit qu'à chacun pas nous tombissions comme en abysme, n'estoit que nous fussions esclairez de ceste lampe de sa parole. Nous voyons donc comme en ces grandes tenebres et espesses, il faut que la bonté de Dieu nous soit cognuë, et que nous ayons les yeux ouverts pour la contempler, et soyons bien attentifs à la marquer, afin que nous luy facions hommage de tous ses biens, et que nous ne les gourmandions point, mais que nous dependions du tout de sa providence. Voila donc ce que nous avons à noter de ce passage.

Or il est dit consequemment: Que Iob du temps de sa ieunesse a eu le conseil de Dieu aussi en son tabernacle. Le mot dont il use icy signifie proprement l'Arriere saison, mais par similitude il se prend pour la ieunesse: non point ieunesse de quinze ans, mais c'est quand est la vigueur de l'homme, comme depuis vingt cinq iusques à trente-cinq ans. Et pourquoy ? Car c'est alors que l'homme iette ses fruicts: et non point pour engendrer, comme d'aucuns Pont exposé (car cela est sot et lourd) mais c'est d'autant que l'homme est en pleine vigueur pour conseiller, et pour faire ce qui est propre en la vie humaine: car on voit les hommes disposez en cest aage-la, tellement qu'on s'en peut servir. Ainsi donc comme l'arriere saison produit ses fruicts, aussi l'homme en cest aage-la est propre pour donner ses fruicts, c'est à dire qu'on s'en peut servir. Mais en ce passage on pourra bien prendre ce mot en ceste signification, et toutes fois par similitude autrement: c'est, Que i'estoye comme en mon arriere saison, c'est à dire au temps qu'on recueille les fruicts en mon abondance. Voila que Iob entend: quand nous sommes au primtemps, et bien nous voyons l'herbe qui nous doit

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produire le bled, nous voyons que les vignes commencent à boutonner: mais il n'y a qu'esperance: nous voyons les prez aussi qui iettent leur herbe: mais en l'arriere saison les bestes sont grasses et nourries, pource qu'elles ont eu leur pasture, les biens de la terre sont recueillis et amassez. Voila donc le temps d'abondance. Et ainsi ie ne doute point que Iob n'ait ici voulu dire, Quand i'estoye on mes richesses, que Dieu m'avoit donné tant de biens, qu'ils regorgeoyent en ma maison.

Et puis il adiouste, Que le conseil, ou la compagnie de D eu estoit sur son tabernacle: suivant le propos qui a desia esté tenu. Le mot dont use Iob signifie Conseil, ou Compagnie, et tous les deux conviennent: il ne faut pas donc qu'on s'en tormente beaucoup: car le sens demeure tousiours un. Quand donc i'avoye la providence de Dieu sur mon tabernacle, cest à dire, que Dieu veilloit sur moi pour disposer toutes mes affaires: ou bien quand il me tenoit compagnie, c'est à dire, quand ie le sentoye favorable, et qu'il m'estoit prochain, afin de me tenir comme en son giron. Ici Iob continue à recognoistre les benefices de Dieu. Et notons bien que si un homme estant ainsi tormenté qu'il estoit, n'a point toutes fois esté privé de son sens, que tousiours il n'ait glorifié Dieu: et que sera-ce quand au milieu de nos aises, lors que nostre Seigneur nous laisse là tout coyement, que nous ne pensions point à lui ? Nous savons que si un homme est pressé de mal, il est tellement abbatu qu'il ne lui souvient ne de Dieu ne de lui, qu'il est transporte, que ses sens sont confus. Or maintenant en quel estat estoit Iob? N'avons-nous pas veu qu'à grand' peine y eust-il iamais creature qui fust tormentee d'une telle façon? Et neantmoins si voit-on qu'encores il s'addresse à Dieu, et qu'il le glorifie, en confessant que les biens qu'il a receus du temps passé ne lui sont point advenus par cas fortuit, et qu'il ne les a point acquis par son industrie, qu'il ne tient point cela des hommes. Quoi donc? C'est Dieu, dit-il, qui a eu sa lampe allumee sur moi, c'est lui qui m'a guidé, c'est lui qui m'a esté prochain. Quand Iob parle ainsi, ne faut-il pas que ce tesmoignage soit pour condamner et deux et trois fois ceux qui ne sont point ainsi abbatus, et neantmoins mettent Dieu en oubli, et gourmandent ses benefices sans lui en faire aucun hommage? Apprenons donc et en prosperité et en adversité de glorifier Dieu de toutes choses à l'exemple de Iob.

Or quand il a ainsi parlé, il adiuste quelle estoit sa condition pour ce temps-là qu'il avoit Dieu avec soi, et sa compagnie et bande, assavoir, Que ses pieds estoyent baignez en beurre, et que les ruisseaux lui decouloyent l'huile. Iob par ces similitudes signifie que Dieu l'avoit mis en telles de

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lices, que rien ne lui defailloit. Et quand il dit, qu'il cheminoit en beurre pour y baigner ses pas' c'est pour signifier que Dieu le faisoit comme marcher sur choses douces: comme il est dit au Pseaume nouante et unieme que les fideles seront portez par les mains des anges, tellement que leurs pieds ne chopperont point, et n'auront nulle mauvaise rencontre. En ceste sorte donc Iob dit en ce passage Voici, Dieu m'a traitte le temps passé d'une telle façon que ie ne marchoye point quasi à terre, ie ne sentoye point le pave qui me fust dur, mais plustost Dieu m'avoit fait comme un pavé de beurre, et de choses douces. Bref, il signifie qu'au lieu d'estre comme de la condition commune des hommes, il a este comme nageant en toutes voluptez: non pas qu'il s'y enyvrast comme font ceux qui sont ravis en leurs aises, qui s'esgayent et se transportent du tout, comme gourmands, yvrongnes, gens dissolus. Iob n'entend pas cela: mais il signifie que Dieu le tenoit en une si grande prosperité, qu'il ne la peut pas assez exprimer, sinon en excedant mesure de paroles. Et en cela voit-on qu'il magnifie tant qu'il peut les biens de Dieu, comme aussi nous devons. Et c'est encores un poinct que nous avons bien a noter, pource que quand nous sommes contraints de confesser que Dieu nous a fait du bien, ce n'est pas que nous cognoissions cela en sorte qu'un grand benefice soit magnifié comme il doit: mais plustost nous le ferons petit par nostre malice. Voila comme Dieu est frustré par nous: comme si quelqu'un ne pouvoit pas nier toute une dette, il dira, O ie ne pense pas qu'il y ait tant. Comme nous voyons que ces gens de mauvaise paye, il est vrai qu'ils ne seront pas si effrontez de dire, le ne vous doi rien, quand la chose sera cognue, et assez claire: mais de cent florins ils en voudroyent bien faire cinq, s'il leur estoit possible. Ainsi en faisons nous avec Dieu, nous le frustrons par nostre ingratitude et desloyauté, amoindrissans les graces lesquelles nous devrions magnifier. Au contraire, Iob nous declare ici, que quand Dieu nous aura fait du bien, il ne faut pas que nous pensions estre quittes pour dire en un mot, Et bien ie suis d'autant tenu a Dieu, et cela me vient de sa grace (ce seront des ceremonies par trop frivoles) mais que nous apprenions de priser les biens que Dieu nous fait, comme aussi ils en sont dignes. Et de fait qu'est-ce que de nous ? le vous prie regardons nostre condition, et d'où c est que nostre Seigneur nous a retirez Regardons d'autre costé si nous sommes dignes qu'il estende sa main pour nous aider, et qu'il employe toutes ses creatures à nostre

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service. Regardons un peu cela: il est certain que nous trouverons tout le contraire, c'est assavoir que Dieu nous devroit reietter pleinement, et cependant il ne laisse pas de nous bien faire. Apprenons donc d'estimer ceste amour paternelle qu'il nous porte, et de la gouster plus soigneusement que nous n'avons point fait iusques ici. Voila ce que nous avons à noter de ceste similitude de beurre et d'huile: comme s'il disoit, Quand ie ferai comparaison de moi avec les autres, ie sentirai que ie suis tellement obligé à Dieu, qu'il ne m'est point possible de le recognoistre suffisamment.

Or là dessus il monstre l'honneur auquel il estoit. Il avoit parlé de ses richesses disant, Qu'il baignoit ses pieds en beurre, et que les pierres lui decouloyent l'huile, c'est à dire, que ce qui est le plus dur, cela mesme lui estoit tourné en delices. Il monstre maintenant qu'il estoit en honneur et en credit, Les Gouverneurs, dit-il, s'arrestoyent aux portes, là ie me faisoye mettre une chaire, chacun me portoit honneur et reverence. Quand Iob parle ainsi, ce n'est point par vanterie (car an contraire il porte avec toute humilité l'opprobre que Dieu lui a envoyé), mais il redargue ses adversaires. Comme s'il disoit, Vous iugez auiourd'hui de moi que ie suis un homme damné et maudit. Et pourquoi? Car me Voici comme une povre charogne, ie suis destitué de toute aide chacun se mocque de moi. Or regardez si vous iugez proprement? Car il n'y a gueres que i'estoye honoré de tout le monde, et alors vous m'eussiez applaudi. Vostre iugement donc n'est pas droit ny equitable, d'autant que vous, vous arrestez aux choses visibles: et il vous falloit regarder plus loin. Nous voyons maintenant quelle est l'intention de Iob. Et ainsi apprenons, suivant ce qui a este declaré (pource que nous ne pourrions point maintenant plus outre), apprenons, di-ie, toutes fois et quantes que nostre Seigneur nous fait du bien, de recognoistre que cela ne vient point de fortune, mais que c'est de la main de Dieu. Et au contraire, quand il luy plaira de nous affliger, que nous cognoissions qu'il nous veut aussi resveiller par ce moyen-là. et que ce n'est point pour nous aire perdre courage, mais pour nous humilier. Et pourtant que nous ne laissions pas tousiours de courir à luy, sachans que quand il nous aura batus de ses verges, il nous pourra bien medeciner comme il cognoit les remedes qui nous sont propres pour nostre salut.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE CENT ET CINQUIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXIX. CHAPITRE.

8. Les ieunes gens me voyans se cachoyent, les princes se levoyent, et se tenoyent debout. 9. Les gouverneurs s'abstenoyent de parler quand ie parloye, et mettoyent la main sur leur bouche. 10. La voix des principaux se tenoit coye, et leur langue estoit attachee à leur palais. 11. L'aureille qui m'oyoit, me disoit bien-heureux, et l'oeil qui me voyoit me rendoit tesmoignage. 12. Car ie delivroye le povre quand il crioit, i'aidoye à l'orphelin qui estoit destitué de secours. 13. La benediction de celui qui devoit perir venoit sur moy, et consoloye le coeur de la vefve.

Selon qu'une chose est precieuse, on la doit garder, et la dispenser prudemment, et en bon usage. Et nous voyons que chacun le fait ainsi quant aux biens de ce monde. Il est vray que beaucoup n'espargnent rien, ainsi mettent tout en degast: mais eux-mesmes cognoissent que c'est un vice à reprendre, que de ne savoir point gouverner un bien quand on le doit tenir cher. Or cependant, combien que nous confessions que l'honneur est le principal thresor des hommes: si est-ce qu'on ne l'espargne gueres, mais on en fait trop bon marché. Qu'ainsi soit, ceux qui sont les plus honorez, et ausquels on fait plus la cour, sont-ils en estime pour leurs vertus? Mais tout le contraire. Si on demande à ceux qui font des humbles devant les grands et les riches, qui les meut à cela? ils ne diront point, pource qu'ils en sont dignes: car ils sont convaincus en leur conscience que la pluspart sont meschans. Nous voyons donc que l'honneur est comme ietté à l'abandon: et neantmoins on dira bien que c'est une chose precieuse sur tout. Or cela est à reprendre, comme nous voyons aussi S. Iaques qui non seulement se mocque, mais redargue asprement ceux qui portent ainsi honneur aux meschans: car c'est prophaner ce que Dieu avoit dedié à bon usage. Qu'est-ce qu'on doit honorer sinon Dieu et ce qui procede de luy? Quand donc un meschant sera en telle reputation, on ravit à Dieu ce qui luy appartient pour le donner comme au diable. Il est vray que si un meschant est en dignité, on le pourra bien honorer, non pas tant en sa personne, comme pour le lieu qu'il tient. Mais cependant que les vices sont en estime, et qu'on les prise pour vertus, et n'est-ce pas faire un meslinge pour pervertir tout ordre?

Voila pourquoy nous devons bien noter en ce passage, que Iob parlant d'estre bien honoré, ne dit

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pas que c'est à cause des richesses, ou du credit, mais pour les vertus. Les ieunes gens, dit-il, me voyans se cachoyent. Qui est-ce qui mouvoit les ieunes gens à se cacher? Car si un homme est desbordé, plustost les ieunes gens prendront plus d'audace à mal-faire, quand ils auront une telle ombre et support. Si donc Iob a eu ceste reverence là, qu'on se tenoit caché devant luy, c'est signe qu'il y avoit en luy de telles vertus qu'on estoit contraint de l'honorer, et non pas d'autant qu'il estoit riche. Voila ce que nous avons à noter en premier lieu. Mais cependent notons aussi, que ce mot de Cacher emporte une honte qu'auront ceux qui ne craignent point Dieu: car si est-ce qu'encores sont-ils retenus devant les hommes, et ne veulent point que leur turpitude soit cognue. Et sur tout quand il y a un homme vertueux qui aura en soi quelque gravité, on se cache de sa presence quand on veut mal-faire. Et dequoi sert une telle vergongne? Car il semble bien que ce soit une chose superflue. Il est certain que si un homme s'abstient de mal-faire seulement pour le regard de quelqu'un, par cela il monstre qu'il n'a gueres profité. Et c'est aussi porter peu d'honneur à Dieu. Mais tant y a encores, qu'il y en revient double profit. L'un est, que tout ainsi qu'un enfant devant qu'il sache que c'est de raison, et qu'il ait nul iugement, sera neantmoins accoustumé aux choses bonnes: ainsi nostre Seigneur fait quelquesfois servir ceste honte qui de soi est vicieuse, il la fait servir, di-ie, à attirer petit à petit ceux qui ne sont point encores tant advancez, que d'aimer la vertu à cause de soi. Exemple, voila un homme qui sera volage, et n'a point de racine en soi ne de crainte de Dieu, ne de son amour: bref, il est du tout comme esbloui, et se donne congé de malfaire, et s'y desborde: mais tant y a qu'encores il a une bride, et n'est point effronté. Nous en verrons beaucoup qui d'eux-mesmes se laissent escouler quand ils seront en mauvaise compagnie, on les a tantost desbauchez, et ils fleschiront et ça et là: mais cependant si ont-ils en-eux quelque vergongne: quand un homme auquel ils portent quelque reverence les regardera d'un oeil de travers, les voila confus, qu'ils voudroyent quasi estre ensevelis: et si on leur remonstre leurs vices, ils n'ont point de repliques en la bouche, mais plustost iettent les larmes aux yeux que de se vouloir rebecquer. Voila donc quelque signe qu'un homme ne sera

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point du tout perdu ni incorrigible quand il retient ceste modestie en soi, de cognoistre la turpitude de son peché: cependant on voit bien que ce n'est pas de soi une vertu, mais petit à petit un tel homme reviendra, et nostre Seigneur lui fera servir ceste medecine comme un iulleb qui sera un preparatif contre une maladie, afin que puis apres le malade reçoive quelque forte medecine. Voila un iulleb qui ne fera qu'alterer. Et quoi? Ce n'est pas pour guerir le malade, mais tant y a que ce preparatif est bon, et que la medecine en a plus de vertu, quand l'homme a prins ainsi un changement à demi, qu'il est desia comme disposé à medecine. Autant en est-il de ceste honte: car de soi elle n'est point pour guerir les vices, ne pour nous en purger, elle n'est pas pour nous faire cheminer comme il appartient: mais elle nous dispose, que nous ne sommes point du tout desbordez. Voila donc un usage et un profit que nostre Seigneur tire de ceste honte qui est en des gens volages et legers, qui n'ont point (comme i'ai dit) un tel fondement comme ils devroyent, et ausquels la crainte de son nom n'est pas bien enracinee.

Or il y a encores un autre usage, c'est assavoir, que toute excuse Nous est ostee, et que Dieu nous baille une marque, comme s'il engravoit, et s'il nous flestrissoit au front, pour dire que nous ne nous pouvons iustifier de nos vices. Pourquoi? le m'irai cacher de la presence d'un homme. Et qui est cause de cela? La honte. Et ceste honte d'où procede-elle? c'est Dieu qui me l'a imprimee comme un cautere en sorte que quand autrement ie voudroye que le soleil et le ciel et la terre, et les hommes fussent tesmoins de ma vilenie, si est-ce que ie suis reprimé, voyant qu'on me monstrera au doigt, et que ie serai en haine et en execration: car le vice de soi est maudit. Nous voyons donc que ceste honte qu'ont les hommes, est comme un procez que Dieu nous fait desia, comme s'il faisoit des enquestes, et qu'il prinst des informations contre nous, afin que nous demeurions convaincus et que quelques subterfuges que nous mettions au devant, neantmoins nous ayons nostre signature toute faite, que tous vices sont vices, et qu'ils sont à condamner. Et ainsi combien qu'un homme autrement soit comme stupide et ne soit point touché aucunement de la cognoissance de ses pechez: si est-ce que quand il en a honte, par ce moyen là il est rendu inexcusable. Nous voyons donc quelle doctrine nous avons à recueillir de ce passage: c'est en premier lieu que nostre Seigneur nous admonneste, quand nous avons quelque vergongne en mal-faisant, et fuyons la presence des hommes, et ne voulons pas que nostre turpitude soit cognuë: que nous cognoissions que par cela Dieu nous advertit qu'il n'est plus question de nous

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flatter en nos pechez, et de les couvrir, mais que nous apprenions plustost à les condamner. Au reste, si nous avons une telle confusion devant les hommes, sachons que nous ne pourrons pas eschapper la presence de Dieu: que nous aurons beau nous conformer en nos cachettes, nous n'y gagnerons rien: qu'il faudra que son regard nous voye tousiours, et note non seulement les oeuvres qui apparoissent devant les hommes, mais les pensees qui sont les plus secrettes, et profondes. Apprenons donc de ne craindre point seulement les hommes, mais sur tout ce Iuge celeste lequel nous voit: et aussi que ceste honte ne nous gouverne pas, car il ne nous faut point arrester là, comme nous avons dit. Ce seroit comme si un enfant demeuroit tousiours à son A. B. C. ou bien qu'un malade se contentast d'avoir prins un iulleb, et par faute de poursuivre il mourra là dessus. Il ne faut point donc que ce te honte seulement domine en nous mais qu'elle nous conduise plus loing: c'est assavoir afin qu'encores que les hommes n'apperceussent rien de nos povretez, et que nous peussions avoir des voiles pour nous couvrir, et tromper tout le monde, neantmoins nostre conscience veille, et qu'elle face le guet, et que le iugement de Dieu nous presse, et que nous disposions tellement toute nostre vie, que nous ne desirions point seulement d'estre en bonne reputation, mais d'estre approuvez de nostre Dieu. Or pour ce faire il n'est point question seulement de nous abstenir du mal qui est apparent, mais il faut que nos coeurs soyent purgez, et que nous ayons nos affections droites, que nous n'ayons point d'arriere-boutique pour cacher nos ordures. Voila donc ce que nous avons à retenir de ce passage.

Mais cependant nous voyons en quel temps nous sommes, car auiourd'huy comme il n'y a gueres de crainte de Dieu, aussi n'y a-il nulle reverence des hommes: l'iniquité s'est tellement desbordee, que les plus effrontez sont les plus vaillans. La ieunesse devroit pour le moins avoir quelque modestie: et de fait ce n'est point sans cause que les Payens ont cognu de leur sens naturel, que c'estoit une vertu propre pour l'aage des ieunes gens d'avoir quelque vergongne. Et pourquoy ? Car les ieunes gens ne sont pas encores moderez comme il seroit requis: il y a ces bouillons qui les solicitent à mal, le feu est en la teste, et puis leurs cupiditez sont si violentes, qu'il est bien difficile de les reprimer. Nostre Seigneur donne un remede à cela: c'est a savoir, que les ieunes gens, encores qu'ils soyent bien estourdis, si est-ce qu'ils sont convaincus, et sont contraints à se cognoistre, ils apperçoivent qu'ils n'ont pas encores en eux une telle attrempance comme il seroit requis: et voila pourquoi ils ont quelque honte en eux. Or main

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tenant que voit-on? Il ne faudra que ces petites ordures: voila des escargots, incontinent qu'ils sont sortis de l'escaille il leur faut une espee au costé, les voila desnuez de toute honte: il leur semble qu'ils doivent estre comme putains de bordeau, et quoi qu'ils facent, qu'il n'y ait plus ne reverence ne iustice, ne rien qui soit, qui les doive gouverner: bref, nous voyons que la ieunesse est du tout endiablee, et que non seulement il n'y a point de crainte de Dieu, mais il n'y a plus nulle honnesteté. Quand nous voyons cela, cognoissons qu'il y a un deluge d'iniquité, et que les choses sont tellement confuses qu'il n'y a plus de remede. Car ce qui doit estre imprimé de nature en tous, et principalement aux ieunes gens, on voit que cela est raclé, assavoir ceste vergongne et modestie, et que les ieunes gens sont du tout impudens pour se rebecquer, et qu'ils ne craignent point d'estre mocquez en leur impudence. Ainsi donc, que nous apprenions de cheminer en plus grand' crainte et solicitude: car nous ne serons point excusez quand nous alleguerons, qu'un chacun fait comme nous: car ce n'est point le moyen de nous absoudre devant Dieu que celui-là, de dire que les autres ne sont pas meilleurs: mais plustost que cela soit occasion de nous retirer, afin que nous ne soyons point enveloppez parmi les vices qui regnent ainsi par tout. Et au reste, ayons memoire de ce qui a desia este dit, c'est que nous ne devons point cheminer comme estans regardez seulement des creatures: mais ayons Dieu devant nos yeux, comme aussi nous ne pouvons pas fuyr sa presence. Il est vrai que comme nous sommes enclins à hypocrisie, nous cercherons beaucoup de circuits: mais tant y a qu'il faut que Dieu nous poursuive par tout. Puis qu'ainsi est, apprenons de nous dedier pleinement à lui, et d'avoir là nostre regard fiché: et d'autant qu'il nous esclaire par sa parole, pensons aussi à ce que l'Apostre nous remonstre en l'Epistre aux Hebrieux (4, 12): car là il declare, que la parole que nous oyons a une telle nature que Dieu, c'est de sonder nos pensees d'examiner tout ce qui est en nous pour discerner entre la moëlle des os, et les veines, et tout ce qu'il y a. Puis qu'ainsi est donc que nostre Seigneur quand il nous envoye sa parole veut faire un tel examen, que tout ce qui est caché aux hommes vienne en clarté: qu'un chacun de nous chemine comme en plein midi, et que nous cognoissions que nous ne sommes plus en tenebres quand nostre Seigneur Iesus domine par son Evangile au milieu de nous. Voila donc ce que nous avons à retenir en ce passage.

Or maintenant Iob adiouste, Que les princes se levoyent devant lui, voire et que les principaux et les gouverneurs se taisoyent l'oyans parler. Ici nous voyons un ordre tel que nature enseigne, sinon

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d'autant que l'audace des hommes pervertit tout. Et si nous suivions ce que nostre Seigneur nous monstre, ie di selon l'ordre de nature, il est certain que s'il y mit un homme qui eust grace d'enseigner, et plus de iugement et de savoir que les autres, il seroit escouté, et chacun feroit silence. Qui est cause donc que quand un homme parlera avec bonne raison, et qu'il aura grace d'edifier les autres, n'est point receu, et qu'on le mesprise, que beaucoup de babilleras s'avanceront, et qu'ayans la langue desbridee ils voudront estre escoutez, et que par ce moyen la verité sera mise bas et repoussee? Qui est cause de cela? C'est que les hommes ne peuvent souffrir que Dieu les conduise et les gouverne: mesmes, (comme i'ay dit) ils corrompent tout l'ordre de nature par leur audace, ou plustost par leur furie. Car il faut bien que nous soyons bestes sauvages quand nous ne pouvons nous assuiettir à verité et à raison, et recevoir ceux qui nous sont ordonnez comme au Nom de Dieu. Ainsi notons bien ce passage: car Iob ne veut pas seulement icy magnifier sa personne, et mesmes ce n'est pas son intention. Quoy donc? Hier nous monstrasmes raison particuliere qu'il avoit de parler ainsi. Mais au reste, nous pouvons aussi recueillir une doctrine generale que Dieu nous donne par sa bouche: c'est quand il y aura homme droit et vertueux, et puis qu'il sera aussi doué de prudence, que celuy-la soit escouté et receu entre nous. Car si nous ne suivons la reigle qui nous est ici monstree, ce n'est pas seulement faire tort à un homme mortel, mais Dieu reçoit ceste iniure-la comme faite à sa personne. Et non sans cause: car si un homme nous peut gouverner par bonne doctrine, pensons-nous qu'il ait cela de soy? Chacun dira bien que n'est un donc de Dieu. Or quand Dieu esleve ainsi un homme, et qu'il luy distribue plus amplement de son Esprit, est-ce pour se faire valoir, et non pas plustost pour l'utilité commune de tous ? Celuy qui sera ainsi doué de quelques grandes graces, il est obligé d'autant plus à ses prochains, et faut qu'il employe ce qui luy est donné, afin que chacun en soit participant. Or maintenant si nous ne daignons point escouter un homme quand nous pourrons profiter sous luy, n'est-ce point mespriser l'Esprit de Dieu? N'est-ce pas nous moquer de sa maiesté, laquelle il vouloit estre cognue, quand il nous envoye ainsi un homme mortel comme en son Nom? Et puis avec l'orgueil il y a l'ingratitude. Voila Dieu qui nous suscite des gens, lesquels nous peuvent bien endoctriner: escoutons les seulement, et ce sera pour nostre salut. Si nous ne le daignons faire, n'est-ce pas reietter entant qu'en nous est le bien que Dieu nous present t?

Ainsi donc ce n'est point sans cause qu'il nous

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est ici declaré, que s'il y a un homme vertueux, et qui ait plus de prudence que nous, il merite qu'on luy preste l'oreille, et qu'on soit attentif pour recevoir ce qu'il dira: car si on ne le fait (comme i'ay desia declaré) l'iniure s'adresse à Dieu, et nous luy sommes aussi ingrats quand nous ne voulons point estre regis ne gouvernez par luy. Il y a plus: c'est que si on doit escouter les hommes qui ont quelque prudence, que sera-ce quand ils nous seront specialement envoyez pour nous apporter la parole de Dieu, et qu'ils seront qualifiez pour dire que Dieu nous envoye le message de salut par leurs bouches? comme il s'est servi de ses Prophetes et Apostres leur vie durant, et a voulu que la mesme police soit maintenant en son Eglise, et demeure iusques en la fin du monde. Si donc nous refusons d'escouter la parole de Dieu quand elle nous sera preschee par ceux qui sont ordonnez à c'est office-là, ne voila point double rebellion ? et n'en serons-nous point tant plus coulpables? Ainsi donc nous sommes ici advertis de faire silence quand nostre Seigneur nous envoye sa parole, et que grands et petis se rangent, et que nous soyons comme muets, et non point sourds: comme muets, di-ie: car il est question d'escouter quand Dieu parle, sans repliquer, mais recevoir paisiblement tout ce qu'il nous dit, et conclurre Amen, Qu'ainsi soit. Au reste, nous ne devons point estre sourds: et d'autant que nous voyons que de nature nous sommes si mal disposez à escouter nostre Dieu et obeir à sa parole: nous avons à le prier qu'il nous perce les aureilles, qu'il corrige ceste tardifveté qui est en nous, à lui choir, mesmes qu'il nous donne intelligence de sa volonté, pource que nous sommes si brutaux, que iamais nous ne comprendrions ce qui nous est propre à salut, sinon que nous fussions illuminez par son sainct Esprit. Et cependant apprenons de brider non seulement nos langues, mais toutes nos affections. Car ce qui nous empesche d'ouyr Dieu et d'estre enseignez par sa parole, ce n'est pas seulement quand nous sommes trop langards, et que nostre babil est trop excessif et superflu: mais autant qu'il y a de cupiditez en nous, autant y a-il de repliques qui rompent comme le propos de Dieu. Or qu'un chacun regarde bien à soy: quand nous venons pour estre enseignez au sermon, ou quand autrement nous tenons l'Escriture saincte, il est vrai que nous entendrons bien par ci par là quelques bons mots, et quelques sentences profitables. Mais quoy? Cela nous est tantost eschappé, et le mettons en oubli. Et pourquoy? Car nous sommes troublez de nos repliques. C'est donc autant comme s'il y avoit du bruit en nous qui rompist la parole de Dieu, tellement qu'elle ne fust point receuë. Et au reste, nous ne recevons point la centieme partie

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de ce qui nous est dit. Et pourquoi? Pource que nous sommes charnels, et nos affections nous transportent. Et ainsi donc (comme i'ai desia dit) si nous voulons bien profiter en la parole de Dieu, il n'est point question seulement de brider nos langues qui sont par trop affilees: mais il faut que nos affections soyent rangees, afin qu'il y ait une obeissance paisible qui soit rendue à nostre Dieu. Voila donc ce que nous avons à noter.

Mais il faut aussi que nous ayons ceste sobrieté et modestie de n'estre point trop prompts à parler mais plustost de nous rendre dociles. Il est dit, que le sage en oyant profite tousiours (Prov. 17 5). Salomon ne parle point là des ignorants et idiots: mais d'autant que les hommes cuident estre grands clercs et docteurs du premier iour, et si tost qu'ils ont quelque petit goust de doctrine, il leur semble qu'ils ont assez profité, comme de fait ils seront assez enflez, voire comme crapaux, mais ce n'est que du vent: d'autant donc que les hommes Sont ainsi outrecuidez, Salomon dit, qu'il n'y a si sage qui ne profite en oyant. Qu'est-il donc question de faire? Que nous ne soyons point si advancez pour parler, que nous ne soyons tousiours prests d'escouter et entendre ce qui nous est monstré. Voila ce que nous avons encore à retenir de ce passage. Et mesmes puis que Iob notamment dit, que les gouverneurs, ceux qui estoyent exercez en prudence, et qui avoient authorité entre les hommes, l'ont oui pource qu'il estoit excellent: que sera-ce ie vous prie de ceux qui ne se peuvent point attribuer tel savoir, et qui n'ont point aussi l'usage, et qui n'ont point esté en office pour acquerir tant de prudence ? Et neantmoins nous voyons qu'aniourd'hui il y en a bien peu qui puissent souffrir d'estre enseignez, chacun usurpe l'office de docteur. Et voila comme nous pratiquons mal ceste leçon qui nous est donnee par S. Iaques (3,1), quand il dit, qu'il ne nous faut point appeter d'estre, beaucoup de maistres: car au contraire il n'y a celui qui ne pense estre bien capable pour conduire tout le monde: et cependant il n'y a personne qui puisse endurer qu'on l'enseigne, qu'on lui remonstre, voire combien qu'il soit un ieune veau. D'autant plus donc devons-nous observer ceste circonstance que i'ay notamment touché de Iob. Le sainct Esprit loue ceux qui estoyent gens prudens et d'authorité, qui toutes fois se sont rendus paisibles, et n'ont pas refusé d'estre enseignez. Quand le sainct Esprit nous monstre cela, cognoissons que ce n'est pas seulement pour louër les personnes (car elles nous sont auiourd'hui incognuës) mais il nous donne exemple et instruction de ce que nous avons à faire. Et ceste admonition ici n'est point superflue, attendu l'orgueil qui est en nous: car (comme i'ai dit) chacun veut estre sage,

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et nul ne peut estre rangé de son bon gré à ceste humilité là, de confesser qu'il a besoin d'estre enseigné par les autres. Voila pourquoi le sainct Esprit nous propose ici une telle instruction: n'est que combien que nous soyons les plus excellens du monde, si ne faut-il pas toutes fois imaginer une telle perfection en nous, que nous n'avons besoin de profiter encores plus. Et cependant marquons bien les graces de Dieu: quand nous verrons un homme qui sera adroit pour nous enseigner, cognoissons que Dieu a là mis son thresor, afin de subvenir à nostre indigence. Il faut bien que nous recevions cela de Dieu, comme il est la fontaine de toute sagesse, il est vrai: mais il la fait decouler envers nous comme par ses ruisseaux, par ses canaux. Car quand les hommes ont receu des graces de lui, c'est afin de nous les distribuer par leur moyen: et encores qu'un homme n'eust point grand' grace, si faut-il que nous l'escoutions quand il parle à nous, si c'est avec raison et en verité: voire, quand il y auroit un petit enfant qui nous remonstrera nos fautes, c'est un messager que Dieu nous envoye. Or s'il ne nous faut point refuser un petit enfant, voire un povre idiot qui n'aura nulle authorité, qui n'aura point aussi des dons exquis, si neantmoins nous devons recevoir corrections de ceux-là: ie vous prie, ne faut-il pas que nous soyons bien insensez, quand nous reietterons les graces de Dieu qui apparoissent, et lesquelles il a voulu magnifier, les mettant là comme en lieu eminent? quand nous reietterons cela, ne faut-il pas dire que nous soyons comme forcenez? Et ainsi d'autant que nous avons tousiours besoin vivans en ce monde destre fortifiez recevans doctrine et instruction par tout où elle nous sera offerte: recognoissons (comme i'ai dit) les graces de Dieu, et là où elles nous apparoissent, que nous leur facions cest honneur de nous y assuiettir. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage.

Or Iob declare quant et quant qu'il a esté aussi honoré et prisé, non seulement pour avoir un esprit aigu et subtil, mais d'autant qu'il soustenoit la droiture entre les hommes. Et c'est encores un passage que nous devons bien noter. Il est vray que quand quelqu'un se mesle d'enseigner ses prochains, il ne suffira pas qu'il soit prud'homme et qu'il ait en soy une affection de bien vivre, et donner bon exemple à tous: mais il faut aussi qu'il y ait dexterité, et que Dieu luy ait donné sens et raison: mais tant y a que si un homme estoit le plus savant qu'il est possible de souhaitter, et qu'il eust aussi la langue preste pour deviser et qu'il n'y eust nulle tache en luy quant au parier, et cependant qu'il soit de mauvaise conscience, que ce soit un mocqueur de Dieu, un homme prophane

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en toute sa vie, il ne merite pas qu'on l'escoute: car sa vie le rend tellement suspect, qu'on ne pourroit à grand' peine prendre goust en sa doctrine. le n'enten pas que la mauvaise vie des hommes doive abolir l'authorité de la parole de Dieu: mais ie parle de l'infirmité commune que nous voyons en nous, que si on oit un homme meschant et pervers, et qui n'ait nulle droiture, qui par ses oeuvres se mocque de toute vertu celuy-la quand il parleroit comme un Ange, si est-ce qu'on ne daine pas l'escouter: car on apperçoit qu'on est trompe, pource qu'on voit qu'il ne parle pas à bon escient. Ainsi donc c'est une chose bien requise en celuy qui se mesle d'enseigner, que d'avoir ceste droiture, et qu'on cognoisse qu'il parle d'affection, non point par feintise, qu'il n'y a point une farce qui se iouë: comme un personnage pourra bien iouër un rolle, mais ce n'est qu'un ieu quand tout est dit. Et voila pourquoy i'ay dit, que ce n'est point assez de bien parler, mais qu'il faut que celuy qui voudra enseigner les autres, ne parle point seulement de la langue, qu'on cognoisse que ce qu'il prononce luy vient du coeur, et qu'il ratifie et seelle par effect la doctrine qu'il porte, qu'on voye que ce qu'il dit, il l'a tellement conceu en son coeur, et l'a tellement imprimé et engravé en luy, que c'est comme devant Dieu qu'il parle.

Voila donc ce que nous avons à retenir en ce passage, quand Iob apres avoir recité qu'il estoit prise des grans et des plus honorables, adiouste que c'estoit pource qu'il a subvenu aux povres, et affligez, que la benediction de celuy qui devoit perir a esté sur luy, qu'il a esté le tuteur des orphelins, le protecteur des vefves, comme il adiouste. Ainsi ceste droiture luy a acquis authorité: et c'est ce qui est dit au Pseaume quinzieme (v. 4), que nous devons priser ceux qui ont la crainte de Dieu sur tous. Et de fait (comme il a esté declaré n'agueres) puis que la crainte de Dieu est nostre sagesse, voire la vraye sagesse: aussi nous faut-il là cognoistre, si un homme merite d'estre escouté ou non. Et au reste, cognoissons quand un homme cheminera droitement, et qu'il donnera bonnes enseignes, que s'il parle, ce n'est point en feintise, qu'il n'est point un mocqueur qui ait seulement le babil au bout de la langue, et qui n'ait nulle affection: si un homme donc est tel, qu'il approuve en toute sa vie qu'il veut enseigner les autres à bon escient, afin que Dieu soit servi et honoré, que nous devons mesmes prendre pour nous un tel miroir: car si nous ne tenons conte de la bonne vie de ceux qui nous doivent enseigner, nous reiettons l'approbation que Dieu nous donne de sa doctrine. Il est vray (comme i'ay desia dit) que les hommes ne peuvent faire que la parolle de Dieu ne demeure en son entier: car elle ne depend pas des vertus des hommes: il

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faut donc qu'elle ait son authorité inviolable: mais quoi qu'il en soit, quand Dieu nous fait ceste grace que nous serons enseignez par gens qui nous testifient en leur vie qu'ils demandent qu'on serve à Dieu: quand donc nous aurons un tel tesmoignage, c'est comme une signature de la doctrine, c'est autant comme si Dieu aidoit nostre infirmité, et voyans que nous sommes lasches et tardifs à venir à luy, il nous poussast, et nous aiguillonnast. Quand nous ne tenons conte de cela, n'est-ce pas signe que nous sommes comme des bestes retifves? Ainsi donc notons bien ce passage selon qu'il est ici couché de Iob: et ce pendant, que ceux qui ont la charge d'enseigner les autres regardent à eux, c'est assavoir, de se gouverner en sorte que leur vie soit comme un exemplaire à tous, et qu'ils testifient que ce n'est point en vain qu'ils parlent, et que c'est la parolle de Dieu laquelle est pleinement engravee en eux: que nous soyons aussi exhortez en leurs personnes de faire valoir la parolle de Dieu, pour nous renger à son obeissance avec eux. Voila donc ce qu'un ministre et tous magistrats, et gens qui ont la charge de gouverner le peuple, et generalement tous ceux qui ont estat et vocation d'enseigner doivent penser: à savoir, que nostre Seigneur veut qu'ils monstrent le chemin, et que c'est à ceste condition-la qu'il les a appellez à cest office, que non seulement ils parlent, mais qu'ils testifient par leur vie que c'est à bon escient et en verité. Et mesmes ceste doctrine s'estend à tous en general: car il n'y a celuy qui ne doive en temps et en lieu enseigner ses prochains, quand la necessité le requiert.

Ainsi advisons, qu'en condamnant les autres nous ne cachions point nos vices, et ne les mettions point en oubli. Celuy donc qui voudra estre bon correcteur de ses prochains, il faut qu'il se corrige en premier lieu: celuy qui voudra enseigner, il faut qu'il soit son maistre, c'est à dire, qu'il commence par soy, et reçoive bonne doctrine. N'oublions point aussi ce que nous avons dit, c'est assavoir, que nous soyons prests d'estre enseignez par chacun, et de nous rendre dociles quand nostre Seigneur nous voudra instruire par cestui-ci ou par cestuy-la, que nous ne refusions pas un tel bien. Quant à ce que Iob dit ici, la somme est, qu'il a monstre qu'il estoit homme craignant Dieu. Ceux qui sont menez d'ambition, ils voudront se monstrer estre renommez, et iamais ne feront rien, sinon qu'ils en attendent quelque prix et louange devant les hommes. Au contraire Iob declare ici, qu'il s'est employé là où il n'y avoit nul espoir de recompense, là où il ne pouvoit pas acquerir grand bruit ne renom selon les hommes: qu'il s'est efforcé de bien faire, quand un homme sembloit estre desia mort: il monstre bien par cela qu'il n'estoit point

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mené de vaine gloire, qu'il ne cerchoit point son loyer ici bas en terre, mais qu'il cheminoit comme devant Dieu. Car si un homme desire son profit, ô il est certain qu'il regardera deux fois quand il doit faire plaisir à quelqu'un, si celuy-la a moyen de luy revaloir, s'il luy pourra rendre la pareille. Et voila comme tous les benefices qui se font en ce monde ne sont pas gratuits, mais plustost mercenaires, et ne peut-on attribuer cela à vertu: car la charité ne conduit point les hommes pour bien faire les uns aux autres, pour subvenir à ceux qui ont quelque besoin: mais chacun regarde tousiours à son profit, et si le bien qu'il aura fait aux autres pourra retourner à luy.

Or à l'opposite il nous est ici monstré, qu'en servant à Dieu il ne faut point que nous ayons esgard à aucune recompense humaine, ne que nous appetions aussi d'estre louez et prisez: comme voici Iob qui dit, Que la benediction de celuy qui devoit perir a esté sur luy. Notons bien ce mot: car quand un homme doit perir, il nous semble que ce que nous luy aurons fait de bien soit autant perdu, et aussi quant aux hommes tout cela s'en va. Et mesmes Iob parle ici de ceux qui sont du tout destituez, et qui n'ont plus nul secours, tellement qu'on ne daigne pas penser d'eux. Voila donc comme un homme enseveli, comme une povre charongne, et ie luy vien au secours: si i'avoye esgard à acquerir quelque louange des hommes, Ô il est certain que ie cercheroye quelqu'un qui pourroit prescher mes vertus, qui pourroit dire combien il est tenu et obligé à moy: mais quand ie pren un povre homme, lequel soit desia comme à demi trespassé, et qu'il semble qu'il doive perir du tout, c'est signe que ie ne cerche point la louange des hommes. Apres, quel salaire est-ce que i'en attendray? Voila un homme qui est comme condamné à mort, il n'y a plus d'espoir en luy. Ainsi donc quand nous y procederons en telle droiture, il faudra que l'ambition soit mise bas en nous, et que l'avarice aussi ne nous meine pas, mais que nous regardions droitement à Dieu. Voila ce que Iob a voulu signifier en somme. Et c'est aussi pourquoy il note ici toutes ces especes que nous avons touchees des vefves et des orphelins, et de ceux qui sont mesprisez de tout le monde: car de fait ce sont aussi ceux qui nous sont specialement recommandez de Dieu. Ceux qui ont le moyen de revaloir le bien qu'ils auront receu, Ô ceux-la se recommandent eux-mesmes: mais quand un povre homme sera despouillé de toute faveur et qu'il n'aura ne parens ni amis, ne biens ni authorité qui soit: si nous luy secourons, c'est signe que nous regardons droit à Dieu: et si nous ne le faisons pas, c'est signe qu'il n'y a nulle charité en nous. Et de fait d'autant que nous sommes ainsi adonnez chacun à son profit, voila

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pourquoy nostre Seigneur nous recommande notamment et les vefves, et les orphelins, et ceux qui sont ainsi à l'extremité, et qui n'en peuvent plus: Dieu, di-ie, nous les presente pour esprouver nostre charité en cest endroit. Voila donc un poinct que nous avons à noter en lob, et le noter tellement que nous sachions que tout ceci est dit pour nostre instruction. Car (comme desia i'ay touché) Iob n'use point ici de vanterie, il ne fait point ces bravades pour se priser: mais le sainct Esprit plustost en sa personne nous -monstre ce qui doit estre prisé, c'est assavoir, non pas ce qui apparoist au dehors, et qui aura le plus beau lustre devant les hommes: car ce ne sera bien souvent qu'abomination devant Dieu. Quoy donc? Quand un homme chemine comme n'ayant autre tesmoin que Dieu, que tout ce qu'il fait est reduit à ce but-la pour dire, Mon Dieu me l'a commandé, voila en quoy il me veut esprouver, voila où il m'applique: quand donc un homme tiendra ceste regle-la, c'est comme il sera aliène de tous regards humains, pour se recueillir en Dieu. Et voila aussi comme il nous en faut faire: que noue ne demandions sinon que Dieu nous approuve, et que Gela nous suffise

et nous contente, que nous ne soyons point destournez ne distraits par ambition ou vaine gloire: quand nous voudrons servir à Dieu, que nous n'attendions point aussi nostre recompense des hommes, mais servons à Dieu en telle integrité et rondeur, que nous ne nous arrestions point à ce qui a la plus belle apparence, mais à ce qui nous est commandé, que nous ayons seulement ceste conclusion faite et resoluë qu'il nous doit suffire que Dieu soit obei. Que donc avec tout cela nous suivions encores l'exemple de Iob, et monstrions que nous craignons Dieu: voire et le monstrions, non point par des ceremonies ie ne say quelles, où il n'y a rien de ferme, mais par ce que nostre Seigneur nous commande sur tout en sa Loy, c'est que nous facions et iustice, et iugement, et misericorde: c'est à dire, que nous rendions le droit à un chacun, que nous-nous abstenions de tout mal, de toute iniure, fraude et violence, en demandant de servir à nos prochains, et sur tout d'avoir pitié et compassion de ceux qui sont affligez, afin de les secourir selon le moyen qui nous est donné.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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QUI EST LE III. SUR LE XXIX CHAPITRE.

13. la benediction de celui qui devoit perir, estoit sur moy, i'esiouissoye le coeur de la vefve. 14. l'estoye vestu de iustice, i'accoustroye mon iugement comme un manteau ou diademe. 15. I'estoye oeil à l'aveugle, et pied aux boiteux. 16. I'estoye le pere des povres, et m'enqueroye diligemment de la cause qui ne m'estoit point cognue. 17. Ie cassoye les maschoires du meschant, et luy arrachoye des dents la proye.

Nous commençasmes hier à monstrer que Iob donne ici approbation des vertus d'un homme craignant Dieu: c'est assavoir, qu'il fait bien sans avoir esgard au monde, et cercher là son loyer: qu'il n'est point mené d'ambition ne de son profit particulier: mais qu'il chemine comme devant Dieu. Car ceux qui auront apparence de vertu, et toutes fois ne cheminent point droitement, ils regardent tousiours en bien faisant, si on leur pourra rendre la pareille, ou s'ils seront prisez et louez, s'ils acquerront credit par ce moyen-la. Mais quand un homme s'employe à bien faire gratuitement, c'est à

dire sans esperer aucune recompense en ce monde cela monstre qu'il veut servir à Dieu. Et ainsi Iob declare qu'il n'a point regardé, si ceux ausquels il faisoit du bien estoyent pour le revaloir: car plustost il s'est adressé aux povres, aux orphelins, aux vefves, aux boiteux, aux aveugles. En cela donc il a monstré qu'il vouloit pleinement servir à Dieu. Et puis il a monstré qu'il n'estoit point mené d'ambition, qu'il ne cerchoit point qu'on luy applaudist. Comment? Car il s'est contenté que la benediction de celuy qui devoit perir fust sur luy. Or cela emporte autant comme s'il disoit, qu'il a voulu secourir à ceux qui estoyent desia comme à demi morts. Il sembloit bien que s'il leur faisoit quelque grace, ou plaisir, cela devoit estre aboli, et que iamais il n'en seroit parlé: mais Iob n'a point esté empesché pour ce regard qu'il n'ait bien fait, sachant que si les hommes meurent, Dieu retient la memoire de ce que nous aurons fait, et que cela demeure en ses registres. En somme nous voyons tousiours que Iob n'a point esté comme ceux qui

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sont distraits par une affection charnelle ou çà ou là, mais qu'il a eu son but devant ses yeux, c'est assavoir de regarder ce que Dieu approuve, et de le suivre. Et voila comme nous avons à regler nostre vie: car Iob ne presche point ici ses louanges, mais il nous monstre comme chacun de nous se doit gouverner. Or pource qu'il n'est rien plus facile que de nous eslever, si tost que le monde nous gratifie, et qu'on nous louë, et que nous sommes en reputation et credit: Iob nous ramene ici à Dieu, et nous declare que comme luy seul est nostre Iuge, comme l'authorité de nous gouverner luy appartient, et qu'il est nostre legislateur: aussi il ne faut point que nous cerchions sinon à luy complaire, et obeir en tout ce que nous faisons et disons. Voila pour un Item. Cependant notons que Dieu pour esprouver l'amour que nous luy portons, nous offre ceux qui n'ont nul moyen de nous recompenser: car voila comme nous approuvons que c'est pour servir à Dieu que nous servons à nos prochains, quand ils ne nous ont fait aucun plaisir ni aide auparavant, ou quand il semblera que nous ayons perdu nostre peine et nostre argent, et que nous ne laissons pas toutes fois de nous employer Pourquoy ? Il nous suffit que Dieu nous approuve. Voila comme nous ne serons point mercenaires.

Or puis qu'ainsi est, que nous advisions bien toutes fois et quantes qu'il y aura des povres gens qui sont affligez, comme quand les uns seront en necessité des biens de ce monde, qu'on fera tort et iniure aux autres, que les uns auront besoin de conseil, les autres d'aide: que Dieu veut là esprouver nostre charité: c'est un examen qu'il fait: et si nous defaillons quand le povre crie, et qu'il ne soit point exaucé de nous, par cela nous monstrons que nous n'avons ne zele n'affection de servir à nostre Dieu. Et sachons que ceste menace s'executera sur nos testes, Le povre a crié, et tu as eu l'oreille sourde: tu crieras à ton tour, et ne seras point exaucé, nul n'aura pitié de toy, car nous ne trouverons misericorde ne devant Dieu ne devant les hommes, quand nous n'aurons point este pitoyables à ceux que Dieu nous avoit adressez afin de les secourir: et selon que nous aurons eu le coeur dur et inhumain, aussi Dieu bandera les yeux à ceux qui verront nostre povreté, en sorte qu'ils n'en seront point touchez: nous aurons beau nous plaindre et endurer, mais nul n'y pensera. Et pourquoi? Car c'est le payement que nous avons merité, quand nous n'avons point eu compassion de ceux qui enduroyent: voire attendu que Dieu nous envoye une telle espreuve et qu'il veut cognoistre par ce moyen-la si nous desirons à le servir ou non. En somme nous voyons ici que misericorde est l'une des principale parties de nostre vie, quand elle sera reglee

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selon Dieu. Et qu'emporte ce mot Que quand quelqu'un endure, et que nous le voyons avoir faute de nostre secours, nous soyons touchez en nostre coeur, et souffrions le mal comme en nostre personne, et que cela nous induise à faire ce que nostre Seigneur nous donne. Car il ne suffira point que nous aidions à ceux qui ont faute d'aide, mais il faut que cela se face d'une amour cordiale. Ce mot d'Aumosne, emporte autant que Misericorde. Or on pensera avoir fait une aumosne, quand on ne regarde point à l'homme, et qu'on l'estime comme un chien, et qu'on ne souffre rien de son mal, bref qu'on n'en a point de compassion, pourveu seulement qu'on luy baille quelque chose: et ce n'est pas aumosne à parler proprement. Il est vray que c'est un tesmoignage d'aumosne, c'est à dire, de misericorde: mais ce tesmoignage-la n'est point vray, quand on n'a point de compassion, ne ceste affection cordiale que i'ay dite.

Ainsi donc notons bien qu'alors nostre vie sera approuvee de Dieu, quand nous serons humains pour avoir pitié de ceux qui endurent, et que cela aussi nous incite a les secourir entant que la faculté nous sera donnee. Ceux qui s'adonnent là, peuvent bien dire qu'ils sont gouvernez par l'Esprit de Dieu, et que leur vie est approuvee. Il est vray que Dieu nous commande bien d'autres choses en sa Loy, et ie n'ay pas dit aussi que cela soit tout: mais i'ay dit que c'est l'une des principales parties. Tant y a qu'un homme pourroit estre au reste comme un petit Ange, et qu'on l'auroit en admiration: s'il est cruel comme une beste sauvage, qu'il ait le courage si endurci qu'il ne luy chaille des povres, et de ceux qui endurent: il est certain que Dieu aura toutes ses vertus (qui pouvoyent puis apres estre prisees) en abomination. Ainsi donc voulons-nous qu'en vivant chastement et sobrement, en rendant droit à un chacun, en ne faisant tort ne violence, ne fraude à nul: voulons-nous, di-ie que nostre Seigneur accepte tout cela, et que ce que nous faisons luy soit un service approuvé? Que la misericorde soit quant et quant adioustee: car tout ainsi que les viandes n'ont nulle saveur sans le sel: aussi quand nous ne sommes point pitoyables pour subvenir à nos prochains, et pour leur tendre la main quand ils demandent secours, il est certain que Dieu ne prendra ne goust ne saveur à tout le reste.

Voila donc ce que nous avons à retenir en ce passage quand Iob dit, Que la benediction de celuy qui devoit perir a este sur lui, qu'il estoit pere des vefves qu'il estoit tuteur des orphelins. Et au reste, notons bien que selon que nous voyons les deffauts et necessitez en nos prochains, c'est autant comme s'il nous d soit, Voila, ie vous monstre que ie veux que les hommes communiquent ensemble. Car

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Dieu pourroit bien faire que chacun se contentast de sa personne, et qu'on vescust à part: mais nous voyons qu'il n'y a celuy qui n'ait faute de l'aide d'autruy, ie parle mesmes des plus riches et aisez. Prenons un homme qui sera sain en son corps et agile, qui aura des biens tant et plus, tellement qu'il semblera avoir tout pour se contenter: et si est-ce qu'encores a-il besoin d'autruy. Tous ne pourront pas estre laboureurs de terre, tous ne pourront pas estre drapiers, tous ne pourront pas estre cordonniers, et d'autres arts mecaniques: bref, nous voyons que Dieu nous astreint les uns aux autres comme par force, et que la necessité nous est comme un lieu pour nous tenir conioints et unis. Or outre cela nous voyons que nostre Seigneur nous contraint encores mieux, quand il envoye maladie à l'un, necessité à l'autre de ceci et de cela, que les riches n'en sont point exemptez non plus que les povres, et qu'il nous met en des perplexitez souventesfois que nous ne savons de quel costé nous tourner. le di ceux qui ont tout en main (ce semblera) si est-ce que Dieu les ameine là où iamais ils n'eussent pensé. Et qui est cause de cela ? Or (comme i'ay dit) Dieu voyant que les hommes se voudroyent passer l'un de l'autre, s'il leur estoit possible, et qu'un chacun voudroit vivre à soy: nous ameine comme par les cheveux, et nous monstre que c'est une folie par trop grande à nous, de nous vouloir exempter de la, condition qu'il a mise sur tout le genre humain.

Et ainsi donc notons bien, que quand quelqu'un de nos prochains a faute, comme il est ici parlé des boiteux, des aveugles, de ceux qui doivent perir, des vefves, des orphelins: un chacun doit regarder Or ça comment me doy-ie employer ici? Car si Dieu nous a donné dequoy, il nous oblige quant et quant à en aider à ceux qui en ont faute. Que si nous n'avons ceste consideration-la, c'est frustrer nos prochains, nous leur desrobbons ce que Dieu avoit ordonne pour leur assister: et puis il faudra que nous rendions conte d'avoir supprimé ce que Dieu avoit mis en nous à cest usage et à ceste fin, que ceux qui en auroyent faute fussent soulagez d'autant. Ainsi donc qu'un chacun regarde bien à la faculté qui luy est donnee: car les dons de Dieu nous seront bien cher vendus, s'ils ne sont employez comme il appartient: voire, et que nous ne cognoissions que Dieu les tient precieux, afin que l'usage en soit pur, comme il le commande. Il n'y a si petite grace de Dieu laquelle ne soit à priser comme elle en est digne: et cela se fait quand nous les appliquons à leur droit usage et legitime. Ainsi quand un homme est doué de Dieu de quelque chose, il faut qu'il pense, Ceci n'est point pour moy seul: il est vray que Dieu veut que i'en use avec action de graces: mais il me l'a

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aussi donné afin que i'aye dequoy pour subvenir à mes prochains: il faut donc que ie m'estende iusques là: et si ie me tien là comme enclos, Dieu me saura bien monstrer que ie ne suis que comme procureur de ce bien ici, et qu'il n'est pas mien pour en disposer à mon vouloir, mais que la dispensation en est seulement commise. Parquoy que chacun regarde où c'est que Dieu veut faire valoir ses graces, et que nous beuvions tellement chacun de son eau (ainsi que dit Salomon Prov. 5' 15) que les ruisseaux en decoulent à nos prochains. Que nous ne gourmandions point en nostre particulier: mais avons-nous fontaine qui nous puisse rassasier, et qui puisse aussi donner secours à ceux qui en ont faute? beuvons de ceste fontaine que Dieu nous a donnee: mais cependant advisons aussi que les autres s'en sentent, et que nous ne soyons point comme des bestes sauvages. Voila ce que nous avons en somme à retenir de ce passage. Et au reste, notons aussi d'autre part, que si nous ne sommes par trop cruels, les necessitez de nos prochains nous doivent soliciter d'elles mesmes à leur subvenir. Et defait quand nous n'aurions ne Loy escrite, ne Prophetes, ne rien qui soit: la seule nature ne nous est-elle point assez bonne maistresse pour nous fleschir, et nous amollir les coeurs, quand nous voyons quelque necessité? Voila un homme qui sera aveugle, l'autre boiteux, et l'autre indigent des biens de ce monde, l'autre sera destitué de support, l'autre de conseil: et bien, nous voyons là nostre propre chair (comme dit le Prophete Isaie 158, 7) nous ne pouvons pas renier nostre nature. Quand donc nous contemplons les hommes qui sont faits à nostre semblance, et que nous les voyons estre en necessité: si nous ne leur donnons secours ne sommes-nous pas comme bestes brutes, et pires avec ? Et ainsi donc pensons bien à nous: car nous aurons beau alleguer ceci et cela, il n'y aura point d'ignorance qui nous excuse: car encores que nous n'eussions un seul mot de doctrine, si est-ce que la seul humanité nous monstre que nous sommes coulpables si nous ne taschons d'aider à ceux qui sont ainsi en extremité. Et les Payens mesme ont rendu assez suffisant tesmoignage, que la nature des hommes nous instruit en cest endroit autant qu'il est de besoin. Et chacun aussi est assez convaincu par son experience: car quand nous voyons quelqu'un qui endure, il est certain que lors nous avons un instinct, nous avons un mouvement là dedans, que s'il est possible nous devons là courir. ; tais quoy ? Chacun se bande puis apres les yeux, nous tournons le des d'autre costé., et nous exemptons par quelques subterfuges vains. et frivoles. Si est-ce que tout ce mouvement la nous sera comme un procez devant Dieu, quand nous n'aurons point tasché de nous employer à la

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necessité de nos prochains. Car (comme desia il a este dit) ne pensons point que ce soit par cas fortuit, que les hommes ont ainsi faute d'aide: Dieu l'ordonne on ceste façon-la, afin que nostre charité soit esprouvee, ou bien que nous soyons convaincus d'avoir esté par trop cruels.

Or Iob adiouste, Qu'il s'est enquis de la cause qui ne luy estoit point cognue, que soudain il a voulu savoir la verité. Il parle ici non point en personne privee, mais comme celuy qui avoit authorité de iustice, ainsi que nous avons veu auparavant. Or c'est un article bien digne d'estre noté pour ceux qui sont en estat de iustice: car ici il monstre qu'ils doivent estre vigilans à s'enquerir du droit d'un chacun, afin de ne souffrir point que nul soit opprimé, qu'il se face ne fraude ne tort. Il est vray que de là nous avons aussi à recueillir une doctrine generale: mais il faut qu'en premier lieu les Magistrats et gens de iustice cognoissent que le sainct Esprit leur a ici voulu monstrer leur leçon, et leur donner une reigle certaine, voire afin qu'ils se puissent loyaumont acquiter de leur devoir, quand ils s'y voudront employer: et aussi à l'opposite qu'ils seront rendus inexcusables, quand ils ne s'en acquitteront point.

Voila ce qui est ici contenu. Notons bien donc ce qui n'est point assez, si un iuge ne fait point tort à personne à son escient, et qu'il prononce selon ce qu'il voit: mais il faut qu'il soit diligent à s'enquerir. II ne suffit pas mesmes qu'un iuge attende qu'on luy masche les morceaux, qu'on luy monstre la chose au doigt: mais il faut que de soy il ait souci de regarder, et que si la chose luy est obscure et douteuse, il applique là toute son estude, afin d'estre bien informé. Or si une telle diligence est requise on tous iuges: que sera-ce, ie vous prie, quand ils fermeront les yeux à leur escient, qu'ils se laisseront gagner par faveur, pur haine, par corruption de presens, qu'ils seront mesmes transportez pour ravir le bien d'autruy et pour favoriser à l'un, pour grever l'autre? quand cela y est, quelle condamnation et combien horrible? Et ainsi advisons bien à ceste doctrine: car si un homme veut fidelement servir à Dieu, et executer la charge qui luy est commise, quand il aura este appellé en estat public: il faut on premier lieu qu'il cognoisse qu'il n'est point là comme une idole. Et de fait pourquoy est-ce que Dieu a promis de donner esprit de sagesse et prudence aux Rois et aux princes, et aux Magistrats, sinon d'autant qu'ils on ont besoin, voire comme d'un donc singulier par dessus les autres? Ceux donc qui sont en cest estat-là, ont besoin de prier Dieu qu'il les conduise tellement, qu'ils ayent prudence et droiture en eux, pour bien cognoistre et discerner, afin qu'ils n'y aillent point à l'estourdie. Or se sont-ils ainsi recommandez

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à Dieu? Le second est qu'ils soyont diligens à informer: et quand une chose ne leur sera point cognuë, qu'ils ne pensent point estre quittes pour dire, le n'en savoye rien: car ceste nonchalance-la leur coustera bien cher devant Dieu. Il faut donc qu'un iuge qui voudra satisfaire à son office, soit vigilant pour cognoistre comme il on va, et qu'il soit informé de la verité iusques au bout, et tant qu'il luy sera possible, et selon qu'il on aura le moyen. Par ceci voit-on que c'est une excuse frivole quand on dit, O ie ne i'ay point entendu. Voire ? on viendra abbreuver de mensonges ceux qui sont au siege de Dieu: et ie vous prie, s'il veulent estre deceus de leur bon gré, et qu'ils se contentent de ne se point enquerir plus outre, afin de laisser couler le mal (comme mesmes souventesfois ils fermeront les yeux) et ne voila point un subterfuge trop frivole? Ils tiennent la place de Dieu: et Dieu est-il une idole qui ait un voile devant les yeux, pour ne point iuger entre le blanc et le noir? Or quel deshonneur font tels iuges à leur maistre, quand ils sont ignorans à leur escient, ou qu'ils s'endorment ainsi, et ne demandent sinon qu'on les trompe ? Voila un homme qui aura la pire cause du monde, il veut esblouir les yeux du iuge, comme s'il luy iettoit une poignee de cendres dedans les yeux, ou qu'il luy mist quelque autre empeschement: et un iuge se contentera de cela, et dira, le n'y voy goutte: et quelle trahison est-ce là? Le siege de Dieu doit estre sacré, et on le vient ainsi polluer tant qu'on peut: car c'est une pollution trop vilaine que les mensonges, quand on les laisse ainsi pervertir iugement et droiture. Ils diront bien, Voila une raison. Et quelle raison? Mensonge. Si donc des iuges sont ainsi doubles, et qu'on les plie comme roseaux qui se fleschissent à tous vents, et qu'il leur suffise d'avoir ouy ie ne say quoy, et qu'ils s'en repaissent, qu'il n'y ait nul fondement ne fermeté: et ie vous prie, laisseront-ils pour cela d'estre coulpables devant Dieu? Or non seulement nous en verrons beaucoup qui sont bien aises qu'on les trompe, qui ne demandent point mieux que d'avoir quelque couleur et quelque fard: mais eux-mesmes sont les advocats des mensonges, ils viendront la apporter des meslinges pour pervertir le droit. Voila une cause qui sera toute nette, de sorte que les petis enfans s'ils estoyent là assis en pourroyent dire à la verité comme il en va: or voici des iuges qui apporteront des doutes ie ne say quelles. La cause sera vraye, elle sera assez claire de soy: on viendra là apporter ie ne say quoy pour embrouiller tout, rien, des billevezees comme on dit. Les iuges, di-ie, n'attendront point qu'il y vienne ne procureur ni advocat, qui apporte là ses mensonges, et des choses mauvaises pour desguiser tout le cas: mais

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ce sont eux-mesmes qui diront, Et quoy? il y a ceci et cela. Il n'y aura rien que la bonne cause toute claire et evidente, et cependant ils apporteront là leurs mensonges pour tout entortiller on confus: bref, on n'y voit qu'une impudence si vilaine que les petis enfans mesmes en pourroyent iuger. Et Dieu ne fera-il rien cependant? Souffrira-il qu'on se mocque ainsi de sa maiesté, qu'on pollue le siege sacré qu'il avoit dedié à son nom? Nenni, nenni.

Ainsi donc nous voyons que ceux qui tiennent le siege de iustice auront un terrible conte à rendre, et qu'il y a une malediction espouvantable qui leur est apprestee, sinon qu'ils soyent vigilans pour s'enquerir, afin qu'ils ne iugent point à la. volee, et ne verifient point le proverbe qui dit, De fol iuge brefve sentence: mais qu'ils mettent peine de savoir comme il en va, et qu'ils puissent tousiours protester devant Dieu, et monstrer aussi par effect devant les hommes qu'il n'a point tenu à eux qu'ils ne se soyent informez, et que la verité ne leur ait esté cognuë. Or si la nonchallance est si rudement punie, et si ceux qui auront ainsi calé la voile, ne peuvent eschapper la main de Dieu: et que sera-ce de ceux qui de mauvaise conscience estans corrompus de presens, estans preoccupez de faveur ou de haine, s'en viennent ainsi ietter comme des bestes sauvages, et renversent tout entant qu'en eux est, tellement qu'on ne sait plus où on en est, et que quand on a son refuge à la iustice, on est là comme en un brigandage? Et ie vous prie, ceux qui sont là, comment est-ce qu'ils pourront comparoistre devant Dieu, combien qu'il dissimule pour un temps? Or donc nous voyons que c'est une chose bien difficile que d'administrer la iustice, puis que Dieu y requiert une telle vigilance. Et cependant notons aussi qu'un chacun en particulier, entant qu'en luy est, se doit enquerir du bien et du mal, afin que nous ne grevions nos prochains: car combien que nous ne soyons point luges pour prononcer sentences publiques, si est-ce que nous faisons souvent tort à nos prochains, quand nous iugeons mal d'eux, et nous leur pouvons nuire par beaucoup de moyens, par faute d'estre bien informez. Ainsi donc appliquons bien nostre estude à cognoistre et nous enquerir de la verité, afin que nous ne soyons point deceus de mensonge, et que pour cela nous facions tort à quelqu'un. Et au reste, quand Iob a traitté de la prudence, et aussi du soin que doivent avoir toutes gens de iustice, il adiouste une autre vertu qui est aussi bien requise en eux, c'est assavoir, l'integrité de conscience, qu'ils s'opposent à toute iniure et violence, et ne souffrent point qu'on face quelque outrage à nul, qu'ils n'y remedient entant qu'en eux est.

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Et voila pourquoy Iob proteste' Qu'il a rompu les maschoires du meschant, et qu'il luy a arraché la proye d'entre les dents. Or ceci ne se peut faire, que les il, es et magistrats n'ayent une telle constance en eux, qu'ils ne puissent souffrir le mal qu'ils n'y resistent. Et ceste vertu est encores un donc especial de Dieu: car combien qu'un homme soit magnanime, si est-ce qu'encores quand il voit que d'acquerir la mauvaise grace, on en tombe en beaucoup d'inconveniens, cela le retarde et le refroidit. Il est vray qu'on trouvera bien des exemples, ie di mesmes aux Payens, et en ceux qui n'ont iamais cognu que c'est de Dieu, qu'ils ne flechissoyent point pour rien qui soit, qu'ils vouloyent maintenir le droit, qu'ils prestoyent la main et secours à ceux qui estoyent oppressez iniustement: on verra bien quelques exemples de cela: mais Dieu y besongne ainsi, afin d'oster toute excuse à eux qui pretendent son nom quand ils auront fleschi, ou dissimulé, et souffert qu'on opprime les bons, qu'on leur face tort, que les loups mangent les brebis. Tant y a toutes fois (comme i'ay desia touché) que ceste vertu icy, et constance invincible est un donc especial de Dieu. Et ainsi ceux qui sont ordonnez en l'estat de iustice, apres avoir demandé à Dieu qu'il leur donne prudence pour bien iuger, et apres avoir mis toute peine de s'acquiter de leur devoir, et prester la main à ceux qui sont foulez: se doivent opposer comme des boucliers à ceux qui voudront par violence usurper le bien d'autruy, et mettre le pié sur la gorge aux povres gens: il faut que les iuges s'appliquent icy. Il est vray que quand on voit que les meschans ont la bride avalee, que personne ne leur resiste, on pourra dire, Et qu'y feroy-ie? ie n'ay point de moyen: mais toutes telles excuses sont frivoles devant Dieu. le voy (diront aucuns) que personne ne me tient compagnie, tout demeure là court: si ie veux faire mon devoir, ceux qui devroyent estre avec moy me delaissent la, il ne faudra sinon qu'un meschant ou deux monstrent les dents, ie tremble, ie ne say que faire: et ainsi ce n'est pas ma faute, i'y voudroye bien remedier, mais ie ne sauroye tout seul. Ces raisons-la auront bien quelque couleur devant les hommes, mais devant Dieu il faut qu'elles s'en aillent bas: car icy (comme nous avons declaré) le sainct Esprit donne une leçon commune à tous ceux qui sont commis en ceste charge-la, c'est qu'ils se declarent ennemis formels des meschans: et quand ils les voyent ainsi comme bestes enragees, quand ils voyent qu'ils ont leurs dents aguisees pour manger l'un, pour mordre l'autre, qu'ils les empeschent de ce faire, et se mettent au devant, qu'ils employent là le credit et autorité que Dieu leur a donnee.

Car ce n'est point un petit mot, quand il est

SERMON CVI

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icy dit, l'ay rompu I'ay rompu des maschoires des meschans, ie leur ay arraché la proye d'entre les dents. Or maintenant notons, que Dieu quand il constitue des magistrats, c'est à dire, qu'il appelle gens a cest office, et les arme du glaive de sa iustice, il les oblige quant et quant a, maintenir les bons et les innocens, et à se formaliser pour le droit, et à s'opposer aussi à toutes iniures, et à tous malefices et à toutes violences. Maintenant si un iuge dit O ie n'ay point cognu qui avoit tort ou droit: à qui a-il tenu? Car premierement Dieu ne deffaudra iamais qu'il ne donne prudence à ceux qui luy auront demandé: et puis il benira aussi leur labeur quand ils travailleront fidelement pour s'enquerir du droit. lais quoy ? Tant s'en faut que les iuges s'enquierent de ceux qui sont opprimez, que si on vient faire les plaintes, l'air en retentira, et cependant les aureilles de ceux qui y devroyent mettre la main et remede, sont sourdes. Si un homme a souffert patiemment qu'on luy face iniure, si le mal est tout notoire au iuge, il n'est point excusé, il ne peut pas dire, Il ne s'est pas venu plaindre: voire, mais le mal est commis devant tes yeux, et ton office estoit d'y mettre ordre, et tu n'en as tenu conte. Et penses-tu estre quitte devant Dieu? Mais on verra les povres gens qui se plaindront, ils viendront remonstrer leur droit, et on n'en pourra avoir raison. Et au contraire où il n'y aura point de mal, il faut que le glaive soit desgainé, il faut qu'on y aille en telle vehemence que c'est une furie. On dira, C'est zele de iustice. C'est bien à propos, c'est une impudence trop vilaine, où il n'y a ne raison ne propos, quand ils souffrent qu'un povre homme soit moleste, et que cependant ils aillent en toute rigueur en une chose qui ne sera rien. Si un povre homme à qui on aura fait iniure se plaint, qu'il expose son droit O rien, A huictaine: et puis on la fera si longue qu'il se fasche. Il faudra qu'un homme simple s'il n'a rentes et revenus pour vivre, s'il n'a gens à sa poste pour soliciter, il faudra, di-ie, qu'un homme de mestier meure de faim, s'il veut avoir raison d'une chose toute liquide. On luy fait tort: on le voit, la chose est toute cognuë: mais en la fin veut-il avoir raison ? Il faut qu'il ait la bourse pleine, qu'il ferme sa boutique, et qu'il face son conte d'estre demi an oisif: et quand il aura bien poursuivi, encores se mocquera-on de luy. Nous voyons ce desordre-la auiourd'huy: et comment ceux qui sont là constituez en cest estat si sacré pourront-ils rendre conte devant Dieu? Or il est vray qu'ils s'en purgeront devant les hommes: mais tant y a que ceste doctrine ne sera point aneantie pour eux Et ainsi (comme i'ay dit) c'est bien arriere de s'enquerir, quand nous voyons que les choses éstant mises devant, il n'y a nul zele de

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secourir à ceux qui sont ainsi foulez et oppressez: et on voit aussi que les meschans feront des hardis, voire selon ceste licence qu'on leur donne. Quand ils auront commis quelque mal, et que cela demeure impuni: c'est autant comme si on leur donnoit .liberté et privilege de mal-faire à chacun: et bien, ils en useront et en abuseront: là dessus ils continuent de plus en plus: et un iuge cependant saura bien dire, Il est vray qu'il y a eu un tel mal qui a esté commis, il en est mesmes advenu le second, le troisieme, le quatrieme, il y en a tant que tout est confus: et cependant où est le remede? Dieu ne veut-il point que son siege soit honoré? Et comment le sera-il, sinon qu'il y ait ceste vertu et constance, que le mal soit reprimé? Pourtant s'il y a une telle licence, que les meschans soyent des lions ou des ours, ou autres bestes sauvages: que ceux qui sont là en l'autorité de Dieu cognoissent, le doy servir à mon maistre: et comment est-ce que ie m'en acquiteray? Quand ie feray ce qui est de mon office, alors ie l'auray de mon costé, et seray soustenu par sa main. Voila donc à quoy un iuge devroit penser: et lors il auroit un courage de lion pour se dresser contre les bestes sauvages, et pour leur arracher la proye d'entre les dents, et leur rompre les maschoires. Et defait notons que ces façons de parler ne sont point superflues: car Iob en somme nous a voulu exposer, ou plustost le sainct Esprit par sa bouche, que ceux qui veulent faire l'estat de iustice deuëment, ne pourront iamais en venir à bout, sinon qu'ils usent du glaive que Dieu leur a mis au poing pour rompre les maschoires aux meschans, c'est a dire, qu'ils usent de severité et rigueur. Car si un iuge est effeminé et quand il sera question de punir les malefices, qu'il soit la, le ne say où i'en suis, ie ne say qu'en dire: et qu'il n'ait point ceste magnanimité de redresser les choses quand elles Sont confuses, Ô il est certain qu'il ne pourra iamais satisfaire à son office. Et ainsi donc quand il est ici parle, de rompre les maschoires aux meschans, cognoissons que nostre Seigneur advertit ceux ausquels il a donne son glaive, d'en user constamment à l'encontre des meschans qui Sont par trop hardis: et comme ceux-la sont des bestes brutes, qu'eux aussi ayent un courage ferme et constant pour reprimer toute leur violence, et rage. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage.

Or pour conclusion notons ceste sentence que Iob met, c'est qu'il a esté vestu de sa iustice, et qu'il a eu le iugement, c'est à dire la droiture, comme son manteau, et comme un diademe: c'est à dire qu'il a esté paré de vertu, et non point d'une braveté, comme sont ceux que Dieu aura eslevez en quelque credit, ausquels il semble que le monde n'est pas digne de les regarder entre deux yeux, ils font là

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des paons, ils estendent leurs ailes. Voila donc la parure de ceux: qui sont auiourd'huy en dignité et estat de iustice: car on n'y voit qu'orgueil, il n'y a que pompe et braveté, il leur semble qu'ils ne soyent plus hommes mortels. Or à l'opposite il est icy dit, qu'un homme qui regarde à Dieu, et qui tasche d'executer fidelement son devoir, celuy-la prend la iustice comme sa robbe, il prend comme un manteau et un parement la droiture. le vous prie quand il n'y auroit que l'honnesteté, un homme souffrira-il qu'on luy arrache sa robbe et son saye, et qu'on le laisse là en cueilleur des pommes comme on dit? Quand il n'auroit ne froid ne chaut, ne voudra-il point encores retenir son accoustrement, afin qu'il puisse converser honnestement entre les hommes? Mais si on despouille un homme, et qu'il soit à la pluye et au vent, qu'on le laisse là morfondre, ou bien qu'on le laisse an chaut, et que sa robbe soit deschiree en pieces, ne prendra-il point cela à coeur? Or est-il ainsi, que la iustice et la droiture sont nos vrais paremens, ce sont nos robbes dont nous sommes revestus. Et si un homme s'est porté loyaument à faire son devoir, Dieu le maintient, il est muni de la protection d'enhaut, Dieu l'aura agreable, encores qu'on ne luy eust point applaudi du costé des hommes. Voila donc comme nous devons estre munis, et parez devant Dieu et ses Anges: c'est quand nous aurons retenu la iustice et droiture, que nous n'en aurons point esté despouillez ne destituez. Combien donc que souventesfois ou par flatteries, ou par corruptions, ou par menaces, ou par haines, ou par autres tentations on taschera de nous oster ceste robbe, et ce manteau de iustice et droiture: que nous advisions bien de ne nous en point despouiller, si nous ne voulons monstrer nostre honte et turpitude devant Dieu et ses Anges. Et puis apres quant au monde et à la vie presente, advisons bien de ne nous point exposer ou au froid ou au chaut, c'est à dire, que Dieu permette qu'il nous advienne beaucoup de povretez, et que cependant nous n'ayons nul secours. Et pourquoy? Car quand nous aurons esté si lasches de nous laisser despouiller de nos accoustremens, c'est bien raison que nous endurions puis apres. l'avoye un manteau pour me couvrir, et pour me garder de la pluye, et ie le laisse là à l'abandon: ne suis-ie pas digne d'estre mouillé et percé iusques aux os, quand ie ne daigne point vestir mon manteau ? Or voicy Dieu oui

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nous declare que pour estre bien couverts, il nous couvrira luy-mesme quand nous serons revestus de iustice: et nous allons là ietter la iustice comme une chose de nulle valeur, nous ne prisons point ceste droiture et equité laquelle il nous recommande tant, mais la iettons là comme au vent. Quand donc nous venons à nous despouiller ainsi, ie vous prie ne sommes-nous pas dignes que nostre Seigneur nous expose à tout opprobre, que nous soyons mocquez et vilipendez, et puis apres que nous soyons destituez de tout, et que nous n'ayons ny aide ny secours, ne de luy ne des hommes? Voila ce que nous avons à noter en ce passage.

Or il est vray que iamais nous ne pourrons si bien nous acquiter de nostre devoir: ie ne di point seulement les magistrats qui ont une charge si haute et si difficile, mais ceux qui ont à gouverner seulement leurs maisons, et leurs personnes, il n'est point possible qu'ils ayent une telle perfection, qu'en tout et par tout ils soyent ornez de iustice et droiture. Qu'avons-nous donc à faire? Nous avons à recourir à nostre Seigneur Iesus Christ pour deux raisons. Car en premier lieu nous ne trouverons point en nous les choses qui sont icy contenues, nous sommes tardifs au bien, et legers au mal, il n'y a ny prudence ny advis en nous: il faut donc que nous en venions puiser en Iesus Christ, auquel l'Esprit de prudence et de vertu est donné, comme il en est parlé au chapitre onzieme du Prophete Isaie. Si donc nous sommes revestus de la iustice de nostre Seigneur Iesus Christ, et de la droiture et prudence qu'il nous distribuera par son sainct Esprit: voila comme nous serons deuëment ornez et parez pour comparoistre devant Dieu. Mais d'autant qu'en la vie presente il y aura tousiours de l'imperfection en nous, qu'il y aura tousiours à redire: il faut que nostre Seigneur Iesus par sa pure grace couvre toutes nos fautes, qu'elles nous soyent pardonnees en son nom, et qu'il supplee à nos deffauts: et que cependant il augmente tousiours de plus en plus les graces de son sainct Esprit en nous,: et qu'il nous conduise par la vertu d'iceluy, iusques à ce qu'il nous ait despouillez de tontes les infirmitez et corruptions de nostre chair, et que nous soyons parvenus au but auquel nous tendons.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON CVII

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LE CENT ET SEPTIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XXIX. CHAPITRE.

18. le disoye, le mourrai en mon nid, et multiplierai mes iours comme gravier. 19. Ma racine s'espand aux eaux, et la rosee demeurera sur ma moisson, et (sera tres-ample). 20. Ma dignité sera renouvellee, et mon arc sera renforcé en ma main. 21. On m'oyoit avec attente, et se taisoit-on à mon conseil. 22. On ne repliquoit rien apres mes paroles, et ma parole distilloit comme pluye sur les oyans. 23 On l'attendoit comme la rosee: on ouvroit la bouche, comme apres la pluye desiree. 24. Si ie me rioye avec eux, ils ne le croyoyent point: et ne laissoyent tomber la clarté de mon visage. 25. Quand ie venoye en la voye, i'avoye le premier rang, i'estoye entr'eux comme un roi avec son armee, et comme le consolateur des affligez.

Iob ayant parlé de l'authorité qu'il avoit acquise par ses vertus, et par les graces que Dieu avoit mises en lui, maintenant adiouste, qu'il sembloit bien que son estat deust estre perdurable. Et en cela il monstre qu'il n'estoit pas comme ceux qui dominent quasi maugré le monde, et qui sont tousiours en doute et en branle: comme nous voyons que ceux qui sont parvenus à fausses enseignes en quelque authorité, auront bien la vogue, et tout le monde tremble sous eux: mais il ne faut sinon que le vent tourne, le moindre changement du monde les accablera. Pourquoi ? ils sont hays, combien qu'on les craigne, et ceux qui leur font la cour ne demandent sinon de les voir ruinez: bref il n'y a point de fondement. Or Iob monstre qu'il n'a point eu seulement un credit volage qui ne durast que pour trois iours, mais qu'il estoit si bien fondé, qu'on eust dit que iamais sa condition n'eust changé, qu'il estoit appuyé de tontes parts. Voila son intention. Cependant Dieu l'a tellement affligé, qu'il se voit la plus povre creature du monde: ainsi il ne se faut point esbahir s'il a de telles angoisses, qu'il n'en puisse plus: car il est tombé en un mal que iamais il n'eust attendu. Et voila pourquoi il se desborde quelquesfois en son parler, et encores que tousiours il regarde à Dieu, si est-ce toutes fois qu'il est excessif, et par trop. Cela donc ne se doit point trouver estrange, veu que l'affliction qui lui est advenuë estoit incomprehensible et que iamais on ne l'eust pensé. Or ceci nous doit servir d'instruction, afin que nous soyons tousiours sur nos gardes: si Dieu nous envoye quelque felicité, que nous n'y soyons point par trop endormis, mais

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que nous sachions que ceste vie mortelle est suiette à tous les changemens qui nous peuvent venir en la phantasie: voire nonobstant tous les appuis que nous pourrons avoir, et combien qu'il semble que tout le monde nous favorise, que nous ayons cent mille espaules pour nous soustenir, si faut-il neantmoins penser qu'il n'y a rien de ferme ici bas, mais que tout y est caduque: qu'il ne faut que tourner la main pour changer tout, que ceux qui auront esté les plus eslevez seront abbatus en ruine. Voila, di-ie, l'advertissement que nous avons a recueillir de ce passage. Et ce nous est une doctrine bien necessaire: car il n'y a rien plus aisé à l'homme, que de se faire à croire que tousiours il demeurera en une condition heureuse quand il y est. Nous voyons ce que David mesme confesse (Ps. 30, 7) l'ai dit cependant que i'estoye à mon aise, que iamais ie ne serai esbranlé. Il est vrai qu'il attribue cela aux contempteurs de Dieu au Psaume dixieme (v. 6). Car parlant de leur felicité il dit, qu'ils se font à croire qu'encores que tout le monde renversast ils demeuront debout, et qu'ils sont trop bien munis. Voila donc comme les mondains et les incredules presument de leur vertu, et cuident estre si bien munis de. tous costez que rien ne leur peut nuire, comme aussi toute l'Escriture parle de cest orgueil-là. Mais David en sa personne au passage que i'ai allegué, c'est assavoir au Pseaume trentieme, dit, Qu'il s'est endormi du temps que Dieu l'avoit constitué roi, et le faisoit prosperer, et qu'il se voyoit au dessus de tous ses ennemis: que lors il faisoit son conte, de iamais ne bouger d'un tel estat. Mais, dit-il, Seigneur tu m'as bien apprins par experience que c'estoit la grace de ton seul plaisir qui m'avoit ainsi eslevé: car si tost que i'ai senti ta main, me voici en tel estat que ie suis du tout confus. David donc monstre, que mesmes les enfans de Dieu, combien qu'ils ne soyent point enflez de ceste presomption qui est aux incredules, pour s'enyvrer en leur bonne fortune (comme on dit), si est-ce qu'ils ne se peuvent tenir de se promettre plus qu'il n'est besoin: car ils imaginent que ce bon temps durera tousiours, et que leur prosperité ne faudra iamais. Puis que nous sommes enclins à un tel vice, et que David mesme n'en a point esté du tout pur, qu'avons-nous à faire sinon à, nous soliciter? Et en quelle sorte? Or David marquant ce vice, monstre aussi le remede, quand il dit, Seigneur ma fermeté est fondee, et celle aussi

IOB CHAP. XXIX.

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de mon royaume, en ta seule bonté. Si nous cognoissons que tout nostre bien despend de là, assavoir du bon plaisir de Dieu, nous conclurons qu'en nous il n'y a rien de certain ne perdurable. Ainsi donc en invoquant Dieu, nous attendrons de sa main ce qu'il lui plaira nous envoyer: et combien que nous esperions qu'il continuera sa bonté envers nous, toutes fois nous ne laisserons pas de nous preparer quand il voudra nous humilier, et exercer nostre patience par afflictions: nous serons tousiours prests à cela, et ne le trouverons point estrange.

Au reste notons bien ce que David dit, Qu'il a este troublé. Et pourquoi ? Car c'est comme qui surprendroit un homme qui est du tout assoupi. Ne voulons-nous point donc estre en tel trouble, quand nous serons affligez de la main de Dieu ? Que devant la main nous soyons disposez à cela, que nous ayons preveu tous les changemens que nous voyons à l'oeil, et que Dieu nous monstre, afin qu'un chacun de nous face bon guet. Voila donc pourquoi i'ai dit, que la doctrine qui est ici contenue nous est bien necessaire: c'est assavoir, que nous ne cuidions point mourir en nostre nid comme Iob use de ceste similitude: mais que nous soyons comme oiseaux sur la branche, s'il plaist à Dieu de nous remuer: que quand nous aurons esté riches, s'il nous veut appovrir: quand nous aurons esté en grand honneur et dignité, s'il veut que nous soyons en opprobre, et tellement contemptibles que quasi tout le monde se moque de nous: nous prenions cela en patience, et (comme i'ai dit) que nous y soyons apprestez devant le coup, afin de n'estre point troublez quand nostre Seigneur nous visitera en telle façon. Et sur tout nous devons estre admonnestez de cela, pource que la condition des chrestiens est d'estre muables: car sainct Paul dit que et lui et ses compagnons ont esté sans arrest (1. Cor. 4, 11). Il use de ce mot-là, non point qu'il ne nous faille estre costans, il faut que nous soyons resolus de ne iamais fleschir: mais cependant selon l'estat exterieur et visible quant aux hommes, il faut que nous soyons muables, et qu'il n'y ait nul arrest en nous. Ainsi donc puis que Dieu nous a appellez à cela, qu'un chacun se donne garde de ne conter point sans son hoste, et de ne se faire point à croire qu'il demeurera tousiours ainsi. Et pourquoi ? Car il se promet ce qu'il ne se peut pas donner. Voici donc deux choses qu'il nous faut observer: l'une c'est, que quelque prosperité que nous ayons, ce n'est pas un estat certain, ne qui demeure. Et pourquoi? Car tel est le bon plaisir de Dieu. Comme si un prince ne donnoit point quelque seigneurie en possession ni en heritage, mais qu'il dist le veux que vous iouyssez de cela à mon bon plaisir: on n'a sinon

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de iour à l'autre, et le prince pourra revoquer ceste donation qu'il avoit ainsi suspendue, quand bon lui semblera. Autant en est-il de tout ce que Dieu nous donne en ce monde: car c'est par tel si que nous n'en ayons point la iouyssance et a la vie et à la mort, mais seulement quand bon lui semblera: comme il cognoit aussi ce qui nous nous est expedient. Voila le premier Et le second c'est, que nous cognoissions la bonne volonté de Dieu estre de nous remuer cependant que nous serons en ce monde. Et pourquoi? Car s'il nous y laissoit trop croupir, il est certain que nous y serions comme rouillez, nous tirerions beaucoup de superfluitez. Dieu donc nous remue c'est à dire, il change nos estats, il nous afflige, il nous appovrit, il nous abbat apres nous avoir eslevez: voire, afin que nous ne soyons point enveloppez parmi les biens de ce monde, et que nous ne soyons point si insensez, que nous ne tendions tousiours à ceste vie celeste. Voila donc ce que nous avons à retenir en ce passage.

Et au reste, qu'un chacun de nous s'exerce à contempler les revolutions que nous voyons au monde: car nostre Seigneur les monstre afin que nous en sachions faire nostre profit. Et sur tout quand nous voyons ce que iamais on n'eust esperé ni attendu: comme s'il y a un homme eslevé en grand credit, et que rien ne lui soit contraire' qu'il ait le vent en pouppe (comme on dit) quand il aura amassé force richesses, qu'il aura des amis tant et plus, qu'il sera bien allié, qu'il aura des supposts infinis: si nous le voyons tresbuscher quand Dieu mettra sa main dessus pour l'abbatre, cognoissons qu'alors il nous faut estre comme resveillez: et que Dieu nous declare qu'en ce monde il n'y a rien de certain' afin que nous venions nous cacher sous ses ailes, et que nous soyons aussi disposez à l'affliction quand il nous la voudra envoyer: et s'il y a quelque cheute, que nous ne soyons point par trop estonnez ne confus, d'autant que nous l'aurons premedité de longue main auparavant. Mesmes Dieu fait quelquesfois des revolutions, non point seulement sur les personnes, mais sur les villes et sur les pays, sur les royaumes. Quand il y aura de ces grands courtisans, qui s'estoyent tellement fait valoir, qu'on eust cuidé qu'ils fussent eslevez par dessus les nues: et bien, si on voit là une ruine, voila desia un changement grand et admirable. Mais si on voit une ville, un pays, et iusques à un royaume (comme i'ai desia dit) qu'il soit abbatu soudain, là où on eust pensé qu'il y avoit tant de remedes, que c'eust e té comme une chose inaccessible, si nous voyons, di-ie, que tout cela soit abbatu, cognoissons que nostre Seigneur nous met un tel miroir devant les yeux, afin qu'un chacun de nous pense tant mieux à sa fragilité, et que nous ne soyons point endormis en nulle presomption ni en

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vaine confiance. Voila donc comme nous devons faire nostre profit de ce passage, et de l'experience que nostre Seigneur nous on donne en toute nostre vie.

Or Iob use de plusieurs similitudes pour exprimer ce qu'il avoit dit, c'est assavoir, Que la rosee demeurera tousiours sur sa moisson, ou sur ses branches: car le mot emporte tous les deux, et tout revient à un. Et puis, Qu'il prolongera ses iours comme l'arene, comme le sable: comme s'il disoit, sans nombre. Et puis, Que sa gloire sera renouvellee, et que son arc ne sera point abbattu. Il est vrai qu'aucuns prennent ceci de l'esperance de la resurrection, mais on peut voir par toute la procedure que Iob traitte de l'estat de la vie presente. Il ne faut point donc que nous allions si haut, et que nous prenions une glose tant subtile: mais contentons nous du sens naturel que i'ai desia amené, c'est assavoir, que Iob veut ici dire, que son estat estoit si bien fondé' que iamais on n'eust cuidé le voir tombé en une condition si miserable, comme il estoit alors. Or ceste circonstance (comme i'ai dit) estoit pour en faire plusieurs bien esbahis. Car quand nous voyons de tels changemens, nous venons à disputer en nous-mesmes, Comment est-ce que Dieu foudroye sur ces hautes montagnes, qu'il frappe sur ces grosses testes Est-il possible? Nous ne pensons point que Dieu veut la declarer sa vertu, afin que les hommes ne se confient point par trop en eux mesmes, et qu'ils apprennent de se remettre du tout à luy, et de ne s'appuyer que sur sa bonté, et ne se rien promettre de leur phantesie. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ceste circonstance, que Iob n'estoit pas seulement eslevé pour un, ou deux, ou trois iours, ou pour quelque petite espace de temps: mais il sembloit qu'il fust exempté pleinement de tout danger, qu'il ne fust plus exposé à nulle mauvaise fortune: tant y a que la main de Dieu a frappé sur luy si rudement, qu'on le voit là tout defiguré. Ainsi cognoissons que Dieu nous a voulu ici donner un miroir notable, afin que nous soyons tousiours faisans le guet, et qu'apres que Nous aurons invoqué Dieu, s'il luy plaist de nous envoyer quelque affliction, nous la puissions recevoir patiemment, quand nous l'aurons ainsi preveuë. Et mesmes quelques vertus qu'il y ait en nous, que cela ne soit point encores pour nous irriter d'avantage quand il nous adviendra quelque changement: mais cognoissons que selon que nostre Seigneur nous a eslargi de ses graces, et que mesmes il nous aura gouverné par son sainct Esprit pour en user bien et comme nous devons, il faut que cela soit pour nous confermer en patience, encores que nous soyons debilitez quant au corps, voire du tout abbatus. Que nous sachions donc que Dieu viendra

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desployer la vertu de son Esprit pour nous soustenir, afin que nous bataillions contre telles tentations, et que la victoire que nous aurons acquise, soit tant plus glorieuse, d'autant que sa bonté aura esté plus augmentee envers nous. Voila encores ce que nous avons à noter.

Or maintenant Iob continue le propos qu'il avoit demené ci dessus: c'est de ceste grande authorité qu'il avoit acquise, non point par une vaine reputation: mais par sa prudence et gravité, et de ce qu'il s'estoit gouverné tellement qu'un chacun lui portoit reverence. Notamment donc il dit qu'il estoit escouté de tout le monde, et escouté en sorte qu'on attendoit son propos, qu'un chacun avoit la bouche ouverte, comme un homme ayant soif, ouvrira la bouche: ou la terre quand elle sera fort seche, nous la voyons fendue, comme si elle demandoit la pluye pour boire. Iob donc declare qu'il en estoit ainsi, c'est assavoir, qu'il estoit comme la pluye et la rosee, et que tous ceux qui l'avoyent ouy et escouté, estoyent comme alterez apres ses propos, et que ceux qui l'oyoyent parler, se tenoyent à son dire comme à un arrest irrevocable. Or ceci notamment nous est declaré, afin que nous cognoissions en premier lieu quel homme a esté Iob, lequel nous voyons avoir esté si rudement affligé de la main de Dieu. Ne faisons point donc nos complaintes pour murmurer contre Dieu, et l'accuser de cruauté s'il nous afflige: car nous voyons que c'est que Iob y u gaigne, c'est assavoir, qu'il est là demeuré vaincu et confus, quand il s'est voulu rebecquer contre les chastimens que Dieu luy envoyoit: et neantmoins on voit la saincteté de vie, et quelle perfection il y a eu en luy. Apprenons donc que tousiours Dieu sera iuste en nous affligeant: et que si nous faisons comparaison de nous avec Iob, nous ne trouverons pas que nous soyons encores venus à beaucoup pres à une telle perfection que luy: et toutes fois si est-ce qu'il a esté plus asprement batu que nous ne sommes pas. Et ainsi donc il ne nous reste sinon à recevoir les coups avec toute humilité et patience. Voila pour un Item.

Or cependant ici en la personne de Iob nous voyons quelle reverence nous devons porter à ceux que Dieu nous envoye, et adresse pour nous pouvoir enseigner fidelement. Il dit, Qu'on l'a escouté avec attente. En quoi il monstre que les hommes doivent avoir ce desir de profiter: et si nature les incite à appeter à boire et à manger pour se nourrir, qu'il ne faut point qu'ils mesprisent là pasture de leurs ames, qui est de cognoistre le bien, et d'estre enseignez, pour differer d'avec les bestes brutes. Ce que nous cognoissons nous estre utile pour nous maintenir, il ne faut point que nous ayons ne maistre ne docteur qui nous enseigne de l'appeter: il ne faut point qu'on nous solicite à cela, et qu'on

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nous le remette en memoire. Chacun (comme i'ay dit) saura bien appeter à boire et à manger, chacun demandera d'estre vestu. Pourquoi? Nous savons que cela concerne nostre vie. Or maintenant la partie la plus excellente de nous, n'est ce pas l'ame? Et l'ame comment doit-elle estre entretenue? Ce n'est point par boire ne manger, mais il y a une chose qui est convenable à sa nature, c'est que nous ayons raison et intelligence, afin que nostre vie ne soit point brutale, que nous monstrions que nous sommes creatures formees à l'image de Dieu. Ainsi donc en ce passage il nous est monstre, que si nous ne sommes par trop stupides, mesmes si nous avons quelque goutte de raison en nous, il nous faut adviser tousiours de profiter à cognoistre pour, quoi c'est que l'homme est nay en ce monde: assavoir pour estre confermez de plus en plus en la cognoissance de Dieu apres que nous l'aurons receuë. Or nous en voyons beaucoup de nonchalans, qui ne tiennent conte de rien ouir: mais nous en voyons d'autres, qui ne se contentent pas de mespriser la doctrine, mais ils la hayssent, et s'en exemptent tant qu'il leur est possible. Et telles gens meritent-ils d'estre reputez entre les hommes? Nenni. Car voila en quoi nous differons d'entre les bestes brutes, assavoir, que nous ayons quelque conseil et advis. Or combien que Dieu ait mis quelque semence d'intelligence en nous pour discerner entre le bien et le mal, si est-ce qu'il y a telle rudesse et infirmité en nos esprits, que nous avons besoin d'aide: voire, et combien que nous ayons toutes les aides qu'il est possible de souhaitter, si voit-on encores le defaut qui est en nous Car qui est cause que nous venons à reietter tous les biens que Dieu nous offre, sinon que nous sommes plus que brutaux? Ainsi donc il faut conclure, que si l'homme cognoit la fin de sa creation, et pourquoi il vit en ce monde, il sera tousiours esmeu à profiter, et appliquera là son estude, et par consequent il ne refusera iamais les moyens quand ils lui viendront au devant: il cognoistra Voici Dieu qui me veut enseigner: il faut donc que ie me rende docile envers lui, et que i'escoute sa doctrine qui m'est proposee, comme elle m'est bonne et utile pour mon salut. Voila le desir qui doit estre en tous.

Or maintenant regardons à nostre lascheté. Car Dieu nous fait ceste grace de nous donner sa parole, et il n'est point question seulement de nous envoyer quelque homme qui ait bon esprit et prudence, mais il veut lui-mesme faire office de maistre: et combien qu'il ne descende pas du ciel en sa personne visible, si est-ce que nous avons sa Loi et ses Prophetes, et l'Evangile' lesquels nous ont donné approbation et tesmoignage infallible que c'est lui qui parle là. Puis qu'ainsi est donc que

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Dieu ouvre sa bouche sacree pour nous enseigner, combien qu'il use d'hommes mortels comme d'instrumens: ie vous prie, ne sommes-nous point par trop ingrats, si nous ne daignons profiter en son escole? Et neantmoins nous voyons comme il en va. Pourtant il nous faut bien retenir ceste leçon qui nous est ici monstree quant à ceste reproche que Dieu nous fait, comme aussi Iesus Christ l'a fait aux Iuifs (Matth. 16, 3), Hypocrites, vous savez discerner les saisons, vous savez quand le soleil doit donner vigueur à la terre, vous cognoissez quand le temps doit estre serain et beau pour donner ordre à vos affaires: et que ne cognoissons nous ce qui est propre à nos ames? comme nous sommes addonnez à ceste vie ici, il n'y a celui qui ne souhaite la pluye quand nous savons qu'elle fait besoin, Ô maintenant il seroit bon que la terre fust arrousee: apres nous aurions besoin de chaut, nous aurions besoin de beau temps, nous aurions besoin de ceci et de cela: nous savons tant bien deviser de ce qui concerne les commoditez de ceste vie temporelle, que rien ne nous defaut en cest endroit. Or voici Dieu qui nous envoye sa parole, et nous ne cognoissons point le temps opportun de sa visitation, pour avoir entre quand la porte nous est ouverte, il nous appelle de tous costez, et nous ne daignons entrer.

Au reste, notons bien que ceste similitude n'est point mise sans cause quand Iob dit, Que sa parole a esté souhaitee et attendue, comme la pluye ou la rosee. Et Moyse aussi en use en son cantique (Deuter. 32, 2), Cieux, dit-il, que ma parole distille comme fait la rosee ou la pluye en son temps. Or pour entendre ceci, il ne faut point seulement considerer la pluye en soi, mais regardons à l'usage et utilité qu'elle nous apporte. La pluye pourra estre fascheuse en quelque endroit, comme à ceux qui vont par les champs qui seront mouillez, percez iusques aux os: elle sera aussi fascheuse à tous, pource qu'elle tient les gens serrez: mais cependant une pluye en saison est pour nous donner substance, puis qu'elle arrouse la terre laquelle ne. pourroit pas fructifier sans cela. Voila donc pourquoi la plu e est desirable. Et ainsi cognoissons que de nostre costé nous sommes beaucoup plus steriles que la terre. Et qu'ainsi soit, nous ne pouvons apporter sinon toutes mauvaises herbes. Il est vrai que quant au mal, nous ne sommes que trop fertiles: mais quant au bien, nous ne saurions produire un seul grain, ni un seul brin de bonne herbe: tant s'en faut que nous puissions apporter un bon fruict qui nourrisse, et qui soit pour nous substanter, que nous ne pouvons ietter un seul brin de bonne semence, iusques à ce que Dieu ait changé nostre nature. Or Dieu a-il mis du bien en nous ? Il faut encores qu'il l'arrouse, ou cela seroit estouffé par les espines, ou abastardi. Il faut

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donc que nostre Seigneur y besongne. Et voici le moyen qu'il veut tenir: c'est qu'il nous envoye sa parole comme de la pluye, afin qu'estans ainsi arrousez, nous sentions quelle est sa vertu et vigueur, et que la bonne racine qu'il a mise en nous ne puisse point perir, mais qu'elle s'augmente de plus en plus, qu'elle iette, et parvienne à bon fruict. Au reste, advisons de n'estre point comme des pierres ou des rochers quand Dieu pleut ainsi sur nous. La pluye profitera à une terre, quand elle sera bien cultivee: et que profitera-elle à un rocher? Rien qui soit, c'est pluye perdue. Ainsi en est-il quant au hommes. Si nous sommes cultivez, et que nous ayons affection de plier sous l'obeissance de nostre Dieu, quand il fera pleuvoir sa parole, Ô il est certain qu'elle entrera en nos coeurs, et que nous sentirons la vertu d'icelle pour estre plus disposez au bien, que les bonnes oeuvres monstreront que nous n'avons point esté arrousez en vain, et que Dieu n'a point voulu que ses graces fussent perdues en nous. Mais si nous sommes comme beaucoup qui sont malins et pervers, pour demeurer tousiours en nostre nature maudite, nous serons comme des rochers. Il pleuvra sur nous: mais quoi Il n'y aura nulle disposition pour recevoir la pluye, et cela nous sera bien cher vendu. Cognoissons donc que c'est une pluye que Dieu envoye, quand il veut que sa parole nous soit preschee, et qu'il la fait decouler sur nous: que si nous la laissons escouler en l'air, et qu'elle ne tombe point à terre notons que Dieu ne permettra point qu'une telle ingratitude demeure impunie.

Voila donc à quelle fin il nous faut rapporter ceste similitude de laquelle use Iob, quand il dit, que sa parole a esté attendue et desiree comme la pluye et la rosee: assavoir, que nous sachions que la bonne doctrine que Dieu nous envoye pour nostre salut, nous vient du ciel: et combien que nous l'oyons d'un homme mortel, toutes fois qu'elle nous est envoyee de Dieu. Voila donc Dieu qui ne demande sinon de nous arrouser. A quelle intention, Pour nous faire fructifier, et pour nous faire recevoir incontinent la bonne semence, comme il est ici adiouste: car Iob ne dit pas seulement que sa parole ait esté desiree et attendue, mais il dit, qu'on l'a receuë quant et quant avec grande affection et ardente, et puis qu'il n'y a point eu de replique à l'encontre. Quand donc il plaira à Dieu de nous enseigner, et pour ce faire de nous susciter gens qui soyent propres, douez des graces de son S. Esprit sous lesquels nous pourrons profiter: que quand ils parlent nous les escoutions avec toute reverence, et sans contrainte aucune nous acquiescions à la bonne doctrine. Il est vrai qu'il nous faut examiner les esprits, et qu'il ne

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nous faut point recevoir à la volee toute doctrine qu'on nous proposera, iusques à ce que nous soyons asseurez qu'elle est de Dieu. Mais quand nous cognoissons que c'est Dieu qui parle, c'est à dire, que nous avons certitude que c'est en son nom, et comme par sa bouche que nous sommes enseignez: Ô il n'est point question de repliquer, mais faisons lui cest honneur de nous asseurer pleinement de sa parole, que nous nous rangions à icelle, et qu'elle ait son cours et son authorité envers nous. Il est vrai que beaucoup seront contens de laisser parler Dieu, et ne regimberont point à l'encontre quand on leur propose ce qu'ils cognoissent estre bon: mais tant y a qu'en leur vie ils y repugnent. Et voila où nostre Seigneur veut esprouver si nous sommes des siens ou non. Avons-nous ouy la parole de Dieu? Il ne nous faut point repliquer à l'encontre, mais glorifions Dieu, cognoissons qu'il n'y a rien meilleur que de lui obeir. Avons-nous fait ceste confession-là? Qu'un chacun quand il sera retourné en sa maison, monstre par effect qu'il a retenu la doctrine, et qu'il l'approuve comme bonne: car celui qui fera tort au rebours de ce qu'il a confessé, est condamnable au double. Et de fait comme il y a des gens qui en cachette feront beaucoup pis que si l'iniquité estoit toute patente: aussi repliquer contre Dieu ne s'entend pas seulement de la bouche, mais aussi quant à la vie. Quand donc les gens ne vivront comme l'Evangile les enseigne, leurs oeuvres repliquent assez à l'encontre de Dieu. Quand quelqu'un molestera son prochain, qu'il s'eslevera manifestement à l'encontre de lui, et qu'il lui fera quelque violence: il est certain qu'un tel outrage ne sera point à supporter, mais sera puni de Dieu, quoi qu'il tarde. M Mais quand nous tascherons par finesses et comme par dessous terre de nuire à nos prochains, et que nostre cautele sera si bien couverte et cachee, que nous n'en pourrons point estre reprins des hommes, que nul ne se pourra plaindre de nous (ce semblera) voila cependant le cri qui monte au ciel, et demande vengeance à Dieu, de l'extorsion que nous aurons commise ainsi en cachette. Et ainsi donc notons biens, qu'encores que nous ayons porte ceste reverence à la parole de Dieu, de l'ouyr comme doctrine bonne et saincte, la recevoir comme la vraye pasture de nos ames, comme le moyen pour nous mener à la vie eternelle, et à ce salut auquel nous pretendons: il faut que puis apres chacun regarde en soi de ne point repliquer par sa vie.

Or maintenant regardons un peu si on trouvera gueres ceste vertu au monde. Voici Iob qui parle du temps que la doctrine de Dieu estoit encores bien obscure: car aussi on ne sait pas s'il a vescu ou apres la Loi de Moyse, ou devant, c'est bien

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une chose certaine qu'il a esté ancien plus que les Prophetes: car quand il en est parlé aux Prophetes, c'est comme d'un homme qui avoit esté du temps iadis. Or puis qu'ainsi est, ie vous prie, auiourd'hui le monde ne doit-il pas nostre plus adonné à recevoir la doctrine de Dieu, que de ce temps là? Car (comme i'ai dit) la doctrine estoit fort obscure, Dieu en bailloit comme goutte à goutte, ainsi que si la nuict il tomboit quelque petite rosee: bref, on n'estoit enseigné qu'à lesche doigt (comme on dit) en comparaison de ceste abondance de grace qu'aniourd'hui Dieu envoye au monde. Car en l'Evangile nous avons les thresors infinis de sagesse et d'intelligence, Dieu se declare priveement à nous: il veut que nous soyons remplis et rassasiez en toute perfection de sa doctrine: il nous en donne une intelligence si claire et si certaine que rien plus. Et cependant où est ceste reverence dont parle Iob ? Où est ce desir ? où est ceste obeissance tant amiable? lais au contraire nous voyons le mespris, comme desia i'en ai touché. Et puis la doctrine se presche-elle? Combien y en a-il qui y soyent attentifs? Mais la plus part sont preoccupez de leurs phantasies et solicitudes terriennes, ou ils auront ie ne sai quoi là dedans qui ferme la porte à Dieu, ou ils feront des chevaux restifs en regimbant contre la doctrine: ils viendront seulement au sermon par ceremonie: quand ils s'en retourneront c'est comme ils y sont venus. Ainsi donc on trouvera en bien petit nombre de gens la reverence de laquelle il est ici parlé. Et puis de s'y ranger pleinement, c'est une vertu bien rare. Car chacun veut estre sage et subtil. Et en quelle sorte? Pour ne point obeir à Dieu, pour ne point venir à la cognoissance de l'Escriture saincte. O voire mais, il me semble ceci et cela: les hommes n'ont point de honte d'apporter leur cuider à Dieu. Et c'est auiourd'hui le principal article de la foi des Papistes, qu'il leur semble que Dieu les doit bien priser en cest orgueil plus que diabolique, qu'ils veulent qu'on se tienne à tout ce qu'ils auront imaginé; et ceux qui ne blasphemeront pas ainsi ouvertement de bouche, on voit neantmoins par ce qu'ils font, comme ils se revoltent contre Dieu. Car nous voyons comme auiourd'huy Dieu desploye toute perfection de sagesse en l'Evangile, et qu'il approche si privément de nous, et nous veut pleinement rassasier: et cependant que nous ne trouvions nul goust à sa parole, que nous ayons le tout en mespris, et quand elle nous est exposee, que nous taschions d'y resister, voire et de la vilipender-par nos oeuvres ? Quand donc nous sommes si malins, ceux qui ont ouy Iob ne seront-ils point tesmoins à l'encontre de nous, ne nous viendront-ils point là reprocher l'obeissance qu'ils ont rendue à Iob, qui estoit bien Prophete

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de Dieu, mais qui n'avoit point un tel tesmoignage de sa vocation, comme auiourd'hui Iesus Christ l'a donnee à ceux qui preschent son Evangile? Et pourtant notons bien ce passage: Car comme il est dit que le moindre du royaume des cieux,. c'est a dire, de ce u: qui auiourd'huy preschent l'Evangile, est plus excellent en son ministere et que Iean Baptiste et que tous les Prophetes: aussi au contraire quand nous mesprisons la doctrine que Dieu nous envoye, veu qu'il commande qu'elle soit ainsi honoree, il est certain que nous serons coulpables au double. Voila ce que nous avons à noter de ce passage.

Or il est dit quant et quant, que si Iob se iouoit avec eux, ils ne le croyoyent point. En quoi il entend, qu'il avoit une telle gravité en soi, qu'on ne s'osoit pas faire à croire qu'il se iouast, pource qu'en toute sa vie il se monstroit comme un Prophete de Dieu, et avoit acquis une authorité si grande, que ceste reverence là qu'on lui portoit, estoit cause qu'on ne pensoit pas qu'il se voulust conformer ne se faire pareil, ne compagnon avec les autres. Et puis il adiouste, Ils contraignoyent de faire tomber la clarté de mon regard: c'est à dire, ils me contraignoyent de cacher mon visage ioyeux: pource que combien qu'ils le vissent en ioye, ils ne s'osoyent pas conformer à lui, car ils craignoyent de l'offenser en façon que ce fust. Ceci est pour nous confermer d'avantage le propos que nous avons desia tenu. Car le S. Esprit nous monstre comme en un miroir, quelle a esté la reverence de tout le peuple en ce temps-là envers un homme qui estoit doué de graces excellentes: mais tant y a que le mesme Esprit qui residoit en lui, parle auiourd'hui à nous Si donc on l'a honoré en sorte qu'on ne s'osoit pas conformer à lui quand il rioit, qu'on craignoit de le fascher: c'est pour monstrer l'obeissance que nous devons rendre à la parole de Dieu, et que nous devons priser et honorer la doctrine quand nous cognoissons qu'elle est procedee de lui pour nostre salut.

Et cependant Iob aussi monstre comme il a conversé avec ceux qui l'honoroyent ainsi, et qui lui donnoyent le premier siege comme à un roi: c'est qu'il a esté le consolateur des afflige. Il monstre donc qu'il n'a point abusé de sa part, de ceste authorité qui lui estoit donnee, pour dominer à la façon des faux prophetes (ainsi qu'il en est parlé en Ezechiel 34, 4) lesquels ont une severité si extreme, que c'est pour mettre le pied sur la gorge aux gens craignans Dieu, et foudroyent, et tempestent: et n'ont cependant nulle humanité en eux, et ne regardent point de tendre la main à ceux: qui sont affligez. Iob donc declare qu'il n'a point eu une gravité tyrannique, c'est à dire, une hautesse inhumaine pour abbatre les povres gens et

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les effrayer: mais que combien qu'il se monstrast familier à eux, ils le craignoyent, et ne s'osoyent pas iouër avec lui, d'autant qu'ils cognoissoyent qu'il avoit receu abondamment l'Esprit de Dieu. Et pourtant cognoissons, que tout ainsi qu'il a esté debonnaire et humain envers tous, aussi c'est une leçon pour tous ceux qui sont appellez de Dieu pour enseigner leurs prochains, et en general pour tous fideles chacun en son endroit. Si donc Dieu nous donne quelque authorité, s'il nous remplit tellement de son sainct Esprit que nous soyons honorables entre les autres, Ô il n'est point question de nous eslever, ne d'usurper domination (car ce seroit pervertir les dons de Dieu et les tourner tout au rebours de son intention) mais il nous faut cognoistre que nostre Seigneur nous employe pour consoler les povres affligez: c'est à dire que ceux qui avec toute humilité demanderont de servir à Dieu soyent resiouys en nous voyant et en nous oyant. Car tout ainsi que la parole de Dieu est

haye des meschans et contempteurs d'icelle, pource qu'elle leur denonce leur ruine: aussi faut-il que ceux qui sont abbatus en eux-mesmes, qui ne sont point eslevez en fierté, orgueil ou rebellion, mais qui sont tousiours abbaissez, bref, que tous les disciples de Iesus Christ soyent resiouys de sa doctrine, suivant ce passage de nostre Seigneur Iesus Christ, Venez à moi, vous tous qui estes chargez et qui travaillez, et ie vous soulagerai. Ainsi donc, que ceux qui ont la charge d'annoncer la parole de Dieu, regardent bien à cela, c'est de faire trouver la doctrine qu'ils portent douce et amiable à tous ceux qui sont comme accablez et abysmez en eux-mesmes, cognoissans leurs povretez et miseres. Et cependant s'ils sont rudes, que ce soit à ceux qui ont besoin d'estre rudoyez, et domptez à cause de la dureté qui est en eux.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE CENT ET HUITIEME SERMON,

QUI EST LE . S{JR LE X. CHAPITRE.

1. Maintenant se mocquent de moi ceux qui sont plus ieunes d'auge que moi: desquels i'ai refusé mettre leurs peres avec les chiens de mon troupeau. 2. Aussi dequoi m'eust servi la vertu de leurs mains, veu que l'aage estoit peri en eux? 3. lieux destituez par disette et famine fuyoyent en lieu solitaire, tenebreux desolé, et desert. 4. Ils tailloyent des herbes aupres des arbres, et la racine des genevres estoit leur viande. 5. Ils estoyent deschassez du milieu des gens, et crioit-on apres eux comme apres le larron. 6. Ils habitoyent es pertuis des fleuves, es cavernes de la terre, et es rochers. 7. Ils bruyoyent entre les arbres, et s'assembloyent sous les buissons. 8. Les enfans du fol, voire les enfans sans renom estoyent humiliez plus que la terre. 9. Or maintenant ie suis leur chanson, et leur suis matiere de deviser. 10. 11s m'ont en abomination, et s'enfuyent loin de moi: et ne se tiennent pas de cracher en ma face.

Nous avons veu l'honneur auquel Iob avoit esté pour un temps: et il l'a recité afin qu'en faisant comparaison de l'opprobre où il estoit, il monstrast par cela qu'il avoit plus grande occasion d'estre contristé, et que ce lui estoit une fascherie

insupportable, de se voir ainsi vilipendé iusques au bout, de ceux qui l'avoyent auparavant craint et redouté. Or ceci est naturel, quand un homme aura esté eslevé en dignité, et grand estat, s'il se voit mesprisé, que cela le tormente beaucoup plus: car il regarde non point ce qui luy reste, mais l'estat excellent dont il est descheu. Un povre homme qui aura vescu aux champs en sa maison, et qui n'aura point esté iamais abbreuvé d'honneur ne de pompe, ce luy est tout un quand on se mocquera de lui, ou qu'on ne l'auroit point en reputation, ou qu'on monstrera quelque signe de mespris on sa personne. Les bonnes gens aussi qui auront vescu en simplicité, ne seront pas tant faschez de ce, ils passeront outre: mais celuy qui aura este nourri en delices, celuy qui aura abondance de richesses, pource qu'on le tenoit en quelque estime, ne pourra souffrir nul opprobre qu'il ne soit navré mortellement: et encores qu'on ne le vienne point iniurier en face, s'il y a quelque façon oblique qui tende à le reietter ou mespriser, il se despite de cela. Voila donc une chose naturelle, c'est que ceux qui auront este honorez, ne peuvent porter mespris de leurs personnes' et en

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sont beaucoup plus faschez. C'est ce que Iob declare icy: car comme il a recité la reverence qu'on luy portoit, qu'il estoit ouy par tout, et non seulement en titre et qualité d'homme riche, mais pource que Dieu luy avoit donné esprit et prudence par dessus les autres, et qu'on se pouvoit reposer sur luy, qu'il estoit comme un miroir et patron de toute vertu en toute sa vie pour y prendre exemple: maintenant qu'il se voit ainsi mocqué, que chacun le monstre au doigt, ce luy est une croix beaucoup plus dure et amere a porter, que si iamais il n'eust este ainsi eslevé. Or nous avons icy à recueillir une bonne instruction, c'est que souvent quand un homme aura esté nourri en delices, il s'attendrit par trop on cela: en sorte que ce n'est pas nostre profit d'estre ainsi entretenus en honneur, que iamais on ne nous fasche, et que nous n'oyons rien qui ne soit pour chatouiller nos oreilles plustost que de les gratter. Et pourquoy? Nous savons que nostre Seigneur nous recommande sur tout quand nous serons blasmez en nos personnes, d'estre patiens et de recognoistre nos vices: et si les hommes né nous portent point honneur, mais plustost qu'ils Nous reiettent, que cela nous admonneste que nous n'avons point honoré nostre Dieu auquel tout honneur appartient: et que c'est bien raison que nous recevions un tel payement d'opprobre sur nos testes. Dieu veut donc esprouver nostre humilité en c'est endroit: c'est que nous recevions avec douceur les iniures qu'on nous fera sans en estre par trop faschez. Car ceste nourriture si delicate (comme i'ay dit) est cause que nous sommes impatiens, et ne pouvons rien souffrir, et si tost qu'on nous met quelque note sur nous, cela nous contriste, voire nous envenime tellement que nous ne savons de quel costé nous tourner.

Apprenons donc, si nostre Seigneur nous accoutume à souffrir des iniures et opprobres, qu'en cela il procure nostre bien et nostre profit, afin que nous soyons tout aguerris, comme on dit. Et voila pourquoy S. Paul dit (2. Cor. 6, 7), Qu'il nous faut estre armez à dextre et à senestre, qu'il faut que nous passions par opprobres et mocqueries, aussi bien que par honneur. Si Dieu veut que nous soyons prisez, ne tirons point cela à telle consequence que nous cuidions tousiours demeurer en tel estat, et mesmes ne nous enyvrons point de vaine gloire ne d'ambition: mais cognoissons que nostre Seigneur nous oblige tant plus à luy, pour bien edifier nos prochains. Quand un homme sera un quelque preeminence, il doit penser qu'on regarde à luy, et que nostre Seigneur l'a mis comme une chandelle sur un buffet ou sur une table pour esclairer. Il faut donc qu'il chemine tant plus songneusement, et qu'il se garde de donner occasion de scandale à nul. Voila comme l'honneur que

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Dieu Nous donne doit estre appliqué, non point à vaine gloire, mais à edifier nos prochains. Et d'autre costé notons bien aussi ce que dit sainct Paul (2. Cor. 6, 8), Qu'il nous faut estre tout accoustumez à opprobres, et d'en avoir les aureilles batues: si on nous diffame, que neantmoins nous prenions le tout en patience: cependant toutes fois nous donnans garde, que si on nous iette quelque brocard, ce ne soit pour nos vices. Au reste, si nostre conscience est pure devant Dieu, et que nous sachions que ceux qui mesdisent de nous et en detractent, le font par malice, et qu'il n'y ait nulle cause: et bien, remettons le tout devant Dieu, et contentons-nous d'estre approuvez de luy. Et cependant (comme i'ay dit) que de longue main nous soyons tout endurcis à cela: car c est une chose bien mauvaise quand on s'attendrit ainsi, et qu'on a les oreilles si chatouilleuses qu'on ne peut porter nulle iniure. Voila donc ce que nous avons à noter de ce passage.

Or pource que ceste doctrine est difficile à pratiquer, notons aussi les exemples qui nous en sont donnez en l'Escriture. Voila David (pour prendre un homme memorable entre les autres) apres avoir este roy, et avoir prosperé en sorte qu'on voyoit à l'oeil la main de Dieu qui le guidoit, et qu'il n'estoit point eslevé par moyen des hommes, ne par son industrie seulement, mais que Dieu avoit voulu declarer en luy une vertu especiale. Et bien, est-il ainsi honoré? En un moment le voila affligé, voire par son propre fils. On luy iette les pierres sur la teste: Semei son suiet le persecute et de fait et de paroles: il le despite, en disant, Tu reçois ton payement, meurtrier: il luy reproche que Dieu maintenant luy envoye le salaire qu'il a merité pour les cruautez qu'il avoit commises contre la maison de Saul. Voila David qui pouvoit bien estre enflammé de colere à l'encontre de Semei, voire attendu les circonstances que nous avons touchees: il voit son suiet qui se dresse contre luy tout appertement, il estoit un roy si excellent et si redouté. Or il se reduit en memoire premierement que Dieu l'a exalté, voire et que cela s'est fait de sa pure grace: et que maintenant puis qu'il est ainsi abbatu, cela n'est point venu de cas de fortune, mais que Dieu veut qu'il soit ainsi mastiné par les hommes. c'est Dieu, dit-il, qui 11 y a ordonné de faire ainsi: non point que l'outrage et l'orgueil de Semei fust approuvé de Dieu, mais David cognoist que cela ne vient point sans ne providence celeste. Ainsi donc il s'humilie. ce propos il luy profite bien d'avoir esté nourri comme un povre rustauld, comme un berger ou un bouvier de son pere: car il gardoit les agneaux en sa ieunesse, il n'avoit point esté nourri si mignardement qu'il ne seust que c'estoit

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d'estre mesprisé: cela donc luy profite. Et voila pourquoy i'ay dit que si Dieu ne Nous resveilloit, mais qu'il nous laissast tousiours flatter par les hommes, ce ne seroit pas nostre profit. Ainsi, cognoissons que quand ils usent de mesdisances et contradictions envers nous, Dieu nous prepare par ce moyen-la, afin qu'il ne nous soit point trop nouveau quand quelquefois il nous voudra accabler. Nostre Seigneur donc nous prepare (quand telles extremitez nous viendront) à estre patiens. Et là dessus notons l'exemple de David, qui estoit homme suiet à passions comme nous: mais tant y a qu'il s'est assuietti volontairement, quand il a cognu que la volonté de Dieu estoit telle qu'il fust là comme descire par pieces, voire combien que ce fust à tort. Car ce n'est point ce qui cous doit contrister, plustost nous devons-nous consoler, quand nostre conscience nous respond bien devant Dieu, et que nous savons que les hommes nous persecutent iniustement. Voila, di-ie, ce qui nous doit tant mieux soustenir: car il ne faut point que nous soyons si fols de dire, Et quoy? Quelle cause trouvera-on pour me mespriser ainsi? Il est vray que si nous sommes en opprobre à cause de nos pechez, cela nous doit tant plus renger à patience: mais si nostre Seigneur permet qu'on mesdise de nous, et qu'on s'en mocque, quand nous aurons toutes fois bien vescu, et n'aurons point donné occasion aux meschans, et aux detracteurs pour nous iniurier: cognoissons que nostre Seigneur nous a fait une grace singuliere de nous exempter de la malice des hommes, tellement que c'est à tort qu'ils nous en veulent. Et au reste, puis qu'il veut que nous souffrions iniustement, que nous passions par la, et qu'il ne nous soit point trop estrange. Voila donc une doctrine que nous avons à recueillir de ce passage.

Or maintenant il nous faut noter, que combien que les graces et benefices que nous avons receus de Dieu nous doivent alleger en nos afflictions: toutes fois si nous avons esté honorez, il ne se peut faire que cela ne nous contriste, et que ce ne nous soit double tourment de nous voir puis apres en opprobre: mais tant y a, qu'il nous faut resister à telles tentations. Nostre patience ne sera pas de ne rien sentir, mais c'est quand nous sentirons ce qui nous est icy declaré par Iob. Toutes fois que nous prenions courage de cheminer tousiours comme devant Dieu: et s'il luy plaist que nous soyons diffamez à tort, que nous soyons armez contre un tel combat, pour ne point estre desbauchez, quoy qu'il en soit. Car voila que Satan machine, quand il suscite gens malins, et les pousse à mesdire et detracter de nous, c'est afin que nous concluons que nous avons perdu nostre temps en bien faisant. Et quoy, i'ay tasché de vivre sans reproche, ie me

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suis efforcé de bien faire à chacun, il n'y a nul qui puisse dire que ie luy aye porté dommage ou nuisance: or ie voy toutes fois que ie suis ainsi persecuté. Qu'ay-ie donc gaigné à cheminer droitement? Voila donc l'astuce et artifice de Satan, c'est qu'il nous veut faire à croire qu'en bien faisant nous perdons nostre peine: et la dessus il nous veut transporter, afin que nous ne facions plus difficulté de nuire à cestuy-cy, d'endommager cestuy-la. Or au contraire notons que l'ingratitude des hommes nous doit tant plus soliciter de nous remettre pleinement à Dieu: sachans que c'est à luy que nous avons à rendre conte, et qu'il nous doit aussi suffire d'estre approuvez de luy. Voyons nous donc les hommes ingrats envers nous, et quand nous aurons tasché de leur bien faire, qu'ils viennent nous cracher au visage, qu'ils nous chargent de fausses calomnies ? Cognoissons que par cela Dieu nous rappelle à soy: comme s'il disoit, le veux que vous cheminiez comme devant ma face, et pourtant vostre recompense n'est point maintenant icy bas, mais contentez-vous de m'avoir obei en tout et par tout. Si les hommes detractent ainsi de vous, c'est afin que vous ne soyez point arrestez ny à eux ny à leur opinion, que vous ne soyez point menez de ceste vanité de dire, que vous meritez bien qu'on prise vos vertus.

Voila donc comme il nous faut batailler contre ceste tentation, de laquelle il est icy parle. Or cependant notons bien, qu'en ces changemens icy nostre Seigneur nous a voulu donner une instruction singuliere: ie di ce changement qui est advenu à Iob, et en tous ceux que nous voyons en l'Escriture saincte, et que nous contemplons aussi iournellement à l'oeil, et que nous lisons aux histoires profanes. Et pourquoy? En premier lieu (comme il fut hier declaré) eaux qui sont eslevez en honneur et dignité ont une bride, afin qu'ils ne prennent point possession à tousiours pour demeurer en tel estat: mais que plustost ils cognoissent qu'en moins de tourner la main, Dieu non seulement les pourra esbranler, mais renversera du tout ceste hautesse où il les a mis: et qu'au lieu de l'honneur qu'il leur fait, ils se verront assaillis de tous costez, par iniures, mocqueries, et diffames. Voila donc comme tous ceux qui craignent Dieu se doivent tenir en bride quand ils sont en estat et dignité, et faut qu'ils facent leur conte que du iour au lendemain tout cela pourra changer: car Dieu pour esprouver leur humilité donnera licence aux hommes de se mocquer d'eux, et leur faire beaucoup d'outrages. Aussi nous voyons que mesmes les Payens ont cognu cela, et en ont fait des proverbes communs, qui sont pour nous oster toute excuse. Vray est qu'ils l'ont mal pratiqué. Et pourquoy? D'autant qu'il est difficile aux hommes

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de se tenir sobres quand ils ont le vent en pouppe, et que la fortune (comme on dit) leur rit. C'est un Vice par trop commun, que les hommes s'enyvrent en leur prosperité: nous le saurons assez dire, mais il y en a bien peu qui s'en gardent. Combien donc que ces sentences soyent receuës par tout, et qu'un chacun confessera qu'elles sont veritables, c'est assavoir, qu'il ne faut point qu'un homme se fie en sa prosperité, qu'il s'y enyvre, il ne faut point qu'il cuide que cela doive tousiours durer: mais qu'il pense aux changemens et revolutions qui peuvent advenir, si est-ce toutes fois que nul n'y applique son estude. Or d'autant plus nous y faut-il travailler, que nous voyons que nous sommes si tost preoccupez des delices et honneurs de ce monde. Afin donc que nul ne se laisse transporter par ses appetis desordonnez, d'autant mieux nous faut-il noter la doctrine qui est ici couchee. Et ainsi que toutes gens craignans Dieu, cependant qu'ils sont en honneur cognoissent que Dieu les pourra bien humilier: voire et qu'il ne faut point qu'ils se promettent ne mois ne iour, mais qu'ils soyent disposez à chacune minute que Dieu voudra les mettre en opprobre devant les hommes, d'avoir les espaules pour porter un tel fardeau d'ignominie. Voila pour un Item.

Et de fait quand nous voyons la perversité qui est auiourd'huy au monde, nous devons estre tant plus advertis de cela: car c'est merveilles qu'un homme cheminant droitement puisse estre honoré auiourd'huy. Il est vray que les meschans pourront estre encores retenus là en despit de leurs dents, qu'il faut qu'ils aiment la vertu: mais ils ne laissent pas puis apres de se mettre en une rage pour detracter du bien, et convertir la clarté en tenebres. Combien donc que Dieu engrave ce iugement icy aux contempteurs de sa maiesté, qu'ils prisent tout ce qu'ils cognoissent proceder de luy: neantmoins puis apres ils se mettent en furie, ils se ferment les yeux, ils s'abbrutissent à leur escient. Et pourquoy? Afin de desgorger leurs blasphemes et opprobres à l'encontre de Dieu, et des dons et graces de son sainct Esprit. Il ne se faut point donc esbahir, si gens craignans Dieu, et qui ont cheminé en integrité, sont suiets à beaucoup de diffames, et detractions: voire, puis que Satan pousse ainsi les meschans, et leur oste toute modestie, et que mesmes il les enflamme comme en une rage. Or nous voyons cela par trop coustumier: il faut donc que nous soyons advertis de passer par les iniures, et diffames de ce monde. Cependant quand Dieu voudra que nous soyons ainsi diffamez, si c'est à cause de nos pechez (comme i'ay desia dit) nous avons tant plus d'occasion de clorre la bouche, et de porter paisiblement l'opprobre que nous avons merité. et qui est un iuste salaire

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de nos fautes. Et là dessus il faut qu'un chacun pense diligemment à soy, si tost qu'on detractera de nous, ou que nous serons mocquez, et serons comme en farce et en risee, que nous apprenions de cognoistre, Voicy Dieu qui nous admonneste de faire nous-mesmes nostre procez. Mesmes les Payens ont bien seu dire, que nos ennemis mortels nous profitent souvent plus que nos amis. Et pourquoy? No,, amis nous espargnent, et cela est cause de nous faire nourrir en nos vices: car combien que leur intention ne soit point de nous flatter, si est-ce que l'humanité dont ils usent en nous supportant, est cause que nous ne pensons point à nos imperfections pour les corriger: mais nos ennemis nous espient, ils cerchent tous les moyens de descouvrir tous les vices qui sont en nous. Il faut donc si tost qu'on nous blasme, et que nous sommes brocardez, que nous cognoissions, Or çà, voici Dieu qui m'adiourne afin que ie face mon procez, et que ie me solicite, que ie soye mon iuge pour me condamner, et que par ce moyen mon opprobre soit enseveli, qu'il soit caché. Voila comme il nous en faut faire. Et si nous savons que ceux qui mesdisent de nous ayent quelque raison de ce faire, combien qu'ils le facent par malice, ne repliquons point neantmoins, pour dire, cestuy-cy est mené de vengeance: ne regardons point à tout cela: mais passons condamnation, et prions Dieu qu'il luy plaise d'effacer toutes nos fautes, afin que nous soyons absous et devant Dieu et devant le monde. Mesmes si nous ne sentons point qu'en cest endroit où on mesdit de nous, il y ait aucune raison: que nous cognoissions, Si ie n'ay failli en cecy dont on m'accuse, et bien, il y a beaucoup d'autres vices dont ie suis coulpable, mais mon Dieu m'a espargné, il n'a point voulu que cela vinst à la cognoissance des hommes: s'il luy plaisoit de remuer toutes mes ordures, et que seroit-ce? Cognoissons, di-ie, que Dieu par ce moyen nous veut mettre en avant en nostre particulier les pechez que nous eussions voulu ietter derriere le des, et que c'est pour nous faire hayr le mal qui est en nous, sans aucune flaterie. Voila pour le second.

Or finalement si nostre conscience est pure, non pas qu'en tout et par tout nous puissions estre sans faute, et que nous soyons comme Anges: mais si nous voyons que les hommes n'ayent nulle occasion, et que ce soit iniustement qu'on nous pourchasse mesmes que nous souffrions pour avoir suivi la parole de Dieu, ou pour avoir executé fidelement ce qui estoit de nostre office: si les hommes, di-ie, nous blasment pour cela (comme Ils sont envenimez de malice) et bien, cognoissons que nostre Seigneur veut que nous recevions un tel salaire, comme i'ay dit, afin de l'attendre meilleur de luy. Et si nous ne voyons point la cause

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du tout, mais que nous soyons là confus en nous mesmes: ne laissons pas pourtant de dire, Seigneur, tu es iuste, quoy qu'il on soit. Voila donc où il nous en faut venir.

Or cependant advisons de faire nostre profit de tous les chastimens que nous voyons de iour en iour, et sachons que par cela Dieu nous veut disposer à luy rendre louange, à ce que nous le glorifions quand nous voyons mesmes les bons estre en opprobre. Car tout ainsi que chacun de nous en ce qu'il endure doit estre patient, et en sa patience louer Dieu: ainsi il ne faut point que nous l'accusions en voyant qu'il permettra que les bons soyent diffamez. Que nous ne soyons point donc scandalisez par trop, quand un homme de bien sera en ignominie et opprobre, que les langues seront decliquees à l'encontre de luy. Nous voyons ce qui est advenu à Iob. C'estoit (comme nous avons dit) un patron de toute saincteté, et toutes fois nous le voyons on tel opprobre qu'il semble qu'il soit du tout desesperé. Pourrons-nous icy accuser Dieu et nous tempester à l'encontre de luy? Plustost nous devons-nous humilier, quand nous voyons telles afflictions estre advenues à un homme Si vertueux: et encores que la raison ne nous soit point apparente pourquoy Dieu en a ainsi fait, cognoissons neantmoins que ce n'est point sans cause, et que nous le devons glorifier en tous ses iugemens, combien qu'ils nous soyent incomprehensibles. Voila donc pour un autre Item.

Or venons à ceux qui sont si orguoilleux, de despriser, et non seulement despriser, mais aussi outrager vilainement ceux que Dieu aura honorez, les douant de vertus excellentes. Icy en la personne de ceux dont parle Iob nous voyons que c'est un vice detestable. Y a-il nul qui ne condamne cest orgueil icy, voire ceste impudence brutale, que des gens de neant s'eslevent ainsi contre un homme qu'on devroit avoir en honneur et reverence à cause de ses vertus? Voila des chiens qui abbayent, et abbayent là où ils ne peuvent mordre. Car Iob (comme nous avons desia veu) n'estoit pas comme ceux qui sont en credit pour leurs richesses ou dignité, ou quelque autre regard: mais c'estoit pour ses vertus, d'autant qu'on contemploit comme des marques de la gloire de Dieu en luy: et voici des gens vilains, gens sans aucune modestie, qui ne savent que c'est de bien ne d'honneur, ceux-là se desbordent contre luy, et decliquent leurs langues. Ne voit-on pas que c'est une vilenie intolerable, Et ne les peut-on pas accomparer à des chiens mastins, qui abbayent et grondent encores qu'ils ne peuvent mordre? Et ainsi ce vice n'est point supportable, et sommes convaincus par verité et raison qu'il est à condamner. Apprenons donc de né point ensuivre ce que nous condamnons et detestons

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es autres. Et ainsi quand Dieu fait des changemens, et qu'un homme qui avoit esté au paravant en grande dignité tombera bas: ne soyons point desbordez pour crier à l'encontre, mais qu'il nous souvienne que nostre Seigneur en faisant tels changemens en ce monde, vent qu'un chacun se resveille, et que nous ne soyons point presomtueux, comme de nature nous y sommes par trop enclins. le seray un povre homme, iamais ie n'auray esté en credit, la lais on n'aura ouy parler de moy, et ie verray une grosso teste abbatue, c'est comme si une montagne tomboit bas: que doy-ie là penser, sinon que nostre Seigneur veut donner tant plus grand lustre à ses iugemens, à ce que ie regarde que c'est de moy? Ie suis icy comme un petit ver, ie ne fay que remper sur la terre, et cestui-cy est comme eslevé par dessus les nuees: et ie voy toutes fois comme Dieu l'a abaissé devant mes yeux. Ainsi donc quand tu te prises, et t'estimes, n'es-tu pas bien fol? Voila donc comme les petis doivent estre admonnestez de cheminer en crainte et solicitude: et quand nostre Seigneur abbattra ainsi les grans devant leurs yeux, qu'ils cognoissent de leur costé qu'il les pourra bien ainsi abbatre quand ils se voudront eslever. Car quelque hautesse qu'il y ait aux hommes, Dieu les pourra bien arracher de leurs hauts nids: quand ils seront constituez en tel degré, qu'il semblera que fortune ne peut rien contr'eux, Ô Dieu monstrera qu'il n'est point question de ceste imagination qu'ont les hommes, de fortune, mais que sa main s'estend par tout. Et mesmes si les princes, et les grans de ce monde doivent craindre, en voyant que Dieu foudroye ainsi sur les grans et sur les plus haut eslevez: que sera-ce ie voua prie des plus petis? Et an reste, advisons bien aussi à ne nous point eslever contre les autres. Et defait n'est-ce pas une chose contre nature, quand un homme qui n'a en soy rien de louable, se iette ainsi contre un autre? Car on luy pourra tousiours dire, Et qui es-tu ? Pren le cas que cestuy-cy soit digne d'estre vilipende, tant y a que ce n'est pas à toy de le faire. Car ai nous desprisons un homme d'autant qu'il n'est point riche, qu'il n'est point prudent, qu'il n'a point des vertus louables, on qu'il n'est point noble: et bien, nous ne trouverons rien de cela en nous non plus. Et que faut-il donc, sinon que les petis se conforment aux petis? Si nous estions grans, encores nous faudroit-il abaisser, comme S. Paul nous admonneste (Rom. 12, 16), que si nous sommes enfans de Dieu, il faut que celuy qui est en dignité s'abaisse pour se conformer aux petis, voire aux moindres. Or maintenant quand ie seray destitue et de vertu et de prudence, et de noblesse, et des biens de ce monde, que ie n'auray rien dequoy me glorifier: et ai ie voy un homme qui soit comme foulé au

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pié, et que ie me vienne encores ruer contre luy, ne suis-ie pas digne que tout le monde me deteste? Ainsi donc que nous soyons admonnestez par ce passage de bien regarder à nous: et que quand il y aura un homme contemptible, nous cognoissions, Autant en peut-il estre de nous, on plus, et pourtant que nous ayons la boucha close. Voila une instruction que nous devons prendre. Or si nous avions cela bien imprimé en nostre memoire, nous ne verrions point les detractions qu'on voit par le monde, et les brocards, et risees: car chacun se prendroit par le nez, comme on dit. Et mesmes quand un homme aura en soy quelque vertu, et qu'il sera riche, ou en authorité: si est-ce toutes fois que nul ne se trouvera si parfait, que Dieu ne luy donne beaucoup d'occasions de baisser la teste. Ainsi quand chacun aura bien examiné ce qui est en soy, il est certain que nous serons retenus en modestie, pour ne point mespriser ceux qui sont contemptibles, et ne point nous eslever par trop contre ceux mesmes que nostre Seigneur aura voulu mettre en opprobre. Voila encores ce que nous avons à retenir.

Or maintenant venons aux paroles de Iob. Il dit, Que tes ieunes gens se mocquent de lui, voire ceux desquels il n'eust point daigné mettre les peres pour gardes de ses chiens. Il semble bien que Iob parle ici avec grande fierté: car il recueille tout ce qui luy est possible pour desdaigner ceux desquels il estoit mocqué: comme quand il dit, Et leurs peres estoyent des belistres, ie ne me daignoye pas servir d'eux, c'estoyent des coquins, de povres affamez qui alloyent gratter la terre pour eu tirer les racines, ils mangeoyent les grains de genevre par les bois, et maintenant que ie me voye ainsi mocqué par eux? Il semble, di-ie, de prime-face que Iob soit icy enflammé de quelque fierté et presomption. Mais comme nous avons declaré par cy devant, qu'il exprimoit les tentations qu'il avoit senties, et ausquelles il n'avoit point consenti: ainsi nous faut-il retenir cela en ce passage c'est assavoir, que Iob regarde la chose telle qu'elle est: cependant ii ne laisse pas de batailler contre ses despits qui luy rongeoyent le coeur et la moëlle, afin de porter patiemment tels opprobres. Car il est bien certain que quand nous sommes desprisez par ceux qui n'ont en eux rien qui soit de louable cela nous est plus dur et plus estrange. Si nous sommes mesprisez de gens de bien, nous cognoissons, Il ne nous faut point icy applaudir pour nous excuser: car il y a dequoy, puis que telles gens nous blasment. Mais si ceux qui sont et meschans et dissolus, et pleins de toute infamie, se mocquent de nous: il est certain qu'une telle extremité donne plus grand lustre à l'opprobre, afin que nous en soyons tant plus contristez

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Voila donc ce que regarde icy Iob en disant, que ceux qui estoyent ainsi rictus se sont eslevez contre luy. Et notons bien que Iob par cy devant a declaré, qu'il n'estoit point honoré comme un homme riche, ou d'estat, ou noble: ce n'est point là où il s'es fondé, mais qu'il avoit chemine en si grande integrité et perfection, qu en contemplant les vertus que le Dieu avoit mises en luy, on estoit contraint de luy porter reverence, et qu'il n'avoit point abusé de telles graces. Voila donc maintenant pourquoy il trouve la chose plus dure et plus fascheuse, quand il est ainsi mesprisé par ceux ansquels il n'y a rien digne de louange. Mais puis que nous voyons Iob avoir esté abbatu iusques là' cognoissons que si nostre Seigneur permet auiourd'huy le semblable, il nous faut estre fortifiez par cest exemple. Et pourtant encores que la chose nous soit pesante et dure à porter, soyons tellement moderez, que tant qu'il plaira à Dieu de nous affliger, nous baissions la teste. Defait il y a mesmes une raison naturelle qui nous doit instruire à cela. Comme quoy? Il ne nous faut point trouver estrange, si des hommes vilains, et qui n'ont nulle honnesteté en eux, nulle vertu' nulle humanité, se desbordent à mesdire: car nous voyons que cela se fait tous les ours, et ce qui est tout coustumier ne nous doit point estre nouveau, mais faut que nous y soyons tout duits. Mais outre ceste raison naturelle, cognoissons (comme i'ay desia touche) que nostre Seigneur veut tant mieux esprouver nostre patience, quand il nous met ainsi en opprobre, non point à ceux qui sont eslevez en dignité et honneur, mais à ceux qui sont les plus reiettez, comme si nous estions assaillis des bestes brutes plustost que des hommes. Quand donc nostre Seigneur persecute quelqu'un par tel moyen, c'est afin de l'humilier. Nous voyons mesmes ce qui est general à tout le genre humain. Pourquoy est-ce que les pous, les puces, les punaises, et autres vermines font la guerre et à grans et à petis ? Car nul ne s'en peut exempter: et combien que tous ne soyent point là en ordure et en puantise, si est-ce que nostre Seigneur donne aux vermines comme une domination, voire iusques sur les Rois et Princes, tellement qu'il faut qu'un chacun passe par là. Et pourquoy est-ce, sinon afin de nous humilier tant plus? Ainsi donc notons tousiours la volonté de Dieu estre telle, que quand il nous met en une telle extremité, que gens de basse condition vienent ainsi s'eslever contre nous, c'est afin de nous oster toute vaine gloire et presomption Pourtant que nous soyons là comme remis entre les mains de Dieu, pour dire, Seigneur, me Voici comme aneanti et desesperé pleinement: mais qu'il te plaise lascher ta main, et me retirer de l'opprobre auquel tu m'as mis. Or cependant il nous faut aussi preparer à nous bien porter en une

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chose que nous voyons ordinairement, c'est que ceux qui font la cour, et font des chiens couchans, quand un homme sera en dignité et en credit: si soudain il vient à changer de condition, et qu'on le voye abbatu, ils se dressent contre luy, ils se desbordent tellement qu'il semble qu'ils y prennent plaisir. Et en cela voit-on la malice qui est cachee aux hommes. Tout ainsi donc qu'un chacun de nous doit estre premuni, afin de porter patiemment tels opprobres: aussi que chacun de nous s'examine, afin de se porter prudemment en cecy: car quelquesfois nous aurons en honneur ceux que Dieu deteste, et nous n'appercevons point qu'il y a aussi en cela de l'hypocrisie là dedans en nous: que si Dieu les vient renverser, nous serons quelquefois les premiers pour nous ruer à l'encontre d'eux. Nous voyons de tels exemples es histoires, que les gensdarmes des princes se sont venus eslever contre eux. Voila de grans capitaines, qui ont eu telle vogue qu'ils faisoyent tout trembler: et ceux qui eussent mis leur vie pour la garde d'un prince, quand ils le voyent abbatu, ou pour gratifier aux successeurs, ou à l'ennemi, ils viendront faire des trahisons, et commettre des cruautez telles que les ennemis n'en eussent pas tant fait. Car là où l'ennemi en auroit pitié, ceux qui eussent auparavant exposé leur vie pour les maintenir, se desbordent tant plus cruellement et furieusement. Quand nous voyons tels exemples, advisons à nous, et pensons de n'estre point entachez d'un tel vice.

An reste on pourroit icy dire, que Iob semble estre contraire à soy-mesme, quand il dit, Qu'il n'a pas deigné mettre les peres de ceux-cy pour gardes des chiens de ses troupeaux. Car an chapitre prochain il nous avoit declaré qu'il estoit de si grande humanité, que non seulement il estoit pere des orphelins et protecteur des vefves, mais qu'il estoit l'oeil pour les aveugles, le pié pour les boiteux, c'est à dire qu'il avoit compassion de tontes povres gens, et exerçoit humanité envers eux pour les secourir: et maintenant de dire qu'il ne daignoit mettre leurs peres avec ses chiens, il semble que cela soit contraire. Mais notons que Iob ne parle point icy de son affection, il parle de la chose telle qu'elle estoit: comme s'il disoit, que les peres de ceux-cy n'estoyent pas reputez dignes selon les hommes de garder les chiens. Voila donc en somme ce que Iob a voulu signifier. Or tant y a qu'il nous faut retenir, qu'encores que les hommes n'ayent

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rien en eux digne pour les priser, il ne faut point que nous les desdaignions pourtant: mais faut les cognoistre creatures de Dieu, et qui aussi portent nostre remembrance. Que donc nous les honorions: car celuy qui sera le plus haut eslevé, aura beau apporter ceci et cela pour s'eslongner du reste des hommes: si faut-il qu'un Roy se despouille de sa nature, ou il aura fraternité avec les plus povres bergiers et bouviers de tout le monde. Et de fait ce qu'un Roy a le principal en soy et le plus excellent, ne l'a-il point commun avec un bergier, c'est assavoir d'estre homme? O ie suis sorti d'une telle race. Et mon ami, tous ne sont ils pas descendus d'Adam? Et puis apres de Noé? Et de fait mesmes quant aux races, on voit comme il en va: car les races les plus nobles et les plus renommees ne sont pas les meilleures, tellement qu'il vaudroit mieux bien souvent estre fils d'un berger des champs, pour estre fils d'un bon pere et d'une bon e mere, que d'estre fils de quelque grand personnage qui sera estimé au monde: car quelquesfois on sera fils d'un brigand, ou d'une putain, quand on sera ainsi eslevé en haute race. Et pourtant ce n'est point là où il se faut glorifier. Au contraire (comme i'ay dit) il faut venir à ce poinct, que ce qu'un Roy a le plus excellent en soy, c'est d'estre homme: et il a cela commun avec les bouviers des champs. Et ainsi que les grans et honorables de ce monde se glorifient tant qu'ils voudront: ils ont beau se magnifier en cest endroit, mais si est-ce qu'ils ne sauroyent estre autres qu'hommes: et les plus petis et les malotrus qu'ils mesprisent, ont cela aussi bien qu'eux. Cognoissons donc que Dieu nous a faits tous d'une mesme nature, qu'il y a mis ceste union, afin de nous lier les uns avec les autres. Voila donc ce que Iob a entendu en ce passage. Et pourtant notons qu'en tout ce recit il fait comme une peinture vive où Dieu nous monstre que c'est des changemens et revolutions de ce monde: afin que nous n'y soyons point attachez, mais que nous passions plus outre, aspirans à la vie celeste où nous aurons une fermeté permanente: apprenons aussi de cognoistre qu'en la vie presente il n'y a que fragilité et misere, et que nous y serons tousiours suiets, iusques à ce qu'il nous en ait retirez, pour nous faire participans de ce repos eternel qu'il nous a preparé aux cieux. Or nous-nous prosternerons devant la face de

IOB CHAP. XXX.

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LE CENT ET NEUFIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXX. CHAPITRE.

11. Pourtant que Dieu a rompu mon cordeau et m'a affligé, iceux ont rompu leur frain à l'encontre de moi. 12. Mes ieunes yens se levoyent à costé, ils enserroyent mes piez, et mesmes ils environnoyent mes sentiers de leurs achoppemens. 13. Ils dissipoyent ma voye, et s'efforçoyent à me nuire sans que nul m'aide. 14. Ils venoyent contre moi comme une riviere desbordee, et à cause 2e la calamité me persecutoyent iniustement. 15. Frayeurs se sont tournees sur moi, et ont poursuivi comme le vent mon excellence, et mon salut est passé comme la nuee. 16. Mon ame s'est reviree en moi: les temps d'adversité me saisissent. 17. Mes os sont percez de nuict, et n'y a point de repos en moi. 18. Mon vestement a changé de couleur pour la grandeur du mal, et le bord de ma robbe s'est attaché à moi. 19. Il m'a ietté iusqu'en terre, et suis comme la poudre et la cendre. 20. Quand ie crie à toi' tu ne m'exauces point: quand i'atten il ne t'en chaut. 21. Tu t'es converti à moi en cruel, et me contraries de la force de ta main.

Pource que Iob cy dessus avoit declaré, que les gens de nulle valeur s'estoyent eslevez tant fierement contre luy, il adiouste, que cela ne se pouvoit faire, sinon que Dieu eust rompu toute sa vertu tellement qu'il fust debilité, voire affaibli au regard des hommes et qu'un chacun le peust mespriser Car voila qu'il entend par ceste similitude, que Dieu avoit rompu son nerf, ou son lien. Il signifie donc que quand nous sommes soustenus de la main de Dieu c'est autant comme s'il y avoit un lien ferme: mais que s'il plaist à Dieu de rompre ce lien-la, nous decoulons, il n'y a plus rien qui consiste, mais tout est dissipé. Voila l'intention de Iob, c'est que les gens mesprisez, et où il n'y avoit ny autorité ny rien qui soit, ne l'eussent pas ainsi assailli fierement, ny osé se dresser contre luy, sinon que Dieu l'eust destitué de sa vigueur, et qu'il n'y eust plus rien pour le maintenir en son estat. Vray est qu'aucuns exposent cecy, comme si Iob disoit qu'on l'a fait une beste: maintenant qu'on luy a esté son licol, maintenant qu'on l'a rattaché: mais cela est trop contraint. Nous voyons donc le sens naturel. Et c'est un poinct qui est bien digne d'estre note: car si les hommes se desbordent ainsi contre nous, il nous faut tousiours revenir ceste comparaison, c'est asaavoir que nostre Seigneur nous a comme dissipez, qu'il n'y a plus de liaison, comme s'il n'y avoit point de nerfs en un corps, comme si une

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bourree estoit desliee, ou une gerbe de blé, ou chose semblable. Ce qui ne se peut tenir de soy, a besoin d'estre recueilli, et tenu d'ailleurs. Or est-il ainsi que de nous-mesmes nous n'avons rien qui nous puisse conserver. Il faut donc que nostre Seigneur nous lie. Voila pour un Item.

Au contraire, aussi quand il luy plaist de nous deslier, nous voila comme par pieces: il n'y a plus rien qui nous puisse maintenir: tellement que les hommes auront la vogue par dessus nous' ie di les plus mesprisez Nous avons veu par cy devant que cest office est attribué à Dieu, de ceindre les Rois de leur baudrier, et aussi de couper leur ceinture. En quoy il nous estoit signifié que si les Rois et les princes sont en autorité, c'est d'autant que Dieu leur a mis l'espee, et les tient fermes, et veut qu'ils soyent ainsi redoutez. Mais au contraire, quand Dieu vent couper leur ceinture, il n'y a en eux non plus de vertu ne d'autorité qu'en des femmes, et encores moins. Or icy nous avons une doctrine plus generale, et ainsi il faut que nous l'appliquions chacun à, soy: c'est que si nous avons quelque vertu apparente, il ne faut point imaginer que cela soit de nous, mais c'est d'autant que Dieu nous fortifie. Assuiettissons nous donc tousiours à luy, afin de n'estre point touchez d'une vaine presomption: car quand Dieu voit que les hommes imaginent qu'ils ont d'eux-mesmes ce qu'il leur avoit donné, il les en despouille, afin de leur faire cognoistre en sobrieté quelle est sa grace, et comme ils la devoyent priser du temps qu'il la leur faisoit sentir. Apprenons donc (comme i'ay dit) de ne point imaginer nulle vertu de nous-mesmes, mais cognoissons que nous sommes soustenus de la main de Dieu comme une gerbe de blé se tient de son lien. Cependant cognoissons aussi que si nostre Seigneur nous veut deslier, s'il lasche nostre cordeau, incontinent nous serons dissipez, nous n'aurons nul estat permanent, sinon d'autant qu'il luy plaist de continuer sa race envers nous. Et s'il advient que nous soyons foulez au pié, qu'on nous fasche, ou moleste, et que nous n'ayons nulle aide, ne moyen de nous revenger: que ceci nous viene en memoire, c'est assavoir, que les hommes n'auroyent pas tel avantage, sinon qu'il leur fust donné d'enhaut. D'autant donc que nostre Seigneur nous rend contemptibles, chacun se pourra eslever contre nous, et faut que nous retenions ceste leçon pour nous bien humilier car iusques à tant que nous

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ayons ceste prudence en nous de cognoistre que c'est Dieu qui nous expose en opprobre, et donne ainsi aux hommes de nous persecuter, iamais nous ne serons mattez comme il appartient. Voila pour un Item. Or apres que Iob a parlé ainsi, il adiouste d'autres complaintes semblables: c'est, Que les ieunes gens se levoyent à costé, lesquels auparavant se fussent quasi couchez devant lui: qu'ils lui viennent faire la iambette pour le faire tresbuscher, et loi mettent quasi des pierres au devant pour le faire hurter ou chopper. Par ceci il signifie qu'il estoit mocqué de toutes parts, et qu'il n'y avoit plus aucune reverence, comme il a recité qu'elle y estoit auparavant: bref, il entend que Dieu l'a exposé à tout mal. Et puis il adiouste, Que son ame le persecute. En quoi il exprime qu'il estoit navré iusques au dedans. Car il se pourroit faire qu'un homme fust mocqué, mais il ne s'en souciera pas.

Or Iob monstre que tels opprobres et iniures qu'on lui faisoit l'ont touché dedans le coeur. Et voila pourquoi il dit, Que son ame a esté persecutee, et son salut a esté comme ravi. Le mot dont-il use, signifie proprement ou Royale, ou Liberale, ou Volontaire, et ce mot de l'Ame n'est point exprimé Il semble donc que Iob ait voulu nommer sou ame, l'appellant Royale, ou Principale, comme la partie la plus noble, ou bien liberale (comme les princes seront nommez de ce nom, assavoir Liberaux: car pource qu'il y a en eux plus de largesse, et qu'ils ont aussi dequoi le faire, ce titre leur est attribué) ou bien volontaire. Mais pource que la façon de la langue Hebraique est de reiterer souvent une chose deux fois, ou bien de mettre deux mots qui soyent prochains l'un à l'autre, et tendans à une mesme fin: le vray sens de ce passage est, que Iob dit, Que son excellence a esté pervertie, et son salut lui a esté comme ravi. Il prend donc le mot d'Excellence, en premier lieu, et puis il adiouste apres, le salut, qui s'estend encores plus outre. Le sens donc est tel, Qu'au lieu qu'auparavant il estoit en grande dignité, maintenant tout cela est abbatu: et au lieu qu'il estoit bien muni, qu'il sembloit que nul mal ne le deust iamais attoucher, son salut est tellement affligé et opprimé des hommes, qu'il est là comme destitue de la consolation de tous ceux qu'il avoit veus auparavant. Or par ceci nous sommes tousiours admonnestez, comme nous touchasmes hier, d'estre fortifiez contre tels changemens, veu que nous avons l'exemple de Iob. Il a esté pour un temps excellent entre les hommes, son estat estoit tant noble que rien plus: et voici Dieu qui le constitue comme un spectacle horrible. Chacun estoit prest à le servir, il sembloit bien que tout le monde lui deust favoriser: et mesmes de ceux qui auparavant lui estoyent amis, les voila comme bestes sauvages, et ils enragent pour lui ravir son salut.

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Quand nous voyons cela, apprestons nous, s'il plaist à Dieu de nous affliger en telle sorte: et quand il le fera, puis qu'il en est autant advenu à Iob, que nous ne soyons point troublez outre mesure: car nous voyons comme Dieu, encores qu'il exerçast pour un temps son serviteur en telle sorte qu'il sembloit qu'il le delaissast du tout, l'a tousiours regardé en pitié, et l'issue a monstré que ce n'a point esté en vain qu'il s'est tousiours attendu à celuy duquel il avoit receu tant de biens auparavant, et qu'il l'a invoqué, et y a eu un refuge. Faisons donc le semblable, reposons-nous en la bonté de Dieu, et nous tenons tousiours à ce qu'il nous a promis: et il nous fera sentir que l'issue ne sera point autre envers nous qu'elle a esté envers Iob. Au reste combien que ie n'insiste pas sur chacun mot, si est-ce qu'il nous faut mediter chacun en soy les choses qui sont ici traittees Car Iob nous a voulu exprimer la condition où il estoit, si miserable, que c'est pour nous faire dresser les cheveux en la teste. Et pourquoy ? Eu premier lieu (comme nous avons monstre) il s'excuse ici de ce qu'il est impatient, et qu'il se tormente, voyant qu'aussi les afflictions qu'il a lui ennuyent: car c'est pource qu'elles sont excessives. Cependant ne doutons pas que le sainct Esprit ne parle par sa bouche, afin que si nos maux nous semblent grans, et insupportables, nous facions comparaison de ce qui est advenu à Iob: et veu qu'il a esté affligé plus beaucoup que nous ne pourrions estre, que nous ne soyons point par trop delicats, et comme apprentifs quand nos maux nous presseront, et qu'il nous semblera que c'est par trop que Dieu nous afflige. Et comment? N'en est-il pas autant advenu à Iob? voire le mal qu'il enduroit n'a-il pas esté plus excessif beaucoup, et plus enorme que cestui-ci? Voila donc comme nous devons estre instruits à patience, par ce qui nous est ici declaré au long touchant les adversitez que Iob a souffertes. Or cependant il vient à ce propos que i'ay touche, c'est assavoir, que le mal estoit au dedans, qu'il n'y avoit pas seulement les mocqueries, opprobres, et iniures qu'on luy faisoit: mais qu'il estoit abbatu en soi-mesme. Car si un homme pouvoit estre à son aise, combien qu'il eust des ennemis qui se mocquassent de luy, et qu'il seust bien qu'ils detracteroyent de luy par cy par la: un tel homme ne seroit point tant tormenté, que celuy qui est pleinement abbatu, et n'en peut plus. Et defait si un personnage voit qu'il y ait une telle cruauté aux hommes, qu'ils ne se contentent point du mal qu'il souffre, mais viennent encores attiser le feu, et le picquer d'avantage, quand ils le voyent là comme à demi mort, qu'un chacun luy donne son coup pour le meurtrir, et luy faire sentir le tourment duquel il est desia affligé iusques

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au bout: cela augmente beaucoup sa tristesse et

angoisse.

Voila donc ce que Iob a entendu en ce passage quand il dit, Que les frayeurs l'ont saisi, qu'il n'a eu nul repos, que son pouls luy a tousiours batu, sans qu'il eust aucune relasche: comme un homme qui sera en fievre continue, ou qui est tellement tormenté, qu'il n'a pas loisir de respirer, ne reprendre son haleine. Iob donc par telles complaintes signifie, qu'il n'est pas seulement mocqué comme seront plusieurs qui ne laisseront pas de boire et de manger, et de gaudir, qu'il n'est pas tormenté comme ceux qui se pourront defendre' et combien qu'on leur machine du mal, si est-ce qu'on n'en peut pas venir à bout: Iob monstre que tout au contraire il estoit affligé de frayeur. Or sous ce mot de Frayeur il comprend toutes les angoisses que nous pouvons sentir quand nostre Seigneur nous est contraire, ou que les hommes s'eslevent contre nous. Et mesme ce mot emporte beaucoup plus que tristesse et angoisse: car tristesse vient du mal que nous avons desia: mais quand nous avons des frayeurs, c'est comme si nous voyons la mort nous menacer, si nous estions assiegez de plusieurs perils. Alors nous imaginons, Et comment? il est vrai que i'endure desia tel mal, mais ce n'est rien: car un tel mal me pourroit encores advenir: et puis il y a de l'autre costé ceci, il y a cela. Quand donc nous contemplons les dangers, et qu'il nous semble que quand nous serons eschappez d'une mort, il y en a une seconde et une troisieme, bref, que nous sommes assaillis de tous costez: voila qui nous rend tout esperdus.

Et c'est ce que Iob a entendu disant' Qu'il est saisi de frayeur au dedans. Or ce passage doit bien estre observe de nous: car le principal bien que nous ayons, et que les hommes aussi desirent naturellement, c'est d'estre asseurez: et Dieu aussi parlant de ses benedictions, nous promet sur tout que nous serons en repos, et quand il nous aura en sa sauvegarde, que nous pourrons dormir à nostre aise sans crainte d'estre resveillez, que nous ne craindrons point d'estre couchez voire sous un arbre au milieu du chemin: qu'encores que nous n'eussions nulle chambre fermee, ne barre à nos portes, ne clef, nous serons asseurez estans en sa main et protection. Nous voyons toutes fois que Iob dit, qu'il a este saisi de frayeur Il semble donc qu'il n'eust plus nulle fiance en Dieu, et par consequent qu'il fust privé d'un souverain bien que nous desirons, et que Dieu aussi a promis à tous ses enfans. Or il est vrai que les fideles auront tousiours finalement un tel repos en eux qu'ils se pourrent esiouyr en leurs maux, voire d'autant qu'ils s'appuyent sur la bonté de Dieu, et savent bien que iamais ne les mettra en oubli. Voila donc

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un repos qui ne peut iamais faillir à tops fideles, cependant qu'ils se confient en Dieu: Iob a bien senti cela en partie. lais cependant notons que quelquesfois Dieu mettra les siens en tel trouble (ie di pour un peu de temps) qu'ils ne savent où ils en sont, que ceste ioye du sainct Esprit est là comme abbatue et estouffee en eux' qu'ils ne peuvent pas recourir à Dieu, ne s'asseurer qu'il veille sur eux, qu'ils ne peuvent pas avoir ceste certitude pour dire, Non, quoi qu'il en soit, mon Dieu neantmoins me preservera: il est vrai que ie n'apperçoi point qu'il me vueille secourir, mais ie l'attendrai patiemment. Les fideles donc par fois ne pourront pas estre resolus du tout, mais ils seront agitez de si grands bouillons et tempestes, qu'ils ne sauront que devenir, ils seront là en telle impetuosité, et demenez d'une telle façon, que leur repos sera converti en trouble. Or que faut-il donc? Que nous cognoissions qu'en premier lieu pour estre paisibles, voire au milieu de toutes nos adversitez, il nous faut recourir à nostre Dieu, et nous resoudre que ce n'est point en vain qu'il nous a promis d'estre tousiours avec nous. Meditons donc les promesses de Dieu, que nous en soyons munis de tous costez, afin d'estre paisibles au milieu de nos afflictions: car il n'y a rien qui nous asseure' sinon ceste esperance d'estre secourus de la main de Dieu. Cependant que nous avons cela nous ne pouvons tomber que sur nos pieds (ainsi qu'on dit:) mais si tost que nous sommes divertis de Dieu, et ne pouvons nous resoudre qu'il nous vueille aider, et qu'il ait aussi le soin de nostre salut: nous voila esperdus, et tellement effarouchez, que nous ne saurions nullement nous asseurer. Et ainsi donc apprenons de nous confermer aux promesses que Dieu nous donne, si nous voulons n'estre point accablez de tremblement et de frayeur au milieu de nos afflictions. Au reste, si quelquesfois nous sommes accablez si fort que nous ne sachions que devenir: ne laissons pas encores de recourir à nostre Dieu, esperans qu'il chassera les tenebres qui sont en nous, et ne permettra point que nous demeurions tousiours en telle detresse qu'il n'y remedie, et n'adoucisse nos douleurs. Puis qu'ainsi est que nous voyons que le semblable est advenu à Iob (comme aussi il est advenu à David, et ce sont deux miroirs de patience, de foi et d'esperance) que nous ne soyons point par trop esperdus, quand selon l'infirmité de nostre chair il nous semble que nous soyons accablez de maux, et saisis d'une telle frayeur que c'est fait de nous. Car si est-ce que Dieu besongnera tousiours en ses fideles, et encores que son oeuvre n'apparoisse point à l'oeil, si est-ce qu'ils le sentiront. Et de fait combien que les fideles soyent en telle angoisse, et si effrayez, qu'il leur semble qu'ils ne puissent esperer en la bonté

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de Dieu, si est-ce qu'ils ne defaudront point, ainsi seront secourus de lui, encores qu'ils ne puissent point appercevoir son secours selon leur sens naturel. Voila donc comme nous avons à proceder en nos angoisses, et comme nous devons pratiquer ceste doctrine pour en faire nostre profit.

Or quand Iob adiouste, Que Dieu l'a mis iusques en terre, et qu'il a esté fait semblable à la poudre et à la cendre (car auparavant il avoit dit, Que ses vestemens en estoyent change, qu'ils tenoyent comme à sa peau) par cela il monstre qu'il a esté du tout abbatu, qu'il n'y avoit plus une seule goutte d'esperance de vie en lui, qu'on eust dit, Voila un homme consumé, il n'y a plus que la mort qui y domine. Car par ces mots de terre, de poudre, de cendre, il signifie non seulement que sa vertu estoit defaillie, mais qu'il estoit comme un corps mort, voire a demi pourri. Iob donc monstre bien qu'il n'y avoit plus nul signe de vie en ceste affliction extreme qu'il enduroit: mais plustost qu'on le condamnoit et mesmes estoit desia condamné de tous. En quoi il nous est monstré que nostre fiance ne doit point estre attachee aux choses visibles, mais qu'au milieu de la mort il nous faut esperer en Dieu, et quand il semble que c'est fait de nous, si faut-il neantmoins que nous apprehendions tousiours et embrassions ceste vie que Dieu nous promet. Et cependant notons aussi que la vertu de Dieu n'est point suiette à quelques moyens humains, et de ce monde: mais qu'il besongne d'une façon qui nous est incomprehensible, voire en secret. Voila les deux choses que nous avons à observer de ce passage, qui sont coniointes l'une à l'autre. Car pourquoi est-ce que nous avons dit, que la foi ne doit point estre enclose en ce que nous appercevons, sinon d'autant qu'elle est fondee sur la vertu de Dieu? Or ceste vertu là est infinie, et ne la faut point compasser ne regler aux moyens de ce monde, à ce qui se peut voir: Dieu peut besongner en une façon qui nous est incognuë. Puis qu'ainsi est, il faut que nostre foi s'eslargisse aussi bien. Et ainsi pour bien comprendre ceste doctrine, commençons par le second que nous avons touché c'est assavoir que la puissance de Dieu par laquelle il veut besogner pour nostre salut, n'est point limitee à ces choses basses: qu'il ne nous faut point dire, Dieu fera ainsi pource que l'ordre de nature est tel, pource que nous en voyons quelque apparence, pource qu'il y a tel moyen et aide. Car ce seroit lui faire trop grand' iniure: pource que ce qui est en lui est infini. Il ne faut point donc enclorre sa puissance en nos phantasies ni apprehensions: comme la bonté de Dieu est infinie, et c'est un abysme, aussi est sa sagesse, aussi est sa iustice, il faut que nous disions le semblable de sa vertu. Or quand nous voudrons comprendre ceste puissance

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et ces e vertu-la, ie vous prie, le pourrons-nous enclorre à nostre cerveau ? Il est impossible.

Ainsi donc notons bien que quand Dieu nous veut sauver, ce n'est point d'une façon commune: mais il besongne par miracles envers nous, tellement qu'il nous ressuscitera de la mort. Et voila pourquoi il s'attribue cest office de mettre les hommes au sepulchre, et de les en retirer: et puis au Pseaume (68, 21) il est dit, C'est à nostre Dieu qu'appartiennent les issues de mort. Quand il est dit, A nostre Dieu, c'est afin que les fideles goustent que Dieu leur est prochain, et qu'il leur fait sentir par experience ce qui est là contenu: c'est assavoir, qu'il a les issues de mort. Et quelles sont ces issues-là? C'est que quand la mort aura dominé sur nous, et qu'il semble que nous soyons abysmez, qu'il n'y ait plus esperance de vie: nostre Seigneur nous pourra bien vivifier, voire d'une façon admirable, et qui nous est incognue, et laquelle les hommes ne pourroyent concevoir iusques à ce qu'elle se monstre par effect, Ut voila pourquoi aussi ceste figure a esté donnee à Ezechiel que quand Dieu prononce sa parole, les os qui estoyent secs auparavant, et où il n'y avoit plus nulle substance, s'approchent, et les nerfs se remettent, et l'esprit y vient, et y a vigueur, et voila des hommes vivans. Voila donc comme il nous faut estre fondez en la vertu inestimable de nostre Dieu: à savoir que quand il est question de nous fier en lui, nous ne venions point disputer, Dieu a-il quelque moyen ? Les choses sont-elles vraysemblables? Avons-nous quelque chose en nous pour y aider? Ne, ni, non: mais Dieu cognoist comme il le fera, ainsi attendons-nous à lui. Or maintenant (comme i'ay dit) il faut que nostre foi s'estende sur la puissance de Dieu: et puis que Dieu n'a point une puissance par certaine mesure, et qui soit enclose ni suiette a moyens humains, ne naturels, il faut aussi que nostre foy s'estende et haut et bas, qu'elle soit infinie. Il est vrai qu'elle ne sera iamais en telle perfection comme elle doit, nous en aurons quelque petite portion seulement: mais tant y a qu'il nous faut travailler, et combien que nostre foi soit debile, et que nous n'en ayons receu sinon par mesure, si faut-il que nous tendions à ce but-la. Et quel? Il est question de nous reposer en nostre Dieu, et d'attendre salut de lui. Et comment l'attendrons-nous? Faut-il nous arrester à ces choses terrestres ? Nenni, non: mais qu'un chacun s'incite, et que nous regardions, Et bien Seigneur, tu es tout-puissant, tu nous sauveras donc selon ta vertu, laquelle nous est maintenant incognue Voila ce qui nous est ici monstré en ce passage. Ainsi donc, puis que Dieu nous a donné une telle approbation de sa vertu en la per

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sonne de Iob, que cela soit pour nous confermer d'autant plus.

En la fin Iob s'adresse à Dieu apres qu'il a parlé des iniures et opprobres qu'on luy faisoit apres aussi qu'il a fait sa complainte des frayeurs dont-il estoit saisi. Il dit donc, Que combien qu'il s'adressast à Dieu pour l'invoquer, il n'est point exaucé: voire, et quand encores il se tient là et attend que Dieu n'en a point de pitié, et ne fait point semblant de le regarder: qui pis est qu'il s'est tourné vers luy comme cruel. Or c'est la plus griefve tentation qui soit: car s'il nous advient du mal, nous savons que c'est à ceste condition que Dieu nous a mis au monde, que nous soyons tentez en diverses sortes, et affligez de beaucoup de miseres, afin de nous monstrer que ce n'est rien que de ceste vie caduque: et puis si nous avons quelque tristesse, nostre fragilité porte cela: si nous ne sommes constans pour nous consoler, et bien nous attribuons encores tout cela à la foiblesse dé nostre nature. Mais quand nous recourons à Dieu, et ne sentons toutes fois nul allegement de lui, et qu'il dissimule, et qu'il semble que ce soit temps perdu de l'invoquer, nous sommes à l'extremité. Pourquoy? Car c'est un souverain remede que Dieu nous donne, Quand vous serez comme desesperez, et mesme comme morts, venez à moy, et vous sentirez que i'ay la vertu de vous vivifier: ie restaure ceux qui sont defaillis, ie ressuscite les morts, ie retire du sepulchre ceux qui y estoyent plongez, voire si profond, qu'il sembloit bien que iamais n'en deussent sortir. Dieu donc nous est assez liberal à promettre que nos prieres ne seront iamais refusees de luy. Or venons-nous à le cercher? Il s'eslongne, il a les aureilles sourdes ce semble. Voila une tentation qui est pour nous abysmer.

Notons bien donc ce passage ici, que Iob a voulu declarer, qu'il est venu comme iusques aux enfers, qu'il n'a point esté chastié d'une façon commune: mais que Dieu en apparence exterieure l'avoit tellement delaissé, qu'il pouvoit conclurre, l'ay esté frustré iusques ici en servant à Dieu, et ie me suis trompé esperant qu'il m'aideroit, et que ce seroit mon Sauveur. Et pourquoi? Car il dit bien que les siens seront affligez: mais il les appelle à soy, Invoque-moy au iour de ton affliction, et ie t'exauceray, et tu m'en glorifieras (Ps. 50,15). Par sa vertu donc en la mort nous devons esperer vie: car voila Dieu qui nous ouvre la porte, quand il dit, qu'il est prochain de tous ceux qui l'invoquent en verité. Mais maintenant, dit Iob, si ie te vien cercher, ie ne te trouve pas: si ie t'invoque, tu ne me respons point: ie heurte, et la porte m'est close. Comment parle-il ainsi? Car on pourroit demander en premier lieu, si Dieu n'a

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point accompli ceste promesse qu'il donne à tous fideles, de leur estre prochain quand ils le requierent: car combien que ces passages ne fussent point encores escrits, si est-ce que Dieu n'a pas laissé d'avoir tousiours pitié des siens: mais puis apres en faisant que cela fust escrit, il a declaré quel il estoit, et quel tousiours il s'estoit monstré. Si donc Iob a oit perdu sa peine en priant Dieu, ces promesses-la seroyent fausses, Que Dieu sera prochain à tous ceux qui le requierent en verité, qu'il exaucera ceux qui l'invoquent, et que tout ce qu'on lui demandera au nom de nostre Seigneur Iesus Christ sera ottroyé: et mesmes devant que nous ayons la bouche ouverte, qu'il sera prest de nous secourir.

Or notons que Iob combien qu'il n'apperceust point pour lors que Dieu le voulust secourir, si est-ce qu'en la fin il le cognoist, et Dieu aussi lui fait sentir, comme nous le voyons mesmes par ce qui est advenu. Notons, di-ie, qu'il ne nous faut point iuger de l'aide de Dieu selon chacune minute de temps (car ce seroit la restraindre par trop) mais attendons l'issue: et si nous voyons que nostre Seigneur n'ait point eu l'aureille ouverte quand nous l'avons requis, Ô si est-ce que l'issue de nos afflictions sera tousiours heureuse, quand nous persistons à invoquer Dieu. Ainsi donc, quoi qu'il y ait, n'estimons pas qu'il ne nous vueille point ouyr, quand nous l'invoquerons. Pourquoi? Car nous voyons comme il en est advenu à Iob. C'est une menace qui ne peut advenir qu'aux incredules, quand il est dit, Ils crieront, et ne seront point exaucez. Car si nous crions, voire en foi et en esperance: il est certain que ceste promesse que nous avons dit nous sera infallible. Mais les incredules, d'autant qu'en criant ils ne font qu'heurbien, et braire, et n'ont nulle foi en Dieu, et combien qu'ils cognoissent que sans lui ils sont perdus et abysmez, si est-ce qu'ils ne pensent pas à lui: voila pourquoi ils ne sont pas exaucez. Et ainsi donc quand nous voyons ceste tentation estre advenue à Iob, c'est qu'il a crié et n'a point esté exaucé: concluons que si Dieu ne fait point semblant de nous ouyr, ce n'est pas pourtant à dire qu'il reiette nos oraisons, et n'en tienne conte: mais il dissimule, afin de nous faire continuer à prier. Car ce n'est point assez de l'avoir prie pour un coup, pour dire, Helas! Seigneur, n'auras-tu point pitié de moi? mais il faut que nous persistions en cela: et s'il differe, que nous ne laissions pas encores de passer tousiours outre, iusques à ce que nous cognoissions qu'il nous a exaucez.

Au reste notons bien, combien que Dieu ne face point semblant d'ouyr nos prieres, qu'il nous monstre toutes fois qu'il les a ouyes. Et qu'ainsi soit voici Iob qui se plaint qu'en criant il n'a point

SERMON CIX.

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esté ouy: si est-ce qu'il eust esté plus qu'abysmé, sinon que nostre Seigneur eust ouy ses requestes: mais il ne le sentoit pas. Et voila comme nostre Seigneur besongne souvent en nous, que nous ne pouvons pas iuger selon nostre phantasie qu'il nous aide. Et pourquoi ? Car si nous regardons, O comment est-ce que Dieu nous aideroit? cela n'entre point iusques en nostre sens. Pourquoi? Nous sommes rudes, nous sommes grossiers: mais tant y a que nostre Seigneur avec le temps monstre que quand nous aurons pensé estre destituez de lui, il ne laissoit pas de nous estre prochain: combien que ce fust en cachette, il ne laissoit pas tousiours de faire distiller sa vertu en nous. Ainsi donc que nous soyons exercez en ces tentations ici, c'est assavoir, que quand nous requerrons Dieu au milieu de nos afflictions, et ne sentirons nul allegement, mais plustost que le mal s'augmentera, et qu'il semblera que Dieu s'aguise à nous molester tant plus quand nous venons le cercher, nous ne soyons pas pourtant desesperez: mais attendions en patience: pour dire, Seigneur il est vrai que ce combat ici est bien difficile: mais quoi? d'autant que Iob y est passé, qui estoit homme infirme comme nous, prions Dieu qu'il nous fortifie par son sainct Esprit: car la grace qu'il a fait alors à Iob, et qu'il a fait à David en son temps, et à tous autres fideles, n'est point auiourd'hui amoindrie. Voila donc comme nous avons à batailler iusques à acquerir pleine victoire contre la tentation qui est la plus grande de toutes, c'est quand nous ne sommes point exaucez de nostre Dieu en l'invoquant.

Or il y a encores plus quand Iob dit, tu t'es converti contre moi, et t'es fait comme si tu estois cruel. Il signifie par ce mot, que non seulement il n'a point esté delivré ou allegé des maux et afflictions ausquelles il estoit, mais qu'il a semblé que le feu s'allumast tant plus, que les gouffres s'ouvrissent plus profond: bref, qu'il deust empirer sa condition en invoquant Dieu, comme s'il ramentevoit à Dieu qu'il l'affligeast d'advantage. Voila desia une grande tentation de n'estre pas exaucé quand on prie estant en calamité: et comme Iob l'a sentie, cela aussi nous adviendra souvent: mais ceci est bien plus grief quand nous y regarderons

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de pres, c'est que quand nous invoquons Dieu, tant s'en faut que nous profitions, qu'il semble que Dieu en soit provoqué d'advantage, et que nous le venions là picquer contre nous Comment? A, vous me venez ici importuner, et le vous en donnerai tant que vous n'en pourrez plus: mes verges estoyent legeres auparavant, ie ne vous faisoye que toucher comme du petit doigt, mais maintenant ie viendrai à grands coups sur vous, i'aurai l'espee desgainee pour vous accabler du tout. Il semble donc par fois que nous ne gagnions rien en nos prieres, sinon de ramentevoir à Dieu qu'il nous soit plus rude et aspre, et qu'il nous moleste tant plus, et que les afflictions s'aigrissent, et se desbordent iusques à nous consumer du tout. Voila ce qui semblera aux fideles, comme chacun en a l'experience en soi. Or que faut-il là dessus ? Notons bien ce qui nous est ici declaré par Iob: c'est que cela ne nous doit point estre nouveau, quand Dieu veut ainsi esprouver nostre foi, pour dire que nous languissions, et que le mal s'augmentera: car combien que du premier coup il ne nous exauce pas, ainsi face semblant d'estre encores alors irrité: combien donc que cela nous vienne au devant, toutes fois confions-nous qu'il nous donnera secours, et que selon que les maux s'augmenteront, aussi il nous subviendra en sorte qu'il ne permettra point que nous defaillions. Nous serons donc tousiours soustenus par sa main, voire d'une façon incognue: et quand il aura bien exerce nostre foi, il nous fera sentir qu'il n'estoit point eslongné de nous quand il nous affligeoit. Voila donc comme il nous faut pratiquer ce passage, afin que Si nous ne sommes pas exaucez en apparence, nous ne defaillions point, et quelque tentation que Dieu nous envoye, que nous ne soyons accablez ne vaincus, ainsi que nous persistions: voire quand nous verrions la mort devant nos yeux toute presente, que nous serions comme abysmez iusques aux gouffres d'enfer, que nous ne doutions point, que comme ce bon Dieu a exaucé son serviteur Iob, aussi en la fin il ne nous donne bonne issue et heureuse en tous nos maux.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

IOB CHAP. XXX.

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LE CENT ET DIXIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XXX. CHAPITRE.

21. Tu t'es tourné contre moi comme cruel, et m'as ravi en la force de ta main. 22. Tu m'as eslevé par dessus le vent, et le m'as fait chevaucher, et fait defaillir mon sens. 23. Ie sai que tu me mettras au sepulchre, en la maison destinee à tous vivans. 24. Si est-ce qu'on n'estendra point là sa main, encores que plusieurs crient en son affliction. 25. N'ai-ie point pleuré avec ceux qui avoyent les iours durs? et mon ame n'estoit-elle point dolente pour le povre? 26. Iai attendu le bien, et le mal m'est advenu: i'esperoye la clarté, et voici les tenebres. 27. Mes entrailles bouillent, et n'y a point de repos au temps d'adversité, lequel ma saisi. 28. Ie chemine en dueil, et en l'assemblee ie m'escrie. 29. Ie suis comme frere des dragons, et compagnon des austruches. 30. Ma peau est devenue noire sur moi, et mes os sont desseche. 31. Ma harpe s'est tournee en pleur, et mes orgues en voix de lamentation.

Nous avons exposé ci dessus combien grande est ceste tentation que Iob a enduree, quand il lui a semblé qu'il ne profitoit rien en priant Dieu. Car c'est le dernier refuge que nous avons en tous nos maux: et ce remede la est souverain, et ne nous peut faillir. Quand donc il nous semble que nous sommes frustrez de nostre attente, et que Dieu fait comme semblant d'estre sourd: bref, que nous ne profitons rien par nos prieres et oraisons: voila comme l'enfer qui est ouvert devant nous, il faut que nous soyons pleinement desesperez: voire sinon que Dieu nous retinst, et nous monstrast que ce n'est point sans cause qu'il prolonge à nous secourir. Si donc Dieu ne besongnoit ici d'une vertu singulier, il est certain que nous serions tous abysmez, quand nous ne trouvons point d'allegement en nos maux apres l'avoir invoqué. Or puis que cela est advenu à Iob, que chacun de nous se dispose à son exemple: et si quelquesfois Dieu nous laisse languir (comme il adviendra) et que nous ne soyons point secourus de lui à nostre souhait, attendons en patience, et bataillons contre une telle tentation: voire et mettons peine aussi à lui obeir. Car ce n'est point assez que nous prions Dieu, mais il faut que nous tenions nos esprits en bride: que si le mal nous presse, et que nous soyons tant tormentez que nous n'en puissions plus, si faut-il neantmoins demeurer en ceste simplicité, de laquelle il est ici parlé. Et ainsi, si nous avons esté subiets à la bonne volonté de nostre Dieu

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pour un temps, persistons en cela iusques au bout et si au milieu il nous sembloit que nous fussions trop chargez, que cest exemple ici nous vienne en memoire, et que l'issue nous monstre que Dieu, combien qu'il se cache envers les siens, et ne leur face pas sentir du premier coup sa vertu, ne les met iamais en oubli, qu'il ne les exauce en la fin, et quand il cognoit le temps estre opportun. Mais retenons la leçon de l'Apostre (Hebr. 6, 12), qu'il faut que la foi soit coniointe avec patience, et que nous soyons exercez en beaucoup de combats devant que venir au triomphe: car ceste vie ici est ordonnee à batailler.

Il s'ensuit au texte ce que desia nous avons touché: Que Dieu se monstroit cruel envers Iob. Or quand il parle ainsi, ce n'est pas pour accuser Dieu d'iniustice: mais il declare l'extremité du mal qu'il a senti. Nous pourrons bien donc appeller cruauté, une rigueur excessive laquelle nous tourmentera: mais cependant ce n'est pas que Dieu soit condamné par nous. Voila donc quelle est l'intention de Iob. Et pour mieux comprendre ceci, retenons ce qui a esté declaré par ci devant, c'est assavoir, que les fideles estans pressez de la main de Dieu ont ne angoisse si terrible, qu'il n'est point possible de l'exprimer. Oc n'est point sans cause que David en se plaignant des afflictions que Dieu lui a envoyé, use de ces similitudes, qu'il est venu iusques au profond des abysmes, et qu'il n'a plus eu une goutte de clarté, et que ses os ont esté comme pourris, que la moëlle a esté succee, que toute sa vertu est perie, que sa langue est attachee à son palais, qu'il a esté condamne à mort, tellement qu'il n'y voit plus de remede (Ps. 69, v. 2. 3. 4; Ps. 22, 15. 16; Ps. 31, 10. 11). Quand il parle ainsi, notons que c'est pour exprimer la vehemence et l'angoisse dont les povres fideles sont pressez, quand ils apprehendent l'ire de Dieu: car cela surmonte tous maux: si nous concevons que Dieu nous soit contraire. Et d'autant plus que nous le craignons, voila qui augmente nostre destresse et nostre torment: car les incredules, les contempteurs de Dieu, toute gens prophanes sont comme stupides. Voila un homme qui s'est endurci au mal, il ne fait que se gaudir de toute religion. Et bien, ai Dieu l'afflige, il est vrai qu'il sera contraint de crier, helas! mais cependant il ne regarde point à la main qui le frappe: il sent les coupa, mais il ne pense pas que ce soit Dieu: les fideles d'autant

SERMON CX

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qu'ils cognoissent que tout leur bien et salut consiste en la grace de Dieu, et en sa bonté paternelle, se consolent là au milieu de leurs maux: mais s'il leur semble que Dieu leur soit ennemi, ou les ait reiettez, ou se soit eslongné d'eux, encores qu'ils fussent à leur aise, et que tout leur vinst à propos: si est-ce qu'ils conçoivent une telle horreur, qu'ils ne savent que devenir. Et voila pourquoi le Roi Ezechias dit, que Dieu est cruel contre lui comme un lion, qu'il lui a brisé à grands coups de dents tous les os (Is. 38, 13). L'intention d'Ezechias est-elle de se plaindre de Dieu, ou de contester contre lui ? Nenni. Pourquoi donc est-ce qu'il l'accompare ainsi à un lion, et à une beste sauvage, qui vient là pour engloutir la proye, qui casse, et rompt tout ? C'est (comme desia nous avons dit) pour exprimer ceste frayeur de laquelle les povres fideles sont tormentez, quand ils sentent l'ire de Dieu, et cognoissent leurs pechez, et que Dieu se declare leur iuge: car il faut qu'alors ils soyent saisis d'une angoisse qui surmonte tous les maux du corps. Ainsi donc quand Iob se plaint que Dieu s'est tourné contre lui avec cruauté, il n'entend pas que Dieu ait excedé mesure, ne qu'il ait usé d'aucune tyrannie, ne qu'il soit iniuste: mais il exprime ceste douleur, et la violence du mal où il estoit. Toutes fois notons bien que quand Iob parle ainsi, c'est en homme passionné, et pourtant qu'il n'est pas du tout à excuser, comme nous avons declaré par ci devant: et de fait quand nos passions dominent il est impossible que nous pensions de Dieu, et que nous en parlions si reveremment comme nous devons. Pourquoi? Car nos passions sont aveugles: et si nous voulons parler de Dieu en telle reverence comme il le merite, il nous faut recueillir, et tenir nos esprits coys et paisibles. Ainsi donc d'autant que Iob monstre ici et declare quelles ont esté ses tentations premieres, il n'y a nulle doute qu'il ne parle comme à l'estourdie: et ainsi il ne faut pas que nous tirions en consequence ce qu'il dit, comme s'il nous estoit licite de l'ensuivre: mais cognoissons qu'encores qu'un homme mette peine à se reprimer, toutes fois si est-ce qu'il ne vient point tellement à bout de ses infirmitez, qu'il n'y ait tousiours ie ne sai quoi à redire, qui est à condamner. Et d'autant plus devons-nous estre attentifs à nous tenir comme bridez en nos affections, veu que quelque peine que nous y mettions, si est-ce que nous ne pouvons point estre tant subiets à Dieu, comme il seroit bien requis.

Voila donc deux choses que nous avons à noter: l'une c'est que quand Dieu se monstre contraire à nous, et qu'au lieu de nous recevoir en sa bonté et en son amour gratuite, il nous semble qu'il nous doive estre ennemi, et que nos pechez nous redarguent, et que nous n'appercevons sinon

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signes de malediction sur nous: il ne se peut faire que nous ne soyons tormentez iusques au bout. Voila pour un Item. Et c'est une doctrine bien necessaire, afin que chacun se prepare devant le coup, et que quand nous viendrons là, nous soyons munis pour ne tomber point en desespoir extreme: mais qu'au milieu des abysmes nous goustions quelque consolation de Dieu, pour attendre patiemment l'issue meilleure que nous ne pouvons appercevoir. Et pourtant ne pensons point que ce soit une chose si desirable pour nous, que de n'avoir iamais nulle angoisse, et de n'estre point effrayez: car cela est plustost pour les incredules, et les contempteurs de Dieu (comme nous avons declaré) lesquels sont abbrutis. Un pourceau et un boeuf ne sentiront point leur mal, sinon d'autant que leur sensualité le porte: ainsi en est-il de ces vilains qui sont du tout esleurdis en leur sens, et ne demandent sinon à mettre Dieu en oubli, et la memoire de son nom sous le pied. Or au contraire, que nous sachions qu'il nous est expedient d'estre resveillez de tels eslourdissemens, et de sentir l'ire de Dieu, afin que nous cheminions en plus grande solicitude, et que nous apprenions par ce moyen là de nous humilier: car iamais les hommes ne seront bien convaincus de leurs infirmitez, que quand ils s'adiournent eux-mesmes devant Dieu. Il est dit: Bien-heureux est l'homme qui se solicite, et qui s'examine en soi. Et pourquoi? Car voila nostre perdition, que de ceste nonchalance quand nos esprits sont là comme abbatus. Or puis qu'ainsi est, qu'il nous est bon et propre pour nostre salut d'estre en souci: cognoissons que nostre Seigneur non sans cause nous vient faire sentir son ire, afin que nous pensions tant mieux à nos pechez. Voila pour un Item. Or quant au second, notons que nous ne pourrons iamais estre si bien reduits en l'obeissance de nostre Dieu, ne moderer si bien nos affections, qu'il n'y ait encores des contradictions par trop grandes: comme nous voyons que Iob qui a esté un miroir de patience, toutes fois ne s'est pas tellement retenu, qu'il ait esté moderé, quand il a parlé de Dieu: car il n'y a point procedé en telle reverence comme il devoit, mais il s'est comme precipité en ceste tentation, de laquelle toutes fois il n'a point este vaincu) mais il y a resisté avec grande difficulté. Voyans donc que les passions qui sont en nous sont tant exorbitantes, que nous apprenions de nous tenir comme captifs: et quand nous aurons bien combatu pour nous dompter, qu'encores nous cognoissions qu'il y a de l'imperfection neantmoins, et que Dieu trouveroit tousiours dequoi nous condamner, n'estoit qu'il nous supportast par sa bonté infinie. Voila ce que nous avons à noter.

Or maintenant Iob pour exprimer ceste grande

IOB CHAP. XXX.

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frayeur, et le tourment, et le mal dont il a esté saisi, adiouste, Que Dieu l'a eslevé par dessus le vent, qu'il l'a fait chevaucher comme en l'air, et qu'il lui fait defaillir toute sa force, et sa substance. Quand un homme est ainsi ravi comme d'un tourbillon, et qu'il est transporté, c'est une chose espouvantable. Car si un homme est abbatu, et qu'il meure là, la chose ne sera point si effrayante, que quand Dieu l'esleve comme d'une tempeste soudaine en l'air. Nous voyons donc quelle est l'intention de Iob: et c'est pour confermer le propos que nous avons tenu, c'est assavoir que Dieu exerce les siens, et les examine par façons estranges. Et ainsi n'apprehendons point l'ire de Dieu seulement selon les exemples que nous en avons veu à l'oeil, et selon l'experience que nous en avons en: mais cognoissons que Dieu nous pourroit tenter d'une façon qui nous seroit incognuë, voire tellement que nous serions plus qu'esperdus. Et quand nous aurons cognu cela prions le aussi qu'il nous vueille fortifier au besoin: et encores qu'en apparence nous ne voyons de tous costez que des sepulchres, et qu'il semble que nous devions estre abysmez, non seulement d'une mort corporelle, mais des enfers: que toutes fois nous le laissions point de perseverer on la crainte de nostre Dieu, que nous soyons tousiours appuyez sur la fiance de sa bonté, que nous soyons resolus pour l'invoquer, et avoir tout nostre refuge à luy: voire, combien que tous nos sens y resistent, et qu'il nous semble que l'accez nous soit fermé. Voila donc ce que nous avons à mediter en ces passages. Et ainsi ne pensons point que ce soit un langage superflu, quand il est ici parlé de vents, de tourbillons, et que Dieu l'a fait chevaucher en l'air: mais c'est pour monstrer que nostre Seigneur a des façons estranges de nous chastier quand il luy plairoit et qu'il ne faut point que nous soyons preoccupez par faute d'y avoir pensé avant la main. Et au reste, si nous ne sentons point en nous des afflictions si grandes et exorbitantes, cognoissons que c'est pource que Dieu nous supporte. Et ainsi donc quand nous endurons quelque mal, que faut-il faire? Si nous sommes faschez et tormentez plus que de raison (ce nous semble) prenons l'exemple de Iob. Et comment? Tu n'es pas encores venu en telle extremité comme ce bon serviteur de Dieu là. Et qui en est cause, sinon que ton Dieu a regard à ta foiblesse ? Or il ne te veut pas manier si rudement, combien qu'il le pourroit faire, et qu'il en a iuste raison: car il y a assez dequoy. Tu vois donc comme il use encores d'humanité envers toy: quelque rigueur que tu sentes tu n'es pas encores si tormenté, que tu puisses dire; qu'il est venu à toy comme un lion cruel qui t'a descire comme par pieces. Tu ne

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peux pas alleguer toutes ces choses: et ainsi tu peux bien requerir ce bon Dieu, et retourner à luy: et puis qu'il se monstre encores humain et pitoyable e vers toy, il te sera encores Pere et Sauveur. Voila donc comme ceste comparaison nous doit servir, et qu'il nous faut attremper nos passions, quand nous sentons qu'il y a par trop de fascherie et de chagrin en nous, et que nous sommes solicitez de nous despiter pour estre rebelles. Il faut, di-ie que lors nous pensions à ces choses qui sont ici couchees.

Or Iob derechef vient alleguer à Dieu, qu'il est un povre homme fragile, et qu'il est prochain de la mort, et ainsi que c'est merveilles pourquoy Dieu le persecute ainsi rudement. le sai, dit-il, que tu m'envoyeras au sepulchre, à la maison qui est deue à tous vivans. Puis que la condition des hommes est telle, que tu les as mis ici bas pour les y faire passer comme en un moment: et pourquoy est-ce que tu t'esprouves, et que tu desployes ta vertu sur eux, et contr'eux? Voila quelle est l'intention de Iob. Nous avons eu des sentences semblables ci dessus, mais ce n'est point sans cause que ceci est reiteré: car de fait voila comme Dieu veut que nous le prions, luy mettans au devant l'infirmité de nostre condition fragile, afin que par cela il soit induit à nous prendre à merci, et a, nous alleger Comme quand il est dit au Pseaume (103, 14), Que le seigneur cognoist que nous ne sommes que poudre, et que quand nous aurons passé par ce monde, il nous faut venir en pourriture, et cognoissant cela qu'il nous espargne et a pitié de nos miseres: ceste promesse-la ne doit-elle pas nous inciter à prier en ceste façon? Et puis en l'autre passage (Ps. 78, 39) il est dit que Dieu s pardonné les fautes, voyant que l'homme n'est qu'une ombre qui passe et qui s'esvanouit. Apprenons donc quand nous prions Dieu pour estre delivrez de nos miseres, que nous luy devons alleguer que ce n'est rien de nous, et combien que nous ayons vie, qu'il ne faut que tourner la main, et nous voila trespassez: que mesmes en nostre grande fleur et vigueur nous sommes accomparez a une herbe, qui est verde auiourd'huy, mais si on la fauche, la voila fletrie, et seche sans humeur ne substance. Si nous alleguons cela a Dieu, c'est pour le rendre pitoyable envers nous, afin qu'il nous delivre de nos miseres. Non pas que Dieu ait besoin d'estre ainsi admonnesté (car il cognoist nos infirmitez mieux que nous, il n'a donc que faire d'on estre adverti) mais comme nous le prions à cause de nous, aussi toutes les requestes et toutes les raisons que nous mettons en nos prieres, c'est pour nostre usage, et pour nostre profit. Quand donc l'homme allegue à Dieu, qu'il est une povre creature fragile, il se mire en soy-mesme, et s'instruit

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à humilité. Si nous ne pensons pas à nostre condition, nous serons tousiours enflez de quelque orgueil ou bien nous ne serons point disposez comme il appartient pour obtenir misericorde: mais si nostre Seigneur nous ameine iusques là, que nous soyons abbatus en nous-mesmes, alors nous serons tant mieux disposez de cercher son aide, voire avec une plus grande ardeur et devotion. Et au reste, nostre Seigneur aussi reçoit et accepte ce service, lequel il demande sur tout, c'est assavoir d'un esprit contrit et abbatu, comme il en est parlé au Pseaume cinquante et unieme (19).

Voila donc comme nous pouvons alleguer à Dieu nostre fragilité, que nous ne sommes que poudre et pourriture, que ce n'est rien de nous, et moins que rien, afin que par cela il soit induit à nous recevoir à merci. Mais notons qu'il ne faut point qu'il y ait nul chagrin meslé parmi, ne qu'il y ait aussi des complaintes où il y ait quelque picque, ou murmure: comme il est certain que Iob n'a pas esté ici moderé comme il devoit. Car comment est-ce qu'il dit, le say qu'il me faut aller au sepulchre, à la maison de tous vivans? Il n'y a nulle doute qu'il ne declare ici quelque passion excessive, de laquelle il a esté tenté, non pas qu'il en ait esté vaincu, mais si est-ce qu'il a senti en soy ceste rebellion, qu'il ne s'est point rengé comme il devoit à la volonté de Dieu: comme s'il disoit, Seigneur tu m'esprouves ici, tu me persecutes: et qui suis-le? Faut-il que tu te monstres ainsi aspre et rigoureux contre une povre creature qui n'est rien? Il nous faut donc garder de ceste impatience ici. Et en cela voyons-nous quelle est la corruption de nostre nature: car aux choses meilleures il y aura tousiours du vice meslé, si ce n'est que Dieu nous preserve miraculeusement. l'ay desia dit, que c'est une chose bonne et saincte, que les hommes estans affligez de la main de Dieu pour obtenir de luy misericorde, alleguent leurs foiblesses, et monstrent que ce n'est rien que de leur vie, qu'ils n'ont nulle vertu, que la mort les menace à chacune minute de temps. Voila, di-ie, une chose bonne et saincte, et c'est pour nous humilier, afin que nous puissions offrir le sacrifice à Dieu qui luy est tant agreable. Or toutes fois nous convertissons cela en mal, comme nous en voyons ici l'exemple. Si un homme allegue à Dieu, Et Seigneur, et qui suis-ie? tu me cognois comme un ombre qui passe et qui s'escoule, ce n'est qu'une fumee que de toute ma vertu: si un homme, di-ie, parle ainsi, et qu'il se despite et chagrigne pour trouver estrange que Dieu le persecute, il n'y a nulle doute que ce ne soit là une passion mauvaise et maudite: et toutes fois nous avons dit que ceste complainte est bonne et utile. Il est vray: mais les hommes ne se peuvent tenir de mesler tousiours quelque exces, pour

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pervertir ce qui est bon. Et ainsi il y a une telle malice en nostre nature que nous corrompons le bien, le tournans en mai. Et d'autant plus nous faut-il tousiours estre sur nos gardes, et nous tenir pour suspects, voyans que nous sommes si volages, que nous ne pouvons pas suivre de droit fil ce que Dieu nous monstre. Toutes fois si ne faut-il point pour cela nous desconforter: car moyennant que nous condamnions les excez en nous, nostre Seigneur nous acceptera. Il est vray qu'il ne nous faut point ici user de flateries, il ne nous faut point aussi faire à croire que le vice n'est point vice, condamnons-le: mais quand nous l'aurons condamné, ne doutons point que nostre Seigneur ne nous reçoive.

Cependant il nous faut revenir à l'intention de Iob. Il dit, Et bien, ie m'en vay au sepulchre. Or ie say (dit-il) que nul n'estendra là sa main: ou que Dieu ne l'y estendra point. Mais le sens naturel est, Quand ie seroye lamenté de beaucoup de gens, tant y a que nul ne pourra estendre sa main pour me secourir: quand ie seray saisi de la mort, il n'y a plus là de remede, toutes aides humaines desfaillent. Nous voyons donc que l'intention de Iob est de dire, Et Seigneur, puis que la mort nous attend, et qu'elle nous est promise, et au reste, qu'estans morts nous defaillons du tout, et nul ne nous peut secourir: pour le moins donne nous quelques trefves cependant que nous sommes icy bas. Pourquoy est-ce que tu desployes une telle rigueur et si grande contre nous? Voila en somme ce que Iob veut dire. Or i'ay desia monstré comment il nous sera licite d'user de ceste complainte: c'est assavoir, sans murmure et sans dispute. Mais cependant notons, que pour ne point attenter, en ceste extremité, de nous eslever à l'encontre de Dieu, et nous rebecquer contre les verges dont-il nous afflige, il faut que nous venions à une autre consideration: c'est, que combien que nous tendions à la mort, et ayons tousiours comme un pié au sepulchre, toutes fois nous savons que Dieu a estendu sa main pour nous en delivrer. Car pourquoy est-ce que Iesus Christ est descendu en ce monde? pourquoy mesmes est-il descendu iusques aux enfers, c'est à dire, qu'il a souffert les angoisses qui estoyent deuës à tous povres pecheurs, sinon afin de nous en delivrer? Et ainsi donc ceux qui maintenant ne peuvent concevoir bonne esperance pour se resiouir en la mort, c'est comme s'ils vouloyent nier que nostre Seigneur l'ait souffert en sa personne. Car d'autant que le Fils de Dieu s'est aneanti iusques là, qu'il a esté suiet à nostre malediction, et a senti la main de Dieu qui luy estoit contraire: ça esté afin de nous delivrer de la mort, et nous asseurer que la victoire qu'il a acquise, est pour nous. Puis qu'ainsi est donc qu'il

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a puissance sur la mort, que tousiours ceste resurrection nous vienne devant les yeux, et que nous cognoissions que Dieu a estendu sa main forte et victorieuse, pour nous delivrer de la servitude de Satan: et qu'en cela nous cognoissions que si durant ceste vie mortelle nous avons à souffrir beaucoup de maux, et que Dieu nous vueille exercer, il ne le faut point trouver estrange, ne que nous entrions en ces complaintes et queremonies qui sont icy faites. Et voire? et qu'est-ce de moy? Quand i'auray passé par ce monde, il me faut aller au sepulchre, et nul ne me pourra accourir. O nous serons secourus assez, quand nous aurons Iesus Christ pour nostre Redempteur, lequel s'est constituté plege et garant pour nous, qui a aneanti les douleurs de mort, qui a rompu les liens de Satan, qui a brisé les portes d'airain, afin de nous affranchir. Quand nous cognoissons cela donc, que nous soyons patiens au milieu des adversitez de ce monde, sachans qu'icy bas nous avons à combattre, et que là haut au ciel nous avons un repos qui nous est appresté: que ai nous guerroyons icy, cognoissons que le triomphe ne nous peut faillir au ciel. Voila donc ce que nous avons à mediter pour estre munis et armez contre les tentations dont nous voyons que Iob a esté assailli, et ausquelles il a resiste avec si grande difficulté.

Au reste, notons bien ce qu'il adiouste, c'est asaavoir, N'ai-ie point pleuré avec celui qui estoit affligé, et qui avoit les iours (ou les temps) durs et aspres? Mon ame n'a-elle point esté contristee avec le povre et l'affligé? Or donc i'avoie attendu le bien, et le mal m'est advenu: i'avoie esperé la clarté, et voici les tenebres. Par ceci Iob declare qu'il ne voit point la raison, pourquoy Dieu le traitte si rudement, d'autant qu'en sa prosperité il n'a pas esté cruel, mais a eu compassion des povres, et de ceux qui estoyent en tristesse, qu'il n'a point esté enyvré en sa ioye: mais que tousiours il a cognu qu'elles estoyent les miseres de la vie humaine, afin de pleurer avec les pleurans, afin de tenir compagnie ù ceux qui estoyent exercez de maux. Voila donc ce que Iob allegue, pour monstrer qu'il n'y a point de raison pourquoy il soit ainsi affligé. Or il est vray quand Dieu nous bat de ses verges, que c'est ordinairement pource que nous ne pouvons porter nos aises, et qu'il voit que nostre chair s'esgaye par trop, ou bien que nous sommes cruels envers nos prochains. Voila deux causes pourquoy Dieu nous afflige ordinairement. Et nous voyons aussi qu'en l'Escriture il menace ceux qui se desbordent ainsi en leurs aises, Malheur sur vous qui riez, car voua pleurerez. Et pourquoy? Car les hommes ne se peuvent tenir de se transporter, quand ils sont en repos, et que les choses leur vienent à souhait, car lors ils s'oublient, ils pensent estre

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exemptez de toua maux, et sont comme des yvrongnes. Ainsi qu'un yvrongne n'a point d'attrempance, mais hurte des cornes comme une beste sauvage: ainsi en est-il de la plus part quand Dieu les traitte doucement, assavoir qu'ils abusent de sa bonté, ils se iettent à l'abandon, et laschent la bride à leurs cupiditez. Car un homme aura-il à boire et à manger tout son saoul? voila la paillardise qui s'ensuivra et puis des dissolutions vilaines il y aura aussi les blasphemes, les outrages, et violences: il y aura puis apres les ieus et choses semblables. Bref, on ne se peut tenir en bonne sobrieté cependant qu'on est à son aise. Voila donc pourquoy Dieu affligera les hommes: c'est qu'il voit qu'il leur est utile d'estre ainsi corrigez. Au reste il y a encores un autre mal: car ceux qui ont tout ce qu'ils souhaitent, ne tiendront conte des povres affligez: ils les mesprisent, mesmes ils leur tiendront le pié sur la gorge. Nous voyons à ce propos ce qui est reproché à Sodome et à Gomorrhe, Voici il y a eu abondance de pain, et apres les delices, apres la cruauté, qu'il n'ont pas daigné secourir à ceux qui estoyent en indigence. D'autant donc que ceux qui Sont à leur aise, ne veulent point communiquer aux fascheries et aux afflictions de leurs prochains, mais se tenir comme en un paradis terrestre, et s'exempter de sentir toutes miser, s et fascheries: il faut que Dieu les rudoye à leur tour: et d'autant qu'ils n'ont point eu pitié et compassion du mal qu'ils ont veu en leurs freres, que Dieu leur face sentir à force puis apres qu'ils sont hommes: ils se sont voulu despouiller de toutes miseres humaines, Ô Dieu leur monstre par force qu'il faut qu'ils se cognoissent tels qu'ils sont.

Voila donc la doctrine que nous avons à observer, c'est qu'ordinairement Dieu afflige les hommes, pource qu'ils sont cruels du temps de leur prosperité, ou bien qu'ils s'enyvrent en leur ioye dissolue. Mais cependant notons aussi, que Dieu nous pourra bien exercer, encores que ces raisons-la n'y soyent pas, qu'il aura des iugemens secrets dont nous n'appercevrons nulle raison, ainsi qu'il en est advenu à Iob. Et voila pourquoy il se complaint: car il luy semble, puis qu'il a esté ainsi moderé, que Dieu ne le devoit point ainsi affliger: et puis qu'il estoit homme humain et paisible, et qu'il estoit triste et dolent avec les povres affligez, il luy semble que Dieu le devoit espargner. Mais quoy ? Par cela voyons-nous que nous avons a retenir deux choses. L'une c'est, que ai nostre Seigneur nous fait prosperer, et que nous ayons paix et repos, et tout ce qu'il nous faut, et que pour un temps nous soyons exemptez de fascherie: que nous ne soyons point trop delicats, que nous ne facions point des mignards pour nous retirer, afin de n'avoir point pitié et compassion de ceux

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qui endurent, mais que nous soyons touchez des maux de nos prochains pour gemir avec eux, et pour les secourir entant qu'en nous sera: et quand nous ne les pourrons point aider par autre moyen, que pour le moins nous prions Dieu pour eux. Voila donc la premiere doctrine que nous avons à noter.

Et cependant ne nous endormons point quand nous serons en delices, que nous cognoissions tousiours qu'icy il n'y a rien de certain, et que nous sommes prests à endurer quand il plaira à Dieu. Nous avons, di-ie, à retenir en premier lieu qu'il ne nous faut point mescognoistre, quand nostre Seigneur nous espargnera. Car qui est cause que le bien ne nous dure gueres? C'est pource que nous en abusons, ainsi que i'ay desia dit. Et au reste, si Dieu nous envoye des afflictions, pensons bien à nous, et examinons si du temps de nostre prosperité nous n'avons point esté comme endormis. Car par cela nous sommes admonnestez de cognoistre nos fautes, et de nous condamner devant Dieu: Seigneur, c'est à bon droit que tu nous affliges. Et pourquoy ? Car du temps que nous avons prosperé par ta grace, nous t'avons mis en oubli, nous avons eu comme la bride avallee, et avons prins trop de licence. C'est bien raison donc que tu nous punisses, et que nous sentions les fruicts de nos pechez et desbordemens. Voila comme il faut que nous reduisions en memoire les fautes que nous aurons commises, quand Dieu nous visitera par quelque affliction: et sur tout que nous advisions bien si nous n'avons point este cruels envers ceux qui meritoyent d'estre secourus de nous. Car si nous n'en avons tenu conte, c'est bien raison que nostre Seigneur nous rudoye à nostre tour, et que nous apprenions de recognoistre nos fautes, quand nostre Seigneur nous sera aspre et rigoureux. Voila pour un Item. Mais (pour passer outre) encores que nous ayons tasché de subvenir à nos prochains, et eu compassion de leurs maux, et pleuré avec les pleurans, comme S. Paul nous exhorte de le faire (Rom. 12, 15): toutes fois ne laissons pas de nous disposer tousiours à souffrir des chastimens qu'il plaira à Dieu de nous envoyer, encores, di-ie, que nous ne cognoissions point la raison pourquoy. Si nous avons esté vigilans en temps de prosperité, et que nous n'ayons point abusé de nos aises, toutes fois Dieu ne laissera point quelquesfois de nous traitter rudement. Si nous demandons pourquoy il le fait, la raison ne nous sera point apparente du premier coup: mais il le fait pour nous humilier, et ainsi recognoissons-le tousiours iuste. Et voila pourquoy i'ay dit, qu'il nous faut retenir ces deux raisons distinctement: c'est qu'en premier lieu nous retenions les menaces qui sont en l'Escriture saincte contre ceux

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qui sont cruels contre leurs prochains, et qui s'abbrutissent en leur prosperite.

Et puis cependant cognoissons, encores que les hommes soyent modestes, et sobres, et humains, que Dieu ne laisse point toutes fois de les affliger d'une façon extraordinaire, comme il en est advenu à Iob. Ainsi donc que faut-il? Au lieu de ce qu'il dit ici, l'ai attendu la clarté, et voici les tenebres: i'ai esperé le bien, et voici le mal: que nous attendions le bien comme Dieu nous le promet: car comme sainct Paul dit (1. Tim. 4, 8), La crainte de Dieu a promesses, non point seulement de la vie eternelle, mais de la vie presente et caduque. Ainsi donc attendons tousiours du bien de la main de Dieu: mais que nous ne l'attendions pas en sorte que nous ne soyons prests de recevoir le mal quand il luy plaira de nous l'envoyer: car quand Dieu nous promet de nous traitter doucement, et d'user envers nous d'une douceur paternelle, ce n'est point sinon à condition, Tant que cela est propre pour nostre salut. Et pourquoy? Les benedictions temporelles sont telles, qu'il faut que nostre Seigneur nous en eslargisse et distribue par mesure. Et la raison? C'est celle que i'ay desia allegue 7: qu'il ne se peut faire, . ou c'est une chose plus que difficile, que les hommes n'abusent des biens de Dieu, et les corrompent, ou distribuent tout au rebours de son intention. Ainsi donc nous pouvons bien esperer que si Dieu nous a fait du bien, il continuera, et mesmes qu'il ira tousiours en augmentant: mais il ne faut point aussi que nostre attente soit telle, que cependant nous ne soyons tout disposez à recevoir le mal quand il luy plaira nous l'envoyer. Pourquoy? il ne faut point que nous facions nostre conte que nous ayons un estat permanent en nostre vie pour ne iamais changer. Cognoissons que comme nostre vie est fragile, il faut aussi que nous soyons subiets à beaucoup de changemens, et que si auiourd'huy nous avons du bien, demain Dieu nous en pourra destituer: et si nous ne voyons point la raison pourquoy: il l'a fait, contentons-nous de cela. Voila donc comme les fideles doivent attendre les biens temporels de ce monde: c'est que s'ils en iouissent, ils soyent resolus que Dieu continuera à les traitter, comme il a fait iusques ici: mais en attendant le bien, il faut qu'ils se preparent à recevoir le mal, tellement qu'ils ne soyent point surprins, que ce ne leur soit point une chose estrange si Dieu les prive de ses benedictions, quand pour un temps il les aura tant doucement traittez que rien plus: il ne faut pas, di-ie, qu'ils soyent nouveaux, si Dieu tourne sa main tout au rebours, et qu'il les afflige. Voila donc comment c'est que nous devons attendre le bien: c'est pour tousiours estre disposez a souffrir le mal, et à le souffrir en patience, afin que nous

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ne soyons point comme transportez quand le mal nous sera advenu.

Et au reste, notons bien pour conclusion ce qui est ici dit de Iob. Il se plaint qu'il a esté compagnon des dragons, frere des austruches, c'est à dire, comme une homme sauvage: qu'il n'estoit plus du nombre ne du reng des hommes, mais que Dieu l'avoit delaissé iusques là, qu'il estoit comme une beste sauvage. Et qui est-ce qui parle? On homme qui a vescu en telle saincteté et perfection, qu'on le pouvoit plustost accomparer à un Ange qu'à une creature mortelle: et cependant nous voyons comme il a esté traitté. Par cela nous sommes admonestez de nous constituer en tout et par tout en la main de Dieu: et s'il nous afflige si rudement, qu'il semble qu'il nous veuille abysmer du tout, que nous ne laissions pas pourtant d'esperer encores en luy, et que nous pratiquions ce que nous avons veu ci devant, encores qu'il nous eust occis, que nous attendions tousiours sa misericorde, et que nous bataillions contre les combats de la mort, et nous fondans sur ses promesses, tenions bon et soyons constans au milieu de tous nos maux. Voila ce que nous avons à noter. Et au reste, si nostre Seigneur nous afflige pour nos pechez, encores devons-nous avoir moins d'angoisse pour telles afflictions, mais les prendre tant plus doucement, et d'une conscience paisible: veu que nous avons besoin d'estre ainsi maniez asprement, attendu que nos maladies sont si enracinees en nous. Cependant d'autant que nous ne pouvons nous resiouir sinon en despitant Dieu, nous avons ceste menace

qui est ici adioustee, Qu'il changera nostre harpe en dueil, et nos orgues en voix de lamentation. Nous voyons auiourd'huy comme le monde abuse des graces de Dieu. Car quand chacun se regardera en son particulier, nous verrons que si nostre Seigneur nous laisse à repos, nous voila incontinent hors des gonds, comme on dit: et puis si nous venons à l'estat commun, helas nous verrons que le monde est auiourd'huy tant desbordé que rien plus: bref, il semble qu'on ait conspiré à despiter Dieu, et d'autant plus qu'il se monstre benin et humain envers nous, il semble que nous prenions tant plus d'audace à l'irriter. Puis qu'ainsi est, craignons qu'il ne change et nos harpes, et nos orgues en lamentation, et en pleur, et en dueil: car nous en sommes bien dignes. Ainsi donc ce sera bien raison qu'il nous mette en tristesse et en angoisse puis que nous avons si vilainement abusé des graces qu'il nous faisoit. Toutes fois quand il plaira à Dieu de nous faire sentir sa main par afflictions, soit que nous cognoissions la raison, ou quelle nous soit incognuë: que nous ne laissions pas pourtant de recourir à luy, esperans qu'il nous recevra à merci, voire quand nous aurons condamné nos fautes, et que nous les condamnerons en telle sorte, que nous serons certains et asseurez qu'il continuera sa bonté envers nous, et nous fera tousiours sentir sa grace, iusques à ce qu'il nous en remplisse en toute perfection.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE CENT ET ONZIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XXXI. CHAPITRE

1. l'ay fait paction avec mes yeux: et qu'ay-ie regardé en la vierge? 2. Et quelle est la portion de Dieu d'enhaut, et l'heritage du Tout-puissant des cieux? 3. N'y a-il point retranchement pour l'inique, et confusion pour ceux qui complottent (et machinent) iniquité? 4. Luy ne voit-il point mes voyes, ne conte-il point tous mes pas?

Nous avons veu desia par cy devant comme Iob protestoit de n'estre pas tel que ses amis luy vouloyent faire à croire: car ils avoyent ceste opinion qu'il estoit reprouvé de Dieu. Il a donc declaré qu'il avoit vescu sainctement, et en integrité.

Il retourne encores à ce propos, et non sans cause: car ce luy estoit une griefve tentation, qu'on pensast que ce fust un hypocrite, combien qu'il eust cheminé en droiture de coeur, et en simplicité devant Dieu. Et au reste, il n'a point aussi esgard à sa reputation, ni à ce qu'on pensera de luy: car Dieu le cognoist. Il est vray qu'il ne devoit point trouver estrange qu'il fust affligé de la main de Dieu, encores qu'il eust cheminé comme nous voyons ici: mais tant y a qu'il estoit bon qu'il cognust la fin et la cause pourquoy Dieu l'avoit ainsi visité. Or nous verrons cela plus à plein en la conclusion du chapitre. Maintenant

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regardons à ce qui est ici contenu: c'est que Iob veut declarer qu'il a servi È Dieu fidelement, et maintenant ce qu'il endure des maux si griefs et si excessifs, que ce n'est point pour les offences qu'il avoit commises: mais qu'il y a quelque autre raison cachee que Dieu cognoist, et que les hommes ne peuvent point appercevoir ne iuger. En premier lieu il donne tesmoignage de son integrité, quand il dit, Qu'il a fait paction avec ses yeux, pour n'avoir point un regard impudique sur fille vivante. Or c'est un signe de grande perfection, et comme Angelique en un homme, s'il peut protester qu'il n'ait iamais esté solicité à mal: car il se pourra bien faire qu'un homme ait quelque tentation soudaine et volage, et cependant il n'y consentira pas, mesmes qu'il reiette tout cela, et qu'il le hait. Et de faict, ce seroit une grande vertu quand un homme pourra avoir tous ses sens tellement entiers, et exemptez de toute corruption, qu'il ne puisse iamais estre deceu. Mais Iob passe icy plus outre. Et pour mieux comprendre cecy, notons qu'il y a trois degrez de vices iusques à ce que le peché soit formé, ie di mesmes combien qu'il n'y ait point peché actuel. Sainct Iaques use de la similitude d'un enfant, quand il parle du peché: car il dit (1, 14. 15) que la concupiscence conçoit, et puis apres elle enfante peché, et le peché s. paracheve quand on vient iusques à l'acte, quand la chose s'execute. Or ie di, encores qu'il n'y ait point acte exterieur, qu'il y a trois degrez en n vice. Le premier est une imagination volage qu'un homme conçoit quand il regarde quelque chose: il luy viendra en phantasie cecy ou cela: ou bien encores qu'il ne voye rien, si est-ce que son esprit est tant agile au mal, qu'il sera transporté çà et là, et luy viendra beaucoup de phantasies au cerveau. Or il est certain que cela est vicieux. Mais il ne nous est point imputé à peché. Il y a le second degré maintenant, c'est qu'apres avoir conceu une phantasie, nous sommes aucunement chatouillez, et sentons que nostre volonté tire là: et encores qu'il n'y ait point de consentement ne d'accord, tant y a qu'il y a là dedans quelque pointure pour nous soliciter. Or voila un peché mauvais, et qui est comme conceu. Il y a puis apres le consentement, quand nous avons une volonté arrestee, et qu'il ne tiendroit pas à nous que le mal ne se fist si l'occasion s'y adonnoit. Alors voila le troisieme degré, et alors le peché est formé en nous, combien que l'acte ne soit point au dehors. Et cecy est bien digne d'estre noté: car combien que la chose nous pourroit sembler estre difficile, neantmoins il n'y a celuy ne homme ne femme qui ne cognoisse ce que ie vien de dire, et qui n'en ait l'experience en soy tous les iours. Exemple, il nous viendra en phantasie quand nous serons affligez, Dieu

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pense-il de nous Il n'y a celuy qui se puisse tenir qu'il ne conçoyve telles imaginations: car nostre nature est tant corrompue et encline à mal, qu'il est impossible que nous n'ayons de telles apprehensions. Or c'est desia bien un vice quand cela nous viendra au devant, encores que nous le repoussions, encores que nous pensions, Comment? le deteste cela, c'est un blaspheme de penser que Dieu n'ait point pitié de ceux qui l'invoquent, qu'il ne vueille point secourir ceux qui le cerchent: c'est autant comme si nous voulions nier qu'il ne gouvernast plus le monde. Quand donc telles choses nous vienent au cerveau, voila un vice, et nous faut conclure, Helas Seigneur, que nous sommes povres creatures et pleines de vanité, quand nous pouvons concevoir telles choses qui sont monstrueuses. Il y a le second, c'est que quand le mal nous pressera, et la douleur s'augmentera d'avantage, nous venons à ces murmures, Helas et si Dieu pensoit de moy seroy-ie ainsi languissant? N'auroit il point souci de m'aider? Il ne le fait pas, il dissimule: il semble donc que ie soye abandonné de luy. Quand nous disputons ainsi en nous-mesmes, et concevons ceste apprehension-la, si Dieu se soucie de nous ou non: alors il faut que nous cognoissions quel il s'est declaré envers nous, et que nous recevions ses promesses, et soyons fondez sur celles, pour dire, Non, quoy qu'il en soit, si est-ce que ie me fieray en mon Dieu, et auray mon refuge à luy. Mais combien que nous ayons finalement ceste asseurance et fermeté-la: tontes fois si devant que venir là nous sommes en branle et perplexité, voila un vice qui est plus grand que le premier, et desia nous sommes coulpables devant Dieu et de doute et d'incredulité, d'autant que nous avons peu recevoir une telle tentation et si mauvaise. Or il y a puis apres le troisieme degré, quand nous sommes abbatus du tout, et que nous ne savons que dire, sinon, O voila, le mal a surmonté, et Dieu a trop differé pour me tendre la main, ie me voy icy comme desesperé. Quand nous sommes tellement accablez, que nous ne pouvons plus invoquer Dieu, et ne prenons point goust à ses promesses pour nous appuyer dessus, et nous y resiouir, voila le troisieme degré du mal: comme si apres qu'un enfant sera formé, il ne restast plus que l'enfanter, ainsi il ne faut plus icy sinon que l'acte exterieur viene.

Or venons maintenant an propos de Iob. l'ay fait, dit-il, alliance ou paction avec mes yeux. Nous avons dit que c'est cy un signe d'une grande perfection. Et pourquoy? Car si un homme peut retenir sa veuë, qu'il ne conçoive rien en regardant çà et là qui l'attire à mal, et qu'il monstre qu'il a une vraye chasteté et honnestesté en soy, il faut

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dire qu'il est pur de toutes corruptions quasi comme un Ange. Or Iob ne proteste pas ceci en vain. Cognoissons donc qu'il a conversé en ce monde comme un Ange de Dieu. Vray est que de nature il n'estoit pas tel: et aussi quand il dit, qu'il a fait paction, c'est apres avoir profité en la crainte de Dieu, en telle sorte qu'il avoit mis sous le pié ses cupiditez mauvaises, et gagne ceste victoire sur son coeur, qu'il s'est peu tenir bridé et enserre, pour dire, le ne convoiteray nul mal pour l'appeter et souhaiter, ie n'auray nulle veine en moy qui tende à offenser Dieu, mais ie seray ici retenu et en mes yeux, et en ma bouche, et en mes aureilles. Voila donc comme Iob avoit fait ceste paction. Ce n'est pas qu'il eust une telle integrité en sa nature, il estoit homme suiect à passions comme nous, et ne faut douter qu'il n'ait eu beaucoup de tentations en sa vie: mais il a cheminé en telle sorte qu'il estoit accoustumé en la crainte de Dieu iusques là, de ne concevoir point de mauvais appetis. Il avoit donc une habitude, comme on l'appelle, c'est à dire, il estoit tellement, duit à cela qu'il n'estoit plus vagabond pour se ietter d'un costé et d'autre, et se soliciter à telle chose ou à telle. En somme nous voyons ici que Iob a voulu declarer que non seulement il taschoit de servir à Dieu, mais qu'il s'y estoit tellement efforcé qu'il avoit donté et captivé toutes les passions de sa chair, en sorte qu'il ne luy coustoit plus rien de servir à Dieu: pource qu'il n'avoit point ces combats que nous avons en nous à cause de nostre fragilité, et mesmes de la corruption qui est en nostre nature. Or notons que ceci n'estoit pas de sa vertu propre, il n'a peu acquerir une telle perfection de soy: mais il falloit que Dieu eust tellement reformé par son sainct Esprit, qu'il fust comme separé du reng commun des hommes: car ce n'est point sans cause que David fait ceste requeste à Dieu, Seigneur destourne mes yeux, afin qu'ils ne regardent point à vanité (Ps. 119, 37). Si Iob eust eu de son industrie ce qu'il proteste, il n'y a nulle doute que David pouvoit aussi bien acquerir une telle constance, qu'il n'eust conceu nulle vanité, et que ses yeux n'eussent point este seduits ne distraits en façon que ce soit. Or est-il ainsi que David confesse qu'il ne peut avoir cela ne l'obtenir que par la pure grace de Dieu: il s'ensuit donc que Iob n'a peu faire une telle paction par son franc-arbitre, pour dire que la raison dominast tellement en luy qu'il fust victorieux sur toutes ses passions: mais icy il entend attribuer à Dieu la louange d'un tel bien. Ce n'est pas donc se vanter et magnifier, comme s'il avoit acquis un tel bien: mais il recognoist que Dieu l'avoit si bien gouverné, qu'il n'estoit plus solicité à mal en sa veuë.

Au reste quand Iob parle ainsi, notons qu'a

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l'opposite il entend, que si un homme regarde une femme ou une fille, et qu'il soit solicité à mal, c'est desia peché devant Dieu. Ouy, combien que l'acte exterieur n'y soit pas, combien mesmes que l'homme ne s'efforce point de corrompre une fille, ne de la seduire, combien qu'encores il n'y ait point la volonté conclue en say pour dire, Ie voudroye. Combien donc qu'un homme n'ait pas ce vouloirla, mais qu'il resiste à ceste tentation dont il est solicité, si est-ce qu'il ne laisse point d'offencer Dieu. Et c'est un poinct bien digne d'estre noté que cestuy-cy. Et de fait nous oyons la sentence que nostre Seigneur Iesus nous en donne, Qu'il ne faut pas que nous pensions estre quittes ny absous devant Dieu, nous estans abstenus de paillarder quant au corps: mais qui aura regardé seulement une femme, celuy-la est iugé paillard devant Dieu, voire si le regard est impudique. Et qui plus est (comme i'ay desia dit) quand la volonté n'y sera point arrestee, si est-ce que desia il nous faut confesser la faute devant Dieu pour nous humilier. Les Papistes disent bien que si un homme consent au mal, c'est à dire, qu'il appette tellement le mal qu'il soit tout resolu de mal-faire si l'occasion y estoit, Ô ils confessent que c'est un peché qui est a condamner: mais si un homme a quelque mauvais appetit, moyennant qu'il ne s'y accorde point du tout, les Papistes disent que ce n'est pas peché: voila un blaspheme execrable. Il est dit, Tu aimeras ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton ame, de tout ton entendement, de toute ta force. Qu'est-ce à dire. entendement et force? Dieu n'a point limité l'amour que nous luy devons seulement en nos coeurs et en nos affections: mais il dit, qu'il faut que nos esprits et nos sens s'appliquent aussi bien là, et toutes nos forces, c'est à dire toutes les facultez et vertus qui sont en nostre nature. Or maintenant si un homme conçoit quelque mal, combien qu'il ne s'y accorde pas du tout, et que son affection ne soit point là pleinement adonnee (ie vous prie) aimera-il Dieu de tout son entendement? Nenni. Celuy qui aura la moindre partie de soy tendant à corruption, encores qu'au reste il s'efforce d'accomplir la Loy, aimera-il Dieu comme il doit? Il est certain que non. Car le peché n'est autre chose sinon la transgression de la Loy de Dieu.

Concluons donc que toutes les meschantes phantasies que nous avons quand nous sommes solicitez à mal, sont autant de pechez, et que nous en serions redevables à Dieu, n'estoit qu'il nous supportast par sa bonté infinie: mais il pardonne aux siens: tant y a qu'il leur faut recognoistre cela pour un peché: et quiconques se flatte, celuy-la ne fait que provoquer l'ire de Dieu, et couvre le mal à sa condannation. Car il faudra en fin

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que l'hypocrisie soit descouverte, et revelee pour estre punie avec tout le reste. Ceux donc qui imaginent qu'ils ne faillent point, et n'offencent pas Dieu quand ils sont sollicitez à mal, ils ne gaignent rien: ce n'est point pour amender leur marché, car il faudra que ceste hypocrisie-la soit punie griefvement. Ainsi donc retenons (comme i'ay desia dit) que combien qu'on n'accorde point au mal, mais que nous soyons seulement comme chatouillez, qu'il y ait quelque desir, et que nous y resistions: c'est desia une faute et une infirmité en nous: quand nous ne ferons que concevoir quelque mauvais appetit, c'est desia un signe de la corruption de nostre nature. Et de fait si le mal n'habitoit en Nous, et que nous ne fussions desia destournez de la droiture et integrité que Dieu avoit mise au premier homme: il est certain que nous aurions nostre veuë pure et chaste beaucoup plus qu'elle n'est: et tous nos sens, comme l'ouye, le parler, les attouchemens, tout cela seroit comme pur et net, il n'y auroit nulle infection. Et qu'ainsi soit pesons bien ce qui est dit par Moyse, que quand Satan est venu pour seduire Eve, et par consequent son mari, apres qu'ils luy ont preste l'aureille, et ont este corrompus de ceste ambition d'estre semblables à Dieu: il est dit, qu'ils ont regardé l'arbre de science de bien et de mal, et ont veu qu'il estoit desirable pour acquerir science. Comment, ils l'ont regardé? Et auparavant Adam et Eve ne l'avoyent-ils pas desia veu? Car Dieu leur avoit dit, Ne mangez point du fruict que ie vous ay defendu: car en l'heure que vous en mangerez ie vous declare que vous estes separez de moy estans condamnez à mort. Ainsi voila Adam et Eve qui ont contemple cest arbre auparavant. Et pourquoy donc est-ce que Moyse leur impute maintenant cela à peché? Pource qu'ils l'ont cognu desirable, c'est à dire qu'ils ont eu un appetit malin et pervers, quand ils ont pensé, qu'il estoit bon d'en manger. Et d'où vient cela? C'est Leur coeur qui estoit corrompu, et qui a gaste l'oeil quant et quant: comme aussi quand un homme aura la veuë gastee à force de boire par son intemperance, il faut que le mal soit au dedans, et qu'il y ait là quelque brulure, devant que les yeux soyent perdus: ou bien qu'il y ait quelque accident: comme quand un homme deviendra aveugle, il y aura auparavant quelque caterre, ou quelque autre telle chose qui luy ostera la veuë par suceesaion de temps. Ainsi en est-il de tous Les meschans regards qui sont à condamner: car s'il n'y avoit quelque mauvais appetit dont le coeur est desia infecté et corrompu, l'oeil (comme i'ay dit) seroit pur et net de soy, tellement que nous pourrions contempler les creatures de Dieu sans estre solicitez à quelque chose mauvaise. Or

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est-il ainsi que nous ne saurions pas maintenant ouvrir les yeux, que ce ne soit pour concevoir quelque mauvais appetit: nous ne saurions dire, Cela est beau, cela est bon, qu'incontinent nous n'offensions nostre Dieu: ne voila pas une grande perversité ? Ainsi donc cognoissons que c'est le peché qui regne en nous: comme defait il a occupé sa possession depuis qu'Adam a transgressé, en sorte que nostre nature est tellement corrompue, que nous ne saurions regarder une chose que nous puissions nommer belle et bonne que nous n'offensions Dieu, au lieu que Nous devrions estre solicitez à l'aimer, et lui rendre louange de sa bonté, de ce qu'il nous fait ici tant de biens. Au lieu donc de glorifier Dieu, et d'estre incitez à l'aimer et le servir, nous ne saurions dire, cela est beau, cela est bon, que nous ne soyons chatouillez, voire poussez ou à avarice, ou à paillardise, ou à autres voluptez. Bref, tout ce qui est beau sous le ciel, et ce qui est bon, cela nous destourne de nostre Dieu, là où il nous devroit conduire à lui. Dieu n'est-il point la source de toute beauté et bonté? Or il est vrai que cest appetit mauvais ne domine pas et ne doit aussi dominer aux enfans de Dieu: mais ie parle de ce qui est le naturel de l'homme, iusques à ce que Dieu y ait besongné. Il est vrai que Les fideles ne seront pas tellement pervertis, et n'auront pas leur sens tant depravez, de tousiours tirer à mal: mais tant y a qu'ils auront tousiours quelque relique de ceste infection qui est du ventre de la mere, c'est qu'ils auront des pointes au dedans pour estre induits à mal, voire combien qu'ils le hayssent, et le repoussent du premier coup. Et de fait (comme i'ay dit) qui est celui qui ne conçoive ceste phantasie que Dieu n'a point de soin de lui, si tost que nous endurons quelque mal? Et voila un blaspheme, voire execrable, si nous y accordions, et que nostre phantasie s'arrestast là quelque pou, encores qu'il n'y eust point une volonté conclue.

Ainsi donc nous Voyons maintenant que si l'homme est solicité à mal, encores qu'il n'y consente point, ainsi repousse ceste tentation, et bataille à l'encontre, si ne laisse-il pas toutes fois d'offenser Dieu. Et pourquoy? Car c'est une transgression de la Loi, comme nous avons monstré. Item, il faut que cela procede d'une mauvaise source: car l'oeil de soi ne sera pas corrompu, ce n'est point là, où le peché commence à se produire. Où donc? En l'Esprit de l'homme, et on son ame: car defait il faut que l'affection mauvaise soit cachee au dedans, devant que l'oeil tende ainsi à mal, et y soit solicité. Et voila pourquoi i'ay dit, que Iob on protestant qu'il s'est abstenu de tout mauvais regard et impudique nous monstre, que ceux qui en sont entachez ne se peuvent pas excuser devant Dieu,

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qu'il n'y ait des fautes en eux. Là dessus apprenons d'estre bien sur nos gardes, et ne nous point flatter, comme i'ay desia touché. le di estre sur nos gardes: car quelle difficulté y a-il, ie vous prie, de retenir tellement nos yeux qu'ils ne soyent point tentez d'aucune mauvaise concupiscence, ni appetit desordonné quand nous voyons les biens de ce monde, que nous ne soyons point touchez d'avarice? quand nous voyons les aises, delices, et voluptez qui sont par ci par la, que nous ne soyons induits à appeter ce que Dieu ne nous donne point? quand nous regardons de costé et d'autre, qu'il n'y ait ne paillardise, n'ambition, ni avarice, m rien qui soit qui nous picque? Il est impossible, ou bien cela n'est pas sans une grande difficulté, et surmonte toutes nos forces: tellement qu'il est quasi impossible que nous ouvrions les yeux sans concevoir quelque offence contre Dieu. Puis qu'ainsi est, apprenons de faire bon guet: car nous ne pouvons pas nous efforcer en sorte qu'il n'y ait encores à redire, et qu'il ne nous faille avoir nostre refuge à la remission de nos pechez. Concluons donc qu'il nous faut combatre vaillamment, veu que nous sommes tellement corrompus, que nous ne pouvons pas user de nos sons en façon que ce soit, ni les appliquer à rien, qu'il n'y ait quelque relique de nostre corruption mauvais et desplaisant à Dieu. Voila donc ce que nous doit soliciter à diligence.

Et puis en second lieu apprenons aussi de nous humilier, veu que le diable tasche de nous endormir par hypocrisie, afin que nous ne cognoissions point nos fautes, et que cela ne face qu'empirer le mal. Que nous entrions donc on nous, et qu'apres avoir fait examen de nos imperfections, nous gemissions devant Dieu: Helas! Seigneur, tu m'as fait la grace que ie desire m'avancer à ton service, i'y mets peine, ie m'y efforce, ie resiste à toutes mes passions, ie combats contre moi-mesme: mais encores ie ne suis point iuste devant toi: Seigneur, qu'il y a beaucoup à redire! Voila comme les fideles apres avoir beaucoup travaillé, et s'estre esvertuez par dessus toutes leurs forces, doivent tousiours retenir ceste affection afin qu'ils se condamnent quand il y aura ainsi du vice meslé parmi le bien que Dieu leur donnera de faire, et apprenent de passer condamnation devant lui, et s'humilier, afin d'obtenir grace. Ce sont donc les poincts que nous avons à noter de ce passage. Or quoi qu'il en soit, combien que nous ayons des phantasies qui entrent en nostre cerveau et soir et matin, et que par cela nous appercevions qu'il y a une merveilleuse corruption en nostre nature: si ne faut-il point perdre courage, mais marchons tousiours plus outre, prions ce bon Dieu que s'il a commence à nous pousser, qu'il continue, et qu'il

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augmente la vertu de son sainct Esprit. Que si nous le requerons, et que nous sentions que nous avons desia un pié par dessus nos meschantes affections: mettons y tous les deux, et qu'elles soyent tellement foulees, que iamais ne puissent, estre relevees. Et quand le diable nous vient picquer pour nous soliciter à mal, qu'il ne viene point à bout de nous, mais que nous ayons tousieurs nos sens par dessus: bref, que l'Esprit de Dieu domine tellement en nos coeurs qu'encores qu'il y ait des affections meschantes, elles soyent là tenues comme bridees, voire enchainees, et qu'elles ne s'eslevent point, que ce ne soit point pour nous agiter ne çà ne là, mais que nous demeurions tousiours fermes, et soyons resolus pour dire, Il faut que nostre Dieu nous gouverne, et que nous suivions sa saincte volonté.

Voila donc comme au milieu de nos phantasies mauvaises il nous faut prendre courage de cheminer tousiours en bien, sachans que ce bon Dieu nous supportera: non pas qu'il ne nous faille confesser que ce ne soyent autant de pechez, mais il nous sont pardonnez. Et c'est quant à ceci le poinct en quoi nous differons d'avec les Papistes. Les Papistes disent que les mauvaises concupiscences ne sont point pechez, moyennant qu'on y resiste: voila un blaspheme execrable. Que si cela estoit, il faudroit que Dieu renonçast à soi-mesme pour renverser toute sa Loi. Et ce n'est pas une opinion volage, qu'auront seulement les simples gens et les ignorans: mais c'est une determination que prennent ces grans docteurs en leurs escoles, ou plustost sinagogues diaboliques. Au contraire, nous disons que ce sont autant de pechez: mais ils ne nous sont point imputez de Dieu, d'autant qu'il les efface par sa bonté et misericorde gratuite, par nostre Seigneur Iesus Christ, auquel nous croyons: et ayans une telle consolation nous devons nous esvertuer tant plus, comme i'ai desia dit.

Au reste, Iob monstre bien qu'il a cognu que c'est offense, et qu'il eust esté coulpable s'il eust eu un regard impudique: car il adiuste, Quelle est la portion du Dieu d'enhaut? Quel est l'heritage du Tout-puissant des cieux? Or ici Iob monstre qu'il ne parle point pour se faire valoir devant les hommes, et pour acquerir une reputation de vertu et saincteté (comme font ceux qui ne demandent que d'estre prisez ici bas) mais qu'il a les yeux fichez en Dieu, et qu'il parle ici comme en sa presence, et le demande pour tesmoin et Iuge. Et c'est là aussi où il nous faut venir: car (comme il a esté traitté par ci devant) cependant que nous voulons approuver nostre vie aux hommes, nous serons pleins de mensonges, subterfuges, et cautelles: tellement que cela sera cause de nous faire desguiser le blanc, et de le convertir en noir, et de vice en

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faire vertu, et l'opposite. Voila comme nous en serons, quand nous tascherons à estre approuvez des hommes. Et ainsi quiconques desirera de cheminer en droiture, et d'avoir ceste integrité dont parle ici Iob, Ô il est certain qu'il faut qu'il se recueille, et qu'il ne soit plus escarté ici bas pour dire, Qui est-ce qui mesdira de moi? Non: il faut que cela soit retranché, et qu'il s'adiourne devant Dieu pour dire, Or çà, comment en suis-ie? C'est à Dieu à qui i'ai affaire: quand i'auroye contenté tous les hommes de la terre, ie n'aurai rien gaigné: il faut que nous ayons tous la bouche close: car Dieu ne se contente point de belles mines, de beaux desguisemens, d'apparences, ne choses semblables: il regarde au coeur, il sonde les pensees, et descouvre tout ce qui est caché en tenebres. Puis qu'ainsi est, que nous soyons là retenus pour cheminer en integrité et droiture. Mais au contraire, nous sommes distraits çà et là, nous sommes suiets à inventer des subterfuges, et de belles parades pour nous farder: et quand nous ne pouvons mieux faire, c'est à nous couvrir de fueilles comme nostre pere Adam. Pour ceste cause notons bien ceste leçon qui est icy monstree à tous fideles, c'est assavoir, que quand nous voudrons cheminer comme il appartient, il ne faut point que nous soyons comme devant les hommes, ne que nos yeux s'arrestent à eux: mais que nous contemplions le Iuge celeste, et que nous sachions que c'est à luy que nous avons à respondre, et à rendre conte. Voila pour un Item. Au reste (comme desia nous avons touché) Iob cognoist icy que Dieu n'endurera point des regards impudiques sans les punir. Et pourquoy, Car ce sont autant d'offenses.

Et puis il adiouste, Que l'Inique sera retranché. En quoy il monstre que celuy qui aura ses yeux adonnez à vanité, encores qu'il n'y consente point du tout, si est-ce qu'il est condamné pecheur et meschant devant Dieu. Retenons ce qui a este dit du temps de Iob: car combien que nous ne sachions pas s'il a vescu devant la Loy ou non, si est-ce qu'il a esté devant les Prophetes, comme nous avons declaré qu'il en est fait mention comme d'un homme ancien. Et ainsi donc voila Iob qui a este du temps que Dieu n'avoit point encores donné une doctrine fort ample, ni une telle clarté comme elle est venue depuis: car les Prophetes ont beaucoup esclarci ce qui estoit obscur en la Loi: Iob a vescu devant: ainsi il y avoit seulement comme quelque petite estincelle, si nous regardons à la doctrine qui a este depuis: tant y a neantmoins qu'il a bien cognu qu'il ne pouvoit pas estre solicité d'un mauvais appetit, qu'il ne fust coulpable devant Dieu. Et que sera-ce maintenant de nous, qui avons le Soleil de iustice qui nous

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esclaire comme en plein midi? Voila Iesus Christ avec son Evangile qui nous a apporté une clarté si grande, que nous n'avons nulle excuse. Si nous disons, le n'enten point cela, c'est une chose trop haute et trop profonde: et comment N'avons nous point une doctrine assez ample, quand la volonté de Dieu nous a este manifestee iusques au bout Comment donc serons nous à excuser, si nous ne cognoissons ce que Iob a cognu, Et en cela voit-on quelle est la vengeance de Dieu, c'est assavoir horrible en la Papauté, quand ces bestes là ont osé nier que l'homme pechast quand il sera ainsi tenté à mal, et qu'il aura des pointes en lui et des affections mauvaises qu'il conçoit, moyennant qu'il ne s'y accorde point du tout. Et Iob qui n'avoit nulle doctrine au prix (comme desia nous avons declaré) neantmoins a bien cognu cela. Et ainsi regardons à nous de pres, puis que Dieu nous a fait ceste grace et privilege que sa verité nous est beaucoup plus cognuë qu'elle n'estoit pour ce temps-là: que nous soyons vigilans, et si tost que nous ouvrirons les yeux, que nous sentirons en nous quelque vanité, quelque affection mauvaise que nous sac ions, O il y a du mal qui est caché là dedans, nous avons offensé nostre Dieu, et voila desia nos yeux qui en sont entachez, quand le mal apparoist par dehors, quand il y a des estincelles, et cela se fait-il sans feu? Il faut donc que nous apprenions de nous condamner: comme de fait si ce n'estoit la misericorde de Dieu, nous serions abysmez pou cela: car c'est la portion de nostre heritage qui nous est apprestee de là haut. Il est vrai que les hommes nous pourront iustifier: mais si faudra-il comparoistre devant Dieu, qui en iugera tout autrement.

Et Iob dit notamment, De là haut, du ciel. Ce mot ici est reiteré, mais ce n'est point un langage superflu. Et pourquoi? Il fait tacitement une comparaison entre le iugement de Dieu, et les opinions que nous pourrons acquerir envers les hommes. Voila donc les hommes qui nous pourront iustifier à tous coups, et on ne cognoistra pas nos ordures et povretez: nous serons donc reputez comme petits Anges, et là dessus nous cuiderons qu'il n'y ait que redire en nous. Or qu'avons nous profité? Rien qui soit: car Voici Iob qui nous appelle là haut. Et bien, il est vrai qu'ici bas les pecheurs se pourront absoudre, et seront aiseement approuvez des hommes: (car on n'y verra que toute vertu en apparence) mais en haut, en haut: car voila Dieu qui renversera toutes les opinions vaines qui auront regné pour un temps. Et ainsi apprenons, que tout ainsi que nous sommes coulpables, ayans esté solicitez à mauvaises concupiscences, aussi le salaire nous est appresté au ciel, c'est à dire d'enhaut, si ce n'est que ce bon Dieu nous

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espargne, et use de sa bonté paternelle envers nous. Voila donc ce que nous avons à retenir, afin de magnifier la bonté de nostre Dieu, quand nous voyons qu'il ne nous punit pas à la rigueur, et aussi afin d'estre incitez à lui demander pardon de nos fautes tous les iours.

Or il est dit quant et quant, l'y a-il point retranchement pour l'inique, et aflliction pour ceux qui commettent les crimes ? Et Dieu ne regarde-il point mes voyes, et ne conte-il point tous mes pas? Iob exprime ici plus clairement ceste portion et heritage dont-il avoit parlé: et c'est afin de nous navrer plus au vif du sentiment de nos pechez. Il est vrai qu'il n'insiste pas sur toutes les choses dont-il est parle en la Loy, et n'use pas de tant de mots: mais tant y a que le sainct Esprit nous a ici donné par sa bouche une instruction commune. Car quand on nous parle des iugemens de Dieu, et des punitions qu'il envoye sur les pecheurs, nous sommes si tardifs que cela ne nous esmeut gueres. Il faut donc que nostre Seigneur nous resveille, et nous face mieux sentir combien son ire est espouvantable, que c'est une chose horrible que de l'avoir ainsi contraire à nous.

Voila donc pourquoi Iob adiouste ceste declaration qui est icy contenue, N'y a-il point retranchement pour l'inique, et le meschant ne sera-il point affligé? Que signifie ce retranchement ici? C'est que les meschans meritent d'estre exterminez, que Dieu les abysme, et les destruise du tout, comme le mot emporte plus que salaire ou heritage: car les hommes (comme i'ay dit) se font à croire qu'ils en eschapperont pour un chastiment bien leger: comme quand un criminel sera detenu en prison il ne cognoit pas qu'il ait merité le gibet, il se fait à croire, Et bien, i'en eschapperai pour le fouet, ie seray banni. Ainsi, di-ie, les hommes n'apprehendent point l'ire de Dieu telle qu'elle est: ils ne cognoissent point la punition de laquelle ils sont dignes, d'autant qu'ils ne pensent point à la mort eternelle. Nous voyons donc comme Iob non sans cause, apres avoir parlé de la portion qui est apprestee là haut à tous meschans, adiouste, que c'est un retranchement, et une confusion pour les abysmer. Or par cela cognoissons que l'Esprit de Dieu nous argue de nostre nonchalance. Si du premier coup nous estions attentifs à cognoistre les iugemens de Dieu. voire pour sentir nos fautes, nous n'aurions que faire qu'il redoublast ainsi le propos, ce seroit assez de nous avoir adverti en un mot simple. Mais le $. Esprit apres avoir parlé de la portion que Dieu appreste à tous contempteurs de sa Loi, adiouste, Retranchement: pource que nous sommes comme brutaux, et quand on nous declare simplement une chose, nous ne l'apprehendons point: nous sommes preoccupez d'une telle stupidité,

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que si Dieu nous frappe rudement, nous ne sentons pas le coups de sa main. Et comment donc serons-nous navrez comme il est requis par les menaces qu'il nous fait? Il est certain que quand il ne fera que parler, nous ne serons point touchez ni abbatus en nous mesmes, veu que pour les coups de sa main nous ne pouvons pas encores estre assez humiliez. Et ainsi donc notons bien qu'ici nostre nonchalance et stupidité est redarguee. Et pourtant que nous soyons resveillez quand Dieu nous solicite ainsi soigneusement, et que nous soyons instruits pour mieux penser à nous C'est ce que nous avons à observer en ce verset.

Or pour conclusion, quand Iob dit, Dieu ne regarde-il point mes voyes, et ne conte-il point tous mes pas? notons bien qu'il applique à soi la doctrine qu'il avoit mise en general. Car il avoit dit, Quel salaire, ou quelle est la portion du Dieu de là haut, quel est l'heritage du Dieu des cieux ? Iob avoit ainsi parlé de tous: mais maintenant il applique ceste doctrine à son usage, et declare à quel propos il avoit ainsi parlé. Ainsi donc toutes fois et quantes que les iugemens de Dieu nous viennent en memoire, qu'on nous les propose, ou bien que nous les lisons, ayons ceste prudence-la d'entrer en nous, et qu'un chacun se regarde en sa personne. Car il ne faut point que les iugemens de Dieu demeurent là comme ensevelis sans iamais en parler: mais il faut que chacun les face valoir en soi, et à son usage particulier. Voila donc ce que nous avons à noter, quand Iob apres avoir traitté une doctrine commune, vient quant et quant regarder à sa personne: Dieu, dit-il, sonde et cognoit mes voyes: c'est à dire, que puis que Dieu est Iuge de tous hommes, lui ne pourra pas eschapper de sa main. Dieu, dit-il, ne cognoit-il point toutes mes voyes, et ne conte-il point tous mes pas? Voila quant au premier.

Quand au second notons aussi le style dont Iob use, que Dieu regarde ses voyes et ses pas, et qu'il les conte. C'est pour exprimer que Dieu ne conte pas seulement de loin et regarde ce qui sera apparent ici bas: mais qu'il a son regard prochain pour noter et marquer toutes nos oeuvres: voire, et que ce n'est point un regard confus, qu'il n'a point une veuë à l'esgaree: mais qu'il note qu'il conte, qu'il nombre tout, tellement que rien ne lui eschappe, rien n'est mis en oubli devant lui. Or maintenant (ie vous prie) n'avons-nous point occasion de mieux cognoistre nos voyes, et conter nos pas, quand nous voyons que tout est present devant Dieu? Qui est cause que les hommes à grande peine cognoissent-ils la centieme partie de leurs pechez? Mesmes tel homme commettra cent fois le iour une faute, et à grande peine y pensera-il pour un coup. Qui est cause de cela, C'est que nous n'estimons point que Dieu veille sur nous,

SERMON CXII

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et que nous soyons tellement devant son regard, que rien ne lui soit caché, et qu'il n'oublie rien de toutes nos oeuvres, et nos pensees. Et ainsi donc pesons bien ces mots qui sont ici contenus, c'est que Dieu cognoit nos voyes, et qu'il conte nos pas, c'est à dire, que le nombre en est là mis devant lui, qu'il faudra que iusques au dernier Item tout vienne à conte. Voila que gaigneront ceux qui par mensonges, et par flateries auront couvert leur mal: car il faudra que tout vienne en clarté. Que reste il donc? C'est que nous pensions à nous de plus pres que nous n'avons accoustumé, et que nous soyons tousiours au guet, afin de n'estre surprins par les embusches dont nous sommes assaillis de tous costez: et voyant que nous sommes suiets à tomber en tant de vices dont nostre nature est

remplie, que nous en facions un bon examen pour nous y desplaire, et en passer condamnation devant Dieu: et qu'en gemissant nous confessions encores avec David (Pseau. 19, 13), qu'il est impossible que toutes nos fautes nous soyent cognues: et pourtant que nous prions ce bon Dieu, que quand il aura regardé en nous les fautes et les pechez que nous-mesmes ne pouvons pas voir, il lui plaise les effacer par sa misericorde: et que par ce moyen nous n'ayons autre asseurance de nostre salut, sinon d'autant qu'il nous reçoit à merci au nom de nostre Seigneur Iesus Christ, et que nous avons aussi ce lavement duquel nous sommes purgez, assavoir le sang qu'il a espandu pour nostre Redemption.

Or nous-nous prosternerons devant la fade de nostre bon Dieu, etc.

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LE CENT ET DOUZIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XXXI. CHAPITRE.

5. Si i'ai cheminé en mensonge, et que mon pied se soit hasté à fraude: 6. Que Dieu pese mes oeuvres en la balance de iustice, qu'il cognoisse mon integrité. 7. Si mon pas s'est destourné du chemin, et que mon coeur ait cheminé apres mes yeux, et que macule ait adheré à mes mains: 8. Que ie seme, et qu'un autre mange le fruict, et que mes plantes soyent desracinees.

Apres que Iob a protesté d'avoir vescu chastement, en sorte que ses yeux n'ont point esté pollus d'un mauvais regard: il adiouste qu'il a conversé avec ses prochains en telle droiture, que son pied n'a point decliné à fraude ni à malice. Nous voyons donc que maintenant il touche une autre espece d'integrité, que celle dont il faisoit hier mention. Or il deduira aussi ce qui est le principal de la vie humaine par le menu: et non sans cause. Car il ne suffiroit pas qu'un homme se fust abstenu de paillarder, sinon qu'il soit aussi pur de larrecin, de fraude, de violence, pource que Dieu ne veut point qu'on separe ce qu'il a conioint. Il a donné toute sa Loi pour regler nostre vie: et quand il a defendu de paillarder, il a aussi condamné les larcins, les mensonges, les violences, et choses semblables. Celui donc qui voudra servir à Dieu, ce n'est point assez qu'il soit pur d'un peche, mais il faut qu'il conforme toute sa vie à la Loi: car (comme desia nous avons dit) ce seroit autrement

separer les choses qui ne se peuvent nullement diviser sans violer la iustice de Dieu. Voila donc pourquoi Iob apres ceste protestation qu'il a faite de sa vie chaste et pudique, adiouste, Qu'il n'a fraudé personne, et que son pié ne s'est iamais destourné à mensonge, ny à malice. Et ceci est bien digne d'estre note: car c'est l'une des principales parties que Dieu demande par sa Loi, que nous ayons ceste rondeur en nous de n'aller point par voyes obliques, et par finesses, pour attirer le bien de nos prochains: comme aussi c'est une vertu bien difficile, encores qu'un chacun vueille estre reputé droit. Car la nature de l'homme s'addonne tousiours à hypocrisie, tellement qu'on n'orra point un mot là où il n'y ait ie ne sai quoi, que quand nous avons à traffiquer avec nos prochains, nous voudrons tousiours desguiser les choses pour prendre le tout à nostre profit. Quand donc nous voyons une telle racine de fraude en nous, tant plus nous faut-il estudier ceste droiture et rondeur, tellement que nous puissions protester devant Dieu que nostre vie n'a point decliné à mensonge. Et aussi il y a une autre raison, c'est assavoir, que les fraudes sont pires que ne sont pas les violences: comme celui qui tué par poison, est plus criminel que ne sera point celui qui tue avec l'espee. Pourquoi? Car ceste trahison-la, quand sous ombre d'amitié, ou de donner à manger et à boire à un homme on le

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tue, est une chose detestable: aussi le crime est du tout irremissible. Ainsi quand un homme trompera son prochain par astuce, et qu'il s'insinue finement, en sorte qu'on ne s'en peut donner garde: ne voila point un signe d'une nature plus perverse? Ces deux raisons donc nous doivent tant plus instruire à suivre rondeur et integrité, en sorte que nos prochains ne soyent point fraudez aucunement de nous. Voila ce que nous avons à retenir ici en premier lieu. Et au reste, cognoissons que la verité est precieuse à Dieu, d'autant qu'il en prend le titre, quand il veut exprimer quel il est. Il faut donc que les mensonges et tromperies soyent tant plus detestables devant lui, pource que cela contrevient droitement à son naturel. Aussi quand il nous est parlé que nous devons estre conformez à l'image de Dieu, sainct Paul met ceste saincteté veritable (Eph. 4, 24): comme s'il disoit, qu'au lieu que les hommes sont addonnez à hypocrisie, qu'il n'y a que feintise en eux: d'autant qu'ils approchent de Dieu, et qu'ils sont reduits à son obeissance, il leur imprime sa marque, afin qu'il les cognoisse pour ses enfans. Alors donc ceste saincteté veritable y regne: mais si les hommes ne sont gouvernez par l'Esprit de Dieu, il n'y a que feintise, et cauteles qui dominent en leur chair, c'est à dire, en leur nature corrompue. Bref, apprenons que si un homme ne chemine en rondeur, et qu'il n'aille droit en besongne quand il traffique avec ses prochains, il pourroit avoir toutes les autres vertus qu'on sauroit nommer, cela n'est rien, s'il n'a ceste pureté devant Dieu. Voulons nous donc que nostre vie soit approuvee? Appliquons toute nostre estude à ceste integrité et rondeur, que nous ne cheminions point en fraude ni en mensonge.

Et au reste, notons aussi ce que dit Iob, Que Dieu pese le tout en la balance de iustice, et qu'il cognoisse mon integrité. Ceste similitude de balance cest bien notable, d'autant qu'elle nous monstre quel sera le iugement sur nous, et quel conte nous aurons à rendre, et comment nous pourrons estre avouez et approuvez, c'est assavoir, d'autant que Dieu pesera le tout en la balance de iustice. Et comment cela? C'est à dire que sa Loi et sa volonté (comme il nous l'a declaré) est une balance pour savoir si nos oeuvres seront bonnes et recevables. Ainsi que la marchandise se pese quand on la vend à la livre, aussi faut-il que nos oeuvres soyent iugees. Et comment? A la balance de Dieu. Or i'ai dit que ceste doctrine nous est bien utile, d'autant que les hommes s'attribuent plus qu'il ne leur appartient, et leur semble que leurs oeuvres seront trouvees bonnes, voire quand ils se gouvernent à leur appetit: et là dessus ils ne veulent point que Dieu contrevienne à ce qu'ils auront pensé, ils lui deroguent toute authorité. C'est

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merveilles qu'un homme voudra estre maistre de sa vie, qu'il en voudra estre le conducteur, comme si Dieu ne nous pouvoit rien commander. Il est vrai qu'on auroit honte de parler ainsi, on ne dira pas, C'est à moi de me gouverner, ie veux suivre mon cerveau, ie ne veux point que Dieu entreprenne à me commander rien: voila un blaspheme execrable, lequel on ne prononcera pas de bouche: mais quoi? ceux qui suivent leurs folles devotions, et qui sont obstinez en leur opinion telle qu'ils auront conceuë (ie vous prie) ne s'eslevent-ils point par dessus Dieu, et ne taschent-ils point à l'opprimer, en lui ravissant toute maistrise, tellement qu'il ne puisse plus commander? Si un homme fait ce que sa teste porte, et que ce qu'il aura iugé estre bon, il vueille que Dieu l'approuve, et qu'il ne soit plus rangé pour dire, Cela est mauvais, d'autant que Dieu l'a defendu, Cela est bon, d'autant que Dieu le commande, mais qu'il suive son semblant, son cuider: un tel homme ne se veut-il point mettre comme en la place de Dieu? C'est donc une presomption diabolique: et toutes fois elle est si commune que rien plus. Notons bien donc ce qui est dit en ce passage, qu'il nous faut venir à la balance, et que là nous recevons sentence sur nous, ou pour, ou contre, selon que Dieu aura examiné nos oeuvres, ouy selon la regle de la Loi, et non pas selon nos appetits. Les hommes imaginent bien une balance qui est par trop sotte et lourde, c'est assavoir, pour compenser les fautes qu'ils auront commises devant Dieu: voila comme les satisfactions ont esté introduites en la Papauté. Et c'est c'este balance qu'ils ont assignee à leur sainct Michel car des bonnes oeuvres ils les mettent d'un costé, et les mauvaises de l'autre: et si un homme a fait plus de bien que de mal, il semble aux Papistes qu'il est absous devant Dieu. Voila une singerie par trop lourde: car il est escrit, Qui fera ces choses, il vivra en icelles. Dieu ne promet point vie ne salut pour avoir accompli une portion de la Loi seulement, mais pour s'en acquiter en tout et par tout. Au contraire il est dit, Malheur sur ceux qui n'auront accompli toutes les choses qui sont ici contenues. Et pourtant si nous avons transgressé un seul article de la Loi, nous sommes coulpables en tous, comme dit S. Iaques (2, 10). Voila donc (comme desia nous avons touché) une imagination trop sotte et brutale, de mettre ainsi le bien et le mal à l'opposite l'un de l'autre, pensant qu'il s'en face quelque eschange, ou recompense devant Dieu. Mais (comme desia nous avons dit) ceste balance est que la Loi de Dieu sera là, et nos oeuvres viendront en examen, et ce qui sera trouvé conforme à la Loi de Dieu sera tenu et approuvé pour bon: comme une marchandise quand elle sera

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loyale on la met au poids, et bien, on la payé selon qu'elle pesera. Ainsi donc il faut venir à la Loi de Dieu. Ce ne sera rien (comme i'ai desia dit) quand les hommes apporteront leur poids et leur mesure, et qu'ils voudront que cela soit creu. Car en une ville il y aura une balance publique, chacun n'aura point son poids ne mesure propre, et aussi ce ne seroit pas chose raisonnable ne licite, tout iroit en confusion: et pour garder police, et bon ordre, et equité, il faut bien qu'il y ait une balance certaine qui soit regle à tous. Quand donc les hommes veulent faire trouver les oeuvres bonnes selon leur iugement et opinion, c'est autant comme s'ils vouloyent forger une balance de nouveau. Or nous savons qu'il y a fausseté en cela. Celui qui aura falsifié le poids commun, sera condamné, et à bon droit: celui donc qui falsifie la regle de bien vivre, qui est plus precieuse à Dieu que ne sont pas tous les poids de ce monde, n'a-il point commis un crime plus enorme, que s'il avoit falsifié quelque marchandise ? Puis qu'ainsi est donc, apprenons de nous regler comme l'Escriture nous le monstre, c'est assavoir, qu'en toutes nos oeuvres nous regardions bien ce que Dieu a ordonné, et que sans replique nous trouvions bon ce qu'il approuve en sa Loi, que nous reiettions comme mauvais tout ce qu'il a defendu. Quand nous eu ferons ainsi, il n'y aura plus de ces folles devotions comme elles regnent en la Papauté. Car d'où vient que les hommes s'eslevent ainsi, et que chacun se forge quelque moyen de servir à Dieu, pour dire, Et ceci est bon, Et ie veux faire telle chose ? Pource que tous apportent des faux poids, et des fausses balances: car chacun veut mettre en avant son cuider, et Dieu reiette tout cela, et le condamne. Ainsi, que nous ayons ceste humilité en nous de regler et compasser nostre vie aux commandemens de Dieu: et alors tout cela sera mis bas, d'avoir tant de moyens pour servir à Dieu, et nous aurons une regle commune et certaine, et infallible. Et pourquoi? Car il n'y a qu'une seule balance de iustice, il n'y a qu'une seule Loi de Dieu pour nous gouverner: et combien qu'il ait distingué les estats, si est-ce qu'il nous rappelle tous à un chemin general. Il dit aux plus grands aussi bien qu'aux plus petits, Tu ne paillarderas point, Tu ne dessoleras point, Tu ne seras point un menteur, ne faux tesmoin. Puis qu'ainsi est donc que nostre Seigneur ramene à ceste regle generale la vie des Rois et des gens mecaniques, et nous monstre un grand chemin, afin que nous ne puissions faillir: tant plus sommes nous inexcusables si nous n'appetons de nous tenir là, et qu'un chacun aussi tasche de donner bon exemple à ses prochains, et que nous aidions les uns aux autres pour nous ranger ainsi à Dieu, tellement

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qu'il soit obei de tous, et que nous lui soyons pleinement suiets comme nous devons. Or si les hommes fuyent ceste balance et ceste mesure, tant y a qu'ils n'y gaigneront rien: car il dit tantost apres, Que ; e4 cognoisse mon integrité. En quoi Iob monstre que c'est à Dieu seul qu'appartient de iuger si nous sommes bons ou mauvais. Il est vrai qu'il signifie deux choses: la premiere est, Que Dieu ne iugera point de la vie des hommes à la volee, mais selon sa Loi: et puis, Qu'il n'y a que lui seul qui soit Iuge competant: et combien que les hommes usurpent ceste licence-là, toutes fois que leur opinion sera renversee, pource que ce n'est qu'outrecuidance. C'est donc un poinct que nous devons bien noter, que Dieu iugera de nos oeuvres selon l'examen de sa Loi. Et c'est en premier lieu pour rabbatre toute la vaine confiance des hypocrites, qui apportent leurs menus fatras à Dieu, et l'en veulent contenter: Et comment? l'ai fait ceci, i'ai fait cela. Ainsi que nous voyons les Papistes, quand ils auront prins beaucoup de peine apres leurs devotions, il leur semble que Dieu leur soit redevable, ou bien ils pensent que iamais ne doivent estre absous de lui, sinon qu'ils apportent cela. Non, non, qu'ils s'en aillent demander leur payement à celui qui les a mis en oeuvre: car Dieu desavouë tout cela. Il prononce qu'il iugera des oeuvres apres les avoir mises en la balance, c'est à dire, apres les avoir examinees selon sa Loi: il ne forgera point un iugement nouveau, mais il a donne sa Loi: et ce sont choses coniointes, assavoir, que Dieu estant legislateur, est aussi le Iuge. Comment donc pensons-nous que Dieu doive iuger? Selon qu'on a esté enseigné auparavant assavoir, par sa Loi. Il y a donc une conformité entre la Loi qu'il a donnee, et qu'il veut que nous observions, et le iugement qu'il doit faire.

Voila donc quant au premier, que les hypocrites demeureront confus en une vaine presomption, quand ils cuideront que leurs oeuvres soyent approuvees, et cependant ne pourront attribuer nulle reverence à la Loi de Dieu: mais il leur semble que Dieu leur devra de retour, si on fait comparaison de ce qu'ils font, et si on le met en balance. Or nous sommes admonnestez que si nous avons mis peine a suivre la volonté de Dieu, et nous y assuiettir, nos oeuvres lui seront aggreables: le monde nous pourra condamner: comme nous voyons que les Papistes n'estiment rien ce que nous faisons. Et pourquoi? Il n'y a point tant de belles pompes, et de belles parades comme il y a en leurs synagogues: car si on entre en un temple des Papistes, on verra là tant de fanfares que rien plus. Or cependant ce sont singes, et cependant ils ne tiennent conte de ce que nous faisons: car ce sera peu de chose, ce leur semble, de venir ici

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invoquer Dieu, et n'avoir point ces belles ceremonies qui reluisent là. Mais quoi? Il nous suffit que Dieu nous approuve. Et comment? Regardons sa Loi, et ce qu'il requiert de nous en l'Escriture: car c'est ce qui doit inciter les fideles, et leur donner courage de servir à Dieu selon sa volonté, quand ils savent qu'il ne nous faut suivre autre chose sinon ce qui est conforme en tout et par tout à la doctrine que nous avons, comme maintenant en l'Evangile. Ce sera ceste parole qui vous iugera (disoit nostre Seigneur Iesus aux Iuifs (Jean 12, 47) et non pas moi.

u reste, cognoissons tousiours qu'il faut venir à conte devant ce grand Iuge, et que ce n'est rien de nous estre flattez, d'avoir aussi esté prisez de hommes: car il est dit, Dieu cognoistra. Or sous ce mot il nous est signifié que toutes les cognoissances qui se font maintenant n'ont nulle certitude, qu'il n'y a point d'arrest: mais que Dieu pourra renverser le tout. Apprenons donc de cheminer en sorte que nous puissions protester devant Dieu, que c'est à lui que nous avons tendu et aspiré, que c'est à lui que nous avons voulu estre suiets, que nous l'avons tousiours honore, comme celui qui avoit la conduite sur nous. Voila ce que nous avons à retenir en ce passage.

Or Iob adiouste consequemment, Si mon pied (ou mon pas) s'est destourné du chemin, et que mon coeur ait cheminé apres mes yeux, ou qu'il y ait macule qui ait adheré à mes mains. C'est suivant le propos qu'il a tenu de ceste integrité et rondeur, mais il exprime encores d'advantage ce qu'il avoit dit. Et en premier lieu il proteste, que son pas n'a point decliné du chemin. Il est vrai que nous ne pourrons vivre si parfaictement, que nous ne facions beaucoup de faux pas, et fleschissions ou çà ou là souventesfois, et ne fust que par inadvertance ou fragilité: mais ici Iob entend qu'il ne s'est point destourné du chemin: et use de ceste similitude du chemin, comme l'Escriture a ceste coustume, et c'est afin de nous tant mieux attirer en l'obeissance de Dieu. Quand sa Loi est appellee Chemin, cela ie voua prie, ne doit-il point estre comme un aiguillon pour nous picquer, afin de cheminer comme Dieu l'ordonne? Et ne doit-il pas estre aussi une bride, pour nous retenir en suiettion? Si nous avons à aller en quelque lieu, ne demandons nous pas de tenir le bon chemin, voire et le plus court, et le plus aise, et le plus certain? Et si quelqu'un nous trompe, ne sommes-nous point faschez tant et plus contre lui? Et si nous errons, ne sommes-nous point en grande peine, tellement qu'un chacun pas nous pese beaucoup, et qu'il semble que nous ayons un quintal de plomb à nos pieds, quand nous ne savons si nous allons droit, ou si nous allons à l'esgaree? Puis donc que les hommes

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sont si soigneux de savoir le bon chemin en quelque voyage pour achever leur iournee: n'est-ce pas grande pitié, qu'en nostre vie Nous vueillions errer à nostre escient, et semble que nous appetions cela? car non seulement nous sommes nonchalans à nous enquerir, afin de ne nous escarter, ne fourvoyer: mais quand le chemin nous est mis devant les yeux, que Dieu nous le marque au doigt, et nous y appelle, qu'il nous exhorte à le suivre, et nous advertit de ne point nous destourner ni à dextre ni gauche, mais aller le chemin tout plein tel qu'il nous le monstre, nous ne voulons point entendre à cela. Et voila pourquoi l'Escriture use de ceste similitude du Chemin, pour nous declarer que si nous faillons en nostre vie, il n'y a point d'excuse en nostre ignorance. Et pourquoi? Car Dieu nous a declaré sa volonté: et si nous lui obeissons, c'est un bon chemin et infallible, nous ne pouvons point nous esgarer, et nous escarter comme povres vagabons. Au contraire, ceux qui ne se peuvent du tout ranger et à Dieu, et à sa Loi, et à sa parole, auront beau courir et trotter, ils tracasseront assez (comme dit le Prophete Isaie) mais ce sera pour se rompre les iambes, et cependant ils ne s'avanceront en rien qui soit. Tout ainsi donc que le mot de Balance, duquel Iob a usé, nous doit tenir en crainte, afin que nous ne presumions point de nostre phantasie, mais que nous taschions de conformer nostre vie à la volonté de Dieu: aussi ce mot de Chemin nous doit instruire à ne point faire ce que bon nous semblera, mais a nous tenir pleinement à ce que Dieu nous ordonne.

Voila donc en somme ce que nous avons à retenir de ce que Iob proteste: non pas qu'il n'ait failli (car cela seroit impossible à l'homme, et ne fust-ce, comme i'ai dit, que par fragilité et ignorance) mais c'est d'autant qu'il ne s'est point destourné du chemin, c'est à dire qu'il ne s'en est point esgaré: comme il adiouste, si mon coeur a suivi mes yeux. Or par cecy il signifie qu'il n'a point eu des affections mauvaises, pour consentir à toutes ces vanitez que les hommes conçoivent en regardant ce qui leur plaist: car (comme il fut hier traitte) autant de regards que nous avons, ce sont autant de flambeaux pour allumer un feu de cupidité en nous. Car nostre nature est si perverse que nous ne pouvons rien trouver ne beau ne bon, que nous n'en tirions argument d'offenser Dieu. Cela est-il beau? Nous sommes ravis. Et comment? D'une cupidité mauvaise. Cela est-il bon? Nostre appetit est enflammé. Et en quoy? mal. D'autant donc que les hommes sont si legers à consentir à des meschans appetis, Iob dit que son coeur n'a point suivi ses yeux. Mais il pourroit sembler qu'il y auroit quelque contradiction entre ceste façon de

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parler, et le propos qui fut hier tenu. Pourquoy? Nous dismes, que tous regards impudiques, et qui sont entachez aussi de quelque vice, procedent desia du coeur, et que c'est signe que le coeur est corrompu: et sur cela nous allegasmes ce qui est dit par Moyse d'Adam et d'Eve, qu'ils ont contemple l'arbre de science de bien et de mal, et ont veu qu'il estoit desirable. Car il falloit donc que desia ils eussent là dedans quelque mauvaise cupidité qui les induisist à mal: l'oeil de soy ne pechera point, sinon qu'il soit incité d'un coeur mauvais. Comment donc est-ce que Iob dit, Que son coeur n'a point suivi ses yeux? Or nous dismes hier quant et quant, que quand nous ouvrons les yeux, il nous viendra beaucoup d'appetis mauvais, mais souvent nous n'en sommes point touchez ne chatouillez pourtant: car Dieu nous tient en bride par son sainct Esprit. Autrement il est certain que non seulement nous aurions quelque tentation pour nous soliciter à mal, mais nous tomberions et serions vaincus quant et quant. Tant y a donc que nous pourrons bien apprehender de primeface quelque mauvaise phantasie, et toutes fois si n'en sommes-nous point touchez en façon que ce soit. Voila un poinct.

Et là dessus aussi nous mismes les trois degrez, c'est assavoir, Quand nous avons l'apprehension seule: et puis, Quand il y a quelque mouvement du coeur: et puis, Il y a la volonté toute conclue et resoluë. Or maintenant nous avons à noter, que selon que les hommes sont conceus et nays en peché, et qu'ils sont adonnez à corruption, voila d'où procedent les mauvaises phantasies que nous avons: car quand nous ouvrons les yeux, il nous viendra quelque tentation au devant: ie di encores que nous n'y adherions pas, mais les reiettions du tout, et que nous n'en soyons aucunement esmeus. Si cela me voltige devant les yeux, toutes fois il n'y a nulle partie de mon coeur qui y tende, mais i'ay le tout en horreur. D'où vient donc ceste apprehension-la ? A cause que le peché habite en nous, et que nous y sommes là comme ensevelis. Car si l'image de Dieu estoit telle en nous comme elle a este en nostre-pere Adam du commencement, il est certain que tous nos sens (comme il fut hier declaré) seroyent purs et nets, et n'y auroit rien de polu: et tous les regards que nous aurions tendroyent à Dieu. Si tost que nous contemplerions les creatures, la gloire de Dieu seroit là imprimee nous serions conduits à luy pour l'honorer, et estre du tout enflammez de son amour. Il n'y auroit nulle vanité, il n'y auroit nulle dissolution: tant s'en faut qu'il y eust de rebellion mauvaise, que tout ce que nous pourrions voir, seroit autant d'aides pour nous avancer au bien. Notons donc que tous regards impudiques, et toutes les autres

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tentations que nous concevons par le moyen de nos yeux, procedent de ceste source du peché originel, c'est à dire, de la corruption que nous tirons de nostre pere Adam, et de ce que nostre nature est perverse, d'autant que nous sommes alienez de Dieu. Or maintenant nous voyons que ce ne sont pas deux choses incompatibles, que l'homme soit incité d'un coeur mauvais d'aspirer au mal, et cependant toutes fois que ceste apprehension-la venant des yeux soit devant l'affection du coeur Et comment cela? Nous avons desia dit que nous sommes ainsi tentez par nos yeux de suivre de mauvais appetis au coeur, quand le mal y est desia conceu là dedans. Voila donc le peché qui precede: et ainsi il faut conclure que si le coeur n'estoit infecté de corruption, nos yeux seroyent purs. Il est vray: mais cependant ce c'est pas à dire, que nous ne soyons tentez quelquefois sans qu'il y ait affection interieure: comme Iesus Christ mesmes a bien esté tenté, toutes fois il n'y a point eu de pollution en Luy: mais il a esté tenté selon qu'une nature entiere le peut estre: il a eu des obiets, mais sa volonté l'a retenu en bien: car en tous ses sens aussi il n'y avoit rien de corrompu. C'est autre chose de nous: car tous nos sens sont corrompus à cause du peché. lais si est-ce qu'il y pourra avoir quelque corruption en nos sens, et la volonté demeurera tousiours droite, comme il fut hier declaré par la distinction que nous mismes, et laquelle i'ay reiteree maintenant. Si cela est obscur, ie le traitteray encores on peu plus familierement. Quand nous levons nos yeux au ciel, si cous sommes tentez de quelque haute se, quand cous regardons les biens de ce monde, si nous sommes solicitez d'avarice, et que nous desirions d'avoir cecy et cela, Et ie voudroye qu'une telle maison fust miene, ie voudroye posseder tant de prez, tant de vignes: si nous voyons tant d'autres choses, et que nous en ayons quelque convoitise: et bien. si nostre coeur y tire, que nous ayons quelque affection interieure, que nous sentions là dedans quelque bruleure, et qu'il ne tiendroit point à nous que nous n'eussions ce que nostre appetit porte: voila le coeur qui a cheminé apres nos yeux, c'est à dire, qu'en ayant conceu un regard qui estoit oblique à cause de la corruption du peché originel, nostre coeur l'a suivi: c'est à dire, qu'il y a eu un mouvement qui estoit contraire à la Loy de Dieu: nous n'avons point tellement bridé nos affections qu'il n'y ait eu ie ne say quoy qui cous ait incité à mal. Mais si nous avons ceste apprehension, pour dire, Cela est beau, et que toutes fois nous demeurons là: ou bien que nous disions, Cela est desirable, mais que nous ayons ceste attrempance, pour dire, Il faut que ie me contente de ce que Dieu m'a donné: quand, diie, nostre coeur demeure là rassis, et ne s'esbranle

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point, qu'il n'est point agite, et n'y a point d'aiguillons qui nous picquent, que nous demeurons fermes en nostre contentement, et en nostre povreté: voila comme nos sens corporels font concevoir quelque apprehension mauvaise, et toutes fois le coeur est arresté, et sans mouvement. Bref, nos yeux pourront bien estre vagabonds, il y pourra avoir des regards excessifs, et qui sont à condamner, pource qu'ils procedent du peché originel: mais Dieu ne nous impute point cela, comme i'ay dit.

Cependant nous avons à noter sur ce que dit icy Iob, Que son coeur n'a point cheminé apres ses yeux: que nos yeux qui ont esté creez pour nous faire contempler les oeuvres de Dieu, afin d'estre instruits à son amour, à sa reverence et crainte, sont comme des maquereaux de Satan, ce sont comme des trompeurs qui nous viendront seduire, et nous faire perir. Dieu, di-ie, à creé nos yeux. A quelle fin? C'est que conversans en ce monde nous ayons discretion des choses, et que cela nous conduise à luy. Regardans et haut et bas ne voyons-nous pas que nostre Seigneur nous appelle à soy? Autant de creatures qu'il y a au ciel et en la terre, ne sont-ce pas autant de moyens pour nous convier à venir à Dieu? Il ne dit donc pas seulement, Venez à moy, mais il nous y attire par sa bonté, comme nous voyons qu'il se monstre si liberal envers nous: et puis il nous donne en cela occasion de cheminer en sa crainte. Voila donc à quelle fin nos yeux sont creez. Car si nous n'avions point d'yeux, nous n'aurions pas moyen de contempler la gloire de Dieu en tout et par tout comme nous avons. Mais nous sommes si pervers, que nous tournons nos yeux en usage tout contraire à la volonté de Dieu: car (comme i'ay dit) nos yeux nous {ont esblouir pour nous seduire et toutes fois et quantes qu'ils s'ouvrent, c'est afin de nous distraire, et nous faire esgarer, afin que nous soyons comme bestes brutes, que nous ayons des appetis sauvages et desbordez. Et puis c'est pour allumer le feu, ce sont deux flambeaux: au lieu qu'ils devroyent recevoir la gloire de Dieu pour nous transformer en icelle, ils reçoivent des flambeaux le Satan pour empoisonner toutes nos affections, afin que nous n'ayons desir sinon d'offenser nostre Dieu, et nous eslever à l'encontre de luy. Voila donc un poinct que nous avons bien à observer, afin qu'un chacun soit sur ses gardes. Et au reste, puis qu'ainsi est que nous ne pouvons pas estre du tout exemptez de nostre fragilité et corruption, que nos yeux ne vaguent ainsi, et qu'ils ne nous distrayent, et qu'il n'y ait tousiours des apprehensions soudaines qui nous tirent à mal: pour le moins advisons de tenir nos coeurs en bride, et que nos affections ne soyent point volages avec les yeux, pour nous faire esgarer du chemin

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dont-il a esté parlé cy dessus: mais qu'en toute suiettion et crainte nous apprenions de nous tenir sous l'obeissance de nostre Dieu.

En la fin Iob adiouste, Que s'il y a eu aucune macule qui ait adheré à ses mains. C'est encores une autre similitude: il veut tant mieux declarer l'integrité de sa vie. Car tout ainsi que nous avons à manier les c oses par les mains, aussi quand nous avons à converser avec les hommes, tout ce que nous contractons, c'est comme si quelque chose passoit par nos mains, et fust de nous maniee. Iob donc signifie, qu'en tout ce qu'il a eu d'affaire et de traffique avec les hommes, iamais n'a esté entaché ne de fraude ne de violence, ne de corruption, ne de choses semblables. Or n'estoit une grande integrité. Mais notons tousiours que Iob ne parle point de soy par vanterie: plustost le S. Esprit nous veut icy donner un miroir de perfection, afin que quand nous cognoissons qu'il y a quelque macule en nous, nous sachions que c'est Dieu qui nous appelle et adiourne à rendre conte, et que nous ne pouvons pas demeurer impunis. Car la malediction est adioustee quant et quant, Que ie seme, et qu'un autre mange, et que mes plantes soyent arrachees. Comme s'il disoit, Si i'ay tasché de m'enrichir par gain illicite, que Dieu arrache toute ma substance, que tout perisse, et s'en aille à mal. Voila en somme ce qui nous est icy monstré. Maintenant donc que nous advisions de cheminer plus soigneusement que nous ne faisons pas. Car les hommes s'en acquittent à la legere: quand ils ont quelque façon de vivre moyenne, et qu'ils se contentent d'eux tellement quellement, les voila iustes ce leur semble, il n'y a que redire. Mais tant y a qu'il nous faut venir à ceste balance, ainsi que desia i'ay touché. Et pource que la Loy de Dieu ne nous esmeut pas, le sainct Esprit adiouste icy une autre aide: c'est qu'en l'exemple de Iob il nous monstre comme nostre vie doit estre reglee. Voila donc ce que nous avons a, retenir icy en passant, c'est que Iob ne s'est point voulu magnifier, mais il nous veut monstrer en son exemple comme nous avons a converser.

Cependant aussi, encores que nous ayons mis peine de cheminer en telle perfection, que nous ayons retenu nos coeurs en bride, que nous n'ayons point esté distraits par nos appetis volages, que nous ayons gardé le droit d'un chacun, que nous n'ayons point usé de fraude ne de malice aucune: si est-ce qu'il nous faut tousiours baisser la teste devant Dieu, comme nous avons veu par cy devant. Et si Dieu nous afflige, encores que ce ne soit point pour nos pechez, et qu'il ait un autre but, assavoir, pour nous humilier, ou pour esprouver nostre patience: que nous baissions toutes fois la teste. Et au reste, que nous cognoissions que nous

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sommes tousiours coulpables, quoy qu'il en soit, et que Dieu trouvera tousiours à redire en nous, tellement qu'il pourroit reietter toute nostre vie. Voila comme nous avons à pratiquer ce passage. Tant y a en somme qu'il nous faut tousiours avoir les yeux attachez à nos mains, c'est à dire, qu'en toutes choses que nous manions il y ait une telle pureté, que nos mains n'en soyent point entachees. Or il est difficile que nous gardions une telle pureté: car autant de maniemens que nous avons, c'est autant de poix qui nous passe par les mains. Que nous n'en tirions quelque macule, comment sera-il possible? Il faut donc que Dieu besongne icy, et qu'il nous preserve, voire d'une façon miraculeuse. Et cela nous doit bien inciter à le prier, quand nous voyons qu'une telle integrité est requise de nous, et que nous tirons tout à l'opposite, tant s'en faut que nous puissions estre si purs, que nous ne sentions beaucoup de taches et de macules en nous. Il ne reste donc sinon d'avoir nostre refuge à Dieu, non seulement pour luy demander pardon des fautes que nous avons commises, mais qu'il nous conduise par son sainct Esprit, qu'il nous tienne nos mains pures, afin que quelque chose que nous ayons à contracter avec les hommes, nous soyons retenus de toute fraude et malice. Au reste notons bien la malediction que met icy Iob: car combien qu'il l'applique à sa personne, si est-ce qu'il prononce en general quel payement est appreste à tous ceux qui auront ainsi pollué leurs mains du mal, qu'ils auront machiné à leurs prochains. Les avaricieux mettent-ils grande peine à s'enrichir aux despens d'autruy? Un homme sera-il adonne à soy-mesme,

tellement qu'il n'ait autre but en ce monde que de s'enrichir? O ne pensons pas que cela doive beaucoup durer, qu'en la fin Dieu n'execute ce qu'il a icy prononce, c'est assavoir, que ceux qui auront planté ne mangeront point le fruict: comme nous voyons defait que ceux qui ont le plus amassé de biens n'en iouissent pas, Dieu les en prive: et souvent ne faut point qu'on les empesche de boire et de manger ce qu'ils auront acquis: mais eux mesmes se portent telle envie qu'ils ne s'osent point faire du bien, ils se tormentent là, et sont leurs bourreaux. Et puis ce qu'ils auront amassé par longue espace de temps et en grand labeur, Dieu ravit et racle tout, les enfans en font une belle depesche, et le bien qui sera encores reservé le dernier sera le plus souvent pour faire un cordeau aux enfans, et pour les envoyer au gibet. Nous voyons ces iugemens de Dieu à nos yeux: et ainsi donc que nous apprenions de cheminer en droiture, et ne pensons pas que ceux qui auront le plus amassé en ce monde, soyent les plus heureux. Et pourquoy? Car la malediction de Dieu est tousiours à la queuë, et ne peut faillir à ceux qui auront ainsi ravi et pillé le bien d'autruy. Advisons donc de nous contenter du peu que Dieu nous donnera, sachans que moyennant que nous cheminions tousiours en sa crainte, il nous sera bon Pere nourrissier, et ne nous deffaudra iamais quand de nostre part nous luy serons enfans, et que nous userons de vraye dilection et rondeur fraternelle avec tous nos prochains.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE CENT ET TREIZIEME SERMON,

QUI EST E III. SUR LE XXXI. CHAPITRE.

9. Si mon coeur a esté seduit en quelque femme, que i'aye fait le guet à l'huis de mon prochain: 10. Que ma femme moule à un autre, et que les estrangers se courbent sur elle. 11. Car cela est lascheté, et iniquité à condamner. 12. C'est un feu qui devore tout à perdition, qui mesmes arracheroit la racine de mon revenu. 13. Si i'ay refusé iugement à mon serviteur ou à ma chambriere, quand ils ont estrivé contre moy: l 4. Que feray-ie quand Dieu se levera? et quand il me visitera, que respondray-ie? 15. Celuy qui l'a fait, ne m'a-il point fait au ventre? et ne nous a-il pas formé en la matrice?

Nous avons icy deux protestations que fait Iob dignes d'estre notees. L'une c'est, qu'il a vescu si chastement, que devant Dieu il est pur de n'avoir point tasché à seduire nulle femme. La seconde est, qu'il n'a point esté ny orgueilleux ny cruel contre ceux qui luy ont esté suiets: et que tant s'en faut qu'il se soit eslevé contre ses pareils, que mesmes où il avoit puissance, là il s'est monstré humain et modeste. Or il nous faut retenir ce qui a esté traitté cy dessus, c'est assavoir, que Iob ne proteste point d'avoir cheminé droitement devant Dieu, et conversé avec les hommes sans faire

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tort à nul, seulement en une espece: mais il comprend toute la Loy de Dieu, et deduit les choses qui sont là contenues, comme defait aussi nous en devons estre admonnestez especialement. Car (comme nous avons monstre) ce n'est point assez si nous taschons de nous acquitter de nostre devoir en un article, si cependant nous laissons le reste: car Dieu ne veut point qu'on separe ne desmembre ce qu'il a conioint en sa Loy. Retenons donc ce qui a desia este exposé cy dessus. Maintenant suivons l'ordre qui est observé par Iob, attendans que le reste soit adiousté. Quant à ce qu'il dit de la paillardise, le sens est qu'il se presente à souffrir ceste ignominie, que sa femme soit exposee à des paillards, s'il a cerché de seduire nulle femme. Que les autres, dit-il se courbent sur ma femme qu'elle souffre ceste vilenie-la, et qu'aussi ie l'endure quant à moy: si mon coeur a esté seduit, ou bien si i'ay fait le guet, dit-il, à la porte de mon prochain, c'est à dire, que i'aye espié de mal-faire. Et puis il declare pourquoy il a eu la paillardise en si grande horreur. Car c'est, dit-il, une lascheté, voire iniquité qui appartient aux iuges, c'est à dire, digne d'estre condamnee. C'est un feu qui devore, et qui seroit pour arracher la racine de ma substance. Voila donc comme Iob a esté retenu en chasteté, et ne s'est point adonné à ceste ordure de paillardise: c'est qu'il a cognu que c'estoit une chose detestable, et que Dieu ne peut porter. Or quant à la punition qu'il met ici, c'est le iuste payement des. paillards et adulteres, c'est assavoir, que le semblable qu'ils ont fait à autruy, leur soit rendu: et ce n'est point seulement en ce passage qu'il en est fait mention, mais nous en avons l'exemple notable sur tous en la personne de David: car combien que ce fust un sainct Prophete, et un roy choisi entre tout le genre humain, ayant tesmoignage que Dieu l'avoit trouvé selon son coeur: neantmoins pour avoir decliné un coup, et pour avoir ravi la femme d'autruy, nous voyons la punition qui luy est advenue: et la malediction de Dieu luy est declaree par le Prophete Nathan, Tu l'as fait en cachette, et il te sera rendu en public: le soleil, dit-il, en sera tesmoin. David avoit besongné par telle ruse, qu'il pensoit que son peché ne seroit point cognu du monde, et qu'il en seroit quitte, puis qu'il n'y avoit point de reproche ne de murmure: mais Dieu se venge de son hypocrisie, et luy dit, que combien qu'il l'ait fait en cachette, il faudra neantmoins que son mal soit publié, et qu'il soit diffame, que le peché soit cognu de tous. Et comment? C'est une chose enorme, que son propre fils vienne faire sonner la trompette pour assembler le peuple, et que là on voye les femmes du roy exposees à toute vilenie. Voila un inceste contre nature. Mais Dieu declare que cela n'est point

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venu de cas fortuit: Ce suis-ie, dit-il, qui l'ay fait. Comme s'il di oit, Qu'on ne regarde point à la personne d'Absalom sans passer plus outre. Il est vray qu'on le doit tenir execrable, de ce qu'il a ainsi violé l'ordre de nature, perverti toute honnesteté, et fait cest opprobre à son pere: mais tant y a que i'ay icy besongné, et ne faut point qu'on estime que cela soit venu de cas d'aventure: mais ce suis-ie qui l'ay fait, dit le Seigneur. Puis que Dieu n'a point espargné un tel Prophete, un homme doué de telle excellence comme nous avons dit, et qui toute sa vie avoit cheminé en integrité, excepté ceste cheute en la femme d'Urie: si donc Dieu a usé d'une telle rigueur contre David, celuy qu'il avoit eleu, comment espargnera il les paillards qui font mestier ordinaire de seduire les femmes d'autruy, qui font le guet pour venir à bout de leurs meschantes entreprinses ? Ne faut-il pas qu'ils sentent qu'il y a un Iuge au ciel, lequel ne permettra point qu'une telle lascheté demeure impunie? Dieu donc fait retourner un tel opprobre sur leurs personnes: mais qu'ils cognoissent qu'ils reçoivent un iuste payement, et tel qu'ils ont merité, et qu'ils apprennent de s'humilier devant Dieu. Au reste, ceste menace doit bien abbatre les tentations en ceux qui ont quelque crainte de Dieu, quand ils oyent que s'ils abusent des femmes d'autruy, il faudra aussi que leurs femmes soyent ravies, qu'elles soyent pollues, et que Dieu suscite des paillards gui, soyent comme pour executer sa iustice. Si un homme a quelque goust de crainte de Dieu, et quelque raison, il est certain qu'il sera tenu en bride, oyant une telle menace par laquelle Dieu l'advertit. Et pourtant que chacun face son profit de ce passage, et qu'en voyant que Dieu ne peut souffrir une telle lascheté, nous apprenions de le prier qu'il nous gouverne tellement que nos affections mauvaises soyent dontees, et que ceste maudite cupidité ne domine point en nous, et mesmes qu'elle n'y ait ne lieu ny accez. Voila pour un Item. Cependant notons aussi ce qui est adiousté du crime, afin que nous ne trouvions point estrange que Dieu le punisse si rudement: car pource que nous voulons tousiours mesurer les pechez à nostre aune, et que nous apportons une balance fausse (comme il fut dit hier) nous voudrions s'il nous estoit possible arguer Dieu, et l'accuser de rigueur trop excessive quand il punit nos fautes.

Et voila pourquoy i'ay dit que nous devons bien observer ce que Iob adiouste, C'est une lascheté, dit-il, trop grande, voire et une enormité à condamner, c'est un feu qui brusle pour devorer tout iusques à perdition. Cela signifie, qu'il ne nous faut point iuger de la paillardise selon l'opinion commune des hommes qui n'en feront que ieu: comme nous

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voyons que les brocards en volent, et que beaucoup de contempteurs de Dieu et gens prophanes se mocquent. On orra ce blaspheme diabolique, Et c'est un peché veniel, il est à pardonner, et choses semblables: mais ce n'est point d'auiourd'huy que cela commence. Et voila pourquoy aussi sainct Paul notamment ayant parle de la paillardise, Mes amis, dit-il (Eph. 5, 6), gardez d'estre tentez par paroles vaines: car voila pourquoy l'ire de Dieu vient sur les incredules. Desia Satan avoit abbreuvé le monde de telles gaudisseries que la paillardise n'estoit point tenue si detestable comme elle doit. Sainct Paul dit, que les hommes auront beau babiller et se flatter par tels brocards. Et pourquoi? L'ire de Dieu neantmoins aura son cours, comme il a monstré de tout temps, que la paillardise luy estoit insupportable. Et defait nous devons noter en premier lieu, que c'est de polluer nos corps qui doivent estre temples du sainct Esprit. Les autres pechez (dit sainct Paul 1. Cor. 6, 18) se commettent tellement que la souilleure et la marque n'en demeure point telle au corps de l'homme, comme de la paillardise: car il semble que les paillards et paillardes se veulent comme flestrir pour apporter là leur turpitude et leur ignominie devant Dieu. Si nous cognoissions bien qu'en paillardant on prophane le temple de Dieu et de son sainct Esprit, qu'on desmembre le corps de nostre Seigneur Iesus Christ, Ô il est certain que nous aurions autre horreur de ce peche-la, que nous n'avons point Et puis quand l'adultere est conioint avec la paillardise, c'est pervertir tout droit humain et toute equité. Si on desrobbe le bien d'autruy, la punition sera faite, un larron sera reprouvé de tous, on crie apres, on luy crache au visage: et ce n'est pas un simple larrecin que l'adultere: car là on ne desrobbe point le bien et la substance d'autruy, on desrobbe l'honneur et tout, et ne desrobbe-on point seulement ceux qui sont nais, mais ceux qui ne sont point encores formez au ventre. Et puis le mariage n'est-ce point une alliance sacree, comme nostre Seigneur la nomme en l'Escriture, Si on a falsifié un contract qu'on aura fait de quelque vendition ou qu'on se soit attribue quelque titre en cachette qu'on ait suborné quelque faux tesmoin, la punition y est et doit estre. Or voici le contract principal qui puisse estre au monde qui est violé, il est falsifié On fera une declaration tant solennelle de la foy que le mari doit à sa femme, et la femme au mari on viendra icy au temple comme en la presence de Dieu, on l'invoque afin qu'il soit Iuge quand chacun n'aura garde ce qu'il promet: et tout cela s'en va aneantir. Ainsi donc si nous cognoissions ces choses, il est certain que les paillardises et les adulteres ne seroyent pas ainsi soufferts qu'ils

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sont: mais un chacun les auroit en horreur, mesmes il n'y auroit celuy qui ne se retinst, et qui ne fust son iuge, et n'eust ceste sentence pour loy et pour regle: et quand il y en auroit de si malins qui ne pourroyent estre retenus de crainte de Dieu ne de religion, si est-ce neantmoins qu'ils craindroyent ceste menace: bref, il est certain qu'on auroit un autre zele pour retrancher un tel mal du milieu de nous En cela donc voyons nous que beaucoup qui font profession de l'Evangile ne se soucient gueres de ce qui leur est remonstre: et combien qu'ils pensent, Voicy Dieu qui parle, ils n'en sont point esmeus. Et pourquoy? Car Satan les a esblouis: ils sont tellement transportez, qu'ils n'ont ne raison ny intelligence en eux.

Et pourtant retenons tant mieux ceste leçon qui est icy contenue. Quand donc il et dit, Que la paillardise est une lascheté grande, et que c'est iniquité à condamner, qu'un chacun s'adiourne devant le iugement de Dieu, et que nous advisions de nous garder impolus. Et d'autant que c'est une vertu plus qu'humaine, et qu'il faut bien que Dieu besongne en nous pour aneantir toutes meschantes cupiditez: prions-le que par son sainct Esprit il nous gouverne tellement que nous ayons en detestation ce peché, et que nous ayons aussi tousiours devant les yeux la vengeance de laquelle il est icy parlé. Et encores que Dieu ne punist point les paillards et adulteres en ceste espece qui est icy couchee: sachons qu'il a divers moyens, tellement que nous ne pourrons point eschapper de sa main. Quand un homme aura seduit la femme d'autruy, si Dieu ne permet point que sa femme tombe en telle turpitude (comme il pourra advenir qu'un meschant aura une femme vertueuse, et Dieu aura pitié de sa femme, qu'elle sera preservee, et ne s'abandonnera point à mal, combien que son mari soit un meschant de son costé) si ne faut-il pas pourtant que le mari pense d'en avoir meilleur marché: car Dieu le saura bien trouver d'une autre façon. Cognoissons donc qu'il a des chastimens assez en ses coffres, comme il en est parlé au cantique de Moyse (Deut. 32, 34), qu'il a de terribles verges qui nous sont incognues, et lesquelles il pourra desployer toutes fois et quantes que bon luy semblera: prevenons son iugement, et qu'il soit craint et redouté de nous, veu qu'il nous fait ceste grace de nous advertir devant la main.

Et puis si nous sommes encores tant nonchalans, de ne point sentir l'admonition qui nous est icy faite, notons bien que le sainct Esprit redouble ceste menace, quand il dit, Que c'est un feu qui devore tout à perdition, que c'est pour arracher iusques à la racine sa substance. Il faut bien que les hommes soyent plus qu'abbrutis, si cecy pour le moins ne les resveille: car il n'est point dit seulement,

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C'est une lascheté, c'est un peché qui merite d'estre condamné: mais c'est un feu qui consume tout, qui va iusques à la racine, c'est une perdition extreme, il n'y demeurera nulle substance que tout ne soit raclé. Quand donc nous oyons que Dieu nous menace en telle sorte, afin que son ire nous soit rendue espouvantable, n'est-il pas temps ou iamais de penser à nous? Et au reste, pratiquons ceste doctrine eu deux sortes: c'est assavoir, que chacun en face son profit en cest endroit: et puis qu'aussi nous taschions, entant qu'en nous sera, chacun selon son estat et vocation, de corriger le mal quand il sera au milieu du peuple, et que nous en soyons purs. Quant au premier qu'un chacun regarde à soy, et qu'il face bon guet sur toutes ses affections, de peur d'estre seduit. Nous avons par cy devant monstré, qu'il ne suffiroit pas qu'un homme se fust preservé quant à l'acte, sinon qu'il mette bon guet sur ses yeux, tellement qu'il n'ait point de regards impudiques. Car celuy qui aura regardé la femme d'autruy avec une convoitise mauvaise, desia il est iugé devant Dieu pour paillard et adultere: et que sera-ce donc si nous venons au coeur? et puis, que nous venions iusques à espier et à faire le guet pour seduire les femmes? D'autant plus donc nous faut-il estre vigilans pour faire guet sur nos cupiditez, et selon qu'elles sont revesches, qu'un chacun aussi pense à soy, et que nous soyons tenus en bride sous la crainte de Dieu. Regardans aussi la menace si horrible qu'il en fait, que nous ayons ce zele de corriger les paillardises quand nous verrons qu'elles dominent au milieu de nous: car si nous les souffrons, et qu'elles soyent nourries par nostre nonchalance, nous serons tenus devant Dieu comme maquereaux et rufiens. Il ne faut point que nul s'excuse: car celuy qui fora du borgne ou de l'aveugle, et qui permettra que les paillardises se commettent, il ne peut point exempter devant Dieu qu'il ne soit un macquereau (comme i'ay desia dit) et entant qu'en nous est, nous ne faisons qu'amasser le bois de l'ire de Dieu. Si la maison d'un paillard doit estre consumee, et que le feu y soit pour tout devorer: si nous n'arisons de nostre costé de l'esteindre, et faire que les paillardises n'ayent point la vogue au milieu de nous, et ne soyent point communes et souffertes: il faudra que le feu s'allume par toute la ville, et par tout le pays, et que nous sentions la malediction de Dieu qui nous mine iusques à ce que nous soyons du tout consumez. Et d'autant que notamment il est icy parlé des iuges, que ceux qui ont la charge et l'office de chastier les pechez regardent bien à eux: car ils seront doubles maquereaux et doubles ruffiens devant Dieu, s'ils permettent que les paillardises passent devant leurs yeux, et qu'ils les cachent, et n'en tienent conte, et qu'ils soyent contens

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mesmes qu'elles ayent tousiours plus la vogue. Voila donc ce que nous avons à noter de ce passage. Et au reste, que nous avisions de n'estre point seulement retenus d'une crainte forcee, pour ne point commettre l'acte de paillardise: mais voyans que Dieu nous a fait ceste grace de nous choisir pour estre temples de son sainct Esprit, et qu'il nous a attirez à soy: que nous le prions qu'il nous face ceste grace de le servir en toute pureté, non seulement de corps, mais aussi d'esprit. Et d'autant que nous sommes entez au corps de nostre Seigneur Iesus Christ, et que mesmes il nous a unis à se, ce me ses membres: regardons de ne luy faire point cest opprobre que de nous aller ainsi polluer en telle turpitude.

Voila donc comme les fideles se doivent induire à chasteté, non point d'une crainte forcee seulement mais en cognoissant la grace et l'honneur que Dieu leur a fait, quand il a voulu ainsi approcher d'eux: qu'ils ne demandent donc aussi sinon de venir à luy par le moyen de nostre Seigneur Iesus Christ. Voila quant à ceste protestation que fait icy Iob de la paillardise. Or venons à la seconde protestation qu'il adiouste: c'est, Que tant s'en faut qu'il ait ravi le droit d'autruy, que mesmes il n'a point usé d'orgueil ne de cruauté envers ceux qui luy estoyent suiets. Les serviteurs et chambrieres de ce temps-la n'estoyent pas comme auiourd'huy, on ne les tenoit pas à louage, tant tenu, tant payé: mais ils estoyent esclaves et à la vie et à la mort, tellement qu'on les possedoit comme les asnes et les boeufs. Et cela est bien digne d'estre noté: car combien que se on le droit humain un maistre eust puissance et de mort et de vie sur son serf, toutes fois nous voyons comme Iob en a use: c'est assavoir qu'il s'est retenu, et s'est imposé loy, d'autant qu'il cognoissoit que selon Dieu il ne faut point que ceux qui ont telle maistrise en abusent, qu'ils soyent des tyrans, qu'ils foulent aux pieds les creatures raisonnables. Nous avons donc bien à noter quelle estoit la qualité et condition des serfs de ce temps-la: car c'est pour mieux donner à cognoistre quelle a esté l'humanité de Iob et la droiture dont il a usé, ne se permettant point ce qui luy eust este permis du costé des hommes: car il voyoit bien que cela ne luy estoit point licite selon Dieu.

Maintenant notons les mots dont-il use: Si i'ay refusé, dit-il, iugement à mon serviteur et à ma chambriere quand ils ont estrivé contre moy. Car le mot dont il use icy, signifie Quereler, debatre, et avoir quelque different ou procez. Par cela Iob signifie, que combien qu'il pouvoit fermer la bouche à ses seviteurs et chambrieres, et qu'il les peust assommer de coups quand bon luy eust semblé, en sorte que nul n'eust esté irrité contre luy: toutes

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fois il leur a donné liberté de plaider leur bonne cause: que quand il s'est courroucé, s'il y avoit excuse raisonnable, ses serviteurs et chambrieres pouvoyent debatre leur cause franchement, et monstrer leur droit, tellement qu'il ne les a point opprimez par force. Nous voyons donc qu'il n'y a point eu d'orgueil ne de cruauté en luy. Or il declare quant et quant comme il a peu moderer ses passions, tellement qu'il fust ainsi humain pour supporter ses inferieurs: Car, dit-il, celuy qu les a faits, ma fait aussi, nous avons esté tous forme d'un. On pourroit prendre cecy, Que nous avons esté formez en un ventre, c'est à dire, nous sommes tous descendus d'Adam, nous sommes tous d'une mesme nature: mais il faut l'estendre encores plus avant. Iob donc a consideré deux choses quand il a ainsi supporté humainement ses serviteurs et chambrieres. La premiere est, que nous avons un Createur commun, que nous sommes tous descendus de Dieu: et puis qu'il y a une nature semblable, tellement qu'il faut conclure que tous hommes, combien qu'ils soyent de basse condition, et mesprisez selon le monde, si ont-ils fraternité neantmoins avec nous. Car celuy qui ne daigne recognoistre un homme pour son frere, il faut donc qu'il se face un boeuf, ou un lion, ou un ours, ou quelque autre beste sauvage, et qu'il renonce à l'image de Dieu qui est imprimee en nous tous. Voila les deux raisons qu'amene icy Iob.

Or là dessus il conclud, Que feroi-ie, quand Dieu me viendroit visiter ? ne s'esleveroit-il point contre moi? pourroi-ie consister devant sa face? Quand il appelleroit à conte toute ma vie, comment pourroy-ie respondre, si ie n'avoye esté humain envers mes serviteurs ? Voicy un passage qui emporte grande doctrine et bien utile, moyennant que nous en sachions faire nostre profit. Car si nous devons estre ainsi humains envers nos inferieurs, que quand nous avons le moyen de les opprimer, nous devons de nous-mesmes nous imposer loy et mesure et regle: que sera-ce envers ceux qui sont pareils à nous? Car il semble que si quelqu'un est suiet à moy, qu'il me soit licite d'user de telle autorité, qu'il ne parle point, et que ie puisse tout sur luy: comme nous voyons que les hommes se font tousiours à croire beaucoup plus d'eux qu'il n'y a: et ai Dieu leur donne quelque portion d'autorité, ils l'augmentent tellement qu'il n'y a point de fin ne de moyen. Or tant y a que nous devons espargner mesmes ceux qui nous sont inferieurs, et par dessus lesquels nous sommes eslevez. Que sera-ce donc quand nous aurons affaire à nos pareils ou superieurs? Un maistre sera condamne devant Dieu s'il a opprimé son serviteur par violence, s'il s'est eslevé en telle presomption et arrogance qu'il n'ait point souffert a son serviteur de maintenir une

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bonne querele: et que sera-ce, si le serviteur est rebelle contre son maistre? Que sera-ce si un fils se dresse contre son pere, ou un suiet contre son superieur? Il est certain que cela est moins supportable.

Nous voyons donc icy une doctrine generale et commune à tous: c'est qu'en premier lieu ceux qui sont eslevez en quelque dignité cognoissent que Dieu ne les a point là mis pour se lascher la bride à molester les autres, et à leur tenir le pié sur la gorge: mais qu'il faut qu'ils se retiennent tousiours en humilité et modestie. Voila donc pour un Item. Car ceste autorité qui est entre les hommes doit valoir tellement, que celuy qui servira et sera petit, ne doit point estre mesprisé pourtant. Il est certain qu'un homme en sa maison voudra avoir maistrise, et il n'y a maistrise si noble que celle-la: un homme donc luy seul en sa maison voudra estre escouté et obei. Or nous voyons neantmoins qu'un maistre n'aura point un tel empire sur ses serviteurs et chambrieres, qu'il ne les doive ouyr paisiblement quand on leur aura fait tort. Si donc un homme en son privé doit user d'une telle humanité envers ceux qui luy sont inferieurs: que sera-ce de ceux qui ont l'authorité de iustice? Car ceux-la ne dominent point comme les maistres sur les serviteurs et chambrieres. Il y a une authorité, et une preeminence honorable: mais ce n'est pas pour dominer tellement que les autres soyent en servitude: au contraire que les Rois et les princes ne se flattent point, qu'il ne leur semble point que le monde soit cree pour eux, ils sont plus st creez pour la multitude. Dieu n'a-il pas establi les principautez et les royaumes pour le bien commun? Ce n'a pas este seulement pour en eslever deux ou trois entre les autres. Nenni: mais c, 'a esté afin qu'il y eust quelque ordre entre le genre humain, et quelque police. Ainsi donc les Rois et les princes doivent bien regarder de vivre tellement sur leurs suiets, qu'ils ne les foulent point, et n'exercent point une tyrannie sur eux: car ils seront beaucoup moins excusables, que ne sont pas les maistres, quand ils auront traitté cruellement leurs serviteurs et chambrieres. Or tant moins sera-il encores permis a ceux qui sont appellez en estat de iustice, qui sont assis comme serviteurs de Dieu pour rendre le droit à un chacun. Si ceux-la s'oublient, qu'ils se transportent par orgueil, il faudra bien que Dieu les chastie plus rudement beaucoup, que les maistres qui avoyent fait quelque violence ou quelque tort à leurs freres qui les servoyent. Au reste, est-il ainsi que ceux qui ont quelque authorité par dessus les autres ne doivent point s'eslever? que sera-ce donc de ceux qui sont de pareille condition? comment avons-nous à vivre

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chacun avec son prochain, et son voisin? Si un homme s'esleve quand il doit recognoistre son pareil pour s'accompagner avec luy, qu'il viene faire du taureau (ie vous prie) ne faudra-il point qu'un tel orgueil soit donté? Et quand un homme n'ayant rien qu'une temerité volage, voudra usurper une telle autorité sur ses prochains, qu'il ne daignera les regarder que de travers, qu'il luy semble que tout le monde doive trembler à son regard: ne faudra-il point que Dieu mette la main sur telles bravades?

Ainsi donc notons bien ce passage: car il n'est pas seulement pour instruire les maistres à modestie et humanité, mais tous en general, et par plus forte raison. Et pourtant comme nous voyons que Dieu veut que ceux qui sont inferieurs souffrent et endurent de ceux qui ont autorité par dessus eux: il faut bien qu'un chacun regarde son estat et sa vocation, et que nous apprenions de nous renger à telle modestie, qu'un maistre n'opprime point son serviteur, que le serviteur ne se rebecque point contre son maistre: mais qu'un chacun s'acquite de son devoir, tellement que Dieu soit servi en degré souverain. Voila ce que nous avons à noter de ce passage. Or afin d'estre plus convaincus, si d'aventure nous estions si farouches en nos esprits, qu'un chacun voulust usurper plus qu'il ne lui appartient, notons que nous ne serons pas seulement condamnez par la bouche de Dieu et de ses Prophetes, quand il y aura une telle fierté en nous, et que nous serons cruels envers ceux qui nous sont suiets: mais il faudra que les Payens au dernier iour soyent nos iuges. l'ay desia dit, que selon les loix humaines un maistre avoit de ce temps-la puissance de mort et de vie sur ses serviteurs. Qu'est-ce qu'ont dit les Payens là dessus? Il faut que nous usions des serviteurs comme de mercenaires, c'est à dire comme de gens que nous aurions prins à louage, et qui ne seroyent point suiets à nous. Voila leurs propres mots.) Si les incredules qui estoyent pour lors, ont eu ce regard d'humanité, qu'il falloit que chacun s'imposast loi, et combien qu'il eust une licence qui lui fust permise de faire ce qui lui sembloit bon envers les serviteurs: ie vous prie, quelle excuse y aura-il pour nous qui sommes esclairez de la parole de Dieu, si pour le moins nous n'avons une telle consideration? Et ainsi donc notons que si Dieu nous esleve en quelque autorité, c'est pour esprouver nostre modestie: et s'il nous donne serviteurs et chambrieres qui soyent suiets à nous, c'est afin de nous exercer à ceste humanité et droiture dont il est ici parlé, et que nous monstrions que si Dieu nous fait quelque grace especiale. en la tenant de i

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lui, nous sommes par ce moyen-la incitez à en user sobrement. Et puis qu'ainsi est que lui qui a toute puissance sur nous, neantmoins nous espargne, qu'il nous le faut volontairement ensuivre comme ses enfans, et en lui voulant ressembler estre humains envers les autres. Et au reste cognoissons que ceste puissance est du tout perverse, quand un homme sous ombre de l'autorité qu'il aura, se voudra eslever cruellement contre les autres: c'est, di-ie, signe d'une nature du tout maligne quand un homme s'eslevera ainsi à cause de son credit. Au contraire ceux qui sont d'une nature benigne et amiable, il est certain qu'ils espargneront tousiours leurs inferieurs: et d'autant plus que Dieu leur donne d'autorité, ils seront tant plus retenus, voire d'eux-mesmes. Il n'est point question ici de contrainte qui viene d'ailleurs, comme ceux qui feront des chiens couchans, et usent de toute flatterie, quand ils ne peuvent rien: et puis quand ils sont eslevez, se desbordent, et monstrent qu'il n'y a eu nulle modestie en eux, mais qu'ils sont d'une nature servile, ce qui est estime vilain et detestable. Et cela nous doit encores tant plus induire à ceste modestie que le sainct Esprit nous commande en ce passage. Mais le principal est de bien observer les deux raisons que nous avons touchees ci dessus: c'est assavoir que nous avons un Createur, duquel nous sommes tous descendus et que nous sommes d'une nature semblable.

Voila donc ce que nous avons à considerer, pour abbatre tout orgueil et toute cruauté en nous, quand nous y serions incitez. Si donc un homme a mesnage, et que Dieu lui ait donné des serviteurs et chambrieres, et qu'il soit tenté de s'eslever par trop, et d'user de rigueur excessive: qu'il cerche ce remede qui nous est ici declaré. Comment ? Quand ie traitteray cruellement mes serviteurs, que ie leur arracheray le pain de la bouche, qu'ils n'oseront point manger un morceau que ce ne soit à mon regret, que ie les presseray par trop à la besongne, bref, que ie me monstreray cruel envers eux: à qui est-ce que ie m'attache ? Il est vrai qu'ils sont miens: mais cependant Dieu ne les a-il pas creez et formez? N'avons-nous point un maistre commun au ciel? Et c'est ce que sainct Paul allegue (Eph. 6, 9), quand il exhorte les maistres à espargner leurs serviteurs: Mes amis, dit-il, combien que vous ayez superiorité sur eux, si est-ce que vous avez un maistre au ciel: car ceux qui sont eslevez, ne laissent point pourtant d'estre suiets: car Dieu est par dessus eux. Que donc ils regardent, qu'ils auront à rendre conte à celui qui leur a baillé les serviteurs. Ayans ceste consideration, ne faut-il pas qu'ils soyent retenus? Car avons-nous cela de nous-mesmes? De quel droit est-ce que nous parvenons a ceste superiorité qu'un

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chacun a en son endroit? N'est-ce pas comme un depost que Dieu nous à mis entre les mains? Ne faut-il pas donc que nous advisions d'en user selon sa volonté? Les Payens mesmes ont bien seu dire, quand ils ont voulu renger les Empires souverains: Et bien, il est vray que les Rois se font craindre et redouter: mais si est-ce qu'ils ne peuvent fuir la main du Iuge celeste: il y a un Dieu qui est par dessus eux. Si cela est dit des princes qui ont superiorité souveraine, que sera-ce de ceux qui sont d'estat moyen, comme des maistres et des maistresses? Et au reste (comme i'ay dit) que nous cognoissions, Voila, nous avons tous un createur commun. Quand nous pourrons considerer que nous sommes tous descendus d'un Dieu, il faudra conclure ce qui est vray, que nous ne pouvons pas opprimer nos prochains que Dieu n'y soit offensé. Que nul ne s'esleve donc en vanité: car (comme dit Salomon Prov. 14, 31 et 17, 5) celuy qui se mocque de l'aveugle ou du povre, celuy-la mesprise sa facture. Voila un povre homme, ie l'auray en mespris, ie lui feray quelque vergongne: il est vray que l'iniuré s'adresse à un homme mortel en premier lieu: mais tant y a que Dieu se vient là mettre au devant, et prend l'iniure faite comme à sa personne.

Voila donc ce que Iob, ou plustost le sainct Esprit a voulu noter en ce passage, disant que celuy qui a creé le maistre, il a cree le serviteur. Ainsi donc quand nous sommes touchez d'une vaine presomption, pour nous priser plus que les autres, et que nous appetons une telle domination, qu'un chacun face ioug devant nous, qu'on se iette là à nos pieds, que nous ayons la vogue: venons à ceste consideration là, Mais tant y a que si ie suis maistre Dieu a fait mon serviteur, il l'a formé aussi bien que moi. Quand nous penserons à cela, ce sera pour dompter ceste outrecuidance qui estoit en nous, afin que toute hautesse soit reprimee. Et cependant aussi que nous ayons ce second regard dont il est ici parlé, que nous sommes d'une nature semblable. Car il est vrai que Dieu a bien formé les bestes brutes, les arbres et les autres choses: mais il n'a point formé les hommes comme les bestes, il leur a donné intelligence, imprimant

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son image en eux. D'autre part ie ne puis pas contempler un homme, que ie ne me voye là comme en un miroir. Puis qu'ainsi est donc que Dieu a mis une telle conionction entre nous (ie vous prie) celui qui taschera de la rompre, ne se retranche-il point du genre humain? N'est-il pas digne d'estre renvoyé aux chiens, quand il ne recognoist point ceste nature que Dieu a mise en tous? Mais quoi? Il y en a bien peu qui pensent à ces choses: car au contraire on verra que quand un homme sera eslevé d'un doigt, il lui semble qu'il n'est plus du rang commun. Et d'autant plus nous faut-il bien noter ceste doctrine: car si Iob de ce temps-là, où il n'y avoit point encores une telle clarté comme elle est auiourd'hui, a cognu que puis que tous sont creez d'un Dieu, et qu'il nous a mis tous en un rang, cela doit corriger l'orgueil des hommes, et toute fierté et hautesse (ie vous prie), quelle excuse aurons-nous, quand maintenant Dieu se declare nostre Pere? Il ne dit pas seulement qu'il est Createur du genre humain, des povres comme des riches, des serviteurs comme des maistres, mais il se nomme Pere: il faut donc que nous ayons fraternité entre nous, si nous ne voulons renoncer à la grace de nostre Dieu, et nous retrancher de sa maison, au lieu que nous en sommes domestiques. Nous voyons comme Iesus Christ le Seigneur de gloire s'est abbaissé iusques là, qu'il s'est fait serviteur des serviteurs: nous avons aussi tous un heritage commun auquel nous sommes appellez, comme dit sainct Paul (Rom. 8, 17). Puis qu'ainsi est donc que nous apprenions de nous humilier, et puis que nous cognoissons que l'orgueil et la cruauté sont pour nous fermer la porte de paradis, que nous soyons benins et humains envers ceux sur lesquels nous aurons superiorité, quand nostre Seigneur les avouë pour ses enfans: et que nous soyons tous recueillis avec eux, en sorte que Dieu soit glorifié de tous, et de grands et de petits: et que nous suivions un tel ordre, qu'un chacun s'acquite de son devoir selon sa vocation, et que nous facions tous hommage à ce grand Seigneur et maistre, qui est le Iuge commun de tous.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

IOB CHAP. XXXI.

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LE CENT ET QUATORZIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XXXI. CHAPITRE.

16. Si i'ai debouté le povre de son desir, si i'ai fait consumer les yeux de la vefve: 17. Si i'ai mangé seul mes morceaux, et que l'orphelin n'en ait point eu sa part: 18. Car dés ma ieunesse il a esté eslevé avec moi, comme si ie lui estoye pour pere: elle a esté avec moi dés le ventre de la mere. 19. Si i'ai veu un homme perir par faute de robbe, et le povre par faute de vestement: 20. Si ses reins ne m'ont benit, et qu'il n'ait esté eschauffé de la toison de mes agneaux. 21. Si i'ai levé la main contre l'orphelin, voyant mon aide à la porte: 22. Que mon palleron tombe de mon espaule, et que mon bras soit cassé de ses ossemens. 23. Car i'ai eu crainte de la punition de Dieu, et ne pourroye porter sa charge.

Ici Iob monstre quelle humanité il a eu à secourir les povres et indigens. Par ci devant il a protesté qu'il n'avoit fait tort à nul. Or ici il passe plus outre: c'est qu'ayant pitié de la necessité de ceux qui venoyent au secours à lui, il leur a aidé de ses biens et de sa substance, voire sans les faire languir. En quoi il monstre qu'il a eu une promptitude: c'est à dire, que si tost qu'on l'a requis, il s'est employé, qu'il n'a point attendu du iour au lendemain, comme ceux qui se font tirer l'aureille. Et voila pourquoi il dit, Si i'ai debouté le povre de son desir: c'est à dire, quand il a veu le povre avoir faute et indigence s'il ne l'a secouru Si i'ai aussi fait consumer, dit-il, les yeux de la vefve: car si nous attendons quelque chose avec desir, nous avons tousiours nostre veuë là dessus: et quand nous sommes attentifs à regarder quelque chose, les yeux nous defaillent, ils s'esblouyssent. Nous voyons donc l'intention de Iob, c'est qu'il n'a point tenu le bec en l'eau (comme on dit) aux povres qui sont venus pour lui demander secours, mais qu'incontinent il les a aidez. Il adiouste, Qu'il n'a point veu aussi perir de froid ceux qui avoyent faute de vestemens: mais plustost, dit-il, leurs reins et leurs ceste m'ont benit: c'est a dire, qu'ils ont senti la grace que ie leur faisoye. Ils ont esté eschauffez de la toison de mes agneaux: bref il dit, Qu'il n'a point mangé ses morceaux tout seul, qu'il n'a point gourmandé à part le bien que Dieu lui donnoit, mais en a fait portion aux vefves et aux orphelins: voire lesquels, dit-il, i'ai eslevé avec moi comme leur pere. En quoi il signifie qu'il a este comme pere aux orphelins. l'ai, dit-il, dés le ventre de ma mere eu la vefve avec moi, i'ai

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eu en recommandation les povres qui avoyent besoin de secours, iamais ie ne leur ay defailli. Et si ainsi n'est, dit-il, que mon paleron tombe de mon espaule: c'est à dire, que ie soye desmembré, que ie tombe là tout pourri par pieces: que mon bras, dit-il, soit cassé de sa iointure et de ses ossemens: qu'on voye une malediction de Dieu grande et horrible du tout sur moi et sur mon corps, dit-il si i'ay fait tort à ceux qui estoyent foibles, et qui ne se pouvoyent revenger: comme si i'ay leve ma main contre l'orphelin: et encores que ie le puisse faire quant aux hommes, et que la iustice m'eust supportee en ma violence, et en mon tort: si toutes fois i'ay attenté cela, que ie soye desmembré, et que ie pourrisse. Et qu'ainsi Boit, affliction de Dieu m'a est tousiours pour crainte: car ie ne pourroye point porter sa charge. En ceci il declare (comme desia il a fait ci dessus) qu'il n'a point eu esgard aux hommes pour estre empesche ou par honte, ou par autre consideration de ne mal faire: mais que voyant que Dieu est son Iuge, il a cheminé droitement: et combien qu'il eust peu demeurer impuni quant au monde, et qu'il ne craignist pas qu'on le poursuivist ni par voye de iustice ni autrement, et qu'à cause de son credit il eust peu prendre licence de mal faire aux petits: si est-ce qu'il a tousiours regardé, Et mon Dieu, ie cognoi que ton ire me seroit espouvantable. Et comment l'endureroi-ie? Bref, Iob monstre ici qu'il s'est abstenu de peché, non point pour la punition (car il ne la voyoit pas devant ses yeux) mais pour la conscience, laquelle il adiournoit à obeir à Dieu, et craindre son iugement à venir. C'est la somme de ce qui est ici contenu.

Or pour le premier nous avons ici une leçon, pour monstrer que nous sommes enfans de Dieu: c'est que nous devons estre pitoyables à aider à nos prochains quand ils sont en necessité. Les aumones donc nous sont icy recommandees. Il a este dit souvent que ce mot emporte autant comme Misericorde. Or nous voyons que Dieu s'attribue ce tiltre-la entre les autres, qu'il est humain et miséricordieux: nous ne pouvons point donc estre ses enfans, et il ne nous avouera point tels, sinon que nous taschions à nous conformer à son exemple en cest endroit. C'est quand nous verrons quelques povres gens endurer, que nous soyons esmeus de pitié, et que nous advisions chacun selon sa faculté d'y prouvoir. Il est vrai que nous pourrions

SERMON CXIV

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donner toute nostre substance, que cela ne nous sera point reputé à vertu (car il faut devant que la main soit ouverte pour donner, que le coeur soit touché de compassion) mais si est-ce que quand nous aurons pitié de ceux qui endurent, il faut bien aussi que tant qu'en nous sera nous leur subvenions. Car si ie di a un povre (comme sainct Iaques remonstre 2, 16) Ion ami Dieu te prouvoye, ie monstre par cela que ie n'ay nulle dilection: si ie di, C'est grande pitié, ie me mocque, ie ne suis qu'un hypocrite, quand cependant ie ne tascherai point de secourir celui à qui ie doi bien faire: c'est à dire, ie verrai là une pitié que Dieu me monstre, et c'est autant comme s'il me donnoit occasion de m'employer: ie verrai donc Dieu qui m'appelle, et cependant ie ferai semblant de rien. S'il y avoit une seule goutte d'humanité en moi, ne tascheroi-ie point d'aider pour ma part à une telle nécessité? Ainsi donc nous avons à retenir de ce passage, que le S. Esprit nous exhorte à faire aumosnes, et que cela gist en deux poincts, c'est que nous soyons pitoyables, voyans nos prochains endurer: et quand nous aurons eu une telle affection de pitié, que nous regardions le moyen de leur subvenir, et qu'un chacun s'employe en son endroit. Vrai est que nous ne pouvons pas fournir à toutes les necessitez que nous verrons, et il faut bien qu'un homme Chrestien gemisse mesmes sans qu'il mette la main à la bourse, il ne sera point possible à ceux qui auront la meilleure affection, de s'employer tousiours: ils n'auront donc sinon ceste pitié: mais tant y a que Dieu accepte cela pour charité, comme si les povres estoyent nourris et repeus: et ce lui est autant de sacrifice que ceste compassion-la, quand elle sera en un povre homme, comme s'il avoit pleine bourse pour donner et eslargir. Toutes fois il nous faut tousiours regarder de nous employer selon nostre faculté, sachans que nostre Seigneur nous a constituez dispensateurs des biens qu'il nous a mis entre mains, non pas afin que chacun gourmande a part, mais que nous en communiquions à ceux qui en ont faute. Vrai est aussi qu'on ne peut pas ici imposer certaine loy: et Je fait sainct Paul quand il en parle, dit que Dieu ne nous contraint point comme par nécessité, mais qu'il veut une devotion liberale (Rom. 12, 8). Cependant notons bien que si les povres nous passent devant les yeux, que nous voyons leur indigence, et que nous ayons la bourse close, que nous ne daignions les secourir: c'est un certain signe que nous sommes comme bestes sauvages, qu'il n'y a point un seul grain de pitié en nous, et qu'il faudra que nous sentions une mesme cruauté en nostre tour, quand Dieu nous envoyera des afflictions: et combien que nous soyons miserables, que nul n'en soit esmeu, mais qu'on nous regarde

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avec desdain, que nous soyons reiettez, que nous soyons destituez de toute aide: car c'est la mesure que Dieu a accoustumé de rendre et le salaire de tous ceux qui ont esté ainsi cruels envers leurs prochains: comme il est dit, Qu'il y aura iugement sans misericorde à celuy qui n'aura point esté pitoyable. Et mesmes apres que selon nos merites les hommes nous auront esté cruels, il faudra encores en la fin que nous comparoissions devant Dieu qui nous traittera en toute rigueur, d'autant que nous n'aurons point ensuivi ceste bonté qui est en lui, et laquelle il nous veut estre pour exemple et regle. D'autant plus nous faut-il mediter ceste doctrine qui nous est ici monstree: c'est que Dieu ne se contente point quand chacun de nous s'abstiendra seulement de mal faire, et de nuire à ses prochains, de ravir le bien et la substance d'autrui. Il est vrai que c'est desia quelque vertu, quand nous pourrons protester que pour avons les mains pures, et ne sommes point adonnez à pillages, à fraudes, à rapines: mais cependant ne pensons point encores estre quittes: car si Dieu nous a donné dequoi pour aider à ceux qui ont nécessité, quand nous ne le faisons point, nous sommes coulpables. Et pourquoi? Car nous avons ravi les biens de Dieu les appliquans à autre usage qu'il n'a entendu. Si un serviteur est commis pour recevoir le bien de son maistre, et que le maistre lui ait ordonné, Tu donneras tant à cestui-ci, tu payeras une telle somme que ie doi, ou quand il lui aura baillé un tel ordinaire, qu'il veut que son bien soit ainsi employé: si le serviteur veut faire du chiche, et qu'on crie apres lui, Payez moi, et qu'il ne vueille rien desbourser, que l'autre vienne, Et vostre maistre entend qu'on me donne telle chose, et qu'il ne vueille rien desployer, que la famille crie apres le pain, et qu'il laisse là mourir de faim ceux qui travaillent au service de son maistre: et (ie vous prie) quand le serviteur dira, Voila, ie n'ai point touché une maille de vostre bien, voila tout ce que ie vous ai reservé: et cela sera-il supportable? Car le maistre lui pourra reprocher, le ne t'ai point mis mon bien entre mains à ceste fin: car tu m'as fait honte, quand tu n'as pas employé mon bien où ie l'avoye ordonné: maintenant il faut que i'aye reproche de ce que tu as esté chiche, espargnant le bien qui n'estoit pas tien. Quand donc le maistre s'addressera à un tel serviteur, ne le condamnera-il pas comme meschant? Or maintenant Dieu nous eslargit de ses biens à telle intention que nous en subvenions à nos povres freres. Si au contraire nous sommes tellement retirez qu'il ne sorte point un denier de nostre bourse, ni un morceau de pain de nostre cuisine, et que sera-ce? N'est ce point frauder ceux ausquels Dieu a oit ordonné une partie de nostre substance,

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et ne desrobons nous point à Dieu ce qu'il nous a mis entre les mains ? Apprenons donc (comme i'ai desia dit) d'estre plus enclins à misericorde: et combien qu'on ne puisse imposer certaine loi pour dire, que nous sommes tenus de donner tant: qu'un chacun neantmoins s'efforce, et qu'un chacun regarde à sa portee, sachant bien que quand nous aurons fait tout ce qui nous est possible, encores ne nous sommes-nous point acquitez.

Voila donc la loi especiale qu'un chacun doit avoir: c'est que la charité s'estende et de long et de large, et iusques là que nous confessions encores que nous ne nous sommes point acquitez suffisamment envers les povres. Et ainsi faisans tout ce qui nous sera possible (encores que nous n'y allions point en perfection) sans qu'il y ait ne chicheté ne regret, mais ayant un coeur liberal pour secourir à ceux qui ont faute: sachans que nostre Seigneur accepte nos aumosnes, qui lui sont autant de sacrifices de bonne odeur: voire combien qu'il y ait à redire, et que nous ne facions point la dixieme partie de ce à quoi nous sommes tenus. Cependant il nous faut bien noter ceste circonstance qui est ici mise, de ne point faire languir ceux qui ont faute (car c'est desia un signe que nous n'avons point une franche volonté d'aider à nos prochains quand nous usons de delai) et que nous ne les remettions point à un autre temps, sinon qu'il y ait bonne consideration. Car il se pourra bien faire qu'un homme sera enclin à pitié, et toutes fois il se voudra enquerir de la necessité qui est en la personne: mais cela n'est pas comme Iob l'a entendu, quand il dit qu'il n'a point repoussé le povre de son desir. Car il veut ici exprimer ceste difficulté qu'ont les gens chiches: c'est que d'autant qu'il leur semble qu'on leur arrache les boyaux du ventre, quand on leur demande quelque secours et qu'il leur faut tirer un denier de leur bourse, ils veulent tousiours avoir quelque relasche. Ils sont comme un mauvais payeur, quand on lui viendra demander la dette: il sait bien qu'il faut qu'il paye, et mesmes qu'il le peut bien faire, mais il est bien aise de se gogueyer avec son argent un iour ou deux: ou bien, ils sont comme un homme qu'on meine au gibet: il delaye tant qu'il lui est possible, et quand ce vient à monter l'eschelle, il barguignera sur chacun eschellon. Ainsi j en font ces taquins: quand on leur viendra de! mander ce qu'ils doivent, c'est tousiours à reculer, et encores plus quand on leur demandera l'aumosne. ! Or si nous estions charitables, il est certain que nous n'aurions point ces regrets là en nous, nous ne demanderions point de tels respits, les povres ne languiroyent point apres nous, tellement que nous n'aurions point puis apres les aureilles batues de leurs clameurs: mais nous tascherions de

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les secourir à heure presente entant qu'en nous seroit.

Voila donc ce que nous avons à retenir en ce passage, que pour faire aumosne qui soit agreable à Dieu, il ne faut point que nous attendions qu'on nous solicite, et importune: mais voyans le besoin j qui y est, que nous taschions d'y donner ordre à heure presente: comme il nous semble bien quand nous aurons quelque mal, que iamais on ne viendra à temps pour nous secourir. Et pourquoi donc ne sommes-nous tels envers les autres? Il ne faudroit prendre sinon ceste mesure-là: car c'est aussi la vraye regle naturelle, que nous facions à autrui ce que nous voudrions qu'on nous fist: mais nous sommes hastifs à demander secours, et à le donner tant tardifs que c'est pitie. Voila donc pourquoi nous avons tant mieux à observer ce mot, quand il est dit, que Iob n'a point fait languir la vefve, et n'a point repoussé le povre de son desir.

Il adiouste: Qu'il n'a point mangé tout seul ses morceaux, mais que l'orphelin et la vefve en ont leur portion. Pourquoi? Car, dit-il, i'ai eslevé la vefve dés le ventre de la mere avec moi, i'ai nourri l'orphelin comme pere. Ici nous voyons un exemple admirable de bonté et liberalité: car il n'est point question d'avoir fait quelque petite aumosne la sepmaine à trois ou quatre. Mais voici Iob qui se i declare avoir esté pere des orphelins, avoir esté le protecteur des vefves, non point seulement pour les aider, mais pour les nourrir de son bien et de sa substance. Quand nous oyons cela, ie vous prie ne devons-nous point avoir grande honte, de ce qu'à grande peine ferons-nous quelque petit secours à un homme, quand il y en aura cent qui nous requerront? que si nous defaillons une vingtaine de fois, il nous semble que c est assez de nous estre acquittez à la legere envers quelqu'un, non point encores pour le prouvoir comme il seroit requis, mais pour lui donner en passant quelque petite piece, pour dire, Va t'en prouvoir ailleurs. N'est-ce pas grande honte que Iob nous soit ici baillé pour un miroir, et qu'en sa personne nostre Seigneur declare quel est nostre office, et cependant que nous ne facions rien? Or est il ainsi que ce qui est ici contenu nous doit servir de doctrine et instruction. Aussi à l'opposite c'est pour nous condamner, tellement qu'il ne faudra point d'autre tesmoignage devant Dieu pour nous redarguer de nostre cruauté brutale, quand nous n'aurons pour le moins ensuivi ce qui nous est ici monstre de Iob. Il est vrai, que quand nous n'aurons pas ceste perfection, encores Dieu ne laissera-il point de nous accepter, comme nous avons dit. Que si nos aumosnes ne sont pas telles du tout qu'elles devroyent estre, moyennant que nous ayons ceste compassion envers ceux qui endurent, que nous taschions de leur bien

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faire, et que nous le facions d'un courage alaigre, Dieu acceptera cela: mais cependant si nous ne sommes esgaux à Iob, et que ne l'ensuivons-nous? Que ne taschons-nous, pour le moins de loing, de nous conformer à son exemple? Que ne tendons nous à un mesme but? Et bien, nous ne pourrons pas nourrir les orphelins, et mesmes quand nous aurions dequoi, si est-ce qu'il y a de l'infirmité en nous, que nous serons retenus pour ne point nous employer iusques à l'extremité: mais pour le moins si devons-nous avoir quelque compassion, faisons quelque chose si nous ne faisons tout: et puis si nous ne pouvons pas atteindre iusques au but auquel Iob est parvenu, pour le moins tendons y, puis que Dieu nous y appelle. Mais n'est-ce pas une grande honte que nous ne faisons rien du tout? Ou bien quand nous remuons une iambe, nous grinçons les dents, comme ces paresseux quand ils levent une iambe, il semble qu'ils trainent une montagne apres eux. Et puis levent-ils un bras? Ils rechignent, ils grondent, et au lieu d'advancer, ils reculent. Quand nous y allons ainsi, n'est ce pas signe qu'il n'y a nulle affection en nous?

Ainsi donc, apprenons pour le moins d'ensuivre l'exemple de Iob, si nous n'avons une telle perfection qu'il declare avoir eu, et le declare non point par vanterie, mais afin que nous soyons tant plus esmeus: car Dieu voyant que la simple doctrine ne nous profite point, nous propose des miroirs, afin que nous ayons tant moins d'excuse. Si on demande, Et comment donc? Faut-il donner sans nulle discretion à tous ceux qui demandent? La response est à cela, que le sainct Esprit ne veut point oster discretion à ceux qui font aumosnes, qu'ils ne regardent où le bien sera employé: car si nous y allions sans discretion, chacun seroit comme espinsé, et en fin les povres demeureroyent là sans secours: car les plus hardis (comme on dit) l'emporteroyent. Et qui sont ceux qui sont les plus hardis? Ceux ausquels il y aura moins de pitié: car ceux-là feront les povres, voire pour tout ravir ils ne demandent sinon qu'on leur donne au double, et au triple, et ne leur chaut gueres si les autres ont faim et soif. Il est donc bon qu'on ait prudence, et qu'on regarde de pres à qui on donnera, voire attendu la malice qui est auiourd'hui au monde, qu'il y tant d'hypocrites que c'est pitié. A grande peine de cent l'un, en trouvera-on qui soyent dignes d'estre secourus: car combien qu'ils soyent povres à la verité, toutes fois on ne leur sauroit bien faire, d'autant que si tost qu'ils ont quelque chose en main, c'est à gourmander, et yvrongner, et Dieu aussi fait consumer tout cela: bref, nous sommes venus au comble d'iniquité, en sorte qu'il faut bien discerner et esplucher quand il est question de donner. Mais cependant regardons de ne prendre

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point couverture de nostre chicheté sous ombre de ceste prudence. Car Dieu ne condamne pas qu'on ait egard à qui on doit donner, afin que le bien soit employé: ouy, mais il falloit en premier lieu avoir cela tout resolu, De moi ie ne veux point espargner selon la mesure que i'ai, ie veux bien faire selon ma portee, ie ne demande que trouver où ie pourrai secourir aux povres. Quand un homme sera resolu de cela, qu'il s'enquiere si l'aumosne est bien employee en cestui-ci ou cestui-là (car il le pourra faire librement) mais si un homme dit, O il faut premierement bien iuger quand il est question de donner, et puis qu'il prenne tousiours son excuse, O ie ne trouve point là de povreté, et qu'il soit bien aise d'avoir quelque occasion pour ne se point employer: on voit manifestement qu'un tel homme ne demande sinon à s'exempter de secourir a ceux qui ont faute de son aide. Si donc nous voulons nous enquerir, il faut que la bonne volonté marche devant, c'est à dire, que nous ne demandions sinon de bien faire, et puis enquerons nous hardiment: nous le pouvons faire moyennant que nous soyons bien affectionnez en premier lieu, et que nous ne demandions point de couverture de nostre chicheté Voila donc où il nous en faut venir. Cependant il ne faut pas aussi que nostre diligence soit trop exquise: car il est impossible qu'en bien faisant nous ne soyons trompez, et encores que nous mettions peine de discerner, si est-ce qu'il faut qu'il nous eschappe de donner quelque aumosne à ceux qui n'en sont pas dignes. Et voila aussi pourquoi S. Paul nous exhorte de ne nous point lasser en bien faisant (cal. 6, 9): car nous aurons beaucoup d'empeschemens à ce faire. Nous verrons premierement qu'il y aura des malins qui mesdiront, l'ingratitude viendra apres, tout cela nous pourroit desbaucher. Or si faut-il tousiours avoir bon courage, et continuer quoi qu'il en soit. En somme (suivant ce que i'ai desia dit) nous ne pouvons pas ici mettre des loix especiales par tout, mais la regle generale que Dieu nous donne, nous doit bien suffire: c'est que nous ayons un coeur humain, enclin à pitié et compassion, que nous ayons desir de bien faire et secourir à ceux qui ont faute de nostre aide, et que nous ne facions point languir ceux qui s'attendront à nous, mais plustost que nous ayons le coeur ouvert, afin que la main s'ouvre quand la necessité le requerra. Voila en somme ce que nous avons ici à observer.

Et au reste, notons bien ce que Iob dit quant et quant, Qu'il n'a point veu perir celui qui avoit faute de vestemens, il n'a point souffert que celui qui n'avoit nulle couverture mourust de froid. Mais, dit-il, leurs costez et leurs reins m'ont benit, et ont esté eschauffez par les peauz de mes moutons. Ici Iob monstre qu'en toutes sortes il a tasché de s'employer

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à faire aumosnes, non point seulement pour donner à manger et à boire à ceux qui ont faim et soif mais pour revestir ceux qui sont desnuez. Et dé fait si nous voulons estre pitoyables, il nous faut subvenir aux necessitez de nos prochains telles que nous les voyons: car ce n'est point assez de les secourir en une partie. Il est vrai que tous ne pourront pas estre comme Iob: car nous n'avons pas tant de milliers de bestail comme il avoit tellement qu'il pouvoit estre reputé entre les grands princes d'auiourd'hui quant à son revenu: comme nous avons veu qu'il n'avoit pas seulement les boeufs par paires ou par centaines, mais qu'il avoit les troupeaux, comme ils pourroyent estre en cinq ou six gros villages, voire et beaucoup plus, comme en un pays. Car nous avons veu que son bien et sa substance estoit seulement en bestail, comme le bestail d'un pays. Chacun donc ne sera pas pour venir là: mais quoi qu'il en soit, regardons nostre mesure: car selon icelle il nous faut tascher de bien faire: comme nous savons ce qui est dit, Que la vefve qui avoit seulement donné deux mailles, Iesus Christ la louë et la prise plus que ceux qui avoyent ietté la grosse somme d'argent. La raison ? Et c'est pource qu'elle avoit donné toute sa substance, et les autres en avoyent donné seulement une petite portion, attendu leurs richesses. Ainsi donc qu'un chacun regarde à soi: et en premier lieu voyans la faute qu'auront nos prochains ou de boire ou de manger, ou de vestemens, pour le moins si nous ne les pouvons autrement secourir que nous prions Dieu qu'il en ait pitié, et les adresse: cependant qu'il ne tienne point à nous quoi qu'il en soit, qu'ils ne soyent aidez et secourus. Voila donc ce que nous avons à retenir, Que Iob apres avoir parlé de ses morceaux, et qu'il en a fait portion à ceux qui estoyent affamez, il adiouste, Qu'il a aussi bien revestu ceux qui pouvoyent perir de froid sans son aide.

Et mesmes il dit, Que leurs reins l'ont benit: en quoi il declare qu'ils ont eu occasion de lui savoir gré, estans ainsi assistez par lui. Or cependant il nous monstre qu'il ne s'est point attendu aux hommes pour avoir son salaire, qu'il n'a point cerché qu'il s'acquittast envers lui s'il faisoit du bien: mais qu'il s'est contente du bien qu'il avoit fait, sachant que cela estoit agreable à Dieu. Et c'est une leçon que nous devons bien retenir: car encores que les hommes nous soyent ingrats, et que ceux ausquels nous aurons bien fait murmurent contre nous, et qu'ils nous rendent le mal pour le bien: si est-ce que nous n'avons rien perdu en leur bien-faisant. Et pourquoi? En despit de leurs dents si nous les avons repeus, leur ventre nous benira devant Dieu: si nous les avons secourus en autre façon, il faudra que la chose responde. Il

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est vrai qu'ils seront par fois si malins qu'ils diront, Voire, et c'est bien à propos? Et de quoi lui suis-ie tenu? Comme nous verrous auiourd'hui que les plus povres seront les plus orgueilleux: ceux auxquels on aura tasché de bien faire, ce seront les plus mesdisans. On verra donc cela: mais ne soyons point faschez pourtant. Que si nous ne pouvons porter une telle ingratitude, notons le mot qui est ici couché, c'est que ce que nous aurons fait, nous benira devant Dieu. Y a-il un homme qui soit si vilain, quand on l'aura aidé, qu'il despite et murmure ? Et bien, si est-ce qu'il porte ses costez: et si on l'a revestu, il faudra que son corps nous benisse devant Dieu. Il est vrai que lui n'a point une telle affection: mais quoi qu'il en soit, Dieu regarde le corps qui a esté revestu: et ceste benediction viendra en conte devant lui. Celui qui aura este repeu (comme i'ai dit) il faudra que son ventre parle, et combien que sa bouche soit si desloyale, qu'elle convertisse le bien en mal, et qu'il n'y ait que venin qui en sorte: si est-ce que nostre Seigneur acceptera la benediction de l'aumosne qu'on aura faite. Voila donc ce que nous avons à noter, afin d'estre incitez de secourir ceux qui ont faute de nous, que nous ne regardions pas s'ils sont pour nous r compenser, et pour nous revaloir le bien qu'on leur aura fait, ou s'ils sont pour nous savoir gré. Bien, prenons le cas qu'ils facent tout au rebours, neantmoins nous n'aurons point perdu nostre peine, d'autant que Dieu accepte ce sacrifice qui aura esté fait.

Voyla donc qu'emporte ce mot, Que les costez ou les reins benissent ceux qui auront revestu un homme qui avoit froid. Et au contraire notons, que quand les povres ne crieront point vengeance contre nous, et ne se plaindront point: si est-ce toutes fois que leurs costez nous maudiront quand ils auront souffert indigence, et que nous aurons fermé les yeux, et n'en aurons eu nulle pitié, pour dire, le suis à mon aise: et il ne me chaut comme il va des autres. Si donc nous avons esté ainsi cruels, il est certain que Dieu fera parler les costez et les reins, quand il y aura eu des povres disetteux qui seront ainsi morts par necessité, et que nous n'aurons daigné les secourir: encores qu'ils n'ouvrent point la bouche pour se plaindre de nostre cruauté, Ô il faudra que l'angoisse qu'ils auront soufferte crie, et qu'elle se plaigne devant Dieu, et que la vengeance en soit faite selon ceste plainte-là. Il en adviendra ainsi, encores que les hommes ne sonnent mot, comme nous avons dit.

Or apres que Iob a parlé ainsi, il adiouste, Qu'il n'a point eslevé sa main contre l'orphelin, voire combien qu'il vist son aide à la porte: c'est à dire combien qu'il le peust faire sans estre puni des hommes: car en ce temps-là on tenoit la iustice

SERMON CXIV

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aux portes de la ville comme aux lieux les plus frequentez. Iob donc dit, Il est vrai que i'eusse peu faire trembler l'un, fuir l'autre, que i'eusse peu estre comme une foudre, et si ne me eust-on sonné mot. Et pourquoi ? Un homme de credit sera supporte, et n'osera-on pas se plaindre de lui: et quand on s'en plaindroit, les iuges n'oseront pas faire raison. Combien donc que i'eusse la vogue, et que la iustice eust souffert tout ce que i'eusse attenté: toutes fois ie n'ai point abusé de mon credit, ie n'ai point mesmes foulé le povre: quand il y a eu un orphelin, ie n'ai point tasché d'en faire mon profit: car nous savons que les orphelins sont exposez en proye souventesfois. Iob donc monstre qu'il a eu une telle droiture, que quand il pouvoit ravir la substance d'autrui, iamais n'y a tasché, iamais n'a voulu faire son advantage aux despens d'autrui: voire, combien que cela lui fust permis du costé des hommes. Mais il adiouste la raison. Car, dit-il, l'affliction de Dieu et sa ruine, ''a esté pour crainte. Comme s'il disoit, le n'ai point eu seulement ce regard que les hommes ne me fissent reproche: mais i'ai tenu mes yeux fichez en Dieu, qui est mon Iuge celeste. Or ici nous voyons en premier lieu que de tout temps il y a eu des corruptions grandes, que les hommes qui sont ordonnez pour rendre le droit à un chacun, ne s'en sont point acquitez. Auiourd'hui donc ce n'est point une chose nouvelle, si les iuges tendent la main aux plus meschans, et leur favorisent, et les supportent en leurs malefices: l'a este une coustume ordinaire. Et d'autant plus doivent ceux qui sont en estat de iustice regarder à eux pour s'acquitter devant Dieu. Mais quoi? Ceste corruption a dominé de long temps, et auiourd'hui elle a la vogue encores plus que iamais. Si on dit, Et c'est tout un, puis que ce mal-là a esté de toute ancienneté: ô il ne sera pas excuse pourtant. Et aussi alors il n'y avoit pas une telle cognoissance de Dieu, la doctrine n'estoit pas si familiere comme elle est auiourd'hui. Ceux donc qui sont assis au siege de iustice, qui ont le baston en main, quand ils souffriront les extorsions, qu'ils verront un povre homme qui sera foulé, et n'en tiendront conte: voyans ceux qui ont quelque credit usurper plus qu'il ne leur appartient, s'ils dissimulent, quelle excuse y aura-il pour eux, attendu que iournellement ils ont les aureilles batues d'admonitions et remonstrances, et qu'on leur declare ce qu'ils doivent et à Dieu et au peuple qui leur est commis? Et ainsi notons sur ceste doctrine, que si une telle corruption a esté ordinaire au monde, que les iuges ont supporté les meschans: quand auiourd'huy nous voyons une semblable confusion, il faut qu'un chacun de nous se console, et qu'il ne nous face point trop mal si nous n'avons

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ne raison ne droit de ceux qui nous font beaucoup d'iniures, et que nous n'en puissions venir à bout. Il faut alors que nous soyons armez de patience: car nous voyons que Dieu de tout temps a ainsi voulu exercer les siens. Il pouvoit bien dés l'aage de Iob mettre ordre à la iustice, mais il a voulu que beaucoup de povres souspirassent. Si nous en sommes ainsi auiourd'huy, il veut par ce moyen-la nous apprendre que c'est de souffrir. Voila pour un Item.

Mais tant y a qu'il faut que ceux qui sont en estat de iustice regardent bien à eux: car puis que les hommes sont enclins à ce vice-la ils seront incontinent desbauchez de leur devoir, sinon qu'ils y prennent garde: comme aussi nous en voyons les exemples par trop. Or il y a une seconde leçon qu'il nous faut aussi recorder: c'est, Que nous ne regardions point ce qui nous est licite du costé des hommes, mais qu'à l'exemple de Iob nous ayons nostre veuë fichee en Dieu, et que sa crainte nous retienne pour ne point nuire, et ne faire aucun tort à nos prochains. Et ceste leçon ici est bien necessaire: car auiourd'huy (ie vous prie) qu'est-ce qu'on regarde, sinon de n'estre point reprins des hommes? Ce sera assez, moyennant qu'on en puisse venir à bout. Et cependant quel est l'ordre de iustice? Tel qu'il estoit du temps de Iob. L'aide estoit à la porte pour ceux qui faisoyent extorsion, qui mangeoyent les vefves, qui molestoyent les povres gens. Helas! auiourd'huy nous sommes venus à telle extremité, et encores pire, que si un povre homme est foulé, il n'en aura point de raison. Et pourquoy ? Ceux qui pillent le bien d'autruy, qui trompent, qui batent, ou molestent les povres, et qui se desbordent à toute iniquité, ce sont gens dissolus qui ont conceu une telle audace, qu'il leur semble qu'il n'y a plus de loy pour eux. Or les magistrats de leur costé sont timides plus que femmes, il n'y a nulle vertu de l'Esprit de Dieu, ou bien ils sont contens de dissimuler, et de gratifier, et s'accorder mesmes à demi aux meschans: et encores qu'ils cognoissent que les choses ne vont pas bien, si est-ce qu'ils n'ont point de zele pour y remedier: les autres seront encores pires car ils ne demandent sinon que tout soit desbauché, et qu'on vienne en une telle extremité de mal, qu'il n'y ait plus que contusion, qu'il n'y ait plus ne crainte de Dieu, ny honnesteté. Voila où nous en sommes.

Or donc la pluspart ne pense à autre chose, sinon comme ils en pourront eschapper quand ils auront mal fait. Voila un rustre qui espiera le bien d'autruy: et bien, s'il y a quelque moyen pour attrapper, il regarde: voire ? mais il faudroit venir à conte. O c'est tout un, quand i'auray corrompu un tel, incontinent c'est fait: quand ie luy feray

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present de cecy, ie l'ay gagné: et cestuy-ci en gaignera encores deux autres: et puis si ie fay telle chose, il y en aura quatre: et quand i'en auray encore demi douzaine qui seront affectionnez à cela, i'ay tout gagné. Voila comme ceux qui ont la iustice en main seront exposez en vente comme des putains, qu'ils n'ont plus de honte et ne se soucient de leur honneur, ne de rien qui soit: car maintenant les ruses qu'ils pretendront seront si vilaines, qu'il n'y aura nulle couleur du monde. Nous le voyons. Et ainsi chacun se donne licence de desrobber, de piller, de battre, de faire toute extorsion. Et pourquoy? Car si on apporte le fait à la iustice, tout est corrompu. Et ainsi c'est une sentence que nous devons bien noter, quand Iob proteste, que nonobstant son credit, et qu'il fust tellement redouté, que les iuges mesmes n'osassent pas faire raison de luy, encores qu'il n'y eust point eu des plaintes: toutes fois il s'est abstenu de son bon gré de mal faire: et qu'il n'a point conclud, le pourray, d'autant que les hommes me le permettent: mais a eu ce mot comme pour bride, c'est assavoir, Que l'affliction, de Dieu luy a esté pour crainte.

Or donc apprenons de cheminer en rondeur et en bonne conscience: que quand nous voudrons entreprendre quelque chose, nous facions cest examen, si cela nous est permis de Dieu ou non: et quand nous verrons qu'une chose desplaist à Dieu, qu'il la defend et reprouve, contentons-nous de cela: et encores que les hommes nous applaudissent, et mesmes qu'ils nous permettent de faire ce que bon nous semblera, gardons-nous-en. Et pourquoy ? Car il nous faudra venir devant le Iuge celeste. Et que nous profitera-il quand nous serons eschappez de la main des hommes? Car ce sera pour redoubler sa vengeance. Et pourquoy? D'autant que nous monstrons bien de fait que nous craignons les hommes plus que Dieu. Et ne voila point une iniure trop vilaine que nous luy faisons, de preferer à sa maiesté des creatures mortelles, des povres charongnes? le craindray des hommes, et cependant ie ne feray que me mocquer de Dieu, sa maiesté ne me sera rien. Et puis quand nous aurons corrompu la iustice, ou par haine, ou par faveurs, ou par quelques autres moyens obliques, que nous aurons gaigné les iuges: ne voila point encores un second outrage que nous faisons à Dieu? N'est-ce point polluer ce qu'il avoit sanctifié? Or la iustice est une chose sacree, et nous la venons prophaner quand nous destournons à mal ceux qui sont là assis, et que Dieu avoit constitué à ceste intention que l'authorité de son nom y deust reluire: si nous venons, di-ie, ainsi les desbaucher, ne voila point un sacrilege? Et pour ceste cause ay-ie dit, que nous ne faisons que redoubler sur nous l'ire de

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Dieu quand nous sommes ainsi eschappez de la main des hommes. Voila donc comme nous devons avoir les yeux fichez en Dieu, et regarder son iugement, afin de nous retenir de nostre franche volonté si nous pouvons mal faire, et combien que cela nous soit permis du costé des hommes. Et cependant aussi notons qu'il ne nous faut point craindre ces affliction de Dieu quand nous la sentirons, mais il faut prevenir: car c'est trop tard, si un homme, quand il sera frappé de la main de Dieu, sent qu'il est son iuge: mais que nous craignions cependant que Dieu nous menace, et devant que les coup ruent sur nos testes. Voila comme chacun s'abstiendra de mal faire, quand nous appercevrons de loin par l'oeil de la foy les afflictions qui sont apprestees à tous malfaiteurs, et à ceux qui molestent leurs prochains. Et Dieu nous fait une grande grace, quand il nous advertit ainsi devant le coup, afin de prevenir sa vengeance. Voila donc ce que nous avons à retenir.

Et c'est la conclusion que Iob adiouste, Comment porteroy-ie son fardeau? C'est pour nous monstrer ce qui est dit aussi par l'Apostre (Heb. 10, 31), Que c'est une chose trop horrible de tomber entre les mains dl Dieu vivant. Nous craindrons les punitions humaines qui n'attouchent qu'au corps: et que sera-ce de ce feu de l'ire de Dieu qui consume tout, voire et cependant ne s'esteint iamais, et qui brule en telle sorte, qu'il faut que nous persistions., voire pour l'endurer sans fin? Que ne regardons-nous là? Ainsi donc soyons touchez de ceste affliction de Dieu, et ne regardons par seulement de nous garder de mal faire pour la honte ou peine du costé des hommes: mais que nous cognoissions en nos esprits et nos sens, et que nous pensions, Comment? quand les hommes auroyent deliberé d'exercer sur nous les tourmens les plus cruels qu'il est possible de penser: si est-ce que tout cela n'est rien au prix de ceste vengeance de Dieu. Si un homme est mis sur la roue, ou bien qu'il soit tenaillé, qu'il soit brulé tout vif: et bien, combien que ce soyent des tormens fort griefs, si est-ce qu'ils passent, et ne durent gueres: et puis ce n'est que quant au corps. Mais voicy l'ire de Dieu qui consume tout, c'est un feu ardent qui brusle sans fin, c'est un ver qui ronge le coeur au dedans et qui mange. Quand l'Escriture use de ces similitudes, ce n'est point encores pour exprimer ce qui en est: mais c'est seulement pour nous en donner quelque petite apprehension. Notons bien donc que c'est un fardeau insupportable que la vengeance de Dieu, laquelle est apprestee à tous meschans: et que par cela nous soyons incitez à cheminer en crainte et patience, sachans que si les hommes usent de violence et de cruauté à l'encontre de nous il y a un Iuge celeste oui est pour

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s'en venger: et que par cela nous soyons aussi retenus de mal faire, encores qu'il nous soit licite quant au monde: et que nous advisions que nostre conscience soit pure, et que la cognoissance de Dieu soit la vraye regle pour nous conduire, et que nous ayons tousiours les yeux dressez en haut,

afin de regarder à celuy qui cous a mis en ce monde, nous declarant qu'une fois il nous faudra venir à conte devant son siege iudicial.

Or nous nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE CENT ET QUINZIEME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE XXXI. CHAPITRE.

Ce sermon est encores sur les versets 21, 22, 23 et puis sur le teste qui est icy adiousté.

24. Si i'ay mis mon coeur en l'or, ou si i'ay dit à la masse d'or, Tu es mon esperance. 25. Si ie me suis esioui d'estre riche, et que ma main a trouvé abondance. 26. Si i'ay regardé le soleil luisant, et la lune cheminant en sa clarté. 27. Que mon coeur ait esté seduit en secret, et que ma main soit venue à ma bouche: 28. Cela seroit iniquité damnable, et i'auroye renié le Dieu d'enhaut.

Nous vismes hier la protestation que faisoit Iob d'avoir cheminé droitement, non point pour crainte des hommes: mais d'autant qu'il avoit tousiours les yeux à Dieu, sachant qu'il est le Iuge de tous, et que c'est devant luy qu'il faut venir pour rendre conte. Notamment il disoit qu'il ne s'est point fié en son credit, comme font les riches qui ont dequoy, et qu'il n'a point eu ceste imagination folle pour se faire craindre: ainsi que les gros seront tousiours enflez de presomption, et on voit que les povres, et ceux qui n'ont dequoy se revenger seront foulez, qu'on les tourmente, qu'on leur fait tort, iniure, et opprobre. Iob donc a dit, Qu'il s'est abstenu quant aux hommes de toute iniure, qu'il n'a point tasché de leur mal faire. Et pourquoy? Sachant bien qu'il ne pourroit point eschapper la main de Dieu. Sur quoy nous avons monstré, que si le mal est supporté ici bas, il nous faut user de patience, veu que Dieu a voulu tousiours ainsi exercer les siens, c'est qu'on leur fist beaucoup d'outrage, et qu'ils ne fussent point main. tenus en leur bon droit, que la iustice fust aveugle, ou qu'elle fust perverse. Notons donc qu'il ne faut point que nous pension avoir rien gaigné quand nous serons eschappez des hommes: car nous ne faisons que r'allumer l'ire de Dieu sur nous: d'autant que celuy qui aura corrompu la iustice, est coulpable de sacrilege. Et puis on s'abuse, quand

on cuide une chose estre licite, d'autant qu'elle ne sera point punie des hommes: on prend en cela plus de hardiesse, et voila Dieu qui est plus griefvement offensé. Il faut donc qu'alors sa malediction croisse, et qu'elle s'enflamme tant plus sur nous.

Or apres que Iob a protesté de n'avoir point foulé l'orphelin, ni outragé les foibles, il adiouste Qu'il n'a point mis sa confiance en l'or, et qu'il n'a point dit à ses richesses, le me repose en vous: mesmes qu'il ne s'est point esioui quand son bien s'est multiplié. Nous avons tousiours à retenir ce qui a esté declare par ci devant: c'est assavoir, que Iob ne touche point une seule vertu, mais comprend en general toute la regle que Dieu nous a donnee de bien vivre: comme de fait ce n'est point assez quand nous aurons accompli une partie de la Loy, si nous le pouvions faire: mais il faut qu'en tout et par tout nous taschions de regler et compasser nostre vie à tout ce que Dieu nous commande. Tout ainsi donc que Iob a protesté qu'il ne s'estoit point monstre cruel contre les orphelins et les povres gens: aussi maintenant il dit, qu'en soy il n'a pas este enflé d'orgueil ne de presomption, qu'il ne s'est point prisé d'avantage d'autant qu'il estoit riche. Or c'est une vertu singuliere que ceste-ci: car nous voyons sur tout quand un homme a quelque peu pour se glorifier, qu'on ne pourra porter sa folle outrecuidance. Il ne faut point que nous soyons rois ne princes, pour nous enfler et nous faire valoir. Incontinent qu'un homme a bien peu, le voila esleve, et il estendra ses aisles. Et ceste ambition n'est point seulement aux hommes, mais aux femmes aussi: et de fait, on voit si tost qu'il y a dequoy, que les pompes des femmes se desbordent, les estats s'augmentent. Et puis un homme changera mesme de visage, tellement qu'il ne daignera regarder ses voisins que de travers,

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il n'ouvrira la bouche qu'à demi: ou bien s'il l'ouvre, ce sera pour monstrer une fierté si grande qu'on n'osera plus parler à luy. Voila donc l'orgueil qu'on voit quasi par tout. Or que seroit-ce quand les gens auroyent en grans monceaux l'or et l'argent, qu'il auroyent les choses comme Iob a eu, quand il declare que ses richesses luy multiplioyent? Quand donc un homme aura les coffres pleins d'or et d'argent, n'est ce pas une chose difficile qu'il soit tousiours en telle modestie et humilité, que son or et son argent ne luy soit rien? Et pourtant nous voyons que Dieu a besongné miraculeusement en Iob, quand il n'a point permis qu'il fust aveuglé en vaine presomption se voyant riche: mais a fait qu'il a possedé ses richesses en telle sorte qu'il a esté tousiours prest de les quitter, et qu'il n'y a point mis son coeur. Or ce que Iob proteste de soy, il nous est commandé à tous: comme nous voyons qu'il est dit au Pseaume (62, 11), Si les richesses vous abondent, n'y mettez point vostre coeur, c'est à dire, n'en faites point des idoles pour vous y fier, pour estre enflez de quelque hautesse. Et voila pourquoy aussi sainct Paul dit (Ephes. 5, 5), que c'est idolatrie qu'avarice: car il est impossible qu'un homme ait ceste convoitise d'amasser beaucoup, qu'il ne soit quant et quant preoccupé de ceste hautesse qu'il se voudra faire valoir sous ombre de ses biens. Et quand cest orgueil-la regne en l'homme, voila double idolatrie qui y est: l'une, qu'il luy semble que Dieu luy doive faillir sinon qu'il ait dequoy: et puis quand il se trouve riche, il despite quasi Dieu, il luy semble qu'il est si bien muni qu'il n'est question de plus: bref, c'est une yvrongnerie, car comme un homme qui sera yvre, se fera à croire merveilles: ainsi quand un homme est riche, et presume de ses richesses, il ne luy souvient plus qu'il soit homme mortel, il s'oublie tellement qu'il ne fera nulle difficulté de s'eslever contre Dieu.

Et ainsi notons premierement, que Iob ne proteste icy rien de soy que Dieu ne commande à tous fideles: c'est assavoir, de ne point appliquer leur courage aux richesses, encores qu'elles leur abondent. En second lieu notons, que c'est une vertu bien rare entre les hommes, et que d'autant plus nous y faut-il employer toute nostre estude, veu que nous ne pouvons pas nous restreindre sans grande difficulté, et sans nous esvertuer du tout. Que donc nous mettions peine à nous tenir en telle modestie, que les richesses ne nous transportent point, et que nous ne soyons point aveuglez iusques là d'y mettre nostre coeur et affection. Et au reste, notons que c'est un vice insupportable, quand un homme se fie en ses biens. Et pourquoy? Car n'est-ce pas une trop grande enormité

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de ravir à Dieu l'honneur qui luy est propre, pour le donner a une creature morte et insensible? Or celuy qui presume de ses richesses, n'en fait-il pas un Dieu, comme desia nous avons declaré? Voila donc Dieu qui est despouillé de son honneur, et l'or et l'argent qui sont creatures mortes, l'ont: et ne voila point un monstre? Et ainsi apprenons, que nous ne pouvons pas presumer de nous sous ombre des biens que Dieu nous donne, que nous ne soyons sacrileges, et du tout idolatres, comme S. Paul appelle les avaricieux.

Et c'est aussi ce que Iob a voulu exprimer en disant, Si i'ay mis mon coeur en l'or, et si i'ay dit à la masse d'or, Tu es ma fiance. Iob introduit ici un propos mutuel entre luy et son argent. Or il est vray qu'un un homme ne parlera point â. ses richesses, quand il ouvre son buffet ou son coffre il n'entre point là pour deviser comme s'il y avoit quelqu'un avec luy: mais Iob exprime tres bien en ce langage la folie et l'outrecuidance qui est aux riches, quand ils se confient en leurs biens. Et pourquoy ? Ils ont là comme une intelligence secrette et un complot avec l'or et l'argent. Il est vray qu'ils ne parlent pas, mais sans parler ils ne laissent pas d'avoir ce qui est icy monstré par Iob, Ainsi donc toutes fois et quantes que nous sommes solicitez de mettre nostre fiance aux creatures, et en ces choses terrestres: qu'il nous souvienne que c'est ravir à Dieu son honneur, et l'en despouiller, et l'attribuer à une chose de rien: et que nous ayons cela en detestation. Cependant aussi retenons ceste condamnation qui est ici mise de Iob sur nous, et faisons comparaison de luy â. nous Quelle honte sera-ce, qu'un homme quand il aura vaillant ie ne say quoy, s'esleve, et se mire en ses plumes, et qu'il pense estre quelque chose? Voila Iob qui a possedé de si grands thresors, qu'il avoit amassé l'or et l'argent par monceaux: si est-ce neantmoins qu'il s'est tousiours retenu en ceste humilité comme s'il eust esté povre. Quelle honte sera-ce donc à nous quand nous serons eslevez d'un bien peu, veu que Iob ne s'estoit point aveuglé en ceste grande abondance que Dieu luy avoit donnee? Voila pour un Item.

Et au reste, notons que c'est une grande probation pour un homme, quand il est riche, et toutes fois qu'il ne s'enorgueillit pas, mais demeure tousiours paisible, et que sans presumer de soy, il chemine comme s'il estoit du reng commun. Voila une bonne espreuve. Et ainsi ne pensons point avoir acquis une grande vertu, quand nous n'en serons point venus iusques là: car on ne sauroit pas trouver un homme en ceste ville de Geneve, ni mesmes en tout le pays, qui fust comme Iob: et de fait, quand on aura amassé tous les plus riches, ce n'est rien, par maniere de dire. au prix de ce

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qu'il a possedé. Ceux qui se glorifient auiourd'huy de leurs richesses, sont comme s'ils cuidoyent estre grans, pour estre montez sur une pelure d'oignon, quand on fera comparaison de ce qu'ils ont avec ce que Iob possedoit. Mais quand nostre Seigneur tient ainsi les hommes en petitesse, qu'ils cognoissent que c'est pour leur profit, et que s'ils estoyent en plus grande abondance, ils en pourroyent crever, et que cela seroit cause de leur ruine, qu'ils voudroyent monter si haut qu'ils se romproyent le col. Ainsi donc notons que nostre Seigneur procure nostre bien et salut, quand il ne permet pas que nous soyons si haut montez: car nous ne pouvons porter nostre fortune, comme on dit. Nous voyons qu'encores que nous n'ayons point d'occasion de nous eslever, et que nostre estat soit si petit que rien plus, si est-ce que toutes fois nous voulons tousiours estre grans, voire comme en despit de Dieu et de nature. Et que seroit-ce donc si nous avions tous moyens ? Voila qui nous doit mieux faire porter en patience nostre condition, voire combien qu'elle soit basse et petite. Et mesmes que ceux: qui sont si povres, qu'ils n'en peuvent plus, cognoissent que Dieu par ce moyen les veut humilier et matter, afin qu'ils ne soyent point adonnez à orgueil: comme possible ils seroyent s'il ne leur tenoit la bride courte, et qu'ils ne fussent retenus par tel examen. Quoy qu'il en soit, contentons nous que nostre Seigneur sait ce qui nous est propre, et qu'il l'a en sa main, tellement qu'il n'est point empesché de nous le donner, quand il cognoistra qu'il sera bon et expedient.

Voila donc ce que nous avons à noter en somme de ce qui est ici dit, Que Iob n'a point mis sa confiance en l'or, et qu'il ne s'est point eslevé, voyant qu'il estoit enrichi. Mais encores ce qu'il adiouste est bien digne d'estre noté, c'est assavoir Qu'il ne s'est point esioui quand sa main a peu amasser beaucoup, et qu'il luy est venu du bien de toutes parts: qu'en cela il ne s'est point esioui. Or de primeface il sembleroit que Iob s'attribuast icy plus qu'il n'est possible de trouver en un homme mortel: car il ne se peut faire qu'un homme ne s'esiouisse quand il a du bien: il est impossible, il seroit comme un tronc de bois. Comment donc Iob dit-il qu'il ne s'est point esioui? Pour response notons qu'il ne parle point ici de toute ioye: car cela est naturel, si un homme est povre, qu'il soit contristé: et si un homme est riche, qu'il s'esiouisse: et ceste ioye-la de soy n'est point mauvaise: car il est dit, Tu t'esiouiras devant le Seigneur ton Dieu beuvant et mangeant. Si donc nostre Seigneur nous eslargit des biens, et que nous ayons dequoy nous substanter, c'est pour nous resiouir: et (comme desia nous avons declaré) tant s'en faut que ceste esiouissance-la desplaise à Dieu, ne qu'elle

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soit condamnee de soy, que c'est plustost un signe de foy, et de la crainte que nous avons à luy, veu que nous apprenons de louër sa bonté, et de luy rendre graces selon les biens qu'il nous distribue. Mais Iob parle ici d'une resiouissance aveugle, et telle qu'elle est aux hommes mondains, qui sont transportez de leurs biens, en sorte qu'apres avoir mis Dieu en oubli, il ne leur souvient plus de leur fragilité, mais ils s'eslevent en eux-mesmes. Voila donc une ioye enragee, une ioye desbordee, laquelle nous destourne de Dieu, et nous enyvre tellement, que nous ne savons plus qui nous sommes. Et c'est ce que Iob a ici entendu: bref, il signifie qu'il a tenu son courage tellement bridé, que quand les richesses luy sont venues, et bien, il les a receuës de la main de Dieu: et s'il s'en est esioui, ç'a esté en rendant graces à Dieu qui l'avoit ainsi augmenté: et que cependant toutes fois il n'a pas constitué sa felicité aux richesses. Et c'est le principal que nous avons à noter: car en quoy est-ce que les hommes s'abusent, sinon qu'ils s'arrestent à ces choses caduques, là où ils devroyent estre conduits plus loin? Quand on parle du bien et de la felicité des hommes, il faut que nous tendions tous à Dieu, et que nous sachions qu'estans separez de luy nous somme malheureux, que tout le bien que nous pourrons posseder, toutes les delices, toua les honneurs ne sont qu'autant de condamnation sur nous. Voici donc comme il nous falloit cercher Dieu, quand il est question de nostre bien et felicité. Or au contraire nous voyons les hommes qui s'amusent aux choses corruptibles, tellement qu'ils en font leur Dieu, les uns de leur or et de leur argent, les autres de leurs honneurs et credit, les autres de leurs voluptez. Quand un homme demandera d'estre riche, voila son but: il se propose que d'estre riche il sera bien-heureux, et cependant il laisse là Dieu, et le quitte. Un homme qui cherche d'estre exalté en dignité et credit, il est ravi apres cl la, et ne luy chaut d'estre separé de Dieu, ce luy sera tout un. Un paillard, ou celuy qui sera adonné à quelque autre meschante convoitise, moyennant qu'il iouisse de son appetit, il luy semble que tout va bien pour luy, et s'esiouit en cela. Nous voyons donc que les hommes s'arrestent aux choses corruptibles, au lieu qu'ils devroyent tendre et aspirer à Dieu. Et ainsi notons maintenant que Iob ne s'est point esioui en ses richesses, mais en la bonté de Dieu, quand il a esté riche. Mais cela encores ne seroit point assez entendu, n'estoit qu'il fust declaré plus privément: non pas que les paroles de soy soyent trop obscures, mais d'autant que nous voulons tousiours user de feintise envers Dieu, comme si nous estions assez subtils pour le tromper Les hommes donc pensent tousiours eschapper par leurs subterfuges

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quand ils se cognoissent a demi seulement: et pourtant si on dit en un mot, qu'il ne faut pas s'esiouir aux richesses, mais en Dieu qui les donne Ô les plus avaricieux, et les plus adonnez aux biens du monde mettront en avant ceste excuse, et feront ceste protestation à pleine bouche: O de moy ie ne m'esioui point en mes richesses, mais d'autant que Dieu me les a donnees, ie me glorifie seulement en luy qui me conduit, et gouverne.

Voila donc comme les hommes estans pleins d'hypocrisie cercheront tousiours quelques belles couleurs pour cacher leur ordure: pourtant i'ay dit qu'il est besoin de mieux exposer ce mot, de s'esiouir en Dieu:, et non? point aux richesses. Qu'emporte donc cela ? C'est que regardans à Dieu, lequel nous a donné les biens que nous possedons, nous cognoissions qu'en cela il se veut monstrer Pere envers nous: et puis qu'il est nostre Pere, que c'est raison aussi que nous luy soyons enfans de nostre costé. Or nous ne pouvons pas estre enfans de Dieu, que nous n'usions de fraternité envers les hommes, et cognoissions que Dieu nous a mis en main comme en depost les biens que nous avons, afin d'en secourir à nos prochains qui en ont faute. Et au reste que nous sachions que Dieu ne nous veut point retenir en ces choses terrestres. Si nous regardons à Dieu nous regarderons quant et quant à la vie immortelle qu'il nous a apprestee au ciel: et alors nous ne serons point attentifs à ces choses corruptibles, nous ne ferons point des richesses comme de bouë. et de fange pour nous plonger dedans. Ceux qui adonnent leurs coeurs aux richesses, c'est comme s'ils estoyent en un pacot, comme on dit icy. Car comme ceux-la, apres avoir tire une iambe dehors, enfondrent de l'autre plus profond, tellement qu'ils ne s'en peuvent retirer: ainsi en est-il de ceux qui mettent leur confiance en ce monde: que tant s'en faut qu'ils se puissent eslever à Dieu, qu'il tombent d'un costé, ils trebuschent de l'autre, ils font des faux pas: bref, ils ne peuvent sortir de cest abysme où ils sont plongez. Au contraire voicy nostre Seigneur qui se presente à nous, et nous appelle à la vie celeste: comme s'il disoit, Hastez-vous de venir, marchez par dessus le monde, et n'y soyez point attachez. Quand donc nous suivrons ceste exhortation que Dieu nous fait, il est certain que nous n'aurons autre desir, sinon de tendre à la vie celeste, et ne serons plus retenus par les biens de ce monde. Cependant aussi notons, que ce n'est pas nous esiouir en Dieu, que nous ne soyons contens de luy seul: comme il est dit au Pseaume 16 (v. 5): Le Seigneur est mon heritage, c'est ma portion, c'est tout ce que ie desire.

Or maintenant si nous avons ce contentement, il est certain qu'il ne nous coustera rien de perdre

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tous les biens de ce monde, quand il plaira à Dieu de nous amener iusques la, moyennant que nous le possedions luy seul, lequel ne nous pourra iamais estre ravi. Et nous oyons aussi comme il en parle à Abraham, le suis ton salaire tresample (Gen. 15, 1). Dieu par ce mot-la nous veut attirer à soy, et tenir nos coeurs et nos affections fichees en luy, sans estre transportez ça et là. Ainsi donc nous voyons maintenant que c'est de s'esiouir en Dieu, et non pas aux richesses. Car (comme desia nous avons declaré) il faut que celuy qui s'esiouit en Dieu, monstre et en abondance et en povreté que son coeur n'est point attaché aux biens de ce monde: qu'il le monstre en abondance, voire n'estant point empesché de suivre le chemin que Dieu nous propose, et de s'acquitter de son devoir envers ses prochains: et puis en povreté, qu'il soit patient quand il plaira à Dieu de le destituer de tous les biens qu'il avoit: et qu'il revienne à ceste conclusion, O si est-ce que ie ne suis point separé de mon Dieu, et il me suffit d'estre en sa grace: il faut donc maintenant que ie soye paisible: car voila où ie doy prendre tout mon repos.

C'est en somme ce qu'a entendu Iob, et ce qu'il nous a voulu apprendre par son exemple, en disant, qu'il ne s'est point esioui aux richesses. Il y a aussi à noter, que ceste ioye emporte quant et quant l'action de graces: c'est à dire, que quand nous avons dequoy nous resiouir en Dieu, qu'il nous le faut aussi glorifier, cognoissans que nous n'avons rien que de sa pure bonté. Au reste, l'orgueil est icy aussi bien condamné par ce mot: car quand il nous est defendu de nous esiouir aux richesses, c'est afin de ne nous point eslever en icelles, pensans mieux valoir que les autres. Et c'est ce que sain t Paul dit à Timothee (1. Tim. 6, 17), Exhorte les riches de ce monde de n'estre point fiers, et ne se point eslever, mais d'esperer au Dieu vivant. Là sainct Paul monstre ce que nous avons desia touché, que c'est une vertu bien rare, et qu'on ne trouve gueres, qu'un homme riche soit humble, et n'ait en soy nulle arrogance pour se priser par dessus les autres. Or si est-ce neantmoins, que nous ne pouvons pas nous glorifier en Dieu, que cest orgueil ne soit mis bas. et que nos coeurs ne soyent pleinement mattez. D'autant donc que les hommes ne peuvent parvenir là sans grande difficulté, et sans s'efforcer par dessus toutes leurs vertus: sainct Paul monstre le remede convenable, c'est que nous esperions au Dieu vivant. Car si nous savons que c'est d'esperer en Dieu, il est certain que les richesses ne nous transporteront point. Ceux donc qui sont affectionnez aux richesses il faut qu'il ne sachent que c'est d'esperer en Dieu, et qu'il ne leur chaille ne de luy, ne de sa grace: comme aussi nous avons desia dit, que ce n'est

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point sans cause que sainct Paul en un autre lieu appelle l'avarice Idolatrie.

Apres que Iob a protesté cela, il adiouste: Si i'ay regardé le soleil quand il luisoit, s i'ay regardé la lune cheminant en sa clarté, et si i'ay appliqué ma main à ma bouche. Car defait cela seroit un peché criminel, ce seroit renier le Dieu d'enhaut. Aucuns ont exposé cecy, comme ai Iob protestoit, qu'il n'a point adoré le soleil et la lune: pource qu'anciennement ceste superstition-la a esté fort commune, et sur tout au pays d'Orient, et Iob estoit de là, comme nous avons veu cy dessus. Ainsi donc il pourroit sembler que Iob veut icy declarer qu'il n'a point fait comme la plus part des hommes entre lesquels il conversoit: c'est de s'esmerveiller voyant le soleil et la lune, et leur attribuer quelque maiesté divine, et en faire des idoles. Et de fait notamment Dieu remonstre par Moyse à son peuple (Deut. 4, 19), qu'il ne faut pas qu'il soit si aveugle, d'adorer le soleil et la lune. Car quel est le soleil? Il est vray qu'il a en soy une clarté admirable, et que nous voyons là des marques de la gloire de Dieu. Autant en est-il de la lune. Et voila pourquoy aussi il est dit, qu'ils nous preschent et que Dieu parle comme par leur bouche, afin que nous soyons incitez de venir à lui. Mais cependant Dieu remonstre, Et comment? Si vous adorez le soleil et la lune, vous estes ingrats. Car pourquoi est-ce que ie les ay creez et formez? C'est afin que vous me cognoissiez moi qui suis leur Createur. Si vous faites au contraire, vostre ingratitude redoublera. Car qu'est-ce du soleil? Vostre serviteur. Qu'est-ce de la lune? Vostre chambriere. Pourquoi est-ce que le soleil luit, sinon pour vous esclairer, et pour faire fructifier la terre, selon que Dieu lui en donne l'usage? Ainsi donc puis que les creatures, quelques nobles qu'elles soyent, nous sont assuietties, et que Dieu les a ordonnes à nostre service: ne voila point une ingratitude trop vilaine, quand nous en ferons des idoles? Or ceste sentence-la est bien vraye, mais cependant elle ne convient point au lieu present: car Iob a voulu ici user d'une autre similitude, voire en suivant le propos que nous avons desia tenu, qu'il n'a point eu en soi de presomption ne de fierté. Car nous voyons les orgueilleux lever haut le nez (comme on dit) qu'ils ne cuident point estre du reng commun des hommes, mais ils ont ie ne scay quelle contenance, comme s'ils se vouloyent separer de ceste vie immortelle, et leur orgueil ne s'adresse point seulement à leurs prochains, mais ils levent le front en tout lieu tellement qu'ils viendront là devant Dieu avec une telle audace, que le soleil, et la lune, combien qu'ils soyent par dessus nous, ne seront point assez haut pour eux, ils leveront les yeux pour dire, Où

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en sommes-nous! Qui est le plus grand? le plus haut ? Iob donc a voulu exprimer ceste folle hautesse qui est aux hommes, quand ils s'eslevent en eux-mesmes, et qu'ils se veulent faire valoir outre leur mesure, bref, qu'ils ne se daignent tenir au train commun, mais veulent estre plus grana que Dieu ne leur permet. Voila que c'est donc de contempler le soleil quand il luit, et la lune quand elle chemine en sa clarté. Or nous voyons neantmoins que nostre Seigneur nous donne là un signe de nostre foiblesse: car nous ne pouvons point regarder le soleil, que nous n'ayons incontinent les yeux esblouis. Vray est que Dieu veut que nous iouissions de la clarté du soleil, et le fait pourmener au ciel pour nostre service: nous voyons qu'il travaille là pour nous esclairer: et non seulement à cest usage, mais nous savons aussi que le soleil donne vigueur à nos corps, et nous voyons comme la terre fructifie par sa chaleur (car voila d'où nostre substance et nourriture est tiree) mais cependant si est-ce que nostre Seigneur nous admonneste de nostre fragilité pour nous humilier, veu que nous ne pouvons pas lever les yeux en haut qu'ils ne soyent esblouis. Ceux donc qui regardent ainsi le soleil luisant, et la lune cheminant en sa clarté, ils veulent en despit de nature monstrer qu'ils sont vaillans gens, et qu'il y a plus en eux qu'en tout le reste du monde.

Iob proteste qu'il n'a point esté tel: et cependant il adiouste aussi, Que son coeur n'a pas esté seduit en secret, tellement que sa main se soit appliquee à sa bouche. Quand il dit, qu'il n'a point este seduit eu secret par son coeur, c'est pour mieux exprimer qu'il n'a point este seulement affable et humble aux hommes, mais que devant Dieu il a esté tousiours comme petit, encores qu'on le prisast: et combien que chacun luy fist la cour, et qu'il fust redoute de tout le monde: que toutes fois il ne s'est point glorifié pour tout cela. Mesmes si on eust fait quelque anatomie de son coeur, et sondé ou esplusché la dedans tout ce qui y estoit, qu'on n'y eust trouve nulle hautesse secrette: il use de ce mot.

Il dit puis apres, Qu'il n'a point baisé sa main, qu'elle n'est point venue à sa bouche pour baiser. Aucuns exposent cecy, qu'il n'a point prise ses vertus pour en faire des merites, et pour appuyer la fiance de son salut sur sa bonne vie et saincte. Or ceste doctrine est bonne et la sentence en soy est notable: car elle a esté dite d'un homme qui estoit en un temps fort corrompu. Car sainct Gregoire (qu'on appelle) qui estoit en un temps plein d'ignorance et de corruption, et puis evesque de Rome, celuy-la pour le moins a declaré que c'estoit une impieté brutale, voire un renoncement de Dieu, quand un homme se fie en ses merites:

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et auiourd'huy c'est le principal article dont nous debatons avec les Papistes: car nous disons que nostre salut est fondé sur la bonté gratuite de Dieu, sur la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ, que nous ne sommes point sauvez sinon par foy: et le Pape au contraire veut que chacun soit son sauveur. Or voicy un qui a esté Pape de Rome, qui sait bien dire neantmoins que c'est renoncer Dieu, et une impieté enorme quand les hommes baisent leurs mains, c'est à dire quand ils se fient en leurs oeuvres pour en faire des vertus meritoires. Quant à ceste doctrine donc, elle est bonne et utile: toutes fois ce passage se doit prendre plus simplement que de ses vertus. Il est vray que cela y est comprins, mais il parle en general (comme desia nous avons veu) de toutes les occasions que prenent les hommes de se fier aux creatures, et en eux-mesmes. Il dit donc, Si ma main a baisé ma bouche, c'est à dire, que ie me soye appuyé en mon credit, ou en rien qui soit: si ie me suis aussi là abbruti en mes biens pour en faire des idoles, et leur faire hommage: car ce mot de Baiser, emporte hommage. Si donc ma main a baisé ma bouche, c'est à dire, que ie me soye adonné à ceste vaine confiance, que ie me soye fait hommage à moy-mesme: si i'ay fait cela, dit-il, que Dieu me maudisse: car defait cela seroit renoncer le Dieu vivant, le Dieu souverain. Icy nous avons à noter en premier lieu, que c'est une chose insupportable à Dieu, que ceste hautesse. Et ceste façon de parler dont use Iob est bien à noter, de regarder le soleil. Il est vray que nous avons naturellement la face levee en haut, et que Dieu nous a voulu discerner d'avec les bestes brutes: il veut que les bestes soyent là comme pendantes en bas, pource qu'elles ne regardent que la terre: l'homme aura le chef eslevé en haut, pource qu'il a le ciel pour une meilleure condition et plus excellente. Et de fait c'est pour faire eslever tousiours nos esprits en haut pour cercher Dieu, et le royaume des cieux. Mais cependant cela n'empesche point, que nous ne devions nous humilier. Et voila pourquoy aussi David proteste (Pse. 131, 1) qu'il n'a point cheminé en choses grandes, ny en choses admirables par dessus soy. Ceste façon de parler est semblable en partie à la similitude dont use Iob. David dit, Seigneur, tu cognois que ie n'ay point cheminé en choses grandes. Et comment? Ne sera-il point licite aux hommes de cheminer en choses grandes? car l'estat de iustice est honorable, l'estat de porter la parole de Dieu, et bref il n'y a celuy qui ne se trouve empesché en sa vocation. Quand un homme instruira les autres, et aura des enfans seulement à enseigner en une escole: voila des creatures formees à l'image de Dieu, il les doit reformer: ne voila point une grande

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chose? Quand un homme aura un peuple à conduire, ne voila point chose excellente? Ouy: mais David parle de ce coeur enflé quand nous voulons nous eslever (car nous savons qu en son estat il a cheminé en choses grandes) et pourtant il adiouste, Ny en choses admirables par dessus moy: c'est à dire, Que ie n'ay point voulu embrasser ce qui surmontoit ma capacité. Or Iob dit maintenant, le n'ay point regardé le soleil, c'est à dire, le n'ay point levé le nez, ie n'ay point voulu faire du brave pour me venir eslever contre Dieu, cependant que i'estoye en bonne reputation envers le monde. Par cela donc nous voyons (comme i'ay desia touché) que c'est une chose insupportable à Dieu que ce fol appetit qu'ont les hommes de se faire valoir. Que reste-il donc? Il nous faut venir au remede: c'est l'humilité. Puis donc que Dieu nous defend de lever la face en haut, abaissons-nous de nostre bon gré: et nous avons assez de matiere de ce faire. Si l'homme se regarde, nous pratiquerons tousiours ce proverbe, Qui bien se cognoist peu se prise: mais pource que nous ne voulons point savoir qui nous sommes, ne quelle est nostre condition, il ne se faut point esbahir s'il y a ce fol orgueil qui nous transporte tellement que nous voulons monter par dessus les nues. Notons donc qu'il nous faut bien examiner nos povretez, afin d'estre retenus en toute modestie, et que nous puissions protester que nous n'avons point levé la teste, mais que nous avons esté tousiours bas, cognoissans que nous n'avons point de quoy nous glorifier. Voila pour un Item.

Pour le second, quand il est dit que le coeur de Iob n'a pas esté seduit en secret, retenons que l'humilité n'est pas seulement une vertu apparente aux hommes: comme nous en verrons beaucoup qui sont humains et debonnaires (ce semblera) mais cependant ils ne laissent pas de nourrir là dedans en cachette une folle reputation d'eux-mesmes, et Ils se priseront. Nous voyons tous ces hypocrites qui feront des chattemittes: cependant ils sont si fiers qu'ils crevent de venin à l'encontre de Dieu. Et qu'est-ce? Ils seront humbles par dehors entre les hommes, et sembleront estre de simples brebis: et cependant ils viendront faire des taureaux pour heurter à l'encontre de Dieu. Pour exemple, tous ceux qui se glorifient en leurs vertus, et cuident meriter paradis (comme sont tous ces bigots et bigotes en la Papauté) autant qu'il y en a, di-ie, qui prisent leurs merites, il est certain qu'ils s'eslevent à l'encontre de Dieu, et cela est bien pis que de monstrer une arrogance envers les hommes. Si on voit un homme qui soit enflé d'une vaine arrogance, qui face du brave, et ne se puisse tenir sur ses iambes: chacun s'en mocque, et cela est une chose trop puante, on ne la peut porter. Or

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si une telle presomption s'adresse à l'encontre de Dieu, combien qu'elle soit cachee, (ie vous prie) cela n'est-il point encores plus vilain? Notons bien donc que ce n'est point assez quand nous aurons eu une face douce et amiable, et un maintien debonnaire avec les hommes: mais gardons que nostre coeur ne soit seduit en secret, que nous ayons là quelque arrogance cachee: car iaçoit qu'elle ne s'aperçoive point des hommes, elle ne laissera point d'estre condamnee de Dieu. Or cependant notons, que si l'orgueil caché est à condamner, ceux qui estendent leurs ailes, et qui se monstrent, n'eschapperont pas. Et sachons que nostre Seigneur les met là comme sur un eschaffaut, afin que nous cognoissions le vice auquel nous sommes tous enclins et qui regne en nous iusques à ce

que Dieu le corrige. u reste, quant est de baiser ses mains, i'ay desia dit que ceste façon de parler emporte de faire comme hommage. Et ce n'est point sans cause que le sainct Esprit a usé d'un tel style: ca il n'y a rien en quoy les hommes se trompent plus aisement, que d'usurper l'honneur qui appartient à Dieu. Or cela est le despiter, comme sainct Paul le declare. Il faut donc conclure que iusques à ce que les hommes se soyent du tout deffiez d'eux-mesmes, et de leurs vertus, ils ne seront point bien humiliez comme ils doivent, et qu'ils ne pourront aussi honorer Dieu comme il appartient, et comme il le merite.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, ect..

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LE CENT ET SEIZIEME SERMON,

QUI EST LE VI. SUR LE XXXI. CHAPITRE.

Ce sermon est encores sur les versets 26. 27. 28 et puis sur le texte qui est ici adiusté.

29. Si i'ai prins ioye du mal de mon ennemi: si i'ai esté esmeu quand l'adversité lui est advenue. 30. Si i'ai permis à mon gosier de mal dire, pour faire contre lui maudissons. 31. Si mes domestiques n'ont dit, Qui est-ce qui donnera à manger de sa chair? nous ne sommes point soulez. 32. Si l'estranger a logé dehors, et que ma porte n'ait esté ouverte aux passans.

Nous avons commencé à exposer ceste sentence, ou Iob proteste, qu'il n'a point regardé le soleil et la lune: et avons dit en somme que par cela il declare qu'il n'a point esté eslevé en orgueil, comme sont ceux qui presument d'eux-mesmes, et pensent beaucoup valoir, qui se confient ou en leurs biens, ou en leur credit pour mespriser les autres, et mesmes qui cuident desia n'estre plus suiets à Dieu. Iob donc proteste qu'il n'a point esté enflé d'un tel orgueil pour s'attribuer rien qui soit: et adiouste, Que cela aussi seroit renier le Dieu d'en-haut, apres avoir dit que c'est un forfait criminel et digne de mort. Or ici nous voyons que Dieu deteste ceste hautesse des hommes, quand ils se veulent eslever outre mesure. Et de là nous pouvons recueillir que l'humilité est un sacrifice qui lui est sur tout aggreable. Aussi selon nostre nature nous ne nous abaissons pas aisement, et il

faut que l'homme en cest endroit soit comme aneanti pour ne se point priser, s'il veut estre tenu et reputé pour humble devant Dieu. Car l'humilité n'est pas de nous faire petits, combien que nous ayons dequoi nous magnifier: mais c'est de cognoistre qu'il n'y a en nous que toute povreté, et que si nous voulons ouvrir la bouche pour amener quelque chose en avant, nous trouverons qu'il n'y a que toute confusion en nous: si nostre coeur conçoit quel lue vaine presomption, que ce n'est qu'autant de vent, et que cela nous pourra bien crever, mais que nous n'en serons pas remplis.

Voila donc qu'emporte la vraye et droite humilité, c'est que l'homme n'estime rien de soi: comme à la verité aussi nous n'avons point raison de ce faire, et quiconques se prise, il faut qu'il soit trop aveuglé, et comme abruti. Car celui qui entre en soi, et fait bon examen de toutes ses vertus, il trouve qu'il ne les a sinon de la pure grace de Dieu, et qu'il en est autant obligé à lui: et mesmes que parmi les vertus que Dieu nous donne il y a tant d'infirmitez que nous n'avons sinon à baisser les yeux. Et ceux qui auiourd'hui se flattent pour se priser, non seulement se trompent mais ils desrobbent à Dieu son honneur, et sont par ce moyen-là sacrileges: et qui plus est, ils renoncent le Dieu vivant, comme il en est ici

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parlé. Vrai est que cela est bien dur de prime face: mais quand tout sera bien consideré, il est aisé de iuger que Iob n'a point excedé mesure et raison en disant, que celui qui se flatte, renonce Dieu. Pourquoi? Ce n'est pas le tout de confesser qu'il y a un Dieu, mais il le faut cognoistre tel qu'il est, lui reservant son honneur, et tout ce qui lui appartient: car si ie ravi à Dieu une partie de sa gloire pour m'en revestir, qui suis-ie? Un povre ver de terre, une charongne se voudra tellement priser, que Dieu soit diminué afin qu'il se hausse. Et n'est-ce point mesler le ciel et la terre, et pervertir tout ordre de nature que cela? Et au reste quand Dieu est ainsi despouillé, et que sa gloire est mise comme en proye, n'est-ce pas le renoncer? Car on ne le cognoist plus tel qu'il est, mais plustost on le desavouë. Notons bien donc qu'il est impossible aux hommes de s'eslever et se faire valoir, que ce ne soit comme une espece de renoncement de Dieu. Et voila aussi pourquoi il est dit au Pseaume que nous avons chante (10, 4), Que les orgueilleux qui sont fondez sur leur propre vertu, et s'y confient, et s'attribuent tant, qu'il leur semble que nul mal ne les pourra toucher, que ceux-là concluent en leur coeur qu'il n'y a point de Dieu, et reiettent tant qu'il leur est possible toute religion. Il est vrai qu'ils ne le diront pas de bouche, mais cependant la chose est telle: car le S. Esprit qui sonde ce qui est caché en nous, declare qu'il est ainsi. Et pourtant apprenons, pour honorer Dieu, d'oster ceste fausse phantasie, et que tout orgueil soit abbatu de nous: car il est impossible que l'homme s'offre au service de Dieu, sinon avec humilité: et (comme nous avons dit) nous ne pouvons pas estre humbles, sinon en cognoissant que nous ne sommes et ne valons rien du tout, et qu'il faut que toute la gloire soit reservee à Dieu en son entier. Et au reste, que les hommes se prisent tant qu'ils voudront: mais cependant il faudra qu'ils sentent Dieu contraire et ennemi mortel, et ce sera à leur confusion. Car celui qui s'esleve, il heurte contre Dieu: mais celui qui s'abbaisse, il est appuyé sur sa main. Si nous cognoissons nos povretez, nous serons là comme abbatus: et lors voila Dieu qui tend les mains pour nous recueillir et nous mettre en son giron. Mais voulons nous pretendre à nous faire valoir? Il y aura une rencontre trop dure, qui sera pour casser nos testes, quelque fierté qu'il y ait: car il faudra que Dieu se declare nostre partie adverse, quand il y aura une presomption telle en nous. Voila donc en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or notons que les hommes en deux sortes peuvent regarder le soleil et la Lune, c'est à dire,

lever la teste pour presumer d'eux-mesmes. Car

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les uns sous ombre de leurs richesses, et quelque honneur où ils sont establis, s'oublient, et ne cuident plus estre creatures mortelles. Quand ils en viennent là, Dieu peut bien punir un orgueil si aveugle, comme c'est une chose ridicule et digne d'estre mocquee de tout le monde. Car quelle est nostre vie? Qu'est-ce de tous les accessoires? Mais il y a une autre façon d'orgueil, c'est quand les hommes se, flattent, tellement qu'il leur semble qu'ils ont et sagesse et vertu pour se savoir gouverner, qu'ils peuvent meriter beaucoup envers Dieu. Quand donc les hommes presument d'eux iusques là, qu'ils s'attribuent la louange de leur salut, il faut qu'ils tresbuchent en une ruine mortelle d'autant que c'est le principal que Dieu se reserve, que nous sachions qu'en nous n'ayans que damnation, estans du tout perdus et desesperez nous ne recouvrons nulle esperance sinon en sa bonté gratuite. Et quand ceste doctrine là est obscurcie, c'est exalter les hommes afin que Dieu soit aneanti, c'est autant comme si on mettoit l'honneur de Dieu en pillage. Ainsi donc apprenons d'avoir la teste baissee, sachans que si nous pouvons seulement nous glorifier en Dieu apres nous estre abbatus, et avoir corrigé ceste folle presomption dont nous sommes enflez, Dieu nous relevera, et nous fera participans de sa gloire, que tout le bien qu'il a, nous pourrons esperer qu'il nous appartient. N'avons nous rien de nostre costé? Dieu est assez riche pour suppleer à nos defauts, et nous pouvons nous asseurer qu'il ne nous defaudra en rien, comme l'Escriture en parle, assavoir que combien que les hommes soyent si povres et miserables, qu'il n'y a rien en eux dequoi ils se puissent glorifier, neantmoins Dieu est leur. gloire, et qu'il couvrira toutes leurs turpitudes: tellement qu'ils n'auront nulle honte de s'eslever avec les Anges de paradis comme enfans de Dieu, comme membres de nostre Seigneur Iesus Christ Voila quant à ceste humilité que i'ai dit.

Or quand Iob a ainsi parlé, il adiouste une, autre protestation, C'est qu'il n'a point esté esiouy s'il est advenu inconvenient à ses ennemis: et qu'il n'a point esté esmeu de ioye quand il les a veu tomber: mesmes qu'il n'a point donné licence à son gosier de ietter quelques maudissons sur eux: voire et qu'il a tellement persisté en cela, qu'il n'a point presté l'aureille à ses domestiques qui le pouvoyent inciter à vengeance: quand il y a eu des boutefeux qui le sont venue esmouvoir, qu'il s'est retenu neantmoins Voila donc que contient ceste protestation de Iob: c'est assavoir, que combien qu'il ait esté mal voulu, qu'on ait tasché de lui nuire, et. de lui porter dommage, toutes fois il n'a point rendu la pareille: qui plus est, qu'il ne point nourri une haine secrete en son

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coeur. Or ceste protestation est bien digne d'estre notee, d'autant que c'est quasi la chose la plus difficile que Dieu nous commande. Et voila pourquoy en la Papauté ces caphards n'ont point eu honte de falsifier l'Escriture saincte, en disant, que ce n'est sinon un conseil que Iesus Christ donne, d'aimer nos ennemis. Qui les a esmeus d'ainsi blasphemer ? C'est qu'ils ont mesuré les commandemens de Dieu à nos forces: ils ont regardé ce que l'homme pouvoit: et s'ils ont veu qu'une chose surmontast nostre capacité, ils ont conclu que Dieu ne la commandoit pas donc: car il leur semble que Dieu ne demande de nous sinon ce que nous pouvons faire. Desia en cela ils se sont par trop abusez, et y a eu de l'hypocrisie trop lourde: car qu'on examine tous les autres commandemens de Dieu, pour savoir si nous les pourrons accomplir: et on trouvera que nous ne pouvons pas avoir une seule bonne pensee pour commencer, voire tant s'en faut que nous puissions remuer le doigt. Et comment donc y appliquerons-nous toutes nos forces? lais ces hypocrites se sont abusez d'une fausse imagination qu'ils ont conceuë, qu'on pouvoit satisfaire la Loy de Dieu. Le diable les a-il ainsi enyvrez ? Là dessus ils regardent qu'il est impossible aux hommes d'aimer leurs ennemis. Pourtant ils reiettent le ioug de Dieu, et disent que ce n'est pas un commandement expres qu'il faille observer de rigueur, mais il ny a sinon un conseil que Iesus Christ donne. Et au reste, que ce conseil-la est de la perfection Evangelique, et qu'il n'en a pas esté ainsi sous la Loy: et voila un second blaspheme derechef. Or ici nous voyons ce que Iob proteste: et nous ne savons pas si mesmes il a vescu devant que la Loy de Moyse fust publiee: mais tant y a (comme nous avons monstré cy dessus) qu'il estoit plus ancien que les Prophetes (car ils en font mention comme d'un homme qui estoit du temps iadis) et neantmoins il declare qu'il a aimé ses ennemis. Et d'où lui venoit cela? N'estoit-ce pas de la Loy qui a tousiours esté escrite aux coeurs des fideles? Dieu a-il rien couché aux deux tables, sinon ce qu'il a tousiours escrit par son S. Esprit es coeurs de ses enfans? Et auiourd'hui qu'est-ce qu'il fait par toute l'Escriture saincte, sinon qu'il nous met devant les yeux ce que par son sainct Esprit il engrave là dedans? Tellement qu'il y a une conformité entre la doctrine qui se presche, et la grace interieure que Dieu nous fait par son sainct Esprit: cela s'accorde en tout et par tout. Nous voyons donc icy que devant que nostre Seigneur Iesus Christ fust descendu au monde, Iob a protesté qu'il aimoit ses ennemis, tellement qu'il ne s'est point esioui de leur ruine. l'ay dit qu'il nous faut bien observer cecy: car quelle honte sera-ce, quand apres avoir esté admonnestez par

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nostre Seigneur Iesus Christ ainsi qu'il nous exhorte, nous voudrons user de subterfuge, et que nous n'ensuivrons pas pour le moins ceux qui ont vescu du temps que la doctrine estoit encores fort obscure? Ne serons-nous pas coulpables au double? Il est bien certain. Ainsi donc notons en premier lieu, que de tout temps Dieu a voulu que ses enfans eussent ceste marque, d'aimer leurs ennemis. Et qu'ainsi soit, oyons ce qui est dit en la Loy de Moyse (Exode 23, 4): Si l'asne ou le boeuf de ton ennemi est tombé en la fosse, il faut que tu le releves. Dieu nous commande de bien faire aux bestes brutes de nos ennemis: et quant à leurs propres personnes ne devons-nous point mettre peine, entant qu'en nous est, de les secourir? le doy tellement procurer le bien de mon ennemi, que ie monstre cela en son bestail: et que sera-ce de sa personne qui est beaucoup plus precieuse? Ainsi donc nous avons à conclure contre ce blaspheme detestable des Papistes, que Dieu de tout temps a voulu que les fideles aimassent ceux qui les haissent, et qu'ils tachassent de bien faire à ceux qui procuroyent leur dommage. Voila pour un Item.

Or là dessus nous avons aussi à observer, que ce n'est point un conseil lequel il soit libre de laisser: mais que c'est un commandement estroit, contre lequel nous ne nous pouvons pas rebecquer sans offenser Dieu mortellement. Or puis qu'ainsi est que Dieu sous la Loy a voulu astreindre les fidelles à aimer leur ennemi, par plus forte raison maintenant il faut bien que nous ayons ceste regle: car nous en avons une declaration plus ample par la bouche sac ce de nostre Seigneur Iesus Christ. La doctrine de la Loy est obscure de soy, mesmes elle à esté pervertie par les Scribes et Pharisiens: maintenant voicy Iesus Christ qui l'a reduite en sa pureté, et declaré, que si nous ne portons amitié à ceux qui nous hayssent, si nous ne taschons d'aider à ceux qui nous veulent nuire, nous ne serons pas avouez enfans de Dieu. Or c'est une horrible menace, que nous soyons déshéritez du royaume de Dieu, qu'il nous reiette et extermine du reng de ses enfans. Ainsi donc puis que nostre Seigneur Iesus sous telle menace nous a declaré, que nous devons porter bonne affection à nos ennemis: apprenons de nous renger à ceste doctrine, et en cela cognoissons que l'impudence des Papistes a esté par trop vilaine, voire diabolique du tout, en disant que ce n'est qu'une admonition simple que Iesus Christ nous fait, quand il y a une telle sentence de condamnation, Que Dieu nous desavouë, et que nous sommes bannis de son royaume, sinon que nous ayons gaigné cela sur nos coeurs, d'aimer ceux qui nous hay sent. Et au reste, nous avons aussi le miroir de cela en nostre Seigneur Iesus Christ: car il s'est offert pour ceux qui luy estoyent ennemis

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mortels. Pourquoy est-ce qu'il a enduré une mort tant amere, sinon pour nous roconcilier? Or s'il falloit que l'appointement se fist, il y avoit donc haine, Dieu nous estoit contraire. Voila nostre Seigneur Iesus qui s'est exposé à Ia mort, voire et à toute malediction pour nous recueillir à Dieu son Pere du temps que nous estions ses ennemis: un tel gage ne devroit-il point rompre les coeurs quand ils seroyent plus durs que pierre? Et voila aussi où sainct Paul nous rameine en l'Epistre aux Ephesiens (4, 31), quand il veut donter toutes les haines que nous avons contre nos ennemis.

Voila donc l'ordre que nous avons à noter, Que si ceux qui ont vescu sous la Loy ont offensé Dieu, quand ils se sont voulu venger: que sera-ce de nous qui avons une declaration telle comme i'ay desia dit? Or encores ne suffit-il point que nous ne vuoillions nul mal à nos ennemis, mais il faut que nous aimions leur bien et leur salut. Et cecy est bien digne d'estre noté: car il y en a qui pensent estre absous devant Dieu, moyennant qu'ils ne se ruent point à l'espee desgainee contre ceux qui les ont faschez, et leur out fait quelque iniure. O de moy ie ne veux point me venger (diront-ils) mais ie prie Dieu qu'il m'en venge, et ie serai bien aise quand ie verrai que mal lui sera advenu. Voire? mais voici une autre façon de pratiquer ceste doctrine, quand Iesus Christ nous declare qu'il nous faut prier pour ceux qui nous maudissent qu'il nous faut bien dire de ceux qui detractent dé nous, qu'il nous faut bien faire à ceux qui procurent nostre dommage. Et au contraire nous sommes si envenimez que nous ne demandons sinon que Dieu les abysme: et de quelque costé que le mal leur puisse advenir, nous en sommes esiouys. Cela se peut-il faire, sans renverser tout ce qui est contenu en la doctrine de nostre Seigneur Iesus Christ? On en trouvera aussi d'autres qui n'ont point une affection si maligne, c'est à dire, qu'apertement ils ne lascheront point ainsi la bride à leurs cupiditez: mais ils diront, De moi ie suis prest de lui pardonner, et ie ne demande point son mal non plus que le mien: et cependant toutes fois ils ne peuvent desirer le salut et le profit de ceux qui les ont faschez, et contre lesquels ils sont offensez.

Or notons que ce n'est point assez de nous abstenir de toute vengeance, quant aux mains et à la langue: ce n'est point assez aussi de nous deporter de mauvaise affection, tellement que nous n'appetions point le mal et l'adversité de ceux qui nous auront esté ennemis: mais il faut passer plus outre d'un degré. Et comment? C'est que nous les aimions: car si Iob n'eust aimé le bien de ses ennemis, il est certain qu'il se fust esiouy quand le mal leur fust advenu. Ainsi donc apprenons non seulement de tenir nos coeurs serrez, afin de

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ne point estre incitez contre ceux qui nous offensent, mais de leur porter une telle affection d'amitié que nous soyons marris quand mal leur adviendra, et que nous en ayons pitié et compassion. Et si cela nous semble trop difficile, Iob n'estoit-il pas homme suiet à passions comme nous? Tant y a que Dieu a eu la victoire par dessus. Il faut donc que nous bataillions. Ceci ne se fera pas sans grand effort: il est vrai: mais il se faut esvertuer, et non point en confiance de nostre vertu, mais prions Dieu qu'il nous donne l'Esprit de mansuetude, qui nous range là où nous voyons que sa parole nous conduit. Qu'est-il donc de faire? Si ie regarde à ce qui m'est commandé, o il est certain que ma nature tire tout au rebours: car ie serai fasche quand on me nuira, quand on m'aura mschiné quelque mal: et encores que i'aime droiture et equité, si est-ce que ie ne laisserai point d'estre enflé de malvueillance, et d'avoir quelque appetit de vengeance contre ceux qui ont tasché à me nuire. Voici toutes fois Iesus Christ qui me condamne, et prononce ceste horrible sentence, Que Dieu me reiette, que ie serai raclé du nombre de ses enfans, sinon que i'aime mes ennemis. Or là dessus cognoi-ie non seulement mon infirmité, mais ma nature si perverse? Il faut que ie prie Dieu qu'il corrige ces vices-la en moi. le ai que ie n'ai qu'amertume: et bien, Dieu a l'esprit de douceur: il faut donc que ie lui demande. Et bien, il y a en moi une aigreur qui me tourmente: et Dieu a l'esprit de mansuetude et d'humanité: il faut que ie le prie m'en faire participant. Quand nous aurons ainsi nostre recours à Dieu, il est certain qu'il ne nous defaudra point. Et au reste entrons en nous, et nous esvertuons: car de nous flatter qu'est-ce que nous y gagnerons? O voila, il est vrai que Dieu me commande telle chose: mais ie suis homme, ie sons mon infirmité, voire ie suis malade. Voila le medecin qui s'offre, et se presente ayant le remede en main: et i'aime mieux croupir en mon mal, que de souffrir qu'on y motte rem le: assavoir si ie serai excuse pour cela ? Ainsi donc cognoissons-nous les vices qui sont en nous? Allons au remede, et il ne nous le faudra point cercher loin: et combien que ce soit à grand regret, si faut-il que nous bataillions contre nos cupiditez, sachans qu'elles sont comme bestes furieuses: il les faut donc reprimer par force, et user de grande violence. Et voila pourquoi i'ai dit qu'il nous faut efforcer à cela: car ce sera a grande difficulté que nous en viendrons à bout: toutes fois quand nous y procederons ainsi, Dieu convertira ceste amertume qui est on nous de nature, en humanité et douceur, et ne permettra point que nous hayssions nos ennemis. Or à ce propos toutes fois et quantes que nous serons solicitez de hayr nos ennemis, il nous faut souvenir de ceste requeste

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que nous faisons quand nous demandons, que Dieu nous pardonne nos fautes comme nous les pardonnons à ceux qui nous offensent: car il nous faut là adiourner devant Dieu (comme de fait Nous venons nous presenter devant son siege iudicial). Comment? Quand ie proteste à mon Dieu que ie pardonnne à mes ennemis, et que ie ne lui demande autre pardon: et cependant qu'il n'y ait que toute feintise en moi? Et quoi? Ma priere ne sera-elle point convertie en malediction? Quand nous penserons à cela, il est certain que nous pourrons rompre le mauvais courage qui est en nous, et qu'en fin Dieu aura la victoire, tellement qu'il nous sera aisé mesmes d'aimer ceux qui nous hayssent.

Mais pour mieux cognoistre le mal qui est en nous, pocedons y par degrez, comme l'Escriture nous y amene. Il est impossible que nous ne soyons irritez quand on nous fera quelque iniure: et bien, voila desia un peché, quand nous ne ferions que gronder en nostre coeur contre un homme: comme dit nostre Seigneur Iesus Christ (Mat. 5, 22), desia nous avons gaigné le feu eternel: mais il exprime cela par similitude qu'il emprunte de la façon des iugemens de son temps. Pour faire donc la comparaison entre les trois degrez d'offense en cest endroit, il dit que ce premier-là est digne d'estre puni par le iugement. Mais quand nous ouvrirons la bouche, pour prononcer quelque parole de mespris et desdain contre celui qui nous aura fasche, voila une condamnation encores plus grande et plus à craindre: comme si nous estions condamnez par un Conseil ou Consistoire un peu plus solennellement assemblé, ainsi que Iesus Christ amene la similitude. Il y a le troisieme degré, quand par colere on vient à outrager de paroles manifestement: et cestui-là merite d'estre puni comme par une Cour souveraine: mais Iesus Christ laissant la similitude, dit simplement qu'un tel est digne de la gehenne du feu. Il entend que tous les trois en sont dignes: mais toutes fois il monstre les degrez du mal. Quand donc un homme aura eu une colere soudaine, et combien que cela ne croupisse point en mon coeur, le voila desia coulpable de mort eternelle devant Dieu. Que sera-ce donc quand nous nourrirons une haine mortelle en nos coeurs, que nous serons pleins de venin pour nous venger si on nous a fait quelque iniure? Ainsi donc apprenons de corriger ce vice en nous, et cognoissons que s'il nous est eschappé quelque meschant propos de nostre bouche, qu'il nous en faut gemir, et venir à ce que dit sainct Paul (Eph. 4, 26. 27), Que le Soleil ne se couche point sur vostre ire, et ne donnez point possession à Satan. Il nous exhorte par cela que si nous avons esté esmeus de quelque indignation, cela doit passer, et que le soleil ne se couche point dessus, tellement que nostre ire se nourrisse là

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dedans en soi. Et pourquoi? Le chastiment que sainct Paul adiouste nous doit bien toucher: car c'est, dit-il, mettre le diable en possession de nous. Si on demandoit à chacun, Voudrois-tu que le diable eust maistrise sur toi, qu'il y regnast, et qu'il fust ton prince? nous aurons cela en detestation. Et neantmoins nous le faisons toutes fois et quantes que nous gardons ainsi quelque malvueillance contre nos ennemis. Nous ne pouvons pas faire Dieu menteur, ni son sainct Esprit qui a parlé par la bouche de sainct Paul. Or avons-nous cognu cela ? Passons tousiours plus outre, et cognoissons, voila une creature de Dieu, et ie voi que c'est une povre ame damnee: que devons nous faire, sinon prier Dieu pour ceux qui sont en train de perdition? Et puis nostre Seigneur Iesus n'a-il point racheté les ames? Il est vrai que l'effect n'en parvient point à tout le monde: mais cependant pource que ce n'est pas à nous de discerner entre les iustes et les pecheurs qui vont à perdition, Iesus Christ a enduré mort et passion pour eux aussi bien que pour nous. Il faut donc pour faire valoir la grace de nostre Seigneur Iesus Christ, que nous taschions d'amener chacun à salut. Et au reste, si cela nous pese par trop, que nous regardions, Quelle comparaison y a-il de Dieu avec nous? Car qui est celui qui n'offense Dieu iournellement? Et neantmoins si tost que nous retournons à lui, il nous donne ceste liberté-là d'y venir tout privement, ne doutans point que nous ne soyons receus. Or cependant on ne trouvera nul moyen de se reconcilier avec nous quand on nous aura offensé.

Voila donc ce que nous avons à retenir de ce passage, quand nous voyons que Iob proteste, que non seulement il s'est abstenu de toute vengeance, mais qu'il a e té fasché quand mal est advenu à ses ennemis, et que son coeur n'a point este ioyeux quand il en a ouy parler. Or il est vrai que l'Escriture saincte nous dit (Ps. 58, 11), que le iuste s'esiouyra en la confusion de l'inique: et cela est vrai: mais pour avoir une telle ioye que Dieu approuve, il faut que nous soyons despouillez et purgez de toute malvueillance privee, et de tout regard aussi de nos personnes. Quand les enfans de Dieu s'esiouyssent du mal des meschans, ce doit estre afin qu'ils cognoissent Dieu estre iuste et equitable, et que cependant ils soyent aussi admonnestez de cheminer en crainte, veu que Dieu se declare iuge, et qu'il leur donne exemple et instruction aux despens d autrui. Quand Nous y irons en telle sorte, c'est de contempler la iustice equitable de nostre Dieu, et d'estre enseignez par les exemples qu'il en donne à cheminer en crainte et solicitude, et que nous n'aurons point esgard à; nos personnes pour nous venger, quand nous aurons

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esté incitez de quelque indignation pour mal qu'on nous aura fait, mais que nous pardonnerons tout cela, et puis que nous aurons pitié et comparaison des povres ames qui perissent: voila comme nous pourrons licitement nous resiouyr sur la ruine des meschans. Vrai est donc qu'il nous faut glorifier Dieu en tous ses iugemens qu'il exerce en ce monde mais gardons nous d'y mesler nos affections charnelles parmi: car il faut que nostre zele soit pur quand nous voudrons nous esiouir au mal que Dieu envoye sur les meschans.

au reste, Iob adiouste ceste circonstance que i'ai touchee, c'est assavoir, Que ses domestiques estoyent comme des boutefeux qui venoyent l'irriter, et eussent bien voulu qu'il se fust vengé: neantmoins si est-ce que pour cela il n'a point esté esmeu, comme il dit. Aucuns prennent ceci trop rudement, que les serviteurs de Iob estoyent marris de ce qu'il estoit trop humain à recueillir les estrangers, et qu'ils eussent voulu qu'il fust mort pour la peine qu'il leur donnoit. Mais cela est sans propos: car Iob ne veut ici declarer, sinon que combien que ses serviteurs fussent provoquez à vengeance, voyans qu'on lui faisoit tort en iniure, toutes fois quant à lui il s'est retenu, et n'a point obei à telles tentations. Or ceci est bien digne d'estre noté: car nous voyons que c, 'a esté une vertu excellente en lui d'estre moins touché des torts qu'on lui faisoit que n'estoyent ses domestiques. Il n'y a celui qui ne prenne ses iniures à tel coeur, que les autres n'y peuvent satisfaire: on aura beau dire à un homme qui aura esté offensé, Non, ie pren l'iniure comme faite à ma personne, laissez m'en faire, ie vous en vengerai bien: si est-ce qu'on ne peut contenter ses passions, tant sont exorbitantes. Or nous voyons à l'opposite que les serviteurs de Iob ont esté irritez quand on lui faisoit mal, et lui non: il faut donc dire que l'Esprit de Dieu avoit besongné en lui d'une façon exquise et admirable. Mais cependant notons qu'il ne se vante point ici pour se priser, mais qu'il nous est proposé pour miroir et patron: comme si Dieu l'avoit mis sur un eschaffaut: afin que nous taschions de nous conformer à lui, et que nous sachions qu'il n'y a nulle excuse si nous n'ensuivons un tel exemple. Quest-il donc de faire ? Combien que nous ayons des tentations qui nous pourroyent inciter à nous venger de nos ennemis, et que mesmes on nous incite, et enflamme, et que les autres nous flattent en nos pechez: si ne faut-il point pourtant que nous croyons à telles flatteries des hommes, mais que nous ayons nos yeux et nos sens dressez à Dieu. Car qui est cause que les hommes se pardonnent si aisément, et se iustifient quand Dieu les condamne, sinon d'autant qu'ils prestent l'aureille à ceux qui les viennent flagorner? Et pourquoi cela ne nous

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sera-il permis? Et voire, s'il vous a fait tel tort, pourquoi est-ce que vous n'avez vostre revenge, et que vous ne lui rendez la pareille? Or il ne faut point de rhetorique, pour nous persuader que nous devons mal faire à nos ennemis: car il n'y a ne veine ne nerfs en nous qui ne tendent là, et nous y sommes trop furieux. Or cependant voici des advocats qui viennent couvrir nos vices, et nous y applaudissent. D'autant donc faut-il que nous soyons plus attentifs à mediter ce que nostre Seigneur Iesus nous commande, c'est assavoir, d'aimer nos ennemis, tellement que nous ayons les aureilles bouchees à tout ce qui nous pourra estre mis en avant par les hommes. Que s'il y a gens qui nous flattent, et s'ils font des zelateurs de nostre honneur et profit, qu'il semble qu'ils ne demandent sinon à s'employer pour nous: que nous ayons telles gens pour suspects. Il vaudra beaucoup mieux qu'un homme nous reprenne, quand il voit que nous sommes par trop esmeus et touchez, et qu'il tasche de moderer nostre passion: que de venir ainsi se ietter, encores qu'il le fist d'une bonne affection. Comme il y aura des hommes qui nous pourront estre tant affectionnez, que s'ils voyent qu'on nous face tort ils se viendront là mettre au devant: O de moi le repute un tel dommage comme mien, et ie m'en vengerai, ie ne veux point souffrir qu'on vous ait fait un tel outrage. Il pourra bien donc advenir qu'un homme aura quelque zele, quand il verra que nous serons molestez: mais cependant que gaignons nous en cela, sinon que nous sommes precipitez en plus grande ruine? Ainsi donc les meilleurs amis que nous pourrions avoir, ce sont ceux qui taschent à nous moderer quand nous aurons souffert quelque iniure. Et au reste, quand nous serons tentez par tels boutefeux qui viennent augmenter le mal, que nous advisions de recueillir tous nos sens à Dieu, pour dire, O tant y a, que quand les hommes m'auront iustifié, ie ne seray pas pourtant absous devant le Iuge celeste; il faut donc que ie me retienne pour souffrir ceste iniure. Puis que Dieu me veut tenir pour l'un de ses enfans, il faut que ie l'ensuive, que ie luy ressemble: et puis qu'il fait luire son soleil sur les bons et sur les mauvais, que ie tasche à bien faire à ceux qui m'ont voulu nuire, et que ie leur iette des charbons de feu sur la teste par ce moyen-la. C'est comme nous avons à pratiquer ce passage.

Et au reste, notons aussi ce que Iob adiouste et ce sera pour la fin: Que l'estranger n'a point esté logé dehors, mais que la porte luy a esté ouverte. Icy Iob declare qu'il a este humain envers ceux qui n'avoyent point moyen de le recompenser. Et voila aussi où nous monstrons par effect, que nous avons une droite charité envers les hommes: car si nous faisons bien à ceux qui le nous peuvent

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revaloir, et qui nous attouchent ou de parentage, ou de quelque autre lien, ce n'est pas une vraye approbation ne parfaite de nostre charité. Il est vray que ceste amitié-la est bonne quand elle sera reglee selon Dieu: mais encores ii se pourra faire que nous aurons plus d'esgard à nous qu'autrement: comme nous voyons souvent qu'un homme cerchera son profit particulier quand il fera bien à ses parens et amis. Mais quand nous faisons bien à ceux qui ne nous peuvent recompenser, à ceux mesmes qui nous sont incognus: voila en quoy nous monstrons que nous servons à Dieu, et avons une droite regle de charité Voila donc ce que Iob proteste maintenant: et notamment il parle des estrangers, comme Dieu les recommande par toute l'Escriture saincte, et non sans cause. Car ceux qui sont en leurs pays, auront assez de support, ils seront apparentez, ils auront des moyens et des secours beaucoup, et ne leur peut-on pas nuire: au contraire, les povres estrangers sont desnouez de toute aide, ils n'ont ne parens ni affins, ils n'ont point d'aide ne de faveur selon le monde. Voila donc où il nous faut esprouver nostre humanité, si nous voulons declarer que vrayement nous servons à Dieu, voire sans cercher nostre profit particulier. Et aussi à l'opposite nostre Seigneur condamne plus rigoureusement les outrages qu'on aura fait aux estrangers, que ceux qu'on fait aux voisins. Et pourquoi ? Il est vrai que tous sont bien à condamner, et rien ne demeurera impuni: mais cependant notons que Dieu reçoit en sa protection et sauvegarde ceux qui ne sont point maintenus du costé des hommes Et de fait voila Dieu qui declare que ce n'est point un homme mortel qu'on s'adresse, quand on fait quel

que tort ou violence à ceux qu'il a prins on sa sauvegarde: mais que c'est violer sa maiesté. Mais cela nous doit estre tant mieux imprimé au coeur, quand nous voyons que les Payens mesmes nous font honte: car quand ils ont voulu declarer qu'un homme estoit d'une nature vilaine et du tout meschante, ils ont dit, Va, tu es mal affectionné envers les estrangers. C'estoit plus que ai on eust appellé un homme paillard, larron, yvrongne, pariure, meurtrie Quand, on lui disoit, Va, tu es ennemi des es rangers, c'estoit à dire, Tu es pire qu'une beste brute. Les Payens ont ainsi parlé, et en ont fait un proverbe tout commun. Que serace donc de nous, qui faisons profession d'estre enfans de Dieu, quand nous viendrons ainsi batailler directement contre l'ordre de nature? N'est-ce pas signe que nous nous mocquons pleinement de Dieu, et le voulons despiter pour provoquer sa maiesté contre nous? Ainsi donc notons ceste protestation qui est ici faite de Iob, c'est assavoir, que non seulement il a esté liberal envers ceux qu'il cognoissoit avoir la puissance de le recompenser, mais qu'il s'est employé envers ceux qui ne lui pouvoyent revaloir. Considerons, di-ie, avec Iob que Dieu a mis un lien commun et general entre tout le genre humain, et que nous devons appliquer nostre charité envers ceux qui nous ressemblent, et avoir pitié d'eux pour les secourir chacun selon sa faculté. Et si nous sommes enfans de Dieu, taschons d'exercer une vraye fraternité envers tous: mais principalement quant à ceux qui sont conioints à nous de plus pres et par le lien de la foy, que nous advisions sur tout de leur bien faire.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE CENT ET DIXSEPTIEME SERMON,

QUI EST LE VII. SUR LE XXXI CHAPITRE

33. Si i'ai caché mon peché comme chacun, et que i'aye mis mon iniquité en mon secret. 34. Combien que ie fusse pour rompre une grande bande: le mespris des maisons m'a estonné, ie me suis teu, et ne suis point sorti de ma porte.

Icy nous avons une protestation bien digne d'estre notee: car Iob par son exemple nous monstre, si nous avons failli, que le remede n'est pas de cacher nos fautes, comme la coustume en est quasi par tout, mais de confesser la dette de nostre

bon gré, et n'avoir point honte de confesser ie peché que nous avons commis, afin qu'il soit effacé devant Dieu. Or ceste vertu est bien rare: mais d'autant plus nous faut-il observer ce qui nous est icy monstré: car Iob ne parle point pour soy tant seulement, il nous donne une instruction qui nous pourra servir à tous Il declare donc, Qu'il n'a point caché son peché, et ne l'a point mis en son secret: c'est à dire, il n'a point tasché de s'excuser devant les hommes: mais qu'il a passé condamnation, qu'il a recognu ses offenses. Voila pour

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un Item. Cependant il monstre que les hommes: sont entachez de ce vice d'hypocrisie, et que c'est leur façon de nier, ou d'user de subterfuges, tellement que leurs fautes sont mises sous le pié. Il y a ici le mot d'Adam, qui signifie Homme, et se prend aucunesfois pour un chacun. En ce passage Iob veut dire, qu'on ne trouvera. gueres de gens qui soyent si bien touchez, qu'ils recognoissent leurs fautes, mais plustost ils trouveront des vaines tergiversations pour les cacher. Combien donc que ce vice la regne an monde, tontes fois Iob proteste qu'il en est pur. Vray est qu'Adam a commencé ce mestier et l'a monstré à tous ceux qui sont descendus de sa race: car nous voyons quand il est convaincu, qu'encores tasche-il de se couvrir de fueilles. Et puis est-il adiourné devant Dieu ? Faut-il qu'il compare? Si est-ce qu'encores trouve-il une excuse frivole, et voudroit bien eschapper comment que ce soit. Voila donc Adam qui a commencé de monstrer à ses successeurs que c'est qu'hypocrisie: car il nia pas apprins ceste leçon pour luy seul, mais tous en sont enveloppez: ce n'est pas seulement pour deux ou trois, nous avons tout cela de nature. Or le diable a beaucoup gaigné, quand il nous fait ainsi couvrir nos fautes: car si nous les cognoissions, nous serions contraints d'en avoir honte. Mais si nous avons caché le mal, il nous semble que c'est assez fait, et là dessus nous prenons congé de nous endormir: et chacun l'experimente en soy. le vous prie, si nous estions solicitez à gemir devant Dieu, et à luy demander pardon, quant et quant n'aurions-nous pas un remors de nos pechez pour nous y desplaire, et venir au remede? mais le diable nous aveugle, ou bien nous met des bandeaux devant les yeux, ou nous desguise les choses tellement que nous ne cognoissons point le mal tel qu'il est.

Voila où nous en sommes. Et ainsi d'autant plus nous faut-il estudier ceste leçon, de ne mettre point nos iniquitez comme en nostre sein, c'est à dire, ne les point cacher, mais les descouvrir. Il est vray que quand un homme aura cognu son peché, il se pourra faire qu'il sera desesperé, comme il en est advenu et à Cain et à Iudas: mais si est-ce que nous ne pouvons venir à repentance, nous ne pouvons demander pardon à Dieu, bref, nous ne pouvons estre delivrez ny absous de nos offenses, iusques à ce qu'elles soyent descouvertes, et que nous ayons laissé toute hypocrisie. Au reste, celuy qui aura cognu son peché, et qui en sera confus en soy, il ne demandera plus de se cacher quant aux hommes: ainsi que nous voyons que tousiours nous avons les mensonges en la bouche pour nous iustifier. Cela n'y sera point: car la repentance emporte une droite humilité. celuy donc qui sera convaincu devant Dieu d'avoir

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failli, et qui cognoistra volontairement sa faute sans reculer, il n'y a nulle doute qu'il ne soit prest aussi de condamner devant les hommes son offense, et monstrer qu'il s'y desplaist. Or regardons maintenant si ce qui estoit du temps de Iob n'est point augmenté, en sorte qu'il n'y a rien plus commun que l'hypocrisie? Il est vray que nous voyons bien par ce passage que ce n'est point chose nouvelle, que les hommes cerchent à se desguiser, et prennent des couvertures quand ils ont failli: cela a esté de tout temps et (comme desia nous avons dit) il a commencé à Adam, et a continué iusques auiourd'huy: mais tant y a que nous voyons une impudence telle au monde, que ce n'estoit rien alors au prix de ce qu'on voit: car si tost qu'on voudra advertir un homme de son peché, on verra un front d'airain pour nier, là où la chose sera toute notoire. Un homme saura bien que se. mal est cognu, toutes fois il ne veut point qu'on en parle, et voudroit par son audace clorre la bouche à chacun: et mesmes beaucoup ne se contenteront pas de nier ainsi impudemment, mais ils entreront comme en querelle et en menaces. Si donc du temps de Iob les hommes ont caché leurs fautes, auiourd'huy cela se fait beaucoup plus: mais tant y a que ce n'est point une defense suffisante, et qui soit receuë devant Dieu (comme nous le voyons par ce passage) encores que tous soyent endurcis et obstinez, que nul ne vienne à raison, et que quand on taschera de retirer les pecheurs à repentance, ils regimbent comme des chevaux retifs. Encores es que cela soit donc, sachons que l'exemple de Iob nous est proposé pour doctrine, et qu'il ne faut point que nous suivions le train commun, ne que nous disions, Il est vray qu'un chacun fait ainsi, la coustume est telle. Voire ? Mais voicy Dieu qui nous tire tout à l'opposite. Les hommes me veulent-ils iustifier? Et Dieu veut qu'un chacun de nous se condamne. Les hommes cachent-ils leurs fautes, afin qu'elles ne-soyent cognues ? Dieu veut que nous les descouvrions, voire en toute humilité. Il faut donc là venir, et non point dire, Et ie voy que cela se fait par tout, et chacun en use. Voire? Les hommes l'ont fait du temps de Iob, mais ils ont esté condamnez par le sainct Esprit. Auiourd'huy donc quand nous verrons le semblable, c'est que nul ne confessera ses fautes, si faut-il neantmoins que les fidelles apprennent de se renger à ce qui leur est icy monstré: c'est assavoir, non seulement de gemir devant Dieu, mais aussi de monstrer devant les hommes qu'ils sont confus, et de se condamner en sorte, qu'estans leurs iuges ils puissent obtenir misericorde du Iuge celeste quand ils retourneront à luy.

En somme nous voyons que l'hypocrisie est

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condamnee par ce passage. Le meilleur seroit bien de nous abstenir de pecher, et nous en garder: mais d'autant que nous sommes si fragiles, que nous ne pouvons vivre en ce monde sans faire beaucoup de cheutes: le remede est cestoy cy, de baisser la teste, et de gemir devant Dieu, et au reste, de ne point aussi tascher à couvrir tellement nostre honneur devant les hommes, que nous ne passions condamnation toutes fois et quantes que besoin sera. Il est vray que Dieu ne commande pas, qu'un homme quand il aura failli vienne crier par les rues, l'ay fait une telle faute (car cela seroit plustost pour scandaliser) mais tant y a que nous devons observer ce qui nous est dit en l'Escriture saincte: c'est en premier lieu que nous soyons humbles envers nos prochains, sachans bien que nous sommes entachez de beaucoup de vices. Qui est cause qu'un homme mesprisera tous les autres, et ne pourra rien supporter, et foudroiera quand quelqu'un aura failli ? Qui en est cause, di-ie, sinon ceste hypocrisie? Car si nous cognoissons nos infirmitez, il est certain que cela nous tiendra comme bridez, pour ne point condamner les autres à la volee, mais commencer par nous. Voila donc le premier que nous avons à faire, et qui nous est commandé par l'Escriture saincte. Et ainsi sommes-nous humains pour nous supporter les uns les autres? C'est une espece de confession de nos pechez. Il y a la seconde: c'est que quand nous aurons offensé quelqu'un, il faut que nous venions à raison: car nous voyons que nous n'avons point autrement accez à Dieu: comme aussi nostre Seigneur Iesus le monstre (Matt. 5, 23), que nos sacrifices ne seront iamais acceptez si nous ne sommes reconciliez avec nos prochains, quand nous les aurons offensez. Il faut donc que nous apprenions de gemir envers eux, si nous cognoissons nos pechez. Et tiercement quand nous aurons commis quelque scandale, que nous venions nous humilier pour le reparer, et le reparer en sorte que le mal ne soit point soustenu, et que nous ne regimbions point contre l'esperon. Voila donc les trois confessions que l'Escriture demande de nous, voire quant aux hommes. Cependant notons que tout cela sort et procede de ceste droiture que nous avons pour gemir devant Dieu: car iusques à ce que nous soyons confus en nous-mesmes d'avoir offensé, iamais nous ne ferons confession droite et pure devant les hommes: car encores que nous la facions, il n'y aura que feintise. Et ainsi ceux qui se confesseront devant Dieu tels qu'ils sont, il est certain que devant les hommes ils auront aussi ceste modestie-la, de ne se vouloir plus iustifier. Car c'est une mocquerie quand quelqu'un dira, O de moy ie me cognoy pecheur devant Dieu: et cependant il sera obstiné quant aux hommes, telle

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ment qu'on ne pourra arracher de luy nulle raison ne verité. Celuy-la monstre bien que le diable l'a ensorcelé, et qu'il cache ses fautes, et les recueille en son sein tant qu'il luy est possible. Notons bien donc que quand nous serons venus à ce poinct-la de sentir nos pechez, et à estre confus d'avoir ainsi transgressé la Loy de Dieu, d'estre contrevenus à sa iustice: devant les hommes nous n'aurons plus d'orgueil qui nous empesche de faire ceste confession pure, et telle comme nous devons.

Au reste, il nous faut aussi noter ce qui est icy dit, que Iob n'a point mis son peché en son secret. Cola emporte beaucoup: car les hommes ne peuvent pas tromper Dieu, mais ils se trompent eux mesmes: et là dessus il leur semble qu'ils ont beaucoup gaigné quand ils ne pensent plus à leurs fautes. Si un homme se peut oublier, et qu'il puisse ietter ses fautes derriere le des, qu'il les mette sous le pié sans y penser, Ô il n'est plus melancolique, il ne se fasche plus, bref, il est là enyvré en son mal, il est comme punais, il n'en sent plus rien: mais cependant Dieu ne laisse pas de faire office de Iuge: car tout est enregistré devant luy. Et combien qu'il dissimule pour un temps, si faut-il que tout vienne à conte. Les hommes voudront tousiours estre cachez, c'est à dire, ne voudront point regarder à leurs fautes, et leur semble que i mais aussi elles ne viendront en cognoissance: mais le peché demeure tousiours, et combien qu'il soit enseveli quant aux hommes, si est-ce que Dieu le fera venir en avant. Iob donc monstre icy que les hommes ne font que s'abuser quand ils couvriront ainsi leurs pechez: car il faut qu'ils apparoissent, quoy qu'il en soit, iusques à ce qu'ils soyent amenez en lumiere. Advisons donc que le meilleur est de descouvrir nos fautes, afin que Dieu nous en delivre: car si nous les amenons devant luy, voire d'une franche volonté, et que nous condamnions le mal qui y est, Ô il est certain que c'est pour abolir tout cela quand nous l'en requerrons. Que donc nous condamnions le mal là où il se trouvera, afin de n'estre point condamnez de Dieu. Mais cependant que nous tenons nos coeurs ainsi enserrez, et que nous taschons de retenir nos fautes là dedans, il faudra que Dieu combate contre nous, et que nous sentions que c'est à luy d'escarter les nuees, d'oster les fueilles dont nous aurons voulu couvrir nostre turpitude, qu'il faudra en despit de nos dents que nous la sentions, et qu'elle soit cognue et des hommes et des Anges.

Voila ce que nous avons a retenir en ce passage, quand il est parlé de mettre son peché en son secret. Bref, il en advient autant comme de ceux qui veulent couvrir une pourriture: la pourriture

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sera cachee dedans le corps, et cependant de la vouloir purger, il n'en sera point question: mais on la couvrira en sorte qu'elle ne sera point cognuë, et alors l'infection redouble quand on la couvre, et qu'on ne la purge point, et avec cela l'inflammation s'augmente de plus en plus. Il vaudroit mieux qu'elle fust descouverte: car elle auroit quelque issue pour se purger, ce qu'elle ne peut faire puis qu'on retient ainsi le mal au dedans. Ainsi nous en prend-il quand nous voulons cacher nos fautes: car voila desia une pourriture mauvaise et nous la voulons retenir par force: quand elle est ainsi retenue il y a comme une violence qui fait que le mal croit de plus en plus, et s'esflamme. Qu'est-il donc question de faire? Il n'y a autre moyen que celuy que i'ay dit, que nous venions devant Dieu, que nous n'ayons point de honte de confesser nos povretez, afin qu'il y remedie, comme il sait nous estre convenable: c'est aussi que nous soyons nos iuges. Il nous fait ceste grace-la de nous constituer iuges, et en lieu de nous condamner, il est prest de nous absoudre. Au contraire, tergiversons tant qu'il nous sera possible, nous ne faisons qu'offenser nostre Dieu, et provoquer une plus grande vengeance à l'encontre de nous. Voila pourquoy il n'est plus question de mettre nos fautes en nos cachettes, comme nous avons accoustumé. Or notamment il est parlé de nos cachettes, pource que les hommes de nature trouvent beaucoup de petis moyens et des subtilitez pour fuir la presence de Dieu: ouy bien pour un temps. Il est vray que nous aurons beau nous tirer à l'escart, si est-ce que Dieu nous voit par tout. Mais cependant (comme il est dit au Prophete Isaie 28, 15, et 29, 15) les meschans se fouissent des cavernes, et quand ils ne pensent plus au iugement de Dieu, ô il leur semble qu'ils ont un bon subterfuge: et puis quand cela ne leur sert plus de rien, ils viennent à l'opposite, et courent çà et là: et quand ils ont trouvé quelque trou et pertuis de nouveau, les voila asseurez, ce leur semble: et s'ils ne se peuvent cacher du tout, ils font comme les perdris, ou les petis enfans, que s'ils ont les yeux cachez, il leur semble que c'est assez. Voila pourquoy notamment il est icy parlé de nos cachettes, pource que de nature nous sommes adonnez à hypocrisies, et que nous cerchons tousiours des petites subtilitez pour tromper Dieu: et nous ne faisons sinon nous tromper nous-mesmes, comme on le voit. Car cela n'est que nous nourrir en nos iniquitez, et nous ne regardons pas cependant que le diable nous possede en ce faisant, tellement que nous ne pouvons pas recourir à celuy qui nous peut guerir de nos maladies, et y donner bon remede, comme c'est le souverain medecin.

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Au reste, apres que Iob a protesté d'avoir cognu ses fautes, il adiouste, Qu'encores qu'il fust pour briser ?ne grande multitude, il a craint les plus mesprise, et qu'il n'est point sorti de sa maison. Mais avant que passer outre, notons bien quel homme c'est qui parle. C'est Iob, qui avoit vescu comme un Ange du ciel entre les hommes, il avoit gardé une telle integrité, qu'à grande peine trouvera-on son semblable par tout le monde: et neantmoins il dit, Qu'il n'a point caché ses fautes. Que sera-ce de nous? Car si on compare les plus iustes et les plus parfaits avec Iob, on trouvera qu'ils n'approchent nullement de ceste saincteté et droiture qui estoit en luy. Et si un homme ayant une telle crainte de Dieu, ayant une telle integrité de vie, s'est cognu pecheur, et qu'il n'ait point voulu maintenir son honneur, mais a passé condamnation quand il a failli: quelle turpitude sera-ce auiourd'huy à ceux qui sont encores bien loin d'une telle saincteté, quand ils ne voudront confesser leurs fautes en tout et par tout? quand on ne pourra point leur faire donner gloire à Dieu, en confessant leurs pechez, ie vous prie, ne faut-il pas que le monde soit auiourd'huy plus qu'aveuglé? Iob nous a declaré qu'il estoit comme l'oeil des aveugles, les iambes des boiteux, le pere des orphelins, le protecteur des vefves: apres il a declaré qu'il estoit l'hostelier commun des povres estrangers, qu'il a revestu de la laine de ses agneaux ceux qui avoyent froid, qu'il n'a point mangé son pain seul, qu'il n'a fait ne tort ne violence à personne, qu'encores qu'il eust credit en iustice, et qu'il fust supporté, que iamais personne ne s'est plaint de luy, qu'il n'en a point donné occasion.

Apres avoir declaré tout cela, il adiouste, Qu'il n'a point voulu? cacher ses fautes. Auiourd'huy il n'y a celuy de nous qui ne soit entaché de beaucoup de vices, dont Iob a esté exempté: et cependant nous voudrions apparoistre beaucoup plus iustes que luy. Et ne faut-il pas que le diable nous ait crevé les yeux, en sorte que nous ne cognoissions plus que c'est de peché, et que nous ayons perdu toute doleance, qui est l'extremité et le comble de tout mal, comme S. Paul en parle? (Eph. 4, 19). Ainsi donc apprenons de faire comparaison de Iob avec nous, toutes fois et quantes que nous sommes si fols et outrecuidez de nous vouloir absoudre, et cognoissons qu'il s'en faut beaucoup que nous ne soyons parvenus à une telle perfection que Iob: et ainsi qu'il ne nous reste sinon de gemir devant Dieu, et de nous condamner pleinement. Et nous estans ainsi condamnez devant luy, apprenons d'avoir aussi une telle modestie devant les hommes, que si nous avons scandalizé nos prochains en faillant, nous reparions le mal, si nous avons fait iniure à quelqu'un que nous taschions de nous reconcilier

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avec luy: bref, qu'en tout et par tout nous donnions gloire à nostre Dieu estant conçus en nos pechez.

Or Iob continue sa modestie en disant, Qu'il a craint les plus mesprisez des hommes, combien qu'il peust briser et fouler un grand peuple. Ce passage icy est autrement prins par aucuns: car le mot dont use icy Iob signifie aucunesfois craindre: i'enten le premier verbe que nous avons translaté Briser ou Rompre. Il signifie donc Craindre, et signifie Fouler, Briser Rompre. Or on expose cecy comme si Iob declaroit, qu'il n'a point craint une multitude grande, c'est à dire, qu'il ne s'est iamais espouvanté qu'il n'ait redargué le mal où il l'a veu: comme quand nous avons zele à Dieu, il est certain que nous ne souffrirons point qu'il soit offensé sans nous opposer à l'encontre. Car puis qu'ainsi est que Dieu nous fait cest honneur-la de nous constituer comme ses procureurs, c'est pour le moins que nous declarions que le mal nous desplait, et taschions de l'empescher tant qu'il nous sera possible, et pratiquions ceste leçon que sainct Paul nous monstre (Eph. 5, 11), en disant, qu'il ne nous faut point communiquer aux fruicts des tenebres, mais les redarguer. Beaucoup donc exposent ce passage, comme si Iob protestoit qu'il n'a point consenti au mal, mais s'y est opposé, et l'a empesché par tout où il s'est trouvé: et combien qu'il peust acquerir des males graces, et qu'il fust en haine à tout le monde, toutes fois qu'il n'a point laissé de tousiours condamner le mal où il estoit. Et ceste doctrine est bonne et utile: et defait nous voyons combien il nous est necessaire de nous confermer en une telle constance: car si nous voulons empescher le mal, il faut que nous ayons tout le monde ennemi, c'est à dire, la plus part. Vray est qu'il nous est commandé de cercher paix avec un chacun, entant qu'en nous sera: mais quand nous en aurons fait nostre devoir, si faut-il que nous suscitions la rage quasi de tout le monde, si nous voulons redarguer les pechez. Car nous voyons que chacun se veut flatter, et les corrections sont tant dures et ameres, principalement auiourd'huy, que nul ne les peut souffrir. Puis qu'ainsi est donc, nous avons besoin de nous resoudre en telle vertu, qu'encores que le monde s'esleve contre nous, et qu'il n'y ait celuy qui ne tasche de nous opprimer, nous ne fleschissions point pour cela, mais que nous persistions à condamner le mal. Ceste doctrine donc est bonne et utile: mais quand nous regarderons le fil du texte, nous trouverons que le sens naturel est celuy que i'ay touché. Le premier mot dont use icy Iob, signifie, Quand, ou Si, ou Car, ou Combien que. Aucuns pensent que ce soit une protestation, que Iob vueille nier qu'il n'a point redouté une grande

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multitude: car ce verbe-la qui vient apres le premier mot (comme i'ay dit) signifie Craindre. lais la signification plus commune du premier mot est celle que i'ay dit, c'est assavoir, Car, ou Combien que: et puis le verbe plus communément signifie Rompre.

Voicy donc ce que Iob a entendu, Que combien qu'il eus peu rompre et briser un grand peuple, c'est à dire, combien qu'il eust puissance, credit et authorité: si est-ce qu'il n'a pas fait le maistre pour clorre la bouche à chacun, mais qu'il s'est abaissé iusques là de craindre les plus contemptibles, ceux qui estoyent comme reiettez, et qui estoyent le mespris et opprobre commun. Cecy est pour approbation de la sentence prochaine: car c'est bien un signe que Iob n'a point voulu cacher ses fautes, quand il a eu ceste modestie de craindre les plus mesprisez. Nous savons qu'un homme ou pour ses richesses, ou pour quelque autre grace sera tellement authorisé entre les hommes qu'un chacun le craint, on luy fait la cour, et a-on la bouche close: et quand il commettroit toutes les fautes du monde, on n'en ose parler, sinon qu'on gronde bien en cachette: mais cependant il n'y a celuy qui ait la liberté de dire, Voila un tel qui se gouverne mal: et puis encores si on en bruit, celuy qui sera ainsi eslevé en haut, viendra, Quoy? parle-on icy de moy ? et voudra faire merveille pour reparer son honneur. Nous voyons donc cela estre commun au monde: et ce n'est point de merveilles, quand desia du temps de Iob ceux qui estoyent en credit abusoyent de leurs richesses, et de leurs honneurs, afin de se maintenir, et d'empescher qu'on ne parlast d'eux en façon que ce fust. Ce sera un crime irremissible, quand on aura taxe un Prince, ou quelque courtisan, ou un homme qui aura la vogue, qui sera en authorité de iustice: Ô incontinent il faut qu'on face grand bruit si l'honneur de telles gens est blessé: et combien qu'il y ait beaucoup à redire en eux, et mesmes que les petis enfans leur pourroyent faire leur procez, si est-ce qu'il s'en faut taire. Or au contraire voicy

Iob qui dit: l'eusse peu briser les peuples, c'est à dire, i'avoye le moyen non seulement de donter mes ennemis, mais de les briser, de les rompre: quand tout le monde se fust dressé contre moy, si est-ce que i'avoye un tel credit et une telle puissance, que i'en pouvoye bien venir à bout. Et cependant quoy? Il monstre qu'il a esté doux comme un agneau, qu'il a porté qu'on le redarguast de ses fautes: encores que ce fust quelque coquin, quelque belistre, si est-ce, dit-il, que ie l'ay craint i'ay en honte quand il a parle de moy, i'ay cognu mes pechez: ie n'ay point attendu qu'on amassast une grosse armee, et que les grans vinsent pour me rendre confus,

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mais i'ay escouté les plus petis de tout le monde.

Nous voyons maintenant quel est le sens naturel de ce passage. Or le principal est, que nous sachions faire nostre profit de ceste doctrine: et en premier lieu, que ceux qui ont quelque dignité par dessus les autres, cognoissent que cela ne doit point servir de manteau pour couvrir leurs ordures, mais pour contempler que Dieu les a eslevez en lieu eminent, afin que s'il y a du mal en eux, il soit plus noté. Et defait, c'est bien raison que ceux ausquels Dieu fait la grace d'estre comme en degré d'honneur par dessus leurs prochains, puis qu'ils sont ainsi eslevez, s'efforcent de monstrer bon exemple. Et s'ils font au contraire, leur offense est d'autant plus griefve, et Dieu à iuste occasion leur pourroit . Reprocher, Comment ? Ie t'avoye eslevé, ie t'avoye tendu la main afin que tu fusses comme une lampe ardente pour esclairer tout le monde: or quand tu l'as scandalisé, il faut que ton opprobre soit tant plus grand. Ceux donc que Dieu aura mis en estat honorable, qu'ils cognoissent que ce n'est point pour avoir plus grande licence de mal faire, et que s'ils peuvent clorre la bouche au simple peuple, il ne faut point qu'ils usent d'un tel bouclier: car Dieu desployera une plus grande vengeance sur eux, en descouvrant leur turpitude, quand ils auront ainsi tasché de la couvrir, et d'ensevelir leurs fautes. Voila pour un Item. Or cependant ceux qui sont petis, qu'ils regardent à eux. Car il n'y a celuy de nous qui approche d'une telle authorité, comme Iob l'attribue icy à sa personne: nous ne sommes point pour rompre des peuples, pour briser des grandes troupes de gens qui se pourroyent eslever contre nous: à grande peine pourrions-nous combatre contre un limaçon. Dieu donc par ce moyen-la nous tient en humilité encores que nous ne le voulussions pas. Pourtant que sera-ce, si nous presumons de clorre la bouche à ceux qui pourront iustement mesdire de nous? Nous ne sommes rien et moins que rien, et cependant nous voudrons estre encores en reputation, nous voudrons que nostre honneur soit garde, et qu'on n'y touche pas: et si quelqu'un en parle, il nous semblera que le ciel et la terre se doivent renverser pour oster ce diffame. Et ie vous prie, n'est-ce point batailler contre nature directement? Encores que Dieu nous eust eslevez, et que nous eussions le moyen de maintenir nostre honneur, nous oyons ce qui est icy dit, qu'il nous faudroit craindre les plus mesprisez. Or quand Dieu ne nous lasche point ainsi la bride, mais qu'il nous tient enserrez, et qu'il nous faut souffrir que nos fautes soyent cognues: si nous venons à nous rebecquer, quelle excuse y aura-il ? Voila donc comme les petis se doivent bien humilier au double,

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quand ils voyent un tel miroir en la personne de Iob, que celuy qui pouvoit rompre les grans peuples, s'est abaissé en sorte qu'il a souffert d'estre redargué des plus mesprisez, de ceux qu'on estimoit comme belistres entre les autres. Que nous nous donc ceste modestie d'endurer d'estre condamnez et de grans et de petis. Voila ce que nous avons à noter en premier lieu.

Or cependant il nous faut aussi peser ce mot de Mespris: car voila qui est cause de nous faire enorgueillir, tellement que nous sommes incorrigibles: nous regardons, Et qui est celuy-la? Pour le moins il est mon pareil et si nous avons quelque equalité, il nous semble qu'il n'a plus d'avantage sur nous. Et celuy-la entreprend-il de me reprendre? Et vaut-il mieux que moy? Et au reste, il ne nous suffit point encores d'estimer les autres pareils à nous, combien qu'ils valent beaucoup mieux, mais nous les mettons bas: car nous savons bien noter les vices d'autruy, et mesmes les augmenter, Et qui est celuy-la? Et ne sait-on pas bien qu'il y a , à redire en luy? Et cependant nos fautes sont adoucies, tout reluit en nous, et ferons là de vice vertu. Voila qui est cause de nous endormir en tel orgueil, que nous ne pouvons recevoir le ioug et la correction, quand Dieu nous envoye des hommes qui sont pour nous reduire, et nous monstrer combien nous sommes coulpables. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ce que dit icy Iob. l'ay craint les plus mesprisez, dit-il, ceux qui estoyent comme le baliement et les ordures du monde, ceux mesmes qui estoyent les plus marauds, où il n'y avoit ne dignité, ne rien qui soit si est-ce que ie les ay craint. Or par cela nous voyons, que si Dieu ne nous fait point la grace d'estre admonnestez par gens honorables, et qui ayent grand credit, ce n'est pas à dire qu'il nous faille mespriser les advertissemens qu'on nous fera. Et qu'ainsi soit, voila le premier que nous avons à penser, que si on nous reprend, c'est un messager que Dieu nous envoye: tellement que quand un petit enfant parlera à nous, et que nostre conscience nous redargue, que c'est en verité, nous resistons à Dieu si nous faisons des revesches. Ainsi donc n'allegons plus, Et qui est celuy-la? Merite-il qu'on l'escoute? Mais regardons au message qu'il nous apporte: et s'il est de Dieu, baissons la teste pour recevoir le ioug. Voila pour un Item.

Et puis pour le second notons, que bien souvent ceux que nous mesprisons ainsi, valent beaucoup mieux que nous: et qu'il n'y a que nostre hypocrisie qui nous aveugle, d'autant que nous n'espluchons point nos vices comme il appartient, et cependant nous sommes trop aigres à l'encontre de nos prochains. Voila qui est cause de nous

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faire ainsi reietter ceux qui seroyent dignes d'estre escoutez et receus. Despouillons-nous donc de cest orgueil-la, et apprenons de sentir nos povretez, et les sentir en telle sorte, que nous soyons abbatus, comme nous en sommes bien dignes. Et cependant ne regardons point tellement aux vices de nos prochains, que nous ne contemplions les vertus que Dieu y a mises, pour les honorer. Voila donc qui sera cause de nous faire recevoir paisiblement les corrections. Et puis il y a encores un autre regard: car si nous sommes admonnestez par gens de nulle valeur ou estime, cognoissons, Voici Dieu qui me veut rendre tant plus confus: car ie ne merite pas qu'il m'envoye quelqu'un que ie doive priser selon les hommes: il me pourroit susciter quelque Prophete, il me pourroit envoyer un homme prudent, et honorable pour sa vertu, mais il veut que ie soye matté par un qui est mesprisé et reietté de tous. Et pourquoy ? Afin de me faire mieux sentir mon mal: car si i'estoye admonnesté par un qui auroit quelque authorité sur moy, ie penseroye, Et bien, ce seroit honte à toy de te rebecquer contre cestui-ci: et cela seroit cause que ie nourriroye tousiours quelque arrogance là dedans. \Mais voici Dieu qui me vient souffleter par un autre moyen: il ne permet pas que i'aye un bon ami qui me conseille, que i'aye quelqu'un qui procure mon honneur, qui me vienne admonester: mais il m'envoye un homme reietté. Quand donc i'ay cela, il faut cognoistre que Dieu ne le fait point sans cause. Voila comme en toutes sortes nous serons amenez à ceste raison, de craindre les plus petis et contemptibles.

Au reste, quand Iob dit, Qu'il n'est point sorti: ce n'est pas à dire qu'il ait usé de subterfuges, mais que volontairement il s'est contenu, et qu'il à souffert d'estre condamné sans replique, et s'est caché comme un homme qui estoit convaincu. Voila en somme ce que nous avons à noter. Il est vray qu'un homme se pourra bien cacher quelquesfois, et cependant il ne laissera pas de ronger son frain, et de poursuivre la vengeance de ceux qui l'auront diffamé. Mais quand il est dit que Iob n'est point sorti de sa porte, ce n'estoit pas afin de ne point ouir ses opprobres, et cependant machiner à se venger contre ses ennemis, et ceux qui l'accusoyent. Nenni: mais il s'est tenu dedans sa maison, comme quittant la place à ceux qui l'eussent voulu reprendre de ses fautes: il leur a donné

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la vogue pour dire, le ne me vien point opposer, ie n'envoyeray point gens pour maintenir ma querelle, mais ie seray paisible: qu'on me condamne devant tout le monde, ie seray là comme enserré en prison. Nous savons que si un homme est detenu prisonnier, on luy fait son procez en liberté. Iob donc s'est constitué prisonnier de son bon gré, afin de souffrir qu'on le condamnast. Et ceci est bien digne d'estre noté, car nous voyons auiourd'huy, que si un homme est le plus coulpable du monde, et qu'il sache qu'on parle de luy, et qu'il en oye quelque vent, pour y remedier, que fera-il? Il viendra là en pleine rue, et eslargira ses espaules, et escumera comme un sanglier, il occupera la place pour maintenir le mal, il menera sa bande pour dire, le gaigneray quoy qu'il en soit: on a beau mesdire de m y, si est-ce que ie viendray à bout de clorre la bouche à tous ceux qui en mesdiront. Et pleust à Dieu que les exemples n'en fussent point si manifestes qu'ils sont. Mais quoy? Qu'on ouvre les yeux, et nous verrons que c'est auiourd'huy un vice plus qu'ordinaire, que ceux qui despitent et Dieu et le monde, qui sement leurs corruptions par tout, ceux-la sont effrontez, et monstrent qu'ils sont possedez du diable: car ils viendront là monstrer leur front de putain: quand ils auront torché leur museau, Ce n'est rien, quelque chose qu'il y ait: il y aura des scandales si vilains que l'air en put, on n'en osera dire mot, il faudra quitter la place à ces rustres. Voyans donc que ce vice regne par tout, d'autant plus nous faut-il noter ceste le on qui nous est icy monstree: c'est assavoir que nous soyons prisonniers volontaires quand nous aurons offensé, que nous ne cerchions sinon à nous retenir, et souffrir d'estre condamnez afin d'estre absous devant Dieu. Il est vray qu'il ne nous faut point tenir coys pour dissimuler nos pechez en nous taisant: mais cependant que nous soyons paisibles, que nous ne venions point faire des hardis pour nous excuser en nos vices: mais que nous apprenions de ne nous point rebecquer à l'encontre de Dieu, plustost advisons que nous sommes coulpables en tout et par tout devant sa maiesté: et par ainsi qu'il n'y a autre remede, sinon de recourir à sa grace et misericorde infinie, de laquelle il use envers tous les povres pecheurs qui retournent à luy.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

IOB CHAP. XXXI.

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LE CENT ET DIXHUICTIEME SERMON,

QUI EST LE VIII. SUR LE XXXI. CHAPITRE.

36. A la mienne volonté que i'eusse qui m'ouist: mon but est que le Tout-puissant me responde. Que mon adversaire escrive un livre. 36. Si ie ne le porte sur mes espaules: ie l'attacheray comme une couronne. 37. le conteray tous mes pas, ie me presenteray à luy comme un prince. 38. Si ma terre crie contre moy, si ses rayons pleurent ensemble: 39. Si i'ay mangé sa substance sans argent, si i'ay opprimé de douleurs ceux qui l'ont possedee: 40. Qu'elle me produise des chardons au lieu du froment, et de l'yvroye au lieu du blé.

C'est la fin des propos de Iob.

Nous avons veu par cy devant, que Iob se plaignoit de n'estre point escouté de Dieu pour obtenir raison. Vray est qu'en parlant ainsi, son intention n'estoit pas de blasphemer comme si Dieu luy eust esté cruel et iniuste: mais il entendoit qu'il ne sait pourquoy il estoit ainsi affligé, et qu'il ne luy estoit point licite de contester contre Dieu, encores que la raison luy fust incognue. Suivant cela maintenant il adiouste, Que tout son plaisir seroit que Dieu lui respondist. En quoy il signifie, que si ceste grace luy estoit faite, que Dieu se declarast en sorte qu'il cognust pourquoy c'est qu'il est ainsi tormenté il luy suffiroit d'une telle cognoissance: mais qu'il n'y a point de raison apparente pourquoy il soit ainsi durement traitté, veu que sa vie a esté irreprehensible, et qu'il a tasché de cheminer sainctement. Vray est que ce mot de Respondre, se pourroit exposer en double sorte: c'est assavoir que Dieu comparust comme partie, et qu'il deduisist ses raisons et articles: ou bien qu'il responde, qu'il se declare estre du costé de Iob. Or pource que par cy devant il a souvent dit, que si Dieu vouloit condescendre iusques là, de declarer la raison de son iugement, il luy suffiroit: nous prendrons ce passage comme s'il estoit dit, le ne demande sinon que Dieu declare la raison pourquoy il m'afflige: car quant au regard commun ie despite et deffie tout le monde. Que i'aye une forte partie qui dresse accusation contre moy, et mesme qu'il en face un gros livre: il ne me chaudra de le porter sur mon espaule, ce ne me sera point un fardeau pesant: plustost ce me sera une couronne et un parement pour m'orner. Nous voyons donc maintenant en somme ce que Iob a voulu dire: c'est assavoir qu'il n'est pas tel comme on l'avoit reputé et tenu: comme nous voyons que ses amis

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le condamnoyent comme un homme reprouvé, veu qu'il enduroit de si grans tormens, et il leur sembloit que Dieu avoit là voulu desployer sa vengeance, afin que Iob fust un miroir des meschans que Dieu abysme du tout. Iob donc proteste qu'il n'est pas tel, et cependant il ne demande sinon d'avoir audience. Et devant qui? Non point devant les hommes seulement: mais que Dieu luy responde, c'est à dire que Dieu face que sa iustice soit cognuë: et qu'alors il maintiendra que ce n'est point pour ses pechez qu'il souffre, assavoir quand cela sen bien consideré, et quand Dieu prononcera sentence, comme ayant formé un procez ordinaire, et non pas comme usant de sa puissance haute et cachee, tellement qu'on ne sache pourquoy il besongne ainsi. Or nous avons veu par ci devant, que ce n'est point sans cause que Iob faisoit un tel souhait. Et pourquoy ? Car Dieu quelquesfois nous chastiera selon les menaces qu'il a faites en sa Loy: et c'est le plus ordinaire, c'est assavoir que si nous souffrons, c'est à cause de nos pechez. Voila Dieu qui a declaré qu'il ne permettra point que nos iniquitez demeurent impunies: et apres nous avoir baillé la reigle de bien vivre, il adiouste les menaces, si vous transgressez mes commandemens, ie vous puniray et de guerre et de peste, et de famine, chacun de vous de maladie, de povreté, en cecy, et en cela. Et bien, quand nous aurons esté batus des verges de Dieu, il nous faut rapporter nostre vie à sa Loy: et si nous sentons que nous ayons failli, voila nostre procez tout formé la sentence en est desia donnee, il ne restoit sinon qu'elle s'executast. Voila donc la façon ordinaire que Dieu tient quand il chastie les hommes.

\Mais en Iob il y a un autre regard: car Dieu ne le punit point pour ses pechez: non pas qu'il ne l'eust merité (car il n'y a creature si iuste qui puisse s'exempter des corrections de Dieu) mais cependant (comme desia nous avons declaré) Dieu n'a point regardé aux offenses de Iob: il ne le punit point en telle mesure pour avoir transgressé: mais il a voulu esprouver la foy et la patience de son serviteur, il a voulu aussi qu'il fust en exemple à tout le monde. Cependant Iob avoit la bouche close, qu'il ne savoit que dire: et ainsi de nostre costé il ne Nous faut point enquerir autrement pourquoy il a esté si rudement traitté, c'est un secret incognu aux hommes. Ce n'est donc point sans propos que Iob demande que Dieu luy responde,

SERMON CXVIII

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c'est à dire, qu'il entre en cause, et qu'il souffre que luy maintienne son integrité, et qu'il sache pourquoy il endure ainsi. Mais cependant notons qu'il n'est point licite aux hommes d'appeler ainsi Dieu à partie: car c'est bien raison qu'il nous traitte selon sa bonne volonté, et que nous baissions la teste, encores que la raison de ses iugemens ne nous soit point apparente. Quand donc il plaira à Dieu de nous visiter à la rigueur, et que nous ne verrons point pourquoy il le fait: si faut-il que nous ayons la bouche close pour ne point murmurer contre luy, et neantmoins que nous Payons ouverte pour le glorifier, confessans que ses iugemens, combien qu'ils soyont un abysme profond, ne laissent pas d'estre iustes et equitables.

Voila donc ce que nous avons à noter: car defait il n'y a rien plus espouvantable, que quand Dieu voudra entrer en procez avec nous: s'il se constitue partie adverse, helas que pourrons-nous devenir? Si donc nous l'allons provoquer, et que nous demandions de plaider contre lui, n'est-ce pas à nostre grande confusion ? Et ceste doctrine est bien à noter: car nous voyons comme tous les iours les hommes entrent en leurs murmures, et qu'ils se despitent. Et qu'est-ce cela, sinon provoquer Dieu, et vouloir intenter procez contre luy? En viendrons-nous à bout? Il est vray que ceux qui s'escarmouchent ainsi quand ils sont affligez, ne diront pas qu'ils veulent que Dieu leur soit contraire: mais cependant leur but tend là: car si un homme n'est point patient en ses afflictions, et qu'il ne se tiene point paisible pour se renger a la bonne volonté de Dieu, pour recevoir correction de sa main (ie vous prie) ne s'esleve-il point, afin que Dieu estant ainsi despité maintiene son droit? (lardons-nous d'intenter querelle contre Dieu quand il nous frappe de ses verges, et de l'avoir pour ennemi mortel: mais plustost que nous apprenions de nous assuiettir à sa main, et trouver bon ce qu'il fait, encores que la raison nous soit cachee pour un temps. Vray est que nous devons bien desirer, qu'il plaise à Dieu de nous monstrer pourquoy il nous afflige: mais il ne faut point que cela se face, sinon afin que ses verges nous profitent, et que nous puissions appliquer à nostre instruction les chastimens qu'il nous envoye, quand nous cognoistrons la raison pourquoy. Quand donc chacun sentant ses pechez se desplaist d'avoir offensé Dieu, et a honte de sa turpitude, et s'humilie, et puis qu'il cerche le remede pour se destourner du mal: quand, di-ie, en toutes sortes nous mettrons peine d'appliquer les verges de Dieu à nostre usage, et les faire tourner en telle discipline, que nous monstrions que nous ne sommes point incorrigibles: voila comme nous pourrons bien desirer qu'il plaise à Dieu de nous faire sentir pourquoy il nous afflige, afin que

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ses corrections ne soyont point superflues. Mais s'il veut user de sa puissance, et nous tenir là comme eslourdis, et que nous ne sachions pourquoy c'est qu'il use de si grande rigueur contre nous: encores en tel e extremité si faut il baisser la teste, et avoir nostre refuge à ce que nous avons desia declare, que Dieu est iuste on tout et par tout: et pourtant encores que la cause pourquoy c'est qu'il nous tormente, nous soit incognuë, que nous ne laissions pas toutes fois de le glorifier. Voila que nous avons à retenir de ce passage.

Or cependant venons à ce que dit Iob: Mon but est que le Tout-puissant me responde: quand mon adversaire escrira un livre, s'il me le faut porter, ie n'auray point honte de le produire. Ie ne seray pas comme un criminel qui sera chargé et convaincu: mais ce livre-la sera plustost pour maintenir mon integrité: ie m'en oseray parer comme d'une couronne, dit-il. Quand Iob parle ainsi, il entend en somme, que toutes les accusations qui ont esté dressees contre luy estoyent fausses, et qu'on l'avoit calomnié à tort, veu qu'il estoit innocent on sa vie. Or parlant ainsi, il n'entend par estre du tout pur, et qu'il n'y eust eu que redire en sa personne: car (comme il fut hier veu) il s'est confessé pecheur et mesmes il protestoit qu'il ne cachoit point ses fautes, comme la coustume des hommes est, et comme nous voyons que l'hypocrisie est telle, qu'un chacun se voudra couvrir de vains subterfuges et frivoles. Iob declaroit qu'il n'a point tendu là, mais que librement il s'est condamné quand il avoit failli: et me mes qu'il n'a pas attendu que gens d'autorité le redarguassent: mais que les plus contemptibles luy ont fait honte, qu'il s'est humilié iusques là de recevoir correction de ceux qui n'estoyent pas dignes de le regarder. Ainsi donc Iob en ce passage n'entend pas qu'il ait esté du tout sans peché et sans macule (car il y auroit contradiction en ses propos) mais il deduit sa cause selon que nous avons veu: c'est qu il n est pas comme un homme reprouvé, et que si Dieu le traitte rudement, ce n'est pas à dire que cela soit pour quelques transgressions enormes, mais qu'il y a une autre raison cachee.

Nous voyons donc en somme que Iob ne s'est point voulu il y exalter contre Dieu avec une telle fierté comme font beaucoup qui se maintient iustes, voire sans sentir les fautes qu'ils ont commises. Et combien qu'il eust cheminé comme un Ange, si est-ce qu'il a bien cognu que Dieu eust trouvé assez d'occasion en lui pour le punir. lais cependant il maintient son integrité, pour se retirer du reng des contempteurs de Dieu. Par cela nous sommes instruits qu'il y a moyen de maintenir nostre bonne cause. Nous savons que ceux qui sont les plus coulpables, volontiers seront les plus

IOB CHAP. XXXI.

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hardis pour se iustifier quand on les reprouve: et combien que leur condamnation soit assez notoire, et que chacun voye qu'ils ne valent du tout rien, ce seront les plus effrontez à maintenir qu'il n'y a que redire en eux, et qu'on leur fait grand tort en les reprenant. Or au contraire les enfans de Dieu, combien qu'ils ayent mis peine à cheminer droittement, si est-ce qu'ils passeront condamnation devant toutes choses, et cognoistront qu'ils sont povres pecheurs. Là dessus donc nous voyons que si un homme pretend de se iustifier sans exception, il entreprend guerre contre Dieu: car quiconques dit qu'il n'est point pecheur, celuy-la veut dementir Dieu, dit sainct Iean en sa Canonique (1, 10). Dieu a prononcé une sentence generale sur nous tous, et l'experience aussi nous doit monstrer qu'il faut que nous ayons tous refuge à sa misericorde. Celuy donc qui sans exception se voudra iustifier, guerroye contre Dieu manifestement, et heurte contre lui. Et qu'y gaignera-il en la fin? Mais apres que nous aurons cognu nos fautes, que faut-il faire? Si on nous redargue en ceci ou en cela, et si nous sentons que nous soyons coulpables: et bien baissons la teste, et cognoissons que nous sommes dignes que Dieu nous face cest opprobre-la, que les hommes (mesmes les plus contemptibles) nous condamnent, et qu'ils soyent nos iuges. Si nous ne sentons point que nous ayons failli en ce dequoi on nous accuse: et bien, ce sera en une autre sorte que Dieu nous veut humilier: tant y a encores faut-il que nous soyons paisibles pour recevoir correction. Mais au reste si on nous reprouve, et que les hommes par leur temerité veulent que nous soyons meschans, et nous savons le contraire: ce seroit hypocrisie à nous d'accorder que telles calomnies sont vrayes. Si un homme estoit accusé de larrecin, ou de paillardise, ou de meurtre, et qu'il en soit pur, et qu'il puisse protester devant Dieu et ses Anges qu'il n'est rien de cela: s'il se condamne avec le reste, il fait mal. Ainsi donc nous pouvons bien maintenir nostre integrité à la façon de Iob, non point seulement pour le regard de nostre honneur: comme font ces glorieux qui ne voudroyent point estre touchez en rien qui soit: ils sont si delicats, qu'ils ne peuvent souffrir qu'on touche leur honneur, voire combien qu'ils se soyent diffamez d'eux-mesmes: ils voudront que leur turpitude soit couverte, et cependant ils la manifestent eux-mesmes tellement qu'un chacun la cognoist Or ce n'est pas ainsi que nous y devons proceder: mais il faut qu'un chacun en son endroit iuge de soi comme il doit faire envers ses prochains, et que sans acception de personne nous apprenions de condamner le mal, et d'approuver le bien. Voila en quelle façon nous pourrons maintenir une bonne querelle.

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Et voila pourquoi Iob dit, Si Dieu me respond quand tous les hommes de la terre se dresseront contre moi, et que ma partie adverse amenera tout ce qu'il est possible: tant s'en faut, dit-il, que i'aye honte de produire cela, que ie le tiendrai comme une couronne pour me parer, ce me sera un ornement. Or cependant notons aussi, que quand nous voudrons maintenir nostre innocence, il ne suffit point de cacher nos opprobres devant les hommes: mais le principal est que Dieu nous soit comme garant, et qu'il responde pour nous. Il est vrai que ceste response dont parle Iob, s'entend comme nous l'avons declaré: c'est assavoir, que Dieu entre comme en procez ordinaire contre lui, et qu'il declare la cause pourquoi il l'afflige: mais cependant si est-ce que Iob pretend, que si Dieu lui donne ceste liberté-la qu'il puisse maintenir sa cause, que tout sera gagné pour lui, et que ceux qui le reiettent à cause des extremes afflictions qu'il endure, se trouveront menteurs. Ainsi donc nous voyons ce que i'ai desia touché, c'est assavoir, que ce n'est rien d'estre eschappé de devant les hommes mais il faut que nous regardions à Dieu premierement, afin d'amener nostre cause bonne devant lui, et que (comme i'ai dit) il soit nostre garant, et que nous recevions sentence d'absolution quant à lui. Et pleust à Dieu que ceci fust bien imprimé en nos coeurs: car nous voyons auiourd'hui que c'est tout un, moyennant qu'on puisse estre absous devant le monde: on ne cerche que cela, et ainsi Dieu sera mesprisé. Car il n'y a celui qui pense de rendre iamais conte devant lui, mais nous regardons qu'on ne puisse mordre sur nous, et que si quelqu'un nous vient assaillir, nous ayons dequoi le rembarrer. Quand donc nous serons eschappez devant le monde, il nous semble que tout est gaigné, et cependant voila qui nous donne audace de nous eslever tant plus à l'encontre de Dieu. Ainsi donc pensons à ceste doctrine, c'est assavoir, que c'est un povre payement quand le monde nous aura applaudi, sinon que Dieu nous approuve: et pourtant que devant toutes choses chacun examine quel il est, et que cela se face non point à sa phantasie, mais selon la Loi de Dieu: car nous savons que nous ne sommes pas iuges competans, mais il faut que nous recevions sentence de la Loi, et de ce qui est dit là et contenu. Ainsi donc que le siege de Dieu soit dressé quand nous avons sa parole devant nos yeux: et que nous regardions bien si nous avons cheminé comme il le commande, ai nous n'avons point decliné de sa parole: et s'il y a faute, apprenons de nous condamner. Et au reste, quand il nous aura fait la grace de lui obeir, encores qu'il y ait beaucoup de vices en nous, moyennant que nous ayons eu ce but principal: que nous ayons ce contentement d'estre approuvez de lui, quand le monde nous condamnera:

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et qu'il ne nous face point mal que le monde nous charge de calomnies, moyennant que Dieu nous tende la main, qu'il nous accepte, et declare que nostre vie lui est aggreable. Quand cela sera, et bien, que les chiens abbayent contre nous, s'ils n'y peuvent mordre, et qu'il semble à ouyr parler nos ennemis que nous soyons les plus meschans du monde, portons tout cela patiemment. Voila donc ce que nous avons à observer de ce passage. Ainsi nous voyons qu'il y a deux poincts à noter: l'un est, que nous ne devons point estre addonnez à ambition et vanité, tellement que nous cerchions nostre gloire devant les hommes estans exemptez du iugement de Dieu: mais au contraire qu'il nous faut sentir combien l'ire de Dieu est espouvantable, et examiner bien nos consciences, afin de n'estre point coulpables devant Lui. Quand nous aurons cela, c'est que Dieu nous aura fait la grace d'avoir cheminé en integrité, et que nous serons asseurez qu'il nous approuve: que nous portions patiemment les calomnies du monde, et fausses accusations, et que nous attendions que Dieu declare nostre integrité, et qu'il la face reluire comme l'aube du iour, ainsi qu'il en a donné la promesse. Et c'est le second poinct.

Cependant quant à ce que Iob dit, Qu'il portera comme une couronne le livre qui aura esté fait contre lui, c'est à dire, un procez, quand il aura ainsi este chargé de crimes: ce n'est pas à dire que tousiours nous soyons honorez devant les hommes, encores que nous ayons bonne cause. Et de fait il est impossible de trouver meilleure cause que celle de sainct Paul, quant à ce qu'il avoit servi loyaument à Dieu en son office: mais cependant il n'a pas laissé d'estre chargé et accusé faussement. Et que fait-il? Il appelle à la iournee de Dieu (1. Cor. 4, 4), voyant que les hommes sont aveugles et ignorans, et qu'ils le iugent à tort. Et i'en appelle, dit-il, au iour du Seigneur. Voila sainct Paul qui est contraint d'user d'un tel remede: comme souvent il adviendra, que nous serons denigrez, et que le monde nous tiendra pour meschans, que nous serons deshonorez: pource que les meschans sont si impudens: que ce leur est tout un de mesdire à tors et à travers. Cependant nous ne laisserons pas toutes fois d'aller la teste levee. Et pourquoi? Car nous pouvons appeller Dieu pour nostre garant, comme nous voyons que font les Prophetes. Quand Ieremie dit (20, 7), Seigneur tu m'as seduit, si ie suis un seducteur: c'est pource qu'on lui reprochoit, qu'il ne faisoit que tromper le peuple. Et bien, dit-il, c'est donc Dieu qui m'a trompé. Quand il parle ainsi, il n'entend pas qu'il y ait nulle tromperie en Dieu: mais il reprime hardiment toutes les calomnies qu'on lui mettoit sus, disant, Adressez vous à Dieu: car ie sai qu'il maintiendra ma querelle.

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Et Isaie racontant qu'il estoit reietté des hommes, qu'il estoit en si grand opprobre et mespris que rien plus: si est-ce que le Seigneur resprondra pour moi, dit-il. Ainsi donc quand nous serons foulez et opprimez, que nous serons blasmez de tout le monde: si ne laisserons-nous point d'avoir une couronne de gloire, quand nous aurons tesmoignage devant Dieu. Et voila pourquoi Iob dit qu'il renversera toutes les calomnies qui se dresseront contre luy. Non, non, dit-il, ie ne viendray point comme un malfaicteur qui est desia condamné en soy devant que les informations soyent prinses (car il est desia Convaincu en sa conscience du meffait qu'il a commis) mais ie viendray, dit-il, comme un prince. Et defait, les enfans de Dieu sont iuges de leurs iuges, quand ils sont iniquement opprimez des hommes. Il est certain qu'ils osent plus hardiment comparoistre, se remettans du tout à Dieu, et se reposans en luy, que ne font pas ceux qui les condamnent par malice, et violence, et tyrannie. Pensons-nous quand les ennemis de la verité condamnent auiourd'huy les fidelles à estre brulez, et qu'ils sont assis pour ce faire en leurs sieges tapissez, qu'un gibet ne soit point plus honorable quand un martyr sera là tormenté, ou qu'on dressera un posteau, et que là un enfant de Dieu sera brulé? Non: cela surmonte tous les thrones de ce monde: il faut que les rois et les princes avec tous leurs iuges prophanent de leur iniquité les sieges qui sont sacrez et dediez à Dieu: d'autant qu'ils sont là assis, il faut que tout soit plein d'ordure et d'infection: d'autant qu'ils ne suivent point l'intention de celuy qui les a là colloquez, ils rendent infame et detestable ce lieu-la, combien qu'il soit honorable de soy. Au contraire, combien qu'un posteau ou une potence soit une chose detestable selon le monde: Ô si est-ce qu'un martyr et un enfant de Dieu quand il apporte là une bonne conscience, et aussi que c'est pour une bonne querelle qu'il souffre, il est certain qu'il sanctifie ce lieu-la, qui estoit comme maudit.

Ainsi donc ce n'est point sans cause que Iob dit, Que si Dieu luy fait la grace de luy respondre, c'est à dire, qu'il puisse maintenir son innocence, qu'il soit escouté pour declarer sa vie: il viendra la teste levee comme un prince, et non point comme un malfaicteur: que hardiment il recevra tous les livres qu'on pourra escrire contre luy, qu'il les prendra comme un ornement et une couronne. Voila aussi ce qui nous doit consoler, quand nous aurons cheminé devant Dieu en droiture, et que nous aurons tasché de le servir et honorer. Car s'il y a lors de l'ingratitude au monde, et qu'on nous iniurie, et degrade, Ô que ce nous soit tout un, moyennant que nous puissions protester devant Dieu que nostre cause est bonne, et quand nous

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serons retirez de vers les hommes, que nous puissions aussi monstrer de quoy. Car c'est une impudence de dire, Dieu m'est tesmoin, si le reste ne respond: comme plusieurs appellent Dieu à la volee, et cependant on cognoist tout le contraire. Or si nous voulons estre approuvez de Dieu, il faut aussi que le monde soit tesmoin de nostre integrité quand nous aurons audience, et que nous aurons la bouche ouverte pour declarer comme la chose va, et pour repousser les calomnies qui nous seront mises sus. Au reste, quand nous aurons cela, c'est à dire, quand nous aurons bon tesmoignage, que nous ne serons point coulpables devant Dieu, et que nous le pourrons aussi monstrer par effect: encores qu'on compose livres contre nous, c'est à dire, que nous soyons denigrez de tant de blasmes et calomnies, qu'il semble que ce soyent des grosses montagnes: cela ne nous sera point un fardeau pesant, pource que nous serons soustenus de Dieu, et que nous aurons tout nostre appui en luy, plustost nous en ferons une couronne: car il vaut beaucoup mieux que nous soyons ainsi blasmez du monde, et que Dieu nous approuve, que si on nous flattoit de tous costez, et que cela nous excusast: comme nous voyons qu'il y en a beaucoup qui se donnent licence de mal faire, et de mespriser Dieu, quand le monde les advouë. Car qui est cause que beaucoup de gens se desbordent et se laschent la bride à tout mal, sinon pource qu'ils ont este espargnez, et qu'on a eu les yeux fermez, pour dissimuler à toutes leurs iniquitez ? Voila qui est cause de leur perdition. Ainsi donc il vaut beaucoup mieux que nostre Seigneur soit garant pour nous, et cependant que tout le monde nous soit contraire, que d'estre louez et prisez, et que cependant le ciel crie vengeance contre nous Nous voyons auiourd'huy comme le Pape sera prisé en sa saincteté, que combien qu'il soit un monstre et un diable encharné, si est-ce toutes fois que tous plient sous luy, et luy attribuent des tiltres plus grans qu'à Dieu. Or cependant cela n'est-il point cause d'augmenter de plus en plus sa perdition? Autant en est-il de ceux qui iustifient le monde, afin aussi qu'on les reçoive et qu'on les flatte en tous leurs pechez. Or au contraire apprenons de regarder tousiours à Dieu (comme desia nous avons dit) et cependant s'il permet que nous soyons faussement condamnez des hommes, que nous portions cela en patience, et que nous ne laissions pas d'avoir tousiours la teste levee. Et au reste, suivant ce qui est dit, De conter tous nos pas, que nous soyons prests de rendre conte, quand nous serons accusez de quelque crime: que nous ne pensions point eviter le iugement de Dieu quand nous aurons caché quelque mal en nous: mais cognoissons qu'il nous faut respondre pour nous

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et que les hommes, encores qu'ils nous iustifient, ne pourront point celer ce qui est en nous devant Dieu.

Or quand Iob a parlé ainsi, il adiouste sa derniere protestation pour conclurre: Si ma terre, dit-il, a crié contre moy, que ses rayons pleurent que i'aye mange sa substance sans argent, que ceux qui l'ont cultivee se plaignent de moy, et que ie les aye opprimee: que i, mange les chardons au lieu du blé et l'yvroye au lieu du froment. Par cela Iob conclud ce que nous avons veu par ci devant: c'est assavoir, que combien qu'il ait esté griefvement affligé de la main de Dieu, qu'il ne le. faut pas condamner, comme s'il e toit plus enorme que les autres que Dieu espargne. Et pourquoy? Car (comme nous avons dit) Dieu ne tiendra point une mesure egale quand il afflige ainsi les hommes: quelque fois il les punira pour leurs pechez: mais d'autres fois il se reserve la cognoissance des afflictions quand il veut visiter les siens en rigueur extreme. Car combien qu'ils l'ayent servi, et se soyent efforcez de se conformer du tout â. sa iustice: si ne laissera-il pas pourtant de leur envoyer des afflictions bien grandes. Alors quant à nous, nous n'en saurions que dire iusques à ce que Dieu nous manifeste au dernier iour ce qui est maintenant caché. Ainsi donc Iob monstre qu'il ne faut pas estimer sa vie selon l'estat où il est: car combien qu'il soit le plus miserable des hommes en apparence, si est-ce qu'il proteste d'avoir voulu servir à Dieu. Et en quoy le monstre-il? Nous avons veu par ci devant beaucoup de protestations: voicy la derniere, Que sa terre ne crie point contre luy. Or il est vray que la terre n'aura ne bouche ne langue pour crier, ne pour se plaindre, et aussi elle n'est pas sensible, pour souffrir quelque iniure de nous: et il ne semble pas que nous facions tort à la terre: tellement qu'encores qu'elle seust parler, on ne diroit pas qu'elle eust occasion ne de crier, ne de pleurer, ni intenter aucune querelle contre nous. Comment donc est-ce que Iob entend que sa terre ne s'est pas plainte, et que ses rayons n'ont point pleuré? Ce n'est point que la terre de soi ait cause de se lamenter: mais l'Escriture saincte use d'un tel langage, pour nous faire mieux sentir et avec plus grande vehemence, que si nous avons failli devant Dieu, les creatures nous seront contraires, et rendront tesmoignage contre nous. Comme quoi? Si nous avons opprimé les povres laboureurs, qui cultivent la terre pour nous donner à manger, que nous ayons usé d'extorsion contr'eux, que nous ayons arraché leur substance: non seulement ils seront tesmoins devant Dieu contre nous, mais la terre qu'ils ont cultivee viendra aussi deposer. Et pourquoi ? Car ils ont là mis leur sueur, c'est comme leur sang. Or c'est une grande cruauté à

SERMON CVIII

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nous, quand nous ne pensons point, Or çà, voila la terre de son costé qui a ouvert ses entrailles, comme Dieu a constitué cest ordre, que quand elle sera cultivee elle rendra son fruict. La terre donc a fait son devoir, et a consenti à son laboureur, comme s'il y avoit un accord mutuel: et cependant voila des gouffres qui mangent la substance de la terre, et ayans ravi la substance des hommes ils leur font mille extorsions: ne faudra-il pas quand le laboureur se plaindra, que la terre aussi qui aura esté comme tormentee de son costé responde? Voila donc pourquoi l'Escriture saincte use d'un tel style. Nous voyons la durté qui est en nous, que si on nous remonstre nos pechez, il nous semble que nous sommes delivrez, ayans quelque petit eschappatoire: et combien, que nous soyons convaincus devant Dieu, si est-ce que nous n'en sommes point effrayez pour nous y desplaire, et sentir combien l'ire de Dieu est à craindre. Il faut donc que nous soyons picquez, non point comme des asnes, mais comme des gens du tout endurcis: mesmes quand Dieu frappe à grands coups comme sur des pierres, comme si nous estions des enclumes, il ne nous peut amollir ne dompter que par force. Voila donc ce que nous avons à noter. Et ainsi toutes fois et quantes que l'Escriture parle en telle façon, Que la terre crie, et que ses rayons demandent vengeance: sachons que Dieu nous redargue de l'obstination qui est en nous, et nous monstre que nous sommes tellement aveuglez en nos, pechez, que nous n'en pouvons venir en cognoissance, sinon qu'il nous y attire d'une façon violente. Voila pour un Item. Ainsi donc ne demeurons pas endurcis quand nous voyons que nostre Seigneur use d'une telle vehemence contre nous, afin de nous resveiller: et que pour le moins alors nous entrions en cognoissance de nos fautes, et que nous soyons abbatus devant lui. Voila ce que nous avons à noter.

Or cependant il y aussi, que de la terre il

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nous faut venir aux hommes. Il est dit (Prov. 12, 10), que l'homme iuste aura le soin de son cheval, et de son boeuf, et de son asne: mais les meschans tormenteront leurs freres et leurs prochains en mangeant la substance de leur vie sans aucune equité. Que nous cognoissions donc quand il nous est parlé de la terre et des bestes, que c'est afin que nous soyons equitables tant plus envers nos prochains qui sont nostre chair et nostre sang, qui sont d'une mesme nature avec nous. Que si nous voulons user de tyrannie et cruauté, il faut que ce qui est dit en l'Escriture, soit accompli en nous: c'est que le salaire de ceux qui auront travaillé pour nostre profit, quand il sera retenu par nous, criera iusques au ciel, et faudra que toutes creatures rendent tesmoignage du tort et de l'extorsion que nous aurons fait envers nos prochains: ainsi que le Prophete Habacuc (2, 11) en parle, Que les parois des maisons qui auront esté basties de fraudes et de rapines crieront haut et clair, qu'elles feront là le chantre, et le sous-chantre (comme on dit) qu'elles respondront des deux costez: que l'une dira, Voici sang: l'autre, Voici meurtre: l'autre, Voici fraude: l'autre, Voici cruauté: l'autre, Voici pillages, Voici avarice, Voici pariure, Voici larrecin, Voici malice. Ainsi donc notons bien que selon que nous aurons abusé des creatures de Dieu, il faudra qu'au dernier iour elles demandent vengeance contre nous Et pourtant par cela soyons admonnestez de cheminer en telle conscience, que nous puissions aller la teste levee: non point que nous soyons parfaits devant Dieu pour soustenir son iugement et sa vengeance: mais plustost qu'il lui plaise de nous recevoir par sa bonté infinie, et nous conduire tellement par son S. Esprit, que nous appliquions nostre estude à le servir en bonne conscience selon la grace qu'il nous aura donnee.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, ect.

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