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IOANNIS CALVINI

OPERA EXEGETICA ET HOMILETICA

AD FIDEM

EDITIONUM AUTHENTICARUM

CUM PROLEGOMENIS LITERARIIS

ANNOTATIONIBUS CRITICIS ET INDICIBUS

EDIDIT

EDUARDUS REUSS

THEOLOGUS ARGENTORATENSIS

VOL. XI.

CONTlNETUR HOC VOLUMINE:

SERMONS SUR LE LIVRE DE JOB

PREMIÈRE PARTIE CHAPITRE I À XV NS

SUR LE LIVRE DE IOB.

Calvini opera. Vol. XXXIII.

SERMON PREMIER

SUR LE I. CHAPITRE.

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Il y avoit en Ia region de Hus un homme ayant nom Iob, entier et droit, craignant Dieu, et se retirant du mal, etc.

Pour bien faire nostre profit de ce qui est contenu au present livre: il nous faut en premier lieu savoir quel en est le sommaire. Or l'histoire qui est ici escrite nous monstre, comme nous sommes en la main de Dieu, et que c'est à luy d'ordonner de nostre vie, et d'en disposer selon son bon plaisir, et que nostre office est, de nous rendre subiets à luy en toute humilité, et obeissance, que c'est bien raison que nous soyons du tout siens et à vivre, et à mourir: et mesmes quand il luy plaira de lever sa main sur nous, encores que nous n'appercevions point pour quelle cause il le fait neantmoins que nous le glorifions tousiours, confessans qu'il est iuste, et equitable, que nous ne murmurions point contre luy, que nous n'entrions point en proces, sachans bien que nous demourerons tousiours vaincus, contestans avec luy. Voila donc ce que nous avons à retenir en brief de l'histoire, c'est que Dieu a un tel empire sur ses creatures, qu'il en peut disposer à son plaisir, et quand il monstrera une rigueur que nous trouverons estrange de prime face, toutesfois que nous ayons la bouche close pour ne point murmurer: mais plustost que nous confessions qu'il est iuste, attendans qu'il nous declare pourquoy il nous chastie. Or cependant nous avons à contempler la patience de l'homme, qui nous est icy mis devant les yeux, selon que sainct Iaques nous exhorte (5, 11): Car quand Dieu nous monstre que nous avons a souffrir toutes les miseres qu'il nous envoyera, nous confessons bien que c'est nostre devoir, mais cependant nous allegons nostre fragilité, et nous semble, que cela nous doive servir d'excuse. Pour ceste cause il est bon que nous ayons des exemples qui nous monstrent qu'il s'est trouve des hommes fragiles

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comme nous, lesquels toutesfois ont resisté aux: tentations, et ont perseveré constamment en l'obeissance de Dieu, combien qu'il les affligeast iusqu'au bout. Or nous en avons ici un miroir excellent.

Au reste ce n'est pas le tout que nous considerions la patience de Iob, mais nous avons à regarder l'issue, comme aussi S. Iaques en parle: Car si Iob fust demeuré confus, encores qu'il y eust eu une vertu plus que Angelique en soy, cela n'eust point este une heureuse issue. Mais quand nous voyons qu'il n'a point esté frustré de son espoir et d'autant qu'il s'est humilié devant Dieu, qu'il a trouvé grace, voyant une telle issue, nous avons à conclure qu'il n'y a rien meilleur que nous assubiettir à Dieu, et souffrir tout ce qu'il nous envoye paisiblement, iusques à tant qu'il nous delivre par sa pure bonté. Or cependant outre l'histoire nous avons à regarder la doctrine qui est comprise en ce livre: c'est à sçavoir de ceux qui sont venus sous umbre de consoler Iob, et le tormentent beaucoup plus que ne faisoit pas son mal propre, et des responses qu'il a pour repousser leurs calomnies, desquelles il semble qu'ils le veulent accabler. Or en premier lieu nous avons à noter quant à nos afflictions, combien que Dieu les envoye, et qu'elles procedent de luy, toutesfois que le diable cependant nous les suscite, comme aussi Sainct Paul nous advertit, que nous avons la guerre contre les puissances spirituelles. (Eph. 6, 12.) Car quand le diable allume ainsi le feu, il a aussi des soufflets c'est à dire il trouve des hommes qui sont propres pour tousiours nous picquer, et croistre le mal, et l'augmenter. Ainsi donc nous verrons comme Iob, outre le mal qu'il enduroit, a este tourmente, voire par ses amis, et par sa femme, et sur tout par ceux qui sont venus le tenter spirituellement. Or i'appelle tentation spirituelle, quand nous sommes non seulement battus et affligez en nos corps: mais

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quand le diable nous vient mettre en phantasie, que Dieu nous est ennemy mortel, et qu'il ne faut plus que nous ayons recours à luy, ains que nous sachions que iamais il ne nous doit faire merci. Voila où tendent tous les propos qu'ont mis en avant les amis de Iob, c'estoit de luy persuader, qu'il estoit un homme reprouvé de Dieu, et qu'il s'abusoit bien cuidant que Dieu luy deust estre propice. Or ces combats spirituels sont beaucoup plus difficiles a porter; que ne sont pas tous les maux et toutes les adversitez que nous pouvons souffrir quand on nous persecute. Tant y a que Dieu lasche la bride à Satan, qu'il attire avec luy ses serviteurs, lesquels nous donneront de tels assauts, comme nous verrons que Iob en a enduré.

Voila pour un Item. lais cependant nous avons aussi a noter, qu'en toute la dispute Iob maintient une bonne cause, et son adverse partie en maintient une mauvaise. Or il y a plue, que lob maintenant une bonne cause la deduit mal, et les autres menans une mauvaise cause la deduisent bien. Quand nous aurons entendu cela, ce nous sera comme une clef pour nous donner ouverture à tout le livre. Comment est-ce que Iob maintient une cause qui est bonne? c'est qu'il cognoist que Dieu n'afflige pas tousiours les hommes selon la mesure de leurs pechez: mais qu'il a ses iugemens secrets, desquels il ne nous rend pas conte, et cependant qu'il faut que nous attendions iusques à ce qu'il nous revele pourquoy il fait ceci, ou cela. I1 a donc tout ce propos persuadé, que Dieu n'afflige point tousiours les hommes selon la mesure de leurs pechez, et de cela il en a tesmoignage en soy, qu'il n'estoit pas un homme reietté de Dieu, comme on luy veut faire à croire. Voila une cause qui est bonne et vraye cependant elle est mal deduite: car Iob se iette ici hors des gonds et use de propos excessifs, et enormes, tellement qu'il se monstre un homme desesperé en beaucoup d'endroicts. Et mesmes il s'eschauffe tellement' qu'il semble qu'il vueille resister à Dieu. Voila donc une bonne cause qui est mal conduite. Or au contraire ceux qui soustiennent ceste mauvaise cause, que Dieu punit tousiours les hommes selon la mesure de leurs pechez, ont de belles sentences, et sainctes, il n'y a rien en leurs propos qu'il ne nous faille recevoir, comme si le Sainct Esprit l'avoit prononcé: car c'est pure verité, ce sont les fondemens de la religion, ils traittent de la Providence de Dieu, ils traittent de sa iustice, ils traittent des peschez des hommes. Voila donc une doctrine, laquelle nous avons à recevoir sans contredict, et toutesfois le but est mauvais, que ces gens icy taschent à mettre Iob en desespoir, et l'abysmer du tout. Or par cela nous voyons quand nous avons un bon fondement, qu'il nous faut regarder de bastir dessus, en

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sorte que tout responde, comme Sainct Paul dit (1. Cor. 3, 10) qu'il bastit bien, puis qu'il a fondé l'Eglise sur la pure doctrine de Iesus Christ: et pourtant qu'il y ait une telle conformité, que ceux qui viendront apres luy, ne mettent point pour fondement, ny paille, ny chaume, ny matiere caducque: mais qu'il y ait un bon fondement ferme et solide. Ainsi en tout nostre vie nous avons à regarder cela, c'est que si nous sommes fondez en bonne raison et iuste, il faut qu'un chacun soit sur ses gardes pour ne point flechir, ne decliner ne çà ne là: car il n'y a rien plus aisé que de pervertir une cause qui sera bonne et iuste, selon que nostre nature est vicieuse, et nous l'experimentons tous les coups. Dieu nous aura faict la grace que nostre cause sera bonne, et toutesfois nous serons picquez par nos ennemis, tellement que nous ne pourrons pas nous tenir dedans nos bornes, et ne pourrons pas suyvre simplement ce que Dieu nous ordonne, sans y adiouster en façon que ce soit. Voyans donc que nous sommes ainsi aisement transportez, d'autant plus devons nous prier Dieu, que quand nous aurons bonne cause, il nous conduise par son Sainct Esprit en tout simplicité, que nous ne passions point les limites, qu'il nous a constituez par sa parole. Or cependant aussi nous sommes admonestez de ne point appliquer la verité de Dieu à mauvais usage: car nous la prophanons par ce moyen: comme ces gens icy, encores qu'ils parlent sainctement (comme desia nous avons declaré, et comme nous verrons plus à plein) si est-ce toutesfois qu'ils sont sacrileges: car ils corrompent la verité de Dieu, et en abusent faussement: ils appliquent à une mauvaise fin ce qui est bon, et iuste de soy. Ainsi donc quand Dieu nous a donné cognoissance de sa parole, apprenons de la recevoir en telle crainte, que ce ne soit point pour obscurcir le bien, ne pour donner couleur au mal: comme souventesfois ceux qui seront les plus aigus, et les plus savans se lascheront la bride, et abuseront de la cognoissance que Dieu leur a donnée, en fraude en malice, et renverseront tout, tellement qu'ils né feront que s'entortiller. Voyans que le monde est adonné à un tel vice d'autant plus avons nous à prier Dieu, qu'il nous face la grace d'appliquer sa parole à un tel usage, comme. il entend, c'est à sçavoir pur et simple. Voila ce que nous avons à observer en somme. Or maintenant puis que nous entendons ce qui est au livre, nous avons à poursuyvre les choses plus au long, en sorte que ce que nous avons touché en brief, nous le deduisions selon la procedure de l'histoire. Il est dit: Qu'il y a e un homme en la terre de Hus, nommé lob, homme entier, et droit, et craignant Dieu, et se retirant du mal. Nous ne pouvons pas, et ne savons deviner en quel temps a vescu Iob, sinon qu'on peut appercevoir, qu'il a

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esté fort ancien: mesmes aucuns Iuifs ont estimé, que Moyse fust auteur du livre, et qu'il avoit baillé ce miroir icy au peuple, à fin que les enfans d'Abraham, qui estoyent descendus de sa race cogoussent que Dieu avoit faict grace à d'autres qui n'estoyent point de ceste lignee, et qu'ils eussent honte s'ils ne cheminoyent purement en la crainte de Dieu: veu que cest homme qui n'avoit point eu la marque de l'alliance, qui n'avoit point este circoncis, mais estoit Payen, s'estoit si bien gouverné. Or pource que cela n'est point certain, il nous le faut laisser en suspens. Mais prenons ce qui est sans nulle doute, c'est à savoir, que le sainct Esprit a dicté ce livre à cest usage, à savoir que les Iuifs cogneussent que Dieu a eu des gens qui l'ont servi, combien qu'ils ne fussent point separez d'avec le reste du monde, et combien qu'ils n'eussent pas le signe de la circoncision, que toutesfois ils ont cheminé en toute pureté de vie. Les Iuifs cognoissans cela, ont eu occasion d'estre tant plus soigneux a observer la Loy de Dieu, et puis qu'il leur avoit fait ceste grace et ce privilege de les recueillir d'entre toutes les nations estranges, qu'ils avoyent à se dedier du tout à luy. Et aussi on peut appercevoir par le livre d'Ezechiel, (14,14) que le nom de Iob estoit renommé entre le peuple d'Israel: car nous avons veu au 14. chapitre, qu'il estoit dit, Que si Noe, Iob, et Daniel estoyent trouvez entre le peuple qui devoit perir, qu'ils sauveroyent seulement leurs ames, et que le reste du peuple seroit abysmé. Voilà le Prophete qui parle de trois hommes, voire comme de ceux qui estoyent cognus et renommez entre les Iuifs, comme desia nous avons touché. Et ainsi nous voyons quelle est l'intention du Sainct Esprit, c'est à savoir que les Iuifs eussent un miroir, et un patron pour cognoistre, comme ils avoyent à observer la doctrine de salut qui leur estoit donnée, puis que cest homme qui estoit de nation estrange s'estoit ainsi conservé en telle pureté. Et c'est le principal que nous avons à retenir du nom qui est icy contenu, quand il est dit, qu'il estoit de la terre de Hus. Il est vray que ceste terre ici par aucuns est mise plustost en l'Orient: mais il y a au 4 des Lamentations de Ieremie (v. 21) le mesme mot, mis pour signifier une partie d'Idumee. Nous savons que les Idumeens estoyent descendus d'Esau. Il est vray qu'encores ils avoyent la circoncision, mais d'autant qu'ils s'estoyent esgarez de l'Eglise e Dieu, il n'y avoit plus de signe de l'alliance. Si nous prenons donc que Iob ait esté de la terre de Hus, il estoit Iduméen, c'est à dire, de la lignée d'Esau. Or nous savons ce qui est dit par le Prophete, (Malac. 1, 2) combien qu'Esau, et Iacob fussent freres germains, voire d'une ventrée, que Dieu avoit choisi Iacob par sa pure bonté et avoit reietté

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Esau, et l'avoit maudit avec tout son lignage. Voila comme le Prophete en parle pour magnifier la misericorde de Dieu envers les Iuifs, leur monstrant qu'il ne les avoit pas eleus pour quelque dignité qui fust en leurs personnes, veu qu'il a reietté le frere aisné de Iacob, auquel appartenoit la primogeniture, et qu'il avoit choisi celui qui estoit le moindre, et l'inferieur. Ainsi donc combien que cest homme fust descendu de la lignee d'Esau toutesfois si est - ce que nous voyons en quelle integrité il a vescu, et comme il a servi à Dieu, non seulement quant à converser avec les hommes en droiture, et equité: mais pour avoir une religion pure, qu'il ne se polluoit point aux idolatries et superstitions des infideles. Quant à ce nom de Iob, il est vray qu'aucuns le translatent comme pleurant, ou criant: mais les autres le prenent comme un homme d'inimitié, non pas qu'il haist, mais qu'il estoit comme un blanc, auquel on pouvoit tirer. Tant y a que nous ne devons point douter, que cest homme, duquel le pays est icy marqué, duquel le nom est exprimé, n'ait esté, qu'il n'ait vescu, et que les choses qui sont ici escrites ne luy soyent advenues: à fin que nous ne pensions point que ce soit un argument controuvé, comme si sous quelque nom on nous proposoit ici ce qui n'a iamais esté tait. Car nous avons desia allegué le tesmoignage d'Ezechiel, et celuy de sainct Iaques, qui monstrent bien que Iob a esté à la verité, et aussi quand l'histoire le declare, nous ne pouvons point effacer ce que le Sainct Esprit a voulu dire si notamment. Or au reste nous avons à noter, que de ce temps là, combien que le monde se fust aliené du vray service de Dieu, et de la pure religion, neantmoins qu'il y avoit encores plus d'integrité beaucoup, qu'il n'y a point auiourd'huy, mesmes en la Papauté. Et de fait nous voyons comme du temps d'Abraham Melchisedech avoit Eglise de Dieu, et avoit les sacrifices, qui estoyent sans pollution aucune. Et ainsi combien que la plus part du monde fust enveloppee en beaucoup d'erreurs, et de fausses fantasies, et meschantes' toutesfois Dieu avoit reservé quelque petite semence à soy, et y en avoit tousiours d'aucuns qui estoyent retenus sous la pure verité, voire en attendant que Dieu establist son Eglise: et qu'il choisist un peuple, c'est à savoir, les successeurs d'Abraham, à fin qu'ils cogneussent qu'ils estoyent separez du reste de tout le monde. Or il est bien vray que Iob a vescu depuis ce temps là, mais l'Eglise de Dieu n'estoit pas encores ainsi dressee, comme elle a esté depuis: car nous savons cependant que les enfans d'Israel ont vescu en Egypte, qu'il sembloit que tout devoit estre aneanti. Et mesmes nous voyons à quelle extremité ils sont venus en la fin, quand Pharao commande que les

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masles soyent tuez: et au desert encores semble-il que Dieu les ait reiettez: quand ;ils sont venus au pays de Chanaan, ils ont de grands combats contre leurs ennemis, et mesme le service de Dieu n'est point encore là dressé, ni le tabernacle, comme il seroit requis. Dieu donc n'ayant point encores dressé un estat d'Eglise qui fust apparent, a voulu qu'il y demeurast tousiours quelque petite semence entre les Payens, à fin qu'il fust adoré, et que cela aussi fust pour convaincre ceux qui s'estoyent destournez du droit chemin, comme les Payens: car il n'a fallu sinon Iob pour estre iuge de tout un pays. Noe a condamné aussi le monde, comme l'Escriture en parle, d'autant qu'il s'estoit tousiours maintenu en pureté, et a cheminé comme devant Dieu, combien que chacun l'eust mis en oubly, et que tous se fussent esgarez en leurs superstitions . Voila donc Noe qui est iuge de tout le monde pour condamner les incredules, et rebelles. Autant en a-il esté de lob, qui a condamné tous ceux de ceste region, pource qu'il servoit purement à Dieu, et les autres estoyent pleins d'idolatries, d'infametez, de beaucoup d'erreurs: et cela venoit parce qu'ils ne daignoyent pas cognoistre quel estoit le vray Dieu vivant, et comment, et en quelle sorte il vouloit estre honoré: tant y a que Dieu a tousiours eu ce regard (comme i'ay dit) que les meschans, et incredules fussent rendus inexcusables. Et pour ceste cause il a voulu qu'il y eust tousiours quelques gens, qui suivissent ce qu'il avoit declaré aux Peres anciens. Tel a esté Iob, comme l'Escriture nous en parle, et l'histoire presente monstre bien, comme il a purement servi à Dieu, et qu'il a conversé entre les hommes en doute droiture. Il est dit, Qu'il estoit un homme enter. Or ce mot en l'Escriture se prend pour une rondeur, quand il n'y a point de fiction, ne d'hypocrisie en l'homme, mais qu'il se monstre tel par dehors comme il est au dedans, et mesmes qu'il n'a point d'arriere boutique pour se destourner de Dieu, mais qu'il desploye son coeur, et toutes ses pensees et affections, qu'il ne demande sinon de se consacrer à Dieu, et s'y dedier du tout. Ce mot ici a esté rendu Parfaict, tant par les Grecz que par les Latins: mais pource qu'on a mal exposé puis apres le mot de Perfection, il vaut beaucoup mieux que nous ayons le mot d'Integrité. Car beaucoup d'ignorans, qui ne savent pas comment se prend ceste perfection, ont pense, Voila un homme qui est appelé parfait, il s'ensuit donc qu'il y peut avoir perfection en nous, cependant que nous cheminons en ceste vie presente. Or ils ont obscursi la grace de Dieu, de laquelle noue avons tousiours besoin: car ceux qui auront cheminé le plus droitement, encores faut-il qu'ils ayent leur refuge à la misericorde de Dieu: et si leurs pechez ne leur sont pardonnez, et que Dieu

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ne les supporte, les voila tous peris. Ainsi donc combien que ceux qui ont usé du mot de Perfection, l'ayent bien entendu, toutesfois d'autant qu'il y en a eu qui l'ont destourné à un sens contraire (comme i'ay dit) retenons le mot d'Integrité. Voici donc Iob, qui est nommé entier. Comment? c'est pource qu'il n'y a eu nulle hypocrisie, ne fiction en lui qu'il n'a point eu le coeur double: car l'Escriture quand elle veut mettre le vice repugnant à ceste vertu ici d'integrité, elle dit, Coeur et coeur, c'est à dire, double coeur. Notons donc, qu'en premier lieu ce titre est attribué à Iob, pour monstrer qu'il a eu une affection pure et simple, qu'il n'a point eu comme un oeil d'un costé, et l'autre d'autre, qu'il n'a point seulement servi à Dieu à demi, mais qu'il a tasche de s'adonner là du tout. Vray est que nous ne pourrons iamais avoir telle integrité que nous tendions à ce but la, comme il seroit à souhaitter: car ceux qui suivent le droit chemin, encores vont ils en clochant, ils sont tousiours debiles, qu'ils trainent les iambes, et les ailes. Ainsi donc est - il de nous, cependant que nous serons environnez de ce corps mortel: iusques à ce que Dieu nous ait desveloppez de toutes ces miseres, ausquelles nous sommes subiets, iamais il n'y aura en nous une integrité qui soit parfaite, comme nous avons dit. Hais tant y a neantmoins qu'il nous faut venir à ceste rondeur, et que nous renoncions à toute feintise et mensonge. Et au reste notons que la vraye saincteté commence par dedans: quand nous aurions toute la plus belle apparence du monde devant les hommes, que nostre vie seroit si bien reglee, qu'un chacun nous applaudiroit, si nous n'avons ceste rondeur, et integrité devant Dieu, ce ne sera rien. Car il faut que la fonteine soit pure et puis que les ruisseaux en decoulent purs: autrement l'eau pourroit bien estre claire, et si ne laissera point d'estre amere, ou avoir quelque autre mauvaise corruption en soy. Il faut donc que nous commencions tousiours par ce qui est dit, Que Dieu veut estre servi en esprit et en verité du coeur, ainsi qu'il eu est parlé au 5. de Ieremie (v. 3). Il faut donc que nous apprenions en premier lieu de former nos coeurs à l'obeissance de Dieu.

Or apres que Iob a esté nommé entier, il est dit, Qu'il estoit droit: ceste droiture ici se rapporte à la vie qu'il a menee, qui est comme les fruicts de ceste racine, que le Sainct Esprit avoit mis auparavant. Iob donc a-il eu le coeur droit et entier? sa vie a esté simple, c'est à dire, il a cheminé, et vescu avec ses prochains sans nuire à personne, sans faire ni iniure, ni moleste à nul, sans appliquer son estude à fraude, ni à malice sans cercher son profit aux despens d'autruy. Voila donc ce qu'emporte ceste droiture, qui est ici adioustee. Or par cela nous sommes admonnestez d'avoir une conformité

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entre le coeur et les sens exterieurs. n'est vray (comme i'ay dit) que nous pourrons bien nous abstenir de mal faire, nous pourrons bien avoir belle apparence devant les hommes, mais ce ne sera rien, si devant Dieu il y a de l'hypocrisie cachee, et de la fiction, quand on viendra à ceste racine, qui est au dedans du coeur. Que faut-il donc? que nous commencions par ce bout-la, comme i'ay dit: mais si est-ce que pour avoir bonne integrité, il faut que les yeux, et les mains, et les pieds, et les bras, et les iambes respondent, qu'en toute nostre vie nous declarions que nous voulons servir à Dieu, et que ce n'est point en vain que nous protestons, que nous voulons garder ceste integrité au dedans. Et voila pourquoy aussi S. Paul exhorte les Galates (6, 25) de cheminer selon l'esprit, s'ils vivent selon l'esprit: comme s'il disoit, Il est vray qu'il faut que l'Esprit de Dieu habite en nous, et qu'il nous gouverne: car ce ne seroit rien d'avoir une belle vie, qui pleust aux hommes, et qui fust en grand' estime, sinon que nous fussions renouvelez par la grace de Dieu. Mais quoy? Il faut que nous cheminions, c'est à dire, il nous faut monstrer par effet, et par nos oeuvres comment l'Esprit de Dieu regne en nos mes, car si les mains sont pollues ou de larcins, ou de cruauté, et autres nuisances, que les yeux oyent entachez de mauvais regards et impudiques, de convoitises du bien d'autruy, ou d'orgueil, et de vanité que les pieds courent au mal (comme l'Escriture en parle) par cela nous monstrons bien que le coeur est plein de malice, et de corruption: car il n'y a ne pieds ne mains, ni yeux qui se conduisent d'eux-mesmes: la conduite vient de l'Esprit, et du coeur. Ainsi donc apprenons d'avoir ceste conformité que l'Escriture nous monstre en ce passage, quand il est dit, Que Iob ayant ceste integrité et rondeur, a vescu aussi droitement, c'est à dire, qu'il a conversé avec ses prochains sans aucune nuisance, sans cercher son profit particulier, mais qu'il a gardé equité avec tout le monde. Et voila aussi en quoy Dieu veut esprouver si nous le servons fidelement, ou non: non pas qu'il ait besoin de nostre service, ne de tout ce que nous lui pouvons faire: mais quand nous faisons bien à nos prochains, que nous gardons loyauté à un chacun, comme nature mesme nous enseigne, en cela nous rendons tesmoignage que nous craignons Dieu. Nous en verrons beaucoup, qui feront des grands zelateurs, s'il ne tient qu'à disputer, et à faire beaucoup de devis, pour dire qu'ils s'estudient de servir à Dieu, et de l'honorer: mais cependant si tost qu'ils ont affaire à leurs prochains, on cognoist ce qu'ils ont au coeur: car ils cerchent leur advantage, et ne font pas conscience d'attirer à eux, et de tromper quand ils en auront la puissance par quelque moyen

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que ce soit. Ceux donc qui cerchent leur avantage et profit, il n'y a nulle doute qu'ils Sont hypocrites, et que leur coeur est corrompu: quelques beaux zelateurs qu'ils soyent, Dieu declare qu'il n'y a qu'ordure et poison en leur coeur. Et pourquoy? s'il y a rondeur, il faut qu'il y ait droiture. c'est à dire, si l'affection est pure au dedans, quand nous conversons avec les hommes, nous procurerons le bien d'un chacun, tellement que nous ne serons point adonnez a nous, et à nostre particulier, mais nous aurons ceste equité, que Iesus Christ dit estre la reigle de vie, et toute la somme de la Loy, et des Prophetes, que nous ne facions à aucun sinon ce que nous voudrions qu'on nous feist. Ainsi donc notons, qu'en ceste louange de lob il y a beaucoup de gens qui sont condamnez, quand non seulement le Sainct Esprit declare, que cest homme a eu une integrité devant Dieu, mais aussi droiture et rondeur entre les hommes. Ceste rondeur qu'il prononce servira de sentence et condamnation à tous ceux qui seront pleins de malice, à tous ceux: qui ne demandent qu'à ravir et attrapper le bien d'autruy, qui ne demandent qu'à piller la substance des autres. Ceux-la sont condamnez en ce mot ici.

Or il sensuit qu'il craignoit Dieu, qu'il estoit homme craignant Dieu, et se retirant du mal. Et aussi quand Iob a eu ceste louange d'avoir gardé droiture et equité entre les hommes, il falloit bien qu'il cheminast devant Dieu: car sans cela le reste n'estoit rien estimé. Vray est que nous ne pouvons vivre avec nos prochains (comme desia i'ay dit) sans faire mal a nul, procurant le bien d'un chacun, si ce n'est que nous regardions à Dieu: car ceux qui suivent leur naturel, encores qu'ils ayent de belles vertus (ce semblera) toutesfois ils sont preoccupez de l'amour d'eux-mesmes, et n'y a qu'ambition qui les pousse, ou quelque autre regard, tellement que tout ce qu'il y a d'apparence de vertu en eux, est corrompu par cela: mais combien que nous ne puissions point avoir ceste droiture sans craindre Dieu, si est-ce que ce Sont deux choses distinctes, que de servir Dieu, et honorer nos prochains, comme aussi Dieu les a distinguees en sa Loy, quand il a voulu qu'elle fust descrite en deux tables. Notons donc, que comme par ci devant sous ce mot de droiture, le Sainct Esprit a voulu declarer comme lob a conversé entre les hommes, aussi quand il dit, qu'il a eu crainte de Dieu, il veut amener la religion qui estoit en luy. Or par cela nous sommes admonnestez, que pour bien regler nostre vie, il faut que nous regardions Dieu, et puis nos prochains: que nous regardions Dieu (di-ie) à fin de nous adonner à luy, à fin de luy rendre l'hommage qui luy est deu: que nous regardions nos prochains,

SERMON I

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à fin de nous acquiter de nostre devoir envers eux selon que nous sommes admonnestez pour les aider, pour vivre en equité, et droicture: et puis que Dieu nous a conioints les uns aux autres, qu'un chacun advise d'employer toutes ses facultez au bien commun de tous. Voila comment c'est que nous avons à regarder et Dieu, et les hommes pour bien reigler nostre vie, car celuy qui se regarde, il est certain qu'il n'a que vanité en soy: car si un homme veut ordonner sa vie, tellement qu'il semble aux hommes qu'il n'y ait que redire on luy et cependant que Dieu le desavouë, qu'est-ce qu'il gaignera, quand il aura mis grand' peine de cheminer, en sorte qu'un chacun le magnifie? Il n'y a que pollution quant à Dieu, et faut que la sentence escrite en sainct Luc. (16, 15) soit accomplie, Que ce qui est haut et excellent devant les hommes, n'est qu'abomination devant Dieu. Notons donc que iamais nous ne pourrons ordonner nostre vie comme il appartient, si nous n'avons les yeux fichez en Dieu, et à nos prochains. En Dieu, et pourquoy? fin que nous sachions que nous sommes creez à sa gloire, pour le servir et adorer: car combien qu'il n'ait pas affaire de nous, comme auront nos prochains, et que cela ne luy apporte ne chaud ne froid, si est-ce qu'il a voulu avoir des creatures raisonnables, qui le cogneussent, et l'ayans cognu, luy rendissent ce qu'il luy appartient. Au reste quand il est parlé de la crainte de Dieu, notons que ce n'est pas une crainte servile (qu'on appelle) mais c'est pour l'honneur que nous luy devons, comme il est nostre pere et nostre maistre. Craignons-nous Dieu? il est certain que nous ne demanderons qu'à l'honorer, et à estre du tout siens. Le cognoissons-nous? Il faut que ce soit en telle qualité comme il se declare, c'est à savoir, nostre Createur, et celuy qui nous maintient, et qui monstre une telle bonté paternelle, qu'il faut bien que nous luy soyons enfans, si nous ne luy voulons estre par trop ingrats. Il faut aussi que nous cognoissions la maistrise et superiorité qu'il a sur nous, à fin que luy rendans l'honneur qui luy est deu, un chacun de nous aprenne à luy complaire en tout et par tout. Voila comme sous ce mot de crainte de Dieu, toute la religion est comprinse, c'est a savoir tout le service, et l'hommage que les creatures doivent à, leur Dieu. Or c'a esté une vertu bien excellente en Iob de craindre ainsi Dieu, veu que tout le monde s'estoit destourné du droit chemin. Quand nous oyons cela, apprenons que nous n'aurons nulle excuse, encores que nous conversions entre les plus desbordez du monde, si nous ne sommes adonnez au service de Dieu, comme nous devons. Or cecy est bien à noter, pource qu'il semble à beaucoup de gens quand ils sont entre les espines, que les voila quites et bien

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excusez: et si puis apres ils se corrompent, s'ils hurlent entre les loups (comme on dit) que c'est tout-un, et que Dieu leur pardonnera. Au contraire, voici Iob qui est appelé homme craignant Dieu. En quel pays? ce n'est pas en Iudee, ce n'est pas en la ville de Ierusalem, ce n'est pas au temple: mais c'est en un lieu pollu, au milieu de ceux qui estoyent du tout pervertis. Estant donc entre telles gens, si est-ce qu'il s'est conservé, et a vescu tellement, qu'il a cheminé purement avec ses prochains, combien que tout fust alors plein de cruautez, d'outrages, de pilleries, et de choses semblables. Notons que cela nous retournera à tant plus grande vergongne, si de nostre costé nous ne regardons à nous conserver purement au service de Dieu, et de nos prochains, quand il nous en donne une telle occasion comme nous avons, c'est à savoir que iournellement la parole de Dieu nous est preschee, que nous sommes enhortez, qu'il nous redresse quand nous avons failli. Il faut bien donc que nous soyons attentifs a, ce qui nous est ici monstré.

Or pour conclusion notons bien ce qui est ici adiousté au texte, qu'il s'est retiré du mal. Car voici comme lob a surmonté toutes les difficultez, et combats qui l'eussent empesché de servir à Dieu, et de vivre droitement avec les hommes, c'est pource qu'il s'est recueilly à soy, qu'il a bien cognu que s'il se fust donné licence de faire comme les autres, qu'il eust esté un homme du tout adonné à vices, qu'il eust esté ennemi de Dieu, Iob donc n'a point ainsi cheminé en la crainte de Dieu, en telle rondeur et integrité sans beaucoup de combats, sans que le diable ait machiné de le pervertir, et le mener aux corruptions de tout le monde: mais il s'est retiré du mal, c'est à dire, il s'est retenu. Que faut-il donc que nous facions? encores que nous soyons en l'Eglise de Dieu, si est-ce que nous verrons beaucoup de maux: et (quoy qu'il en soit) iamais il n'y aura telle rondeur ni pureté, que nous ne soyons meslez parmi beaucoup de contempteurs, de gens desbauchez, qui seront tisons d'enfer, pestes mortelles pour tout infecter. Il faut donc que nous soyons sur nos gardes, veu qu'il y a de grands scandales, et dissolutions, par lesquelles nous serions incontinent desbauchez. Que faut-il donc? retirons nous du mal: cest à dire bataillons contre tels assauts à l'exemple de Iob: et quand nous verrons beaucoup de vices, et de corruptions regner au monde, encores qu'il nous faille estre meslez parmi, que neantmoins nous n'en soyons point pollus et que nous ne disions point comme de coustume, qu'il nous faut hurler entre les loups: mais plustost que nous advisions à l'exemple de Iob de nous retirer du mal, et de nous en retirer en telle sorte que Satan ne puisse nous y faire

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adonner pour toutes les tentations qu'il nous mettra en avant: mais que nous souffrions que Dieu nous purge de toutes nos ordures et infections, comme il nous l'a promis au nom de nostre Seigneur Iesus Christ, iusques à ce qu'il nous ait retirez des souillures, et pollutions de ce monde, pour nous

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conioindre avec ses Anges, et nous faire participans de ceste felicité eternelle, à laquelle nous devons maintenant aspirer.

Or nous nous presenterons devant la face de nostre bon Dieu etc.

SERMON SECOND

SUR LE I. CHAPITRE.

2. Or sept ils masles luy estoyent nais, et trois filles. 3. Et avoit grande chevance de bestail: à sçavoir sept mille moutons, et brebis, trois mille chameaux, cinq cens couples de boeufs, cinq cens asnesses, et grand' famille, tellement qu'il surmontoit tous ceux d'Orient. 4. Et ses fils alloyent et faisoyent convives par leurs maisons, un chacun en son iour: ils convioyent aussi leurs trois soeurs pour manger et boire avec eux. 5. Quand le tour des banquets estoit accompli, Iob envoyoit vers ses enfans, et les sanctifioit: et se levant de matin il offroit holocaustes selon le nombre d'eux: car il disoit, Possible mes enfans auront peché, ils n'auront pas benit le Seigneur en leurs coeurs. Ainsi donc Iob en faisoit tous les iours.

Nous vismes hier les louanges que le Sainct Esprit attribuoit à Iob, non pas tant pour luy, comme pour nostre instruction, afin que nous sachions comme nous avons à regler notre vie, c'est que nous cheminions en rondeur de coeur, qu'il n'y ait point de fiction en nous, et cependant que nos oeuvres aussi rendent tesmoignage d'une telle simplicité. Au reste, que nous craignions Dieu, sachans que c'est à luy qu'il nous faut rapporter toute nostre vie, et que c'est à son honneur que nous devons estre dediez. Et pource que nous sommes tousiours environnez de beaucoup de scandales, et que le diable machine de nous destourner du bon chemin, que nous soyons sur nos gardes pour nous retirer du mal, pour nous recueillir à Dieu, attendant que nous soyons du tout separez des pollutions de ce monde par la mort. Or maintenant il s'ensuit au texte, Que Iob estoit un homme fort riche, et mesmes une grande partie de son avoir nous est ici recitee. Ce n'est point peu de chose d'avoir sept mille bestes blanches, d'avoir cinq cens couples de boeufs, tant d'asnesses, tant de chameaux. Voila donc une grande chevance pour un homme: et de fait il est dit, qu'il surmontoit tous ceux d'Orient. Or nous verrons ci apres pourquoy ceci nous est recité: car sa patience a esté tant plus louable quand estant despouillé d'un si gros bien, estant mis a povreté extreme, toutesfois il est demouré paisible comme s'il avoit perdu bien peu de chose. Voilà donc Dieu qui l'a tant mieux experimenté. Mais cependant notons quelle a esté la vertu de Iob quand les richesses ne l'ont point aveuglé en orgueil, et n'ont point fait qu'il s'attachast par trop au monde, ou qu'il quittast le service de Dieu: comme nous voyons que beaucoup sous ombre qu'ils sont riches, sont si fiers, qu'il est impossible de les donter, ils abusent de leur credit pour opprimer les povres gens, et outre ce qu'ils sont pleins de cruauté, il y a aussi bien des pompes, tellement que les richesses ont beaucoup de mauvaises queues. Ce n'est point donc en vain qu'il nous est ici dit que Iob estant ainsi riche, neantmoins a tousiours persisté au service de Dieu, et qu'il s'est tenu en ceste simplicité, dont il est ici fait mention. Or à son exemple les riches de ce monde sont admonnestez de leur devoir, c'est qu'ils regardent bien quand Dieu leur a mis abondance entre mains, qu'ils n'y soyent point enveloppez, comme aussi le Pseaume les exhorte: et puis suyvant ce que sainct Paul dit à Timothee (1. Tim. 6, 1,), Qu'ils ne soyent point eslevez en fierté, et qu'ils ne mettent point leur esperance aux choses caduques de ce monde, et où il n'y a nulle certitude: car celuy qui est auiourd'huy bien riche, pourra estre appovri demain, quand il plaira à Dieu. Ainsi donc, voyans que ces biens ici sont fragiles, et que nous en pouvons estre tantost privez, les riches (dit S. Paul) doivent bien regarder à eux, pour ne point s'appuyer là dessus, et ne faire point une idole de leurs biens, comme s'ils estoyent certains de les posseder, et d'en iouir à tousiours, mais qu'ils soyent prests de les resigner. Et en somme (comme il est dit en un autre passage) (1. Cor. 7, 29) que ceux qui ont

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champs et vignes, et prez, et terres, argent et marchandise regardent d'en user comme s'ils navoyent rien, qu'ils soyent povres de coeur. Voila donc ce que nous avons à noter sur ce passage.

Et qu'on n'allegue point qu'il est bien difficile de se maintenir purement au milieu de tant de richesses, veu que Iesus Christ mesmes les appelle espines: car l'exemple de Iob condamnera tous ceux qui ne se gardent point impollus, quelque difficulté qu'il y ait. Il est bien certain qu'un homme riche aura beaucoup plus d'affaires à. cheminer en la crainte de Dieu, qu'un povre. Vray est que la povreté de soy apporte beaucoup de tentations: car quand un homme est en necessité, alors il regarde, que doy-ie devenir? et le diable le pousse à deffiance: sur cela il sera induit à murmurer contre Dieu, comme nous voyons que beaucoup se despitent. et leur semble que Dieu leur fait tort et ne savent de quel costé se tourner, et puis ils concluent; Puis que ie ne puis gaigner ma vie par mon labeur sans faire tort à autruy, il faut que i'y procede autrement. Sur cela ils se donnent licence de piller et desrober, et font beaucoup de mauvais tours, et choses dommageables à leurs prochains. Voila (di-ie) les tentations qu'apporte la povreté. Mais si on fait comparaison, il est certain que les plus riches auront de plus grands assauts beaucoup, d'autant que Satan est tousiours apres pour leur bander les yeux, afin qu'ils se mescognoissent, et que s'estans oubliez, ils s'eslevent contre Dieu qu'ils, soyent du tout attachez à ce monde, qu'ils se moquent de la vie celeste, qu'ils se persuadent que rien ne leur peut nuire, qu'ils abusent de leur credit en beaucoup de sortes, qu'il ne leur chaille de rien, qu'ils ne puissent porter nul ioug, qu'ils ne se vueillent assubietir à nulle raison, qu'il leur semble que les autres ne sont pas dignes de converser avec eux, tellement que s'il leur estoit possible, ils raviroyent la clairté du soleil aux povres, d'autant qu'ils le font à croire, qu'ils meritent bien d'estre separez, et mis comme en un reng à part. Voila donc les corruptions qu'apportent les richesses et autres, infinies: mais si est-ce qu'il n'y a nulle excuse pour ceux qui sont riches. Pourquoy? Voici Iob qui sera constitué leur iuge devant Dieu, d'autant qu'il n'a point esté corrompu ne perverti par une grande abondance, et quantité de biens qu'il avoit, que tousiours il n'ait servi à Dieu en simplicité. Or si les riches sont rendus inexcusables, que les povres aussi regardent bien à eux: car nous avons desia dit, qu'il est plus facile à un homme à qui Dieu n'aura point donné si grande abondance, de cheminer simplement, qu'à ceux qui ont grand' vogue. C'est comme si quelqu'un estoit en une petite nacelle, et en une riviere petite:

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et bien, il est vray qu'il pourra chanceler, il est vray qu'il pourra heurter contre quelque arbre, contre un bord de la riviere, mais il n'est pas en tel danger, comme celui qui est en quelque navire au milieu de la mer, là où les vagues, et les tempestes sont beaucoup plus impetueuses. Ainsi (di-ie) est-il des povres et des riches: car estans en ce monde, il est vray que nous nageons, et pouvons estre agitez de tempestes, nous pouvons heurter contre quelque chose, et estre tousiours en danger: mais les povres sont comme en un petit ruisseau, et les riches sont comme au milieu de la mer qu'il ne faut rien pour les abismer en quelque gouffre. Si donc il n'y a nulle excuse pour les riches, que sera-ce de ceux, ausquels Dieu donne le moyen de se contenir en simplicité? Nous voyons donc, qu'il y a ici instruction generale pour servir à tous, et à grands et à petis, et qu'il faut qu'un chacun face son profit de l'exemple qui nous est ici mis devant les yeux Or cependant la vertu de Iob est bien à priser: car nous oyons la sentence de nostre Seigneur Iesus Christ qu'il est bien difficile qu'un homme riche entre iamais au royaume des cieux. Non pas que les richesses de soy empeschent que nous ne servions à Dieu comme i'ay dit: mais cela procede de nostre malice, et corruption, que tant s'en faut que nous prenions occasion d'estre attirez à Dieu par les biens qu'il nous eslargit, que plustost nous en sommes eslongnez. Cependant donc nous voyons que ç'a esté une vertu admirable en Iob, quand au milieu de telles richesses, il n'a point eu les yeux bandez pour concevoir quelque fierté en son coeur, qu'il n'a point cheminé par dessus les autres, qu'il n'a point oublié Dieu, qu'il n'a point esté un homme dissolu en vanitez, ni en pompes, mais qu'il a poursuivi son train qu'il avoit commencé. Voila donc la vertu qui estoit louable en lui. Mais c'est afin que si nous ne pouvons parvenir à estre du tout egaux, qu'un chacun regarde à soy, et que nous tendions à ce but qui nous est proposé. Au reste nous voyons aussi que les richesses ne sont point à condamner de soy, comme il y a des phantastiques qui imaginent qu'un homme riche ne peut estre Chrestien, car qu'on trouve des povres qui puissent estre accomparez à Iob en telle vertu, et alors on condamnera les richesses: mais quand on aura bien cerché tous les povres du monde, à grand' peine s'en trouvera-il un qui approche de cest homme ici. Puis qu'ainsi est donc, notons que les richesses de soy, et de leur nature ne sont point à condamner, et mesmes c'est un grand blaspheme contre Dieu, si on reprouve tellement les richesses, qu'il semble qu'un homme qui les possede en soit du tout corrompu, car les richesses dont procedent-elles, sinon de Dieu? On s'adresse donc à Dieu

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quand on les condamne. Et puis il nous faut noter, qu'il faut que Dieu besongne beaucoup plus miraculeusement en un homme riche qu'en un povre, comme nous avons dit. Car nous avons monstré la difficulté qu'aura un homme, quand les biens lui abondent, à se maintenir en simplicité et droiture. Il est donc besoin que Dieu desploye une vertu singuliere de son sainct Esprit pour conserver les riches, afin qu'ils ne se corrompent pas. Or si on mesprise une telle grace de Dieu, ne s'esleve-on point à l'encontre de lui ? Par cela donc nous sommes admonestez de ne point condamner les richesses de soy: comme aussi nous voyons que nostre Seigneur Iesus Christ nous le monstre, conioignant au royaume des cieux les povres avec les riches, quand il parle du Lazare en sainct Luc. Il dit bien là que les Anges ont porte le Lazare, combien qu'il fust reietté des hommes, que ce fust une povre creature dont on ne tenoit conte. en sorte qu'il estoit là delaissé de tous: neantmoins voila les Anges qui portent son esprit au sein d'Abraham. Et qui estoit Abraham? Un homme riche, et en bestail, et en argent, et en famille, en toutes choses, excepte en possessions, et champs, car cela aussi ne lui estoit point licite. Il falloit qu'il attendist que Dieu loi donnast le pais de Chanaan en heritage. Il est vray qu'il acheta bien un sepulchre, mais il n'avoit nul heritage, cependant si est-ce que son avoir estoit bien gros. Quand donc nous voyons que l'ame du Lazare est portee par les Anges au sein d'Abraham, qui est le pere des fideles, cognoissons que Dieu par sa grace, et par sa bouté infinie appele et les riches et les povres à salut. Et e est à ce propos aussi que S. Paul dit, (1. Tim. 2, 4) que Dieu veut que tous hommes soient sauvez, car il parle des princes et des rois, lesquels s'abusent ordinairement en leur grandeur, et ne' se peuvent renger à Dieu: il leur semble mesme qu'ils ne soyent plus hommes mortels: tant y a que Dieu en discerne d'aucuns, et ne veut point que tout soit perdu' et perisse. Voila donc ce que nous avons noter. Mais cependant que les riches ne se flattent point, mais qu'ils cognoissent qu'ils sont comme sur une glace, où ils pourroyent bien tost trebuscher, qu'ils sont comme au milieu des espines, qu'il faut bien donc qu'ils se gardent songneusement d'estre picquez. Voila donc comme nous devons tous estre incitez à solicitude pour nous recommander à Dieu, à fin de cheminer selon la volonté.

Or sur ce qu'il est dit, que lob avoit sept enfans masles, et trois filles, notons que c'est pour signifier que Dieu avoit mis sa benediction sur lui pour le faire prosperer en toutes sortes. Et (comme desia nous avons touche) nous verrons ci apres mieux la cause pourquoi tout ceci est exprimé, et l'intention du sainct Esprit, c'est à savoir, que c'a

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esté une vertu beaucoup plus grande à Iob de porter patiemment que Dieu l'ait privé de tout ce qu'il lui avoit mis entre les mains. Or il est dit aussi bien, comme ses enfans s'estoyent portez' et comme lui aussi de sa part les avoit gouvernez en la crainte de Dieu. Et c'est à fin que nous sachions quand Dieu l'a affligé, qu'il a monstré par effect qu'il peut disposer de ses creatures à son plaisir, qu'il nous faut baisser les yeux encores que nous soyons confus, ne voyans point la raison pourquoi Dieu traitte ainsi rudement les hommes, et faut que nous confessions qu'il est iuste, attendans qu'il nous revole pourquoi c'est qu'il dispose les choses ainsi.

Or maintenant poursuivons ce qui nous est ici recité. Il est dit, Que les enfans de Iob faisoyent tous les iours des banquets l'un apres l'autre, chacun à son tour, et appelloyent leurs soeurs pour venir à leur compagne. Il est vrai que nature incitera bien les freres d'avoir amour mutuelle ensemble: mais tant y a que les hommes sont si malins, qu'il y en a bien peu qui regardent ce qu'emporte la fraternité. Qu'ainsi soit nous en verrons plusieurs qui sont ennemis mortels comme chiens et chats: ils sont freres, mais cependant ils ne laissent point d'avoir haines et rancunes entre eux tellement que l'un voudroit avoir mangé l'autre. Nous en verrons donc de tels (comme les hommes s'abastardissent en cruauté) que les freres ne sauront que c'est de concorde, ne d'amitié: et encores que cela n'y soit point, si est-ce qu'un chacun est tellement adonné à soy, qu'il y en a bien peu qui s'entr'aiment comme Dieu les instruit. Voici donc le sainct Esprit qui nous met devant les yeux un miroir, pour nous faire contempler qu'il y a eu bonne concorde et amour entre les enfans de Iob, et que mesmes ils se sont tousiours exercez en cela, à fin de ne donner nulle mauvaise suspicion l'un à l'autre. Car les banquets qu'ils faisoyent, n'estoyent sinon pour rendre tesmoignage de leur fraternité et concorde. Et voila pourquoi il est dit notamment: Qu'ils envoyoyent querir leurs soeurs, à fin que l'amitié se declarast par tout. Voici une grande vertu, mais cependant si voit-on que Iob a craint, qu'il n'y eust de la faute en ce qui estoit institué pour bien, et pour une bonne fin: neantmoins donc voici Iob qui pense , Dieu y sera offensé. Or cest exemple est bien notable: il est vrai que c'est une chose aussi plaisante à Dieu qu'il y en ait point, que concorde et amitié entre les hommes, mesmes entre les freres. Nous oyons ce qui est dit au Pseaume (133), c'est une chose ioyeuse quand les freres sont unis, c'est comme la rosee qui descend pour donner substance, et nourriture aux champs, c'est comme l'onction, qui a decoulé de la barbe d'Aaron, a fin que l'odeur en fust espandue sur

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toute sa robe. Voila deux similitudes, qui sont pour monstrer que Dieu aime paix, et amitié entre les hommes, et sur tout entre les freres: c'est assavoir que c'est pour entretenir le genre humain, tout ainsi que les champs, et les prez prennent nourriture de la rosee du ciel, et aussi que c'est une chose qui est de bonne odeur devant Dieu, que ce lui est un sacrifice bon et agreable, tout ainsi que l'odeur de ceste onction sacree qui fut mise sur la teste d'Aaron. Or cependant il est là parlé de ceux qui s'entretiennent selon Dieu: car les meschans pourront bien avoir quelque affection d'amour l'un à l'autre, ils pourront bien se bander pour faire leurs complots: mais tout cela est maudit, il faut que l'amitié viene de Dieu, et qu'elle s'y rapporte. Et voila pourquoi le nom de fraternité est mis, à fin que nous soyons enseignez de lever les yeux à Dieu, et y avoir nostre regard, quand il est question d'avoir amour mutuelle les uns aux autres.

Cependant nous voyons ici que les choses qui sont les meilleures au monde, encores pourront tirer quelque corruption de la malice des hommes. En cela nous voyons que c'est de nostre nature, depuis qu'Adam a peché: depuis qu'il s'est oublié, c'est assavoir que lors le bien a esté converti en mal, voire combien que nostre intention soit bonne. Exemple, quand un mari aime sa femme, qu'un pere aime ses enfans, ce sont choses bonnes et sainctes, et louables: et neantmoins on ne trouvera point un homme au monda qui aime sa femme en telle mesure, qu'il n'y ait que redire, qui aime ses enfans d'une amour pure et entiere: mais il y aura tousiours quelque meslinge, quelque corruption. Et comment cela? Quand Dieu a ordonné, que le mari aime sa femme, et que notamment il est dit, Aimez vos femmes, comme vos propres corps, cela doit-il estre attribué à vice? Le bien peut-il estre converti en mal? Or cela vient de nostre maudite nature: comme il ne faudra qu'un grain de sel, ou une goutte de vinaigre pour corrompre le vin. Ainsi est-il de ce que les hommes ne se peuvent tenir en mesure, qu'ils n'auront point leurs affections si bien reglees, qu'il n'y ait a redire, qu'ils ne soyent a condamner en beaucoup d'endroits. Ainsi donc ne trouvons point estrange que Iob ait pensé que ses enfans pouvoyent avoir offensé Dieu en ce qui estoit bon et louable en soi, non point qu'il condamnast que les freres convinssent ensemble, mesmes qu'ils fissent bonne chere les uns avec les autres pour s'entretenir en amitié: Iob ne condamne point cela, mais cognoissant l'infirmité des hommes il sait qu'il est bien difficile de tenir mesure, qu'il n'y ait cependant quelque vice meslé parmi. Et pour ceste cause il a esté sur ses gardes, et a sanctifié ses enfans. Mais cependant

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encores nous avons à noter, que lob a bien regardé, et cognu ce que l'experience nous monstre, qu'en tous banquets il y a tousiours quelque desordre, là où Dieu ne sera point honore comme il doit. Premierement, si on s'assemble, il y aura de la superfluité quelques fois aux viandes, et ceux qui seront assemblez par compagnie mangeront et boiront outre leur portion ordinaire. Et bien, on ne pense point a tous ces exces-la, et les plus saincts gens craignans Dieu y sont surprins. Vray est qu'ils ne seront point gourmans pour se farcir le ventre, et pour se saouler comme des pourceaux, tant moins encores seront-ils yvrongnes pour avoir leur esprit abruti: non, mais tant y a qu'ils peuvent bien exceder mesure. Et pourquoy? Nous voyons que sans y penser on s'escoule en cela. Ainsi donc voila desia un mal qui se fait en ces banquets, encores qu'ils soyent instituez pour bonne cause, et que l'intention de celui qui convie ses amis, et de ceux qui y viennent pour lui tenir compagnie, soit bonne: car à grand peine se passera-on qu'il n'y ait quelque faute, de laquelle mesmes on ne s'apperçoit point. Et puis quand on est là, combien y a-il de propos frivoles qui se tienent? La où on devroit manger comme en la presence de Dieu, et se resiouri comme avec ses Anges, il y aura des vanitez beaucoup, qui transporteront les hommes tellement, qu'il semble à beaucoup, qu'ils ne font point bonne chere, sinon qu'ils s'esgayent ie ne say comment: ie di mesmes des bons. Il y a encores d'autres mauvaises queues: et selon qu'on y pensera de pres, nous verrons que Dieu y est offensé, en plusieurs sortes. Ainsi donc notons bien, que Iob n'a point esté sans cause en perplexité, et en doute si ses enfans avoient peché contre Dieu, veu qu'ils faisoient ainsi des banquets, encores (comme i'ay dit) qu'ils fussent des gens fideles. Or si ainsi est, que là où les banquets sont reglez le mieux qu'il est possible, encores y a-il de la faute que Dieu condamne: que sera-ce de ceux qui chassent Dieu de leur compagnie, et de leur table, comme ordinairement on en usera? Car s'il est question de faire banquets, par où commence-on? Est-ce par invoquer le nom de Dieu? O il sembleroit que ce fust matiere de melancolie: il faut donc que le nom de Dieu soit enseveli. Est-on bien saoul? de rendre graces, il n'en est point de nouvelle. Car il faut qu'il leur souviene de la bonne chere qu'ils ont faite, c'est à dire qu'ils soyent pourceaux. Car si on pense à Dieu il semble que toute leur ioye qu'ils ont prinse en banquetant, soit changee en dueil, et puis tout y sera desbordé, tellement que il ne sera question que de tenir propos vilains et dissolus, ou bien propos de trahisons et malices, qu'il ne sera nouvelle, sinon de deschirer son prochain, qu'on ma

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chinera contre cestui-cy, et contre cestui-là. Voila qu'emportent les banquets. Ainsi donc, puis que les hommes sont tant enclins à vices, il est impossible qu'il n'y ait de la faute, encores qu'ils ne se laschent point la bride du tout. Ceux donc qui s'assembleront pour complotter en toute malice et trahison, ie vous prie, ne faut-il point qu'il y ait là comme un gouffre d'enfer? Ainsi donc notons bien ce passage, à fin que quand nous aurons cogneu que les hommes sont tellement enclins à vice, qu'ils corrompent le bien, et le convertissent en mal, nous soyons tant plus sur nos gardes, à fin que quand il sera question de boire et de manger les uns avec les autres, nous passions tousiours condamnation, d'autant que Dieu y est offensé. Or il est vray que nous ne devons point avoir des scrupules, des superstitions, comme il y en a qui ne mangeront point un morceau de pain en repos de conscience, quand on leur dira, qu'il faut bien adviser à soy, là dessus il leur semble, Et bien, nous ne pouvons ne boire ne manger sans offenser Dieu: et puis quand ils ont fait de tels scrupules, pour dire, nous pechons, quelque chose que nous sachions faire: et à la parfin, bien, il faut donc nous desborder du tout. Il y en a (di-ie) qui se trouveront tels. Or ce n'est pas ainsi qu'il nous en faut faire, et ce n'est pas là que l'Escriture nous meine: mais soyons vigilans, et faisons bon guet, à fin que nous ne soyons point surprins. Quand nous serons assis à table pour boire et pour manger, que nous prions Dieu, luy demandans qu'il nous face la grace de nous tenir en telle sobrieté, qu'estans nourris à ses despens, nous soyons tant mieux disposez à le servir, que la viande ne soit point pour nous charger, mais pour nous sustanter, et nous donner vigueur, à fin que nous puissions tant mieux nous employer au service de nostre Dieu: qu'il nous face là grace de passer par ces choses corruptibles, à fin que nous aspirions tousiours à ceste vie celeste, à laquelle 11 nous convie par sa parole: car ce n'est point pour vivre un iour, ou dix, ou cinquante ans que Dieu nous entretient en ce monde, mais à ce que nous parvenions à ceste gloire celeste. Voila donc comme il nous en faut faire: et puis sommes-nous à table, mangeons pour estre refectionnez, tout ainsi comme si Dieu nous appateloit: et combien que nous soyons en ce monde prenans nostre nourriture de la viande, que nous sachions, Voici Dieu qui se monstre pere cavera nous, et nous testifie que nous sommes ses enfans, Il a le soin de ces povres corps icy, qui ne sont que pourriture, et encores veut il que son amour s'estende iusques la. Que donc nous soyons resveillez, et que nous soyons tant plus asseurez de la bonté de nostre Dieu, et de son amour paternelle, quand nous voyons qu'il nous

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nourrit ainsi et sustante. Et voila pourquoy sainct Paul dit (1. Cor. 10, 31): Que soit que nous beuvions, ou mangions, il faut que nous facions le tout au nom de Dieu. Il y en a beaucoup à qui il semble qu'on ne se doit point souvenir de Dieu, quand il est question de boire et de manger: et c'est là qu'il nous faut tant plus penser de Dieu. Quand il donne ceste vertu au pain par sa parole, que nous en sommes sustantez, ne voila point Dieu qui nous monstre sa presence, et comme il a sa main estendue sur nous? Ainsi donc c'est là où il nous faut plus penser de lui: car voila comme les boire, et le manger sera sanctifié, quand nous ferons le tout au nom de Dieu. Or cependant quand ce viendra à rendre graces, que nous sachions qu'il nous pourra estre eschappé quelque faute: et bien, Dieu nous pardonnera ce mal-la, moyennant que nous tendions à lui.

Et voila pourquoy il est ici dit notamment, Que Iob, apres que le tour estoit fait aux banquets de ses enfans, leur mandoit, qu'ils se sanctifiassent, et puis il offroit un sacrifice solennel pour chacun d'eux, disant: Possible mes enfans auront peché, qu'ils n'auront poinct benit Dieu: combien que de tout cela nous en dirons en la fin. Nous voyons donc que Iob n'estoit point comme ceux, qui apres avoir fait scrupule, concluent qu'il se faut desborder du tout. Mais Iob va au remede, c'est à savoir, et bien, Dieu nous supportera en nos infirmitez: encores que mes enfans n'ayent point fait du tout leur devoir, si est-ce que Dieu aura pitié et d'eux et de moy. Demandons lui donc pardon. Cependant Iob ne defend point à ses enfans de faire leurs banquets accoustumez. Et pourquoi? Car la chose de soy estoit bonne, comme nous avons dit. Si Iob eust dit, voici une chose meschante, Ô il n'eust point sacrifié: car ç'eust esté abuser du nom de Dieu, et prendre une mauvaise couverture. Les sacrifices ne sont pas ordonnez, à fin de nous retenir en mal, et qu'un chacun se nourrisse, et se flatte en ses peschez, pour dire, Ie pourray sacrifier, et voila Dieu qui sera contente. Iob donc ne sacrifie point pour dire que il entretiene une chose mauvaise: mais il cognoit que se s enfans font bien, quand ils font un tel recueil l'un à l'autre, et que c'est une chose louable. D'autant qu'il cognoist cela, il ne veut point trouver à redire à ce qui est bon, mais il cerche le remede à ce que s'il y a quelque faute cachee il plaise à Dieu de la corriger: pour dire, Et bien, ii faut demander pardon à Dieu, à fin qu'il supplie à nostre infirmité. Nous voyons donc comme Iob y procede, comme aussi nous y devons proceder. Or au reste notons, que quand Iob a mandé à ses enfans qu'ils se sanctifiassent, il a monstré en cela l'instruction, qu'il leur avoit donnée des leur enfance, c'est à savoir de servir à

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Dieu. S'il estoit dit simplement que Iob a sanctifié le Seigneur, on diroit, Et bien, c'estoit un preud'homme quant à lui, mais il n'a pas eu grande solicitude de ses enfans: ce lui a esté assez de s'acquitter envers Dieu, mais il a mis la bride sur le col aux autres. Or à l'opposite il est dit, qu'il leur a mandé, qu'ils se sanctifiassent, et cela se fust fait en vain, et eut este inutile, sinon qu'ils eussent long temps desia esté enseignez, comme ils devoyent cheminer en la crainte de Dieu. Et combien que desia ils fussent devenus hommes d'aage, et que chacun eust sa maison, et sa table à part: si est-ce neantmoins que Iob ne laissoit point de les tenir tousiours sous quelque discipline. Voila donc une instruction qui nous est bien utile, c'est à savoir, que les peres doivent tellement conduire leurs enfans, que Dieu soit honoré de tous. Et d'autant nous faut-il mieux noter ceste doctrine, que nous voyons qu'elle est si mal pratiquee. Car auiourd'huy ceux qui ont des enfans veulent bien qu'ils soyent enseignez: mais qu'ils soyent menez d'un zele, et affection de Dieu, à grand peine en trouvera on de cent l'un. Quoi donc? chacun pense à son profit. Il dira bien, ie voudrois que mon enfant fust enseigné: mais quoi? quand il aura bon esprit, qu'il parviene, qu'il se face valoir, qu'il amasse des biens, qu'il soit en credit, et en honneur. Voila les regards qu'auront les peres, quand ils voudront que leurs enfans soyent enseignez: mais de tendre à ceste simplicité pour dire, Ie me contente que mon enfent serve à Dieu, estant asseuré que Dieu le benira, qu'il le fera prosperer, et encores qu'il soit povre selon le monde, ie me contente que Dieu soit son pere: combien y en a-il qui ayent une telle consideration? Et Dieu aussi rend le payement aux peres tel qu'ils ont merité: car il leur semble qu'ils ont beaucoup fait quand ils auront avancé leurs enfans: et Dieu permet que leurs enfans leur crevent les yeux, que ce soyent des bourreaux qui les tormentent. Nous voyons cela à l'oeil: mais ils ne cognoissent point que c'est Dieu qui les chastie, et à bon droit. Et ainsi d'autant plus nous faut il bien noter la doctrine que nous monstre ici le sainct Esprit sous l'exemple de Iob, c'est à savoir que les peres tienent leurs enfans en telle bride, qu'ils les sollicitent à servir à Dieu. Et mesmes ceste circonstance n'est point à oublier, c'est à scavoir, que combien que les enfans de Iob fussent desia en aage d'homme, neantmoins le pere les tient tousiours comme en humilité, et les exhorte de demander pardon à Dieu, quand ils l'ont offensé, et de se purifier. Or auiourd'hui si tost que les enfans auront dix ans, ils cuideront estre hommes: il leur faudroit donner des verges quinze ans apres que ils portent les enseignes d'homme, et qu'il semble que ce soit merveilles: car ce ne sont que

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petites ordures et de souffrir nulle correction, nulle doctrine, il n'en est nouvelle: il leur semble qu'on leur feroit tort, et iniure. ou contraire nous voyons comme il en est ici parlé. Mais quoi ? les peres sont bien dignes que leurs enfans ne leur obeissent point, et qu'ils ne s'assubietissent point à eux: Et pourquoi? car celui qui veut estre honoré, il faut qu'il soit honorable, c'est à dire, il faut qu'il monstre de quoy. Comment est-ce qu'un pere acquerra authorité envers ses enfans pour estre obey d'eux, et pour les entretenir en crainte? quand il aura une telle gravité, et attrempance en soi que les enfans devroyent avoir honte de luy contredire, et de se rebecquer à l'encontre de luy. Mais si les peres reiettent toute crainte de Dieu, comment est-ce que leurs enfans leur obeiront, quand eux. mesmes ne rendent point l'honneur à Dieu qui lui appartient? Voila donc qui est cause que les enfans se monstrent ainsi incorrigibles, et qu'on ne les peut tenir en bride: c'est d'autant que les peres sont desobeissans à Dieu. Or tant y a, que les peres, et les enfans sont ici condamnez: les peres pour leur nonchalance, s'ils ne regardent à instruire leurs enfans en la crainte de Dieu: et aussi les enfans, s'ils ne se laissent point gouverner par leurs peres. Et ils ont ici un bel exemple, car il est parlé de ceux qui pouvoyent dire, Et mon pere m'a tenu en bride du temps que i'estoye ieune, mais maintenant faut-il que ie soye tousiours tenu sous la verge? Les enfans de Iob pouvoyent parler ainsi, mais nous voyons combien qu'ils tienent mesnage, que neantmoins ils sont tousiours sous la conduite du pere: car il n'est pas dit au texte, qu'ils ayent contredit à ce qu'il leur a commandé, comme il est parlé des enfans d'Hely: mais ils ont obey, à fin d'estre participans des sacrifices qu'il offroit pour eux. Quand donc nous voyons cela, c'est bien pour condamner tous ces petits rustres, qui font des braves; et leveut les cornes, ils ne savent que c'est de discipline en façon que ce soit, ce ne sont que merdailles, et neantmoins ils veulent contrefaire les hommes: et ceux qui estoyent aagez, et advisez pour conduire un mesnage, encores voyons nous qu'ils estoyent retenus sous la conduite, et l'obeissance de leur pere.

Au reste quant à ce mot de sacrifier, c'est selon la costume ordinaire de la Loy, que pour participer aux sacrifices, il falloit qu'on se purifiast pour y estre disposé deuëment. Et combien que Iob ne fust pas au pays là où la Loy de Moyse estoit escrite, ou bien mesmes qu'il a esté, comme il est vray-semblable, devant que Moyse fust nay: toutesfois cela a esté tousiours retenu entre les fideles, que quand ils devoyent sacrifier à Dieu, ils ont eu quelque signe de purgation, c'est à dire, de se nettoyer de leurs ordures, desquelles ils eussent

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tellement que nous le pouvons tousiours contempler comme en face, cependant que l'Evangile se presche: car là Dieu se revele privément à nous. Ainsi donc il faut que nous ayons cest' affection et zele que i'ay dit, c'est à savoir, que nous lui soyons pleinement dediez, renonçans à toutes les ordures qui nous empeschent de le servir et honorer.

Or il s'ensuit: e Iob sacrifiot selon le nombre de ses enfans. Nous avons desia touché' en brief, combien que Iob craignist que ses enfans n'eussent offensé Dieu, toutesfois qu'il ne leur defend point de converser ensemble, pource qu'il sait que c'est une chose bonne: mais il cerche le remede des infirmitez, ausquelles les hommes sont enclins et subiets. Au reste on pourroit demander, comment c'est qu'il a peu sacrifier, veu qu'il n'estoit point enseigné en la Loy, mesmes qu'il est vray semblable qu'il avoit vescu devant que Moyse fust nay. Or les sacrifices que les hommes offrent à Dieu sans foy, meritent d'estre reprouvez. Comment donc Iob a-il peu sacrifier, n'ayant nulle certitude de la volonté de Dieu? Or nous avons à reduire en memoire ce qui fut touché en la premiere lecture, c'est à savoir, que Dieu a voulu iusques à ce que son Eglise fust dressee entre les Iuifs, et que sa loy fust publiee par escrit, qu'il y eust tousiours quelque semence et residu par le monde, de gens, qui l'invoquassent en pureté de coeur. Il est vrai que tantost apres le deluge les enfans de Noë se sont corrompus: ie di ceux qui sont descendus de sa race, lesquels ayans la memoire toute fresche d'une vengeance si horrible de Dieu, n'ont pas laissé d'inventer beaucoup de superstitions, et d'aneantir le vray service de Dieu: tant y a toutesfois qu'il y en a resté quelques uns qui se sont maintenus en ceste pureté que Dieu commandoit. Et cela a esté à fin que Dieu eust tousiours quelque Eglise en ce monde, et quelque petit nombre de gens qui l'invoquassent, et cependant il a voulu aussi que cela tournast en condamnation aux incredules, et qu'ils fussent rendus tant plue inexcusables. Nous savons que les hommes taschent tousiours de se couvrir de ce titre d'ignorance, et leur semble qu'ils sont absous devant Dieu, quand ils ont ce bouclier: mais Dieu a voulu qu'il y eust quelque petit nombre de gens tousiours qui le servist en toute pureté, et ceux-là ont esté comme les iuges de tous ceux qui se sont destournez et esgarez du droit chemin. Ainsi en a-il esté de Iob. Tant y a que nous savons aussi que dés le commencement du monde, Dieu a institué les sacrifices: car s'ils eussent esté inventez à l'appetit des hommes, ce n'eust esté que fatras que Dieu eust reietté;, et singeries. Et d'avantage nous savons que les sacrifices d'Abel ont esté preferez à ceux de Cain, à cause de la foy. Or si Abel eust forgé

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ceste façon de sacrifier à Dieu, il n'eust peu avoir aucune foy: car c'est le principal que Dieu nous conduise, et nous gouverne, et la foi ne peut iamais estre sans obeissance, il faut qu'elle responde à ce que Dieu aura institué. Ainsi donc nous voyons que Dieu a esté l'auteur des sacrifices qui ont esté depuis la creation du monde. Car quand il a commandé aux hommes de luy sacrifier, ce n'a pas esté qu'il ne leur ait monstré la fin et à quel but cela tendoit: car si les hommes eussent offert des bestes brutes sans intelligence, cela eust esté de nulle valeur, cela n'eust servi que de moquerie Or nous savons que Dieu instruit les siens pour leur salut. Ainsi donc il n'y a nulle doute, que Dieu commandant les sacrifices n'ait aussi monstré quel en est le vray usage, et comment ils pourront estre profitables aux hommes pour leur salut. Or ç'a esté a fin qu'ils se cognussent tous indignes d'approcher de lui, et qu'ils avoyent merité, la mort, qu'il falloit qu'ils se recogeussent tous coulpables, et cependant aussi qu'ils recogneussent qu'il y avoit encores quelque moyen de se reconcilier à luy. Et ainsi en premier lieu notons, que ceux qui ont usé droitement des sacrifices, et selon la volonté de Dieu, ont testifié qu'ils estoyent coulpables de mort, comme si on passoit une obligation autentique de quelque dette. Et voila aussi pourquoy sainct Paul parlant aux Colossiens (2, 14) des ceremonies de la Loy, les appelle des obligez, et des cedules, qui sont pour tenir les hommes accablez devant Dieu, pour monstrer qu'ils ne peuvent point fuir la condamnation de mort eternelle, n'estoit qu'il y eust un remede que Dieu donnast par sa misericorde gratuite. Or c'est desia une leçon bien bonne et bien utile, quand les hommes se recognoissent et confessent coulpables devant Dieu, et qu ils se mettent devant leurs yeux, ce qu'ils ont merité, que quand une beste brute est là tuee, ils cognoissent que c'est à cause de leurs pechez. Voila comme Dieu a voulu induire les hommes à humilité. Cependant il les a voulu aussi nourrir en esperance, que combien qu'ils fussent si miserables, neantmoins il y auroit un sacrifice offert, par lequel les pechez seroyent lavez. Voila comme les Peres anciens ont usé des sacrifices. Or cependant les Payens ont fait le semblable, mais ç'a esté sans foy: d'autant qu'ils n'ont pas cognu le Dieu, auquel ils devoyent faire hommage: d'autre costé ils n'ont point cognu que leur service fust agreable à Dieu, ils n'en ont eu nulle certitude: bref ils n'ont seu à quelle fin ni à quel propos ils sacrifioyent. Ainsi donc tout s'est fait à l'aventure, comme on dit, ç'a esté une peine frivole, mesmes Dieu a eu en detestation tous les sacrifices qui ont esté faits sans intelligence, et sans foy. Il est vray qu'il y avoit assez de pompes, mais cela n'a rien valu, d'autant qu'il nous

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faut tousiours retenir ceste regle que l'Apostre nous donne, que les sacrifices n'ont rien valu exterieurement, sinon d'autant qu'ils estoyent fondez en l'obeissance de Dieu et de sa parole.

Or il est vray, que Iob n'avoit point la Loy escrite, mais il suffit qu'il ait eu la doctrine qui estoit venue de Dieu, et laquelle Noé avoit donnee a ses enfans. Ceux qui ont perseveré en cela n'ont point esté enseignez par les hommes, et combien qu'ils ouissent la doctrine par les hommes, tant y a qu'ils ont tenu comme de Dieu ceste regle là: car il suffisoit bien que Dieu les enseignast de sa volonté, sans qu'il usast du moyen de ses Prophetes, comme il a fait depuis. Nous voyons donc maintenant que les sacrifices de Iob n'ont point esté faits à la volee, mais qu'il y a eu une foy certaine.

il est dit? que Nohah apres le deluge a sacrifie à Dieu, voire prenant les bestes pures, par cela nous voyons qu'il avoit instruction du ciel: car ce n'estoit point à luy à discerner les bestes, pour dire, En voici qui sont pures et nettes, et les autres sont souillees: il falloit que Dieu l'eust instruit à cela. Ainsi donc en est-il de Iob, qui fait des sacrifices, non point qu'il on soit auteur seul: mais ; il se renge à la volonté de Dieu, par laquelle il est conduit et gouverné: et cela est propre à la foy, ainsi que nous avons dit. Or là dessus nous avons à noter en premier lieu, que des le commencement du monde Dieu a tellement permis les hommes aller en tenebres, que toutefois il leur a laisse quelques tesmoignages par lesquels ils fussent convaincus de leur malediction: et n'y eust-il que les cerimonies externes, cela estoit bien assez pour condamner les incredules. Au reste nous voyons aussi comme les hommes sont adonnez du tout à mal, veu qu'ils pervertissent les choses bonnes et sainctes: et quand Dieu leur a declaré sa volonté, ils la convertissent tout au rebours, et à l'opposite. Quand donc nous voyons que les hommes sont ainsi volages, cognoissons que nous avons besoin de prier Dieu, qu'il nous retiene en bride, et qu'il ne permette pas que nous declinions de la pureté de son service, comme il nous on adviendroit, sinon qu'il nous y retinst. Or cependant nous sommes aussi admonnestez, que ce n'est pas le tout de servir à Dieu on apparence, et d'avoir quelque belle monstre: mais que le principal est que nous le servions, sachans quel il est, et cognoissans sa volonté pour nous y tenir. Car il y a eu grande parade aux sacrifices des Payens, et mesmes aussi de ceux qui ont droitement servi à Dieu: et toutesfois les uns ont esté reprouvez, et Dieu les a eus en abomination, et les antres luy ont esté agreables. Les Payens sacrifioient on grand pompe, ils avoyent encens et parfums, et choses semblables, et les Iuifs mesmes en la Loi en faisoyent autant. Mais quoy ? Voila les Payens qui

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veulent honorer Dieu sans l'avoir cogneu, d'autant qu'ils ne savent que c'est de Dieu, ne de sa maiesté: il faut bien qu'ils sacrifient à des idoles, qu'ils ont forgees et basties en leur cerveau. Dieu donc n'accepte point aucun service sinon celui qui lui est fait quand on l'a cognu. Voila pour le premier. Or pour le second, il faut que le service de Dieu soit spirituel. Les Payens ont estimé que Dieu seroit appaisé, quand on luy auroit offert un boeuf, ou un veau: et c'est une grande moquerie, comme si Dieu estoit transfiguré, et quand il seroit courroucé contre les hommes, qu'ils le peussent appaiser par ce moyen-la. Il faut donc avoir ceste reigle en premier lieu, que le service de Dieu est spirituel: il faut monter plus haut qu'à ces figures visibles: car elles nous doivent mener à une fin celeste, et non pas nous retenir ici bas en ce monde sans es lever nos esprits au ciel. Voila donc comme les fideles ont tousiours regardé à Dieu, quand ils ont sacrifié: et puis ils ont esté advertis de leurs vices, et de leurs pechez, à fin de s'y desplaire: Les Payens n'ont rien cognu de cela.

Nous voyons donc maintenant qu'il ne nous faut point arrester à l'exterieur, quand il est question de servir à Dieu, mais il faut venir au principal, c'est à savoir, que nous cognoissions, quel est le Dieu que nous devons adorer, que nous sachions comment, et eu quelle sorte nous devons approcher de luy, et que les ceremonies (desquelles nous usons) nous conduisent à ce service spirituel, duquel il est ici parlé. Exemple: Les Papistes auiourd'huy auront beaucoup de ceremonies semblables à nous: car ils plieront bien les genoux quand ils voudront prier, ils auront d'autres telles choses: et bien, cependant nous voyons qu'ils ne savent où s'adresser, qu'ils s'en iront plier les genoux devant un marmouset de bois, ou de pierre, en cela monstrent-ils qu'ils ne savent que c'est de Dieu: et ainsi il faut que tout ce qu'ils pensent avoir de religion soit pollu, et prophane. Ils feront assez de singeries, mais ils pervertissent tout, d'autant qu'ils ne regardent point à ce que Dieu a commandé, plustost ils suyvent leurs propres inventions, et leur semble qu'ils ont beaucoup fait, quand ils auront amassé beaucoup de pieces. Or ils se travaillent en vain, d'autant qu'ils ne se retienent pas sous la regle de la parole de Dieu. Voila en quoi nous differons d'avec ceux qui ne cognoissent point qu'il y a un Dieu que nous devons adorer, et venir à lui par le moyen de nostre Seigneur Iesus Christ, et qu'il nous le faut servir selon sa parole. Quand nous aurons cognu cela, nous pourrons bien dire, que les sacrifices que nous offrirons sont agreables à Dieu, et qu'il les accepte. Mais notons aussi que beaucoup abusent mesmes de ceste forme, qui est bonne et saincte, d'adorer

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Dieu, d'autant qu'ils y vont brutalement. Comme quoy? Il est vray que nous n'aurons point icy d'idoles, il est vray que nous n'aurons point tous ces menus fatras qui sont en la Papauté, dont le service de Dieu est infecté, et corrompu. Mais combien y en a il qui pensent s'estre acquittez, quand ils auront fait quelque ceremonie, qu'ils auront oste leur bonnet, ou ployé leur genouil?? Les voile ( ce leur semble ) quittes devant Dieu, et cependant ils ne regardent point a ceste humilité, que i'ay dite, que quand nous approchons de Dieu, il faut que nous nous rendions coulpables devant luy a cause de nos pechez, ils ne regardent point le moyen de cercher grace en nostre Seigneur Iesus Christ, ils ne regardent point de se dedier a Dieu en toute pureté, pour luy estre sanctifiez:: rien de tout cela. Ils auront bien des ceremonies externes:: voire, mais ( comme i'ay dit) tout cela n'est rien. Ainsi donc apprenons de servir Dieu en esprit et en verité, et la foy sera une bonne guide a cela, quand nous aurons nos yeux fichez sur la parole de Dieu, laquelle nous conduira tousiours a nostre Seigneur Iesus Christ, qui est le patron celeste, et auquel il faut que nous contemplions quelle est la volonté de Dieu son pere, pour nous y ranger. Voila quant aux sacrifices, desquels il est ici fan' mention.

Or quand il est dit, que Iob offroit des sacrifices selon le nombre de ses enfans, c'est pour monstrer, qu'il n'a point espargne sa substance, laquelle Dieu luy avoit mise entre mains. S'il eust este povre homme, il n'eust pas laisse d'estre agreable a Dieu, encores qu'il n'eust apporté nuls sacrifices: mais d'autant qu'il a le moyen et la faculté de ce faire, il est dit, qu'il s'y employe. Or maintenant appliquons cecy a nous. I'ay desia dit, que nous n'avons plus les sacrifices, qui ont este devant la venue de nostre Seigneur Iesus Christ: mais quand il est question de prier Dieu (comme c'est le principal service qu'il demande, que nous l'invoquions) que nous confessions, que tout nostre bien gist en luy, et que nous luy rendions actions de graces pour ses benefices, et que nous taschions de nous sanctifier et corps et ames, afin que le tout soit consacré a son honneur, et que nous servions aussi a nos prochains de ce qu'il nous a donne, sachans que nous sommes au monde, a fin que nous communiquions les uns avec les autres, tellement que personne ne soit adonne a soy, mais qu'on profite aux membres, ausquels Dieu nous aura conioints et unis. Puis qu'ainsi est donc, qu'un chacun regarde a sol. Il est vray que de prier Dieu, cela est commun a tous: mais encores si faut-il qu'un chacun de nous se solicite selon la cognoissance qu'il a. Quand un homme sera mieux instruit que les autres, il est certain

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qu'il don' avoir tant plus grande vehemence et ardeur a prier Dieu, il don' avoir plus grande sollicitude. Voila donc comme nous devons regarder quelle est nostre faculté et mesure. Et puis quand ce vient a, nous offrir a Dieu, il nous faut regarder ce qu'il nous a mis entre mains, selon qu'un chacun a receu, il sera tant plus coulpable, s'il ne glorifie Dieu. Ainsi donc quand Dieu nous aura eslargi de son Esprit plus amplement qu'aux autres, il faut que nous advisions d'en communiquer a nos prochains: que ceux qui auront conseil, advisent d'en donner aux autres: ceux qui auront abondance, qu'ils regardent d'en subvenir a ceux qui en auront necessité. Voila donc comme il nous faut conformer a ce qui est dit de Iob, que selon le nombre de ses enfans il a offert sacrifice. Au reste quand il est dit, Que Iob a sacrifie pour ses enfans, c'est pour nous monstrer, que ceux qui ont charge d'autrui, doivent estre vigilans, et quand il y aura quelque faute, qu'ils s'en doivent tenir coulpables devant Dieu. Et ceci est bien a noter: car nous voyons comme l'ambition regne au monde: si un homme a beaucoup d'enfans, il se resiouit d'avoir tant de creatures humaines, qui soyent sous luy et sous son obeissance: s'il a dequoy nourrir grosse famille, il se plaist en cela. Mais quoy? Il n'y a que pure ambition: car on ne regarde point la charge qui est la coniointe. Il est vray que Dieu fan' grana honneur aux hommes, quand il leur donne ceux qu'il a creez a son image et semblance pour leur estre subiets: mais cependant cest honneur la emporte obligation grande, que ceux qui ont famille a gouverner, doivent tousiours estre vigilans. Car si Dieu est offense en une famille, celuy qui en est le chef et le conducteur, se don' tenir coulpable, il don' gemir devant Dieu, comme s'il estoit entache de la faute qui a este commise: et combien qu'il n'y set pas consenti, si doit-il considerer, Ie ne me suis point acquité de mon devoir, encores que ie veille et nuict et tour, combien que ie ne cesse d'exhorter et mes enfans, et mes serviteurs, et chambrieres a ce qu'ils servent a Dieu, encores est-il impossible que ie face tout ce qu'il appartient. Car ie voy mes enfans qui offensent Dieu, ie voy dos fautes en mes serviteurs et en mes chambrieres: a qui tient il? Combien que ie mette peine de les instruire, si est-ce qu'encores y a-il beaucoup a redire: car ie ne leur monstre pas tel exemple que ie devroye: quand ie chemineroye en la crainte de Dieu comme il appartient, il faudroit qu'ils se conformassent a moy: et ainsi ce qu'ils declinent du droit chemin, peut estre par ma faute, et par ma coulpe: il faut donc que ie leur monstre tel exemple, que ie veux qu'ils suivent. Si les peres et les maistres qui ont enfans et serviteurs en leur subietion avoyent ce regard, les choses

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seroyent mieux ordonnees qu'elles ne sont pas. Et sur tout ceci don' estre observé diligemment des Princes, et des Magistrats, qu'il faut qu'ils soyent vigilans, et qu'ils facent bon guet sur ceux qui leur sont commis en charge: que s'il y a des fautes, il faut qu'ils s'en tienent coulpables, s'ils voyent qu'il y ait des scandales et des dissolutions, qu'ils cognoissent, que c'est d'autant qu'ils ne se sont point acquittez de leur devoir. Autant en est-il des Ministres de la Parole, que s'ils voyent que l'Eglise ne se gouverne pas. comme elle don', qu'il y set des troubles et contradictions, que mesme le nom de Dieu soit blasphemé, il faut qu'ils en souspirent, et qu'ils portent ce fardeau-la, sachans bien que Dieu leur monstre, qu'ils ne se sont pas. acquitez comme il appartenoit. Et voile pourguoy S. Paul dit (2. Cor. 12, 20), qu'il s'est humilié, a cause des vices qui estoyent en l'Eglise de Corinthe. Voila Dieu m'a voulu faire ici vergogne, cit-il. Et S. Paul avoit-il consenti aux paillardises, aux rapines, aux dissolutions et aux autres vices semblables de ceux de Corinthe? II avoit tasche de les reprendre en tout et par tout. Et pouvoit-on dire qu'il leur eust monstre le chemin pour se desborder? rien de tout cela. Or combien qu'il se fust acquitté selon les hommes, iusques au bout, si-est ce toutesfois qu'il ne laisse point encores de sentir que Dieu l'a voulu comme deshonorer en partie, tellement qu'il faut qu'il face le dueil des scandales, et des desbordemens qui sont advenus en l'Eglise de laquelle il avoit la conduite, et la charge. Si S. Paul qui a eu un tel zele a faire son devoir, neantmoins s'est senti coulpable, quand il y a eu quelque mal en l'Eglise, ie vous prie que sera-ce de nous qui sommes froids comme glace au prix de luy? Que sera-ce de ceux qui ne tienent gueres de conte que Dieu soit honoré: et moyenant qu'ils facent leur profit, et qu'ils se maintienent en leur estat, ce leur est tout un? Notons bien donc ce qui est ici dit, que Iob a sacrifié selon le nombre de ses enfans: et que nous advisions de nous humilier devant Dieu, et de luy demander pardon, non seulement quand le mal sera advenu, mais que nous prevenions tant qu'il nous sera possible. Comme quoy? que les peres tienent leurs enfans en bride courte, que les maistres advisent bien, que Dieu soit servi et honore par dessus eux, que leurs maisons soyent reiglees en toute pureté, que ce soyent comme petites eglises de Dieu: et que ceux qui sont en charge et office plus honorable soyent tant plus diligens: que les Magistrats advisent de faire loix, qui soyent propres pour tenir le peuple en bonne police, et pour retrencher toutes choses qui sont contraires au service et a l'honneur de Dieu. Quand ils auront fan' cela, qu'ils advisent bien de faire garder un bon ordre. quand il aura

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esté institue: qu'ils ne ferment point les yeux, pour faire semblant de ne voir goutte, quand il y aura quelque faute commise: mais qu'ils ayent tousiours la medecine preservative en main: que les Ministres de la Parole n'attendent pas. que tout soit depravé et que le diable set la vogue: mais si tost qu'ils apperçoivent qu'il y a quelque bresche, et que les choses ne suivent pas. un bon train, qu'ils taschent d'y remedier le plustost qu'il leur sera possible, afin que les choses n'aillent point en empirant comme elles ont de coustume.

Or maintenant il s'ensuit que Iob disoit: Possible mes enfans auront peché, et auront benit Dieu. Il y a ainsi de mot à mot, mais le mot de Benir, se prend aucunesfois pour Maudire: comme quand il est dit, que Naboth avoit benit Dieu et le Roy c'est a dire, maudit. Et nous en verrons encores ci apres de tels exemples, et exposerons plus amplement, comme ce mot a esté mis en ceux significations contraires. Mais devant que venir-la notons ce qui est ici dit au texte, que Iob disoit: Possible mes enfans auront peché. Ici nous voyons que Iob n'a pas. attendu que Dieu luy envoyast quelque message pour le menacer, a cause des pechez de ses enfans, mais qu'il a prevenu et qu'il s'est sollicité sans que personne l'incitast, disant: Possible que mes enfans auront failli. Or c'est un poinct que nous devons bien observer: car auiourd'huy il y en a bien peu qui puissent souffrir qu'on les admoneste, et que leurs fautes leur soyent remonstrees: combien que leurs vices soyent notoires en tout et par tout, si est-ce qu'ils trouveront le moyen (s'il leur est possible) de s'excuser, et de se couvrir: mesmes quand on voudra reprendre ceux qui ont failli, il se faut apprester a soustenir une guerre mortelle tellement qu'on sera ennemi capital de ceux desquels on procurera le salut. Or si les hommes ne peuvent endurer qu'on les redargue quand ils auront failli, comment d'eux - mesmes et de leur bon are se condamneront-ils, pour se redarguer, et dire, Possible que i'ai commis une selle faute, ou moy, ou les miens? Or nous voyons ici que Iob a tousiours pense en soy, Possible que tes enfans auront peché.- Et ainsi donc le S. Esprit nous declare quel est nostre office: c'est assavoir, que quand nous aurons apperceu que nous sommes tous coulpables de condamnation, un chacun se don' picquer et aiguillonner pour se faire son procez de son bon are. Par plus forte raison quand Dieu nous fan' ceste grace de nous soliciter, et que nous avons gens qui nous exhortent a faire nostre devoir, si sur cela nous sommes rebelles à Dieu quand il nous envoye de tels messagers, il est certain (di-ie) que si nous ne souffrons d'estre redarguez par eux, ce n'est point aux creatures mortelles que nous nous addressons, mais nous nous

SERMON III

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rebecquons à l'encontre de la maiesté de Dieu, qui nous vouloit recuire a salut, quand il voyoit que nous estions preste de nous precipiter en perdition eternelle. Voila pour un Item.

Or cependant nous voyons que Iob n'a pas seulement pensé pour soy, mais pour ceux qui luy estoyent commis en charge, suivant ce que nous avons dit. Mais auiourd'huy on fait bien tout le contraire. Car si un homme se peut excuser, incontinent il prendra couverture sur le premier qu'il pourra. Un homme aura-il fait ceci, ou cela ? il mentira plustost pour s'exempter, qu'il ne cognoistra sa faute: s'il a ou enfans, ou serviteurs, il cerchera la son garent. O voila, i'avoye entendu que cela fust fait, et il n'a pas tenu à moy. Nous voyons que la pluspart cerche de tels subterfuges. Or il s'en faut beaucoup que lob remette le fardeau sur les autres: car il cognoist que si ses enfans ont failli, il faudra qu'il en rende conte. Ainsi donc apprenons de ne nous point flatter en hypocrisie, et de bien penser de ne point nourrir les vices, auxquels nous devons remedier, entant qu'en nous est. Voila ce qui nous est ici monstre. Cependant on pourroit demander si Iob se devoit ainsi tourmenter en vain, sinon que les fautes lui fussent cognues: car il semble que ce soit bien assez quand un homme appercevra qu'il a failli, que lors il s'humilie devant Dieu: mais d'imaginer, possible que i'auroye failli, que i'auroye commis un tel mal, il semble que cela soit superflu. En premier lieu retenons ce qui est dit par Salomon au 28. chap. (v. 14): Bien heureux est l'homme craintif, ou qui se fait craindre: (car le mot emporte cela) c'est à dire, qui s'induit à estre craintif: mais celuy qui endurcit son coeur (dit-il) trebuschera en tout mal. Quand Salomon parle ainsi' il nous monstre, que nous devons cheminer en solicitude, regardans de pres à nous, si nous pourrions avoir commis quelque faute. Or ceste crainte ici est double: c'est assavoir, qu'il nous faut craindre pour l'advenir, et nous faut craindre pour le passe: craindre pour l'advenir, que nous cognoissons bien que nous devons cheminer droitement en toutes nos voyes, que nous ayons tousiours cest advis et prudence, d'interroguer la bouche de Dieu, comme le Prophete Isaie nous commande (30, 2), et de nous recommander à son S. Esprit, afin qu'il nous donne la sagesse de ne nous point esgarer ne çà ne la en façon que ce soit Voila comme il nous faut estre craintifs pour ie temps advenir. Pour le passe: encores que nous n'ayons point cognu les fautes que nous aurons commises, qu'il nous soit passe beaucoup de vices a travers des yeux sans les appercevoir, si faut-il neantmoins que nous y

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poncions pour nous y desplaire, et nous condamner. Voila donc comme il nous faut estre craintifs pour le passe, et pour l'advenir. Et c'est ce que nous avons à noter sur ce passage, quand Iob dit: Possible, mes enfans auront peché, combien qu'ils n'y ayent point pense. Et c'est le soin que nous devons avoir de nous soliciter à invoquer Dieu, qu'il nous pardonne nos fautes, afin qu'il ne permette point que nous declinions ne çà ne la: mais que nous demourions au chemin qu'il nous monstre.

Pour conclusion, quand Iob dit, Possible, mes enfans auront benit le Seigneur: notons que ce mot est pries pour Maudire, combien qu'il signifie Benir: et cela est pour plus grande detestation, afin que nous sachions quelle faute c'est de ne point benir Dieu, c'est a dire, de ne luy attribuer point la louange qu'il merise de nous. Car defaict cela nous doit faire dresser les cheveux en la teste, et devons avoir horreur quand il est parle de maudire Dieu. Voila donc pourquoy ce mot de benir Dieu a este applique en usage contraire. Tant y a en somme qu'il est dict, Que Iob a craint que ses enfans n'eussent point benit Dieu comme il appartenoit, et que s'ils ne le benissoyent, c'estoit comme le maudire. Or le principal est, qu'il nous faut regarder comme nous avons à glorifier Dieu en toute nostre vie: car voila aussi pourquoi nous sommes creez, et que nous vivons. Quand donc nous voudrons que nostre vie soit approuvee de Dieu' que nous tendions tousiours à ce but-la, qu'il soit benit et glorifie de nous, et que nous ayons un tel zele et une affection ardente de servir à sa gloire: que nous cognoissions que c'est une chose insupportable, voire execrable jusqu'au bout, quand son Nom est blasphémé par nous, et qu il est comme maudit, 'est à dire, que nous sommes cause que sa gloire est Gomme aneantie veu qu'il a mis son image en nous, afin qu'elle v, reluise. Que donc nous ne soyons point desbordez comme beaucoup lesquels ne vivent sinon pour blasphemer Dieu c'est à dire, pour luy estre execrables, d'autant que son Nom est blasphémé en eux. Cognoissons que telles gens sont comme des monstres faits contre nature: mais prions Dieu qu'il nous face la grace de cognoistre pourquoy c'est qu'il nous a mis au morde, C'est assavoir, a ce que nous le magnifions, attendans ceste iournee bien heureuse, en laquelle il nous recueillie tous à soy, quand nous aurons tellement conversé en ce monde, que nous n'y aurons cerché sinon qu'il nous gouverne, nous assubiettissans a luy en tout et par tout.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

IOB CHAP. I.

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Q U A T R I E M E S E R M O N

SUR LE I. CHAPITRE.

6. Advint un iour que les fils de Dieu vindrent pour comparoistre devant le Seigneur, aussi Satan vint entre eux. 7. Et le Seigneur dit a Satan, D'ou viens-tu? Satan respondant dit au Seigneur, De circuir, et de chasser sur la terre. 8. Et le Seigneur dit a Satan: As-tu prins garde a mon serviteur Iob, lequel n'a point son pareil en terre, homme entier et droit, et craignant Dieu, et se retirant du mal? etc.

Nous avons veu par ci devant quelle estoit la vie et conversation de Iob entre les hommes: maintenant il nous est declare comme Dieu a dispose de luy, afin que nous sachions, que vivans ici bas, nous ne sommes point gouvernez par fortune, mais que Dieu a l'oeil sur nous, et qu'il y a toute autorise, comme aussi c'est bien raison, veu que nous sommes ses creatures. Or nous verrons ci apres, gomme Dieu a voulu affliger Iob: mais tant y a qu'ici il est principalement touche que Dieu a la conduite du monde, et que rien ne se fait, qui ne soit dispose par luy. Pour exprimer cela, l'escriture use d'une façon qui est convenable a nostre rudesse, car nous sommes tant infirmes, que nous ne comprendrons iamais la maiesté de Dieu ainsi haute qu'elle est, nous ne pourrons point parvenir iusques la. II faut donc que Dieu descende pour estre comprins de nous, c'est a dire, qu'il ne se monstre point selon sa gloire, qui est infinie, mais selon qu'il voit quel est nostre sens, qu'il s'y accommode. Brief, iamais nous ne cognoistrons Dieu tel qu'il est, mais nous le cognoistrons en telle mesure qu'il lui plaira de se manifester a nous, c'est a dire, selon qu'il cognoist qu'il nous est utile pour nostre salut. Or geste façon de parler que nous voyons ici, quand il est dit, que les Anges ont comparu devant Dieu gomme on un iour solennel est prinse des Rois de ce monde, lesquels tiendront leurs estats et leurs assises. Il est certain (comme l'Escriture le monstre en beaucoup d'autres passages) que les Anges sont tousiours devant Dieu, combien qu'ils executent ses mandements, gomme il est dit, qu'ils nous environnent pour faire un camp, afin de nous garder, que Dieu leur a ordonne de nous conduire, afin que nous soyons gomme en leur sauvegarde. Qu'il est dit aussi, qu'ils executent son ire, et sa vengeance sur les meschans. Mais tant y a que les Anges qui sont esprits, ne sont point empeschez de servir a Dieu, et de lui obeyr, d'executer son iugement foi bas, encores qu'ils soyent cependant en sa presence tousiours. Et de

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fait, quand nostre Seigneur Iesus dit, Que les Anges qui ont la garde des petits enfans, voyent et contemplent tousiours la face du Pere: par cela il nous est signifie, combien que les Anges nous assistent, et que nous sentions leur vertu pour nous maintenir, que toutesfois ils iouyssent cependant de la gloire de Dieu, et qu'ils ne sont point eslongnez de luy. Et pourtant en ce passage quand il est dit, Qu'ils sont comparus, ce n'est pas que quand Dieu les envoye, ils soyent separez de sa maiesté, et privez de la vie celeste, du temps qu'ils font leur voyage: mais pource que nous sommes rudes et grossiers, l'Escriture nous a voulu accomparer Dieu aux princes terriens afin que nous cognoissions d'une façon plus privee et familiere gomme les Anges ne font rien de leur mouvement propre: mais que c'est Dieu qui leur commande, comme il a tout empire sur eux et qu'ils lui viennent rendre conte, que rien ne lui est cache, que les Anges n'ont point une autorise propre, ni separee: et combien qu'ils soyent appeliez Puissances, Principautez et Vertus, que ce n'est pas que Dieu leur ait resigné son office, ce n'est point qu'il se soit despouillé de sa vertu, ce n'est pas qu'il demeure oisif au ciel: mais c'est d'autant que les Anges sont instrumens de sa vertu, afin -tutelle soit espandue par tout. Voila donc ce que nous avons a, recueillir de ce passage, c'est assavoir que Dieu besongne tellement par le moyen de ses Anges pour gouverner les choses humaines, que tout vient a conte devant lui, tellement qu'il n'y a rien qui luy eschappe.

Et au reste quand il est dit, Que Satan est aussi venu parie' les Anges, ce n'est pas qu'il se soit insinue la, gomme aucuns l'ont entendu, pour faire du bon valet, qu'il se mette la en la trouppe: mais au contraire le S. Esprit nous a voulu signifier, que non seulement les Anges de paradis, qui, obeissent a Dieu de leur bon are, et qui sont du

tout enclins et adonnez a gela, lui rendent conte, à mais aussi les diables d'enfer, qui luy sont ennemis f et rebelles tant qu'il leur est possible, qui taschent f de ruiner sa maiesté, qui machinent a brouiller ! tout: qu'il faut que ceux-la (en despit de leurs f dents) soyent subiets a Dieu, et qu'ils lui rendent conte de tout ce qu'ils font, et qu'ils ne puissent rien attenter sans sa permission et son congé. Voila donc gomme Satan est comparu au milieu des S Anges. Or cependant la façon toutesfois est bien diverse: Car quand les Anges nous guident,

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qu'ils font ce que Dieu leur a commande, ils ont ce naturel-la de se renger a lui, ils n'ont autre inclination que de lui obeyr, et aussi il habite et regne en eux par son S. Esprit. Voila pourquoy nous disons, Ta volonté soit faite en la terre comme au ciel: voyans qu'ici bas il y a tant de contradictions, il y a des rebellions horribles contre Dieu, nous luy demandons qu'il ait ici son regne paisible, comme la haut, la où ses Anges lui sont du tout

obeissans. Mais les diables obeissent a Dieu, comme forçaires, c'est a dire, non point de leur bon are, mais d'autant que Dieu les y contraint: ils voudroyent bleu resister a sa vertu, et l'opprimer s'ils pouvoyent, mais il faut qu'ils suivent par tout la où il les veut mener. Et voila pourquoy notamment des Anges sont appeliez (en ce passage) Enfans de Dieu, et le diable a son titre d'adversaire: car Satan signifie cela en Hebrieu. Il est vrai que les hommes seront bien quelquefois intitulez Enfans de Dieu, à cause qu'il a imprime son image en eux, sur tout les fideles d'autant qu'ils sont reformez a la semblance de nostre Seigneur Iesus Christ, qui est l'image vive de Dieu son Pere, et qu'aussi ils ont receu l'Esprit d'adoption, qui leur est un gage, que Dieu leur porte un amour paternel. Nous serons bien donc appelez enfans de Dieu. Autant en est-il des Princes et Magistrats: car ils ont ce titre honorable, qui leur est attribue' d'autant que Dieu les a magnifiez, et qu'il les a constituez en ce degré-la, afin qu'il soit cognu en leurs personnes. Voila donc comme le nom d'enfans de Dieu sera bien applique aux hommes: mais les Anges sont ainsi appeliez en l'Escriture, d'autant qu'ils approchent de Dieu, et qu'ils sont comme rayons de sa clarté: et de fait, puis que Dieu les nomme Principautez, et Vertus, et Hautesses, c'est bien raison aussi que nous recognoissions qu'ils sont comme fils de Dieu, d'autant qu'il ne faut point separer la vertu qui est en eux, d'avec celle de Dieu, mais ce sont ruisseaux qui decoulent de ceste fontaine, et source: et nous faut tousiours venir là. Cognoissons donc que cest honneur appartient aux Anges d'estre tenus et reputez enfans de Dieu, pource que sa gloire se monstre et se declare en eux. Et I d'autant plus sommes nous tenus a la bonté infinie de nostre Dieu, lequel les a constituez nos serviteurs par le moyen de nostre Seigneur Iesus Christ. Tous ainsi que le Seigneur Iesus, qui est Fils unique de Dieu son Pere, voire et naturel (car ce n'a point este de grace qui luy soit survenue, que cest honneur luy appartient, mais il est Fils naturel, et pour ceste cause il est unique) tout ainsi donc que nostre Seigneur Iesus Christ n'a point este espargné pour nostre redemption et salut, aussi par son moyen les Anges, qui sont enfans de Dieu sont constituez nostre service, comme l'Apostre

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le monstre en l'Epistre aux Hebrieux (1, 14), et comme aussi il fut declare en ceste eschelle de Iacob, ou il est dit, que les Anges descendoyent du ciel en terre, et Iesus Christ prononce que cela est accompli en son royaume, Vous verrez (dit-il) les Anges descendre du ciel aux hommes. (Iean 1, 51.) Ainsi donc quand nous voyons que Dieu a constitua ses Anges pour servir a nostre salut: d'autant sommes nous plus obligez à sa miser)

corde. Et aussi il nous a fait cest honneur, que son Fils n'a point pries la nature des Anges pour nous estre redempteur, comme aussi l'Apostre le dit: (Heb. 2,16) mais il s'est vestu de nostre corps, et de nostre substance. Quand nous voyons que le Fils de Dieu s'est ainsi approche de nous, qu'il a voulu avoir une nature commune avec les hommes, cognoissons que c'est de la que procede ceste autre grace, que les Anges s'employant pour nous, et veillent, et c'est aussi leur propre charge et vocation que de procurer nostre salut. Suyvant cela ici le sainct Esprit les discerne d'avec Satan, et monstre qu'ils sont serviteurs de Dieu volontaires. Pourquoy? comme ses enfans. Quand un enfant obeit à son pere, il ne le fait point maugré soy, mais d'autant qu'il y est enclin, que nature l'enseigne a ce faire, qu'il y a un amour qui l'induit a s'acquitter de son office, c'est donc ainsi qu'en font les Anges.

Satan est d'autre cosse adversaire car combien qu'il comparoisse devant Dieu, et qu'il faille qu'il rende conte, neantmoins ce n'est pas qu'il plie de son bon are, ce n'est pas qu'il demande d'estre subies a Dieu: ains il s'esleve à l'encontre, il est enflammé d'une rage si enorme qu'il voudroit avoir ruine la puissance de Dieu, s'il luy estoit possible. Ainsi donc il retient son naturel corrompu, c'est d'estre tousiours ennemi: mais si est-il force par contrainte de venir faire hommage a celuy qui a tout empire souverain sur ses creatures. Or Satan est aussi subies a Dieu, d'autant qu'il ne faut point imaginer que Satan ait aucune principauté que celle qui luy est donnee de Dieu. Et c'est bien raison que tout luy soit subies, puis que tout procede de luy. Les diables ont este creez de Dieu aussi bien que les Anges mais non pas tels qu'ils sont. Il nous faut tousiours reserver cela, que la malice qui est aux diables procede d'eux, quand ils ont este apostats pour s'eslongner de la fontaine de justice, qu'ils ont quitte Dieu, et se sont destournez de luy. Voila comme ils ont este pervertis, et n'y a eu que mal en eux: comme quand le peché est en la nature des hommes, ce n'est pas que Dieu l'y ait mis de creation, mais c'est pource que Satan a espandu sa malice plus loin, quand l'homme a este seduit par son astuce pour subvertir le bien de Dieu. Voila donc les diables qui ont este maudits d'eux

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IOB CHAP. L

mesmes, et ce qu'ils sont cruels, pleins de rebellion, pleins de mensonge, pleins de meschanceté, cela est venu de ce qu'ils se sont destournez de leur (Createur, Comme l'Escriture nous enseigne. Au reste ils ne laissent pas d'estre tousiours sous la main de Dieu: et de fait que seroit-ce si nous n'avions ceste cognoissance? Car quand il est dit, Que le diable est prince du monde, ce seroit pour nous effrayer n'estoit que nous cognussions qu'il y a une bride par dessus, qui le retient et empesche de faire ce qu'il voudroit. Car si la puissance de Satan n'estoit point limitee, il auroit incontinent la vogue sur nous. Nous savons qu'il ne demande que nostre perdition, comme aussi il est nostre ennemi mortel, ainsi qu'il en est parlé en d'autres passages, qu'il circuit comme un lion bruyant (I. Pier. 5, 8), il est tousiours apres la proye pour la devorer. Si donc les diables n'estoient point subiets à Dieu, et qu'ils peussent attenter ce que bon leur semble, et qu'ils eussent une licence desbordee, et que Dieu ne les retinst point, helas! nostre condition seroit bien miserable: car nous serions exposez en proye sans aucun remede. Et où seroit nostre foy? quelle certitude aurions-nous d'estre gardez? car nostre ennemi est trop puissant. Ainsi donc c'est l'un des articles le plus necessaire que nous ayons, de savoir que le diable est tenu en bride et quelque chose qu'il soit enragé contre nostre salut, que neantmoins il ne peut rien faire sinon d'autant qu'il luy est permis d'enhaut. Et aussi l'Escripture nous dit bien tous les deux, c'est assavoir que Satan est le prince du monde, qu'il a son empire en l'air par dessus nous, et que nous ne pouvons rien, qu'il nous peut devorer que nous luy sommes comme subiets, que nous sommes ses esclaves de nature, tenus en ses liens: et que luy toutesfois est subiet à Dieu maugré qu'il en ait. Or ces deux poincts sont divers mais il n'y a point de contrarieté, et tous les deux nous sont bien utiles, et nous apportent une bonne instruction. Car quand l'Escriture nous monstre que le diable a un tel pouvoir, et qu'il regne ici, et que les hommes sont comme sous ses pieds, qu'ils sont en sa tyrannie, qu'il les tient en ses liens, c'est afin que nous cognoissions nostre povreté. Car nous voyons quel est l'orgueil des hommes, ils se glorifient tellement qu'ils se veulent eslever par dessus les nues, et en sagesse, et en vertu, et en tout. Or quand les hommes se sont ainsi eslevez, Dieu prononce à l'opposite, qu'ils sont esclaves de Satan, qu'ils sont tenus sous sa servitude. Allez-vous attribuer une grande noblesse? Allez-vous eslever? mais le diable domine par dessus vous, quoy qu'il en soit. Voila donc comme Dieu rabbaisse le caquet aux hommes, et les rend confus. Apres, les a-il ainsi humiliez?

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il les resveille aussi, afin qu'ils cheminent en plus grand' crainte. Car si nous ne pensions point avoir d'ennemi qui nous fist la guerre, et qui ne fust pas si puissant, nous serions nonchalans, et vivrions ici comme en paix. Voici Dieu qui nous declare que Satan est un lion bruyant, qui a tousiours la gueule ouverte pour nous engloutir: que nous n'avons point armures pour luy resister, sinon qu'il nous en donne: qu'il faut que nostre force viene de luy: cela est bien pour nous faire penser à nous, et que nous soyons sur nos gardes, et ne soyons point endormis: car le diable nous auroit tantost prins au despourveu. Ainsi donc voila pourquoy l'Escriture nous dit que le Diable est prince du monde voire afin de nous humilier en premier lieu, et puis de nous instruire à. crainte et sollicitude, que nous invoquions Dieu, le prians qu'il ne permette point que nous tombions entre les laqs de Satan: et puis que nous luy demandions qu'il nous fortifie, comme il a promis de faire, et que nous facions tousiours bon guet. Au reste aussi d'autre costé, afin que la puissance de Satan ne nous soit point trop terrible pour nous faire perdre courage, et nous mettre en desespoir, il nous est dit, qu'il ne peut rien sans l'authorité de Dieu, qu'il faut qu'il prenne son congé de là, et que quand il aura ietté feu et 'flamme, si ne peut-il rien, sinon que Dieu luy permette ce que bon luy semblera. Il est vray que le diable ne laissera point d'estre forcené, il se iette à l'abandon: mais quoy qu'il en soit, si est-ce que Dieu ne luy permettra iamais de faire sinon ce qu'il trouvera bon, et non plus. Voila donc a quel propos il nous est ici declaré, que le diable se met entre les enfans de Dieu: ce n'est pas qu'il s'insinue, comme s'il eust esté de la compagnie, et du rang des Anges, mais c'est pour nous monstrer qu'il est sons l'obeissance de Dieu, comme les Anges: toutesfois c'est bien en une autre qualité, car le sainct Esprit le nomme adversaire, les Anges: sont appelez enfans de Dieu, pour signifier que les Anges: obeissent de leur bon gré, qu'ils sont serviteurs volontaires, et Satan est forcé, qu'il n'y a que necessité, et contrainte en luy.

Or venons maintenant à ce que l'Escriture adiouste: Que Dieu à demandé à Satan, d'où il venoit, et il a respondu, De circuir la terre, voire pour faire la chasse. Quand un tel recit est fait, cognoissons tousiours que c'est pour nostre infirmité, car Dieu n'a que faire de s'enquerir que c'est que Satan a fait au monde. Mais quoy? d'autant que nous ne comprenons point ces choses en nostre rudesse, et en une si petite mesure, comme elle est en nostre sens il faut (comme i'ay dit) qu'il y en ait une declaration qui nous soit convenable. Et en cela voyons-nous la bonté de Dieu,. de ce qu'il se conforme à nous, d'autant que nous ne pouvons

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point parvenir à luy, que nous ne pouvons pas monter si haut, il 8e rend familier, il est comme transfiguré, afin que nous cognoissions ce qui nous est bon et propre. Quand Dieu approche ainsi de nous, ie vous prie, ne devons nous point estre confus de honte si nous sommes lasches à l'escouter? Et en cola voyons nous quelle est la vilenie de ceux qui veulent priver de toute doctrine les povres idiots: car ils disent que l'Escriture saincte est trop obscure, qu'on n'y peut mordre. Vray est que d'autant qu'il n'y a que tenebres en nous, l'Escriture nous sera difficile, mais cependant si voit-on comme Dieu a promis d'esclairer les petis, et les humbles. Et de fait nous voyons comme il y procede: car à quel propos ceci nous est-il declaré ainsi privéement, et à la façon des hommes? Dieu nous monstre qu'il ne veut pas seulement instruire les grands clercs, et ceux qui seront bien subtils, et qui auront esté exercez à l'escole, mais qu'il se veut accomoder iusques aux plus rudes idiots qui soyent. Quand Dieu procede ainsi de son costé, quelle ingratitude est-ce, quand les hommes reculent, et qu'ils prenent cest ombre-la, et ceste couleur de dire, qu'il leur est impossible d'atteindre au sens de l'Escriture saincte ? car nous voyons comme Dieu s'accommode à nous. Cependant nous avons à recueillir principalement que le sainct Esprit nous a voulu monstrer quel est l'office de Satan, quel est son naturel, à quoy il s'employe, et s'applique du tout: c'est (comme nous avons dit) qu'il ne cesse comme un lion bruyant de chasser apres la proye: et sainct Pierre use notamment de ceste similitude-la, afin de nous resveiller, et que nuict et iour nous soyons sur nos gardes, et que nous invoquions Dieu, afin qu'il nous defende contre tous les assauts de nostre ennemi, et tout ce qu'il pourra machiner contre nous. Il est vray que nous ne verrons point Satan et n'appercevrons pas aussi à l'oeil ce qu'il appreste, et machine pour nostre perdition: mais d'autant plus avons-nous à craindre ses cautelles et astuces. Et voila pourquoy sainct Paul dit (Ephes. 6, 12), que nous n'avons pas à batailler contre la chair, et contre le sang. Il signifie par cela, que si nous avions des ennemis visibles, et bien, nous pourrions aucunement eschapper de leurs mains, nous trouverions les moyens pour leur resister: mais voici (dit-il) les astuces spirituelles qui bataillent contre nous: là nous ne voyons goutte, sinon que Dieu nous donne les yeux de foy pour savoir comme Satan nous est contraire, voire par les tentations qu'il nous met au devant, et par lesquelles il nous solicite à mal, et tasche de nous desbaucher. Ainsi donc nous devons avoir cest article pour resolu, c'est que les diables sont tousiours à procurer nostre perdition et qu'ils circuissent la terre, que

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iamais ils ne sont eslongnez de nous, qu'ils ne cerchent les moyens pour trouver entree: si tost qu'il y a quelque petite bresche, ils entrent à nous pour nous precipiter en perdition eternelle, et nous sommes surprins devant que nous ayons cuidé estre assaillis: comme chacun cognoist par experience, que nous ne sentons point quand le diable nous est prochain, et cependant nous voyla navrez à mort. Parquoy quand nous sentirons quelque mauvais desir en nous, que l'un sera mené d'une concupiscence mauvaise, l'autre de ceci, l'autre de cela: notons que c'est l'ennemi qui besongne ainsi finement. Voila donc comme par effect nous cognoissons que les diables machinent à l'encontre de nous: voire ceux à qui Dieu a donné la prudence le cognoissent car les meschans et les reprouvez, combien que lé diable les possede, et qu'il besongne en eux avec toute efficace (comme sainct Paul en parle aux Thessaloniciens) (2. The. 2, 9) toutesfois ils n'apperçoyvent pas que le diable soit rien, et ne se font que mocquer de tous leurs vices: ils sont ensorcelez à mal tellement qu'ils ne le sentent point: car ils sont stupides, comme sainct Paul en parle en un autre lieu (Ephes. 4, 19). Mais les fideles quand ils auront leur ame infectee de quelque mauvaise affection, que Satan aura tant brassé, qu'il aura entree en eux ils cognoistront, que c'est Satan qui les a surprins et qu'ils ne se sont point apperceus quand il leur a donné la bataille, et l'alarme. Or il ne faut point que nous attendions une telle espreuve, mais craignons en croyant à ce qui est dit, car Dieu monstre le soin qu'il a de nous, et comme il ne veut pas que nous soyons surprins par faute d'avoir cogneu nos adversaires, quand il nous dit, que les diables circuissent tousiours la terre, chassans apres la proye. Si on nous disoit que les ennemis sont prochains, et qu'il y eust quelque bandes qui deussent venir ici, chacun seroit sur ses gardes: on adviseroit tous les moyens de se defendre, et de leur resister. Et pourquoy cela? A cause que nous sommes charnels, et nous avons soin de garder ceste vie caduque. Or voici Satan qui est nostre ennemi, il a des cautelles, et des astuces plus dangereuses, et plus meschantes que tous les ennemis du monde, il demande à precipiter tout en ruine: nous savons la puissance qu'il a, comme desia il a esté traitté: il est dit notamment, qu'il est prochain de nous, et qu'il nous assiege de tous costez, et qu'il a mille moyens de nous circonvenir. Quand tout cela nous est dit, s'il ne nous en chaut, n'est-ce pas signe qu'il y a une stupidité plus que brutalle, et que nous ne pensons point à la vie celeste, et que nous ne concevons rien, sinon ce que nous voyons, tout ainsi que les bestes brutes? Or si faut-il que ceste doctrine nous profite, quand il nous est declaré,

IOB CHAP. I.

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que Satan ne cesse de circuir le monde et qu il est tousiours à la chasse, qu il n'est point oisif: et pourquoy? pource qu'estant ennemi de nostre salut, il ne demande sinon nous mener en une mesme perdition en laquelle il est venu.

Quant à ce que Dieu parle ici: N'as tu point consideré mon serviteur Iob, homme droit, et entier, qui craint Dieu, et se retire d?` mal? C'est pour signifier que Dieu despite Satan en ceux ausquels il a fait grace de cheminer selon sa volonté. Et en cela voyons-nous à quelle condition Dieu nous a mis au monde, c'est que nous soyons ici comme miroirs de sa vertu: quand il nous a fait ce bien de nous gouverner par son sainct Esprit, il nous met comme sur un eschaffaut, afin que sa bonté et. misericorde se cognoisse en nous, et sur cola il se glorifie contre Satan en nos personnes. Or c'est m honneur inestimable que Dieu nous fait, quand il nous choisit, nous povres vers de terre, pour estre glorifié en nous contre Satan, et qu'il fait ses triomphes sur nous. Regardons que c'est des hommes. Helas! et Dieu on pourra-il rien tirer qui puisse servir à sa gloire? Il cet bien certain que non: car il n'y a que mal. Hais quoy? Dieu apres nous avoir choisis, espand de son sainct Esprit sur nous, et nous eslargist de ses graces, et la dessus il veut estre glorifié en nos personnes, et en fait ses triomphes à l'encontre de ses ennemis. Or par cela nous sommes admonnestez, quand il plaira à Dieu de nous exercer en beaucoup de combats, et de tentations, de ne point trouver la chose estrange: mais quand nous aurons entendu que Dieu nous exerce, le fruict qui procede de nos combats, nous doit bien contenter' c'est assavoir que Dieu soit glorifié, que sa vertu soit cognuë, afin que Satan demeure confus en tous ses efforts. Quand donc l'issue de nos combats est telle, et si heureuse, ie vous prie ne les devons-nous pas porter patiemment? Au reste tout ainsi que Dieu despite Satan en la personne de Iob, aussi nous avons à despiter tous nos ennemis, quand ceste protection de Dieu nous est bien imprimee au coeur, et que nous cognoissons que c'est luy qui habite, et qui regne en nous par son sainct Esprit, que c'est luy qui nous garde, et nous sert de rempart, et de forteresse. Et voila aussi comme sainct Paul en parle au huitieme des Romains (v. 10). Car apres avoir monstré que les fideles sont invincibles, quand l'Esprit de Dieu leur est un tesmoignage de vie, il dit que combien qu'ils ne l'ayent pas receu en plenitude et perfection, toutesfois encores qu'ils n'en ayent qu'une petite goutte, si est-ce que c'est une semence de vie pour les asseurer que Dieu accomplira ce qu'il a commencé. Quand donc les fideles ont une telle certitude, que Dieu leur a donné de son sainct Esprit, afin de

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leur monstrer que iusques à la fin il leur sera Pere, là dessus ils peuvent lever leur voix et leurs sens, et se peuvent glorifier contre Satan, contre la mort, et contre toutes choses. Et pourquoy ? D'autant que rien ne les peut separer de ceste amour que Dieu leur porto, et qu'il leur a une fois monstree eu nostre Seigneur Iesus Christ. Voila donc comme il nous en faut faire, et ce que nous avons à retenir, comme il en sera traitté plus amplement, sur tout quand il sera exposé ci apres, que c'est des maux que Satan a brassé contre Iob, et comme il nous les faut prendre. Mais ie touche pour le present simplement ce qui est necessaire à ce passage.

Venons à ce qui est au texte, là où il est traitté de la droiture de Iob. Il est vray que desia nous avons declaré tout ceci: pourtant il seroit superflu de ramener les choses qui ont desia esté touchees es, il suffira que nous en facions un petit recueil, afin de reduire en memoire ce qui nous cet bien utile de savoir. Voici donc pourquoy derechef le sainct Esprit nous a declaré la vie de Iob, c'est afin qu'elle nous soit comme un patron pour noue y conformer. Voulons-nous donc renger nostre vie à Dieu, et à son service? que nous ayons en premier lieu ceste integrité de coeur, que nous ne soyons point doubles, et que nous ne servions point à Dieu en apparence seulement, des pieds et des mains et des yeux, mais que le coeur marche devant, et qu'il y ait une affection pure et simple pour nous adonner à Dieu, que nous soyons du tout siens, que nous haissions toute hypocrisie. Voila par quel bout il nous faut commencer, si nous voulons que nostre vie soit bien reglee, et que Dieu l'approuve. Or il faut que la droiture viene quant et quant de la crainte de Dieu, c'est à dire, que par dehors nous monstrions ce qui est caché la dedans: que s'il y a bonne racine, qu'il y ait quant et quant bons fruicts: que les oeuvres rendent tesmoignage que nous ne faisons point protestation en vain 'adorer Dieu, et de nous assuietir du tout à lui. Or cela consiste en deux choses, que nous ayons droiture, et equité avec nos prochains: Voila pour un Item. Et pois que nous ayons religion pour servir Dieu, rapportans le tout à luy. Et ceste droiture tond là, qu'un chacun ne se retire point à part, pour cercher son profit, mais que nous communiquions ensemble, comme Dieu nous a liez et unis en un corps, qu'un chacun regarde à servir à ses prochains, qu'il y ait ceste communauté fraternelle, et ceste equité de ne faire à autrui sinon ce que nous voulons qu'on nous face. Voila donc comme Dieu, esprouve quels nous sommes c'est assavoir, si nous conversons droitement avec les hommes sans nuire à nul, sans faire dommage, mais plustost taschans de faire service à tous. Or

SERMON IV

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il y a le principal, que nous rapportions le tout à. Dieu, sachans que nous sommes siens, et que c'est raison que nostre vie, et nostre mort luy soit offerte en sacrifice, que nous l'adorions, que nous luy facions hommage de ce qu'il nous a mis entre les mains, que nous protestions qu'il doit avoir toute superiorité sur nous, que Dar prieres et requestes nous confessions cela, que nous declarions que c'est de luy que nous tenons tout. Voila donc le tesmoignage qu'il nous faut rendre de nostre integrité qui est cachee dedans le coeur comme une racine sera cachee sous terre. Or cependant si est-ce que nous ne pouvons pas cheminer comme il faut selon Dieu, que nous ne nous retirions du mal. Cela est aussi bien attribué à Iob, et sous sa personne nous avons un advertissement, que iamais nous ne servirons à Dieu sans difficultez grades, que le diable suscitera beaucoup d'empeschemens: que si nous voulons tenir le droit chemin, il nous faudra sauter par dessus des fossez, il nous faudra eniamber par dessus des pierres, marcher entre les espines. Voila donc beaucoup de troubles qui nous seront mis au devant pour nous divertir que nous ne cheminions comme Dieu l'ordonne, mesmes pour nous desbaucher du tout. Mais quoy? apprenons de pratiquer ceste leçon, que Iob s'estant retiré du mal, a servi à Dieu. Ainsi donc quand nous verrons tout le monde estre corrompu, que nous serons comme entre les espines, que nous ne verrons que mauvais exemples, que nous resistions à tout cela. Pourquoy? Si nous sommes si lasches de prendre excuse, que d'autant que le monde est malin et pervers, nous pouvons bien ressembler aux autres cela est trop frivole. Car Voici Iob qui nous est proposé pour condannation, car si celuy là s'est retiré du mal, auiourd'hui ne devons nous point faire le semblable? Sur tout quand Dieu nous advertit que nous ne pouvons point vivre sainctement sans grands combats, sans grandes difficultez? Mais quoi? il nous fait la grace de surmonter tous les assauts que Satan nous dresse, tellement qu'il n'y a point d'excuse pour nous, si nous ne faisons comme Iob a fait: car il n'a pas vescu en un temps là où tout fust bien reglé, que les hommes fussent comme des Anges. Nenni , nenni: Iob a esté entre des Idolatres, il y a eu beaucoup d'iniquitez, qui ont regne de ce temps-là, il y avoit beaucoup de vices au monde aussi bien qu'auiourd'hui: mais si est-ce que Iob n'a pas hurlé avec les loups (comme on dit) il s'est recueilli à soi sachant bien qu'il avoit à servir à Dieu. Ainsi donc auiourd'hui n'allegons point la corruption de nostre temps, et que tout est perverti, mais plustost cognoissons que Dieu nous sollicite par ce moyen-là, à estre tant plus soigneux de nous destourner de ce qui nous pourroit infecter. Quand nous voyons les vices

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estre Comme un mauvais air, il faut fuir cela. Si on me dit qu'une viande est empoisonnee, ie n'aurai garde d'y toucher: si on me dit, qu'il y a danger en un lieu ie n'iray pas. Et pourquoy donc ne sommes - nous soigneux quand Dieu nous declare, que tous les vices qui regnent au monde, sont autant de pestes mortelles? Et puis que Dieu a fait ceste grace à Iob de se retirer ainsi du mal, ne doutons point qu'auiourd'hui il ne nous assiste en pareille vertu.

Or finalement, et pour conclusion il est dit, Que Satan a voulu despiter Dieu, disant, Que lob ne le servoit point pour neant, pource qu'il l'avoit tellement benit iusques à ce iour-là: qu'il prosperoit en toutes ses affaires. Ainsi donc (dit-il) si Iob est hypocrite, on ne sait: mais si tu le touches de ta main, tu verras alors. Or nous voyons ici comme ]le diable tasche de tous costez à nous abysmer, et quand il voit qu'il n'a rien gaigné par un point, il invente et machine une autre rase nouvelle. Car il a des cautelles infinies, qui se forgent en sa boutique: et d'autant plus nous faut - il estre sur nos gardes. Il est certain (comme nous avons dit) que la prosperité corrompt plus les hommes, que ne font pas toutes les afflictions du monde. Car les richesses sont volontiers accompagnees d'orgueil, de pompes, de mespris de Dieu, de cruauté, de fraudes, et toutes choses semblables: et puis elles apportent les delices, les voluptez, tellement que l'homme s'abbrutit du tout. Tant y a que Satan n'ayant peu rien gaigner sur Iob par ce moyen-là, se destourne à un autre costé, et demande qu'il soit tenté par afflictions. Or cependant cognoissons que si est-ce que Dieu sait bien ce qui est propre pour esprouver et nostre foy, et nostre obeissance, et ne faut point que le diable l'advise. Mais ceci nous est dit notamment' afin que nous sachions d'un costé, que si Dieu nous envoye povreté, qu'il nous afflige, c'est afin que nous pensions à nous, et que nous ne soyons point eslevez non plus en prosperité qu'en adversité, et puis que nous soyons instruits à le prier selon les necessitez qui nous pressent. Cependant notons aussi que le diable est tousiours apres nous pour nous ruiner, s'il peut: que quand nous luy serons eschappez d'un costé, il suscitera incontinent une autre tentation nouvelle. Brief ce qui est dit en un mot en Zacharie, nous est ici declaré plus an long, c'est assavoir que Satan est l'accusateur. et le contraire de tons enfans de Dieu, comme aussi il en est parlé en l'Apocalypse, qu'il est l'accusateur de nos freres. Et notamment ceste vision est donnee à Zacharie, que Satan estoit pour accuser Iosua le grand Sacrificateur comme chef de l'Eglise' comme figure de nostre Seigneur Iesus Christ, qu'il estoit là pour le calomnier devant Dieu. Et ainsi voyans que nous

IOB CHAP. I.

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avons une si forte partie, voyans que Satan tasche tant qu'il luy est possible, de nous ruiner encores que nous ayons esté fortifiez long temps par la main de Dieu, cognoissons que nous avons bon besoin que Iesus Christ soit nostre advocat, et qu'il nous maintiene par sa vertu à l'encontre de Satan, afin que par ses cautelles et astuces nous ne soyons iamais circonvenus. Voila donc de

quoi noue sommes admonestez en ce passage, afin de nous recommander à Dieu, luy demandans qu'il nous fortifie contre les tentations de Satan, tellement que nous n'en soyons iamais vaincus, quand le Seigneur noue aura confermez en la vertu invincible de son sainct Esprit.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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CINQUIEME SERMON

SUR LE I. CHAPITRE.

9. Satan dit au Seigneur, Iob craint-il le Seigneur pour neant? 10 luy as-tu pas esté rempar de tous costez? n'as-tu point muni sa maison, et tout ce qu'il a? Ne fais-tu point prosperer toutes ses affaires, sa possession n'est-elle pas de longue estendue? 11. Mais que tu estendes ta main sur luy, et que tu affliges ce qu'il a, voir s'il ne te maudira point en face? 12. Le Seigneur dit à Satan, ie te permets toutes les choses qu'il possede, mais que tu n'attouches point à sa personne. Et Satan sortit de la precence du Seigneur.

Combien que icy le diable face son office, c'est de pervertir tout bien, et qu'il accuse faussement lob, comme s'il estoit un hypocrite: neantmoins si est-ce qu'il descouvre le mal qui est volontiers aux hommes, et auquel nous sommes enclins de nature. Car comme il est fin et rusé, il sait bien de quel costé il nous faut assaillir. Notons donc qu'icy le diable monstre une maladie, de laquelle nous sommes tous entachez, iusques à tant que Dieu nous en ait gueris par sa grace, c'est qu'en temps de prosperité nous pourrons benir Dieu, mais s'il nous afflige, que nous changeons de propos, et alors commençons à murmurer contre lui et oublions tout ce que nous luy avions attribué de louange cependant qu'il nous traitoit selon nostre souhait. Et ainsi il y aura beaucoup d'hypocrites, qui ne seront point cognus ne descouverts sinon que Dieu les afflige. Car cependant qu'ils sont à leur aise, et en repos, ils ne monstreront

point la rebellion qui est en eux, elle sera cachee. Et voila pourquoy tant souvent l'Escriture nous monstre que Dieu esprouve les siens, il les examine

par afflictions, il les met comme un or en la fournaise, non seulement pour estre purgez, mais aussi pour estre cognus: car les afflictions servent à ces deux usages: c'est que Dieu mortifie les vices qui

sont en nous, quand il nous afflige, nous sommes domptés, il nous commande de nous retirer de ce monde, de n'estre plus adonnez à nos voluptez et delices charnelles. Mais il y a plus: c'est que tout ainsi qu'en la fournaise l'or est esprouve, pour savoir s'il y a de l'escume, aussi Dieu monstre quels nous sommes, quand il nous afflige: car les hommes mesmes ne se cognoissent point devant qu'avoir esté ainsi esprouvez: devant qu'avoir passé par l'estamine le, il nous semblera que nous craignons Dieu, qu'il n'y a que redire en nous, et cependant il y aura des vices, qui nous sont incognus. Dieu nous les monstre, il nous les fait sentir, quand il nous envoye quelque trouble, quelque fascherie, et alors nous sentons quelle est nostre infirmité. Or si Dieu fait servir les afflictions à ses fideles comme d'un miroer, auquel ils se contemplent, par plus forte raison il monstrera envers les autres que c'est d'eux, s'il y a en leur coeur foy et obeissance, ou s'ils sont hypocrites, ou qu'ils le servent en verité. Voila ce que nous avons à noter de ce passage: et de fait l'experience nous le monstre. Car nous en verrons beaucoup, quand Dieu leur envoye tout selon leur appetit, ils parleront doux comme sucre (ainsi qu'on dit), ce bon Dieu sera tant loué que merveilles, voire quand ils trouveront leur escuelle dressee, que rien ne leur defaudra, Ô il leur sera bien aisé de confesser que Dieu est bon. Mais s'il commence à les traiter rudement, que les choses ne vienent point à leur gré, ils se chagrignent: si Dieu poursuit, et qu'il les rudoye encores plus: alors ils se desbordent en murmures, voire et desgorgent des blasphemes à l'encontre de lui, et encores qu'ils ne les prononcent de bouche, si est-ce que leur coeur est plein de venin, tellement qu'ils rongent leur frain, et despitent Dieu de ce qu'il les traite autrement qu'ils ne voudroyent. Voila donc comme en temps de prosperité il y en aura

SERMON V

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beaucoup qui beniront Dieu, mais ce n'est qu'hypocrisie, dy mesmes de ceux qui ne le pensent pas faire, car ce sont les pires que ceux-la, qui se flattent tellement, qu'ils ne cognoissent point leurs vices. Puis qu'ainsi est, notons que Satan a icy regardé les maladies, desquelles les hommes sont entachez. Et ainsi noua voyons à quel ennemi nous avons à faire, il nous guette, et espie de tous costez pour voir par où il pourra avoir quelque entree pour nous navrer. Ainsi donc notons bien, que quand nous aurons loué Dieu, et que nous l'aurons servi en temps de prosperité, ce n'est pas le tout: mais qu'il nous faut apprester quand il plaira à Dieu de nous affliger et nous exercer en beaucoup de maux, et de miseres, que toutesfois nous soyons tenus en bride, que nous ayons ceste humilité là de nous assubiettir à luy, que nous soyons patiens et paisibles pour recevoir toutes se corrections. Si nous ne sommes venus iusques à ceste espreuve, c'est à dire, si nous ne sommes patiens quand Dieu nous afflige, tout le service que nous luy ferons ne sera pas grand chose. } est vray que Dieu acceptera bien les siens en temps de leur prosperité: mais tant y a qu'il nous faut regarder pourquoy il nous fait passer par ceste estamine d'afflictions. D'autant plus donc devons nous bien retenir ceste doctrine ici. Et au reste, quand il est dit ici que les hommes estans troublez d'afflictions, maudiront Dieu en face, vray est que cela ne se fera pas du premier coup, car encores il y aura quelque reverence de Dieu qui est imprimee en nous, que si nous endurons quelque fascherie, Bien, nous gronderons en secret, nous aurons des despits à la traverse, mais d'ouvrir la bouche pour blasphemer Dieu, encores cela nous sera en horreur. Si est-ce que quand nous aurons esté ainsi chagrins, et que le mal s'augmente, ou qu'il dure par trop, alors nostre impatience s'allume comme un feu, et nous commençons à desgorger ce qu'auparavant estoit encores serré en nos coeurs. Voila comme à la longue ceux qui sont affligez, maudiront Dieu en face, c'est à dire, qu'ils se desborderont outre mesure, qu'ils n'apprehenderont plus la maiesté de Dieu pour s'humilier sous icelle, ils ne cognoistront point quand ils lui seront rebelles, ils n'auront plus ceste apprehension de son iugement qui les, empeschoit de se desborder. Et ainsi nous avons bien occasion de prier Dieu, afin qu'il tiene nos langues bridees, comme nos coeurs, et que iamais il ne souffre que nous tombions en tel excez de le maudire ouvertement: mais plustost que l'issue de ses chastimens qu'il nous envoye soit si heureuse, qu'elle nous tourne à profit et salut, comme aussi son intention est telle, quand il nous afflige. Voila ce que nous avons à recueillir

de ce passage.

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Or cependant notons que Satan parle ici en verité, combien qu'il soit le pere de mensonge, quand il dit, que Dieu a esté comme un rempar à Iob, et qu'il a muni sa maison de tous costez, et qu'il l'a fait prosperer. Voila comme il se transfigure en Ange de lumiere, car aussi estant devant Dieu il faut bien qu'il desguise les choses: car là ii n'auroit point lieu d'user de telles tromperies, comme il en use envers les hommes pour les decevoir. Ainsi Satan prend des principes qui sont vrais, mais c'est pour les appliquer à mal: car il ne demande que la perdition de Iob. Or il dit, que Dieu luy a esté un rempar. Cognoissons donc, que si nous sommes maintenus en ce monde, il faut que Dieu y mette la main: car quelle est nostre vie, et a combien de povretez est elle subiette? Nous ne pourrions donc consister une minute de temps, si nous n'estions conservez par la grace Ri race de Dieu. Autant en est-il de tout ce que nous possedons qu'il faut que Dieu nous munisse. Et de fait qui est-ce qui parle ici? Satan, lequel luy mesme nous viendroit abysmer, et en nous, et en nos personnes, Si nous n'estions comme bien emmuraillez, que Dieu nous servist de rempar, comme aussi nous le verrons en la procedure du texte. Car si tost que Satan a son congé, nous voyons comme il racle tout le bien de Iob, et en quelle impetuosité il y va. Auparavant donc il falloit que Iob fust muni de la grace de Dieu, et qu'elle lui servist de rempar tout à l'environ. Or ceste doctrine nous est bien utile: car nous sommes admonnestez par cela de prier Dieu, veu qu'estans en ce monde, nous sommes comme en une forest pleine de brigands, qu'il luy plaise de nous garder. Et voila pourquoy aussi en l'Escriture ces titres ici luy sont attribuez, qu'il est nostre bouclier et escusson, il est muraille et fossé, et rempar, et bastillon, et tour, et forteresses. Pourquoy est-ce que l'escriture use de tant de mots pour signifier que vaut la protection de Dieu? et c'est afin que nous soyons enseignez, que sans luy nous peririons cent mille fois le iour, qu'il faut qu'il veille incessamment sur nostre salut. Voila donc comme i'ay dit, qu'il est besoin que les hommes cognoissent que leur vie n'est rien, qu'elle est tant fragile que rien plus, qu'elle est subiette à une infinité de morts, d'autant que par cela ils sont sollicitez de prier Dieu qu'il les reçoive en sa garde: et quand ils auront vescu un iour: il faut qu'ils cognoissent que Dieu les a maintenus, et qu'ils luy attribuent la louange du tout. Voila ce que nous avons à observer de ce passage. Or si Satan qui est ennemi de toute verité confesse que c'est Dieu qui est rempar aux hommes, et est contraint de parler ainsi, comme estant à la torture: puis que Dieu nous fait gouster sa vertu, et nous la fait sentir,

IOB CHAP. T.

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quelle ingratitude sera ce si nous en confessons moins que Satan, qui par ses mensonges ne demande sinon d'obscurcir, voire d'aneantir du tout la grace de Dieu, afin qu'elle ne soit point cogneu cogneuse? Ainsi donc nous voyons que ceux qui ne pensent point à ceste protection de Dieu, sont pires que le diable, et faut bien qu'ils soyent abrutis, voire ensorcelez du tout. Voila quant à ce mot.

Il est dit consequemment, Que Dieu a permis à Satan, de faire ce que bon luy sembleroit sur tous les biens de Iob, moyennant qu'il ne touchast point à sa personne. Ici de prime face on pourroit estre esbahi, comment Dieu permet ainsi Iob son serviteur, à l'appetit de Satan: faut-il que le diable ait ce credit envers Dieu, que quand il demandera licence de nous malfaire, Dieu luy ottroye? Et il semble qu'il luy favorise, il semble qu'il se iouë cependant de nous comme d'une pelotte. Mais notons que quand Dieu a permis ceci à Satan, ce n'a pas esté pour luy gratifier, il n'a point esté esmeu de faveur qu'il luy portast: mais Dieu avoit ordonné cela en son conseil: et il n'a point esté esmeu par la requeste de Satan, ni induit à souffrir que Iob fust ainsi affligé: il l'avoit desia ainsi decreté en son conseil, quand Satan n'eust sonné mot, qu'il n'eust point fait une telle demande, si est-ce que Dieu vouloit affliger son serviteur, et le vouloit pour iuste cause, laquelle il nous a manifestee. : mais quand elle nous seroit incognue, si faudroit-il baisser la teste, et dire, que Dieu est iuste et equitable en tout ce qu'il fait. Voila donc le premier article que nous avons à noter c'est assavoir que Dieu n'a point ici exaucé Satan comme s'il eust esté esmeu de ses requestes: mais de son bon gré, voulant affliger Iob, il a ottroyé à Satan, ce qu'il lui demandoit: ouy pour despiter Satan, et pour avoir un plus grand triomphe contre luy, en le rendant confus. Car Satan faisoit bien son conte que Iob maudiroit Dieu en face, c'est à dire, qu'il blasphemeroit à bouche ouverte quand il seroit ainsi battu rudement. Et pourquoy cela? car Satan regarde quels nous sommes, c'est assavoir, que nous sommes tantost escoulez comme eau, que toute nostre vertu n'est rien. Or cependant, il n'apprehende point la grace de Dieu, combien elle est forte et invincible en nous: il est vray qu'il la sent, et l'experimente maugré qu'il en ait, mais cependant si est ce qu'il ne la cognoist point. Et voila comme il est abusé: voila sur quoy il fait son conte, que quand il pourra avoir son congé de nous tourmenter, nous serons bien tost vaincus, nous serons incontinent engloutis de tristesse, et que estans desesperez, nous blasphemerons Dieu. Voila ce que Satan espere, et ce qu'il pretend. Voire: mais Dieu luy resiste, et se moque de ce qu'il avoit ainsi esperé, car il met

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là au devant la grace de son saint Esprit, et Satan demeure confus voyant qu'il n'a peu venir au bout de ce qu'il vouloit attenter contre les serviteurs de Dieu, que le tout est venu au rebours, et à l'opposite de son intention. Ainsi donc Dieu cognoissant quelle seroit l'issue des afflictions de Iob, avoit determiné en son conseil de l'affliger, voire n'estant point incité à cela par Satan. Et pourquoy donc est-ce que l''Escriture saincte nous dit icy, que cela s'est fait à la requeste de Satan? Or c'est pour deux raisons. Premierement, afin que quand nous serons battus des verges de Dieu, nous sachions que Satan sollicite cela, ouy pour nous mettre en desespoir. Et c'est ce que sainct Paul nous remonstre au passage qui a esté allegué ces iours passez, que nous avons la guerre contre les puissances spirituelles, et non point contre la chair et le sang. Si tost donc qu'il nous adviendra quelque mal, sachons que Satan nous l'a machiné, à fin de luy resister par foy, et que nous soyons munis et armez de la puissance de Dieu, et cognoissans que Satan a une si grande puissance en nous, que nous recourions au refuge à celuy qui nous peut fortifier. Voila donc à quoy l'Escriture regarde.

Et puis pour le second, elle nous veut aussi monstrer la bonté paternelle de Dieu envers nous, entant qu'il nous supporte comme ses enfans, et qu'il ne donne point telle licence sur nous, que nostre ennemi desireroit bien, et mesme qu'il ne prendroit point plaisir à nous affliger, n'estoit qu'il cognust que cela fust propre pour nostre salut. Vray est qu'il nous faut avoir cela pour resolu, quand nous ne cognoissons point pourquoy Dieu nous afflige, que nous le confessions tousiours estre iuste: mais cependant si faut-il encores que nous ayons ceste doctrine imprimee en nos coeurs, c'est à savoir que Dieu nous aime si tendrement, qu'il ne demande sinon à nous reduire, il nous espargne, il nous tient comme en son giron: car voila comme l'Escriture en parle. Maintenant donc quand nous voyons que Satan vient allumer le feu, et qu'il demande à Dieu que Iob soit persecute, notons que l'Escriture nous monstre que Dieu ne nous traite point si rudement sans cause, que ce n'est point à la poursuite de nostre ennemi, d'autant qu'il ne demanderoit sinon de nous tenir à repos, et à nostre aise, s'il nous estoit expedient: mais pource qu'il est bon que nous soyons ainsi exercez par afflictions, voire par les mains de Satan. Et bien, Dieu luy permet, d'autant qu'il cognoist qu'il est bon et profitable pour nous. Voila (di-ie) ce que nous avons à noter. Or qu'ainsi soit, prenons un exemple divers. Au premier livre des Rois dernier chapitre, il est parlé aussi bien comme Dieu a tenu ses assises, il y a une telle description comme elle

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est icy, que le Prophete a veu Dieu, qui estoit assis sur son throsne, et que là il demandoit, Qui est-ce qui me seduira Achab? Satan n'anticipe point la, il ne vient point dire, Si tu me donnois congé pour decevoir Achab, ie ferois tout ce que tu voudrois, mais Dieu commence: Oh trouveray-ie (dit-il) un esprit de mensonge, qui aille decevoir Achab? car ie veux qu'il soit abysmé iusques au profond des enfers. Or pourquoy est-ce que Dieu parle ainsi? d'autant qu'il est question d'executer une iuste vengeance contre un hypocrite, un contempteur plein de cruauté, un ennemi mortel de tout bien. Voila Achab, qui a perverti tout le service de Dieu, il a tout pollué avec ses idoles: cependant il est plein de rebellion et de malice contre les Prophetes, il ne veut prester l'oreille à nulle admonition. Quand il est ainsi endurci en ses vices, tellement qu'on ne gaigne rien à le vouloir retirer au' droit chemin, quand Dieu a tout essayé, et qu'il voit que c'est un homme perdu, alors il tient ses assises, et demande, Qui est-ce qui seduira Achab? Car Dieu veut faire là office de iuge. Nous voyons donc que quand Dieu veut punir les meschans, et executer son ire à l'encontre, selon qu'ils en sont dignes, il n'attend pas d'estre sollicité par Satan, mais il anticipe. En ce passage quand il est question d'affliger Iob, c'est à dire, que Dieu traite rudement l'un de ses enfans, il faut que cela vienne à la poursuite de l'ennemi. Voila la diversité que nous monstre la raison pourquoy la requeste est ottroyee à Satan en ce passage. Ainsi donc notons bien que l'Escriture en toutes sortes nous veut tousiours instruire à glorifier Dieu, et que cognoissans sa bonté envers nous, nous prenions occasion de le magnifier: et cependant que nous apprehendions que sa vengeance est iuste contre tous les meschans, et que s'il IOB punit, il fait son office, à fin qu'il soit craint, et redouté, et honoré de tout le monde, voila ce que nous avons à retenir.

Or cependant on pourroit encores trouver estrange, comme Dieu se sert ainsi de Satan: mais nous avons desia dit, que nous serions bien tost escoulez, si nous n'avions cest article bien conclu en nous, que IOB diables sont sous la conduitte de Dieu, tellement qu'ils ne peuvent rien faire sans son congé. Mais il y a encoures plus, c'est à savoir, que les diables sont comme bourreaux pour executer les iugemens de Dieu, et les punitions qu'il veut faire sur les meschans: ils sont aussi comme verges, par lesquelles Dieu chastie ses enfans. Brief, il faut que le diable soit instrument de l'ire de Dieu, et qu'il execute sa volonté, non pas qu'il le face (comme nous avons dit) de son bon gré, mais d'autant que Dieu a l'empire souverain sur toutes ses creatures, et qu'il faut qu'il les plie, et les tourne là où bon luy semble. Mais il

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y a icy une grande diversité, que nous avons à noter, car quand Dieu a permis à Satan d'affliger Iob, il luy a dit, Voici tu pourras foudroyer sur toute sa substance: mais que tu n'attouches point à sa personne. Et encores apres qu'il a ruiné tout son bien, il dit, Tu pourras toucher sa personne, mais tu n'approcheras point de son ame. En cela encores voyons nous que Dieu reserve tousiours l'ame de Iob, tellement que Satan ne peut sinon le tourmenter en ses biens, et en sa vie mortelle, et en son honneur: car il n'a point ceste vertu d'entrer iusques en l'ame, afin de seduire Iob, et de le faire desborder à impatience. Cecy sera mieux entendu par la similitude contraire. Quand Dieu permet à Satan d executer son ire sur les incredules, il ne luy permet pas seulement de les affliger en leurs biens, de les affliger de maladies, ou en quelque autre façon, mais il va plus outre, c'est qu'il luy donne vertu d'erreur, et de pouvoir tromper, comme desia nous avons allegué l'exemple d'Achab. Voila Dieu qui dit, Qui me seduira Achab? Et Satan dit, ie seray esprit de mensonge en la bouche de ses Prophetes. Nous voyons donc la une licence qui est beaucoup plus grande quen'est pas ceste cy: car il n'est pas question seulement qu'Achab soit trompé de quelque moyen exterieur: mais voila les Prophetes qui le trompent sous ombre de verité. Et c'est-ce que S. Paul exprime (2. The. 2, 10), que quand les hommes ne veulent point obeir à Dieu, et à sa verité, et qu'ils ne s'y veulent point renger, sur tout quand Dieu leur a fait la grace de se manifester à eux et leur monstrer le chemin de salut, s'ils sont si malheureux de reietter une telle grace de Dieu, et de la refuser, alors voila Dieu qui leur envoye des faux Prophetes, et seducteurs, qui non seulement pervertiront toute bonne doctrine, mais aussi seront creus: car il leur donnera efficace d'erreur. Il faut bien poiser ce mot-la, comme aussi il emporte beaucoup. Car qu'est-ce à dire, efficace d'erreur? C'est quand Dieu retire sa clarté de nous, que nous avons les esprits esblouis, nous sommes stupides tellement que nous ne discernerons non plus que les bestes brutes: encores que la fosse soit toute patente devant nous, nous trebuscherons là sans y voir goutte. Et pourquoy ? Pource qu'il n'y a plus d'advis, ni de prudence en nous, d'autant que Dieu a donné la puissance a Satan de nous tromper et seduire, voire de nous aveugler du tout, et de nous ensorceler, tellement que nous ne sachions nous tourner ne çà ne là, que nous ne tombions en quelque tromperie nouvelle. Voila (di-ie) comme Dieu besongne envers tous incredules et reprouvez, c'est qu'il donne efficace d'erreur à Satan, tellement qu'il les peut tromper sans qu'ils s'en apperçoyvent. Or il n'en fait pas ainsi envers les siens quand il

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les afflige: car combien que Satan les assaille si est-ce toutesfois que tousiours ils sont preservez et ont dequoy repousser ses tentations: car Dieu les a armez de sa vertu, tellement que Satan ne peut sinon ce qui luy est permis: et Dieu luy met la barreau devant, en sorte que de quelque furie qu'il y procede, si est ce qu'il est tenu court, qu'il ne peut sinon ce que porte le bon plaisir de Dieu. Voila ce que nous avons à noter: et cependant nous avons à observer aussi que c'est des iugemens de Dieu, tels qu'il les exerce et sur les bons et sur les mauvais. Il est vray que si nous vouions sayvre nostre opinion, nous pourrons nous esmerveiller comment cela se fait, que Dieu donne telle autorité, et telle vogue à Satan de nous pouvoir seduire. Cela donc nous semblera bien estrange à nostre fantasie. Mais quoy? il nous faut humilier, voyant que l'Escriture en parle ainsi' et attendre le iour que nous concevions mieux les secrets de Dieu, lesquels nous sont auiourd'huy incomprehensibles, et que pourtant il faut que nous apprenions à les magnifier, que noua adorions les iugemens de Dieu, qu'ils nous soyent admirables, iusques à ce qu'ils nous soyent mieux cognus. Car nous avons une trop petite mesure pour les cognoistre maintenant du tout. Il faut donc que nous cheminions en humilité, cognoissans en partie, iusques à ce que nous ayons plenitude de revelation au dernier iour: mais quoy qu'il en soit, si ne faut-il point que nous ignorions ce que l'Escriture nous monstre, c'est à savoir, que Dieu se sert tellement de Satan, qu'il est tousiours prest de seduire les hommes quand ils l'ont merité, et sur tout quand ils refusent d'obeir à la verité, qu'il faut qu'ils soyent transportez en mensonge.

Quant est des fideles, Dieu les permettra bien aussi quelque fois à Satan, tellement qu'ils seront seduits, comme en la fin Iob n'a pas esté exempt de ce mal là: et nous voyons aussi ce qui est dit en l'histoire saincte de David: car quand il a nombré le peuple d'où est-ce que cela est avenu? Ie texte porte que c'est le diable qui a suscité tout ce mal, quand David a ainsi nombre le peuple de Dieu. David donc estant du nombre des enfans' de Dieu, ne laisse pas d'estre quelquefois mis en la puissance de Satan pour estre trompé. Or Quand nous voyons cela' nous avons bien matiere de prier Dieu, et nous venir rendre sous l'ombre de ses ailes, et nous tenir là cachez: car si une telle chose est advenue a David, que sera-ce de nous ? Cependant notons aussi que quand Dieu permet une telle vogue à Satan sur ses fideles ce n'est que pour peu de temps. Et voila pourquoy il est dit, que sa vertu est sur les incredules, et sur tous rebelles: ce n'est point sans cause que S. Paul (Ephes. 2, 2) met ceste distinction là: il opere

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(dit-il) maintenant en tous incredules, il met le regne de Satan en ceux qui sont separez d'avec Dieu, et qui sont retranchez de son Eglise. Et pourquoy ? Car voila ses limites, mais quand il peut navrer les enfans de Dieu, nostre Seigneur permet cela pour les humilier, afin que quand ils seront tourmentez ainsi durement, et que cependant ils resistent aux assauts qui leur sont livrez, ils cognoissent que cela n'est point d'eux: mais qu'ils sont soustenus d'ailleurs, c'est assavoir, de la grace de Dieu, et de la vertu de son S. Esprit. Ainsi donc ordinairement quand Dieu permet à Satan de tenter ses fideles, c'est pour leur faire servir le tout comme de medecine. Et en ceci voyons nous une bonté merveilleuse de Dieu qu'il convertit le mal en bien: car qu'est-ce que peut apporter Satan sinon tout venin, et poison? car nous savons qu'il n'a que mort en luy: car il en est appellé le prince. Ainsi donc tout ce que Satan pourra produire tend à la ruine des hommes, et pour les abismer. Or cependant Dieu trouvera le moyen, que le mal qui est en Satan nous sera converti à salut. Et voyla comme S. Paul a esté medeciné, comme il le confesse, apres avoir parlé des revelations si hautes, qu'elles luy estoyent donnees. Dieu (dit-il) a prouveu que ie ne m'eslevasse point par trop (2. Cor. 12, 8). Voila une bonne provision' et bien utile pour S. Paul, car nous savons que l'orgueil est pour nous precipiter aux abysmes, qu'il n'y a rien qui irrite plus Dieu: car il faut qu'il se declare tousiours ennemi des orgueilleux, et de ceux qui presument en façon que ce soit de leur vertu. Or S. Paul estoit en ce danger-la, si Dieu n'y eust remedié. Et la façon quelle est-elle? c'est (dit-il) qu'il m'a envoyé le messager de Satan qui m'a souffleté. Voila Satan qui besongne en S. Paul, voire par la permission de Dieu. Et l'issue quelle est-elle? Il est vray que Satan cuidoit abismer S. Paul, que son intention estoit bien de le desbaucher, afin qu'il quittast le service de Dieu, et qu'estant fasché des troubles et miseres qu'il enduroit incessammet, il se retirast un peu de la Chrestienté: voila que Satan pensoit. Mais quoy ? Dieu regarde à une autre fin, c'est qu'il veut tenir en bride son serviteur, afin qu'il ne s'oublie point, qu'il ne s'esleve point par trop. Et pour ceste cause il est souffleté: car il use de ceste similitude-la notamment, que Dieu ne l'exerce pas comme un gendarme en un camp de bataille, pour luy donner une victoire glorieuse: mais il le soufflette avec ignominie et opprobre, Et faut que le sainct Apostre estant doué de dons si excellents de l'Esprit de Dieu soit là subiet à Satan, qu'il luy crache au visage, qu'il luy face beaucoup d'ignominies. Nous voyons donc comme Dieu, convertit le mal en bien, quand il nous fait servir tous les aiguillons de Satan à medecine, et que par ce

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moyen-la il nous purge des vices qui sont cachez en nous. Et ainsi nous avons à louer Dieu en tout et par tout, voire combien que de prime face ses iugemens nous soyent trop rudes à nostre phantasie, et que nous ne les puissions pas concevoir selon nostre sens charnel. Quand donc nous avons bien tout consideré, nous aurons tousiours dequoy magnifier Dieu. Voila quant à ce passage, ou il est dit, Que Dieu a donné congé à Satan d'affliger Iob: voire, mais qu'il luy a defendu de ne point toucher à sa personne. En somme nous avons à noter, que quand Dieu permet que nous soyons ainsi assallis de Satan, qu'il nous face des assauts beaucoup et bien rudes, toutesfois il y va par mesure, il cognoist nostre portee, et ce qui nous est expedient.

Or pour la fin il est dit, Que Satan est sorti de la presence du Seigneur. Non pas que Satan ait fait ce que bon luy a semblé, comme si Dieu ne l'eust plus veu: mais c'est pour signifier quelle est la fureur de Satan, quelle est sa façon accoustumee, c'est assavoir, qu'il a fait du pis qu'il a peu, sans regarder qu'il estoit subiet à Dieu: qu'il a usé de sa rebellion, et qu'il a foudroyé sur les biens de Iob, Combien qu'il y a encores une autre chose signifie en ce mot, c'est assavoir, que Satan a monstré par effect ce congé qu'il avoit obtenu. Car nous avons dit, qu'ici ce conseil estroit de Dieu, et qui n'estoit point cognu des hommes, nous a esté declaré. Car cependant l'Escriture aussi parle des choses qui nous sont patentes, comme tantost apres Iob a esté despouillé de toute sa substance: comme ses enfans luy sont morts, comme il a esté affligé en sa personne, cela a esté notoire à tous. Mais tous n'ont point cognu ce qui a esté recité par ci devant, c'est assavoir, que Dieu avoit tenu ses assises, et que tout estoit disposé par son conseil, et que rien n'estoit advenu sans sa providence. Ceux qui ont eu les yeux de foy pour comprendre cela, l'ont entendu: les autres ont apperceu seulement les choses qui se faisoyent. Et voila pourquoy il est maintenant dit, Quo Satan est sorti de

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la presence du Seigneur. Car l'Escriture saincte discerne entre les choses exterieures qui se font, et le conseil de Dieu, qui ne se cognoist point sinon des fideles, qui s'eslevent par dessus toute leur raison, et tous leurs sens naturels. Car nous ne parviendrons iamais à la cognoissance de la maiesté de Dieu, si ce n'est que nous soyons eslevez par dessus toutes nos facultez. Or maintenant l'Escriture retourne à l'histoire, quand elle dit, Que Satan est sorti de la presence du Seigneur, c'est à dire qu'on a cognu visiblement, et d'une façon patente comme il a affligé Iob. Voila ce qui y est. Et au reste, cela est tousiours pour exprimer le naturel de Satan, c'est qu'avec une rage desbordee il iette fleu et flamme, Gomme s'il vouloit tout abysmer: brief, que c'est son office de tenter, comme il est dit aussi, quand il est parlé, que Iesus Christ a esté tenté, Voici celuy qui tente. Ce mot-la et titre est attribué notamment a Satan. Pourquoy? afin que nous sachions qu'il ne demande sinon de ruiner tout, sinon de mettre le goure humain on confusion. Et voila pourquoy il n'est point oisif, qu'il circuit, qu'il tracasse pour nous mener a perdition avec luy: cependant il ne demande sinon d'estre exempt de l'obeissance de Dieu, et de pervertir tout. Quand nous cognoissons cela, nous devons estre tant plus incitez à prier nostre Dieu, qu'il nous reçoive entre ses mains, et en sa garde, car quand il nous y aura receus, nous serons à sauveté contre tous les troubles que Satan nous machinera. Mais si Dieu s'est une fois eslongné de nous, qu'il nous ait seulement lasché la main, nous serons incontinent vaincus de Satan. Voila donc comme nous sommes instruits d'un costé à nous humilier, cheminer en crainte et solicitude, d'autre costé à invoquer Dieu, sachans que quand nous serons secourus de luy, rien ne nous defaudra: voire encores qu'avec grandes difficultez il nous faille batailler, que neantmoins nous soyons asseurez de la victoire qu'il a promise à tous les siens.

Or nous nous prosternerons devant la maiesté de nostre Dieu etc..

IOB CHAP. I.

SIXIEME SERMON

SUR LE I. CHAPITRE.

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13. Un iour que ses fils et les filles mangeoyent, et beuvoyent du vin en la maison de leur frere ai né, 14. Un messager vint à Iob disant, Les boeufs la

labouroyent, et tes asnesses paissoyent aupres. 15. Et voici les Sabéens qui se sont ruez dessus, et les ont prins, et ont tué les serviteurs au trenchant de l'espee, et ie suis eschappé seul pour t'annoncer ceci. 16. Et comme celuy-la parloit, en voici un autre qui dit, Le feu de Dieu est descendu du ciel, et a bruslé les moutons, et les serviteurs, et ie suis seul eschappé pour le t'annoncer. 17. Et comme celuy-la parloit encores, voici un autre disant, Les Chaldéens ont ordonné trois bandes, et se sont ruez sur les chameaux, et les ont prins, et ont frappé aussi les serviteurs au trenchant de l'espee, mais ie suis seul eschappé pour le te venir reveler. 18. Comme celuy parloit, voici un autre disant, Tes fils et tes filles mangeoyent et beuvoyent du vin en la maison de leur frere aisé, 19. Voici un vent impetueux du costé du desert qui s'est rué contre la maison, et a frappé les quatre coings d'icelle, et est tombes sur les ieunes gens, et sont morts, et ie suis eschappé seul pour le t'annoncer.

Il est dit (Pseau. 34, 8) que les Anges de Dieu feront leur camp tout à l'entour des fideles: et Geste histoire nous monstre, combien il nous est mestier d'estre ainsi environnez et munis. Car nous voyons quelle est la rage de Satan contre tous ceux qui craignent Dieu. Si nous regardons bien quelle est la condition de nostre vie, nous trouverons, que nous sommes subiets à cent mille especes de morts, et ne saurions marcher un pas,

que nous n'en soyons navrez: et nous savons bien dire que ce n'est rien que de l'homme voyant la fragilité qui est en luy. Mais cependant nous ne regardons pas assez quelle est la malice de Satan lequel nous espie lequel machine tout ce qu'il peut contre nous, afin de nous mettre en desespoir. Tant y a qu'ici nostre Seigneur nous a voulu advertir quel besoin nous avons d'estre gardez par ses Anges, lesquels bataillent contre tons les assauts de Satan qui sont dressez contre nous. Car tout ainsi que Satan est nostre adverse partie, aussi Dieu employe ses Anges pour nous maintenir, et veut qu'ils soyent ministres de nostre salut. Or peur mieux cognoistre ce que i'ay touché, notons en premier lieu, que Iob est ici affligé en diverses sortes, c'est assavoir, en tout son bien et en ses enfans. Satan estoit tenu bridé qu'il ne pouvoit rien attenter sur sa personne, ains seulement sur ses biens: il monstre bien que Dieu les luy a

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abandonnez, et puis ses propres enfans en respondent, qui luy sont aussi chers que sa vie. Il y a encores un autre poinct, c'est qu'il ne perd pas son bien d'une façon, ni ses enfans aussi: mais le diable a ceste ruse de luy envoyer des tentations diverses: car il luy suscite des ennemis d'un costé, il se sert d'autre part de la foudre du ciel, et des tourbillons de l'air. Voila donc comme ce serviteur de Dieu est tourmenté en diverses sortes: et cela pouvoit luy augmenter sa tristesse, et le troubler encores plus, pensant, Comment? non seulement les hommes me sont contraires, mais j'ay Dieu qui bataille contré moy. Voila quelle est l'astuce de Satan. Or il est vray que ceci nous semblera estrange du premier coup: et voila pourquoy il y en a qui cuident que Dieu nous ait ici proposé quelque similitude de patience, et que ce ne soit pas histoire, mais telles gens ne cognoissent pas que Dieu besongne envers ses serviteurs selon la mesure de foy qu'il leur a distribuee. Comme quoy? nous ne serons pas tentez tous egalement: car aussi Dieu ne nous a point fortifiez tous comme il seroit bien requis: il y en a qui sont debiles, et Dieu les supporte: et s'il les afflige, c'est pour les humilier, afin qu'ils soyent tant plus sur leurs gardes: et qu'ils l'invoquent plus soigneusement: les autres sont beaucoup plus robustes et puissans. Et pourquoy? Pource que Dieu leur a espandu de son Esprit en plus grande abondance. Or (comme i'ay desia dit) selon que Dieu nous distribue de la force qui est en luy, il nous exerce, il veut aussi que nostre foy soit esprouvee, cognoissant que cela ne nous est pas inutile, mais il sait pourquoy il le fait. Il n'est pas tenu de nous donner une seule goutte de vertu, il nous pourroit laisser en nos infirmitez, pour faire qu'à chacune minute de temps nous serions accablez et opprimez du tout: car nous n'avons nul moyen de resistance en nous, mais tant y a que Dieu nous fortifie par sa grace: toutesfois (comme i'ay dit) ce n'est pas d'une pareille façon: car les uns demeurent infirmes et les autres ont une plus grande vertu beaucoup. Et voila pourquoy les saincts personnages qui ont esté douez de graces excellentes ont aussi esté tourmentez beaucoup plus en leur vie. Qui est celuy de nous qui soit assailli si rudement comme a esté Abraham, et qui ait une vie si miserable, que iamais ne soit en repos? Car voila Dieu qui luy commande de sortir du pays de sa naissance, et quand il l'a delaissé, il demeure là à languir au milieu du chemin, iusqu'à ce que son pere

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soit trespassé. En la fin il entre en ceste terre-la voire ne sachant de quel costé il se doit tourner car Dieu ne daigne pas luy dire, quel est le pays où il l'appelle, mais il le tient là comme le bec eu l'eau. Est-il là venu? on le tourmente, on le fasche, il n'y a qu'inquietude et puis quand les hommes l'ont bien fasché, la famine le persecute, qu'il faut qu'il se retire, sa femme luy est là ravie. Et puis quand il retourne, c'est à recommencer: et pour la seconde fois il faut qu'il aille cercher pasture ailleurs: et cependant Dieu luy dit, Ne te chaille, ie te donneray ceste terre, tu en seras seigneur et maistre: ouy, mais il n'en voit rien. Cependant il n'a point de lieu pour se loger, et toutesfois Dieu luy promet de le faire heritier du monde. Et puis, quand il semble qu'il doive avoir lignee, il n'en a point: et toutesfois voila où il falloit que fust son salut: mais il est vieil et caduque, et cependant Dieu luy dit, tu n'auras point de salut, si tu n'as lignee: et comment ? le voila desia en tel aage, qu'il n'en pouvoit pas attendre. Et bien Dieu luy a-il donné Ismael? il faut qu'il soit banni et retranché de la maison. Et puis en la fin quand il a Isaac selon la promesse, Dieu luy arrache son propre enfant, et luy dit, Va le tuer. C'est encores plus que ce que nous oyons de Iob: car si un pere oit que ses enfans soyent accablez de la foudre, ou bien qu'on les ait meurtris, il est vray que cela luy est bien aigre, et dur à porter: mais qu'il aille tuer son enfant de sa propre main, c'est une chose par trop extreme. Et il faut qu'Abraham en viene là. Et puis quand Dieu luy a rendu son fils, comme s'il l'eust ressuscité de la mort, il luy monstre quelle est la promesse qu'il luy avoit donnee, Ie t'avoye dit iusques à maintenant, que tu serois heritier de ceste terre: or tant s'en faut que tu en iouysses que tu entres en possession ta vie durant, qu'il faudra que tes successeurs en soyent dechassez qu'ils soyent en pays estrange sous une tyrannie fort cruelle par l'espace de quatre cens ans. Nous voyons que Dieu a exercé son serviteur Abraham d'une façon estrange, et non accoustumee entre les hommes. Pourquoy? car aussi l'avoit il fortifié par son sainct Esprit, et pourtant il luy a donné de grands assauts et bien rudes. Voila donc comme Dieu besongne en ceux qui sont les plus excellens, afin qu'ils nous soyent comme miroirs et exemples pour les ensuyvre. Et de fait on ne fera point de tels ouvrages en une petite boutique comme en une grande, là où il y aura matiere et multitude d'ouvriers, que tout sera bien equippé, et en ordre: et s'il y a une petite boutique, on n'y pourra pas faire grand' besongne. Ainsi Dieu en use-il.

Voila donc comme il a fallu que Iob nous ait esté constitue comme un patron, et que Dieu l'ait

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affligé iusques au bout, afin que quand nous ferons comparaison de nous avec luy, chacun ait honte, veu qu'il ne peut souffrir quelque affliction ou legere, ou moyenne: car nous sommes si delicats que c'est pitié. Si Dieu nous envoye quelque adversité il n'est point question de regarder en quoy il nous espargne, mais nous sentons nostre mal, et ne voulons point estre consolez en apprehendant la bonté de Dieu en ce qu'il nous supporte. Comme quoy? Un homme sera malade, il conçoit une telle apprehension de son mal, qu'il ne pense à autre chose, et ne regarde point, Dieu me donne ici des moyens beaucoup pour me soulager, ie suis secouru en mon mal, on a souci de moy, ie suis servi (comme l'un aura sa femme, l'autre ses enfans, l'autre ses serviteurs, qui luy assisteront) ie voy donc que Dieu encores ne m'afflige pas outre mesure: il aura (di-ie) les remedes, qui luy seront tout appreste ;, il aura du bien, ou il sera subvenu d'autruy. Or il n'est point question que nous pensions à tout cela, mais le mal nous occupe en telle sorte que nous sommes là pour ronger nostre frein, pour nous tourmenter et fascher, voire et nous despiter à l'encontre de Dieu. Et c'est une ingratitude trop vilaine que celle-la: car nous devons tousiours penser quand un mal nous tourmente' helas! si ce bon Dieu n'avoit pitié de moy, que seroit-ce ? Ie n'endureroye point seulement ce mal-ci, mais i'en ay merité de plus grans, et Dieu trouveroit bien le moyen de m'affliger d'avantage: car il est dit, qu'il a ses verges cachees en ses coffres, et quand il luy plairoit les desployer contre nous, nous sentirions bien d'autres coups. Si nous pensions à telles choses, il est certain qu'au milieu ides plus grandes fascheries et molestes que nous puissions avoir en ce monde, nous serions consolez, nous sentirions quelque soulagement en nos maux: mais nous n'en faisons rien: tant y a que ceste doctrine n'est pas escrite en vain. Ainsi donc notons, que Dieu en la personne de Iob nous a voulu donner un miroir, auquel nous contemplions' que "si nous sommes affligez, il ne faut point que nous facions nos maux si grans, que nous soyons si delicats pour dire, Ie ne puis avoir pis. Gardons nous bien de despiter Dieu en telle sorte, comme font beaucoup d'inconsiderez, mais que ceci nous viene en memoire: il est vray que mon mal m'est {fort pesant, mais c'est pource que ie suis trop delicat. Et où est-ce que i'en seroye donc, si mon Dieu ne me tendoit la main? car il ne seroit point question que i'eusse ceste affliction ici seulement: il en a bien d'autres et de plus grandes, et de plus excessives. Dieu sait le moyen qu'il doit tenir en m'affligeant, que s'il luy plaisoit il me pourroit mettre en des abysmes si profonds que ie seroye là comme iusques aux enfers. Il faut donc que

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maintenant ie regarde à sa bonté, et que ie le remercie de ce qu'il a pitié de moy, et qu'il m'espargne. Et qu'ainsi soit, voila Iob qui estoit homme comme moy, et sembloit bien qu'il fust muni iusques au bout, et ie voy comme Dieu l'a affligé, non point seulement en, une espece, mais en plusieurs façons. Ainsi donc quand ie me seray mis en une balance avec luy, c'est bien raison que ie soye patient, et que ie m'humilie sous la main forte de mon Dieu, que ie me renge à sa bonne volonté, demandant qu'il me gouverne, et qu'il dispose de moy comme de sa creature, qui est en sa main. Quand nous en ferons ainsi, nous sentirons que Dieu est tousiours prest de secourir à ceux qui ont fiance en luy, et qui s'y reposent.

Or combien que nous voyons en Iob une vertu admirable, si est-ce qu'il estoit homme fragile comme nous. Et qu'ainsi soit, comment eust-il ainsi esté fortifie, sinon que Dieu y eust mis la main? Et auiourd'huy ceste vertu de laquelle il a usé envers Iob, est-elle amoindrie ? Dieu a-il changé ou de propos, ou de nature? nenni. Ainsi donc quand nous voyons que Dieu a fortifié Iob, venons aux promesses qui ne sont pas pour un homme seul, mais appartiennent à tous. Voila Dieu qui declare, que si nous sommes estonnez de la foiblesse de nostre chair, quand nous aurons nostre refuge à luy, il a dequoy y remedier: si nous sommes abbatus, qu'il a dequoy nous fortifier, voire encores que nous soyons autrement destituez de tout. Quand donc le remede nous est ainsi presenté de Dieu, pour secourir à toutes nos foiblesses, ne doutons point, tout ainsi qu'il a soustenu son serviteur Iob, qu'il ne besongne aussi bien auiourd'huy en nous: car il ne veut sinon seeller les promesses qui sont communes à tous, et en la personne d'un homme il nous en donne là le tesmoignage et l'experience, afin que nous ne doutions pas que ce qu'il a dit, il le fera. N'allegons point donc ceste excuse, Et voire ie suis homme. Et Iob n'estoit-il pas homme? Abraham n'estoit-il pas homme? David aussi bien? Et comment est-ce qu'ils ont resisté aux tentations? O voire: mais ils ont este aidez. Et Dieu n'est-il pas auiourd'huy semblable à soy, a-il changé depuis ce temps-la? A-il voulu aider seulement a trois on a quatre ? Quand il a dit, Ie seray vostre forteresse et rempar, ie vous assisteray en toutes vos necessitez, a-il seulement parlé à Iob, à Abraham, et à David? n'a-il point parlé à toute son Eglise? Ainsi donc, si nous ne voulons accuser Dieu de mensonge, il nous faut conclurre hardiment, que tout ainsi que Iob a esté assisté de Dieu, aussi bien le serons nous. Hais quoy? quand nous sommes destituez de la grace de l'Esprit de Dieu, cela procede de nostre malice, et que nous n'estimons pas le bien

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qu'il est prest de nous faire, quand il nous fait ses promesses: combien qu'il viene au devant de nous, et qu'il ne cerche sinon à desployer sa vertu pour nous maintenir, toutesfois nous luy fermons la porte. Et ainsi, cognoissons bien à quelle intention ceste histoire nous est escrite, c'est (comme i'ay desia dit) à ce que nous cognoissions comme Dieu afflige les siens: et d'autre costé, que nous sachions qu'il n'oublie pas de leur donner secours au besoin, que selon que la necessité est grande, aussi le remede est tousiours appresté en temps opportun. Et au reste, nous avons ici un beau tesmoignage, que les afflictions ne sont pas tousiours signes que Dieu nous haysse. Et si nous n'avons cela, il est impossible que nous soyons patiens en nos adversitez: car ce n'est point sans cause que S. Paul dit au 15. des Romains (v. 4), qu'il nous faut avoir consolation avec patience. Si un homme ne se console en Dieu, quand il voudra monstrer une grande vertu et invincible, si est-ce qu'on ne pourra point appeller cela patience: il ne sera point patient comme il appartient: ce sera ce qu'on dit en proverbe, Patience de Lombard, c'est à dire, patience par force, et contrainte, comme une mule rongeant son frain. Vray est que ceux qui sont tels, cependant voudront faire les constans, ils ne voudront point fleschir, ils diront bien, Voila une mauvaise fortune, mais si faut-il que nous soyons constans. Voila quelle est la patience des incredules: combien qu'ils soyent renommez au monde comme gens courageux et vertueux, ils ne laissent point de s'eslever à l'encontre de Dieu, et de l'accuser: bref chacun d'eux se veut faire iuste. Ie ne say (diront-ils) pourquoy ceci m'est advenu, sinon que fortune m'est contraire, ou Dieu est oisif qu'il ne pense point aux choses, on bien la condition des hommes est telle. Ainsi donc cependant telles gens ne laissent point d'avoir leur coeur plein de venin. Or Dieu veut que nous soyons patiens d'une antre façon, c'est assavoir, que nous soyons prests de tout endurer, sachans que le bien et le mal nous procede de la main de Dieu: que nous souffrions qu'il nous chastie, ne demandans sinon d'estre gouvernez par luy, renonçans à toutes nos affections. Et si cela nous semble fascheux, que nous bataillions contre nos mauvais appetits, et que nous y resistions en sorte qu'il demeure luy seul maistre: car il est impossible que nous ayons ceste patience ainsi franche et libre, sinon que nous prenions matiere de nous consoler en Dieu. Et comment sera-ce? Il faut bien que nous sachions qu'il ne demande point nostre perdition, quand il nous afflige, mais plustost qu'il procure nostre salut: car celuy qui estime et iuge que Dieu luy soit contraire, il est impossible qu'il n'entre en une fascherie et angoisse, voire en une frenaisie pour faire de la

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beste sauvage, et s'eslever à l'encontre de Dieu. Aimerons-nous Dieu quand nous penserons qu'il ne demande sinon à nous perdre et à nous destruire? Ainsi donc c'est une chose bien necessaire que ceste-ci, que nous soyons tous resolus quand Dieu nous afflige, que ce n'est pas pourtant signe qu'il nous haysse, ne qu'il nous tiene comme ses ennemis, mais plustost par ce moyen-la il procure nostre salut. Et voila où consiste nostre victoire, comme S. Paul dit en la mesme Epistre au 8. chap. (36) si nous apprehendons ceste amour de Dieu en Iesus Christ, que nous soyons bien persuadez que Dieu nous a adoptez pour estre de ses enfans, car ayans ce principe-la, nous ne serons point troublez d'affliction. Pourquoy ? Car puis que Dieu nous aime, nous ne serons iamais confus: et tant s'en faut que nos afflictions empeschent nostre salut, qu'elles nous seront tournees en aide' et Dieu besongnera en telle sorte' que nostre salut sera avancé par ce moyen la.

Ainsi donc voyans que Iob qui estoit aimé de Dieu, qui estoit des plus excellens qui fussent alors au monde, a esté si grievement affligé, sachons que Dieu quelquesfois permet que nous endurions des adversitez bien dures et fascheuses, il ne laisse pas pourtant de nous avoir en sa protection, il ne laisse pas de nous aimer' et en nous aimant de nous pourvoir de ce qui nous est bon et utile. Mais il nous faut venir à ce qui est ici couché, c'est assavoir que Dieu n'a pas seulement affligé Iob en son bien, mais en ses enfans. Ceci est bien à noter: car quelquefois celuy qui se monstrera bien vertueux en une espece de tentation, sera incontinent abbatu en l'antre. Exemple, Il y pourra avoir un homme qui mesprisera tellement les biens de ce monde, que s'il a esté bien riche, et s'il est appovri, on ne le verra point abbatu, mais il demeurera paisible, Et bien, i'ay esté riche, Dieu m'a voulu affliger, ie suis despouillé de mon bien, et de ma substance, Dieu soit loué. On dira, Cest homme-la est si constant qu'il semble qu'il n'ait nulle apprehension de son mal: voila une grande vertu à luy. Ouy: mais s'il est assailli d'un autre costé, qu'il luy adviene quelque tentation nouvelle, le voila tellement troublé, qu'il n'y a nul moyen de le resiouir. Ce n'est donc point assez que nous soyons patiens contre une espece de mal, mais il faut que nous ayons resisté à tout. Et voila pourquoy aussi nostre Seigneur nous exerce en diverses sortes. Et il nous faut bien noter ceci: car nous trouvons estrange, apres que Dieu nous aura envoyé quelque adversité quand nous cuidons estre eschappez, que voila un second mal qui retourne: ceci (di-ie) est bien dur a nostre sens, mais Dieu a iuste raison de nous susciter ainsi des tentations diverses, afin que (comme i'ay desia dit) nostre

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patience se declare. Or si les biens sont chers à l'homme, encores ses enfans luy Sont plus precieux. Et voila pourquoy aussi nostre Seigneur a voulu que ce fust le dernier message, comme si Iob estoit ici mis a la torture. Quand un homme sera mis à la torture, on luy augmentera tousiours de plus en plus le tourment, iusques à ce qu'il n'en puisse plus, qu'il soit a l'extremité. Satan aussi a eu cest artifice envers Iob: car c'est comme s'il le mettoit premierement a la corde, quand il luy fait annoncer, Voila tes boeufs et tes asnesses qui ont esté ravis par les Sabeens, les brigands sont venus qui ont meurtri les serviteurs. Et bien, voila un homme à la torture: mais quand on luy vient dire, Voila le feu qui est tombé du ciel, et à consumé tout le bestail, c'est comme si on mettoit aux pieds un contrepoids à un povre homme, afin que le mal luy croisse, et qu'il luy soit beaucoup plus grief. Et a la fin voila l'extremité, quand on luy annonce la mort de ses enfans. Apprenons donc quand nous serons eschappez d'un mal, qui nous semblera estre bien pesant, et bien difficile à souffrir que Dieu nous en pourra envoyer un autre qui sera beaucoup plus excessif. Et pourquoy cela? Car Satan aussi nous presse de son costé, et Dieu luy permettra, à telle fin que nous avons declaré ci dessus, c'est que nous passions par un tel examen, afin que Dieu soit glorifié en nous, que nous ayons tant plus grande occasion de luy rendre graces, quand il nous aura delivrez des assauts d'un tel ennemi et si puissant qu'est Satan. Quelque fois aussi il le fait pour nostre durté: quand il voit que nous sommes rudes à l'esperon, que nous sommes tant tardifs et lasches, il faut qu'il nous picque tant plus rudement, comme on dit en commun proverbe, A rude asne, rude asnier. Mais tant y a, qu'ici en l'exemple de Iob nous n'avons sinon à observer ce que i'ay desia touché. Or il y a aussi bien ce que nous avons dit, que les tentations de Iob ont esté diverses en un antre moyen car les brigands luy ont volé son bien, et son bestail, la foudre du ciel en a bruslé une grande partie, un grand tourbillon a renversé la maison, en laquelle estoyent ses enfans, et ils ont esté accablez dessous. Si les ennemis fussent venus qui eussent ravi tout le bestail et qu'en la fin ils se fussent ruez sur la maison, et sur les enfans de Iob, cela n'eust pas esté si dur ne si estrange, que quand il est dit que la foudre est tombee du ciel qu'un grand vent impetueux a tué ses enfans: car Iob estoit ici sollicité de dire, Qu'est-ceci? les hommes me sont contraires et Dieu se constitue aussi mon ennemi, car d'où vient la foudre du ciel? d'où vienent les vents si impetueux? Il est dit que les vents sont messagers de Dieu, qu'ils sont pour executer ses commandemens, comme s'il avoit ses herauts: il est dit,

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que le feu du ciel est comme un signe de sa presence.

Or donc Iob pouvoit conclurre, Voici Dieu qui me fait la guerre d'un costé, les hommes de l'autre, il n'y a ne ciel ne terre que tout ne se dresse contre moy. Helas! que puis-ie devenir? sur cela il pouvoit estre du tout abysmé en desespoir. Nous voyons donc que quand les tentations sont ainsi diverses, nous sommes beaucoup plus affligez: et l'experience aussi le monstre, chacun le peut sentir en soy: car si nous sommes tourmentez en une sorte, voire encores que ce soit iusques au bout, encore concevons-nous quelque esperance: mais quand un homme nous aura persecute d'un costé, qu'un antre se viene eslever contre nous, et que le nombre de nos ennemis croisse, et que nous soyons pressez de toutes parts, qu'il semble aussi que Dieu nous soit contraire, alors nous n'en pouvons plus, nous quittons tout (comme on dit) comme povres gens desesperez. Or quand nous voyons que ceci est advenu à Iob, notons-le bien pour en faire nostre profit, sachans que Dieu veut aussi bien esprouver nostre foy' et nostre constance par diverses tentations. Quand les hommes nous feront quelque fascherie et iniure, il nous semble que Dieu nous fait tort, si incontinent il ne nous en venge, tellement que nous voudrions que le ciel mesme se dressast à l'encontre de nos ennemis, pour nous venger de l'iniure qu'ils nous ont faite, et ne regardons pas que c'est Dieu qui nous veut ainsi esprouver, et qu'il sait ce qui nous est bon et expedient mieux que nous mesmes. Cependant on pourroit ici demander, comment c'est que le feu est venu du ciel pour brusler le bestail de Iob, car le diable n'a point en sa puissance les foudres, et les tempestes nous ne luy attribuons point un tel empire, qu'il domine en l'air, qu'il suscite des tourbillons, et des orages quand il luy plaira. Or la response est facile à cela: combien qu'il faudra que ceste matiere soit deduite plus à plein au sermon suivant. Mais encores notons, combien que les vents soyent les herauts de Dieu, et qu'ils executent sa volonté, et que la foudre ait une semblable nature, si est-ce que le diable machine parmi, comme Dieu se sert de luy, ainsi que desia il en a esté traitté. Ne trouvons point donc estrange que le diable ayant un tel congé de Dieu (comme il a esté declaré) puisse esmouvoir les foudres, et les tourbillons et tempestes: non pas qu'il le puisse faire toutes fois et quantes qu'il le voudroit bien, mais Dieu se sert de luy comme il luy plaist. Voila donc la question soluë, qu'il ne se faut point esbahir que le diable ait ainsi suscité une tempeste et orage pour abbatre une maison, qu'il ait esmeu la foudre du ciel, c'est d'autant que Dieu luy avoit permis cela, et mesmes qu'il l'a

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conduit pour exercer la foy et la patience de son serviteur.

Or cependant d'autre costé nous avons aussi à noter, que la patience de Iob a esté tant plus vertueuse et louable de ce qu'il est tombé de si haut, et qu'il sembloit qu'il fust si bien muni, et toutesfois quand il s'est trouvé pleinement destitué, qu'il ne laisse point de benir Dieu: cela (di-ie) est digne de plus grande louange, car nous savons comme ceux qui sont en prosperité s'oublient. Ie ne di pas seulement les mondains, et ceux qui ne pensent nullement à Dieu, mais les fideles, qui auront cheminé en la crainte de Dieu tout le temps de leur vie, et mesmes qui retienent encores ceste affection-la, si est-ce qu'ils seront enyvrez quand ils auront tout à souhait, ils s'oublieront, et ne se cognoistront plus. Regardons ce qui advint à Ezechias, combien qu'il fust du tout adonné à servir Dieu, et à faire son office, si est-ce que quand il voit qu'il est eslevé plus que de coustume, il n'envoye plus vers le Prophete Isaie, il n'est plus question de cercher conseil de Dieu, mais il fait tout à sa phantasie, il se magnifie tant qu'il provoque l'ire de Dieu en un moment, monstrant ses richesses par ambition, tellement qu'il faut que la main de Dieu tombe sur luy bien rudement à cause de sa folie, et outrecuidance, de laquelle il estoit transporté. Et c'est aussi ce que dit David (Pseau. 30, 7), I'ay dit en mon abondance, on en ma felicité, iamais ie ne seray esbranlé. David savoit bien comme il avoit esté eslevé de Dieu. iamais il n'a obscurci sa grace, mais plustost il a voulu qu'il en fust memoire iusques en la fin du monde, que Dieu l'avoit retiré de la fiente des bestes, qu'il l'avoit constitué en estat royal. Il magnifie cela, il veut qu'on en parle apres sa mort, il ne se vante point de sa noblesse, il ne s'attribue rien: et toutesfois apres que Dieu l'a establi en son royaume et quand il se voit en repos, il commence à se hausser, et dit qu'il a fait ceste conclusion qu'il ne sera iamais esbranlé. Or David nous monstre là que c'est de nous, quand nous sommes à nostre aise, que nous sommes enyvrez en ceste folie-la, qu'il nous semble que iamais Dieu ne nous changera nostre estat, quand nous sommes en nos voluptez et delices. Voila ce que nous avons bien à noter, que c'a esté une vertu admirable en Iob, quand il a resisté à ceste tentation si soudaine et si grande, et non pas à une, mais à tant qui luy sont venues tout en un coup, et nous voyons comme il y resiste. Un peu auparavant il estoit en telle prosperité, qu'il sembloit qu'un chacun luy favorisast, il n'y avoit celuy de qui il ne fust magnifie: brief, Satan mesmes dit, qu'il semble que Dieu le tiene en son giron, Il est en ta main (dit-il) tu le conserves, tellement qu'il semble que tu le mignardes. Cependant nous

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voyons comme il est traité en une minute de temps, et ce luy pouvoit estre une chose bien dure. D'autant plus donc sommes nous advertis quand Dieu nous envoyera quelque prosperité, que nous ne laissions pas d'estre sur nos gardes. Car il est certain que si Iob n'eust bien esté resveillé souventesfois de cette trompette pour dire, Qui suis-ie? quelle est ma condition? qu'il se fust bien trouvé confus quand Dieu l'eust affligé. Advisons donc de cheminer en crainte et en tremblement, sur tout quand nous verrons que Dieu nous envoyera quelque prosperité mondaine, car c'est alors que le diable est an guet pour nous surprendre, et qu'il nous pourra mettre quelque tentation au devant, à laquelle nous n'aurons iamais pensé. Voila donc ce que nous avons encores à noter sur ce passage: quand il est dit, que du temps que Iob estoit si bien fondé, qu'il sembloit qu'il eust tant de rempars, que nul mal ne le peust attoucher: toutesfois qu'en un moment et la fondre du ciel, et un tourbillon de l'air, et les ennemis le despouillent de tout ce qu'il a, qu'il est là iusques à l'extremité, excepté sa personne, que Dieu reservoit encores à des tentations plus griefves.

Or au reste revenons au propos que i'ay desia touché, c'est assavoir que nous cognoissions quelle est la rage de Satan contre les fideles. Nous avons veu ci dessus comme Dieu le tenoit en bride, Tu ne toucheras point à la personne de Iob, et cependant si Voit-on en quelle furie il y a procedé. Or regardons maintenant les moyens qu'il a pour nous tourmenter. Car autant d'infirmitez que nous avons, autant de povretez qui sont en ce monde, autant d'adversitez qu'il y a, autant sont-ce de dards que Satan a desia tout aguisez contre nous: il nous en peut navrer, et nous faire autant de playes mortelles, si ce n'est que Dieu y pourvoye. Puis que le diable

a tousiours telles armures, et que nous sommes tous descouverts de nostre costé, ie vous prie si ce n'estoit que Dieu y remediast, que seroit-ce de nous? d'autant plus avons-nous à rendre graces à nostre Dieu, quand nous voyons que Satan ne peut rien sinon ce qu'il luy permet. Cependant nous avons tousiours à invoquer Dieu pour dire, Helas Seigneur. si nous n'estions en ta protection, que seroit-ce de nous? Il est vray que tu nous chasties pour quelque temps: mais en cela tu nous declares ta bonté paternelle, quand tu ne permets point que nous soyons exterminez du tout, attendu la rage de l'ennemi à qui nous avons affaire: que si tu luy laschois la bride contre nous, il faudroit que nous fussions devorez plus soudain, que ne seroit pas une povre brebis entre cent mille loups. Voila donc comme il faut que nous soyons au guet, que nous veillions, et soyons sur nos gardes, pour prier Dieu qu'il ne permette point que nous soyons exposez en proye à Satan, car s'il a bien eu l'audace de combatre contre le Sauveur du monde, comme nous voyons que nostre Seigneur Iesus Christ en a esté assailli, sachons qu'il se ruera bien plus hardiment sur nous. Et pourtant, recevons les armures que Dieu nous donne pour luy resister, c'est assavoir sa parole, comme S. Paul nous rameine-là, quand il nous veut bien armer contre toutes les tentations du monde et de Satan. Recevons donc ce que Dieu nous donne que nous ne soyons point lasches à nous aider de tous les moyens lesquels il nous met entre les mains, afin de nous en pouvoir aider à la necessité. Voila ce que nous avons à retenir en somme de ceste doctrine, si nous voulons bien profiter en ce qui est ici monstré par l'exemple de Iob, attendans que le reste se deduise plus au long.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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S E P T I E M E S E R M O N

SUR LE I. CHAPITRE.

20. Adonc Iob se leva, et deschira sa robe, et tondit sa teste, et se ietta en terre, et adora, 21. Et dit, ie suis sorti nud du ventre de ma mere, là ie retourneray nud: le Seigneur l'a donné, et le Seigneur l'a osté, le nom du Seigneur soit benit. 22. En tout ceci Iob ne pecha point' et n'attribua rien de desraisonnable à Dieu.

Nous disons bien que patience est une grande vertu, comme aussi elle est: cependant il y en a bien peu qui sachent que veut dire ce mot de Patience: en quoy, on peut iuger qu'il ne nous. chaut gueres d'estre patiens' et d'avoir ceste vertu, laquelle nous prisons tant. Or Dieu voyant une telle nonchallance aux hommes, leur veut mettre devant les

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yeux ce qui nous est tant necessaire. Car si nous ne sommes patiens, il faut que nostre foy s'esvanouisse: car elle ne se peut entretenir sans ce moyen. Et qu'ainsi soit, Dieu veut que parmi les miseres de ce monde, nous ayons tousiours un coeur paisible, et que nous soyons tellement asseurez de sa bonté, que cela nous resiouisse et nous contente, et que nous puissions nous glorifier contre Satan et contre tous nos ennemis. Et comment est-il possible, sinon que nous regardions plus haut que à ce monde, et que nous contemplions, que combien que nostre condition soit miserable quant à l'opinion de la chair, toutesfois puis que nostre Dieu nous aime, il nous doit bien suffire? Or ce passage ici est aussi excellent qu'il y en ait point en l'Escriture saincte, pour nous monstrer qu'emporte le mot de Patience. Et il faut que nous y soyons enseignez, si nous voulons que Dieu nous recognoisse patiens en nos afflictions. Nous dirons bien communément, qu'un homme sera patient, encores qu'il n'ait point de vray patience: car quiconque souffre du mal, on l'appellera patient: mais cependant retenons que pour estre patiens, il faut que nous moderions nostre tristesse. S'il y a du mal, qu'il soit adouci, en recognoissant que Dieu ne laisse pas de procurer nostre salut tousiours, qu'il faut que nous soyons subiets à luy, que c'est bien raison qu'il nous gouverne selon sa volonté. Voila en quoy se monstre la patience. Mais il n'y a rien meilleur ne plus utile, que de contempler le miroir qui nous est ici proposé. Nous avons veu que IOB pouvoit estre abysmé, ayant eu tant de mauvaises nouvelles, or il est dit qu'il s'est levé, et a deschiré sa robe, s'est tondu, et s'est ietté à terre pour s'humilier devant Dieu. Ici nous voyons en premier lieu, que ceux qui sont patiens ont bien quelque affliction qu'ils se sentent faschez et angoissez en leur coeur car si nous estions comme un tronc de bois, où une pierre il n'y auroit nulle vertu en nous: un homme qui n'aura point d'apprehension de son mal, sera-il digne d'estre loué ? nous verrons bien un povre phrenetique qui rira, et se moquera de tout le monde, et cependant il est au bord du sepulchre, mais c'est qu'il n'a point sentiment de son mal. Cela donc ne merite point d'estre tenu ne reputé pour vertu, car c'est plustost une stupidité: les bestes brutes quelquefois ne sentent rien, mais elles ne sont pas vertueuses pour cela. Ainsi donc notons que le mot de Patience ne signifie pas que les hommes soyent eslourdis, qu'ils n'ayent nulle tristesse, qu'ils ne soyent point faschez quand ils sentiront quelque affliction: mais la vertu est, quand ils se pourront moderer, et tenir telle mesure, qu'ils ne laisseront point de glorifier Dieu au milieu de toutes leurs miseres: qu'ils ne seront point troublez d'angoisse, et tellement engloutis, que de quiter là

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tout: mais qu'ils batailleront contre leurs passions iusques à ce qu'ils se puissent renger à la bonne volonté de Dieu, et conclure comme fait ici IOB, et dire qu'il est du tout iuste.

Voila ce que nous avons à noter, quand il est dit, Que IOB a deschiré sa robe, et a tondu son chef: car telles façons estoyent accoustumees au pays d'Orient, comme nous savons, qu'il y avoit plus de ceremonies en ces regions-la que non point en ces pays froids où nous habitons. Car quand il advenoit quelque chose, qui pouvoit esmouvoir les hommes à grande fascherie, en signe de dueil ils desciroyent leurs vestements. Voila pour un Item. Et puis au pays là où on avoit accoustumé de nourrir les cheveux, on se tondoit en faisant le dueil: comme à l'opposite, là où on se tondoit quand on faisoit le dueil on laissoit croistre là cheveleure. Ce sont donc signes de dueil que prend ici IOB quand il descire sa robbe, et qu'il se tond. Or il est certain qu'il ne le fait point par feintise, comme bien souvent ceux qui se veulent contrefaire prenent des masques, afin qu'on estime qu'ils sont en grande tristesse, et ne laissent point de rire en leur coeur. IOB n'a pas usé d'une telle hypocrisie. Sachons donc quand il a desciré sa robe, et qu'il a tondu ses cheveux, qu'il a este angoissé et fasché iusques au bout, et quand il s'est ietté par terre, ç'a este encores un autre tesmoignage pareil. Mais il semble que IOB lasche ici la bride à sa tristesse, qui seroit un vice à condamner. Car nous savons que les hommes ne sont que par trop excessifs et desbordez en leurs passions. Car combien qu'ils se restraignent, et se repriment tant qu'ils peuvent, si est-ce qu'encores ils ne laissent pas de passer mesure, et n'y a rien plus difficile que de nous moderer tellement, que nous tenions reigle et compas. Nous voyons que les hommes ne se peuvent pas resiouyr, qu'ils ne s'esgayent par trop: le dueil et la tristesse est une passion beaucoup plus violente, et qui transporte plus les hommes, que ne fait point la ioye. Ainsi donc nous avons à estre sur nos gardes toutes fois et quantes que Dieu nous envoye quelque adversité, car c'est la où nous avons accoustumé de nous desborder le plus. Or ici il est dit, que IOB a desciré sa robe: il semble qu'il se vueille plus picquer pour estre plus triste qu'il n'estoit (car un homme qui se voit ainsi deffiguré, il s'estonne de soy-mesme) et puis quand il vient iusques aux cheveux, on pouvoit dire qu'il a cerché comme des aides pour s'aguillonner et augmenter son dueil, et que c'estoit comme se donner des coups d'esperon. Et cela (comme i'ay dit) seroit bien à condamner: mais en premier lieu notons que l'Escriture nous a ici voulu exprimer, que la tristesse de ce sainct personnage estoit si grande, et si vehemente, qu'il ne s'estoit

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peu contenir, qu'il n'usast des façons accoustumees iusques à descirer sa robe, pour monstrer qu'il sent oit une telle angoisse, qu'elle l'avoit navré iusques au profond du coeur. Voila ce que l'Escriture nous exprime. Or cependant combien que les hommes doivent estre sur leurs gardes, pour ne point estre engloutis de tristesse quand ils sont affligez: si faut-il toutesfois que quand Dieu nous envoye du mal, nous y pensions. Car la façon commune est bien mauvaise, quand on repousse toute fascherie: et toutesfois voila où en ont este les hommes, quand ils ont voulu avoir patience, ils ont esteint toutes pensees de leurs maux, ils les repoussoyent bien loin' et s'en eslongnoyent: brief, ils eussent voulu estre abbrutis en telle sorte, qu'ils ne cognussent plus rien, ne discernassent. Or tout au rebours quand Dieu nous afflige, ce n'est pas pour nous donner des coups de maillet sur la teste, afin que nous soyons estonnez et assoupis, mais il nous veut induire à penser à nos miseres. Comme quoy? outre ce qu'il nous faut reduire en memoire nos pechez pour en demander pardon, et pour estre tant plus soigneux à l'advenir de cheminer comme il appartient, nous sommes aussi instruits que c'est de nostre vie afin de ne nous y point plaire, afin de n'estre point enflez de vanité, ne de presomption comme nous sommes, et puis de cognoistre l'obligation que nous avons à nostre Dieu de ce qu'il nous traitte si doucement, qu'il nous porte comme en son giron: et puis quand nous voyons qu'il a le soin de nostre vie, que nous regardions plus loin, c'est à dire, que nous tendions au royaume eternel, là où est nostre vraye ioye et repos. Voila donc comme Dieu ne laisse pas de nous estre pitoyable quand ils nous envoye quelque affliction: car c'est afin qu'examinans ce qui est en nous, nous cognoissions aussi quelle est nostre condition. Et aussi il est bon et utile que les fideles, quand Dieu les afflige, s'incitent de penser à eux, Qui suis-ie? qu'est-ce que de moy? Et pourquoy est-ce que ie suis ainsi affligé? qu'ils pensent (di-ie) à toutes ces choses. Or voila comme Iob a peu deschirer ses vestemens, et puis tondre sa teste sans offenser Dieu: non point qu'il se voulust là precipiter en une fascherie trop grande, mais cela tendoit à humilité: comme aussi c'a esté aux anciens un signe de repentance: car si Dieu envoyoit quelque peste, ou quelque guerre, ils vestoyent un sac, et iettoyent de la poudre sur leurs testes. Pourquoy cela? Ce n'estoit point pour nourrir une mauvaise tristesse dont parle sainct Paul (2. Cor. 7, 10), laquelle ii dit estre selon le monde (il nous la faut fuir) mais c'a esté pour une autre tristesse qu'il dit estre selon Dieu, quand les hommes apres s'estre cognus povres pecheurs vienent devant leur Iuge, qu'ils se condamnent là, et monstrent qu'ils sont dignes d'estre

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confus. Car celuy qui se vest d'un sac, qui a la poudre sur la teste, proteste qu'il n'a plus de quoy se glorifier, qu'il faut qu'il ait la bouche close, qu'il soit là comme si desia il estoit ensevely, pour dire, Ie ne suis pas digne que la terre me soustiene, mais il faut qu'elle soit par dessus moy, et que Dieu me iette si bas, que ie soye comme foulé aux pieds.

Voila Gomme en a usé Iob, voyant que Dieu le solicitoit à humilité, il s'y est bien voulu renger: et pour ceste cause, il a deschiré sa robe, et a tondu ses cheveux. Or cependant si voyons nous (comme i'ay desia touché) que la patience n'est point sans affliction, qu'il faut bien que les enfans de Dieu soyent tristes, sentans leurs maux: et neantmoins qu'ils ne laissent point d'avoir la vertu de patience, quand ils resistent à leurs passions, en sorte qu'ils ne se despitent point contre Dieu, qu'ils ne passent point mesure, qu'ils ne regimbent point contre l'esperon, mais plustost qu'ils donnent gloire à Dieu: comme il s'ensuit quant et quant au texte, que Iob s'estant ietté à terre, l'a fait pour adorer. Or il est vray que ce mot icy signifie s'incliner, ou se mettre bas, mais il se rapporte à ceste fin de s'humilier devant Dieu, et luy faire hommage. Nous en verrons qui se iettent par terre, mais ils ne laissent pas d'estre forcenez, tellement que s'il leur estoit possible, ils monteroyent par dessus les nues pour faire la guerre à Dieu. Nous en verrons de ceux qui sont ainsi transportez de despit, mais c'est à cause qu'ils ne peuvent pas se ruer à l'encontre de Dieu, comme ils voudroyent. Or Iob tout au rebours se iette par terre, à fin d'adorer, voire regardant à Dieu pour s'humilier devant sa haute maiesté. I 'Car quand nous sentons la main de Dieu, c'est alors que nous luy devons faire plus d'hommage que iamais. Vray est que si Dieu nous traitte doucement, nous devons estre esmeus par cela de venir à luy, comme de fait il nous y convie. Ceste grande bonté de laquelle il use, qu'est-ce sinon qu'il nous veut attirer à soy: mais d'autant que nous sommes si laschez à y venir, il faut qu'il nous adiourne, et qu'il monstre quel droit il a par dessus nous: comme quand un prince voit son vassal qui est tardif à faire son devoir, il luy envoye son officier pour le sommer. Ainsi Dieu voyant que nous ne tenons conte de venir à luy, ou bien que nous n'y venons pas d'une telle affection, ne si ardente comme il seroit bien requis, nous solicite, et nous adiourne. Iob donc cognoissant quelle est la fin et le vray usage des afflictions, s'est ietté par terre, à fin de faire hommage à Dieu, pour dire, Seigneur, il est vray que par ci devant ie t'ay servi et honoré, cependant que ie prosperoye, et que i'estoye en mes grans triomphes, ie me suis pleu à te faire service. Mais quoy? ie ne me suis

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point assez cognu, et ie voy maintenant quelle est ma fragilité, que nous sommes miserables creatures. Ainsi donc, Seigneur, ie viens maintenant te faire un hommage nouveau, quand il te plaist de m'affliger en ce monde: Seigneur ie me ren volontairement à toy, .et ne demande sinon de me rendre subiet à ta main, quoy qu'il en soit. Voila quant à ce mot où il est dit, Que Iob s'est ietté à terre, ayant ceste affection d'adorer Dieu.

Or venons maintenant à ce qui est dit, c'est à savoir, que Iob recognoist que c'est des hommes, Ie suis sorti nud du ventre de ma mere (dit-il) et là ie retourneray nud. Quand il dit là, il entend d'un autre, c'est à savoir, du ventre de la terre qui est la mere de tous: Ou bien, comme un homme qui a le coeur serre, il n'exprime pas tous les mots mais il parle comme à demi, ainsi que nous verrons, que ceux qui sont tristes iusques au bout n'exprimeront pas tous leurs mots Toutesfois ceste protestation est assez claire, c'est à savoir, que Iob veut dire, Et bien, il faut donc que ie retourne en terre, comme ie suis sorti du ventre de ma mere. Il est vray qu'on pourroit prendre ce passage doublement: à savoir, premierement que ce fust comme une sentence generale. Voila les hommes qui viennent nuds au monde, et quand ils y retournent c'est le semblable, qu'ils n'emportent pas leurs richesses, ni leurs honneurs, ne leurs pompes, ne leurs delices, qu'il faut qu'il s'en aillent en pourriture, qu'il faut que la terre les recoyve. Mais l'autre exposition est plus convenable, que Iob applique cecy à sa personne, comme s'il disoit: I'estoye sorti nud du ventre de ma mere, pour un temps Dieu m'a voulu enrichir, que i'ay eu grande quantité de bestail, i'ay eu grosse famille, i'ay eu multitude d'enfans, bref, i'estoye bien revestu des graces et des benedictions que Dieu m'avoit eslargi. Or il veut que ie m'en aille tout nud, il m'avoit enrichi de toutes ces choses, et il me les a ostees, afin que ie retourne en mon premier estat, et que ie me dispose maintenant d'aller au sepulchre. Or ceste sentence cy est bien à noter: car Iob n'eust peu mieux approuver sa patience, qu'en se deliberant d'estre tout nud, d'autant que le bon plaisir de Dieu estoit tel. Il est vray que les hommes ont beau tergiverser: ils ne peuvent point faire force à nature, qu'il ne faille en despit de leurs dents qu'ils retournent tous nuds au sepulchre. Et mesmes les Payens ont dit qu'il n'y a que la seule mort qui monstre quelle est la petitesse des hommes. Pourquoy ? Car nous avons un gouffre de cupidité, que nous voudrions engloutir toute la terre: si un homme a beaucoup de richesses, de vignes, de prez, et de possessions, ce ne luy est point assez: il faudroit que Dieu creast des nouveaux mondes, s'il nous vouloit ras

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sasier. Et bien sommes-nous morts? il ne faut de terre que de la longueur de nous, pour nous mettre là en pourriture, et pour nous reduire à neant. Ainsi donc, la mort monstre que c'est de nous, et de nostre nature: et neantmoins on en voit beaucoup qui bataillent contre une telle necessité: ils feront des sepulchres braves, ils auront des funerailles triomphantes: il semble que telles gens veulent resister à Dieu, mais si est-ce qu'ils n'en vienent point à bout. Or tant y a que la condition generale des hommes est telle: mais quant à nous, il faut que nous souffrions patiemment d'estre despouillez quand nous aurons esté revestus de biens et de richesses: que nous souffrions (di-ie) que Dieu nous prive de tout, et que nous demeurions tous nuds et desnuez, et que nous soyons appareillez de retourner au sepulchre en tel estat. Voila (di-ie) en quoy nous approuverons que nous sommes patiens. Et c'est ce que Iob a voulu signifier en ce passage. Et ainsi toutes fois et quantes que nous aurons faute des biens de oc monde, que nous aurons faim et soif, que nous serons pressez de quelques afflictions, et que nous n'aurons point de secours, pensons à nostre origine, regardons à nous, et qui nous sommes, et d'où nous sommes procedez. Car les hommes abusent du soing paternel que Dieu a d'eux, les provoyant de ce qu'il leur faut. Il est vray que nous devons avoir bien cela imprimé en nos coeurs, c'est à savoir que Dieu ne veut point que rien nous defaille, qu'il ne nous a point mis au monde qu'il ne nous y vueille nourrir: mais si est-ce qu'il nous faut tousiours cognoistre, que Gela nous vient d'ailleurs, et que nous ne cuidions point avoir de droit ce que nous tenons de la bonté gratuite de nostre Dieu. Si un homme me nourris soit de sa pure liberalité, et qu'il me dist, Venez tous les iours, vous aurez tant de vin, tant de pain, ie vous veux entretenir: et ce ne sera pas que ie m'oblige à vous, mais ie vous donne cela: si ie voulois là dessus intenter proces pour obliger celuy duquel ie dois mendier chacun iour, recevant substance de sa main, si ie voulois faire une rente de oc qu'il me donne de sa pure liberalité, ne seroit-ce pas une ingratitude trop vilaine? Ie meriterois qu'on me crachast au visage. Or d'autant plus sommes nous tenus de recevoir les biens que Dieu nous fait avec toute modestie, sachans qu'il ne nous doit rien: et pource que nous sommes povres, qu'il nous faut venir à luy pour mendier tous les iours de sa liberalité infinie. Ainsi donc quand nous aurons quelque necessité, recourons là (comme i'ay dit) et cognoissons, D'où suis-ie sorti? du ventre de ma mere, tout nud, une povre creature miserable: il m'a fallu secourir et me nettoyer de la povreté, en laquelle i'estois, qu'il falloit que ie perisse du tout

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sinon que i'eusse esté secouru d'ailleurs: Il a donc pleu à Dieu de me nourrir et entretenir iusques à maintenant, et me faire des graces telles, que le nombre en est infini. Et pourtant si maintenant il me veut affliger, c'est bien raison que ie porte le tout patiemment, puis qu'il vient de sa main. Voila donc ce que nous avons à noter de ce qui nous est monstre par Iob, Ie suis sorti nud du ventre de ma mere, et ie retourneray aussi nud au sepulchre. En somme, nous pensons quand Dieu nous aura donne des biens en main, que nous les aurons possedez pour quelque temps, que la proprieté nous en doive demeurer, que nous serons tellement accompagnez de nos richesses, qu'elles viendront avec nous iusques au sepulchre, que nous n'en devons iamais estre destituez. Or ne faisons point ce conte-la: car ce n'est que pour nous tromper: mais au contraire sachons que si le bon plaisir de Dieu est de nous oster les biens, qu'il nous aura eslargis, qu'il faut que du iour au lendemain nous soyons prests d'en estre privez, qu'il ne nous face point mal d'estre despouillez en une minute de temps de tout ce que nous aurons peu acquerir en tonte nostre vie.

Au reste Iob nous mene encores plus outre, en disant que Dieu l'avoit donné, et qu'il l'a osté, et pourtant que le Nom du Seigneur soit benit. Quand il dit que Dieu l'avoit donné, il monstre que c'est bien raison que Dieu dispose ce qu'il nous a mis entre les mains, puis qu'il est sien, car quand Dieu nous envoye des richesses, ce n'est pas qu'il quitte son droit, qu'il n'ait plus de seigneurie (comme il l'a doit avoir) estant Createur du monde. (Car ce mot de Createur emporte, qu'il a tellement tout fait, qu'il faut que toute puissance et empire souverain luy demeure. Et combien que les hommes possedent chacun leur portion selon que Dieu leur a eslargi des biens de ce monde, si est-ce qu'il faut qu'il en demeure tousiours Seigneur et maistre. Iob donc cognoissant cela, s'assuiettit du tous à la bonne volonté de Dieu: et c'est une chose que nous confessons tous estre plus qu'equitable: mais cependant il n'y a celuy qui s'y vueille ranger. Et qu'ainsi soit, si tost que Dieu nous aura laissé iouyr trois iours de quelque bien il nous semble, s'il nous l'oste, qu'il nous face grand' iniure: nous murmurons à l'encontre de luy. Et qu'est-ce à dire cela? C'est l'ingratitude que i'ay touchée n'a gueres, qu'il nous semble quand Dieu s'est monstré une fois liberal envers nous par sa bonté gratuite, qu'il ne nous doyve iamais faillir, quelque chose que nous facions. Voila donc une sentence qui sera assez commune, mais si mal pratiquée, qu'on voit bien qu'elle est entendue d'un bien petit nombre. Or d'autant plus nous faut-il bien penser que ceci veut dire, Le Seigneur l'avoit

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donné, et le Seigneur l'a osté: que nous cognoissions quelle liberté nostre Seigneur a de nous donner iouissance de ses biens, et aussi quand il luy plaist de nous en priver en une minute de temps. Et voila pourquoy sainct Paul nous exhorte (1. Cor. 7, 30), que d'autant que la figure de ce monde passe, et que toutes choses s'escoulent et s'esvanouyssent, nous possedions, comme ne possedans point, c'est à dire, que nous n'y ayons point nostre courage attaché: comme il est dit en un autre lieu (1. Tim. 6, 17), Qu'il ne nous faut point arrester en ceste incertitude des richesses, que nous ne soyons tousiours prests de dire avec Iob, Quand Dieu nous aura despouillé de ce qu'il nous a donné, et bien, Seigneur tu as usé de ton droit, tu l'avois donné, et tu l'as osté quand il t'a pleu. Voila donc quelle est la somme de ce passage, c'est à savoir, que toutes fois et quantes que nous pensons .aux biens de ce monde cecy nous vienne en memoire, que nous tenons le tout de Dieu. Et à quelle condition? ce n'est pas en proprieté, qu'il n'y vueille plus rien pretendre, et qu'il n'y ait plus nulle maistrise: mais s'il lui plaist de le mettre entre nos mains, c'est à ceste condition-là, qu'il le retire quand bon luy semblera. Cognoissons donc que nous sommes d'autant plus tenus à luy quand il nous aura fait iouyr de quelque bien, un iour, un moys, ou quelque espace de temps, et apres s'il nous en despouille, que nous ne le trouvions point trop estrange: mais recourons à ceste cognoissance que i'ay dite, Quo Dieu retient tousiours une telle superiorité par dessus nous, qu'il peut disposer du sien comme bon luy semble. S'il est licite aux hommes mortels d'ordonner de leur bien comme ils veulent, n'en doit on pas attribuer beaucoup plus au Dieu vivant? Voyans donc comme Dieu doit avoir ceste maistrise, non seulement sur ce que nous possedons, mais aussi sur nos personnes, et sur nos enfans, humilions-nous devant luy pour nous assubiettir du tout à sa saincte volonté, sans contradiction aucune. Mais quoy? il y en a bien peu qui facent cest hommage à Dieu. Il est vray que tous diront bien que c'est Dieu qui leur a donné tout ce qu'ils possedent: mais quoy? ils se l'attribuent, et s'eslevent comme en despit de luy. Et qu'est cela? Ie vous prie, n'est ce pas une moquerie ? voire c'est une hypocrisie par trop lourde, quand apres avoir protesté que nous tenons tout de Dieu, nous ne voulons iamais neantmoins qu'il en dispose, nous ne voulons point qu'il change rien, mais qu'il nous laisse là en paix, et qu'il nous quitte, comme si nous estions separez d'avec luy, et exemptez de sa iurisdiction. C'est autant comme si quelcun disoit, O ie suis content de cognoistre qu'un tel est mon Prince,. ie luy feray assez d'hommage et d'obeissance: mais qu'il

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n'entre point en ma maison et qu'il ne viene point rien demander, qu'il ne me face nulle fascherie. Le monde ne pourroit pas souffrir une telle vilenie, et neantmoins voila comme on se iouë avec Dieu. Et qu'est-ce que veut dire ceste confession, Quo nous tenons .tout de luy, et cependant que noua ne vueillions pas qu'il y touche? Nous voyons donc comme le monde se moque ouvertement de Dieu: mais si faut-il toutesfois que nous suyvions ce qui nous est ici monstré, c'est assavoir, puis que Dieu noue a donné ce qui est en nos mains, qu'il le repete, et le retire quand il voudra.

Or encores ce qui est adiousté quant et quant emporte plus, Que le nom de Dieu soit benit. Car on cela Iob se submet tellement à Dieu, qu'il le confesse estre bon et iuste, combien qu'il soit ainsi affligé rudement de sa main. I'ay dit que ceci emporte plus, d'autant qu'encores quelqu'un pourroit attribuer à Dieu toute puissance souveraine pour dire, Et bien, puis qu'il l'a donné il le peut bien oster: mais cependant il ne confesseroit pas que Dieu le feist iustement et par bonne raison, comme il y en a beaucoup que quand ils sont ainsi affligez ils accusent Dieu de cruauté té, ou de trop grande rudesse, tellement qu'ils ne peuvent pas luy reserver ce droit là, qu'il retire ce qu'il leur a donné: et ne regardent point (comme i'ay dit) qu'ils possedoyent le bien à telle condition qu'ils en pouvoyent estre desnuez du iour au lendemain. Il y en a bien peu qui ayent ceste ci cosideration là, tellement qu'ils demeurent là paisibles, et confessant qu'il n'y a rien meilleur sinon de s'assubiettir du tout à la maiesté de Dieu, et de recognoistre que s'il nous laissoit aller selon nos appetits, il n'y auroit que confusion: mais quand il nous gouverne selon sa volonté, que c'est pour nostre profit et salut. Voila où il nous en faut venir. Et ainsi, nous voyons maintenant que ceste sentence emporte beaucoup quand il est dit, Le nom du Seigneur soit benit. Car il ne nous faut point seulement esplucher les mots, il nous faut regarder de quelle affection ceci procede, et qu'il est dit en verité et sans feintise. Car comment est-il possible que nous benissions le nom de Dieu, si ce n'est en le confessant iuste premierement? Or celuy qui murmure contre Dieu, comme s'il estoit cruel et inhumain, celuy-la maudit Dieu, entant qu'en luy est, il s'esleve à l'encontre de luy: celuy qui ne recognoist pas que Dieu est son pere, et qu'il est son enfant, qui ne rend point tesmoignage de sa bonté, il ne benit point Dieu. Et pourquoy? Car tous ceux qui ne goustent point la misericorde et la grace que Dieu fait aux hommes quand il les afflige, il faut qu'ils grincent les dents, qu'ils iettent et desgorgent quelque venin à l'encontre de luy. Benir donc le nom de Dieu, emporte que nous

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soyons bien persuadez qu'il est iuste et equitable en sa nature: et non seulement cela, mais qu'il est bon et misericordieux. Voila comme nous pourrons benir (à l'exemple de Iob) le nom de Dieu: ce sera en cognoissant sa iustice et son equité, et puis en cognoissant aussi sa grace, et sa bonté paternelle envers nous.

Et voila pourquoy aussi le texte adiouste pour conclusion: Qu'en toutes ces choses Iob n'a point peché, et n'a rien attribué à Dieu de desraisonnable. Ici il y a de mot à mot: Iob n'a rien mis en avant, ou imposé à Dieu, qui fust sans raison: et c'est une façon de parler qui est bien digne d'estre observee. Pourquoy est-ce que les hommes se despitent ainsi, quand Dieu leur envoye les choses tout au rebours de leur appetit, sinon d'autant qu'ils ne cognoissent point que Dieu fait tout par raison, et qu'il a iuste cause? Car si nous avions cela bien imprimé en nos coeurs, Tout ce que Dieu fait est fondé en bonne raison, il est certain que nous aurions honte de nous rebecquer ainsi à l'encontre de luy: quand, di-ie, nous saurons qu'il a iuste occasion de disposer ainsi des choses, comme nous le voyons. Or donc il est dit notamment, que Iob n'a rien attribué à Dieu sans raison, c'est à dire, qu'il n'a point imaginé que Dieu feist rien qui ne fust iuste et equitable. .Voila pour un Item. Mais il faut noter sur tout ce mot En Dieu, ou à Dieu: cela emporte beaucoup, car nous ne pensons point que la chose soit si execrable de parler ainsi des oeuvres de Dieu, comme nous faisons, si tost que Dieu ne nous envoye point ce que nous avons souhaitté, nous disputons à l'encontre de luy, nous entrons en procez, non pas que nous en facions semblant, mais la chose monstre qu'il est ainsi toutesfois. Nous regardons tous les coups: Et comment ceci est-il advenu? Mais de quel courage est-ce que cela se prononce? d'un coeur envenimé: comme si nous disions Il falloit que la chose allast autrement, ie ne voy ici nulle raison: et Dieu cependant sera condamné entre nous. Voila comme les hommes se iettent hors des gonds. Et en cela que font ils ? C'est comme s'il acousoyent Dieu d'estre ou un tyran, ou un escervelé qui ne demande sinon de mettre tout en confusion. Voila quel blaspheme et horrible il sortira tous les coups de la bouche des hommes. Et toutesfois il y en a bien peu qui y pensent. Mais tant y a que le S. Esprit nous a voulu enseigner, que si nous voulons rendre gloire à Dieu, et benir son nom comme il appartient, il nous faut estre persuadez, que Dieu ne fait rien sans raison. Ainsi donc que nous ne luy attribuons point ni cruauté, ni ignorance comme s'il faisoit les choses par despit et à la volee, mais cognoissons qu'il procede en tout et par tout avec une iustice admirable, avec une bonté et sagesse infinie. tellement qu'il n'y a nue tonte droiture et

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equité en tout ce qu'il fait. Or il est vray qu'ici il y aura un article a deduire, c'est assavoir comme Iob recognoist que Dieu luy a osté ce qui luy avoit esté ravi par les brigans: ce qui nous semble bien estrange: mais cela ne se peut declarer pour l'heure, nous le reserverons a, demain. C'est assez d'avoir monstre, que si nous sommes affligez, il ne faut point que nous pensions que cela adviene sans raison, mais que c'est Dieu qui a juste cause de ce faire. Et pourtant quand nous serons faschez et angoissez, que nous recourions à luy, que nous le prions qu'il nous face la grace de cognoistre que

rien ne nous advient en ce monde, sinon qu'il le dispose: voire et d'estre certains qu'il le dispose en telle sorte que le tout revient tousiours a nostre salut. Et quand nous aurons ceste cognoissance-la, elle nous fera porter patiemment les afflictions qu'il nous envoyera. Ce sera aussi pour nous faire humilier devant luy, et que luy nous ayant fait ouster sa bonté paternelle, nous ne demanderons sinon de le glorifier en tout et par tout, tant en affliction comme en prosperité.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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S E R M O N P R E M I E R

SUR LE II. CHAPITRE.

Ce Sermon contient l'exposition de la fin du premier chapitre, le Seigneur l'a donne, aussi le seigneur l'a osté, etc. Item ce qui s'ensuit au 2. chapitre.

1 Il advint un iour, que les enfans de Dieu se presenterent devant le Seigneur, entre lesquels vint Satan pour se presenter au Seigneur. 2. Et le Seigneur dit a Satan, D'ou viens-tu ? Satan respondit au Seigneur disant, De circuir et rauder par la terre. 3. Et le Seigneur dit a Satan, As-tu pries garde à mon serviteur Iob ? auquel il n'y a nul pareil en terre, homme entier, droit, craignant Dieu, et se retirant du mal, et qui retient encores son integrité? Ne m'as-tu point cherché afin que ie le destruisisse sans cause? 4. Et Satan respondit au Seigneur, L'homme donnera peau pour peau, et tout ce qu'il a pour garder sa vie. 5. Mais maintenant que tu estendes ta main, et que tu l'affliges en sa chair, et tu verras s'il ne te maudira point en face. 6. Et le Seigneur dit a Satan, Voici, il est en ta main: mais garde son ame.

Nous avons declaré par ci devant comme il faut que le diable estant (comme il est) ennemi morte de Dieu, toutesfois rende obeissance a son createur, auquel il est subiet: non point qu'il le face de volonté, mais par force. Tant y a que le diable estant ainsi enrage, comme il est a nuire et ruiner tout le monde, quelque chose qu'il attente, ne qu'il puisse machiner, et pratiquer, ne peut rien accomplir sans la volonté de Dieu. Or tout ainsi que Satan est tenu en bride, aussi vent tous les meschans du monde. Vray est qu'ils se desbordent tant qu'ils pouvent, et leur semble qu'ils pourront resister a Dieu, et aussi il ne tient point a eux,

mais si est-ce que cependant Dieu accompli" sa volonté par eux, tellement qu'ils sont comme instrumens, desquels il besongne et se sert. Et cest article nous est fort bien exprime en la confession que fait Iob, disant que Dieu, qui luy avoit donne les biens qu'il possedoit, les luy a ostez. Or il est certain que Satan avoit fait tout cest orage, que Iob fust despouillé de sa substance, et que ses enfans mourussent: pourquoy donc est-ce qu'il attribue cela a Dieu? mesmes nous avons veu par ci devant que les brigans et voleurs luy avoyent ravi son bien: faut-il que Dieu soit declaré auteur d'une telle volerie, et brigandage? Il semble qu'on le vueille envelopper parmi les pechez des hommes: car nous ne pouvons pas excuser ceux qui vent venus envahir la substance, et le bestail de lob. Voila des brigands que nous pouvons condamner et toutesfois Iob ne dit pas, c'est Satan qui m'a ainsi tout ravi, ce sont les brigans qui m'ont despouillé: il dit, C'est Dieu qui l'a fait. Iob blaspheme il en parlant ainsi? Non, car Dieu approuve on dire, comme desia nous avons veu, qu'il n'a rien attribue a Dieu, qui fust hors de raison. Il

confesse que Dieu estoit juste et equitable, et l'a glorifié comme il appartenoit: si est-ce neantmoins qu'il prononce, que c'est Dieu qui a fait ce qu'ont fait les brigands, et ce qu'aussi a fait le diable. Or donc nous voyons ici comme Dieu tousiours est en degré souverain pour conduire les choses qui se font ici bas, et pour les disposer, afin de les amener a telle issue, que bon luy semble. Et il n'est

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point ici question de iuger selon nostre sens, comme il y a des gens outrecuidez, lesquels veulent estre sages, en assubiettissant et Dieu, et toute sa parolle à leur fantasie. Ce sont des bestes, voire si lourdes que rien plus. Il n'y a ne savoir, ni esprit: mais afin de se faire valoir ils diront, qu'ils ne trouvent pas bon que Dieu face ainsi tout: car il seroit auteur de peché. Qu'ils arguent donc le sainct Esprit, qui a ainsi parlé, car il nous faut là renger, et quand on aura bien disputé et en une façon et en l'autre, ai faut-il venir à ceste conclusion-la, que nous ne comprenons point la grandeur et la hautesse des oeuvres de Dieu, sinon d'autant qu'il luy plaist nous en donner quelque goust, voire selon nostre mesure qui est bien petite. Il n'y a que Dieu seul qui cognoisse ses oeuvres, c'est un abysme profond (comme dit l'Escriture Pse. 36, 7]) et nous n'avons nul moyen d'y parvenir, tellement que tous ceux qui s'en voudront enquerir, demeureront confus, sinon qu'ils y procedent en toute reverence et humilité. C'est donc l'office de Dieu de nous donner à cognoistre ce qu'il fait, et comment, et pourquoy: et cependant nous avons à nous contenter de ce que l'Escriture prononce. Et encores que cela nous semble estrange, et que nous ne le puissions comprendre selon nostre capacité, et nostre raison, si faut-il que nous confessions que Dieu est iuste: et combien que nous ne le comprenions pas, attendons que ce dernier iour soit venu, auquel nous ne cognoistrons plus en partie, ne comme en obscurité (ainsi que dit sainct Paul 1. Cor. 13, 9. sv.) mais nous contemplerons face à face ce qui nous est maintenant monstré comme en un miroir. Ainsi donc voici un passage excellent pour nous monstrer, comme Dieu conduit et gouverne tout le monde par sa providence. Mais nous avons à noter plus outre, à quel propos le sainct Esprit nous declare que Dieu fait tout, et que rien ne peut advenir sans sa volonté. 'C'est afin que nous puissions despiter Satan, et tous les iniques, quand nous voyons qu'ils pratiquent et machinent beaucoup de choses, que nous sachions qu'ils ne pourront venir à bout de leurs entreprinses.

Voila donc comme Dieu nous veut asseurer de sa protection et nous monstrer, que tant s'en faut que Satan soit le maistre pour accomplir ce qu'il voudra, que Dieu se servira de luy. Puis qu'ainsi est, appliquons la doctrine de l'Escriture saincte à tel usage: c'est assavoir, combien que nous soyons environnez d'ennemis, combien que nous soyons ici comme brebis en la gueule des loups, toutesfois que nous ne laissions point de nous confier en Dieu, et de nous asseurer, qu'estans sous l'ombre de ses ailes, nous serons certains de nostre salut. Pourquoy? Pource qu'il a l'empire souverain sur

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toutes creatures, tellement qu'il tient mesme Satan, et tous les meschans de ce monde bridez, et qu'il amene toutes choses à telle issue que bon luy semble. Voila sur quoy il nous faut appuyer, afin que nous invoquions Dieu paisiblement, et l'ayans invoqué, que nous sachions qu'il nous guidera. Or cependant il nous faut retenir ce qui a esté touché, c'est assavoir, de ne point estre iuges de Dieu: car c'est trop usurper. N'est-ce point une arrogance diabolique, que les hommes ne veulent point confesser que Dieu est iuste, sinon entant qu'ils le cognoissent tel: et veulent qu'il s'aneantisse et s'abaisse iusques là, pour dire, Voici, il faut que ie vous rende conte. Tous ceux qui s'eslevent en un tel orgueil, ne sont-ils pas bien dignes que Dieu les abysme du tout? Il est bien certain. Et aussi voila pourquoy Salomon dit (Prov. 25, 27), que tous ceux qui se veulent enquerir de la maiesté de Dieu par trop, et plus qu'il ne leur appartient, seront abysmez en leur orgueil, qu'ils demeureront confus. Il ne nous reste donc, sinon que nous ayons ceste sobrieté la de prier Dieu qu'il nous enseigne de ce qui nous est bon et utile, et que nous recevions tout ce qu'il nous dit pour bon et iuste, sans nous rebecquer à l'encontre: voila comme nous avons à y proceder. Or il semble à d'aucuns qu'ils ont beaucoup gaigné quand ils auront trouvé quelques disputations frivoles, pour dire que Dieu ne fait pas toutes choses, lesquelles se font et par Satan, et par les mechans. On allegue pour response, que quand les meschans font quelque mal, Dieu ne besongne point là: mais il permet, et donne simplement le congé. Or ayant l'authorité d'empescher et la puissance, quand il le permet, n'est-ce pas autant comme s'il le faisoit ? C'est donc une excuse par trop frivole, et aussi Dieu n'a que faire de nos mensonges pour maintenir sa verité et sa iustice. Il ne faut point que nous amenions de tels subterfuges pour clorre la bouche aux meschans, qui veulent blasphemer contre la saincteté l de Dieu, mais c'est assez d'avoir ce que l'Escriture saincte nous dit. Car que Dieu non seulement permette et donne le congé, mais aussi qu'il execute sa volonté et par Satan et par les meschans, il appert par ce que l'Escriture ne dit point, Seigneur, tu l'as permis, mais tu l'as fait: comme David quand il confesse ses pechez et transgressions. quand Dieu l'a si griefvement puni, il dit (Pse. 39, 10), Seigneur, de qui me plaindray-ie? car ie voy que c'est ta main: et toutesfois David estoit persecuté par les meschans: il appelle cela la main de Dieu. Voila comme le Seigneur mesmes en parle: voulons nous estre plus sages que luy ? luy ferons-nous nous à croire qu'il a besoin de nos belles couleurs l afin de l'asseurer, qu'on ne luy puisse faire nulles

reproches? Car voila comme il parle de ses

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oeuvres: quand il veut punir David de ce qu'il avoit ravi Beth-sabee, il luy dit, Tu l'as fait en cachette, et ie le feray tesmoin le soleil, dit-il. Comment cela? que est-ce que Dieu devoit faire à David? C'est qu'Absalon viendra ravir les femmes de son pere, et les violer en la presence de tout le peuple, en la presence du soleil. Voila un inceste qui est execrable, et contre nature, et neantmoins Dieu declare et prononce: Ie le feray, car ainsi dit-il. NOUS voyons donc qu'il n'y a pas un simple congé, mais que Dieu besongne tellement, qu'il faut que les meschans soyent instrumens de sa volonté, comme nous avons dit. Et de fait, ie vous prie, l'office d'un iuge sera-ce de donner congé au bourreau de faire ce qu'il voudra? Quand un iuge doit cognoistre d'un malfaicteur, et le sentencier, selon l que les loix et l'equité le portent, dira - il au bourreau, Ie te donne congé, va fay de cest homme ce que tu voudras? mais au contraire, il prononce la sentence, et puis selon icelle il met le malfaicteur entre les mains du bourreau pour en faire l'execution. Voici Dieu qui est iuge souverain du monde: ne luy ferons nous point deshonneur, en disant qu'il donne congé à Satan pour faire ce que bon luy semblera? ne seroit-ce pas se moquer de la iustice de Dieu, et pervertir tout ordre ? Il est bien certain. Ainsi donc notons quand les meschans se desbordent, et qu'ils ne demandent qu'à mettre tout en confusion, que Dieu neantmoins est par dessus eux, et qu'il conduit et gouverne les choses, tellement que rien ne s'accomplit sans sa providence, et qu'il ne l'ait ainsi disposé. Et voila pourquoy notamment il est dit qu'il souldoye ceux qui sont transportez de leur ambition, ou avarice, à faire les guerres, à faire tous les troubles du monde, que Dieu les a comme à son service: car il les nomme ses serviteurs. Mon serviteur Nabuchodonozor, dit il (Ierem. 25, 9). Et quel est Nabuchodonozor? Pour le premier c'est un idolatre, et puis un meschant qui ne demande qu'à espandre le sang humain, et que renverser tout le monde, entant qu'il luy est possible: il n'y a ni equité, ni droiture en luy: toutesfois Dieu declare qu'il est son serviteur. Et en quoy? Il ne faut pas qu'il permette ici seulement, ce seroit une bestise de parler ainsi: quand les asnes sauroyent parler, ils auroyent plus de raison que ceux qui veulent ainsi contrefaire les sages. Or donc voici Dieu qui execute ainsi ses commandemens et ses decrets, voire: mais cependant notons que le mal ne luy peut pas estre imputé en façon que ce soit: Satan demeurera coulpable en sa malice, les hommes sont redarguez et convaincus par leur conscience propre qui est leur iuge, et Dieu sera glorifié en tout ce qu'il fait. Et comment cela? Nous savons que toutes choses doivent estre

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estimees selon l'intention et la fin qu'auront les hommes.

Or regardons maintenant comment c'est que Dieu conduit et gouverne ce qui se fait ici bas. Il est vray, comme nous avons desia veu, que Satan ne demande qu'à destruire, et à ruiner tout: mais Dieu de l'autre costé, a bien une autre fin. Car toutes ses oeuvres sont appelees iugemens, et l'Escriture parlant ainsi, par ce seul mot nous veut oster toutes les mauvaises fantasies qui nous peuvent venir au devant, tellement que c'est une marque qui est pour iustifier toutes les oeuvres de Dieu, c'est assavoir, que ce sont iugemens et droitures. Or qu'il soit ainsi, voila Dieu qui punira ceux qui l'ont offensé: et qui est-ce qui pourra contester contre luy qu'il ne face bien ? Apres il voudra exercer ses fideles à patience, il voudra mortifier leurs affections charnelles, il les voudra instruire à humilité: ces choses la peuvent elles estre condamnees de nous? Il est bien certain que non: mesmes qu'on prenne les plus meschans: en despit de leurs dens, si faudra-il qu'ils glorifient Dieu, quand on leur demande s'il n'a point la puissance de chastier les vices des hommes, et leurs transgressions, et s'il ne luy appartient pas aussi d'humilier les siens, d'exercer l'obeissance de leur foy, et les don ter, afin qu'ils apprennent de renoncer au monde. Sie donc Dieu regarde à ce but-la, il s'ensuit que toutes ses oeuvres sont iustes et droites combien que les hommes y trouvent à repliquer. Il est vray que les meschans ne cesseront de gronder et d'abbayer à l'encontre de Dieu, quand ils ne pouvent mordre: mais si faudra-il qu'il en adviene, comme dit David au Pseaume 51 (v. 6) c'est assavoir que Dieu en iugeant sera iustifié. Ce n'est point sans cause que David parle ainsi: car il cognoissoit que Geste audace et malice est aux hommes, qu'ils ne demandent sinon à s'eslever contre Dieu, et ietter propos à l'esgaree. David donc, voyant qu'il y a ceste audace et perversité au monde, dit, Et bien, il est vray que les creatures se desborderont iusques là et en tel excez, qu'il faudra que Dieu soit blasphemé, qu'il faudra qu'il soit mis en tout opprobre, et que les creatures soyent comme son iuge mais si est-ce qu'il sera iustifié, quand les hommes auront bien murmuré contre luy: en la fin et pour conclusion sa iustice apparoistra en despit de leurs dens. Ne nous esbahissons point donc s'il y a des murmures contre la doctrine: car il faut qu'ainsi soit, et le S. Esprit, comme nous voyons, l'a ainsi prophetizé: mais il reste que nous cheminions en simplicité d'esprit, nous contenans de ce que Dieu nous declare de soy. Voila donc comme nous avons à pratiquer ceste doctrine.

Or cependant retenons la consolation qui nous

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est ici donnee, et que nous en soyons munis, c'est assavoir, que et Satan, et tous les meschans de ce monde pourront s'eslever contre nous: mais tant S a qu'il faut qu'ils passent sous la main de Dieu, et qu'ils executent sa volonté. Ce sera bien par force maugré leurs dents, mais si faut-il qu'ainsi soit puis que Dieu a l'empire souverain de tout le monde, et que tant le diable que les meschans luy soient subiets et qu'ils ne facent rien sans sa volonté Et voila pourquoy il est dit derechef, que Satan a comparu entre les enfans de Dieu devant luy. Or (comme nous avons desia declaré) Satan ne s'est point voulu desguiser par hypocrisie pour se mesler parmi les Anges, mais il faut qu'il compare devant Dieu pour rendre conte: non point que cela se face en lieu certain, mais l'Escriture parle ainsi, s'accommodant à nostre rudesse pource que nous ne concevons pas que toutes choses sont presentes à Dieu, et qu'il a une telle puissance et maistrise que rien ne luy est caché. Quand cela nous est exprimé, il faut recognoistre, que l'Escriture s'accommode à nostre raison, et qu'elle nous enseigne par tel moyen, qu'il est convenable à nostre sens. Dieu donc est ici accomparé à un prince qui tiendra ses assises, ou ses estats, et lors il faut que tout viene devant luy, et que tout soit là iugé. Voila pourquoy il est dit, qu'un iour certain le diable est comparu avec les Anges. Notons donc, que comme Dieu envoye ses Anges pour nous guider, et estre ministres de nostre salut, tellement qu'ils sont comme ses mains, et instrumens de sa vertu pour nous maintenir: aussi au contraire il envoye le diable pour nous fascher et nous tourmenter. Or il sait à quelle fin il le fait. Il est vray que du premier coup nous pourrons bien estre estonnez, quand nous ne verrons point de cause pourquoy Dieu fait ceci ou cela: mais où sera aussi l'approbation et l'examen de nostre foy, sinon en giorifiant Dieu, et que là où nous sommes confus, toutesfois nous concluons que tout ce qui procede de Dieu, est droit et iuste, et qu'il n'y a que toute fermeté eu ses voyes,. Si nous n'avons cela, comment nostre foy sera-lle approuvee? Et de fait l'histoire presente nous en est une belle instruction. Car si nous ne considerions pourquoy Dieu a voulu ainsi affliger son serviteur IOB, il nous semblera que nous ayons belle matiere de nous plaindre de luy. Comment ? si Dieu punit les meschans, et bien, encores en cela nous ne pouvons pas contredire mais si un homme chemine en droiture et simplicité, pourquoy est-ce que Dieu le livre entre les, mains de Satan? Si on dit, O il luy a permis tant seulement: mais si Satan estoit ainsi en sa liberté attendu la fureur qu'il a, si nous estions ainsi exposez en proye, ne faudroit-il pas que nous fussions abysmez du premier coup? Mais au contraire,

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nous voyons que Dieu veut que la patience de son serviteur soit ainsi cognue: et s'il y a d'autres raisons qui nous sont cachees pour un temps, voire pour toute nostre vie, il faut que nous demeurions la tout court, et que nous confessions que tout ce qu'il fait est bon, voire sans que la fin nous en soit cognue. Ainsi donc combien que nous ne voyons pas les diables a l'entour de nous, combien aussi que nous ne voyons pas les Anges, si faut-il que nous ayons ceci pour conclu, que Dieu envoye et les uns et les autres, voire pour nous maintenir d'un costé, et pour nous affliger de l'autre. Et nous avons tousiours besoin de cognoistre cela que Dieu a iuste raison de nous chastier, que quand nous serions abysmez cent fois le iour, nous en sommes bien dignes: mais (comme desia nous avons declare) Dieu n'a point tousiours ce regard quand il nous afflige: mais quelquesfois il vent que Satan nous tourmente ainsi, à ce que nous soyons victorieux contre luy, et que nostre victoire en soit tant plus anoblie selon que nous aurons esté assaillis rudement. Il nous veut aussi exercer par prattique, à ce que nous soyons craintifs, que nous ne prenions point occasion de nous eslever, que nous ne soyons point endormis en une vaine confiance et presomption comme nous avons accoustumé. Dieu donc nous resveille tellement, que nous regardons, que si nous n'estions soustenus de luy, ce seroit pitié: mesmes si nous n'estions relevez: d'autant qu'il nous adviendra de choir tous les coups, et de trebuscher, et pourtant il faut que Dieu mette la main dessous, ou nos cheutes seroyent mortelles. Dieu donc nous veut faire sentir cela. Mais sur tout sachons que les Anges ont un soin special de nous, afin de nous guider, comme aussi Dieu les a constituez ministres de nostre salut, et nous a commis en leur garde: et voila pourquoy ils sont nommez Vertus et Principautez. Cependant les diables ne cessent de troubler et ruiner tout, tant qu'ils peuvent: et cela n'advient point sans la volonté de Dieu: mais afin que nous soyons resveillez par eux, que nous soyons exercez en tentations, afin que nous ayons tant plus grande victoire et plus excellente, quand nous aurons vaillamment combatu, et que Satan n'aura peu rien gaigner contre nous, d'autant que nous aurons esté munis de la vertu d'enhaut, pour resister à toutes ces tentations. Voila ce que nous avons à retenir en bref de ce passage

Or pource que ceci a esté desia exposé auparavant, ie n'insisteray pas, mais reduiray brievement en memoire ce qui a esté touché. Dieu demande à Satan, d'où il vient, et il declare qu'il a raudé par tout le monde, et a fait tons ses circuits et discours. Quant à IOB, il luy demande, N'as-tu pas prins garde a mon serviteur Iob? En ceci encores

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l'Escriture s'accommode à nostre rudesse: car Dieu n'a que faire d'interroguer Satan. Toutes choses (comme nous avons dit) luy sont presentes: mais pource que nous ne comprenons point cela, il faut que nous ayons quelques façons de parler, qui nous soyent plus familieres, et que Dieu ne se monstre pas tel, qu'il est en son essence infinie (car nous en serions engloutis) mais qu'il se monstre tel que nous le concevions, et tel que nous le pouvons porter. Et en cela voyons nous sa grande bonté envers nous, d'autant que quand nous ne pouvons point parvenir à luy, il descend ici bas, afin que nous le cognoissions, voire autant qu'il nous est utile: car nous serions accablez, si nous presumions d'entrer en sa grande maiesté. Si nous ne pouvons regarder le soleil, que nos yeux n'en soyent esblouys, ie vous prie comment contemplerons nous la gloire de Dieu en sa perfection? Il est impossible, iusqu'à ce que nous soyons reformez: comme dit S. Iean que nous le verrons tel qu'il est, quand nous serons semblables à luy (1. Iean 3, 2). Maintenant contentons nous d'estre de ses enfans, et d'avoir la grace de son adoption seelles en nos coeurs par le Sainct Esprit. Et puis cognoissons le en l'image, en laquelle il se monstre à nous. Or tant y a qu'ici nous voyons ce qui a esté touché, que Satan ne cesse (comme dit S. Pierre) de faire ses circuits, comme un lion bruyant, qu'il cerche tousiours nouvelle proye. Puis qu'ainsi est, faisons bon guet, et soyons sur nos gardes: car apres que sainct Pierre nous a ainsi menace, il adiouste, Resistez lui constamment en foy. Or par cela il nous monstre qu'il ne faut point que nous soyons effrayez, encores que Satan ait une telle vertu, et qu'il soit appelé ie prince du monde: que nous ne craignions point (di-ie) d'estre abysmez par lui, moyennant que nous soyons armez de foy. Car nous aurons assez de force, et nous serons asseurez de la victoire, quand nous serons appuyez en Dieu, et en la grace de nostre Seigneur Iesus Christ, de laquelle il est parlé en sainct Iean au dixieme chapitre (v. 29): Le Pere (dit-il) qui vous a mis en ma main, est plus fort que tous: ne craignons point que Satan surmonte son createur. Or Dieu nous a rendus entre les mains de nostre Seigneur Iesus Christ, afin qu'il soit bon gardien, et fidele et de nos ames, et de nos corps. Appuyons nous donc sur cela, mais ne laissons pas d'estre en crainte et en solicitude. Ceux qui sont nonchallans se trouveront tous les coups surprins: car aussi l'asseurance que nous avons en Dieu, ne nous rend pas stupides, elle ne nous fait pas oublier les dangers, ausquels nous sommes, mais seulement elle nous soustient, afin que nous ne defaillions point en combattant. Tant y a que ceux qui s'endorment et qui se flattent, mesprisent l'aide de Dieu, et son secours.

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Nostre Seigneur dit, Ie vous soustiendray, ne craignez point, combien que Satan en ses assauts foudroye, et qu'il semble que tout doive abysmer: tant y a que vous serez à sauveté sous moy et sous ma main. Mais quand il dit cela, il ne veut pas qu'on presume de soy, et qu'on s'en contente, mais au contraire il dit, Venez à moy, retirez vous sous ma protection, que ie soye vostre forteresse contre ceux qui machineront vostre mal.

Or quand nous voyons que nous sommes assaillis de tant d'ennemis, tant plus devons nous cognoistre combien nous avons besoin de l'aide de Dieu: mais nostre asseurance est, que quand nous serons sous sa protection, Satan, ni les meschans ne pourront venir à bout de ce qu'ils ont entreprins contre nous. Notons donc comme le diable nous est depeint au vif, et que quand le S. Esprit prononce, qu'il ne cesse de faire ses discours et circuits par la terre, il faut que nous soyons tousiours au guet que nous veillions, afin de prier Dieu, et d'avoir tout nostre refuge à luy, et aussi de nous armer de plus en plus en foy, et que nous entrions en camp de bataille pour combatre vertueusement, iusques à ce que Dieu nous face iouyr de ceste victoire qu'il nous a promise. Or quand il est ici dit de Iob, que Dieu demande specialement à Satan de luy, c'est signe (comme nous avons desia declaré) qu'alors il avoit bien peu de compagnons qui servissent purement à Dieu. Et voila pourquoy notamment il est dit qu'il s'est retiré du mal: car tout estoit plein de corruptions, il n'y avoit qu'un deluge d'iniquité. S'il y eust eu beaucoup de iustes par le monde, que Iob eust eu beaucoup de semblables qui se fussent adonnez avec luy à servir Dieu, il n'eust point parlé d'un seul homme: mais notamment il dit de Iob, Il n'a point son semblable. Par cela donc nous sommes admonestez de ne nous point corrompre quand nous serons avec les meschans, et que quand nous verrons tout le monde estre desbauché et perverti, il ne faut point que nous prenions exemple de là pour nous laisser transporter: mais retenons nous en droite obeissance sous la conduite de Dieu, prions le qu'il nous fortifie par son Sainct Esprit, afin que nous ne soyons point pervertis par les scandales que nous verrons, et que le diable nous mettra en avant pour nous seduire. Puis donc , que Iob a ainsi converse en toute integrité, combien que toutes les corruptions du monde fussent I alors (car tout estoit corrompu) notons que quand l les choses seront bien confuses, qu'il ne nous faut point donner licence excessive à tout mal, mais qu'il nous faut regarder à Dieu, et estre appuyez sur luy, et cheminer comme devant sa face. Car voila aussi le tesmoignage qui est attribué aux saincts Peres qui ont vescu iustement: c'est qu'ils

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n'ont point regardé à ce que faisoyent les hommes, pour dire, I'auray le congé d'en faire autant, ie ne veux point estre meilleur que mes voisins: mais ils ont cognu, Voici Dieu qui nous voit cheminer en ce monde, il faut donc que nous soyons comme devant luy, et que nous ayons là nostre veuë fichee et arrestee. Nous avons dit ci dessus qu'emportent ces qualitez, et ces titres que Dieu attribue ici à Iob, qu'en premier lieu il avoit ceste rondeur de coeur: car c'est aussi le vray fondement sur lequel il nous faut appuyer: nous pourrions avoir toutes les vertus du monde, pour estre prisez et honorez, qu'il sembleroit que nous fussions des Anges, si est-ce que ce ne sera qu'ordure de toute nostre vie, et pollution devant Dieu, sinon que ceste fontaine de coeur soit nette et pure: car voila où nos oeuvres seront estimees.

Ainsi donc qu'un chacun descende en soy et qu'il s'espluche: car nous aurons beau plaire aux hommes, toua se contenteront de nous, et nous applaudiront: et nous ne laisserons point d'estre execrables devant Dieu, s'il y a de l'hypocrisie en nostre coeur et que nous ne soyons point purgez de toute feintise: bref, que nous ne soyons point doubles, que nous n'ayons point un coeur, et un coeur, comme l'Escriture dit en un autre passage. Or si nous sommes ainsi affectionnez de servir à Dieu, la vie aussi respondra, et nous cheminerons comme il appartient. Nous en verrons qui voudroyent bien estre reputez les plus iustes du monde: mais quoy? il ne faut que leur vie pour les dementir: ils sont tant gens de bien que merveilles: ouy, à pleine bouche, mais à pleins yeux, à pleines oreilles, à pleins pieds, à pleines mains, ce sont des diables encharnez, ce sont des pestes mortelles pour infecter tout le monde. Ainsi donc notons bien qu'il faut qu'avec la rondeur soit coniointe la preud'hommie, que nous conversions avec les hommes, sans nuire à nul, taschans d'aider à nos prochains, monstrans l'amitié laquelle Dieu nous commande. Voila donc en quoy nous monstrons nostre rondeur: c'est la vraye touche, sur laquelle Dieu nous esprouve: tout ainsi que l'or sera examiné ou à la touche, ou en la fournaise, ainsi la rondeur du coeur se monstrera par nostre preud'hommie, quand nous converserons entre les hommes sans aucune nuisance, sans appetit d'attirer à nous le bien d'autruy, que nous serons sans cruauté, sans orgueil, sans ambition: mais au contraire que nous serons debonnaires pour aider à chacun, que nous serons pitoyables pour secourir à ceux qui sont en necessité, que nous tascherons de nous employer selon la faculté que Dieu nous donne. Or tout ainsi que nous avons à cheminer en droiture et equité avec nos prochains, il faut aussi que nous craignions Dieu. Car ce n'est point raison que les

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hommes ayent leur droit, et ce qui leur appartient, et que Dieu soit frustré cependant: car c'est par luy qu'il faut commencer, comme il a le degré souverain. Ainsi donc nous avons à nous employer tellement à servir à nos prochains, que cependant Dieu ne soit point mis en oubli. Et c'est une chose qui est bien à noter: car quelquefois nous verrons une apparence de vertu aux hommes, qu'on dira qu'ils sont petis Anges, personne ne se plaindra d'eux: mais quoy? ils ne regardent point à Dieu, ains plustost le mesprisent. Ainsi donc ce n'est point sans cause que Dieu voulant ici approuver son serviteur Iob, mot ces deux choses ensemble, qu'il a conversé droitement avec les hommes, et qu'il a eu aussi ceste pieté, c'est à dire une vraye affection d'adorer le Dieu vivant. Or si est ce qu'il habitoit en ce monde ici parmi beaucoup de corruptions: et quand nous considererons l'integrité, en laquelle il a vescu, nous serons bien lasches, si nous ne persistons à tous les maux doit nous serons environnez. Il est dit que Iob s'est retiré du mal: et ainsi ne pensons point servir à Dieu sans difficulté: car nous serons solicitez à mal faire et de costé et d'autre. Comment donc marcherons nous comme il appartient? Il nous faudra appliquer nostre estude à nous retirer du mal, voire lequel mesme est en nous. si le mal estoit seulement prochain, encores nous faudroit-il estre attentifs à nous en retirer: si nous sentons quelque puanteur, incontinent nous tournons la face. Et ie vous prie quand Satan ne demande qu'à nous empunaisir, et que tout est plein d'infection, n'avons nous point bien matiere de nous retirer? Mais (comme i'ay dit) le mal est en nous c'est comme une fournaise ardente de tant de cupiditez mauvaises qui nous transportent, ce sont autant de contradictions de la volonté de Dieu: toute la nature de l'homme (dit sainct Paul) (Rom. 8, 7) n'est sinon inimitié contre Dieu. Que donc nous soyons tant plus soigneux de pratiquer ceste doctrine ici, c'est assavoir, de nous retirer du mal. Et comment nous en retirerons nous? En premier lieu regardons à nous, et à toutes nos affections meschantes, qui sont pour nous faire destourner de Dieu. Il y a puis apres les meschans, qui sont comme des boutte-feux pour nous inciter tant plus à mal, ce sont pestes mortelles.

Ainsi donc quand nous voyons tant d'iniquitez, tant de dissolutions, et de desbordemens parmi le onde, que les vices ont ainsi la vogue, que faut-il faire? Retirons nous, fuyons les occasions, comme aussi sainct Paul allegue ce tesmoignage, Retirez vous, et fuyez loin de Babylone, vous qui portez les vaisseaux du Seigneur (Es. 52, 11). Par cela S. Paul signifie, que puis que nous sommes baptisez au nom de nostre Seigneur Iesus Christ, il faut que

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SERMON IX

nous soyons sanctifiez et de corps et d'esprit, que nous soyons adonnez à Dieu, dediez à son service: ce qui ne se peut faire, que nous ne nous retirions des pollutions qui nous pourroyent corrompre. Et ainsi donc fuyons les mauvaises occasions: quand noua verrons le monde estre ainsi desbordé en tous vices, advisons de nous en retirer, ayans nos yeux fichez en Dieu, lequel nous sanctifie. Or maintenant nostre Seigneur adiouste un titre, qu'il n'avoit point fait au paravant, c'est assavoir que Iob gardoit encore son integrité. En ceci nostre Seigneur louë sa constance, laquelle n'estoit point apparuë iusques à ce qu'il ait esté navré au vif. Iob au paravant estoit homme craignant Dieu, il estoit entier il avoit Geste rondeur que i'ay dite, il avoit ceste preud'hommie, pour converser avec ses prochains. Il est vray qu'encores ceci estoit beaucoup d'avoir tant de belles vertus, mais on n'avoit point cognu s'il y avoit une telle constance en luy, qu'il demeurast en son integrité. Or maintenant Iob est-il despouillé de tout son bien? a-il perdu ses enfans? si est-ce qu'il benit le nom de Dieu, il cognoist qu'il doit vivre à ceste condition-la, que si Dieu lui donne des biens, qu'il en use, et que s'il en est privé, qu'il s'appreste d'estre tout nud et miserable, et qu'il ne regimbe point contre celui qui a toute puissance et autorité. Voila donc une constance invincible, qui a esté cognue en Iob, laquelle auparavant n'avoit point une telle approbation. Or par cela voyons nous, qu'il nous est necessaire

d'estre affligez, et que combien que nous le trouvions de prime face, dur et fascheux, toutesfois si nous est-il utile. Et pourquoy? Car nous ne pensons point à l'aide de Dieu, comme il appartient, iusques à ce que nous ayons cheminé par beaucoup de dangers, et que nous en soyons venus à bout, que nous ayons esté victorieux par dessus toutes les tentations. Ainsi donc notons bien, que tout ainsi que Dieu a declaré, que Iob retenoit son integrité, encores qu'il fust fort affligé, il faut aussi que nous passions par là, c'est assavoir, que nous soyons tousiours prests de servir à Dieu, de nous donner du tout à luy, encores que nous soyons tentez en diverses sortes. Et pourquoi? pour retenir nostre integrité. Nous voyons donc comme il est necessaire qu'un chacun de nous soit ainsi exerce, afin que d'un costé nous cognoissions la necessité que nous avons de l'aide de Dieu: et d'autre part, a ce que nostre foy soit tant mieux approuvee, et que la vertu du sainct Esprit se monstre et se declare tant mieux en nous, quand nous aurons obtenu la victoire des tentations, et des combats, lesquels noua seront livrez par Satan. Que donc nous soyons premunis de ceste vertu celeste pour resister à tous combats, iusques à ce que nous en ayons pleine victoire, quand nous serons recueillis au repos eternel du royaume celeste.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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NEUFIEME SERMON

QUI EST LE II. SUR LE II. CHAPITRE.

7. Satan sortit de 16 presence au Seigneur, et frappa Iob d'une playe mauvaise depuis la plante de son pied iusques au sommet de sa teste. 8. Lors il print un tais pour s'en gratter, et estoit assis aux cendres. 9. Et sa femme luy dit, Retiens-tu encores ta simplesse? Beni le Seigneur et meurs. 10. Il luy respondit, Tu parles comme une des folles femmes. Nous recevons le bien du Seigneur, ne recevrons nous point le mal? En tout ceci lob ne pecha point en ses leures.

Nous avons ici à noter, que quand Dieu a retiré sa main de nous, il nous faut apprester à souffrir de plus grans maux, que ceux desquels nous serons eschappez. Car voila comme Dieu

procede quand il afflige les siens: s'ils sont encores novices, qu'ils ne soyent point accoustumez à endurer mal, il les espargne, comme on ne chargera point un petit enfant ainsi qu'on feroit un homme. Dieu donc regarde nostre portee, et selon que nous sommes exercez à endurer les afflictions, il nous les envoye petites ou moyennes: mais quand nous y sommes, comme endurcis, alors il nous peut bien charger d'avantage: car il nous a donné aussi dequoi le porter. Et nous voyons comme il parle à Pierre, disant, que du temps qu'il a esté ieune, il l'a laisse à son aise et en repos, mais quand tu seras vieil (dit-il) on te ceindra, tu seras lié et garrotté, tu seras trainé où tu ne voudras point. Nous voyons donc comme Dieu regarde si

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nous sommes encores tendres pour nous supporter: et au reste, quand il nous a fortifiez, qu'il nous envoye des afflictions plus griefves et pesantes, d'autant que l'usage nous doit desia avoir plus fortifié. Ceci a esté declaré en la personne de Iob, afin qu'un chacun de noua en reçoive instruction pour soy. C'estoyent des choses bien dures, que Iob fust despouillé de .sa substance, qu'il eust perdu ses enfans, qu'il fust appovri: mais c'est bien autre chose quand Satan le frappe en sa personne, qu'il est plein d'une mauvaise rongne, de laquelle on ne sait point du tout l'espece sinon que c'estoit comme une ladrerie: et de faict l'Escriture saincte nous monstre qu'il falloit bien que le mal fust extreme. Le voila donc comme reietté de la compagnie des hommes, luy qui avoit este auparavant honoré de tous, il est là comme une charongne pourrie, tellement qu'il faut qu'il creve, par maniere de dire, en sa puantise, qu'il endure une douleur si extreme que rien plus: car telles playes ne peuvent pas estre sans une grande inflammation gui le tourmentoit iusques au bout. Nous voyons donc maintenant que ce mal dernier estoit beaucoup plus excessif que toutes les afflictions qui luy esteyent desia venues auparavant. Et c'estoit aussi ce que Satan disoit, Ouy, l'homme ne quittera-il point tousiours peau pour peau? ne baillera-il point son propre enfant pour sa rançon, moyennant qu'il eschappez? encores pense-il avoir beaucoup gagné, celuy qui a sauvé sa vie: encores qu'il ait tout perdu, si est-ce qu'il y a dequoy se consoler, et adoucir sa douleur. Voila l'astuce de Satan, qu'il a prinse du naturel des hommes: il est vray que cela ne s'est point trouvé en Iob, mais cependant si est-ce que nous sommes tous enclins à ceste affection, c'est que nostre vie nous est si precieuse, que tout le reste nous sera plus aisé à porter que le mal que nous endurons en nos personnes. Or tant y a que nous voyons ici une constance invincible en ce serviteur de Dieu: car s'il avoit persisté en son integrité, quand Dieu l'avoit affligé en ses biens, et en ses enfans, il a fait le semblable quand on l'a veu persecuté si rudement on son corps, qu'il n'y avoit point une seule place de santé, qu'il estoit là en pourriture, en des douleurs, et en des tourmens extremes: quoy qu'il en soit, il ne laisse point de benir Dieu. Apprenons donc (suyvant ce que i'ay desia dit) si Dieu nous fait eschapper d'un mal, de nous disposer à en souffrir et deux et trois, qui seront plus grands et plus excessifs. Et c'est bien raison aussi, que Dieu (selon qu'il nous a fortifiez) nous envoye des charges qui sont plus pesantes: car en cela il regarde à nostre salut. Mesmes il nous faut bien noter ceste circonstance, que Iob n'a point esté long temps que les afflictions ne soyent tousiours

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accreuës. Dieu le plus souvent nous donnera quelque relasche, tellement que s'il a esprouvé nostre patience par quelque adversité, et bien, nous aurons loisir de reprendre nostre halaine, et d'adoucir la tristesse que nous aurons eue, et puis Dieu nous envoye quelque autre calamité: mais ici il frappe coup sur coup. Car Iob apres avoir esté visité en ses biens d'une espece, le voila incontinent affligé d'un'autre: quand les voleurs luy ont pillé tout son bestail, la foudre vient du ciel pour luy consumer le reste: ses enfans meurent là comme si la main de Dieu leur estoit ennemie, et puis il endure quant et quant en sa personne. Voila donc pour accabler Iob, quant il auroit une vertu admirable en soy: mais Dieu veut besongner d'une telle façon en luy, afin qu'un chacun de nous regarde quand nous somme. affligez, que Dieu ne laisse point de nous estre pere. Car il n'a iamais abandonné son serviteur Iob, combien qu'il soit venu à telles extremitez. Et quand nous souffririons la moitié d'autant que luy, ou la dixieme partie, aurons-nous excuse en murmurant? plustost n'avons-nous point dequoy rendre graces à Dieu de ce qu'il a regard à nostre infirmité, quand il nous afflige selon ce qu'il voit que nous le pouvons souffrir? Et à quoy tient-il que nous ne soyons affligez autant ou plus que Iob? est-ce que Dieu n'ait point autant d'authorité sur nous? Est-ce que Satan auiourd'huy soit plus humain ? Noua savons qu'il y a une mesme rage de Satan nostre ennemi mortel, qu'il est tousiours d'une semblable affection qu'il estoit, et retient sa nature, c'est à dire d'estre comme un lion, ayant la gueule ouverte, et bruyant pour nous devorer. Si Dieu luy laschoit la bride, il est certain que nous aurions à endurer autant ou plus que Iob. Or nos afflictions sont moyennes et douces, si on les accompare à celles dont il est ici parlé. Concluons donc que Dieu se monstre benin et pitoyable envers nous, quand nous sommes chastiez ainsi doucement de sa main, qu'il tient un tel moyen, que nous ne sommes pas pressez iusques au bout, qu'il n'y a point ceste rigueur si grande et si excessive, comme nous la voyons en la personne de Iob.

Au reste, ici il nous est monstré comme les hommes doyvent renoncer à eux-mesmes afin de s'adonner du tout à Dieu. Or il est impossible cependant qu'un homme se plaist, ie di quand mesme il seroit bien accoustumé de servir à Dieu, qu'il ne recule tousiours au lieu d'avancer. Et qu'ainsi soit, celuy qui se plaist en soy-mesme, il se plaira aussi en ses delices, en son aise, il demandera d'avoir toutes ses commoditez, et tout ce que son appetit porte. Or Dieu nous veut traitter tout à l'opposite. Comment cela? Est-ce que Dieu se delecte à nous molester? Nenni: mais d'autant

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qu'il nous cet utile d'estre ainsi domptez, et de nous humilier pour monstrer la subiection que nous luy devons rendre. Si Dieu en ce qu'il nous envoye se conformoit à nostre volonté, on ne pourroit pas bien discerner que c'est d'estre obeissans: mais quand il nous traitte tout au rebours de nos appetis, et que nous luy sommes alors subiets, que nous tenons sous sa bride toutes nos affections, afin de nous renger à luy, et de luy attribuer cest honneur, qu'il nous gouverne, voire selon sa bonne volonté et comme il le dispose. En cela monstrons-nous que nous luy sommes obeissans. Voila ce qui nous est declaré en ce passage. Or nous voyons comme il faut que Iob combate contre toutes ses affections, qu'il en soit despouillé, qu'il se tiene là comme captif: ou autrement il se iettera hors des gonds, il s'eslevera à l'encontre de Dieu, ou pour le moins il sera despité, en sorte qu'il ne fera que se tempester là dedans, que Dieu n'aura ni credit, ni superiorité en luy. Apprenons donc à l'exemple de Iob de resister à toutes nos affections, et de les mettre bas, si nous voulons servir à Dieu. Car il est impossible qu'il iouisse de nous comme il appartient, iusques à ce que nous soyons venus là: c'est assavoir que nous renoncions à nous-mesmes, et que nostre vie ne nous soit point si precieuse, que nous n'aimions mieux de nous rendre subiets à celuy auquel nous sommes, et auquel il nous faut dedier nostre vie, que d'estre ainsi adonnez à nos commoditez et à nos aises. Vray est que nous pouvons bien demander à Dieu qu'il nous assiste, et qu'il nous envoye ce qui nous est propre. Mais cependant si faut-il tenir ceste mesure, qu'il en face comme il cognoist estre bon, et encore que nostre appetit soit au contraire, qu'il nous face la grace de nous conformer à luy, et suyvre par tout où il nous appellera. Et c'est ce que nous avons à pratiquer tout le temps de nostre vie. Quand un mestier sera difficile, il faut avoir plus de temps à l'apprendre, et y a plus d'artifice. Or ceste leçon ici nous cet difficile tant et plus, ie di à la pratiquer. Il est vray que nous confesserons assez, que c'est bien raison que Dieu soit le maistre, et qu'il regne par dessus nous, que nous ne venions point à nous rebecquer contre luy: mais quand se vient au fait, il y a bien peu qui se rengent là. Ainsi donc apprenons tout le temps de nostre vie de raccorder ceste leçon, et nous y exercer, iusques à ce que nous y ayons profité comme il est besoin. Mais pource qu'il en sera traitté plus amplement ci apres, ie ne fay que toucher ces choses comme en passant.

Venons à ce qui est adiousté au texte: c'est assavoir, que la femme de Iob le vient soliciter à desespoir. Comment? demeures tu encores en ta simplesse? Benis Dieu, et meurs. Sans que nous ayons

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des soufflets qui allument le fou, desia le diable trouve assez de moyens en nous pour nous' soliciter. Car nous savons qu'en nostre nature il y a tant de rebellions, que c'est pitié: au lieu que nous devrions estre paisibles pour nous assubiettir à Dieu et d'esprit et de volonté, nous concevons des phantasies volages, et n'y a celuy de nous qui n'ait en son cerveau comme une garenne de telles resveries, desquelles il cet comme enyvré, comme nous savons que toutes les cupiditez de nostre chair sont ennemies à Dieu. Ainsi donc il n'y aura personne qui DC se desbauche, quand nous n'aurions point des boutefeux, qui nous viendroyent soliciter à l'encontre de Dieu, qui nous viendroyent induire à desespoir: brief quand Satan ne prendra point des instrumens hors de nous, afin de nous decevoir, il en trouvera assez en nos personnes: les ennemis sont desia au dedans: car (comme i'ay dit) toutes nos phantasies volages sont autant d'adversaires à Dieu: toutes nos affections sont armées à l'encontre de luy, pour nous faire rebecquer contre les afflictions, quand il nous les envoye. C'a esté donc une double guerre à Iob, quand outre ce qu'il pouvoit estre tenté en soy, sa femme le solicite à desespoir: c'est comme le comble de tout mal. Or Dieu permet que ceci adviene à ses fideles, et sur tout quand il les veut experimenter au vif. Et cela n'a point esté seulement en Iob: mais nous le voyons sur tout en David: nous le voyons aussi en nostre Seigneur Iesus Christ. Voila deux miroirs ausquels Dieu -nous a voulu representer ceste espece de tentation. Car les plus grieves complaintes que fait David, c'est qu'on s'est mocqué de l'esperance qu'il avoit en Dieu, tellement qu'il estoit là en opprobre d'un chacun, qu'on tiroit la langue contre luy, O le voila, il sembloit qu'il fust assis au giron de Dieu, il l'appelloit son protecteur, son bouclier, sa forteresse il se vantoit de l'invoquer, d'avoir son refuge à luy: bref, il sembloit que iamais Dieu ne le deust abandonner, et on voit maintenant comme il luy en a prins. Tous les maux que David a enduré ne luy ont pas esté si durs, et ne l'ont pas navré si mortellement, comme ces reproches qu'on luy faisoit. Et de fait Satan voit qu'il nous tient comme à la gorge, quand il aura gagné ce point sur nous: car il n'est point question là de nous picquer, et navrer aux bras ou aux iambes, mais il vient droit au coeur, et à la gorge, quand il a tant fait que les meschans se moquent de nous comme si nous avions esperé en Dieu en vain, et que nous fussions frustres de l'attente que nous avons euë en luy. Voila donc pour aneantir nostre foy, si nous donnons lieu à une telle tentation. Or ce qui est ainsi advenu à David, a esté accompli en nostre Seigneur Iesus Christ. Il faut donc que nous qui sommes ses membres soyons conformes à

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luy, et que ceste similitude-la s'accomplisse en nos personnes. Et ainsi apprestons - nous à resister quand nous endurerons des maux, et que les mechans nous viendront piquer, qu'ils se moqueront de nostre foy, afin de nous faire tellement desesperer, qu'il nous semble que Dieu nous soit contraire; que nous soyons abbreuvez de luy d'une vaine esperance, quand nous n'y trouvons pas le secours que nous y avons attendu. Armons-nous contre une telle tentation, afin de ne point succomber. Il est vray (comme i'ay desia dit) qu'elle est fort difficile à surmonter, mais nous voyons ce qui est ici escrit de Iob: celuy qui l'a soustenu, n'est-il pas aussi bien puissant pour nous aider à ce que nous ne defaillions point? Tant y a que nous avons ici l'exemple, qu'apres que Satan nous aura tourmentés, que nous aurons esté visitez, et en nos personnes, et en nos biens, et en tout le reste, pour le comble il faudra encores que nous soyons moquez, et que nostre foy soit assaillie. Or cela ne se peut faire, que le Nom de Dieu ne soit blasphemé. Et pourtant nous devons estre faschez et angoissez iusques au bout quand cela advient. Car les incredules en nous reprochant que nous sommes reiettés de Dieu, l'accusent de mensonge comme s'il nous avoit trompé, il faut donc que ceci nous fasche et nous tourmente: mais quoy qu'il en soit, que nous ne defaillions point pourtant, et que nous reduisions on memoire ce qui est advenu à Iob, à David et ce que Iesus Christ nous a monstré afin que nous ne trouvions point estrange si nous sommes configurez à son image. Car voila à quelle condition Dieu nous a entez au corps de son Fils, ainsi qu'il est le patron general de tous fideles comme S. Paul en traitte au huictieme des Romains. Or regardons maintenant qu'emporte ceste tentation qu'amene la femme de Iob, Retiens-tu encores ta simplesse? comme si elle disoit, que gagnes tu à servir à Dieu? car ton intention a esté en le servant d'estre supporté de luy, qu'il t'eust agréable et qu'il monstrast par effect qu'il estoit ton pere. et tu vois qu'il t'est comme ennemi, et qu'il te persecute. Ainsi donc ton integrité ne te profite rien. Voila quelle est sa conclusion. Quant à ce qui s'ensuit, Benis Dieu et meurs, on l'expose en diverses sortes, car nous avons veu que ce mot de Benir se prend aucunesfois pour maudire: et cest usage, c'est à dire, ceste façon de parler, est pour nous instruire à detester les blasphemes contre Dieu, comme une chose qui ne se doit pas nommer. Il-nous est donc signifié, que de murmurer contre Dieu, de le maugreer, et desgorger quelque parole qui soit contre son honneur, cela est si detestable que nous le devons avoir en horreur: comme mesmes nous voyons que sainct Paul, quand il parle des paillardises, et d'autres dissolutions vilaines, et

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de gourmandises, et de larcins, que cela (dit-il) ne soit point mesme nommé entre vous. Et pourtant on expose ce passage ici, Benis le Seigneur, c'est à dire, despite Dieu, et puis tu mourras: Venge-toy de luy une fois devant que mourir, car tu vois bien qu'il t'a trompé. Or il n'y a nulle doute, que ceste femme ici ne soit une organe de Satan: il ne se faut point donc esbahir si elle est comme une Proserpine, que ce soit une furie d'enfer pour mettre Iob en une telle rage qu'il s'esleve à l'encontre de Dieu, qu'il viene hurter contre sa maiesté. Mais quand on aura bien regardé, le sens naturel est plustost, Bonis Dieu et meurs, c'est à dire, Bien que tu persistes tant que tu voudras à benir Dieu, mais tant y a que tu n'y gaigneras rien: c'est temps perdu, il te faudra mourir aussi bien: cela donc est tout resolu: car tu vois que tes prieres ne sont point exaucées de Dieu: quand tu le glorifies, c'est tout un, tout cela ne parvient point iusques au ciel: tu as beau donc ici t'humilier devant Dieu mais si faut-il que tu meures comme un povre desesperé: n'attens point que Dieu s'appaise envers toy, ne que sa fureur s'adoucisse, il faut que tu passes par là. Vray est que le sens revient tousiours à un: et pourtant il ne nous faut pas trop insister sur les mots, car c'est le principal aussi que nous ayons la doctrine telle que nous la donne le Sainct Esprit. Pour le premier, et sans aucune difficulté, comme contiennent ces mots, il est certain que ceste femme de Iob n'a tendu sinon a' cela de le mettre en desespoir, afin qu'il s'aigrist à l'encontre de Dieu, et qu'il perde tout sentiment, et qu'au lieu de benir Dieu comme il avoit fait, il le despite, et se iette à travers champs comme une beste sauvage.

Or ici nous avons bien à considerer ce qui est dit de Iob: car c'est une instruction commune pour tous fideles Retenons la donc, et l'appliquons à nostre usage. Il est vray que ce mot ici est procedé de la bouche d'une femme: mais combien en trouvera on qui diront auiourd'huy le semblable? C'est l'usage ordinaire du monde: car nous ne servons à Dieu sinon à bonnes enseignes, comme on dit. Et mesmes les hommes n'ont point de honte de confesser leur incredulité par proverbes: ils diront qu'il ne faut pas tellement se fier aux branches, qu'on ne se tiene au corps de l'arbre, comme s'ils disoyent, qu'il ne se faut pas du tout fier en Dieu. (les choses-la où tendent-elles sinon pour monstrer que nous n'attribuons nul honneur à Dieu? mais nous le concevons selon que les choses se portent. Si Dieu nous fait du bien, encores pourra-il bien estre que nous monstrerons que nous sommes tenus à luy: mais s'il nous traitte mal, incontinent ce sera à dire, Et à quel propos nous travaillons nous? Et ainsi notons bien que si Iob

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a esté tenté, et solicité par sa femme, Satan aura beaucoup de supposts auiourd'huy qui nous pourront induire à semblable tentation, sinon que noue soyons armez et munis pour y resister. Voila donc ce que nous avons à faire. Au reste, quand bien mesmes les meschans ne nous viendront pas ainsi piquer, si est-ce que ceux qui ont le plus profité en l'escole de Dieu, encores pourront-ils concevoir de telles phantasies. Nous voyons mesmes que David confesse de soy, qu'il a esté comme sur une glace (Ps. 73, v. 2), qu'il est cuidé renverser quand il a fait ces discours, voyant que les meschans sont souventesfois bien traittez, qu'ils s'enyvrent de voluptez en ce monde, qu'ils ne languissent point comme font les bons: au contraire, que les povres fideles boyvent ici de l'eau d'angoisse, que Dieu ne cesse de les affliger. Il proteste donc que finalement il est venu iusques à dire, Et quoy? Ie travaille d'avoir les mains nettes et pures, et n'est-ce pas temps perdu? n'est-ce pas un labeur inutile? David confesse qu'il a esté solicité d'une telle tentation, non pas qu'il y soit trebusché, mais cela luy est venu au devant, et il y a resisté constamment Ainsi donc notons, quand le diable nous apportera de telles allumettes pour nous enflammer tant plus à l'encontre de Dieu en nos afflictions, que nous ne luy donnions point d'audience, afin de n'estre point circonvenus par luy: et pour ce faire que nous ayons premedité ceste doctrine de longue main, laquelle est pour nous donner la victoire contre tels combats. Et voila aussi pourquoy il est dit en Isaie, Dites, Il y aura loyer pour les iustes c'est à dire, Concluez ainsi: Quand vous verrez les choses confuses, tellement qu'il semblera que tout ordre soit renversé, et que Dieu favorise aux meschans, et haysse les bons, ou bien qu'il n'y ait plus que fortune qui domine, que Dieu dorme au ciel, qu'il ne gouverne plus les choses d'ici bas: si est-ce qu'il vous faut tousiours avoir cela conclu en vous: il y aura fruict pour les iustes. Ainsi donc il est vray qu'il n'y peut avoir pire tentation que ceste-ci, de cuider que nous perdons nostre peine en servant à Dieu, benissant son nom, et nous tenant sous luy: mais si faut-il que nous soyons persuadez que Dieu ne veut point frustrer ceux qui l'honorent et le servent. Si nous n'avons cela, il est impossible que iamais nous ayons le moindre desir qu'on sauroit dire, de nous adonner à Dieu: si nous pensons que Dieu nous tourne le dos, qu'il se moque quand nous travaillerons icy bas, qu'il ferme les yeux, et que ce soit temps perdu de cheminer en toute solicitude, et qui sera celuy qui pourra s'appliquer à bien faire? Ainsi donc d'autant qu'il faut que ceux qui servent à Dieu, et qui en approchent de plus pres, ayent cela tout resolu, qu'il remunere ceux qui le craignent: nous

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voyons que la pire tentation et la plus mortelle que Satan nous puisse mettre au devant, c'est quand il nous semble que nous perdons temps, quand nous prions Dieu, et que nous avons nostre recours à luy. Et d'autant plus nous faut-il estre vigilans contre une telle tentation, que nous voyons qu'elle est si mauvaise et si dangereuse. Cependant notons qu'il nous faut estre munis contre les plus grands amis que nous ayons. Il est question ici de ne point acquiescer ni à ma femme, ni à mon prochain simplement, voire à celuy à qui ie me fie. Car il nous faut estre tellement conioints les uns avec les autres, que nous regardions tousiours à Dieu, et que le lien de nostre concorde et de nostre amitié procede de luy. Retenons aussi que si un homme a un diable en la maison qui le tourmente, s'il en a deux ou trois, d'autant plus faut-il qu'il soit sur ses gardes: tant s'en faut, que cela serve d'excuse à ceux qui se despitent à l'encontre de Dieu: car il nous declare que nous avons à nous garder de toutes parts. Et pourquoy? Satan nostre ennemi est trop subtil, il regarde de quel costé il entrera mieux, et s'il y a quelque partie foible, ce sera où il fera bresche. Or les plus faciles entrées qu'il ait a nous, ce sera par l'amour que portera le mari à sa femme, et un ami singulier à celuy auquel il se fie. Satan voit bien que nous donnons entrée à ceux-la: ainsi donc il taschera de s'en servir contre nous tant plus. Or cela ne doit point diminuer les amitiez qui sont bonnes et selon Dieu: mais il faut que le mari prie Dieu, qu'il ne permette point que sa femme luy soit comme un tison d'enfer, pour allumer un feu d'impatience, ou de desespoir en luy, pour l'induire à blasphemer: il faut aussi que la femme prie Dieu, que son mari la conduise comme il appartient, et qu'il soit tousiours pour l'instruire en bien comme son chef et son superieur. Et puis quand Dieu nous a donné des amitiés, et des accointances, que noue le prions qu'il face servir tout cela à son honneur, que ce soit pour nous avancer les uns les autres au chemin de salut et non point pour nous desbaucher. Voila donc ce que nous avons à faire en premier lieu. Et au reste que nous advisions que chacun et femmes et maris, et amis, et parens nous aident à servir Dieu et que nous tendions tous là. Sur tout quand nous voyons que Dieu habite en eux, et qu'il s'en sert Gomme de ses propres mains, afin de nous guider. Hais si un ami ou un parent, ou une femme tasche de nous desesperer, ô il est question de renoncer à tout: car il faut que Dieu soit preferé, il faut que de luy nos amitiez commencent et qu'elles se rapportent aussi là comme à leur vray but. Voila ce que nous avons à noter en ce passage comme aussi Iob nous en a monstré l'exemple.

Or il dit, Tu as parlé comme une des folles

IOB CHAP. II

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femmes: voire, Recevons nous le bien de la main du Seigneur, et nous n'en recevrons point le mal ? Quand Iob respond, que sa femme a parlé en folle, par cela nous sommes admonestez, qu'il nous faut redarguer vivement tels blasphemes, d'autant qu'ils sont desgorgés de Satan. Car si nous voyons qu'un espee tire contre nous, voire d'un coup d'estoc, qui soit pour nous navrer à mort, que devons-nous faire là dessus? nous laisserons-nous là tuer, ne faisans semblant de rien? nenni: mais nous regarderons de nous destourner du coup, et le repousserons si nostre vie nous est chere. Et ainsi quand Iob a veu qu'il estoit ainsi persecuté de sa femme, et qu'elle n'estoit pas seulement pour luy causer quelque mal en son corps, mais pour le mettre au profond d'enfer, il luy resiste vivement. Voila donc en quelle vertu nous y devons proceder, et n'est point question de nous iouër avec Satan, quand nous voyons un ennemi si furieux, ne que nous y allions comme s'il n'y avoit que quelque petit assaut, qui fust facile à surmonter. Et au reste Iob a eu aussi regard à ce qui a desia esté recité: car (comme nous avons dit) si on nous reproche que c'est une chose frustratoire d'esperer en Dieu, il est vray que nous sommes troublés, et que c'est assez pour esteindre nostre foy: mais cependant Dieu est accusé d'estre desloyal et se mocquer des siens, mesmes de n'estre point iuste: tout ce qui luy est propre luy est ravi, il ne sera plus Dieu, sinon qu'il discerne entre le bien et le mal pour avancer ceux qui l'ont servi en integrité, qu'il soit Iuge du monde, et que il soit prest d'exaucer ceux qui auront recours à luy. Si Dieu est despouillé de telles vertus, il est certain que voila et sa gloire et sa divinité, et son essence qui est abolie. Ainsi donc Iob n'a peu souffrir de tels blasphemes, comme aussi il est dit au Pseaume (69, 10), Que le zele de la maison de Dieu nous doit ronger le coeur, et nous doit consumer, et l'opprobre qu'on luy fait, doit revenir sur nous: qu'il fait que nous soyons angoissez en cela, quand nous voyons que l'honneur de Dieu est blessé. Si donc nous sommes de ses enfans, il faut que nous. nous opposions à cela. Voila ce que nous avons à noter, quand Iob redargue ainsi vivement sa femme, Tu as parlé comme une folle. Or cependant notons que ceste response ici doit estre faite contre les tentations semblables, de quelque part qu'elles viennent, et qu'elles nous soyent dressées. Sur tout quand nous sommes troublez par les phantasies mauvaises de nostre chair, il faut que nous ensuyvions lob, comme aussi c'est là qu'il nous faut exercer nos fascheries: et au lieu que nous avons accoustumé de nous despiter contre ceux qui nous auront picquez, ou qui nous auront fait quelque iniure, qu'un chacun commence à se tempester contre soy: que nous regardions, Or ça

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i'ay un tel vice: quand i'auray bien tout regardé, ie me courrouce contre mes ennemis, si quelqu'un a machiné mal contre moy, ie ne puis avoir nulle patience, ains ie suis transporté d'un appetit de vengeance pour luy rendre la pareille: et quand i'ay fait bonne consideration, ie ne trouve point de pire ennemi de mon salut que moy mesme c'est à dire, ceste meschante nature, et les affections mauvaises, que ie conçoy là dedans, sont autant d'inimitiez pour empescher mon salut: il faut donc que ie me courrouce en moy-mesme, puis que c'est de là que procedent mes plus grands ennemis. Quand donc il nous viendra telles tentations, comme nous voyons qu'il en est ici advenu à Iob apprenons d'y resister constamment sans nous flatter, afin d'en pouvoir venir au dessus. Quand nous verrons que nous sommes induits par quelques mauvaises fantasies pour nous rebecquer à l'encontre de Dieu, comme nostre nature est pleine de rebellion, et de repugnance contre luy, que nous ne nous flattions point pour dire, comme d'aucuns, que c'est nostre naturel, et que nous ne le pouvons pas corriger: cognoissons que telles excuses ne nous serviront de rien, mais il faut batailler constamment et resister: et n'est point question de dire tout simplement, O il nous faut garder, ou ie ne say quoy. Nenni non: mais il faut entrer en ce combat, voire et en un combat vif, où il nous faut appliquer tour, nos sens, et toutes nos estudes, on iamais nous n'en viendrons à bout. Voila dequoy nous sommes advertis en ce passage.

Or quand Iob adiouste: Si nous recevons le bien

du Seigneur' pourquoy ne recevrons - nous aussi le mal? Il met ici un argument naturel, qui est pour nous induire à porter patiemment les maux et les adversitez que Dieu nous envoye. Car si nous sommes obligez à un homme, que nous ayons receu tant de biens de luy, nous regarderons, Voici cest homme qui m'a fait du bien beaucoup. Si sur cela nous n'endurons quelque chose de ceux à qui nous sommes tant tenus, ne dira-on pas qu'il y a une ingratitude trop vilaine en nous? Selon donc que nous sommes obligés aux hommes mortels, nous serons aussi patiens, quand il nous faudra endurer quelque mal pour eux. Si un enfant est prest d'endurer de son pere, quand il cognoist que le pere l'a engendré, qu'il l'a nourri, qu'il le tient encores en sa maison: si l'enfant est retenu, combien que son pere luy soit rude, pour cognoistre neantmoins que c'est bien raison qu'il endure de luy: si (di-ie) nous attribuons cela aux creatures, que devons - nous au Createur ? Voici Dieu qui nous fait tant de biens, et n'endurerons-nous nul mal de luy, quand il luy plaira? De doit-il point avoir la maistrise par dessus nous, et nous affliger quand bon luy semble ? Ce regard - la

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nous doit bien faire plier le col, et nous tenir paisibles: et c'est l'argument que fait ici Iob. Il avoit desia dit auparavant. Le Seigneur l'a donné, le Seigneur l'a osté: c'estoit une autre raison: car il signifioit on cela quand Dieu nous donne des biens que ce n'est point pour nous en faire proprietaires (comme on dit) mais qu'il nous les donne pour un usage temporel, et que tous les iours noua soyons prests de lui remettre ce qu'il nous a donné. Voila donc une raison naturelle que Iob amenait: maintenant il on amene une autre seconde: Et quoy? Nous recevons le bien de la main du Seigneur, pourquoy donc n'en recevrons-nous le mal? car quand nous sommes ainsi tonus à Dieu, il y a une ingratitude trop vilaine, si nous ne voulons souffrir pour luy. Au reste si nous voulons bien considerer ceste raison, il nous faut on premier lieu faire comparaison de Dieu avec les creatures et puis pour le second, il nous faut comparer les biens que Dieu nous eslargist, avec ceux que noua pouvons recevoir des hommes. Quand Dieu viendra en reng, ie vous prie, tout l'honneur et toute l'authorité qu'on doit attribuer aux creatures, qu'est-ce sinon une petite goutte, au pris de ce qui est deu à Dieu, et de ce qu'il merite? Ainsi donc notons bien que quand nous serions plus patiens à souffrir les afflictions cent mille fois que nous ne sommes quand le mal nous viendra du costé des hommes, ausquels nous sommes obligez, encores n'est-ce rien fait. Pourquoy ? Pource que la maiesté de Dieu surmonte toutes IOB creatures, tellement que nous ne pouvons nous acquitter on"

vers luy comme il appartient: et encores que nous facions nostre devoir envers les hommes, il est impossible de venir à bout de ce que nous devons à Dieu. Mais sur tout, il nous faut noter les graces qu'il nous distribue de sa main tous les iours. Contons bien: il est vray que quand nous aurons conté, il faudra confesser avec David (Pseau. 40, 6), qu'il n'y a ne nombre ne mesure. Et pourquoy ? Car c'est un abysme de la bonté de Dieu, en sorte qu'il faut que nous y soyons ravis toutes fois et quantes que noua y pensons. Et qu'ainsi Boit, si un homme regarde des sa naissance, et mesme devant sa naissance, comme Dieu s'est monstré pere envers luy, ie vous prie, devant que nous venions à la centieme partie, ne faudra-il point que noua soyons confus? Puis qu'ainsi est donc que les graces de Dieu sont innombrables, et qu'elles ne se peuvent comprendre nullement: pourquoy ne recevrons-nous les maux qu'il nous envoye? car encores que nous fussions affligez beaucoup plus que noua ne sommes pas, ai est-ce que tousiours les benefices de Dieu surmonteront de beaucoup plus que toutes les afflictions que nous pourrons souffrir de sa main. Ainsi donc notons bien ceste raison de Iob, afin que quand Dieu nous affligera, noua portions patiemment le tout, cognoissans que c'est bien raison que nous recevions le mal de sa main puis que nous on avons receu tant de biens. Mais ce qui reste de ceste sentence sera reservé à demain, pource qu'elle ne pourroit pas estre maintenant deduite plus au long.

Or nous prierons ce bon Dieu etc.

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DIXIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE II. CHAPITRE.

ce Sermon contient le reste de l'Exposition du verset dixieme, et puis les versets suyvans.

11. Or trois amis de Iob ayans ouy tous les maux qui luy estoyent advenus, c'est assavoir, Eliphas Themanite, Baldad Subite, et Zophar Naamathite, vindrent du lieu ou ils habitoyent: car ils s'accorderent de venir pour avoir compassion de luy, et le consoler. 12. Or en levant leurs yeux de loin ne le cognurent pas, et puis ils esleverent leurs voix, et gemirent et descirerent leurs robes, et ietterent la poussiere su; leurs chefs vers le ciel, 13. Et s'assirent avec luy à terre par l'espace de sept iours, et de septnuicts, tellement que nul ne sonnoit mot, car ils voyoyent que sa douleur estoit grandement augmentee.

Nous traittasmes hier en somme que veut dire ceste sentence. de Iob, Nous avons receu le bien

de la main du Soigneur, pourquoy n'en recevrons nous le mal? c'est pour monstrer que les hommes sont par trop ingrats s'ils ne cognoissent qu'estans obligez à Dieu de tant de benefices, et de graces qu'ils ont receuës de luy, ils ne doivent refuser de souffrir quelques afflictions quand il les veut ainsi exercer. Or il y en a qui l'entendent diversement, Nous recevons le bien de la main du Seigneur, comme si Iob esperoit qu'à l'advenir encores Dieu luy seroit tel, comme il l'avoit senti auparavant. Il leur semble donc que Iob a voulu consoler sa femme, et soy-mesme, en disant, le mal ne durera pas tousiours, si Dieu nous afflige, cela n'est pas qu'il vueille continuer iusques au

IOB CHAP. II.

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bout, en la fin encores aura-il pitié de ceux qui sont ainsi angoissez. Mais le sens naturel est celuy que nous avons desia exposé, c'est assavoir que Iob reduisant en memoire les biens qu'il avoit receus de la main du Seigneur, se tient oblige à luy iusques là qu'il faut qu'il soit patient en toutes adversitez. Et de là nous avons à recueillir une bonne doctrine et utile, c'est toutes fois et quantes que les maux nous pressent, que nous coignoissions que Dieu s'est monstré si bon Pere envers nous et en tant de sortes, qu'il ne nous faut point esbahir s'il nous chastie par fois, et que pour cela nous ne devons point estre incitez, ni esmeus à murmurer contre luy. Or cependant il est certain que Iob ne pouvoit pas estre consolé, sinon qu'il appliquast au temps à venir les graces qu'il avoit desia recenës de Dieu. Car si nous cognoissions seulement que Dieu nous a esté bon pour le temps passé, et que nous n'eussions rien plus, que seroit ce? nous ne pourrions pas estre patiens comme il a desia esté dit. Il faut que nous soyons asseurez de la bonté et de l'amour de Dieu, il nous faut tousiours esperer en sa grace ne doutans point qu'il ne poursuyve à nous aimer, encores qu'il nous traitte rudement. Iob donc a tellement reduit en memoire les benefices qu'il avoit senti au paravant de la main de Dieu, qu'il a fait ceste conclusion, que Dieu n'avoit point changé de propos, ni de nature, encores qu'il l'afflige, qu'il ne laisse point d'estre tousiours bon et iuste. Quand nous aurons ceste consideration-la, voila qui pourra adoucir nos tristesses. Il est vray que les maux qui sont contraires à nostre nature, nous seront bien aigres à porter' et bien difficiles: comme des medecines seront ameres et fascheuses, mais si est - ce qu'on adoucit les medecines, afin qu'elles puissent plus aisement estre receuës. Dieu nous donne aussi dequoy adoucir les afflictions, afin que nous ne soyons point contristez par trop. Et voila le principal, c'est que combien qu'il nous semble que Dieu nous soit contraire, toutesfois attendu que nous l'avons experimenté si bon, et qu'en tant des sortes il nous a fait sentir son amour, nous ne doutions point qu'il ne poursuive iusques en la fin, Pour ceste cause il est dit, que Iob en tout ceci n'a point offense en ses levres. Or ici il ne nous faut point entendre que Iob ait esté un hypocrite, et qu'il ait glorifié Dieu de bouche, et cependant qu'il ait ou une affection au coeur toute contraire. Pourquoy donc est-ce qu'il est dit, qu'il n'a point peché on ses levres? c'est pour monstrer qu'il a ou une vertu admirable. Vray est que quelquefois combien que nous concevions des mauvaises fantasies, qu'encores nous nous retenons, et ne nous eschappe point de mauvais propos. Comme quoy? Un homme sera tenté de se despiter à l'encontre de Dieu, il luy viendra beau

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coup d'imaginations au cerveau, qu'il s'esleveroit volontiers contre Dieu, mesmes il conçoit des blasphemes. Or sur cela il se reprime, et se redargue soy-mesme: Povre creature comme l'entons tu ? Voila donc comme au milieu de nos tentations Dieu nous fait la grace de resister, en sorte que nous ne venons point-là à l'extremité pour blasphemer ouvertement contre luy: non point que cependant nous ne soyons coulpables d'avoir conceu telles choses, et qu'il ne nous faille condamner devant Dieu: toutesfois si est-ce qu'il faut bien que l'Esprit ait besongne on nous, quand nous n'avons point consenti à telles tentations et ne nous y sommes point pleus. On pourroit bien prendre ce passage on ce sens-la, Que Iob n'a point offensé en ses levres, c'est à dire qu'il n'est point venu iusques à l'extremité: combien qu'il fust solicité à mal, toutesfois qu'il y a resisté, que le mal ne l'a point du tout vaincu, mais qu'il a bataillé constamment. Non obstant quand nous aurons bien tout regardé, il n'y a nulle doute, qu'ici Iob ne nous soit mis au devant comme un homme vrayement parfait on patience. Et pour mieux comprendre cela, notons ce que dit Sainct Iaques (3, 2), Que celuy qui n'a point peché en sa langue est parfait par dessus tous. Et pourquoy ? Nous voyons combien les hommes sont volages à parler, qu'aucunesfois devant que nous ayons conceu une chose, elle est dite: celui qui se peut retenir, tellement qu'il n'a aura point un mot qui lui sorte que bien moderé, et bien compassé, celui-la monstre qu'il est doué d'une grace singuliere.

Voila ce que nous avons à noter ici de Iob, que tant s'en faut qu'il se monstre rebelle à Dieu, que mesmes toutes ses paroles sont si bien reiglees, qu'au lieu que les hommes sont si legers, qu'ils ne peuvent point moderer leurs langues, Iob s'est humilié devant Dieu. Or par cela nous sommes instruits d'invoquer Dieu, afin qu'ils nous face la grace de n'user iamais de propos qui tendent contre l'honneur de son sainct nom. Car nous savons que la langue doit estre principalement dediee à l'honneur de Dieu. Il est vray qu'il nous y faut appliquer tous nos membres: comme il a tout creé, c'est bien raison aussi que le tout se rapporte à sa gloire: mais il veut que les langues resonnent on nos bouches, tellement qu'elles soyent instrumens à le glorifier: que si nous les appliquons à l'opposite, c'est pervertir l'ordre de nature. Or tant y a que nous sommes adonnez à ce vice (comme i'ay dit) et qu'il n'y a rien plus difficile que de nous retenir. D'autant plus donc avons nous besoin d'invoquer Dieu, afin qu'il nous gouverne on telle sorte, que mesmes nous ne prononcions point un mot, qui ne soit à son honneur. Au reste, si quelquefois nous concevons des meschantes fantasies, comme il

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est impossible en telle fragilité que nous n'ayons beaucoup de mauvaises cupiditez, et Satan nous induira à ceci, ou à cela, sachons que desia nous sommes coulpables devant Dieu, et qu'il luy en faut demander pardon: mais cependant que nous combations vaillamment, et que ces choses ici soyent mises sous le pié, et que nous facions comme il fut hier dit. Car Iob non seulement redargue sa femme, mais il monstre sa folie. Il faut donc que nous advisions de ne point entrer en dispute et en procez contre Dieu, mais plustost que nous apprenions de nous reprimer, voire et nous redarguer vivement. Voila comme il nous faut estre apres pour condamner un tel vice qui est en nous. Et en cela voyons nous la bestise qui a regné et regne encores auiourd'huy entre les Papistes: car en leurs synagogues ils diront, que quand un homme entrera en doute, s'il y a un Dieu ou non, si Dieu est iuste ou non, quand il concevra des blasphemes en sa teste, horribles et enormes, moyennant qu'il n'y consente point du tout, que cela n'est point peché. Si un homme est solicité à desrober, ou à meurtrir son prochain, ou à blasphemer, ou à s'adonner à paillardises, qu'il sente des affections là dedans qui le transportent, ils disent que tout cela n'est point peché. Ne faut-il pas que telles gens soient pires que bestes brutes? Si est-ce que voila une resolution toute commune entre les Papistes: et ils sont bien dignes de telles resolutions, d'autant que il n'y a qu'hypocrisie en eux: qu'ils veulent amoindrir tellement les pochez, que ce ne soit plus rien: ils feront des pechez veniels quand l'homme aura offensé Dieu mortellement: quand il aura commis un peché le plus enorme du monde il ne faut qu'un aspergez d'eau beniste, et les voila aquittez envers Dieu. Or de nostre part (comme i'ai desia dit) advisons que si nous sommes solicitez de quelque mauvaise doute, desia nous sommes condamnez devant Dieu. Prevenons donc son iugement, que nous soyons nos iuges, et passions condamnation, et cependant ne doutons point que Dieu n'ait pitié de nous, et qu'il ne nous supporte en nos infirmitez, moyennant que par la grace de son S. Esprit, nous reiettions telles choses, et que nous n'y consentions point pour mettre à execution les mauvaises fantasies que nous aurons conceu en nostre esprit. Voila comme nous en devons faire.

Or il est dit consequemment: Que trois amis de Iob ayans entendu tous les maux qui luy estoyent advenus, ont prins conseil de le visiter: Et comment? pour avoir compassion de luy, et pour le consoler. Il semble bien de prime face que Dieu vueille alleger son serviteur Iob, quand il lui envoye des personnages qui monstrent avoir pitié de son mal, et qui sont savans et prudens pour le pouvoir

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consoler, comme nous verrons bien par leurs disputes tantost apres, que c'estoient gens exquis. Or donc en eust peu iuger que desia Dieu vouloit tendre la main à Iob pour le delivrer des maux qu'il lui avoit envoyé: mais nous verrons que ceste visitation de ses amis, a esté pour aggraver son mal, et pour le plonger iusques au profond des abismes. Par cela que nous soyons admonnestez, si quelque fois nous avons esperance d'estre retirez de nos afflictions, et si la chose n'advient pas comme nous l'avons attendu,, qu'il ne nous faut point trouver cela nouveau. Car nous voyons que Iob a esté frustré de son espoir qu'il a eu en voyant ses amis, et qu'ils lui ont esté comme des diables pour le tourmenter beaucoup plus qu'il n'avoit esté auparavant. Mais tant y a que leur affection n'estoit point telle, ils ne vienent point là pour se moquer de Iob ils n'y appontent nulle malice, ni iniquité: mais ils ont une droite charité envers lui et entiere. Car il est dit, qu'ils veulent avoir compassion de lui, c'est à dire, recevoir une partie de son mal entant qu'il leur est possible porter une telle douleur, comme s'ils eussent esté conioints et unis à sa personne. Voila à quelle fin ils vienent, et toutesfois nous voyons qu'il y a pour Iob de l'affliction plus grieve. Soyons donc admonnestez par un tel exemple, qu'encores que nous ayons bonne affection envers nos prochains, et que nous demandions de les soulager en leurs maux, il faut bien que Dieu nous y conduise, ou autrement ceste bonne intention-la ne vaudra rien. Quand donc nous voyons nos prochains qui travaillent, qui sont en quelque necessité, il est vray que nous devons demander à Dieu qu'il nous face la grace d'avoir compassion d'eux, et de les secourir: mais ce n'est pas le tout encores. Et pourquoi? nous n'avons pas l'esprit de prudence, en sorte que nous irons à la traverse, il nous semblera que nous faisions le mieux du monde, et ce sera pour desesperer une povre personne, laquelle sentira desia assez son mal. Nous voyons qu'il y en a beaucoup de zelateurs qui seront tout ardens, ils auront quelque desir de se monstrer charitables envers ceux ausquels ils pourront aider: mais quoy? il n'y aura nulle dexterité, nulle façon: quand ils viendront à une povre creature qui sera desia affligee, ils lui apporteront un tourment nouveau. Et d'où procede cela? C'est qu'il n'y n point de conseil ne de prudence. Il faut donc que Dieu besongne en ceci, autrement (comme i'ay dit) si nous voulons subvenir les uns aux autres en nos necessitez, quand Dieu nous aura donné ceste affection-la prions-le qu'il nous donne quant et quant le moyen et l'adresse, que nous puissions donner ce qui est bon, et ce qui est utile, que nous sachions traitter les gens selon qu'il leur sera propre et convenable à leur

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nature: que s'il y a une personne qui soit en trop grande angoisse, que ce que nous lui apporterons de consolation soit si bien appliqué à son usage, qu'il en sente quelque allegement. Il nous faut prier Dieu qu'il nous donne cela: car ceste vertu ne se trouvera point en nous, et puis Dieu nous a-il donne la prudence? Il faut qu'il nous donne encores une humanité en nous, afin de n'estre point trop rigoreux contre ceux desquels nous pourrions desesperer, mais que nous soyons plus enclins à une affection pitoyable, c'est à dire, que nous soyons humains, que nous esperions bien de leur salut, comme il est dit, que la charité espere tout. Voila donc ce que nous avons à noter.

Et au reste quand nous ferons comparaison de ceux ci avec nous, il est certain que nous cognoistrons qu'il est besoin que Dieu nous y gouverne. Pourquoi? Ce ne sont pas ici des idiots, comme desia nous avons déclare, ce ne sont pas des estourdis, mais grands personnages' et advisez iusques au bout, comme ils se déclarent: et neantmoins, nous voyons comme ils y procedent, qu'il ne tient point à eux que IOB ne soit abismé iusques aux enfers. Et qui est cause de cela? Dieu nous a voulu monstrer qu'il n'y a sagesse ni discretion en l'esprit des hommes, qu'il n'y a ne regle ni mesure, sinon celle qu'il donne. Sachons donc si nous n'avons cela, que nous ne pourrons consoler ceux qui seront ainsi affligez. Car si les amis de IOB (qui estoyent si excellens) lui ont ainsi defailli,, par plus forte raison nous y defaudrons, si ce n'est que Dieu supplee, et qu'il nous donne de quoy pour nous y porter comme il appartient. Voila ce que nous avons à retenir. Au reste, quand il est dit: Qu'ils ont prins conseil d'avoir compassion de luy, et de le consoler, en ces doux mots il nous est monstré quel est le devoir de ceux qui voyent leurs amis et leurs prochains endurer quelque mal. Il y a donc deux choses qui sont requises à consolation, et puis au secours: car nous pourrions nous employer iusques au bout pour subvenir à ceux qui ont faute de nostre aide, mais cela ne sera point grand chose, si nous n'avons le courage d'estre comme eux, et nous conioindre là comme si nous sentions leurs maux en nos personnes. Nous pourrions donner tout nostre bien aux povres, que s'il ny a charité, cela n'est rien. Sainct Paul en parlant ainsi (1. Cor. 13, 3) se declare, monstrant que nous pourrons bien faire beaucoup de belles choses, qui toutesfois ne seront que mensonge et vanité, sinon que nous ayons charité qui conduise le tout. Et nous en verrons qui s'employeront vaillamment s'il faut aider à quelqu'un, mais ils n'ont point de sentiment ne d'apprehension. Voila pourquoy il est dit, que les amis de IOB sont l venus pour le consoler, et comme pour le retirer

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de son mal, et avoir compassion de lui. Et de fait, il n'y a celui de nous qui ne demande ceste consolation icy en premier lieu, c'est qu'on ait compassion de nous. Exemple: si qu'elqu'un endure du mal, et bien qu'on le viene servir, qu'on lui face tout ce qui sera possible: s'il a ce iugement, que ceux qui lui font du bien ne s'en soucient, et qu'ils ne soient pas touchez de son mal cela lui vient comme à regret. Il est vray qu'il recevra le bien qu'on lui fait: mais il n'estime cela gueres au pris d'une doleance: tellement que quand en ne lui feroit nul secours, et qu'il n'auroit point d'aide, s'il voit neantmoins, Ces povres gens ici sentent mon mal comme mes propres membres, il prisera beaucoup plus cela que tout le secours qu'on lui sauroit donner. Ainsi donc quand nous voudrons nous acquitter de nostre devoir envers ceux qui seront affligez, commençons par ce bout, c'est assavoir d'avoir pitié de leurs maux, d'en sentir une partie entant qu'en nous est. Voila une vraye approbation de charité. Il cet vray cependant, que nous devons aussi monstrer ceste compassion là par effect. Il y en a qui seront assez esmeus voyans les adversitez de leurs prochains: mais cependant ils sont là comme des souches qu'on ne peut tirer aucun secours d'eux, tant ils sont abbatus. Or il faut que nous suivions ce moyen ici de tellement estre pitoiables et tendres en nos affections, quand nous verrons quelqu'un endurer du mal, que nous ayons tousiours les mains à delivre pour lui subvenir selon la faculté que Dieu nous donne. Il ne faut point donc que noue ayons nos coeurs tellement assoupis, que nos courages soyent abbatus, qu'ils soyent rendus stupides du tout: mais plustost il faut que ceste pitié s'estende plus loin, et qu'elle nous incite à cercher comme nous pourrons donner remede aux maux que nous voyons en nos prochains.

Et c'est ce qui est ici dit en second lieu, Que les amis de IOB estans venus pour se lamenter avec lui, quant et quant l'ont voulu consoler, qu'ils ne sont pas là venus seulement pour pleurer, et dire, Nous sentons une partie de ton mal, mais que ça esté pour le soulager, s'il leur eust esté possible. Voila donc leur affection pour laquelle ils sont venus. Mais quoy? ils defaillent au milieu du chemin: quand ils entreprenent le message, ils sont bien disposez: mais ils ne tienent point le moyen qui est requis et necessaire: c'est qu'estans arrivez ils ayent tousiours ceste compassion envers IOB, et puis qu'ils cerchent les moyens de le consoler, qui lui sont propres, et qu'ils tendent du tout à cela. Or ils ne le font point, mais au contraire ils sont là comme esperdus. Et qu'est ceci? Il n'y a nulle doute qu'il ne se trouvent comme scandalisez en la personne de IOB voyans une telle

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extremité d'affliction, qu'il leur semble que Dieu ne le traitteroit point si asprement, s'il n'estoit un homme reprouvé. Ils conçoivent donc un tel scandale par les maux qu'ils voyent excessifs en Iob, qu'ils perdent courage de le consoler. Et voila pourquoy il est dit au Pseaume (41, 1), Bien heureux est l'homme qui est entendu sur l'affligé. David avoit passé par là comme Iob: car il avoit enduré de grandes adversitez, en sorte qu'il estoit là comme reietté de Dieu, ainsi que nous avons dit par ci devant. Et en disoit, Or voila, ne voit-on pas bien, que ç'a esté une chose vaine quand il s'est glorifié d'esperer en Dieu, qu'il s'est tousiours promis que Dieu lui subviendroit? et nous voyons tout le contraire. D'autant donc que David estoit condamné des hommes sous ombre que Dieu le persecutoit, et qu'il vouloit exercer sa patience en beaucoup de sortes: il dit, Bien-heureux est l'homme qui est entendu sur l'affligé. Par cela il signifie que Dieu sur tout demande, si en voit quelqu'un qui soit angoissé pour estre affligé durement, que sous ne concevions point du premier coup pour dire, O celuy-la est damné, Ô Dieu monstre bien qu'il le veut retrancher, il n'y a plus d'esperance, le voila desesperé. Que nous ne soyons point si rigoreux, mais que nous ayons ceste prudence pour dire, Et bien, attendons que Dieu voudra faire: les afflictions sont communes tant aux bons qu'aux mauvais, et quand elles adviennent aux bons, elles ne sont pas sans cause. Quand Dieu les afflige, si nous n'appercevons point la raison pourquoy, si est ce qu'il nous faut contempler Dieu estre iuste. Nous verrons donc les afflictions communes aux esleus de Dieu, à ceux qu'il tient pour ses enfans, et à ceux qui sont reprouvez, et qui vont en perdition. Or d'autant que ce n'est pas à nous de iuger, sinon que Dieu nous ait monstré quelle sera l'issue des afflictions, il faut qu'on se tiene en suspens, comme en dit, Cest homme est - il affligé ? Et bien, cognoissons la main de Dieu, et commenceons par nous-mesmes, pour dire, Helas, i'en ay bien merité autant ou plus: povre creature regarde si tu n'as pas offensé ton Dieu en tant de sortes qu'il te pourroit punir cent mille fois plus, que celui que tu vois tant endurer. Que donc nous regardions à cela pour conclure? Et bien, voila un povre homme qui est bien rudement traitté: vray est qu'il a esté de mauvaise vie, et c'est à bon droit qu'il souffre, mais si est-ce que nous ne savons point encores ce que Dieu veut faire. Voila la prudence à laquelle David nous exhorte, que nous attendions voir si Dieu voudra delivrer ceux qu'il persecute de sa main, combien que ce soit à bon droit. Et ainsi apprenons d'estre munis contre tous les scandales qui nous peuvent advenir, que nous

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ne soyons point troublez quand les choses excederont nostre fantasie, que pour cela nous ne soyons point empeschez de faire tousiours nostre office, que le coeur ne nous faille point au milieu du chemin. Il est vray que ceste doctrine est bien difficile à pratiquer: mais d'autant plus nous y faut -il mettre de peine, et Dieu nous fera la grace d'en venir a bout. C'est ce que i'ay dit du commencement, que si nous avons ce desir et ce zele de consoler nos prochains, que nous demandions à Dieu qu'il nous garnisse du moyen de ce faire, afin que quand ce viendra à l''executer, nous ne soyons point là inutiles, comme souches de bois. Or toutesfois si ne faut-il point trouver trop estrange, que les amis de lob se soyent ainsi effrayez, voyans l'estat auquel ils l'ont trouvé: car il est desfiguré iusqu'au bout tellement qu'il ne le peuvent cognoistre de prime face, comme dit le texte Il est vrai qu'ils avoyent une telle affection enracinee en leur coeur, que le voyans ainsi miserable, si n'ont-ils pas laissé toutesfois d'encores monstrer qu'ils l'aimoyent: mais tant y a que l'ayans cognu ils ont esté estonnez. Il est dit consequemment, Que ayans eslevé leurs voix, ils se sont mis à pleurer. Ces larmes ici ne sont point venues d'une feintise, c'estoit une bonne affection qu'ils avoient: mais tant y a que d'autant qu'ils s'estoient effrayez à cause de la grandeur des maux que Iob enduroit, les voila troublez, et retardez de pouvoir faire leur office, comme ils avoyent pretendu. Ce n'est pas donc le tout d'avoir quelque amour, et d'en monstrer les signes, mais il faut que ceste amour-la soit bien reglee, afin que nous puissions servir les uns aux autres, comme Dieu le commande.

Touchant de ce qui est dit, Qu'ils ont deschiré. leurs robes, et qu'ils ont ietté la poussiere sur leur teste, qu'ils se sont iettez à terre, qu'ils ont esté par l'espace de sept iours et sept nuicts sans sonner mot: en ceci nous voyons ceste compassion, de laquelle nous avons parlé ci dessus: mais outre cela nous voyons qu'ils se sont voulu humilier avec Iob, comme pour interceder envers Dieu, afin qu'il eust pitié de lui. Car quand les Anciens iettoyent la poudre sur leur teste, c'estoit en signe d'humilité, et de recognoissance de leurs pechez: ils cognoissoyent en premier lieu quelle estoit leur condition pour dire, Dieu nous afflige-il? pensons à ce que nous avons mis en oubli, c'est assavoir, que nous ne sommes que pourriture, que ce n'est rien de nous: car les hommes en prosperité s'enyvrent, ils s'esgayent, ils voltigent en l'air, ils ne sont point touchez de solicitude: mais quand Dieu frappe sur eux, alors ils se tempestent, ils ne savent d'où ils sont venus, ne là OU ils doivent retourner. Et ainsi les Anciens, afin de se reduire tout cela en me

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moire, usoyent de ceste ceremonie, comme se rendans coulpables par ce moyen devant Dieu, comme s'ils eussent esté povres mal-faicteurs. Et c'est ce qui est requis à ceux qui ont offense, c'est assavoir, qu'ils demandent pardon en cognoissant leurs fautes, qu'ils se rendent coulpables devant Dieu, et qu'ils retournent à luy avec une vraye repentance. Or Iob avoit bien l'occasion d'ainsi faire, et ses amis ne pouvoyent point declarer aussi leur amitié, sinon qu'ils fissent le semblable: car nous sommes tenus de nous mettre en la personne de nos prochains, pour demander pardon à Dieu en leur nom: le plus grand secours que nous puissions faire à ceux qui sont en necessité, c'est de prier Dieu qu'il ne les reiette point du tout. Or nous ne pouvons pas secourir par nos prieres ceux qui sont affligez, sans avoir ce que i'ay recité, c'est assavoir, que nous leur tenions compagnie pour nous humilier devant Dieu, que nous venions là pour faire le dueil avec eux. David proteste, (Pseau. 35, 13.14) qu'il a fait cela pour ses ennemis mesmes, que quand il les a veu aller en ruine, il en a esté angoisse en son coeur, il en a ietté les larmes ameres, et les souspirs. Si David a fait cela pour ses ennemis qui l'avoient persecuté, comment ne le ferons-nous pour ceux que nous cognoistrons enfans de Dieu? Il est vrai qu'il nous faut ensuivre David c'est que nous prions pour nos ennemis (car sans cela Iesus Christ ne nous advouë point pour ses disciples) mais c'est une lascheté par trop grande, si nous n'avons telle pitié de ceux ausquels nous appercevons quelque signe de pieté et de religion, qui sont instruicts en une mesme doctrine: quand donc ils vienent pour demander pardon à Dieu, il faut que nous soyons conioints avec eux en cela. Voila (di-ie) ce que nous avons à noter quand il est dit, Que les amis de Iob ont deschiré leurs robes, qu'ils se sont iettez par terre, qu'ils ont ietté de la poudre sur leurs testes. Cependant notons que combien que telles ceremonies soyent signes de repentance, il ne faut point penser que les hommes soyent acquittez, quand ils auront vestu un sac, qu'ils auront bien pleuré, qu'ils auront usé de telles façons de faire, tellement qu'il semble qu'il n'y ait que humilité et affliction en eux: plustost il nous doit souvenir de ceste sentence de Ioel (2, 13), Rompez vos coeurs, et non pas vos robes. Par cela Ioel signifie, que ce n'est rien quand les hommes auront de grandes ceremonies, et qu'ils se tourmenteront beaucoup en apparence, sinon que leurs coeurs soyent rompus auparavant. Et quelle rompure est -ce que Dieu demande en nos coeurs ? (''est que nous soyons abbatus et humiliez devant luy, que quand nous appercevons quelques signes de son ire, quand mesmes nous sentons desia les coups de sa main, nous soyons patiens, cognoissans

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que le tout vient à cause de nos pechez, que nous ne facions pas comme beaucoup, lesquels estans battus des verges de Dieu rongent leurs frains comme des mules, lesquels conçoivent ie ne say quelle aigreur et amertume, qui est pour les faire despiter à l'encontre de Dieu, combien qu'ils facent semblant d'estre bien domtez. Or au contraire (comme i'ay dit) il faut que nos coeurs soyent rompus, suivant l'exhortation qui nous est faite au Pseaume (17, 3), que nous desployons nos coeurs devant Dieu, afin qu'il cognoisse tout ce qui est }à dedans. Suivans donc ceste sentence du Prophete Ioel, que nous ne rompions point nos robes, mais nos coeurs plustost: car en cela se monstrera la vraye repentance. Mais il est impossible que nos coeurs soyent vrayement rompus qu'aussi nous ne declarions par experience ceste humilité -la, que nous confessions nos vices, afin de donner gloire à Dieu. Et en cela voit-on quelle moquerie c'est de ceux qui pensent avoir beaucoup fait, quand ils accorderont qu'ils ont failli: ils auront commis une offense enorme contre Dieu, ils auront scandalizé son Eglise. Et bien, si en arrache d'eux quelque petit mot, qu'on leur vueille faire cognoistre leurs fautes: ce sera à dire, O c'est trop: il leur semble que Dieu est trop aspre, et trop rigoureux contre eux. Or tant y a qu'il ne nous faut point penser que Dieu nous reçoive comme repentans, sinon que nous luy apportions ce sacrifice, duquel il est parlé au Pseaume 51 (v. 19). Et quel sacrifice? que nous ayons nos coeurs et nos esprits en destresses, en sorte que nous n'en puissions plus, que nous soyons; tellement confus d'avoir commis les pechez desquels nostre conscience nous remort et accuse, que nous ne sachions que devenir, iusqu'à ce que nous avons trouvé grace en nostre Dieu. Voila donc quant a ce poinct, que la penitence ne consiste pas en ceremonies, elle a son siege au coeur de l'homme, mais cependant si faut-il qu'elle se declare par signes, et si nous avons une affection bien reglee, qu'elle apparoisse devant les hommes, que nous n'ayons point seulement ce mot en la bouche pour dire, Nous avons offensé, mais que le coeur parle premier que la langue.

Or quand il est dit, que les amis de Iob ont esté sept iours et sept nuicts assis là avec luy ce n'est pas qu'ils ne se soyent bougez de la, mais qu'ils ont esté par l'espace de sept iours se lamentans là avec luy, et se iettans par terre, et mesmes qu'ils ont rendu bon tesmoignage de leur amour envers luy, quand ils se sont privez de toutes delices, et de toutes commoditez, afin d'estre là en dueil avec celuy lequel ils vouloyent consoler. Voila quelle est la somme. Or cependant il est dit, qu'ils n'ont sonné mot: et en cela nous voyons ce que i'ay desia touché, c'est qu'ils se sont troublez par

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trop, voyans la main de Dieu estre si rigoureuse sur Iob. Car ils estoyent venus en propos deliberé pour le consoler: maintenant ils sont comme muets. Qui en est cause? Est-ce qu'ils ayent oublié tous les argument qui pouvoyent servir à consolation? Nenni, ils avoyent l'esprit bien disposé, comme nous verrons ci apres. Pourquoy donc est-ce qu'ils se taisent? Pource qu'ils sont preoccupez de ceste fantasie. Comment? nous estimions que cest homme fust serviteur de Dieu, et bien si Dieu l'avoit afflige, nous pensions encores qu'il y eust ordre de le consoler: or nous voyons que Dieu le delaisse, qu'il a mis des marques en luy pour monstrer que c'est un homme reprouvé, qu'il n'y a plus d'esperance en luy, nous ne voyons donc point de moyen pour le consoler. Voila la cause de leur estonnement: et ils devoyent regarder aux promesses de Dieu, par lesquelles il nous testifie, que quand il nous semblera que tout soit perdu et desesperé pour nous, il y pourra encores mettre remede: or ils ne l'ont point fait. Par cela donc nous sommes advertis (comme i'ay desia touché) de prier Dieu, qu'il nous retiene, afin que nous ne soyons point esmeus d'une telle compassion, ou en nos maux propres, ou en ceux de nos prochains, que nous concluyons qu'il nous faille desesperer. Car le

diable ne demande sinon de nous faire une telle conclusion, et nous mettre en teste que Dieu nous a reiettez: Estimes-tu (dira-il) que Dieu te vueille iamais recevoir à merci, veu que tu l'as offensé en tant de sortes? Si nous donnons lieu à telle tentation, voila comme nous sommes destituez de la grace de Dieu, et de toutes ses promesses. Et ainsi prions Dieu tant plus soigneusement qu'il nous fortifie en telle sorte, que nous puissions repousser tels assauts de Satan, que quand nous serons affligez en nos propres personnes, ou bien que nous verrons nos prochains endurer, nous ne soyons point abbatus par trop, mais que nous prenions courage pour faire ceste conclusion, Et bien il est vrai que ces afflictions ici sont grandes, mais il faut tousiours esperer en Dieu, et esperer qu'il convertira ce mal ici en nostre salut, comme il fait servir au profit de ses fideles tout ce qu'il leur envoye en ce monde. Quand donc nous aurons ce regard-là, nous ne serons iamais destituez de soulagement en nos afflictions, nous ne serons iamais forclos de l'aide de Dieu, moyennant que nous ayons nostre refuge à luy.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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L'ONZIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE III. CHAPITRE.

1. Cela fait, Iob ouvrit sa bouche, et maudit son I iour, 2. Si respondit Iob, et dit, 3. Que le iour auquel ie fu nay perisse, et la nuict en laquelle il fut annoncé, qu'un enfant masle estoit conceu. 4. Que ce iour-la soit obscurci de tenebres, que le Dieu d'enhaut ne le requiere point, qu'il n'y ait point de clarté pour illuminer. 5. Que les tenebres, et une ombre espesse l'obscurcisse, qu'il soit saisi de nuees, que les chaleurs du iour le bruslent. 6. Que ceste nuict soit saisie d'obscurité, qu'elle ne soit point contee entre les iours de l'an, qu'elle ne viene point au nombre des mois. 7. Que c'este nuict-la soit solitaire, qu'il n'y ait point de ioye en icelle. 8. Que ceux qui ont accoustumé de maudire les iours, la maudissent, et ceux qui eslevent lamentation. 9. Que les estoiles soyent obscurcies en icelle, qu'il n'y ait point d'attente de clarté, et que les paupieres de l'aube ne la voyent point: 10. D'autant qu'elle n'a point clos les portes du ventre qui m'a porté, afin de cacher les fascheries de mes yeux.

Nous avons à considerer ici l'intention du S. Esprit, afin que nous appliquions tonte ceste doctrine à nostre usage. Iusques ici nous avons veu la patience de Iob, et comme il s'est du tout assubietti à Dieu, mesmes qu'il n'a cessé de le benir, combien qu'il fust iugé miserable entre les hommes. Or maintenant il semble bien qu'il tourne tout au rebours, et qu'il se despite à l'encontre de Dieu: mais quand nous aurons bien tout regardé de pres, il y a ici un combat, où d'un costé l'infirmité de l'homme se declare, et de l'autre nous voyons qu'il y a encores quelque vertu pour resister aux tentations. Iob donc est ici comme en bransle au milieu: là où auparavant il n'y avoit que constance et vertu en luy, il y a un meslinge, que l'infirmité de sa chair le fait cliner en sorte qu'il murmure contre Dieu: mais cependant, si est-ce que son intention n'est pas telle de se constituer ennemi de Dieu. Mais tant y a qu'il luy eschappe

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dos mots qui sont mauvais, et qui procedent aussi d'une affection vicieuse, et qu'on ne pourroit absoudre. Voila le premier article que nous avons à observer, cest assavoir, quel est l'estat de Iob qu'il ne se monstre point si ferme comme auparavant: mais il y a un combat tel, qu'il monstre bien qu'il est homme fragile, et qu'il De peut pas venir à bout comme il voudroit bien des tentations, qu'il ne s'assubiettit pas à Dieu d'un courage si paisible, comme il seroit requis, et comme il avoit accoustumé de faire. Or nous avons ici un advertissement bien utile: car en premier lieu nous voyons que les hommes ne peuvent sinon ce qu'il leur est donné d'en-haut. Apprenons donc de ne nous point glorifier en nos vertus, comme nous voyons que la pluspart s'abusent, qu'il leur semble qu'avec leur franc-arbitre ils peuvent monts et merveilles. Or il DO nous faut point tromper en telles imaginations, mais sachons que d'autant que nous serons soustenus de Dieu, nous pourrons tenir bon: mais si tost que Dieu nous laschera la main, nous serons abbatus. Il n'y a rien donc dequoy les hommes se puissent glorifier: mais il faut qu'ils dependent du tout d'enhaut, et qu'ils recourent là, quand ils voudront estre bien fortifiez. Cependant nous voyons le changement qui est advenu soudain à Iob: car il ne semble point qu'il ait occasion nouvelle de se despiter ainsi, et de maugreer le iour de sa naissance: et toutesfois il fait cela sept iours apres qu'il s'estoit monstré ainsi patient: il semble que ce soit un homme tout divers, mais il ne faudra que tourner la main, que toute nostre vertu s'esvanovyra, sinon que Dieu continue à nous assister. Et voila pourquoy l'homme est accomparé à un ombrage: ce n'est point seulement pource que nostre vie est ainsi fragile et caduque, mais c'est que nous sommes inconstans, qu'il n'y a nulle tenure en nous que nous changeons propos, et quelquefois nous aurons des bouffees, qu'il semblera que nous ayons un courage de lion, et tantost nous serons effeminez, qu'il n'y aura plus ni raison, ni sens: tant s'en faut que nous ayons la magnanimité de combatre contre les tentations, que nous ne voudrions point mesmes ouir rien qu'on nous remonstre. Notons bien donc ce changement qui est ainsi soudain aux hommes, afin que nous soyons sur nos gardes: et quand nous aurons invoqué Dieu le matin, qu'au long du iour nous facions le semblable: bref, que nous pensions tousiours à Dieu sans nous en destourner en quelque maniere que ce soit. Voila donc comme nous devons tousiours estre en solicitude: voila comme nous devons perseverer en prieres et oraisons.

Venons maintenant à ce qui est exprimé au texte, Que Iob a maudit le iour de sa naissance. Il y en a qui veulent excuser du tout Iob, comme

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s'il avoit esté transporté en son mal, sans toutesfois blasphemer contre Dieu. Les autres imaginent, qu'il a oublié ceste patience qu'il avoit eue par ci devant, et qu'il s'est du tout desbordé, qu'il ne luy est plus souvenu de glorifier Dieu, mais qu'il a esté transporté de ses passions, qu'il a parlé comme un homme insensé. Il redarguoit auparavant sa femme de folie, mais il se monstre fol au double, maudissant le iour auquel il fut né. Or il est certain que Iob n'est point venu en ceste extremité la: car tousiours il a eu ce but d'obeyr à Dieu, comme nous verrons. Mais cependant il y a eu moyen, c'est assavoir, qu'en bataillant il n'a pas laissé d'estre navré, il n'a point laissé de recevoir des coups, il a chancelé, il a fleschi. Ainsi donc retenons ce moyen-la, c'est assavoir que Iob n'a pas eu une perfection si entiere comme auparavant: combien que le mal l'eust pressé, et qu'il semblast qu'il eust defaillir au milieu du chemin, tant y a qu'encores il a poursuivi son cours, et vouloit obeyr à Dieu: mais cependant (comme dit S. Paul au 7. des Romains) (v. 19) il n'a pas accompli le bien qu'il desiroit. S. Paul traitte là de soy-mesme, et confesse que combien que tout son desir fust de s'adonner à Dieu, neantmoins il n'en venoit pas à bout: mais il estoit empesché par sa nature, qui estoit par trop debile. Si S. Paul a confessé cela, ne trouvons point estrange que le semblable soit advenu à Iob, c'est qu'il avoit voulu se renger à la bonne volonté de Dieu, mais non pas que son affection ait esté du tout parfaite tellement qu'il est venu à clocher et fleschir. Et de fait nous voyons ce qui advint à nostre pere Iacob, quand Dieu a voulu signifier que les fideles quand ils combattront contre les tentations, ce ne sera point qu'ils ne remportent quelques mauvais coups, et que les marques n'y demeurent. Voila Iacob qui bataille contre l'Ange de Dieu, et pourquoy? non pas qu'il soit ennemi de Dieu, mais d'autant que le Seigneur qui examine les siens, veut ainsi esprouver ses enfans comme nous l'avons veu au premier chapitre. Ii est dit donc que le sainct patriarche Iacob combat contre l'Ange, et luitte: il semble bien que Dieu le veut exercer, et aussi il le dispose à soustenir les combats qui luy seront dressez, tellement, que Dieu l'anoblist, et luy donne le nom d'Israel, qui signifie, Puissant envers Dieu. Or cependant a-il une telle victoire, qu'il demeure en son entier? Nenni, mais il a sa cuisse foulce, tellement qu'il en cloche, et en est boiteux tout le temps de sa vie. La victoire est siene, mais cependant si faut-il qu'il soit humilié. Voila comme les fideles resistent aux tentations, c'est qu'en quelque endroit ils pourront bien flechir, voire en telle sorte que Dieu les humiliera tout le temps de leur vie, qu'ils auront occasion de cognoistre leurs infirmitez

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pour en gemir mais cependant si est-ce qu'en combatant ils obtienent la victoire, et Dieu ne permet point qu'ils soyent du tout accablez. Les enfans de Dieu donc se doivent consoler en cela, c'est assavoir que quand Dieu leur envoyera quelques afflictions, ils pourront bien sentir des tristesses interieures en leur coeur, et telles, qu'ils ne sauront de quel costé se tourner, comme en dit: et mesmes il leur eschappera de se desborder, ils useront de propos qui ne seront point excusables, mais parmi Geste infirmité-la, encores la vertu de Dieu ne laissera point d'habiter en eux pour les soustenir, tellement qu'ils sentiront qu'ils ont tousiours quelque bonne affection, et encores que les iambes defaillent, le coeur neantmoins tiendra bon, comme dit le proverbe. Voila ce que nous avons à noter en ce passage. Or pour mieux cognoistre en quoy Iob a failli, et iusques où, notons comment c'est qu'il est licite aux hommes de s'ennuyer de leur vie. Il y a bien eu des Payens beaucoup lesquels Cognoissans les miseres de la vie terrestre, ont dit, que le iour de la naissance ne doit point estre une feste de ioye, mais plustost de dueil, pource que l'homme quand il vient ici, c'est à dire, la creature humaine, commence par pleurs. Voila une creature qui est pleine de toute turpitude, la plus vile, et la plus miserable qu'il est possible de penser: et puis si nous pensons bien, c'est un abysme infini que des povretez ausquelles nous sommes subiets. Ainsi donc si nous regardons à l'estat et condition de la vie presente, en aura occasion de dire, qu'on doit pleurer quand les enfans naissent, et quand les hommes meurent, que plustost en se deust resiouyr, d'autant qu'ils sont delivrez de beaucoup de maux. Or les Payens ont ainsi parlé, si est-ce que leur sens ne pouvoit pas atteindre là, où Dieu nous conduit par sa parole: car ils n'ont cerché en la vie presente sinon d'y estre, non point du tout pour boire, et pour manger, mais aussi pour estre en honneur, pour se faire valoir, pour achever chacun son cours. Cependant nous avons l'Escriture saincte, qui nous monstre, que Dieu nous mettant ici bas, imprime en nous son image, nous avons à recognoistre la noblesse et dignité qu'il nous a donnee par dessus-toutes creatures. Quand il n'y auroit que cela, que Dieu nous forme à son image et semblance, qu'il veut que sa gloire reluise en nous, ie vous prie n'avons-nous point de quoy nous esiouyr, et de quoy le magnifier? D'avantage, cependant que nous avons au monde à boire et à manger, nous avons tesmoignage que Dieu est nostre Pere. Car pourquoy est-ce que la terre produit substance? afin de nous nourrir: cela n'advient pas de fortune, mais c'est Dieu qui l'a ainsi ordonné. Et pourquoy? d'autant qu'il se veut declarer Pere envers nous. Voila donc les aides qui

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sont pour nous entretenir ici bas, nous sont autant d'approbations de l'amour paternelle de nostre Dieu. Ne devons nous pas priser un tel bien mesmes le pouvons nous assez priser comme il lé merite? Or il y a encores plus, que Dieu nous veut exercer ci bas en l'esperance de la vie celeste, qu'il nous en donne quelque goust, il nous y appelle, il veut estre servi et honoré de nous, afin que nous cognoissions que nous sommes siens, et qu'il nous a receus pour estre de sa maison, et de sa famille. Quand donc toutes ces choses seront bien notees n'avons-nous point bien à magnifier la grace qu'il nous a faite, quand il nous a ici mis au monde en ceste vie presente? Or cependant il est vray qu'il y a dequoy gemir et pleurer, d'autant que quand nous sommes ici, nous sommes en un abysme de toutes miseres: mais quoy? il nous faut regarder d'où cela procede. Les Payens n'ont cognu sinon que la condition des hommes estoit miserable: mais il nous faut regarder pourquoy Dieu nous a assubiettis à tant de maux: c'est à cause du peché. Car il nous faut venir à ceste premiere creation de l'homme, que Dieu n'a point esté chiche de ses biens, qu'il ne les ait eslargi, comme celuy qui est la fontaine de toute largesse. Il s'est donc monstré plus que liberal envers le genre humain en la personne d'Adam: mais nous avons esté privez de telles benedictions, il a fallu que Dieu nous ait retranchez ses biens qu'il nous avoit donnez, d'autant que nostre pere Adam par son ingratitude s'estoit desbauché. Ainsi donc quand nous disons que toutes les mise es de la vie presente, sont les fruicts de nos pechez, nous avons occasion alors de souspirer: non point de ce que nous sommes ainsi miserables, que nostre condition est si dure et fascheuse, mais de ce que nous sommes adonnez a tant de vices, à tant de rebellions à l'encontre de Dieu, que au lieu que son image devroit reluire en nous, il semble que nous ayons conspiré à le despiter. Et voila comme S. Paul se lamente (Rom. 7, 24). Voila le vray dueil que doivent mener les Chrestiens, non pas d'avoir froid et chaut, non pas d'endurer et maladies, et autres calamitez, mais de ce qu'ils se voyent comme en une prison et servitude de peché. Miserable que ie suis (dit S. Paul.) Est-ce qu'il soit impatient, et qu'il s'esleve a l'encontre de Dieu? nenni, mais il est organe du S. Esprit, et nous monstre comme en ceste vie presente, nous avons à souspirer et gemir incessamment. Et pourquoy? Car nous avons une prison mortelle qui nous environne, et nous sommes subiets à tant de cupiditez mauvaises, que nous ne pouvons pas venir à bout de nous dedirer à Dieu, que nous sommes pleins de tant de corruptions qui ne cessent de nous inciter à mal. Voila comme nous avons à nous lamenter

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à l'exemple de S. Paul, lequel nous en donne la regle.

Mais voici Iob qui maudit le iour de sa naissance: et en cela il n'est point excusable, en ne peut dire qu'il ne soit excessif. Et pourquoy? Car il faut que nous conioignions les deux ensemble: c'est assavoir, que Dieu quand il nous a creez, a imprimé son image en nous, qu'il nous a fait cest honneur, que nous fussions excellens par dessus toutes creatures: en cela nous avons tousiours à benir son nom, et combien que ceste vie soit tant pleine de miseres que rien plus, si est-ce que nous ne pouvons pas assez priser le bien inestimable que Dieu nous a fait, quand il nous a donné la vie presente, d'autant qu'en nous y entretenant, il nous fait sentir par experience, qu'il a le soin de nous, et qu'il ne nous veut point delaisser, quoy qu'il en soit. Quand nous avons cela, n'avons nous point de quoy nous resiouyr au milieu de toutes nos afflictions? Ainsi donc l'homme fidele parlant de sens rassis iamais ne maudira le iour de sa naissance, quelque mal qu'il endure. Iob donc en maudissant ainsi le iour de sa naissance, a esté ingrat à Dieu, et ne peut-on dire, qu'il ne soit coulpable d'avoir excedé ses limites. Au reste notons' que les enfans de Dieu pourront aussi benir le iour de leur naissance. Ie di en ne considerant point leurs povretez pour se lamenter avec sainct Paul, mais simplement en regardant au bien que Dieu leur a fait quand il les a mis au monde. Il est vray que les Payens ont abusé de cela: car quand ils ont celebré le iour de leur naissance, ç'a esté pour se desborber en beaucoup de folies, et pompes superflues: mais l'origine et la source de celebrer le iour de la nativité, 'a esté que les saincts Peres ont cognu que c'estoit bien raison de rendre graces à Dieu, et que ce iour là leur fust solennel, afin de s'induire a benir Dieu. Voire: car si nous avons passé quelques annees de nostre vie, combien qu'incessamment nous devions reduire en memoire les benefices de Dieu, si est-ce qu'il est bon encores qu'au iour que nous sommes entrez au monde, il y ait un memorial perpetuel pour dire, Voici l'an qui est passé. Dieu m'a amené iusques ici: ie l'ay offensé en beaucoup de sortes, il faut que maintenant ie luy en demande pardon: mais sur tout il m'a fait des graces grandes, il m'a tousiours entretenu en l'esperance de salut qu'il m'a donnee il m'a delivré de beaucoup de dangers: et ainsi ii faut que ie reduise cela en memoire. Et maintenant que i'ay à entrer en une autre annee, il est bon que ie me prepare au service de Dieu: car les mauvais passages que i'ay passé, m'ont monstré combien i'ay besoin de son secours, et que sans luy ie seroye perdu cent mille fois. Voila donc comme les saincts Peres ont celebré le iour de leur nais

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sa ce: et c'estoit un exercice qui estoit bon et profitable. Les Payens (di-ie) en ont abusé et auiourd'huy nous voyons comme ceux qui s'appellent Chrestiene, se mocquent pleinement de Dieu, quand ils font la feste de leur naissance: car il n'est question ne de prieres, ne d'action de graces, ne de cognoissance de leurs pechez, ne des benefices de Dieu, mais de s'esgayer d'une façon brutale. Or tant y a (comme i'ay dit) que nous avons tousiours à benir le iour de nostre naissance. Et pourquoy? d'autant que Dieu nous a ici mis en ce monde, afin que nous fussions ses enfans: il ne nous y a pas mis comme des veaux, et des chiens, mais comme creatures raisonnables qui portons sa figure. Et au reste, d'autant que nous avons esté baptisez au nom de nostre Seigneur Iesus Christ, et que Dieu, outre la creation, nous a adiousté cest avantage-la, qu'il a imprimé sa marque en nous, afin que nous fussions comme de ses alliez, il nous a receus de son Eglise, en cela nous avons à benir Dieu doublement. Et ainsi, ceux qui par despit des maux et des afflictions qu'ils endurent, maudissent le iour de leur nativité, monstrent bien qu'il y a de l'ingratitude en eux, et qu'ils sont troublez par trop de leurs passions. Ainsi en a-il esté en Iob. Or d'autant plus avons-nous à prier Dieu incessament, qu'il nous retienne: et que quelquesfois il permet qu'il nous eschappe quelques mauvaises paroles, et que nous ne soyons pas fermes, comme il seroit à requerir, toutesfois qu'estans esbranslez, nous ne tombions point, mais qu'il nous redresse, et que nous apprenions de recueillir nos sens pour nous reprimer: et quand nous voyons qu'il y aura eu quelque fragilité en nous, que nous condamnions un tel vice, afin de nous retourner bien tost au droit chemin. Voila ce que nous avons ici à noter.

Or quand il est dit, Maudite soit la nuict, en laquelle il a esté annoncé, Voila un enfant masle qui est conceu: il semble bien que Iob vueille ici despiter Dieu: car si nous avons occasion (comme i'ay desia dit) de benir nostre Createur, en ce qu'il nous a faits à son image' et semblance, encores y a-il ceste condition, que les hommes sont preferez aux femmes au genre humain. Nous savons que Dieu a constitué l'homme comme chef, et luy a donné une dignité et preeminence par dessus la femme: et voila pourquoy aussi sainct Paul dit (1. Cor. 11, 7), que l'homme ira le chef descouvert, d'autant qu'il est la gloire de Dieu, et la femme la gloire de l'homme. Il est vray que l'image de Dieu est bien inprimee par tout: mais si est-ce que la femme est inferieure à l'homme; il faut que nous allions par ces degrez-là que Dieu a instituez en l'ordre de nature. Ainsi donc c'est raison que Dieu soit glorifié et au; masles, et aux femelles: toutesfois

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il doit estre principalement glorifié, quand un homme, c'est à dire un masle sera nay: et tout au rebours Iob dit, Quand en a rapporté qu'un masle estoit nay, que ceste nuict-là soit maudite. Et à quel propos ? car selon que Dieu a disposé les iours, ne falloit-il point trouver bon tout cela? Et lob convertit tout au rebours: voire, mais nous voyons ce que i'ay touché, qu'il s'esvanouyt tellement en ses passions, qu'il met en oubli les graces de Dieu, dont il avoit parlé ci dessus. Car il avoit dit, Et bien, si nous avons receu des benefices de Dieu' pourquoy est-ce que noua ne recevrons point le mal? car nous sommes tenus à nous assuiettir à luy. Iob devoit bien reduire cela en memoire: mais d'autant que c'est une chose plus excellente, qu'un masle soit nay qu'une femme, il dit' que maudite soit la nuict, en laquelle il a esté conceu. Or en tout cela nous sommes instruits (comme i'ay touché) de prier Dieu qu'il nous fortifie et qu'il nous donne force et vertu pour resister aux tentations, veu que cestuy-ci (qui est un miroir de patience) a esté ainsi transporté. Et pourtant si quelquefois nous sommes troublez par quelques excez, que nostre chair nous pousse, en sorte qui nous n'ayons point un courage si paisible pour obeir à Dieu, comme il seroit à desirer: que cela ne soit point pour nous faire perdre courage, puis que nous voyons qu'il en est autant advenu à Iob. Il nous faut donc humilier, cognoissans nostre fragilité et cependant prendre courage, iusques à ce que Dieu nous ait donné pleine victoire. Au reste nous avons aussi à noter, que ceux qui auront des enfans se doivent tellement resiouyr d'avoir des enfans masles, qu'ils ne reiettent point leurs filles: comme nous en verrons de fols, qui sont menez d'ambition, qu'il leur semble que Dieu leur fait grand tort, s'il ne leur envoye des enfans masles. Et pourquoy ? Afin qu'ils puissent gouverner la maison, qu'ils se puissent faire valoir qu'ils puissent entrer en crédit. Voila comme les hommes veulent comme perpetuer leur vie: et cependant si Dieu leur donne des filles, c'est pour leur profit, et ils ne le cognoissent pas: ils voudroyent donc que Dieu consentist à leurs fols appetits. Aussi Dieu punit souventesfois ceste outrecuidance: car il donnera des enfans masles à ceux qui les appetent par trop; et ils leur creveront les yeux en la fin, ils seront des gouffres pour abysmer leur substance. Les peres pensent bien que les enfans augmenteront tousiours la maison, quand il y aura des enfans masles et le plus souvent cela sera cause de mettre une maison en opprobre' qu'on la monstrera au doigt. Et qui est cause de cela? C'est pource que les hommes ne se rengent point à Dieu, et à sa volonté. Quand les hommes desirent d'avoir des enfans, ce desir-la

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est bon, moyennant qu'il soit bien reglé: mais il faut venir là, Seigneur, si tu me donnes lignee, que ce soit afin que ton nom soit honoré apres moy: et si tu me fais la grace d'estre nommé pere, que ie puisse tellement instruire les enfans que tu m'auras donnez, qu'ils soyent vrayement tiens, qu'ils apprenent à te servir, que tu les conduises selon ta bonne volonté. Voila (di-ie) comme il faut que les peres et meres se contentent: quand Dieu leur envoyera un enfant, et qu'ils en voudroyent avoir trois ou quatre, quand il leur envoyera une fille, et ils voudroyent bien avoir des masles, qu'ils disent, Et bien Seigneur: tu cognois ce qui nous est bon, il nous y faut renger. Voila (di-ie) où la benediction de Dieu se monstrera. Mais pource que les hommes ont des appetis desordonnez, il faut que Dieu se moque d'eux, et de leur folie. Cependant aussi nous sommes exhortez de ne point mespriser les uns les autres: car si Dieu a honoré les hommes en leur donnant ceste dignité qu'ils sont comme chef au genre humain, et que les femmes soyent en degré inferieur, que les hommes pour cela ne s'enorgueillissent point. Et de fait nous oyons ce que dit sainct Paul (1. Cor. 11, 11): Il est vray que le genre humain est venu de l'homme, c'est assavoir d'Adam: mais comment est-ce qu'il consiste sinon par les femmes? Si les hommes se pouvoyent separer d'avec les femmes, et avoir un petit monde à part, ils auroyent bien occasion de se glorifier: mais maintenant qu'un homme se regarde, il ne pourra pas dire' Mon pere, qu'il ne dise quant et quant Ma mere. Ainsi donc puis que le genre humain consiste par la femme il faut que nous sentions que nous sommes obligez les uns aux autres. Et puis à quelle condition est-ce que la femme a esté creée? Il est vray qu'elle doit estre aide à l'homme, et qu'il faut qu'elle luy soit subiette: mais tant y a qu'elle est compagne de l'homme, ainsi que l'Escriture l'appelle. Car il est dit, qu'entre toutes les creatures de Dieu, il n'y avoit point d'aide qui fust propre a Adam. Et pourquoy? Pource qu'il n'avoit point sa nature semblable aux bestes, qu'il estoit d'une creation plus excellente. Or si les femmes sont compagnes des hommes, il n'est point question de mespris, que les hommes 'es foulent aux pieds, qu'ils les reiettent, ou n'en tienent conte: mais il faut qu'ils soyent unis ensemble de ce lien mutuel, cognoissans, Et bien, Dieu nous a creez, et formez, et nous maintient par les hommes, et par les femmes: mais c'est afin que nous vivions d'un commun accord par ensemble, sachans qu'il y a un lien de communauté, que Dieu a consacré entre nous, comme inviolable. Voila ce que nous avons à retenir pour garder un bon moyen.

Or venons maintenant à ce qui est ici recité,

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Il est dit, Que Iob a desiré, que le iour de sa naissance fust obscurci de ternebres qu'il fust bruslé de la chaleur du iour et des orages et tempestes, qu'il fust effacé du cours de l'an, que la nuict n'eust nulles estoilles, qu'elle ne vinst point au calandrier pour estre sous la conduite de la lune. Or il semble qu'il vueille ici pervertir tout ordre de nature: mais en cela voyons-nous comme nos passions sont bouillantes. Il est vray que si les hommes se pouvoyent contrister sans excez en leurs afflictions, cela ne seroit point à condamner. Pourquoy? Nostre Seigneur Iesus n'a point esté impassible comme nous voyons que quand il a enduré dl; mal, il l'a senti, il a gemi et a esté contristé: et toutesfois c'estoit l'Agneau de Dieu sans macule, tellement qu'il n'y avoit que redire en luy. Comment donc est-ce qu'il y a eu tristesse en luy, sinon (comme i'ay desia dit) que ceste tristesse-la a esté moderee comme il appartient, et n'a point esté mauvaise ne vicieuse de soy: mais toutes nos passions sont mauvaises, pource qu'elles sont enveloppees de quelque rebellion à l'encontre de Dieu, ou de quelque desfiance, ou de quelque excez de nostre chair. Si Dieu nous envoye du bien, ce n'est pas mal fait de nous en resiouir: et mesmes nous ne pouvons pas luy en rendre graces que nous n'ayons nos coeurs eslargis pour sentir le bien qu'il nous a envoyé. Mais quoy? les hommes ne se peuvent iamais esgayer, qu'ils n'offensent Dieu: il y aura tousiours de la vanité: comme si Dieu leur envoye des richesses, il y aura ie ne say quelle ambition, ie ne sai quoy meslé parmi: ou bien ils n'invoquer ont point Dieu d'une telle ardeur comme ils avoyent accoustumé, ils s'arrestent par trop, et s'adonnent à ce qu'ils ont en main. Bref, si tost que les hommes se voudront resiouir, ou contrister, il y aura tousiours de l'excez, à grand' peine se pourront-ils tenir d'offenser Dieu, d'autant que iamais ils n'ont une bride telle comme il seroit requis, mais ils s'esgarent. Et sur tout quand le mal est grand, il est bien difficile que les hommes ne s'oublient, et qu'ils ne soyent transportez, ainsi qu'il en est advenu ici à Iob, quand il dit qu'il voudroit, Que ce iour-la fust effacé de l'an. Et a-il disposé les iours de l'annee ? que veut il ici changer en l'ordre de Dieu ? Quand nostre Seigneur nous monstre la sobrieté que nous devons garder en sermens, il dit, Vous n'avez point la puissance de convertir un de vos cheveux pour le faire blanc quand il sera noir, et le faire noir quand il sera blanc: et comment donc iurez vous par vostre teste? Or ici Iob passe beaucoup plus outre: car il voudroit arracher les estoilles du ciel, et voudroit faire une bruslure par tout le monde pour dessecher la terre, il voudroit qu'il y eust et nuees et orages, et que tout se meslast à son appetit.

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En ce]a voyons-nous que quand les hommes sont par trop pressez de maux ils se desbordent tellement, qu'il n'y a plus nulle modestie, il n'y a qu'excez en eux. Quand nous voyons ceci en Iob, d'autant plus nous faut-il estre sur nos gardes, et que nous advisions bien de tellement nous lamenter en nos afflictions, que cependant Dieu soit benit en tout ce qu'il fait, que nous ne le provoquions pas: ie di mesme par inadvertance, car il est certain que Iob n'a pas voulu despiter Dieu à son escient, il ne l'a pas voulu maugreer: mais si est ce qu'il luy est advenu par inconsideration. (Car nos passions sont aveugles, nous n'avons point de prudence pour discerner, nous nous esgarons sans tenir ne voye, ne chemin. Cognoissans donc que nos passions sont ainsi excessives, tant plus avons nous à prier Dieu qu'il nous y modere. Or cependant si nous faisons comparaison de Iob avec ceux qui blasphement Dieu à gorge ouverte, ie vous prie combien telles gens sont-ils à condamner? Car Iob ayant servi Dieu tout le temps de sa vie, neantmoins est ici mis comme sur un eschaffaut par l'Esprit de Dieu, afin qu'on cognoisse sa povreté, qu'il soit humilié, qu'on sache que quand la grace de Dieu luy a defailli, il a esté en train de se mettre iusques aux enfers, s'il n'eust esté retenu. Puis que Dieu a voulu ainsi exercer Iob, qu'il l'a exposé à tel opprobre, à ce qu'il servist d'exemple et d'instruction, que sera-ce de ceux qui despitent Dieu, voire sans propos? Car il y en aura, que s'il leur advient quelque petit chagrin, qu'on les fasche, quand un homme les aura mis en colere, voila le nom de Dieu qui sera desciré par pieces: il leur semble que ceste excuse doit estre valable, Et pourquoy m'a-il courrouce? On leur viendra faire quelque petit despit, une mouche leur viendra voler à travers des yeux, et Iesus Christ sera desciré par pieces, et mort, et sang, et chair, et tout ce qu'il y a: comme si nostre Seigneur Iesus avoit prins chair humaine pour estre ainsi exposé en opprobre par ces monstres, qui ne sont pas dignes de vivre sur terre. Et cependant ils prendront leur excuse, pour dire, Un tel homme m'a courrouce. Et que ne t'attaches tu à l'homme? et encores quand tu t'addresserois à celuy qui t'aura fasché, si est-ce que Dieu est offensé en cela. Mais de se venir ainsi eslever contre Dieu, ne voila point des monstres contraires à nature? Et ainsi advisons de tellement moderer nos passions, que le nom de Dieu ne soit point blasphemé par nous, au lieu qu'il doit estre loué, et benit. Voila quant à un Item. Au reste, nous voyons que les hommes en blasphemant Dieu ont comme une rhetorique naturelle, qu'ils sont rhetoriciens, qu'il n'y a que redire. Dieu nous a donné langage, afin que nous le confessions bon, iuste et equitable en tout et par tout, et qu'en

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toutes nos paroles nous ayons ceste fin-la de parler de luy en toute reverence. Or nous parlons de Dieu si maigrement, quand il est question de l'honorer que rien plus, à grand peine peut-on arracher un petit mot, qui soit bien dressé: mais quand les hommes veulent blasphemer, alors les voila tant elegans que rien plus, il n'y a celuy qu'il ne semble avoir esté à l'escole pour avoir belle faconde. Ainsi en est-il ici: Iob ne l'a pas fait de propos deliberé (comme desia nous avons dit) car il s'est retenu tant qu'il luy a esté possible: il a bataillé contre la tentation: mais encore si voyons nous que son naturel le transporte tellement, qu'il ne se peut tenir d'avoir une rhetorique, qui est par trop coulante. Car à quoy sert-il qu'il met ici tant de façons de parler, qu'il les entasse comme en un monceau? D'autant donc que nous voyons un tel vice estre enraciné aux hommes, qu'avons-nous à faire? De prier Dieu qu'il nous ouvre la bouche, et qu'il nous face la grace que toutes nos paroles tendent à son honneur. Et au reste, qu'il nous reprime tellement, que nous advisions bien de ne point parler à la traverse, ni à la volee, quand il est question de parler et de ses iugemens, et de ses graces qu'il nous fait, et des corrections qu'il nous envoye, et de choses semblables: que nous ayons telle reverence à sa maiesté, que nos paroles soyent bien dressees, qu'il n'y ait rier d'infame, et tant moins de desbordé, comme nous voyons qu'il en est ici advenu à Iob.

Et mesmes nous devons estre tant plus incitez à cela par ce qu'il dit, Que ceux qui ont accoustumé de maudire les iours, maudissent le iour de ma naissance: ceux qui eslevent pleur et lamentation, que

ceux-la despitent la nuict en laquelle i'ay esté conceu. Quand Iob parle ainsi, nous voyons encores mieux comme les hommes n'ont nulle mesure ne fin, si tost que leurs passions ont commencé à bouillir: ainsi comme un pot, quand le premier bouillon sera passé, et qu'il aura ietté son escume, les autres viennent apres, qu'on ne les peut pas retenir. Ainsi en est-il donc de nos passions, qu'elles sont tellement excessives, qu'on n'en peut pas venir à bout du premier coup. Or au contraire nous voyons ce qui nous est enseigné en l'Escriture saincte: comme David quand il veut benir Dieu comme il appartient, il ne se contente pas d'appliquer tous ses sens, et toutes ses estudes pour ce faire, il ne se contente pas d'appeller les hommes avec soy: mais il dit (Pseau. 148), Vous terre, vous cieux, vous arbres, v us montagnes, vous gresle, vous neige, vous pluye, vous toutes creatures insensibles magnifiez Dieu. Nous voyons le zele qui doit estre en nous, quand nous voulons louer Dieu à bon escient: c'est que nous devons desirer que non seulement les hommes et les femmes s'appliquent de benir Dieu d'un commun accord avec nous, mais aussi toutes creatures insensibles: qu'il n'y ait rien en ce monde et haut et bas, que tout ne s'employe à glorifier Dieu: et cependant aussi que nous prions Dieu qu'il nous face la grace de nous y pouvoir employer, et de nous fortifier aussi contre toutes les tentations qui nous pourroyent advenir: et non seulement contre les combats qui nous seront faits par les ennemis au dehors, mais contre les affections qui sont dedans nous.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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D O U Z I E M E S E R M O N,

QUI EST LE II. SUR LE III. CHAPITRE.

Ce Sermon contient encores l'exposition du verset dixieme. Et les versets suivants.

11. Pourquoy ne suis-ie mort dés le ventre de la mere? Pourquoy n'ay-ie rendu l'esprit si tost que ie fus issu du ventre? 12. Pourquoy les genoux m'ont-ils receu? Pourquoy ay-ie allaicté les mammelles? 13. Car maintenant ie seroye gisant, et me reposeroye: ie seroye coy, et y auroit repos pour moy. 14. Avec les rois, et les conseillers de la terre, qui edifient les lieux deserts. 15. Avec les princes qui ont l'or, et qui amassent l'argent en leur maison. 16. Ou ie seroye non plus qu'un abortif qui est caché: comme l'enfant qui n'a point veu de clarté. 17. Là les meschans se

reposent de leur trouble, là ceux qui ont travaillé se tienent cois. 18. Les prisonniers sont là ensemble en repos, et nul n'oit la voix de l'exacteur. 19. Le grand et le petit sont là pareils: et le serf est affranchi de son maistre.

Nous avons declaré par ci devant, que si nous sommes tristes et faschez, la seule memoire des benefices de Dieu nous doit resiouir, ou pour le moins adoucir nos maux, et nos douleurs: comme si i'ay quelque adversité qui me presse, et que ie

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reduise en memoire que Dieu m'a fait tant de biens, cela me doit adoucir la tristesse. Or puis qu'ainsi est, il ne faut point que nulles afflictions nous facent oublier la cognoissance que nous avons des biens, et des graces de Dieu, et toutesfois il en advient ainsi. Et nous en voyons l'exemple en Iob, qui est le vray miroir de patience, car il devoit recognoistre, quelques maux qu'il endurast, qu'encores celuy estoit un grand heur, d'avoir esté mis en ce monde creature raisonnable, d'avoir porté l'image de Dieu, d'avoir esté nourri et substanté iusques en aage d'homme, afin qu'il cognust Dieu estre son pere. Voila des biens qui sont inestimables: neantmoins tant s'en faut que Iob les prise, qu'il voudroit iamais ne les avoir gousté. Nous voyons donc comme les tentations nous troublent et qu'au lieu que nous devons prendre quelque resiouissance ou allegement de nos douleurs aux benefices de Dieu, nous tournons cela en un despitement que nous voudrions que iamais Dieu ne nous eust fait nul bien, que iamais nous ne l'eussions cognu. Non pas que Iob ait du tout accordé à ceci, mais il luy eschappe des mots sans les avoir premeditez, et cela se fait par la violence du mal qu'il endure. Ce n'est pas donc tout, que nous ne consentions point à des meschans propos: mais il nous faut tellement tenir bridez, que si telles fantasies nous vienent en la teste, nous les repoussions de loin. Or qu'il y ait ici de l'infirmité grande et vicieuse, et à condamner, il est bien certain Car nous voyons l'exemple qui nous est monstré au Pseaume 22 en la personne de David, et mesmes de nostre Seigneur Iesus Christ. Là David est comme un homme destitué d'aide, que Dieu se monstre tellement contraire à luy: qu'il semble bien qu'il soit reietté du tout, et pourtant il s'escrie, Mon Dieu, mon Dieu, pourquoy m'as-tu laisse? et cela est dit en la personne de Iesus Christ comme chef de tous fideles. Or apres s'estre ainsi lamenté, neantmoins il adiouste, Seigneur tu m'as tiré du ventre de la mere, tu m'as recueilli de la matrice, tu t'es monstré mon Dieu devant que ie te peusse ne cognoistre, ni invoquer. David se met cela au devant afin de rendre graces à Dieu, d'en chanter à son nom au milieu de ses tristesses: et puis il se conferme en bonne esperance pour le temps advenir, ne doutant point que Dieu ne le regarde encores en pitié, puis qu'il s'est monstré si benin et pitoyable envers luy. Voila une doctrine commune à tous, c'est que quand nous serons pressez d'adversitez, que nous n'en pourrons plus, mesmes qu'il semblera que ce soit chose frustratoire, et peine perdue de reclamer Dieu, si faut-il que nous sachions qu'il nous a creez, et que nous ayant mis en ce monde, il nous a imprimé son image, qu'il nous a donné beaucoup de sentimens, pour cognoistre

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qu'il nous tient de ses enfans. Cela nous doit faire eslever nos esprits en haut, pour luy rendre la louange dont il est digne, et puis cela nous doit servir d'aiguillon pour nous faire esperer en luy, ne doutans point qu'encores ne se monstre-il tel que nous l'avons senti auparavant. Vray est qu'il vaudroit mieux que iamais un homme ne fust nay, quand il est du tout abandonné ha mal, ainsi que nostre Seigneur en parle: Mal-heur par qui scandale viendra: il voudroit mieux que iamais un tel homme n'eust esté creé (Matth. 18, 7). Voire' mais quand il est question de souffrir quelques calamitez et fascheries, il ne faut point que cela nous despite tellement que nous oublions la grace qu'il nous a monstree, quand il luy a pleu de nous faire fouir de la clarté de ce monde: voire à telle condition, que nous soyons ses enfans d'autant qu'il a imprimé son image en nous. Il y a eu donc de l'ingratitude en Iob: mais notons cependant, qu'il n'a point parlé comme celuy qui consentoit à tels propos: il a esté agité en sorte que ceci luy est eschappé de la bouche: neantmoins si a-il retenu en son coeur que Dieu luy avoit fait tant de biens, qu'il avoit bien raison de les recognoistre. Or par cela nous sommes enseignez, combien que Dieu nous fortifie par son sainct Esprit, que nous ayons quelque patience et vertu pour resister aux maux: que neantmoins il y aura de la fragilité meslee parmi, en sorte que la douleur nous transportera qu'il y aura comme une tempeste en nous si impetueuse, que nous ne pourrons pas nous moderer du tout comme il seroit bien requis. Or par cela nous sommes advertis de cheminer en crainte, et d'estre tousiours sur nos gardes, prians Dieu qu'il subviene et donne secours à une telle infirmité, comme il la cognoist en nous. Au reste, si quelquefois nous sommes ainsi poussez à nous desborder, et à faire de telles complaintes: prions Dieu qu'il nous arme pour venir a bout d'un tel combat: mais quoy qu'il en soit, pratiquons la doctrine que i'ay dite: c'est de nous mettre au devant les benefices de Dieu, que nous avons receus pour le temps passé, afin que cela nous console, que l'angoisse ne domine point pour nous accabler du tout: mais que nous ayons quelque goust de la bonté de Dieu, afin d'esperer encores misericorde de luy, combien que nous n'en ayons nulle apparence, et qu'il semble que nous en soyons du tout forclos. Voila ce que nous avons à noter en ce passage.

Cependant nous voyons quand les hommes se sont desbauchez un coup, qu'il n'y a nulle fin. C'estoit desia par trop d'avoir dit, Pourquoy est ce que le ventre qui m'a porté n'estoit clos? Pourquoy suis-ie issu en ce monde? mais il adiouste encores, pourquoy est-ce que les genoux m'ont receu? Pour

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quoy ay-ie allaicté la mammelle ? En cela nous voyons que Iob ne vient point à considerer avec profit les benefices de Dieu, combien qu'il les ait senti en grand nombre, mais plustost il reiette le tout. Or c'est pour avoir mal commence: il nous faut donc bien regarder à nous et si tost que nostre Seigneur nous fait cognoistre quelque bien que nous aurons receu de sa main, que nous en soyons touchez, pour n'estre point si vilains ne si pervers, de convertir le bien en mal, car si nous commençons une fois à mettre en oubli les graces de Dieu, ou à les tourner à l'opposite que nous ne devons: il est certain que ce mal-la et ce vice poursuit iusques au bout, comme nous en voyons l'exemple en Iob. Quand Dieu a ouvert la matrice de nostre mere pour nous faire venir au monde, il nous donne encores des femmes qui nous recueillent: comme nous voyons qu'il est bien besoin, veu que la povre creature humaine sort en si grande necessité que rien plus. Cela est-il fait? Il appreste nourriture, par laquelle nous sommes sustantez, il convertit le sang de la femme en laict, afin que nous en puissions tirer substance. Dieu donc nous prouvoit ainsi du temps que nous n'avons ne sens ne raison, que nous sommes si subiets à mort, que nous n'y pouvons remedier, ne mesme demander qu'on nous secoure: Dieu previent et anticipe. Voila des graces de diverses especes. Or nous voyons que Iob les met ici en un faisseau, et despite tout. Par cela donc que nous soyons admonestez si tost que Dieu nous propose quelque benefice que nous aurons receu de luy, d'estre esmeus de sentir sa bonté paternelle, afin de le remercier: et quand nous aurons ainsi commencé, poursuyvons: car comme on dit en proverbe, A l'enfourner, on fait les pains cornus: et quand les, hommes se sont desbauchez une fois, ils ne savent plus tenir nulle mesure. Et si cela est advenu à Iob qui estoit doué d'une constance si singuliere que sera-ce de nous, qui ne sommes que fueilles? tellement qu'il ne faut qu'un petit vent pour nous abbatre? Cognoissons donc le besoin que nous avons de recourir à nostre Dieu, afin qu'il nous tiene la main forte.

Or quand Iob a ainsi parlé, il adiouste encores pis: c'est que s'il estoit mort, il auroit repos. La raison? C'est (dit-il) que la mort termine tout, qu'il n'y a plus ne riche ne povre, il n'y a plus ne serviteur ne maistre: ceux qui ont troublé le monde se tienent là coys, et ceux qui ont travaillé ont aussi un mesme repos. Ie seroy gisant et dormiroye, ie n'auroye plus nul souci ni apprehension de mal. Or il semble bien de primo face que Iob en parle ici comme un Payen qui n'a plus nulle esperance de la vie seconde, ni de la resurrection, si est-ce que iamais cela n'a esté effacé de son coeur: mais quel

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que fois les passions sont si grandes et si vehementes en nous, que la semence de Dieu est comme estouffee, que toute ceste clarté de religion que nous devons avoir, est troublee, que toutes les conceptions sont là sous le pié, qu'elles ne peuvent avoir nulle vigueur. Ceci est bien à noter, mais il a mestier d'estre declaré plus au long, pour estre bien entendu. Nous voyons comme les afflictions presentes nous aveuglent: si nous sommes en esté (car il faut prendre ces exemples familiers) que nous ayons chaud, il nous semble que c'est le mal le plus fascheux qu'on ait à souffrir: voila un homme qui sera tant pesant qu'il deffaut, il ne se peut plus porter, il voudroit avoir la gelee qui fendist les pierres: il luy semble qu'il seroit refreschi, et qu'il seroit mieux à son aise. Si nous sommes en hyver, la chaleur ne nous cousteroit rien à souffrir ce nous semble. Voila comme les passions p. sentes nous transportent, et cela adviendra à tous: si est-ce qu'il v en a qui sont plus tendres et delicats à souffrir un mal, que ne seront pas les autres. Selon donc qu'un chacun a son naturel et sa complexion, il se tourmente du mal qu'il endure, et se despite iusques au bout. Quand nous voyons de telles experiences, cognoissons que les hommes sont transportez par leurs passions, tellement qu'ils ne pensent à rien sinon à ce qui les fasche et les tourmente. Or cela se voit ici en Iob: car il est tellement pressé de son mal, qu'il regarde plus à ce qui luy doit advenir apres la mort, il ne pense point à la vie seconde. Ie di qu'il n'y pense pas, en parlant ainsi à la volee: il est vray qu'il en a bien la cognoissance et persuasion imprimee en son coeur, mais cela demeure comme un feu couvert, qui est comme estouffé de cendres. Et ne trouvons point estrange si les passions mauvaises et vicieuses nous font ainsi oublier! les choses que nous aurons cognues, et qui nous auront esté certaines. Car nous voyons que le bon zele a ou ceste proprieté-la et en Moyse, et en S. Paul. Quand Moyse demande à Dieu qu'il soit effacé du livre de vie, afin que le peuple soit sauvé: voila une affection bonne et sainte, et que Dieu approuve, et toutesfois il y a de la contradiction. Moyse pense-il que Dieu puisse exterminer ses eleus? Dieu est-il muable en son conseil? Moyse savoit bien qu'il estoit choisi de Dieu et adopte pour l'un de ses enfans: comment donc souhaitte-il d'estre effacé du livre de vie? c'est à dire, que iamais il n'eust esté recognu du nombre de ceux qui devoyent obtenir la vie eternelle. Il demande cela à Dieu: et est-ce par feintise' Nenny: mais il n'y a que son zele qui le transporte, qu'il est si ardent en luy, qu'il n'a sinon le salut du peuple qui luy soit recommandé. Quand il oit ceste sentence de condamnation, que Dieu doit

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ruiner tous les enfans d'Abraham, Qu'est-ce icy? Si ceste lignee que Dieu a choisi à soy, est ainsi exterminee, il faudra aussi que l'alliance de Dieu soit abolie: Seigneur donc que ie soye plustost rasé de ton livre que de dire, que tout ce peuple ici perisse. Moyse donc a esté saisi d'une telle angoisse qu'il se met en oubly: il ne regarde plus a soy, et ne regarde point qu'il faut necessairement que ceux que Dieu a esleus soyent conservez iusques en la fin, cela luy eschappe pour peu de temps: et voila pourquoy il demande d'estre effacé du livre de vie. Autant en est-il de sainct Paul: Ie voudroy (dit-il) (Rom. 9, 3) estre maudit pour mer, freres. Comment? Sainct Paul se cognoissoit estre membre de nostre Seigneur Iesus Christ sachant qu'il estoit instrument esleu pour le glorifier, vouloit-il renverser ceste grace la? vouloit-il rompre le cours du conseil de Dieu, sachant bien qu'il n'est point variable? Non, comme il declare tantost apres. Il y a donc de la contradiction en luy: voire, mais il n'y a nul inconvenient pour cela, car (comme i'ay dit) son zele qui est bon et sainct le pousse et l'enflamme, en sorte qu'il n'a point d'esgard à son salut pour le present: mais il desire que Dieu accomplisse sa promesse en la lignee d'Abraham, afin que son nom ne soit point blasphemé.

Nous voyons maintenant par exemple que les bonnes affections seront quelque fois comme exorbitantes aux enfans de Dieu, et qu'elles leur feront oublier ce que ils cognoissoyent et qui leur estoit tout certain. Or puis qu'ainsi est, il ne nous faut point trouver nouveau si Iob a esté si fort pressé, qu'il parle ici comme à l'estourdie, qu'il face tout commun et esgal apres la mort, qu'il semble à son dire que les hommes perissent, et qu'il n'y ait point une vie seconde. Ce n'est pas qu'il n'ait bien conceu en son esprit une autre sentence et engravee en son coeur: mais il parle comme un homme ravy en extase: car la douleur l'aveugloit tellement qu'il n'estoit point a soy, qu'il estoit là comme une mer bouillante, en laquelle les vagues donnoyent les unes contre les autres Voila donc un beau miroir, afin que nous cognoissions que nos passions sont aveugles, d'autant qu'elles n'ensuyvent pas la raison pour cognoistre les choses qui nous devroyent estre les plus certaines, et les plus resolues du monde. Car que sera-ce de nous, si nous ne savons que nous sommes creez pour une, vie meilleure? Il vaudroit mieux que nous fussions des asnes, ou des boeufs: car les bestes brutes iouissent de la vie presence, elles mangent, elles se reposent, elles travaillent sans grande apprehension. Les hommes ne mangeront point un morceau de pain sans souci, au milieu de leurs voluptez ils auront beaucoup de remords: et puis il ne leur

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faut point de mal d'ailleurs: car ils seront leurs bourreaux chacun pour soy. Si donc nous n'avions point esperance de la vie seconde, que seroit-ce de nous ? Et de fait nostre Seigneur a voulu, que cela demeurast imprimé aux coeurs de tous, comme nous voyons que les payens. combien qu'ils fussent abbrutis, si est-ce qu'ils ont encores retenu quelque cognoissance de la vie seconde, et de l'immortalité de l'ame: et ceux qui ne l'ont point cognu, Dieu a laissé quelque marque par laquelle ils fussent rendus inexcusables: et ne fust sinon que les sepulchres qu'ils ont faits pour ensevelir les morts. Voila un tesmoignage de la resurrection. Or Voici Iob qui ne cognoist rien de tout cela. Que dirons nous donc, sinon ce que i'ay desia monstre, c'est assavoir que quand nous laschons la bride à nos passions, elles nous crevent les yeux, ou ce sont des bandeaux si espés, que nous ne voyons goutte, que nous parlons à tors et à travers, que nous n'avons nul sens rassis, que nous ne pouvons moderer nos propos? Voila à quoy il nous faut penser.

Mais d'autre part notons la grace qui a esté faite à Iob, de ce qu'il n'a pas du tout consenti à ces propos si extravagans (car c'estoit blasphemer Dieu) mais il luy est eschappe un propos volage. Si on luy eust demandé sur le champ, Que dis-tu? qu'il n'y ait nulle discretion entre les bons et les mauvais? que la mort soit pour tout finir? tu parles ici en incredule qui n'a iamais cognu que c'est de Dieu ne de religion, car Dieu nous instruit, qu'apres la mort il y a une meilleure vie que ceste-cy, il y a un heritage perpetuel qu'il a appresté aux siens, et à ceux qu'il a esleus: et quant aux reprouvez ils le cognoistront leur iuge, puis qu'ils l'ont mesprisé durant leur vie. Si Iob donc eust esté interrogué, il eust confessé telles choses, voire, et en verité: mais cependant il ne laisse pas toutesfois de s'abuser en telles choses. Et ainsi nous voyons que ce n'est pas le tout d'avoir cognu: mais il faut que nous perseverions en ceste cognoissance-la, pour resister aux tentations quand nous en serons assaillis. Car si nous avons leu l'Escriture saincte, que nous ayons esté aux sermons, et que nous ayons esté enseignez en ce qui est requis pour le salut d un homme, et que cependant nous soyons nonchalans, et que nous ne pensions plus à mediter les choses que nous aurons desia entendues: c'est autant comme si un homme estoit bien equippé, qu'il eust et hallecret, et heaume, et espee, et bouclier, et qu'il pendist tout cela au croc, et qu'il laissast rouiller ses armes, que l'espee tint au fourreau quand ce viendra au besoin. Il dira bien I'ay des armes toutes prestes, mais qu'il s'en aidé pour voir? Voila ses armes inutiles, car il les a là laissé rouiller: et d'avantage il ne saura pas

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manier une espee, Di un bouclier quand il en aura necessité. Autant en est-il de nous, que nous pourrons bien avoir cognu ce qui est bon et propre pour nostre salut, mais cependant noua cuiderons estre habiles gens, et nous ne saurons comme il faut appliquer le tout à nostre usage. Et puis ceste cognoissance là sera comme rouillee, qu'elle ne nous viendra point en memoire, quand il sera besoin, et que nous en aurons necessité. Voila donc une bonne instruction pour nous: c'est qu'il ne suffit point d'avoir cognu une fois ce que Dieu noua monstre pour nostre profit, mais il nous y faut exercer incessamment, il faut que la memoire noua en soit refreschie, afin que nous sachions quel est le vray usage de l'Escriture saincte. Or s'il est advenu à Iob ce qui est ici dit, lequel toutesfois avoit soigneusement medité la parole de Dieu (ie ne dy point parole escrite, mais ce que Dieu luy avoit inspiré), si (di-ie) quand ce vient au besoin, il ne laisse pas d'estre là eslourdy: helas que sera-ce de nous qui sommes beaucoup plus infirmes! Et ainsi prions ce bon Dieu, que si quelque fois pour nous humilier il permet que nostre infirmité domine par trop, et que nous n'ayons pas telle vertu pour repousser les assauts de Satan comme il seroit requis: que toutesfois cela soit effacé de son registre, et ne viene point en conte. Voila ce que nous avons à faire. Mais voulons-nous estre absous de Dieu? il nous faut condamner en premier lieu les vices que noua appercevons en nous. Au reste notons que de l'estat de la vie seconde, l'Escrire noua en monstre ce qui nous est expedient d'en cognoistre: c'est qu'il est vrai quand les hommes sont venus a la fin de leur course, que Dieu les retire d'ici bas: car ceste vie presente est accomparee à une course, ou à une lice. Nous avons donc achevé nostre course et nostre voyage à la mort: mais cependant noua ne laissons pas ou de travailler, ou d'estre en une ioye heureuse apres que nos ames sont separees de nos corps. Voila ce que nous avons à retenir.

Quant aux peines de la vie presente, comme d'avoir soucy de boire et de manger, de noua entretenir de vestemens, de nous garder des nuisances, ou du costé des hommes, ou du costé des bestes et bien tout cela cesse: mais cependant il est dit que les enfans de Dieu sont recueillis en ioye. Il est vrai que nous n'avons point encores ceste couronne qui nous est promise, et laquelle nous est apprestee: car il faut que tout le corps de Iesus Christ soit accompli et parfait ensemble. Et voila pourquoy il est dit (Coloss. 3, 3), que nostre vie est cachee en Iesus Christ iusques à ce qu'il apparoisse. Mais tant y a que les fideles sont desia participans de ceste ioye, estans au sein d'Abraham,

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qu'ils cognoissent que Dieu est leur Pere, et que ce n'est point en vain qu'ils ont esperé en luy. Et mesmes il nous faut noter ce que dit S. Paul, Que quand nous sommes enclos dedans ces corps mortels, nous cheminons en esperance, d'autant que nous n'avons point la veuë ni le regard des choses qui nous sont promises, tout cela nous est caché: mais quand nous sommes partis du monde, nous voyons ce que nous avons esperé, ce qui nous estoit auparavant caché, nous est alors declaré (Rom. 8, 23, 24. 2. Cor. 5, 7). Voila donc comme les fideles estans sorti i de ce monde sont en ioye avec Dieu, qu'ils cognoissent qu'estans membres de Iesus Christ ils ne peuvent perir, et le cognoissent beaucoup mieux, et avec une plus grande vertu qu'ils n'ont point fait durant ceste vie presente. Quant aux reprouvez ils sont comme des povres condamnez qui n'attendent sinon l'heure du supplice et du torment: mais desia ils sont asseurez de leur condamnation. Et voila pourquoi il est dit, que les diables sont enserrez en prisons obscures, et attachez comme à es chaines, iusques à ce qu'ils vienent a ceste confusion finale, qui leur est apprestee à la venue de nostre Seigneur Iesus Christ. Voila ce que l'Escriture nous monstre en brief de l'estat de la vie seconde, en attendant le dernier iour. Or il noua en est sobrement parlé, d'autant que nous sommes par trop adonnez à folles questions et curieuses: et nous voyons que les hommes aimeroyent mieux s'enquerir qu'on fait en paradis, que de savoir quel est le chemin d'y parvenir. Voici Dieu qui noua declare, Venez à moy, il nous monstre comme nous y pouvons venir, et il ne nous en chaut nous sommes tant froids que merveilles quand il est question d'approcher de lui selon les moyens qu'il nous donne: et cependant nous nous voulons enquerir, Et qu'est-ce de ceci ? et qu'est-ce de cela? Nous voulons savoir ce que Dieu nous cache: car il ne veut point que noua cognoissions maintenant sinon en partie. Et voila pourquoy l'Escriture saincte use d'une telle sobrieté: c'est afin que nous n'appetions point d'estre trop subtils en ces questions frivoles, mais que nous nous contentions de cognoistre ce qui nous est utile. Or tant y a neantmoins qu'il noua faut bien estre resolus en cest article, c'est assavoir qu'en la mort il n'y a point repos pour tous. Il est vrai que les hommes, mesmes les meschans (comme i'ay dit) seront deschargez des necessitez de la vie presente: mais cependant ils ne laissent pas d'estre tourmentez, sentans que Dieu est leur iuge duquel ils ne peuvent attendre nulle merci m car ils cognoissent que leur confusion est toute apprestee, et qu'ils seront abysmez aux enfers. Quand (di-ie) ils sont là adiournez, et convaincus, voila une inquietude qui surmonte tous les travaux, et tous les tour

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mens du monde. Il faut que nous cognoissions cela, afin que vivans ici bas nous prions à Dieu qu'il nous conduise par son sainct Esprit, afin de ne rien appeter qu'il ne nous soit licite, attendans tousiours qu'il accomplisse sa promesse de nous recueillir tous en son royaume celeste. Voila ce que nous avons à retenir.

Or au reste, combien que les propos de Iob soyent esgarez (comme desia nous avons dit) toutesfois si en pouvons nous recueillir quelque bonne doctrine et profitable. Comme quoy? Quand il dit, que les Rois et les Princes se bastissent des lieux deserts, il monstre l'ambition folle qui est en ceux qui sont adonnez au monde, et qui se veulent ici faire valoir. Quand les hommes conçoivent, et qu'ils machinent, et deliberent de bastir des maisons et des palais, nous savons qu'il y a souvent de l'excez, quand ils y procederoyent selon l'ordre de nature pour dire, Et bien Dieu veut que nous soyons logez ici bas, et que sur cela selon leurs facultez ils bastiroyent des maisons pour y habiter, ce seroit une bonne mesure qu'ils tiendroyent. Or ceux qui veulent se magnifier au monde DC se contentent point de cela, mais ils veulent imprimer une eternité de leurs noms en leurs palais et chasteaux, ils veulent qu'on les voye de loin. Qui a basti un tel lieu? c'a esté ce prince-la. Voila donc l'ambition qui outrepasse l'ordre de nature. Et c'est ce que Iob a voulu signifier: comme s'il disoit, les hommes vivans en terre ont beaucoup de soin qui les picque, en sorte qu'ils travaillent, et ne faut point qu'on les pousse d'ailleurs: car ils sont touchez de leurs propres cupiditez, tellement qu'ils combatent contre nature. Car qu'est-ce que se bastir des lieux deserts, c'est de faire des bastimens qui sont comme incroyables, tellement que quand on viendra en un lieu on s'esmerveillera, Comment a-il este possible de pouvoir bastir en ce lien là? Car si une situation estoit propre et aisee et qu'on y vist quelque beau bastiment, et bien, cela ne seroit point tant estrange, on s'en moqueroit, par maniere de dire: mais si on voit un lieu comme inacessible, et qu'un homme presume de dire, Ie le ferai valoir, voila un desert basty, voila comme un monde nouveau. Telles gens veulent quasi despiter Dieu: car ils veulent reformer le monde, et l'ordre que Dieu y a mis: ils veulent monstrer que rien ne les empesche: combien que Dieu leur ait mis des barres au devant, pour dire, vous ne passerez point outre, ils sautent par dessus. Voila que c'est de l'ambition qui est en plusieurs. Et c'est ce que Iob a ici voulu noter. Et ainsi (comme i'ay dit) ses propos sont bien extravagans: mais quoy qu'il en soit, si en peut on recueillir encores quelque bonne doctrine.

Et aussi quand il adiouste. Que le serf est

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affranchi de son maistre, que le povre et le riche seront tout un: cela est pour nous monstrer que les hommes ne se doivent point glorifier en leur grandeur presente, comme sainct Paul parle des principautez, et en parle comme David. Car voila ce qu'il dit au Pseaume (82, 6), l'ay dit, vous estes dieux: c'est à dire, que les princes et ceux qui sont constituez en dignité, sont lieutenans de Dieu, qu'ils ont préeminence par dessus le reste du monde: comme si Dieu les avoit privilegiez. Mais quoy? vous estes hommes mortels, et mourrez comme hommes, et ainsi advisez à vous. Voila comme ceux qui sont eslevez en haut estat De se doivent point esblouyr les yeux, mais doivent recognoistre que leur condition est fragile, que si le monde passe avec sa figure, ce n'est de rien de leurs richesses, ne de leur credit ny honneur. Que donc ils ne s'y enyvrent point, mais que tousiours ils pensent à la mort: que ceux qui auront des serviteurs et des subiets regardent, Il nous faudra venir à conte, nous avons au ciel un maistre commun à tous, comme sainct Paul parle (Ephes. 6, 9): là il n'y a point acception de personnes, il n'y aura plus ne servitude ne maistrise qu'on puisse amener devant Dieu. Vray cet que la police terrienne, comme aussi la dignité des Magistrats est ordonnee de Dieu: mais tout cela ne concerne que le monde, et le monde prend fin: il faut donc que ces choses-la soyent aussi bien transitoires. Advisons donc de nous tenir tons en humilité et modestie, et de ne rien attenter qu'il ne nous soit permis de Dieu. Or revenons maintenant au propos que nous avons commence, c'est assavoir, que les propos de Iob ne laissent point d'estre enormes et excessifs, et qu'il n'y a nulle mesure, et que s'il y eust consenti, ce fussent esté des blasphemes horribles. Mais tant y a que d'autant qu'il n'a point eu une telle vertu en soy, qu'il se soit pou moderer, il y a eu beaucoup de mauvais vices, comme il faut que les hommes en combattant sentent qu'il y a tousiours de l'infirmité en leur chair. Et de fait nous voyons ici comme Iob parle des petis enfans: car quand il dit un abortif, c'est comme s'il vouloit monstrer, que quand Dieu a mis une creature humaine au ventre de la mere, il n'y a point d'ame: au contraire, nous savons quand la creature cet canceuë au ventre de la mere, que Dieu y inspire une ame,, il est certain que voila une semence de vie. Et ainsi Iob monstre bien qu'il n'est pas de sens rassis pour penser aux oeuvres de Dieu, et en iuger droitement, pour discerner entre le noir et le blanc, mais qu'il est confus. Et d'où procede cela? De ceste violence, comme i'ay dit, de ses passions. Voila comme une tempeste ou un orage, qu'il faut que lob soit sourd et aveugle. Quelque fois quand il tonne, que l'air est si fort esmeu qu'on ne peut

SERMON XIII

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rien ouyr: et bien nous sommes comme esperdus en toua nos sens, et puis nous sommes saisis de frayeur: quand nous voyons les esclairs, que nous entendons la foudre, qu'il y a quelque gresle impetueuse, il nous semble que nous devons estre abysmez, nous sommes comme retirez au dedans, tellement que nous n'osons pas sortir hors de nous-mesmes: ainsi en a-il esté de Iob. Et pourtant cognoissons ces choses, et cependant retenons aussi la doctrine que nous avons desia touchee. Il est vray qu'icy nous faut noter deux choses: car nous avons deux extremitez dont il nous faut garder. Les uns cuident qu'il n'y ait point de patience sinon qu'elle soit pour rendre du tout l'homme paisible: les autres s'ils oyent parler qu'un homme se despite contre Dieu, et lui resiste, ne laisse pas d'estre patient, neantmoins pourveu qu'à la parfin il se deplaise en son vice, et s'en repente. Ceux la se laschent la bride, et se permettent beaucoup de pechez, voire et cuident estre patiens quand ils auront ainsi despite Dieu par ce moyen et en cela ils se privent de la grace te Dieu. il nous faut

donc garder de ces deux extremitez-la. Ainsi notons que si nous sommes patiens pour nous assuiettir à la bonne volonté de Dieu, ce n'est pas que nous n'ayons quelques chagrina, que nous ne soyons là despitez tant plus quelque fois, et que nous ne sentions les vagues qui vienent heurter contre nous, tellement que nous serons la comme esperdus. Et bien, quand nous serons en tels combats, ne perdons point courage pourtant, mais invoquons Dieu: cependant sentons tousiours combien nous sommes coulpables devant lui, prions-le qu'il nous fortifie par la vertu de son sainct Esprit afin de pouvoir resister à tels combats, et desquels nous pourrions estre accablez du premier coup si nous n'estions soustenus de lui. Voila (di-ie) comme il nous en faut faire afin que quand Dieu nous aura donné quelque force et vertu, pour resister aux tentations, il l'augmente en nous iusques à ce que nous soyons venus à la fin de tons nos combats.

Or nous noue prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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TREIZIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE III. CHAPITRE.

20. Pourquoy donne-il clarté à ceux qui sont faschez, et la vie à ceux qui sont tristes en courage? 21. Qui attendent la mort, et ne leur vient point: qui la cerchent plus diligemment que les thresors? 22. Ils s'esgayeroyent et seroyent en liesse, ils auroyent grand ioye, s'ils trouvoyent le sepulchre. 23. De l'homme, duquel la voye est cachee, et laquelle Dieu a enserree. 24. Devant que prendre ma refection i'ay gemi, et mon hurlement est comme des eaux desbordees. 25. I'ay rencontré ce qui m'avoit tenu en crainte, et ce que i'avoye redouté m'est escheu. 26. Ie n'ay point esté en prosperité, ie n'ay point esté à requoy, ie ne me suis point reposé, et toutesfois ce mal m'est advenu.

La complainte que fait ici Iob est comme si Dieu faisoit tort aux hommes, quand apres les avoir mis en terre, il les exerce en beaucoup de miseres. Il fait donc son conte, que ai Dieu vent que noua vivions, il noua doit entretenir à nostre aise, et ne noua point fascher de beaucoup de troubles. Voila en somme ce qui est ici contenu. Il est vray que Iob n'a pas eu Geste intention de contester contre Dieu, comme s'il intentoit procez: mais cependant si est-ce que la douleur qu'il souffroit l'a transporté iusques là, que ces querelles lui sont sorties de la

bouche: Comment? pourquoy est-ce que Dieu nous met en ce monde? n'est-ce pas afin que noua le cognoissions Pere, et que sachans qu'il a le soin de nous, nous le puissions benir? Or au contraire on voit qu'il y a beaucoup de gens qui sont affligez, qui sont tourmentez de beaucoup de miseres: à quel propos Dieu les tient-il ici? Il semble qu'il vueille que son nom soit blasphemé: ceux qu'il traitte ainsi rigoureusement que peuvent-ils faire? Quand ils voyent la mort devant leurs yeux, ou qu'ils l'ont entre les dents, ils ne peuvent sinon gronder, et se despiter. Voila donc une occasion de murmurer contre Dieu, et il semble qu'il soit auteur de cela. Ici nous avons un bon advertissement et bien utile: c'est que nous sachions quand Dieu nous afflige, qu'il ne laisse pas toutesfois de nous donner quelque goust de sa bonté en aorte qu'au milieu des afflictions encores le pouvons-nous louer, et nous resiouyr en luy. Vray est cependant qu'il nous restraint bien nos ioyes, et nous les convertit en amertume: mais il y a un moyen entre benir le nom de Dieu et le blasphemer, c'est que nous l'invoquions estans pressez de maux, que nous ayons nostre refuge à luy, en demandant qu'il nous reçoive à pitié. Or les hommes ne peuvent iamais

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tenir ce moyen: mais si est-ce que Dieu regarde à cela quand il nous afflige. Notons donc en premier lieu, toutes fois et quantes que Dieu nous envoye quelques troubles et fascheries, il ne laisse pas cependant de nous faire gouster sa bonté, qui cet pour adoucir, l'angoisse, qui pourroit tenir nos coeurs serrez. Comme quoy? Nous avons monstré par ci devant, que si les hommes regardent aux biens que Dieu leur a faits, et ne fust sinon qu'apres les avoir tirez de la matrice, il leur a donné vie, qu'il les a substantez dés leur enfance: cela est pour les faire resiouyr, quand ils seroyent accablez du tout de desespoir, mais qu'ils pensent, Et Dieu ne nous peut-il pas iustement affliger? Car nous sommes tenus de porter en patience le mal qu'il nous envoye, puis qu'il nous eslargit tant de benefices, nature nous enseigne à cela, Gomme Iob l'a monstré ci dessus. Voila donc comme ceste seule pensee nous doit adoucir nos tristesses: comme on voit qu'en une medecine qui sera trop amere, on y mettra du sucre, ou du miel, cela servira de confiture, en sorte que le malade pourra mieux prendre ce qui autrement seroit comme pour l'estrangler. Or il y a encores plus, que Dieu nous monstre l'usage des chastimens, qu'il nous envoye, qu'il ne veut point que nous perissions tontes fois et quantes qu'il nous afflige: mais que c'est pour nostre bien et pour nostre salut: il nous promet qu'estans fideles, il ne souffrira point que nous soyons tourmentez outre mesure, ains qu'il nous supportera. Ainsi Jonc, si nous sommes affligez, il n'est point question de nous despiter à l'encontre de Dieu, comme si nous ne trouvions en luy que toute rudesse: car nous sommes consolez en nos afflictions, tellement que si nostre ingratitude ne nous empesche, nous pouvons nous resiouyr, et dire que le nom de Dieu soit benit, encores qu'il ne nous envoye point tout à souhait. Voila quant au premier poinct.

Or cependant il nous faut aussi noter le second article que i'ay desia touché, c'est assavoir, qu'encores que nous n'eussions que destresse, que nous fussions là tenus comme à la torture, que nous n'eussions rien pour nous resiouyr: toutesfois si ne nous faut-il point precipiter à despiter Dieu, mais il nous faut plustost l'invoquer: comme il est dit Que celuy qui est triste qu'il prie. Sainct Iaques (5, 13) nous monstre là le moyen que nous avons à tenir. Si nous sommes ioyeux, chantons, dit-il: non point à la façon du monde qui s'esgaye, et se desborde, ne cognoissant point les biens venir de Dieu: mais rendons louange au Seigneur de nostre ioye: et si nous sommes faschez et angoissez, il y a les prieres, que nous demandons à Dieu qu'il ait pitié de nous, et qu'il modere sa rigueur. Voila donc comme les fideles, quand ils seront iusques au

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bout de leur sens, qu'ils n'en pourront plus, si ne doivent-ils point se ruer contre Dieu, et se plaindre de luy: ils ne doivent point estre si excessifs comme ceux qui sont pleins de fierté et de rebellion: mais pensons plustost, Seigneur me voici une povre creature ie ne say que devenir, ie ne say que faire, sinon que tu me reçoives à merci, et que tu te monstres pitoyable pour m'alleger de ceste affliction laquelle ie ne puis plus porter. Voila donc comme les enfans de Dieu doivent porter leurs maux en patience, combien que Dieu les chastie rudement pour un temps

Or Iob monstre combien qu'il eust medité ceste doctrine. qu'il n'en estoit point assez muni pour resister aux tentations, car il dit ici: Pourquoy est-ce que Dieu donne clarté à ceux qui sont ainsi affligez de courage? Il ne cognoit point que Dieu a iuste raison de tenir les hommes au milieu de beaucoup de fascheries: et combien que leur condition soit miserable ici bas, toutesfois que Dieu est iuste: et que s'il nous punit, s'il nous exerce en beaucoup de sortes, il ne faut point que nous entrions en procez contre luy sous ombre qu'il nous tient ici comme maugré nous, que nous sommes enserrez en une prison, estans en ceste vie. Il ne faut pas que nous concevions nul despit pour cela, Iob ne l'a point assez consideré. Or s'il est advenu à un tel personnage de se fascher, et se picquer contre Dieu, à cause qu'il n'a point eu ce regard que i'ay dit d'autant plus devons nous bien applicquer nostre estude à tous ces deux poincts: c'est assavoir que nous sachions que iamais Dieu ne nous delaisse, et pourtant que nous ne soyons point contristez par trop quand il nous envoye quelques adversitez estans certains qu'il nous chastie tellement que cependant il adoucit nos douleurs, voire s'il ne tient à nous, et à nostre ingratitude. Secondement quand nous serons tant angoissez que rien plus, que Dieu nous convie, et nous exhorte à venir à luy, il nous solicite, di-ie, d'avoir nostre recours à prier toutes fois et quantes que nous sommes comme desnuez que nous n'en pouvons plus. Voila le vray remede c'est que nous invoquions nostre bon Dieu, afin qu'il ait pitié de nous, et que nous ne soyons point confus iusques là de dire, Ie ne say que faire: d'aller à Dieu, il n'y a point de propos. Gardons nous d'un tel trouble, mais sachons que nostre salut nous est tousiours asseuré, quand nous invoquerons Dieu, il nous sera tousiours pitoyable au milieu de nos afflictions. Quand nous aurons ces deux articles bien imprimez en nostre memoire, nous ne dirons plus, Pourquoi est-ce que Dieu retient ici ceux qui sont affligez de courage? car nous voyons pourquoi il le fait. Il y a tant de raisons pourquoy Dieu chastie les hommes: car quels sont nos pechez? Ie nombre en est infini. Apres si nous regardons, à

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nos cupiditez, il y en a aussi bien un abysme qui a mestier d'estre corrigé: il faut que Dieu nous mortifie. Si nous regardons combien nous sommes adonnez au monde, il est besoin que nos affections en soyent retirees par les chastimens de Dieu. Apres, quel est nostre orgueil et presomption? il faut que Dieu nous humilie: combien sommes nous froids à demander son aide? il faut qu'il nous solicite à cela. Apres, nostre foy ne doit-elle point estre esprouvee et cognoue? Ne voila point assez de raisons pourquoy Dieu nous tient ici, et veut que nous soyons miserables, qu'il n'y ait que peines, fascheries, et tourmens et angoisses en toute nostre vie ? Dieu n'a il point assez de raisons pour ce faire? Voila un Item. Et puis tousiours il nous appelle à soy, et nous y donne accez: et quand nous avons un tel remede en nos maux, n'est-ce pas bien pour nous contenter? Voila comme nous devons estre armez et munis contre ceste tentation, laquelle a regné par trop en Iob, combien qu'il n'en ait point esté du tout vaincu.

Or quand Iob parle ici de ceux qui demandent le sepulchre, et qui fouyroyent volontiers apres comme un thresor caché, qui desirent de mourir, et ne peuvent: il se met en ce reng-là comme nous verrons par la procedure. En quoy il conferme son infirmité et son vice: car il n'est point licite au fidele de vivre à regret, et souhaiter ainsi la mort. Vray est que nous pouvons bien souhaiter la mort pour une raison: c'est en considerant que nous sommes ici detenus en ceste servitude de peché, que nous ne servons point à Dieu en telle liberté comme il seroit à souhaitter, mais que nous sommes pleins de beaucoup de vices. Voyans cela il est certain que nous pouvons souspirer, demandans à Dieu qu'il nous retire bien tost de ce monde: mais ce n'est pas (comme il en est ici parlé) que noua hayssions nostre vie, et que nous soyons faschez d'estre ici retenus, pource que nous y sommes traittez trop rudement: il faut que nous portions patiemment nostre condition, en attendant que Dieu nous delivre. Et nous voyons que S. Paul tient ceste mesure-là, quand il dit aux Romains (7, 24. 25) Helas! qui me delivrera de ce corps mortel? car i'y suis malheureux. Mais cependant il dit, Graces à Dieu par nostre Seigneur Iesus Christ. Voila donc S. Paul d'un costé qui s'appelle malheureux, il demande d'estre retiré du monde: et toutesfois il se contente, il est à repos, puis qu'ainsi est que Dieu le conserve, et combien qu'il soit subiect à beaucoup de povretez, qu'il sait que Dieu ne l'abandonnera iamais. Voila son contentement. Or pour mieux comprendre le tout, notons que Iob a failli en deux sortes: c'est assavoir qu'il n'a point eu le regard qu'il devoit en desirant la mort, et puis il n'y a point tenu mesure. Voila deux fautes qui

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sont bien lourdes. Quand ie di que Iob n'a point eu les yeux appuyez au but qu'il devoit, i'enten qu'il a souhaité la mort, non point à cause qu'il se voyoit une povre pecheur, et qu'il ne pouvoit advenir à ceste perfection à laquelle nous devons tous aspirer: mais estant pressé de ces maux il estoit fasché, tant pource qu'il enduroit en sa personne, que pource qu'il avoit desia enduré en ses biens. Et ainsi il appete la mort, pource qu'il luy semble que Dieu le presse par trop. Voila donc la premiere faute que i'ay dite.

Mais quand nous applicquerons ceci à nostre usage, encores sera-il mieux entendu et esclarci. Si un homme s'espluche bien et s'examine, et qu'il regarde, Ie suis adonné à un tel vice, ie bataille à l'encontre, et n'en puis venir à bout: et n'est point question seulement d'un vice, mais i'en ay et deux et trois: voila qui me tormente. Il est vray que ie ne m'y lasche point la bride, ie ne m'y play point, ie crains la vengeance de Dieu, et me retien en sorte que ie ne suis point du tout vaincu: mais il s'en faut beaucoup que ie soye fervent à servir à Dieu et à resister au monde, et à ma chair, comme il seroit bien requis: car ie suis retenu et empesché par mes cupiditez propres. Si un homme se cognoist tel, apres avoir fait bon examen de sa vie, sur cela il dit, Et mon Dieu ie me voy ici en un estat miserable, et quand en seray ie delivré ? car il faut que ie porte le peché en moy, et combien qu'il n'y regne point, si est-ce qu'il y habite. Et qu'est-ce que peché, sinon le sceptre du diable, par lequel il domine sur nous ? Ie suis donc esclave de Satan, et de la mort. Et mon Dieu faut-il que ie demeure tousiours en ceste langueur? Un homme Chrestien pourra bien avoir de tels souspirs, demandant à Dieu d'estre affranchi d'une telle captivité, en laquelle il se voit: ainsi quand il est question de nous fascher, que nous ne regardions point ni à froid ni à chaud, ni à povreté, ni à maladies, mais que nous regardions à nos pechez: et mesmes quand Dieu nous affligera en quelque sorte que ce soit, que cela nous advise de monter plus haut: ne nous arrestons point au mal corporel, mais cognoissons, Voici les fruicts de nos fautes: d'autant que nous avons contrevenu à la volonté de Dieu, c'est bien raison qu'il se monstre iuge sur nous. Quand nous aurons ainsi cognu nos pechez, que cela nous cause un regret en nous, et qu'il nous solicite à concevoir ceste doleance dont parle sainct Paul (2. Cor. 7, 11). Voila donc quant au premier poinct.

Or ce n'est poinct assez de penser à cela, c'est à dire de souhaitter la mort en telle sorte que nous avons dit: mais il faut encores que nous y tenions mesure. Ie di non seulement de la souhaitter pour bonne cause: mais il faut aussi que nostre desir

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soit modere, et qu'il soit reglé au bon plaisir de Dieu. Et cela fera que l'excez qui est ici monstré en Iob, sera reprimé comme d'une bride. I'ay desia touché cest article en un passage que i'ay allegué de sainct Paul. Car apres avoir faict sa complainte, apres avoir souhaité d'estre retiré de ceste prison de mort, il adiouste, Ie ren graces à mon Dieu: il ne laisse point d'estre paisible au milieu de telles complaintes et regrets. Et pourquoy? Car il voit que c'est bien raison que Dieu soit le maistre, et qu'il nous gouverne à son plaisir, et que nous attendions en patience l'issue telle qu'il vous la voudra donner. S. Paul voyant cela, conclud quant et quant, que combien qu'il soit un povre pecheur, toutesfois il sait que Dieu le conduira en sorte que son salut ne peut perir. Sainct Paul donc a regardé à ces deux choses. Et pourtant il dit qu'il rend graces à Dieu, combien qu'il soit miserable. Ainsi nous en faut-il faire: et quand nous le ferons, non seulement nous serons prests d'endurer beaucoup de miseres en ce monde, pour honorer Dieu, afin qu'il soit glorifié en nos personnes, et en nostre humilité, mais nous serons contens de souffrir pour nos prochains, comme sainct Paul aussi nous le monstre par son exemple. Il dit aux Philippiens (1, 22. 23), Que quant à luy, ce luy seroit bien un meilleur parti d'estre retiré d'ici bas: mais pour l'amour de vous (dit-il) il faut que ie vive, d'autant que ie cognoy que mon labeur vous est encores necessaire, et que Dieu m'employe pour l'edification de vostre foy: voila ie me renge à luy. Et puis apres il dit Encores que ce fust mon profit de m'en aller bien tost, ie suis content de demeurer ici. Voila comme S. Paul a exhorté tous fideles de s'assubiettir tellement au bon plaisir de Dieu, qu'en vivant en ce monde non seulement ils portent patiemment leurs afflictions, mais qu'ils soyent aussi prests de souffrir pour leurs prochains, en sorte que leur labeur soit utile pour le bien commun, et qu'ils servent à l'Eglise de Dieu. Voila donc ce que nous avons à noter.

Mais quoy? ceste doctrine n'est pas entendue pource qu'il y en a bien peu qui la pratiquent. Car si Dieu nous laisse à repos, nous voila aveuglez en une ioye vaine et frivole: nous sommes du tout yvres, tellement que nous ne savons plus que c'est ni de mort, ni de nostre fragilité: nous ne discernons plus rien. Et si Dieu nous visite de quelques afflictions, il n'est plus question que de blasphemer, ou si les blasphemes ne sortent point de la bouche, il y aura les mescontentemens, les murmures, l'impatience qui sera pleine de rebellion. Or quand on est là, combien y en a-il qui pensent à leurs pechez, et qui gemissent sous un tel fardeau, et aussi qui regardent cependant à l'aide que Dieu leur donne, et comme il ne permet pas qu'ils

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soyent du tout vaincus par Satan, et sur cela qui prenent leur contentement, et leur resiouissance en ce qu'il les sauvera? Ie nombre en est bien petit: et cela toutesfois n'est pas escrit en vain. Or en general maintenant nous avons à considerer que les fideles peuvent bien souspirer et gemir tout le temps de leur vie, iusques à ce que Dieu les ait retirez du monde, tousiours souhaittans leur fin, c'est à dire la mort, et toutesfois qu'il faut qu'ils se retienent en sorte qu'ils se submettent du tout au bon plaisir de Dieu, sachans qu'ils ne sont pas à eux-mesmes. Ie di en premier lieu, que les fideles peuvent bien souspirer, estans comme faschez de languir en ceste prison de leur chair: voire pour la cause que i'ay touchee, d'autant qu'ils ne servent point à Dieu en telle libertè comme il seroit requis: mais qu'ils trainent leurs cordeaux, qu'ils fleschissent, et qu'ils declinent souventesfois. Qui plus est, nous devons souspirer entant qu'il nous est licite: mais nous le devons faire toutes fois et quantes que nous entrons en ceste consideration, que nous sommes si lasches quand il est question de servir à Dieu: cela nous doit piquer à demander que Dieu nous retire du monde, et a regarder à ceste vie qui nous est preparee aux cieux, et laquelle nous sera revelee pleinement à la venue de nostre Seigneur Iesus Christ. Et par cela nous voyons que non seulement il sera permis aux enfans de Dieu de souhaitter la mort, mais ils le doivent faire: car ils ne monstrent point une vraye approbation de leur foy, sinon qu'ils cerchent à sortir de ce monde: comme de fait toutes choses tendent et aspirent à leur but, or nostre but est là haut, nous devons donc courir iusques à ce que nous ayons achevé le chemin, auquel Dieu nous a mis: et desirer que ce soit bien tost. Retenons tousiours toutesfois la cause que i'ay dite, qu'il ne faut pas que nous soyons solicitez à souhaitter la mort, d'autant que les uns seront subiets à maladies, les autres à povretez, les autres à ceci, et à cela: mais c'est d'autant que nous ne sommes pas pleinement reformez à l'image de Dieu, et que nous avons beaucoup d'imperfections en nous. Voila, di-ie, la cause qui nous doit piquer et soliciter à desirer la mort, c'est assavoir, afin qu'estans despouillez de ce corps mortel, qui est comme une loge pleine de toute puantise et infection, nous soyons pleinement reformez à l'image de Dieu, et qu'il regne en nous, et que ce qui est de corruption de nostre nature, soit du tout aneanti. Et au reste, que nous tenions ceste mesure-la de vivre et de mourir à la volonté de Dieu: que nous ne soyons point adonnez à nos appetis: mais que nous soyons là comme en sacrifice: que nostre vie ne soit point à nous, mais à nostre Dieu, pour dire, Seigneur, ie cognoy ma fragilité: cependant que tu

SERMON XIII

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me voudras tenir en ce monde, et bien, i'y suis, et c'est bien raison que i'y demeure: mais quand tu m'en voudras retirer, ie n'ay point ma vie precieuse, elle est tousiours à ton commandement, pour en disposer comme il te plaira. Voila (di-ie) comme il nous en faut faire. Et cependant que nous ayons tousiours nos affections paisibles, voire en telle sorte que nous puissions tousiours louer le nom de Dieu, sachans qu'en la vie et en la mort il se monstrera tousiours Pere et Sauveur envers nous.

Or apres que Iob a ainsi parlé, il adiouste, Que ceux qui sont ainsi angoissez en leur coeur, s'esiouyroyent pleinement de ioye, qu'ils s'esgayeroyent ayans trouvé le sepulchre. En quoy il monstre qu'il parle d'une affection brutale et confuse, qu'il ne tient ni regle, ni modestie: car il confesse que nous perissons là. Ainsi donc nous voyons comme il est tombé, et non pas d'une cheute mortelle, mais il est tombé à demi, et Dieu l'a relevé puis apres, comme nous verrons. Tant y a neantmoins qu'il nous faut bien condamner ceste infirmité ici en Iob: c'est à dire, ce qu'il s'est trouvé si abbatu de tristesse, qu'il ne pouvoit plus gouster la bonté de Dieu, pour avoir seulement quelque petite resiouissance, de laquelle il se soustinst. Or voyans que cela luy est advenu, d'autant plus devons nous estre soigneux à prier Dieu, que la tristesse ne domine en nous, en sorte que nous en soyons du tout opprimez. Que donc nous soyons tousiours soustenus et appuyez, tellement que nous combations contre la tristesse, et que nous sentions qu'il est bon de vivre ici à la volonté de Dieu: et que combien que nous y ayons beaucoup de regrets et de fascheries, si est-ce qu'il faut que nous demeurions resolus en ce poinct-la, qu'encores nous est il bon d'estre ici retenus en ce monde. Et pourquoy? afin que Dieu soit glorifié en nous, afin que nostre foy soit esprouvée, afin que nous l'invoquions, et que nous protestions qu'il nous est tousiours Pere, encores qu'il nous afflige, et que nous soyons par Ce moyen-la preparez à la vie celeste. Il faut que ce goust de ceste bonté paternelle nous donne tousiours affection de tendre à Dieu, et que nous ne nous laschions point la bride à une affection excessive, et brutale, comme nous voyons que Iob l'a eu ici. Or cependant il monstre, d'où luy est venue ceste tristesse qui l'a du tout ainsi englouti, et d'où aussi elle procede à ceux qui sont tellement faschez, qui ne peuvent recevoir aucune consolation pour attremper leurs maux.

Il dit, A l'homme duquel la voye est cachee, et que Dieu a enserré, Gomme s'il avoit mis des hayes tout à l'entour, afin qu'on n'y peust entrer. Ceci doit bien estre encores noté: car Iob monstre en quoy il a failli, c'est qu'il ne s'est point remis assez à la providence de Dieu. Cependant tontes

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fois il nous descouvre une maladie, à laquelle nous sommes tous subiets: c'est, que nous voudrions voir tout ce qui nous doit advenir, quelle sera nostre condition, nous voudrions que tout cela nous fust declaré: tellement que quand nous sommes en perplexités, que nous ne savons ce qui adviendra de nous, et que le mal nous presse, et que nous n'y voyons point d'issue, alors il nous est bien aisé de nous desesperer. Voila un mal qui est par trop commun et ordinaire. Or il nous le faut bien noter, afin que nous cerchions le remede à l'opposite. Quelle est donc l'inclination des hommes ? C'est qu'ils voudroyent bien sauter iusques aux nues pour savoir quel sera le cours de toute leur vie. Et nous voyons comme ils deliberent, ie feray ceci et cela. Les hommes disposent de toute leur vie,. comme dit Salomon (Prov. 16, 1), se moquant de l'outrecuidance qui est en eux car ils ne peuvent pas remuer le bout de la langue sans que Dieu les y conduise, et toutesfois ils disposent de ceci et de cela. Et quelle moquerie est-ce? car ils ne peuvent pas remuer le bout de la langue, et cependant ils vont dire, Voila ce que ie feray d'ici à dix ans: comme aussi sainct Iaques s'accorde avec Salomon se moquant de ceste outrecuidance, qui est aux hommes (Iaq. 4, 13). Or cependant que Dieu nous laisse à nostre aise, chacun se fait a croire ce que bon luy semble, nous pensons estre des petis dieux: mais si tost que Dieu tourne la main, et que nous sommes battus de ses verges, nous voila tellement esperdus, que nous ne savons que devenir: il ne nous semble pas que iamais il soit possible de sortir de nos affections, nous regardons de costé et d'autre, et nous n'y voyons point d'issue: nous sommes là comme enserrez, tellement que nous ne pouvons pas apprehender la bonté et la puissance de Dieu pour nous secourir. Et c'est l'affection que nous monstre ici Iob, qui est une maladie par trop commune, comme nous l'experimentons assez: car il n'y a rien qui nous fasche et nous tourmente tant, que quand nous-nous voyons enserrez, et que nous ne cognoissons point les issues de nos maux, et ne savons ce qui nous peut advenir, tellement qu'estans assaillis de toutes parts, nous faisons ceste conclusion, que nous n'en pouvons iamais sortir sans estre accablez et ruinez du tout. Avons nous ceste maladie? Venons au remede: car si le mal n'est medeciné, il nous faudra tomber en ceste passion excessive, de laquelle il est ici parlé, que nous souhaitterons la mort comme gens desesperez, et que nous n'aurons nul allegement en nos maux, sinon de demander que Dieu nous abysme du tout. Or le remede propre à ceste maladie est de nous remettre à la providence de Dieu: que celui-la voye clair pour nous, et que si nous sommes aveugles, si nous sommes en tenebres, que nostre

IOB CHAP. III.

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Dieu nous conduise, comme il sait qu'il nous est bon. qu'il nous guide en toutes nos entreprinses. Voila aussi où l'Escriture saincte nous rameine. Ieremie dit (10, 23) Seigneur ie cognoy que les pas de l'homme ne sont pas à luy: c'est à dire, que l'homme entreprend par trop quand il veut ordonner de sa vie. Sachans donc que Dieu nous veut humilier, quand il nous ferme les yeux, tellement que nous ne voyons pas là Où c'est que nous devons parvenir, et que nous ne savons pas du iour au lendemain ce que nous avons à faire, mais que Dieu nous entretient au iour la iournee (comme on dit) ainsi qu'un mercenaire quand il aura esté loué pour un iour, il no sait du lendemain qui le pourra mettre en oeuvre. Voila comme Dieu veut que nous vivions, afin que nous apprenions de dependre du tout de luy: Seigneur, il est vray que ma vie est fragile, mais cependant tu cognois ce gui me doit advenir, tu l'as preveu, Seigneur donc ie me remets en ta main. I'auroye des solicitudes qui me porroyent tourmenter et affliger beaucoup: mais ie m'en descharge sur ton giron: moyennant que ie soye certain d'estre en ta protection et sauvegarde, ie me contente. Voila comme il nous en faut faire: et quand nous aurons ceste providence de Dieu bien imprimée en nos coeurs pour dependre du tout d'icelle, encores que nous soyons agitez de beaucoup de troubles en ce monde: voila un bon fondement, qui fera que nous demeurerons fermes, et constans en nostre vocation pour servir à Dieu selon sa volonté tout le temps de nostre vie. Apprenons donc de nous arrester à ceste providence de Dieu: et quand nous verrons les choses si confuses au monde, que nous ne saurons de quel costé nous tourner, que nous ne laissions pas pourtant d'estre paisibles, et en repos, sachans que Dieu dispose et conduit tellement toutes choses, qu'il n'y a rien qui puisse empescher le salut de ses fideles, puis qu'une fois il les a receus en sa protection. Voila ce que nous avons à noter sur ce passage.

Or en la fin Iob adiouste, Qu'il n'a nul repos, qu'il est en tristesse devant qu'il prenne sa refection, et toutesfois (dit-il) si est-ce que ie n'ay point esté par ci devant comme beaucoup, ie ne me suis pas enyvré en ma prosperité, mais i'ay tousiours craint le mal qui m'est advenu. Notons bien ceste plainte de Iob: car il monstre d'un costé que son mal est extreme: et cependant (dit-il) à quelle occasion est-ce que Dieu me traitte ainsi? Car quand Dieu menace les hommes, il dit, Pource que tu t'es enivré en tes delices, pource que tu as esté comme aveugle, pource que tu t'es changé quand ie t'ay fait du bien, que tu ne m'as pas recognu, voila pourquoy ie t'affligeray. Et notamment Dieu monstre

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qu'il ne peut porter ceste confiance charnelle qui est aux hommes, quand ils pensent estre tousiours à leur aise: et quand ils diront Paix et asseurance, voila la tempeste qui les accablera soudain, laquelle ils n'ont point prevenuë. Nous voyons do no comme Dieu punit ceste presomption et temerité qui est aux hommes, lesquels quand ils prosperent, cuident qu'ils pourront tousiours ainsi demeurer, et cependant ils ne cognoissent plus qu'ils sont en la main de Dieu, ils ne cognoissent plus leur fragilité. Or Dieu ne peut souffrir cela: car quand nous sommes à nostre aise, il faut que nous remettions le tout en Dieu, et cependant que nous soyons prests d'estre affligez quand il luy plaira et comme il cognoistra qu'il en est besoin. Ainsi donc puis que Dieu menace ceux qui se sont ainsi aveuglés en leurs delices, Iob voyant qu'il est tant affligé et tourmenté , s'estonne de cela, d'autant qu'il ne s'est iamais enyvré en son abondance, mais qu'il a tousiours preveu le mal qui luy est advenu: il n'a point cuidé qu'il demeureroit à iamais en l'aise et prosperité en laquelle Dieu l'avoit mis, comme ceux qui ne pensent plus à leur vie immortelle, quand Dieu les aura eslevés par dessus les autres. Il dit, qu'il a premedité tousiours les maux qui luy pouvoyent advenir. Comment donc est-ce qu'il a esté ainsi surprins? Or combien que cela ne se puisse pas deduire maintenant tout au long, si est-ce que nous avons à recueillir en un mot, Puis que Iob (qui s'estoit tousiours appresté à endurer le mal que Dieu luy envoyeroit) a este saisi de telles angoisses, et si grandes, qu'il faut bien que nous-nous gardions d'avoir beaucoup pis, comme nous le meritons. Que si Dieu nous espargne, et nous supporte pour un temps, ne concevons point là dessus une vaine fantasie et frivole, pensans que nul mal ne nous puisse advenir. Que si nous le pensons, il faudra que Dieu nous resveille à bon escient, et qu'il nous monstre quelle puissance et authorité il a par dessus nous. Que faut il donc? Que nous soyons vigilans pour faire bon guet, et sur tout quand Dieu nous traitte doucement, et que nous n'endurons nul mal, que nous regardions neantmoins à ce qui nous peut advenir à l'exemple de Iob: que si le mal qu'il a craint luy est advenu, sachons que nous ne sommes pas plus aigus qu'il estoit pour prevoir de loing le mal qui nous peut advenir. Aussi quand nous y serons tombez, que nous ne laissions pas pourtant de recourir à nostre Dieu: comme nous voyons que Dieu a assisté à son serviteur en la fin: et combien qu'il semblast qu'il fust desia abysmé au gouffre d'enfer, que toutesfois Dieu luy a tendu la main: que nous esperions donc aussi le semblable pour nous.

Or prions cc bon Dieu, etc.

SERMON XIV

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QUATORZIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE IV. CHAPITRE.

Ce sermon contient encores l'exposition dos deux derniers versets du chapitre 3 et puis le

chapitre 4 comme il s'ensuit.

1. Eliphas Themanite respondit et dit, 2. Si on essaye propos, te sera-il fascheux? Et qui est-ce qui se pourra tenir de parler? 3. Voici tu en as enseigné beaucoup, t?' as confermé les mains lasches: 4. Tu as redressé par tes paroles ceux qui tomboyent, tu as fortifié les genoux debiles, et tremblans. 5. Maintenant que le mal t'est advenu tu es troublé: quand il t'a touché, tu es estonné. 6. N'est-ce pas là ta crainte, ta fiance, ton esperance, et l'integrité de tes voyes?

Sur le propos de Iob que nous traittasmes hier, il reste do savoir, quand nous sommes en prosperité, si nous ne pouvons pas esperer que Dieu continuera pour le temps advenir, et estre à repos: car il semble que Iob signifie que les fideles doyvent tousiours estre en doute et en suspens, et que ce qu'ils tienent à une main, ils doyvent cuider, qu'il leur sera tantost osté en l'autre. Sur cela notons qu'il ne faut point, que nous concevions plus que ce que Dieu nous promet: car c'est vaine presomption et frivole, quand les hommes se font accroire ce que Dieu leur laisse en doute. Et de fait Dieu chastie ceste outrecuidance-la, quand nous imaginons ce que bon nous semble, et concluons qu'il en sera ainsi. Dieu ne veut point que nous ayons autre appui que sa parole, qui est la verité certaine laquelle ne peut mentir. Quand donc les hommes presument d'eux-mesmes, il n'y a que vanité et mensonge: et ne se faut point esbahir s'ils sont frustrez de leur attente: car nostre Seigneur à bon droit s'en moque, quand ils passent ainsi mesure. Et ainsi il nous faut tenir ceste regle generale, que nostre confiance doit estre du tout arrestee aux promesses de Dieu. Or regardons maintenant ce que Dieu nous promet. Il dit que s'il a pensé de nous auiourd'huy, de main il ne nous mettra point en oubli non plus, et tout le temps de nostre vie nous serons assistez par sa main. Voila quelle est sa promesse. Nous pouvons bien donc nous tenir asseurez que Dieu nous aura tousiours en sa garde, et que par ce moyen nous ne serons point en danger de tomber en ruine: mais cependant si faut-il que nous facions nostre conte d'estre subiets à beaucoup de povretez: car nostre Seigneur no nous dit point qu'il nous tiendra enserrez en un cabinet, que nous ne verrons

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nul mal que nous ne saurons que c'est de fascherie, que nous serons tousiours en ioye et en liesse. Il ne nous promet point cela: mais seulement que nous serons aidez et secourus de luy en nos necessitez. Il faut donc que nous cognoissions que Dieu nous veut exercer en beaucoup de maux, et que nous sommes subiets aux afflictions communes de la vie presente: mais cependant il nous doit suffire d'estre aidez de luy, et que nous ne serons point delaissez iusques à l'extremité. Puis qu'ainsi est, nous voyons bien maintenant qu'il ne nous faut point endormir, quand nous serons en prosperité, comme si cest estat-la estoit perpetuel, que rien ne se deust changer. Et de fait en presumant ainsi, nous passons nos limites: et pourquoy? Car Dieu nous declare que nous pourrons bien souffrir beaucoup de maux, mais qu'il nous aidera tousiours. Or cependant nous bataillerons, voire serons assaillis de toutes parts. Et pourtant ceux qui passeront ainsi leurs limites, seront punis de leur temerité, comme nous avons desia dit. En somme les fideles pourront tousiours estre en doute, et cependant ne laisseront pas d'estre en repos. Et pourquoy? Car quand nous cognoissons les changemens et revolutions de ce monde, il faut que nous soyons en crainte et en solicitude, et qu'un chacun s'appreste à recevoir les coups quand il plaira à Dieu de nous affliger. Mais cependant nous savons que nous ne pouvons tomber que sur nos pieds, d'autant qu'estans soustenus de la main de Dieu, nous savons que nous ne pouvons estre accablez du tout, d'autant qu'il nous releve. Voila donc comme nous ne pouvons estre tourmentez de trop grande inquietude, et toutesfois nous pouvons estre ennuyez en nos tristesses, non point pour nous eslongner de Dieu et ne tenir conte de l'invoquer, mais pour avoir nostre recours à luy. Bref il y a grande diversité entre ceste nonchalance à laquelle nous sommes enclins de nature, et selon nostre chair, et la seureté que nous avons nous appuyans sur les promesses de Dieu. Car quand nous avons ceste presomption charnelle c'est comme une yvrongnerie qui nous rend stupides, qu'il ne nous chaut de Dieu, ne de son aide, et faisons nostre conte que tout ira bien sans qu'il regarde à nous, ne qu'il y pense. Mais si nous sommes appuyez sur la parole de Dieu 7 nous l'invoquerons, nous

IOB CHAP. IV.

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regarderons et ça et là que ce n'est rien que de nostre vie, que nostre condition est miserable, et que la mort nous menace de tous costez, qu'il y a des povretez infinies qui nous environnent. Sur cela nous prions Dieu, nous gemissons, et cependant s'il luy plaist de nous affliger, nous sommes apprestez à recevoir les coups en toute humilité. Voila comme il nous en faut faire. Et il y a encores plus, c'est que l'homme fidele entre en soy, il cognoist ses pechez, il regarde qu'il y a tousiours occasion nouvelle, pourquoy Dieu le peut affliger à bon droit. Ainsi donc encores que nous eussions les promesses, que Dieu nous voulust entretenir en ce monde comme estans cachez sous ses ailes, tellement que nous fussions là en paix,. et sans aucune fascherie, si est-ce que nos pechez sont cause qu'il faut qu'il nous chastie, qu'il nous monstre quelque rudesse. Dieu ne peut souffrir que nous allions ainsi en decadence, et s'il nous laissoit ainsi à l'abandon sans aucun chastiment, ce seroit nostre perdition. Si les peres terriens gastent leurs enfans quand ils les tienent trop mignards, il est certain que nous sommes encores plus depravez si Dieu ne nous chastie, et qu'il ne nous monstre quelque signe de severité: car nous abusons de sa bonté à tous propos, comme l'experience le monstre. Les fideles donc cognoissans qu'ils ne cessent d'offenser Dieu, doyvent aussi cognoistre, que pour leurs pechez il y a des verges apprestées, et quo du iour au lendemain Dieu pourra changer la prosperité de laquelle ils iouissent maintenant et sur cela les rudement traiter. Ainsi donc notons qu'il ne nous faut point endormir tellement quo quand Dieu nous tient ici on repos, quo tousiours nous no regardions à ce qui nous peut advenir: et que nous ne soyons prests do recevoir les afflictions qu'il nous envoyera.

Maintenant venons à ce qui est ici recité, c'est assavoir qu'Eliphas Themanite l'un des amis de Iob qui sont venuz pour le consoler est entré en propos contre luy. Or il luy dit en somme, qu'il voit bien que ce qu'il avoit eu en apparence de crainte de Dieu et de pureté n'a esté que feintise: d'autant qu'il est ainsi desbordé, et qu'il ne peut recevoir patiemment la correction que Dieu luy envoye. Mais il entre puis apres plus outre, c'est assavoir, qu'il faut bien que Iob soit un homme reprouvé, puis que Dieu le traitte ainsi rudement. Et pourquoy? Car les bons ne sont point affligez iamais en telle extremité. Voila donc le proesme qui est ici prins par cest Eliphas qui dispute ici contre Iob. Or il nous doit souvenir do ce quo i'ay declaré par ci-devant, c'est assavoir, quo Iob a une bonne cause, mais il la demene tresmal: ses parties ont mauvaise cause, et la demenent tresbien: comme quelquefois on pourra

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donner couleur à une cause mauvaise, ainsi an font-ils. Nous avons à noter cela: car autrement tous les propos qui nous sont ici recitez seroyent confus. lob (comme nous avons touché) a bonne cause: car il cognoist que Dieu l'afflige, et combien qu'il se repute pecheur, comme il est digne de telles corrections, si est-ce qu'il se resoud que Dieu n'a point regardé à cela, quand il luy a envoyé des adversitez si grandes: que ce n'a point esté à cause de ses pechez, mais que il y a quelque raison secrette laquelle luy est incognue. Cependant il ferme la bouche, et dit, qu'il ne pourra point gaigner en plaidoyant contre Dieu: mais si ne laisse-il pas à user do beaucoup de propos extravagans, et voila pourquoy i'ay dit, qu'il demene mal sa bonne cause. Or ceux ici qui le visitent prenent un principe qui n'est pas vray, c'est assavoir, que les hommes sont tousiours traitez de Dieu en ceste vie terrestre selon qu'ils le meritent. Ce propos-la est du tout faux: car nous voyons l'opposite, et l'Escriture le monstre, l'experience aussi nous en est une seconde probation. Tant y a que cependant ceux qui parlent ainsi ne laissent pas d'avoir dos argumens bons et saincts et dont nous pouvons aussi recueillir une doctrine bonne et utile. Or pour mieux comprendre le tout, reduisons en memoire ce qui est dit au Pseaume (41,1), Bien-heureux est l'homme entendu sur l'affligé: c'est à dire, qui iuge prudemment de celuy qui est affligé. Et quelle est ceste prudence - la ? C'est que Dieu le delivrera au iour d'adversité. Voila donc ce que le sainct Esprit requiert de nous, si nous ne voulons estre iuges temeraires et pervertir les oeuvres de Dieu: quand nous voyons des povres personnes qui sont tant batues qu'elles n'en peuvent plus, que nous sachions que Dieu est tellement pitoyable qu'il leur subviendra: que ce n'est pas à dire qu'il les vueille ruiner du tout.

En somme, si nous voulons estre iuges prudens des chastimens et corrections que Dieu envoye aux hommes, il nous faut attendre l'issue: il ne faut point quo nous soyons bouillans dé donner sentence du premier coup: mais il faut que nous soyons moderez, que nous regardions ce qui plaira à Dieu de faire: et selon qu'il nous dit (Pseau. 30, 6), que son ire est brieve, et quo sa misericorde dure à vie, que nous soyons enclins à tendre do ce costé-la, c'est assavoir, à bien esperer et attendre une bonne issue et heureuse. Voila donc ce que nous avons à noter. Or ceci n'est point venu en memoire aux amis de Iob, et voila pourquoy ils se sont desbordez: ils voyent que Iob est affligé iusques au bout, sur cola ils concluent que Dieu veut monstrer eu luy un exemple d'homme reprouvé et que iamais cela ne luy seroit advenu, sinon qu'il eust esté meschant et pervers Et pourquoy? Car

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ils ne conçoivent point ce que l'Escriture nous monstre, que le propre office de Dieu est de subvenir aux siens, quand ils sont en calamité. Et non seulement l'Escriture nous dit, que Dieu assiste aux affligez, mais qu'il retire du sepulchre ceux qui sembloyent desia estre morts. Combien donc que les afflictions soyent grandes et enormes, si faut-il encores que nous esperions le salut de Dieu qui sera contre toute opinion humaine, contre tous les moyens que nous aurons conceu. Et ce n'est point seulement en ce passage que l'Escriture parle ainsi, mais c'est une doctrine assez commune. Il est dit, que le iuste non seulement sera abbatu, mais qu'il pourra tomber sept fois le iour. Nous pourrons donc tomber plusieurs fois, mais Dieu aura sa main preste pour nous soustenir, tellement que nos cheutes ne seront point mortelles, voire iusques à nous froisser mais que Dieu nous delivrera. Voila comme l'Escriture parle. Vray est qu'il y a bien quelques promesses, où il semble que Dieu separe la condition de ses enfans d'avec celle des reprouvez, et des contempteurs de sa parolle: comme quand il dit (Pseau. 32, 9), que l'homme endurci sera domté à force de coups, ainsi qu'une mule et un cheval retif, que Dieu ne cessera de frapper à grands coups sur ceux qui luy sont ainsi rebelles et obstinez: au contraire que ceux qui espereront en luy, seront environnez de misericorde, c'est à dire, que Dieu de tous costés les benira, et les fera prosperer. Voila une promesse magnifique, laquelle semble exempter les enfans de Dieu de tous maux: mais il nous faut tellement exposer ces promesses-la, que nous regardions à ce qui est dit, que Dieu veut estre cognu le Sauveur des siens, en les retirant du sepulchre. Ainsi donc, si Dieu nous environne de sa misericorde, ce n'est point pour nous tenir si delicats, que iamais nul mal ne nous attouche,. que nous ne soyons point souffreteux, que nous n'ayons nulle disette, que nous ne soyons iamais contristez. Dieu ne veut point user de ce moyen-la (car aussi ne nous est-il pas convenable) mais il veut que nous passions parmi le feu et l'eau, c'est à dire, par beaucoup de miseres: et que nos passions soyent si dures que nous ne sachions que devenir. Et sur cela il veut remedier à nos necessitez, afin que nous sachions que c'est de luy que nous tenons nostre salut. Voila donc en quelle sorte nostre Seigneur besongne. Et ainsi notons que pour bien iuger il faut que tousiours ceci nous viene en memoire, c'est assavoir, que Dieu ne punit pas seulement ceux qui sont les pires, mais au contraire, qu'il exerce la patience de ses fideles qu'il les afflige et les traitte plus rudement qu'il ne fait pas les plus meschans. Brief, regardons tousiours a ceste issue, comme i'ay dit, et De nous esbahissons point si nous ne voyons le secours de

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Dieu du premier iour. Voila un principe qu'il nous falloit mettre, afin que nous sachions faire nostre profit de ce qui nous est ici recité.

Or quant aux mots dont use ici Eliphas, il y a, Si on tente parole, ou, si on leve parole: car l'un et l'autre se peut dire, pource que le mot a double signification. Et pource que ce nom de Parole se prend aucunes fois pour la chose, aucuns entendent Si Dieu te tente, faut-il que tu sois ainsi tourmenté? faut-il que tu sois tant esmeu? Car nous savons que l'Escriture appelle tentation quand nous sommes agitez, et que Dieu nous esprouve en quelque façon que ce soit. Le sens donc seroit tel, faut-il que tu te chagrignes contre Dieu quand tu vois qu'il t'examine, et qu'il te tente? c'est a dire, qu'il veut esprouver ce qui est en toy? Mais quand tout sera regardé de pres, le sens naturel est, Si on essaye parole. Et pourquoy? Car Eliphas adiouste quant et quant, Et qui est-ce qui se pourra contenir de propos? comme s'il disoit, Tu es tant excessif contre toute raison qu'il faut qu'on te redargue, quand on seroit le plus attrempé du monde, encores seroit-on contraint de te reprendre, voyant ton enormité, et que tu es ici comme une beste sauvage. Il faut donc que tu sois reprimé, car tu y contrains les plus modestes qu'on sauroit dire. Voila le sens naturel. Or en somme, Eliphas veut ici monstrer que Iob n'a point cheminé droitement, ne en pure conscience devant Dieu. Voila le premier. Et puis il entre en cest argument general, que i'ay touché, c'est assavoir, que iamais les iustes ne sont ainsi oppressez d'affliction, mais que c'est un signe de la vengeance de Dieu. Et pourtant, quand il cognoist Iob estre ainsi tourmenté, il iuge qu'il est un homme reprouvé. Voila les deux articles.

Or venons au premier. I1 luy dit: Tu as par ci devant enseigné tout le monde, tu as fortifié les genoux tremblans, tu as redressé les mains lasches, tu as corrigé ceux qui ont failli, tu as consolé ceux qui estoyent tourmentez: et maintenant te voila troublé quand le mal t'est advenu: Ie conclu donc que ceste crainte que tu as eu de Dieu n'estoit sinon ceste attente que tu pretendois, que Dieu te seroit tousiours favorable. Bref tu as servi Dieu à credit: ce n'estoit pas que tu t'adonnasses à luy à bon escient, mais. selon que tu as esperé qu'il te seroit tousiours propice: et bien, tu as esté content de le servir, mais maintenant que tu le sens trop rude, tu quittes son service: on cognoist donc qu'il n'y a eu qu'hypocrisie en toy. Voila on somme tout le discours de la dispute que fait ici Eliphas. Or il est vray que nous ne considerons point ce qui est en nous, quand nous conseillons les autres, ou que nous les admonestons, ou que nous les reprenons: chacun saura bien faire cela, voire les plus

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idiots. Car (comme on dit en commun proverbe) il est aisé à ceux qui sont sains de consoler les malades: mais quand nous pourrons monstrer par effect que ce que nous disons aux autres est en nous, et que nous parlons de coeur: voila une vraye approbation que nous n'y procedons point par feintise. Nous en verrons qui seront eloquens tant et plus, qui auront le babil tant à propos que merveilles, et iamais la langue ne leur faudra, s'il faut parler. Mais quoy? quand ce vient que Dieu les touche du bout du doigt, ils ne savent plus que c'est de consolation, ne de rien. Que faut-il donc? quand nous parlerons à nos prochains, que nous leur monstrions que nous avons vrayement imprimé en nos coeurs ce que nous leur disons de bouche. Voila comme nous y devons proceder. Or ce n'est pas à dire, que nous devions laisser de consoler, et exhorter et reprendre les uns les autres. Car ceux qui ne tienent conte de chastier ceux qui faillent et consoler les affligez, et redresser ceux qui errent, ceux-la monstrent qu'il ne leur chaut ne de Dieu, ne de son service. Car si nous aimons Dieu d'une droite affection, il est certain que nous cercherons, entant qu'en nous sera, que tout le monde face le semblable. Un vray Chrestien ne se contentera point de cheminer droit, mais il voudra attirer tout le monde à un mesme accord. Et ainsi il nous faut praticquer ce que sainct Paul aussi nous monstre (Thes. 5, 11), de nous instruire mutuellement les uns les autres, mais ai est-ce (comme i'ay dit) qu'ils nous faut parler de coeur. Et comment? C'est que quand ce viendra. à l'examen, nous monstrions par effet, que nous n'avons point parlé comme dehors, mais que la parole, laquelle nous est sortie de la bouche retenoit cependant sa racine là dedans. Or nous voyons ici quel est l'usage de la parole de Dieu, c'est assavoir non seulement d'enseigner et de monstrer ce qui est bon, mais aussi de corriger ceux qui ont failli, de redarguer ceux qui se desbordent, de confermer les debiles, et ceux qui sont foibles, et de petit courage. Et de fait le Prophete Isaie (35, 3) attribue cela aux Prophetes, et à tous docteurs de l'Eglise, à tous ceux qui ont charge de porter ceste parole de Dieu, c'est assavoir que non seulement ils proposent ce qu'il leur est commandé pour dire, Voila cc que Dieu veut qu'on vous declare, mais qu'il y ait aussi ceste vivacité de picquer et aiguillonner ceux qui sont lasches, do donner vertu a ceux qui sont debiles, de relever ceux qui sont tombez de retirer au bon chemin les errans. Voila donc quel est le vray usage de la parole de Dieu, et c'est aussi la façon de bien enseigner, quo de cognoistre l'efficace de l'Evangile, comme aussi de fait quand sainct Paul nous monstre (2. Tim. 3, 16) comment c'est que nous devons appliquer l'Escriture

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saincte à nostre instruction, il ne dit pas seulement que c'est pour savoir ce qui est bon, et pour discerner entre le bien et le mal: mais c'est aussi pour nous exhorter, pour nous reprendre et pour nous conveincre.

Or par cela nous devons estre tant plus incitez à recevoir la parole de Dieu avec un desir, et avec une affection allaigre et amiable, quand nous voyons que tout ce qui nous est propre pour nostre salut, est là comprins. Dieu ne nous apporte point donc seulement ce qu'il nous faut savoir, mais voyant nostre fragilité il y veut remedier, et veut que sa parole serve à cela, qu'elle nous fortifie, voyant que nous sommes fragiles, et que nous sommes subiets à tomber, il nous redresse puis apres, voyant que nous sommes enclins à hypocrisie, et à nous flatter en nos vices, il nous picque, afin que nous sentions nos maux pour ne nous y point complaire. Quand donc nous voyons que Dieu a si bien prouveu à toutes choses qu'il cognoist nous estre utiles, qu'il veut que sa parole nous serve à tout cela, ne devons-nous point estre plus enflammez à recevoir ceste parole: quand nous voyons que c'est un tel thresor, ne la devons-nous point recevoir (di-ie) d'une affection amiable? quand elle est plus douce que miel, ainsi qu'il en est parlé au Pse. 19 (v. 11). Et ainsi quand nous oyons la parole de Dieu, il nous faut savoir pourquoy. Il y en a qui voudroyent qu'on ne fist autre chose que de dire, Voila ce que nous devons entendre sur ce passage, qu'on fist des expositions froides, qu'il n'y eust nulles exhortations, qu'on ne reprinst point les vices, qu'il n'y eust nulle vivacité. Voire, mais ce seroit deroguer à la doctrine de Dieu que cela, c'est comme qui couperoit les nerfs à un corps à ce qu'il n'y eust plus nulle vertu. Que faut-il donc? Quand nous venons an sermon, ou qu'un chacun de nous lit en son particulier, que nous sachions que Dieu non seulement nous veut monstrer ce qui est bon, pour dire, Tendez là, mais il nous veut redarguer en nos pechez, afin que ce nous soit un message pour nous picquer, pour nous apprendre de nous humilier, devant luy. A-il fait cela? regardons aussi combien nous sommes paresseux, que nous ne tendons point à luy d'un tel zele qu'il seroit requis, en sorte qu'il faut qu'il nous donne des coups d'esperon, qu'il nous solicite, et que toutes ces exhortations servent à ceste fin-la de nous humilier, et nous assubietir franchement à sa volonté. Voila donc comme nous avons à faire servir la parole de Dieu à nostre usage, et comment c'est que nous la devons pratiquer. Sur tout ceux qui sont commis en ceste charge doyvent bien regarder, qu'ils ne seront pas quittes, quand ils auront fidelement proposé au peuple ce qui est bon: mais qu'il faut aussi qu'ils ayent ceste vigueur

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d'exhorter, afin que ceux qui sont lasches soyent aucunement picquez, et consoler ceux qui sont en destresse, afin qu'ils se resiouissent en Dieu: de reprendre ceux qui se plaisent en leurs vices, et les picquer en sorte qu'ils soyent confus, et ayent honte d'eux-mesmes. Or tout ainsi que les ministres et docteurs doyvent appliquer ces choses à tous en public, aussi chacun de nous le doit faire envers soy, suyvant ce que dit l'Apostre en l'Epistre aux Hebrieux (12, 12): car allegant le passage du Prophete Isaie, il dit; qu'il ne faut point que nous attendions que les autres parlent, mais que chacun de nous doit estre son docteur: comme s'il disoit, Voila le Prophete Isaie qui commande à tous ceux qui sont constituez au nom de Dieu pour porter sa parole, qu'ils confortent les genoux tremblans, qu'ils redressent les mains qui sont lasches, qu'ils relevent ceux qui sont abbatus, qu'ils retirent les errans au droit chemin: mais neantmoins mes amis (dit-il) notez qu'il faut qu'un chacun de vous subviene à celuy qui est foible et debile, qu'il fortifie celuy qui est trop lasche et paresseux, qu'il console ceux qui sont abbatus de tristesse, bref qu'un chacun s'employe à ce qu'il cognoistra estre propre et expedient pour le salut de ses prochains. Et au reste qu'un chacun de nous face office de prescheur envers soy. Voila ce que nous avons à noter de ce passage. Et quand cc tesmoignage est attribué à Iob, qu'il en a enseigné plusieurs, c'est pour nous monstrer en premier lieu l'excellence de la vertu qui a esté en luy Mais nous devons aussi bien estre instruits à faire le semblable, c'est qu'entant qu'en nous est, nous attirions tout le monde avec nous pour servir à Dieu d'un commun accord. Vray est que tous ne seront point douëz de si grandes graces, mais il faut qu'un chacun regarde sa mesure, et qu'ils s'employe selon que Dieu luy a donné de faculté envers ses prochains. Cognoissons donc que ce que Dieu a imprimé en nous pour l'edification commune de son Eglise, il faut qu'un chacun s'en acquite, et que selon les graces qu'il a receuës, qu'il profite aux autres, et que nous communiquions tous ensemble, à ce que d'un accord nous tendions a Dieu, et qu'un chacun proteste qu'il a tasché de servir à ses prochains.

Or venons maintenant à la conclusion quo fait Eliphas. Puis qu'ainsi est (dit-il) que tu es troublé quand le mal t'est advenu, il faut dire que tu n'as esté qu'un hypocrite, et que lu crainte que tu avois n'estoit qu'une fiance, et une attente que Dieu te seroit tousiours favorable. Vray est que si Iob eust esté tel comme Eliphas le presuppose, son dire seroit vray: car (comme desia nous avons touche) en cela cognoit-on les hypocrites quand ils savent babiller pour instruire les autres, et qu'ils ne declarent point que la doctrine leur serve, ils ont

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un beau boute-hors, mais ils ne retienent rien au dedans pour leur servir quand se viendra au besoin. Apprenons donc d'estre un chacun de nous son maistre et son docteur, et si nous voulons que ceste doctrine soit profitable à nos prochains, il faut que nous commencions chacun de nous à soy. Mais comme Eliphas fait tort à Iob quand il dit, qu'il le trouve estonné, comme s'il n'y avoit plus ne sens ne raison en luy, cognoissons que pour nous humilier, Dieu pourra bien permettre que nous serons ainsi traittés: mais il faut tousiours presupposer cela que quelques tentations qui advienent aux enfans de Dieu, ils ne defaudront point du tout, mais que Dieu leur subviendra en sorte qu'ils auront de quoy se confermer, et se fortifier, encores que de nature ils soyent foibles et debiles, voire iusques à trebucher sans se pouvoir lever sinon que Dieu y mette la main. Cognoissons donc que quand nous aurons enseigné les autres et que nous aurons fait merveilles de redarguer les rebelles et obstinez, de redresser les errans, de fortifier ceux qui estoyent lasches, si nous ne monstrons par effect que nous avons parlé de coeur et d'affection, nous serons tant plus coulpables, et à condamner. La condamnation donc sera plus grande à ceux qui se seront meslez d'enseigner les autres, quand ils ne feront point leur profit de la doctrine. Or cela nous doit bien faire cheminer en crainte et en humilité. Quand donc il est question d'enseigner, que nous cognoissions, Il est vray que Dieu veut que ie serve à mes prochains, mais ai-est-ce que ie suis mon iuge, ie porte sa parole, il faut donc que ie m'instruise moy-mesme, autrement ce sera à ma grande confusion et horrible, sinon que ie conforme ma vie à ce que ie di et prononce de ma bouche. Sur tous les ministres de l'Evangile doyvent bien penser à ceci. Et voila pourquoy aussi sainct Paul dit, (1. Cor. 9, 27) qu'il se redargue, et qu'il se condamne afin d'estre le premier en reng, quand il sera question de condamner les autres. En somme nous qui avons la charge de porter la parolle de Dieu serons tant plus coulpables, si nous n'avons fidelement enseigné, que mesme Dieu ait desployé les graces de son sainct Esprit sur nous, sinon que nous ayons commencé par nos personnes. Et ainsi, devons nous corriger les autres? corrigeons nous. Devons-nous exhorter les autres? exhortons nous, et quo nous menions tousiours le premier reng: mesmes quand nous reprenons ceux qui ont failli, pratiquons ce que dit $. Paul (Galat. 6, 1), qu'il nous faut corriger ceux qui ont failli avec toute humanité. Et qu'ainsi soit (dit-il) regarde à toy, et si tu te vois fragile, il faut donc que tu supportes tes prochains, et cependant que cela n'empesche pas les admonitions vives que Dieu nous commande.

Voila ce que nous avons à recueillir pour faire

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nostre profit de ce passage, que toutes fois et quantes qu'il plaira à Dieu de nous corriger en quelque façon que ce soit, nous monstrions que quand nous avons voulu consoler les autres estans en pareilles afflictions, nous avons esté bons docteurs et fideles envers noue.

Quant à ceste sentence-la oh il est dit: Ta crainte donc n'a elle point esté feinte? ton esperance,, et la simplicité de tes voyes ? Ici Eliphas veut monstrer à Iob, qu'il a esté un hypocrite, ne servant à Dieu sinon pour convoitise qu'il avoit d'apparoistre et d'estre veu. Or il est certain que si nous ne servons à Dieu, que selon que nous craindrons de l'avoir contraire, c'est une façon servile. Or Dieu ne veut point que nous soyons comme mercenaires on le servant, mais il veut que nous y allions d'un franc courage, que nous soyons adonnez à luy pour dire, Seigneur nous sommes tiens, c'est raison qu'un chacun de nous se dedie à toy, et qu'il tasche de glorifier ton Nom. Voila donc comme nous devons avoir une affection liberale de servir à Dieu, et non point que nous soyons menés d'une contrainte servile. Il est vray qu'en d'autres passages il est bien dit, que nous pourrons bien servir à Dieu, regardans que nous ne serons point frustrez en nostre labeur, comme il en est parlé au Pseau. 19 et aux lieux semblables. Mais tout ceci s'accorde aisement, c'est assavoir qu'il faut que nous soyons menez d'une affection gratuite en servant à Dieu, et neantmoins que nous soyons tous asseurez que Dieu ne permettra point que nostre labeur soit inutile, comme aussi sainct Paul en parle. Dieu est iuste (dit-il) lequel ne permettra

point que vous travailliez en vain, que ce soit peine perdue quand vous estes ainsi affligez. L'Escriture saincte est pleine de ceste doctrine-là, et mesmes il est dit en somme, Que ceux qui esperent en Dieu ne perdront point leur salaire. (1. Cor. 15, 58

2. The. 1, 7; Hebr. 6, 10.) Quant au premier donc nous pouvons bien regarder aux promesses que Dieu nous a faites, que nous ne perdrons point nostre peine eu le servant, que nous ne serons point frustrez de nostre attente, mais que nostre loyer est ample au ciel. Cependant toutesfois si faut-il que le service que nous rendons à Dieu soit liberal, c'est à dire que quand il luy plaira de nous affliger, nous ne laissions pas pourtant de demourer en son obeissance, et de cheminer en sa crainte aussi bien que quand il nous traitte doucement, et qu'il nous maintient en bonne prosperité. Et en ce faisant voila comme nous n'aurons point un louage, de mercenaires pour dire, O ie serviray à Dieu moyennant qu'il me face selon mon desir. Ce ne seroit point le servir comme enfans si nous y procedions ainsi, mais comme ceux qui sont louez au iour la iournée. Que faut-il donc? que nous ayons une affection liberale pour nous dedier pleinement à Dieu, pour nous adonner du tout à son service, voire tant en affliction comme en prosperité, sachans que nostre peine ne sera point frustratoire, quand nous y aurons procedé en telle simplicité, mais pource que ce-propos ne se peut pas deduire maintenant tout au long, nous reserverons le reste à demain.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc..

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QUINZIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE IV. CHAPITRE.

Ce sermon contient encore l'exposition du verset 6 et puis ce qui s'ensuit.

7. Pense, ie te prie, qui est l'innocent qui iamais perit, ou si les droicturiers ont esté extermine.? 8. Comme i'ay veu, ceux qui labourent iniustice et sement travail, les recueillent, 9. Ils perissent par le souffle de Dieu, ils sont consumez par le vent de sa bouche. 10. Le rugissement du Lion, la voix du Leopard, et les dents des Lionceaux sont dissipees. 11. Le Lion perit par faute de proye, et les faons des Lionnesses sont exterminez.

Nous avons a retenir en premier lieu ce qui fut hier declaré, c'est assavoir, que pour bien servir Dieu, il nous faut estre menez d'une affection liberale pour nous adonner à luy sans avoir esgard qu'il nous traite bien ci apres et nous envoye tout ce que nous souhaitons. Car ceux qui veulent ainsi obliger Dieu à eux pour recevoir de sa main tout ce qu'ils appetent, premierement se monstrent estre trop charnels, et addonnez à leurs cupiditez: et puis

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ils veulent obliger Dieu d une façon trop estrange, ils ne sont point comme enfans envers leur pere: car il y a un regard servile gui les pousse, ils sont mercenaires, louagiers. Que faut-il donc? Qu'en nous remettant au bon plaisir de Dieu nous ayons ceste constance-la en nous, de l'honorer tant en affliction qu'en prosperité, quelque chose qu'il face ou dispose de nous, que nous demandions d'estre siens et de perseverer en son obeissance. Si cela n'est, tout nostre service ne luy sera point agreable: combien qu'il plaise et soit beaucoup estimé en ce monde. Et ainsi ne rapportons pas la crainte et reverence que nous portons à Dieu, à l'attente que nous aurons qu'il nous face du bien selon nostre appetit. Mais encores qu'il nous soit rude et aspre, que quelquefois il semble qu'il vueille foudroyer contre nous, que neantmoins nous demourions là comme en bride, pour dire, Seigneur, c'est raison que tu domines sur tes creatures. Aussi ce n'est point à un enfant de commander à son Pere, ne de luy imposer loy, ains de dire: Me voici, tu me gouverneras selon ta bonne volonté, et cependant ie proteste que ie ne demande sinon que t'estre subiet. Voila ce que nous avons à faire. Or il est vray que nous savons bien (comme l'Escriture nous monstre) que ce n'est point peine perdue de servir à Dieu, il nous a promis ample loyer que nous ne serons point frustrez d'une telle attente: mais tant y a que ceste affection liberale que i'ay dite precede, afin que nous ne facions point une paction avec Dieu, pour dire, qu'il nous soit obligé selon nos appetis, qu'il faille que par necessité il nous accorde tout ce que nous aurons imaginé en nostre cerveau. Voila comme les serviteurs de Dieu cognoissans qu'il a leur service agreable, et qu'il ne sera point inutile, ne seront point appuyez toutesfois sur le loyer qu'il leur a promis: tant s'en faudra qu'ils vueillent renger Dieu à leur fantasie, ils ne luy viendront point imposer necessité, de faire ceci ou cela, mais en toute humilité ils se remettront a tout ce qu'il luy plaist de faire. Or ici quand ie parle du loyer, ie ne traite point si le loyer nous est deu ou non: car nous ne sommes pas sur ceste matiere. Quand nous aurons fait tout ce qui est possible, Dieu ne nous sera point redevable, mais quand il nous promet loyer, i'entens qu'il est gratuit, que cela n'est pas que nous l'ayons merité, ne que nous en soyons dignes, mais c'est d'autant que comme il nous a receus en sa grace, il veut aussi advouer nos oeuvres, ouy lesquelles il fait par son sainct Esprit: car il n'y à rien en nous quant au bien, mais ce que Dieu nous a donné, il le recognoist, comme si nous luy apportions: et quand il reçoit ainsi nos oeuvres par sa pure bonté, cela est pour nous donner tant meilleur courage de le servir, regardans à ses pro

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messes, où il nous testifie, que nostre loyer est ample au ciel, mesmes qu'en ce monde il nous benira, et que rien ne nous pourra defaillir. Nous pouvons donc ietter là les yeux, et nous consoler: mais cependant (comme i'ay dit) que nous ne facions point nostre conte que Dieu nous doive traitter à nostre guise: plustost advisons de nous remettre entierement à luy, et nous assubiettir du tout à sa bonne volonté. Voila la doctrine que nous avons à recueillir de cc passage, laquelle nous est plus qu'utile: car c'est la marque qui discerne les hypocrites d'avec les enfans de Dieu, un hypocrite en temps de prosperité, pourra bien magnifier Dieu à pleine bouche: mais si les choses luy tournent au rebours de son souhait, alors on le voit tout changé. Et qui est cause de cela? C'est pource que telles gens ne portent nulle reverence à Dieu, sinon d'autant qu'il s'accommode a eux. Et quelle reverence est cela? Si ie me veux servir de quelqu'un, et bien, pource que i'en pourray tirer du profit, ie luy feray bonne mine: et s'il s'aperçoit de cela, il me reiettera comme un vilain, et à bon droit. Et si les hommes mortels ne peuvent souffrir une telle ingratitude, que sera-ce quand nous viendrons à Dieu? Faut-il que nous l'aimions, ou que nous luy facions honneur seulement entant qu'il nous sera utile? quelle moquerie? ne voila point l'ordre de nature tout perverty? Mais s'il y a vraye amitié nous honorerons un homme pour les vertus que nous cognoissons en luy, et pource que nous pouvons vivre ensemble d'un commun accord, pour honorer Dieu. Quand (di-ie) Dieu nous donne de telles marques, nous pourrons bien servir et honorer un homme. Ainsi donc, nous aurons bien ce regard-la envers les creatures. qui ne sont rien. Or quant à Dieu, il faut qu'il soit honoré à cause de soy-mesme, d'autant qu'il le merite: il faut que nous soyons tellement ravis à son honneur que nous ne pensions point à nous, sinon en second lieu, et en un degré inferieur. Voila donc les hypocrites qui se declarent, en se despitant contre Dieu au temps d'adversité, et quand il ne les traitte point à leur fantasie. Et pource que la plus part sont adonnez à un tel vice, voila pourquoy nous devons tant mieux observer ceste doctrine.

Or maintenant Eliphas adiouste: Regarde qui est le iuste qui ait iamais peri? regarde si les droituriers ont esté extermines? Eliphas prend ici une sentence qui est vraye, comme i'ay desia dit, que les raisons qu'il a amenees contre Iob sont bonnes et saintes, combien que la cause soit mauvaise, Tant y a donc que les principes qui sont ici mis en avant, sont tirez de la pure verité de Dieu. Parquoy c'est autant comme si le sainct Esprit avoit prononcé ce mot, Que iamais l'homme iuste

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n'est peri, iamais les droituriers n'ont esté exterminez: et cela De peut advenir. Et pourquoy ? Car Dieu a promis d'avoir le soin des iustes, comme il est dict (Pseau. 34, 16), Les yeux du Seigneur sont sur les iustes, et ses oreilles sont prochaines à leurs oraisons pour les exaucer, et les secourir au besoin. L'Escriture est pleine de cela, c'est que Dieu a sa main estendue pour conserver les bons qui l'invoquent, et qui se fient on luy. Car il faudroit que le diable fust plus puissant que Dieu, si les iustes perissoyent, d'autant qu'il nous faut tousiours revenir à ceste sentence de Iesus Christ, Le pere qui vous a mis entre mes mains, est plus fort que tous, Il signifie que iamais nostre salut ne sera en danger, quand Dieu nous aura prins en sa garde. Pourquoy? Il veut desployer sa vertu pour nous maintenir. Concluons donc que nostre salut est en bonne seureté quand Dieu en aura prins le soin. Ainsi donc ceste doctrine est bien certaine, que les iustes ne peuvent perir, que les droituriers ne peuvent estre exterminez. Mais il y a grande difference entre perir, et entre estre affligé: car les afflictions ne seront point tousiours pour perdre les hommes, comme nous avons desia traitté en partie. Mesmes les afflictions seront si grieves quelquefois qu'il semblera qu'elles soyent mortelles. Que faut-il ? Que nous concluyons ce que nous avons monstré par ci devant, puis que Dieu s'attribue cest office de retirer du sepulchre, que nous ne doutions point quand nous aurons bien enduré, que nous ne soyons secourus de luy. Voila donc comme Eliphas applique mal son propos, comme si desia lob estoit peri, et que Dieu l'eust abandonné du tout sans aucun remede. Or il n'en est. pas ainsi. Vray est que c'estoit un povre homme tout deffiguré, on avoit horreur de le voir, c'estoit un spectacle qui pouvoit monstrer l'ire de Dieu: mais tant y a que Dieu ne laissoit pas de l'aimer, comme nous pourrons voir, et l'experience le monstrera en la fin. Eliphas donc cet preoccupé d'une frayeur, qui le fait mal iuger, d'autant qu'il ne laisse plus de lieu à la misericorde et a la pure bonté de Dieu: voila en quoy il a failli. Et ainsi apprenons quand nous verrons un homme ainsi miserable, qu'il semblera bien que c'en soit fait, que il n'y ait plus nul espoir de salut, apprenons (di-ie) de magnifier la bonté de Dieu, et d'esperer qu'encores il pourra mettre remede aux maladies qui semblent incurables. Il est vray que selon les hommes tout sera perdu, mais Dieu a des moyens qui nous sont incomprehensibles pour secourir aux siens, quand il se veut declarer pitoyable envers eux. Attendons iusques à ce qu'il nous ait monstre la fin, et cependant demeurons en suspens, afin que nous ne soyons point iuges trop excessifs ne temeraires.

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Voila ce que nous avons à noter, qu'il faut que nous cognoissions la vertu de nostre Dieu estre si grande, qu'il pourra secourir à ceux qui sont comme accablez, qu'il les pourra vivifier combien que desia ils soyent en la mort. Mais il ne nous faut point seulement appliquer ceste doctrine à nos prochains, il faut que nous la pratiquions chacun de nous en soy. Et pourquoy? Car quand Dieu nous envoye des afflictions grandes, nous concevons incontinent ce qui est ici dit à Iob: il ne faut point qu'un Eliphas viene pour nous tourmenter et pour nous faire accroire que nous sommes desesperez: il n'y a celuy qui n'ait en soy comme une semence de despit pour se fascher et tourmenter en ses afflictions, voire pour se ietter en desespoir: nostre nature porte cela. Ainsi donc quand Dieu nous afflige nous sommes solicitez de ceste phantasie: Comment Dieu a promis de secourir aux siens: tu es ici languissant, voire iusques à l'extremité, tu invoques bien Dieu, et il ne te respond point: oh sont ses promesses? 'lu vois bien qu'il t'a reietté, il ne te faut plus donc penser qu'il te recognoisse des siens: car si tu en estois, il est temps, ou iamais qu'il te regardast en pitié. Or il ferme les yeux il dissimule, te voila donc abandonné du tout de luy. Voila les tentations, ausquelles nous sommes subiects: et qui nous vienent au devant à ce que nous soyons du tout desesperez. D'autant plus donc avons-nous besoin d'estre munis contre un tel combat. Et en quelle sorte? C'est (comme i'ay dit) qu'un chacun responde quand son esprit luy met au devant telles tentations, et qu'il dise, Il est-vray que le iuste ne perit iamais, il est vray que les droituriers ne peuvent estre exterminez: mais qu'est-ce perir ? ce n'est pas d'estre simplement affligé. Et pourquoy? Car l'Escriture saincte nous dit, que Dieu ressuscite les morts, qu'il donne vigueur à ceux qui sont du tout abbatus, qu'il restaure ceux qui sont navrez comme à mort. Quand l'Escriture parle ainsi, n'est-ce pas pour monstrer que Dieu desploye sa vertu envers tous povres affligez? Ouy, car quand il est dit, vous qui estes morte, qui estes desia pourris en la terre, levez vous, recevez pleine vigueur, et verdoyez comme les herbes, à qui est-ce qu'Isaie parle? C'est aux fideles. Il faut donc que les fideles soyent comme des charongnes pourries quelquefois, et que Dieu leur rende vigueur. Car ainsi que nous voyons les herbes verdoyer au printemps, qui estoyent comme mortes l'hyver, il faut que Dieu besongne ainsi en nous. Il y a beaucoup d'autres passages qui se rapportent à une mesme fin. Ainsi donc cognoissons que Dieu ne veut pas garder les siens comme les tenant mignards, mais qu'il les veut retirer du sepulchre, qu'il veut d'une façon admirable les maintenir, à fin qu'ils cognoissent que c'est a luy

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à-qui appartient de dominer par dessus la mort pour donner vie. Et puis nous avons ceste promesse que le Seigneur a les issues de mort. Voila une promesse bien notable. Quand David nous veut monstrer comment c'est que Dieu nous conduit, il dit (Pseau. 68, 21), que les issues de mort luy appartiennent. Et pourquoy cela? Il signifie que nous sommes comme precipitez en la mort à chacun coup, que nous ne pouvons point marcher un pas, qu'il ne semble que ce soit fait de nous, mais Dieu a des issues de mort, dit-il. Ainsi donc notons bien ces sentences-là, afin que nous soyons tous munis, quand le diable nous viendra souffler en l'aureille, Et qui es-tu? ne voie-tu pas quo tu n'as nul secours d'enhaut? les iustes no perissent point. Que nous ayons donc ces responses ici pour rembarrer Satan: il est vray que les iustes ne perissent pas mais ie ne suis pas aussi peri. Mais tu es semblable à un trespassé: et mon Dieu est celuy qui a les, issues de mort en sa main. Et c'est ce que dit David en l'autre passage (Pse. 23, 4), Quand ie seroye en l'ombre de mort, pource que ie me confie tousiours en toy, ta houlette Seigneur me conduira: moyennant que tu sois mon protecteur, ie seray exempté de tout mal. Voila donc comme nous avons à pratiquer ceste doctrine.

Or il s'ensuit: Que ceux qui sement extorsion, ou qui labourent extorsion, et qui sement travail, les recueillent. Ce qui est confermé par similitude: car Eliphas dit; que le rugissement des lions est abbatu, que leurs dents sont cassees, les lionceaux sont destituez de proye. Par cela il signifie, que ceux qui ont esté pleins de cruauté, et de violence, seront mattez de la main de Dieu, Mais au paravant il avoit dit: Que les meschans perissent par le souffle de Dieu, et par le vent de sa bouche. Or quant à la premiere sentence, c'est (di-ie) une similitude prinse des laboureurs de la terre, quand il dit, Ceux qui labourent iniquité, et qui sement moleste ou travail. Ces deux mots sont conioincts en l'Escriture, assavoir Iniquité et Moleste, pour signifier les extorsions et excez que les meschans commettent pour fascher et tourmenter leurs prochains: et ` aussi le mot de Moleste est attribué à ceux qui De donnent aux autres qu'ennuy et fascherie. Or il est dit qu'ils labourent premierement, pource que ceux qui veulent ainsi nuire à leurs prochains, et leur faire quelque dommage, ils font leurs preparatifs: comme un laboureur, quand il veut semer, il faut qu'il face passer la charrue devant, il faut que la terre soit accoustree. Ainsi les meschans machinent au dedans leurs iniquitez, leurs trahisons, desloyautez, qu'ils inventent des fraudes, et des tromperies, et puis quand ils ont tout conceu, ils cerchent tous les moyens de mettre en execution leur mauvaise entreprinse: et c'est ce labourage duquel parle ici

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Eliphas. Or il dit, que sur cela ils sement moleste, c'est à dire quand ils ont fait leurs preparatifs, ils se ruent sur }es povres gens pour les piller et ronger. Mais ceux-là (dit-il) recueillent ce qu'ils ont semé, c'est à dire, Dieu fait retourner sur leur teste tout le mal qu'ils ont conceu, et qu'ils ont inventé contre les autres. Voila encores une sentence qui est vraye, et nous la faut prendre comme du sainct Esprit, voire pour en recueillir doctrine generale. Et pour l'appliquer à son vray usage, il nous faut prier Dieu qu'en cest endroit il nous donne esprit de prudence, afin que nous ne tournions point l'Escriture ne çà ne là pour la tirer tout au rebours, ainsi que nous voyons qu'il en a esté fait par Eliphas. Or quand l'Escriture saincte dit, Que ceux qui labourent iniquité, et sement travail, le recueillent, c'est une menace que Dieu fait contre les meschans qui se cuident bien advancer, quand ils sont comme bestes ravissantes, qui pillent l'un, qui mangent l'autre, mesmes qui devorent tout, et leur semble qu'ils soyent victorieux, et se plaisent en cela. Or nostre Seigneur leur declare qu'ils s'abusent bien: car il fait retourner à leur confusion tout ce qu'ils entreprennent. Voila donc une menace par laquelle Dieu veut reprimer l'audace et malice des hommes, les voulant tenir en bride, afin qu'ils vivent ensemble en bonne charité et droiture, que nul ne tasche de molester son prochain: comme aussi à l'opposite nous ouyons la promesse qui nous est donnee, Celuy qui seme benediction la recueillira (2. Cor. 9, 6). S. Paul parle là des aumosnes: il dit que si nous semons envers nos prochains de ce que Dieu nous a donné, que nous recueillirons: voire que nous aurons en abondance de ses graces et benedictions, que Dieu desployera ses richesses, que quand nous serons en necessité, il se monstrera benin et liberal envers noue. Ceste premesse donc est pour donner bonne affection à tous fideles de s'eslargir envers leurs prochains, et de leur subvenir. Maintenant nous voyons le vray usage de ceste doctrine, c'est que nous nous gardions bien de rien machiner de nuisance ne de fraude. Et pourquoy? Tant s'en faut que par ces mechantes praticques-la, ou par moyens illicites nous puissions nous avancer, que Dieu nous rendra confus en la fin. Voila donc comme nous devons reprimer toutes nos meschantes cupiditez, afin de garder droiture et raison avec nos prochains.

D'autre part puis que toute nuisance desplait à Dieu, et toute extorsion, advisons bien de nous contenir en equité, c'est a dire, que nous taschions de bien faire, que non seulement chacun de nous s'abstiene de tout mal, mais que nous advisions si Dieu nous a donné quelque faculté, que nous profitions les uns aux autres, communiquans mutuelle

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ment ensemble. Or là dessus assemblons aussi les sentences de l'Escriture saincte qui se rapportent à une mesme fin. Malheur sur toy qui ravis: car il faudra qu'on te pille à ton tour (Isa. 33, 1): et puis, En telle mesme que les hommes auront fait, il faudra qu'il leur soie rendu. Quand nous oyons toutes ces sentences-la, sachons que Dieu retourne tousiours sur les meschans tout ce qu'ils auront machiné de mal. Il tombera (dit l'Escriture parlant du meschant [Pseau. 7, 16]) en la fosse qu'il a cavee: Et puis, Iugement sans misericorde sera a celuy qui est sans misericorde et sans pitié (Iaq. 2, 13). Ouyans telles sentences que nous tremblions, et que nous advisions de cheminer en iustice, et en droiture si vraye avec nos prochains qu'on cognoisse que nous sommes tousiours retenus par la crainte de Dieu. Voila ce que noua avons à noter de ce passage en somme. Or cependant si un homme est affligé apres avoir bien fait si on le persecute quand il aura demandé paix et accord avec tous, il ne faut point que nous concluyons qu'il soit de ce reng de ceux qui recueillent travail et moleste, d autant qu'ils l'ont semé. Et pourquoy? Car nous ouyons l'Escriture saincte qui nous dit du contraire, que Dieu permettra bien cela pour esprouver la patience des siens. Nous voyons les exemples qui nous sont recitez en l'Escriture saincte. David proteste (Pseau. 120, 7) qu'il n'a demandé sinon concorde, et cependant qu'il n'a pas laissé d'estre tourmenté tant et plus. Avoit-il irrité ses ennemis? Leur avoit-il donné occasion de luy mal-faire? Mais il dit qu'il est hay sans cause: et en cela il se monstre vray membre de Iesus Christ. Il nous faut donc revenir à ce que dit S. Pierre, voire alleguant le Pseaume, Celuy (dit-il) qui desire de prosperer, et d'estre benit de Dieu d'avoir sa condition paisible, qu'il cherche la paix qu'il s'adonne à bien faire (1. Pier. 3, 10). Voila ce que Dieu nous promet, c'est assavoir une benediction ordinaire, que quand nous serons adonnez à bien, qu'il nous conduira, et ne permettra point qu'on nous tourmente outre mesure. Mais quoy? Si vous souffrez neantmoins pour avoir bien fait, remerciez Dieu, dit-il. Or quand il dit, si vous demandez paix avec chacun, vous la trouverez, il adiouste quant et quant, qu'il y aura tousiours de l'ingratitude telle au monde, que les meschans feront mal à ceux qui n'auront demandé que leur salut. Quand donc nous en verrons quelques uns affligez, il ne faut point conclure, que c'est pource qu'ils avoyent semé iniquité, qu'ils avoyent semé travail et moleste: car nous ne savons pas pourquoy c'est quo Dieu les visite ainsi. Il est vray quand nous aurons cognu un homme meschant, ô le iugement de Dieu sera visible et notoire sur luy. Si un homme a esté un contempreur

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de Dieu, qui ait mené vie dissolue et scandaleuse, nous n'en pouvons iuger que ce que l'Escriture en prononce: mais si nous voulons iuger du premier coup sans avoir cognu un homme sinon seulement de ce que nous le voyons estre affligé, et venons à dire qu'il est maudit, voila un iugement temeraire, et trop audacieux, lequel aussi Dieu reprouve. Il nous eu faut donc abstenir, et y proceder en telle modestie et attrempance, comme nous avons monstré ci dessus.

Or apres que Eliphas a parlé ainsi, il adiouste, que telles gens, c'est à dire qui ont machiné fraudes et violences pour opprimer leurs prochains, et qui ont mis en execution leurs meschantes pratiques, que ceux-la seront ruinez par le souffle de Dieu, et par l'esprit de sa bouche. En quoy il monstre qu'encores que les hommes cessent, Dieu fera son office, punissant ceux qui auront esté ainsi adonnez à excez, à cruautez, et nuisances. Or ceci est encores bien vray, et merite bien d'estre noté de nous. Et pourquoy? Qui est-ce qui fait endurcir les meschans, et qui est cause qu'ils poursuivent leurs iniquitez? D'autant qu'il leur semble que personne n'osera gronder contre eux, que s'ils sont comme bestes sauvages qu'on les craindra, et qu'un chacun sera tellement effrayé, qu'a leur seul regard ils feront trembler tout le monde, et que quand ils auront pillé tout ce qu'ils auront peu, personne ne leur pourra contredire, d'autant qu'ils auront pour appaiser ceux qui leur pourroyent nuire: comme nous voyons que ceux qui auront ainsi usé de mauvaises pratiques auront tousiours les corruptions en main, afin de clorre la bouche à ceux qui les pourroyent chastier. D'autant donc que les meschans s'adonnans ainsi à mal faire pensent eschapper tonte punition du costé des hommes, il est dit, qu'ils periront du souffle de Dieu, c'est à dire, combien que les hommes cessent de leur office, qu'il n'y ait nulle iustice, que ceux qui ont l'administration du glaive se taisent, et facent des idoles, qu'il n'y ait personne qui maintiene le droit et la raison, qu'on supporte les meschancetez, que Dieu neantmoins ne sera point oisif au ciel. Retenons donc que quand tout le monde nous applaudira en nos iniquitez, nostre condition n'en sera point meilleure pourtant, nous n'aurons rien gaigné quand nous serons ainsi flattez des hommes en nos vices: car il faudra venir à conte devant le Iuge celeste. Voila un Item que nous avons à observer. Et ainsi quo nul ne se bande les yeux pour s'adonner à mal quand il voit, Et bien quand i'auray tiré cela à moy, personne n'y osera contredire. Voire: mais nous ouyons ce qui est ici dit, que si les hommes nous donnent licence de mal faire, Dieu cependant est-il oisif? advouera-il le mal? n'a il point declaré que tout ainsi qu'il est

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prochain à ceux qui l'invoquent, qu'aussi il voit et marque de ses sourcils tous les meschans, tous ceux qui font violence et extorsion? Puis qu'ainsi est donc, que cela nous induise à cheminer en crainte, sachans qu'il nous faudra rendre conte devant nostre Iuge, et que nous n'aurons rien gaigné quand les hommes nous auront favorisez. Voila ce que nous avons à noter.

Mais ceste sentence poise beaucoup quand il est dit, Que les meschans perissent du souffle de Dieu, et du vent de sa bouche: car en cela il nous est signifié, qu'il ne faut point que Dieu ait grand equippage, ne qu'il s'arme quand il est question de reprimer ceux qui sont ainsi revesches, qui devorent tout, qui s'adonnent a des fraudes pour decevoir leurs prochains, mesmes qui sont pleins de cruautez et de violences pour devorer tout le monde: il ne faut point que Dieu face grand amas de gens pour se munir, il no faut point qu'il cerche des moyens çà et là pour les accabler: qu'il souffle seulement, et voila tout abbatu. Nous voyons donc maintenant que ceste façon de parler ici emporte beaucoup quand il est dit, que les meschans perissent par le souffle de Dieu, et par le vent de sa bouche: comme Isaie parlant en general des hommes, nous met ce souffle ici, afin de nous monstrer combien nostre condition est fragile, et pourtant, que nous avons besoin d'estre maintenus de Dieu, ou autrement nous pouvons perir à chacune minute de temps. Et au reste, que nous sachions, qu'encores que les meschans ayent la rogue en ce monde, qu'ils triomphent, qu'ils soyent forts et robustes, et semblent estre invincibles, qu'il ne faut pas grand' force pour les ruiner: car le seul souffle de Dieu sera assez puissant pour les abysmer.

Or venons maintenant à ce qui nous est dit du royaume de nostre Seigneur Iesus Christ: car ceste vertu est attribuee au vent de sa bouche, et à sa parole, c'est assavoir, que les meschans en seront exterminez. Voila comme Isaie en parle (11, 4), et sainct Paul applicque ce tesmoignage-la au dernier advenement de nostre Seigneur Iesus Christ (2. The. 2, 8). Comment donc est ce que Iesus Christ regne? C'est quand ses ennemis sont confondus par sa simple parole, qui est comme un souffle: il ne faut point d'autre foudre pour les ruiner. Puis qu'ainsi est, advisons à nous: car toutes fois et quantes que l'Evangile se preche, Dieu foudroye sur tous comtempteurs, sur tous ceux qui veulent faire des endurcis et des obstinez contre luy. Il est vray que nous n'appercevrons point pour un temps la vertu de ceste parole pour punir les meschans: mais si faut-il qu'ils sentent en la fin que Dieu n'a point dit en vain par son Prophete, et confermé par son Apostre, que Iesus Christ destruira l'inique par le vent de sa bouche, et par la

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vertu de sa parole. Et ainsi craignons ceste sentence, assubiectissons nous à l'Evangile, afin de ne point sentir la vertu qui y est enclose, à nostre confusion, mais que ce soit à nostre salut que nous l'experimentions. Voila quant à ce passage. Or il y a puis apres la similitude des lions, des lionceaux, des faons, des lionnesses, que tout cela sera abbatu. Il n'y a nulle doute qu'Eliphas ici ne signifie que Dieu desploye son bras robuste contre ceux qui sont excessifs, et qui sont violents contre les hommes, brief qui ressemblent à des lions, et des bestes sauvages. Voila quelle est la somme. Vray est que nous verrons ceux qui sont debonnaires estre affligez, qu'il semble que Dieu les vueille casser et briser, comme nous en avons l'exemple en David: mais tant y a que ceste sentence ne laisse point d'estre vraye, voire si nous considerons le iugement de Dieu comme il y procede le plus souvent. Car des punitions que Dieu fait en ce monde, il ne faut point faire une regle qui n'ait nulle exception. Quand il est dit, qu'il y aura iugement sans misericorde à ceux qui sont sans pitié: il ne faut point que nous prenions cela en tout et par tout selon ce que nous voyons de present: car il ne faut pas que nous concluyons, que tous ceux qui sont cruellement persecutez, ayent esté cruels pourtant. Nous voyons comme il en est advenu à nostre Seigneur Iesus Christ, qui est le chef et le miroir, et le patron de tous les enfans de Dieu. Nous voyons aussi ce qui est advenu à beaucoup de fideles. Mais comme i'ay desia dit, il nous faut prendre ceci comme un iugement ordinaire. Qu'ainsi soit nous oyons la promesse à l'opposite, Que bien-heureux sont les debonnaires, car ils possederont la terre. Iesus Christ nous dit là, que si nous sommes benins et amiables, que nous conversions avec nos prochains en toute douceur, que nous taschions de bien faire à chacun, nous iouirons de la terre, c'est a dire, qu'il nous entretiendra en paix, quo nous ne serons point molestez. Ouy: mais, comme nous avons desia declaré, ce n'est pas à dire que nous soyons exemptez de tout mal: seulement Dieu fera que nous possederons la terre, ouy entant qu'il nous sera expedient, voila ce que nous avons à retenir. Ainsi donc ne trouvons point estrange ce qui est dit en ce passage, c'est assavoir, que les dents des lions seront brisees, que le bruit qu'ils font sera abbatu, c'est a dire que Dieu desployera là son bras et sa vertu pour matter ceux qui auront esté pleins d'orgueil, pleins de fierté, qui ne demandent qu'à manger et devorer tout. Dieu donc monstre là son bras fort, comme nous le voyons ordinairement. Car oh est-ce que Dieu declarera ses iugemens plus grans et plus notables, que sur ces lions qui ont esté comme bestes enragées, adonnez à

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proye, et mesmes qui se sont repeus du sang humain? Nous oyons comme Dieu se declare là Iuge plus notamment qu'il ne fait pas sur les petis, et sur ceux qui n'ont point exercé telle violence. Et ainsi apprenons de craindre les iugemens de Dieu et les prevenir d'autre costé, et toutes fois et quantes qu'il executera telles choses sur ceux qui se sont adonnez à nuire à leurs prochains, glorifions-le, sachans qu'il se veut monstrer Iuge de tout le monde, et qu'il veut avoir pitié de ceux qui sont iniustement affligez, qu'en la fin il sera leur garent, et qu'il monstrera par effect qu'il ne les a iamais mis en oubli, mesmes du temps qu'il sembloit qu'ils fussent reiettez du tout. Que faut il donc? Que nous contemplions les iugemens de Dieu comme nous les pouvons appercevoir quand il nous les

monstre. Car ce monde est comme un theatre, là où Dieu nous propose beaucoup d'exemples, desquels il nous faut faire nostre profit pour cheminer en sa crainte, et nous abstenir de tout mal, pour bien faire à nos prochains, pour cheminer en toute rondeur et droiture avec eux. Et quand nous en ferons ainsi, ne doutons point que nous ne sentions la vertu de nostre Dieu pour nous maintenir, encores qu'il nous faille cheminer en ce monde parmi beaucoup de miseres, que brief nous y soyons comme entre mille morts, et que nous n'appercevions point encores le salut qu'il nous a promis, que neantmoins nous ne laisserons pas d'estre maintenus de luy d'une façon miraculeuse.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc..

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LE SEZIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE IV. CHAPITRE.

12. Mais une chose m'a esté apportée en cachette, de laquelle mon oreille a un peu ouy. 13. Entre les pensees des visions de nuict quand le dormir saisit les hommes: 14. Crainte et tremblement est venu sur moy, et a espouvanté mes os. 15. le vent alloit ca et là, et a faict herissonner le poil de mon corps. 16. Il s'est arresté, et ie ne cognoissoye point sa face: une image s'est presentée à mes yeux, et i'ay entendu une voix en silence. 17. L'homme est-il plus iuste que Dieu? l'homme est-il plus pur que son Createur? 18. Voici il ne trouve point fermeté en ses serviteurs, et a mis vanité en ses Anges. 19. Combien plus ceux qui habitent maisons d'argille, desquels le fondement est de poudre? Iesquels sont consumez, et exterminez par la tigne?

Apres qu'Eliphas a monstré sa raison, que Iob n'avoit point servi loyaument à Dieu ni en pureté de coeur, pour le moins qu'il fust affectionné de ce faire: il adiouste ici l'authorité de Dieu pour monstrer que Iob ne peut, et ne doit nullement repliquer qu'il ne soit condamné de Dieu à bon droit. Or aucuns estiment qu'ici Eliphas se vante d'avoir revelation, qu'il n'avoit point toutesfois: mais quand tout sera bien regardé, il n'y a nulle doute que ce qu'il pretend, que Dieu luy a revelé telle chose, cela est certain. Car il nous faut tousiours retenir ce principe, que les sentences generales qu'il met en avant sont bonnes, mais il les applique mal.

Et quant à ce que Dieu l'avoit ainsi inspiré, nous ne le devons trouver estrange: car auiourd'hui nous sommes enseignez d'une autre façon, que les Peres de cest aage-la. Dieu parle à nous, mais comment? c'est que les Prophetes sont organes du S. Esprit: nous avons l'Evangile où Dieu se declare priveement. Voila donc la façon de parler que Dieu tient auiourd'hui en son Eglise: c'est qu'il nous a manifesté toute sa volonté en l'Escriture saincte. Auparavant Dieu s'est declaré à ceux ausquels il a voulu faire ceste grace. Et comment? Par visions, comme l'Escriture saincte nous en rend tesmoignage. Ainsi donc sachons qu'Eliphas a esté homme excellent: il ne faut point que nous trouvions nouveau que Dieu luy soit apparu en vision de nuict, et qu'il ait cognu ce que l'Escriture auiourd'huy nous enseigne. Ce n'est point donc une gloire faussement pretendue que ceste-ci: mais Eliphas ne faut qu'en cest endroit, qu'il destourne mal à propos en la personne de Iob ce qui luy estoit revelé à une autre fin et usage, car voila Dieu qui luy monstre, qu'il faut que les hommes cheminent en humilité. Voila où a tendu ceste vision qui luy a esté donnee, qu'il ne faut point que les hommes se plaisent, ne qu'ils s'enorgueillissent, cuidans estre iustes, cuidans valoir beaucoup: mais qu'ils sachent qu'il n'y a que peché en eux quand ce vient à se trouver devant Dieu, qu'il faut qu'ils demeurent là confus, qu'ils regardent

SERMON XVI

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à leurs corruptions, et qu'ils s'y desplaisent. Eliphas avoit receu une telle doctrine qui estoit bonne. Or maintenant il mot tout le fardeau sur Iob, et pense avoir gaigné sa cause pour opprimer celuy qui avoit fidelement servi à Dieu. Nous voyons donc qu'Eliphas en general ne se glorifie point en vain d'avoir esté enseigné de Dieu: mais il a mal profité en cest endroit, d'autant qu'il ne regarde point à soy, mais qu'il veut opprimer Iob sans que la verité soit telle.

Venons maintenant à deduire le tout par le menu. Il dit, Qu'une chose luy a esté apportee en cachette, et que son oreille en a ouy quelque peu, voire (dit-il) en vision de nuict, que i'ay ouy un souffle, lequel s'est demené ça et là, et en la fin il y a eu une voix qui a parlé à moy en silence. Vray est qu'il adiouste, qu'il y a eu une image mais qu'il n'a point cognu que c'estoit, sinon qu'il a esté espouvanté iusques à fremir en tout son corps, que les poils de sa chair se sont dressez d'horreur et estonnement et en a esté comme transi. Le tout tend à ceste fin, de monstrer qu'il n'apporte point ici des songes, mais que c'est le tesmoignage de Dieu, lequel doit estre receu avec toute authorité. Et de fait voila pourquoy en toutes les visions qu'ont eu les Peres anciens, Dieu a mis quelques marques qui estoyent pour espouvanter, pour donner quelque frayeur et crainte, cela servoit pour authoriser sa parole, afin qu'elle fust tant mieux receuë. Car nous voyons aussi comme les hommes ne sont point esmeus pour escouter Dieu parler comme ils doivent, sinon qu'il leur face sentir sa maiesté. Si un homme de quelque estat parle à nous, c'est merveilles que nous sommes plus attentifs à luy donner audience, que quand nous lisons l'Escriture saincte. D'où procede cela, sinon que nous sommes charnels et brutaux? Or Dieu pour remedier à un tel vice a tousiours voulu donner quelques signes de sa maiesté, afin que sa parole fust receuë, et que les hommes la tinssent plus autentique. Et ainsi quand il est parlé en l'Escriture saincte de quelques visions tousiours il est dit que les saincts Peres ont conceu quelque frayeur: et non sans cause: car il falloit qu'ils fussent ainsi preparez à humilité pour obeir simplement à Dieu. Il y a encores une seconde raison: c'est, que combien qu'il semble que nous soyons bien affectionnez à ouyr Dieu, toutesfois nous ne sommes point capables de recevoir ce qu'il nous dit, sinon que nostre chair soit domtee. Car il y a cest orgueil interieur qui nous enfle, en sorte que nous ne cognoissons point ce qui nous est bon ne propre, iusqu'à-ce que Dieu nous ait abbatus. Voila pourquoy iamais Dieu n'est apparu aux hommes qu'il ne leur ait donné quelque sentiment de crainte, afin qu'ils ne se plaisent plus, qu'ils ne s'estiment plus en eux-mesmes, ni en leur vertu

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propre. Nous voyons donc maintenant à quoy se rapporte ceste longue description que fait ici Eliphas. Or il dit, que c'est une chose secrete, et de laquelle il a quelque peu entendu. Il est vray que de prime face ceci sembleroit ridicule, quand il appelle chose secrete que Dieu soit pour le moins aussi iuste que les hommes, ou comme il conclud en la fin, Que les hommes n'ont garde d'estre si iustes que luy. Chacun confesse cela, les Payens mesmes n'y ont iamais contredit. Quel mystere y a-il donc en ce propos? Sachons qu'il est plus que necessaire: mais combien que les hommes s'accordent à ce poinct, qu'il n'y a que Dieu seul qui soit iuste, et qu'en comparaison de luy nous sommes pleins d'infirmité: tant y a que nous ne le cognoissons point assez: cela aussi n'est pas bien imprimé en nous. Car si nous estions persuadez en pleine certitude de la iustice de Dieu, et de nos vices, il est certain que nous ne douterions point comme nous avons accoustumé de faire: on n'orroit nuls murmures en nos bouches, il n'y auroit nulles contradictions, ne repliques en nos coeurs: nous serions tous coys: quand il plairoit à Dieu de nous rendre confus, nous confesserions que ce seroit à bon droit. Or est il ainsi qu'on voit, que les hommes se rebecquent contre Dieu si tost qu'il les touche: ou bien quand encores en les espargnant il leur monstre leurs pechez, ils ne veulent point venir à une vraye confession. Et ainsi par cela on peut cognoistre, que tous sont enflez de presomption, et qu'ils ne cognoissent point quelle est la iustice de Dieu pour s'humilier sous icelle. Et ainsi ce n'est point sans cause qu'Eliphas appelle ceci un secret quand Dieu se monstre luy seul iuste, et que les hommes ayent honte de leurs povretez, et qu'ils se cognoissent miserables. Et voila comme S. Paul le prend, quand il dit, que c'est une chose incognue et cachee aux hommes (au 3. dos Romains v. 21) c'est assavoir, qu'en Iesus Christ Dieu a voulu desployer sa iustice, afin quo tout le monde se recognoisse redevable à Dieu. Il est vray qu'on ne dira point qu'il y ait difficulté en ceci: mais tant y a (comme desia nous avons monstré) quo les hommes s'attribuent tousiours ie ne say quoy, et ne se peuvent despouiller de ceste vaine arrogance tellement qu'il leur semble bien quo par leur franc arbitre ils peuvent merveilles. Sur cela ils se font accroire qu'ils acquierent des merites envers Dieu. Au contraire Dieu veut estre cognu luy seul iuste et qu'on ne trouve aux hommes que toute iniquité. Voila quant à ce poinct

Or Eliphas disant, Qu'il a entendu quelque peu de ceste parole, monstre bien qu'il no s'esleve point par trop. Car il n'usurpe pas une perfection de sagesse pour dire que rien ne luy est eschappé, qu'il n'ait tout comprins iusques au bout: mais il

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dit, qu'il y a eu quelque goust de ceste doctrine de Dieu, qu'il en a conceu une partie. Nous voyons donc qu'ici il parle modestement: monstrant qu'il n'est pas comme un Ange du ciel, qu'il contemple la gloire de Dieu en pleine vision, mais que selon la rudesse des hommes il a esté enseigné pour savoir communiquer à ses prochains ce qu'il avoit recel de Dieu. Voila en somme ce qu'il veut dire. Or car cela nous sommes advertis, combien que Die se declare priveement a nous, que ce sera beaucoup que nous cognoissions en partie, qu'il ne faut point que nous cuidions avoir une intelligence si entiere, qu'il n'y ait que redire: car ceux qui s'attribuent cela se trompent, et cependant ils se ferment la porte laquelle leur seroit ouverte pour venir plus avant. Et ainsi notons bien que ce sera beaucoup fait quand nous aurons quelque petit goust, quelque entree en la cognoissance de la verité de Dieu. Si cela s'entend des Prophetes et Docteurs que Dieu a choisis et constituez, et ausquels il a fait des graces plus excellentes, que sera ce de nous? comme nous en voyons ici l'exemple en Eliphas. Car il nous est proposé, non point comme un idiot du commun peuple, mais comme celuy auquel Dieu s'estoit apparu: et neantmoins il declare qu'il n'a entendu que quelque peu. Voila donc ce que nous avons ici à retenir en premier lieu. Or si cela nous estoit bien persuadé, on ne verroit point une telle outrecuidance en nos propos: car chacun se fait accroire qu'il n'ignore rien, et les moins exercez en l'Escriture saincte voudront avoir ceste reputation-la d'estre si subtils et aigus qu'ils ne parlent qu'en raison, comme si le S. Esprit estoit en leur manche. Et d'où vient un tel orgueil, sinon que ceux qui sont encores à l'A, B, C, cuident avoir tout apprins? Et au reste, cest orgueil-la apporte avec une nonchalance, car la plus part ne tienent conte de profiter. Et pourquoy? Il leur semble qu'ils sont venus au bout de toute science: quand beaucoup de gens ont ouy parler trois mots de l'Evangile, les en voila si farcis qu'ils n'en peuvent plus: il n'est plus question de rien savoir, mesmes ils veulent enseigner les antres, brief ils sont plus que docteurs. Or Dieu se mocque d'une telle presomption: car ce peu qu'ils pouvoyent avoir receu, il faut qu'il leur soit osté: et ainsi ils demeurent là vuides suivant ce qui est dit au cantique de la vierge Marie, Que ceux qui ont esté pleins de vent, s'estimans estre riches, et presumans d'eux-mesmes, ont esté affamez (Lue. 1, 53). Apprenons donc de tellement louër Dieu de ce qu'il nous a donné, et cognoistre que nous aurons besoin d'estre tousiours plus avancez , que nous ayons ce desir qui nous solicite de profiter de plus en plus, et que nous y venions en toute modestie. Et d'autant plus que nous serons familierement

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enseignez de Dieu et de sa parole, que nous soyons tousiours comme petis escoliers, que nous n'y allions point avec une telle fierté qu'il nous semble que tout soit en nostre cerveau, mais que nous y allions selon nostre mesure, comme i'ay dit. Car il faut qu'il n'y ait que Iesus Christ. qui ait toute perfection de sagesse, afin d'en distribuer à chacun en mesure et certaine portion. Et au reste notons bien la circonstance de ce lien. Car il est question de la iustice de Dieu dont nous avons parlé, et de cognoistre que nous sommes pleins de pechez et de corruptions: que nous applicquions bien donc toute nostre estude à ceste doctrine, sachans bien que nous n'en viendrons point à bout. Parquoy tant plus donc nous faut il la mediter, appliquans toute nostre vie à cela: car si on l'eust bien cognuë, on ne fust pas tombé en de si horribles tenebres en la papauté. Mais quoy? la il leur semble que ce soit une chose superflue de traicter de la iustification gratuite de la foy: ils trouvent cela quasi une doctrine sauvage, et se mocquent de quoy noua insistons tant la dessus. Voire: mais ici il nous est monstré que ceux qui ont eu des visions celestes à grand' peine ont ils cognu quelque peu d'un tel secret. Ainsi donc que nous sachions qu'il nous faut estre diligens à cest article ici, que quand nous y aurons bien appliqué tous nos sens, encores n'en comprendrons nous pas la centieme partie de ce qui en est. Et qu'ainsi soit, la iustice de Dieu n'est-ce pas une chose infinie? Et de nos corruptions n'est-ce pas comme une mer, ou une abysme? Ainsi donc il ne se faut point esbahir, qu'Eliphas monstre ici, que de cest article il n'en a en sinon quelque petit goust.

Or venons maintenant à ce qu'il adiouste, c'est, Que l'esprit alloit ça et là (on le vent) que son corps en a herissonné, que ses poils luy sont dressez par toute sa chair, qu'une image luy est apparue laquelle il n'a point cognu: en la fin il a ouy la voix en silence. Tout cela s'est faict à ce but, que i'ay touché, c'est assavoir, qu'il falloit qu'Eliphas fust preparé à recevoir ce que Dieu luy vouloit dire, et qu'il fust preparé en telle sorte qu'il cognust, c'est Dieu qui parle, afin que sa doctrine luy fust autentique, et au reste qu'il fust humilié, qu'il ne fust plus haussé de nulle presomption: comme les hommes s'attribuent tousiours ie ne say quoy. Il falloit bien qu'Eliphas fust du tout aneanti afin qu'il cognust sa povreté pour donner gloire à Dieu. Or il est vray, qu'auiourd'huy nous n'aurons pas les visions telles qu'elles ont esté de ce temps la: mais il faut que nous cognoissions quand Dieu a donné de tels signes aux Peres anciens, qu'ils nous doyvent auiourd'huy servir. Et ainsi quand noue avons à lire l'Escriture saincte, que nous venons au sermon, que ce soit estans touchez de la maiesté

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de Dieu pour luy porter reverence, que nous no profanions point sa saincte verité en l'estimant comme si on nous faisoit quelque conte do plaisanterie, mais que nous sachions, Puis que nostre Createur parle à nous, il faut que tous genouils plient devant luy: il faut que les hommes tremblent à ce qu'il dit. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage. Et au reste nous savons comme Dieu en publiant sa Loy a monstré dos signes pour effrayer tous ceux, lesquels il vouloit enseigner pour ce temps-la: et de faict le peuple a dit, N'approchons point de Geste montagne, car nous mourrons tous si Dieu parle à nous. Voila donc Dieu qui a voulu authoriser sa Loy on telle sorte que le peuple est confus de tant de miracles qui luy sont manifestez. Et a-ce este seulement pour ceux qui estoyent de ce temps la? Nenni: mais Dieu nous a voulu aussi bien advertir de sa vertu, laquelle est permanente iusques en la fin du monde. L'Evangile a eu encores plus grande approbation pour estre magnifié. Ainsi donc rien ne nous peut et ne nous doit empescher de recevoir la parole de Dieu avec toute humilité, sinon que nostre ingratitude et malice nous creve les yeux. Si nous ne pouvons contempler toutes les vertus, que Dieu a monstrees, cependant nous avons à nous contenter quand Dieu nous enseigne par sa parole, sans appeter des visions nouvelles: comme il y a beaucoup d'esprits volages qui voudroyent que les Anges doscendissent du ciel, qui voudroyent que quelque revelation leur fust apportée. Or eu cela ils font grand'iniure à Dieu, ne se contentans -point de ce qu'il se declare si privéement à nous. Car quand nous avons l'Escriture saincte, il est certain que rien ne nous peut faillir: sur tout en Geste clarté de l'Evangile nous avons une perfection de sagesse, comme S. Paul le monstre. Puis que ainsi est donc, ceux qui sont encores chatouillez d'un vain desir d'avoir quelques visions monstrent bien que iamais ils n'ont cognu que c'est de l'Escriture saincte. Contentons-nous donc qu'il a pleu à Dieu nous reveler tant par ses Prophetes, comme par nostre Seigneur Iesus Christ son Fils, sachans qu'il nous fait là une conclusion finale sans passer plus outre. Et de fait nous voyons oh en sont venus ceux qui se sont ainsi voulu esgarer, et voltiger outre leurs bornes: car voila d'où est venue l'horrible confusion qui est en la Papauté: voila sur quoy c'est que le Pape fonde toute sa doctrine, car il dit, que les Apostres n'ont point declaré tout ce qui estoit utile pour l'Eglise' et que le S. Esprit est venu, afin qu'on peust bastir des articles nouveaux, et qu'on s'arrestast aux saincts conciles. D'autant donc que le Pape et tous ses complices ne se sont point tenus à la pureté de l'Escriture saincte, il a fallu que Dieu les ait aveuglez en

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ces resveries, que nous voyons qui sont si lourdes et si brutales entr'eux, et qu'en la fin ils ayent esté comme abbrutis iusques a adorer les pierres et les pieces de bois, que les choses soyent là si confuses, que les petis enfans mesmes en devroyent avoir honte. Cela est venu de Geste curiosité diabolique, qu'ils ne se sont point contentez d'estre enseignez simplement en l'Escriture saincte. Voila sur quoy aussi est fondée la religion des Turcs: Mahomet a dit qu'il estoit celuy qui devoit apporter revelation pleine outre l'Evangile. Ainsi donc il a fallu qu'ils ayent esté du tout abbrutis. Et auiourd'huy nous voyons que ces povres bestes-la s'amusent à des choses si sottes et si lourdes que rien plus: mais c'est une iuste vengeance de Dieu, qu'il les a mis en sens reprouvé. Autant en a-il esté d'autres fantastiques, et de nostre temps mesmes que ceux qui ont troublé l'Eglise ont voulu avoir leurs visions: et c'est l'un des articles de cc malheureux qui a esté bruslé. Car il disoit que le S. Esprit n'a point regne encores, mais qu'il devoit venir: le meschant fait ce deshonneur à Dieu, comme si les Peres anciens n'avoyent eu qu'un ombrage du S. Esprit, et comme si une fois ayant esté espandu visiblement sur les Apostres, il s'estoit retiré incontinent, tellement que l'Eglise ait esté destituée du S. Esprit. Voila ce qu'il met en avant, et quant à luy il se veut faire un Mahomet pour avoir le S. Esprit, à sa poste: mais on voit comme le diable l'avoit transporté: et il faut que Dieu ameine telles gens iusques la, afin que nous les ayons en plus grande detestation. Or de nostre costé suyvons l'ordre que i'ay desia dit, c'est assavoir que nous soyons enseignez selon que Dieu nous a institué la regle, et que nous ne soyons point si temeraires de vouloir obliger Dieu pour le faire condescendre à nos appetis, ni à nostre guise. mais que nous nous contentions de l'escriture saincte, veu que Dieu nous a enclos en ces bornes-là.

Au reste quant à ce qu'Eliphas dit, Qu'il a ouy la voix en silence c'est pour monstrer que Dieu l'avoit preparé en sorte qu'il a retenu ce qui luy avoit esté dit. Car un homme estant ravi comme en extase, pourroit bien ouir quelque chose, et neantmoins il n'auroit point un certain recueil pour estre reduit à soy: comme il y en a beaucoup quand ils viendront au sermon, ils auront bien ouy les propos qu'on aura tenus, mais ils n'en auront point d'apprehension, tellement que si on leur demande, qu'est-ce qu'on a traicté, ils n'en sauront parler d'un mot. Et pourquoy? Car ils bastissent des chasteaux en Espagne (comme on dit) les uns pensent ici, les autres là., ils ne font que voltiger en l'air, ils ne sont point la arrestez pour donner silence a Dieu. Car toutes telles vaines fantasies que nous concevons, et qui nous vienent en l'esprit,

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sont autant de tumultes pour empescher que Dieu ne soit point ouy et escouté, comme il doit. Ainsi donc ceux qui vaguent en leurs imaginations ne peuvent pas comprendre ces choses pour dire, Voila une doctrine gui nous doit estre commune, nous en devons estre resolus par foy. Pour ceste cause Eliphas dit, Que ceste voix est venue en silence: car il mettoit auparavant, que Dieu l'avoit tellement disposé, qu'il falloit qu'il escoutast, et qu'il fust attentif à ce gui luy seroit dit. Or c'est ce que i'ay desia touché, que quand nous venons pour ouir la parole de Dieu, il ne faut point que nous ayons nos esprits ainsi vagabonds ça et là, mais qu'ils soyent retenus en bride pour donner pleine audience à Dieu, que nos affections charnelles et nos vanitez ne nous desbauchent point, et ne nous destournent ne çà ne là: bref que nous soyons paisibles pour escouter tout ce que Dieu voudra dire, afin que cela soit vrayement entendu do nous. Voila donc ce que nous avons à recueillir de ce passage.

Or venons maintenant à la doctrine que traicte ici Eliphas. l'homme sera-il plus iuste que Dieu? et l'homme sera-il plus pur que son Createur? Voici il ne trouve point de fermeté, (ou verité) en ses serviteurs, il a iugé qu'il y a folie (ou vanité en ses Anges: que sera-ce donc de ceux qui habitent en maisons d'argile? Eliphas met ici en premier lieu la sentence, et comme le theme qui luy est propose, c'est assavoir que c'est une rage aux hommes de se vouloir glorifier en comparaison de leur Createur. Ne faut-il pas que les hommes soyent desprouveus de sens et de raison, quand ils se veulent ainsi glorifier en comparaison de Dieu? Voila le theme. Or pource que les hommes ne quittent pas aiseement leur authorité pour passer condamnation, voici une raison qu'il adiouste pour confermer sa doctrine, c'est que si Dieu examine ses Anges, il y trouvera à redire, il n'y aura point de fermeté en eux, mais ils se trouveront creatures vaines et debiles. Si les Anges sont tels, que sera-ce des hommes gui habitent en maisons de fange? Car qu'est-ce que de Dos corps? Quel fondement y a-il? quelque fermeté qu'il semble y estre, il ne faut qu'une petite pluye pour abbatre tout Puis qu'ainsi est donc, sachons maintenant que nous ne pouvons pas subsister en la presence de Dieu, si nous venons là; presumans d'y apporter quelque iustice, veu que les Anges mesmes n'y peuvent satisfaire. Voila en somme ce qui nous est ici dit. Or nous avons à regarder comment c'est qu'il est ici fait mention des Anges. Aucuns pource qu'il leur sembloit qu'il y eust de l'absurdité, que Dieu ne trouvast point ses .Anges du tout iustes, ont conclu qu'ici il n'estoit point parlé des Anges qui ont persisté en l'obeissance de Dieu, mais de ceux

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qui sont cheus, et sont devenus apostats. Car les diables ont esté Anges de Dieu, mais ils n'ont point retenu le degré auquel ils avoyent esté creez, et sont tombez d'une cheute horrible, tellement qu'il faut qu'ils soyent les miroirs de perdition. Voila donc comme plusieurs ont exposé ce passage, Veu qu'il n'y a point eu de fermeté aux Anges, lesquels sont trebuschez ici bas, que sera-ce des hommes qui ont un fondement d'argille? Mais il ne faut point que nous cerchions des expositions contraintes pour magnifier les Anges: car il est ici parlé des serviteurs de Dieu, et ce titre est honorable. Eliphas n'eust point dit, Dieu ne trouve point de fermeté en ses serviteurs: mais il eust dit, Voila les diables qui estoyent auparavant deputez au service de Dieu: or ils sont trebuschez d'une façon si horrible que par leur cheute tout a esté esbranlé, que le genre humain mesme est venu en semblable perdition, qu'il a esté attiré à une mesme ruine. Eliphas eust parlé ainsi: mais il dit, Dieu ne trouve point de verité en ses Anges, il y trouve folie, ou vanité: il ne dit pas rebellion ou apostasie, mais il dit seulement vanité, il parle plus doucement. Ainsi donc quand tout sera bien consideré, il n'y a nulle doute qu'ici Eliphas ne parle des Anges qui servent à Dieu, et qui s'y adonnent du tout. Et comment donc est ce qu'il dit qu'il n'y a point de fermeté, mais plustost qu'il y a de la vanité et inconstance? Quand sainct Paul dit (1. Tim. 6, 16), qu'il n'y a que Dieu seul immortel, il est certain qu'il exclud. toutes creatures: et toutesfois nous savons que les Anges sont esprits immortels: car Dieu les a creez à ceste condition-la pour n'estre iamais aneantis, non plus que l'ame des hommes ne doit iamais perir. Comment donc accorderons nous ces passages; que les Anges sont creez pour vivre à iamais, et qu'il n'y a que Dieu seul-immortel? La solution est bien aisee. Car les Anges sont immortels, entant qu'ils sont soustenus par la vertu d'enhaut, et que Dieu les maintient, luy qui est immortel de nature, et la fontaine de vie est en luy: comme il est dit Pseaume 36 (v. 10): Seigneur la fontaine de vie gist en toy, et en ta clarté nous verrons clair. Or puis qu'ainsi est donc qu'il n'y a vie qu'en Dieu seul, et toutesfois cela n'empesche point qu'il n'y ait vie espandue sur toutes creatures, laquelle procede de sa grace: voila comme les Anges sont immortels, et toutesfois ils n'ont nulle fermeté en eux, mais il faut que Dieu les conforme par sa pure bonté: sans cela il en adviendroit ce qui est dit au Pseaume centquatrieme (29), Quand tu auras retire ton Esprit, tout defaudra. Qui est-ce donc qui donne vigueur aux Auges de paradis, sinon l'Esprit de Dieu? Et ainsi nous voyons qu'ils n'ont pas. d'eux-mesmes ce que Dieu leur a donné, et qu'ils n'en peu

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vent pas avoir une iouyssance permanente, sinon que Dieu continue Geste grace qu'il a mise en eux. Or tout ainsi que nous parlons de la vie, il faut aussi parler de la iustice. Les Anges ne sont point fermes sinon que Dieu leur tiene la main, ils sont bien nommez Puissances et Vertus: mais c'est d'autant que Dieu execute sa puissance par eux, et qu'il les conduit: brief les Anges n'ont rien en eux mesmes dequoy ils se puissent glorifier. Car tout ce qu'ils ont do puissance, et de fermeté, ils le tienent de Dieu, ils luy sont d'autant plus redevables. Quant à ce qui s'ensuit que Dieu y trouve, ou y met (car le mot emporte Gela, que Dieu y met) folie ou vanité: ce n'est pas que la vanité qui est aux Anges soit de Dieu, mais il dit qu'il l'y met par iugement: c'est à dire que comme iuge il prononce qu'il y a folie et vanité aux Anges, c'est à dire qu'il y a de la faute, voire, et qu'ils ne pourroyent pas subsister devant luy, quand il les voudroit traitter à la rigueur. Il est vray que ceci semble nouveau à ceux qui no sont point exercez en l'Escriture saincte: mais si nous cognoissons que c'est do la iustice de Dieu, il no se faut point esbahir que les Anges mesmes soyent trouvez coulpables, quand il les voudroit accomparer à luy: car il nous faut tousiours revenir à ce point, que les biens qui sont aux creatures sont en mesure petite au pris de ce qui est en Dieu, qui est du tout infini. Il noua faut donc tousiours discerner entre l'un et l'autre: voila les Anges qui ont des vertus admirables, voire si nous regardons à nous (car cependant que les Anges demeureront au reng des creatures, nous les pourrons bien glorifier) mais quand nous viendrons à Dieu, il faut que la grandeur de Dieu engloutisse tout, ainsi que nous voyons le soleil qui obscurcit toutes les estoiles du ciel. Et qu'est-ce du soleil? c'est une planete aussi bien que les autres: neantmoins pource que Dieu a donné à ceste creature-la d'avoir plus de clarté que les autres estoiles, il faut que tout soit englouty qu'on n'apperçoive point les estoiles quand le soleil domine. Et que sera-ce donc, quand Dieu viendra en avant? comme dit le Prophete Isaie, qu'il n'y aura plus ne soleil ne lune, que la clarté de Dieu sera telle qu'elle sera veuë et cognuë par tout. Quand Isaie parle du royaume de Dieu, il monstre qu'il faut quo tout soit aneanti et qu'il n'y ait que Dieu seul qui soit glorifié (Isa. 24, 23). Puis qu'ainsi est donc rapportons à cela ce qu'est ici dit, c'est assavoir quo Dieu trouve defaut aux Anges, combien qu'ils soyent ses serviteurs. Or cela n'empesche point quo le service des Anges qu'ils rendent à Dieu ne soit parfait, selon qu'il peut estre aux creatures: comme de fait quand en nostre oraison nous demandons. à Dieu que sa volonté soit faicte on la terre comme au ciel, nous protestons

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qu'il n'y a point de contredit en l'obeissance qui luy est rendue par les Anges, mais qu'il domine en eux d'une façon si paisible, qu'ils sont du tout conformez à sa volonté, mais il nous faut tousiours retenir ce que i'ay touché, c'est assavoir que quand on demeure aux degrez et au reng des creatures, il y aura aux Anges une perfection, voire comme aux creatures mais quand ce vient à Dieu, ceste perfection-la est comme engloutie ainsi que les estoiles n'apparoissent plus quand le soleil donne sa clarté. Et an reste il nous faut bien noter cc que dit S. Paul (Colos. 1, 20), que Iesus Christ est venu pour recueillir les choses qui estoyent tant au ciel qu'en la terre. Or il monstre par cela, que les Anges ont leur fermeté en ceste grace de nostre Seigneur Iesus Christ, entant qu'il est Mediateur de Dieu et des creatures. Il est vray quo Iesus Christ n'a point esté Redempteur des Anges: car ils n'ont point besoin d'estre rachetez de la mort en laquelle ils ne sont iamais tombez: mais il à bien esté leur Mediateur. Et comment? afin qu'il les conioigne à Dieu en toute perfection: et puis il faut qu'il les maintiene par sa grace, et qu'ils soyent preservez afin de ne point tomber. Or puis qu'ainsi est que Dieu trouve à redire en ses Anges, c'est à dire, qu'il n'y a point de fermeté, sinon qu'ils soyent maintenus d'enhaut, que sera-ce de nous? Il nous faut venir à ce qu'Eliphas adiouste. Les hommes sont ils d'une telle gloire, voire d'une telle vertu que les Anges de paradis? qu'on regarde leur condition, car comment est-ce que nous sommes creez? nous habitons en ces loges corruptibles et caduques: glorifions-nous tant que nous voudrons, mais tant y a qu'il n'y a que vanité en nous, c'est à dire, nos corps sont autant de terre et de poudre, et faut quo tout s'en aille on corruption. Puis qu'ainsi est donc quo nous habitons on maisons do fange, voulons nous estre plus excellens que ceux qui habitent eu la gloire de Dieu, et contemplent desia sa face? Voila les Anges qui ne sont point subiets à nuls changemens ni revolutions de ce monde, ils habitent desia en ceste immortalité celeste, et nous experimentons que nostre vie n'est qu'un souffle, qu'il ne faut qu'une minute pour nous ravir de ce monde. Puis qu'ainsi est donc, comment est-ce que nous presumons encores de nous? Brief, il n'y a nulle fermeté aux hommes, laquelle ne s'escoule et ne s'esvanouisse tantost. Ainsi donc apprenons quand il est question de Dieu et de nous de bien regarder d'un costé, Voila Dieu. Il est vray que nous n'apprehendons point sa vertu puissante, comme il appartient: mais les Anges qui sont maintenant plus prochains de luy, et qui contemplent sa face n'ont point encores une telle perfection qu'il n'y trouvast à redire s'il les vouloit examiner à la rigueur. Que sera-ce

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donc do nous' si nous regardons à l'infirmité qui y est? que sera-ce de nos vertus, quand nous les voudrons accomparer à celles des Anges, qui sont creatures si nobles et si excellentes? Voila donc ce que nous avons à retenir maintenant de ce

passage. Car le reste ne se pourroit pas deduire pour le present.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE DIXSEPTIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE IV. ET V. CHAPITRE.

Ce sermon contient encore l'exposition du 18. et 19. versets du quatriéme chapitre et ce qui s'ensuit

20. Dés le matin iusqu'au vespre, ils sont abbatus, et d'autant que nul n'y met le coeur ils perissent à iamais. 21. Leur excellence ne s'en ira-elle point en eux? ils periront, non pas en sagesse.

CHAPITRE V.

Appelle maintenant s'il y a qui te responde, et regarde à quelqu'un des Saincts. 2. Il est certain que le despit tue le fol, et l'envie met à mort I'insensé.

Nous avons desia veu à quoy tend ce propos, c'est assavoir afin d'humilier les hommes, d'autant qu'ils sont bien loin de la perfection des Anges. Or est-il ainsi, que si Dieu vouloit iuger de ses Anges à la rigueur, il y trouveroit à redire: que sera-ce donc de ceux qui sont Ai fragiles, pour dire en un mot, qu'ils n'ont en eux que vanité? Cependant il pourroit sembler que ce qui est ici recité ne fust point suffisant pour prouver l'intention d'Eliphas. Car combien que les hommes soyent debiles, combien que leur vie ne soit rien, il ne s'ensuit pas pourtant que devant Dieu ils soyent ne pecheurs ne coulpables: car ce sont choses separées de dire que nostre vie est caduque , et s'esvanouit en une minute de temps, et que Dieu nous puisse condamner. Mais quand tout sera bien regardé, les raisons qui sont ici amenées sont à propos: car il n'est point simplement parlé de la fragilité des hommes, quant à leurs corps, mais qu'ils habitent ici en ceste chair corruptible, et qu'ils sont si terrestres qu'ils ne pensent point à eux' combien qu'ils ayent tousiours la mort devant I les yeux. Il noua faut aussi noter la comparaison telle qu'elle est ici mise entre les Anges, et les hommes mortels. Voila les Anges qui sont prochains de Dieu. et contemplent sa gloire ;ils sont

du tout adonnez à son service: et toutesfois il n'y a point de fermeté en eux, sinon d'autant qu'ils sont soustenus par la grace do Dieu: ils pourroyent mesmes s'escouler, et s'esvanouir n'estoit que Dieu les conservast par sa pure bonté. Or venons maintenant aux hommes. Oh est-ce qu'ils habitent ? ils sont bien eslongnez de ceste gloire celeste, ils sont ici en ceste loge caduque: car que sont-ce que nos corps? Nous sommes donc en des sepulchres à parler proprement: car nos corps sont des prisons aussi obscures pour empescher que nous ne regardions à Dieu, comme si desia nous estions sons terre. Quel est nostre fondement ? Poudre: et cependant nous ne regardons point neantmoins, que nous allons tousiours en decadence, que la mort nous menace incessamment: nous ne regardons point à cela. Il ne se faut point donc esbahir si aux hommes il n'y a que toute povreté, veu que les Anges qui sont si prochains de Dieu n'ont pas une perfection tant exquise que si Dieu vouloit entrer en iugement avec eux, il ne les condamnast. Nous voyons maintenant que l'argument dont use ici Eliphas est bien propre et convenable: mais il reste de boiser les mots qui sont ici touchez pour en faire nostre profit. Il est vray quand on nous parle de la briefveté de nostre vie, nous estimons que ce soit quasi une chose superflue: car qu'est-ce qui ne le cognoist ? mais ce n'est point sans cause que Die' nous en traite tant souvent, et nous le reduit en memoire: car si nous avions bien comprins que c'est de nostre vie, il est certain qu'en premier lieu nous ne serions point tant adonnez au monde, comme nous sommes nous n'y aurions pas nos pensees tant eslourdies et puis nous regarderions au royaume des cieux, et serions là arrestez du tout. Or Nous mesprisons la vie celeste, et sommes tant ici envelopez qu'on ne nous en Peut retirer. Il s'ensuit donc que nous

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ne savons que c'est de ce qu'un chacun confesse, c'est assavoir, que nostre vie n'est qu'une ombre qui passe; que l'homme est semblable à une fleur, ou à une herbe qui verdoye, mais qu'incontinent elle desseche et fletrist. Bref, combien que les proverbes ayent esté assez communs, et soyent tousiours quant à la briefveté de ceste vie humaine, si est-ce que cela ne nous entre point au coeur. Et voyla pourquoy nous sommes exhortez à y penser mieux, et de faict si nous pouvions conter nos ans comme Moyse en parle au Pseaume nonante v. 12, il est certain que nous serions enseignez tant à penser à la mort, qu'à tendre au but auquel Dieu nous appelle. Hais quoy? nous ne savons conter sur nos doigts. Car voila l'enfance qui est telle, que ceux qui sont là ne different quasi rien d'avec les bestes brutes, sinon qu'ils empeschent beaucoup plus, et font plus de nuisances et de molestes, mais il n'y a ni intelligence ni raison aux petis Et bien, approchons nous de l'aage d'homme? les cupiditez sont bouillantes, qu'on ne nous peut tenir en bride. Sommes-nous venus en aage d'homme? cela se passe tantost: et puis la vieillesse nous adiourne, qu'il ne reste sinon que nous sommes ennuyez de vivre, et que nous faisons ennuy et peine aux autres. Si donc nous savions conter par nos doigts le cours de nostre vie, il est certain que nous ne serions point tant hebetez comme nous sommes. Et pourtant ne pensons point avoir perdu nostre temps quand nous aurons applique nostre estude à ceste doctrine, c'est assavoir que nous cognoissions que nostre vie n'est rien, et qu'il y a cent mille morts, qui nous menacent en la plus grande vigueur que nous ayons ici bas. Quand quelqu'un de nos parens ou amis trespasse, que nous voyons aussi porter quelque corps en terre, nous savons bien dire, Et qu'est-ce que de la vie humaine? S'il y a quelque grande desolation en une ville, ou en un pays, nous sommes encores plus esmeus: mais cela nous eschappe incontinent. Or nous avons besoin de nous exercer en-ceste doctrine tout le temps de nostre vie: et voila pourquoy l'Escriture nous en parle ainsi. Quant au passage present il est dit en premier lieu, que les hommes habitent en maison d'argile, et que leur fondement n'est que poudre: c'est à dire, si nous estimons seulement la vie presente, en quoy est-ce qu'elle consiste? c'est que nous sommes ici enclos dedans des loges qui no tendent qu'à corruption. Que sont-ce que nos corps ? Voila donc quelle est nostre fermeté, c'est assavoir, que tout s'en va en poudre incontinent, et sommes consumez on par vers, ou de vent, c'est à dire plustost qu'un ver nous sommes esteincts qui n'est rien, et lequel nous n'estimons pas une creature vivante, et nous sommes consumez plustost que

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cela. Voila donc ce qui nous est ici dit en premier lieu.

Et puis Eliphas adiouste, Que dés le matin iusques au soir les hommes perissent, et sont consumez. On expose ceci comme s'il estoit dict qu'en peu de temps les hommes perissent: et cela est bien vray. Mais cependant il y a d'avantage, c'est assavoir, que nous ne passons minute de nostre vie que ce ne soit comme pour approcher de la mort. Si nous regardons bien, quand l'homme se leve le matin, il ne sauroit marcher un pas, il ne sauroit prendre sa refection, il ne sauroit tourner la main, que ce ne soit tousiours en vieillissant: sa vie s'accourcist: nous devons donc cognoistre à veuë d'oeil que nostre vie nous eschappe et s'escoule. Voila que c'est d'estre consumez du soir et du matin. Or il est dit puis apres que les hommes perissent à iamais, d'autant que nul n'y pense. Nous avons à traiter ces deux articles pour faire nostre profit de ceste doctrine. L'un est que quelque chose que nous facions, la mort nous soit tousiours devant les yeux, et que nous soyons solicitez d'y penser. Cela (comme i'ay dit) sera bien cognu des hommes, les Payens en ont bien seu parler ainsi: mais quoy? chacun se voudra faire docteur pour enseigner ce qui est ici contenu, et cependant nul n'en est bon disciple: car il n'y a celuy qui monstre que iamais il ait cognu que c'est d'estre consumé depuis le matin iusques au soir: c'est à dire que toute sa vigueur est debile, et qu'il n'y a nulle fermeté en nous pour nous tenir en un estat permanent: mais que tousiours nous tendons à la mort, qu'elle approche de nous, et qu'il faut que nous venions là. Il est vray que si nous n'avions que ceste simple doctrine, ce ne seroit sinon pour nous tempester et fascher: comme quand les Payens ont cognu que nostre vie estoit si caduque, ils ont fait leur conclusions, qu'il val oit mieux ne naistre iamais, et que quand nous estions trespassez bien tost, c'estoit le meilleur pour nous. Voila comme les Payens ont reieté la grace de Dieu, ne cognoissans point l'honneur qu'il nous faict quand il nous met en ce monde, voire pour se monstrer Pere envers nous. Car estans creatures raisonnables, ayans l'image de Dieu imprimée en nostre nature, nous avons tesmoignage qu'il nous tient ici comme ses enfans: et de mespriser une telle grace, de dire, qu'il vaudroit mieux que iamais nous n'eussions esté creez, ne voila point un blaspheme? Ainsi donc ce n'est point assez que nous cognoissions que vivans en ce monde nous sommes consumez à chacune minute do temps: mais il faut venir au second article, assavoir que quand nous aurons contemplé combien nostre vie est fragile, nous regardions comme nous sommes restaurez par la grace de Dieu, et mesmes comme nous sommes soustenus par luy: comme les

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doux sont aussi conioints au Pse. 104 (v. 29, 30). Car il est dit, que tout s'en ira à neant, si tost que Dieu aura retiré son Esprit et sa vertu. Voire: mais le Prophete aussi adiouste, que si Dieu espand sa vertu, tout est renouvellé on ce monde, que tout reprend vigueur de luy. Voila donc ce que nous avons à noter, c'est assavoir, quand nous aurons cognu que nous sommes moins que rien, et que nous sommes assuiettis tellement à la mort, qu'il faut que nous y courions par maniere de dire maugré nos dents, que nous cognoissions aussi qu'en ceste infirmité si grande, Dieu nous tient la main, que nous sommes appuyez sur sa vertu, que nous sommes confermez par sa grace. Voila en quoy nous avons à nous resiouir: mais le principal est que nous regardions au bien et à l'heur que Dieu nous fait par dessus l'ordre de nature quand il nous restaure par sa parole comme il est dit au Prophete Isaie (40, 6 ss.), Toute chair n'est que foin: il est vray que pour un temps l'homme verdoye, et florist, mais c'est pour flaistrir tantost: au reste la parole de Dieu demeure à iamais, voire non point seulement pour estre permanente aux cieux, mais afin qu'en icelle nous ayons vie qui nous demeure, que nous soyons rachetez de la corruption universelle de ceste vie terrestre, à ce que Dieu habite en nous, afin que nous soyons participans de son eternité. Voila donc oh il nous faut venir pour bien faire nostre profit de ceste doctrine, comme nous en parlerons encores derechef tantost. Au reste voyans que nous defaillons ainsi, que depuis le matin iusques au soir nous allons tousiours pour estre consumez, d'autant plus devons nous employer le temps que Dieu nous donne, veu qu'il est si bref. Dieu nous a mis en ce monde afin de nous exercer à son service: si nous avions longue espace de temps, encores ne pourrions-nous estre trop diligens ni attentifs à faire nostre devoir pour nous en acquiter quand il est question de faire hommage à Dieu et de nos corps et de nos ames: mais voyans qu'il ne faut que tourner la main, et nous voila au bout, ne devons-nous pas estre beaucoup plus attentifs de courir? comme aussi l'Escriture nous exhorte, monstrant que ceste vie ici n'est que une course, qu'il ne faut point que nous cheminions comme d'une façon lasche, mais qu'un chacun s'incite, qu'un chacun se picque, et s'aguillonne. Voila donc ce que nous avons encores à noter de ce passage, quand il est dit que depuis le matin iusques au soir les hommes sont consumez.

Or venons maintenant à ce qu'Eliphas adiouste. Il dit, Qu'ils perissent à iamais d'autant que nul n'y pense. On pourroit ici demander si nous fuyons la mort quand nous n'y pensons point: car il est dit au Pseaume quaranteneufieme (v. 11), que les sages et les fols sont tous amassez en un troupeau.

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Ainsi donc il faut que nous cognoissions que tout le genre humain cet enclos sous ceste necessité la de mourir. Et pourquoy donc est-il ici dit, Que tous perissent à iamais, d'autant que nul n'y pense ? En premier lieu Eliphas nous a ici voulu enseigner, que les hommes sont comme abbrutis quand ils ne regardent point à eux, car nous devons tousiours rapporter à la cause presente ce qu'il dit ici. I} ne traitte pas en general que la vie humaine est caduque pour s'arrester là, mais il nous veut monstrer qu'estans ici povres creatures rempans sur terre, nous ne pouvons pas atteindre à la perfection des Anges, ni en approcher. Ainsi donc quand il dit que tous perissent à iamais, d'autant que nul n'y pense, il signifie, que les hommes s'en vont, estans comme abbrutis sans iugement, sans discretion, et sans avoir premedité la mort de long temps: et pourtant ils se trouvent surprins. D'autre costé il veut monstrer que c'est des hommes en leur nature, sinon que Dieu les ait recueillis à soy, et qu'il les ait gouvernez par son sainct Esprit afin qu'ils entendent à sa doctrine. Voila deux poincts que nous avons ici à noter. Or quant au premier ceci approche du passage que nous avons aussi bien allegué du Prophete (Pseau. 49, 14. 15): car là le Prophete se moque de la nonchallance des hommes lesquels feront leur conte de tousiours demeurer ici bas, combien qu'ils doivent bien appercevoir que c'est de leur vie, c'est assavoir qu'il ne faut que tourner la main et la voila cassee. Mais nul n'y pense, il semble que les hommes prenent plaisir à s'abuser, et à se mettre en oubly, ils ne regardent point à leurs issues, mais ils se font à croire qu'ils sont comme des idoles: n'est-ce pas s'abrutir à son escient que cela ? Or le Prophete dit que ceste folie-la est redarguée, qu'on cognoit bien par experience que les hommes se deçoivent, et se précipitent en ruine, quand ils se bastissent une telle immortalité qu'ils imaginent qu'ils demeureront tousiours ici bas. Voila donc une folie qui est convaincue à l'oeil: mais tant y a (dit-il) que leurs successeurs n'en viennent point plus sages, ils sont là amassez en un troupeau comme des moutons, le sepulchre engloutist et grands et petis: et cependant nul n'y pense. Voila qui se rapporte aux propos d'Eliphas. Ainsi donc notons, que le sainct Esprit nous veut admonester qu'estans ainsi caduques nous devons tousiours avoir devant les yeux là mort, afin que nous y tendions, et que nous ne soyons point saisis de frayeur quand Dieu nous voudra retirer de ce monde, que nous ne soyons point estonnez: comme nous voyons que la pluspart sont saisis d'un tel estonnement, qu'ils ne savent où ils en sont. Quand donc nous aurons ainsi premedité de longue main quelle est nostre fin, et à quelle condition nous sommes creez

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alors nous ne perirons point comme fols sans y penser.

Or il v a encores plus, c'est assavoir qu'il nous faut regarder plus loin qu'à ce simple propos, si nous ne voulons perir à iamais. Pourquoy? Car il est ici parlé des hommes en leur nature. Or il est certain qu'il faut que nous soyons tous consumez si nous ne regardons à ce renouvellement que Dieu fait par sa vertu spirituelle. Et pour mieux comprendre cela, prenons ce qui est dit au Pseaume 102 (v. 27 ss.). Là, afin que les hommes ne se prisent point en leur estat, et qu'ils ne se glorifient point d'aucune vigueur, le Prophete nous donne mesmes les cieux pour exemple. Combien que nous voyons là une maiesté si haute que nous sommes contraints d'estre ravis en estonnement, toutesfois si faut-il que les cieux mesmes vieillissent, et qu'ils se changent et qu'ils s'en aillent en corruption comme une robe: et que sera-ce donc des hommes? ne faut-il pas qu'ils soyent beaucoup plus fragiles? Mais cependant (dit-il) les fils des fils habiteront: quand nous serons adonnez à la crainte de Dieu, nous aurons une condition ferme, et bien establie. Voila le Prophete qui separe de l'ordre commun de nature les enfans de Dieu, quand ils ont ceste semence de vie en eux dont aussi parle sainct Paul au 8. des Romains (v. 10, 11). Car voila comme il nous console, d'autant que nous sommes chargez de ce fardeau et de ceste masse corruptible de nostre corps: nous avons (dit-il) l'Esprit de Dieu qui est semence de nostre vraye vie et par la vertu d'iceluy nous serons une fois pleinement restaurez. Et ainsi notons bien, que ceux qui pensent comme ils doivent à leur fragilité, apres avoir cognu qu'ils ne sont rien, qu'il n'y a que vanité et mensonge en eux, ceux-la ne perissent point du tout. Et pourquoy? Car ils cerchent le remede qui leur est presenté de Dieu, c'est qu'ils seront recueillis de ceste servitude de mort, et que Dieu les renouvelle apres les avoir choisis à soy, qu'il fait decouler sa vertu sur eux, qu'ils puisent de ceste fontaine de vie. Voila donc comme ceux qui pensent bien et à la vie presente, et à l'issue, ne peuvent estre consumez à iamais, d'autant que Dieu remedie à leur condition miserable, en laquelle nous sommes nez de nature, et les appelle à soy. c'est ce que nous avons à recueillir de ce passage: et c'est ce que i'avoye touché n'agueres, assavoir que quand nous aurons simplement cognu que nostre vie n'est rien, cela ne nous profitera pas beaucoup. Pourquoy ? Nous demourerons confus. Mais si nous voulons prendre courage, il faut que nous regardions tous les deux, c'est assavoir que voyans la povreté qui est en nous iusques à tant que nous soyons prochez de nostre Dieu, nous gemissions: que nous ne facions point comme font ces gens prophanes

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qui sont enyvrez en leurs pompes ou delices, ou richesses, qui se trompent et deçoivent de leur bon gré: comme nous avons dit qu'il nous faut oster tous ces bandeaux-la, ouvrir les yeux et puis apres que nous venions à nostre Dieu, ayans cognu la miserable condition en laquelle nous sommes, que nous sachions que Dieu nous tiendra la main, d'autant qu'il ne demande que de nous subvenir et nous retirer des tenebres ausquelles nous sommes de nature. Voila ce que nous avons à noter en somme.

Or il est dit quant et quant, Que l'excellence des hommes sera ostee en eux, et qu'ils periront non point en sagesse. Il est vray qu'il faut que nous soyons humiliez par la mort, c'est à dire que Dieu nous despouille de toute gloire, et que nous soyons comme reduits à neant, afin de cognoistre que toute nostre fermeté et vertu ne procede d'ailleurs sinon de la bonté gratuite de nostre Dieu: bref que nous vivions non pas en nous, mais d'autant qu'il plaist à Dieu de nous approcher de soy, et que nous puisions de ceste plenitude qui est en luy, comme il nous l'a donnee en nostre Seigneur Iesus Christ. Car c'est la fontaine qui nous est ouverte, et que Dieu nous monstre, et à laquelle il nous convie afin que do là nous soyons rassasiez. Il faut donc quo nous soyons aneantis en nostre nature: mais cependant nous savons que Dieu nous revestira apres nous avoir despouillez. Et voila pourquoy sainct Paul en disant quo nous gemissons cependant que nous avons à vivre ici bas, non point (adiouste-il, que nous appetions d'estre desnuez (car nous demandons d'estre, voila où nostre nature nous pousse) mais nous savons (dit sainct Paul [2. Cor. 5, 2]) qu'il y a un edifice meilleur qui nous est appresté, quand ceste loge ici sera abbatue, et que Dieu nous aura revestus de son immortalité, et qu'il nous aura reduits en nostre vray estat. Et c'est en ceci que nous differons d'avec les incredules, ceux qui ne goustent rien de la grace do Dieu. Et voila pourquoy il est dit en ce passage, Toute leur excellence ne sera-elle point ostée avec eux ? Or si on contemple quel est l'estat des hommes, et qu'on regarde ce que c'est d'eux, il faut conclure qu'ils sont aneantis par là mort: mais nous avons la grace de Dieu qui nous est un secours supernaturel, tellement qu'en perissant, nous ne perissons point, estans desnouez, nous sommes incontinant revestus comme i'ay desia dit. Et voila pourquoy Eliphas adiouste, Non point en sagesse. Car il veut tousiours condamner les hommes d'autant qu'ils sont si stupides, qu'ils ne pensent nullement à eux. Notons donc que c'est une grande sagesse de nous preparer à la mort, et quand nous y sommes venus, de passer par là allegrement: que nous aurons (di-ie) beau

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coup profité, et au regard do Dieu nous serons reputez sages, quand nous aurons bien apprins ceste leçon ici, et que nous la pourrons pratiquer pour en recevoir le fruict, et neantmoins nous voyons qu'un chacun la fuit: car c'est matiere de melancolie, tellement que si on parle de la mort, chacun se despite et se chagrigne. Tant y a neantmoins que si les hommes n'appliquent là leur estude il faut qu'ils s'esvanouissent en tous leurs sens, et en tous leurs conseils: il faut que toute la plus grande prudence qu'ils cuident avoir soit tournée en folie. Et pourquoy? y a il folio plus grande que de se mescognoistre? oh est toute la prudence et discretion 7 sinon de regarder à nous? Et ainsi ceux qui ne pensent point à la mort, et qui no la reduisent point en memoire, ceux-la se transportent tant qu'il leur est possible: ils veulent faire des chevaux eschappez en se mettant en oubly. Nous voyons donc que c'est autant comme s'ils vouloyent ensevelir tout le sens et toute la raison quo Dieu leur a donnée. Ce n'est point donc sans cause qu'Eliphas condamne ici les hommes, d'autant qu'ils meurent et non pas en sagesse: c'est à dire que combien que Dieu les ait advertis là où il falloit venir, et qu'il leur ait mis leur but devant pour dire, Tendez là, ils s'esgarent tout le temps de leur vie, ils ne savent où ils vont: quand il est question do partir d'ici ils grondent, ils murmurent, ils resistent à Dieu et bataillent contre luy, et encores qu'ils ne profitent rien, si est-ce qu'ils monstrent une rebellion furieuse.

Or donc maintenant nous voyons en somme ce que nous avons à noter de ce passage: il reste de voir la conclusion que fait ici Eliphas, c'est qu'il dit à Iob, que quand il se tournera de tous costez, il ne trouvera nul fidele qui soit de son reng, ne son compagnon, mais qu'il est comme reietté de Dieu. En cela voyons nous que quand il parle ci dessus des hommes' il les a prins en leur pur naturel c'est à dire ne regardant point à la grace speciale que Dieu fait aux siens, quand il leur ouvre la porte de son royaume, qu'il leur donne esperance de salut, qu'il les gouverne par son sainct Esprit, qu'il les fait tendre à une vie meilleure, et permanente. Eliphas donc a voulu ici mettre les hommes à leur condition et estat tels qu'ils l'ont, cependant qu'ils sont separez de Dieu. Et cela se monstre quand il dit à Iob, Tu ne pourras trouver un seul homme fidele, qui soit de ton reng, ne quo tu le puisses dire ton compagnon. Pourquoy? Car (dit-il) le despit tue les fols et l'envie, ou le chagrin, ou une cholere qui est pour ronger l'homme comme une beste sauvage, c'est cela, dit - il, qui meurtrit les insensez. Or il est vray que selon quo desia nous avons declaré, Eliphas applique ceci tresmal à la personne de Iob et luy fait grande iniure:

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mais cependant si est-ce que ceste doctrine ne laisse pas d'estre vraye et bien utile. Et comment? C'est assavoir que toutes fois et quantes que nous sommes chastiez de la main de Dieu, nous avons à regarder à ceux qui ont marché devant nous, ils ont enduré semblables tormens et angoisses. Car si nous voyons les enfans de Dieu qui nous monstrent le chemin, il ne faut point que nous soyons faschez d'estre conioints avec eux. Comme quoy? Nous voyons les saincts Peres qui ont esté excellens par dessus les autres, ceux-la ont enduré tant de maux quo rien plus: si Dieu no les a point espargnez, pourquoy demanderons nous plus de privilege qu'eux ? Ainsi donc toutes fois et quantes quo nous voyons les enfans de Dieu avoir esté batus do beaucoup de verges, avoir esté tourmentez en beaucoup do maux et do fascheries, nous avons dequoy nous consoler et nous resiouir. Car il nous faut tousiours regarder à l'issue, et comme Dieu no les a iamais abandonnez, mais a eu pitié d'eux, quand ils sont venus à telles extremitez. Ainsi nous devons esperer qu'il en fora autant do nous. Voila pour un Item. Au reste si nous voulons quo Dieu nous soit pitoyable et propice en nos adversitez, gardons-nous de nous despiter contre luy, ne do regimber contre l'esperon: car autrement ceste sentence s'accomplira sur nous, c'est que le despit tue le fol: comme s'il estoit dit, que ceux qui se despitent et grincent les dents à l'encontre des afflictions, monstrent qu'ils ont mal profité en l'escole do Dieu. Et que gaigneront-ils en la fin ? Ce sera pour redoubler leur mal: quand ils auront escumé leur rage à l'encontre de Dieu, qu'ils auront desgorgé mesmes des blasphemes, pensent-ils pourtant avoir gagné leur cause? Helas il ne le faut pas ils s'abusent bien: car (comme i'ay dit) ce sera tousiours pour redoubler leur affliction. Voila comme le despit tue le fol. Et puis quand ils sont envieux sur les autres, voulans contester à l'encontre de Dieu, de ce qu'il les traite plus rudement que cestui-ci, ou cestui-la: que fait telle ialousie, sinon qu'ils se consument d'eux mesmes, qu'il faudra questans peris, on la fin ils soyent aneantis du tout? Voila ce quo nous avons à recueillir de ce passage.

Or les Papistes ont esté trop sots, quand ils se sont servis de ce propos d'Eliphas pour prouver qu'on doit invoquer les saincts trespassez, et qu'on doit avoir son refuge à, eux, Voila, il est dit quo Iob regarde à quelqu'un des Saincts, et qu'il le cerche, voir s'il luy respondra. C'est bien à propos: car est-il dit ici que Iob aille cercher des morts qui intercedent pour luy envers Dieu ? Mais au contraire (comme desia nous avons monstré) il n'est question, sinon qu'il ne trouvera nul des saincts qui soit de son reng. Et pourquoy? Car

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les saincts en leurs afflictions ont esté tousiours d'un esprit debonnaire, et Dieu les a tellement chastiez, qu'il a moderé sa rigueur, que l'issue a esté bonne et heureuse: et combien que pour un temps ils ayent esté comme reiettés de sa main en sorte qu'on ne pouvoit point appercevoir qu'il eust le soin d'eux, toutesfois si se sont ils remis à luy, ils l'ont tousiours invoqué, sachans bien qu'ils ne seroyent iamais abandonnez de luy, Di frustrez du salut qu'il leur avoit promis. Voila l'intention d'Eliphas. Ainsi donc nous voyons comme les Papistes sont faussaires, et qu'ils ont manifestement corrompu l'Escriture saincte. Vray est qu'il leur faut pardonner en une chose, ie ne dy point seulement en leur bestise, mais d'autant qu'il falloit bien qu'ils pervertissent l'Escriture saincte pour prouver leurs songes. Ils veulent faire à croire qu'on doit prier les saincts trespassez: et de cela l'Escriture saincte n'en sonne mot: on ne peut pas avoir une seule syllabe de bonne probation. Or ils le veulent prouver: il faut donc qu'ils confondent tout, et que le blanc soit tourné en noir. Mais cependant nous avons à detester toutes inventions humaines qui ont esté folement controuvées sans l'authorité de Dieu. Et pourquoy? Car premierement les hommes s'esgarent du droit chemin de salut quand ils suyvent leurs imaginations propres: et puis cela est cause que l'Escriture saincte est en la fin descirée par pieces, qu'on la corrompt, et qu'on renverse tout. Apprenons donc de detester tout ce que les hommes auront forgé en leur cerveau, et nous tenons à ceste simplicité, que nous ne devons appeter de rien savoir, sinon ce que Dieu nous a declaré de sa propre bouche. Or pour conclure notons bien ces deux articles que nous avons desia entamez, c'est assavoir, toutes fois et quantes que nous sommes affligez de la main de Dieu, que nous advisions si les fideles qui ont cheminé devant nous, n'ont point esté en semblable condition: si nous voyons que Dieu les ait exercez par beaucoup de fascheries, consolons nous quand il faudra que nous les ensuyvions, et cognoissons que Dieu ne nous laissera non plus qu'il les a delaissez au besoin. Et au reste quand nous voyons auiourd'hui que Dieu nous afflige tant en general qu'en particulier, et qu'il faut que nous endurions beaucoup et tourmens et de fascheries, cognoissons que nous en sommes bien dignes, attendu l'ingratitude qu'on voit en nous. Car quand il a pleu à

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Dieu de nous appeller à la cognoissance de son Evangile, qu'il nous rend tesmoignage que nous sommes ses enfans, comment est-ce que nous faisons profiter ceste grace-là? Au contraire il semble que nous prenions plaisir à l'aneantir, et la rendre inutile. Comment est-ce que Dieu est servi et adoré de nous? Nous devrions estre comme petis Anges par maniere de dire, attendu la clarté de l'Evangile que Dieu nous donne. Cependant nous voyons que c'est: qu'il n'y a que malice et hypocrisie en la plus part: nous saurons bien faire quelque protestation de foy, mais qu'on examine la vie, et on trouvera qu'il n'y a nulle conformité à l'Evangile, qu'il semble plustost que nous ayons conspiré à l'encontre de Dieu de nous eslongner de luy. Nous voyons comme ceux qui avoyent quelque. belle apparence s'abbrutissent: et ainsi sachons que Dieu nous visite par ses fleaux à cause de nos pechez: toutesfois ne laissons point d'esperer tousiours en luy, de l'invoquer, le prians qu'apres avoir ensevely nos fautes passees, il nous conduise tellement à l'advenir, que ce soit pour nous attirer à soy. Et afin qu'il ait pitié de nous, que nous venions en esprit d'humilité à luy, que nous n'ayons point ce despit, et ce chagrin duquel il est ici parlé, sachans que cela ne seroit que pour irriter de plus en plus la vengeance de Dieu, et l'enflammer contre nous. Quand nous viendrons ainsi à l'estourdie, il faudra aussi que Dieu hurte rudement contre nous, comme il est dit au Pseaume 18 (v. 27): Tu seras revesche à ceux: qui le seront. Car si les hommes veulent faire des bestes sauvages, il est dit que Dieu frappera sur eux à tors et à travers. Et ainsi gardons-nous de ce despit, et d'un tel chagrin: mais cognoissons plustost que nous sommes dignes de cent mille morts, sinon que Dieu ait pitié de nous, et qu'il nous subviene par sa bonté infinie. Et quand nous en serons ainsi, ne doutons point que Dieu n'accomplisse ce qu'il nous a promis, c'est assavoir qu'apres qu'il nous aura batus, voire de verges humaines, gardant telle mesure, que nous ne serons point du tout accablez, qu'encores retirera-il sa main de nous, et le sentirons propice et favorable en nostre Seigneur Iesus Christ: comme c'est en luy qu'il a desployé les richesses de sa bonté, et de son amour paternelle envers nous.

Or nous nous prosternerons devant le throne de sa maiesté etc.

IOB CHAP V.

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LE DIXHUITIE ME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE V. CHAPITRE.

3. I'ay veu le fol iettant sa racine, et i'ay incontinent maudit sa maison. 4. Ses enfans seront loin de salut, ils seront foulez en la porte sans que nul les delivre. 5. L'affamé mangera sa moisson, et la ravira du milieu des espines, et celuy qui a soif humera ses richesses. 6. L'affliction ne procede point de la poudre, ne la moleste ne germe point de la terre. 7. Mais l'homme est né au travail, et les flammettes volent en haut etc.

Nous avons veu par ci devant que gaignent ceux qui se despitent contre Dieu, qui l'accusent de cruauté, qui se desbordent en toute impatience: c'est assavoir qu'ils empirent leur mal, qu'il faut qu'ils soyent consumez en leur despit, et en leur rage. Or d'autant que souventesfois les contempteurs de Dieu prosperent et sont à leur aise, il est ici parlé de leur condition, cependant qu'on les estimera heureux selon le monde. Eliphas dit, quand il a veu un homme fol estre en prosperité, qu'il n'en a point iugé à la façon commune, pour dire, Cest homme-la est heureux, il est benit de Dieu, mais il a cognu que l'issue en seroit mauvaise, et qu'il seroit persecuté iusques en sa race. Or combien qu'Eliphas applique mal ce propos à la personne de Iob, si est-ce que la doctrine est de Dieu, et du S. Esprit, et non point d'un homme mortel. Car Dieu souvent prononce une telle sentence, afin de nous divertir de ceste fausse opinion que nous pourrions avoir, quand nous ne voyons point du premier coup que ceux qui se desbordent ainsi à mal soyent punis, mais nous semble plustost que Dieu leur favorise. Nous savons quelle est l'opinion commune: car nous estimons les choses selon qu'elles se peuvent voir à l'oeil, et nostre esprit ne s'estend point plus outre. Si Dieu leve la main, et qu'il face quelque iugement visible, à grand' peine le daigne-on regarder: mais s'il dissimule, et qu'il attende les pecheurs en patience, il nous semble qu'il soit endormi, et ne gouverne plus le monde, qu'il laisse aller les choses sans qu'il y vueille remedier. Voila comme nous sommes stupides. Mais nostre Seigneur nous monstre que les meschans au milieu de leur felicité ne laissent pas d'estre maudits, et qu'il ne faut point que nous leur portions envie de leur bonne fortune, qu'ils appellent. Car il faudra qu'ils soyent punis au double, tellement qu'il vaudroit beaucoup mieux qu'ils fussent miserables: car leurs delices leur cousteront par trop cher Voila en somme ce quo

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di ici Eliphas. Et voila pourquoy i'ay dit qu'il nous faut bien noter ceste sentence, d'autant qu'elle contient une doctrine fort utile. Or pour faire nostre profit de ce qui est ici contenu, premierement il nous faut noter, que ce mot de fol, est mis pour tous ceux qui ne regardent point a Dieu. Car combien qu'on estimera sages ceux qui savent bien faire leur profit, et leurs besongnes, comme on dit, l'Escriture saincte declare, qu'il n'y a autre sagesse sinon la crainte de Dieu. Quand donc nous regarderons à Dieu, que nous reiglerons nostre vie selon sa volonté, que nous mettrons toute nostre esperance en luy pour y avoir nostre refuge, voila quelle est nostre vraye sagesse. Et voila pourquoy sainct Paul dit (Colos. 1, 28), que ceux qui sont enseignez en l'Evangile, sont sages en perfection: car ils trouvent là comme ils ont à disposer toute leur vie sans faillir, ni errer. Combien donc que les hommes soyent pleins d'astuce et de finesse, et qu'ils cuident aussi estre fort prudens, si nous faut-il tenir à ce qui nous est ici enseigné, qu'il n'y a que vanité et folie, cependant que la crainte de Dieu ne regne point.

Or venons maintenant à ce qui est dit. I'ay maudit le fol cependant qu'il iettoit sa racine, voire et ay maudit sa maison sur le champ. Quand il est parlé de ietter racine, c'est pour exprimer, qu'il semble bien que la prosperité doive durer comme bien ferme et establie. Si Eliphas eust dit, I'ay veu le fol eslevé en haut en grande dignité, il n'eust point tant exprimé comme il fait: car il dit qu'il estoit planté, pource que les contempteurs dé Dieu et tontes gens pervers esperent tousiours avoir la fortune en leur manche. Et comme un arbre qui sera bien planté, qui aura racine profonde combien qu'il y ait des vents et orages, si est-ce que l'arbre demeure. Ainsi il semblera que les meschans apres que Dieu les aura eslevez, doivent tousiours regner, que leurs triomphes ne doivent iamais defaillir. Or Eliphas dit, qu'ayant veu une telle apparence, il n'a pas laissé de maudire les meschans sur le champ, et dit sur le champ, ou, incontinent: c'est à dire, qu'il n'a pas attendu qu'il y vinst quelque changement: comme de prime face quand nous voyons les contempteurs de Dieu estre en leur vogue, et avoir le vent en poupe, comme on dit, nous attendons, et sommes comme esbahis et que sera-ce? Si nous appercevons qu'ils doyvent aller en decadence, alors nous changeons de propos: mais cependant que nous les voyons florir, nous ne savons

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que dire, nous sommes estonnez. Eliphas au contraire declare qu'il n'a point esté estonné pour cela, qu'il a prononcé selon ce que Dieu en prononce: car il ne vient point ici donner condamnation, ne iugement de sa teste, et selon sa phantesie, mais il declare que selon que Dieu nous monstre que les meschans seront confus en la fin, il s'y est attendu, qu'il n'a point esté esbranlé de nulle tentation: combien qu'il ait veu les meschans voler ainsi haut, que toutesfois il a perseveré en cela, Il faut qu'ils perissent. Nous voyons maintenant en somme ce qui est ici contenu. Or appliquons ceste doctrine à nostre usage, pour savoir combien elle nous est propre. Vray est que ce n'est point ce que nous avons à faire que de condamner les autres: car il faut qu'un chacun regarde plustost à soy. Et c'est aussi où nous devons appliquer nostre estude: car ceux qui se meslent si avant de iuger de leurs prochains, ils s'oublient, et Dieu ne les espargnera point, s'ils se sont flattez: il faudra qu'ils vienent devant leur Iuge, qui les traittera à la rigueur, d'autant qu'ils se sont ainsi endormis en leurs vices. Notons donc qu'il ne faut point que nostre esprit vague ne ci ne là pour espluscher le mal qui est en nos prochains: mais qu'un chacun doit entrer en soy, et examiner son estat et sa vie: et quand nous trouverons du mal en nous, il nous le faut condamner. Au reste? quand il est dit, que nous devons ainsi maudire les meschans, et contempteurs de Dieu, cela n'est point pour rapporter telle authorité comme à nous. Et comment donc? En premier lieu si les meschans nous affligent, qu'ils nous facent quelque tort ou iniure, nous cuidons que Dieu nous ait delaissé, qu'il n'ait plus le soin de nous. Et sur cela nous sommes tentez de nous fascher, comme si nous avions perdu nostre temps à cheminer en simplicité et droiture: Et comment? I'attendoye que Dieu me deust secourir en ma necessité si ie le servoye, si i'avoye ma fiance en luy, et il souffre que ie soye tourmenté iusques au bout, ie ne trouve nul allegement: quand ie l'invoque, il semble qu'il soit sourd. Voila une tentation bien mauvaise, quand il nous semble que Dieu ne tient conte de nous aider, si on nous outrage, et qu'on nous persecute. Et ainsi afin de nous consoler en toutes nos afflictions et molestes, il nous faut pratiquer Geste sentence: c'est que si les meschans font auiourd'huy leurs triomphes, qu'ils nous tienent le pied sur la gorge, ce n'est point que Dieu nous ait mis en oubli, ce n'est pas qu'en la fin il n'y vueille mettre remede. Attendons en patience, et nous trouverons que l'issue sera telle que Dieu noua l'a promis, c'est assavoir qu'il nous regardera en pitié.

Nous voyons donc maintenant le profit qui nous

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revient quand nous aurons maudit les meschans, c'est à dire que nous aurons cognu qu'il n'y a que malheur en toute leur condition. Or passons encores plus outre, quand nous verrons que les meschans ont meilleur temps que n'ont pas les bons et les enfans de Dieu, qu'ils sont rusez et cauteleux, qu'ils triomphent, et que mesmes il semble qu'ils soyent exemptez des miseres communes de la vie terrestre: quand (di-ie) nous voyons cela, nous sommes troublez, et ne savons que dire' ne que penser, car il semble qu'il vaudroit mieux s'adonner à mal qu'à bien, puis qu'ainsi est que Dieu ne met point meilleur ordre aux choses de ce monde. Or afin que nous ne soyons point incitez à mal faire, il nous faut avoir Geste conclusions, c'est que quand il semble que les contempteurs de Dieu soyent comme Rois et Princes, et qu'ils se plaisent, et se glorifient aussi en leur estat, ils ne laissent point d'estre maudits. Il est vray que ceste malediction ici ne s'apperçoit point du premier iour, elle est secrette: mais si faut-il qu'avec le temps elle se declare. Et d'autre costé il nous faut contempler ce qui ne se peut voir à l'oeil: voire le contempler par foy, d'autant que Dieu en a desia prononcé de sa bouche, il nous faut tenir a ce qu'il nous en a dit, et c'est l'argument du Pseaume 37. Pource que durant ceste vie mortelle nous voyons les choses si confuses, que non seulement les malins et pervers seront aussi à leur aise comme les bons, mais il semble que Dieu les vueille nourrir, et qu'il leur preste toute faveur. Les voila comme les Cedres en la montagne du Liban, ils sont eslevez, ils florissent, bref tout leur vient à propos, qu'il semble que la gresse leur face ietter les yeux dehors, comme il est dit au Pseaume 73 (v. 7). Que faut-il là dessus? Ie monde iuge que telles gens sont beniz: on leur applaudit de tous costez: il nous les faut maudire, c'est à dire, il nous faut tenir resolus que tout cela n'est rien. Et pourquoy? Car Dieu nous a declaré ce qui en est. Il ne veut point donc que nous ayons les yeux esblouys aux choses presentes, mais que par foy nous soyons asseurez que tout sera converti à mal et à ruine à ceux qui ne se rengent point à luy. Or quant à ce mot de Maudire, notons que ce n'est pas que nous devions souhaitter le mal, ne la confusion de personne, ie di d'un appetit de vengeance: comme nous sommes transportez souventesfois de nos passions tellement qu'il n'y aura qu'envie, ou amertume qui regne en nous, ou bien un zele fol et sans discretion. Mais quand il est dit, qu'Eliphas a maudit la maison du meschant, cela n'emporte sinon qu'il s'est tenu à ce que l'Escriture nous enseigne et nous monstre. Et de fait ce n'est pas à nous d'estre iuges: ce seroit une temerité trop grande si nous usurpions ceste authorité à nous de

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dire, O celuy-la fera mauvaise fin, un tel demeurera confus. Il ne faut point que l'homme presume iusques là, mais c'est à Dieu seul de maudire et benir: de nostre costé nous n'avons sinon à nous accorder à ce qu'il dit, respondans, Amen Seigneur, toy seul es le Iuge competant de tout le monde. Il faut donc que nous escoutions ce qu'il nous declare et qu'un chacun acquiesce à son dire, que nous ne repliquions point à l'encontre, pour dire, Et comment est-il possible quo cela se face? comment en doit-il aller? non, puis que Dieu a dit le mot, il faut qu'un chacun se contente do cela. Nous voyons donc maintenant qu'emporte ce mot de Maudire.

Or il reste que nous recueillons en somme cc qui est ici contenu: car ces deux tentations qui nous sont mises en avant sont si communes, qu'un chacun de nous sent qu'il a besoin d'estre armé à l'encontre: car nous pourrions souvent defaillir, n'estoit que nous prinssions ceste conclusion qui est ici mise. Quand donc nous serons outragez iniquement par les meschans, qu'ils auront quelque avantage sur nous, qu'il semblera qu'ils nous doivent devorer, et que nous n'ayons nul moyen de les repousser, que nous facions valoir ceste sentence, et la reduisions en memoire: c'est que Dieu en la fin ne permettra point, que les meschans s'esgayent tousiours (car il pourra bien remedier aux choses confuses) et mesmes que nous cognoissions cela, quand desia il nous le monstre par effect et par experience. Voila donc une consolation inestimable que peuvent avoir les fideles quand on les opprime, et qu'on les tormente iniustement, c'est de cognoistre, que ceux qui les persecutent ainsi sont maudits de Dieu. Et au reste, cognoissons aussi à l'opposite, que nos afflictions sont benites, c'est à dire, combien qu'on nous iuge miserables, quand on nous regarde, qu'on nous mange la laine sur le dos, ce que nous soyons faschez et tourmentez, que Dieu ne laisse point de tellement disposer les choses que le mal nous est converti en bien, et que tout cela nous aidera à salut. Voila comme les enfans de Dieu se doivent resiouir au milieu de leurs tristesses. Et voila pourquoy il est dit au Pseaume (129, 4), que Dieu coupera les cordeaux des meschans qui trainent la charrue sur le dos de la povre Eglise, voire afin que les bons n'estendent leurs mains à mal faire: comme de fait si nous pensions que les choses deussent ainsi demourer confuses, et qu'il n'y ait point meilleure issue, nous sommes tentez de nous adonner à mal, et quand quelqu'un nous voudroit faire iniure, ce seroit à nous d'espiter à l'encontre. Voila donc comme ceux qui desirent de cheminer en la crainte de Dieu et en simplicité, pourroyent estendre leurs mains à mal c'est a dire s'adonner

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à ensuivre les meschans: mais Dieu declare qu'il coupera les cordeaux de ceux qui nous tourmentent ainsi, et qu'ils n'auront plus les moyens de nous affliger. Voila pour un Item.

Et puis quand nous voyons que ceux qui se moquent pleinement de Dieu, qui sont desbordez à tout mal, ne laissent point d'avoir la vogue, et qu'ils se donnent du bon temps, qu'il semble que la fortune leur rie, comme on dit, ne laissons pas de les maudire, c'est à dire que nous attendions en patience quelle en sera l'issue, et que nous sachions que toute leur prosperité leur tournera en confusion afin que nous ne leur portions point d'envie de cela. Et au reste apprenons d'appliquer le tout à nostre usage, comme i'ay dit. Cependant si Dieu permet pour nous humilier que nous endurions beaucoup en ce monde, que les uns soyent tormentez de maladie, les autres de povreté, qu'un chacun porte sa croix, ne cuidons point pour cela que Dieu nous ait oublié, ne que nostre condition soit pire. Et pourquoy? Car tout ainsi que nous maudissons les meschans, en leur prosperité, et savons que cela n'est qu'un songe qui sera incontinent escoulé: aussi au contraire sachons que quand il semblera que nous soyons reprouvez de Dieu, quand le monde en iuge ainsi, quand nostre chair et nostre nature nous incite à telle tentation, que Dieu nous convertit tout cela en bien, et qu'il nous afflige d'autant que nous avons mestier d'estre desveloppez de ce monde ici: et que par ce moyen aussi il fait office de medecin envers nous, qu'il nous veut purger de toutes nos mauvaises corruptions, et des cupiditez excessives de nostre chair qui feroyent que nous serions comme des chevaux trop engraissez qui regimbent à l'encontre de leur maistre. Dieu donc prouvoit à tout cela. Et ainsi que nous tenions pour certain et resolu, que nous sommes benits quand le monde ne voit que malediction en nous: et mesmes quand selon la chair nous ne pourrons appercevoir que tout mal-heur, que neantmoins par foy nous contemplions, que d'autant que Dieu nous aime et declare qu'il cet nostre Pere, que nous ne pouvons tomber que sur nos pieds. Voila donc en somme ce que nous avons à retenir.

Mais advisons bien que nous ne iettions une telle sentence de malediction sinon sur les fols. Or nous ne pouvons pas estre iuges des fols, que nous n'ayons l'Esprit de Dieu qui nous conduise en telle prudence, que nous ne iugions point à l'aventure. I'ay desia declaré quels sont les fols dont Eliphas parle, c'est assavoir ceux qu'on cuide les plus sages, qui se glorifient en leurs finesses et astuces: voire, mais d'autant qu'ils ne craignent point le Dieu vivant, et que mesmes ils sont tellement transportez qu'ils ne regardent point à eux, voila pourquoy il n'y a que folie. Voulons nous

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iuger de telles gens? en premier lieu que nous regardions à Dieu, et puis secondement qu'un chacun entre en soy pour se bien examiner: car voila quelle est la vraye sagesse, et en quoy elle consiste. Ie di qu'il nous faut regarder à Dieu en premier lieu, c'est assavoir pour nous assubiettir du tout à luy, pour le servir en vraye humilité, et nous renger à sa parole, pour mettre nostre fiance du tout en sa grace, pour l'invoquer, et pour avoir nostre refuge a luy. Voila donc par quel bout il nous faut commencer pour avoir une vraye regle de sagesse. Et puis entrons en nous pour cognoistre nos vices et nos povretez, afin de nous y desplaire pour gemir quand nous voyons que nous ne tendons pas à Dieu comme il appartient. Quand nous en ferons ainsi, nous pourrons avoir une bonne discrétions pour iuger des fols. Car combien que le monde applaudisse aux meschans, nous ne laisserons pas de les vilipender, voire et de les hair, et avoir en detestation, comme il en est parlé au Pseaume 15 (v. 4). Car nous ne devons priser sinon ceux qui cheminent en la crainte de Dieu. Voila ceux qui doivent estre et honorables, et honorez entre nous: car tous ces contempteurs de Dieu qui se plaisent en mal, il nous les faut tenir comme fange et ordure: cela nous doit estre comme puantise, tellement que nous de les puissions porter. Car aussi ils ne vivent qu'au deshonneur de Dieu, et quand on leur fait la cour, et qu'on leur applaudist, il faut que nous les detestions comme canailles, comme ordures qui ne font qu'empunaisir tout le monde.

Voila donc comme nous devons proceder pour estre iuges accordans avec Dieu. Et cependant pratiquons aussi le mot qui est ici mis quand Eliphas dit, Que sur le champ il a iuge, que ceux qu'on estimoit estre parvenus au comble de toute felicité sont maudits: c'est pour signifier qu'il ne faut point que nous changions de propos selon les revolutions que nous verrons au monde, quand nous verrons les meschans eslevez, qu'il nous semblera que tout soit perdu, ou bien que Dieu ne face plus son office, ou que c'est tout un de bien vivre, ou mal, et qu'en bien faisant nous ne gaignions rien. Que donc nous ne soyons pas si legers et si volages à iuger selon que les choses advienent: mais recognoissons que durant les troubler, du monde nous devons tousiours faire ceste conclusion, que ce que Dieu nous a une fois declaré s'accomplira. Bref, il n'est point question que nous mesurions les iugemens de Dieu selon nostre fantasie: mais escoutons ce qu'il nous dit, encores que nous n'appercevions pas du premier coup l'effect ni l'accomplissement de ce qui est contenu en l'Escriture saincte: que la foy besongne ici, et qu'elle nous retiene, et que nos sens ne s'esgarent pas ne ça ne là, mais que

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nous disions, Puis qu'ainsi est que celuy-la est un contempteur de Dieu, qui mene une vie dissolue, il ne se peut faire que l'issue n'en soit mauvaise. Et pourquoy ? non pas que nous l'ayons desia cognue, ne que le malheur se declare, mais pource que Dieu l'a dit: que cela nous suffise. Au reste, apprenons de dire cela comme il est ici contenu: car Eliphas n'entend pas qu'il ait ouy dire aux autres, Voila un tel sera maudit, il sera malheureux: mais il dit, qu'il a eu ceste foy-la en Dieu: et combien qu'il vist les choses confuses en ce monde, il a esté persuadé neantmoins qu'il n'y avoit que les enfans de Dieu qui fussent benits, et ceux qui l'honoroyent, et s'appuyoyent sur sa bonté: voire combien qu'ils fussent affligez, qu'on se moquast d'eux, qu'on les reiettast, qu'ils fussent en opprobre, qu'il semblast qu'ils ne fussent que sots, d'autant qu'ils n'avoyent point la vogue en ce monde, que neantmoins ils ne laisseroyent d'estre receus et advouez de Dieu, combien que le monde en estimast au contraire. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or si le temps a iamais esté de pratiquer ceste doctrine, il l'est auiourd'huy: car le monde est plein de mespris de Dieu. Il est vray qu'on verra assez de finesses, et que les esprits sont assez aigus et subtils auiourd'huy: mais cependant on voit que nul ne regarde à Dieu, ou le nombre en est bien petit, que les hommes cheminent à l'estourdie, qu'il n'y a quasi plus de religion: on voit cela. Nous voyons aussi que l'iniquité regne iusques au bout, voire tellement que la plus part est devenue effrontee, qu'il n'y a plus de honte de mal faire. Nous voyons les choses ainsi confuses: cependant qui sont ceux qu'on estimera estre les plus favorisez de Dieu? les pires, et ceux qui sont plus desbordez, moyenant qu'ils soyent subtils et aigus pour bien conduire leurs affaires, qu'ils soyent pleins d'astuces et de cautelles, les voila sages et prudens. Mais combien quo les meschans soyent ainsi estimez, et que chacun les prise, toutesfois que nous les tenions pour maudits, d'autant que Dieu leur est contraire, et qu'il ne leur peut pas estre propice. Cependant que nous detestions ainsi le mal, voire et que nous le facions sur le champ: c'est à. dire que nous n'attendions pas que Dieu leve sa main, et qu'il besongne de quelque moyen manifeste: car ce seroit luy faire trop peu d'honneur que cela, de n'estimer de sa iustice, sinon ce que nous en appercevons. Mais quand les meschans se plairont, et qu'ils s'esleveront en leur bonne fortune qu'ils appellent, que nous les ayons en opprobre et en detestation, et qu'ils nous soyent comme maudits, quoy qu'il en soit.

Mesmes nous devons bien noter, ce qu'Eliphas adiouste, c'est que les enfans des contempteurs de

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Dieu, tomberont à la porte, et seront eslongnez de salut, sans que nul les secoure. Il signifie que si Dieu n'accomplit ici ses iugemens, il pourra bien besongner iusques à la race de ceux qui sembleront estre eschappez de sa main. Comme quoy? Il y en aura d'aucuns qui s'adonneront à tout mal, cependant qu'ils vivent, et Dieu souffrira que iusques à la mort ils amassent, qu'ils s'augmentent tousiours, et qu'ils entassent des richesses de nouveau. Or tant y a puis que tout cela est maudit, que les richesses, et leur revenu est aussi bien maudit: non point que la malediction s'apperçoive en la personne du pere, mais elle se monstrera aux enfans. Par ceci nous sommes admonnestez que Dieu a des façons diverses d'executer sa vengeance, et là dessus apprenons de cheminer en crainte et en solicitude. Or il est vray que de prime face on pourroit trouver estrange, comme Dieu punit les enfans à cause des peres: mais ceste doctrine est assez commune en l'Escriture. Et au reste il est ici parlé de ceux qui sont semblables à leurs peres: car Dieu se monstrera bien Sauveur de ceux qui sont sortis et descendus d'un mauvais parentage, comme nous en voyons les exemples en l'Escriture saincte: mais tant y a que le plus souvent il faut que la race des meschans soit maudite: Gomme aussi Dieu le prononce, que sur la troisieme et quatrieme generation il poursuivra sa vengeance sur ceux qui le mesprisent, et qui s'eslevent à l'encontre de luy. Or il y a double façon de punir l'iniquité des peres sur les enfans: car aucunesfois Dieu fait misericorde aux enfans, et ne laisse pas toutesfois de chastier en leurs personnes l'iniquité des peres. Exemple, Voila un pere qui aura acquis force biens, mais ce sera par meschantes traffiques, par finesses, par fraudes, par cruautez: Dieu voudra avoir pitié de l'enfant d'un tel homme. Et que fera-il? Il luy ostera de Geste substance qui a esté mal acquise, pource qu'elle ne pourroit que luy apporter confusion: comme il est dit (Isaie 5, 24), Que telles richesses sont comme du bois qui en la fin allumera le feu do la flamme de l'ire de Dieu. Nostre Seigneur donc quand il voudra sauver le fils d'un homme meschant qui aura mal Vescu, il le despouillera du bien qui aura esté mal acquis, comme s'il luy faisoit une saignée afin qu'il puisse vivre, et qu'il ne soit point enveloppé au mal ni en la corruption que son pere a attirée à soy. Voila comme Dieu punit l'iniquité des peres sur les enfans, et comme il ne laisse pas d'estre le Sauveur des enfans, et de leur faire misericorde. Aucunesfois il passe plus outre: et d'autant que les peres ont esté si desbauchez, qu'ils ont mené une vie perverse, Dieu laisse-là leur lignée, tellement que la grace de son sainct Esprit n'habite point sur eux. Or quand nous sommes ainsi destituez

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de la conduite de Dieu, il faut bien que nous allions à perdition, il faut que le mal s'augmente de plus en plus. Voila comme les enfans des meschans portent l'iniquité de leurs peres c'est non seulement que Dieu les abandonne, qu'il les laisse en leur condition selon leur nature: mais aussi il permet toute puissance à Satan, et luy lasche la bride à ce qu'il domine en telles maisons. Et quand le diable aura seduit les peres, et qu'il les aura transportez a tout mal, les enfans seront desbordez en une rage plus excessive. Nous voyons donc maintenant ce qui est ici entendu: c'est assavoir, que quand les enfans des meschans seront destituez de la grace de Dieu, et qu'ils chemineront selon leurs desirs desbordez, qu'il faut qu'ils vienent à plus grande confusion que leurs peres. Et voila pourquoy il est dit, qu'ils seront destituez de salut, et tomberont à la porte, c'est à dire, qu'ils trebuscheront, non point en une forest entre les brigans, mais en pleine iustice. Car le mot de porte, signifie iugement en l'Escriture saincte, à cause que là on demenoit les causes: c'estoit où se faysoyent les assemblées publiques, bref c'estoit le siege de iustice. Et c'est ce qui est dit au Pseaume (127, 5), Que les enfans des bons, et de ceux qui sont benits de Dieu seront maintenus en la porte, et rendront leurs ennemis confus. Ainsi au contraire il est dit en ce passage, Que les enfans des meschans trebuscheront, et seront brisez, voire en pleine iustice. En quoy il est mieux exprimé, que Dieu les persecute si ouvertement, qu'on peut voir à l'oeil, que c'est luy qui y met la main.

Or il adiouste quant et quant, Que nul ne leur subviendra. Car quand Dieu veut mettre ainsi les hommes à perdition, il les destitue de tous moyens de secours et d'aide. Il est vray qu'aucuns attribuent cela aux hommes: mais il faut qu'on cognoisse que c'est Dieu qui les a desnuez, et destituez de tout secours, afin qu'ils ne soyent iamais relevez. Or quant est à nous (suivant ce que i'ay desia touché) nous avons tant plus d'occasion de baisser les yeux et de prier Dieu, qu'il nous face cheminer droitement en son obeissance, et qu'encores que nous n'appercevions point sa malediction ne sur nous, ne sur nos enfans, que toutesfois nous prenions ceste conclusion ici, que Dieu a des moyens qui nous sont incomprehensibles: que quand il nous semblera que toutes choses vont bien, et que nous aurons prouveu non seulement à toute nostre vie, mais apres nostre trespas, afin que nos enfans soyent asseurez: quand donc il nous semblera que nous ayons mis si bon ordre par tout, qu'il n'y aura que redire, que nous cognoissions que tout cela n'est rien, et que quand Dieu aura soufflé sur tous nos conseils et tous nos discours, il renversera tout. Cognoissans cela, que nous n'abusions point

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de sa patience: que s'il nous espargne pour un temps, que ce no soit point pour nous endormir, et nous flatter en nos vices: mais que nous apprenions de retourner à luy en temps opportun, et de prevenir ceste vengeance, de laquelle il menace tous contempteurs en ce lieu. Or cependant Dotons, que souventesfois ceci pourra advenir aux bons, et à leurs enfans, qu'ils seront persecutez iniustement: mais le S. Esprit presuppose ce qui est vray, et que nous pouvons aussi tenir en pleine certitude et infallible, c'est que si nous sommes affligez et molestez, Dieu nous regarde pour y prouvoir en la fin: quand il nous aura assez esprouvez, et qu'il nous aura humiliez, il convertira le mal en bien, et le tournera a salut, comme nous avons dit. Mais au contraire quand il est dit, quo la race des meschans trebuschera, qu'elle sera eslongnee de salut, c'est pour exprimer que Dieu quand il veut punir les meschans, il y procede en telle sorte, qu'on cognoist que ce n'est point pour les dompter afin qu'ils retournent à luy, que ce n'est point pour mortifier leurs affections charnelles, que ce n'est point bref pour les medeciner, mais pour les confondre, et les faire perir du tout. Voila que le S. Esprit presuppose. Et ainsi apprenons de discerner entre les afflictions dont Dieu use envers ses enfans pour leur profit, et les chastimens qu'il envoye aux meschans, non point pour les amender, mais pour se monstrer iuge à l'encontre d'eux.

Il s'ensuit, que la substance de telles gens sera ravie par les affamez, voire iusques à prendre le bled entre les espines: que non seulement leurs champs seront moissonnez par leurs ennemis, qui devoreront toute leur substance: mais qu'on raclera tout iusques entre IOB hayes: que s'il y a quelque chose cachee, comme deux ou trois espics de bled entre des buissons, cela sera glané. Ici Eliphas signifie que les iugemens de Dieu sur les meschans ne sont pas comme les corrections qu'il envoye sur ses enfans: mais qu'il monstre qu'il les a du tout reiettez, qu'il n'y a plus lieu de pitié, et qu'il ne leur veut point faire sentir sa bonté paternelle, d'autant qu'il ne les recognoit point pour siens. Voila quelle est la somme de ce qui est ici dit.

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Or là dessus nous avons à reduire en memoire ce que i'ay desia declaré: c'est assavoir que si on nous afflige, que nous soyons molestez et tourmentez par les meschans, que nous attendions en patience que Dieu y mette la main pour nous secourir. Et combien que nous n'appercevions pas ses iugemens du premier coup, que nous soyons asseurez toutesfois qu'il les executera en temps et lieu. Et quand nous en verrons l'execution, que cela nous induise à crainte, que nous soyons retenus en bride pour nous garder de tenter Dieu, quand nous voyons que sa vengeance est si horrible: comme sainct Paul aussi nous exhorte (Eph. 5, 6). Qu'on ne vous abuse point (dit-il) de vaines paroles: car pour ces choses la vengeance de Dieu a accoustumé de venir sur les incredules et rebelles. Quand donc Dieu nous monstre ainsi ses iugemens, que nous tremblions dessous, et que nous soyons comme tenus captifs sous sa crainte, nous assubiettissans du tout à ce qu'il dit et prononce. Et c'est ce qu'il adiouste (combien qu'il ne se puisse pas exposer pour le present) qu'il faut que nous acquiescions tellement à la volonté de Dieu, que nous respondions Amen à tout ce qu'il nous dit: cognoissans que les choses ne vienent point en ce monde par cas fortuit, que ce n'est point la terre qui afflige les Homme, ce n'est ne l'air, ne le ciel, mais l'homme porte le mal en soy. Que nous cognoissions donc cela, et quand il adviendra des afflictions en ce monde, que nous sachions que c'est la main de Dieu qui est sur nos pechez, et que tout le mal procede de nous, que nous en avons là dedans la source, et la matiere. Que nous cognoissions (di-ie) cela, afin de nous desplaire en nos vices, et en nous y desplaisant que nous prions Dieu qu'il nous retire à soy, qu'il face valoir les graces qu'il a mises en nous à nostre salut, afin qu'estans maintenus par sa vertu, laquelle il a desployee envers nous au nom de nostre Seigneur Iesus Christ, nous soyons papables de prosperer par sa benediction.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE DIXNEUFIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE V. CHAPITRE.

Ce Sermon contient encore l'exposition des versets 6 et 7 et ce qui s'ensuit.

8. Mais ie m'arraisonneray avec Dieu, et tourneray mon propos à l)ieu. 9. C'est luy qui fait oeuvres magnifiques, voire qui ne se peuvent sonder, qui fait des actes admirables sans [in. 10. Qui donne la pluye sur la terre, qui fait decouler les eaux par les rues.

Nous avons desia commencé à exposer quel est le sens de ce propos, c'est assavoir, Que le travail ne vient point de la terre, ne la fascherie de la poudre, mais que l'homme est nay au labeur. Car quand nous sommes faschez de quelque mal, nous regardons çà et la, et faisons nos discours, afin de trouver la cause hors de nous: cependant nous ne cognoissons point que Dieu noua afflige à cause de nos pechez, et que la source de toutes les adversitez, et des maux que nous endurons ici bas, doit estre cerchee en nostre vie. Nous sommes donc admonnestez par ceste sentence quand on nous parle des miseres de la vie humaine, et qu'un chacun aussi en sent sa part et sa portion, qu'il ne faut point que nos esprits vaguent, ne que nous facions de longs circuits de costé et d'autre: mais qu'un chacun entre en Boy pour esplucher ses pechez, et alors nous trouverons qu'il ne se faut point esbahir si nous sommes environnez de tant de povretez, si nostre vie est subiette à ceste condition si miserable. Pourquoy? Car tout ainsi que le bois porte en soy ceste nature et proprieté qu'il reçoit aisément le feu, et s'enflamme: ainsi en est-il de nous: car nous avons le peché qui est comme le bois et la matiere de toutes afflictions: l'ire de Dieu vient dessus, et il faut que nous en soyons consumez. Les flammettes donc volent en haut (dit Eliphas) que s'il n'y avoit une vertu secrete au fer quand on le bat sur l'enclume, il est certain que les flammettes n'en sortiroyent pas. Ainsi faut-il que nous sachions que le feu de toutes nos miseres est enclos en nous. Or nous aurons beaucoup profité ayans retenu ceste leçon: car combien qu'un chacun confesse que Dieu nous afflige iustement, si est-ce que nous n'entrons point en ceste consideration - la, mais plustost mettons peine à la fuir tant qu'il nous est possible. Si un homme a quelque adversité, Dieu le pousse, et l'incite de penser à ses pechez: or il n'en fait conte: qui pis est, il s'endort en son mal, et l'impute ou à ceci, ou à cela il trouvera quelque cas

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fortuit qu'il va cercher de loin, et n'entre point en examen de sa vie. Apprenons donc de n'accuser ne ciel ne terre, mais de prendre toute la charge et condamnation sur nous de ce que nous sommes ainsi subiets à tant de miseres et povretez. Comme quand nous verrons le temps estre contraire, qu'il y viendra ou gelee, ou tonnerre, ou gresle, que nous sachions que ce n'est point l'air qui est tel de soy: quand il y a secheresse, que ce n'est point le ciel qui soit ainsi endurci de sa nature: quand la terre sera sterile, que cela ne procede point de sa nature, mais nous sommes cause de tout. Et ainsi quand il est dit, que nous y sommes nais Eliphas presuppose, qu'estans nais à mal, estans du tout enclins à beaucoup de vices, il faut que nous soyons traitez de mesmes, il faut que Dieu nous responde selon que nous venons à luy. Or est-il ainsi que nous apportons du ventre de la mere toute corruption, tellement que de nature nous sommes adonnez a mal, et à peché: il faut donc qu'il y ait une condition semblable, c'est à dire, que Dieu nous sentant tels que nous sommes, nous envoye aussi ce qu'il cognoist nous estre propre, et ce qui est iuste et equitable. Et ainsi Eliphas n'entend point que Dieu nous ait creez pour estre ainsi traitez durement de luy: mais il prend la nature corrompue depuis que l'homme s'est destourné de Dieu, et dit, qu'il faut que sa condition soit telle, d'autant que nous ne sommes point capables que Dieu desploye sa bonté sur nous, et qu'il nous traite doucement, comme si nous luy estions du tout obeissans. Or pource que les hommes ne s'humilient iamais sinon qu'ils y soyent contraints par force' mais taschent à se rebacquer; ici Eliphas adiouste une seconde sentence, c'est assavoir qu'il retourne à Dieu, et qu'il se veut arraisonner avec luy, comme s'il disoit: Ceste doctrine ne peut estre receuë des hommes, assavoir quand on leur parlera qu'ils sont bien dignes d'estre affligez: et pourtant qu'il faut qu'ils ne se rebecquent point là dessus, mais qu'ils prenent le tout en patience, qu'ils n'imputent point aux creatures les maux qu'ils souffrent, mais qu'ils cognoissent plustost qu'ils en sont cause. Les hommes donc ne peuvent fleschir pour comprendre que ceci est vray, sinon qu'on les prepare à s'humilier, en leur monstrant quelle est la maiesté de Dieu. Et de fait, cependant qu'on nous propose nos pechez, et

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qu'on no nous fait point sentir que c'est à Dieu quo nous avons à faire, il n'y a celuy qui no vueille se tenir debout, ou qui n'ait ses repliques en la bouche, ou qui ne donne quelque couleur à son mal. Que si nous ne sommes du tout rebelles, il y aura toutesfois une nonchalance que ce nous sera tout un de tout ce qu'on nous dira, que nous ne serons point touchez ni esmeus de nos vices. Que faut-il donc? Iamais noua ne serons instruits à vraye humilité, iusques à tant qu'on noua ait fait cognoistre que c'est à Dieu que noua devons respondre, que nous sommes adiournez devant son siege pour le sentir nostre iuge: d'avantage aussi que nous ne pouvons pas eschapper de sa main, qu'il faut que toute nostre vie soit là cognue et examinee. Quand on nous aura amené iusques là, qu'il noua faut regarder à Dieu, nous sommes aucunement apprestez, tellement que nous ne sommes plus si nonchallans et endormis comme nous estions: il n'y a plus ceste hautesse et folle outrecuidance pour nous plaire, et pour nous flatter, nous venons à avoir quelque sentiment et apprehension de nos maux: mais sur tout quand on nous met devant les yeux la maiesté de Dieu, c'est pour nous faire sentir combien elle est espouvantable, et quand on nous propose sa grandeur, cela nous fait encores plus trembler. Nous voyons que ce n'est point ieu, qu'il n'est plus question ici de nous endormir, ne de nous faire à croire ceci ou cela. Pourquoy? Les flatteries n'ont plus de lieu, quand Dieu qui est un feu qui consume tout, apparoist, et qu'il nous faut approcher de luy, que nous appercevons que c'est luy qui fait decouler les montagnes, que c'est luy qui peut abysmer tout. Quand donc ceste grandeur de Dieu nous est cognuë, il faut que nous soyons abbatus sous icelle, et que nous oublions tout orgueil. Voila quant à ce propos d'Eliphas.

Or maintenant noua avons à considerer ceste doctrine pour l'appliquer à nous. En premier lieu toutes fois et quantes que noua sentirons quo nous ne sommes point assez esveillez pour nous condamner en nos vices, usons de cest ordre, qui nous est ici mis: c'est de regarder à Dieu. Comme quoy? Voila un homme qui est assez convaincu de ses pechez: mais tant y a qu'il marche tousiours et poursuit son train: si on le redargue, ou bien qu'il ait autrement remors en la conscience; il passe outre, et n'en fait pas grand scrupule: et pourquoy ? car il n'a point son regard à Dieu. Voila donc qui est cause de nous faire continuer en nos pechez: voila qui est cause que nous n'en sommes point abbatus en vraye humilité, c'est d'autant que nous ne sentons point que Dieu est nostre Iuge, et que c'est à luy que nous avons affaire. Il n'y a donc autre remede que celuy que

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i'ay dit: assavoir en premier lieu, que noua soyons comme resveillez en nos pechez: car autrement nous n'y panserons point pour nous y desplaire. Mais d'autant qu'il pourra estre que le diable nous aura comme ensorcelez, et encores que noua soyons contraints de sentir que tout ne va pas bien, nous demourerons là comme stupides: il faut venir au second poinct pour dire, Helas povre creature, tu ne peux pas eschapper la vengeance de ton Dieu: quand tout le monde t'auroit applaudi, encores ne pourras-tu point faillir d'estre là condamné. Or est-il ainsi que toutes creatures appereçoivent ton opprobre, tu devrois estre confus devant des petis enfans, et iusques aux bestes: tu ne te peux pas absoudre. Et que sera-ce quand il te faudra venir devant le Iuge celeste? ne penses-tu point qu'il y ait une horrible condamnation contre toy, puis que tu perseveres ainsi en mal? Voila donc le moyen de nous esveiller, quand nos pechez ne nous desplaisent point assez' et que nous n'en sentons point une affliction si vive et si ardente comme il seroit requis. Voila donc comme il noua faut raisonner avec Dieu, et non point nous arraisonner avec les hommes. Car nous cuidons bien avoir cause gagnee cependant que nous demeurerons ici bas: et aussi nous y tendons tousiours, comme nostre chair et nostre nature y est par trop adonnee: car si on reprend quelqu'un, il s'adresse à celuy qui parle, T'appartient-il ? quand tu auras bien regardé à toy, tu y trouveras encores plus à redire: tu me poursuis par trop: il semble que tu me pourchasses, il semble que ce soit pour me denigrer. Voila comme nous demeurons attachez aux hommes, si on nous reprend. Et nous en ferons autant envers Dieu: mesmes quand il n'y aura personne qui nous ait accuse, noua ne laisserons point encores de cercher un tel subterfuge? Comme quoy? Un homme pensant à soy, voit bien que ai Dieu le persecute, c'est à bon droit: mais il ira examiner ses voisins, Et cestui-ci n'est-il point pire que moy? oui bien aussi mauvais? Et un tel n'a-il pas merite une aussi grieve punition? Voila donc comme nous demandons tousiours de gaigner nostre cause en fuyant Dieu. Et pourtant il nous faut bien noter ceste doctrine, c'est qu'il ne nous faut point arraisonner aux hommes, c'est à dire, il ne nous y faut point attacher (car nous n'y profiterons rien) mais il nous faut plustost eslever tous nos sens, et regarder, Helas! voici mon Dieu qui m'afflige, il faut que ie sois attentif à considerer sa main, et sur cela que ie soye preparé à humilité, comme i'ay desia dit. Au reste quand i'ay dit, qu'en pensant à Dieu nous serons mieux touchez, i'enten que nous cognoissions Dieu tel qu'il est. Car les hommes le desguisent par leurs fausses imaginations, quand ils se font à croire ceci ou

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cela, et ployent Dieu ainsi qu'un roseau, ils se iouent avec luy comme avec un petit enfant. Qui pis est, on usera de plus grande licence avec Dieu, qu'on ne feroit point avec un petit enfant. Et d'où procede une telle rage, sinon que nous n'appréhendons point sa grandeur? Il ne faut point donc que nous pensions do Dieu en telle sorte, que nous presumions de le desguiser, et le faire tel que nostre phantasie le porte, et nostre appetit, mais quo nous le cognoissions tel qu'il se declare à nous, et que nous apprehendions aussi quel il est selon qu'il se demonstre par ses oeuvres. Quand nous aurons bien pensé à cela, il est certain que nostre caquet sera bien rabatu: nous ne serons plus si hardis ne temeraires de venir contester à l'encontre de luy, et nous faire à croire qu'il nous tourmente sans propos, et que nous ne l'avons pas merité. Il faudra que telles flatteries soyent mises bas, il faudra que toute hypocrisie s'en aille, et que nous demeurions là confus, effrayez de ceste maiesté si grande, laquelle nous aurons conceuë en nostre Dieu.

Voila donc un second article qui est bien digne d'estre noté, c'est que nous cognoissons Dieu en verité et non point en feintise. Et voila pourquoy S. Paul dit (Rom. 1, 21) que les hommes s'esvanouissent en leurs pensees, d'autant qu'ils transfigurent Dieu. Or ils le despouillent de sa gloire, et Dieu aussi les rend confusibles, tellement qu'il leur envoye un sens reprouvé, qu'il faut qu'ils s'abandonnent â. toute vilenie et opprobre, qu'ils se iettent là en telle infamie, qu'on ait honte de leur turpitude. Et pourquoy? Car ils n'ont point glorifié Dieu (dit-il) mais iniustement ils ont comme abatu sa maiesté, quand ils ont ainsi converti sa verité en mensonge, et qu'ils l'ont deguisé. Ainsi donc voyans que ceste maladie cet trop commune, et qu'un chacun en a quelque experience en soy, d'autant plus nous faut-il bien noter ceste doctrine ici: c'est assavoir quand nous penserons de Dieu, que ce soit avec toute reverence pour le cognoistre tel qu'il est, et non pas comme nous l'aurons imaginé faussement. Or il est vray que Dieu se declare à nous par sa parole, mais cependant si sommes nous inexcusables, quand nous ne l'aurons point consideré en ses oeuvres, comme là il ne se laisse point sans tesmoignage comme dit S. Paul au 14 des Actes parlant de l'ordre de nature qui est comme un miroir, auquel nous pouvons contempler quo c'est de Dieu. Notamment donc S. Paul dit (Actes 14, 17), que quand Dieu fait luire le soleil, qu'il envoye la pluye, qu'il envoye saisons diverses, qu'il fait fructifier la terre, en cela il ne se laisse point sans bon tesmoignage: c'est comme s'il plaidoit sa cause pour dire, Quand les hommes n'auront point cognu ma gloire et maiesté, n'auront

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point senti que i'ay tout en ma main pour gouverner les choses que i'ay creées, il ne faut point qu'ils alleguent ignorance: car en l'ordre de nature ils ont peu appercevoir qu'il y a un Createur qui dispose de tout. Ainsi donc ouvrons seulement les yeux, et nous aurons assez d'argumens pour nous monstrer quelle est la grandeur de Dieu, afin que nous apprenions de l'honorer comme il merite. Voila ce que fait ici Eliphas. Et c'est encores une doctrine qui nous est bien utile quand nous la pourrons pratiquer. En somme donc sachons toutes fois et quantes qu'il nous est parlé de Dieu qu'il n'est point question de penser: Nous avons tant seulement le mot: mais regardons ce qui est propre à Dieu: et ce qui ne se peut separer de son essence afin de le magnifier comme il en est digne. Si cela estoit bien receu, nous ne serions plus tant addonnez à superstitions comme nous sommes, et aussi nous ne serions pas ainsi prophanes. Il y a deux vices qui regnent, et ont tousiours regne au monde: l'un est un mespris de Dieu que les hommes ne s'en soucient gueres, et quasi luy marchent sur le ventre entant qu'en eux est. Il est vray qu'ils ne peuvent point atteindre à sa maiesté, mais si est-ce qu'on voit une arrogance si diabolique aux hommes, qu'au lieu d'adorer Dieu, et s'assubiettir à luy ils voudroyent le mettre sous leurs pieds, et triompher sans qu'il eust nulle authorité par dessus eux. Voila donc un mal qui est grand et enorme: et neantmoins il a esté de tout temps: c'est assavoir que les hommes sont prophanes, qu'ils ne cognoissent point la reverence qu'ils doivent à Dieu. Il y a l'autre vice de superstition, c'est que les hommes sous ombre de devotion iront cercher des folles phantasies çà et là. Et d'où procede ce mal-la? C'est que Dieu n'est pas vrayement cognu avec ce qui luy est propre: car si on eust apperceu qu'elle est sa puissance, iustice, bonté, il est certain qu'on n'eust point esté ainsi transporté. Car les hommes se forgent des petits dieux, c'est à dire des idoles en leur teste, et leur assignent leurs offices, comme s'ils distribuoyent les vertus qui appartienent à Dieu, et Sont du tout en luy, comme s'ils le mettoyent en pillage, et qu'un chacun en eust sa proye et son butin. Voila pourquoy i'ay dit, que nous devons estre tant plus attentifs à cognoistre que c'est vrayement de Dieu afin qu'il ne soit despouillé de son honneur, que on ne luy ravisse ce qui est sien, et ce qui reside en luy. Et comment cela se fera-il? I'ay desia touche en bref qu'il ne faut seulement qu'ouvrir les yeux: car en l'ordre de nature Dieu se declare tellement, que nous sommes inexcusables si nous ne luy attribuons ce qui est sien.

Et c'est ce que monstre ici Eliphas: car il commence a dire que les oeuvres de Dieu sont grandes

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et qu'elles ne se peuvent cercher, qu'il fait des actes admirables et sans fin. Ici Eliphas prend une sentence generale, et puis il specifie par exemples ce qu'il a dit en somme. c'est donc comme un proëme comme s'il prenoit en un mot ce qu'il veut dire: Dieu fait dos choses grandes et incomprehensibles, ses actes sont admirables, et sans fin. Quand nous aurons cognu que les oeuvres do Dieu sont grandes et incomprehensibles, no serons-nous pas contraints d'eslever nos esprits, et do sentir qu'il ne faut point que nous deguisions Dieu, no que nous imaginions rien do luy selon nostre sens naturel, mais qu'il faut monter plus haut? Il est certain que nous sommes amenez là maugré nous. Voila donc quelle est l'intention d'Eliphas. Les hommes quand ils regardent à Dieu ne sont point touchez d'une telle crainte, no d'une telle humilité qu'il seroit requis. La raison ? c'est qu'ils no pensent point à ses oeuvres. Quand on traitera des oeuvres do Dieu, chacun s'estime estre iuge suffisant pour en dire sa rastelee: et mesmes nous serons assez hardis (ou plustost audacieux) do le contreroller: car si Dieu ne besongne à nostre guise, nous serons pleins de murmures: nous dirons, Pourquoy ceci ne se fait-il ? Et pourquoy une telle chose va elle ainsi ? Qui est cause d'une telle audace, que les hommes s'attachent ainsi à Dieu, qu'ils intentent proces contre luy, et mesmes qu'ils se constituent comme ses iuges ? C'est d'autant que iamais ils n'ont senti combien les oeuvres sont grandes et incomprehensibles. Or si les oeuvres do Dieu sont incomprehensibles, avons-nous une mesure assez grande pour en declarer ce qui en est? Qu'est-ce que nostre sens? Quand nous l'aurons estendu au long, et au largo, pourra-il comprendre en soy la centime partie des oeuvres do Dieu, et de son conseil qui est si haut, que tout cela nous est caché? Il faut quo nous sortions hors de nous-mesmes, si nous voulons seulement gouster que c'est de la sagesse admirable et infinie qui apparoist aux oeuvres de Dieu. Si pour en gouster seulement un peu il faut quo nous surmontions tous nos sens, et que sera-ce quand nous voudrons tout enclorre, quo nous voudrons savoir tout ce qu'on est iusques au bout? Ie vous prie, y pourrons-nous parvenir? Nous voyons donc que les hommes sont plus qu'enragez quand ils presument ainsi de vouloir deliberer des oeuvres de Dieu lesquelles sont incomprehensibles. Or il est vray quo nous no pourrons nullement sonder les oeuvres do Dieu pour comprendre quelle on est la raison: mais si est ce que Dieu tient un bon moyen pour nous en donner une cognoissance telle qu'il cognoist nous estre utile. Et ainsi notons quo les oeuvres de Dieu sont incomprehensibles de soy, c'est à dire que si nous voulons esplucher par le menu tout ce

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qui y es, iamais nous no pourrons atteindre iusques au bout. Il faut donc quo nous soyons comme accablez sous ceste grandeur-là, et quo nous sachions quo si nous voulons estre iuges dos oeuvres do Dieu, nous avons à clorre les yeux d'autant quo nous ne pouvons point atteindre iusques aux secrets qui sont là contenus.

Au reste quand nous y aurons procedé on telle humilité, sachons que nous no sommes pas iuges competans pour cognoistre ce qui est trop haut et profond pour nous, quo nous prions Dieu qu'il nous donne Esprit de prudence, afin de bien iuger do ses oeuvres: et alors il nous fora grace quo nous sentirons ce qui nous est propre, non pas quo nous deduisions et dechiffrions tout ce qui on est que rien ne nous soit incognu, que tout passe par nostre fantasie: non, Dieu nous tiendra la bride courte, tellement que nous ne cognoistrons qu'en partie: mais cependant si est ce quo ceste cognoissance-là nous devra suffire, pource que rien do ce qui nous est bon et propre pour nostre salut ne nous sel I caché. Contentons-nous de cela: car autrement quelle ingratitude sera-ce quand nous voudrons ainsi entrer aux secrets do Dieu comme pour y lire, et que nous ne voudrons point quo rien nous eschappe: quand nous aurons une si folle curiosité de le vouloir assubiettir à nostre cerveau ? Voila donc les deux poincts que nous avons à noter. Or si ainsi est, que aux oeuvres de Dieu qui semblent les plus petites et basses il y a une sagesse infinie, que sera-ce de ce qui est plus grand, et qui surmonte toute nostre capacité? Et sur tout quand il est question de nostre redemption, quand il est question do ce quo Dieu seelle en nous par son S. Esprit, ce tesmoignage do nostre adoption: cela surmonte l'ordre commun de nature: mesmes quand il est dit qu'il nous a esleus devant la creation du monde, qu'il nous a choisis, non pas tous on general, mais ceux que bon luy a semblé, reictant les autres: ne voila point des secrets qui sont par trop hauts pour nous? Que faut-il donc faire? Sachons que nous sommes plus qu'inexcusables si on cest endroit nous ne cheminons on crainte et solicitude, attendu que ce sont choses incomprehensibles: et quand nous penserons parvenir si haut, ce sera pour nous rompre le col, quand nous voudrons ainsi voler par dessus les cieux, n'ayans nulles ailes. Au reste quand nous aurons donné gloire à Dieu, et confessé ceci do fait, et non seulement de bouche, que ses oeuvres sont incomprehensibles, qu'elles sont comme un abysme pour engloutir tous nos sons: quo nous no laissions pas do le prier qu'il nous en face sentir selon ce qu'il cognoist nous estre convenable à nostre capacité: et cependant que nous cerchions aussi on l'Escriture saincte ce qu'il nous en monstre. Car

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Dieu ne veut point que nous soyons nonchalans: il n'est point question de faire comme les Papistes: O il ne se faut point enquerir des secrets de Dieu, diront-ils. Et pourquoy donc l'Escriture saincte nous est elle donnee ? Dieu veut bien qu'on s'enquiere de luy, mais cependant il veut qu'on tiene le chemin qu'il nous monstre, c'est assavoir qu'en toute humilité on suyve ce qui est contenu en l'Escriture saincte. Mais quand nous aurons apprins ce que Dieu nous declare en son escole, tenons-nous-là: et s'il nous vient quelque fantasie à l'opposite, que nous ayons nos esprits fretillans pour demander plus qu'il ne nous appartient de savoir, advisons d'avoir ceste prudence et modestie de dire, Povre creature, faut-il que tu presumes d'avoir une instruction plus ample que celle que Dieu te donne en l'Escriture saincte? Ainsi donc poisons bien ce mot, afin de nous contenir en telle sobrieté que nous ne iugions point temerairement des oeuvres de Dieu.

Or il est dit quant et quant, Que Dieu est celuy qui fait des actes admirables et sans fin. Quand les oeuvres de Dieu sont nommees admirables, ou secrets (ce que le mot emporte) c'est afin que nous soyons induits à les adorer. Car Dieu ne veut point que nous cognoissions une telle grandeur en ses oeuvres, que . ce soit pour nous estonner, et pour nous en faire eslongner: mais au contraire c'est afin de nous attirer à une telle reverence que nous l'adorions disans, Seigneur quelle est ta puissance! Seigneur quelle cet ta vertu! quelle est ta bonté, iustice, et sagesse! Et de fait David cognoist bien la grandeur infinie des oeuvres de Dieu, et toutesfois il ne laisse pas de dire, Seigneur tes oeuvres sont pleines de sagesse, et de iustice (Pseau. 104, 24): il cognoist bien ce que nous avons à sentir des oeuvres de Dieu, et les adore neantmoins. Apprenons donc de ne point apprehender une telle grandeur aux oeuvres de Dieu, que nous demeurions là eslourdis comme bestes, que nous ne sachions que devenir, que nous n'ayons point d'instruction de bonne doctrine: mais que ceste grandeur-la soit pour nous reprimer, afin que nos esprits ne soyent point trop volages, que nous ne facions point des chevaux eschappez pour prendre une telle licence que i'ay dite, pour dire, Ie veux savoir comment il va de ceci et de cela. Non, mais que nous soyons modestes: car nostre vraye sagesse est d'ignorer ce que Dieu nous veut estre caché. Voila donc comme nous devons estre apprestez à humilité et modestie. Mais au reste sachons quant et quant que nous devons adorer les oeuvres de Dieu. Et comment ? Pour comprendre, selon nostre petite mesure, la sagesse, et iustice, et vertu infinie qui est là contenue, que nous sachions que Dieu ne

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fait rien sans raison, voire combien que cela ne nous soit point manifeste du premier coup. Car Dieu n'a point une raison presente tousiours en ses oeuvres, pour dire que les hommes l'apperçoivent: et puis ceste sagesse se nomme si profonde que c'est un abysme. Et ainsi donc apprenons d'adorer les oeuvres de Dieu encores que nous n'appercevions point tousiours la cause pourquoy il besongne ainsi. Voila donc comme les oeuvres de Dieu sont admirables.

Et notamment il dit qu'il n'y a nulle fin. En quoy les hommes sont encore mieux humiliez. Car si nous sommes venus à bout de quelque chose, ô il nous semble que rien ne nous peut eschapper, nous sommes tant habiles, que toutes les questions qu'on nous pourra mettre en avant seront incontinent soluës. Or prenons le cas que nous puissions bien iuger des oeuvres de Dieu, ou de deux, ou de trois, ou d'une centaine: que sera-ce? ce n'est rien encores. Et pourquoy? Car il n'y a point de nombre. Or est il ainsi que l'oeuvre de Dieu la plus petite, comme desia il a esté declaré, sera neantmoins pour nous accabler: quand donc nous viendrons à cest abysme où il n'y a point de fin, que sera-ce? Voila comme nous devons bien poiser ce qui est ici dit en general (comme une preface) pour nous faire entrer en meilleure consideration, que nous n'avons point accoustumé, de toutes les oeuvres de Dieu, afin de rendre à sa maiesté l'honneur que nous luy devons.

Or (comme i'ay desia touché) Eliphas ayant ainsi parlé en general, specifie disant, Que Dieu donne la pluye sur la terre, et fait decouler les eaux par les rues. Il semble bien que ceci ne soit point à propos. Car il est question seulement que les hommes sentent qu'ils sont affligez à bon droit et si Dieu les manie selon sa volonté, qu'il ne faut point qu'ils se rebecquent contre luy: car ils n'y gaigneront rien, et faudra qu'ils demeurent vaincus. Et pourquoy est-il ici parlé de la pluye? Il semble bien que ce soit une chose extravagante: mais il nous faut noter que quand il nous est parlé de l'ordre commun que Dieu tient en gouvernant ses creatures, c'est afin que nous appliquions le tout à nostre usage. Car il nous faut entrer en nous, apres que nous aurons discouru, que nous aurons tracassé de costé et d'autre: il faut recueillir nos sens, et appliquer toute Geste doctrine à telle pratique que i'ay dite, c'est que nous adorions Dieu comme il le merite. Voila pourquoy il est ici parlé de la pluye, et sous une espece il n'y a nulle doute qu'Eliphas n'ait comprins le tout, comme s'il disoit: Dieu non seulement a creé toutes choses et nous voyons qu'il y a un tel artifice au ciel et en la terre, qu'il faut que tous ceux qui y pensent en soyent estonnez: mais nous voyons aussi comme il

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dispose et conduit toutes choses qu'il donne la pluye et le vent' qu'il envoye aussi le contraire quand il luy plaist. Voila quant à ce propos d'Eliphas. Or au reste notons qu'il ne suffit point d'attribuer à Dieu cest honneur et ceste maistrise qu'il dispose de toutes ses creatures, mais qu'il faut regarder la fin pourquoy: c'est que nous soyons enseignez par ce moyen-la de nous assubietir à luy, et de le recognoistre comme nostre Pere, et nostre Maistre. Voila oh a tendu l'Escriture saincte: et nous deffaillons ici en deux poincts. Car en premier lieu nous ne regardons point à Dieu, soit qu'il pleuve, ou qu'il face beau, nous fermons les yeux. Il est vray que nous serons bien aises si, quand la pluye nous est propre, elle vient: mais cependant que nous cognoissions que Dieu l'envoye il n'est question: nos esprits sont si aterrez qu'ils ne montent point iusques là. Et aussi quand nous aurons le beau temps, que nous verrons le soleil pour iouir de sa clarté, nous ne regardons point toutesfois que c'est Dieu qui a allumé une telle lampe pour nous esclairer. Nous ne regardons donc nullement à Dieu: et c'est un grand vice, et trop brutal. Mais encores, prenons le cas que Dieu nous vienne en pensée, ce n'est pas tout: comme il y en a beaucoup qui diront, Et loué soit Dieu du beau temps: ouy quand ils voyent le temps qui leur est propre: mais cependant il mescognoissent tout cela: ils ne regardent point, C'est Dieu qui nous donne ce temps ici, afin de se monstrer Pere envers nous. Il faut donc que nous luy respondions et mesmes que nous luy soyons vrais enfans, et puis que nous cognoissions, Voila Dieu qui est obei de ses creatures, et cependant quelle obeissance a-il de nous ? Or tant y a qu'en contemplant l'ordre de nature nous devons estre induits à une crainte de Dieu, et quant et quant à gouster sa bonté, afin d'estre adonnez à luy, de nous dedier du tout à son obeissance. Voila comme nous devons pratiquer ceste leçon que nous monstre ici Eliphas: c'est assavoir quand Dieu envoye la pluye, et qu'il fait decouler les eaux par les rues. Et voila aussi comme l'Escriture saincte en parle. Et ie l'ay desia touché, que c'est une bonne prudence que ceste-ci de cognoistre à quelle fin et intention le sainct Esprit

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nous descrit ces choses: c'est qu'il faut que par cela nous apprenions à craindre et à honorer nostre Dieu, et cognoistre quelle authorité c'est que nous luy devons, et quelle maistrise il a par dessus nous: et de là que nous venions aussi a sa iustice, afin de nous humilier BOUS icelle. Vray est qu'Eliphas s'abuse entant qu'il applique ceci à la personne de Iob: mais (comme i'ay dit par cy devant) si est-ce que la doctrine est bonne et du sainct Esprit et ne faut point que nous la recevions comme d'un homme mortel, mais que nous disions l'Esprit de Dieu parle: il ne reste sinon que nous ayons la prudence et discretion pour savoir faire nostre profit en temps et en lieu de ce qui nous est icy monstré. Que nous ne soyons point donc comme Eliphas qui a mal converti le tout à la personne de Iob: mais quand nous aurons receu la doctrine generale, que nous aurons confessé qu'elle est vraye, qu'un chacun en soit instruit comme il appartient. Nous voyons donc maintenant en somme ce qui nous est ici monstré c'est assavoir que nous devons imputer tous les maux ausquels nostre vie est subiette à nos pechez, que nous n'accusions point ny ciel, ny terre, ny les autres creatures si nous ne prospérons, comme nous desirerions bien, mais qu'un chacun se condamne, que nous sachions que nous avons le bois en nous qui est la matiere pour allumer le feu de l'ire de Dieu: et d'autant que des nostre naissance nous sommes adonnez à mal, qu'il ne se faut point esbahir si nous sommes assubietis à tant de miseres et de povretez. Ainsi donc n'imputons point à Dieu quand nous serons molestez en plusieurs façons, mais regardons à la source, c'est assavoir que nos pechez sont cause de tous les maux que nous endurons en ce monde. Advisons donc de ne plus plaider à I'en contre de luy, comme avons accoustumé, mais plustost de passer condamnation, de cognoistre qu'il est iuste en nous affligeant, afin qu'en toute humilité nous apprenions de le craindre et de l'honorer comme il appartient. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage en attendant que le reste se deduise plus à plein.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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L E V I N G T I E M E S E R M O N ,

QUI EST LE III. SUR LE V. CHAPITRE.

11. Cest à luy d'eslever en haut les mesprisez, et ceux qui sont affligez de coeur, à salut. 12. Il rend vaines les pensees des malins, en sorte que leurs mains ne font point ce qu'ils entreprennent. 13. Il surprend les sages en leur finesse, et le conseil des rusez est dissipé, 14. Tellement qu'à midi ils cheminent en tenebres, et en plein iour ils tastonnent comme en la nuict. 15. Il retire l'affligé du glaive, de la bouche, et de la main de ceux qui sont plus forts.. 16. Ainsi il y aura esperance de residu pour l'affligé,

et l'iniquité aura la bouche dose.

Nous avons ici une sentence bien digne de memoire quand il est dit, Que Dieu esleve en haut ceux qui sont mesprisez. Car par cola nous sommes admonnestez de recourir à luy, quand nous voyons que nous sommes foulez des orgueilleux, qu'il semble qu'ils nous doivent abysmer du tout. Mesmes quand il est dit, Que Dieu retire à salut celuy qui est affligé de coeur. Si nous avons des maux qui nous tormentent, que nous soyons en extremes angoisses, apprenons d'invoquer nostre Dieu, puis qu'il s'attribue cest office de sauver ceux qui sont ainsi en telle destresse, qu'ils n'en peuvent plus. Vray est que Dieu pourroit bien donner aux siens telle prosperité que iamais ils ne seroyent affligez, mais il a iuste raison pourquoy il ne le fait point. Car nous voyons l'orgueil qui est en la nature des hommes, et s'il n'apparoist par tout, si est-ce que la semence y est cachee. Il faut donc que Dieu remedie à cela: le moyen est quand il nous afflige pour estre domtez. Il est vray que nous en verrons plusieurs qui souffriront beaucoup d'adversitez, et neantmoins pour cela ne s'humilient point. Car comme une beste retifve souffrira d'estre battue, et qu'on luy creve le ventre plustost qu'elle obeisse: ainsi en est-il de ceux qui sont obstinez iusques au bout: mais quand il plaist à Dieu de damier les hommes, il fait valoir les afflictions qu'il leur envoye, qu'elles leur servent comme de medecine pour les purger de cest orgueil et presomption, de laquelle autrement ils ne pourroyent pas se retirer. Nous voyons donc que ce n'est point sans cause que Dieu exerce ainsi les siens, voire qu'il permet qu'ils soyent contemptibles selon le monde, qu'on s'en moque, qu'ils n'ayent nulle authorité, ny credit, bref qu'il semble qu'il les ait reiettez. Pourquoy donc fait-il cela? Il est besoin d'estre en une telle escole. Pourquoy est-ce qu'il leur envoye tant de maux, qu'ils souspirent et gemissent, ne

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sachans de quel costé se tourner? C'est afin qu'ils l'invoquent, qu'ils ayent leur refuge à luy. Nous voyons donc comme par les afflictions nous sommes enseignez premierement de nous cognoistre afin de ne rien presumer de nous, de n'estre point enflez de fierté et d'arrogance: et puis afin de ne noue point esgayer par trop en nos cupiditez, mais plustost renoncer aux choses de ce monde, et finalement invoquer Dieu: car c'est le principal que cela. Car cependant que les hommes seront à leurs aises, combien qu'ils n'osent pas dire qu'ils se pourront passer de Dieu, si est-ce qu'ils monstrent par effect qu'ils sont tellement eslourdis qu'il ne leur chaut d'invoquer Dieu, ne de se recommander à luy:

Voila donc pourquoy Dieu permet que les gens soyent ainsi affligez, voire iusques à estre angoissez en leur coeur, qu'ils ne savent plus que devenir. Or donc retenons bien Geste doctrine, veu qu'elle nous est si utile: et au reste advisons sur tout de la pratiquer au besoin. Quand donc nous serons foulez des hommes, quand il semblera que nous devions perir, puis qu'il est ici declaré, que l'office de Dieu est d'eslever en haut ceux qui sont ainsi opprimez, et de donner salut à ceux qui sont tristes, ne doutons point qu'il ne face ce qu'il a promis: car il n'a point oublié sa nature il faut que nous sentions qu'il se monstrera tel qu'il a esté dés le commencement. Et voila pourquoy aussi il abbaisse ceux qui sont eslevez en quelque dignité et honneur. On pensera que ce soit la roué de fortune, quand on voit telles revolutions: les meschans murmurent que Dieu se iouë des hommes comme d'une plotte: mais c'est plustost à cause de l'ingratitude de ceux qui estoyent en dignité Car ils mescongnoissent dont le bien leur est venu, et puis ils sont tellement enyvrez en leur grandeur, qu'ils despitent Dieu et sont excessifs en beaucoup de sortes, il faut donc que Dieu abbate un tel orgueil. Et ainsi voila qui est cause que Dieu fait abaisser ceux qu'il avoit eslevez au paravant: c'est (di-ie) pource qu'ils ne se pouvoyent contenir en modestie, qu'ils ne pouvoyent donner gloire à Dieu, cognoissans quelle estoit leur dignité, et aucontraire l'honneur que Dieu leur avoit fait, mais ils s'oublioyent, ils s'eslevoyent sans mesure. Et pourtant il faut que Dieu leur monstre qu'ils ne sont rien, et qu'il se moque de leur orgueil. Et ainsi que ceux qui sont eslevez en dignité pensent de cheminer en la crainte de Dieu et en solicitude. Au reste

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ceux qui Sont petis et mesprisez ont assez de quoy se consoler (comme nous avons dit) ayans ceste promesse, que c'est à Dieu de donner salut à ceux qui sont en angoisse. Voila ce que nous avons a noter. Et combien que ceci ne se face point tousiours à l'oeil: si est-ce que ceux gui sont vrayement tristes de coeur, c'est à dire, qui sont tellement abbatus qu'ils recourent à Dieu, qu'ils ne demandent que d'avoir allegement de luy, sentiront l'effect de ceste doctrine. Et de fait en general nous sentons tous par experience comme Dieu esleve en haut ceux qui sont contemptibles: car qui sommes nous de nature? Quand Dieu nous adopte pour ses enfans, en quel estat nous trouve il? ne sommes nous point plongez en toute ordure et infection,' Et non seulement cela: mais il faut qu'il nous retire des abysmes d'enfer. Car quoy qu'on vueille dire, tant y a que de nostre nature nous sommes maudits, nous n'apportons que l'image de mort il n'y a que peché en nous et mesmes (comme il est dit en Ezechiel) (16, 4) nous sommes comme un enfant sorti du ventre de la mere, voire d'une mere qui sera' pleine de corruption, tellement qu'avec les povretez dont il sera enveloppé, il y aura des ordures, comme le Prophete parle la de chancre, et de toute vilenie. Voila donc quelle est nostre condition iusques à ce que Dieu nous ait nettoyez. Et ainsi puis que desia nous avons cognu chacun de nous en soy, et en son particulier comme Dieu nous a eslevez en haut nous appellant à l'esperance du royaume des cieux, et de la vie eternelle, voire nous ayant retirez des abysmes de mort, nous ayant nettoyez de nos ordures si puantes, n'avons nous pas occasion d'esperer le semblable pour l'advenir? Et pourtant sur tout quand nous sommes en destresses telles que nous n'en pouvons plus qu'alors nous luy presentions DOS requestes, qu'il luy plaise de nous subvenir, et d'avoir pitié de nous. Voila donc comme Dieu regarde à ceux qui sont comme reiettez du monde, afin de les secourir.

Or il s'ensuit maintenant, Qu'il dissipe le conseil des malins, afin que leurs mains n'exécutent toutes leurs entreprinses. Voici encores une autre consolation qu'il nous faut bien noter, pour estre patiens en ce monde, encores que nous soyons assaillis de tous costez de nos ennemis. Il est vray que Dieu nous espargne quelque fois qu'il no monstre pas la guerre ouverte, que les meschans n'auront pas. le moyen de nous persecuter, ou qu'ils seront empeschez ailleurs, on que Dieu tient en quelque sorte leur rage bridée, tant y a que nous n'aurons pas tousiours la guerre ouverte: mais il est impossible que les enfans de Dieu vivent en ce monde, que tousiours ils ne soyent en beaucoup de perils. Et pourquoy? Il faut qu'ils cheminent en simplicité.

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Il est vray qu'ils doivent avoir prudence, et nostre Seigneur aussi leur en donne tant qu'il leur est mestier: mais quoy qu'il en soit si ne faut-il point qu'ils se maintienent par ruses, par cautelles, par meschantes pratiques: s'ils sont entre les loups, il faut qu'ils soyent agneaux et brebis, s'ils sont entre les renards, il faut qu'ils soyent comme colombes, qu'ils ayent ceste simplicité que Dieu leur commande. Or nous voyons comme le monde est rempli de malice, que si on trouve quelque prud'homme, ce sera une semence bien claire (comme on dit) et bien rare. Si donc Dieu ne besongnoit pour dissiper les conseils des meschans, que seroit-ce de nous? Ne faudroit-il pas que nous perissions chacun iour cent fois? Ainsi donc voici un passage dont nous devons bien faire nostre profit: c'est que Dieu veille au ciel pour dissiper les entreprinses et machinations que feront les meschans contre nous. Car en premier lieu nous serions tentez, voyans qu'on nous guette, qu'on nous espie, qu'on ne demande qu'à nous surprendre, et circonvenir: nous serions (di-ie) tentez de faire le semblable: i'ay à faire à fin renard, il faut donc que ie face bon guet. Et comment? assavoir, A fin, fin et demi, comme on dit. Voila comme nous sommes adonnez a decliner au mal, et faire d'un diable deux (comme dit le proverbe) quand nous sommes ainsi assaillis par la malice des hommes. Or il n'y a nul moyen de nous retenir en l'obeissance de Dieu, et de nous faire marcher en simplicité et rondeur, sinon quand nous cognoissons que Dieu est nostre bouclier, et qu'il prouvoira bien à toutes les malices qu'on nous dresse. Il est vray qu'il nous en faut garder: voire entant qu'il nous le permet, c'est assavoir, ne declinans point de la droiture laquelle il nous commande: quoy qu'il en soit, que nous n'usions de nulle tromperie, que nous ne machinions rien de ce qui ne nous est pas licite. Quand nous irons en telle sorte, sachons que nostre Dieu saura bien trouver les moyens pour dissiper toutes les entreprinses de ceux qui cuident par leur astuce nous prendre comme an trebuchet. Dieu donc y prouvoira ainsi qu'il cognoist qu'il nous est utile. Et au reste il n'est rien dit ici, que nous n'experimentions tous les iours: car si les enfans de Dieu sont trompez par fois, si est-ce qu'ils cognoissent, que si Dieu ne les tenoit en sa protection, pour les sauver des filets et astuces de ceux qui ne demandent qu'à les circonvenir, tous les coups ils seroyent deceus, et non seulement en chose petite, mais en leur vie mesme: nous voyons cela.

Ainsi donc puis que nous avons telle approbation de ceste doctrine, nous y devons estre tant mieux confermez. Comme quoy ? Quand chacun regarde en soy, nous savons bien dire, qu'il n'y a

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que malice en ce monde, qu'on ne sait plus en qui se fier: de quelque costé qu'on se tourne on est en danger d'estre trompé, qu'il n'y a foy, ne loyauté ny en parens, ny en amis: nous sommes venus iusques à une telle confusion. Et bien, puis que chacun fait telles plaintes, regardons si nous ne sommes trompez que c'est Dieu qui nous garde. Car il semble que nous le devons estre à tous les coups: que seroit-ce donc si Dieu n'y mettoit remede? Ainsi qu'un chacun cognoisse comme il est preservé de la main de Dieu, et que ce n'est point sans cause qu'il a prononcé, que son office est de faire esvanouir les pensees des malins, afin qu'ils n'executent point leurs entreprinses. Il est vray qu'encores que Dieu donnast la force aux meschans d'executer tout, si est-ce qu'il pourroit bien prevenir toutes leurs machinations, et abatre tout cela car (comme il dit puis apres) il surprend les sages en leur astuce. Quelque fois Dieu aveugle ceux qui cuident estre bien subtils et habiles' qu'il les rend desnuez: voila un moyen qu'il a de sauver les siens. Mais encores qu'il lasche la bride aux meschans, qu'ils ayent beaucoup de conseils, qu'il semble que nous ne puissions eschapper nullement de leurs mains: quand donc Dieu leur a permis une telle licence, si est-ce qu'on verra à la parfin que tout sera esvanouy, que les choses s'escouleront, quand ils auront dressé toutes leurs pratiques, pour dire, Voila comme il faut faire, voila comme il faut proceder. Quand donc ils auront fait tous leurs preparatifs, qu'ils auront conclud, qu'il n'y aura nulle doute qu'ils ne vienent à bout de leur conseil, Dieu s'en moque, et on sera tout esbahy que tout ira au rebours de ce qu'ils auront pensé. Il est vray que nous n'appercevrons point comment cela se fait, mais c'est afin que nous cognoissions que Dieu besongne comme d'une façon admirable, et pourtant qu'il faut que sa grace soit tant mieux cognuë envers nous. Ainsi donc notons bien ce qui est ici dit en somme, Que Dieu permettra aux meschans d'avoir beaucoup de subtilitez, et de prudence, qu'il semblera qu'ils doivent ruiner toute l'Eglise, on bien s'ils taschent d'opprimer un homme, ou deux, ou trois, il semblera qu'on n'y puisse resister en quelque façon. Que faut-il faire là dessus? Que nous recourions à nostre Dieu pour dire, Et bien Seigneur, il est vray que voici nos ennemis qui ont beaucoup de finesses: quand il seroit question de batailler contre eux par ruses et cauteles, nous serions bien inferieurs, nous serions perdus. Mais quoy? il reste maintenant que tu destruises et faces voler en l'air toutes leurs entreprinses, afin qu'ils n'ayent point la vertu en leurs mains pour les executer. Voila comme nous devons recourir à Dieu suivant la promesse qui nous est ici donnee. Dieu donc pourra tenir les mains des meschans liees,

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quand il aura permis de faire leurs discours en leurs esprits, et d'entreprendre ceci ou cela, il souffrira qu'ils voltigent ainsi bien loin: mais cependant s'il est question de mettre à fin ce qu'ils ont consulté, ils seront empeschez, leurs mains seront liees, et quand ils cuideront avoir eu tout à commandement, ils seront destituez de tout conseil et advis, voire de toute force et vertu, d'autant que Dieu y aura prouveu d'une façon incomprehensible. Voila quant à ce passage.

Or Eliphas poursuit plus outre en disant, Que Dieu surprend les sages en leur astuce, et que le conseil des malins est brisé, voire tellement, qu'ils trebuchent en pleine clarté, comme en tenebres, et en plein midi, ils tastonnent comme en la nuict. Ici non seulement Eliphas declare, que Dieu ne permettra point aux meschans de faire ce qu'ils ont conceu en leur coeur: mais il adiouste, que Dieu les surprend en leurs finesses, et qu'il renverse leur conseil tellement qu'ils sont abrutis, voire en sorte qu'ils ne savent qu'ils font non plus que petis enfans, que leurs machinations sont du tout ridicules. Or il nous faut bien noter ces deux choses: car (comme i'ay desia dit) si nous voyons que Dieu n'empesche point nos ennemis d'avoir prudence en eux, et que de nostre costé nous n'ayons pas grands advis,, qu'il semble qu'il ne faille rien pour nous accabler, nous voila preoccupez de desespoir, pource qu'il nous semble que si Dieu nous vouloit aider qu'il s'avanceroit, et qu'il n'attendroit pas tant. Quand donc il tarde, nous sommes estonnez, et effrayez. Or il est bon que nous soyons patiens si Dieu ne resiste pas aux meschans quand ils complottent ainsi à l'encontre de nous: mais qu'il leur permette de faire leurs discours. Et pourquoy ? Car il viendra à temps de nous delivrer de leurs mains encores qu'ils pensent bien venir à bout de ce qu'ils ont entreprins pour nous ruiner. Mais encores Dieu quelque fois n'attend pas iusques là, il a pitié de nostre foiblesse, et voyant qu'il ne faut rien pour nous esbranler, il anticipe, et se haste de nous secourir. Et comment? Voila nos ennemis qui sont fins et cauteleux: d'avantage ils sont exercez, nous penserions que toutes les ruses du monde ont passé par leur cerveau: il y a aussi bien à craindre, quand nous voyons qu'ils ont fait l'experience de telles cautelles. Mais quoy ? Dieu les pourra eslourdir tellement qu'ils seront comme bestes, que là où on a cuidé qu'ils fussent si habiles que rien plus; ils deviendront comme petis enfans, qu'on sera esbahi de leur voir consulter des choses où il n'y a ne rime ne raison, comme on dit. Et qui fait cela? Ô, Dieu sait bien envoyer l'esprit d'yvrongnerie, que les hommes chancellent sans avoir beu goutte de vin, comme il le declare par ses Prophetes. Tout ainsi

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que c'est luy qui donne sens et prudence à ceux qui sont povres idiots, aussi à l'opposite il sait bien aveugler ces esprits qui cuident voir de bien loin, en sorte qu'en plein midi ils ne font que tastonner comme povres aveuglez. Voila donc ce qu'Eliphas a voulu ici monstrer.

Or ceste doctrine s'estend bien loin: car nous sommes enseignez quand nous verrons nos ennemis machiner tout ce qu'il sera possible contre nous, que nous les pouvons despiter estans asseurez que nostre Dieu rendra vaines toutes leurs entreprinses, comme nous voyons que le Prophete Isaie en parle en deux passages (8, 9. 10): Allez (dit-il) consultez, mais rien ne se fera. Et pourquoy ? Ie Seigneur dissipera tout. Allez (dit-il) faire vos grandes deliberations, assemblez vous: mais il faudra que tout soit renversé. Et pourquoy? Car Dieu tient son conseil au ciel, et fera que toutes vos malices et ruses seront renversees: vous ne gaignerez rien contre luy. Voila aussi de grandes forces qui sont dressees contre la ville de Ierusalem, le povre roy Ezechias est venu iusques à l'extremité, mesmes il ne pretend point de resister à son ennemi, voyant qu'il n'est point son pareil, il veut acheter la paix, il se despouille de toute sa substance, il est content que le temple do Dieu soit pillé, qu'il n'y demeure point la valeur d'une maille en la ville de Ierusalem, que son palais soit vuide de toutes richesses. Voila donc un povre roy gui ne demande sinon de payer telle rançon qu'on voudra, afin d'eschapper de la gueule du lion: il sembloit bien donc qu'ils deussent estre tous deffaits. Or sur cela Dieu envoye son Prophete, lequel se moque des ennemis: Or sus assemblez vostre conseil, machinez tout ce que vous pourrez, mais si est-ce que vous ne ferez rien de toutes vos entreprinses. Et pourquoy ? Car le Seigneur s'oppose à toutes vos pratiques pour maintenir son peuple et son Eglise. Voila pourquoy i'ay dit, qu'il nous faut adviser de pratiquer ceste doctrine. Quand donc nous sommes venus en tel poinct, que noua ne savons pas s'il y aura aucune issue pour nous, mesmes qu'il semble que desia nous soyons du tout peris, recourons à la bonté de Dieu, lequel trouvera bien des moyens qui nous sont incognus: mais sur tout quand nous verrons que les malins nous persecuteront pour la querelle de l'Evangile, ne doutons point que Dieu ne desploye specialement sa vertu en cest endroit-la. Comme auiourd'huy, il est vray que les ennemis de Dieu sont assez pleins de cautelles, ils ont leur maistre qui en a sa boutique bien garnie, c'est assavoir le diable: quand lé Pape et tous les siens n'auroyent pas grandes subtilitez en eux, si est-ce que le diable leur en forgera assez: mais encores nous voyons que toutes les meschantes pratiques

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sont de leur costé, nous voyons comme ceux qui cuident estre les plus habiles sont là à louage pour blasphemer contre Dieu, pour calomnier la doctrine de verité, pour nous rendre odieux à tout le monde: et puis ils trafficquent de tous costez afin que nous soyons ruinez. Quand toutes ces choses-ia nous passent devant les yeux, qu'avons nous à faire, sinon d'attendre en patience, voire sachans que Dieu saura bien tenir leurs mains lices, quand leurs cerveaux auront fait leurs grands discours, qu'ils auront circui toute la terre, qu'ils auront mesmes surmonté les nues, que Dieu ne permettra point qu'il y ait aucune execution: et au reste qu'il pourra bien rendre hebetez ceux qui cuident estre bien subtils et sages, qu'il les rendra (di ie) tellement stupides, que les petis enfans se pourront moquer de leur bestise: comme nous le voyons de fait: car si nous regardons comment c'est que la verité de Dieu est auiourd'huy combatue par ces Caphards, et par tous les supposts du Pape, nous verrons qu'ils sont si treslourds, qu'il ne semble point, que les hommes puissent venir à tel eslourdissement. Mesmes si on regarde à ceux qui cuident estre les plus habiles, il semble qu'ils ayent complotté avec nous, et que nous leur donnions gage pour se moquer de l'Antechrist qui est leur maistre: ils luy veulent gratifier, et ils le desnigrent d'autant plus. Et qu'ainsi soit, si on lit leurs livres, on dira qu'ils parlent en faveur de nous: et de moy ie le say. D'où est-ce donc que cela procede? Il n'y a nulle doute que Dieu n'accomplisse en eux ce qui est ici dit, et ie cognoy cela clairement.

Ainsi donc puis que Dieu nous monstre par effect, que ce n'est point en vain qu'il a prononcé ceci, apprenons de nous arrester à luy, ne doutans point qu'il ne puisse renverser toutes les pratiques et machinations de ceux qui cuident estre les plus habiles, qu'il les fera tastonner en plein midi, comme s'ils estoyent des aveugles en tenebres. Et notamment il dit, Que Dieu surprend les sages en leur astuce. Quand Eliphas use de ce mot de sagesse, il le fait comme accordant aux hommes, ce en quoy ils se glorifient. La sagesse est un don singulier de Dieu, et est une chose bonne et louable, et de fait d'où procede - elle, sinon du S. Esprit, qui en est la source et la fontaine, comme aussi l'Escriture saincte le monstre? et nous le cognoissons aussi, si nous ne sommes par trop ingrats. Puis qu'ainsi est donc que la sagesse est une chose si excellente, peut-elle estre condamnée? O, il est certain que tout cc que nous voyons d'esprit et de finesse aux meschans et aux ennemis de Dieu, ne merite point d'estre nommé sagesse. Mais quoy? d'autant qu'ils s'en glorifient et qu'on les repute ainsi selon le monde, Eliphas

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use de ce mot: comme aussi il est tout commun, et on dira, Voila un sage homme: Et qu'est-ce à dire, sage homme? Un homme diabolique en somme: car il faut qu'un homme n'ait point de loyauté, qu'il n'ait nu]le droiture en soy pour estre reputé sage, qu'il se puisse moquer de tout le monde, qu'il se puisse advancer, qu'il ait de belles couleurs pour tromper et seduire O, voila un homme plein de prudence, et cependant il n'y aura qu'hypocrisie et feintise. Et si un homme veut cheminer en simplicité et droiture, qu'il ne vueille faire tort à nul, o, on l'estimera comme un niais, un idiot, voire, combien qu'il y ait assez de prudence en luy, et que les meschans mesmes soyent contrains de le confesser, tellement qu'ils diront, Voila un homme que s'il se vouloit advancer, il est assez sage, mais il est trop nonchalant, il ne demande qu'à s'accaignarder là sans se mettre au hazard. Voila comme le monde on iugera. Et pourquoy? D'autant que cestui-la no s'adonne pas à fraudes et à rapines comme les autres. Ainsi donc pource quo le monde aura ce mot de sagesse en la bouche, et le prophane (qui est une chose sacree, mais on en abuse faussement) voila pourquoy Eliphas dit, Et bien, prenons le cas que ces rusez ici soyent sages (comme ils s'appellent) et comme aussi on les repute: il est vray qu'ils ne le sont pas, mais ie leur accorde ce titre: si est-ce que Dieu les saura bien surprendre en leur malice. Or ici il monstre que ceste sagesse do laquelle se vantent les meschans n'est pas digne d'un titre si honorable. Et pourquoy ? Car ce n'est que finesse, quand tout est dit. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage.

Or maintenant nous avons à recevoir admonition d'humilité, quand nous voyons quo Dieu se mot ici comme partie formele contre tous ceux qui machinent à leurs prochains quelque mal, et qui ne demandent qu'à les circonvenir par astuce. Quand nous voyons que Dieu se met là à l'encontre d'eux, qu'il monstre qu'il est leur partie adverse, ie vous prie ne devons nous pas bien nous retenir, encores que nous fussions tentez d'user d'astuces et finesses, et que nous eussions encores assez d'esprit pour en venir à bout? Comme souvent il adviendra que Dieu nous presente de bonnes gens, lesquels nous pourrions tromper, nous les pourrions mener par le nez, comme on dit: et bien, quand telles occasions se presentent, nous devons bien estre retenus voyans que Dieu declare, Si vous usez de fraude .et d'astuce, vous n'avez point la guerre aux hommes mortels. Il est vray qu'il vous sera bien aisé de circonvenir un povre homme, mais vous-vous addressez à moy, car ie viendray au devant, et vous monstreray que mon office est de rabatre et renverser toutes les meschantes

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pratiques que les malins auront ainsi machiné. Et ainsi glorifiez-vous en vostre sagesse tant que bon vous semblera, mais ie vous rendray confusibles, il faudra qu'un chacun se moque de vous. Et pourquoy ? D'autant que vous aurez entreprins contre moy, qu'il vous semble que vous pourrez bien venir à bout de vos finesses, et de toutes vos tromperies, vous sentirez qu'il n'y a nulle sagesse que de moy. An reste sur tout quand il est question de cheminer devant Dieu, advisons de nous devestir et purger de toute feintise, car la pire astuce qui soit au monde, c'est quand les hommes veulent tromper Dieu, non pas qu'ils parlent ainsi, no d'un tel langage, mais si est-ce qu'ils ont cela imprimé on leur coeur. Et ce n'est point aussi sans cause que le Prophete Isaie dit (29, 15): Malheur sur vous qui fouyssez des cavernes sous terre, qu'il vous semble que vous pourrez vous cacher. Et de qui ? De Dieu mesme. Et cela est par trop commun auiourd'huy. Quo voit-on on tout le monde? car comment est-ce premierement qu'on pense à Dieu? Il n'y a celuy qui ne pense estre assez fin pour eschapper do ses mains. Et voila pourquoy les meschans et comtempteurs de Dieu s'esgayent, et se font accroire quo ce n'est quo bestise à nous de craindre le iugement à venir. Quand ils voyent que nous insistons là dessus, assavoir d'exhorter le peuple à craindre l'ire et la vengeance de Dieu, comme elle nous peut estre preparée, ils s'en moquent, O voila des gens qui se tourmentent en vain, et ne laissons point de faire grand' chere: s'il faut venir devant Dieu, et bien le terme vaut l'argent. Voila les blasphemes diaboliques qu'on orra, et encores qu'ils no passent point par les bouches, si est-ce que les coeurs eu seront tous farcis. En somme, nous voyons l'impieté auiourd'huy estre si lourde et si enragée, qu'on peut bien dire que les hommes font leur conte de despiter Dieu. Apprenons donc de nostre costé de cheminer en telle simplicité que Dieu ne soit point contraint de lever sa main pour executer sa vertu espouvantable, de laquelle il est ici parlé, c'est que nous perissions, et soyons surprins en toutes nos astuces. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage.

Or il est dit consequemment, Que Dieu delivre du glaive, et de la main de ceux qui sont plus puissans, et que celuy qui est affligé aura esperance de residu, et que l'iniquité aura la bouche close. Ceci est encores adiousteé pour la consolation des enfans de Dieu. Car quelle est nostre condition en ce monde, sinon d'estre tormentez de beaucoup de fascheries, d'estre molestez d'angoisses, et de nuisances? Nous sommes donc en un combat assiduel: il est vray que Dieu nous espargne bien par fois, comme desia nous avons dit, voyant que nous sommes

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debiles, voyant aussi que: s'il laschoit la bride à Satan et à ses supposts, nous serions devorez du premier coup Et bien, nostre Seigneur nous tient là comme cachez sous ses ailes: mais cependant si souffrira-il qu'on nous moleste, qu'on nous fasche, qu'on nous donne beaucoup d'ennuis. Et pourquoy? Afin que nous soyons solicitez à demander son aide, afin aussi que nous apprenions d'estre sur nos gardes pour n'estre point surprins de Satan. Car il n'y a que ceste nonchalance qui est cause de nous ruiner, c'est quand nous ne recourons point à Dieu, tellement que nous soyons solicitez de l'invoquer. Voila donc comme il faut que nous soyons tous en ce monde, c'est assavoir affligez: et de fait le mot qui signifie Povre, et Affligé, signifie aussi bien Humble. Et pourquoy? D'autant que la povreté est la vraye maistresse pour induire les hommes à modestie, afin qu'ils ne s'eslevent point par trop en eux, qu'il n'y ait point ceste audace, et yvrongnerie spirituelle d'ainsi se hazarder: mais qu'ils cheminent selon leur mesure, cognoissans quo si Dieu ne leur survenoit à chacune minute do temps, ils seroyent perdus. Voila (di-ie) comme il faut que les enfans de Dieu soyent en ce monde environnez de beaucoup d'afflictions, si puis apres ils veulent estre participans du royaume de Dieu. Mais nous en verrons bien peu: car les riches sont communement enflez d'arrogance, ils sont tellement esblouis en leurs pompes et en leurs delices qu'il est bien difficile do les pouvoir faire humilier. Il est vray quo quand il plaist à Dieu, il peut aussi bien sauver des riches et des grands, comme des plus povres, et mesprisez: mais c'est en les tenant en bride, et qu'ils ayent des afflictions telles qu'ils soyent povres, ie di au milieu do leurs richesses, qu'ils cognoissent quo leur condition est miserable, et qu'ils soyent contraints de cercher Dieu, et qu'ils dependent du tout de lui. Voila donc où Dieu nous met en premier lieu: mais il est dit puis apres qu'il nous retire du glaive, qu'il nous delivre de la gueule et de la main de celuy qui est plus puissant. En somme Dieu ne veut point que ses fideles soyent maintenus par moyens ordinaires, qu'ils ayent les armées toutes prestes pour se revenger quand ils seront assaillis de leurs ennemis, qu'ils ayent grandes munitions, qu'ils ayent force alliances, et choses semblables, non: ils seront despourveus de tout cela selon les hommes: ou bien s'ils en ont, ce ne sera pas que leurs ennemis ne soyent plus forts et plus puissans, tellement qu'ils ne leur pourront pas resister par ce moyen-la. Voila donc comme il ne faut point que nous soyons maintenus par moyens humains: mais quand nous serons environnez de plus puissans que nous, lesquels ne demanderont qu'à nous abysmer, quand nous en serons sauvez,

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.c'est à fin que nous sachions que c'est Dieu qui nous garde, et qui nous préserve quand nous sommes sous sa protection, et que nous sommes cachez sous ses ailes, tellement qu'il ne permet point aux meschans d'executer leur rage sur nous, comme ils le voudroyent bien, et comme ils sont prests do le faire, si ce n'estoit qu'ils fussent empeschez d'en haut. Voila donc ce que nous avons à noter.

Et de fait nous en voyons auiourd'huy un miroir assez clair. Car comment en sommes nous? Il semble quo les ennemis de Dieu, qui sont enragez contre son Eglise, nous doivent manger à un grain do sol, comme on dit. Si on fait comparaison do puissance, helas quelle est elle de nostre costé ? Nous sommes comme un petit troupeau do brebis, et ils sont non seulement un troupeau de loups, mais un nombre infini: le monde est plein de ceux qui ne demandent qu'à nous manger les entrailles: et ils ne se contenteroyent point de nous avoir mis simplement à mort: mais il y a une cruauté, qu'on voit bien du tout estre infernale. Quand donc la puissance est telle, de ceux (di-ie) qui ne demandent qu'à nous ruiner, et que nous soyons du tout abysmez, et que neantmoins nous demeurons: quand nous ne serions qu'un iour en vie, en cela voit-on bien comme Dieu exerce oest office duquel il parle ici, c'est assavoir qu'il delivre de la gueule, et de la main du plus puissant celuy qui est affligé. Voila donc comme nous devons estre tant mieux confermez afin d'esperer en Dieu, que comme il a commencé il parfera, et que si sa povre Eglise est menacee qu'on conspire à l'encontre, qu'il semble que desia elle soit comme à demi opprimee toutesfois il pourra et saura bien remedier à toutes ces choses. Et pourquoy? il l'a dit, et il n'a pas oublié son mestier, il sait les moyens, combien qu'ils nous soyent incognus. Attendons le donc en patience.

Or pour conclusion il dit, Qu'il y aura esperance de residu pour l'affligé, et que l'iniquité aura la bouche close. Ici; il nous est monstré a quel propos tout ce que nous avons ouy iusques à maintenant a esté declaré, c'est assavoir à ce que nous apprenions d'esperer en Dieu: car c'est une chose bien difficile. Il est vray qu'un chacun protestera bien qu'il veut esperer en Dieu: mais cela encores emporte beaucoup plus que nous ne saurions dire, tellement que ceux qui auront estudié ceste leçon tout le temps de leur vie, ils auront beaucoup profité, quand ils auront apprins à demi, c'est assavoir d'estre bien persuadez que Dieu ne leur veut point defaillir. Quand (di-ie) cela sera bien imprimé en nos coeurs, ce sera beaucoup fait pour tout le temps de nostre vie. Et notamment il est dit, Esperance de residu (Rom. 4, 18), Et pourquoy? Car il faut que nous esperions contre esperance, c'est à dire,

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il faut que quand nous voudrons monstrer à bon escient quo nous esperons en Dieu, il n'y ait point d'apparence selon le monde que nous devions esperer, mais que la mort nous environne de toutes parts, que nous soyons là en tenebres, qu'il n'y ait point une estincelle de clarté pour nous resiouir: bref que nous n'ayons sinon le mot que Dieu nous donne pour dire, Ie seray vostre Sauveur, et que neantmoins cependant il semble qu'il nous tourne le dos, qu'il nous ait reiettez, qu'il semble mesme que Dieu favorise à nos ennemis, qu'il leur monstre le baston en la main, duquel nous soyons frappez, qu'il semble qu'il nous soit contraire. Quand tout cela sera, di-ie, si faut-il neantmoins que nous esperions tousiours en luy. Voila pourquoy il est dit, Qu'il y a esperance de residu pour l'affligé, comme si Eliphas disoit: Quand les enfans de Dieu seront venus iusques à l'extremité, qu'ils ne sauront plus do quel costé se tourner, qu'il n'y aura nul moyen d'eschapper, qu'ils ne laissent pas pourtant d'esperer, que Dieu se monstrera leur Pere et leur Sauveur, que iamais ne leur defaudra, moyennant qu'ils soyent appuyez sur ceste promesse, qu'il y aura esperance de residu pour l'affligé, et que s'ils voyent la mort devant leurs yeux ils ne laisseront pas de contempler la vie qui leur est apprestee. Voila comme nous devons prattiquer ceste doctrine. Cependant si nos ennemis ne sont confondus du premier coup, si est-ce que Dieu besongnera en telle sorte, qu'en despit de leurs dents ils demeureront confus. Et c'est ce qui est ici dit,

Que l'iniquité aura la bouche close, c'est à dire que les malins ne sauront que repliquer a l'encontre du iugement de Dieu. De nostre costé il faut que nous ayons la bouche ouverte pour glorifier Dieu: car il ne nous faut point ressembler aux meschans, lesquels estans confus ne laissent point neantmoins de blasphemer et grincer les dents, combien qu'ils n'ayent dequoy repliquer. Et c'est le mot qui fait la conclusion du Pseaume 107 oh il est parlé de la providence de Dieu, car il est dit, qu'apres que Dieu a puni les habitans d'un pays, à cause de leurs pechez, que les uns sont tormentez par guerre, ou par maladie, les autres souffrent beaucoup tant par mer que par terre, quand il vient à les delivrer de tous leurs maux, les bons ont dequoy le glorifier, et cependant l'iniquité a la bouche close, c'est dire, combien que les iniques ne demandent sinon à se moquer de Dieu, et à ietter des brocards à l'encontre de luy, si faut-il qu'ils soyent là enserrez et qu'ils ne sachent que dire, sinon qu'il faut qu'ils demeurent confus. Quand donc cela est dit, cognoissons quelle est la providence de Dieu, en gouvernant les choses d'ici bas. Et quand nous voyons ces iugements ainsi manifestes, que nous apprenions de glorifier son sainct Nom, et que cependant nous recourions à luy en toutes nos adversitez, et quand il nous aura secourus, que luy rendions l'action de graces, laquelle luy appartient.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE VINGT ET UNIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE V. CHAPITRE.

17. Voici, l'homme que Dieu corrige est bienheureux: voici, tu ne refuseras point le chastiement du Tout-puissant. 18. C'est luy qui fait la playe, et qui la lie: qui frappe, et qui apporte vie.

Par ci devant Eliphas a declaré quelle estoit la puissance de Dieu, afin que nous fussions mieux preparez à recevoir la doctrine qu'il adiouste. Car voila qui est cause que nous ne sommes point tant dociles qu'il seroit requis: c'est que nous ne cognoissons point quelle est la maiesté de Dieu pour estre touchez de sa crainte. Il est donc besoin que nous cognoissions comme Dieu gouverne le monde, et que nous considerions sa iustice infinie, et vertu,

et sagesse. Or si les meschans sont confus, d'autant que Dieu se declare envers eux, et s'ils ont la bouche close, que doit-ce estre de nous? Car il ne faut point que Dieu nous contraigne à luy faire hommage, c'est assez qu'il nous en donne occasion, qu'il nous monstre qu'il y a iuste cause, et nous y devons venir de nostre bon gré. Ainsi donc retenons ce qui a esté declaré ci dessus, qu'il n'est point question de se rire, ne de se iouer quand on nous propose les iugemens de Dieu, mais qu'il faut que toutes creatures tremblent.

Or maintenant il est dit: Que l'homme que Dieu chastie est bien-heureux: et pourtant il ne nous faut point refuser ses corrections du Tout-puissant. Si on

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noua mettoit en avant que Dieu ne fait point tort aux hommes quand il est leur Iuge, et qu'il use de grande severité et rigueur envers eux, vray est qu'encores cela nous devroit assez toucher, mais nous serions estonnez de ceste doctrine comme si on nous avoit donné d'un coup de marteau sur la teste. Que faut-il donc? qu'il y ait quelque douceur meslee, afin que nous prenions goust à ce qui nous sera dit, sachans qu'il nous est profitable à salut. Ainsi donc apres qu'Eliphas a declaré en general les iugemens de Dieu pour nous disposer à le craindre avec toute humilité, maintenant il monstre que Dieu nous veut estre amiable quoy qu'il en soit, mesmes quand il nous chastie, que iamais il n'use envers nous d'une telle rigueur, qu'il ne nous face sentir sa bonté et misericorde, afin que nous approchions de luy, et que nous ne soyons point effrayez comme ceux qui conçoivent un effroy pour estre confus. Dieu donc no veut point que sa maiesté nous soit ainsi terrible, mais il noua veut attraire à soy, afin que nous l'aimions, voire non seulement quand il nous fait du bien, mais aussi quand il nous chastie pour nos pechez. Voila en somme ce que nous avons à recueillir de ce passage. Mais il semble que ceste sentence soit contraire à ce qui est dit en l'Escriture saincte, c'est assavoir que toutes les miseres et calamitez que nous endurons en Geste vie terrestre procedent du peché, et par consequent de la malediction de Dieu. Comment cola conviendra-il, que nous soyons heureux quand Dieu nous chastie, et toutesfois que tous les maux qui nous viennent de sa main sont autant de signes de son ire, et que nous l'avons offensé, et qu'il nous maudit? Car d'où vient nostre felicité et nostre ioye sinon de Dieu? Et à l'opposite quand Dieu nous sera contraire, voila nostre vie qui est maudite. Or maintenant en sentant que Dieu est courroucé contre nous quand il nous afflige, en cela il n'y a aucune felicité, ce semble. Mais nous avons à noter, qu'Eliphas regarde ici l'intention et la fin de Dieu quand il chastie les hommes. Il est vray que Dieu signifie bien qu'il deteste le peché: et do fait l'ordre qu'il avoit institué en la creation du monde est troublé, quand nous ne sommes point traittez de luy paternellement. Voila donc comme toutes les adversitez do ceste vie nous monstrent quelques signes do la malediction de Dieu, afin que là nous apprehendions quo le poché luy desplait, qu'il le hait, et le deteste, et qu'il ne le peut porter, d'autant qu'il est la fontaine de toute iustice. Mais cependant apres quo Dieu nous a ainsi declaré la haine qu'il a contre le peché, il veut aussi quo nous sentions qu'il nous attire et exhorte, et convie à repentante. Et ainsi, Dieu nous afflige-il? c'est signe qu'il ne veut point que nous perissions, mais plustost il nous solicite do retourner a soy.

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Car les corrections sont autant do tesmoignages que Dieu est prest de nous recevoir à merci, quand nous aurons cognu nos fautes et que nous luy en demanderons pardon sans feintise. Puis qu'ainsi est donc il ne faut point trouver estrange ce que dit Eliphas, Que l'homme que Dieu chastie est bien-heureux. Mais nous avons à retenir ces deux poincts que i'ay touché: l'un est, que si tost qu'il nous advient quelque mal, l'ire de Dieu nous doit venir devant les yeux, que nous devons cognoistre qu'il ne peut porter le poché: et sur cela faut que nous sentions la rigueur de son iugement, que nous concevions en nous une tristesse de l'avoir offensé. Voila par quel bout nous avons à commencer. Et au reste que cependant aussi nous apprehendions la bonté de Dieu de ce qu'il ne nous laisse point aller en perdition sans nous retirer à soy, et qu'il nous veut reduire toutes fois et quantes qu'il nous afflige. Voila donc ce que nous devons concevoir en toutes nos afflictions. Mais il y reste encores une difficulté: car cependant nous voyons que les afflictions sont communes à tous. Dieu chastie ceux ausquels il veut faire merci: mais nous voyons aussi bien qu'il chastie les reprouvez, et toutesfois cela leur tourne en plus grande condamnation. Que est-ce qu'ont profité toutes les verges que Pharao a senti, sinon que ça esté pour le rendre plus inexcusable a cause qu'il est demeuré rebelle et incorrigible envers Dieu iusques en la fin? A cause donc que Dieu afflige les bons et les mauvais, et que nous voyons par experience que les afflictions sont autant de feu pour provoquer l'ire de Dieu d'avantage sur les reprouvez, il s'ensuit que Dieu chastie beaucoup de gens lesquels ne sont point reputez bien-heureux pourtant.

Or là dessus il nous faut noter, qu'ici Eliphas ne parle sinon de ceux que Dieu chastie comme ses enfans pour leur profit, comme il le declare par ce qui s'ensuit, Que Dieu lie les playes qu'il a faictes, qu'il les bande, il y met des emplastres, et guairit le mal. Voila donc comme Eliphas restraint ceste sentence a ceux ausquels Dieu fait tourner ses chastiemens en vraye correction. Or ce propos seroit un peu obscur, s'il n'estoit deduit plus amplement pour en avoir une resolution certaine et claire. Regardons comme Dieu besongne envers les reprouvez. Vray est qu'il exhorte tous hommes à repentante quand il les chastie, comme nous avons dit, c'est autant comme s'il les resveilloit pour dire, Cognoissez vos fautes, et n'y continuez plus, Retournez à moy, et ie suis prest do vous faire merci. Mais tant y a qu'on cognoist, que ces chastiemens là ne profitent pas a tous, et aussi il ne fait point à tous la grace de retourner à luy. Car ce n'est point assez que Dieu frappe de sa main, sinon qu'il nous touche là dedans par son sainct Esprit: il

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en seroit autant de noua comme do Pharao, sinon que Dieu amollist la durté de nos coeurs. Car les hommes sont semblables à des enclumes: quand on frappe dessus, ce n'est pas pour changer leur nature, car noua voyons qu'elles repoussent les coupa. Ainsi donc iusques à tant que Dieu noua ait touchez au vif là dedans, il est certain que nous ne ferons que noua rebecquer à l'encontre de luy, et noua envenimer de plus en plus: quand il nous aura chastié, nous grincerons les dents, nous ne ferons que tempester. Et de fait l'iniquité des hommes est ai meschante, ai obstince, et ai desesperee, que tant plus que Dieu les chastie, tant plus desgorgent-ils leurs blaphemes, et monstrent qu'ils sont du tout incorrigibles, qu'il n'y a nul moyen de les amener à raison. Apprenons donc que iusques à ce que Dieu noua ait touchez par son sainct Esprit, il est impossible que ses chastimens nous servent pour noua induire à repentance, mais plustost il noua feront empirer. Or ce n'est pas à dire que Dieu ne soit iuste en cela. Et pourquoy? Car les hommes sont convaincus, que si Dieu ne les tenoit ainsi enserrez en les punissant pour leurs pechez, ils pourroyent alleguer ignorance, et qu'ils n'y ont point pensé et qu'ils ont esté eslourdis, que Dieu De les a point sollicitez à recognoistre leurs fautes: mais quand ils ont senti la main de Dieu, que maugré leurs dents ils ont apprehendé son iugement, et ont este comme adiournez, et toutesfois ils n'ont point seulement poursuivi de mal en pis, mais ils se sont enflez contre Dieu en une rebellion toute manifeste: par cela noua voyons en somme qu'ils ont la bouche close, et qu'ils n'ont plus de replique pour eux. Voila donc Dieu qui monstre sa iustice toutes fois et quantes qu'il punit les hommes, encores que cela ne leur tourne point à correction pour les amender.

Au reste quand Dieu chastie les reprouvez c'est autant comme ai desia il commençoit à declarer son ire sur eux, et le fou s'allume. Or il est vray qu'ils n'en sont point consumez du tout pour le present: mais cc sont autant de signes de ceste horrible vengeance qui leur est apprestee an dernier iour. Voila donc comme beaucoup sont touchez de la main de Dieu, Iesquels toutesfois sont maudits: car ils commencent desia leur enfer en ce monde selon duc nous en avons les exemples en tous ceux qui no changent point leur mauvaise vie, quand Dieu leur envoye quelques afflictions, on les voit estre là comme des chiens qui s'aculent quand ils n'en peuvent plus: ils ne laissent point pourtant de monstrer tousiours une rage, ou bien ils sont comme des chevaux retifs ainsi que la comparaison nous est donnee au Pseaume 32 (v. 9), ou bien ils sont du tout stupides, qu'ils ne cognoissent point leur mal: ie di pour regarder à la main

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qui frappe, comme dit le Prophete. Ils crieront bien, helas, ils sentiront les coupa: mais quoy? ils ne pensent point à la main de Dieu, ils ne cognoissent point que c'est lui qui les visite. Noua voyons donc à l'oeil comme beaucoup de gens sont d'autant plus malheureux d'estre chastiez de Dieu, pource qu'ils ne profitent point en son escole, ils ne font point leur profit de ses verges: mais il est ici parlé notamment de ceux que Dieu chastie, les touchant de sainct Esprit. Cognoissons donc que Dieu noua fait un bien special, et que c'est un privilege qu'il ne donne qu'à ses enfans, quand il nous fait sentir sa main pour noua humilier sous icelle: quand nous aurons senti les corrections qu'il nous envoye, et qu'outre cela noue en sommes enseignez pour nous desplaire en nos fautes, pour gemir devant luy, pour recourir à sa misericorde. Quand donc noua aurons un tel sentiment des verges de Dieu, c'est signe qu'il a besongné dedans nos coeurs par son Sainct Esprit. Car c'est une sagesse trop haute, pour dire qu'elle croisse en l'esprit des hommes: il faut quelle nous procede de la bonté gratuite de nostre Dieu: il faut que le Sainct Esprit ait amolli auparavant ceste durté et obstination maudite à laquelle noua sommes enclins de nature. Cognoissons donc qu'il est ici notamment parlé des enfans de Dieu, lesquels ne sont point obstinez à l'encontre de sa main, mais sont mattez et domtez de son Sainct Esprit, afin qu'ils ne se rebecquent point contre les afflictions qu'il leur envoye. Or tant y a que ceste sentence sera trouvee estrange selon l'opinion de la chair. Pourquoy? Noua appellons toua les maux qui nous sont contraires, Adversitez. Quand nous endurons ou faim, ou soif, ou froid, ou chaud, noua disons que c'est autant de mal. Pourquoy ? Car nous voudrions avoir toua nos appetits et souhaits. Et de fait ceste façon de parler n'est point du tout sans raison, de dire, que les maux que Dieu nous envoye soyent Adversitez, c'est à dire choses contraires: mais il nous faut sentir la fin, c'est assavoir que Dieu noua afflige à cause de nos pechez. Et pourtant que nous ne soyons point abusez pour noua flatter.

Au reste i'ay desia dit, que non seulement il noua faut contempler que Dieu hait le peché quand il nous afflige, et que quand il noua adiourne devant luy: il faut que nous le sentions nostre iuge: mais aussi qu'il est mestier qu'il nous tende les bras, et nous declare qu'il est prest de se reconcilier avec noua, quand nous viendrons à luy avec vraye repentance. Ainsi donc voila comme noua cognoissons, que ceux que Dieu chastie sont bien heureux, nonobstant que nous fuyons, entant qu'il nous est possible, les adversitez. Et ainsi iamais nous ne pourrons consentir à ceste doctrine pour la recevoir de coeur, iusques à tant que par foy

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nous ayons contemplé la bonté de Dieu, de laquelle il use envers les siens quand il les retire à soy. Or pour mieux comprendre cela, regardons que devienent les hommes quand Dieu les laisse, et qu'il ne fait point semblant de les nettoyer de leurs pechez. Voila un homme qui sera adonné à tout mal: comme, prenons un contempteur de Dieu: et bien, il demeure paisible, Dieu ne fait point semblant de le chastier, on verra qu'un tel homme s'endurcit, et le diable le transporte de plus en plus, il vaudroit beaucoup mieux qu'il eust esté chastié auparavant. Et ainsi le plus grand malheur qui nous puisse advenir, c'est quand Dieu nous laisse croupir en nos iniquitez: car il faut en la fin que nous y pourrissions du tout. Vray est qu'il seroit bien à desirer, que les hommes de leur bon gré sans estre picquez vinssent à Dieu, qu'ils y adherassent sans qu'on les admonnestast de leurs fautes, et qu'on les redarguast: cela (di-ie) seroit bien à souhaitter, et encores plus qu'il n'y eust nulle faute en nous, que nous fussions comme Anges, ne demandans qu'à faire hommage a nostre Createur, à l'honorer et à l'aimer comme nostre Pere. Mais d'autant que nous sommes si pervers, que nous ne cessons d'offenser Dieu, que nous sommes hypocrites, ne demandans sinon à couvrir nos fautes, et qu'il y a cest orgueil si grand en nous, que nous voudrions que Dieu nous souffrist, et supportast en tous nos appetits, et en la fin nous voudrions mesmes estre ses iuges plustost qu'il fust le nostre. Voyant donc que nous sommes si pervers, il faut bien que Dieu use de quelque remede violant pour noue attirer à soy: car s'il nous traitoit seulement en douceur, que seroit-ce? Nous voyons mesmes cela en partie aux enfans: car si les peres et meres ne les chastient, ils les envoyent au gibet. Il est vray qu'ils ne l'apperçoivent pas, mais l'experience le monstre, et nous en avons les proverbes communs, D'autant plus qu'un pere voudra amignarder son enfant, il le gaste: et les meres encores plus: car elles ont ceste sottise de les natter, et cependant elles les perdent. En cela Dieu nous monstre comme de petis rayons de ce qui est beaucoup plus en luy: car s'il nous traittoit doucement, nous serions perdus et desesperez. Il faut donc pour se monstrer Pere envers nous, qu'il use de rigueur, veu que nous sommes d'une nature si difficile, que s'il usoit de douceur envers nous, nous n'en pourrions pas faire nostre profit. Voila comme nous pourrons apprehender la verité de ceste doctrine, Que l'homme que Dieu chastie, est bien heureux: c'est assavoir quand nous cognoistrons quelle est nostre nature, combien elle est revesche, combien elle est difficile à renger, et que iamais Dieu ne nous chastie que ce ne soit pour nostre profit, qu'il est besoin qu'il nous tiene en bride

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courte, et qu'il nous donne tant de coups de fouët, que nous soyons contraints de regarder à luy. Lors donc nous viendrons à conclurre, Bien-heureux est l'homme que Dieu chastie: voire quand il adiouste ceste seconde grace, c'est assavoir, qu'il fait valoir ses verges et ses corrections, que le sainct Esprit besongne dedans le coeur, tellement que l'homme n'est plus endurci pour s'eslever contre Dieu, qu'il a ceste sollicitude de penser à ses pechez, et qu'il est vrayement domté et humilié. Voila pourquoy i'ay dit, que le plus grand bien que nous puissions avoir c'est d'estre corrigez de la main de Dieu, en sorte que les corrections qu'il nous envoye nous sont plus utiles que le pain que nous mangeons, quand nous aurons tout conté, et rabatu. Car si nous mourons de faim, Dieu aura pitié de nous, en nous recueillant de ce monde: mais si nous vivons ici bas, ne cessans de provoquer l'ire de celuy qui se monstre un Pore si bènin et si liberal envers nous, ne voila point une ingratitude trop vilaine? Ie vous prie, no vaudroit-il pas mieux que nos meres nous eussent avortez, que de prolonger ainsi nostre vie à nostre condamnation? Or si Dieu previent, et qu'il use de chastimens comme de medecines preservatives, n'attendant pas que la maladie ait gagné par trop: no nous est-ce pas un grand bien, et quo nous devons souhaiter? Ainsi donc apprenons toutes fois et quantes que les corrections nous sont dures et ameres, et que nostre chair nous solicite à impatience, et à desespoir, de reduire en memoire ceste doctrine, Bien-heureux est l'homme que Dieu chastie, combien quo nostre fantasie no parlera pas ainsi: car au contraire nous cuiderons qu'il n'y a rien meilleur que d'estre espargnez et supportez. Mais tant y a quo nous cognoissons pas experience que ce n'est point sans cause quo le sainct Esprit a prononcé une telle sentence.

Toutesfois ce n'est pas à dire que les corrections que nous avons à endurer, ne nous soyent tousiours en elles mesmes aigres et fascheuses, ainsi que dit l'Apostre (Heb. 12, 11): et Dieu aussi veut bien que nous sentions des poinctures qui nous faschent: car si nous n'endurions nul mal quand Dieu nous corrige, oh seroit nostre obeissance ? Et puis comment apprendrions nous à nous desplaire en nos pechez? Comment aurions nous crainte du iugement de Dieu, pour en estre vrayement domtez? Il faut donc que nous soyons touchez du mal que Dieu nous envoye. Ainsi, combien que le mal nous soit converti en bien, et que Dieu par cela nous monstre qu'il nous aime, si faut-il qu'il y ait quelque picqueure et fascherie afin de sentir l'ire de Dieu, et nous desplaire en nos pechez. Mais cependant il faut monter plus haut, et quand nous aurons cognu que nostre nature

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est encline à tout mal: confessons que nous avons besoin que Dieu use do quelque aspre punition pour nous en purger: comme nous voyons les medecins qui useront quelque fois en leurs medecines d'une espece de poison, selon que les maladies sont grandes et enracinees. Le medecin voit bien que c'est pour affaiblir un povre homme, pour luy debiliter veines et nerfs: mesmes quand il n'y aura qu'une saignee bien douce, c'est autant tirer de la substance d'un homme, mais il faut qu'une telle violence de face pour remedier à un tel mal. Ainsi faut-il que Dieu besongne en nous, combien que ce luy soit un moyen extraordinaire. Car quand nous disons que nous sommes bienheureux estans chastiez de la main de Dieu, il faut que cela nous induise à humilité, voyans que Dieu ne peut procurer nostre salut sinon en se monstrant contraire à nous. Ne faut-il pas bien dire qu'il y ait une merveilleuse corruption aux hommes, que Dieu ne puisse estre leur Sauveur et leur Pere sinon en les traitant rudement? Car sa nature est de se monstrer benin à toutes ses creatures: quand Dieu suyvra l'ordre lequel il voudroit tenir quant à luy, il ne fera sinon espandre sa bonté sur nous tellement que nous serons rassasiez de sa grace pour y estre du tout ravis. Or maintenant s'il nous traitte selon son naturel, et selon qu'il est enclin à douceur, nous sommes perdus: pourtant il faut que Dieu change quasi de propos, c'est à dire qu'il se monstre envers nous autre qu'il ne voudroit estre. Et qui est cause de cela? Nostre malice desesperee. Et pourtant nous avons bien ici occasion d'estre du tout confus en honte, quand nous voyons qu'il faut que Dieu se desguise par maniere de dire, s'il veut que noua ne perissions point. Voila quant à ceste sentence.

Mais pource que nous ne pouvons pas bien appliquer ceste doctrine à nostre usage sans adiouster ce qui s'ensuit, conioignons tous les deux. Il est dit, Ne refuse point la correction du Tout puissant: car luy qui a fait la playe, la bande, et y met des remedes convenables, il guerit apres avoir envoyé le mal. Ici nous sommes exhortez à ne point refuser les corrections de Dieu: mais la raison est adioustee quant et quant, c'est assavoir, pource que Dieu y donnera bonne issue. Et voila en quoy consiste ceste felicité dont Eliphas a fait mention. Apprenons ici que quand Dieu nous veut exhorter à patience, il ne nous propose pas seulement, que nous ne pourrons pas eviter sa main, que nous perdons temps à luy estre rebelles, qu'il faut maugré nos dents passer par là, que nous ne pouvons pas resister à la necessité: car ce seroit une patience de Lombard, comme on dit, quand nous grincerions ainsi les dents et que cependant nous viendrions entant qu'en nous sera, nous eslever contre

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Dieu, que nous ne serions patiens sinon par force. Il faut donc si nous voulons estre patiens quant à Dieu, que nous soyons attirez d'un autre moyen, c'est assavoir que nous soyons consolez quant et quant, ainsi que S. Paul en parle au 15 (v. 4) des Romains, oh il met ces deux choses-la comme inseparables, c'est que pour avoir patience en toutes nos adversitez, nous prenions goust en la bonté de Dieu, que nous soyons resiouis de sa grace, que nous sachions que s'il nous afflige, c'est pour nostre salut. Et c'est ce qui nous est monstre en ce passage, quand il est dit, Ne refuse point la correction du Tout-puissant: car c'est luy qui est medicin de vos playes, c'est luy qui vous envoyera guerison de vos maux. Dieu donc nous declare ici qu'il ne veut point que les hommes s'assubietissent à luy pour dire, Puis que nous ne pouvons point faire autrement, il faut bien que Dieu soit le maistre, nous ne pouvons pas nous exempter de son empire. Or il n'est point question d'y venir en telle sorte, mais nostre Seigneur dit, Non: soyez patiens, humiliez-vous sous moy: et que vous preniez exemple à mes iugemens pour ne point murmurer à l'encontre, ne vous despiter: autrement il faudra que vous soyez batus de ma main, voire et en telle sorte que vous en serez accablez du tout. Mais si en toute humilité vous recognoissez vos fautes, et que vous m'en veniez demander pardon, vous sentirez allegement de vos maux, tellement qu'au milieu des plus grandes afflictions vous aurez occasion de me rendre action de graces. Voila (di-ie) ce qu'il nous faut mediter pour avoir une vraye patience. Or donc voyans que de nature nous sommes rebelles à Dieu, que si tost qu'il noue touche du petit doigt nous sommes faschez, voyans aussi que nous avons une telle fierté en nous qu'il nous semble que Dieu nous fait tort quand il nous chastie, quand (di-ie) nous avons ces deux vices-la si grans, il est bien difficile de nous en purger. D'autant plus devons nous mediter ceste doctrine qui nous est ici monstrée, c'est assavoir, que nostre Dieu en nous affligeant nous veut reduire à soy, ouy pour nostre bien et pour nostre salut.

Au reste il nous faut bien noter ceste promesse, qui est ici mise, c'est assavoir, que Dieu guerira les playes qu'il a faites. Il est vray que ceci n'appartient point à toue, mais il appartient à ceux qui reçoivent les corrections benignement. Et cependent notons que Dieu veut que tous soyent admonestez de retourner à luy, voyans une telle douceur qu'il leur monstre. Mais quoy? Il en y a beaucoup qui ne goustent point ce qui est ici contenu: et voila pourquoy aussi nous voyons tant d'impatience, tant de murmures, tant de blasphemes à l'encontre de Dieu. Les corrections sont partout: et où est la repentance? Il n'y en a point: mais

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nous voyons qu'il semble quo les hommes ayent conspiré de resister à Dieu iusques au bout. Pourquoy cela? D'autant qu'il y en a bien peu qui conçoivent ceste doctrine ici, ne qui reçoivent ceste promesse, pour dire, Seigneur c'est ton office de bander les playes que tu auras faites, et de donner guerison au mal. Et pourtant retenons bien ceste leçon, veu mesmes qu'elle est tant souvent reiterée. Car ce n'est point seulement en ce passage que le S. Esprit parle ainsi, mais nous voyons qu'il cet dit, Le Seigneur nous afflige, et au troisieme iour il nous guerit, tellement que Bail nous a donné quelque coup de verge, noua ne penserons pas pourtant qu'il ne nous vueille estre propice quand nous viendrons à luy. Quand telles exhortations nous sont faites aux Prophetes, c'est autant comme si Dieu nous disoit, Il cet vray que ie vous ay affligez pour quelque temps, mais ie poursuivray envers vous ma misericorde, elle sera perpetuelle: que si vous avez senti quelque ire, quelque signe de colere comme d'un pere qui sera courroucé contre ses enfans, ce n'est pas pourtant que ie vous aye hays, mais il a fallu que ie vous aye fait sentir le fruit de vos pechez, et que vous cognussiez que ie les ay en detestation: mais tant y a qu'en la fin vous sentirez que ie ne demande sinon de guerir les playes, et de donner guerison au mal que i'ay envoyé. Or il cet vrai que de prime face ceci encores ne nous sembleroit point estre convenable, que Dieu prenne plaisir à guerir les playes quand il nous aura navrez. Pourquoi ne nous laisse il en paix et en prosperité plustost? Mais i'ai desia monstré que les playes que Dieu fait, nous sont autant de medecines. Il y a donc double grace qui nous est ici monstrée: l'une est d'autant que Dieu quand il nous afflige procure nostre bien, qu'il nous attire à repentance, il nous purge de nos pechez, et mesmes de ceux qui nous sont incognus. Car Dieu ne se contente pas de remedier aux maux lesquels sont desia presens, mais il regarde qu'il y a beaucoup de semence de maladies cachées en nous. Il anticipe donc, il y met ordre, c'est un bien singulier qu'il nous fait que quand il semble qu'il viene contre nous l'espée desgainée qu'il nous monstre signe de courroux: toutesfois quoi qu'il en soit il se declare medecin. Voila pour un item. Et puis il y a la seconde grace qui nous est aussi bien monstrée, c'est assavoir, que Dieu lie les playes qu'il a faites, et y donne guerison. Et c'est ce que i'ai desia allegué de S. Paul (1. Cor. 10, 13), qu'il ne permet point que nous soyons tentez outre nostre portée, mais qu'il donne bonne issue à tous nos maux.

Ainsi donc combien que les corrections nous soient utiles, mesmes necessaires, et qu'il faille que Dieu nous sollicite en diverses sortes pour retourner

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à lui, si est toutesfois qu'il nous espargne, et ne regarde point à oc que nos pechez requierent, mais ce que nous pouvons porter. Et voila pourquoy il dit, qu'il nous chastiera en main d'homme, c'est à dire, qu'il n'y ira point selon sa vertu. Car que seroit-ce quand Dieu voudroit desployer son bras contre nous? helas qui seroit la creature qui pourroit subsister devant luy? mesmes il ne faut sinon qu'il monstre sa face courroucée, et voila tout le monde peri: et encores qu'il ne face point cela, seulement qu'il retire son Esprit, et il faut que tout defaille, comme il est dit au Pseau. 104 (v. 29). Mais il nous traite humainement, et cependant aussi il retire sa main quand il voit que nous sommes ainsi accablez, et que nous sommes courbez sous le fardeau, il nous espargne, voire moyennant que nous soyons d'un esprit humble, et debonnaire. Car nous savons ce qu'il declare en sa Loy, que si nous allons à l'estourdie contre lui, il ira de mesmes envers nous, comme il le dit aussi au Pseau. 18 (27): Ie serai revesche à l'encontre de ceux qui le seront. Nous aurons beau faire des obstinez contre Dieu, et des rebelles, et des furieux, ne pensons pas venir à bout de luy par ce moyen-la. Car il sera pervers avec les pervers, c'est à dire qu'il sera farousche quand il verra que les hommes useront contre lui d'une malice si obstinée, et qu'il faudra qu'ils soyent accablez du tout. Mais si nous avons une esprit debonnaire pour nous assubietir a la main forte de Dieu, i} cet certain que nous trouverons tousiours en luy ce qui est ici dit. Suivons donc ce qui nous est declaré par l'Apostre (1. Pier. 5, 6), Humiliez-vous (dit-il) sous la main puissante de Dieu: car quiconques baisse la teste, quiconques plie le genouil devant Dieu pour lui faire hommage: s'il tombe, il sentira la main de Dieu, pour le relever: mais qui s'eslevera contre Dieu, il faudra qu'il sente sa main lui estre contraire. Voulons-nous donc sentir la main de Dieu sous nous pour nous assister? Humilions-nous: mais quiconques se haussera, il faudra qu'il viene hurter contre la main de Dieu, et il sentira une foudre qui sera pour l'abysmer. Et ainsi retenons bien ceste doctrine quand il est dit: Ne refusez point les corrections du Tout-puissant. Quand nous aurons apprehendé la bonté de Dieu, que nous aurons cognu son amour paternelle, cela fiera pour nous adoucir les afflictions lesquelles autrement nous sembloroyent rudes et a pres. Hais cependant il faut qu'un chacun de nous applique à son usage ceste doctrine. Car il nous sera bien aisé de dire, Benit soit Dieu qui chastie ainsi les hommes, et cependant quand nous serons chastiez, qu'il ne soit point loué de nous, mais plustost que nous murmurions contre luy. Or il ne nous en faut pas faire en telle sorte: l mais quand nous serons affligez en nostre particulier,

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que nous recevions les corrections patiemment, et que nous prenions pour nous les exhortations que nous saurons bien donner aux autres. Cognoissons donc qu'il n'y a celui de nous qui n'ait beaucoup de vices en soy, et que ce sont autant de maladies que Dieu ne peut guerir sinon par le moyen des afflictions qu'il nous envoie. Il est vray s'il vouloit user d'une puissance absoluë, il le feroit bien autrement, mais nous ne parlons point de la puissance de Dieu, nous traittons seulement du moyen qu'il veut tenir envers nous. D'autant donc que Dieu veut tenir cest ordre là de remedier à nos vices en nous affligeant, il faut qu'un chacun pour soi estudie ceste leçon, afin que nous confessions tous avec David, Seigneur ç'a esté mon profit de ce que tu m'as humilié (Pseau. 119, 67). David ne parle point là des autres, pour dire, Seigneur tu as bien fait de chastier ceux qui ont failli, mais il commence par soy. Ainsi faut-il que nous en facions. Et c'est ce qui nous est ici monstré du S. Esprit, Voici l'homme que Dieu chastie est bien heureux. Et pourquoy? Car les hommes ne peuvent souffrir d'estre gouvernez de Dieu, ils se rebecquent et demeurent tousiours incorrigibles: pourtant il est besoin et profitable pour eux que Dieu les chastie. Or d'autant que nous voyons auiourd'hui la main de Dieu levée, et en general et en

particulier: nous devrions estre tant mieux touchez de ceste doctrine. On voit en quelles enormitez on est venu: et ainsi se faut-il esbahir si Dieu monstre une telle rigueur? Et encores est-il certain qu'il nous espargne beaucoup en ce faisant. Vray est qu'on ne voit pas qu'il punisse les meschans comme il nous fait, combien qu'ils soient rebelles et obstinez iusques au bout, et que pour toutes admonitions qu'on leur puisse faire ils ne se vueillent nullement renger à Dieu. Mais quoy? Il les adieurne par toutes les afflictions qu'il leur met devant les yeux en la personne des antres, et mesmes par celles qu'il leur fait sentir quelques fois en leurs personnes: et il les condamnera par contumace d'autant qu'ils demeurent ainsi rebelles et obstinez. Or de nostre costé prions-le qu'il ne permette point que nous soyons ainsi endurcis, mais que si tost qu'il nous monstrera les signes de son ire, qu'il besongne tellement en nous par son S. Esprit qu'il amollisse ceste durté de nos coeurs,, afin de donner lieu à sa grace, quand il nous aura receus à merci, comme nous en avons besoin, et comme nous le pouvons appercevoir si nous ne sommes par trop stupides.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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VINGTDEUXIEME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE V. CHAPITRE.

19. Il te delivrera de six afflictions, et en la septieme le mal ne te touchera point. 20. En temps de famine il te conservera de mort, et du glaive en temps de guerre. 21. Tu seras caché du fleau de la langue, et ne craindras point quand la calamité adviendra. 22. Tu te riras en la calamité et famine, et ne craindras point les bestes champestres. 23. Tu auras alliance avec les pierres, et les bestes sauvages seront reduites pour avoir paix avec toy. 24. Tu sentiras ton tabernacle estre en seurté, et en visitant ta maison tu ne seras point fasché. 25. Tu sentiras ta lignée augmenter, et ta race comme l'herbe de la terre 26. Tu viendras au sepulchre, estant plein comme un tas de bled est cueilli en son temps. 27. Voici, nous avons enquis de ces choses, il en est ainsi: escoute donc, et note le pour toy.

Nous traitasmes hier la consolation qui est ici mise à tous fideles quand Dieu les afflige: c'est que leurs playes ne sont point mortelles: car Dieu les delivre en la fin de leurs maux, mesmes que c'est luy qui est le medecin pour guerir leurs afflictions. Et de fait il les attrempe avec telle mesure, que nous ne sommes point du tout opprimez, pource qu'il nous supporte ayant pitié de la foiblesse qui est en nous. En somme donc Dieu fait par son conseil admirable que tousiours l'issue de nos afflictions est heureuse, et que nous avons dequoy nous resiouyr, voyant que c'est pour nostre bien et pour nostre salut: comme aussi sainct Paul en parle au 8. des Romains (v. 27). Or maintenant pour confermer ce propos, il est dit, Que Dieu delivrera les siens de six dangers, ou six afflictions, et

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qu'en la septieme le mal ne viendra point iusques à eux. Par cela il nous est signifié, que Dieu permettra bien que nous passions par beaucoup de miseres, et estans eschappez d'un mal, que nous rentrerons en l'autre, et que ce nous soit un exercice continuel pour tout le temps de nostre vie, qu'il n'y ait gueres de relasche pour les povres enfans de Dieu, qu'ils soyent tourmentez maintenant en une façon, maintenant en l'autre. Qui plus est, il faut et est expedient qu'ils soyent ainsi traittez à cause de leurs pechez: mais tant y a que Dieu donne bonne issue à leurs afflictions, combien que le nombre en soit infini. Voila en somme ce qui nous est ici monstré. Or nous avons besoin de ceste promesse 7 attendu l'ingratitude qui est en nous: car encores que nous ayons senti par experience que Dieu nous ait aidez et secourus en quelque mal: si puis apres nous sommes en danger, il nous semble qu'il n'est pas question d'attendre secours de luy. Ne voila pas une ingratitude et perversité trop grande? Tant y a que toutes fois et quantes que Dieu aide aux siens: c'est pour les asseurer au temps à venir, afin qu'ils puissent tousiours avoir leurs recours à luy, sachans puis que mon Dieu m'a aidé, et qu'il a eu pitié de moy en la necessité, il ne m'oubliera non plus tout le temps de ma vie: ie l'invoqueray, et auray mon refuge à luy: et ie suis certain qu'il est tousiours prest de remedier à tous les maux qui me pourront advenir. Voila donc comme Dieu nous veut asseurer de son secours, et nous ne nous y pouvons fier. A l'opposite quand il nous fait du bien, nous imaginons qu'il est las d'estre importuné de nous, qu'il ne voudra plus estre fasché, ou bien nous mettons en oubli son secours, tellement que nous ne concevons nulle esperance comme son intention seroit. Nous voyons donc que nous avons besoin de bien mediter ceste doctrine, c'est assavoir que Dieu nous delivrera de six afflictions: comme s'il estoit dit, qu'il ne nous faut point esperer en Dieu seulement pour un iour, ou seulement pour un coup: mais selon que nostre vie est pleine de beaucoup de miseres, que quand nous serons sortis d'un mal, il y en viendra encores un nouveau, que nous serons tourmentez de miseres infinies: d'autant donc que nous avons un combat continuel, et que nous serions incontinent accablez si nous n'avions Dieu prochain pour nous aider, que nous tenions pour certain qu'il n'y faudra point. Aucuns exposent ceci subtilement, comme s'il estoit dit, que Dieu tout le temps de nostre vie nous delivrera de maux, et en la fin qu'il nous en fera du tout sortir en nous recueillant hors de ce monde. Car comme le monde a esté creé en six iours, aussi la vie humaine est volontiers comprinse en ce nombre, et le repos est quand Dieu nous despouille de ce corps

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mortel: car voila comme il met fin à tous nos labeurs, torments et combats. Mais qu'il nous suffise d'avoir le simple sens de ce passage, c'est assavoir, que combien que nous soyons agitez de beaucoup de maux durant la vie presente, Dieu nous en fera sortir tousiours, et nous amenera à bon port. En somme il est ici parlé de sept corrections à la façon commune de l'Escriture saincte: car ce nombre de sept emporte une grande quantité, et comme infinie. Et voila pourquoy il est dit aux Proverbes (24, 16), Que le inste tombera sept fois le iour et sera relevé. Il est vray qu'aucuns entendent cela des pechez, mais Salomon ne parle sinon des cheutes que nous tombons d'autant que nous sommes batus de beaucoup de verges, que maintenant il y viendra quelque maladie, maintenant quelque autre adversité, maintenant on nous tourmentera, on nous fera quelque iniure. Voila donc les cheutes ausquelles les enfans de Dieu tombent, tellement qu'il semble au lieu de leur tenir la main forte, qu'il les laisse là tomber comme des petits enfans qui n'ont point de vertu. Mais quoy? Quand nous sommes ainsi tombez, Dieu nous releve tousiours: et mesmes comme il le dit en l'autre passage, il aura sa main au dessous, et ne permettra point que nous tombions trop rudement (Ps. 91, 12).

Apprenons donc par ce passage, que nous sommes admonnestez en premier lieu de n'estre point esbahis s'il nous faut venir en beaucoup de tribulations. Et pourquoy? Car Dieu nous a mis en ce monde à telle condition et à telle fin: il ne faut point qu'un chacun de nous se promette ceci ou cela. Et que gagnerons-nous de nous faire à croire d'avoir ce qui n'est pas en nostre main? Et Dieu aussi permettra tousiours que nous serons frustrez de nostre attente quand nous aurons esté si fols de conter sans luy, et que nous ne nous serons point remis à son gouvernement. Il ne faut point donc que nul se promette un repos continuel, veu que Dieu veut que nous combations et luy plaist d'ainsi nous exercer. Et au reste quand nous voyons que nous ne cessons de provoquer l'ire de Dieu, et qu'il y a tant de fautes en nous, faut-il sur cela que nous appetions d'estre à nostre aise, et en delices, et que nous n'en partions iamais? Ne seroit-ce point pour nous faire pourrir en nos ordures, sinon que nostre Dieu nous en purgeast par afflictions? Apprenons donc de nous apprester aux combats sachans qu'en vivant en ce monde nous n'y sommes pas comme en un paradis, mais nous y sommes pour y avoir beaucoup de miseres, et de fascheries d'autant que la volonté de Dieu est telle. Et ainsi cognoissons que les adversitez nous sont utiles, voire necessaires pour nostre salut, et qu'il faut que Dieu nous visite ainsi, et nous resveille. Voila quant au premier

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poinct, qu'ici le S. Esprit prononce, que les fideles seront suiets à beaucoup d'infirmitez Car il ne traitte sinon des enfans do Dieu, de ceux ausquels il fait misericorde, et toutes fois de ceux-la il dit, qu'ils ne seront point tormentez d'une affliction seule, mais ,de six, et de la septieme. Or cependant apres que nous aurons esté advertis d'estre patiens en toua nos maux, retenons aussi ceste consolation qui nous est donnée, c'est assavoir que Dieu iamais ne nous defaudra au besoin. Vray est qu'il ne nous subviendra point à toutes nos miseres pour nous en exempter du tout: mais tant y a qu'en temps opportun nous serons secourus de luy: et que cela nous suffise, combien que nous languissions, et que nous ne soyons pas si tost assistez de luy, comme nostre appetit le porte. Car nous avons nos desirs si bouillans que rien plus et Dieu differe, et nous laisse là pour esprouver nostre patience. Mais cependant qu'il nous suffise, comme i'ay dit, que Dieu nous a declaré, que nous ne serons pas frustrez de son aide, moyennant que nous attendions paisiblement iusques à ce qu'il cognoisse qu'il soit bon de nous delivrer. Voila ce que nous avons à retenir. Et pour conclusion quand Dieu nous aura fait sortir de beaucoup de maux qu'il ne permettra plus que nous y rentrions, mais nous en delivrera une fois pour toutes: c'est assavoir que Dieu ira tousiours augmentant sa bonté envers nous, et que si nous avons experimenté six fois, c'est à dire tant et plus, son aide, en la fin il se monstrera encores plus favorable envers nous, et declarera, que non seulement il nous veut tousiours tendre la main pour nous faire sortir des miseres où nous sommes: mais qu'il nous veut avoir en son repos eternel, qu'il veut mettre fin à toutes les fascheries desquelles nous sommes maintenant environnez. Ainsi donc que toutes les graces de Dieu qu'il nous a eslargi en la vie presente nous conduisent à ce but-la: c'est qu'en la fin nostre salut sera parfait et accompli. Dieu nous en donne maintenant quelque petit goust, mais attendons qu'il amene les choses à leur vraye perfection, et alors nous sentirons comme il est nostre Sauveur. Voila comme les biens que nous recevons en ce monde nous doivent donner une attente plus ample beaucoup, et plus haute de la bonté de Dieu, laquelle se monstre maintenant en partie, et non pas du tout.

Or apres qu'il a ainsi parlé il adiouste, Qu'au temps de famine nous serons delivrez. Aucuns entendent qu'ici Eliphas declare les sept afflictions dont il avoit parlé: mais ceste exposition-la tant subtile n'a point une fermeté où on se puisse arrester pleinement. Suyvons donc le sens naturel tel qu'il est: c'est assavoir, Que selon que les maux desquels Dieu nous afflige en ce monde sont quasi

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infinis, il faut que nostre esperance s'estende an long et au large, afin que nous attendions tousiours ceste delivrance qu'il nous a promise, ouy quelque espece de maux que nous endurions. Voila pourquoy il est ici parlé de la famine, de la guerre, des bestes sauvages, de quelques orages et tempestes, de feu, d'autres calamitez, comme nous voyons nostre povre vie estre assiegée de tant de sortes de maux que rien plus. Cela donc nous est declaré en somme que Dieu n'est point seulement pour nous retirer de famine, il n'est point soulement pour nous delivrer de la guerre: mais en quelque fascherie que nous soyons entrez, nous sentirons qu'il en a l'issue, comme il est dit, Qu'il a les issues de mort en sa main. Or ceci est bien necessaire: car nous voyons quelle est la perfection des hommes, c'est assavoir qu'ils distribuent les offices de Dieu d'autant qu'il leur semble qu'ils ne peuvent pas trouver remede à tous maux s'ils viennent en un mesme lieu. Voila pourquoy les. Papistes feront un sainct qui presidera sur les fiebvres, ou deux, ou trois, ou quatre: l'autre sera pour garder les fruicts de la terre: l'autre sera sur une telle maladie. Es pourquoy? Car ils imaginent, que s'ils ont leur recours à Dieu, quand ils sont en fiebvre, ou en hydropisie, s'ils vienent à lui pour estre aidez, qu'il ne pourroit point s'empescher de tant de choses, il vaut donc mieux qu'il y ait une office à part pour un tel sainct, ou qu'il y en ait deux, ou trois et puis que le semblable soit aussi bien à cestui-ci, et à cestui la. Voila comme les hommes par leurs superstitions diaboliques descirent par pieces la maiesté de Dieu, quand ils le despouillent ainsi de sa vertu, et la mettent aux creatures. Et ainsi notons bien ceste doctrine où il nous est declaré, que si Dieu retire de là peste, il retirera aussi bien du glaive, qu'il ne faut point qu'on aille distribuer son office à cestui ci, ou à cestui-la: que nous sachions qu'il veut estre Sauveur, non pas en partie, mais du tout. Ainsi donc ayons hardiment nostre refuge à luy, non pas en une espece de mal, mais quoy qu'il nous adviene, sachans bien que sa vertu sera estendue iusques à toutes les morts qui nous pourroyent menacer, comme il est dit qu'il n'a point seulement une issue pour nous delivrer de la mort, mais il a les issues qui nous sont incomprehensibles. Quand nous serons affligez d'un costé, Dieu nous fera sentir de l'autre qu'il nous assiste: quand nous serons enserrez, qu'il n'y aura nul moyen d'eschapper ce semble, Dieu en trouvera, voire à sa façon, c'est à dire par dessus le sens et opinion de la chair.

Or cependant nous sommes ici advertis derechef de nous preparer à patience, non pas seulement pour une espece de mal, mais pour tout ce qui nous peut advenir: comme nous voyons que

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les hommes sont nais à diverses afflictions. Or ie di ceci pource que ceux qui sont bien robustes pour endurer quelque mal, seront incontinent vaincus d'une autre tentation. Exemple on en trouvera qui pourront endurer povreté, mais une maladie les transporte tellement qu'ils se despitent contre Dieu, et n'y a nul moyen de les appaiser: les autres sauront bien porter maladie, ou ceci, ou cela, mais si on leur fait quelque tort ou iniure, qu'on tasche de leur faire deshonneur, là ils perdront toute patience. Il y aura donc quelque fois apparence de vertu en un homme quant à une espece de tentation mais aux autres il defaudra. Pour ceste cause il nous faut bien noter ce qui est contenu en ce passage, c'est assavoir que Dieu n'attribue point cela à louange quand un homme se monstrera vertueux en un endroit, et qu'au reste il sera froid, et incontinent abbatu: mais il faut que nostre patience aille plus loin, c'est assavoir, pour nous rendre paisibles en tout ce que Dieu nous voudra envoyer. Car quand nous sommes exhortez à estre patiens, Dieu ne nous met pas seulement devant les yeux un mal, ou deux ou trois, mais il dit, qu'un chacun de nous prenne sa croix, ou son fardeau. Et quel est ce fardeau la? Ce n'est point à nous de faire nostre pacquet, pour dire, I'en auray à telle mesure, et telle portion, mais c'est à Dieu de nous donner nostre charge. Or il nous advertit, que quand nous aurons esté persecutez en une façon, il faudra que nous rentrions en un combat nouveau, et tout divers. Il nous faut donc preparer a cela. Et voila pourquoy aussi les afflictions sont nommees Coupe, ou Verre: car tout ainsi qu'un medecin ordonnera à son malade telle quantité que bon luy semblera, le malade sera contraint de prendre un bruvage en telle portion que le medecin l'aura ordonné: ou bien un pere quand il nourrit ses enfans, il leur trenche leurs morceaux, et leur donne à boire et à manger selon son plaisir: ainsi il faut que Dieu dispose de nous et qu'il ait ceste authorité-là, de nous charger, et nous donner telle portion de miseres que bon luy semble. Puis qu'ainsi est retenons la doctrine qui est ici mise, que Dieu nous delivrera de famine en temps de sterilité, qu'il nous delivrera de glaive en temps de guerre, qu'il nous gardera des bestes sauvages, comme s'il estoit dit, Que les hommes ne seront point seulement assaillis de famine, on les autres de guerre, ou les autres de peste, ou les autres molestez de bestes sauvages, mais que les uns et les autres sentiront qu'ils peuvent avoir autant de nuisances, comme nous voyons qu'il y a de moyens pour nous fascher: que ce nous sont autant d'ennemis qui nous sont prochains: et que si nostre Dieu n'avoit tousiours sa main estendue s'il n'avoit pitié de nous pour nous delivrer, voilà

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cent mille morts qui nous menacent, et environnent de tous costez. Voila donc comme il faut qu'un chacun de nous pense bien aux dangers ausquels il est, que nous cognoissions combien nostre condition est miserable, afin d'estre tant plus soigneux d'invoquer Dieu. Mais cependant aussi que nous soyons prests à endurer patiemment, non seulement une espece de mal, mais un nombre infini, selon qu'il plaira à Dieu d'affliger chacun. Car il n'est point dit, que Dieu se contente quand il nous aura exercé en une sorte, mais il faut que nous passions par le feu et l'eau: c'est à dire que nous n'aurons point seulement une sorte d'afflictions, mais il faudra que quand nous serons sortis d'un mal, nous rentrions en l'autre. Voila en somme ce qui nous est ici signifié.

Or il est dit quant et quant, Que nostre alliance sera avec les pierres, et avec les bestes sauvages. En quoy Eliphas signifie que les choses qui ont accoustumé d'apporter nuisance et fascherie aux hommes, ne nous tormenteront point, comme sont les pierres des champs, et les bestes sauvages. Et comment les pierres des champs ? soit à cheminer, soit à labourer la terre: car nous savons que le labeur est beaucoup plus penible si une terre est pierreuse: qu'un povre homme travaillera beaucoup, ou il faudra que sa charrue se rompe souvent s'il ne destourne les pierres. Voila pourquoy donc nostre Seigneur declare, que les pierres no nous nuiront point soit à cheminer, ou au travail des champs: à cheminer (di-ie) pour avoir mauvaise rencontre. Il adiouste, Des bestes de la terre aussi: car nous voyons comme les bestes nous sont contraires. Or il est vray que de nature les bestes nous devroyent obeir, d'autant que Dieu a donné maistrise à l'homme sur toutes creatures, et mesmes il a creé les bestes à ceste fin-la, qu'elles fussent subiettes à, l'homme, qu'elles le recogneussent comme un Prince qui domine ici bas selon que Dieu l'a constitué. Mais tant y a qu'il faut maintenant que les bestes s'eslevent contre nous: et c'est d'autant que nous n'avons point fait hommage à Dieu de cest empire souverain qu'il a sur toutes creatures, et lequel il nous a communiqué. Comme si un homme tenant un fief d'un Prince, et estant son vassal avoit fait quelque offense, qu'il eust commis quelque trahison, ou qu'il se revoltast, le bien qu'il avoit sera confisqué. Ainsi nostre Seigneur en fait-il: car pour nostre ingratitude il a fallu qu'il nous ait despouillez des biens qu'il nous avoit mis entre mains: et mesmes qu'il ait armé les bestes sauvages, qui nous devoyent rendre pleine obeissance et qu'il les suscite iournellement contre nous. Voila d'où vient ceste contrarieté, et comme inimitié qui est entre les hommes, et entre les bestes.

Or il est dit ici, Que nous avons alliance avec les bestes, c est à dire, que Dieu retiendra la rage

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qui est aux bestes, qu'elles n'auront point affection de nous nuire. Il est vray qu'encores nous voyons bien que Dieu ne nous a point du tout desnuez do ceste domination qu'il avoit donnee à Adam. Car combien que les chevaux soyent des bestes pleines de fierté, les boeufs aussi, tellement qu'il semble qu'ils doivent foudroyer les hommes, encores les domte-on communement et on vient-on à bout. Et Dieu encores a voulu qu'il y eust quelques traces de sa bonté, puis que les hommes ont leur vie en ce monde, et iouissent de ses creatures en partie. Hais cependant ils n'ont pas en perfection telle alliance que Dieu a ici promise, car aussi ne leur seroit-il point convenable: il faut que nous soyons molestez et picquez par les bestes sauvages, afin que nous sentions les fruits de nostre rebellion contre Dieu. Tant y a toutesfois que c'est un don special que Dieu donne aux siens, quand ils sont sous sa garde et protection, c'est assavoir que les bestes sauvages leur sont paisibles, comme s'il y avoit alliance, et que Dieu y eust traité paix, qu'il fust là venu entre deux pour dire, Il est vray que les bestes vous ont esté iusques ici ennemis, mais ie veux qu'il y ait paix et accord entre vous. Voila donc ce qui est ici promis, voire comme un bien singulier a ceux qui se cachent sous l'ombre des ailes de Dieu. Or le moyen d'obtenir un tel privilege nous est encores monstré mieux en Osee (2, 18), quand il dit au second chapitre, que Dieu fers qu'il y aura alliance avec les bestes sauvages, voire par nostre Seigneur Iesus Christ. Car là il est notamment traitté de la restauration de l'Eglise qui estoit desolee et ruinee. Il est dit, que Dieu mettra paix par tout, et cependant il est adiousté par especial, qu'il fera que nous ayons alliance avec les bestes sauvages. Et pourquoy? Pource que Iesus Christ est heritier universel de toutes creatures, que tout luy est donné en main: et si nous sommes ses membres, nous serons participans du bien que le Pere luy a commis en toute perfection. Voila donc comme nous cheminerons parmi toutes les nuisances de ce monde sans que nous en soyons blessez, assavoir pource que Iesus Christ est nostre gardien, et qu'il preside sur nostre vie pour maintenir nostre salut. Cependant nous ne laisserons pas toutesfois d'estre molestez: comme il est besoin que Dieu nous chastie en diverses sortes: mais quoy qu'il en soit, si est-ce que nous sentirons que GO n'est point en vain que ceci a esté prononcé, c'est assavoir que Dieu rend les bestes sauvages comme domtees, tellement qu'elles ne s'eslevent point contre nous en une telle rage comme elles ont accoustumé, pource qu'il les tiendra là bridees. Or ici nous avons une doctrine bien utile, c'est assavoir, qu'il ne nous faut point mesurer l'assistance de nostre Dieu en ceste vie selon ce que nous voyons

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à l'oeil, mais selon le secours qui nous est promis d'enhaut. Et pourquoy? Car voila comme Dieu veut estre honoré de nous, c'est que nous contemplions les dangers qui nous sont prochains: et quand nous voyons qu'il y a tousiours comme une centaine de perils ausquels nous pourrions tomber, que nous ne laissions pas pour cela d'esperer en l'aide de nostre Dieu: Voici Seigneur il est vray que quand nous regarderons seulement ici bas, nous serons plus que confus, mais d'autant que tu as promis de nous assister au besoin, il faut que nostre vie maintenant s'appuye sur toy, il faut que nous la remettions entre tes mains. Voila un grand honneur que noua ferons à Dieu quand nous pourrons fermer les yeux à tous les dangers qui nous menacent, et que nous embrasserons la promesse qu'il nous a faite de maintenir nostre salut.

Or pour monstrer que les fideles se doivent du tout remettre à la protection de Dieu, il est dit, Qu'en temps de calamité et de famine, ils riront: non pas que nous soyons insensibles, ny mesmes que nous le devions estre: mais ce Rire ici emporte une telle confiance que nous ne soyons point effrayez comme sont les povres incredules, qui ne savent que dire si tost qu'ils se voyent en quelque hazard. Notons donc que les bons et les meschans sentiront bien le mal qui les presse, et apprehenderont les dangers pour les craindre. Mais cependant si un incredule voit quelque mal qui luy apparoisse, le voila tellement transporté de frayeur, qu'on ne le peut consoler. Et qui pis est, les hommes imaginent tousiours des torments, comme il est dit, Que le meschant fayra sans que nul le persecute: et en l'autre passage, qu'il ne faut qu'une fueille tomber d'un arbre pour espouvanter ceux qui n'ont point de foy en Dieu (Levit. 26, 17. 36; Prov. 28, 1). Voila donc comme les hommes, sinon qu'ils se fient en Dieu, et se remettent du tout à luy, seront espouvantez en sorte qu'ils ne pourront avoir nul repos: comme il est dit en la Loy (Deut. 28 66. 67), que leur vie sera pendante comme d'un filet: le matin ils diront, Sera-il possible que ie puisse aller iusques au soir? et le soir ils seront en perplexité assavoir s'ils pourront voir le matin. Voila donc comme ceux qui ne regardent point à Dieu sont en solicitude continuelle, et non seulement cela, mais ils sont en des angoisses si extremes, qu'ils ne savent s'ils sont vivans ou morts. Mais au contraire les enfans de Dieu apres qu'ils auront apperceu les maux, et qu'ils auront gemi, et seront saisis de quelque crainte, si est-ce qu'ils viendront tousiours là, Seigneur ie remets mon esprit en ta main, tu m'as racheté, tu es veritable, tu veux poursuyvre ta bonté sur moy iusques en la fin ainsi donc Seigneur que tu prouvoyes à tous mes dangers. Les fideleles ayans ainsi invoqué

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Dieu se confient qu'ils seront exaucez de luy, ils perseverent tousiours à l'invoquer: et encores qu'ils n'apperçoyvent point qu'il leur aide, si est-ce qu'ils vont tousiours leur train, sachans que leur salut est asseuré, d'autant qu'il est fondé en la verité de Dieu qui est infallible et immuable. Ainsi donc voila le Rire dont il est ici fait mention, ce n'est pas que les enfans de Dieu soyent stupides pour ne rien apprehender, qu'ils se moquent là quand Dieu les menace de quelque adversité: car ce ne seroit point vertu, ce seroit une brutalité plustost. Il faut donc que les enfans de Dieu craignent, et sur tout quand ils cognoissent que Dieu les visite pour leurs pechez, qu'ils y pensent de pres, et que mesmes ils apprehendent les maux de leurs prochains pour en avoir pitié: mais cependant ils se riront, c'est à dire, qu'ils pourront despiter tous maux: comme nous voyons que S. Paul en parle (Rom. 8, 34 ss.) quand il fait ses triomphes à l'encontre de povreté, de toutes maladies, de la faim, de la soif, du glaive, des choses presentes des choses advenir, voire mesmes quand il seroit question de batailler contre les puissances d'en haut S. Paul se glorifie là qu'il en viendra à bout. Et pourquoy? Car nous pouvons deffier toutes les nuisances que nous voyons advenir aux hommes, quand nous savons que Dieu nous a prins en sa garde, et qu'il veut estre nostre boucher.

Or il est dit consequemment, Que l'homme fidele visitera son tabernacle, et n'y trouvera point mauvaise rencontre qui le fasche: il sentira que son lignage sera augmenté, et que la race mesme de son bestail sera benite de Dieu. En ceci il nous est monstré, que Dieu pour declarer l'amour qu'il nous porte ne se contente point de remedier à nos maux, et de nous en delivrer, mais aussi qu'il nous benit en diverses sortes, et nous fait prosperer, afin que nous sentions sa grace sur nous. Voila quel est le sommaire de ce qui est ici contenu. Or comme nous avons besoin de considerer de pres la bonté de Dieu, pource qu'il nous subvient en nos afflictions: aussi d'autre costé en tous les biens qu'il nous eslargist, il faut que nous soyons attentif à cognoistre le soin paternel qu'il a de nous: et sur tout quand il nous recueillira de ce monde que nous cognoissions ce qui nous est ici monstré par le sainct Esprit, comme nous declarerons tantost: en somme qu'en tout et par tout Dieu sera la conduite des siens, et combien qu'en ceste vie mortelle ils ayent à endurer, qu'ils soyent subiets à beaucoup de changemens et revolutions, neantmoins Dieu les preservera, et sa benediction sera suffisante pour les garder iusques en la fin. Voila ce que le sainct Esprit nous a voulu monstrer par la bouche d'Eliphas. Or nostre Seigneur entre les autres graces qu'il promet aux hommes, et ausquelles il

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veut estre cognu benin et amiable, c'est quand il donne des enfans: car nous savons que la lignee est un honneur singulier que Dieu fait aux hommes, et mesmes s'il veut que sa bonté soit cognuë iusques aux bestes, si quand les bestes profitent et augmentent. Dieu veut qu'on apprehende sa bonté et faveur en cela, que sera ce donc quand il crée des enfans, et les forme à son image? Car en la nature humaine n'y a-il point une dignité et excellence beaucoup plus grande qu'en toutes autres creatures? Ainsi donc il ne se faut point esbahi que Dieu note tant souvent ceste benediction en l'Escriture saincte, comme une chose precieuse. Cependant si les hommes sont affligez de leurs enfans, qu'ils cognoissent que cela procede du peché, et que l'ordre de Dieu y est renversé: tant y a que nous pouvons sentir manifestement que Dieu ne sauroit mieux monstrer en ce monde l'amour qu'il nous porte, Di sa grande bonté, qu'en nous donnant lignee.

Finalement il est dit, que l'homme fidele sera recueilli au sepulchre comme un tus de bled sera recueilli en son temps, et mis au grenier: qu'ainsi l'homme y viendra en abondance, c'est à dire qu'il sera rassasié. Ici Eliphas a voulu dire, que Dieu preservera les siens de mort violente, et qu'il les conduira tellement en ce monde, que quand il en faudra partir, ce sera comme si on recueilloit du bled en la moisson. Or il vaut mieux qu'un bled soit mis au grenier. que de perir par les champs: que seroit-ce si on laissoit du bled aux . champs quand il est meuri? Il faudra que les grains tombent, et qu'ils viennent à mal, les oiseaux en mangeront une partie, L'autre sera pourri et gasté: mais s'il est recueilli au grenier, on l'applicque à bon usage. Ainsi donc Eliphas promet que Dieu apres avoir fait fructifier ses fideles en ce monde, qu'ils viendront à se meurir, et qu'il les recueillira à soy, comme on recueille le bled. Il est vray que ceci n'est point perpetuel: car nous verrons quelquefois que Dieu souffre que les siens tombent en mort violente, qu'il les retire de ce monde ici en fleur d'aage, voire en leur enfance. Nous voyons que Cain est venu iusques à une grande vieillesse, et Abel a esté ravi par le glaive. Comment sera-ce donc que Dieu preservera ses fideles iusques à ce qu'ils soyent bien meuris, comme si on amassoit le bled au grenier? Or il nous faut noter en premier lieu que quand l'Escriture parle de ces benedictions temporelles, elle signifie ce qui advient communement, et non pas tousiours. Et au reste il nous faut faire comparaison d'un plus grand bien à un moindre. Quand Dieu permet que les siens soyent retirez de ce monde bien tost, c'est pour leur profit. Car Dieu pourvoit mieux à un homme fidele quand il l'appellera à soy en l'aage de vingt ou trente ans, que s'il le laissoit vivre iusques à soizante. Et

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sur tout quand nous voyons le monde desbordé en telles corruptions, que tout est auiourd'huy confus, ceux que Dieu retire à soy ie vous prie ne devons nous point les estimer plus heureux que s'ils avoyent ici a languir? c'est un miracle si les hommes peuvent persister et qu'ils viennent iusques en l'auge de vieillesse: car nous voyons les filets de Satan qui sont tendus, et qu'il est bien difficile de cheminer parmi tant de desbordemens. Si donc Dieu retire les siens bien tost, sachons que c'est pour un plus grand bien qu'il le fait. Et mesmes sur cela nous avons à cognoistre, que s'ils sont privez de ceste benediction qui est petite au pris de ce que Dieu leur veut donner, ils ne laissent pas d'estre aimez et favorisez de luy quand il permet qu'ils tombent ainsi en une mort violente: comme ceux qui sont persecutez par les tyrans ont une mort plus precieuse beaucoup. Car ils presentent un sacrifice qui est plaisant à Dieu: et ce luy cet une offrande de bonne odeur, quand il voit que sa parolle est seellée par le sang des martyrs.

Ainsi donc quand nous ferons comparaison du plus petit au plus grand, nous trouverons que ceste promesse n'est iamais vaine envers les fideles, qu'ils ne sentent tousiours ceste benediction de Dieu, de les amener au sepulchre, comme le bled qui est cueilli en son temps: car quoy qu'il en soit, il les meurit tousiours. Si un fidele meurt en l'aage de trente ans, que fait-il? Il ne semble point qu'il sen soucie, il n'y aura point grande resistence, comme nous voyons aux incredules, quand mesmes ils seront vieux comme terre, ainsi qu'on dit. Voila un contempteur de Dieu, un homme prophane, qui n'aura iamais pensé à la mort, quand ce viendra que Dieu le pressera à bon escient' ce sera à grincer les dents, à se despiter, pensant resister à la mort: Et ne pourrois-ie encores prolonger ma vie d'un an? Il semble que ce soit un

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bois verd qui esclatte de tous costez. Au contraire, quand un fidele meurt encores qu'il endure beaucoup, il se remet à Dieu, et se console en luy, et encore qu'on voye resistence en son corps, si est-ce qu'il a son esprit paisible, et ne demande sinon de se conformer a la bonne volonté de Dieu, aimant mieux mourir quand Dieu l'appelle, que de vivre ici. Brief il ne demande que d'obeir à son bon Pere celeste. Nous voyons donc comme Dieu meurit tousiours les siens devant que les appeller de ce monde, tellement qu'ils sont pleinement rassasiez quand ils vienent au sepulchre, et que celuy qui apportera vingt ans au sepulchre sera plus meuri qu'un autre qui en apportera un milion par maniere de dire: comme nous voyons que les incredules s'enveniment à l'encontre de Dieu quand il les appelle là, tellement que iamais ne sont meuris ne rassasiez. Ainsi donc notons que iamais Dieu ne prive les siens de ce qu'il leur promet en ce passage, c'est assavoir que quoy qu'il en soit, ils viendront an sepulchre comme un bled qui sera bien meur, et qui pourra estre appliqué à bon usage. Et ainsi qu'un chacun de nous se contente, quand Dieu luy aura fait la grace de vivre en ce monde, ayant ce tesmoignage, que nous sommes vrayement des siens, et qu'il nous veut retirer à soy. Et combien que pour un temps il nous vueille entretenir en ce monde pour nous y exercer par beaucoup d'afflictions et de miseres, que nous ne laissions pas de gouster tousiours sa bonté, laquelle il nous fait sentir en tant de sortes, et de laquelle nous aurons pleine iouyssance apres la vie presente, quand il nous aura appellez à ce repos eternel qu'il nous a appresté, et lequel nous a esté acquis par la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON XXIII

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LE VINGTTROISIEME SERMON

QUI EST LE I. SUR LE VI. CHAPITRE.

Iob respondant leur dit: 2. A la miene volonté que ma destresse fust bien pesee, et qu'on mist aussi en la balance mes douleurs. 3. Elle seroit pesante plus que le gravier de la mer, parquoy mes paroles sont englouties. 4. Car les fleches du Tout-puissant sont en moy, desquelles le venin boit mon esprit' les frayeurs de Dieu sont dressees contre moy. 5. l'Asne sauvage bruira-il aupres de l'herbe, et le boeuf mugira-il aupres du fourrage? 6. Ce qui n'a point de saveur, et sans sel, se mangera-il? Ie blanc d'un oeuf sera-il savoureux? 7. Or ce que mon ame avoit refusé de toucher, est comme la maladie de ma chair. 8. A la miene volonté que ce que ie demande m'adviene, et qu'on m'ottroye ce que i'aime. 9. C'est que Dieu me froisse, et me brise, et que ie soye fendu de lui comme un arc.

Nous avons ici à considerer quel est l'estat d'un povre homme quand Dieu l'afflige, et qu'il luy fait sentir un tel mal, qu'il luy peut sembler qu'il a Dieu pour son contraire: nous voyons qu'il D'y a vertu aux hommes qui puisse subsister quand cela est. Il est bien vrai que Iob n'a pas esté iamais du tout abbatu, qu'il n'ait eu quelque patience, mais tant y a que ce n'a pas esté sans grandes difficultez, qu'il s'est peu ainsi recueillir pour avoir quelque comfort. Cependant (comme i'ay dit) nous avons à contempler en quelles angoisses est l'homme mortel, quand Dieu se declare comme sa partie adverse. Or il nous est bien utile de mediter ceste doctrine, d'autant que nous sommes par trop nonchalans, et mesmes il y en a bien peu qui pensent à ceste espece de tentation Car quand on nous parle de souffrir quelque mal, d'estre patiens en adversité, nous sommes charnels, et ne montons point plus haut que cc que nostre sensualité comprend: c'est à dire que nous pouvons endurer des maladies, on nous peut faire quelque tourment, ceci ou cela nous peut advenir. Or le plus grand mal qui puisse du tout accabler les hommes, c'est quand Dieu les presse, et qu'il leur fait sentir son ire, comme s'il estoit là à l'opposite d'eux pour dire, Comment m'avez vous ainsi offensé? Quand donc Dieu apparoist ainsi contraire aux hommes, voila une tentation qui surmonte tout ce que nous pouvons endurer en nos corps. Et voila pourquoy i'ai dit, qu'il est bon d'examiner de pres ce qui est ici contenu.

Iob donc dit, qu'il voudroit bien qu'on pesast ses destresses, et que de l'autre costé on mist en

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semble à la balance ses douleurs, c'est à dire, le mal qu'il endure et souffre. Car alors (dit-il) on verroit que ce mal ici seroit plus pesant que le gravier de la mer. Et que ainsi soit, Dieu a descoché ses fleches contre moy, voire des fleches envenimées, tellement que i'en suis comme bruslant, mon esprit en est comme humé, ou mon esprit est confit en amertume, à cause de ces fleches de Dieu qui m'ont ainsi percé. Voila par où il commence. Or il semble bien qu'ici il forme une complainte iniuste, quand il dit, que son mal est si grand, qu'il n'y pourroit avoir douleur pareille, ne qui responde. Et ceci approche de ceste complainte que faisoit Cain, laquelle (comme nous savons) n'estoit pas sans blaspheme. Car apres que Cain a ouy la condamnation que Dieu prononce contre luy, il est vrai qu'il ne se peut pas iustifier (car son peché est tout notoire, il est convaincu) mais il accuse Dieu de cruauté, ou de trop grande rigueur. Ma punition (dit-il) est trop grande, ie ne la puis porter, tu me dechasses de toute la terre, ie ne puis subsister devant ta face: comment me traittes tu ? Nous voyons là que ce miserable', combien qu'il ne puisse contredire qu'il ne soit iustement puni, toutesfois a son subterfuge, que Dieu ne le punit point en equité, mais qu'il passe mesure de rigueur contre luy. I'ai dit qu'il semble bien que lob face le semblable: car il dit, que s'il est en grand' destresse il ne s'en faut pas esbahir pource que l'affliction qu'il endure surmonte, et est beaucoup plus pesante: comme s'il disoit, qu'il ne se peut assez plaindre, veu que Dieu le traite si asprement. Or nous avons veu qu'il estoit venu iusques là de maudire le iour de sa naissance, qu'il eust voulu que sa mere l'eust avorté: et non seulement cela, mais il deteste le iour auquel il estoit nay. Il semble bien donc que Iob ne puisse pas estre excusé: et de fait (comme desia nous avons declaré) combien qu'il ait bonne cause, si est ce qu'il la deduit mal: et faut qu'on cognoisse en cest endroit quelque infirmité: cependant il ne laisse pas de parler en verité, quand il dit, que le mal qu'il endure est si grand, et si extreme que mesmes ses paroles sont englouties, qu'il est là comme un homme accablé qui n'a nulle vigueur, que tout ce qu'il pourra dire ne sera rien au pris de ceste affliction de laquelle Dieu le presse.

Notons donc que nous avons ici deux choses l'une est que nous voyons que c'est d'une povre creature, quand Dieu la presse de sou iuge

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ment, comme desia nous avons dit: et au reste, que nous cognoissions, qu'en combatant contre nos tentations, combien que nous mettions peine d'y resister, et de nous assubiettir à Dieu, toutesfois nous declinons ou ça ou là par infirmité, qu'il n'y a iamais telle vertu en nous, sinon que Dieu nous soustiene, et qu'il ne permette point encores que nous flechissions. Et pourquoy? Il est expedient de cognoistre que nous ne sommes point de fer, que nous ne sommes point comme des rochers, mais que nous sommes hommes mortels pleins de fragilité. Il est bon que Dieu nous face sentir cela. Et ainsi encores qu'il nous assiste en nos afflictions, tellement que nous ne soyons point vaincus: toutesfois si est-ce qu'il nous faut estre navrez, et que nous clochions, c'est à dire qu'il y ait tousiours quelque foiblesse qui se monstre parmi la vertu que Dieu nous donne. Voila les deux poincts que nous avons ici à regarder.

Or en premier lieu reduisons en memoire ce que i'ai desia touche: c'est que si nous sommés tentez, quand il y a quelque mal qui nous presse selon le corps, il nous faut encores plus craindre ceste tentation spirituelle, quand Dieu nous appelle en iugement, et qu'il est là comme nostre iuge, qu'il nous faut respondre devant luy, et rendre conte. Vrai est que nous apprehendrons beaucoup plus ce qui nous attouche selon la chair. Et pourquoy? Car nous sommes adonnez là du tout. Ainsi donc communement nous verrons les hommes qui craignent famine, ou peste, ou maladies, ou la mort, qui est l'extremité: si on nous menace de cela, nous sommes effrayez, si on nous parle de Dieu, nous De sommes gueres esmeus. Et pourquoy ? En cela monstrons-nous que nous sommes hebetez, voire iusques au bout, comme ceux qui ne different gueres d'avec les boeufs ou les asnes: d'autant que nous faisons si peu de cas de l'ire de Dieu, et de ceste damnation qui est apprestée à nos ames (ie di de ceux qui demeurent ennemis de Dieu) mais si on nous parle de quelque chose qui concerne la vie presente, nous sommes estonnez tant et plus. Tant y a que cependant que les autres demeurent stupides, Dieu ne laisse pas d'exercer les siens en telle sorte qu'il leur fait sentir son ire, et alors (comme i'ay dit) ils sont tentez sans comparaison plus que s'ils enduroient tous les maux lesquels il est possible d'imaginer. Quelque fois nous trouverons estrange, quo les fideles parleront ainsi: Et quoy ? Dieu s'est monstré envers moy comme un lion: il a desbrisé tous mes os, ie suis en un feu ardant, ie ne sui que devenir, mon ame est comme engloutie, mon corps est comme pourri, ie n'ai que puanteur en moy. Pourquoy I est-ce que les fideles parlent ainsi? Il semble I

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qu'ils soient delicats et effeminez, et toutesfois ce sont ceux qui ont esté les plus robustes et constans, et que nous voyons avoir esté gouvernez par l'Esprit de Dieu, pour avoir une magnanimité invincible. David n'a-il point eu une belle patience ? Dieu la exercé tant et plus, et nous voyons qu'il a surmonté tousiours, que iamais ne s'est desbauché pour affliction qu'il lui advint. Voila donc comme un gendarme qui a esté exercé en tous combats, voire et non pas un iour, ni un an, mais toute sa vie, et aiant tant d'experiences, il se plaint comme si iamais n'avoit senti nul mal, qu'il ne seust que c'est d'estre affligé. Voire: mais notons (comme i'ai dit) qu'il n'estoit point pressé de maux corporels: et combien qu'il fust sensible comme les autres, si est-ce qu'encores ne lui eust-il gueres cousté de supporter une maladie, ou souffrir quelque autre chose semblable. Qu'est-ce donc qui le pousse à se plaindre ainsi? (:C'est pource qu'il entre en soy, et qu'il est touché en sa conscience, comme si Dieu non seulement l'avoit abandonné mais qu'il luy fust ennemi mortel, qu'il le persecutast iusques aux enfers pour dire, Tu n'auras ni paix, ni trefves que ie ne t'abysme du tout. Quand donc David est ainsi pressé du sentiment de ses pechez, qu'il apperçoit que l'ire de Dieu est comme enflambee contre lui, voila qui le presse iusques au bout. Ezechias en sent autant. Car Dieu ne l'afflige point de maladie seulement, comme il nous pourra advenir communement: mais outre cela il luy monstre un signe de son ire. Il luy semble donc que Dieu vueille renverser et aneantir tontes les graces qu'il luy avoit faites auparavant: et puis que sa mort soit cause que le service de Dieu qui avoit esté establi par sa main, soit abbatu. Quand Ezechias conçoit une telle vengeance de Dieu et si horrible, il faut bien qu'il soit ainsi espouvanté. Et voila pourquoy il fait telles complaintes, comme elles sont contenues en son cantique.

Ainsi donc notons quand Dieu nous afflige selon le corps, que nous pouvons bien prendre les maux qu'il nous envoyera en patience: car cela n'est rien an prix de ceste angoisse qu'endurent ceux ausquels il fait sentir son ire et sa vengeance: et toutesfois il nous est utile de venir là. Et combien que ce nous soit une chose tant dure et amere, si faut-il neantmoins que nous y venions. Et pourquoi ? Car ceux qui ne conçoivent que leurs maux corporels n'ont garde de cercher guerison des maladies de leurs ames d'autant qu'ils ne les apperçoivent point: ils n'ont garde de cercher reconciliation avec Dieu, car ils n'apprehendent pas son iugement. Ainsi donc il nous est plus que necessaire (comme i'ai desia dit) d'estre navrez du iugement de Dieu, et que l'aians apprehendé nous soyons contraints de gemir sous telles angoisses,

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comme nous voyons qu'elles ont esté en Iob. Il est vrai qu'un chacun n'aura point pareille I mesure, et Dieu aussi cognoist nostre portée, selon qu'un homme sera debile, et que Dieu ne l'aura` point doué d'une si grande grace de son sainct Esprit: et bien, s'il lui fait sentir son iugement, ce sera en le supportant, il lui fera gouster sa misericorde au milieu de son ire, tellement qu'elle ne lui sera point espouvantable. Hais celui qui aura receu une force plus singuliere et lequel Dieu aura fortifié par son S. Esprit, ii faut que celui-la soustiene de plus grands hurts, et beaucoup plus rudes que ceux qui sont foibles comme petis enfans. Et voila pourquoy nous voyons en David, en Ezechias, en Iob de ces combats spirituels, qu'un chacun de nous ne trouvera point en soy. Il est vrai que nous en aurons nostre portion: car (comme i'ai dit) nous serions stupides sans cela, et ce seroit un signe que nous serions delaissez de Dieu, que nous aurions nos consciences par trop endormies: mais quand Dieu nous presse de son iugement, cola n'est que pour un pou, si nous faisons comparaison de nous avec ces saincts personnages qui ont combatu contre les douleurs de la mort, et d'enfer. Et pourquoy? Car Dieu les avoit armez, et mesmes il les avoit tellement munis de sa vertu, que combien qu'ils aient flechi, si est-ce qu'ils n'ont point esté abbatus entierement, et encores qu'ils aient esté abbatus, si est-ce que Dieu les a relevez. Or donc il nous faut bien noter ce qui nous est ici dit. Et au reste quand nous voyons que Iob est tant pressé, voire luy qui nous est comme un miroir de patience, apprenons de cheminer en solicitude: si cela est advenu au bois verd, que sera-ce du sec ? Nous voyons que Iob brusle ici d'angoisse, nous voyons que les torments l'eslourdissent en sorte, qu'il ne sait qu'il doit prononcer, que sera-ce donc quand Dieu nous voudra affliger en sa rigueur? ne faudra-il point que nous deffaillions du tout ? Or cela ne nous doit point estonner: mais si est-ce qu'il faut que nous craignions: car nous serons tous assez hardis loin des coups: comme nous avons accoustumé, tellement qu'il n'y a celuy qui ne se face vaillant iusques au bout, et nous semble que rien ne nous pourroit abbatre. Advisons plustost quelle est nostre foiblesse, afin de n'estre point enflez d'une vaine presomption, qu'il faut que nous cognoissions que nous sommes povres creatures, et que nous ne pouvons tenir bon une minute de temps contre les assauts qui nous peuvent estre livrez de costé et d'autre, sinon que nous recourions à nostre Dieu, le prians qu'il nous fortifie. Voila donc ce que nous avons à faire quand nous voyons l'exemple de Iob.

Et au reste notons bien ce mot, quand il dit, Que les fleches de Dieu sont en luy, et que le venin

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en boit son esprit, ou que son esprit boit le venin: car tons les deux se peuvent dire. Mais le principal que nous avons ici à noter, c'est que Iob signifie qu'il n'a point ici à faire aux hommes, que ce n'est pas comme quand nous endurerons quelques afflictions selon la chair: Ie cognoy (dit-il) que c'est Dieu qui me fait la guerre: et non seulement cela, mais ses fleches (dit-il) sont dedans moy, elles sont entrees iusques au coeur, et m'ont percé Or en premier lieu Iob monstre qu'il faut qu'il soustiene les combats comme si Dieu luy faisoit la guerre. Et qu'est-ce quand l'homme mortel qui n'est rien doit venir iusques là qu'il sente que Dieu s'addresse et s'attache à luy: et cependant qu'il puisse subsister? comment sera-il possible? Tant y a (comme i'ay desia dit) qu'il faut que nous soyons là amenez pour nostre profit. Et de fait nous profitons mal sous les verges de Dieu, si cependant nous faisons nos discours de penser aux hommes pour voir d'ou les maux nous procedent, et que nous demeurions ici bas: c'est tresmal regardé à nous. Pour exemple, celuy qui aura une maladie, s'il regarde, Un tel inconvenient m'est advenu, voila qui en est cause, et qu'il ne puisse souffrir quelque autre affliction, où Dieu luy baillera occasion de sentir son ire: cestui-la n'a garde de recevoir fruict et des chastiemens que Dieu luy envoye. Quand (di-ie) nous ne cessons d'alleguer ceci ou cela pour nous retenir aux creatures, nous profitons bien mal. Il faut donc monter iusques à ce degré, c'est que les maux nous vienent de Dieu, et qu'ils nous vienent à cause de nos pechez: là dessus que nous cognoissions que c'est autant comme si Dieu avoit tiré ses fleches, comme s'il nous avoit navrez. Et il faut quo nous en venions là. Ainsi donc meditons bien ce mot quand Iob dit, que les fleches du Tout-puissant sont descochees à l'encontre de luy: voire et notamment il dit qu'elles sont en luy, et que son esprit en est comme humé. En quoy il signifie que sa destresse vient de ceste frayeur de Dieu, comme il adiouste, que les frayeurs de Dieu sont dressees contre luy. Or pour mieux comprendre ce passage, notons que souvent Dieu affligera ce x qui sont obstinez et endurcis. Mais quoy? Leur esprit n'est point humilié pourtant: car ils repoussent tous les iugemens de Dieu, comme l'enclume repoussera le marteau. Mais Dieu navre ceux qu'il luy plaist quand il les veut humilier, tellement qu'ils sont percez iusqu'au bout, jusqu'au profond du coeur. Voila ce que Iob a voulu exprimer. Il est vray quelque fois que ceci adviendra bien aux reprouvez ce semble: mais quand tout sera conté et rabatu, c'est une grace speciale que Dieu fait à ses esleus et à ses enfans, quand il les perce ainsi tout outre, et qu'il leur fait sentir sa vengeance dedans leur coeur, telle

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ment qu'ils sont là comme engloutis, que leurs esprits sont là consumez. Cela nous sera bien dur, et nous le fuyrions ail nous estoit possible: mais si est-ce que Dieu par cela procure nostre salut, et vaut beaucoup mieux qu'ainsi soit, que si nous estions stupides pour repousser toutes les apprehensions que Dieu nous envoye quand il nous veut affliger pour nos pechez, et nous faire sentir que c'est une chose espouvantable de l'avoir contraire. Voila comme il nous faut faire nostre profit de telles navreures, cognoissans que Dieu nous veut humilier, afin que nous ne soyons point comme ces contempteurs. qui ne font que se moquer de ses iugemens: mais qu'il nous les veut faire sentir au vif, afin que nous tremblions dessous. Et au reste nous voyons la necessité que nous avons d'une telle medecine, veu que nous sommes tant eslourdis à suivre les appetis de nostre chair. Car qu'est-ce que profite la parole de Dieu en nous? comment sommes-nous esmeus de toutes les menaces qu'on nous fait? Il semble que nous devions tenir bon contre Dieu, et le despiter par nos defiances. Voila donc l'orgueil qu'on apperçoit communement aux hommes, et nous y serions subiets n'estoit que Dieu nous en purgeast par ce moyen ici: c'est qu'il se monstrast ainsi rude envers nous, que nous sentissions ses fleches entrer dedans nos coeurs, et que nos esprits en fussent tous humez.

Or Iob dit pareillement, Que les frayeurs de Dieu sont dressees contre luy Et pourquoy? car ses parolles sont comme englouties, ou consumees. Quand il dit, que les frayeurs de Dieu sont dressees contre luy, il signifie (comme desia i'ay touché) qu'il n'a point les hommes pour ennemis, mais que c'est Dieu luy - mesme qui luy fait la guerre. Il est vray que nous pourrons bien estre assaillis du costé des hommes, et toutesfois nous ne laisserons point de cognoistre ce qui est ici dit, c'est assavoir que Dieu arme ainsi ses creatures afin de nous monstrer son ire. En somme Iob de quelque costé que le mal le menace, mesmes qu'il le navre, il faut qu'il recognoisse que c'est la main de Dieu qui le touche et le presse. Et pour ceste cause il dit, les frayeurs. Il cognoist bien quelle est l'intention de Dieu quand il l'afflige, c'est assavoir à ce qu'il retourne à luy que Dieu ne demande sinon de recevoir les siens à merci, et de les delivrer du mal qu'ils endurent: mais en ces douleurs. qu'il souffre il ne peut pas apprehender la bonté dont Dieu veut user envers luy. Et voila qui est cause de nostre impatience, et que nous ne sommes point touchez Gomme il appartient pour rendre l'honneur à Dieu tel qu'il luy est deu. Qu'ainsi soit, quand nous parlons d'invoquer Dieu, et le requerir qu'il nous soit pitoyable, cela n'est que par ceremonie iusqu'à tant que nous ayons cognu que nous

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n'en pouvons plus, et que nous sommes comme povres damnez, que nous sommes comme creatures perdues: iusques à ce quo nous ayons bien cognu cela au vif, il est certain que ce no sera que par acquit que nous demanderons à Dieu qu'il ait pitié de nous. Et pourtant iamais l'homme mortel n'honore Dieu à bon escient, sinon qu'il soit confus en soy: car ce n'est point tout de dire que Dieu soit superieur par dessus nous, et que nous lui soyons subiets comme toutes creatures, mais il faut que nous lui rendions ceste louange-la, que lui seul est ;iuste, et qu'il n'y a en nous que toute iniquité, que nous ayons la bouche close, que nous n'ayons nulles excuses, afin de nous faire valoir: mals que nous cognoissions qu'il n'y a qu'opprobre pour nous, que nous meritons d'estre reiettez comme puants et execrables. Si nous n'en sommes venus iusques-là, ce n'est point honorer Dieu, et le servir, comme sainct Paul le monstre au 3. des Romains (v. 19). Car quand il parle de la gloire infinie de Dieu il dit, qu'il faut que nous venions devant lui en telle crainte et humilité, que nous soyons comme povres malfaiteurs ayans la corde au col, que nous soyons aux enfers, sinon qu'il nous en retire par sa bonté infinie. Ainsi donc ce n'est point sans cause que Dieu afflige les siens, et qu'il les presse en telle sorte qu'il les amene iusques-là: c'est afin qu'il soit glorifié par eux.

Touchant ce qu'il dit, que ses paroles sont englouties: c'est autant comme s'il disoit, qu'il ne parle point de rhetorique, comme nous verrons des hommes qui sont eloquens pour faire valoir leurs maux. Ceux qui seront mignars, quand ils endureront quelque petit mal, il ne faut point d'advocat pour plaider leur cause, il semble à les ouir parler qu'il n'y ait qu'eux dont on doive avoir compassion. Or ceux qui savent ainsi bien causer et babiller monstrent bien que leur mal ne les presse pas tant: car s'ils estoient touchez à bon escient, il est certain qu'ils monstreroient ce qui est ici dit. Et voila pourquoy au Cantique d'Ezechias (Isaie 38, 14) notamment il est parlé qu'il a gasouillé comme les arondelles, qu'il n'avoit plus voix humaine pour exprimer ce qu'il avoit conceu mais qu'il estoit là tellement enserré d'angoisse, qu'il ne savoit que dire, qu'il ne pouvoit coucher ses mots, pour monstrer quelle estoit son affection. Ainsi donc notons quand Dieu adiourne ainsi les siens, se monstre leur iuge, et les presse si vivement, qu'ils sont mesmes destituez de paroles, qu'ils sont si confus, qu'ils ne sauroient point exprimer leurs affections: combien (di-ie) que Dieu besongne ainsi, et qu'il nous rudoye le plus souvent: tant y a qu'il nous subvient d'un remede convenable, afin que nous ne demeurions point du tout confus. Et c'est ce que dit sainct Paul, que par son sainct Esprit il nous

SERMON XXIII

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donne des gemissemens qui ne se peuvent point exprimer (Rom. 8, 25). Quand sainct Paul parle des oraisons des fideles, ie di des meilleurs, quand Dieu nous fait prier à bon escient, il dit, qu'alors nous gemissons, voire: mais nous n'avons point de parole dressee: si on nous demandoit, Qu'est-ce que tu dis? qu'est - ce que tu demandes à Dieu? nous ne le saurions dire. Il faut que nous tenions cela comme une chose serrée, que nous ne puissions pas mesmes declarer de bouche ce que nous voudrions dire. Voila donc comme Dieu subvient à ce qui est ici dit: c'est qu'encores que toutes nos paroles soyent englouties, si est-ce qu'il nous donne une façon de le trouver, et de recourir à luy, laquelle il approuve, et encores que ce langage-la ne soit point entendu des hommes, et que celuy mesmes qui prie Dieu, soit là entortille, qu'il ne puisse point vuider ses propos, si est-ce que Dieu entend un tel langage. Or pais que nous voyons que Dieu exauce nos gemissemens quand nous sommes confus, que nous sommes abbatus en nous, que nous prenions en patience les maux qu'il nous envoye, attendu qu'il y donne telle issue que tout revient à nostre profit et salut. Voila ce que nous avons à noter sur ce passage.

Cependant Iob use ici de certaines similitudes, pour monstrer, que ce n'est point sans cause qu'il se lamente ainsi. Il dit, L'asne sauvage bruira-il aupres de l'herbe? Ie boeuf non plus quand il a sa prouvande. Et au reste, peut on manger une chose qui n'a nulle saveur, comme le blanc d'un oeuf sans sel? Par telles similitudes Iob signifie que et hommes et bestes se resiouissent quand les choses leur vienent à propos ou à leur souhait. Qu'est-ce que cerche un asne sauvage ? Il demande la pasture. Quand donc il a l'herbe à commandement, il n'a garde de bruire ne de se fascher. Pourquoy? il a ce qu'il demande. Un boeuf quand on luy donne sa prouvande, il se contente. Hais à l'opposite (dit il) comment est-il possible qu'on face trouver bon à un homme ce qui lui est contraire? mesmes nous ne mangerons point les viandes qui n'ont nulle saveur. Si on nous veut faire boire le blanc d'un oeuf, c'est pour nous faire vomir: car c'est une chose qui nous viendra à contre coeur. Puis que ce mot signifie ce qui n'a nulle saveur, que sera-ce d'une amertume, qui sera pour nous estrangler ? Et c'est bien encores pis de ces calamitez dont Iob estoit afflige: et pourtant là dessus il conclud, qu'il voudroit bien avoir son souhait, c'est assavoir, que Dieu le tuast de premier coup, et qu'il ne le fist point ainsi languir. Voila en somme ce qu'il dit ici.

Or en premier lieu notons que ceste sentence est bonne et vraye, mesmes que la doctrine qu'elle contient est utile: car il nous est expedient d'estre

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advertis de nos passions. Il y en a qui se font accroire de leurs vertus, et il est bon que nous cognoissions que nous avons besoin d'estre reprimez en nos desirs charnels. Et pourquoy? afin que si les choses nous vienent à propos, nous sachions, voici Dieu qui nous donne contentement, nous avons dequoy nous esiouir: et si les choses nous sont contraires: que nous cognoissions, voici Dieu qui DEUS afflige: et pourquoy? nous l'avons offensé, et il nous veut retrencher DOS morceaux. Il est bon donc que ces choses ici nous soyent cognues, et que nous les meditions que la memoire nous en soit souvent refreschie. Et mesmes c'est une grande honte aux hommes; quand ils ne discernent point, veu que les bestes brutes leur peuvent monstrer que selon leur mesure elles ont quelque discretion. Il est vray qu'il n'y aura iugement ni raison en un boeuf, ni en un asne: mais si est-ce que Dieu leur donne quelque sentiment, qui les conduit iusques là où leur nature va. Regardons maintenant, que c'est que Dieu donne a l'homme, qu'il doit avoir iugement: car à cause de cest esprit qui est imprimé en son ame, il faut bien qu'il ait discretion. Mais au reste notons, qu'il faut mesmes que nous combations contre tous nos appetis. Comme quoy? Un asne ne bruira point quand il aura sa pasture preste: aussi no fera point un homme, il se contente. Et bien: il est bon qu'un homme remercie Dieu quand il aura prosperité, qu'il cognoisse qu'il est autant tenu à Dieu, mais il ne faut point qu'il s'endorme là dessus. Apprenons donc qu'il y a ici deux choses: l'une est quand Dieu nous donne à boire et à manger, que nous sommes pires que les bestes brutes, si nous ne tenons conte d'une telle bonté, et que nous soyons stupides en nos consciences, que nous ne regardions point combien Dieu est liberal et benin envers nous. Voila quant au premier.

Or nous appercevons tout le contraire en beaucoup, et quasi en tous, car quelle est nostre ingratitude ? Si Dieu nous donne à boire et à, manger, avons nous ceste temperance comme les bestes brutes de nous tenir cois? Nenni, mais nous sommes comme gouffres insatiables. Quelles sont nos cupiditez, et combien excessives ? Voila un asne qui mangera: combien qu'il ait travaillé avec grande peine, quand on luy donne sa pasture, il se rassasie, et s'en va coucher là dessus, il se contente: et un homme a-il gourmandé plus que quatre ou cinq n'en sauroient engloutir? Il ne se contente point de cela, il ne regarde point ce qu'il luy faut, mais il veut tousiours entasser et amasser. Quand un homme aura son grenier plein, il a son ventre plus grand beaucoup: quand il aura une cave bien garnie, il luy semble que ce n'est rien: quand il aura la provision d'une douzaine de personnes encores

IOB CHAP. VI.

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ne se contentera-il pas, il sera là. comme un gouffre qui ne peut iamais estre rassasié. Voila donc comme les hommes seront transportez de leurs cupiditez, en sorte qu'ils ne seront iamais saouls: telle est leur ingratitude. Et quel iuge faut-il à telles gens ? .les asnes et les boeufs. Il ne faut point que les Anges descendent du ciel pour monstrer la condamnation de Dieu sur leurs testes. En l'ordre de nature on cognoist qu'il y a plus de raison et modestie beaucoup en ceste lourdise qui est là aux bestes, qu'aux hommes qui devroyent avoir autre consideration. Voila un Item que nous avons à noter. Mais d'autre part aussi apprenons qu'il ne nous faut point estre semblables aux bestes brutes en ne cerchant que la pasture. Car quand Dieu nous envoye prosperité, il ne nous faut point là retenir, il ne faut pas que ce soit nostre dernier but. Quoy donc? Usons de ceste prosperité, passans tousiours outre, et nous preparans si Dieu nous vouloit envoyer quelque affliction: afin que nous ne soyons point surprins, d'autant que nous aurons fait nostre conte d'estre tousiours bien à nostre aise. Gardons (di-ie) de nous endormir en telle nonchalance quand Dieu nous envoie pasture et que nous sommes traitez à nostre souhait: mais solicitons nous tousiours, afin d'aspirer au bien auquel il nous appelle. Voila pour un Item.

Or quand il est dit, qu'on ne nous pourra point faire manger ce qui est sans goust et saveur, que nous ne boirons point le blanc d'un oeuf sans sel: par cela cognoissons qu'il nous est bon (comme

i'ay dit) de premediter devant le coup, que et froid, et chaut, et viande sans saveur et tout le reste sont comme adversitez que nous fuyons de nature. Et bien, il nous faut sentir cela (car nous ne sommes pas insensibles) mais apprestons-nous, quoy qu'il en soit, à endurer patiemment ce qui n'a nulle saveur. Contentons-nous que Dieu fait cela pour nostre profit: et puis sachons, puis qu'il l'ordonne ainsi, que sa seule volonté nous doit estre de meilleur goust que toutes choses qui nous viendroyent bien à gré. Quel sera donc nostre sel pour nous faire trouver bon goust en toutes adversitez qui nous pourront advenir, tellement que nous les portions patiemment ? l'obeissance: que nous cognoissions, Or ça voici Dieu qui nous afflige. Et pourquoy? en premier lieu pource que nous en sommes dignes: et au reste pource qu'il vent avancer nostre salut par ce moyen-la. Voila (di-ie) qui nous fera trouver bonne saveur en ce qui estoit auparavant comme fade. C'est donc où il nous faut venir, quand nous voudrons trouver goust en toutes nos adversitez afin de recevoir patiemment les corrections qu'il plaira à Dieu de nous envoyer, de nous renger à son bon plaisir, ne demandans sinon que comme il a commencé il parface, afin qu'estans conduits et gouvernez par son sainct Esprit, nous ne cerchions sinon de l'aimer, servir, et honorer, et tenir pour bon et pour iuste tout ce qu'il luy plaira nous envoyer.

. Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE VINGTQUATRIESME SERMON.

QUI EST LE II. SUR LE VI. CHAPITRE.

8. Qui fera que ma demande viene, et que Dieu m'envoye ce que i'attens? 9. C'est qu'il me brise, et qu'il estende sa main, et me retranche. 10. Car encore alors auroy-ie allegement: ie m'esgayeroye en ma douleur, qu'il ne m'espargne point, et ie ne nieray point les paroles du Sainct. 11. Mais quelle est ma force, que ie puisse durer? Et quelle est ma fin, s'il faut que ie prolonge ma vie ? 12. Ma vertu est-elle comme de pierres? et ma chair est-elle comme d'acier? 13. Ie n'en puis plus, et ma puissance me defaut. 14. Celuy qui est affligé, doit avoir benefice de son amy: mais on delaisse la crainte de Dieu tout-puissant.

Nous avons à continuer le propos qui a desia esté commencé: c'est assavoir, Que Iob se tourmente ici, non pas pour le mal qu'il endure en son corps, mais d'autant que Dieu le tient comme un povre homme condamné, et qu'il se monstre son iuge, qu'il luy est contraire. Voila donc pourquoy Iob est plus affligé, que de tout le reste qu'il pouvoit souffrir: assavoir, pource qu'il sent la main de Dieu qui est appesantie sur luy, comme David en parle AU Pseaume 32 (v. 4). Or notons bien tousiours ceci. Car autrement nous ne saurions à propos il dit, Ie voudroye estre mort, ie voudroye que Dieu me tuast, ie voudroye estre retranché

SERMON XXIV

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du monde: car alors i'auroye quelque allegement, ie ne seroye plus ainsi pressé. Et luy sauroit-il advenir pis que la mort, et mesmes une mort que Dieu luy envoyast en laquelle il cognust que Dieu le veut abysmer? Ne voila point l'extremité de tous maux? Toutesfois il dit, Que si Dieu le consumoit du premier coup, il pourroit encores avoir patience: mais de languir comme il fait, et d'estre là ainsi pressé de longue main, qu'il luy est impossible de tenir mesure, que cela ne le tiene comme en un feu ardent. Notons bien donc ceste diversité qui est entre un homme qui sera du premier coup abysmé, et un autre que Dieu tient comme en la torture, et apres l'avoir affligé quelque temps il ne luy donne point de relasche, et il n'est point soulagé en son mal, mais faut qu'il continue tousiours. Venons maintenant à esplucher le propos que tient ici Iob. En premier lieu il monstre que son principal desir seroit de mourir et d'estre retranché. Vray est (comme nous avons touché par ci devant) que les enfans de Dieu peuvent bien souhaitter la mort: mais c'est à une autre fin et condition: comme nous devons tous avoir ce souhait de Sainct Paul (Rom. 7, 24), de sortir de ceste servitude de peché en laquelle nous sommes detenus. Sainct Paul n'est point là esmeu de quelques tentations de sa chair: mais plustost le desir qu'il a de s'employer au service de Dieu sans empeschement le pousse à souhaiter de sortir de ceste prison de son corps. Pourquoy? Car il faut qu'estans au monde nous soyons tousiours enveloppez de beaucoup de fascheries, nous ne cessons d'offenser Dieu estans ainsi infirmes. Sainct Paul donc regrette qu'il faut qu'il vive si longuement en offensant Dieu: et ce desir-là est bon et sainct, et procede du Sainct Esprit. Mais il y en a bien peu qui desirent do sortir du monde pour ce regard. Car cependant que nous sommes à nostre aise, il ne nous chaut gueres que nous ayons des vices et des imperfections, que nous De soyons point si prompts à servir Dieu, comme il seroit requis: cela ne nous touche point. Quoy donc? S'il nous advient quelque fascherie, si nous sommes en quelque langueur, si les choses ne nous vienent point à propos, alors nous souhaitons de sortir du monde: et n'est question que de nous fascher en despitant nostre vie.

Voila donc quel est le souhait de Iob: ce n'est pas que principalement il cognoisse quelle est sa condition: mais pource que le mal qu'il sent le presse, il voudroit avoir ceste demande de Dieu. Car non seulement il desire, mais il s'adresse à Dieu pour luy faire sa requeste. Et c'est encore un second mal: quand un homme desirant la mort ainsi que fait Iob, seroit là comme enserré et recueilli en soy, qu'il n'oseroit pas se presenter à

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Dieu pour le prier, si est-ce que desia il y auroit une offense trop grande: car il ne faut point que nous presumions de nous cacher, et d'avoir quelque retraite pour faire nos souhaits qui sont meschans et que Dieu reiette. Mais encores quand un homme viendra iusques à faire ceste demande à Dieu, il D'y a nulle doute qu'il ne peche au double. Et pourquoy? Car c'est une temerité par trop grande, si nous venons à prophaner le nom de Dieu. Comment est-ce qu'il nous faut le prier? Quelle reigle est-ce qu'il nous y faut observer? C'est que nous ne luy demandions rien qui ne soit accordant à sa volonté: comme Sainct Iean en parle en sa Canonique (5, 14). Et de fait nostre Seigneur Iesus Christ nous monstre bien qu'il nous faut tenir en ceste modestie-la, quand il nous met ceste demande, Que la volonté de Dieu soit faite. Voila donc Iob qui prophane le nom de Dieu, quand il luy ose faire une telle requeste et si excessive. Or donc en premier lieu ce qu'il sera licite aux hommes de souhaiter, quand leur vie sera ici assiegee de tant de povretez et miseres, que Dieu les delivre bien tost de ce corps mortel: ce n'est pas pour les fascheries qu'il nous faut ici endurer: mais c'est à cause que nous sommes tousiours subiets a beaucoup de vices. Voila pour un Item. Au reste notons que quand Dieu nous afflige, qu'il nous advient des choses qui nous sont aigres, pour cela nous ne devons point souhaiter la mort: mais plustost nous disposer au combat, puis que telle est la volonté de Dieu. Tiercement, quand nous desirons estre affranchis de ceste servitude de peché, que Dieu rompe ces liens qui nous tiennent maintenant: qu'on face cela par mesure que nous soyons prests d'estre humiliez tant qu'il plaira à Dieu: encores qu'il nous face mal, et que nous gemissions, d'autant que nous ne pouvons pas nous adonner pleinement à faire GO que Dieu nous commande: si faut-il que nous ayons premierement ceste consideration là: Et bien Seigneur si tu veux que ie te serve estant un povre pecheur, et qu'il y ait tousiours des vices cachez parmi, fais-moy la grace que ie recognoisse mes fautes, que ie gemisse devant toy, pour t'en demander pardon. Voila (di-ie) la mesure qu'il nous y faut tenir.

Au reste apprenons par l'exemple de Iob quand nous venons à Dieu, qu'il n'est point question d'apporter là nos desirs, et nos appetits, et de dire tout ce qui nous viendra à la bouche mais que nos requestes doivent tousiours estre conformes à ce que Dieu nous a promis, et à ce qu'il nous permet luy demander. Voila donc par où nous avons à commencer, si nous voulons prier Dieu comme il appartient: C'est que nous ne soyons point temeraires pour l'importuner de ceci ou de cela, mais que nous regardions bien ce qui nous

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est ici licite selon sa volonté. Car tous ceux qui demandent à Dieu, sans propos ce que leur courage porte, ceux-là, quel honneur luy font-ils? Ils le veulent assubiettir à leur poste. Voila (di-ie) une arrogance, qui est intolerable, quand un homme mortel veut dominer tellement que Dieu soit subiect à ce qu'il luy demandera. Et puis nous avons encores monstré, que Dieu veut que nous luy portions ceste reverence de nous enquerir pour savoir ce qu'il nous permet et ce qu'il trouve bon, et que nous facions cela en toute modestie. Advisons bien donc puis qu'il est advenu à Iob de se desborder ainsi, et faire à Dieu une requeste mauvaise, et que nous reprouvons nous-mesmes, que nous soyons sobres quand il est question de prier, et que nous ayons bien regardé devant la main ce que Dieu nous a promis ou permis. Or cependant le remede n'est pas que nous ne prions point Dieu, quand nostre chair nous solicite à desirer ceci ou cela: comme il y en aura d'aucuns quand on dira, que c'est pervertir la vraye oraison si on demande à Dieu quelque chose outre ce qu'il a approuvé: il s'en trouvera (di-ie) qui mettront en avant Et bien ie ne prieray point Dieu: car ie l'offenseroye si ie le veux ainsi assubietir à mes appetits: mais ie pourray bien faire mes souhaits en ceci ou en cela, et cependant ie ne veux point que Dieu soit assubieti à mes desirs. Or il ne faut point user de tel subterfuge. Que faut-il donc? Quand nous voyons qu'il y a des souhaits si fols pleins de vanité, et gui ne sont point seulement frivoles, mais du tout meschans: que faut-il? Il n'est point question de cercher des cachettes. Quoy donc ? Plustost desployons nos coeurs devant Dieu (comme l'Escriture en parle) (Pseau. 62, 9) que nous n'ayons rien là entortillé: mais si tost qu'il nous viendra quelque desir au devant. Or ça m'est-il licite de souhaiter telles choses? Dieu me le permet-il? Que nous venions faire un examen: que ce qui nous est entré au coeur soit là desployé, et quand Dieu l'aura cognu, que nous soyons disposez à le prier selon sa volonté. Quand nous en ferons ainsi, que nous penserons de nostre costé qu'il ne faut point que nous venions devant Dieu la teste levee, que nous soyons hardis iusques là de le sommer de faire ce que nous aurons conceu en nostre cerveau: mais qu'il faut que nous luy soyons subiets en tout et par tout. Quand donc nous tiendrons ceste mesure, voila nos appetis mauvais qui seront corrigez et reprimez, il y aura une bride pour cognoistre qu'il ne faut point que l'homme appete rien, sinon cc qu'il osera demander à Dieu. Et il ne faut point que nous presumions de rien demander, sinon ce que Dieu a ottroyé par sa parole. Si ainsi est, il faudra que nous soyons retenue, et que nostre chair ne domine point pour

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estre transportez à ceci ou à cela. Voila ce que nous avons à noter du passage de Iob.

Or cependant c'est une leçon bien mal pratiquée en tout le monde: car nous voyons que les uns feront leurs souhaits sans iamais s'assubiettir à Dieu, qu'il y aura une telle vanité aux esprits de beaucoup de gens qu'ils demanderont et ceci et cela: il n'est question que de forger et bastir des choses en leurs testes, et iamais ne prier Dieu. Voila un vice qui est intolerable. Comment? Que les hommes s'esgarent ainsi, là où Dieu les convie privément de venir à luy? Et quand il dit qu'ils pourront là estre deschargez reiettans sur luy toutes leurs solicitudes, que les hommes s'alienent ainsi, et qu'ils se reculent, n'est-ce point une trop grande perversité? Toutesfois c'est l'ordinaire, qu'un chacun espluche bien ce qui est en soy: ie vous prie, combien avons-nous de fols appetits qui nous esmeuvent à souspirer en nous, sans que Dieu en soit tesmoin? Les autres declinent à une extremité diverse: c'est qu'ils demeurent là comme stupides devant Dieu, et demandent ceci et cela sans savoir comment, sans avoir nulle regle né chois aucun. Or par cela voit-on que ceste doctrine (que i'ay desia mise en avant) est bien mal cognuë, non seulement de ceux qui n'ont point esté enseignez en la parole de Dieu: mais de nous. Et ainsi tant mieux devons-nous noter ce passage, afin qu'un chacun se tiene la bride courte, et que nous apprenions de renger nos appetits mieux que nous n'avons point fait: et pour ce faire que nous les desployons devant Dieu, sachans quo nous ne profiterons rien par nos subterfuges. Car il faut que tout viene à conte en son temps. Et ainsi apprenons toutes fois et quantes que nous serons induits et solicitez a desirer quelque chose de nous mettre là devant Dieu, qu'il soit nostre tesmoin. Et pour ce faire aussi que nous examinions bien tous nos pechez, afin de condamner tout ce que nous voyons n'estre point accordant à la volonté de celuy qui doit du tout dominer par dessus nous. Or revenons encores à ce que Iob dit, Que son souhait seroit , que Dieu le tuast et qu'il desployast sa main, pour le retrancher. Nous avons desia monstré en bref où tendent ces mots, c'est assavoir que Dieu abysmast du premier coup un homme, sans le faire languir. Voire: mais quel gain y a-il en cela? un homme aura il beaucoup meilleur marche? Ouy cc luy semble: car nous savons que s'il nous faut endurer quelque torment cela nous console quand il n'est pas long. Mais Iob a encore ici regardé plus loin, c'est assavoir, que quand Dieu se monstre Iuge, et que nous le sentons contraire à nous, c'est un torment insupportable: alors que nous voudrions que les montagnes tombassent sur nous, comme Iesus Christ aussi en parle (Luc. 23, 30):

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nous voudrions que tout le monde fust renversé, nous aimerions mieux quo toutes creatures s'eslevassent contre nous, et qu'une chacune nous apportast une mort, que nous eussions à passer par des dangers infinis, moyennant que nous ne veissions point la face de Dieu ainsi terrible contre nous. Voila donc à quoy Job a regardé.

Or il est vray que ceci ne sera pas cognu do beaucoup. Et pourquoy? D'autant que la pluspart sont stupides, qu'il n'y a quo durté et obstination. Si un homme ou une femme est pressee do maladie, ils crieront, helas s'il y a povreté, s'il y a famine, s'il y a autre chose, chacun se saura plaindre en son endroit: mais nous ne savons que c'est de cc torment spirituel, quand Dieu nous persecute nous monstrant combien son ire est espouvantable. Et qu'il soit ainsi nos consciences sont tellement endormies qu'à grand' peine en trouvera-on de cent l'un qui ait iamais gousté que veut dire la main de Dieu ainsi terrible que Iob la propose. Or tant y a que nous avons besoin d'estre mieux munis que nous ne sommes pas à l'encontre de telles afflictions, car si Dieu nous espargne pour un temps nous ne savons pas qu'il nous garde pour la fin. Nous en voyons beaucoup qui tout le temps de leur vie auront esté nonchallans et auront fait grand chere: voire mesmes quand on aura tasche de leur faire sentir que c'est de Dieu et de son iugement, ils auront tourné le tout en moquerie: quand cc vient à la mort Dieu leur rabat leur caquet, tellement qu'au lieu qu'ils avoyent esté adonnez à gaudisserie, il faut qu'ils sentent alors les frayeurs d'enfer, qu'ils soyent là comme enserrez: voire abysmez du tout, pource que Dieu a ietté sa foudre sur eux. Nous on verrons (di-ie) qui vienent en tel estat. Et pourquoy? Dieu punit cest orgueil duquel ils ont este enflez à leur escient pour le despiter. Ainsi donc apprenons quand l'Escriture nous parle de cest horreur que Conçoivent ceux qui sentent Dieu estre leur iuge, que c'est afin qu'un chacun de nous y pense. Or ca, il est vray que les maux corporels nous poisent beaucoup comme nous sommes du tout adonnez à nostre chair et à la vie presente: mais voici l'Escriture qui nous parle d'un mal qui cet plus à craindre beaucoup, et qui nous doit plus estonner, c'est quand Dieu nous fait sentir nos pechez, qu'il adiourne nos consciences devant luy, car alors il nous touche beaucoup plus, quo si nos corps estoyent deschirez par pieces, s'il nous faisoit tous les maux qu'il est possible. Puis qu'ainsi est, craignons Dieu, et ne pensons point avoir meilleur marché quand nous aurons fuy son iugement: mais tenons-nous là de nostre bon gré, et qu'un chacun viene à ceste obeissance d'examiner sa vie tellement quo ses pechez soyent là mis on conte. Voila donc

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comme il nous en faut faire quand nous oyons ici I les propos qui nous sont recitez.

Or lob dit, Qu'alors il auroit consolation, et qu'il s'eschaufferoit en sa douleur, ou bien qu'il se esgayeroit. Car le mot dont il use ici signifie Brusler et estre chauffé, et aucuns le translatent s'esgayer. Pour retenir la propre signification et naifve du mot, prenons, Ie seroye eschauffé en ma douleur. Il dit donc qu'il auroit allegement si Dieu estendais son bras pour le retrancher du premier coup: mais il luy fasche d estre miné, et que Dieu n'use point de sa force pour l'abysmer, à ce que son mal ait une brefve fin. Or il est vray que ceux qui sont ainsi soudain accablez ne laissent pas d'estre affligez: cela ne les allege pas tant qu'ils ne sentent grande douleur, mais Iob parle comme un homme passionné, qui ne sait plus où il en est: ainsi il luy semble qu'il n'y a consolation meilleure, sinon d'estre du tout raclé si tost que Dieu y aura mis la main. Comme quoy? Quand nous avons une passion presente il nous semble qu'il n'y a que ce mal-là en tout ie monde: quand quelqu'un est pressé d'une douleur qui est grande et excessive, il ne pense point à toutes les douleurs des autres, cc ne luy est rien: s'il cet en chaleur, il voudroit estre refroidi, voire on une glace: et toutesfois s'il est transi de froid, ceste passion-là luy sera aussi griefve à porter et aussi amere comme la chaleur qu'il aura enduree. Voire, mais quand un homme a froid ou chaud, ou qu'il a quelque autre chose qui le tormente en son corps, le voila tellement surprins qu'il luy semble que tous les maux contraires luy seront comme un allegement, c'est ainsi que nos passions nous transportent: et voila comme Iob a parlé. Notons donc que quand nous imaginons des allegemens, ce n'est pas que nous les eussions quand Dieu nous aura envoyé tous nos souhaits: nous trouverons que nous tomberons d'un mal en l'autre et qu'il n'y a autre allegement sinon que Dieu nous soit propice. Et qu'ainsi soit s'il luy plaist de nous donner patience quand nous perdrons un doigt, il nous la donnera bien quand nous perdrons toute la main: voire quand il faudroit perdre tout le corps. Il ne faut point donc que nous concevions le mal en soy: mais plustost en nostre fragilité. Car si nous sommes infirmes et delaissez à nous mesmes, il ne faudra rien pour nous confondre du tout et si Dieu nous a fortifié par sa grace, combien quo nous ayons à porter une grosse montagne, nous en viendrons à bout. Et pourquoy ? La vertu de Dieu y suffira bien. Il ne faut sinon un pied d'eau pour noyer un homme, et un autre se retirera de la mer. Quand Dieu donc nous tendra la main, encores quo nous fussions aux abysmes, nous en pourrons eschapper mais s'il ne luy plaist nous en

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delivrer, il ne faudra rien pour nous ruiner du tout. Puis qu'ainsi est, n'estimons point avoir allegement, quand Dieu aura changé l'espece du mal: mais cognoissons, quo nous n'en pouvons estre allegez, sinon que Dieu nous soit propice et favorable, sinon qu'il ait pitié de nous, et qu'il nous monstre qu'il nous a pardonné nos pechez. Voila le vray repos. Autrement il faut que nous soyons en inquietude perpetuelle: comme un malade quand il se tourne ça et là, il luy semble qu'il a quelque relasche, ou si on luy permet d'aller d'un lict à autre, le voila gueri ce luy semble. Or se est-il bien tourmenté? il voit que son mal le presse d'avantage: tant s'en faut qu'il soit amendé en rien. Ainsi en est il de nous: il nous semble que nous aurions meilleur marché si Dieu nous affligoit en une autre façon, qu'il ne fait pas, mais cela n'est point pour adoucir la douleur. Il faut en cest endroit avoir nostre refuge à Dieu et le prier qu'il retire sa main de nous, et quand il nous aura receus à merci, voila comme nous serons vrayement allegez.

Quant à ce que lob dit, Qu'il seroit eschauffé en sa douleur: il entend que sa douleur seroit adoucie pour se consoler: comme quand il y aura un grand feu sous un pot, la chair qui est dedans sera incontinent cuite quand le pot aura esté eschauffé: autrement une chair trempe là long temps, et s'affadit. Ainsi donc en est-il: il semble à Iob quand il faut que nous languissions, et que nous soyons en telles extremitez, que ce n'est sinon pour nous faire pourrir là en nos miseres. Or tant y a (comme i'ay dit) que ce n'est pas alors que les hommes laissent de se monstrer du tout desesperez assavoir quand Dieu ne les fait point languir: mais cognoissons que si Dieu veut prolonger nos maux, c'est assez qu'il nous donne patience, et quand il nous l'a donnee auiourd'huy, qu'il continue demain. Si Dieu besongne en telle sorte, et bien les maux sont aisez à porter, tellement que quand il nous abysmeroit cent mille fois, nous nous remettrons tousiours à luy, moyennant qu'il nous soustienne par ceste grace, qu'il nous a donnee du ciel: nous faisons sentir en nos coeurs ceste consolation de l'Escriture, Que si Dieu nous touche, soit qu'il nous frappe d'un doigt, ou qu'il nous frappe de la main, soit qu'il nous frappe à grands coups de marteau, soit qu'il nous face languir, soit qu'il nous consume tantost: si est-ce que rien n'adviendra sans sa volonté, et sa volonté tend à nostre salut, puis que nous sommes de ses enfans, il n'y a point de doute.

Or quand Iob dit, Qu'il ne m'espargne point, et ie ne supprimeray point les paroles du Sainct: il fait une protestation, laquelle il ne pouvoit pas tenir: mais c'est ainsi que parlent ceux qui sont transportez

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en leurs affections. Voila (dit-il) si Dieu m'avoit ainsi accablé du premier coup, si est-ce que ie ne le condamneroye point, mesmes ie ne voudroye point murmurer contre luy, ie beniroye plustost son nom, et confesseroye qu'il est iuste: mais quand ie suis tourmenté si longuement, et que ie ne puis avoir allegement, ie perds patience en cela. Voici comme les hommes y procedent, selon qu'il a esté declaré.

Mesmes Iob adiouste, Qu'il n'en peut plus, et que sa puissance defaut: que celuy qui est affligé doit avoir benefice de son amy. I'ay desia monstré qu'il falloit que Iob retournast à Dieu, et qu'il se tinst là. Mais quoy? Il s'adresse à ceux qui l'ont accusé, et c'est une tentation de laquelle il nous faut bien garder, comme c'est à ceste fin que le sainct Esprit nous amene ceste histoire en avant, afin que nous cognoissions, que quand les hommes nous vienent picquer, qu'ils se moquent de nous, et qu'ils nous poussent en desespoir, ou qu'ils s'efforcent de ce faire, il nous faut bien garder de nous aller attacher à eux. Pourquoy? Voila un homme qui me viendra dire, Et penses-tu que Dieu ait le soin de toy? Tu l'invoques: mais tu t'abuses en cela: et mesmes si Dieu ne t'avoit point comme detestable, et penses-tu qu'il t'eust exercé en telle extremité ? Tu te vois ici une povre creature damnee: n'apperçois-tu pas que Dieu t'est contraire? Si un homme me vient ainsi aguiser, voila une peste mortelle: mais il la faut repousser: sur tout, d'autant que nous avons les aureilles batues de telles tentations, que nous cognoissions, Voila Satan qui me vient ici mettre le feu à ce que ie m'aigrisse à l'encontre de Dieu. Or il faut que ie repousse toutes ces astuces: et que ie cognoisse apres que ie seray recueilli à moy que ie n'ay point à faire aux hommes, mais que c'est à Dieu. Et pourtant luy faut-il adresser nos complaintes pour dire, Seigneur tu vois, comme cest homme ne demande qu'à me mettre en desespoir: il vient ici pour me faire defaillir du tout, qu'il te plaise donc me recevoir à merci, et que ie sente que tout ce qu'il me faut endurer, ne vient point du costé des hommes, mais de toy seul, car combien que les hommes y besongnent par imprudence, ou mesmes malicieusement, et par fraude ou outrage, si est-ce que rien n'advient sans ta volonté: or ta volonté est bonne et iuste et pour mon salut. Voila comme il nous y faut proceder. Or Iob a failli en cest endroit, et sa faute nous doit servir d'instruction. Et de fait le S. Esprit a bien voulu, que ce sainct personnage qui est comme un miroir de patience, nous soit ici mis devant les yeux, et qu'il soit contemplé, afin que cela nous profite' et que nous en recevions doctrine laquelle nous puissions appliquer à nostre usage. Ainsi donc cognois

SERMON XXIV

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sons bien toutes fois et quantes qu'il y aura quelque grand mal qui nous adviendra, qu'il ne nous faut point prendre ces excuses, Et voire, ie ne puis porter ce mal-ici: mais si Dieu me traitoit d une autre façon, i'en viendroye bien à bout. Ne mettons point là nostre confiance: mais cognoissons qu'il ne faut rien pour nous faire perdre patience, pour nous destourner de Dieu, et nous rendre du tout rebelles à luy. Condamnons nous donc en nos vices, en tout et par tout, et cognoissons, Helas! si Dieu me vouloit exercer d'une autre sorte, ce qui est incognu maintenant se monstreroit: il y a beaucoup de maladies cachees en moy, que Dieu sait, et ie ne les cognoy pas: il faut donc que le me cognoisse, que ie le prie qu'il ne permette point, que tant de vices qui sont en moy se vienent ietter aux champs pour batailler à l'encontre de luy: mais plustost qu'il les purge et les corrige. Voila comme il nous en faut faire: et ce faisans nous ne prendrons point ceste conclusion à la volee que met ici Iob quand il dit, Ie ne murmureroye point si Dieu ne m'espargnoit point, ie ne nieroye point les paroles du Sainct. Qu'est-ce que de reprimer ou cacher les paroles du Sainct? C'est de ne point donner gloire à Dieu en tout et par tout. Iob donc dit en somme, Quand Dieu m'affligeroit iusques au bout, ie no voudroye point nier qu'il ne fust digne de toute louange, pour cognoistre,- Seigneur c'est à bon droit que tu m'affliges, ie suis ta creature, et quand ie suis en ta main dispose de moy à ta bonne volonté. Iob proteste bien qu'il feroit cela: mais il le proteste ne se cognoissant pas. Apprenons donc comme i'ay dit d'entrer en nous, et ne nous attacher point aux hommes. Car si tost que nous aurons fait une telle protestation, Dieu se moquera de nous: il n'y I aura que folie et vanité quand un homme dira, Si une telle chose advenoit, ie feroye ceci et cela. Si donc un homme en vient iusques là, il faudra que Dieu se moque de son arrogance. Et de fait quelle est nostre vertu? De quoy nous pouvons nous glorifier? Ainsi donc cognoissons, que de quelque bout que Dieu nous traite et manie, il nous faut tousiours avoir ceste prudence de le glorifier, le prians qu'il nous conduise tellement par son sainct Esprit, que selon qu'il luy plaira de nous affliger, il nous donne aussi la vertu de patience. Voila ce que nous avons à noter de ce passage.

Or cependant il adiouste: Quelle est ma force que ie puisse durer? ma vertu est-elle de pierre? ma chair est-elle comme d'acier? Ici Iob entre en ces complaintes, pour monstrer qu'il a iuste occasion de se despiter ainsi, voire combien qu'il passe mesure. Et pourquoy? Car Dieu de son costé est excessif à le chastier. Voila en somme ce qu'il,

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veut dire. Or nous voyons ce que desia i'ay touche, c'est assavoir que Iob est pressé de ceste douleur presente, tellement qu'il ne regarde point à tout le reste: mais plustost y est aveugle. Et c'est un poinct que nous devons bien noter. Car voila comme nous en sommes, et l'experience le monstre: toutes fois et quantes que nous avons quelque fascherie sans regarder à rien qui soit, nos yeux sont esblouis que nous ne discernons plus entre le rouge et le verd: mais nous decliquons et ceci et cela sans propos. D'autant plus donc nous faut-il observer ce qui est ici contenu. Iob dit ici. Quelle est ma vertu? Il est vray que sa vertu estoit nulle: mais quand il cognoit cela et s'y arreste, n'est-ce pas pour le rendre plus impatient qu'il n'estoit? Iob pense que sa vertu ne luy de" faille sinon en ce mal qu'il endure: or au contraire que les hommes s'espluchent, et qu'ils sondent bien ce qui est en eux, et ils trouveront que le moindre mal qui les travaille, et qui les picque,

n'est pas sans grande douleur, voire quant au corps:

mais cela n'est rien au pris de ce que Iob endure quant à ces tormens spirituels, dont nous avons parlé. Il ne demande point d'estre allegé de son

mal, pour cognoistre son infirmité, pour s'humilier

I devant Dieu, afin qu'il confesse que c'est raison qu'il soit ainsi traité Quoy donc? Il veut monstrer que Dieu le traite d'une façon extraordinaire, et ainsi que les hommes n'ont point accoustumé d'estre ainsi pressez. Il voudroit donc entrer avec Dieu comme en un camp de bataille, et que Dieu prinst espee pareille, ou ie ne say quoy. Voila comme Iob se precipite: mais il nous faut demander quelle est nostre vertu, et la cercher, non point en nous, mais en celuy qui nous fortifie. Car nous

I ne trouverons tousiours que vanité en nous: si nous pensons avoir la force pour porter un fardeau nous nous trouverons accablez dessous. Car nous defaillons de nous mesmes: il ne faut point qu'il nous viene mal d'ailleurs pour nous presser. Nostre vertu donc est nulle quant à Dieu. Il est vray qu'en apparence il semblera bien que nous ayons quelque vertu: mais ce n'est rien qu'un ombrage.

Ainsi donc ayans cognu que nostre vertu est nulle, concluons en general: Helas donc et que sera-ce si Dieu met la main sur moy? ne faut-il point que ie sente un plus grief torment, et quo toutesfois, ne pour cela ie ne m'esleve point à l'encontre de luy? Combien donc que Dieu nous afflige tant en nos corps qu'en nos ames: si est-ce que nous ne devons point murmurer contre luy pour le condamner, comme s'il nous faisoit tort. Mais quand nous cognoistrons que nostre vertu en tout et par

I tout est nulle, voila comme nous apprendrons de

, nous humilier devant Dieu, et luy demander qu'il

IOB CHAP. VI.

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nous fortifie, sachans quo c'est luy qui a l'esprit do force, et c'est à luy de nous le bailler.. Car autrement si nous n'estions soustenus de luy, et que cepandent il nous fallust endurer long temps, quo seroit-ce? Cognoissons qu'au premier assaut nous serions tantost abbatus. Il no faut point que Dieu face durer le mal pour nous accabler: car qui est celuy qui puisse promettre d'estre patient un seul iour ou une heure tant seulement? Il ne faut point donc que Dieu allonge les maux pour monstrer nostre foiblesse, et faire que nous en soyons convaincus: mais cognoissons que nous ne pouvons commencer rien de bien, ne parfaire encores tant moins. Et ainsi tant plus devons-nous estre incitez de requerir à Dieu, quo luy seul nous soustiene, qu'il nous releve mesmes quand nous serons abbatus. Voila en quelle sorte il nous faut considerer nostre foiblesse, et non point la considerer comme Iob, pour dire que Dieu ne tient point mesure envers nous: mais plustost cognoissons quo quand nous avons offensé nostre Dieu, et qu'il nous chastie, au lieu d'amender sous ses verges, nous empirons. Et pourquoy?. Pource que quand Dieu nous touche, il nous adviendra do blasphemer son nom: et voila l'extremité et le comble do tout mal. Ainsi donc apprenons que quand Dieu voudra remedier à nos vices, il faut qu'il abbate ceste arrogance diabolique qui est en nous, pour nous les faire cognoistre: autrement nous no pourrons nullement profiter on tous les chastimens qu'il nous envoyera. Et puis avons-nous ainsi cognu le mal qui est on nous? il nous y faut desplaire et cercher le remede, pour dire, Helas mon Dieu! Il est vray que ie suis si foible et si debile, qu'il n'y a que vanité on moy: mais cependant s'il te plaist do me

fortifier, tu n'as pas seulement une vertu do pierre ou d'acier: mais ta vertu est infinie. Quo toutes les pierres et 108 rochers viennent hurter à l'en. contre, qu'il y ait tempestes et orages, qu'il semble, quo tout le monde soit fondu on abysmes, si est-ce Seigneur quo ta vertu est tousiours invincible. Et ainsi donc qu'il te plaise do me munir do ton sainct Esprit, afin que si ie suis fragile on ma nature, ie ne me lasse point do batailler contre les tentations qui nous vienent assaillir. Quand nous on ferons ainsi, nous aurons beaucoup profité on ceste doctrine. Or cependant cognoissons aussi d'autre costé, que si Dieu outrepasse nostre mesure, et qu'il nous envoye do telles tentations, que nous n'ayons pas loisir de respirer, qu'il nous faille crier, helas quand donc Dieu nous envoyera une telle tentation, voire iusques à cent, quo sera-ce? Il est vray quo nostre nature y defaudra: mais quand Dieu aura pitié do nous, et que nous l'invoquerons à GO qu'il nous subvienne on nos maux voila comment nous on pourrons estre delivrez, et mesme surmonter le tout par patience. Il faut donc qu'on tout et par tout les hommes se preparent aux afflictions, qu'ils sentent la main de Dieu: et quo s'ils veulent estre secourus do luy pour resister aux combats qui leur seront livrez, ils ayent recours à Dieu, le prians qu'il les fortifie par la vertu de son Esprit, à ce qu'ils puissent passer constamment par toutes les miseres de ce monde, iusques à ce qu'ils soyent recueillis en ce repos eternel qui leur est appresté au ciel, comme il nous a esté acquis par nostre Seigneur Iesus Christ.

Or nous nous prosternerons devant la face do nostre bon Dieu etc.

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LE VINGTCINQUIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE VI. CHAPITRE.

Ce sermon contient le reste de l'exposition des versets 13 et 14 et ce qui s'ensuit

15. Mes freres m'ont trompé comme un torrent, comme les eaux qui passent par les vallees: 16. Elles se troublent de glace, et abondent en neige. 17 Et puis defaillent par secheresse, et s'ostent de leurs lieux par la chaleur. 18. Elles se destournent par divers chemins, et s'esvanouissent et perissent. 19. (Jeux qui les ont veu attendans aux quartiers de Thema, vienent en Seba: 20. Mais y estans, ils sont confus: y ayans esperé, estans venus au lieu, ils sont honteux.

21. Voila comme vous m'estes torrents: car vous avez esté estonnez à mon regard. 22 Vous ay-ie dit, Apportez, eslargissez moy de vos biens. 23. Que vous me delivriez de l'ennemy, que vous me rescouée de la main des tyrans?

La premiere sentence que nous avons ouye tend à ceste fin, qu'un homme qui est tant presse qu'il n'en pont plus, merite bien qu'on l'excuse,

SERMON XXV

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quand il sera excessif en ses passions. Et c'est ce que Iob allegue pour s'excuser. Combien (dit-il) que ie parle outre mesure, si ne faut-il point qu'on m'impute cela à grand' faute: car le mal m'y contraint. Or vray est que ceste couleur ici seroit receuë entre les hommes: mais quant à Dieu, ce n'est point pour estre iustifié, quand nous mettons en avant que le mal est si enorme, que nous De savons que faire: car Dieu le peut adoucir moyennant que nous le requerions. Et au reste, nous ne pouvons pas nous excuser en ceste façon-là, que Dieu ne soit accusé quant et quant, comme s'il n'avoit point regard à nostre salut, comme s'il nous traitoit sans aucune consideration. Il est vray que les hommes ne pensent pas à cela: mais si est-ce que quand nous parlons de Dieu, il ne faut point ouvrir la bouche, qu'en toute reverence et sobrieté Advisons maintenant si Dieu nous chastie par raison, ou non. Quand cela sera conclud, que Dieu nous afflige, sachant pourquoy, et qu'il ne passe iamais mesure, il ne faut point que cela soit de mise ne de recepte, quand nous viendrons nous excuser: il faut plustost passer condamnation. Ainsi donc voyans que Iob a failli en cest endroit, allons plustost au remede: c'est que si nous endurons de grandes adversitez, nous ayons nostre refuge à Dieu, le prians qu'il nous y vueille secourir. Faisans cela, nous trouverons que Dieu nous allegéra, autant qu'il en sera mestier: et au reste qu'il ne permettra point que nous defaillions. Combien qu'il semblera que nos calamitez soyent comme des gouffres pour nous engloutir, si est-ce que nous serons soustenus de la main de Dieu, et preservez en sorte que nous ne viendrons point à estre du tout abbatus. Il est vray quant à nous, que Dieu voudra bien que nostre infirmité soit cognuë, et qu'elle se monstre, afin que nous n'ayons point dequoy nous glorifier: mais plustost que ceste folle hautesse que nous avons en nous soit abbatue: cependant si est-ce qu'en temps opportun nous serons secourus de luy. Voila donc quant à ceste sentence.

Or il est dit, Que l'amy doit bien faire à celuy qui est affligé: mais Iob se plaint qu'on n'a point la crainte de Dieu. Ceste sentence nous devroit estre assez commune: car il ne faut point aller à l'escole pour dire, que nous ayons compassion de ceux qui endurent: cela est imprimé en tous. Il n'y a celuy qui ne le sache dire: sur tout quand nous sommes en affliction, chacun demandera qu'on ait pitié de luy, et qu'on pense à luy donner allegement. Voila donc une doctrine qui nous doit estre plus que cognuë: mais cependant il n'y a nul qui la pratique, et tant moins sommes nous excusables, comme les proverbes communs nous serviront d'autant de condamnation: les plus ignorans et les plus idiots qui soyent au monde, ne pourront

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pas dire, qu'ils n'ayent ouy ce qui est commun entre tous et accoustumé. Or quand on aura consideré les proverbes qui courent, on trouvera assez de tesmoignages pour redarguer ceux qui voudroyent prendre quelque couverture devant Dieu pour dire, Ie n'ay pas seu que c'est, ie n'estoye point enseigné, ie n'ay point esté adverti de cela: car nous savons bien dire qu'il ne faut point grever l'affligé: mais qu'on eu doit avoir compassion, et cependant nous n'y pensons gueres. Voila donc D eu qui n'aura que faire au dernier iour de nous former longs proces de la cruauté que nous exerçons envers nos prochains. Et pourquoy ? Car chacun peut estre son iuge en cest endroit. Or notons quand il est parlé de compassion et d'humanité, que cela s'estend bien loin: qu'il n'est pas question seulement quand un homme aura faim et soif, qu'on luy donne à boire et à manger, qu'on luy face quelque soulagement corporel: mais c'est que si un homme est troublé d'angoisses, qu'on tasche de le consoler: si un homme est environné de maux, qu'on ne viene point le picquer d'avantage, pour le rendre du tout confus: mais plustost qu'on tasche à le soulager. Ainsi l'humanité à laquelle nous sommes tenus de nature, ne gist point seulement à faire quelque plaisir: mais c'est n'estre point cruels pour reietter ceux qui sont en quelque adversité, pour n'y avoir nul regard, ou bien pour les condamner au double afin que leur mal croisse: mais plustost que nous soyons benins, que nous advisions de gemir avec ceux qui gemissent (comme l'Escriture nous exhorte) (Rom. 12, 15) et nous esiouyr du bien de nos prochains. Voila donc ce que nous avons à observer.

Or il est dit, Qu'on delaisse la crainte de Dieu quand on n'a point compassion des affligez. Et de fait si on retient la regle qui nous est donnee par nostre Seigneur Iesus Christ, ou verra bien qu'il n'y a nulle crainte de Dieu en nous, quand nous sommes ainsi retirez. Et pourquoy? Voila que nostre Seigneur Iesus nous remonstre, Que nous avons à ensuyvre nostre Pere celeste, si nous voulons estre tenus pour ses enfans (Matt. 5, 45. 48). Les Payens mesmes ont bien seu dire qu'il n'y a rien en quoy l'homme ressemble plus à Dieu pour s'y conformer, qu'en bien faisant, estant humain pour secourir à ceux qui sont en necessité. Or maintenant voila Dieu qui fera luire son soleil sur les bons et sur les mauvais. Ie verray mon frere, ie verray celuy qui est comme un miroir de ma chair et de ma nature, qui sera pressé de maux, et ie ne m'en soucie: n'est ce pas un signe et argument que ie ne pense point à Dieu, et que ie suis trop brutal? Et ainsi ce n'est point sans cause qu'il est dit en ce passage, Que ceux qui n'ont nulle pitié des povres miserables qui sont en affliction, que ceux-là ont delaissé

IOB CHAP, VI.

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la crainte de Dieu. Et voila pourquoy aussi nostre Seigneur Iesus Christ dit (Matt. 23, 23), que les principaux articles de la Loy sont Iugement, Iustice, Misericorde, et Verité. Quand nous voulons monstrer que nous craignons Dieu et desirons de le servir, il faut venir à ce point-là, que nous cheminions en integrité avec les hommes, que nous no soyons point adonnez à tromperies et à malice. Au reste que nous rendions le droit à un chacun que nous maintenions les bonnes causes et iustes entant qu'en nous est, et que nous ayons pitié de ceux qui ont besoin de nostre aide à fin de les soulager entant qu'en nous sera. Voila (di-ie) en quoy nous accomplirons la loy de Dieu. Mais si nous sommes pleins de cruauté, qu'un chacun pense seulement pour soy, qu'on ne tiene conte du fait d'autruy, en cela declarons-nous que nous n'avons nul regard à Dieu. Et pourquoy ? Car si nous avions Dieu devant nos yeux, nous cognoistrions qu'il nous a ici mis pour vivre ensemble, pour communiquer les uns avec les autres: nous cognoistrions qu'il est le pere de tous: nous cognoistrions qu'il nous a fait d'une mesme nature afin que nous ayons soin les uns des autres: et qu'il ne faut point que nul se retire à part, sachans que nous avons besoin les uns des autres. Il faut donc dire, que ceux qui se sont destournez do ceste humanité, ont aussi tourné le dos à Dieu, et mesmes qu'ils ne savent quo c'est de nature humaine. Retenons bien donc ce passage, quo pour approuver que nous avons la crainte do Dieu, il faut que nous taschions bien faire aux affligez.

Il est vray quo pour Observer une regle generale, nous sommes tenus de bien faire à tous: mais si est-ce qu'encores que nous eussions une grande durté de coeur, nous devons estre amollis voyans quelqu'un qui endure. Et de fait cela mesmes, est pour rompre et abbatre les in imitiez et malvueillances, qui ont esté auparavant. Comme quoy ? Si un homme est en prosperité, et en vogue, et qu'il soit hay: et puis qu'il tombe bas, et qu'il luy adviene quelque gros orage sur la teste: ceste haine qui avoit esté auparavant cesse, tellement que ceux qui avoyent osté envenimez contre luy, et qui luy eussent voulu manger le coeur et les trippes (comme on dit) sont appaisez aucunement, voyans un tel changement qui sera advenu. Puis qu'une affliction est pour amortir une malvueillance, et faire cesser les in imitiez: ie vous prie quo sera-ce, quand nous cognoistrons nos prochains estre affligez? No devons-nous pas estre esmeus au double pour les secourir? Or ceux qui tourmentent et picquent }es povres gens qui sont en affliction et tristesse, no sont point seulement inhumains, pource qu'ils n'ont point compassion: mais ils excedent encores plus, venans

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augmenter le mal. Si ie voy un homme qui gemisse et qui demande d'estre secouru, et que ie tourne le dos, ie suis cruel, ie monstre que ie ne cognoy ne Dieu ne nature. Or si un autre vient, et qu'il se rie et se moque do celuy qui demande d'estre aucunement soulage, et qu'il le viene angoisser au double: celuy-là est aussi cruel au double. Il est vray que i'avoye failli lourdement quant à moy: mais luy qui vient mettre le pied sur la gorge à un povre homme, ne monstre-il pas qu'il est une beste sauvage et plus que brutal? Or tels estoyent les amis do Iob, desquels il se plaint. Apprenons donc quand nous voudrons approuver que nous sommes enfans de Dieu, de ne point reietter ceux qui sont en affliction sachans que c'est là où Dieu nous appelle, quo c est là où il veut avoir tesmoignage, si nous le tenons pour nostre pere ou non, assavoir quo nous exercions fraternité avec les hommes. Mais sur tout gardons nous de nous eslever à l'encontre do ceux qui endurent quelque affliction, et de les opprimer d'avantage: car nous voyons que c'est encores plus despiter Dieu, que si nous n'en tenions conte. Voila ce que nous avons à observer.

Or sur cela Iob use d'une similitude: c'est qu'il accompare ses amis à un torrent. Voila (dit-il) une riviere qui ne courra pas tousiours: mais elle aura un torrent: s'il y vient quelques grosses eaux, et qu'il gele, là dessus on verra un gros amas quand les eaux seront gelees: et puis s'il neige, voila les eaux qui decoulent, quand le torrent est enflé, que mesmes il ne se peut tenir en son rivage qu'il se desborde, on pense que cela doive durer tousiours. Or le torrent passe. Il s'en va (dit il) çà et là et en la fin il desseiche. Que si on va au chemin de Thema, et au chemin de Seba, ayant esperé d'y trouver eaux, on y sera trompé. Or ces puys-la estoyent assez sauvages a l'esgard de la terre de Iudee, et c'estoyent deserts entre deux: il y avoit un chemin sec, et quasi inaccessible: et c'estoit là où on avoit plus grand besoin de trouver des eaux pour se refreschir. Voila (dit-il) les passans, quand ils auront veu un tel torrent, ils se resiouyssent, et leur semble, Nous avons une riviere qui nous donnera quelque frescheur: si nous avons soif nous pourrons boire l'eau, nous l'aurons tousiours prochaine: or quand ils vienent en ces lieux secs, et s'il y a grande chaleur qu'ils pensent se refreschir, et y avoir de l'eau, ils se voyent trompez: et pourtant ils sont confus, et se faschent, et se despitent. Voila (dit-il) comme vous estes. Or ce n'est point sans cause qu'il met ceste similitude ici. Car nous avons desia veu que les amis qui estoyent venus pour consoler Iob, estoyent gens d'apparence. Et de fait il n'y a nulle doute qu'ils no fussent prisez, et renommez comme gens sages:

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car mesmes nous verrons cy apres, qu'ils n'estoyent pas des hommes vulgaires: mais qu'il y avoit des graces excellentes en eux.

Au reste Iob dit, Que toute leur sagesse n'estoit sinon enflure de vent. Et pourquoy? Car le principal en un homme, c'est qu'il ait une fermeté esgale, c'est à dire, qu'il n'ait point des bouffees pour se ietter aux champs, et pour faire de grandes levees de bouclier: et puis que ce ne soit rien, qu'il y ait des bravades seulement, comme nous en verrons, qui auront de belles parades, et puis il ne faut que tourner la main, et les voila tous autres: tellement que par fois on dira, voila dos Anges: et puis on voit qu'ils s'escoulent comme eau, qu'il n'y a point de tenure. Iob donc appliquant ceste comparaison a ses amis, declare qu'ils n'avoyent point ceste fermeté egale, et ceste tenure, qui est requise sur tout aux hommes. Nous avons donc a recueillir de ce passage une doctrine bien utile: c'est qu'il vaut beaucoup mieux, que nous soyons comme une petite fontaine, laquelle ne semblera point avoir grande quantité d'eau, que d'estre ainsi de grands torrents pour dessecher par fois. Il y pourra avoir une fontaine: et bien on voit qu'il n'y a qu'un petit trou, à grand peine en pourra-on tirer un pot d'eau: toutesfois la fontaine demeure tousiours, on s'en sert, elle a son usage, elle ne tarit point. Il est vrai qu'elle n'a point grande apparence, cela n'est point magnifié entre les hommes: une fontaine mesme sera cachée: qu'on passe par dessus, elle n'apparoistra point, la source est au dedans: mais si vaut-il beaucoup mieux quo nous ayons ceste petitesse-la, et cependant qu'il y ait une tenure qui persiste, que d'avoir de grands bouillons, et d'avoir grand' monstre et que nous dessechions. Comme quoy? Voila un homme qui sera paisible, et ne fera pas grand bruit, il travaille, ce sera quelque homme mechanicque, qui ne sera point de grande reputation: mais quoy qu'il en soit, il n'a point de reproche en sa vie, il travaille fidelement, et en se remettant à Dieu, il se contente du peu qu'il a: si Dieu luy a donné des enfans, il les nourrit, il est en bon exemple, il ne fait point scandale. Apres, il est vray qu'il ne pourra pas faire beaucoup de troubles ne d'outrages: car il n'a pas les mains si longues qu'il les puisse estendre ne çà ne là: mais comme i'ay dit, il monstre en sa petitesse qu'il peut aider à ses prochains: apres les avoir confermez par bon exemple. Dieu luy fait aussi bien la grace de s'employer pour eux en quelque choses petites. Vray est qu'il n'a pas grand' monstre devant les hommes, mais si est-ce qu'en sa petitesse on se pourra servir de luy. Voila donc un tel homme quand il se tiendra ainsi en humilité, et qu'il continuera son train, il pourra estre accomparé a une

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petite fontaine, qui ne tairit iamais, combien qu'elle soit petite. Or il y en aura d'autres qui feront merveilles, qu'il n'y aura que pour eux ce semblera, et de prime face on dira, voila merveilles: mais qu'on les contemple, et on viendra à ceste defaillance, de laquelle il est ici parlé. Il y en a qui estoyent exercez et enseignez en l'Escriture, voire pour parler et se faire valoir, et bien, en leur vie encores y aura-il quelque belle monstre. Voila comme un torrent qui fait grand bruit, quand les eaux se meslent et que les neiges sont fondues il semble qu'il y ait une douzaine de sources bien grandes qui se iettent là et qui decoulent avec impetuosité. Mais quoy ? Voila un homme qui fera de belles monstres: mais qu'on le contemple, c'est à dire qu'on advise ce qu'il fera à la longue, et on trouvera qu'il defaut, et qu'il n'y a point de tenue Que s'il y a eu quelque apparence de vertu, il y aura des vices si grands que c'est pitié, tellement qu'on verra qu'il ne demandoit sinon à se faire valoir, qu'il y aura eu des fautes si absurdes en picquant l'un, en trompant l'autre, que tout le monde en aura honte, ou bien qu'on s'en moquera. Voila donc les torrents qui sont bien enflez pour un temps: mais en la fin ils dessechent. Et pour ceste cause i'ai dit qu'il nous faut bien adviser à nous et qu'un chacun se regarde de pres, et que nous prions Dieu qu'il nous face sentir nos infirmitez à ce que nous ne nous iettions point ainsi hors des gonds, pour avoir grande reputation devant les hommes: mais que nostre principale estude soit d'avoir ces eaux vives, dont il est parlé au 7 de sainct Iean (v. 38). Il est vrai qu'il faut bien que les eaux decoulent, et que nous communiquions les uns aux autres les graces que Dieu nous a données: mais cependant si faut-il, que la source soit cachée là dedans, et que nous soyons rassasiez de ce que Dieu nous aura donné, et que puis apres nous en departissions à nos prochains, chacun selon sa mesure.

Voila en somme où il nous faut appliquer ceste comparaison qui est ici mise. Or ceci s'estend bien loin. Car nous voyons que lob. parle des amis qui font semblant d'estre prests à secourir au besoin, et defaillent tellement qu'on est frustré do l'attente qu'on a mise en eux: comme David dit (Pseau. 41,10), Qu'il y aura des amis de table: mais qu'ils n'apparoissent point au temps de la necessité. Nous voyons donc tous les iours l'experience de ce qui est ici dit qu'il y a beaucoup de torrents au monde, c'est à dire, qu'il y a beaucoup do grosses eaux qui sonnent et menent de grands bruits: mais il n'y a nulle certitude, et puis elles n'ont point un train egal pour persister iusques en la fin. Or afin que nous ne soyons confus, pensons à cela puis quo Dieu nous advertit devant le coup, que

IOB CHAP. VI.

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les hommes sont comme torrents, et combien que pour un temps il semble que ce soit merveilles d'eux: neantmoins ils s'esvanouissent, ils s'escoulent tellement qu'on ne sait que devient l'eau, en laquelle on avoit esperé. Quand donc Dieu nous declare qu'il en sera ainsi, voire et qu'outre sa parole nous en avons aussi la pratique: nous esbahirons-nous quand les cas sera advenu? Ainsi donc retenons bien qu'il ne faut point nous amuser ici bas aux hommes: car en ce faisant nous serons frustrez de nostre attente. Apprenons plustost de nous tenir à ceste fontaine d'eau vive, comme il nous est remonstré par le Prophete Ieremie (2, 13). Car Dieu accuse là l'ingratitude des hommes, lesquels se fouissent des cavernes, et des cisternes percees qui ne peuvent tenir l'eau: et cependant ils le delaissent luy qui est la fontaine d'eau vive, de laquelle ils devoyent tousiours estre rassasiez. Si on fait des grandes promesses à quelqu'un, il y aura des complaintes si on faut au besoin. Comment? Il m'avoit promis monts et merveilles, ie me suis attendu à luy, et de fait ie m'estoye essayé de luy faire service, et maintenant il me tourne le dos, il ne tient conte de moy. Voila (di-ie) les complaintes qu'on fera ordinairement: mais nous ne regardons pas que Dieu nous chastie, quand nous ne nous sommes point arrestez à lui, comme il appartenoit: qu'il n'a point tenu à lui qu'il ne nous ait secourus Gomme il avoit promis, mais nous nous sommes retirez aux creatures, et y avons mis nostre confiance plus qu'au Createur: et pourtant c'est bien raison que nous soyons frustrez de nostre esperance, et que nous demeurions confus, et soyons humiliez avec ceux ausquels nous avons ainsi espere follement. Voila ce que nous avons à retenir.

Or cependant nous devons detester ceux qui sont semblables à des torrents: car Dieu nous a conioints les uns avec les autres, afin que nous soyons ici pour nous soulager, et qu'un chacun prene une partie du fardeau de ses prochains. Car s'il n'y a que belle parade et cependant que nous n'ayons souci que de nous, ne voila point une chose qui est pour pervertir l'ordre de nature ? Ainsi donc nous avons à detester ceux qui seulement feront de belles protestations et qui s'escoulent à la fin, en sorte que les eaux qu'ils ont monstrees n'ont esté que pour esblouir les yeux: car on s'y est attendu en vain. Mais si ceux-la meritent d'estre condamnez, que sera-ce des torrents qui gastent et qui emportent tout ? Car il vaudroit mieux encores que les torrents tarissent et qu'ils desseichassent que d'avoir ces enflures pour gaster les champs et les prez, pour renverser tout: comme nous voyons que quand les torrents se desbordent, il n'y aura ne fruits de la terre, ni maisons, ni arbres

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qu'ils n'emportent tout. Et ce ne sera pas encores pour un an seulement que le dommage sera: mais les terres aucunesfois s'en sentent, voire tellement qu'on n'y pourra rien semer, que tout sera mis en sablonniere. Et nous voyons beaucoup de ces torrents-la, et mesmes il nous y faut estre tous accoustumez. Ceux qui sont en authorité qui portent le baston de iustice, devroyent estre comme une riviere pour refreschir ceux qui sont comme languissans, et pour subvenir à ceux qui sont affligez. Mais quoy? Ils foulent, ils oppriment toute iustice et equité, ils maintienent les meschans qui voudroyent mettre tout en confusion, et qui s'eslevent manifestement à l'encontre de Dieu. Et ne faut point faire de longs examens de ces choses, on les voit à l'oeil: ceux qui sont riches des biens de ce monde, qui ont terres et possessions pour vivre de leurs rentes, les marchans qui ont bonne traffique, ceux-la devroyent estre comme des rivieres, et de l'abondance que Dieu leur a donnée ils devroyent mesmes arrouser tous les lieux par oh ils passent. Mais quoy? Ils se desbordent qu'il n'est question que de ruiner l'un, de renverser l'autre: selon que Dieu aura donné plus de faculté à chacun, il lui semblera qu'il ait plus de moyen de nuire et grever ses prochains. Voila donc comme les hommes en ceste defaillance trompent eaux qui se sont attendus à eux. Car ils ont un cours d'eau comme une raveine, voire pour tout gaster et renverser. Quand nous voions cela, que nous cognoissions que telles gens sont ennemis do nature, et qu'ils despitent Dieu. Mais cependant aussi notons, que par ce moyen Dieu nous resveille et nous retire à soi, afin que nous apprenions de mettre toute nostre esperance en lui. Au reste (comme i'ai desia touché) chacun de nous est admonnesté de son office: c'est quand nous aurons cestes source en nous, apres que nous aurons puisé de ceste fontaine d'eau vive, c'est à dire, de nostre Dieu, que nous ne tenions point ceste grace enclose en nous: mais que ce soit une source qui ne tarisse iamais, et que cependant les eaux decoulent aussi à nos prochains. Et qu'un chacun selon la mesure qu'il aura receuë advise de faire profiter et valoir ce qui doit estre commun: comme Dieu ne veut point que ce que i'ai receu soit pour moy et que ie le supprime: mais il veut que i'en distribue à ceux qui en ont faute, et qu'un chacun advise aussi de faire le semblable. Voila ce que nous avons à retenir en somme sur ce passage.

Au reste, nous devons aussi peser ce qui est dit. que quand on vient au chemin de Thema, et par les grandes chaleurs les eaux des torrents defaudront, combien qu'en hyver, et aux lieux plus humides il y ait eu une grande quantité d'eau, et qu'il semblast que ce fust merveilles. Or c'est ce qu'on

SERMON XXV

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voit communement en ces braves qui se font ainsi valoir et qui font si grand bruit. Pourquoi? Ils ne se tienent point en modestie: mais ils se desbordent et s'enflent en sorte qu'il semble qu'il y ait une vertu plus qu'invincible en eux: ils estendent leurs ailes, quand ils sont à leur aise, ils promettent ceci et cela: mais quand ce vient au besoin, cela n'est plus rien. Car tout ainsi qu'une riviere est plus requise en la grande chaleur d'este et en lieu sec, qu'elle ne sera pas en l'hyver, et en un lieu humide, aussi nostre vertu se doit monstrer quand ce vient à la vraie espreuve. Si Dieu afflige un homme, c'est là où il se doit monstrer patient: et puis s'il faut qu'il s'employe pour secourir à ses prochains, voila où il doit declarer sa charité. Retenons bien donc que tous ceux qui mettent peine de se faire valoir loin des coups, se monstreront estre torrents en la fin: mais ceux qui cheminent par mesure et compas, ils se contiendront en modestie, ils ne feront point de grand' monstre ne grand bruit: ils n'iront point loin pour estendre leurs bornes, ils seront comme une fontaine qui sera couverte et cachee: laquelle (comme i'ai desia touché) ne laissera pas de bien faire: mais quoy qu'il en soit, nous ne voyons pas qu'il y ait là une grande abondance, pour dire, qu'il semble que cela ne doive iamais faillir: si est-ce que cela est plus commode, et apporte plus de profit, que tous ces grands torrents, qui font de grands bruits en se desbordant. Et ainsi ceux qui font leurs monstres et leurs grands limaçons devant le temps' ce ne sont que menus fatras, et de nostre costé pensons y, à fin de nous retirer. Car Dieu permet que ceste folle ambition, qui est aux hommes ainsi addonnez à vanité, tournent en moquerie, et qu'ils demeurent là confus. Il cet certain, quo tous ceux qui se prisent ainsi, et qui se veulent faire valoir, sont menez d'ambition: et s'il n'y avoit du vont et do l'enflure en eux, ils se tiendroiont plus coys qu'ils no font pas: ils ne demanderoient point d'avoir grande reputation. Car puis qu'ils sont ainsi eslevez en eux mesmes, c'est à dire, que l'ambition les pousse, et les mene: c'est raison quo Dieu les expose on opprobre aux hommes, et qu'on la fin nous sachions qu'il n'y a eu quo mensonge on leur cas. Voila qui nous doit encores tant plus tenir on bride, afin que nous no soyons point torrents: mais quo chacun se reserve à la necessité. Combien quo le monde nous contemne, quo toutesfois nous aimions mieux cheminer on humilité. quo do faire nos monstres pour dire, I'ai ceci, i'ai cela mais reservons-nous à bon usage, pour subvenir à la necessité et do nous et de nos prochains, et quo nous no soyons pas prodigues pour un temps, pour ietter tout à l'abandon à un coup, et puis pour desseicher en la fin. Car quand nous en ferions ainsi, nous serons

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semblables des torrents. Voila ce que nous avons à noter sur ce passage.

Or Iob adiouste quant et quant, Qu'il n'avoit point demandé à ses amis d'estre secouru d'eux, quant à leurs biens, ni quant à luy estre rançon, pour le retirer de la main des ennemis, et cependant toutefois ils se sont retirez do luy. Quand Iob dit, qu'il n'a point demandé à ses amis, qu'ils lui donnassent rien, no qu'ils paiassent rançon pour lui, il veut appliquer la similitude que nous avons exposée à son usage: comme s'il disoit, Quand est-ce quo ie vous ay requis do me donner do vos biens? Si ie I'avoye fait, alors vous pourriez vous retirer: par plus forte raison, les eaux pourroient bien tairir de par vous, vous pourriez couper le chemin à la fontaine si ie vous solicitoye de m'aider. Ie ne vous demande rien: et toutesfois si est-ce que vous voila comme esblouys au seul regard de ma calamité. Vous montrez bien donc en cola que vous estes des torrents. Or retenons ceste accusation ici pour en faire nostre profit. Car si nous ne subvenons à nos prochains quand ils auront faute de nous et que nous ayons eu quelque monstre, qu'il semblast que nous fussions les plus prests et les plus habiles: en cela nous declarons que nous sommes des torrents. Et n'est point seulement question de secourir de nostre substance à ceux qui sont en necessité: mais d'avoir quelque compassion d'eux, sans que rien diminue de nostre costé. Car puis que cela ne nous conste rien, tant plus serons-nous inexcusables, quand nous en serons chiches, et que nous n'aurons point pitié de ceux qui endurent. Voila donc en quoy Iob a voulu monstrer l'hypocrisie plus grande de ceux qui ont eu pour un peu de temps si beau lustre, et toutesfois n'ont point eu de fermeté ne de tenure en eux. C'est donc ici la condamnation de ceux qui auiourd'huy seront semblables, comme nous en verrons aucuns, que tant s'en faut qu'ils prennent du leur pour subvenir à ceux qui en ont faute, qui encores qu'on ne leur demande rien, si est-ce qu'ils sont faschez et marris de cognoistre les povretez de leurs prochains, ie di, faschez, non point pour en gemir: car on ne pourra point arracher un souspir d'eux: plustost ils voudroyent que leurs povres prochains fussent exterminez, non pas qu'ils desirent qu'ils fussent morts de compassion ou solicitude qu'ils ayent de les voir endurer, mais cela viendra plustost d'un desdain qui les fait retirer de ceux qu'ils voyent estre en necessité. N'est-ce pas une grande inhumanité que cela? Voila un homme qui aura este nostre ami iusqu'au bout, voire cependant qu'il estoit en prosperité, mais si Dieu l'afflige nous ne daignons pas le regarder comme une creature formée à l'image de Dieu: mais nous voudrions quasi estre en un monde nouveau, pour n'avoir point une

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telle rencontre tellement que nous avons honte seulement de dire, Celuy-là a iamais parlé à moy, ou i'ay parlé à luy. Puis que par la bouche de Iob, le S. Esprit condamne ici une hypocrisie si extreme, regardons ~ nous et quand nous voyons les afflictions qui sont aux grands et aux petits, sachons que Dieu nous adiourne pour nous faire cognoistre l'humanité que nous devons exercer envers tous ceux qui sont conioints à nous. Dieu pourvoiroit bien à tout le genre humain, si c'estoit son bon plaisir qu'il n'y auroit nul qui fust en peine qu'un chacun seroit content et seroit à son aise. Mais quoy? Il veut envoyer de telles necessitez, afin que ceux qui ne sont point en telle faute et indigence ayent pitié de ceux qui y sont, et que chacun en son endroit, selon que Dieu luy aura donné faculté, s'employe pour subvenir à ceux qui ont besoin. Exemple: voila un homme bien aise: mais quand il verra quelque povreté il sera touché de solicitude, il luy fait mal de voir celuy qui est en necessité, et encores qu'il ne distribue pas tout son bien, si est-ce qu'il subviendra à cestuy-ci et à cestuy-là, et ne laissera point d'avoir compassion de ceux qui ne sont point secourus, comme seroit à desirer. Celuy-là sera plus prisé beaucoup qu'un autre qui sera plus riche, lequel comme à regret aura donné à boire et à manger à ceux qui en ont faute: et Dieu fera aussi qu'on aura compassion de luy en temps de necessité comme il promet que ceux qui auront esté misericordieux et pitoyables, trouveront aussi la pareille: et quand ce viendra qu'ils seront pressez de quelque mal, qu'on leur rendra telle mesure qu'il auront mesuré aux autres.

Voila donc ce que nous avons à retenir, qu'il nous faut disposer quand nous voyons nos prochains en affliction, d'estre esmeus et affectionnez afin de les secourir selon que nous pourrons. Mais encores quand nous ne ferons point nostre devoir de nous

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acquiter en donnant de nostre substance pour subvenir aux autres, que pour le moins nous monstrions, que nous n'avons point ceste fierté de vouloir retrancher d'avec nous ceux qui sont ainsi en necessité et que Dieu afflige: mais plustost cognoissons que c'est là où Dieu veut esprouver, si nous avons quelque affection humaine. Et de fait il nous faut tousiours plus garder de hayr ceux qui sont en povreté et en grande fascherie, que d'aimer ceux qui sont en prosperité et à leur aise, pour leur applaudir en tout et par tout, d'autant qu'ils ont belles parades selon le monde. Et pourquoy? Car la charité n'est point bien fondee, quand nous aimerons nos prochains seulement pour le regard que nous aurons d'estre aidez, et de nous servir ou de leur credit, ou de leurs biens et faveurs: mais plustost que nous ayons ce regard de suivre ce que Dieu nous commande, c'est assavoir, d'exercer nostre charité envers ceux que nous cognoistrons en avoir plus de besoin. Et au reste que nous estendions aussi ceste doctrine à nous: c'est à dire, que nous ne pensions point que ce soit assez de benir Dieu, quand nous serons en prosperité: mais si Dieu nous envoye quelque affliction, que nous ne laissions pas pour cela de le glorifier en tout et par tout, et de mettre nostre fiance en luy: et encores que nous soyons agitez çà et là des miseres et fascheries de ce monde, que nous sachions neantmoins, que Dieu est assez puissant pour nous en delivrer, et qu'il le fera moyennant que nous nous remettions du tout à sa providence pour glorifier son sainct nom en tout ce qu'il luy plaira nous envoyer tant en prosperité comme en adversité. Voila ce que nous avons à retenir en somme de ce passage. Quant à ce que Iob adiouste, Enseignez moy si i'ay failli: cela ne se peut pas deduire maintenant: nous le reserverons donc à demain.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

SERMON XXVI

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L E VI N G T S I X I E S M E S E R M O N,

QUI EST LE IV. SUR LE VI CHAPITRE.

24. Enseignes moy, et ie me tairay: monstrez moy en quoy i'ay fallî. 25. Combien les paroles droites sont elles fermes: qu'est-ce que le repreneur d'entre vous y reprendra? 26. Bastissez vos argumens pour renverser les propos, et que les paroles de I'affligé s'en aillent en vent. 27. Vous circonvenez I'orphelin, vous fouissez une fosse pour vostre amy. 28. Retournez-vous, et considerez, et regardez mes raisons si ie mens. 29. Retournez, et il n'y aura point d'iniquité: retournez encore, et ma iustice apparoistra en cest endrort. 30. Il n'y a point d'iniquité en ma langue, et mon palais ne sent-il pas l'amertume ?

C'est une grande vertu que se rendre docile c'est a dire de s'assubietir à raison: car sans cela il faut que les hommes se desbordent comme en despit de Dieu. Qu'ainsi soit, c'est le principal honneur que Dieu demande do nous, que cc que nous cognoissons estre de luy soit receu sans aucune replique, qu'il soit tenu bon et iuste, et qu'on s'y accorde. Or est - il ainsi que toute verité et raison procede de Dieu. Concluons donc que Dieu n'a nulle maistrise ni authorité envers nous, si ce n'est que les hommes acquiescent pleinement à ce qu'ils cognoistront estre de verité et de raison. Ainsi donc nous aurons beaucoup profité en toute nostre vie, quand nous aurons apprins de nous humilier iusques là, que si tost que la raison nous sera cognuë, il n'y ait plus de contredit, que nous De soyons point revesches ni difficiles à nous y accorder: mais plustost que nous facions cest hommage à Dieu de dire: Seigneur, nous voyons que ce seroit batailler contre toy, si nous resistions ici: car ta verité est une vraye marque de ta gloire divine. Il faut donc quiconque te veut adorer qu'il obéisse à ta verité: car sans cela il faut que tout soit mis comme sous le pied. Et c'est ce que Iob traitte en ce passage. Car il proteste que quand il sera enseigné il se taira, il demande qu'on luy monstre en quoy il a failli. Il n'y a nulle doute qu'ici Iob en sa personne ne donne une regle commune à tous enfans de Dieu: c'est que quand il nous sera monstré que nous avons failli, il ne faut plus que nous ayons la bouche ouverte pour amener des excuses frivoles, et que nous entrions en defenses, mais que nous escoutions ce qui nous sera dit, sans aller à l'opposite: et en general que nous recevions toute bonne doctrine, si tost qu'on aura parlé: que nous ne disions point, Est-il ainsi ou

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non? ayans cognu que la chose est telle, que noua passions par là, sans regimber à l'encontre de l'esperon. Or comme i'ay dit que c'est une grande vertu à nous que d'estre ainsi dociles, cognoissons aussi que c'est une vertu bien rare, et qui ne se trouve gueres entre les hommes. Plustost nous voyons une presomption folle qu'un chacun veut estre sage en son cerveau: et là dessus il y aura une obstination diabolique, que combien qu'on nous remonstre que nous sommes plus que conveincus, si est-ce que plusieurs ne se rengent point: mais plustost sont impudents et effrontez, voulans main. tenir ce qui est contre toute raison: moyennant qu'ils ne soyent point vaincus, ce leur est assez. D'autant plus devons nous bien noter ce qui est ici dit: car combien que Iob traitte ici de sa vertu, si est-ce neantmoins que l'Esprit de Dieu nous la met ici devant lés yeux comme un miroir et exemple que nous devons ensuyvre. Ainsi donc que nous ne soyons point adonnez a nos fantasies, que nous n'escoutions paisiblement ce qui nous est remonstré, voire quand il est question d'estre redarguez de nos fautes.

Or Iob traite cela par especial. Et c'est contre la folle outrecuidance qui est aux hommes: car estans conveincus d'avoir failli, et avoir esté mal advisez, ils n'ont point honte de se ietter en mille absurditez qui les transportent, qu'ils sont comme bestes brutes, qu'ils s'esgayent comme en despit de Dieu, et font toute leur gloire d'estre opiniastres, et de n'estre iamais vaincus. En premier lieu donc notons qu'il ne faut point que nous concevions ceste durté là, quand on nous proposera quelque chose, pour dire, Voila ce que i'ay conceu, ie le tiendray: nenni, non, gardons d'estre ainsi opiniastres. Car c'est une peste mortelle, quand nous aurons ceste obstination, et que nous serons opiniastres en nos entreprinses: c'est comme si nous fermions la porte à Dieu, pour dire, qu'il n'aura point d'entrée, et combien qu'il nous visite, combien qu'il nous vueille monstrer ce qui est bon pour nostre salut, que toutesfois nous repousserons Geste grace-la. Et c'est ce que i'ay desia dit, qu'il nous faut avoir l'esprit l de mansuetude, si nous voulons estre enfans de Dieu: c'est à dire que nous ayons un esprit paisible, et que nous souffrions d'estre traittez de luy. Voila pourquoy aussi nostre Seigneur Iesus Christ accompare les siens à des agneaux ou à des brebis qui suyvent la voix de leur pasteur, et l'oyent incontinent qu'il les appelle (Iean 10, 4. 5). Apprenons

IOB CHAP. VI.

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donc d'estre reprins, et de recevoir correction quand elle nous sera apportée: et en general apprenons de nous renger à tout ce que nous cognoistrons estre bon et de Dieu. Sommes-nous enseignez? Il faut suivre: et comme i'ay desia touché, ceux qui sont ainsi opiniastres, il est certain que Dieu les expose en moquerie et opprobre, qu'il permet qu'ils n'ayent plus nulle honte ne modestie: mais qu'ils soyent là comme des bestes sauvages: et qu'il se venge d'une telle durté quand les hommes ne se peuvent renger, et ployer le col pour acquiescer à sa volonté. Et c'est ce que Iob signifie par ce mot de se taire. Car on pourra enseigner, et nous pourrons bien dire, Il est vray, et mesmes nous pourrons tousiours respondre Amen: mais il y en aura bien qui se tairont, et cependant demeurent tousiours obstinez en leur fantasie, quoy qu'il en soit. Quand on aura parlé à un homme lequel aura deliberé de ne se point renger, il sera là morne, il ne sonnera mot, on n'en pourra point arracher une seule parole: ce taire-la n'est pas sans rebellion toutesfois. Mais quand Iob parle de se taire, il entend quand on aura esté admonesté, que ce ne soit point pour contredire, que quand on aura dit un mot, qu'il y en ait trois à l'opposite: mais quo nous escoutions simplement ce qui nous sera dit. Voila qu'emporte le mot de Silence en l'Escriture saincte: car quand il nous est commandé de faire silence à Dieu, c'est à ceste intention-la que nous ne facions point de tumulte comme tontes nos passions sont autant de bruits qui s'eslevent, tellement que Dieu n'a point d'audience, qu'il n'est point escouté en nous. Et ainsi apprenons de parler et de nous taire quand nous sommes enseignez. Apprenons de nous taire en premier lieu c'est que nous n'empeschions point la grace de Dieu quand elle nous est offerte: mais que nous escoutions, et que nous ayons la bouche close pour ne point repliquer. Et au reste apprenons aussi de parler: c'est de confesser que la verité de Dieu est bonne, et qu'il n'y a que redire, comme il est dit (Pseau. 116, 10), I'ay creu, et pourtant ie parleray: et que non seulement nous rendions un tel tesmoignage à la bonté de Dieu, mais qu'aussi nous advisions d'y attirer les autres. Voila ce que nostre parler doit servir, afin que les ignorans soyent edifiez, et que d'un commun accord nous soyons vrais disciples de nostre Dieu: et que quand il veut faire office de maistre entre nous, sa doctrine soit receuë. Voila ce que nous avons à observer en ce passage.

Or si iamais Geste doctrine a eu besoin d'estre pratiquée, auiourd'huy il en est le temps: car nous voyons l'ignorance qui est au monde. Ie vous prie en quelles tenebres avons - nous esté ? et si nous voulions nous tenir à ce qu'une fois nous avons

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conceu, que seroit - ce ? Nous avons esté si mal apprins, qu'il n'y avoit que contusion entre toute nostre vie: si Dieu ne nous eust fait la grace de luy donner ce silence duquel il est ici fait mention, qu'eust-ce esté? Et auiourd'huy nous en voyons beaucoup qui demeurent en leur ignorance, à cause qu'ils ne peuvent ouir paisiblement cc qui leur est proposé: et Dieu les punit à bon droit de ceste promptitude qu'ils ont de s'eslever à l'encontre de luy. Et au reste nous voyons que les choses sont si confuses par tout, que si nous ne sommes bien disposez et rassis pour escouter ce qui nous est monstré au nom de Dieu, et pour l'appliquer à nostre usage, il est certain que nous serons comme bestes esgarées: chacun tracassera çà et là, mais il n'y aura nul qui tiene le droit chemin. Ainsi donc, voyans que nous avons telle necessité d'estre dociles, et d'avoir un esprit debonnaire qui reçoive ce qu'on dira, que nous apprenions de reprimer toutes ces folles affections qui s'eslevent, quand nous voyons qu'il y a quelque ambition en nous, comme les uns se veulent monstrer, et pour se faire valoir contrediront à la verité qui leur est cognuë: les autres seront bouillans, et auront leurs esprits volages, en sorte qu'on ne les pourra iamais tenir en bride. Quand nous cognoistrons tous ces vices la en nous, que nous apprenions de les corriger, afin qu'il n'y ait rien qui nous empesche de nous taire, c'est à dire, de nous tenir là cois attendans que nous ayons apprins ce qui est bon, et que Dieu nous ait enseignés. Voila quant à ce premier verset.

Or au reste il dit: Enseignez moy et monstrez moy en quoy i'ay failli. Par cela il signifie, que les enfans de Dieu combien qu'ils doivent estre benins à recevoir correction, et bonne doctrine: toutesfois ce n'est pas à dire qu'ils n'ayent prudence et discretion. Car nous voyons ce qui est advenu en la Papauté sous ombre d'estre simple: on dira là, O il faut cheminer en simplicité: il est vray, mais ils voudroyent que les hommes se laissassent mener comme bestes brutes, sans discerner entre le blanc et le noir. Or ce n'est point sans cause, que nostre Seigneur promet à ses fideles esprit de discretion: c'est afin qu'ils ne soient point menez à la pippée çà et là, ou qu'on les traine comme povres aveugles. Que faut-il donc ? que nous soyons enseignez, et que nous ayons cognoissance et certitude de la verité de Dieu, pour la suivre et y obeyr: et quand on nous aura remonstré nos fautes, que nous en soyons vrayement advertis afin de suivre le bien, et fuir le mal. Voila ce qu'emporte de mot d'Enseigner qui est ici couché. Or c'est encores un advertissement fort utile: car il y aura beaucoup de gens qui estimeront que c'est assez de recevoir ce qu'on leur dit. Ouy sans qu'ils s'asseurent, ne

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qu'ils ayent nulle fermeté là dedans. Or il faut pour avoir une vraye Foy, que la verité de Dieu soit signée en nos coeurs par son S: Esprit, que nous on soyons tous resolus: comme S. Iean dit, Que nous savons que nous sommes enfans do Dieu (1. Iean 5, 19). Il ne dit pas, que nous le cuidons, que nous avons conceu une opination confuse et enveloppée, mais il parle d'une science. Il est vrai que ceste sagesse - la n'est pas de nostre raison charnelle, qu'il ne faut pas que nous apportions ici nostre sens ni nos esprits: car la doctrine de Dieu surmonte toute capacité humaine. Mais tant y a neantmoins qu'il faut que nous considerions que c'est de la verité, et que nous en soyons bien resolus, et non pas que nous recevions tout ce qu'on nous dit à la volée, et sous ombre de simplicité sans savoir pourquoy, ni comment: mais que nous-nous enquerions diligemment de ce qu'on nous propose, et quand nous aurons entendu une doctrine estre bonne, qu'alors nous facions nostre conclusion de nous y tenir. Car il n'est plus question de repliquer, c'est une sacrilege quand nous voudrons ouvrir la bouche à l'encontre de Dieu. Voila donc ce que nous avons à retenir ici.

Ainsi donc ceux qui ont esté droitement enseignez de Dieu, peuvent bien despiter ceux qui veulent desguiser la verité de Dieu par leurs mensonges: comme auiourd'huy il est bien requis que nous soyons armez à l'exemple do Iob pour repousser toutes les meschantes calomnies dont les ennemis de Dieu et de sa parole taschent de renverser et divertir nostre foy. Voila les Papistes qui usent de grosses iniures contre nous tellement qu'il semble que nous ne soyons pas dignes que la terre nous soustienne. Cependant il n'est pas question de monstrer dequoy, c'est assez qu'ils ayent preoccupé les oreilles des ignorans, que nous contredisons à la saincte Eglise, que nous ne voulons point estre subiets à toutes les traditions qu'ils ont faites. Voire: mais il est dit, Que la parole de Dieu est celle qu'on doit recevoir: et pourtant quiconques parle, qu'il faut que celuy la ne s'advance point pour amener ces phantasies, mais qu'il parle tellement qu'on cognoisse que c'est de Dieu qu'il tient ce qu'il prononce. Il faut donc que Dieu soit exalté entre nous. Et ainsi quand les Papistes crieront, et qu'ils ietteront leurs escumes, il faut que nous soyons tousiours prests d'estre enseignez. Voire: mais qu'il y ait doctrine, non pas des hommes, mais du Dieu vivant et de celuy qu'il nous a constitué pour maistre unique, c'est assavoir de nostre Seigneur Iesus Christ, qui se nomme pasteur, afin que nous soyons son troupeau, que sa VOIX soit ouye entre nous, et que nous reiettions la voix des estrangers. Et au reste ce n'est point seulement contre les Papistes,

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qu'il nous faut armer de ceste admonition: mais nous sommes auiourd'huy en un temps si miserable, qu'il faut bien que tous enfans de Dieu ayent une constance invincible pour resister à tant d'adversaires, et de diverses sortes. Il n'est point question auiourd'huy d'accuser le mal, et de le condamner: car on le supporte tout manifestement. Auiourd'huy nous sommes venus iusques à ceste abysme, quo quand il y aura une chose mauvaise, on la couvre et que mesmes on la iustifie: et s'il y a du bien; ô il faut qu'il soit condamné. Et comment? Et ne craint-on point ceste horrible malediction que Dieu a prononcee par son Prophete? (Isa. 5, 20.) Malheur sur vous qui dites le mal estre le bien, et le bien estre le mal. Mais tant s'en faut qu'on pense à cela, que le mal (comme i'ay dit) sera supporté, voire iustifié, et le bien opprimé. Quand un homme aura failli, non point une fois ou deux, mais qu'il sera venu iusques à despiter Dieu pleinement, moyennant qu'il ait quelque apparence do ceremonie c'est tout un: on luy viendra dire seulement, Voila tu as failli, voire: mais c'est tout; C'est comme si quelque valet en une maison avoit complotté avec les enfans pour boire le vin, et pour gourmander en derriere, et faire tout mal: et bien quand on appercevra la faute, les enfans feront bien semblant de dire, Tu as failli: mais cependant si est-ce que tous d'un accord ont complotté à faire telles dissolutions et chatteries. Voila de telles ceremonies comme on use auiourd'huy pour se moquer de Dieu, quand le mal sera si enorme que rien plus. Et au contraire il faudra condamner ceux qui auront cheminé en simplicité et droiture, et qui auront maintenu la querelle de Dieu: ceux-la, passeront et seront condamnez, cependant que les meschans sont supportez, et qu'on leur favorise. Or qu'est-il question de faire? Que nous despitions hardiment tous ceux qui se moquent ainsi de Dieu, et que nous ayons ce baston ici qui servira de les ruiner et de les rendre confus devant le iuge celeste: c'est assavoir, que quand on nous aura enseignez, que nous serons traitables et paisibles: mais cependant que nous appercevrons qu'on s'efforce de confondre la verité de Dieu, ou qu'on la tourne en mensonge, que nous detestions toutes telles façons de faire, et que nous allions tousiours nostre train.

Et c'est ce qui est dit consequemment, Que les paroles de droicture sont fortes, et qui est le repreneur qui y reprendra rien? Par ceci lob veut monstrer, que quand un homme aura bonne conscience, il demeurera ferme sans estre iamais esbranlé quelque chose qu'on luy dise. Il cet vray que les meschans tascheront bien de l'abysmer du tout: mais si est-ce qu'il demeurera tousiours en sa fermeté. Or par cela nous sommes admonnestez de cheminer droite

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ment devait Dieu, et d'avoir bon tesmoignage qu'il n'y a eu nulle hypocrisie en noue. Avons-nous cola? qu'on nous assaille de tous costez, et nous aurons dequoy tenir bon. Il est vray que nous ne laisserons pas d'estre faschez: mais si est-ce que les meschans n'auront iamais la victoire contre nous, quand nous aurons ceste droiture dont parle ici Iob. Et c'est un privilege inestimable, que ceux qui auront ainsi procede droitement et en rondeur, ne pourront iamais estre confondus. Il est vray que devant les hommes on les pourra opprimer de fausses calomnies, on les pourra diffamer, tellement qu'il semblera qu'ils soyent les pires du monde. Comme nous voyons la perversité gui est auiourd'huy, qu'il n'y aura plus ne droiture, ni equité qui regne: nous sommes venus au temps duquel se plaignoit le Prophete Isaie (59, 14), que la iustice a esté opprimee en public que lu droit et la verité ont esté chassez du monde. Et sur c la (dit-il) quand le mal s'est augmenté, et qu'on l'a veu estre desbordé de plus en plus, il n'y a eu personne qui ait sonné mot pour esclairer les choses confuses: mais plustost il a semblé qu'un chacun vouloit tousiours augmenter le mal. Voila où nous en sommes. Mais (comme i'ay desia dit) voici un privilege inestimable que nous tiendrons bon, quelque chose que le monde nous deteste, que nous soyons monstrez an doigt, qu'on nous crache au visage, et qu'on foule toute raison. Quand donc nous voyons cela neantmoins que nous ne soyons point estonnez pour nous desbaucher: mais que nous demeurions tousiours là enracinez et fondez en ceste verité laquelle est assez puissante pour nous maintenir.

Et ainsi apprenons suyvant ce qui nous est ici declaré, d'avoir tousiours parole de droicture sachans que Dieu sera tousiours de nostre costé, et que sa verité sera si puissante qu'en la fin elle surmontera. Il est vray que selon que les hommes sont volages, et qu'ils y vont à l'estourdie, la verité n'aura pas tousiours la vogue, et semblera qu'elle soit ruinee: mais prenons en patience iusques à ce que le iour du Seigneur luise, comme dit S. Paul (1. Cor. 4, 4. 5). Car voila où il en appelle, se mocquant de l'outrecuidance de ceux qui iugent ainsi à tors et à travers, et en confus, luy improperant ainsi ces reproches. Mais i'attendray (dit-il) le iour du Seigneur: que Dieu descouvre en la fin les fausses calomnies desquelles i'ay esté chargé, car quand le iour se prendra à luire (dit-il) il faudra que la droicture viene en avant, et que les calomniateurs soyent convaincus, et que le tout revienne à leur confusion. Or si en toute nostre vie Dieu nous fait ce bien, que quand nous aurons cheminé sans feintise et en verité, nous surmonterons tous les malins qui taschent de nous fouler

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au pied: par plus forte raison nous demeurerons ainsi quand il sera question de la foy et du service de Dieu, et de la doctrine de salut, assavoir que Dieu nous donnera une constance si ferme, que quand le diable dressera tous ses efforts, il ne gaignera rien contre nous: comme aussi nous en avons la promesse. A qui tient-il donc, qu'auiourd'huy nous ne sommes plus fermes, voyans les troubles qui sont au monde? Pourquoy est-ce que nous en voyons tant qui se desbauchent? Pource qu'ils n'ont point ceste droicture, qu'ils ne sont point munis contre tant d'assauts que Satan leur dressera. Mesmes il y en aura qui seront de bonne affection: quand on les admonneste, ils reçoivent la correction paisiblement: quand on ne leur fera point de moleste, et bien, ils ne voudront nuire à personne, ils ne voudront point faire de scandale: mais quand; ils voyent que l'iniquité a la vogue, et que si on veut cheminer en simplicité et en equité, il faut qu'on soit picqué d'un costé, qu'on soit tourmente de l'autre: -alors ils se desbauchent et fleschissent à toue vents. Et d'où vient une telle inconstance? C'est d'autant qu'ils n'ont point ceste droicture dont il est ici parle bien enracinee en leur coeur. Voila (di-ie) qui est cause que nous voyons beaucoup de gens volages, qui ne sont point asseurez en la verité de l'Evangile, en sorte qu'ils sont comme des viroirs qui tournent à toua vents ou comme des roseaux qui plient. Et comment cela ? Pource que iamais n'ont cognu la vertu de la parole de Dieu et de sa verité; Car il est certain que la verité est si forte, que le diable aura beau nous assaillir, et nous faire toue les troubles dont il s'avisera: nous tiendrons bon quoy qu'il en soit, nous demourerons-là constans en nostre estat. Que faut-il donc? Prions Dieu que il nous face sentir la vertu de sa parole, de laquelle il est ici fait mention, c'est assavoir que c'est une forteresse invincible: que nous cognoissions cela par experience, et de fait il ne tiendra qu'à nous. Et ne disons point comme beaucoup d'ignorans, Ie ne say de quel costé me tourner: car ie voy les contradictions des hommes: l'un dit ceci: l'autre dit cela. Il est vray qu'il y a beaucoup d'opinions diverses: mais il faut que nostre foy soit ainsi esprouvee, et Dieu permet cela, comme aussi S. Paul dit (1. Cor. 11, 19) qu'il faut qu'il y ait des heresies, afin que ceux qui sont de Dieu soyent manifestez, et qu'ils ayent Geste constance d'adherer tousiours à la verité de Dieu, pour n'en estre iamais divertis. Quand donc on allegue qu'il y a beaucoup de combats et de disputes: il est vray: mais est-ce à dire que nostre foy doive estre esbranlee pourtant? Or où se monstrera la fermeté de ceste droicture, c'est à dire, comment cognoistraons que ceste verité est si forte, et où se monstrera

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sa vertu sinon en nous? Comme de fait quand il est dit, Que la parole de Dieu demeure à iamais, ce n'est pas à dire qu'elle soit là au ciel tant seulement: mais elle est aux coeurs des fideles: comme S. Pierre nous monstre que combien que nous soyons agitez de beaucoup de tempestes et de tourbillons en ce monde, toutesfois nostre foy ne doit iamais estre esbranlee (1. Pierre 5, 9). Ainsi donc il est certain que la verité de Dieu est puissante pour resister à tous assauts: comme il est dit Voici vostre victoire qui surmonte le monde, c'est vostre foy. Voila comme sainct Iean en parle en sa canonique (5, 4). Et ainsi voulons-nous bien profiter en l'Evangile et en l'escole de Dieu? Apprenons non seulement de prendre et suivre ce qui es bon, mais de nous resoudre tellement que nous n'ayons point seulement protesté, Ie feray telle chose, pource que i'en cuide venir à bout: mais pource que Dieu me donnera la vertu de resister aux tentations que le diable me dressera, que iamais nous ne defaudrons quoy qu'il adviene.

Et quand il est dit, Qui est le repreneur d'entre vous qui y reprendra rien? C'est pour monstrer que les ennemis de Dieu auront beau pratiquer, qu'ils auront beau user de toutes subtilitez et malices, que iamais ne viendront à bout de supprimer la verité: non pas qu'ils no s'y efforcent, et qu'ils n'inventent quelque chose dont ils seront fortifiez: mais cependant si est-ce que Dieu maintiendra la cause des siens, et en la fin il monstrera que la verité est certaine. Ie di que les meschans feront leurs efforts, et mesmes il semblera quelques fois qu'ils ayent tout vaincu: mais Dieu par ce moyen punit l'ingratitude du monde. Et c'est ce que dit S. Paul (2. Tim.. 3, 13), Les meschans, dit-il, et ceux qui nuisent à l'Eglise iront en profitant, et en s'augmentant. Et comment cela? que Dieu lasche ainsi la bride à Satan, et que les supposts du diable s'avancent ainsi, qu'il semble qu'ils doivent dominer? Or Dieu no le permet point sans cause: car nous voyons l'ingratitude du monde: il y en a beaucoup qui veulent estre trompez à leur escient, et qui sont marris quand on les enseigne en toute pureté: qui voudroyent que la parole de Dieu fust comme embrouillee, voire tellement qu'on n'y peust rien cognoistre ni discerner, qu'elle fust à deux visages, comme on dit. Les autres, encores qu'ils souffrent qu'on dise la verité, si est-ce que il ne leur chaut gueres d'y estre bien enracinez, ce leur est tout un. Et d'autant que Dieu voit aux uns une telle malice, et aux autres une telle nonchallance, qu'il y a mesmes une rebellion toute manifeste, que beaucoup esteignent ceste clarté que Dieu leur met au devant: nous esbahissons-nous s'il lasche la bride aux meschans, et à ceux qui convertissent la verité en mensonge, et qui la

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desguisent? Mais cependant si est-ce que ceux ausquels Dieu a enseigné sa verité, il les conferme et les maintient iusques en la fin. Et ainsi donc voila pourquoy il est dit, Que les repreneurs auront beau s'efforcer, mais si est-ce qu'en la fin ils seront conveincus, et que Dieu se monstrera du costé du bon droit. Or ceci est dit non seulement de la doctrine de l'Evangile, mais de tout ce qui concerne la vie des fideles. Il est vray que la doctrine de salut est la chose la plus precieuse que Dieu ait Et pourtant voila aussi oh il monstrera sa vertu, tellement qu'il faudra que par l'Esprit de sa bouche il ruine les meschans, et qu'ils sentent que ceste parole qu'ils ont eu en mespris est un glaive pour les occir, et les mettre à perdition. Il faut donc que Dieu desploye sa vertu en cest endroit-là sur tout. Mais encores es autres affaires quand nous serons opprimez iniustement du costé des hommes' et que là où nous devrions estre soustenus, il semblera que ce soit tout au rebours, que nous ne laissions pas d'esperer en Dieu. Et pourquoy? Nous pourrions bien estre vilipendez pour un temps, et nous serons detestez comme s'il n'y avoit que mal en nous: mais contentons-nous d'avoir Dieu et ses Anges pour bons tesmoins do nostre integrité: attendons que Dieu chasse toutes l tenebres obscures, et qu'il face luire nostre innocence, et qu'elle soit cognuë comme l'aube du iour. Voila ce que nous avons à noter en ce passage.

Or Iob adiouste quant et quant Que ses amis qui sont venus sous ombre de consolation ont basti des paroles pour confondre les saincts propos, c'est à dire, les sentences droictes, et que les paroles de l'affligé s'en aillent au vent. Ici lob accuse d'une malice extreme ceux qui procedoyent ainsi aigrement contre luy. Et nous faut bien noter ce poinct: car il n'y a nulle doute que le S. Esprit ne nous monstre ici dequoy nous avons à nous garder si nous ne voulons desplaire à Dieu, et luy faire comme la guerre ouverte. Voila (di-ie) un vice qui est detestable devant Dieu, quand nous voudrons estre subtils pour renverser les bons propos: et sur tout quand il nous advient de nous eslever contre ceux qui sont affligez selon le monde: quand il y a ceste arrogance' que nous les voulons inciter à se mettre comme en desespoir, et toutesfois c'est un vice par trop ordinaire que cestui ci. Et pourquoy? C'est d'autant que nul ne pense à ce qui est ici declare, que c'est autant comme si l les hommes se venoyent hurter contre Dieu, et qu'ils le prinssent pour partie adverse, quand ils bastissent ainsi des inventions' c'est à dire, qu'ils inventent des choses pour faire s'il leur estoit possible., que toute equité fust renversee, et avoir de tels subterfuges, que la verité ne fust plus cognuë qu'elle n'eust plus de lieu, Si donc les hommes

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pensoyent à cela, pour dire, Comment? nous faisons la guerre à Dieu: il est certain qu'ils auroyent horreur, que les cheveux leur dresseroyent en la teste, que ce leur seroit une bride pour les retenir, qu'ils ne se ietteroyent point ainsi à l'abandon. Or puis que nous y pensons si mal, pour le moins quand Dieu nous advertit en ce passage, que nous recevions ce qu'il nous monstre.

Voila donc en somme ce que nous avons à retenir, c'est assavoir, que quand on parle, nous soyons la comme en suspens iusques à ce que nous ayons cognu que c'est de la chose. Voila un propos qui se tiendra: que faut-il? Escoutons et entendons s'il est de Dieu ou non, s'il est veritable: et prions Dieu qu'il nous donne esprit de discretion, afin que nous entendions que c'est de la verité. Avons-nous entendu cela? qu'il n'y ait point de replique. Car (comme i'ay desia dit) la plus-part se iettent lourdement, d'autant qu'ils ne cognoissent point que c'est à Dieu qu'ils s'adressent. Mais si ne laissent-ils pas d'y proceder d'une mauvaise conscience: car encores qu'ils n'ayent pas ceste intention-là tonte directe pour dire, Ie m'en va hurter contre Dieu, si est-ce qu'ils voyent bien que Dieu ne permet pas de s'eslever ainsi contre le bien, de supprimer une bonne cause: ils voyent bien cela. Et ainsi tous ceux gui n'acquiescent pas simplement à ce qui est bon, il est certain qu'ils ne se peuvent excuser qu'ils n'ayent bataillé par certaine malice a l'encontre de Dieu. Or maintenant, qu'on face examen, et on trouvera que grands |et petits ne cessent de faire tous les iours guerre mortelle à Dieu, et le despiter. Et qu'ainsi soit, iamais une cause sera-elle demence en iustice qu'il I n'y ait des subtilitez beaucoup pour convertir le bien au mal ? et toutesfois voila le lieu le plus, sacré et le plus privilegié qui soit: voire, mais ce lieu-là est pollué si vilainement que rien plus: il y a une impudence si brutale que les putains de bordeau en auroyent honte. Car on desguise les choses, voire on les corrompt en telle sorte, qu'il semble qu'on ait conspiré de fermer la porte à toute equité et droiture. Et cependant toutesfois on veut faire semblant qu'on n'y voit goutte, on ! veut couvrir le mal quand il est plus que notoire I et apparent. C'est comme si on avoit ietté une poignee de cendres, pour obscurcir le soleil et pour dire, il ne fait plus iour Les choses sont si cognues que rien plus, et on demande qu'est-ce? Et le pis est (comme i'ay dit) que cela se voit sur tout au siege de iustice. D'autrepart on voit comme le diable possede tout, que les temples de Dieu qui devoyent estre dediez pour le servir et adorer purement comme il le commande. seront farcis de idoles, qu'il n'y aura que corruptions et puantises pour mener les povres ames à perdition. Nous

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voyons en somme qu'en toute la vie des hommes il n'est question que de desguiser les choses, qu'il n'est plus de nouvelle de ceste rondeur et droicture dont nous avons parle.

Or quant et quant nous avons à noter ce mot, Que les paroles de l'homme affligé, ou de l'homme contemptible ne s'en aillent point en vent. Car voila qui est cause que les hommes s'eslevent ainsi contre Dieu c'est d'autant qu'ils se prisent par trop, et qu'il leur semble qu'il n'y a sagesse qu'en leur cerveau. Il est vray qu'en toutes querelles qu'on a, un chacun tasche à son profit. Et pourtant quand un meschant voudra fuyr la punition qu'il a meritee, il aura incontinent ses belles flateries, et ses corruptions afin qu'on ne cognoisse comment il en va de la chose: soit question de matiere d'argent, ou d'autre chose. Voila comme les hommes regardent à leur profit quand ils corrompent la verité, et la tournent en mensonge. Mais s'il est question de la doctrine de foy, et de l'Evangile, qui est cause de tant de contradictions, et que nous voyons qu'il y a des sophistes qui viendront auiourd'huy se mocquer pleinement de Dieu par leurs subtilitez sophistiques, sinon l'orgueil qui est en ceux qui pensent avoir assez d'esprit pour se faire valoir, et pour dire, le pro, et le contre, comme On dit? Il n'y a nulle doute que l'Esprit de Dieu n'ait ici voulu noter cest orgueil et presomption, afin que si nous voulons nous garder d'estre ennemis de Dieu bataillans contre sa verité, que nous soyons exemtez de ceste arrogance-la, que nous ne mesprisions point nos prochains pour les mettre là sous nos pieds: mais que nous soyons prests d'estre enseignez par un petit enfant quand Dieu luy aura plus revelé qu'a nous: comme sainct Paul monstre, que ceux qui ont l'Esprit de prophetie, combien que Dieu leur ait i fait grace d'enseigner les autres, si est-ce qu'il ne faut point qu'ils desdaignent de donner lieu à celuy auquel Dieu aura donné plus de cognoissance qu'à eux. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage.

I Or finalement Iob conclud, que ceux qui font ! semblant de luy estre amis ne font que fouir une I fosse afin de faire trebuscher un homme lequel devroit estre soustenu, et qu'ils ne demandent qu'à circonvenir l'orphelin. Il use de ceste similitude-là, pource qu'un orphelin n'a point le moyen de se defendre qu'il est exposé comme en proye. Ainsi Iob, comme celuy qui estoit affligé de Dieu iusques au bout, nous monstre que nous ne fuyrons point la main de Dieu, ne sa vengeance, sinon que nous taschions d'aider à ceux qui sont miserables: c'est a dire dignes de pitié et de compassion, comme il en fut hier parlé. Voila ce que nous avons a noter en premier lieu.

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Mais pour conclusion il les exhorte de retouner et alors (dit - il) il n'y aura point d'iniquité. Retournez (dit-il) derechef, et ma iustice sera en cest endroit. Iob en exhortant monstre bien à quelle intention c'est que nous devons condamner le mal et le reprendre: c'est pour reduire les hommes, s'il est possible d'en venir à bout. Pensons donc à cela afin que ceux qui seront capables d'admonition ne perissent point en leurs vices: mais plustost y estans confus, et ayans honte d'avoir ainsi offensé Dieu, ils retournent à luy d'une plus grande affection. Il est vray, quand nous experimentons que ceux qui ont offensé Dieu ne sont point touchez de l'apprehension de son iugement, et de sa vengeance, que quand on les menacera on ne gagnera rien avec eux: il faut bien qu'on les touche vivement pour les rendre confus si on les veut amener à penitence. Mais quoy qu'il en soit, si faut-il tousiours tendre à ce but qui est ici monstré: c'est assavoir de les retirer, comme lob tient ceste procedure-la.

Or quant à ce qu'il dit Retournez vous, et il n'y aura plus d'iniquité: il est vray qu'on expose ce passage ici comme s'il disoit, Il n'y aura plus d'iniquité en vous: mais il y a plus de raison de dire: Retournez vous, et l'iniquité ne sera plus, retournez vous derechef, et ma iustice sera ici cognuë. Comme si Iob disoit, Qui a esté cause que iusques ici vous m'avez condamné comme un homme reprouvé de Dieu, qu'il a semblé que ie fusse le pire du monde? Qui est cause que i'ay crié en moy et que ie n'ay point eu d'audience envers vous? C'est pource que vous aviez le dos tourné à toute raison, et pourtant retournez-vous, et ma iustice vous sera patente. Ceci sera mieux entendu, quand nous l'appliquerons à nostre instruction. En premier lieu nous sommes ici admonnestez, que quand nous condamnons le bien, et approuvons le mal, cela procede de nostre pure faute, qu'il ne faut point que nous disions, voila i'ay esté abusé, et ie n'ay pas cognu ce qui en estoit. N'alleguons point ceci, ne cela: car il est certain que nous serons tousiours tenus coulpables, quand nous aurons condamné le bien, et approuvé le mal: et Dieu nous rend convaincus, quand il declare que nous n'avons pas daigné ouvrir les yeux, et cognoistre ce qu'il nous monstroit. Les hommes donc suyvent ils les mensonges au lieu de la verité? Sont-ils si aveuglez, qu'ils ne cognoissent pas ce qui est bon? C'est pource qu'ils ont tourné le dos à Dieu, et qu'il y a eu de la malice certaine, ou de l'hypocrisie, ou do la nonchallance. Quand donc Dieu permet que nous ayons ainsi les yeux crevez, que nous ne pouvons pas discerner entre le bien et le mal' c'est pource que nous n'avons pas bien regardé comme il appartenoit

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quand Dieu estoit prest de nous enseigner assez privement. Voila pour un Item.

Or le remede est, que quand nous serons ainsi transportez, que nous n'aurons point eu d'esprit de prudence, que nous aurons mesmes approuvé le mal, et l'aurons nourri: que nous retournions, que nous ne soyons point opiniastres pour demeurer en ce que nous aurons faussement conceu, si nous ne voulons tomber aux abysmes desquels il n'y a nulle issue pour ceux qui s'esblouyssent ainsi, et qui ne veulent point que Dieu les illumine, car il faut que ceux là vienent iusques au comble de toute confusion. Advisons donc de tourner bride quand nous aurons cognu nostre faute: car quand Dieu nous fait la grace de nous advertir, si nous luy donnons audience pour recevoir ce qu'il nous dit , il ne permettra point que nous soyons tousiours esgarez au mal, mais il nous reduira au bon chemin. Cependant il nous faut bien noter ce que Iob adiouste, Retournez encores, et ma iustice apparoistra. Ici il signifie deux choses: l'une est, que ce n'est point assez quand nous viendrons là comme par ceremonie, pour dire, Et il est vray qu'il y a de la faute: comme nous voyons ceux qui auront offensé Dieu lourdement, qui auront esté cause d'un mal qu'il ne peut estre reparé, qu'il faut que la playe en saigne, qu'il y aura eu quelque scandale et confusion en l'Eglise: ceux qui seront coulpables d'un tel sacrilege, ils viendront seulement dire, Il est vray que i'ay failli. Or ce n'est rien de tout cela que moquerie: on voit bien de quel zele et de quelle affection ils y procedent, qu'ils n'ont pas intention de retourner à Dieu: voire et d'y retourner en telle sorte qu'on cognoisse qu'il y a repentance. Et c'est ce que Iob a voulu monstrer quand il ne se contente point d'avoir dit pour un coup, Retournez: mais il dit, Retournez pour la seconde fois. Et c'est le second poinct que nous avons ici à noter, que quand Dieu aura descouvert l'iniquité, quand nous aurons eu quelque mauvaise conception qui nous aura destourné du bien: en la fin il nous faut cognoistre la faute, afin de retourner a Dieu: comme quoy? I'ay dit qu'en appliquant ceci à nostre instruction, nous en aurons plus facile intelligence. On trouvera des gens qui pour un temps auront esté alienez de la verité de Dieu, et du bon chemin. Et pourquoy? Car ils avoyent quelque scrupule, quelque mauvaise opinion, comme le diable aura cest artifice qu'il nous mettra ceci ou cela en avant, afin que la parole de Dieu n'ait plus de saveur envers nous, et mesmes que nous en soyons faschez. Et bien telles gens quand ils retournent, il n'y a plus d'iniquité: c'est à dire que Dieu leur est propice, qu'il leur fait la grace qu'ils ne sont plus desgoutez ne faschez de sa parole, comme ils estoyent auparavant. Voila donc

IOB CHAP. VII.

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comme l'iniquité cesse quand les hommes retournent: mais si est-ce encores qu'estans entrez au bon chemin il faut passer plus outre. Et comment? Il faut qu'ils retournent pour la seconde fois, c'est à dire qu'ils cognoissent, Helas! i'estoye une povre creature desesperee, si mon Dieu n'eust eu pitié de moy: et maintenant qu'il luy a pleu me recevoir à merci, ie me remets pleinement à luy, le priant que doresnavant il me gouverne selon sa bonne volonté. Quand donc telles gens retournent

pour la seconde fois, alors Dieu leur fait voir ce qui ne leur estoit point cognu du premier coup. Or voyans cela qu'un chacun pense à soy afin d'avoir nostre refuge à Dieu, le prians que puis qu'il nous a une fois instruits en sa verité, il nous y conferme tellement que nous ne sortions iamais du droit chemin, et que le diable ne nous en puisse iamais divertir.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE VINGTSEPTIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE VII. CHAPITRE.

1. N'y a-il point temps determiné à l'homme qui est sur la terre, et ses iours ne sont-ils pas comme les iours du mercenaire? 2. Comme le serf regarde à l'ombre, comme un mercenaire attend la fin de son labeur, 3. Ainsi ay-ie les mois vains, et les nuicts de travail me sont constituees. 4. En me couchant ie di, quand me leveray-ie? et estant en mon lict ie suis saoulé d'amertume iusques au vespre. 5. Ma chair est vestue de vers, et de la poussiere de la terre: ma peau est toute rompue et corrompue. 6. Mes iours s'enfuyent comme la navette d'un tisserant, et defaillent sans esperance.

Nous cognoissons bien que, vivans au monde, il nous faut endurer beaucoup de maux: mais cependant nous voudrions que Dieu nous traitast à nostre mesure. Et nous sommes si tendres et delicats, que si tost qu'il a mis la main sur nous, il nous semble que c'est trop: et mesmes les plus patiens en sont là. Mais quand Dieu poursuit à nous affliger, voila où nostre fascherie se declare, et se descouvre plus. Et c'est ce que nous avons maintenant à traiter. Car Iob se plaignant que son mal dure trop loguement, dit qu'il y devroit bien avoir temps prefix à l'homme: comme s'il disoit, Dieu ne nous a point mis sur la terre en telle inquietude que nous y sommes, qu'il n'y ait quelque temps pour mettre fin à nos miseres. Or est-il ainsi que ie n'ay nulles treves, ny repos nuict, ne iour: il semble donc que ma condition soit pire, que celle des autres, et que Dieu me vueille affliger outre ce que porte la condition de la vie humaine. Voila quel est son propos Or nous voyons que ceci se rapporte à ce que i'ay touché: c'est que

nous confesserons bien de prime face, que c'est raison qu'en ce monde ici nous soyons tourmentez, que nous y ayons des fascheries: mais cependant nous voudrions bien que Dieu nous espargnast, et si tost qu'il nous touche du bout du doigt qu'il retirast sa main, et que nos afflictions ne fussent point de longue duree. Il nous faut bien noter ce passage ici: car en la personne de Iob le sainct Esprit nous a mis en un miroir devant les yeux quelle est nostre fragilité: ie di fragilité de sens, et non point du corps. Il est certain comme nous avons dit cy dessus: que Iob a eu une vertu et constance admirable entre les hommes: toutesfois si voit-on comme il en est. Ainsi donc que sera-ce de ceux qui n'ont qu'infirmité, gui à grand peine ont receu trois gouttes de vertu pour se soustenir au milieu de leurs afflictions? ceux-la ne defaudront ils pas bien, quand nous voyons que Iob a esté ainsi abbatu, luy que Dieu avoit tellement fortifié par sa grace?

Or en premier lieu, suyvons ceste doctrine pour l'appliquer à nostre usage: Qu'il y a temps determiné à l'homme qui est sur la terre. Car elle nous est utile pour nous donner allegement en nos afflictions: et mesmes quand il est question de servir à Dieu, de cheminer en crainte et en solicitude, cela nous doit venir au devant, comme nous voyons aussi que l'Escriture en parle. Il est vray que Iob applique mal ceste sentence: mais si est-ce que de soy elle est bonne et saincte et (comme i'ay desia dit) elle nous doit servir d'une instruction bien utile, comme de fait quand Sainct Pierre nous dit (1. Pier. 1, 17), Qu'il nous faut cheminer en crainte, d'autant que Dieu sonde les coeurs, et iuge

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sans acception de personnes, et qu'il faudra que nous rendions une fois conte devant luy, et que quand nous aurons contenté les hommes mortels de quelque apparence, ce ne sera rien: car il descouvrira toutes DOS affections et pensees. Et bien voila une condition dure ce semble, qu'il faille quo les enfans de Dieu soyent là comme en crainte et on inquietude. Or sainct Pierre adiouste: C'est (dit-il) durant ce pelerinage de nostre vie. Nous voyons que sainct Pierre determine le temps aux fideles pour cheminer ainsi, voire, afin de leur donner quelque soulagement, et qu'ils prenent courage regardans à ce repos eternel qui leur est appresté aux ciel. Nous pouvons donc bien faire nostre profit de ceste sentence, quand il est dit qu'il y a temps determiné à l'homme qui est sur la terre. Et aussi que seroit-ce s'il falloit que nostre vie fust prolongee sans fin et que nous fussions en telle condition? Car ii n'y a nul repos pour les hommes Il est vray que ceux qui fuyent Dieu et s'eslongnent de luy, pensent bien se donner du bon temps: voire, d'autant qu'ils s'esgayent en leurs delices: mais cependant si faut-il qu'ils soyent environnez de beaucoup de miseres: nous aurons beau nous en defaire, mais si est-ce que Dieu nous tient là comme enserrez. Que seroit-ce donc s'il falloit que nous fussions miserables, sans esperance d'estre iamais delivrez ni affranchis? Cela seroit pour nous despiter, et mettre en desespoir. Notons donc toutes fois et quantes que nous pensons à tant de fascheries, povretez, et afflictions. qui sont au monde: que Dieu nous console et nous allege, quand il nous declare: Et bien, vous passez par ce monde: mais vostre vie est brefve: endurez donc patiemment les afflictions qui sont si briefves, et vous viendrez à la fin en ce repos, que ie vous ay appresté. Voila comme nous avons à mediter ceste doctrine, si nous en voulons bien faire nostre profit. Autant en est-il de tous les chastimens que Dieu nous envoye: car ce que i'ay dit iusques à maintenant s'estend en general à toute nostre vie. Mais en particulier, quand nous endurerons quelque mal: et bien, Dieu y mettra fin, comme nous voyous qu'il en parle aussi en son Prophete Isaie (40, 2), quand il commande, que son peuple soit consolé: Ton temps (dit-il) ordonné est fini (il parle là de la captivité de Babylone) car il signifie combien qu'il afflige les siens pour leurs pechez, que ce n'est pas pour les consumer du tout, et qu'il tient quelque mesure en ses corrections afin que puis apres ils ayent quelque relasche, et qu'ils cognoissent que Dieu a eu pitié d'eux, qu'il ne les a point voulu persecuter iusques au bout: et qu'ils luy rendent graces d'une telle bonté. Nous voyons donc comme en tout le cours de nostre vie il nous faut tousiours ici souffrir: mais Dieu ne prolonge point plus que

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le temps est determiné. Or il est vrai qu'il semble bien, sans que Dieu en parle, que ceci soit tout commun: et mesmes les Payens ont tousiours eu là leur recours ie di les plus brutaux, car en tout ce qui leur pouvoit advenir ils se consoloyent en cela, disans, Et bien: il n'y a mal si grand qui ne prenne fin. Voila (di-ie) comme ils ont moderé leurs passions. Il semble donc que ce soit une doctrine superflue quand Dieu nous propose pour consolation qu'il y a temps determiné à l'homme: que ses iours sont comme les iours du mercenaire. Mais nous avons à noter, que quelque chose que les hommes conçoivent en leur phantasie: si est-ce quand la main de Dieu les presse, ils sont là confus, et leur semble qu'ils sont en un abysme dont iamais ne peuvent sortir. Cependant que nous sommes en repos, nous saurons bien dire, que les maux quand ils sont grands et aspres n'ont pas longue duree: mais si Dieu nous adiourne devant soy, et qu'il nous face sentir nos pechez, son iugement nous est si terible, quo voila un labyrinthe qui nous environne de tous costez, que nous ne voyons nulle issue pour eschapper, qu'il nous semble qu'il nous doive tousiours faire entrer plus profond. Voila donc comme les hommes sont confus quand le iugement de Dieu les touche à bon escient.

Et tant plus ceste doctrine ici nous est elle utile, quand Dieu nous declare que s'il nous faut passer par beaucoup de maux en vivant en ce monde, nous considerions que nostre vie est transitoire: et il ne nous fera point mal d'estre subiets à telle condition, puis que nous avons temps determiné. Et puis quand nous serons chastiez de luy, quand il nous envoyera quelques afflictions: et bien, Dieu maintenant nous presse, et ce ne sera point pour tousiours. Il est certain que nous ne pouvons pas subsister à la longue: mais il tiendra mesure il cognoist ce qui nous est propre. Ainsi donc attendons patiemment qu'il nous delivre, et nous ne serons point frustrez d'un tel espoir. Mesmes quand chacun aura regardé à soy, nous trouverons qu'il est bien mestier que ceci nous soit reduit en memoire. Car encores que nous l'ayons cognu, si est-ce que nous le mettrons en oubli, et ne saurons que c'est quand ce viendra à la pratique. Et qu'ainsi soit, il n'y aura celuy qui ne dise, Et ne sera-ce iamais fait? si nous avons quelque affliction, que l'un soit malade' que l'antre soit pressé de povreté, que l'autre ait quelque fascherie qui le tormente, qui le moleste incessamment, nous demandons, Et sera-ce tousiours à recommencer? N'y aura-il iamais fin ? Voyans que nostre chair et nostre nature est si encline à se tempester et se chagriner, cognoissons que ce n'est point sans cause que Dieu nous met ce temps determiné, dont il est ici fait mention. Or notons cependant, que C'est à

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Dieu de nous prefinir le temps, quand il est dit, N'y a-il point temps determine pour les hommes? Et ceci nous peut beaucoup servir. Pourquoy? Si Dieu ne cognoissoit point quo c'est do nous, et ce qui nous est bon et propre, nous pourrions bien estre faschez, oyans que le temps de nos miseres est en sa main et en sa conduite. Mais quand il cognoit nostre portee, et sait que si nous estions par trop chargez nous serions courbez sous le fardeau et mesmes du tout cassez et rompus: quand (di-ie Dieu cognoit cela, et puis qu'il nous declare, qu'il nous supporte selon qu'il voit nostre foiblesse, et que si noua n'estions tousiours soustenus de sa main, il y auroit danger que nous ne fussions rompus du tout mais il saura bien moderer la pesanteur des afflictions qu'il nous envoye: ayans telles promesses, n'avons-nous pas dequoy nous resiouyr on ce temps determiné? Et au reste notons bien, que si nous avons temps determiné ici bas, il nous faut puis apres faire ceste comparaison que fait S. Paul entre les miseres qui sont (dit-il [2. Cor. 4, 17]) pour une minute de temps, et ceste gloire celeste: car la brieveté des afflictions du monde fait que nous les devons trouver legeres, dit S. Paul. Car quand nous regardons à ce royaume de Dieu eternel et qui n'a point de fin, cela doit bien emporter on la balance tout ce qu'il est possible d'imaginer de mal en ce monde. Puis qu'ainsi est donc, toutes fois et quantes que nous serons solicitez à chagrin et impatience et à desespoir, recourons a ce qui est ici dit: c'est qu'il y a temps determiné: et que nous cognoissions que Dieu a preveu ce qu'il nous est bon de souffrir, et que les afflictions ne nous adviennent point sans son bon plaisir. Et au reste cognoissons qu'il nous traite non seulement par equité et raison: mais on une douceur paternelle. Voila ce que nous avons à observer.

Or ceste doctrine s'estend bien loin: mais elle consiste plus en experience qu'elle ne fait pas à en deviser: car nous en pourrons tenir assez longs propos, mais le principal est qu'un chacun regarde d'en faire son profit quand ce vient au besoing. Comme quoy? Il est vray que nostre vie nous semblera bien briefve si elle n'estoit subiette à tant de povretez: cependant que nous serions en souhait et en repos, chacun confesseroit que ce n'est rien, et que nostre vie, est tant briefve que rien plus: mais quand nous pensons aux afflictions infinies, dont elle est pleine, que quand nous sommes sortis d'un mal, il faut r'entrer en l'autre, que c'est tousiours à recommencer, ceste longueur nous fasche alors. Et pourtant recourons à ce qui est ici dit c'est assavoir, que Dieu nous a determiné le temps et c'est à luy aussi de disposer de nous. Il faut donc que nous-nous contentions de la mesure qu'il nous a donnee sachans bien qu'il cognoit ce qui

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nous est propre et expedient pour nostre foiblesse. Tant y a que ce n'est point tousiours qu'il nous faudra ici languir: il y aura issue quand Dieu nous retirera de ce pelerinage terrien, voire pour nous appeler en son repos eternel, là il n'y aura point de fin, là il n'y aura point de temps determiné. Et puis quand Dieu nous visite, et que chacun en son endroit endure quelque povreté, quelque chastiement, que nous cognoissions, Et bien, il est vray que s'il falloit que ceci durast tousiours, nous pourrions defaillir: mais Dieu cognoit l'issue qu'il nous voudra donner, il a promis que nous ne demourerons point ici accablez sous le fardeau: attendons qu'il nous tende la main en nos adversitez, et soyons asseurez qu'il y pourvoirra en temps opportun. Voila comme il nous faut applicquer ceste doctrine à nostre usage. Or cependant nous voyons comme Iob en a mal fait son profit: et d'autant plus devons-nous estre attentifs, afin que nous n'abusions point d'une sentence quand Dieu nous l'a mise en avant pour nous instruire, que nous no l'appliquions point tout au rebours. Et toutesfois cola nous est ordinaire, quand nous lirons l'Escriture saincte, s'il y a quelque consolation qui nous soit là donnee, et quo ce soit pour nous soulager on nos tourments, que ferons-nous? O voila une consolation que Dieu donne à ses enfans, mais i'en suis du tout privé: il semble que Dieu resiouysse ses fideles, afin de me mettre on desespoir. Puis qu'ainsi est donc, que puis-ie penser, sinon quo ie suis forclos de toute esperance de sa grace ? Voila donc comme nous en ferons tous les coups, là où Dieu nous convie tant doucement que rien plus, là où il nous adoucit tous nos maux, et toutes nos douleurs: nous repoussons tout cela, et ne demandons sinon de nourrir le mal en nous, et de nous forclorre de la grace de Dieu et la reietter bien loin. Nous voyons que cela est advenu à Iob, et pourtant ne trouvons point estrange si nous sommes subiets à une telle tentation. Mais quoy? Il nous y faut remedier, et prier Dieu, qu'il nous donne esprit de prudence pour savoir applicquer à nostre usage et à nostre salut tous les advertissemens qu'il nous donne.

Or venons maintenant à traitter ce qui est ici dit. Iob allegue, comment? n'y a-il point temps determiné pour l'homme qui est sur la terre? Il est vray, que les hommes sont ici bas povres et miserables creatures: mais encores se peuvent-ils resiouyr aucunement, voyans que Dieu ne les y a pas mis pour y estre` tousiours: voila qui peut adoucir de beaucoup toutes les fascheries que nous endurons en la terre. Or maintenant (dit-il) Dieu ne met point de fin à mes tourmens Voila en quoy Iob se plaint que sa condition est pire, que celle des autres hommes: comme s'il disoit Dieu

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m'afflige outre mesure: car il ne monstre point qu'il me vueille delivrer des maux qui me pressent Et c'est ce que i'ay touché, que nous confesserons assez eu general, que c'est bien raison qu'estans en ce monde nous endurions beaucoup de povretez: et chacun dira, Ouy nous sommes naiz à ceste condition et à ceste fin: il ne nous faut point penser autrement, que l'homme estant nay apporte avec soy tant de miseres, et tant de povretez que c'est pitié. Nous confessons bien cela (di-ie) en general: mais si tost que Dieu nous frappe, il nous semble qu'il ne tient plus nulle mesure. Et voila où en est Iob. Voila aussi pourquoy i'ay dit que le temps determiné se doit rapporter à la discretion de Dieu, et non pas à nostre appetit. Si Iob eust bien considéré, sans estre transporté de sa passion, ce qu'il disoit, il est certain qu'il n'eust point mal parlé. Pourquoy ? Il y a temps determiné à l'homme. Mais lé mal est, que Iob veut estre iuge, et par ce moyen il ravit à Dieu l'authorité qui luy appartient. Et voila comme nous en faisons. Il est vray que nostre intention ne sera pas telle de priver Dieu de sa puissance, d'usurper son droit et l'authorité qu'il a sur nous, nous ne dirons point cela: mais cependant tant y a que c'est le faire, si nous ne sommes patiens, si nostre esprit ne se retient tout coy quand nous sommes affligez, pour dire, Et bien Seigneur, nous sommes en ta main, ce n'est pas à nous de t'imposer loy, de te sommer à heure presente, pour dire tu feras ceci ou cela: mais puis que tu nous as declaré que tu sauras bien mettre fin à nos maux, voire une fin heureuse et desirable, Seigneur nous attendrons patiemment ce que tu nous as promis. Si donc nous avons nos coeurs ainsi disposez, alors Dieu sera honoré comme il le merite. Mais quand nous serons hastifs, que nous serons tous bouillans, que nous ietterons nos complaintes à la volee, pour dire, Et que sera-ce? I! semble que Dieu ne vueille mettre aucune fin à nos maux: quand (di-ie) nous en faisons ainsi, c'est comme si nous voulions arracher Dieu de son siege, et qu'il n'eust plus nulle superiorité par dessus nous. Voila comme en fait Iob. Il est vray qu'il est patient, quoy qu'il en soit: mais cela n'empesche pas qu'il n'y ait du vice meslé parmi: car la patience des fideles n'est pas tousiours si parfaite comme seroit requis. Veu que Iob a failli en cest endroit, ne devons nous point bien penser en nous, qui sommes si fragiles au prix ? Ainsi donc notons bien, que toutes fois et quantes que Dieu nous affligera, encores que le mal dure, qu'il soit prolongé, encores que nous ne voyons pas qu'il nous en vueille delivrer si tost: il ne faut point toutesfois que nous allions à la façon de Iob pour dire, Et quoy? Dieu me laisse ici en torment continuel, il voit quo mon mal n'a

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point de fil: mais nourrissons-nous en esperance, et qu'il nous souviene, comme i'ay dit, Que ce temps determiné n'est point à nostre appetit: mais que c'est Dieu qui l'ordonne, comme il cognoit qu'il est bon. Et si nous n'appercevons pas du premier coup la fin de nos miseres, qu'il semble mesmes que nous en devions encores endurer tant plus, que nous ne laissions pas de gouster ceste bonté qu'il nous a promise. Car les promesses de Dieu nous conduiront aux tenebres de mort: et là elles nous esclaireront afin de nous donner tousiours quelque esperance que nous serons une fois delivrez de nos maux. Voila pourquoy S. Paul dit (2. Thess. 1, 7), qu'encores que nous soyons esgarez çà et là, voire que nous soyons comme reiettez du tout, ce n'est pas que nous devions demeurer là: mais que Dieu nous recueillira à soy pour nous y conioindre et vivre à iamais. Voila comme nous devons taire nostre profit de toutes les promesses que Dieu nous fait, pour les gouster au milieu de nos miseres

Or maintenant venons à ce que Iob adiouste: Il use de similitudes pour exprimer ce qu'il veut dire par ce temps determiné, duquel il a fait mention. Car voila (dit-il) un povre esclave (pource qu'il parle non pas des serviteurs qui sont auiourd'huy: mais de ceux qui estoyent esclaves: et puis il adiouste des serviteurs, qui sont à louage) voila donc un serf qui desire l'ombre, c'est à dire le repos de la nuict, pource qu'il ne cesse de travailler: et bien, celuy-là desire l'ombre. Et puis un homme qui sera à louage, il desire que sa iournee se passe: et s'il y a un mois, ou plus ou moins, il regarde à la fin de son terme afin qu'il ait quelque repos. Mais de moy (dit-il) ie n'ay nulle cesse ne relasche, quand ie me couche, ie di, Et comment viendray-ie iusqu'au matin? et quand est-ce que ie me leveray? Si ie suis: levé du matin, il me semble que le iour durera un an. Puis qu'ainsi est donc, il semble bien que Dieu ne se contente point de m'affliger à la façon ordinaire des hommes: mais qu'il vueille foudroyer contre moy, afin que ie ne sache que faire ne que dire. C'est la complainte que tait Iob disant quo son mal est excessif, et que ce n'est point un mal commun: qu'il ne faut point qu'on luy dise, Tu vois que les hommes estans en ce monde ont à souffrir beaucoup de miseres, tu sais l'experience, et comme Dieu a accoustumé d'en faire: mais il desploye (dit-il) toute sa vertu contre moi, tellement qu'il semble qu'il me vueille ici abysmer: et quand ie feray comparaison de moy avec les autres qu'il corrige, ie voy que ie suis iusqu'au profond d'enfer, et ceux-la ont encores quelque esperance de salut pour estre delivrez de leurs maux. Or ici nous avons à noter ce qui a esté desia touché par ci devant, c'est assavoir, quo

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Iob n'estoit point pressé de maux corporels seulement: mais que sa principale douleur estoit de sentir que Dieu luy estoit contraire.

Et c'est ce qu'il adiouste quant et quant. Voila (dit-il) ma chair est comme attachée à mes os, et ma peau est, toute rompue, et comme pourrie: ie suis là comme un povre desesperé, et cependant ma vie passe et s'escoule tout ainsi que la navette d'un tisserant, qui court si viste qu'on ne l'apperçoit point, et ne sauroit on mesurer une telle legereté. Ainsi est-il de ma vie, dit-il. Quand ie me leve, ie suis tout confus, en sorte que ie n'ay ne repos ne relasche, ne iour ne nuict. Or combien que Iob fust affligé en son corps, si est-ce que ceste tentation qu'il a de sentir Dieu comme son Iuge, et qu'il le tenoit là comme à la torture, luy estoit plus grieve beaucoup, que tous les tourmens qu'il enduroit en son corps. Et voila pourquoy aussi il se tourmente tant. Et c'est un poinct que nous devons bien noter. Car bien peu de gens sont exercez en ces combats spirituels, et pourtant ils ne savent que c'est: ce leur est un langage incognu: mais quand Dieu les visite en telle sorte les voila tous esperdus, pource qu'ils n'ont point gousté en temps et en lieu ceste doctrine. Pensons y donc, et notons que si tous les maux qui nous advienent nous sont aspres, et qu'ils nous soient bien fascheux, qu'il nous faut savoir neantmoins, que ce n'est rien au prix des angoisses qu'endurent ceux qui sont pressez du iugement de Dieu, quand il se monstre rude à l'encontre d'eux, et qu'il leur donne quelque signe de son ire, et de sa vengeance: quand les voila tellement estonnez qu'il n'y a nulle consolation qui les puisse resiouir, sinon que Dieu y besongne d'une vertu extraordinaire. Et pourquoy? Car en tous nos maux si Dieu nous donne licence de retourner à luy, que nous puissions l'invoquer en ceste fiance qu'il aura à la fin pitié de nous: il est certain que nous pouvons descharger nos solicitudes et toutes nos fascheries sur luy, comme l'Escriture en parle. Ainsi donc les afflictions nous seront douces et amiables, quand nous pourrons aller ainsi à Dieu: mais si nous concevons un desespoir, qui nous ferme la porte, et que nous imaginions que Dieu soit nostre ennemi, et qu'il nous persecute, que c'est temps perdu et chose frustratoire de l'invoquer, c'est comme si desia nous estions aux abysmes d'enfer. Et voila où Iob s'est trouvé en partie, et non pas du tout: mais si l'a-il experimenté. Quand nous voyons cela, cognoissons que Dieu nous pourroit bien mener encores plus outre qu'il ne fait: et s'il nous espargne que c'est d'autant qu'il cognoit nostre infirmité. Car il a voulu esprouver Iob iusqu'au bout. S'il n'use pas envers nous d'un examen tant rigoureux, c'est par sa bonté infinie. Cependant toutesfois que

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un chacun s'appreste, quand il viendroit en telle tentation que ceste-ci, afin de pouvoir resister: et que si nous sommes agitez comme de vagues, nous ne perdions point courage au milieu de telles tempestes, veu que Dieu a soustenu son serviteur Iob, quand il sembloit bien qu'il fust du tout noyé et comme englouti des abysmes: si est-ce (di-ie que Dieu l'a retiré. Cognoissons donc, quand nous entrerons en tels gouffres, que moyennant que nous soyons soustenus de la main de Dieu, encores en la fin nous en serons retirez. Voila comme il nous faut estre preparez aux combats, à ce que nous ne soyons point esperdus quand ceste tentation surviendra: et combien qu'il semble que nous devions estre abbatus à chacun coup, que neantmoins nous attendions que Dieu nous assiste, ce qu'il fera en temps opportun, comme il a fait à son serviteur Iob.

Au reste combien que nous ayons desia esté affligez quelque temps, quand Dieu permettra que les afflictions continuent, mesmes quand ayans imaginé que nous devons avoir quelque issue, les choses viendront en tel poinct qu'il semblera tout au contraire, que iamais nous n'en devions estre delivrez: que nous resistions à ceste tentation qui nous sera mise devant les yeux: et que nous y resistions, cognoissans que Dieu sait bien disposer des temps et des saisons, et que c'est à luy à faire, et qu'il faut que tout cela soit remis en sa main et en sa bonne volonté. Voici Iob qui dit, I'ai regardé s'il y auroit fin à mes miseres: et bien nous y pouvons aussi regarder: car Dieu ne nous est pas si rude qu'encores il ne nous supporte iusques là, que nous pouvons bien dire, iusqu'à quand sera-ce? comme nous voyons que David en parle assez souvent: mais avons nous regardé s'il y aura quelque issue en nos miseres, apprenons aussi de ne nous point precipiter Car autrement nous demourerons là confus. Que faut il donc ? fermons les yeux aux choses presentes, et prions Dieu qu'il nous face contempler l'issue qui nous est cachée selon la chair, et selon nostre opinion: qu'il nous la face (di-ie) contempler, nous conformans du tout à sa bonne volonté. Et c'est le seul remede pour nourrir et foy et patience. Ou si nous voyons nos maux de longue durée, et que Dieu ne nous monstre point comme il nous en veut faire sortir: que nous ayons les yeux clos pour dire, Et bien Seigneur, il est vrai que tu me veux tenir comme un povre aveugle en tenebres. Voire: mais où est ma consolation cependant? C'est, que ie prie Dieu qu'il me donne des yeux, non point pour contempler les choses presentes: mais afin que par foy ie puisse cognoistre ce qui m'est maintenant caché. Voila (di-ie) comme nous en devons faire, non point à la façon de Iob pour dire, I'ay veu qu'il n'y avoit plus de remede: car un homme est comme desesperé

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parlant ainsi. Car il ne faut point limiter ce qui nous semble impossible à la puissance de Dieu. Il dit, Quand ie me couche ie demande, Quand est-ce que ie me leveray? Le matin ie di, et quand la nuict viendra elle ? Notons que ceci est mis pour monstrer qu'une conscience pressée du iugement de Dieu est tousiours en trouble et en transse. Voila comme Moyse en parle traictant des vengeances horribles de Dieu sur ceux qui persevereront obstinement à desobeir à la Loy de Dieu. Ta vie (dit - il) sera pendante devant toy, comme d'un filet. Le matin tu diras, Qui est-ce qui me donnera à vivre iusques au soir ? Mais Iob parle ici de ceste tentation qu'il a sentie, c'est assavoir, que les nuicts luy estoient trop longues, et les iours trop fascheux: comme s'il disoit, Un iour me dure plus qu'un an, voire plus que la vie d'un homme, ie ne fay que languir, non pas en quelques maux accoustumez, mais en des tourments si horribles, que ie defaus sous la main de Dieu. Or quand nous voyons, que ceste tentation ici est advenue à Iob, recourons au remede que i'ai desia touché: c'est assavoir, que nous cognoissions que c'est à Dieu de disposer de nous et de toutes nos miseres. Et pourtant le temps nous semble-il long? Prions Dieu, qu'il nous face trouver bon tout ce qu'il dispose. Car autrement que faisons nous, sinon despiter Dieu comme Iob? Non pas qu'il l'ait voulu faire, mais cependant si ne laisse-il pas d'estre à condamner en tous les propos qui lui sont ainsi eschappez à la volée, et lesquels il a iettez contre Dieu, comme s'il l'eust voulu despiter. Que donc nous retournions là pour dire, Comment? est-ce à toi de limiter les temps? cela n'est-il pas en la main de ton Dieu? lui veux-tu oster son office ? Que veux-tu faire povre creature ? où est-ce que tu viens, quand tu entreprens en telle sorte ? N'est-ce pas pour te rompre le col, quand sans ailes tu veux voler par dessus les cieux? Ainsi donc apprenons de cheminer en humilité, et prions Dieu, que ce qu'il dispose nous le trouvions bon, et que nous y puissions acquiescer, pour dire, Seigneur, tu es iuste en tous tes faits, tu es sage: et pourtant fay nous la grace que nous ne cessions point de te louer, et de te donner ceste gloire-la, que tout ce que tu nous envoyes nous le recevions somme de ta main, et que nous puissions nous y renger, combien que selon la chair il nous soit dur et amer à souffrir. Voila ce que nous avons à noter sur ce passage.

Au reste, quand il dit, que les iours sont passez plus viste que la navette d'un tisserant, il semble qu'il y ait ici quelque contrarieté. Car il dit que sa vie est trop longue, et toutesfois il adiouste, que ses iours se sont escoulez si viste que cela n'est rien. Si on respond que Iob a este comme

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transporté de ses passions trop vehementes, et bien, cela est quelque chose: mais il n'y a nulle contrarieté, quand nous aurons bien noté de pres la similitude qui est ici mise, comme elle est aussi bien couchée au cantique du Roy Ezechias en Isaie, et c'est pour monstrer que quand un homme est pressé de la main de Dieu, il ne sait plus où il en est. Car iaçoit que nous endurions beaucoup de maux, si est-ce encores que nous contons nostre vie: mais si Dieu nous poursuit plus vivement, nous sommes là comme eslourdis, nous ne sommes point comme nous avons accoustumé de vivre, nous sommes tous esbahis. Comment? Et ce temps-la a-il peu estre si tost passé? Voila donc ce qu'emporte ceste similitude, et ce que veut dire maintenant Iob, que sa vie se passe bien tost, comme la navette d'un tisserant. Et pourquoy ? Car il sentoit la main de Dieu qui le pressait tellement qu'il ne pouvoit sinon gemir et se lamenter et dire: Et quoy ? n'y aura-il nulle fin ? Voila donc comme l'a entendu Iob: et cependant il ne laissoit pas d'estre saisi d'une telle frayeur, et angoisse, qu'il estoit là comme abismé, d'autant que Dieu le tenoit comme à la torture, et qu'il lui sembloit qu'il ne tenoit nulle mesure en le chastiant. Voila comment il nous faut appliquer ceste similitude. Or par cela nous sommes admonnestez en nos afflictions de prier Dieu, que quoy qu'il en soit il nous retienne là dedans, que nous ayons quelque repos pour penser à nous et à luy: pour penser à nous (di-ie) afin que nous cognoissions nos pechez, que nous cognoissions combien nous avons perdu de temps en nostre vie, à ce que nous ne trouvions point estrange si Dieu nous afflige et nous moleste. Car nous passons la pluspart de nostre vie en nous essaient, voire pour nous eslever contre luy: et pourtant nous avons bon mestier de prier Dieu qu'il nous resveille, et qu'il nous donne loisir d'examiner bien nos fautes. Et puis que nous pensions aussi à luy. Or cela ne se peut faire que nous n'ayons quelque repos, et quo nous ne soyons resiouis. Car cependant que nous serons en ce chagrin pour ronger là nostre frein, il est impossible que nous puissions venir à Dieu pour nous consoler en sa bonté, laquelle il est prest de nous faire sentir. Il faut donc que nous le prions, qu'il nous retienne en bride, si nous voulons que nos esprits demeurent coys et paisibles au milieu des troubles qui nous pourront advenir. Et cela aussi ne se peut faire, que nous n'ayons Iesus Christ qui nous soit prochain, afin qu'en luy nous puissions avoir quelque soulagement, comme il dit, Venez à moy vous tous qui estes chargez, et qui travaillez, et ie vous soulageray, et vous trouverez repos à vos ames. Advisons donc de prier Dieu toutes fois et quantes qu'il nous afflige, que nous puissions

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tourner nos sens et nos esprits à nostre Seigneur Iesus Christ, qu'en loy nous ayons ce repos duquel il parle: et que l'ayant trouvé, nous soyons là retenus en sorte que nous puissions recevoir les chastiemens et corrections de Dieu, pour nous humilier devant luy, pour acquiescer à sa bonne volonté, afin que nous ne doutions point qu'en lu fin il ne nous soit secourable, et qu'il ne se monstre propice envers nous. Voila (di-ie) comme il

nous faut resiouir au milieu de toutes les miseres et des afflictions que nous avons à endurer en ce monde, attendans que nous iouissions de ceste consolation bien heureuse que Dieu nous presente maintenant par sa parole et de laquelle nous iouyrons en toute perfection, quand il nous aura retirez à soy.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc..

LE VINGTHUITIESME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE VII. CHAPITRE.

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7. Cognois que ma vie n'est que vent, et que mon oeil ne verra plus le bien. 8. L'oeil du voyant ne me verra plus: tes yeux sont sur moy, et ie ne seray plus. 9. Comme une nuée s'escarte et s'esvanouit, aussi celuy qui descend au sepulchre ne remontera point. 10. Il ne retournera plus en sa maison, son lie?` ne le cognoistra plus. 11. Pourtant ie n'espargneray point ma bouche, que ie ne parle en mes angoisses, que ie ne devise en mon mol. 12. Sus-ie une mer, ou suis-ie une balaine, que tu m'estreignes de si pres? 13. Quand ie di, Mon lict m'allegera, et ma couche me consolera: quand ie parle en moy mesme, 14. Lors tu m'espouvantes de pensees et de visions. 15. Voici mon ame a esleu le licol, et la mort, plus que mes os.

L'Escriture saincte nous declare souventesfois que Dieu a pitié de nous, quand il regarde à nostre fragilité: car il ne faut point que nous pensions l'esmouvoir par quelque dignité qui soit en nous: il n'y aura rien de cela. Si donc Dieu nous espargne, et qu'il use de misericorde envers nous, cela est plus au regard des povretez qu'il y cognoist, qu'autrement, comme aussi il est dit, Il a regardé que les hommes sont comme une herbe qui passe incontinent, et qui est flaistrie. Les hommes ne sont que chair, c'est à dire, corruption, un esprit, c'est à dire, vent qui passe, et s'escoule sans plus retourner Or puis que l'Escriture saincte nous testifie cela, nous avons aussi à le mettre en avant en nos prieres: car c'est à ce propos que le sainct Esprit parle. Notons donc que si nous voulons esmouvoir Dieu à pitié, il ne faut point alleguer, que nous ayons rien merite envers luy, qu'il y ait quelque excellence en nos personnes, n'en nostre nature. Il faut que tout cela soit mis bas,

qu'il ne reste sinon que nous cognoissions, Helas Seigneur, que suis-ie sinon pourriture ? Ie m'escoule incontinent, il n'y a nulle vertu en moy, ma vie n'est qu'une ombre. Quand nous parlerons ainsi, ce sera suivant l'admonition que le sainct Esprit nous donne. Mais il nous faut bien regarder comme nous userons de ce langage, et à quel propos: c'est assavoir, que le tout reviene à la gloire de Dieu, et que nous l'adorions pour nous humilier. Car il y en aura qui sauront bien dire, Helas, et ie ne suis que vermine, il n'y a en moy que vanité, ma vie n'est qu'une fumée qui s'esvanouyt: et cependant ils n'ont nulle humilité n'obeissance, pour s'abaisser devant Dieu, pour cognoistre que c'est de luy, qu'ils tienent tout: mais à l'opposite, cela tendra plustost à faire ceste queremonie: Et comment? Dieu ayant authorité par dessus toutes ses oeuvres, ne devoit-il pas nous donner ce qu'il nous a osté? ne falloit-il point que nous eussions ceci, et cela? Notons donc, que quand l'Escriture nous declare que Dieu a pitié de nous, voyant que nous sommes si fragiles, que nostre vie est moins que rien: ce n'est pas pour nous donner occasion de murmurer ne de nous fascher, quand nostre condition est ainsi contemptible, et qu'il n'y a en nous rien dont nous puissions nous eslever, mais plustost toute confusion: ains afin que nous sachions que nous n'apportons rien à Dieu pourquoy il nous soit propice, que cependant qu'il cerchera quelque chose en nous, ie ne say quoy qui le puisse induire à nous aimer, il n'y trouvera rien, et nous serons reiettez de luy. Que faut-il donc? quand Dieu voit que nous sommes plus que miserables, qu'il ait pitié de nostre condition, voyant qu'il n'y a en nostre vie sinon un ombrage qui s'escoule il n'y a en toute nostre sagesse qu'une pure folie, il n'y a en

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toutes nos vertus que mensonge et iniquité. Quand donc nous aurons cognu cela, que Dieu nous despouille do toute gloire, sachons qu'il ne veut point que nous presumions do nous rien attribuer, que nous apportions quelque valeur devant luy, pour dire: Et Seigneur, et pourquoy ne me feras - tu grace ? Car i'ay fait ceci et cela, il y a telle chose en moy. Mais qu'ayans la bouche close quant à toutes nos dignitez, nous sachions qu'il nous faut puiser de la pure misericorde de Dieu, et gratuite. Voila donc à quelle intention nous devons mettre en avant nos miseres: c'est assavoir, non pas pour nous plaindre, ou murmurer contre Dieu: mais pour nous humilier, pour nous aneantir du tout, afin que Dieu seul soit honore, et qu'on cognoisse que quand il nous fait du bien, ce n'est pas que nous l'induisions à cela, ne qu'il trouve rien en nous, pourquoy il soit là tenu: mais d'autant qu'il a compassion de ce qu'il voit que nous sommes ainsi fragiles, et que ce n'est rien de toute nostre vie.

Or venons maintenant à ce qui est ici contenu Cognoy que ma vie n'est rien. Ceste requeste-la est bonne, quand Iob dit à Dieu, Et Seigneur, ie suis ici tourmenté, et qu'il te plaise de me donner allegement. Et pourquoy? Car tu vois que ie suis, et quelle est ma nature. Quand Iob proteste cela c'est une requeste bonne et saincte, voire moyennant que l'affection soit droite. Or il est bien certain qu'il a eu son but droit: mais cependant qu'il n'ait failli en excez, cela ne se peut dire: comme nous le verrons mieux en la procedure. Et pourtant notons qu'en alleguant à Dieu nostre fragilité, ce n'est pas assez de nous humilier, et de confesser que nous n'avons rien en quoy nous puissions nous eslever: mais il faut que nous ayons ceste modestie de confesser que Dieu est iuste, en nous faisant de telle condition, voire encores que nous n'appercevions point la cause: et combien qu'il nous ait caché ces secrets ici qu'il ne faut point quo nous plaidions contré luy, ne que nous ayons quelque despit en nous, comme ceux qui sont par trop pressez: mais que Geste bride-la soit pour nous retenir, que Dieu a ou iuste cause de nous mettre en telle condition, que nous soyons enserrez de tous maux, et de toutes afflictions. Pourquoy? Afin de nous tenir subiets à luy, et que nous n'ayons point ceste presomption ni enflure d'orgueil.

Or cependant Iob adiouste, Que sa vie n'est rien et qu'il ne retournera plus pour voir le bien, c'est à dire pour iouir de ce que Dieu donne aux hommes en ceste vie presente. L'oeil (dit-il) du voyant ne me verra plus, c'est à dire, ie ne serai plus ici. Et en la fin il accommpare l'homme à une nuée. Voila une nouée qui s'escoule, on ne sait qu'elle devient, elle ne retourne plus en son estat: ainsi

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celuy qui est descendu au sepulchre, ne retournera plus. Iob parle ici de l'infirmité de la vie humaine. Or c'est afin que Dieu ne le traite point en telle rigueur, comme il dira en l'autre passage, Et qui suis-ie que tu desployes ton bras contre moy ? comme s'il disoit, Seigneur, veux-tu combatre contre une ombre? Mais on pourroit trouver estrange que Iob parlant de la mort ne laisse plus nulle esperance ni à soy, ni à tout le genre humain: qu'il semble qu'en mourant nous perissions, et que nous soyons du tout abysmez et que nous ne devions point estre restaurez. Car il dit, que celui qui est une fois descendu au sepulchre, demeure là, et que iamais il ne retourne. Il semble ici que Iob parle comme un incredule qui n'a rien cognu ni gousté de la vraye religion. Mais il nous faut noter qu'ici il parle de la mort dos hommes telle qu'elle est en soy, comme aussi l'Escriture saincte use bien souvent d'un tel stile. Or nous ne devons point trouver estrange que Iob ait parlé selon que nous sommes enseignez par le sainct Esprit. Les choses que nous avons auiourd'huy n'estoient pas encores escrites pour ce temps-la: mais si est-ce que Dieu avoit engravé an coeur des siens tout ce qui est escrit: et Dieu encores auiourd'huy nous le fait sentir on nos ames, et l'engrave là de son doigt c'est à dire de son sainct Esprit. Ainsi revenons à cest article que i'ai touché, c'est assavoir que l'Escriture parle de nos combats que nous avons en nostre nature sans apprehender la bonté de Dieu qui est par dessus. Comme quoy ? Nous avons desia allegué quelques tesmoignages, quand il est dit, Que l'homme n'est qu'un esprit, ou un vent qui passe, et qui ne revient plus: il semble bien que l'homme soit accompare aux bestes brutes, voire: et de fait il seroit semblable, si Dieu n'y mettoit la main. Car d'où procede l'immortalité qui est en nos ames, si ce n'est d'une faveur speciale que Dieu nous a porté? Il est dit par sainct Paul (1. Tim. 6, 16), que Dieu seul est immortel: nous sommes donc caduques, nous ne ferons que nous escouler: et nos ames quoy? les Anges mesmes de paradis seroyent aussi bien mortels: mais d'autant que Dieu leur a inspiré sa vertu. il faut qu'ils subsistent en luy. Voila d'où procede leur immortalité, ie di, des Anges et aussi il faut que de nostre costé nous puisions de ceste fontaine-la: comme il en est parlé au Pseaume (36 10) Seigneur c'est en toy que gist la fontaine de vie' et en ta clarté nous serons illuminez. Nous voyons maintenant comme les hommes estans considerez en eux mesmes, n'ont rien que defaillance: comme il est dit en un autre passage au Pseaume 104 (v. 29 s.). Soigneur retire ton Esprit et toutes choses seront aneantis et reduites à neant. Or quand l'Escriture , saincte parle ainsi, ce n'est pas pour nous oster

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l'esperance de la resurrection: ce n'est pas aussi pour nous faire penser que nous ne soyons pas immortels: mais il faut que nous commencions tousiours par ce bout-la, de cognoistre quelle est nostre foiblesse: et puis que nous montions par degrez pour cognoistre ce que Dieu a mis en nous Que est-ce donques des hommes? un vent, une fumée: mais d'autant que Dieu nous a inspiré une vertu permanente, voila pourquoy nous sommes immortels.

Au reste il faut que Dieu conferme en nous ce qu'il y a mis une fois: car s'il ne le maintenoit par sa grace, tout s'en iroit decliner. Et mesmes il nous faut venir au degré souverain, c'est assavoir à ceste resurrection qui nous est promise. Et où est-ce que nous la trouverons? Ce ne sera pas en nostre nature: mais il nous faut monter par dessus le monde, et faut que nous sachions qu'il n'y a que Iesus Christ seul, qui en soit le vray miroir: là nous contemplons que Dieu nous veut ressusciter en gloire, qu'il nous veut retirer de la corruption et pourriture en laquelle nous allons, et en laquelle il nous faudroit demourer, n'estoit ce remede extraordinaire, par lequel il nous subvient. Voila donc comme il nous faut venir à Iesus Christ, pour cognoistre là où nous devons regarder quant nous voulons esperer que nous ressusciterons au dernier iour. Vray est que S. Paul use bien de quelques similitudes, qu'il prend de l'ordre commun de nature, pour monstrer la resurrection: comme quand il dit (1. Cor. 15, 36), Voila les grains et de bled et d'autres semences qui seront iettez en terre, et estans là pourris y seront recueillis. Nous avons (dit-il) une figure et image de la resurrection, quand on seme le bled, et quand il croist de ceste pourriture en laquelle il faut qu'il soit premierement converti. Mais ce n'est pas à dire que là nous voyons nostre resurrection: c'est seulement pour nous monstrer que les incredules sont ingrats à Dieu et par trop vilains, quand ils disputent comment se peut-il faire que nos corps ressuscitent quand ils seront ainsi pourris, et convertis en cendre. Si ceux qui veulent estre tant sages en leur cerveau, amenent leurs subtilitez, et que sur cela ils concluent qu'il est impossible à Dieu de nous ressusciter, sainct Paul monstre que telles gens sont malins, et qu'il n'y a que leur ingratitude qui les destourne d'apprehender ceste vertu de Dieu, par laquelle il promet de nous restaurer. Et pourquoy? Car il nous donne quelques similitudes familieres en l'ordre de nature, qui sont pour nous asseurer de son bon vouloir. Ainsi donc quand sainct Paul use de cest argument-la, ce n'est pas pour dire quo nostre resurrection soit comme une chose naturelle: mais c'est afin de nous faire sentir la puissance de Dieu infinie, et que nous l'adorions

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et que nous luy attribuyons la louange qui luy appartient: et là dessus que nous contemplions la promesse qu'il nous a faite: ouy, combien que cela surmonte tous nos sens, et que ce soit une chose estrange, que Dieu nous doive renouveller quand nous serons convertis en pourriture: que toutesfois Dieu nous restaure quand nous serons du tout aneantis. Encores (di-ie) que cela soit difficile à croire, si faut-il neantmoins que nous esperions que Dieu le pourra faire, comme il en est parlé en l'autre lieu aux Philippiens (3, 21) selon sa puissance par laquelle il peut tout. Or maintenant que l'esprit de l'homme face des discours, qu'il descende iusques aux diables d'enfer: il est certain qu'ils ne pourront pas diminuer la puissance de Dieu. Or est-il ainsi qu'ils veulent amoindrir, voire aneantir du tout (entant qu'en eux est) la vertu admirable de Dieu, par laquelle il peut tout, quand ils vienent à l'encontre de ceste promesse qui nous est faite de la resurrection, qui est une chose qui surmonte toute nostre capacité.

Revenons maintenant à ce qui est ici dit: helas Seigneur ie ne verray plus le bien, l'oeil du voyant ne me verra plus, ie ne seray plus retiré du sepulchre. Iob pourquoy parle-il ainsi? Est-il comme un

homme desesperé qui reiette tout le goust qu'il avoit auparavant senti de la bonté de Dieu touchant la resurrection? Nenni: mais il separe l'homme des graces que Dieu luy communique par sa pure bonté. Et voila comme il nous en faut faire. Et c'est un

article mesme qui doit bien estre observe, pource que beaucoup de gens s'abusent ici, et n'ont pas ceste prudence de dire: Voici nostre Dieu qui nous a fait des biens tant et plus: mais il nous faut regarder que tout ce que nous avons, nous le tenons de luy. Et maintenant cela nous est plus que necessaire. Car Gomment les hommes se pourront ils humilier, sinon qu'ils mettent d'un costé les graces de Dieu, pour dire, Cela n'est pas mien ie ne l'ay point Gomme propre: si ie le passade c'est d'autant qu'il me le laisse: mais il faut que ie luy en face hommage: et cependant que ie sente combien mon Dieu m'est favorable, et combien il se monstre liberal envers moy. Voila donc comme Iob parle, c'est à dire qu'il exprime que c'est de l'homme si Dieu le laisse là.

Et pourtant il conclud, Ie ne verray plus de bien, et l'oeil du voyant ne me verra plus: il faudra que ie demeure au sepulchre. Or maintenant apprenons de tellement penser à nostre vie, combien elle est caduque et fragile, et pareillement d'examiner toutes les infirmitez qui sont en nos ames,

que nous concluyons que c'est moins que rien de nous, sinon quand Dieu nous sustient par sa bonté. Mais cela ne doit pas empescher que nous ne magnifions les graces de Dieu, encores que nous

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cognoissions quelle est nostre condition, assavoir vile et abiecte: tant y a qu'il faut commencer par ce bout que i'ay desia dit. Au reste (comme i'avoye touché) il nous faut avoir tousiours souvenance, combien que Iob n'ait iamais esté si eslongné de Dieu qu'il ne retinst quelque espoir en soy, qu'il ne se consolast autrement que s'il n'eust eu nulle patience, si est-ce qu'il n'a point laissé d'exceder mesure. Et par cela nous sommes advertis qu'il nous faut bien penser à nous, quand nous aurons regardé à nostre fragilité, que nous ne soyons point engloutis de tristesse qui nous meine à desespoir. Et c'est une doctrine bien utile: il n'y a rien que nous devions tant desirer que de nous humilier. Et pourquoy? car c'est la seule ouverture que nous avons pour recevoir toutes les graces de Dieu, cependant que les hommes sont preoccupez d'orgueil, qu'ils cuident valoir quelque chose, les voila enserrez, que iamais la grace de Dieu ne pourra entrer à eux. Il faut donc que l'humilité precede: et c'est le principal de toutes nos estudes de bien mediter qui nous sommes, afin de n'avoir nulle confiance ne presomption en nous: Car voila l'astuce de Satan, c'est que de ce qui est tant utile aux l hommes pour leur salut, il en fait et en appreste l du poison à l'encontre d'eux. Car il trouve le moyen que les hommes sont là comme abbrutis, quand ils ont cognu leurs miseres, qu'ils en sont tellement effarouchez qu'ils se iettent on desespoir. Vray est que le diable (s'il peut) nous enyvre tousiours de folle outrecuidance: il nous fait accroire que ce soit merveilles: iamais le diable ne souffrira que les hommes s'humilient, et s'abbaissent: tant qu'il peut il l'empesche: mais quand il voit qu'il ne peut pas empescher que les hommes en se cognoissant ne soyent confus en eux-mesmes, alors il va à l'autre refuge. Or vous voici mattez: il leur met le pied sur le ventre (comme on dit) et sur la gorge, et les tient là, iusques à ce qu'il les ait mis en desespoir. Pour ceste cause quand nous entrons en cognoissance de DOS povretez, advisons bien apres les avoir meditées que nous n'en Soyons point accablez du tout, que cependant nous De cognoissions tousiours les biens que Dieu nous a faicts, et qu'il a mis en nous, et qu'il nous eslargit continuellement: et aussi les remedes qu'il nous donne pour subvenir à ces povretez ausquelles nous fussions pourris n'eust esté sa bonté extraordinaire. Que donc nous cognoissions cela afin de reprendre nostre haleine. Voila ce que nous avons à noter de ce passage.

Or il s'ensuit, Puis qu'ainsi est (dit Iob) ie n'espargneray point ma bouche, il faut que ie parle, il faut que ie me lamente, il faut que ie devise de mes douleurs et angoisses. En ceci voyons-nous ce que i'ay desia touché, c'est assavoir que lob combien

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que sa consideration fust bonne, combien que ce qu'il allegue ici soit sainct, et conforme à la doctrine du sainct Esprit: toutesfois il ne laisse point d'avoir quelque tentation excessive. Car il dit: Voila, il faut que ie parle, puis que ie n'ay qu'un moment a vivre: car ie suis pressé de la main de Dieu. Il faut donc que ie me revenge à parler de mes douleurs: car ie ne m'en puis tenir. Vray est que Dieu nous permet bien que nous parlions pour faire nos plaintes: mais ce n'est pas en telle sorte qu'il y ait quelque despit, qui soit pour aggraver nos douleurs, au lieu que nous pensons estre allegez par ce moyen-la. Quoy donc? C'est que nous retournions à luy, afin d'estre d'eschargez d'autant. Ceux qui ne parlent point aucunesfois ne laissent point d'offenser Dieu plus griefvement en leur impatience, que ceux qui blasphement à pleine bouche. Il est vray qu'il y a bien double mal, quand les hommes osent ouvrir la bouche pour blasphemer contre Dieu: mais il y en aura bien aussi qui ne sonneront mot, lesquels sont pleins de venin à l'encontre de Dieu: ils sont pleins d'orgueil et d'amertume beaucoup plus que ceux qui parlent. Voila un homme qui rongera son frein comme une mule: il est vray qu'il ne dira mot, mais si on examine son coeur, on trouvera qu'il creve de despit, qu'il a comme une rage enflammée: s'il luy estoit possible de batailler à l'encontre de Dieu, il le feroit. Un autre se desenfle du premier coup et luy eschappera beaucoup de mauvais propos mais si est -ce qu'il n'a point tant d'amertume en son coeur. Mais quoy qu'il en soit, tous les deux sont mauvais. Que faut-il donc? que nous avisions si les angoisses nous pressent par trop, de prier Dieu qu'il luy plaise de nous assister au milieu d'icelles, en sorte que nous ne concevions nulle felonnie à l'encontre de luy, voire, laquelle empesche qu'il soit honoré. Or cependant il nous faut aussi travailler et batailler: car au lieu que les hommes s'endurcissent quand ils ont conceu quelque obstination, et despit, qu'ils se nourrissent en cela: il nous faut cognoistre que nous avons à y resister. Faisons donc force à nos affections, et qu'elles soyent resserrees comme des bestes sauvages. Et quand nous avons ainsi mis peine à reprimer et tenir en servitude nos passions, sachons qu'alors nous pourrons cognoistre: Et quoy? sera-il permis à l'homme mortel de se lascher la bride, en sorte qu'il conteste contre Dieu, comme s'il vouloit intenter querelle contre luy ? Gardons-nous donc de ceste licence-là de murmurer contre Dieu, d'avoir la langue desbridee pour dire, Et comment? Dieu fait-il cecy? pourquoy est-ce qu'il me traite en telle sorte? Non: mais que nous facions tellement nos plaintes que Dieu soit tousiours honoré de nous, que nous confessions qu'il est iuste et equitable,

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comment que ce soit qu'il nous traitte. Voila un Item. Et puis cependant, que toutes DOS querelles s'adressent à luy. Car voila on quoy les hommes faillent souvent, c'est qu'ils se reculent de Dieu tant qu'ils peuvent, quand ils veulent faire leurs complaintes, pu ils disputent avec leurs prochains, Et comment? I'ay ce mal ici, et il n'y a nul qui endure tant que moy il semble que Dieu me vacille tourmenter sans fin et sans cesse. Voila comme les hommes gronderont tousiours: et s'ils ne prononcent de bouche tels murmures, si est-ce qu'ils garderont tousiours quelque arriere bouticque dedans leurs coeurs, et ne le desployeront point devant Dieu comme il le demande.

Voila donc ce que nous avons à considerer quand Iob dit, qu'il parlera en son amertume, et qu'il devisera: assavoir que ce n'est pas la mesure ! qu'il doit tenir, qu'il prend trop de liberté. Si I cela est advenu à un homme qui estoit comme un I miroir de patience que sera-ce de nous ? Ainsi donc ayons memoire de ces advertissemens que i'ay desia donnez: c'est assavoir, que quand nous aurons de l'amertume en nos coeurs, nous venions à prier Dieu qu'il luy plaise d'adoucir le mal: et si cc vient à parler, que nous n'usions point nos langues à babiller: mais qu'elles soyent retenues pour glorifier Dieu: et que nous adressions toutes nos querelles à luy, que nous n'allions point murmurer çà et là nous plaignant, et en babillant: mais que Dieu soit le tesmoin de tous nos souspirs et gemissements, et que nous recourions droit à luy afin qu'il nous soulage.

Or quand Iob a parlé ainsi, il adiouste, Suis-ie une mer, ou suis-ie une balaine, que tu me mets ici comme des barres, qu'il faille que ie soye reprimé avec si grands empeschemens? Iob proteste ici à Dieu, qu'il n'estoit pas mestier qu'il fust ainsi rembarré avec une telle violence. Et pourquoy? Ie ne suis pas, comme une mer (dit-il) à laquelle il faille des rempars, et des empeschemens. Quand une mer sera desbordee, on mettra mille, deux mille hommes apres: on apportera là et bois et terre, et pierres pour reprimer ceste impetuosité si grande. Quand (di-ie) une mer est ainsi desbordee, c'est une chose horrible, tellement qu'il est besoin qu'on y oppose de grans empeschemens. Une bal ai ne aussi ne se laissera pas prendre sans grande difficulté: mais il faudra qu'une telle beste qui cet si robuste, et si puissante, face de grands efforts si on la veut tenir. Or Iob dit, Ie ne suis ne une mer, ne une balaine: comment donc est-ce que Dieu procede contre moy avec une telle violence? Par cela il signifie que le mal qu'il enduroit estoit par trop grand, et que Dieu n'avoit point mestier de l'affliger ainsi. Or en ceci il monstre qu'il n'a pas esté retenu comme il devoit. Il est vray

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comme desia nous avons dit, qu'il n'a pas laissé d'estre patient: mais la patience ne sera pas tousiours parfaite: il y aura des tourbillons meslez parmi. :Et ainsi que faut-il recueillir de oc passage, sinon qu'en nous complaignant nous cognoissions tant mieux que nous sommes? Il est vray qu'estans fragiles, nous pouvons bien dire, le ne suis pas une balaine, un lion, un ours, ou quelque autre beste sauvage. Bien: mais cependant regardons à nos cupiditez, regardons aux rebellions qui sont en nous à l'encontre de Dieu, regardons à tant de vices lesquels nous avons tous: cc sont comme des furies pour se desborder à tout mal, et non seulement en terre, mais qui montent comme au ciel. Quand nous resistons à Dieu en nos cupiditez, ie vous prie, ne montons-nous point comme là haut pour luy faire la guerre? Et ainsi il n'y a ne balaine en sa nature, ne lion, ne autre beste sauvage en terre qui ait une telle violence comme ont les meschantes cupiditez de l'homme. Si donc Dieu use de remedes violens contre nous, et qu'il nous rembarre plus rudement que nous ne voudrions, De parlons point comme Iob, Suis-ie une balaine? suis-ie la mer? Nous sommes beaucoup pis: il faut que Dieu nous tiene par force enchainez, comme si nous estions demoniacles, et plus. Quand donc nous aurons cognu une telle repugnance de nos passions mauvaises, alors nous confesserons que si Dieu nous afflige, et qu'il use mesmes de remedes bien violens à l'encontre de nous: cela n'est point sans cause: que nous ne le pouvons pas accuser qu'il soit excessif pourtant: mais qu'il nous le faut glorifier, cognoissans ce qui en est. Maintenant nous voyons que les hommes doivent avoir double cognoissance d'eux-mesmes. Car d'un costé il faut qu'ils cognoissent qu'il n'y a que pourriture, et corruption en eux, afin d'obtenir grace de Dieu, et de l'induire à user de misericorde et pitié envers nous. Mais avons-nous cognu cela? Regardons aussi que nous ne sommes que trop robustes au mal: tout ainsi qu'un phrenetique se iette, et se tormente, et n'a point une droite vigueur neantmoins. Ainsi en est-il de nous. Quant au bien nous defaillons du tout: mais quant au mal nous sommes là comme des geans, il y a de la force par trop enorme. Il est donc besoin que Dieu desploye son bras, et qu'il frappe comme à grands coups, voire qu'il foudroye plus qu'il ne feroit sur des bestes sauvages. Car combien que les bestes sauvages tienent de la cruauté, et qu'elles ne se laissent point matter aisement: toutesfois si nous faisons comparaison nous trouverons que l'homme se desborde beaucoup plus. Et ainsi quand Dieu nous pressera tant et plus, sachons que ce n'est point sans cause, et ne faisons point ici des plaintes. Car nous ne gagnerons rien quand nous

SERMON XXVIII

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bien plaidoyé, il no faudra qu'un seul mot pour nous rendre confus. Voila quant à ce passage.

Or il adiouste, Si ie di, mon lict me consolera, voici ma couche qui brusle, quand ie parle à moy. Tu m'espouvantes des visions de nuict, tu m'effarouches par ces songes. Vray est que ce mot ici est exposé diversement, quand il est dit quo Iob s'estant proposé d'avoir allegement en son lict, a trouvé une ardeur en sa couche. Le mot qui est ici mis signifie quelques fois Brusler, comme nous le verrons encores en un autre passage: mais il signifie encore Retirer, il signifie aussi Laisser, par similitude. Tant y a que ceste signification de Brusler convient ici tresbien: et comment que ce soit qu'on expose le mot, la sentence, et la doctrine demeure tousiours mesme: c'est assavoir que Iob se plaint d'avoir esté frustré de son esperance, quand il avoit attendu d'avoir quelque allegement sur sa couche: qu'il y a trouvé plus d'ardeur, voire que ce luy a esté comme un feu allumé, quand il a parlé à soy-mesme. Ici nous voyons ce qui a desia esté monstré ci dessus, c'est assavoir que Iob s'est trouvé en des tormens horribles, et qu'il n'avoit point le mal corporel qui le pressoit seulement: mais qu'il estoit en ces combats de l'ame, sentant que Dieu luy estoit contraire, comme son iuge, qu'il estoit là gehenné comme aux douleurs d'enfer, et qu'il estoit pressé en telle sorte. Et nous faut tousiours reduire cela en memoire: car (comme i'ay dit) il est bon aussi que nous y pensions souvent. Vray est qu'il nous faut bien preparer aux combats, quand Dieu nous afflige, quand nous ne sentirions sinon ce que nous endurons quant au monde: mais c'est là le principal, quand nous cognoissons qu'il nous faut venir à conte devant Dieu. Car s'il nous fait sentir nos pechez se monstrant iuge severe, voila comme les abysmes d'enfer et les gouffres qui sont ouverts pour nous engloutir. Il nous faut avoir premedité cela, afin que nous sachions nous humilier, et que ceste apprehension là aussi no nous confonde point du tout. Et voila pourquoy Iob qui estoit homme d'une telle vertu et si excellente, a esté neantmoins ainsi pressé. Et pourquoy? Car Dieu nous a voulu declarer par son exemple, que ce n'est point peu de chose de venir devant sa maiesté, devant son siege iudicial pour respondre de toute nostre vie. Appliquons nous donc à recevoir les admonitions que Dieu nous donne de nos pechez, encores que nous ayons des assauts bien rudes: et demandons à Dieu qu'il nous soustiene, afin que, en nous confiant en ceste grace qui nous est faite en nostre Seigneur Iesus Christ, nous ne laissions pas de subsister en endurant: voire iusques à ce que il nous ait humiliez comme il cognoist qu'il en est besoin. Et mesmes notons bien ceste circonstance, Quand i'avoye pensé

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que mon lict me donneroit repos, i'ay trouvé un feu allumé quand i'ay parlé en moy. Il est vray que nous pourrons bien esperer que Dieu nous allege: mais ce n'est pas à nous de luy limiter ne le temps ne le lieu: il faut que cela soit remis à sa bonne volonté. Il ne faut point donc que nous cerchions nostre repos au lict, n'en autre chose: mais que nous souspirions à Dieu, afin qu'il luy plaise do nous donner relasche en nos douleurs. Mais cependant (comme i'ay dit) c'est merveilles que Iob se sente ainsi bruslé quand il a parlé à soy-mesme. Or i'ay dit que ceste circonstance est bien digne d'estre notee: car quand les hommes pour la pluspart babillent tant pour faire leurs complaintes, c'est pour s'enflammer d'avantage, quand ils parleront à cestui-ci, ou à cestui-la. Qui est cause que nous sommes ainsi desbordez en nos passions? C'est pource qu'un chacun se iette aux champs, et se trompe. Or Iob dit ici que ç'a esté l'opposite en luy, c'est à dire, qu'il a parlé en soy mesme. Et comment donc? quand un homme se, retire en soy, et qu'il tasche de ne se desborder point en paroles pour resister contre Dieu: mais reprime ses passions: cela est-il cause de l'enflammer ? Ouy quelques fois: comme il en est parlé au Psaume. 32 (v. 3). Et en d'autres passages tels. Toutesfois ce n'est pas à dire au contraire qu'il nous faille ainsi esgarer en paroles et complaintes a un chacun pour trouver allegement de nos douleurs, et pour esteindre le feu, duquel il est ici fait mention: plustost entrons en nous: il est vray que quelquefois nos passions s'allument quand nous parlerons ainsi en nous-mesmes: mais tant y a que Dieu puis apres fera son office pour esteindre le feu qui aura esté allumé par luy. Exemple, Voila un povre homme que Dieu afflige. Pourquoy? Or l'homme quelques fois n'apperçoit pas la cause, toutesfois Dieu en la fin l'amenera à bonne issue. Mais si le povre homme continue de demourer en telle angoisse, que fera-il ? il entre en soy. Et comment? Ton Dieu t'a-il delaissé? ou bien, Regarde, povre creature, il faut bien que tu ayes offensé Dieu griefvement, veu qu'il exerce une telle rigueur contre toy. Mais à la fin encores le Sainct Esprit luy fera apprehender, gouster, et appliquer à son usage, que l'Escriture saincte parlant des plus rudes assauts nous propose neantmoins la bonté infinie de nostre Dieu, afin qu'au milieu des plus grandes afflictions nous soyons asseurez, que Dieu nous delivrera de tous nos maux en temps opportun. Voila donc comme Iob a esté exercé. Mais tant y a que pour maintenant il proteste, que quand il s'est plaint et qu'il a medité en soy, il s'est senti en plus grand'ardeur. Et il devoit recognoistre: Et bien mon Dieu, ie n'en avoye point encores assez: il est vray que mon mal

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estoit desia trop grand veu ma portee: mais il falloit encore qu'il creust d'avantage. Voila cc que Iob devoit considerer, et c'est este une vraye prudence. Mais veu qu'il ne l'a point fait voire luy qui estoit d'une telle vertu comme on ie peut voir: d'autant plus nous faut-il estre sur nos gardes, et que nous advisions do ne point plaider contre Dieu, quand il nous afflige, de peur qu'il ne nous mette en telle ignominie que nous ne sachions que devenir.

Or il dit, que c'est Dieu qui l'a troublé de visions de nuict (comme desia nous avons veu par ci devant) qu'il n'avoit point affaire aux hommes pour sentir seulement le mal de son corps, mais sur tout il falloit qu'il soustint les tentations comme si Dieu luy estoit contraire. Là dessus il conclud que son ame a esleu le licol: c'est à dire, qu'il souhaitoit la mort la plus miserable, qu'il eust mieux aimé estre pendu que d'estre en tel estat. Et comment? Voila une parole d'un homme desesperé. Or notons que Iob parlant ainsi, ne dit pas qu'il se soit là tenu, qu'il ait eu ce propos arresté en soy: mais seulement il proteste qu'en faisant comparaison de sa vie, avec la pire mort qui luy eust peu advenir, pour un temps il a esté là tellement accablé, qu'il ne regardoit point plus loin qu'à ce sentiment de la douleur qui Ie pressoit. Sur cela donc advisons que si

Dieu n'a point espargne son serviteur Iob, il pourra advenir que nous soyons tormentez comme luy. Il est vray que Dieu cognoissant nostre portee ne souffrira point que les tentations soyent si grandes comme elles ont esté en cest homme, lequel avoit receu plus de vertu du Sainct Esprit que nous: mais si faut-il que chacun soit visite de la main de Dieu: tellement que quelquefois nostre vie soit plus miserable que la mort d'un pendu. Il faut (di-ie) que nous en venions-là, et nous y faut estre du tout appareillez. Mais apprenons de nous munir de ce qui nous est remonstre en l'Escriture saincte, que nous aurons assez ample matiere de ioye quand nous croistrons et profiterons en Iesus Christ, tant à la mort qu'en la vie. Sommes-nous donc conioints à Iesus Christ? combien que nostre vie soit plus que miserable, si est-ce qu'elle nous tournera à profit: tellement que si nous avons des afflictions en ce monde, ce nous seront autant d'aides pour nostre salut. Quand donc il semblera que nous soyons du tout perdus, ne laissons pas pourtant d'invoquer nostre Dieu, esperans que non seulement il convertira toutes nos afflictions en ioye, et en gloire: mais qu'il continuera sa bonté sur nous iusques à ce qu'il nous la face sentir en toute perfection.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE VINGTNUEFIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE VII. CHAPITRE.

Ce Sermon contient le reste de l'exposition du verset 15 et ce qui s'ensuit.

16. Ie suis fasché, ie ne vivray point à tousiours: deporte toy de moy, car mes iours ne sont rien. 17. Qu'est-ce que l'homme, que tu le magnifies tant, que tu as le soin de luy? 18. Tu le visites de matin, tu Ie regardes à chacune minute. 19. Iusques à quand ne me laisseras-tu? tu me donneras terme d'avaller ma salive. 20. I'ay peché: que t'en feray-ie, ô garde des hommes? Pourquoy m'as-tu mis à l'opposite de toy, pour estre en charge à moy-mesme? 21. Pourquoy n'ostes-tu mon peché, et pourquoy ne pardonnes-tu mon iniquité? Car ie seray couché en la poudre, et si tu me cerches au matin, ie ne seray plus.

Iob poursuit ici le propos que nous touchasmes hier, c'est assavoir qu'il despite sa vie, non pas pour dire qu'il s'arreste resoluement en cela comme s'il ne goustoit nullement la bonté de Dieu pour s'y consoler: mais il regarde que c'est de sa vie cependant que Dieu luy tient telle rigueur. Et là dessus il conclud, qu'il vaudroit beaucoup mieux que Dieu le fist mourir, voire en quelque sorte que ce fust. Car nous avons desia dit, que quand les hommes ne regardent sinon à leur condition presente, ils peuvent estre tentez d'un tel despit qu'ils soyent là du tout confus, d'autant qu'ils sont plus que miserables: mesmes il semble que Dieu

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vueille exercer une rigueur speciale sur ses fideles, et qu'il les traitte en sorte qu'ils soyent plus affligez que ne Sont pas les meschans. Nous pourrions donc estre transportez d'un desespoir, pour nous fascher de nostre vie, et eslire la mort plustost. Il n'y a rien qui nous console, sinon quand nous savons qu'au milieu de nos miseres nous ne laissons pas d'estre aimez de Dieu, et qu'il aura pitié de nous en la fin, nous donnant salut et vie par le moyen de nostre Seigneur Iesus Christ. Sans cela, il est certain que nostre vie nous sera fascheuse et n'apportera qu'ennuy, voire iusques à nous despiter contre Dieu. Notons donc que Iob n'a ici voulu exprimer quelle estoit son affection sinon d'autant que Dieu l'a soustenu. Et voila pourquoy il adiouste maintenant, Qu'il est fasché, et qu'il ne vivra point tousiours, et que ses iours ne sont que vanité, et pourtant que Dieu se deporte: comme s'il disoit, Helas Seigneur, pourquoy me persecutes-tu? Tu vois ici un povre homme qui n'en peut plus, si tu ne regardes à luy: et de sa vie ce n'est rien, ce n'est que vanité. Pourquoy donc ne te deportes-tu de moy? C'est suyvant ce que nous avons desia veu n'agueres, assavoir, que Dieu ne doit point desployer sa force contre les hommes mortels et caduques, d'autant qu'ils ne sont point ne des rochers, ne des bestes tant robustes qu'il faille qu'il s'efforce ainsi à l'encontre d'eux. Iob donc conferme encores ce propos comme un homme qui est angoissé, et qui ne peut mettre fin à ses gemissemens.

Or avant parlé ainsi: il adiouste, Qu'est-ce que l'homme que tu le magnifies? qu'est-ce que tu le visites dés le matin, que tu te songnes de luy, que tu en as le soin si grand? Aucuns exposent ceste sentence, Qu'est-ce que l'homme, que tu le magnifies tant? que Iob a voulu ici Gomme reprocher à Dieu, qu'il nous esleve comme si nous estions des petis Rois, qu'il fait semblant d'avoir un soin paternel de nous, et de nous preferer à tontes creatures: et apres il nous abbat, comme on a ceste peincture de le roue de fortune. Voila donc comme aucuns prenent ce passage. Les autres estiment que Iob a voulu faire comparaison de luy avec tout le genre humain: comme s'il disoit, Helas Seigneur tu es si bon envers les hommes, que ta misericorde remplit toute la terre: il n'y a celui qui ne sente comme tu lui es pere, et que tu lui eslargis beaucoup de biens: il n'y a que moy seul à qui tu sois ainsi inhumain. Que veut dire cela ? Pourquoy ne serai-ie du rang des hommes ? Mais quand tout sera bien regardé, le sens naturel de Iob est de dire, Et Seigneur, pourquoy te fasches-tu ainsi contre les hommes? tu les prises trop Il ne parle poinct donc comme des benefices de Dieu: mais plustost que ce n'est pas une chose qui soit convenable

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à Dieu de se fascher contre les hommes. I Exemple: Si un grand Prince se faschoit contre un laboureur, il n'y auroit point d'honneur: Car on dira, Que ne se prend-il à son pareil? Il se fait un grand tort, quand il ne cognoist pas quel il est. Et mesme les orgueilleux de ce monde le sauront bien dire, Si celui-la estoit mon semblable, ie lui monstreroye que ie suis. Voila donc comme on en usera communement pour monstrer un signe de desdain. Si les hommes (qui ne sont que vers de terre) savent bien alleguer cela, que ce n'est pas chose decente, qu'ils s'attachent à ceux qui sont inferieurs de beaucoup: par plus forte raison, quand Dieu se vient ainsi adresser aux hommes, il semble qu'il les magnifie par trop. Car qui sont-ils ? quelle est leur condition? Dieu donc les devroit mespriser. Et bien, vous n'estes que des vers, vous n'estes que des vermines: et que ie m'aille attacher à vous pour y avoir combat? Cela seroit par trop deroguer à ma gloire et à ma maiesté. Voila donc ce que Iob a principalement entendu.

Et au reste, nous avons à noter, que ce passage ici n'est pas tel comme celui du Pseaume huitieme (v. 5), là oh il est dit, Seigneur, qu'est ce que de l'homme que tu le magnifies tant? Voila les propres mots qui sont ici contenus: mais c'est bien tout au rebours. Car David (en ce passage du Psaume que i'ai allegué) recognoist la bonté infinie de Dieu, de ce qu'il pense ainsi des creatures, qu'il en veut avoir le soin, qu'il les conduit, et gouverne. Si on regarde l homme en soy, voila une si povre creature qu'il semble bien que Dieu n'y doive point avoir d'esgard, et ietter là les yeux. Quand donc nous voyons que Dieu non seulement veut gouverner les hommes: mais qu'il les constitue par dessus toutes ses creatures: comme il en est là parlé, qu'il a fait servir à nostre usage et les bestes des champs, et les oiseaux du ciel, et les poissons de la mer: quand il a ainsi tout disposé pour nous servir, et pour subvenir à toutes nos necessitez, il semble que Dieu nous porte une telle amour, que tout ce qu'il a il nous le mette en nos mains, pour dire, Ie ne vous espargne rien. Voila donc la misere des hommes, et la povreté qui est en eux, qui donne plus grand lustre à la bonté et misericorde de Dieu, que si nous avions quelque chose qui l'incitast à nous bien faire. Voila le sens naturel de David. Et mesmes cela a esté accompli en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ. Car combien qu'il soit Fils unique de Dieu, si est-ce toutesfois que quant à sa nature humaine il a esté fils d'Abraham, il a esté d'une telle condition que nous sommes, excepté peché. Et ainsi donc quand nous voyons que Dieu l'a magnifié, pour lui donner en main toutes choses, à fin que nous recouvrions en luy

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ce que nous avons perdu en Adam, en cela Dieu a monstré les grans thresors et infinis de sa misericorde. Et de fait, Iesus Christ est le vray miroir de la grace de Dieu, laquelle puis apres est espandue sur tous ses membres. Et ainsi nous avons bien à l'exemple de David à exalter la bonté de Dieu, quand nous voyons qu'ayant commence en Adam et puis en Iesus Christ (par lequel tout ce qui estoit abbatu et perverti en Adam a esté reparé) auiourd'huy il continue à nous bien faire, et que nous sommes participans de toutes ses richesses: en cela nous avons bien dequoy nous esbahir, et dire, Helas Seigneur, qui sommes nous? que tu nous visites, que tu nous traittes si privément, que nous soyons comme tes enfans, que tu nous tienes comme en ton giron, que tu te monstres ainsi liberal envers nous? Voila comme nous en devons faire.

Mais icy Iob le prend tout à l'opposite. En quoy nous voyons quand les hommes sont desgoustez, que rien ne leur vient à propos: comme si un estomac estoit debiffé par maladie, les viandes qu'on luy presentera, les meilleures et les plus delicates n'auront nulle saveur: mais le faschent, et le provoquent quasi à vomissement. Ainsi en est-il de nous, que quand nous serons mal affectionnez, nous n'aurons point un iugement bien reglé, et droit, les graces de Dieu n'auront ny goust ny saveur envers nous. Y a-il rien qui nous doive plus inciter à aimer nostre Dieu, que quand nous cognoissons qu'il descend ainsi à nous, et qu'il nous appastelle (par maniere de dire) tout ainsi qu'une mere ses enfans, qu'il a ses ailes estendues pour nous recevoir, selon qu'il en parle au Cantique de Moyse ? Quand nous voyons un soin si familier que Dieu a de nous, n'est-ce point pour nous ravir en estonnement? ceste consideration ne nous doit-elle pas bien suffire? Or ceux qui sont faschez et angoissez, tant s'en faut qu'ils goustent cela pour en faire leur profit, qu'ils voudroyent que Dieu fust bien loin d'eux: comme nous voyons qu'il en est advenu à Iob, voire quant à son affection charnelle. Il n'y a nulle doute qu'il n'ait resisté à cela, qu'il n'ait eu patience, combien qu'elle fust secrette et cachee au dedans: mais il falloit aussi que sa passion se monstrast, quoy qu'il en fust, et Dieu l'a voulu ainsi humilier. Nous voyons donc comme lob tourne tout au rebours la providence de Dieu, qu'au lieu qu'il se devoit consoler et resiouyr en icelle, il voudroit que Dieu fust bien loin. Qu'est-ce que l'homme (dit-il) que tu le magnifies tant? Voire. Et si Dieu nous chastie quand nous avons failli, faut-il que pour cela nous disions qu'il nous esleve par trop, et qu'il nous fait tort? Ce n'est pas ainsi de luy comme des hommes mortels: car si un homme est

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offensé, il ne daignera pas se prendre a son inferieur: mais il s'adressera à son pareil. Et pourquoy? Car là il n'y a que vengeance. Mais si Dieu nous chastie pour les fautes que nous avons commises, ce n'est point pour se venger de nous, il ne regarde point à cela. Quoy donc ? Pour deux raisons: l'une est qu'il faut que nous le tenions pour Iuge en despit de nos dents, quand nous l'aurons mesprisé: l'autre, c'est qu'il ne veut point que nous perissions, il nous corrige à fin do nous retirer à soy, il nous exhorte à repentance par ce moyen-là. Nous ne dirons pas que ce soyent choses indecentes a Dieu de nous punir et d'approcher ainsi de nous à fin de nous reduire de nos fautes, à fin aussi de se monstrer nostre iuge, et que nous apprenions de luy estre subiets. Nous voyons donc quelle est l'ingratitude des hommes, quand ils renversent ainsi les biens que Dieu leur fait. Et au reste, cognoissons que si cela est advenu à Iob d'estre tenté comme s'il eust souhaité que Dieu se fust eslongné de luy, cependant une telle tentation nous pourroit bien advenir, non pas seulement pour nous esbranler, mais pour nous mettre en telle extremité, que nous serions du tout abbatus. Il faut donc qu'on advise de se munir, et que nous cognoissions (suyvant ce que nous avons declaré) que Dieu nous oblige tant et plus à luy, de ce qu'il daigne bien nous visiter, et faire comme le guet sur nostre vie, d'avoir un soin paternel de nous: que nous ne pouvons trop magnifier sa grace. Et mesmes quand il nous punit pour nos pechez, que nous sachions que ce n'est point que nous soyons dignes qu'il nous chastie, il n'y devroit pas mettre la main: mais nous laisser là pour tels que nous sommes. Dieu donc aux punitions qu'il envoye monstre encores sa bonté, et sa iustice. Et pourquoy? Car il convie par ce moyen les hommes à repentance: et puis il se fait sentir iuge pour les humilier: il les chastie à leur profit, sinon que leur ingratitude les empesche d'y profiter. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage

Quoy qu'il en soit, gardons-nous de dire à Dieu, Et qu'est ce que l'homme que tu le magnifies, ainsi que tu le visites de matin? Que nous ne soyons point marris si Dieu fait le guet sur tous nos pas: car c'est à faire à ceux qui voudroyent avoir la bride à l'abandon pour s'esgayer, afin que Dieu ne les chastiast pas. Mais si ainsi estoit, que gagnerions-nous? Prenons le cas que Dieu ferme les yeux, et qu'il nous laisse aller à travers champs, que nous soyons desbauchez et qu'il ne s'en soucie, que sera-ce de nous? Voila le diable qui en prendra possession, et serons sa proye iusques à ce qu'il nous ait menez en perdition. Ainsi donc sachons qu'il n'y a rien meilleur pour nostre salut, sinon

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que Dieu ait tousiours les yeux ouverts, qu'il contemple tout ce que nous faisons, mesmes qu'il sonde nos pensees, que nous ne remuyons point un doigt, que nous ne cheminions point un pas, qu'il ne note, et marque tout, sachans (di-ie) qu'il ne seroit pas profitable pour nostre salut qu'il en fist autrement. Voila ce que nous avons à recueillir de ce passage.

Or Iob adiouste quant et quant, Iusques à quand ne me laisseras tu, et te retireras-tu de moy, iusques à ce que i'aye avallé ma salive ? Ici Iob declare ses passions dont il estoit tenté. Cependant nous avons à retenir ce qui a esté dit ci dessus, c'est assavoir qu'il a tousiours senti quelque consolation, que Dieu ne l'a point delaissé du tout. Iob donc declare ici comme il estoit passionné selon la chair, afin que ses amis cognussent que ce n'estoit point sans cause qu'il faisoit de si grandes plaintes: et pour mieux exprimer l'angoisse où il estoit, il s'adresse à Dieu, voyant qu'il ne gagne rien do parler aux hommes. Mais tant y a qu'il n'a pas laisse de regarder les hommes, et par trop: car s'il se fust bien recueilli, et qu'il eust fait sa priere à Dieu, il est certain qu'il se fust porté plus paisiblement, il eust monstré un plus grand signe de foy et de patience. Qui est cause que Iob se despite ainsi, qu'il semble de prime face, qu'il soit un homme desesperé ? C'est qu'il regarde aux reproches qui luy sont faites, et il ne les peut porter pour passer outre à regarder à Dieu. Et c'est ce que nous avons dit par ci devant, que si les hommes nous vienent molester et picquer, qu'il ne faut point que nous ayons là nostre regard, que nous y iettions la veuë: mais voyans que Satan tasche à nous rendre confus par ce moyen, que nous venions droit à Dieu, que nous gemissions devant luy, et que nous soyons certaine qu'il nous fera mieux sentir que valent ses chastiemens: et que nous ne pourrions pas estre desbauchez comme si les hommes en estoyent l'obiect. Mais tant y a que Iob (en ce passage) a voulu exprimer mieux la vehemence de son affliction quand il convertit son propos à Dieu comme s'il disoit, Et bien, vous n'y entendez rien, ie voy que vous ne comprenez point ce combat spirituel auquel Dieu m'a mis, il faut donc que ie parle à celuy qui est mon iuge. Bref c'est autant comme si Iob disoit, Ce que ie di n'est point par feintise: mais c'est comme si Dieu estoit là.

Or il dit, comme auparavant il avoit touché que sa vie n'estoit que vanité, ainsi que Dieu se devoit deporter de luy, iusques à ce qu'il eust avallé sa salive, Gomme nous disons reprendre son haleine. Par ceci Iob signifie que Dieu le persecute trop rudement, et semble qu'il conteste contre Dieu comme il a fait ci dessus. Mais nous avons desia

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touche qu'il exprime les passions de sa chair. Et de fait quand Dieu fait grace aux hommes de se renger à luy, et de porter leurs croix et leurs afflictions en patience, ce n'est pas qu'ils soyent du tout impassibles, ce n'est pas qu'ils ne soyent esmeus et agitez quand on les fasche et qu'on les tourmente: mais c'est qu'ils vienent à la resolution qu'il faut qu'ils portent tout cola en patience, et qu'ils concluent, Si est-ce que mon Dieu sera le maistre, et qu'il faut me renger à luy et que i'acquiesce a sa bonne volonté. Mais quoy qu'il en soit' nul ne le peut faire sans combat. Iob donc exprime ici ses passions telles qu'il les sentoit, et cependant la grace de Dieu est là pour un temps comme ensevelie: non pas qu'elle fust du tout esteinte: car (comme nous avons dit) Dieu l'a soustenu. Mais ceci adviendra, que quand les premières passions se iettent aux fideles, ils seront transportez, par maniere de dire: tellement qu'il semble que Dieu ne les gouverne plus, qu'ils font les chevaux eschappez. Voire: mais c'est comme si un homme estoit sur un cheval: et bien voila un cheval qui rue, il fera ses efforts pour eschapper et courir à travers champs: mais puis apres l'homme qui sera adextre le saura bien domter, il le recueillira en bride, et le remettra en bon train. Ainsi donc en est-il que nous serons transportez souventesfois par nos passions qui sont trop violentes: mais ce n'est pas à dire, que Dieu nous laisse aller pourtant, plustost il nous recueille et nous retire à soy, comme nous verrons qu'il a besongné envers Iob. Or il est vray que nous pourrions bien alleguer à Dieu (comme il a esté declaré ci dessus) la fragilité de nostre vie, quand nous voudrons obtenir de luy quelque misericorde, et relasche. Mais Iob parle ici excessivement comme un homme qui est au bout de son sens, et qui ne sait à qui il se doit adresser. Chacun fidele dira bien, Seigneur, mes iours ne sont que vanité, une fumee: que tu ayes donc pitié de ceste creature tant miserable. Ceste requeste-là est bonne et saincte, et Dieu l'accepte, d'autant que nous sommes enseignez par son Sainct Esprit de parler ainsi. Mais Iob y procede d'une autre façon et style: comment? mes iours ne sont que vanité, et tu te viens ici adresser à moy? Tu ne me donnes pas loisir d'avaller ma salive: que ne te deportes-tu? Il luy semble que si la main de Dieu se retiroit, il auroit quelque relasche. Voire mais que sera-ce quand Dieu nous aura laissé? Et aurons-nous la vertu d'avaller nostre salive ? Comment pourrions-nous respirer, si le S. Esprit qui donne vigueur à toutes choses nous a delaissé ? Ne voyons-nous pas qu'il nous faut defaillir? Mais (comme i'ay desia declaré) Iob est un homme confus, qui ne regarde qu'à son mal. Et ceci nous sert d'une

IOB CHAP. VII.

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bonne admonition et bien utile. Car nous voyons que c'est d'estre pressez de nos passions, que nous perdons toute prudence et toute patience, et sommes eslourdis comme bestes brutes. Vray est qu'il ne nous le semblera pas: mais si nous regardons de loin quelles sont les passions des hommes, nous trouverons qu'elles nous rendent tous stupides, que nous n'avons aucune cognoissance: et alors nous n'avons garde d'estre iuges competens et aussi voit-on au besoin que tous nos sens sont esperdus. Mesmes qu'un chacun regarde, quand un homme est agite de passions vehementes, ou bien que nous pensions comme nous en sommes si Dieu nous presse de quelque mal, qui nous soit trop rude: nous sommes la amortis que nous n'avons point le courage d'invoquer Dieu: nous ne pouvons mediter les promesses qui sont contenues en l'Escriture saincte: et alors quel remede y a-il en nos maux? Or (comme i'ay dit) il y a une telle impetuosité en nos passions, que si Dieu ne dominoit par dessus, voire d'une vertu admirable de son S. Esprit, tellement que nous cognoissions sa maiesté en cela' et qu'il y a plus que de l'homme, il est certain que ce seroit pour mesler et confondre ciel et terre à chacun coup. Mais tant y a (comme desia nous avons touché) que Iob a bien eu une autre consideration en soy' entant que l'Esprit de Dieu estoit en luy: mais il n'est question que de prendre l'homme en son pur nature], et de prendre sa passion telle qu'elle est selon la chair, quand Dieu n'y remedie point selon la grace de son sainct Esprit. Retire-toy de moy (dit Iob). Et quo deviendrons - nous si Dieu nous delaisse, que nous demourions sans son assistence et aide? C'est en luy que nous sommes, et que nous avons vie, et mouvement comme l'Escriture en parle, et aussi comme nous le voyons par experience. Pouvons-nous bien avaller nostre salive, quand Dieu nous aura abandonnez? c'est bien à propos: comme s'il y avoit plus de vertu en nous, qu'aux Anges du ciel. Car si Dieu les laissoit - là, que deviendroyent - ils ? Voila des creatures immortelles' qui approchent desia de la gloire celeste, et contemplent ceste maiesté divine, qui neantmoins s'esvanouyront et seront reduites à neant si Dieu s'en retire: et nous qui sommes pleins de corruption, pourrons-nous avoir plus grande vigueur ? Apprenons donc cependant que Dieu nous donne quelque loisir, de penser à nos infirmitez lesquelles sont si excessives en nous, de cognoistre qu'il n'y a rien meilleur que Dieu nous visite, qu'il nous regarde et qu'il dispose de nous: autrement que nous defaudrons à chacune minute. Voila ce que nous avons à noter de ce passage. Or il est certain qu'en la personne d'un homme fidele, et en la personne d'un homme patient Dieu nous a voulu donner un miroir de

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nos affections excessives afin que nous y prenions garde, afin que nous cerchions de sentir le secours et allegement qui nous est ici monstré. Et comment le sentirons-nous? Il n'y a meilleur moyen que d'invoquer celuy qui a toute vertu en soy à ce qu'il nous retiene et ne permette pas que nous defaillions, quand nous serions ainsi chastiez de sa main.

Or il adiouste quant et quant, l'ay peché: que te feray-ie, ô gardien des hommes? Ceci est exposé par aucuns, comme si Iob disputoit contre Dieu: ie ne puis autre chose que pecher, pourquoy m'as-tu fait tel? Si tu es gardien des hommes, pourquoy est-ce que tu me damnes ainsi quand il est en toy de me sauver? Mais on peut bien voir que ce n'est pas le sens naturel: et ceux-là n'ont iamais cognu l'intention du sainct Esprit quant à ce passage: et aussi ils ont mal regardé ce qui nous est testifie de Iob, qu'il a esté patient, quoy qu'il en fust. Qu'est-ce donc que Iob a entendu? C'est comme s'il disoit, Et bien, ie confesse ma faute, et ne puis pas eschapper le iugement de Dieu. Pourquoy? Il est garde des hommes. Or ce mot de Garde a esté mal exposé: car on l'a prins pour celuy qui conserve le genre humain, l'ayant en sa protection. Il est certain que Iob a voulu dire (comme aussi le translateur Grec a bien observé: ce qui ne luy advient pas souvent) que Dieu nous guette, qu'il veille sur nous, qu'il cognoist tout, comme si on veilloit quelqu'un pour espier et pour observer tout ce qu'il fait et dit. Voila donc en quel sens Iob attribue ce titre à Dieu, qu'il est garde des hommes. Il est vray que Dieu nous conserve bien qu'il nous a en sa main, que nostre vie subsiste par luy: mais cela n'empesche pas qu'il ne soit appellé garde: d'autant qu'il voit et contemple tout, et que nous ne pouvons pas nous cacher de luy: selon que toute l'Escriture en parle, Qu'il sonde les hommes, qu'il cognoist les pensees, qu'il descouvre toutes choses, que rien ne luy est caché de toute nostre vie. Et que Iob l'ait ainsi entendu, il appert, car pourquoy et à quel propos dit-il, Que te feray-ie? sinon d'autant qu'il faut qu'il passe condamnation? Seigneur (dit-il) ie ne puis point rien gaigner envers toy par subterfuges, ie confesse la lette, i'ay peché: mais cependant que te feray-ie? Car il faut que ie passe par là: et toy que ne me laisses-tu ? Encores que tu voyes ici une povre creature abbatue, qui n'a ne force ne vertu, neantmoins tu poursuis tousiours ta rigueur. Ie confesse que ie te suis redevable, et tu me tiens encores à la torture comme s'il y avoit un iuge qui tinst un malfaicteur à la torture, et qu'il luy dist, Tu me declareras ton forfait, et que le malfaicteur respondit, Ouy i'ay commis un tel meurtre, voire et deux et trois et tels sont mes complices Ai le iuge apres

SERMON XXIX

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une telle confession, le tenoit encores à la torture, à quel propos? Voici donc le semblable quant à Iob. Et bien (dit-il) Seigneur, i'ay peché, il ne faut plus que tu me tourmentes, que tu me gehennes pour me faire confesser mes fautes. Car puis que ie t'ay confessé la dette, pourquoy me persecutes-tu? Tu es garde des hommes, tu cognois tout: s'il falloit que tu t'enquestasses maintenant de ce qui te seroit cache, et bien, tu pourrois dire, Ie te tiendray là, iusques à tant que ie viene à savoir toutes tes fautes. Et tu les cognois (dit-il) tu es garde des hommes: que si les hommes ne se cognoissent point, neantmoins tu sais quels ils sont: puis qu'ainsi est donc, pourquoy ne retires-tu ta main arriere de moy, sans plus me presser en telle sorte? Voila donc le vray sens naturel de ce passage. Or ici nous voyons comme les hommes en sont, quand ils veulent mesurer la iustice de Dieu selon leur sens, et leur apprehension: c'est qu'il leur semblera tous les coups que Dieu passe mesure, et qu'il use de trop grande rigueur. Encores que nostre intention ne soit pas de l'accuser à pleine bouche de cruauté: si est-ce que nous ne laissons pas de nous fascher, et despiter contre luy, comme Iob a esté tenté de ce faire. Que faut-il donc? Cognoissons que Dieu est garde des hommes: c'est à dire, que nous sommes ici sous son regard, que nous aurons beau prendre des couleurs, et cachettes devant les hommes, toutes nos hypocrisies ne pourront pas faire que Dieu ne contemple, et ne. discerne tout, iusques à nos pensees. Qu'est-ce qu'a gaigné nostre pere Adam, quand il s'est couvert de fueilles, estant adiourne devant Dieu? Il faut qu'il comparoisse en despit de ses dents, et que son peché luy soit là proposé. Ainsi donc, notons que les registres de Dieu sont pleins de toutes nos oeuvres, de nos paroles, de nos pensees: et combien que maintenant nous ne lisions point nos procez comme ils sont formez, si est-ce que ce passage de Daniel (7, 10) sera accompli, que quand le iugement sera establi les livres seront ouverts.

Voila donc ce que nous avons à noter en premier lieu, que Dieu est garde des hommes: que nous nous pourrons bien ietter ici bas pour nous laisser aller comme des grenouilles en confus, que nous serons comme rats en paille, ainsi qu'on dit: que toutes choses selon les hommes seront confuses: mais si est-ce que Dieu note et marque tout. Et ainsi cognoissans cela, que nous apprenions de cheminer en crainte et en solicitude: puis qu'ainsi est que nostre Dieu nous regarde, cheminons comme devant luy. Or si nous avions ceste doctrine bien imprimee en nos coeurs, il est certain qu'il y auroit une autre solicitude qu'il n'y a pas. Nous avons honte des hommes, tellement que nous ne

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ferons pas nos vilenies en plein iour, ou en pleine rue. Et pourquoy? L'oeil d'un homme nous empesche. Et voila Dieu et ses Anges qui sont tesmoins do nostre vie, cela ne nous doit-il pas faire cheminer en plus grande crainte beaucoup? Ceste cognoissance donc nous doit retenir, à ce que nous ne cuidions point que nos iniquitez doivent demourer impunies: mais puis que Dieu les cognoit, qu'il en fera aussi le iugement. Car il ne se gouverne pas selon l'ordre commun des hommes: il a d'autres yeux que nous n'avons point: encores que nous ayons confessé nos fautes, il cognoit ce qui est caché au dedans, et ce qui nous est mesmes incognu. Quand un malfaicteur aura cognu ses crimes, et ses malefices devant un Iuge terrien, on ne demande plus rien de luy: mais Dieu est Iuge spirituel, qui nous veut amener à une cognoissance interieure de nos pechez. Ce n'est point donc le tout que nous disions, I'ay peché: mais il faut que nous condamnions le peché en nous, voire en telle sorte qu'un chacun de nous soit son iuge, et apprenne à detester le peché: comme aussi voila pourquoy Dieu nous tient là enserrez, que nous languissons quelquefois comme povres gens desesperez. Voila pourquoy il nous examine: c'est afin qu'un chacun de nous se cognoisse, non seulement pour dire, Et voila ie sen bien que ie suis pecheur: mais que nous ayons un sentiment vif de DOS fautes, pour estre plus que confus devant luy.

Or finalement Iob dit, Pourquoy est-ce que tu m'as mis contraire à toy? pourquoy n'ostes-tu mon iniquité? pourquoy ne pardonnes-tu mon peché? Car ie suis en la poudre, et si tu me cerches ie ne seray plus. Ici Iob retourne au propos qu'il avoit entamé par ci devant: c'est qu'il voudroit seulement avoir quelques treves et relasche, iusqu'à ce qu'il ait avallé sa salive. Maintenant donc il dit, Pourquoy m'as-tu mis contraire à toy? cest à dire comme un blanc auquel on tire. Car il voudroit bien que Dieu le laissast pour tel qu'il est: comme s'il disoit, Et qui suis-ie? et à qui te prens-tu? car ie suis un povre ver de terre, et tu me mets comme un blanc pour tirer à l'encontre. Et faut-il que tu experimentes tes forces en moy? comme il le dira encores puis apres. Car ceste complainte retourne et est souventesfois faicte de Iob. Il est vray que quand Dieu nous met à l'opposite de luy, nous ne pouvons pas soustenir une telle vehemence: mais cependant si ne faut-il pas que nous soyons eslongnez de luy. Car si tost que Dieu nous tournera le dos, il ne se pourra faire quo nous ne defaillions. Voulons nous donc persister, et demourer en estat? Le moyen est, que Dieu ne nous tourne point le dos, que nous luy soyons là comme un blanc, qu'il frappe sur nous tant qu'il luy plaira: voire moyennant qu'il nous adoucisse la douleur des playes qu'il

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aura faites, nous faisant sentir sa bonté: que nous cognoissions qu'au milieu de son ire il n'a point oublié sa misericorde, comme il en est parlé au Cantique d'Habacuc (3, 2). Voila donc pourquoy ceste passion de Iob nous est proposee: c'est afin que nous apprenions de ne point requerir à Dieu qu'il nous laisse pour tels que nous sommes: car autrement nous irions en abysme, et en perdition. Mais prions Dieu quand il nous chastie, et punit, que nous ne facions point des esgarez pour penser eschapper de sa main, que nous apprestions le dos pour recevoir les coups, moyennant qu'il noua donne la vertu de porter patiemment toutes ses corrections. Et sur cela aussi, qu'il nous face gouster sa misericorde, afin de n'estre point destituez de consolation au milieu de nos afflictions. Il est vray qu'il nous faut confesser (suivant ce que dit ici lob) que si Dieu nous regarde du soir au matin, nous ne serons plus: voire s'il nous destitue de sa grace; et qu'il nous abandonne en nous regardant: mais quand nous retournerons à luy d'une bonne affection, nous sentirons qu'il nous sera tousiours prochain et qu'il ne nous defaudra point, que nous ne soyns tousiours assistez de luy, voire iusques à ce qu'il nous ait recueillis en sa gloire celeste, afin que noua persistions à iamais avec luy.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE TRENTIESME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE VIII. CHAPITRE.

1. Baldad Subite respondant, dit, 2. Iusques à quand tiendras-tu tels propos? les paroles de ta bouche sont comme un vent vehement. 3. Dieu pervertira-il la iustice? Le Tout-puissant abolira-il la droiture? 4. Tes fils ont peché, et il les a fait venir au lieu de leurs malefices. 5. Mais si tu retournes de matin à Dieu, et que tu supplies le Tout-puissant: 6. Si tu es pur et droit, il se resveillera à toy, et rendra l'habitacle de ta iustice paisible.

Pour bien faire nostre profit de ce qui est contenu en ce present chapitre, il nous doit souvenir de ce que desia nous avons declaré: c'est assavoir, que les amis de Iob demenans une mauvaise cause, ont toutesfois bons argumens et bonnes raisons. Vray est qu'ils les appliquent mal: mais cependant la doctrine en soy est saincte et utile. Ainsi quand nous prendrons en general ce qui est dit ici, nous trouverons de bonnes sentences. Et de fait, voila le principal à quoy pretend Baldad, c'est qu'il veut maintenir que Dieu est iuste en punissant les hommes, et qu'il n'y a nulle occasion de l'accuser. Or sans contredit, toute ceste doctrine-la non seulement est bonne, mais c'est l'un des principaux articles de nostre foy: il n'y a faute, sinon d'autant que Baldad veut appliquer son propos à la personne de lob. Car comme desia nous avons veu, l'intention du sainct personnage n'estoit point d'accuser Dieu, ne de s'eslever contre luy: il se plaignoit, que le mal qu'il avoit enduré, estoit

trop grief et pesant pour luy, attendu sa foiblesse: mais si no laisse-il pas pour cela à glorifier Dieu. Et ainsi notons que Baldad a eu mauvaise cause: mais cependant ce qu'il propose ici est bon et iuste, et nous le faut recevoir, pource qu'il est propre pour nostre edification. Comme quand il dit, que ceux qui plaident ainsi contre Dieu, iettent comme le vent en l'air. Il est vray qu'il nous faut laisser la personne de Iob, comme desia nous avons dit: mais prenons en general ce qui est ici contenu. Nous oyons comme les meschans et incredules desgorgent leurs blasphemes, quand ils detractent do la iustice de Dieu il semble qu'ils doivent tonner ou foudroyer. Mais quoy? Toutes leurs paroles ne sont que vent, cela s'escoule: et ils ne peuvent point parvenir si haut comme la maiesté de Dieu se monstre en cela. Et ainsi de ce passage nous avons à noter en premier lieu, qu'il faut quand nous oyons ces blasphemes contre Dieu, que nous ne soyons point estonnez pour cela, que tousiours nous ne le glorifions. Car il demeure en son entier, les hommes ne pourront en rien diminuer sa maiesté, combien qu'ils mesdisent de luy à pleine bouche. c'est autant de vent, et autant de vanité. Voila quant au premier. Pour le second, qu'un chacun de nous apprene de parler de Dieu sobrement, et avec toute reverence et humilité: que nous ne iettons pas un tel vent comme il en est ici fait mention. Car combien que nous ne sachions preudicier à Dieu en façon que ce soit, si ne

SERMON XXX

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laissera-il point de prendre vengeance de ceux qui taschent de s'eslever ainsi contre luy, qui iettent paroles d'orgueil et de presomption. Que faut-il donc? Quand nous aurons conceu en nos coeurs ce que l'Escriture nous apprend, cela nous tiendra en vraye fermeté: et puis quand nous parlerons selon la mesure de nostre foy, alors nous ne ietterons point de belles bouffees seulement, mais Dieu sera exalté, et magnifié en tous nos propos.

Or venons maintenant a ce qui est dit pour le principal, Dieu pervertira-il le iugement et droiture? Le Tout-puissant subvertira-il la iustice? Ici nous sommes admonestez d'attribuer à Dieu cest honneur, qu'il est la fontaine de toute equité et droiture, et qu'il est impossible qu'il face rien, qui ne soit bon et iuste. Aucuns attribuent bien à Dieu toute puissance: mais cependant ils ne le cognoissent pas iuste comme ils doivent. Car il ne nous faut point separer l'un d'avec l'autre: nous ne devons point imaginer qu'en Dieu il y ait des choses qui se puissent diviser l'une d'avec l'autre. Vray est qu'il nous faut bien distinguer entre la sagesse, et bonté, et iustice, et puissance de Dieu: mais tant y a que selon qu'il est Dieu, il faut que toutes ces choses soyent en luy, et qu'elles soyent comme de son essence. Gardons nous bien donc d'imaginer une puissance absoluë en Dieu, comme s'il gouvernoit le monde ainsi qu'un tyran, qu'il usast d'excez ou de cruauté: mais sachons qu'en ayant tout sous sa main, ayant un pouvoir infini faisant toutes choses: neantmoins il ne laisse point d'estre iuste. Or il est vray que ceste iustice de Dieu nous est cachée en partie, que nous ne la comprenons pas: mais autant en est-il de sa puissance. Et qu'ainsi soit, la pouvons-nous mesurer en nos sens ou. en nos esprits? Il est certain que non. Et ainsi donc quand il nous est parlé de la iustice de Dieu, Dotons qu'encores qu'elle ne nous soit pas pleinement cognue et patente, qu'il nous la faut adorer. Il est dit que ses conseils sont un abysme: il est dit, qu'il habite une clarté inaccessible, que nous ne pouvons pas atteindre si haut que de savoir ce qui est en luy. Mais tant y a qu'il nous faut estre resolus, que le propre et le naturel de Dieu est, de faire tout en toute integrité, qu'il n'y ait que redire. Nous voyons donc maintenant comment c'est qu'il nous faut concevoir Dieu. Quand les gens prophanes en parlent, il est vray qu'ils diront bien que Dieu est souverain Createur du monde: mais cependant ils ne cognoissent point ce qui luy est propre, et comme il se veut manifester a nous, c'est assavoir en sa iustice, et en sa bonté, et sagesse, et en toutes choses où nous pouvons prendre goust pour l'aimer, et pour l'honorer, et le servir. Et c'est le principal où il nous faut estre attentifs que cela. Car qu'aurons

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nous gaigné, quand nous aurons cognu subtilement que c'est de l'essence de Dieu et de sa maiesté glorieuse, et cependant que nous ne comprendrons pas ce que nous devons sentir de luy par experience, et ce qu'il nous declare? comme quand il est dit qu'il habite en nous, et que nous vivons en luy et y avons nostre estre et mouvement, que sa misericorde remplit toutes choses, que nous sommes soustenus par sa bonté, que nous avons de clarté autant qu'il nous en donne, et non plus, que c'est à luy de remedier à toutes nos corruptions, que nous ne pouvons avoir un seul grain, ne goutte de iustice, sinon d'autant que nous la puisons de luy qui en est la fontaine. Si donc nous n'avons ces choses cognues, que nous profitera-il de savoir qu'il y a un Dieu qui contient toutes choses, et d'avoir quelque apprehension de sa maiesté? Parquoy d'autant plus donc nous faut-il bien noter ce qui est ici dit c'est assavoir que nous tenions pour un principe tout conclud, que la nature de Dieu est iuste, et qu'il n'est non plus possible qu'il se destourne de droiture et equité, que de dire qu'il renonce à son essence, et qu'il ne soit plus Dieu. Car ce n'est pas une absurdité moindre de dire, que Dieu fait quelque chose sans propos, que do dire qu'il ne soit point, ou que son essence soit amoindrie. Et voila aussi comme sainct Paul argue au 3. des Romains, quand il amene ce blaspheme qui se pouvoit esmouvoir contre la doctrine qu'il portoit: comme les hommes sont tousiours pleins de venin pour mesdire de la pure verité de Dieu, et pour se rebecquer à l'encontre, et faire leurs repliques. Sainct Paul donc dit (Rom. 3, 5, 6), Dieu est-il iniuste ? Hais comment seroit-il possible, que celuy auquel il appartient de iuger le monde ne garde toute iustice? Il monstre là par ce mot de Iuger qu'il faut que nous soyons tous persuadez que Dieu a en, telle recommandation la droiture, que tout ce qu'il fait et tout ce qui procede de luy est compassé à ceste regle-la. Nous voyons donc que ceste sentence de sainct Paul respond à ceci. Car sous ce mot de Dieu Baldad comprend la iustice, et droiture, et puis encores sous le mot de Tout-puissant: c'est comme s'il disoit, Pouvons-nous despouiller Dieu de ce qui est tellement conioinct à son essence, qu'il ne se peut separer aucunement? Ce seroit l'aneantir et l'arracher de son siege, et le reduire à neant, quand on voudra plaider contre luy, comme s'il n'estoit point iuste. Sainct Paul au lieu de prendre simplement ce nom de Dieu, ou d'y conioindre le titre do Tout-puissant, amene l'office: assavoir Dieu est Iuge du monde. Or il n'est point Iuge à la façon de ceux qui sont corrompus, comme on voit les hommes mortels qui seront bien eslevés en estat et au cependant authorité et cependant ils en abuseront souventes

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fois: mais ce n'est pas ainsi de Dieu. Et pourquoy? Ce qu'il est Iuge du monde n'est point par acquisition, ou qu'il ait esté esleu à l'adventure, et qu'il ait brigue son office, ou qu'il l'ait acheté: mais de nature cela luy compete, il n'est pas Dieu sinon qu'il soit iuge quant et quant. Puis qu'ainsi est donc, ne concevons rien de luy sinon toute droiture, sachans bien que sa volonté en est la regle souveraine. Au reste (comme i'ay dit) ceste iustice ne nous peut pas estre notoire, que nous puissions en dechiffrer ce qui en est, tellement que quand Dieu besongnera, nous voyons la raison pourquoy. Et de fait, il no faut pas qu'il nous soit subiet, et que nous le vueillons assubiettir à nostre mesure. Quand donc nous ne trouverons point ce qu'il fait estre bon, ou sera-ce aller? quelle arrogance sera-ce aux creatures mortelles, aux povres vers de terre, quand ils voudront contraindre Dieu de leur faire savoir ce qui est de ses oeuvres, et sur cela prononcer? Mais tout aucontraire, combien que Dieu nous cache la raison de ce qu'il fait, et que nous trouvions ses oeuvres estranges, que selon nostre sens il nous semble que noue ayons dequoy plaider contre luy: toutesfois il nous faut adorer ses iugemens incomprehensibles et secrets, en recueillant tous nos esprits en ceste humilité pour dire, Voici il est vray que maintenant ceci nous semble tout contraire à toute raison

mais quoy? nous ne gaignerons pas nostre cause contre Dieu: et puis sans avoir autre replicque, il nous faut tenir ceste conclusion-la, qu'il est iuste. D'autant donc que maintenant nous ne voyons qu'en partie, voire comme en un miroir, et par obscurité: attendons le iour que nous puissions contempler face à face la gloire do Dieu: et alors nous comprendrons ce qui nous est maintenant caché.

Voila donc comme Dieu veut exercer nostre foy, c'est que nous confessions sa iustice estre telle qu'on ne sauroit qu'y redire Di mordre à l'encontre que nous confessions, di-ie, cela, combien que nous ne l'apercevions pas, et que nous n'en ayons point une cognoissance pleine, et qu'un chacun ait sa raison pour disputer avec Dieu, pourquoy il le fait ainsi. Combien donc que nous ne voyons point Ces choses à l'oeil, si faut-il que nous ayons ceste humilité d'attribuer à Dieu ce qui luy appartient. Que si nous en faisons autrement, c'est comme si nous voulions aneantir (en tant qu'en nous est) son essence immortelle. Or quand nous aurons ceci bien imprimé en nos coeurs, ce sera desia un bon commencement pour nous assubiettir à la main de Dieu, tellement que combien qu'il nous afflige, et traite plus rudement que nous no voudrions, toutesfois nous serons patiens en nos adversitez. Pourquoy? Car celuy qui se despite

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s'il endure du mal, il faut qu'il sache que c'est s'eslever contre Dieu: et il ne peut point 8e fascher contre Dieu, qu'il ne resiste à toute droiture et equité. Et quelle sera l'issue d'une telle cause sinon confusion et ruine ? Voila donc une bridé pour nous retenir en patience, ceste cognoissance que nous devons avoir de la iustice de Dieu. Car nous bataillons à nostre perdition, resistans ainsi à toute droiture, et quand nous-nous faschons en Dos adversitez, nous faisons la guerre à Dieu, et voulons pervertir sa iustice cotant qu'en nous cet. Toutesfois si est-ce qu'il nous faut passer outre pour estre bien patiens. Et pourquoy? D'autant que nous ne laisserons pas d'estre solicitez à desespoir, combien que nous ayons cognu la iustice de Dieu. Voila un povre pecheur qui se sentira pressé iusqu'au bout: et bien, il confessera (voire sans feintise) que Dieu est iuste en le punissant: mais il luy semble qu'il doit perir, et qu'il n'y a plus de remission en son cas. Voila donc comme celuy qui sera visité de la main de Dieu pourra tomber en desespoir, combien qu'il recognoisse que Dieu est iuste. Et de fait, nous voyons ce qui est advenu a Iob. Vray est qu'il n'a pas esté destitue du tout de patience: mais il n'a pas laissé d'estre tormenté d'horribles passions, comme desia nous avons veu, et verrons ci apres. Or il est vray qu'il n'a point esté en doute que Dieu ne fust iuste, mais il regarde son infirmité: Seigneur, ie suis tant fragile, et neantmoins tu desployes ta vertu contre moy: et que suis-ie? Il semble que tu vueilles ici foudroyer contre une petite creature qui est moindre qu'un ver. Voila donc de quoy Iob se trouve fasché, et angoissé, c'est qu'il ne peut gouster (du premier coup) que Dieu luy assiste au milieu de sa rigueur: et puis, qu'il luy donnera bonne issue et heureuse moyennant qu'il l'attende. Vray est que Iob a bien quelque sentiment de cela: mais si est-ce qu'il est si troublé de tristesse qu'il ne peut pas du premier coup se resoudre et se despouiller. Voila donc comme Iob est impatient en partie: combien qu'il nous soit proposé pour un miroir de patience: si est-ce toutesfois que ses afflictions sont si vehementes qu'il s'escoule: la raison? C'est qu'il n'a point une telle saveur du soin paternel que Dieu a de lui, comme il est requis. Pour ceste cause, i'ay dit que de cognoistre la iustice de Dieu 7 et d'en estre bien persuadé, c'est pour nous induire à patience: mais il faut que nous ayons un autre second article, c'est assavoir, que nous concevions tousiours, que Dieu en nous affligeant ne laisse pas de nous aimer: voire, et qu'il procurera nostre salut, de quelque rigueur qu'il use envers nous: que toutes nos afflictions seront adoucies par sa grace, et qu'il y donnera une issue desirable.

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Or apres quo Baldad a ainsi parle, il adiouste, Tes enfans ont peché, et Dieu les a envoyez au lieu de leur iniquité: mais si tu retournes de matin à luy il se resveillera vers toy, ou il fera revenir le bien Et par cela il signifie, que Dieu a mis à Iob devant ses yeux un beau miroir, afin qu'il ne s'esleve plus, et qu'il ne face point du cheval eschappé, veu que ceux qui sont ainsi rebelles à Dieu demeurent confus, et qu'il faut qu'ils soyent abysmez du tout. Pour le second il y a une promesse, que Dieu encores l'attend, et qu'il le veut retirer à penitence et que cependant que le temps opportun y est, ii se doit haster. Voila donc les deux poincts gui sont ici couchez par Baldad. Or nous avons desia dit que cela s'applique mal à la personne de Iob. Pourquoy ? C'est une mauvaise cause bien demenée. Prenons doue ceci pour une doctrine generale, afin qu'un chacun (en son degré) et selon sa necessité l'applique à soy. Il est dit ici que Dieu punit ceux qui luy sont rebelles: et par cela il nous veut humilier, afin que nous ne laschions point la bride à l'infirmité de nostre chair, comme nous sommes pleins de licence. Quand il est question de nous despiter contre Dieu, nous en faisons moins de difficulté, que si nous-nous dressions contre quelqu'un qui fust nostre inferieur, ou nostre egal. Voila (di-ie) l'audace diabolique qui regne par tout le monde: c'est que celuy qui craindra une creature mortelle, et ne la voudra point offenser, despitera Dieu hardiment, et sans scrupule. Et pourtant retenons bien ceste leçon qui nous est ici monstrée: c'est assavoir, que toutes fois et quantes, que Dieu punit les meschans, qu'il fait quelque acte d'une horrible vengeance, c'est afin que nous baissions tous la teste, que grans et petis ayent la bouche close, que nous ne presumions plus de venir faire nos procez contre Dieu: mais que nous sachions qu'autant nous en adviendra-il, qu'à ceux que nous voyons ainsi perir, si nous les ensuivons. Et voila pourquoy il est dit en l'Escriture, que Dieu faisant son iugement il apprendra les hommes de iustice. Le Prophete Isaie (26, 9) par cela monstre que cependant que les pechez demeurent impunis, les hommes s'endurcissent, et s'esgayent là dessus: il leur semble qu'ils sont eschappez de la main du iuge: bref il n'y a plus nulle crainte ni modestie qui soit: mais si tost que Dieu s'assied en son siege, et qu'il monstre des exemples do son iugement nous sommes entonnés, nous concevons une telle frayeur que nous sommes abbatus sous luy, et cela est pour nous reduire.

Voila donc comme les iugemens que Dieu exerce sur les meschans nous doivent servir d'instruction, afin qu'un chacun se ronge sous sa main. Et c'est ce qui est dit aussi bien en ce passage.

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Vray est que nous ne devons pas determiner si les enfans de Iob ont esté reprouvés ou non: et mesmes il y a plus de verisimilitude, que Dieu leur ait envoyé seulement une punition temporelle, pour sauver les ames à iamais. Car nous avons veu ci dessus la concorde qui estoit entre eux: l'Escriture ne nous en parle point comme des enfans d'Eli. D'autrepart nous avons veu que Iob faisoit sacrifices solennels quand le tour estoit accompli de leurs bancquets: et n'y a nulle doute (comme il a esté declaré) qu'ils ne fussent exhortez à demander pardon à Dieu et qu'ils ne se conioignissent à leur pere en cest acte-la. Ainsi doue nous ne pouvons pas prononcer des enfans de Iob qu'il ayent esté reprouvez: et nous savons que Dieu quelques fois par un moyen violent ostera de ce monde ici les premiers ceux qu'il a esleus et ordonnez à salut, et les traitera en telle façon que le chastiement qu'il leur envoye leur sera converti à salut. Ainsi il faut que les corps perissent pour un temps, afin que leurs ames soyent sauvées eternellement. Il en peut donc estre autant advenu aux enfans de Iob. Mais (comme i'ay desia dit) il ne faut point que nous regardions ici les personnes: il nous faut seulement recevoir la doctrine: c'est assavoir, que toutes fois et quantes quo Dieu desploye son bras pour punir les pechez du monde, il n'y a celuy do nous qui ne doive trembler: et quand nous aurions este auparavant debauches, que le diable nous auroit comme eslourdis, qu'il nous auroit transportés çà et là, qu'il faut alors que nous recourions à Dieu, que nous sachions qu'aux despens d'autrui il nous chastie, et qu'il nous fait là contempler et comme sentir son ire combien elle est horrible sur tous ceux qui s'eslevent ainsi pour luy resister. Et voila pourquoy sainct Paul s'adressant aux fideles, leur dit (Ephes. 5, 6), Quo nul ne vous trompe par vaines paroles: car l'ire de Dieu pour ces choses a accoustumé de venir sur les incredules. Il est vray que les hommes se flateront en desguisant leurs pechez, comme nous voyons que ces broquars diaboliques courent encores auiourd'huy, ainsi que de ce temps là, que si on parle de paillardise on en fera un peché naturel, O cela est de nature: si on parle d'yvrongnerie, Et Dieu donne-il Le vin qu'il ne vueille qu'on s'en resiouisse? Voila donc comme les hommes s'abrutissent et desgorgent leurs blasphemes contre Dieu, qu'ils ne cerchent sinon quelques subterfuges afin de se flater en leurs fautes et iniquités. Or pour ceste cause sainct Paul dit, Mes amis qu'on ne vous deçoive point par ces propos ainsi profanes. Il ne dit point, Car l'ire de Dieu viendra sur vous, vous eu serez abysmés: mais il dit, Cognoissez ce que Dieu vous monstre, vous avez de si beaux miroirs. Toutes fois et quantes que Dieu chastie et les paillards,

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et les incredules, les desobeissans, et les rebelles, et toutes telles gens, il vous veut monstrer que nul mal ne demeure impuni. Ainsi donc prevenez sa vengeance, n'attendez pas qu'il se rue sur vous: mais faites vostre profit des instructions qu'il vous donne de loin. Voila donc quant à ceste sentence où la correction que Dieu avoit envoyée nous est mise en avant, afin quo nous sachions que Dieu envoye tous les rebelles au lieu de leur iniquité.

Or il est vray qu'il s'en trouvera de si sots et enragez qui voudront maintenir la cause des meschans à l'encontre de Dieu: mais apprenons, si tost que Dieu aura mis la main sur ses creatures, de confesser qu'il est iuste, encores que nous ne sachions point, pourquoy c'est qu'il le fait. Et c'est suyvant ce que nous avons declaré plus à plein, que s'il y a des pechez notoires qui soyent punis devant nos yeux, que nous sachions, Or Dieu nous advertit, il nous met cela au devant comme des peinctures vives, ainsi que S. Paul en parle au 10. de la premiere aux Corinthiens (v. 6): que si nous voyons un homme qui soit plein de blasphemes, un contempteur de Dieu, qui ne vueille nullement porter ne ioug ne discipline: bref qu'il soit du tout incorrigible: si nous voyons quelque homme profane, quelque paillard et desbauché, un homme de mauvaise vie et ;dissolue, si nous voyons un yvrongne, Si nous voyons quelque meschant qui ne demande que de tromper l'un, de ravir la substance de l'autre, et quo Dieu accomplisse et execute ses vengeances qu'il a declarées en sa Loy, quo nous sachions que ce sont autant d'approbations, qu'il ne nous faut point iouer à luy, n'estimer que ce soyent menaces de petis enfans celles qu'il a prononcées de sa bouche: que l'effect est conioint avec. Si nous ne voyons point de cause apparente et visible, cognoissons neantmoins que quand Dieu usera de beaucoup plus grande rigueur qu'il ne nous faudra point pourtant enquerir et dire, Pourquoy le fait-il? Nous ne savons, et ne faut point que nous presumions de le savoir cependant que nous serons en ce monde. Voila donc ce que nous avons à noter et à reduire en memoire: c'est assavoir que quand nous voyous les calamités et les afflictions que Dieu envoye en ce monde, nous regardions s'il y a des pechés qui nous soyent evidens, à ce que nous apprenions de nous renger à Dieu, et de nous assuiettir à luy, voire, et que chacun s'examine pour n'estre point enveloppé eu une semblable condamnation.

Or venons au second poinct: c'est assavoir que si Dieu nous visite en ce monde, et qu'il nous y face languir, combien que nous soyons opprimés si fort que nostre vie nous soit plus fascheuse et

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plus amere que nulles morts: tant y a qu'encores nous donne-il lieu de repentance, et si nous retournons bien tost à luy, nous le trouverons tout appareillé de nous recevoir, et qu'il rendra l'habitacle de rostre iustice paisible, voire si nous y venons avec prieres, et que nous y apportions aussi un coeur pur et droit. Voila une doctrine bien bonne et utile: car les hommes sont admonestés de bien recognoistre la grace que Dieu leur fait, et la faveur qu'il leur preste quand du premier coup il ne les racle point du tout: mais qu'il les laisse en ceste vie. Il est vray qu'une telle langueur, en laquelle estoit Iob, sera beaucoup plus dure et fascheuse que la mort: et nous voyons aussi que quand il ne regarde qu'à son estat, il voudroit estre pendu (car voila comme il en a parlé) mais cependant si nous iettons l'oeil sur ceste fin où Dieu regarde, sur ce but aussi qu'il nous propose, nous trouverons alors que toutes nos tristesses seront adoucies. Et pourquoy? Nous sentirons qu'encores aura-il pitié de nous. Prenons le cas qu'un homme sente ici comme son enfer: et qu'au lieu d'estre consolé, il ait ces horribles frayeurs de sentir que Dieu luy soit contraire et ennemi mortel: sur cela qu'il ait comme un feu allumé en son ame: et bien quand un povre homme sera en telle fascherie, et puis quo selon le corps il souffrira d'un costé ignominie, de l'autre costé de grandes peines et assauts qui soyent insupportables: il est vray que ce povre homme-la de prime face pourroit souhaiter la mort et l'appeter, voire, que s'il falloit qu'il passast et par feu, et par eau, et par glaive, il ne demanderoit pas mieux: comme nous voyons que nostre Seigneur Iesus Christ dit, que ceux qui sont saisis de ceste frayeur de Dieu voudroyent que les montagnes tombassent sur eux, que le monde se renversast pour les abysmer. Mais quoy ? Si nous entrons en ceste consideration pour dire, Si est-ce que mon Dieu me presente ici sa misericorde, qu'il veut que i'approche de luy, que toutes fois et quantes que nous serons affligez par sa main, il nous appelle a soy d'une voix tant douce et amiable, il nous exhorte d'y venir avec certaine promesse qu'il se monstrera benin et pitoyable envers nous: voila qui sera pour moderer toutes nos tristesses. Puis qu'ainsi est donc qu'en nos langueurs nous avons quelque esperance qui nous est laissé, ne devons-nous point tellement priser le bien que Dieu nous fait, que nous sentions quelque allegement de la pesanteur de nos maux,. combien, qu'elle soit excessive, et qu'il semble que nous n'ayons pas les espaules pour la soustenir? Nous' voyons maintenant combien ceste doctrine nous est utile, quand nous aurons ceste prudence de l'approprier à nous: c'est assavoir qu'en la fin nous cognoistrons que Dieu nous laisse encores un remede

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qui noue servira, que nos maladies ne seront point incurables, voire moyennant que nous recourions à luy. De là il nous faut recueillir une sentence generale: c'est assavoir que Dieu encores a pitié des hommes quand il les chastie pour leurs pochés: que iamais il n'use de rigueur si grande, que tousiours sa misericorde ne soit meslée avec. Et pourquoy? Car ce sont autant d'adiournemens qu'il nous fait pour comparoistre devant luy, afin qu'en le sentant nostre iuge nous ayons nostre refuge à sa grace et misericorde infinie, et que nous ne doutions point qu'il ne se monstre pere à tous ceux qui auront leur recours à luy. Et de là on peut voir l'ingratitude du monde. Car les afflictions sont universelles, et puis il n'y a celuy qui n'en ait sa portion en son endroit: nous ne passons point par la vie presente que Dieu ne nous chastie en plusieurs sortes: ie di chacun de nous, et puis tous en general: nous voyons comme Dieu nous visite. Or cependant qui est celuy qui pense de retourner à luy? Le nombre en cet bien petit et clairsemé. Nous cognoissons donc l'ingratitude qui est en nous, que combien que Dieu nous appelle à soy ne voulant point que nous perissions: que nous sommes revesches, que nous repoussons tous les advertissemens qu'il nous donne. Mais il faut aussi que Geste doctrine nous profite à ce que nous esperions en Dieu, qu'encores que nous soyons persecutez en ce monde, toutesfois il ne nous laisse point ici bas qu'il ne nous rappelle tousiours à soy: et ne veut point que nous soyons frustrez quand nous viendrons là, voire moyennant que nous y venions pour avoir tout nostre recours à luy. Ainsi donc confions-nous hardiment que nostre Dieu nous sera propice, et remercions-le de ce qu'il ne nous a point retirez de Geste vie presente du premier coup: mais qu'il nous a donné loisir de penser à nos pechez pour nous y desplaire, et pour retourner à luy.

Or venons maintenant à la consolation qui est ici mise. si tu viens de matin à luy, et que tu le cerches avec prières, que tu sois droit et pur, il se resveillera vers toy. Ceci est notamment adiousté à cause que les hommes demeurent obstinez, et combien quo Dieu les sollicite à retourner au chemin do salut, ils n'y pensent point. Voila pourquoy il est dit notamment, qu'il ne faut point que nous regimbions ainsi contre l'esperon, que nous facions des chevaux retifs, ou que nous soyons comme stupides: bref il faut que nous ayons ceste promptitude que Dieu nous commande, comme il est dit que nous devons venir de matin à luy c'est à dire qu'il ne nous faut point delayer prolongeans le terme: comme nous voyons ces gaudisseurs qui se mocquent de Dieu. O il ne faut qu'un bon souspir, voire comme s'ils avoyent leur vie en leurs

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manches, et qu'ils eussent promesse certaine du temps qu'ils doivent demourer au monde: et puis comme si la repentance estoit en la faculté de l'homme, et qu'il se peust convertir à son plaisir quand il voudra, et que ce ne fust point un don special de Dieu. Or c'est une chose si sacrée et si precieuse, qu'il ne nous en faut point faire si bon marché. Pensons donc à nous, voyans le monde qui recule tousiours, et voudroit faire comme les mauvais payeurs, que quand ils auront gagné quelque alonge, dorment sans souci iusques à ce que le terme soit venu: ainsi (di-ie) les mondains quand Dieu leur prolonge la vie les attendant honteusement repentance, n'y veulent point penser iusques à c' que l'heure vient qu'ils perissent honteusement. Afin donc que nous n'en facions pas ainsi, il est dit que nous retournions à Dieu de matin. Or en somme il y a ici trois choses que nous devons bien noter, l'une c'est, que si tost que Dieu nous visite, nous recourions à luy en nous hastant, et n'attendant point du iourd'huy à demain. Voila pour un item. La seconde est, que nous y venions avec prieres, nous condamnans en nos fautes afin d'obtenir pardon et merci de luy. La troisieme c'est que nos oraisons ne soyent point faites en hypocrisie: mais que nous apportions un coeur droit et pur. Voila trois choses qui nous sont ici proposées. Vray est que nous ne les pourrions point despescher maintenant: mais si faut-il pour avoir un recueil de toute ceste doctrine que nous avons deduite, que ces trois poincts soyent bien imprimez en nostre memoire. En somme apprenons de nous humilier sous la main puissante de Dieu, comme l'Apostre (1. Pier. 5, 6) nous exhorte. Et sur cela apprenons qu'il est iuste, voire tellement que quand il executera des iugemens qui nous . seront trop rudes, que nous ne laissions pas de confesser qu'il fait tout en droiture et equité, que nous ayons la bouche close pour ne mettre rien en avant contre luy: et que non seulement nous cognoissions ceste iustice estre en Dieu: mais que nous en puissions faire nostre profit, c'est assavoir quand il punira les rebelles, les contempteurs de sa maiesté, ceux qui sont du tout incorrigibles, que nous sachions qu'il nous convie à luy. Il ne faut point donc que nous attendions qu'il frappe sur nous. Mais prenons cela pour instruction, et que nous soyons enseignez à iustice, suivant ce que nous avons allegué du Prophete Isaie. Et mesmes quand il plaira à Dieu d'estendre sa main sur nous, et de nous affliger, que nous ne soyons point faschez de sa correction, ainsi que dit l'Apostre en l'Epistre aux Hebrieux (12, 5), Mais sur tout sachans que Dieu nous convie, que nous venions à luy, voire de matin: et puis que ce soit y apportans un coeur pur et droit pour le supplier qu'il nous pardonne nos

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fautes: et qu'à l'exemple de David (Pseau. 51, 4) nous luy requerions qu'il nous nettoye do toutes nos macules, comme il faut que nous soyons lavez par luy, afin que nous puissions nous presenter

devant sa face en telle pureté comme il commande.

Or nous-nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu etc.

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LE TRENTE ET UNIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE VIII. CHAPITRE.

Ce sermon contient le reste de l'exposition des versets cinq et six: et puis ce qui

s'ensuit.

7. Encores que ton commencement fust petit, ta condition derniere s'augmentera grandement. 8. Enquiers-toy (ie te prie) de l'auge des anciens, et te dispose à t'informer des peres. 9. Car nous sommes d'hier, nous sommes ignorans, d'autant que nos iours sont comme l'ombre sur la terre: 10. Ceux-la ne t'enseigneront-ils pas clairement, et prononceront paroles de leur coeur? 11. Le ionc croistra-il sinon en terre humide, et l'herbe de marescage croistra-elle sans eau? 12. Encore qu'elle soit en sa verdure, et sans estre coupee, toutesfois devant tout l'herbage elle sechera. 13. Ainsi en est-il de tous ceux qui oublient Dieu et l'esperance de l'hypocrite perira.

Nous avons en premier lieu à recueillir le sommaire de ce qui a esté desia exposé: c'est assavoir, que quand nous avons failli, et que Dieu nous chastie, il sera tousiours prest à nous faire misericorde, si nous l'invoquons. Mais notamment il est dit, qu'il nous faut haster de venir à luy, afin que nous n'abusions point de sa patience, comme nous voyons ces moqueurs. Et puis il est adiousté, qu'il nous le faut supplier avec droiture et pureté. Or le mot de supplier emporte que nous confessions nos pechez, et le mot de pureté, que cela se face sans fiction. Nous voyons donc maintenant, que par ceste promesse Dieu nous convie à soy, et nous y veut amener: comme s'il disoit: Faut-il que les hommes perissent de leur volonté, quand ie suis prest de les recevoir à merci, encores qu'ils fussent en train de perdition ? Notons bien donc que quand Dieu nous ouvre ainsi la porte, nous sommes doublement condamnables, si nous ne venons à luy. Nous savons bien que le desespoir est cause d'endurcir la pluspart de ceux qui s'estoyent desbauchez, et fait qu'ils iouent au quitte ou au double, comme on dit: mais quand Dieu nous declare que sa misericorde nous sera tousiours apprestee, cela ne nous doit-il point esmouvoir? Notons bien donc ceste promesse qui est ici contenue. Et au reste bostons nous, puis que Dieu ne veut point que nous hastons ne dilayons de venir à luy. Quand il nous solicite de penser à nos pechez, n'attendons point au lendemain pour nous y desplaire. Et sur tout quand il y a ceste voix de Dieu qui resonne du ciel, Venez, et maintenant que nous n'endurcissions point nos coeurs: comme il est dit au Psaume (95, 8): mais plustost que nous facions ce qui est dit au Prophete Isaie (55, 6), Cerchez le Seigneur cependant qu'il se peut trouver, invoquez-le cependant qu'il vous est prochain, que le meschant delaisse ses voyes. Car (comme il est dit encores en l'autre passage Isa. 49, 8): Voici le temps agreable, ce sont les iours de salut, quand Dieu nous exhorte à repentance, si nous attendons, l'occasion se passera, et nous serons esbahis, que la porte nous sera close. Voila donc comme il nous faut pratiquer ce mot de Haster. Or notons bien qu'en venant à Dieu, nous ne gagnerons rien d'apporter nos excuses: car si nous avons un mot de replique (comme nous verrons ci apres) Dieu aura cent articles, voire mille contre nous, à nous condamner. Venons y donc avec prieres, comme il en est ici parlé, qu'il nous faut supplier le Seigneur. Or cela emporte une confession pure et simple de nos pechez, c'est à dire, qu'avec la confession, quand nous aurons dit, I'ay peché, il y ait aussi la repentance. Car nous en verrons beaucoup qui ne feront point difficulté de dire, qu'il est vray que Dieu les a punis à bon droit, que leurs fautes sont si grieves, et si lourdes que rien plus: mais c'est pour y retourner tantost. Si Dieu les tient serrez, ou en quelque maladie, ou en une autre affliction, ils feront de belles promesses: la main de Dieu est-elle retiree? Ils monstrent bien qu'il n'y a eu que feintise en eux. Quand donc il nous est ici commandé de confesser nos fautes, notons bien qu'il faut qu'il y ait ceste

SERMON XXXI

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pureté et droiture, c'est à dito que nous condamnions le mal, en nous reconciliant à Dieu.

Or le fruit est ici declaré, quand nous aurons obtenu grace: c'est que Dieu fera prosperer l'habitation de nostre iustice, comme si Baldad disoit, que Dieu se reconciliant aux hommes et les recevant à merci, ne les laisse point là: mais qu'il leur fait sentir la vertu de sa misericorde, et de son amour. Dieu ne fait pas un tel pardon, comme ceux qui protestent qu'ils remettent les fautes qu'on aura commises contre eux: mais cependant s'ils s'en peuvent venger, ils n'ont garde d'y faillir, ils espient les occasions, celuy-la a-il à faire de moy? ie luy monstreray qu'il m'a fait un desplaisir. Et voila des pardons mal reglez. Dieu n'est pas ainsi: mais quand ils declare quo nos pechez nous sont pardonnez, il adiouste quant et quant l'effect, qu'il nous fait sentir sa bonté en nous benissant, et en nous faisant prosperer. Et notamment il est parlé de l'habitation de nostre iustice pour deux causes. La premiere, c'est afin que la grace de Dieu soit mieux exprimee, que non seulement elle se monstrera envers nos personnes: mais aussi envers toute nostre maison. Si Dieu ayant pitié d'un homme luy fait sentir cela en son ame, et on son corps, c'est desia beaucoup: mais quand Dieu estend sa bonté plus loin, et que l'homme est benit en ses enfans, en son bestail, en tout son mesnage ne voila point encores une approbation plus ample de la bonté de Dieu? Voila donc ce qui est ici touché, que Dieu fait prosperer l'habitation de l'homme qui se retourne hastivement à luy. Or ceste maison se nomme de iustice, pour nous tousiours ramentevoir, que quand nous venons à Dieu, ce doit estre avec ceste droiture, et pureté, dont il a esté fait mention n'agueres. Et a l'opposite, quand nous voyons que Dieu nous persecute, cognoissons que nous avons le bois pour allumer le feu, que nous avons (di-ie) amassé la matiere dedans nous par nos pechez. Et pourquoy? Car si la iustice habitoit en nos maisons, c'est à dire, que et nous, et nos mesnages fussent bien reglez, il est certain que la grace de Dieu nous previendroit, que nous ne sentirions que tout bien, et tout repos. Il faut donc imputer à nos pechez si Dieu nous persecute, s'il nous envoye dos afflictions. Voila (en somme) ce que nous avons à observer ici.

Et mesmes ce qu'il adiouste est encores pour confermer ce mesme propos: c'est assavoir, Si nos commencements sont petits, que Dieu nous augmentera tant et plus. Ceci est notamment adiousté, afin que les hommes ne mesurent point la grace de Dieu selon ce qu'ils apperçoivent. Car voila qui est cause de nous faire avoir petit courage, et une esperance bien maigre, d'autant que nous regardons les moyens humains, et sur cela faisons nostre conclusion

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de ce qui doit advenir. Voila quand une telle chose sera en estat, il y aura un tel moyen, et nous ne regardons pas ce que Dieu peut faire, nous ne regardons point qu'il est facile à Dieu de nous aider: il nous semble que la chose est impossible. Nous voyons donc maintenant que le sainct Esprit a voulu corriger ce iugement pervers qui est en nous, d'autant que nous imaginons la grace de Dieu à nos apprehensions, et à ce que nous pourrons voir. Au contraire il est dit, que Dieu a des façons admirables, et qui ne nous sont point comprehensibles pour augmenter ce qui semble estre bien petit comme il est dit, Encores que nous fussions comme pressez en la mort, qu'il ne semblast pas que nous deussions iamais estre retirez de nos miseres, que Dieu trouvera bien quelque bonne issue. Elle ne' se peut appercevoir du premier coup: il noua veut aussi humilier à ce que nous apprenions de recourir à luy. Car aussi que seroit-ce sans cela? Comment nostre foy seroit elle exercee? Si nous faisions nostre conte, pour dire, Dieu besongnera selon que nous le concevons par les moyens inferieurs de ce monde, où seroit cognuë la vertu de Dieu? Où seroit ceste grace admirable qui nous doit rendre esbahis? Comme de fait il est dit au Pseaume (126, 1), Que si Dieu conduit les siens, en les sauvant, c'est comme en un songe: que la chose est si estrange qu'un chacun s'en trouve estonné quand on voit ce qui n'avoit point esté attendu. Ainsi donc notons bien, quand nos pechez nous auront amenez iusques aux abysmes, que nous cuiderons estre du tout enclos eu desespoir, qu'il nous faut batailler contre tous nos sens, et conclurre que Dieu saura bien augmenter les choses qui sont petites. Car c'est son office, et c la luy est propre, comme dit l'Escriture (Rom. 4, 18), d'appeller ce qui n'est point comme s'il estoit, afin de nous donner un estre nouveau que nous n'avions point. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Maintenant Baldad pour donner authorité à son propros dit, Interrogue l'aage des anciens, et dispose toy de t'enquerir des peres. Enquoy il signifie que ce qu'il a dit se cognoistra estre vray par toute l'experience de long temps. Enquiers toy (dit-il) non pas seulement de ceux qui vivent auiourd'huy: mais de ceux qui sont trespassez par ci devant. Que tu discoures d'aage en aage, et tu trouveras que iamais Dieu n'a reietté ceux qui vienent à luy: que leur attente n'est point superflue ni inutile, voire quand ils le requierent sans fiction. Et puis il adiouste, Nous ne sommes que d'hier, nous sommes ignorans, car nos iours ne sont qu'une ombre. Mais les peres te respondront, et parleront en vertu de leur coeur: c'est à dire, que tu auras une resolution pleine et une prudence, et raison ferme,

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qui ne viendra point du bout de la langue, mais d'un sens bien premedité. Ici quand Baldad parle des peres il n'y a nulle doute qu'il ne signifie l'experience de tous temps, comme desia nous avons touché: et ne parle pas des anciens qui vivoyent alors, mais de ceux qui estoyent desia decedez. On demandera, Et comment? Estoit-il possible à Iob de s'aller informer de ceux-la ? La response est facile, qu'il n'est point parlé des hommes, mais de ce qui a esté fait de leur temps, selon mesmes que les histoires nous testifient. Voila que veut dire Baldad: Ie ne t'ameine point une doctrine incognuë, car quand tu feras de longs discours depuis la creation du monde, tu trouveras que Dieu a ainsi besongné, que si tost que les hommes se sont retournez de leurs iniquitez, Dieu leur a tendu la main, que la porte de salut leur a esté ouverte: tu cognoistras (dit-il) cela. Et ainsi ceste instruction nous est bien utile: c'est assavoir que nous ne devons point fermer les yeux à ce que Dieu nous monstre, et qu'il a monstré de tout temps au monde: mais plustost devons considerer les choses qui ont este faites du temps iadis pour les appliquer à nostre usage. Il est vray que selon que les hommes s'adonnent à vanité, ils ne peuvent point recueillir leurs esprits pour les appliquer à une telle estude, sinon que Dieu les y contraigne. Et voila mesmes pourquoy David proteste, qu'estant afflige, il luy est souvenu des iours lointains, qu'il les a reduits en memoire (Pseau. 143, 5). Mais si faut-il; pourtant, que nous ayons ce principe, de bien mediter les oeuvres de Dieu, et non seulement celles que nous avons veu de nostre temps, mais aussi de ce qui nous est raconte. Dieu a voulu encore, qu'il y eust des histoires, et que la memoire des choses fust conserver par cc moyen-la. Or cependant les hommes prendront plaisir à lire, mais ce sera un esbat de vanité, pource qu'ils n'appliquent point à leur instruction les histoires de tout le temps passé qui sont une vraye escole pour savoir regler nostre vie. Car là nous contemplons les iugemens de Dieu: là nous voyons comme il a assisté à ceux qui ont recouru à luy: mesmes comme il a confermé sa grace, et encores que tous fussent incredules, qu'il a reservé les hommes a quelque cognoissance de sa verité, combien que le temps ne fust pas encores: bref c'est une mer et un abysme de sagesse que les oeuvres de Dieu, si nous avions les yeux bien purs et nets et non pas troublez comme ils sont. Apprenons donc, que quand nous voudrons estre bien confermez en bonne doctrine de ne point regarder seulement un pied devant nostre nez (comme on dit) mais que nous estendions nos sens à ce qui est advenu devant nostre naissance. Et sur tout nous devons bien estre esmeus à ce faire quand nous voyons que

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Dieu a voulu qu'il y eust comme un miroir, auquel nous puissions regarder comment de tout temps il a preservé et maintenu son Eglise depuis que le monde est creé, apres que les bons ont esté fortifiez iusques à combattre contre tous assauts: et en la fin comme il a chastié leurs fautes, et quand ils se sont endurcis, qu'ils ont esté chastiez au double: que quand il les a admonestez par ses Prophetes, et que ils sont demourez obstinez, il a fallu qu'ils ayent senti une rigueur plus grande et plus excessive. Quand donc nous voyons ces choses, et que Dieu par sa providence travaille à cela, en sorte que ce qui pourroit estre enseveli, maintenant nous est presenté pour nostre instruction: ie vous prie, ne devons-nous point nous exercer en cela tant plus ardemment? Retenons donc ce qui est ici dit, qu'il nous faut interroguer ceux qui ont vescu devant nous, non point les personnes, car nous n'avons point d'accez aux trespassez, et aussi il ne nous est point licite de nous aller informer d'eux, Dieu ne nous les a point constituez Prophetes, sinon d'autant qu'ils ont servi à leur temps. Sainct Pierre, sainct Paul, et les autres Apostres, et les Prophetes parlent auiourd'huy à nous: mais c'est par leurs escripts qui sont immortels. Quant à leurs personnes, Dieu les a retirez de nostre compagnie: mais il nous faut interroguer le temps auquel ils ont vescu, il faut aussi que nous suyvions les tesmoignages qu'ils nous ont rendu des oeuvres de Dieu 7 et que nous en soyons instruicts pour estre confermez en sa crainte.

Or la raison qui nous doit plus inciter à cela est adioustee quand Baldad dit, Que nous ne sommes que d'hier et que nous sommes ignorans, pource que nostre vie n'est qu'un ombrage. Il est vray que ce passage ici peut estre doublement exposé. Il y en a qui estiment que Baldad ait voulu dire, O ie say que tu n'estimeras point ce que ie te pourray amener, tu diras que ie ne suis point tant vieil, qu'on me doive escouter comme un homme sage: et pren le cas que mon dire ne soit rien, d'autant qu'il n'est point egal à ma personne: mais tu trouveras que les anciens t'en diront autant. Or ie laisse ce sens-la pour ce qu'il peut valoir: mais quand tout sera bien regardé de pres, voici l'exposition naturelle du passage, Que Baldad a voulu inciter Iob à s'enquerir du temps passé, pource que si nous ne regardons que devant nous, ce sera peu de chose. Il est vray que ce que Dieu nous monstre de iour en iour suffit bien pour nostre instruction: qu'il ne faudra point d'autre procez pour nous rendre inexcusables, que ce que nous aurons apperceu en un an, ou en deux, mesme en un iour: que Dieu nous declare tant de choses, qu'il n'y a plus d'excuse: que nous ne pouvons point alleguer, Ie n'y ay point pensé, Dieu ne m'avoit point fait sentir

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cela. Nous voyons (di-ie) assez d'instruction devant nos yeux: mais si est-ce que selon quo nous sommes tardifs, et quo nous avons besoin que Dieu nous masche les morceaux, qu'à grand' peine encores les pouvons-nous bien avaller, quand il les a ainsi maschez, comme on dict: voila pourquoy il NOUS donne cognoissance du temps passé. Exemple: Si nous mesprisons tout ce qui est advenu devant nostre naissance, et que nous disions, ie seray assez sage quand ie considereray les choses que NOUS voyons de nostre vie: Dieu a-il voulu que le tesmoignage qu'il NOUS rend d'un temps 8i lointain fust inutile? Quand l'Escriture nous parle, comme depuis la creation du monde Dieu a gouverné les hommes, qu'il les a chastiez pour leurs fautes qu'il en a eu pitié, neantmoins que sa bonté à surmonté tousiours la malice de ceux qui l'avoyent offensé: que sur tout, il a esté le protecteur des siens, qu'il les a secouru en leurs afflictions: quand donc Dieu nous descouvre d'aage en aage les choses qui nous sont tant utiles, voulons-nous que cela soit mesprisé, et mis sous le pied? De voila point une ingratitude trop vilaine, quand nous reietterons loin ce qui nous est plus qu'utile? Notons bien donc, que c'est là oh a pretendu d'amener Iob celuy qui parle, Baldad. Et pourtant, voulons-nous estre esmeus pour nous enquerir des choses qui nous sont propres pour nostre salut? Pensons un peu à nostre aage, que est-ce de nous? Nous sommes d hier. Les hommes (quand tout sera bien conté et rabbatu) sont comme des escargots qui s'esvanouyssent incontinent. Il est vray qu'on vivra cinquante ou soixante ans: mais il nous faut revenir à ce qui est dit au Cantique de Moyse, au Pseaume 90 (v. 4), Que mille ans devant Dieu sont comme un iour: et pourtant que la vie de l'homme est comme un songe, qui est desia passé. Quand nous aurons bien cognu la briefveté de nostre vie, que tout le temps s'escoule tout ainsi qu'un ombrage: il est certain que nous serons tant plus diligens, à nous enquerir des choses passees. Et pourquoy? Car nous sommes ignorans, si nous ne regardons qu'à ceste briefveté-la. Mais Dieu a voulu que les choses qui ont esté devant nostre naissance, nous soyent comme presentes par les histoires, et par ce qui nous en est laissé. Voila donc comme Dieu s'est monstré benin envers nous, quand il a amassé tous les temps, et a fait qu'un homme vivant en ce monde cinquante ans, pourra prendre cinq mille ans devant soy, et les disposer pour les mettre par ordre et cognoistre, Voila tant de temps qui s'est escoulé devant le deluge. Et bien, les choses comment se sont elles portees? comment Dieu a-il besongné depuis le deluge ? Quand Dieu a voulu dresser une Eglise, de quelle façon l'a-il gouvernee ? Comment les fideles qui

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ont esté persecutez pour le tesmoignage de la verité, se sont-ils portez? Et puis quand il y a eu des fautes, comment est-ce que Dieu les a redressees ? Et puis, comment est-ce que l'Eglise est demouree en son estat, apres avoir esté remise au dessus ? Que nous pourrions (di-ie) veoir toutes ces choses-la comme devant nos yeux: et toutesfois il y a plus de cinq mille ans qu'elles sont passees. Il est vray: mais (comme i'ay dit) c'est une grace de Dieu, gui ne se peut assez priser. Et de fait cela nous doit bien aguillonner à ce que nous ne regardions point seulement devant nos pieds: mais que nous iettions nostre vue plus loin, sachans que Dieu nous met comme sur un Theatre, et qu'il veut que nous discourions, non point seulement au temps de cent ans ou de plus, mais depuis la creation du monde. Maintenant nous voyons quelle est l'intention de Baldad, et comme aussi nous devons appliquer ceste sentence à nostre usage: c'est assavoir, que puis que nous ne sommes que de hier, que nostre vie n'est qu'un ombrage, c'est h dire que nous ne sommes pas si long temps en ce monde, que ce que nous y voyons NOUS puisse suffire, qu'il est bon de regarder plus loin, comme aussi Dieu nous donne le moyen de NOUS enquerir du temps passé. Et ainsi (en somme) nous sommes admonnestez de bien considerer tout ce que Dieu nous monstre de ses oeuvres passees, et de les considerer, non point comme choses qui ne nous appartienent rien: mais qui sont reduites en memoire pour nous enseigner. Ainsi donc, que nous appliquions à nostre instruction toutes les histoires du temps iadis, pour nous induire à mettre du tout nostre fiance en Dieu, pour l'invoquer en nos necessitez, et pour le craindre et honorer comme il le demande. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il I 'ensuit, que comme Un ionc ne croistra point qu'en lieu humide, aussi l'herbe de marescage ne pourra point se nourrir sans eau: mesmes que quand telles herbes floriront, et qu'on De les couppera point, elles desseicheront d'elles mesmes: Ainsi que l'esperance de l'hypocrite perira, et de tous ceux qui oublient Dieu. C'est l'opposite de ce que nous avons veu par ci devant. Il est vray que desia ceste sentence à esté amenee au commencement du chapitre. Mais Baldad avoit adiousté, que ceux qui retournent à Dieu, encores que pour un temps ils ayent esté desbauchez, il leur sera propice. Or il retourne à ce qu'il avoit dit auparavant, c'est assavoir que Dieu exterminera les hypocrites et les meschans. Il use d'une similitude qui est bien propre, il dit, L'herbe de marescage comme est le ionc, et les herbes semblables pourront-elles croistre sinon en lieu humide ? Il y a bien des herbes qui croistront sans eau es montagnes

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mesmes là où il n'y aura quasi point de terre, que les rochers seront tous nuds, et neantmoins nous verrons quelques herbes qui croistront là: mais elles ont ceste proprieté de nature. Un ionc, et telles herbes ne pourront croistre sinon en marez: car leur nourriture est d'eau, il faut qu'une terre soit tousiours humide, ou cela se flaistrit tantost. Tout ainsi donc qu'un ionc ou une herbe de marescage ne peut croistre qu'en lieu humide, aussi l'homme qui n'a point nourriture de Dieu, perira avec toute sa belle apparence, il faudra qu'il desseiche. Ceste similitude n'est pas seulement mise en ce passage: mais elle est assez frequente en l'Escriture saincte, comme nous savons. Il est dit au Pseaume premier (v. 3), Que l'homme qui s'applique du tout à mediter la Loy de Dieu, est comme un arbre planté aupres d'un ruisseau: et que d'autant que la racine est tousiours abbreuvee l'arbre ne flaistrist iamais, et ne desseiche, il demeure en sa verdure. Et pourquoy? C'est pour exprimer que Dieu iamais ne permet que les bons perissent: car sa grace descoule tousiours sur eux pour les maintenir iusques à la fin: voire, et pour les maintenir sans fin. Car nous ne sommes point arrousez seulement pour estre ici entretenus quelque espace de temps mais pour parvenir à la vie eternelle. Voila donc comme ceux qui se rengent du tout à Dieu, sont comme l'arbre planté aupres d'un ruisseau, tellement que tousiours ils florissent. Mais cela est encores mieux exprimé au 17. chap. de Ieremie (v. 8), pource que le Prophete comprend toutes les deux parties. Malheur sur l'homme qui se confie en l'homme, et qui met (dit il) le bras charnel pour son esperance, ou pour sa force. Il sera comme une herbe, ou comme un arbrisseau qui sort un peu entre les sablons, entre les landes. Et bien, il est vray qu'il y aura quelque verdure: mais cela incontinent se hasle pour la chaleur, tellement qu'un tel arbrisseau sera tantost bruslé du soleil. Ainsi en est-il de tous ceux qui verdoyent, et ne mettent point leur confiance en Dieu: mais se confient en eux-mesmes, ou regardent aux creatures Mais bien-heureux est !'homme qui espere en Dieu: car quelle ardeur du soleil qu'il y ait, combien qu'il semble que tout brusle, si est-ce qu'un tel homme sera arrousé, et Dieu luy donnera substance tellement qu'il ne defaudra point. Or combien que le Prophete Ieremie mettant ces deux comparaisons pour donner lustre l'une à l'autre exprime assez ce qui est ici dit: toutesfois il y a encores d'avantage en ce texte. Car ici Baldad a choisi une espece d'herbe qui ne se peut nourrir sans eau. Au Pseaume (129, 6) il est dit, que les meschans seront comme les herbes qui croissent sur les toicts. Voila quelques herbes qui croistront bien sur les toicts des maisons. Or les bonnes

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herbes seront foulees au pied, on marchera dessus une prairie: mais quand la saison est venue voila les herbes des prez qui croissent et florissent: et mesmes encores que le pré soit fauché, les herbes croissent, elles reprennent vigueur: mais l'herbe d'un toict qu'apporte elle ? s'en peut on servir ? Nenny: mais il est dit en ce passage-la, On aura beau en remplir ses bras, on n'y trouvera point de moisson, on n'y trouvera point de fruict. Et de fait, quand on verra des toicts chargez d'herbe, on ne dira point Dieu benie ces herbes-la: au contraire, on seroit bien aise qu'elles fussent arrachees, et le soleil aussi les brusle devant qu'elles soyent meuries, elles ne vienent à nulle perfection. Voila donc comme les meschans, encores qu'ils soyent eslevez, et qu'on les prise plus que ceux: qui sont benits de Dieu: toutesfois ils dessechent, tellement qu'ils n'apportent nul fruict, quelque belle monstre qu'ils ayent, il n'y a nulle substance au dedans. Et voila comme il est parlé ici des ioncs, et des herbes de marescage. En sommes notons, que pour bien profiter, il faut que nous tirions nostre substance de Dieu, et que nous soyons prochaine de luy, et qu'il ne cesse de nous arrouser, qu'il soit comme une eau permanente qui nous vivifie, et nous donne vigueur: sans cela il est impossible que nous persistions une minute de temps. Voila en somme ce qui est ici contenu. Or si ceste doctrine nous estoit bien persuadee, il est certain que nous cercherions Dieu d'une antre affection que nous ne faisons pas. Mais quoy? Chacun se contente de ce qu'il a, et mesmes NOUS ne regardons pas d'où tout le bien nous est donne. Et par ce moyen chacun se paist de vent, comme il en est parlé au Prophete Osee (12, 1): c'est à dire, que les hommes se trompent à leur escient, qu'il leur semble qu'ils soyent riches, et que rien no leur defaille, et il n'y a que vent c'est à dire, une folle outrecuidance. Quant h I apparence, nous pourrons bien verdoyer, et florir, les hommes pourront priser ce qui est en nous, mais ce n'est rien quoy qu'il en soit. Tant y a que nous sommes si esblouys qu'un chacun se cuide passer de Dieu quand il aura quelque belle monstre en soy, en sorte qu'il ne nous faut point gens qui nous trompent: car chacun s'abuse par ses vaines folies. Or cependant notons bien que Dieu nous retire à soy, nous monstrant que nous sommes par trop aveugles de nous confier en nous, ou en ce qui n'est pas. Notons bien donc que Dieu procure nostre salut par ce moyen, quand il dit (Ier. 2, 13), le suis .la fontaine d'eau vive, ie suis ]e vray ruisseau, il faut que vous soyez arrousez continuelle ment de ma grace, où il n'y a que seicheresse en vous: et encores que vous verdoyez, cela n'est rien: vous flestrirez.

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Et c'est ce que met ici Baldad, Combien (dit-il) qu'on ne fauche point ces herbes là, elles seicheront s'il n'y a point d'humidité: ouy au milieu de leur grande rigueur on sera tout esbahi que tout sera desseiche, Ainsi est-il de l'esperance des hypocrites. Par cela il nous est monstre qu'encores que les hommes n'y mettent point la main, Dieu NOUS consumera par une vertu secrette et incognuë, tellement qu'il faudra que nous allions à neant, sinon que nous ayons esperé en luy, et que nous y ayons prins bonne racine et vive. Vray est que Dieu quelquefois exterminera bien les meschans, en les punissant par la main des hommes: et mesmes il Les dresse les uns contre les autres, en sorte qu'ils se ruinent et destruisent: mais le plus souvent nous verrons à l'oeil, que Dieu mine ceux qui auront ainsi presumé de leur vertu, ceux qui s'eslevoyent à merveilles: nous verrons (di-ie) que Dieu Les consume, et on ne sait comment: on voit qu'ils fondent tout ainsi que la neige au soleil. On s'esbahit, Comment est-il possible que cela soit advenu? Et cest homme là comment s'en va-il ainsi 7 Or nous ne pensons point quo vaut la malediction de Dieu. Notons bien donc, que sans qu'il se serve des hommes il pourra bien faire decouler non seulement les hommes: mais avec les hommes, les grands chasteaux, et tant qu'il y aura de possessions et de seigneuries, et de richesses: il faut que tout cela perisse quand Dieu soufflera dessus, suyvant ce qui est ici notamment exprimé, qu'encores que telles herbes ne soyent couppees, elles ne laisseront point de seicher, pour ce qu'elles n'auront point d'humidité pour meurir. Mais il nous faut bien aussi peser ce qui est dit, que l'esperance des hypocrites perira. Et c'est pour revenir à ce que nous avons desia touché: c'est assavoir que ceux qui n'auront rien que fumee et mensonge en eux ne laisseront pas de verdoyer, voire à leur semblant, et selon l'opinion des hommes. Et voila qui nous trompe: car nous sommes desnuez de tout bien, et toutesfois nous sommes si brutaux qu'il nous semble que nous soyons bien riches, et pourtant Dieu ne nous est plus rien. Voila pourquoy notamment Baldad a parlé ici de l'esperance des hypocrites: comme s'il disoit, Il est vray que les hypocrites auront belle monstre: ils ne se plairont point seulement en ceste belle apparence qu'ils ont de leurs vertus: mais il semble que Dieu les tiene là en son giron, qu'il leur favorise en tout et par tout. Or si est-ce qu'ils flestriront, et desseicheront qu'on sera tout esbahy qu'ils seront minez et abysmez du tout. Ainsi donc ne nous trompons plus à nostre escient: c'est à dire, encores que nous ayons quelque prosperité temporelle pour un temps, que nous ne nous endormions point là dessus, que nous ne facions point des bandeaux des richesses

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et voluptez de ce monde, qui nous empeschent de regarder à Dieu: mais appuyons-nous du tout sur luy, comme il est la fontaine de tout nostre bien, et nostre felicité. Voila donc qu'emporte cc mot d'esperance dont il est ici fait mention.

Or pour la fin nous avons aussi à noter que Baldad des, rit les hypocrites disant, qu'ils ont mis Dieu en oubly. Voire, car combien que les hypocrites parlent assez de Dieu, toutesfois si est-ce qu'ils l'ont oublié. Or la vraye memoire que nous avons de Dieu, est de sentir que tout nostre bien gist en luy qu'il ne nous faut point cercher de salut qu'en luy seul, et que sans sa bonté et misericorde il faut que nous allions à perdition. Voila donc que c'est de mettre Dieu en oubli: assavoir quand les hommes se plaisent en leurs vertus qu'ils cuident avoir la force de se pouvoir avancer et maintenir: et cependant ne vienent point à Dieu pour cercher les remedes de tous leurs maux en luy: comme c'est là qu'il faut recourir, et non seulement pour une fois: mais toutes fois et quantes que nous avons besoin de son aide. Nous ne mettrons point donc Dieu en oubly, quand nous cognoistrons qu'il nous faut recevoir tout bien de sa main, d'autant que nous en sommes desnouez quant à nous: mais ceux qui se confient de leurs propres vertus, ceux qui pensent par leur industrie se faire valoir, ceux qui presument en quelque façon que ce soit d'eux-mesmes, ceux-la mettent Dieu en oubly. Et pourquoy? Car ils luy ont ravy son office, et l'ont usurpe à eux. Apres, ceux qui sont adonnez à leurs affections mauvaises, et cupiditez charnelles, ne mettent ils point aussi Dieu en oubly? Nous voyons en ceux qui sont à leur aise qu'on ne les peut domter en façon que ce soit: il n'est point question de les faire cheminer en la crainte de Dieu. Celuy qui aura des biens de ce monde, si on luy remonstre qu'il se faut humilier, on n'en pourra iamais venir à bout. Et pourquoy? Les richesses luy ont fait des cornes pour heurter contre Dieu. Un paillard qui sera plonge en sa vilenie, si on l'en veut retirer par admonitions et corrections, il ne s'amendera point, mais plustost empirera, Tous ceux donc qui sont ainsi transportez de leurs affections propres sont comme bestes sauvages, ils se iettent là en perdition à leur escient, et ne les peut-on reduire au droit chemin. Et pourquoy? Ils ont mis I)ieu en oubly, et n'ont point cognu que pour cheminer en droiture, il faut que nous ayons tousiours Dieu devant nos yeux. Et de fait voila le titre que l'Escriture saincte donne aux fideles, que comme il est dit, que les hypocrites oublient Dieu, au contraire quand Dieu veut bien marquer les siens, et monstrer quel est le principal qu'il demande d'eux, il est dit, Voila un tel homme est comme en la presence de Dieu,

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il chemine comme devant Dieu. Ainsi donc apprenons de nous exercer en cela, et de bien recognoistre les benefices de Dieu, afin que nous le remercions, et quo nous l'invoquions à ce qu'il subvienne à nos povretez, estans certains quo quand nous viendrons mendier vers luy, il nous arrosera tellement de sa grace, qu'encores quo nous sentions de grandes chaleurs, c'est à dire quo nous ayons de grieves afflictions en ce monde, iamais toutesfois nous no desseicherons. Et pourquoy? Pource

quo Dieu ne permettra point que nous defaillions quand nous aurons une fois prins bonne racine en luy: il nous entretiendra tousiours iusques à ce qu'il nous ait retirez à soy, pour nous faire participans de la vie celeste: et mesmes qu'en ce monde il nous arrousera tousiours do sa grace, et nous la fera sentir entant qu'il nous sera mestier.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE TRENTEDEUXIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE VIII. CHAPITRE.

13. Telles sont les voyes de l'hypocrite, et de tous ceux qui oublient le Seigneur. 14. Leur fiance est retranchee, leur attente est une maison d'araigne. 15. Il s'appuyera sur sa maison, et elle ne tiendra point: il s'y veut tenir, et elle ne consistera point. 16. Si un arbre est planté devant le soleil' ses iettons s'espandront parmi le iardin. 17. Il sera estend aupres de la fontaine, et il se iettera vers la maison de pierre. 18. Il est arraché de son lieu, tellement qu'on luy dira, Ie ne te cognoy point. 19. Sa ioye sera d'estre replanté en autre lieu. 20. Ainsi Dieu ne reiettera point l'homme entier, et ne tiendra point la main aux meschans: 21. Iusqu'à - ce qu'il ait rempli ta bouche de ioye, et tes levres de liesse: 22. Que tes ennemis soyent confus, et le tabernacle des meschans ne consistera point.

Nous avons declaré ci dessus que c'est de mettre Dieu en oubly. Ce que nous avons bien à noter: car sous ce mot est comprinse l'hypocrisie, c'est à dire la vanité des hommes. Voulons-nous donc avoir une saincteté devant Dieu, laquelle il accepte et approuve? Advisons de cheminer comme devant luy, qu'il nous soit present, qu'en toutes nos voyes nous sachions que nous sommes on sa garde, quo c'est à luy do nous guider, et do nous adresse . Quand donc nous aurons une telle memoire de Dieu, nous no serons plus adonnez à ceste vanité quo le sainct Esprit nomme ici hypocrisie. Or pour mieux exprimer cela, il dit, Que la fiance de telles gens est comme la toille que tissent les araignes. On sait qu'une araignee fora sa toile: mais il n'y a nulle fermeté. Ainsi donc en est-il de ceux qui bastissent des vaines esperances: ils se font bien à croire, que cela doit persister iusques en la fin: mais Dieu se venge de ceste vaine presomption Nous voyons ici plus clairement quo c'est d'oublier Dieu. Si nous pensions bien que Dieu se reserve cest honneur de nous maintenir, et de nous benir en toute nostre vie: il est certain que nous ne serions point si fols ne si outrecuidez de nous faire à croire ceci ou cola: car nous saurions qua les hommes ne s'abusent ainsi on vaines esperances sinon d'autant qu'ils n'attribuent point a Dieu l'honneur lequel il demande, et lequel aussi luy est deu do droit. Notons bien donc qu'il n'y a qu'un seul moyen et remede pour nous retirer do toutes nos vanitez, et pour nous faire cheminer au bon chemin: c'est assavoir que nous cognoissions quel est l'office do Dieu. Mais quoy? Il y on a bien peu qui s'y estudient, aussi voit-on que le monde est plein do ceste hypocrisie. Mais d'autant plus nous faut-il bien noter ce passage, afin quo si nos esprits par ci devant ont osté ainsi hebetez do no cognoistre point Dieu, ou qu'ils ayent este iettez ça et la: si donc nous avons osté ainsi esgarez, quo pour le moins nous pensions à nous quand Dieu nous rappelle à soy, et qu'il nous monstre qu'il no veut point que nous demourions on nos folles confiances, mais que nous ayons un certain appuy: que nous ne bastissions point comme les araignes, mais que nous ayons une fermeté on luy, car il est certain qu'il y a une comparaison entre l'appuy que nous devons avoir en tout ce que Dieu nous promet, et entre tout ce que nous voulons pretendre dos creatures. Voici donc le S. Esprit qui condamne tout ce que nous aurons d'esperance aux creatures. Et pourquoy? Car voulons-nous

SERMON XXXII

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trouver fermeté hors do Dieu? il est certain que nous n'y en trouverons point. Or est-il ainsi que tous ceux qui s'adonnent et s'attendent aux creatures, veulent exclure Dieu, et le dechassent loin. Pensons nous qu'il souffre cela, et qu'il ne maudisse pas toutes ces vaines confiances? Mais ce passage a plus grand besoin d'estre bien medité, que d'estre bien exposé de paroles. Nous voyons que le tout gist en pratique, et que les hommes cognoissent, Or ça il est vray qu'on se persuade quand on trouvera des moyens humains et inferieurs, que cela-pourra beaucoup servir: mais quoy? En ce faisant on n'attribue point à Dieu son honneur: mais plustost on le destourne. Or est-il ainsi qu'il s'en venge. Ainsi donc si nous ne voulons avoir Dieu pour nostre ennemi, et qu'il destruise tout ce que nous aurons tasché d'edifier, il faut que nous ayons nostre appuy du tout en sa bonté, vertu, et grace. Nous n'aurons point alors des toilles d'araignees mais nous aurons une fermeté permanente. Si à l'opposite nous ne glorifions nostre Dieu comme il appartient, Ô il est certain que ce que nous voyons de nos yeux tous les iours advenir aux hypocrites pourra bien estre accompli en nous quand nous n'aurons fait nostre profit de tels exemples. Or venons maintenant à la similitude qui est ici adioustee. Il a esté parlé ci dessus d'un ionc qui estoit en lieu sec. Nous savons que son naturel est de croistre dedans des marescages: quand donc un ionc ou une herbe semblable croist sans eau, ou en lieu sec, il faudra que tout soit bruslé devant le temps: et combien qu'on n'y mette point la main pour l'arracher, encores qu'on ne la couppe ne fauche, elle s'en va perir. Or à l'opposite il est dit qu'un arbre qui aura prins bonne racine et vive, estant planté aupres d'une fontaine iettera ses branches et rameaux, voire iusques aupres d'une maison, ou bien il sera robuste comme une maison de pierre. Voila donc un arbre qui sera bien planté, neantmoins le maistre du iardin le pourra arracher, non point qu'il le vueille perdre du tout l'arbre est bon de soy et a bonne racine: mais ii n'est pas en lieu propre: le maistre donc l'arrache pour le replanter. Or si on le met en lieu plus ample, où il n'ait nul empeschement, et où il puisse trouver bonne substance et humidité, l'arbre pour cela se doit-il plaindre? sa condition est-elle pire? Non, mais c'est comme s'il s'esgayoit: non pas qu'il y-ait sentiment aux arbres, pour s'esiouyr, mais il est ici question de monstrer que l'arbre n'empire point, quand il est ainsi replanté d'un lieu à l'autre. Or ceste similitude doit estre appropriee à ceux que Dieu n'arrachera point du tout. Il les arrache pour un temps, mais il conserve la racine afin qu'estans replantez, ils verdoyent derechef' et qu'ils fructifient. Cela se fait iournellement, quand Dieu

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nous chastie a voire d'une telle rudesse, qu'il semblera bien de prime face, qu'il nous vueille du tout accabler, qu'il n'y ait plus nulle esperance: mais puis apres il nous fait la grace de retourner à luy. C'est comme si un homme riche qui auroit grandes possessions, arrachoit un arbre de son iardin, et qu'il le mist en un champ, là où un arbre se pourroit mieux eslargir: le soleil luy donne nourriture, et la terre où il est planté est propre pour prendre racine plus profonde, tellement que l'arbre grandit, et peut cueillir plus grand' force. Dieu donc besongne en telle sorte envers les siens. Et pourtant si nous sommes affligez de sa main' voire si durement qu'il semble que ce soit comme une espece de mort: si ne faut-il point que pour cela nous soyons esperdus, cognoissans que Dieu nous pourra bien remettre en bon estat, que nous florirons, qu'il nous mettra en prosperité comme auparavant. Voila ce qui est ici declaré en somme.

Or pour conclusion Baldad dit, que Dieu ne prendra point la main du meschant pour luy favoriser, et qu'à ne delaissera point les bons: mai, plustost remplira leur bouche de ioye. Il est vray qu'il parle ici de Iob: mais en sa personne il veut signifier que tous ceux qui se retourneront à Dieu le sentiront benin et favorable envers eux. En somme (dit-il le tabernacle du meschant ne pourra point consister: mais Dieu rendra tous les ennemis des bons confus: et non seulement il se monstrera propice à leurs personnes: mais si on les moleste et qu'on les fasche, Dieu se mettra entre deux, monstrant qu'il les a en sa defense et protection. Or voici un passage qui est bien digne d'estre noté, c'est assavoir, que nous sommes semblables à des arbres qui seront arrachez de quelque lieu pour estre replanter Ie parle des enfans de Dieu. Car les meschans pourront bien estre desracinez: mais c'est pour demourer là sans esperance, comme nous oyons la menace qui est faite par nostre Seigneur Iesus Christ, quand il dit (Matth. 15, 13), Que tout arbre qui ne portera point fruict sera couppé, et qu'on iettera le bois au feu. Voila donc Dieu qui fait des coupes horribles des meschans. Et pourquoy? Car il les` voit du tout reprouvez et adonnez à perdition. Il faut donc qu'il les racle à iamais. Il est dit aussi bien, Que tout arbre qui n'aura point esté planté de la main de Dieu sera arraché. Or nous en verrons beaucoup qui auront pour un temps quelque apparence, il semblera que ce soyent des arbres, voire que Dieu ait en son iardin, et en sa possession: car il y a des hypocrites meslez parmi les fideles. Ils voudront estre des plus avancez en l'Eglise: mais quoy? Ils ne sont point plantez pour avoir bonne racine et ferme: il faut donc qu'en la fin Dieu les racle. Autant en est-il de la vigne,

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que nostre Seigneur Iesus est le fond de la vigne, et nous sommes les seps plantez là dedans. Si nous produisons bons fruicts, Dieu nous cultive: nous sentons qu'il a tousiours sa main sur nous, afin de faire valoir ses graces, et les multiplier: mais si nous apportons mauvais fruict, ou que nous soyons du tout inutiles, et que Dieu puisse faire ceste complainte qu'il fait par son Prophete (Isaie 6, 5), Ma vigne, que t'ay-ie fait que tu ne m'apportes qu'amertume ? i'avoy attendu quelque douceur de toy, et il semble que tu vueilles estrangler ton maistre: que puis-ie donc, sinon t'arracher? Or cela nous doit faire dresser les cheveux en la teste: car nous sommes comme raclez du tout (comme i'ay dit). Et de fait toutes les afflictions qui adviennent aux contempteurs de Dieu, et à ceux qui sont incorrigibles sont autant d'arracheurs. Il est vray que du premier coup ils ne flestriront point: car si Dieu chastie un homme meschant, encores luy donnera-il loisir de penser à soy, et de se reduire: mais si est-ce que les ennemis de Dieu ne peuvent sentir un seul chastiement en ce monde, que desia Dieu ne commence à les arracher, et que cela ne tende à leur perdition finale. Et pourquoy? Tant s'en faut qu'ils s'amendent pour les verges de Dieu, qu'ils empirent plustost, et s'aigrissent contre luy. Et en cela voit-on que leur malice est du tout desesperee. Et ainsi notons que toutes fois et quantes que Dieu leve sa mai!

sur les meschans, c'est desia comme pour les arracher. Mais quant à nous, qui sommes adoptez pour ses enfans, voire si nous avons receu ceste grace-la sans feintise, notons bien que si Dieu nous afflige en ce monde ce n'est pas pour faire empirer nostre condition. Cela donc ne nous apporte point de nuisance, mais plustost nous sommes renouvellez et sentons quel soin Dieu a de nous. Voila une consolation inestimable aux enfans de Dieu.

Et cependant nous voyons aussi la necessité que nous avons d'avoir là nostre refuge. Pourquoy? Nostre vie est suiette a tant de calamitez que c'est pitié: iournellement il semble que Dieu nous doive arracher, et que nous devions perir. Cela est bien general à tons hommes: mais si est-ce que les fideles encores sont plus affligez que les autres. Et voila pourquoy S. Paul dit (1. Cor. 16, 19), Que si nostre esperance est seulement au monde, qu'elle s'arreste ici bas, nous sommes plus miserables que toutes creatures, que les incredules auront meilleur temps que nous, que leur condition sera plus heureuse. Puis qu'ainsi est donc qu'il semble que nous devions estre arrachez chacun iour, et que nous sommes tant affligez, que seroit-ce si nous n'avions ceste consolation qui est ici mise? Or il est vray qu'à parler proprement nous ne sommes pas arrachez,

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quand Dieu nous bat de ses verges et qu'il nous humilie: mais ceci se rapporte à nostre sens, et sur tout quand nous sommes pressez de maux. Car si Dieu nous envoye quelque affliction moyenne, comme chacun iour il nous en pourra advenir, comme quelque maladie, ou quelque iniure, ou quand il y aura quelque porte de biens, ou quelque autre affliction: cela n'est point comme si nous estions arrachez, ie di mesmes selon nos affections: mais c'est comme si on couppoit beaucoup de branches d'un arbre, quand on voit qu'il y a de la superfluité. Et bien on pourra coupper la moitié d'un arbre, et il demeure tousiours, quoy qu'il en soit, et puis il iette nouvelles branches. Ainsi donc en est-il de nous, quand Dieu use de quelques corrections moyennes, et qu'il n'y va pas à la rigueur extreme. Mais si Dieu nous veut esprouver iusques au bout, comme il adviendra que nous serons mis iusques au sepulchre, qu'il n'y aura plus une seule estincelle de vie (ce semblera), que les fideles se trouveront troublés, quand la main de Dieu s'eslevera contre eux: qu'ils regarderont et ça et là, qu'ils ne trouveront nulle issue à leurs afflictions: le mal les persecute, et semble que Dieu ait conspiré de iamais ne leur donner aucune relasche. quand donc les afflictions sont si grandes, et si excessives, voila ce qui est signifié par ce mot d'Arracher. Que faut-il donc ? Toutes fois et quantes que Dieu nous chastiera en quelque façon que ce soit, ne soyons point estonnés si le chastie. ment nous semble dur, et qu'il nous fasche selon nostre nature. Et pourquoy? Car nous desirons d'estre (comme on dit) et que nostre estat ne soit point diminué. Voila ce que nous appetons. Or si Dieu couppe quelque branche de nous, il faut qu'il y ait quelque repugnance, quelque contredit, voire en nostre sens naturel: mais cependant advisons de prendre courage, quand l'affliction nous faschera, que nous entrions en ce conte qui est ici mis.. Voila, il est vray que si on couppe d'un arbre, on diminue autant do sa beauté pour un an: mais celuy qui sera bon laboureur, et fera valoir son bien, et qui sera bon mesnagier, celui-la en couppant l'arbre, il est certain qu'il ne le veut pas faire empirer, il veut que l'arbre profite tant mieux.

Puis qu'ainsi est donc, remettons nous en la main de Dieu, et le prions qu'il dispose de nous: car il sait comme il nous doit faire fructifier. Souffrons donc qu'il couppe et retranche quelques branches de nous, et bataillons contre ceste fascherie naturelle, et ce chagrin que nous concevons du premier coup: bataillons (di-ie) à l'encontre, voire tellement que nous soyons là domtez, pour dire: Et bien, quand il plaira à Dieu de coupper quelque partie de nous, il sait pourquoy il le fait; Au reste,

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il nous faut encores passer plus outre: car ce n'est point encores assez d'avoir monstré nostre patience, quand il y aura un petit mal et commun: mais ai Dieu nous ameine iusques à la mort, c'est à dire qu'il use d'une telle extremité en nous chastiant, qu'il semble bien qu'il nous vueille faire perir, que quand nous ferons nos discours çà et là, nous no pourrons sinon nous condamner et nous rendre confus: si faut-il neantmoins que nous demeurions fermes, comme il sera dit ci apres, Qu'encores que Dieu nous occist, si faut-il que nous esperions en luy: car il est le medecin pour guarir non seulement des playes, mais de la mort mesmes. Et voyla comme il en est parlé au Pseaume (23, 4), Encores quo ie cheminasse en l'obscurité de la mort, moyennant que ie voye la houlette de mon Dieu, c'est à dire qu'il se monstre estre mon pasteur, ie m'esiouirai en cela. Apprenons donc de batailler contre ceste tentation, qui nous solicite à desespoir, quand Pieu nous presse outre mesure (ce nous semble) et que nous n'en pouvons plus: que toutesfois nous subsistions, pour dire, Sommes nous arrachez? Et Dieu ne nous peut-il pas replanter? Si un laboureur de terre peut mettre un arbre d'un lieu à l'autre, et Dieu n'aura-il point plus de vertu? Confions nous donc en luy, et ne doutons point que quand il luy plaira d'avoir pitié de nous, nous ne soyons restaurez mieux qu'auparavant. Et voire, mais le moyen ne se trouve pas selon les hommes. Aussi ne faut-il point que nous mesurions la grace et vertu de nostre Dieu à nostre raison: ne luy faisons point ceste iniure-la: mais sachons que cc qu'il a donné de pouvoir aux hommes mortels, il ne se l'est point osté à luy-mesme: qu'il en a beaucoup plus et sans comparaison, tellement qu'il ne sera point empesché de nous assister aux plus grans maux: quand les calamitez seront mortelles du tout, si est-ce qu'il nous restaurera, en sorte que nous aurons dequoy nous resiouir en luy.

Or il reste maintenant que ceci soit appliqué à nostre usage. Nous voyons (comme i'ay desia touché) quelle est la condition de la vie presente: chacun doit regarder à soy, il n'y a celui qui ne se sache bien plaindre, et qui ne face ses regrets: on bien encores qu'il ne les prononce de bouche, il sera là enserré de douleur, O il m'est advenu un tel mal, i'ay faute de ceci, Dieu m'a diminué d'autant. Nous saurons bien penser à toutes ces choses et le diable aussi ne faudra pas à nous les presenter, à ce que nous soyons faschez et tourmentez, voire iusques à nous despiter contre Dieu. Que faut-il? Voici le moyen pour repousser telles tentations: c'est assavoir, de considerer que si Dieu besongne envers les siens d'une telle façon, le tout leur sera tourné à salut, ils feront leur profit et advantage de ce qui sembloit tendre à leur perdition.

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Et voila pourquoy mesme l'espece qui est de prime face plus estrange beaucoup et plus sauvage |nous est ici mise au devant: assavoir, quand on parle d'arracher, voila alors un arbre qui est mort, c'en est fait. Car où consiste la vie d'un arbre? en la racine. Puis donc qu'on luy oste la terre, il n'y a plus de vie. Ainsi en est-il de nous: car si Dieu nous oste ce qui est propre à la vie presente, nous voila arrachez, qu'il n'y a plus d'esperance. Et pourquoy? Car nous iugeons que nostre vie consiste d'avoir des biens, d'avoir dequoy nous sustanter et nourrir. Et ne faisons point encores comme les arbres: car un arbre se contentera d'avoir son lieu tant que sa racine en peut occuper: mais un homme a une cupidité insatiable, nous sommes des gouffres, tellement qu'il nous semble que tout le monde n'est point assez pour nous entretenir: car ceux qui ont et champs et possessions et vignes, et autres heritages encores leur semble-il que terre leur doive faillir: ceux qui auront argent en bourse, craignent et sont en doute, voire, et sont continuellement tormentez de peur que Dieu ne leur retranche leurs morceaux, qu'il amoindrisse leur portion. Puis donc que nos cupidités ont si longue estendue, nous ne sommes pas seulement comme la racine d'un arbre: mais il n'y a ne fin ne mesure. Et qu'ainsi soit, avons nous ceste sobrieté de nous retenir là où le sainct Esprit nous appelle? Il s'en faut beaucoup. Ainsi donc notons bien qu'encores qu'il semble que nostre vie ne puisse pas consister sans les moyens ordinaires que Dieu a deputé à cela: neantmoins il pourra remettre des moyens au dessus lesquels nous seront eschappez, il nous les rendra du iour au lendemain. Il est vray que la chose ne nous semblera pas facile: mais c'est assez que Dieu y provoirra, voire et y mettra tel ordre que nous aurons dequoy magnifier sa vertu et sagesse infinie, quand il aura ainsi besongné d'une façon qui nous estoit incomprehensible. Voila (di-ie) comme nous avons à praticquer ce passage: qu'un chacun, quand il se trouvera en telles perplexités, pourra dire, Helas! que doy-ie devenir? Ie voy que mon bien s'est diminué d'autant: ie voy que ie suis exclus de tels moyens que i'avoye. Et comment? Mon train se diminue de ceci et de cela. Et bien, Dieu a couppe: mais il faut dire que ce qu'il a couppe estoit superflu en moy: il faut que i'en face mon profit. Si ie ne voy point comment il faut prier Dieu, qu'il me monstre que ainsi est, car il faut que nous facions ceste conclusion, que ce n'est point sans cause qu'il couppe ainsi ce qu'il cognoist' estre superflu en nous.

Mais preparons nous cependant à estre arrachez: car c'est le principal. Il y en a beaucoup qui pourront souffrir des afflictions moyennes: et

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bien, si Dieu les diminue, ils se monstreront constans, tellement qu'on voit bien qu'il n'y a point eu une ambition enorme, qu'il n'y a point eu une avarice par trop desreglée: ils prendront ce qui leur reste, et se contentent de cela remercians Dieu: on les, voit paisibles. Mais s'ils sont pressez un peu plus vivement, voire qu'il semble que Dieu les vueille accabler du tout, alors on les trouvera tout estonnés. Et pourquoy? D'autant qu'ils ne se sont point apprestez comme ils doyvent à soustenir le combat duquel il est ici parlé: c'est assavoir, d'estre arrachez du tout. Ce n'est point donc assez que nous permettions à Dieu qu'il couppe des branches en nous, et qu'il retranche ce qu'il cognoist estre de superfluité: mais permettons luy aussi qu'il nous arrache. Car il a ce droit sur nous, et nous ne gaignerons rien à y resister, Mais encores c'est nostre grand profit , que nous esperions qu'il nous replantera. Et pourquoy ? Car nous donnerons lien par ce moyen à sa misericorde. Et à l'opposite nous resistons à la grace de Dieu, tellement qu'il ne nous daigne pas restaurer quand il voit qu'apres avoir esté affligez, il nous semble que c'en est fait, et que nous ne pourrons plus avoir vigueur nouvelle: c'est autant comme si nous couppions la main à Dieu, pour dire, qu'il ne nous replante plus. Il est vray que sa puissance ne sera point amoindrie par nostre incredulité: mais nous De sommes pas dignes de la sentir ne de iouir d'un tel bien. Voila donc oh il nous faut venir, c'est qu'un chacun se dispose à estre comme arraché: c'est à dire, si Dieu nous a affligez en partie, que quand il luy plaira nous affliger du tout, et en nos personnes, et en femmes, et en lignée, et en honneur, et en tout ce qu'il a, en sorte que nous soyons là comme des povres charongnes (par maniere de dire) que nous n'ayons plus une seule goutte de vie: que neantmoins nous demeurions là paisibles. Voila une chose qui surmonte toutes vertu shumaines: ie le confesse: et aussi il n'est point question que les hommes s'efforcent ici d'eux-mesmes: mais il faut que nous demandions à Dieu qu'il besongne en nous, afin qu'il puisse chevir tellement de nostre vie, que nous soyons prests et à vivre et à mourir, comme il luy plaira. Il faut donc le prier qu'il nous donne une telle vertu: et alors ne doutons point que ce qui est ici escrit ne s'accomplisse. Car Dieu ne nous a point voulu frustrer en nostre esperance, quand il nous a accomparez à des arbres qu'on plante, et apres qu'on arrache, et en la fin qu'on replante encores en meilleur lieu. Or il est vray que nous ne serons pas tousiours replantés quant au monde: nous pourrons bien demourer arrachez, voire et semblera mesmes que Dieu nous ait reiettés: et si nous voulons iuger selon nostre condition,

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nous pourrons dire, C'en est fait: car si Dieu eust voulu avoir pitié de moy, il n'eust pas attendu si long temps, ne differé: quand ie voy qu'il me laisse ici pourrir en mon mal, c'est signe que iamais il ne me veut remettre au dessus.

Voila que nous pourrions dire: mais qu'il nous souvienne que Dieu veut esprouver nostre foy en nous tenant en cest espoir de la vie celeste qui nous est maintenant cachée. Car encores que Dieu benisse les siens, et qu'il leur donne quelque prosperité en ce monde, ce n'est pas à dire que leur dernier estat ne soit meilleur pour eux, d'autant qu'il nous a plantez en son Eglise, afin que nous vivions en son royaume sans fin, et à perpetuité. Quelle est donc nostre vraye resurrection et renouvellement? assavoir, que Dieu nous reserve et mette en son royaume: quand il nous aura pourmenez par ce monde, qu'il nous aura fait passer par eau et par feu, et par toutes afflictions, qu'en la fin nous soyons exemptez de toutes miseres de ce monde, et qu'il nous face participans de sa vie, et de sa gloire. Et ainsi retenons ce que nous dit sainct Paul (Colos. 3, 3)7 Que nostre vie est cachée en Iesus Christ et que nous n'en verrons point la vraye manifestation et parfaite, iusques à ce que nostre Seigneur Iesus viene du ciel. Bref, regardons à une autre similitude qui nous doit estre assez familiere. Il est vray qu'en l'hyver il semblera que les arbres soyent morts, nous verrons la pluye qui sera là comme pour les pourrir, ils en seront tant pleins qu'ils en crevent: et bien voila une pourriture. Apres, la gelée viendra, comme pour les brusler et desseicher. Nous verrons toutes ces choses, nous ne verrons point une seule Heur: cela est retranché. Voila donc une espece de mort qui dure non point pour un iour ne pour deux, mais quatre mois ou cinq. Or tant y a que la vie des arbres est cachée, la verdure est en la racine, et au coeur du bois. Ainsi donc en est-il que nostre vie est cachée, non point en nous: car ce seroit encores une povre cachette: il ne faudroit point grande gelée pour la brusler, ne grande pluye pour la corrompre: car mesmes nous portons le feu et la gelée en nous pour la consumer: mais nostre vie est caché e en Dieu, il en est le gardien. Et nous savons que Iesus Christ est celuy duquel nous tirons toute nostre vie. Ainsi donc contentons nous de ceste cachette-la. Il est vray que si un laboureur a arraché un arbre, s'il le veut replanter, il faut qu'il se haste: car si un arbre demouroit là quelque temps, iamais il ne prendroit racine, encores qu'il soit replanté de nouveau. Mais Dieu a une autre vertu que n'ont pas les laboureurs de la terre. Cependant nous voyons mesmes quelques fois l'industrie des hommes, qu'ils pourront bien garder un arbre quelque temps On

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le mettra en lieu ombrageux, tellement qu'il ne pourra point avoir le vent ou le soleil pour le desseicher, que tousiours sa substance sera là tenue enclose: les hommes trouveront quelques moyens, encores qu'ils ne puissent pas sauver la vie des arbres à tousiours, si est-ce qu'ils y aideront en quelque façon. Or ne pensons point, quand Dieu nous voudra tenir arrachez long temps, qu'il ne nous puisse neantmoins conserver, voire en telle sorte qu'il n'aura nulle difficulté de nous faire prendre racine nouvelle quand il luy plaira. Voila donc ce que nous avons à mediter. Et c'est en quoy il faut qu'un chacun s'exerce, et applique son estude, pour bien faire nostre profit de ceste similitude de laquelle il est ici parlé.

Or pour conclusion, et pour confermer ce propos, il nous faut bien noter ce qui est ici dit: c'est assavoir, Que Dieu, ne prestera iamais la main aux meschans, mais à l'opposite qu'il rendra les ennemis des bons confus, et qu'il aura tousiours pitié d'eux. Vray est que si nous voulions imposer loy certaine à Dieu pour dire, qu'il se gouverne envers nous quant à la vie presente en sorte que nous soyons benits de luy, et que nous soyons tousiours en prosperité 7 cette doctrine seroit fausse. Et aussi nous avons assez de tesmoignages en l'Escriture que Dieu ne veut point tenir ici une regle telle, que ceux desquels il est Pere et Sauveur soyent à leur aise, et en repos: et de fait cela ne nous seroit point expedient. Comme si auiourd'huy les bons estoyent traitez doucement de Dieu, et qu'ils eussent tout à souhait, et a leur desir, et que les meschans fussent rudement punis: où seroit l'attente du dernier iour? Nous serions endormis en ce regard-la tellement qu'il ne faudroit plus que nostre Seigneur Iesus Christ apparust pour estre le Iuge du monde. Et pourquoy? Les iugemens de Dieu seroyent tous notoires, il n'y auroit plus d'autre esperance de salut. Nous voyons qu'encores que Dieu laisse les choses confuses en ce monde, que les bons soyent tourmentez iusqu'au bout, que les meschans soyent eslevez en triomphe: si est-ce que nous sommes ici assoupis, que nous sommes si stupides que nous ne pouvons pas estre touchez de venir a Dieu, et de regarder ce qu'il nous dit, assavoir, Que maintenant nostre vie est cachée, et qu'il nous faut attendre qu'elle soit revelée quand Iesus Christ apparoistra. Nous ne pouvons point venir à ceste consideration, quoy qu'il en soit: voire, combien que Dieu nous solicite, qu'il nous y attire quasi par force. Que seroit-ce donc, si Dieu conduisoit tellement la vie des hommes, que tout y fust bien reglé, que personne n'eust adversité: et qu'on peust appercevoir: Voici Dieu qui assiste aux bons, cependant il monstre qu'il est ennemi des meschans, qu'il ne les peut

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I supporter ne souffrir. Il est certain que nous ferions ici nostre paradis, nous conclurions que ce seroit une vaine attente de l'advenement de Iesus Christ, et qu'il ne nous faut point attendre à cela. Ainsi donc nous voyons qu'il n'est point utile que maintenant Dieu nous tiene en une façon ordinaire, et egale pour se monstrer propice aux fideles, et pour punir les meschans: mais qu'il semblera pour un temps qu'il dissimule, quand les meschans se desbordent, quand ils le despitent, qu'ils ne font que se moquer de luy. Et bien, il semble que Dieu dorme, ou bien qu'il n'ait point le moyen de les reprimer: il faut que les meschans s'esgayent, et qu'ils ayent le meilleur temps: et aucontraire quand les bons sont affligez et tormentez 7 que Dieu ne les secoure point: qu'ils gemissent apres luy, qu'ils l'invoquent: mais il semble que ce soit en vain: car s'ils estoyent exaucez, l'effect s'en monstreroit Il est donc bon que les choses aillent ainsi. Et pourquoy? Quand il n'y auroit que la raison que i'ay alleguée desia, ne suffiroit-il point? Et puis nous devons aussi rapporter ici les autres passages de 1' l'Escriture: comme ce qui est dit, Que nostre foy est bien plus precieuse que les metaux corruptibles: que s'il faut que l'or et l'argent passent par le feu, pour estre purgez de leur escume, il faut aussi que nostre foy soit tant plus vivement esprouvée, qu'elle est precieuse devant Dieu. Et comment cela se fera-il? Par afflictions. Voila donc ce que nous avons à noter pour faire nostre profit de ce passage: qu'il semble bien que Dieu tende la main aux meschans, qu'il leur favorise, et se monstre leur ami: aucontraire, qu'il ne declarera pas du premier coup son amour envers ses fideles: mais il les laissera languir, tellement qu'on les foule aux piez, qu'il ne semble point que iamais ils doivent estre remis au dessus. Dieu donc fera bien toutes ces choses: mais si est-ce qu'il ne laisse point cependant d'accomplir ce qui est ici contenu: c'est assavoir, qu'il ne tend point la main aux meschans. Et pourquoy? Car tout ce qu'ils ont de bien, et en quoy ils se plaisent, et se glorifient, il faut que cela leur retourne à confusion. Mais nous n'appercevons point cela , sinon que nous prestions l'aureille à ce qui nous est dit en l'Escriture. Et quand nous aurons là tendu l'aureille pour escouter ce que Dieu prononce, alors il nous donnera les yeux pour contempler ce qui nous est caché. Comme quoy ? Voila nostre Seigneur Iesus qui crie, Malheur sur vous qui riez auiourd'huy, car vous pleurerez: malheur sur ceux qui s'esgayent, car il faudra qu'ils ayent tourments à la pareille, tellement quo toutes leurs ioyes leur cousteront bien cher. Voila l'Escriture qui prononce cela: il faut que nous recevions ce qui est là dit, et qu'il nous soit pour tout resolu. Et quand nous

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aurons fait cest honneur à Dieu d'adiouster foy à sa parole: alors il nous fera sentir ce que les hommes n'apperçoivent point, qu'au milieu de la plus grande adversité et fascherie que nous puissions avoir, nous avons encore matiere de rire: c'est à dire, de nous consoler et resiouir, d'autant que nous regarderons à l'issue heureuse que Dieu nous promet, encores qu'elle ne se puisse point appercevoir de nos yeux et entendemens charnels. Tant y a que ceci est tout certain, assavoir, que Dieu ne favorise point aux meschans. Et pourquoy? Pource que quelque prosperité qu'ils ayent, encores qu'ils florissent selon l'apparence, si est-ce que tout leur est converti en ruine et en confusion. Et aucontraire encores que les fideles soyent affligés et tormentés en plusieurs façons: d'autant qu'ils sont tousiours soustenus de la main de Dieu, iamais ne défaillent, et tout leur est converti à salut et à profit. Et en cela voyons nous ce qui est ici contenu estre accompli. Voila

en bref, ce que nous avons à noter de ce passage. Ainsi donc apprenons de ne point mettre nostre appui en ce monde, ni en tous les moyens inferieurs d'ici bas: mais ayons nostre appuy en Dieu, voire, d'autant qu'il nous a donné nostre Seigneur Iesus Christ, afin qu'estans plantez en luy nous en tirions vertu et substance telle, que encores que nostre vie soit cachée, que nous Soyons mesme comme en la mort: nous ne laissions pas de subsister, et d'estre maintenus en bon estat et ferme, voire attendans que ce bon Dieu nous ait delivrez de toutes les miseres de ce monde, et de toutes les tribulations qu'il nous y faut souffrir, iusques à ce qu'il nous appelle et introduise au royaume celeste, et en ceste gloire qu'il nous a acquise par le précieux sang de nostre Seigneur Iesus Christ.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE TRENTETROISIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE IX. CHAPITRE.

1. IOB respondant dit, 2. Pour vray ie say que l'homme ne sera point iustifié envers Dieu. 3. S'il veut debattre avec luy, il ne luy respondra point de mille articles un seul. 4. Il est sage de coeur, robuste de force. Et qui est-ce qui s'opposera à luy, et il aura paix? 5. Il transmue les montagnes, et n'en sentent rien, quand il les subvertit en son ire. 6. Il remue la terre de son lieu, et les pilliers d'icelle tremblent.

Combien que les hommes soyent contraints de confesser que Dieu est iuste, et qu'il n'y a que redire en luy: toutesfois leurs passions sont si exorbitantes, si quelqu'un est afflige, que non seulement on orra des murmures contre Dieu, mais à pleine gorge ceux qui seront ainsi pressez le blasphemeront. Ils ne laisseront pas cependant d'estre tourmentez: mais il leur semble qu'ils se revengent en quelque façon, quand ils peuvent ainsi despiter celuy contre lequel ils ont affaire. Or d'autant plus nous faut-il avoir premedité la iustice de Dieu de longue main, afin que quand il nous affligera, tousiours nous demourions en ceste humilité de le recognoistre tel qu'il est, c'est assavoir iuste et irreprehensible. Cependant ce n'est pas encores tout, de confesser en general qu'il n'y a qu'equité en Dieu. Car nous avons veu par ci devant que Baldad soustenant ceste querelle, que Dieu est iuste la deduisoit d'une façon mauvaise, quand il s'arrestoit là, quo Dieu punit les hommes selon qu'ils l'ont merité. Or (comme desia nous avons veu) il n'y a point une regle egale en cela. Dieu espargne aucunesfois les meschans et les supporte, aucunesfois il chastie ceux qu'il aime, et les traite en plus grande rigueur beaucoup, que ceux qui sont du tout incorrigibles. Si donc nous voulons estimer que Dieu chastie les hommes, chacun selon qu'il l'a deservi, que sera-ce? Quand on veut maintenir sa iustice par ce moyen-la, on y procede mal. Voila donc un vice, c'est que quand on veut mesurer la iustice de Dieu, pour dire, Il n'afflige personne sinon pour ses fautes: voire, et en telle qualité, et en telle quantité comme chacun l'a offensé, il faut que Dieu luy rende en ce monde: alors on ne prend point la iustice de Dieu comme on doit. Pour ceste cause, maintenant Iob traite beaucoup mieux quelle est la iustice de Dieu, et comme il la faut cognoistre. que n'a fait ni dessus Baldad

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c'est que sans qu'on regarde ni à un peché ni à l'autre, mais qu'on prenne les hommes tels qu'ils sont dés le ventre de la mere, toutesfois il faudra que le monde universel soit condamné devant Dieu, et qu'on cognoisse, combien que les afflictions semblent rudes, toutesfois que Dieu ne peut estre redargué. Notons bien donc que ce sont deux façons de parler diverses, de dire: Dieu est iuste, car il punit les hommes selon qu'ils l'ont deservi: et de dire, Dieu est iuste, car comment qu'il traite les hommes, si faut-il que nous ayons tous la bouche close, et que nous ne murmurions point à l'encontre de luy, pource que nous n'y pourrons rien gagner. Si nous voyons un homme meschant que Dieu afflige (ainsi que nous avons touché par ci devant) alors Dieu vent qu'on cognoisse son iugement particulier qu'il fait, afin qu'on en soit adverti. Et l'Escriture saincte en parle en ceste sorte. Nous voyons que Dieu punira les paillardises, il punira les cruautez, il punira les periures il punira les blasphemes, et choses semblables: ouy, ou sur les personnes, ou bien sur les pays, sur quelque lieu qui aura este addonné à quelque crime: Dieu y met la main, il nous monstre là un miroir pour nous instruire: comme saint Paul en parle, quand il dit Voila, Dieu iuge les pecheurs, afin qu'un chacun y prenne garde. Car s'il a puni les rebellions contre sa parolle, c'est pour nous faire cheminer en crainte: quand il a puni les meschantes cupidités, c'est afin que nous soyons tenus court en bride: quand il a puni les paillardises, c'est afin que nous cheminions en toute pureté et de corps et d'ame. Voila donc comme Dieu veut bien qu'on regarde et contemple ses iugemens, voire quand ils sont manifestes. On dira bien quelquesfois, Dieu est iuste. Et pourquoy? Car il a puni un tel, voire d'autant que c'estoit un homme de mauvaise vie, et dissolue. Il a exercé sa vengeance sur un tel pays. Et pourquoy? Il estoit plein de toute infection et ordure. Nous pourrions bien parler ainsi, et nous le devons faire: mais ce n'est pas tousiours. Car comme desia nous avons touche, il ne tient point une regle egale. Que faut-il donc? Il faut venir plus haut, que Dieu est tousiours iuste comment qu'il traite les hommes. Or ceci est bien digne d'estre noté, car auiourd'huy nous verrons des bestes, qui cuideront toutefois estre docteurs subtils, quand ils maintiendront la iustice de Dieu selon leurs sens et phantasies, ils voudront que Dieu soit reputé iuste, Et pourquoy ? Traitant les hommes (ainsi que nous avons desia dit) selon les demerites d'un chacun. Et pour ce faire, il faut qu'ils attribuent aux hommes un franc arbitre, il faut que l'election de Dieu soit ruinée et aneantie. Car de dire que Dieu elise ceux qu'il luy plaist, et qu'il les appelle à salut par sa bonté gratuite, et que les autres soyent

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reprouvés de luy, pource qu'ils ne peuvent pas comprendre la raison de cela, ils le trouvent bien estrange. Et voila pourquoy ces belistres qui contrefont les grands clercs, renverseront les premiers fondements de nostre foy pour prouver la iustice de Dieu, voire à leur phantasie. Et pourquoy cela? Ils ne peuvent monter si haut que de cognoistre, que Dieu est tousiours iuste en comparaison des hommes, voire quels qu'ils soyent. Il est vray qu'il nous faut garder d'une autre extremité qui est vicieuse. Car nous en verrons qui seront d'une vie si infame que rien plus: que s'ils se voyent descouvers en leur turpitude, O de moy ie suis homme de bien (ouy quant au monde) ie confesse qu'un chacun est pecheur devant Dieu: ils se couvriront de ce manteau commun. Voila un paillard qui aura hanté le bordeau par l'espace de dix ans: voila un blasphemateur qui ne cesse de maugreer et despiter Dieu: voila un vilain contempteur de Dieu, et de toute religion: voila un desbauche, un homme sans conscience qui ne demande que d'en avoir, sans foy, sans loyauté: telles canailles diront qu'il est vray qu'ils sont pecheurs devant Dieu: car nul n'est iuste. Ils laisseront là leurs fautes qui sont si enormes que rien plus, et se cacheront sous ce manteau de l'infirmité humaine: et diront qu'il n'y a nul homme mortel qui puisse estre egale à Dieu. Il leur semble qu'ils ont beaucoup fait de passer une telle confession. Or i'ay desia monstré qu'il nous faut avoir tous ces deux articles. L'un est qu'en general nous cognoissions Dieu estre iuste au regard de tout le monde, et qu'il ne faut pas que les hommes quels qu'ils soyent, De quoy qu'ils puissent amener, plaident ne debatent avec Dieu: mais faut que tous soyent confus et grands et petis. Voila un Item. Le second est, qu'un chacun regarde h soy en particulier, et qu'un chacun gemisse de ses fautes, qu'un chacun les deteste, et les condamne. Et sur cela, que nous apprehendions aussi les vengeances et punitions que Dieu envoye sur les pechez, afin d'en savoir faire nostre profit. Si nous sommes batus de ses verges, qu'un chacun dise, C'est à bon droit, ie l'ay bien merité. Si Dieu nous instruit aux despens d'autruy, qu'il corrige les autres devant nos yeux: car cela nous touche, que nous appliquions tels exemples à nostre instruction, afin de prevenir, que Dieu ne soit point contraint de se ruer sur nous, d'autant que nous n'aurons point fait nostre profit des chastimens qu'il nous a monstré en la personne des autres. Voila donc les deux articles que nous avons à noter et à pratiquer.

Venons maintenant à deduire ce qui est ici dit par Iob. Ie say (dit-il) pour vray que l'homme ne sera point iustifié avec Dieu. 11 y a ainsi: mais ce

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mot avec vaut autant comme envers Dieu. Or c'est une doctrine de grand poids, quand on l'aura bien cognue. Qui est cause que les hommes se iustifient si hardiment, c'est à dire qu'ils presument d'eux mesmes, qu'ils se prisent, et qu'ils sont pleins d'orgueil? Qui est cause de cela, sinon d'autant qu'ils s'arrestent ici bas, et chacun fait comparaison de soy avec ses voisins? Voila donc où nous recourons. Et voila pourquoy sainct Paul nous rameine au grand Iuge: Chacun portera son fardeau, comme s'il disoit, Mes amis on se trompe quand on fait telles comparaisons. Et quoy ? Ie voy que les autres ne vivent pas mieux que moy: et si i'ay des vices, chacun aussi en a. Voila donc pourquoy c'est que les hommes ne se condamnent pas comme ils devroyent, mais plustost qu ils se flattent en se iustifiant. Mais ici notamment il est dit, que l'homme avec Dieu ne sera point iustifié. Que faut-il donc? Apprenons toutes fois et quantes qu'on nous parle de nos pechez, et qu'on nous les propose, qu'il ne nous faut point tenir les yeux ici bas mais qu'il nous faut regarder ce siege iudicial de nostre Seigneur Iesus Christ, là où nous aurons à rendre conte: il nous faut cognoistre la maiesté incomprehensible de Dieu. Qu'un chacun donc pense-là, et alors nous serons tous resveillés, pour nous retirer de nos folies, nous n'aurons plus ces vaines imaginations et resveries qui ont accoustumé d'endormir les pecheurs. Si cela eust este observe, auiourd'huy on n'auroit point les debats en la Chrestienté, qu'on a touchant la iustice de la foy. Les Papistes ne peuvent estre persuadés de ce que nous disons que nous sommes iustifiés par la pure grace de Dieu, en nostre Seigneur Iesus Christ. Et pourquoy? Et que deviendroyent les merites (disent-ils) et les bonnes oeuvres ausquelles consiste le salut des hommes ? Et pourquoy est - ce que les Papistes s'arrestent à leurs merites, et qu'ils y sont enyvrez sinon d'autant qu'ils ne regardent point à Dieu? Ils disputent en leurs escoles: voila les bonnes oeuvres qui meritent recompense et salaire, tout ainsi que les mauvaises oeuvres meritent punition: car ce sont choses opposites. Si les pechez des hommes meritent d'estre punis, il faut donc qu'il y ait quelque loyer pour les vertus: car la iustice de Dieu autrement ne seroit point egale, voire ce nous semble, et on en peut ainsi disputer en l'ombre. Mais voila les Papistes qui s'endorment sur ceste dispute: et cependant Dieu de 9011 coste, ne laisse pas de iuger, et non pas selon leurs loix, mais il se gouverne selon sa maiesté c'est assavoir qu'il trouvera aux hommes ce que nous n'y pouvons pas appercevoir. Or si nos vertus estoyent vrayement divines, c'est à dire, qu'elles peussent suffire devant Dieu: ce seroit quelque chose. Mais quoy? ce ne sera que fumee, quand

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nous les aurons bien prisées: si elles viennent devant Dieu, il faut que tout cela soit mis bas. Retenons bien donc ce qui est ici dit, que l'homme ne sera point iustifié envers Dieu. Et que par cela nous soyons admonnestez, toutes fois et quantes qu'on nous parle de nos pechez, qu'il ne nous faut point arrester ici bas: mais qu'un chacun plustost s'adiourne devant Dieu, que nous cognoissions quel iuge il est. Car si tost que nous voudrons plaider contre luy il faudra que nous soyons confus, et comme abysmez.

Or Iob adiouste quant et quant, Que si l'homme veut debatre avec Dieu, il ne luy respondra point à un seul article de mille. Il est vray qu'on pourroit rapporter ceci à Dieu: que nous aurons beau plaider: que nous pourrions faire un long procez, où il y aura mille items, que Dieu ne daignera pas ouvrir la bouche pour faire une telle replique. Et cela est bien vray: car tout ce que nous pretendrons de couleur pour nous iustifier, aura bien quelque apparence devant les hommes, pource qu'ils ne voyent point si clair comme il seroit requis: mais quand nous approcherons de Dieu, tout cela s'en va à neant. Ne pensons point donc que Dieu s'estonne de nos longs et grans procez, lors que nous ietterons nos escumes, quand il sera question de nous excuser, et de faire valoir nos vertus, Ô il semblera que Dieu doive estre comme vaincu de nous. Voire, mais cependant il ne fait que se rire, et se moquer de toutes les fanfares que les hommes apporteront: cela n'est rien. Voila donc une sentence bonne et saincte, que Dieu ne respondra pas à un seul article, quand nous en aurons allégué mille. La raison ? C'est d'autant que cela n'est de mise, ne de recepte devant luy. Devant les hommes il viendra bien à compte. Mais quoy ? Vien ne s'en estonnera nullement. Toutesfois le sens naturel de ce passage est, que nous serons si empeschez estans venus à Dieu (assavoir en combat contre luy) que nous ne pourrons pas respondre à un seul article, de mille qu'il nous mettra en avant. Il est vray que nous sommes si eslourdis de prime face devant qu'avoir desgaisné (comme on dit) nous avons la guerre à Dieu. Et nous le voyons. Ie vous prie, ne ferons nous point plus grande difficulté de nous attacher à un homme mortel, on à une creature qui ne sera rien, qu'au Dieu vivant? Si nous voulons faire la guerre à quelqu'un, nous penserons, A-il le moyen de se revenger? comment en pourrons-nous venir à bout? Cela nous pourroit tourner à fascherie et desplaisir. Nous ferons beaucoup de disputes, quand il sera question de plaider contre les hommes: et si nous voulons heurter contre Dieu, nous y allons à l'estourdie. Nous voyons donc par cala quelle rage il v a aux hommes voire une rage diabolique. de s'attacher

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ainsi à Dieu: mais estans là venus nous sentirons par experience que c'est de nous y estre frottez, et qu'il n'y a point de ieu à un. tel maistre. Voila donc ce que monstre ici Iob. Car il met l'audace des hommes telle qu'on l'apperçoit: et puis à l'opposite, il met le trouble où ils sont quand Dieu leur fait sentir qu'il est iuste et qu'il les rond confus. Notons bien donc quo les hommes voudront plaider contre Dieu, et debatre comme nous le voyons: mais cependant apres qu'ils seront entrez en combat, il faudra qu'ils demeurent là accablez: et Dieu alors leur fera sentir qu'il faut qu'ils demeurent confus en despit de leurs dents. Ceci est bien nécessaire: car i'ay desia monstré que la folle outrecuidance, de laquelle les hommes se trompent, procede de ce qu'ils ne regardent point à Dieu: mais font leurs discours. Et voire, ie ne suis point pire que les autres, et puis, si i'ay des vices, il y a des vertus qui recompensent. Les hommes donc s'endorment ainsi, d'autant qu'ils ne cognoissent point que c'est de la maiesté de Dieu et n'en ont point apprehension vive pour estre humiliez sous icelle. Puis qu'ainsi est, notons bien ce qui est ici dit: c'est assavoir que les hommes veulent plaider et debatre contre Dieu. Et pourquoy cela? Car nous sommes tellement aveuglez que nous ne pouvons regarder à nous pour dire: Comment? Voici Dieu qui nous pourroit abysmer, et nous mettre iusques aux profonds abysmes d'enfer: et cependant que nous venions nous dresser contre luy? Or nous ne pensons point à cela: il ne se faut point donc esbahir si nous sommes ainsi aveuglez: mais qu'un chacun advise bien à soy, et on trouvera que c'en est la raison. Si on nous parle de plaider contre Dieu, nature mesme nous enseigne que nous devons avoir cela en horreur: ie di les plus meschans. Nous verrons des gaudisseurs qui n'ont nulle conscience ne religion: si est-ce toutesfois qu'il y demeure quelque sentiment de nature engravé en eux, qu'ils sont estonnez et ont honte quand on leur dit, Veux-tu plaider contre Dieu? Or cependant ceux qui semblent estre et bons et modestes, entreront en ce procez, en sorte qu'il n'y a celuy qui ne face du cheval eschappé pour contester à l'encontre de Dieu. Nous voyons mesmes que les Prophetes ont este assaillis d'une telle tentation. Il est vray qu'ils y ont resisté comme il falloit: mais tant y a que ceste apprehension les a aucunement troublez, qu'ils se sont faschez aucunesfois de voir les iugements de Dieu si estranges, et que leur raison les a comme transportez.

Puis qu'ainsi est donc, que nous sommes tant enclins à plaider contre Dieu, d'autant mieux ceste doctrine doit elle estre imprimee en nostre memoire: c'est assavoir quo nous. soyons retenus quand nous serons tentez de debatre air si contre Dieu,

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sachans bien que nous n'y pouvons rien gagner, quoy que nous puissions faire. Or quand nous aurons esté advertis de cela, nous ne serons point aussi trop scandalisez, voyans qu'il y en a beaucoup qui se iettent ainsi hors des gonds. Car ce scandale trouble les infirmes. Nous voudrions bien qu'un chacun de nous confessast que Dieu est iuste, et que sa misericorde remplit tout le monde, et pourtant qu'il faut que nous le glorifions: mais quand il y a des meschans qui despitent Dieu, que les autres le blasphement, et qu'on n'ose pas ouvrir la bouche pour les reprendre ou redarguer, d'autant qu'ils ont la vogue, et triomphent selon le monde: quand on voit cela' les infirmes sont troublez, et leur semble que la puissance et iustice de Dieu est d'autant amoindrie, et ne peuvent pas luy rendre la gloire qui luy appartient. Or nous voyons que c'est quasi le naturel des hommes de plaider ainsi contre Dieu: et combien que ce soit une chose monstrueuse, et que nous devions avoir en grande detestation, ai est ce qu'un tel vice est ordinaire. Puis qu'ainsi est, que nous n'en soyons point troublez par trop, quand cela adviendra. Voila ce que nous avons à retenir. Or il nous faut bien noter ce qui est ici adiousté pour le second article: c'est assavoir que si Dieu nous met en avant mille items, que nous ne pourrons à grand' peine respondre à un seul. Ici nous sommes admonestez, que quand nous aurons bien espluché tous nos vices, noua n'en cognoistrons pas la centiesme partie, non pas de mille un. Il est vray que si les hommes s'examinent bien sans hypocrisie, il faudra qu'ils se trouvent enveloppez en tant de maux, qu'ils ayent honte d'eux mesmes, et qu'ils soyent là du tout abbatus: principalement nous. Car si on choisit ceux qui sont les plus saincts encores faudra-il que ceux-la se mettent du reng de David, lequel a confessé que nul ne pouvoit venir à vraye cognoissance de ses pechez (Ps.. 19, 13). Mais si les plus saints, et qui semblent comme Anges, sont du tout confus en leurs pechez, d'autant que le nombre en est infini: ie vous prie, qu'est-ce du vulgaire? Car il ne faut point que nous presumions d'avoir si bien profité, que nous ne soyons encores bien loin de ceux dont ie parle. Ainsi donc, quand les hommes en verité examineront leur vie, ils trouveront un tel abysme de pechez qu'ils seront du tout abbatus. Mais cela est-il i Encores n'en avons nous point une cognoissance de la centiesme partie, telle qu'elle seroit requise. Et pourquoy? Voila David qui est entré en cest examen, quand il a regardé ses fautes, il s'escrie, Qui est-ce qui cognoistra ses pechez? Il confesse donc qu'il on a cognu tant et plus: et puis il adiouste, Seigneur purge-moy de mes fautes cachees. Et pourquoy dit-il cela? Comment appelle-il fautes

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cachees? Car il faut que nos pechez soyent cognus, ou nous ne les pouvons pas confesser pour pechez. La response est que David savoit bien que Dieu voit plus clair quo nous ne faisons pas. Et ainsi, quand nostre conscience nous redargue, que sera-ce du iugement de Dieu ? Voila donc l'ordre que nous avons à tenir: c'est qu'un chacun entre en soy, et qu'il espluche bien ses vices, tant qu'il en pourra venir en cognoissance. Les avons-nous espluché? Et bien voila nostre conscience qui est iuge, et quel iuge est-ce? 11 est vray que c'est un iuge qui est bien à craindre: mais Dieu ne voit-il pas beaucoup plus clair qu'un homme mortel? Ma conscience me redarguera de mille pochez: et si Dieu entre en conte avec moy, n'en trouvera-il pas bien d'avantage.

Ainsi donc nous avons bien à poiser ce qui est ici dit: c'est assavoir que do mille poincts, a grand' peine pourrons-nous respondre à Dieu d'un seul: que Si nous avons cognu une faute en nous, Dieu passe bien plus outre: car il voit celles qui nous sont cachees. Or donc apprenons, suivant ce qui a esté dit, de tellement penser à nos fautes, que nous ayons ceci tout resolu, que Dieu ne se contentera pas de ce que nous en pouvons cognoistre: mais qu'il voudra iuger selon ce qu'il voit et cognoist: et non pas selon que nous pourrons trouver, car nous passerons par dessus la braise comme on dit: mais Dieu enfonce iusqu'au bout: c'est à luy qu'appartient cest office de sonder les coeurs comme il s'attribue en l'Escriture. Et au resté nous ne discernons pas aussi entre les vices et les vertus si bien que nous devrions. Il faut donc que cela luy soit reservé. Et pourquoy ne discernons-nous pas? Si nous voulons bien iuger et à droit de toutes nos oeuvres, il faut que nous cognoissions que c'est de perfection. Car sans perfection il n'y a nul bien devant Dieu: c'est à dire, il n'y a que puantise. Et qui est-ce qui merite d'estre approuvé de Dieu, sinon que ceste perfection se declare ? Or maintenant comment cognoistrons-nous que c'est de perfection, veu que nous avons nostre veuë si obscurcie, veu que nous ne voyons sinon comme à demi iour? Car combien que Dieu nous esclaire, nous n'avons point neantmoins la veuë si pure et si nette, que nous puissions user de Geste clarté qu'il nous monstre. Il est vray que la parole de Dieu entre iusques au plus profond des coeurs, qu'elle penetre les os et les moëlles et tout ce qu'il y a. Il est vray que c'est une lampe ardente: il est vray que Iesus Christ est appellé soleil, et qu'il esclaire par tout: mais nous ne laissons pas d'avoir la veuë troublee cependant. Il s'en faut donc beaucoup que nous sachions que c'est de perfection. Or par cola nous sommes admonnestez, que quand nous trouverons les choses

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bonnes, et n'y appercevrons point de vice, le vice ne laissera pas d'y estre pourtant, pource quo nous ne cognoissons pas la perfection que Dieu demande. Bref il n'y a que Dieu seul qui cognoisse que c'est de perfection et intégrité. Et pourquoy? Elle est en luy, il la cognoist, et nous sommes trop debiles pour venir iusques-là. Voila pourquoy il est dit, que nous aurons beau faire: si est-ce que nous ne luy pourrons pas respondre à un seul poicnt, quand il nous en aura mis et proposé mille au devant. Or i'ay desia touché, que les hommes sont admonnestez, que s'ils veulent plaider à l'encontre de Dieu ils se trouveront tousiours confus à leur perdition: mais ce sera trop tard. Et cest advertissement encores nous est bien utile. La raison? Afin que devant le coup chacun se retiene en sobrieté et modestie, pour dire: Helas! de plaider contre nostre Dieu, et que sera-ce? Pensons-nous gagner nostre procez? Au contraire. Dieu nous abysmera. Et voici le seul moyen d'estre absous de luy qu'un chacun se condamne. Mais si nous y allons à l'estourdie, Dieu nous punira d'un tel orgueil. Peut estre que du premier coup il ne nous monstrera pas nostre confusion: mais tant y a que nous y serons tellement enveloppez en la fin, que nous n'en pourrons sortir.

Voila donc comme Dieu met en un labyrinthe tous ces presomptueux qui s'attachent à luy, et qui entreprennent ce combat, duquel il est ici parlé. Vray est encore que Dieu fera bien ceci à d'aucuns, qu'il les mattera, et ils se rengeront à la longue: mais il ne le faut point là attacher pour dire qu'il besongne tousiours d'une façon égale. Nous en verrons qui seront pleins d'orgueil, et qui se confient en leurs iustices, et veulent obliger Dieu â eux: et bien, Dieu les matte, et les domte, il les met en confusion extreme et puis il les en retire. Nous verrons bien que Dieu ne besongne point à toutes les fois d'un mesme cours. Tant y a qu'il nous faut tousiours entendre cc que l'Escriture nous dit, c'est que Dieu desployera sa main contre les orgueilleux pour les abysmer. Et voila comme il y procede. Ie di que les hypocrites sont si enflez d'orgueil et de presomption, qu'ils pensent bien que leurs vertus meritent d'estre receuës, voire et d'avoir salaire et payement. Et bien, ils s'y plaisent pour quelque temps, et Dieu les laisse là: Satan les amielle d'autre costé, et les amadouë, et fait qu'ils se prisent tant et plus: ils se mirent en leurs plumes comme des paons, pour dire, I'ay fait ceci et cela, et leur semble bien quo Dieu s'en doive contenter. Mais cependant apres qu'ils se seront bien pleu en eux-mesmes et en toutes leurs vertus, si Dieu les ameine à conte, et qu'il leur mette en avant que tout ce qu'ils ont estimé vertu, n'est quo vice, voire quo puantise et

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abomination devant luy: alors ils se trouvent confus, et à bon droit, tellement que quand non seulement ils auront trompé le monde, mais eux-mesmes aussi, se confians en ce qui avoit belle monstre et apparence au dehors: il faudra que ce qui est dit en sainct Luc. (16, 15) soit tousiours manifesté, c'est assavoir que ce qui est estimé haut et excellent quant aux hommes, n'est que vilenie quant à Dieu. Gardons bien donc de nous eslever iusques-là que de combattre contre Dieu, et d'entrer en procez pour nous iustifier. Car autrement il faudra que nostre Dieu nous confonde, et qu'il heurte tellement contre nous, que nous soyons opprimez et accablez de mille crimes, et que nous ne puissions respondre à un seul: que quand nous serons accusez de mille pechez mortels, c'est à dire, d'un nombre infini, si nous voulons avoir defense d'un seul article, nous en serons deboutez. Gardons (di-ie) de venir iusques-là. Or afin que nous soyons tant mieux touchez, il est dit: Que Dieu est sage de coeur, et qu'il est robuste de force. Desia ceste doctrine a esté touchee ci dessus: mais ce n'est point sans cause qu'il en est ici parlé derechef: car c'est une leçon que nous devons mediter chacun iour. I'ay desia dit que les hommes se trompent et s'esvanouyssent en leurs imaginations frivolles, d'autant qu'ils ne pensent point à Dieu: mais qu'ils s'appuyent sur eux mesmes. Voila un mal.

Or passons plus outre. Si les hommes pensoyent à Dieu, ne seroyent-ils point touchez vivement pour le recognoistre selon qu'il se declare à eux? Ne soroyent-ils point esmeus d'une telle crainte et reverence qu'ils le glorifieroyent comme il en est digne? Mais ils ne le font pas. La raison? C'est qu'ils n'apprehendent point Dieu tel qu'il est. Et bien, nous dirons assez, Dieu, Dieu: cela nous trotte par la bouche: et cependant sa maiesté infinie ne se fait point sentir: tout ce qui est en Dieu à nostre regard, est comme une chose morte. Et de fait, on le voit par les blasphemes, par les pariures, et par choses semblables. Si les hommes estoyent touchez aucunement de la maiesté de Dieu, orroit-on ainsi deschirer par pieces une chose si saincte et si sacree? Si les hommes Sont en colere il faudra que Dieu le compare, comme si c'estoit leur vallet: ainsi qu'un maistre, quand il sera courroucé, il donnera (si c'est un estourdi) un coup de poin à son vallet: ou un mari escervelé, à sa femme: ou bien à un cheval, s'il le fasche. Ainsi en faisons nous à Dieu. Quand nous voyons que les hommes iettent là leur colere comme si Dieu estoit leur inférieur: ne faut-il pas dire que nous sommes bien hebetez? Et mesmes on n'en viendra point iusques à la colere. Car nous voyons que ces chiens ne font nul scrupule de deschiqueter le nom de Dieu. Et combien qu'il n'y ait nulle occasion qui les incite

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à cela, si est-ce qu'ils ne laisseront pas à tous propos de blasphemer, qui est une chose monstrueuse et contre nature. C'est donc bien signe que la maiesté de Dieu nous est incognue, combien que le mot nous volle assez en la bouche. Il y aura les pariures aussi bien. Auiourd'huy c'est une horreur, qu'on ne peut tirer un seul mot de verité que quelque solennité qu'il y ait pour induire ceux qui sont appellez en tesmoignage, si voit-on qu'ils sont tous pariurez: que de tous ceux qui seront examinez, à grand' peine en trouvera - on de dix l'un qui-dise la verité. Et de fait ils ont ce proverbe commun entr'eux, qu'ils ont cause gagnee quand il n'y a point de tesmoins: c'est à dire, qu'il n'y a pas un qui vueille dire la verité. Et voila comment c'est qu'ils despitent Dieu. Et ie vous prie aussi quels propos tiendra - on quand il sera question de l'Escriture saincte, de toute la religion et des choses si sacrees comme nous les avons auiourd'huy? Il faudroit que les hommes fussent là tenus en crainte: comme il est dit que les vrayes marques des enfans de Dieu c'est de trembler sous sa parole. Or nous voyons qu'on causera assez de Dieu, on devise, on en babille, et de tous les secrets de sa maiesté voire comme par risee: et ne sont-ce point certains arguments que nous ne savons que c'est de Dieu: combien que son nom soit en la bouche de chacun?

Notons bien donc que ce qui est ici adiousté n'est point superflu: c'est assavoir que Dieu est sage de coeur et robuste de force. Or il est vray que ces mots ne semblent point avoir si grande vehemence qu'on pourroit dire: mais s'ils sont bien poisez, on y trouvera une substance qui est bien pour nous faire baisser les cornes. Car quand il est dit que Dieu est sage de coeur, ce n'est pas d'une sagesse humaine, ne qui soit comprehensible à nostre sens. Quand il est dit, qu'il est robuste il n'est pas robuste seulement comme si c'estoit un Geant, ou comme une montagne: mais il nous le faut glorifier tellement, que nous sachions qu'il n'y a ne puissance, ne force, ne vertu pareille en tout ce que nous voyons aux creatures: que ce n'est rien de tout ce que nous pouvons veoir ici bas: mais qu'il nous faut cercher toute force et vertu en Dieu seul. Voila ce qu'emporte ce mot. Vray est que ceci ne se pourroit pas despescher maintenant comme il le merite: mais il a fallu que nous en ayons touché, afin de voir quelle est la procedure que tient ici Iob, ou plustost le S. Esprit qui parle par sa bouche, afin de nous monstrer quelle est la iustice de Dieu. Voulons nous bien donc sentir quels nous sommes? Il faut que nous prenions ceste conclusion generale, que quand on ne trouvera point de pechez manifestes en nous, que nostre vie ne sera point dissolue, que nous aurons cheminé

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honnestement et sans reproche quant aux hommes: tout cela n'est rien. Pourquoy? Quelles quo soyent toutes creatures, Dieu les pourra condamner, et luy demeurera iuste et si nous attentons de repliquer contre luy, il est vray que selon nostre fantasie nous y pourrons bien trouver à dire pour quelque temps, et Dieu le souffrira, et mesme ne noua resistera point du premier coup: mais si est - cc qu'en la fin il nous faudra baisser la teste, pour recevoir sentence de condamnation: et quand les hommes nous auront applaudi, mesmes qu'ils nous auront absouls, noua ne laisserons pas d'estre condamnez et demeurer confus quand noua viendrons

devant cc grand Iuge. Car il voit bien plus clair, et plus aigu quo tous les hommes du monde. Et ainsi, sachons qu'il n'y a autre moyen pour obtenir grace devant Dieu, et faire que nos pechez soyent couverts, voire apres avoir confessé franchement qu'il n'y a quo toute ordure et infection en nous, sinon que nous ayons nostre refuge à nostre Seigneur Iesus Christ. Car là se trouvera une pleine iustice et parfaicte, en vertu de laquelle noue serons agréables à Dieu, et le trouverons propice envers nous.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE TRENTEQUATRIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE IX. CHAPITRE

Ce Sermon contient le reste do l'exposition des versets quatre, cinq et six: et puis ce qui s'ensuit maintenant.

7. C'est luy qui commande au soleil qu'il ne luise point: et les estoilles sont enfermees de luy comme d'un cachet. 8. C'est luy seul qui estend les cieux, qui marche par dessus la mer. 9. Qui a fait Arcturus, et-Orion, et les Hyades, et les chambres du Midi, 10. Lequel fait des oeuvres merveilleuses, et qui ne se peuvent comprendre, choses admirables sans fin. 11. Voici il passe devant moy, sans que ie le voye: il ira ça et là sans que ie l'entende. 12. S'il arrache et s'il ravit, qui est-ce qui retirera de ses mains? qui est-ce qui luy dira, Que fais-tu? 13. Dieu ne retirera point son ire, et les aides puissantes seront abbatues de luy. 14. Que puis-ie moy, si i'entre en propos, et si ie choisi paroles avec luy? 15. Encore que ie fusse iuste, ie ne luy respondray point, mais supplieray mon Iuge.

Si nous avions ceste prudence de cognoistre Dieu selon qu'il se declare à nous, il ne faudroit point qu'on usast de longs propos: car chacun seroit assez suffisant pour discerner les choses qui nous sont mises devant les yeux. Mais pource que nous sommes si pervers en cest endroit, il est besoin que Dieu nous reproche l'ingratitude qui est en nous, en nous declarant ses oeuvres. Et c'est à ce propos qu'il est ici dit, que quand Dieu veut, le ciel se couvre de grosses nuées et espesses, tellement que le soleil ne se voit point: et au contraire quand il luy plaist d'envoyer la clarté nue l'estendue des cieux apparoist, que ce beau pavillon se monstre qui est le ciel de sa maiesté: qu'il chemine par dessus la mer, c'est à dire que sa vertu se monstre aussi bien là: qu'il a dispose les estoilles au ciel: COI me il y en a ici quelque nombre mis. Cela (di-ie) nous est recité, afin que noua cognoissions tant mieux nostre devoir, et que nous appliquions nostre esprit à regarder aux oeuvres de Dieu, pour l'honorer comme il le merite. Or combien que Dieu nous ayant reproche ce vice qui est en nous, pourroit nous laisser là pour tels que nous sommes: ai est-ce encores qu'il noua veut instruire pour nostre salut. Et ce sont les deux poincts, que nous avons à observer en ce passage, pour en bien faire nostre profit. Le premier est, que noua entendions qu'il n'y a nul de nous qui pense comme il doit à la sagesse ni à la vertu de Dieu. Il est vray, que nous en confesserons assez de bouche: mais cela ne nous entre point iusques au coeur: et nous le monstrons aussi par le mespris que nous monstrons. Car (comme il fut hier touché) si nous estions bien persuadez, que-ce n'est que vanité de toute la sagesse des hommes, que de toute la force que nous contemplons aux creatures ce n'est rien, Dieu nous tiendroit en sa crainte: tellement que nous serions là comme enserrez d'une bride courte, et que nul de nous n'oseroit ne penser, ne dire, ne faire rien qui soit, sinon en nous accordant à la bonne volonté de Dieu. Quand donc nous sommes

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ainsi nonchalans, et qu'un chacun se pardonne, et que nous laschons la bride à nos meschantes pensees, et les nourrissons sans aucun scrupule: et puis qu'elles se desbordent encores iusques aux oeuvres externes: quand cela y est nous monstrons que iamais la maiesté de Dieu ne nous a esté bien cognue, que mesmes nous n'en avons rien gousté comme il appartenoit, ou il y en a eu un goust si fade qu'il a esté comme enseveli. Oyons-nous donc ce qui est ici dit de la sagesse et de la force de Dieu? Sachons qu'il nous en est ainsi parlé, d'autant que nous sommes si pervers de n'appliquer point nostre estude à ce qui nous est tant profitable. Et de fait n'est-ce pas une grande honte que nous vivions ici au monde comme en un beau theatre et spacieux, où Dieu nous donne la veuë de toutes ses creatures: quo cela nous passe à travers des yeux: et cependant que nous le mettions en oubly, luy qui en est l'autheur, luy qui a voulu que le ciel et la terre, et tout ce qui y est contenu, fussent comme des miroirs de sa gloire, ainsi qu'il est dit, que aux choses visibles nous pouvons voir les choses invisibles ? (Rom. 1, 20). Ainsi donc, quand il nous a mis au monde, et que nous ne tenons conte de tout cela, ne faut-il pas bien dire, que nous ayons un esprit par trop malin? Il est vray que nous sommes aveugles, et quand il est question de Dieu, nous ne concevons rien de luy, sinon ce qu'il nous donne: il faut qu'il nous illumine, ou il n'y aura que tenebres en tous nos sens: quoy qu'il en soit, si n'aurons-nous point d'excuse d'ignorance, quand il y aura eu de la malice avec, que nous serons convaincus qu'il ne nous aura challu de Dieu, mesmes qu'il nous aura fasché d'y penser comme si c'estoit quelque matiere de melancolie.

Voila donc comme (en premier lieu) nostre Seigneur nous accuse en ce passage. Or il y a l'instruction qui est coniointe avec: en quoy nous appercevons sa bonté inestimable, il nous pouvoit condamner, et nous laisser là comme i'ay desia dit. Il est vray qu'il nous condamne: mais c'est afin de nous faire sentir le vice qui est en nous pour le corriger: et sur cela il fait office de bon maistre, afin que nous apprenions ce que nous n'avons point cognu auparavant. Soyons donc attentifs à ce qui nous sera ici remonstré. Ie confesse que le texte ne dit rien qu'un chacun de nous ne cognoisse: cela nous semblera estre des choses notoires et familieres. Pourtant on dira que ce sont propos superflus. Aucuns (di-ie) cuideront bien cela: mais veu que nous ne rapportons pas les choses au droit but, ne faut-il pas que Dieu face office de maistre, en nous recordant plusieurs fois nostre leçon? Ne devions-nous pas desia faire nostre profit de ce que Dieu nous met ainsi au

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devant? ce n'est pas une chose trop obscure, que Dieu face luire le soleil quand il luy plaist: et qu'alors toute l'estendue du ciel apparoisse comme un grand pavillon, afin que nous cognoissions quelle distance il y a entre la maiesté de Dieu, et les pompes des princes terriens. Quand les princes. terriens s'efforcent à s'eslever, que font-ils avec tous leurs artifices et tous leurs conseils? à grand' peine dresseront-ils un pavillon de trente pieds de haut: et encores qu'il y eust une lieuë loin, et qu'est - ce au pris ? Voila le ciel qui est infini, Dieu l'a estendu, c'est son marchepied que la terre. Quand donc nous voyons telles choses, combien que nous cognoissions qu'ainsi est, toutesfois ce ne sera rien, si nous ne passons plus outre en ceste consideration. Il nous faut tousiours revenir là, que voyans le ciel nous pensions tant mieux à ceste maiesté de Dieu qui est incomprehensible, afin que nous soyons esmeus à l'adorer, et nous humilier sous luy comme nous devons. Nous savons donc maintenant que ce n'est point une chose superflue, quand il est ici dit, que le Seigneur commande au soleil qu'il ne luise point, et le soleil sera caché par les nuees, tellement qu'il semble que Dieu met comme un voile: et puis qu'il estend le ciel quand il veut.

Ainsi en est-il de ce qu'il dit, qu'il chemine sur les eaux de la mer. Il est vray que nous ne l'appercevons point cheminer là dessus: mais seroit il possible que la mer demourast en tel estat comme elle fait si ce n'estoit qu'elle fust retenue d'une vertu miraculeuse? Nous savons que la nature de l'eau c'est de s'escouler. Or voila la mer qui s'esleve comme en forme de montagne, il y a les bornes qui sont mises, comme nous verrons au 38. chap. tellement que si ce n'estoit cela, il faudroit que la terre en fust incontinent toute couverte. Ne pensons point que ce que nous avons quelque lieu sec pour habiter, cela soit sinon d'autant que Dieu nous veut ici loger. Et cependant il tient la mer serree, il a mis ses bornes, non point de pierres ne de bois, mais de sa seule vertu. Combien que la mer ait une si grande impetuosité, qu'il semble que rien ne la puisse retenir: toutesfois Dieu par ce seul mot qu'il a dit, c'est assavoir qu'il y aura t quelque lieu sec là où les hommes seroyent logez , il retient encores auiourd'huy la mer. Il falloit donc appliquer là tous nos sens: nous ne le faisons pas. Pourtant notons, que ceste doctrine n'est pas superflue, quand il est dit, que Dieu chemine ainsi sur la mer. Il est puis apres ici parlé des estoilles. Il est vray que le nombre en seroit infini, comme il est dit en l'autre Pseaume c'est assavoir qu'il y avoit un si grand nombre d'estoilles, qu'il en faudroit tenir longs propos. Mais sous quelques noms ici Iob nous a voulu

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admonnester de toute ceste belle gendarmerie du ciel. Nous voyons outre les planettes, les estoilles qui sont au firmament, nous voyons qu'elles servent toutes de marquer quelque chose, afin de nous faire mieux considerer l'artifice admirable qui est an mouvement des cieux. Noua voyons bien que le soleil fait tous les iours un circuit, qu'apres s'estre levé il se couche, et qu'il tourne à l'entour de la terre aussi bien dessus nous, comme dessous. On voit cela. Nous voyons aussi que le soleil a un autre cours tout opposite. Comment ? D'où vient l'hyver, d'où vient l'este sinon de ce que le soleil approche de nous, ou s'en recule, et puis il s'esleve plus haut, et s'abaisse, voire selon nostre regard ? Car selon qu'il s'eslongne de nous, ou qu'il en approche, il fait la diversité des saisons: nous voyons cela, ie di les plus rudes et idiots. Il est vray qu'ils n'apperçoivent point, que le soleil en faisant son tour chacun iour face un autre chemin tout contraire: mais l'experience y est par l'effect. Car nous n'avons point ny hyver ny esté, si nous n'avons cela du soleil. Or ayans cognu cela encores ne concevons nous pas assez bien comment c'est que Dieu ordonne ce chemin ici du soleil.

Il y a d'autre costé les estoilles que Iob nomme ici, qui nous marquent d'autres choses. Comme nous voyons que les rouës d'un chariot tournent, d'autant qu'il y a un baston qui est à travers, et puis il y a les deux trous qui sont là, et les roues vont à cc regard: ainsi Dieu a mis ces deux estoilles qui sont comme les trous en des roués d'un chariot, et voit-on tourner le soleil à l'entour. Quand donc nous aurons cognu ces choses, voila comme la sagesse inestimable de Dieu se cognoistra mieux, pour le moins les hommes en auront quelque goust, et seront incitez à le magnifier pour dire, Seigneur, qu'est-ce que de l'excellence de ton ouvrage? Vray est que ce qui est ici touché de Iob ne s'apprend pas pleinement' sinon qu'on ait versé aux lettres: car il touche ici de l'Astrologie, il ne se contente pas de parler de ce que les plus rudes idiots voyent: il passe plus outre, et en touche par la menu quelques especes: afin que nous cognoissions l'artifice du ciel. Mais combien que tous ne soyent point Astrologues, si est-ce qu'il n'y a celuy qui se puisse excuser que Dieu ne luy donne assez d'appréhension de ces choses, sinon que nous vueillions clorre les yeux quand le soleil luit. Les bergers des champs sauront bien parler des estoilles, et mesmes ils les surnomment. Or en les surnommant, il est vray qu'ils obscurcissent la gloire de Dieu: mais d'où procede cela ? Ne faut-il point que le mal en soit imputé aux hommes? Il y a deux estoilles qui sont ici nommees: Voila les Poëtes qui ont forgé beaucoup de fables. et de

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choses bien sottes: d'où est venue une telle absurdité? de la malice et vanité des hommes. Ils ont dit qu'une telle estoille estoit la couronne d'une femme, on la femme mesme: voila une vache, voila ceci, voila ce]: des sottises, bref. Cependant nous avons à noter que ces sottises-la sont venues d'une astuce plus subtile de Satan. Car il a voulu, tant qu'il luy a esté possible, pervertir ce beau miroir auquel Dieu veut estre contemplé et cognu. Il est dit par Moyse, que Dieu a orné le ciel de toute son armee. Moyse appelle les estoilles, tant planettes qu'autres les armees du ciel. Et pourquoy? C'est son equippage: le ciel seroit sans forme ne figure, sinon qu'il fust orné des estoilles: et cela a esté accomply en la creation du monde, comme Moyse le declare. Voici le diable qui seduit les hommes pour leur faire oublier cc que Dieu avoit rendu de tesmoignage quant à son oeuvre: et fait à croire que les estoilles sont venues et de ceci et de cela. Et mesmes on y a meslé des vilenies et des ordures: il n'a esté question que dos paillardises de leurs idoles, quand ils ont parlé des estoilles du ciel. Comme le Pape canonise les saincts que bon luy semble, aussi les idolatres ont canonisé les putains de leurs idoles, et ont voulu que le ciel fust aussi bien infecté de leurs ordures, comme la terre. Voila donc Satan qui à mis ses illusions au monde, pour abolir (s'il eust peu) la cognoissance de Dieu, pour l'obscurcir en telle sorte que les hommes vaguent apres leurs folies, et qu'ils ne soyent point touchez de la pure verité, comme il est requis. Que faut il donc? Notons bien, qu'ici Iob nous a voulu enseigner que nous devons estre Astrologues, tant que nostre mesure le portera, pour rapporter le tout à glorifier Dieu, qui a constitué un si bel ordre que nous voyons au ciel.

Quant est du premier poinct, i'ay dit, que Dieu nous vent faire Astrologues, voire selon que la capacité d'un chacun le porte. Car de dechiffrer par le menu, combien y a il d'estoilles, et puis des astres qu'on appelle des planettes, pour savoir quelle distance il y a de haut et de bas, de long et de large, et les respects: et bien, nous ne pourrons pas tous comprendre cela, sinon qu'il y a, que nous voyons bien par experience, que le soleil est plus haut que la lune. Et comment cela? C'est d'autant que si la lune se rencontre entre nostre regard, et le soleil, voila une eclipse qui se fait: par cela (di-ie) nous voyons qu'elle est plus basse. Nous pourrons donc appercevoir telles choses: mais cependant tant y a que nous ne cognoissons pas les divisions et les raisons comment cela se fait, que la lune passe ainsi entre le soleil et nous. Chacun donc ne pourra pas cognoistre cela: mais si est-ce que nous en avons quelques conceptions qui nous doivent suffire pour nous humilier, afin

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quo nous contemplions les oeuvres de Dieu. Or cependant nostre Seigneur veut que les plus grossiers (ie di ceux qui n'ont point le moyen de suivre les lettres) prennent assez d'occasion, et soyent assez sages pour le glorifier, quand il est dit par Moyse, Qu'il y a deux grans luminaires, l'un pour presider sur le iour, et l'autre pour presider sur la nuict. Non pas que la lune soit plus grande que les autres estoilles ou planettes: il est certain qu'il y a des estoilles au ciel plus grandes que la lune. Et pourquoy ne les pouvons-nous pas voir si grandes ? A cause de la longue distance. Car elles sont plus hautes quant à nostre regard, tellement que à cause de la grande distance qu'il y a entre les cieux et nous, elles n'apparoissent point si grandes. Or Dieu nous parle de ces choses selon que nous les appercevons, et non pas selon qu'elles sont. Et pourquoy? Comme s'il disoit, Il est vray, que tous ne parviendront pas à une cognoissance si aigue, que de savoir quelle est la grandeur des planettes, quelle est la proportion des estoilles, et quelle est leur division: chacun donc ne pourra pas cognoistre cela, mais que vous ouvriez les yeux, et que vous regardiez, voila le soleil qui est un vaisseau de clarté, voire un grand luminaire qui esclaire tout le monde: voila la lune qui luit. Quand donc les hommes n'auront que cela, c'est assez pour glorifier ceste sagesse infinie de Dieu. Comme aussi il est dit, Que Dieu leur a osté toute excuse, afin qu'ils ne vaguent point à l'aventure. Combien qu'ils ne soyent point grands clercs, il dit seulement, Ouvrez les yeux sans avoir autre science, vous serez contraints de m'honorer, et d'avoir en admiration ma sagesse, et ma vertu, et la bonté aussi dont i'use envers vous quand i'employe telles creatures à vostre service. Or le tout est, que nous puissions rapporter ceci à sa droite fin, et en cela voyons nous la vanité de l'esprit humain. Les philosophes ont desployé les grands thresors de la sagesse de Dieu, quant à l'Astrologie: car c'est une chose qui surmonte toute opinion humaine, de voir comme ils ont peu observer ce qui estoit ainsi caché. Il est vray que ceux qui liront l'Astrologie, en pourront bien comprendre quelque chose, et qu'ils cognoistront ce qui en est dit dedans les livres. Mais ç'a esté merveille de ceux qui en ont les premiers escrit. Ie parle de la droite Astrologie, et non pas de ceste bastarde, qu'auront les devins et sorciers quand ils voudront dire la bonne adventure, et choses semblables: ie parle de ce qui s'apprend de ceste science, pour savoir quel est l'ordre des cieux, et ce bel equippage qu'on y voit. Et bien on verra là des choses admirables, que quand les Astrologues parlent, chacun sera esbahi. Il est vray qu'ils imagineront des choses qui ne sont point

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au ciel: mais ils ne les imaginent pas sans raison, c'est afin de monstrer par degrez et certaines mesures, les choses qui pourroyent estre trop hautes et trop profondes à comprendre. Et bien ? Les Philosophes ont-ils beaucoup disputé de tout cela? Dieu leur a-il fait une grace plus grande, qu'on ne pourroit croire, de noter et signer ainsi les secrets qui sont là haut? taut y a qu'ils defaillent au principal. Car ils n'ont point cognu Dieu: voila comme ils se sont esvanouys en leurs pensees. Or ç'a esté mal profité à ceux ausquels Dieu a fait la grace de les eslever par dessus les cieux, tellement qu'ils les ont mesuré, comme on mesureroit une pose de terre, ou une maison, pour dire, il a tant do pas, il y a tant de pieds. Tout ainsi donc, qu'on mesureroit quelque lieu ici bas, les Philosophes ont mesuré tous les lieux qui sont entre les planettes, et puis les estoilles. Bref, c'est une chose qui n'eust iamais esté attendue. Et cependant comment ont-ils cognu Dieu lequel se manifeste en toutes ses creatures ? tant s'en faut qu'ils l'ayent cognu pour le glorifier, qu'ils ont obscurci sa maiesté. Nous voyons donc qu'il nous y faut bien proceder d'une autre sorte: et quand il est ici parlé du soleil, et des planettes, et des estoilles, que ce n'est point afin que nous cognoissions seulement ces raisons naturelles, pour demourer-là, et nous y tenir: mais c'est afin quo nous soyons conduits à Dieu pour l'honorer, et luy faire hommage, apres que nous aurons senti ceste gloire, qu'il nous monstre et declare en ses creatures visibles. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage.

Mais quoy? Nous voyons qu'auiourd'huy les esprits des hommes s'esgarent et s'esvanouyssent, comme de tout temps. Et ce n'est pas seulement en cela qui est ici exprimé. Car encores que nous ne parlions point des estoilles, il ne faut pas que nous allions loin pour sentir que c'est de Dieu: demourons en nous - mesmes comme S. Paul en parle au 11. des Actes: qu'un chacun se regarde: nous n'aurions point de mouvement ni de vertu, sinon entant que Dieu habite en nous. Et toutesfois nous ne le comprenons pas. Si nous disons O ie n'ay point les yeux: il ne faut que taster (dit sainct Paul [Actes 17, 27]) il use de ce mot, comme un aveugle ira en tastant, si nous pouvons seulement taster et en ayant les yeux fermez, encores en despit de nos dents Dieu nous fera sentir quelle est sa vertu, et sagesse, et bonté, et iustice. Mais quoy? Nous demourons stupides et brutaux et vuides de tout sens. Il est vray que nous serons assez aigus en des choses vaines et frivoles, mais en ce qui est de nostre salut, là nous defaillons: nous sommes pires que les bestes brutes qui n'ont point une goutte de bon sens. D'autant plus donc

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nous faut-il bien noter ces passages la où nostre Seigneur nous monstre, que si nous regardons en haut au ciel, il nous doit venir en memoire, Voici Dieu qui nous a donné les yeux pour appercevoir cc bel ordre: et si nous regardons en bas, qu'est-ce qui se monstre ca et là? que nous sachions que c'est Dieu qui se manifeste afin que nous pensions à luy: voila comme nous avons à profiter en ce passage: bref, que nous regardions bien de nous exercer en ceste estude, iusqu'à tant que nous ayons comprins la vertu de Dieu et sa sagesse, pour estre admonestez à l'honorer, ie di à l'honorer comme il en est digne. Car les hommes s'acquittent à la legere, et quand ils ont fait quelque ceremonie à Dieu, il leur semble qu'il se doit bien contenter de cela. Or l'honneur qu'il demande, et qui luy est deu, c'est que nous tremblions sous luy, toutes fois et quantes qu'on nous en parle: que nous le cognoissions nostre iuge, que nous soyons confus, sachans qu'il nous pourroit abysmer d'un seul regard, qu'il pourroit faire descouler les montagnes, comme la cire se fond au soleil. que sera-ce donc de nous qui sommes si fragiles? Pourtant que nous soyons estonnez de la maiesté de Dieu: et puis que nous appréhendions aussi sa iustice comme il faut, pour dire qu'il n'y a rien qui subsiste, sinon procedant de luy: car il est la fontaine de tous biens. Quand nous aurons senti en telle sorte que c'est de Dieu pour le craindre à bon escient, et pour trembler sous sa maiesté: c'est le profit que nous devons faire. Mais d'autant que nous sommes encores bien loin de cela, qu'un chacun apprenne de recorder ceste leçon. Voila donc que nous avons à retenir en somme de cc passage.

Au reste il n'est ia mestier d'aller cercher par les histoires s'il y a eu des montagnes qui ayent esté fondues en abysme, ou non. Mais quand il cet ici dit que l)ieu transmuera les montagnes sans qu'elles en sentent rien, cela est pour monstrer, que tout ainsi qu'il a arresté une fois la terre, et qu'il l'a bastie comme si elle estoit sur des fondements bien profons: s'il luy plaist, il changera tellement tout que les montagnes seront converties en vallees. Iob donc ne recite point ce qui est advenu, ou en un temps, ou en un lieu certain: mais il monstre quo c'est que Dieu pourroit faire: comme il est dit en l'autre passage (Pse. 97, 5) selon qu'il luy plaist, les montagnes descoulent devant luy, comme la cire feroit à la chaleur du soleil: car cela est pour nous admonnester de ce qu'il pourroit faire toutes fois et quantes qu'il voudroit. Voila donc ce que nous avons principalement à observer. Apres, nous devons faire comparaison de nostre fragilité. Car qu'est-ce de nous au pris d'une montagne? quelle est sa fermeté? toute l'artillerie du monde n'y fera rien: et il ne faut qu'un petit doigt pour

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nous accabler. Si donc Dieu a son regard si terrible et espouvantable, que ciel et terre en soyent esmeus (comme l'Escriture en parle) l'homme mortel subsistera-il devant luy? Quand nous aurons bien cognu nostre fragilité, et que nous aurons apprehendé la puissance de Dieu, nous aurons beaucoup fait: mais d'autant que nous n'y pensons gueres, apprenons hardiment tout le temps de nostre vie, et estudions en ceste doctrine, et soyons tousiours escoliers

Or Iob apres avoir ainsi parlé, adiouste que Dieu passera devant luy, sans qu'il le voye: qu'il fera des tours ça et là, sans qu'il l'aperçoive. En quoy il nous signifie qu'encores que Dieu se monstre a nous, si sera-il invisible: comment est-ce que Dieu se monstre? Par ses oeuvres, non point en son essence: car en son essence nous ne le voyons iamais. Or cependant nous le cognoissons d'une telle sorte, que nous sommes contraints de voir que sa main y aura passé. Voila comme un tesmoignage qu'il nous rend de sa presence, Dieu donc passe devant nous, c'est à dire qu'il nous fait sentir sa vertu laquelle s'espand par tout le monde tellement qu'elle nous est prochaine: et toutesfois il est invisible, c'est à dire ceste manifestation-la encores qu'elle soit selon nostre nature, si est-ce que nous n'en avons point de cognoissance pleine: nous ne la pouvons comprendre à cause de la petite capacité de nos esprits, mais demourons là confus. Exemple, ie verray la terre fructifier: voila, ie suis adverti de la bonté et vertu de nostre Dieu. Quand nous voyons au Printemps que la terre ouvre ses entrailles, qu'elle desploye ses richesses: voila Dieu qui se monstre: il passe. Et puis il y aura maintenant un beau soleil, maintenant pluye: voila Dieu qui marche d'un costé et d'autre: il fait des tours ça et là, selon la variété qui se monstre, c'est autant comme si Dieu alloit d'un lieu à l'autre, afin qu'on le comprenne tant mieux. Car s'il estoit là assis, qu'il demourast là, comme en une chaire sans se bouger, nous ne le sentirions pas si bien: mais il marche de costé et d'autre, voire afin qu'il nous recueille tant mieux. Or bien, Dieu donc s'est-il ainsi monstré? Assavoir si nous comprenons ceste vertu-là qui le monstre et aux arbres" et aux bleds, et aux prez, et aux vignes, et en toutes choses? Nenni, nous en aurons bien quelque sentiment nous en appercevrons bien quelque chose: mais ce n'est qu'en partie. Tant y a quo Dieu donc passera de costé et d'autre, et que nous ne le verrons point. Or si en ces choses qui sont ainsi basses, et qui ne nous semblent estre de grand pris, Dieu marche devant nous, et nous DO l'appercevrons pas tel qu'il est, mais seulement une petite portion: que sera-ce quand nous viendrons à ses plus hautes oeuvres, et qui sont plus secretes: quand Dieu voudra besongner

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d'une façon extraordinaire? Comme quelque fois il executera sa iustice, voire en telle sorte que nous en serons tous esbahis, que nous ne pourrons pas savoir comment cela va. Si donc nous sommes confus en ce que Dieu nous monstre iournellement, et qui se peut apprehender selon l'ordre de nature: ne faut-il pas que nous defaillions, et que nous demourions là confus, quand nous viendrons à ses oeuvres qui sont beaucoup plus grandes? I] est bien certain qu'ouy. Pourtant notons bien ce qui est ici dit, Que quand Dieu passera devant nous, nous ne le sentirons point. Là dessus nous sommes admonestez, de ne point contester contre Dieu pour dire, Et comment cela se fera-il ? comment en viendra-il à bout? Car sa puissance est infinie: car mesmes quand elle se monstre aux choses les plus petites, encores ne se peut-elle pas comprendre par raison encores qu'il soit là, nous ne le sentons qu'en partie. I'ay desia dit, que ceci ne se doit pas exposer de l'essence de Dieu: mais seulement de ses oeuvres par lesquelles il se declare à nous: et encores là quand il se monstre, et qu'il est approché de nous si privément, si ne le voyons nous pas, que sera-ce au pris quand nous voudrons venir à luy, et entrer en procez pour le surmonter ? serons nous assez vaillans pour ce faire? Ainsi nous voyons donc, quelle est l'outrecuidance des hommes, quand ils se veulent ainsi attacher à Dieu: qu'il leur semble qu'ils sont assez habiles pour voler par dessus les nues. Helas! nous voyons quelle folie, ou plustost quelle rage c'est à eux. Notons bien donc à quel propos ceste sentence est couchée ici comme nous l'avons deduite.

Apres cela Iob traite de la vertu et de la force de Dieu, quand il dit, Que Dieu ravisse, et qui est-ce qui luy arrachera des poings ? qui est-ce qui luy dira. Pourquoy fais-tu ainsi? 11 est vray, qu'il semble bien que Iob attribue ici à Dieu une puissance absolue, et qui n'ait nulle droiture ne raison en soy. Mais notons, qu'il suit tousiours le poinct qui fut hier declaré: c'est assavoir, que la iustice de Dieu ne consiste pas seulement en ce qu'il punit les malfaicteurs, quand leurs crimes sont notoires Quoy donc? Que quand Dieu besongne d'une façon si estrange, qu'il nous semble qu'il n'y a point de raison en luy. qu'il nous fait tort, que mesmes les incredules prendront occasion de murmurer contre luy: en cela mesmes il nous faut recognoistre sa iustice. Or en ce passage il est dit, Dieu ravira. Et ravit il? Nenni: mais il nous est signifie quo si Dieu usoit d'une puissance terrible, et qui nous effraye, comme s'il estoit un lion (ainsi qu'il s'accompare souventesfois aux bestes sauvages) qu'il abysmast tout, que la terre fust renversée c'en dessus dessous, comme on dit: quand donc Dieu foudroyera

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ainsi, tellement que nous en soyons estonnez: si est-ce que nul ne luy peut dire: Pourquoy fais-tu ainsi? et tantmoins luy arracher la proye des poings. C'est à dire, qu'il n'est pas aux hommes de plaider à l'encontre de luy: car ils perdront temps. Il est vray, que les hommes cuideront avoir bonne cause de savoir faire des plaintes: et mesmes il y en a de si insensez, que quand ils auront desgorgé leurs blasphemes, ils penseront avoir obtenu la victoire à l'encontre de Dieu: mais en la fin si faut-il qu'ils soyent condamnez quand Dieu voudra entrer en procez contre eux, et qu'il leur fera sentir sa vertu et sa puissance, non point une puissance tyrannique, comme ils l'ont imaginé: mais une puissance infinie, laquelle ne se monstre point à nostre sens pour dire, Dieu est-il iuste ou non selon que nous le comprenons tel? Nenni, non: mais Dieu est iuste, quand nous le voudrons condamner: comme il est dit au Pseaume 51 (v. 6). Tu seras iustifié, voire quand tu auras iugé les hommes. Les hommes donc se pourront bien rebecquer à l'encontre de Dieu: mais tant y a que toute bouche sera close finalement, et que Dieu sera iustifié. Et pourquoy est-ce que le Prophete David use là de ceste forme de parler, sinon d'autant que les hommes sont si presomptueux qu'ils assubiettissent Dieu à leur poste, et ne font nulle difficulté de le condamner afin de s'absoudre? Voila donc comme il faut exposer ce passage de Iob. Or maintenant nous voyons en somme comme il a confermé ce propos que nous touchasmes hier: c'est assavoir, touchant de la force et de la puissance de Dieu. Voulons-nous donc savoir quelle est la force et puissance de Dieu? Que nous ayons nos sens attentifs à considerer l'ordre de nature, ce quo nous voyons au ciel et en la terre: que cela soit pour nous amener à Dieu, voire et que nous le concevions tel, que nous soyons humiliez devant luy, pour luy rendre tout honneur. Cela ne nous suffit-il point encores ? Que nous passions plus outre. Il est vray que c'est desia une brutalité trop grande à nous, que le ciel et la terre, et tout l'ordre de nature ne nous suffise point pour nous monstrer que c'est de Dieu. Car voila an livre escrit en assez grosses lettres: et puis il y a tant d'enseignemens divers, que quand nous aurons profité en mille, il y en a cent mille autres ou nous devons profiter quelque chose. Mais encores quand nous serons si hebetez, que le ciel et la terre ne nous profiteront point: venons à nous. Que nous cognoissions, Or çà, Dieu approche-il si privément de nous, tant eu ses oeuvres, qu'en tout ce que nous voyons on nous? Si nous ne le pouvons cognoistre tel qu'il est, pour le moins que nous le I sentions quand il besongne si familierement on nous. Or il est certain que nous défaillons en cest endroit:

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il faut donc conclure, que nous n'avons point le sens de cognoistre Dieu.

Ainsi donc apprenons quand nous aurons enquis de la face, et de la puissance de Dieu, de nous humilier, selon que Iob adiouste ici pour conclusion; Voila (dit-il) quand i'auroye à respondre devant luy: si est-ce que ie n'attenteray point de me iustifier: mais ie m'humilieray devant mon luge, pour le supplier. Nous voyons maintenant à quoy se rapporte tout ce que Iob avoit dit: encores que ses propos soyent confus. Il est vray que nous pourrons bien recueillir une bonne doctrine quand nous n'aurons que ceste generalité qui a esté desia declarée ci dessus: mais quand Iob nous monstre maintenant à quel but il tend, il est certain que ceci nous profite au double. Ainsi donc notons bien ce mot: qu'apres que Iob a parlé de la puissance et de la sagesse de Dieu, et qu'il en a donné ici quelques miroirs et tesmoignages: il dit: Qu'est-il de faire donc, mes amis ? Voila Dieu qui est nostre Iuge, quand chacun de nous se regardera. Prenons le cas que nous ne soyons point des malfaicteurs qui ayent mené une vie du tout meschante, que nous n'ayons esté ne paillards, ne meurtiers, ne larrons, prenons le cas que Dieu ne nous puisse mettre au devant que nous ayons esté d'une vie meschante et dissolue: toutesfois qui est celuy qui osera ouvrir la bouche devant lui pour dire, Ie suis iuste, et ie merite bien que tu me reçoives à merci? Où est celuy qui osera entreprendre une telle audace ? Que faut-il donc? Que nous venions devant nostre Iuge pour le supplier.

Or ce mot de supplier emporte que nous passions condamnation: c'est à dire, que cognoissans qu'il n'y a que matiere de mort et de condamnation en nous: qu'il n'y a que peché et iniquité: que nous n'ayons autre refuge, sinon à sa pure misericorde. Voila donc qu'emporte le mot de supplier. Et ainsi toutes fois et quantes que l'on parlera de nous presenter devant la maiesté de Dieu: notons bien qu'il ne peut estre glorifié de nous comme il doit, si ce n'est que nous demourions là confus: que toutes bouches soyent closes, et que tout le monde se confesse redevable à Dieu, comme sainct Paul en parle au 3. des Romains (v. 19). Quand donc nous viendrons pour faire supplication devant nostre Iuge, que ce ne soit point pensans nous iustifier: car nous n'y gaignerons rien par ce moyen - la. Que nous ne pensions point aussi que l'honneur que Dieu demande de nous consiste ni en ceremonies, ni en fanfares, ni en autres choses semblables. Ne nous arrestons point comme les Papistes, à des singeries, et à ie ne say quoy, que les hommes auront introduit d'eux -mesmes. Ne pensons point (di-ie) que Dieu vueille estre servi et honoré de nous par cela: mais advisons de nous dedier du tout à luy, nous conformans à la regle qu'il nous a donnée en sa parole, sachans que quand nous en ferons ainsi, il augmentera tousiours ses graces de plus en plus en nous, iusques à ce qu'il nous ait amenez à salut, combien que nous n'en soyons pas dignes.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE TRENTECINQUIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE IX. CHAPITRE.

Ce sermon contient encore l'exposition des versets 13,14,15 et du texte qui est ici mis..

16. Si ie l'invoque, et qu'il me responde, toutesfois ie n'estimeray point qu'il m'ait exaucé. 17. Il m'a affligé en tourbillon, et sans cause il m'a navré. 18. Il ne me donne point loisir de respirer, mais il me soule d'amertumes. 19. Si on y va par force, voici il est robuste: si c'est en iustice, et qui est-ce qui pourra entrer avec luy? 20. Si ie me monstre iuste, m'a propre bouche me condamne: si i'allegue mon integrité, il m'estimera pervers. 21. Si ie di que ie suis entier, encores ie ne cognoy point mon

ame, et ma vie me deteste. 22. Voici un poinct que i'ay resolu: c'est assavoir que Dieu destruit et le iuste, et l'inique pareillement.

Nous traitasmes hier cest article, que combien que nous ne cognoissions point assez nos pechés, toutesfois il nous faut venir à Dieu, en le suppliant: c'est à dire, qu'un chacun confesse qu'il est povre pecheur, et que nous sachions que nous avons tous besoin de la misericorde de celuy qui nous

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pourroit condamner à bon droit: comme S. Paul dit (Rom. 3, 19) que nous luy sommes tous redevables. Et pourquoy? d'autant que nous sommes desnués de gloire devant Dieu, dit-il. Quant aux hommes nous pourrons bien nous glorifier, et nous semblera quo ce n'est point sans cause: mais si nous venons à ce grand siege, là il nous faut tous demourer confus. Et voila pourquoy il est dit, Que si Dieu ne retire son ire, toutes aides puissantes seront abbatues de luy: et quand nous aurons assemblé tout ce qui nous peut aider, que Dieu renversera tout cela, sinon qu'il soit appaisé: c'est à dire que par sa bonté il nous reçoive à merci. Car que nous puissions gaigner nostre cause contre lui, il n'y a point d'esperance. Il nous faut donc venir à quelque appointement. Et comment est-ce que Dieu sera reconcilié avec les hommes? est-ce qu'ils ayent le payement en eux? sera-ce quand il aura enquis, qu'ils se puissent monstrer iustes ? Nenni: mais quand les hommes l'auront supplié, suivant ce que nous avons desia dit. Notons bien donc, que c'est en vain quand nous cercherons des moyens ça et là pour resister à l'ire de Dieu, pour empescher que nous ne soyons consumez par icelle: mais il faut tenir le chemin qui nous est ici monstré, c'est assavoir que l'ire de Dieu s'appaise. Voila donc quant à ce poinct.

Iob adiouste maintenant, Que ce seroit temps perdu de choisir paroles avec Dieu. En quoy il signifie, que les hommes auront beau user de rhetorique: comme il y en a beaucoup qui s'enyvrent en leurs paroles (comme on dit) et s'y plaisent, et leur semble que tout ainsi qu'ils esblouissent les yeux de ceux qui ne voyent gueres clair, Dieu y sera trompé pareillement. Or Iob dit ici, que quand nous aurons choisi paroles qu'il y aura eu des propos bien fardez, qui seroyent pour estonner ceux qui nous oyent, que Dieu ne s'esmouvera point pour cela. Il faut donc que tout babil et toute rhetorique cesse, quand nous venons devant le siege celeste. Car là les langues ne seront point ouyes: il faut que les pensees des hommes viennent en clarté, les livres seront ouverts: Dieu ne fera autre inquisition, sinon qu'il produira nos consciences, qui maintenant se peuvent cacher et excuser par beaucoup de subterfuges: mais alors il faudra qu'elles se desployent, et que tout soit cognu et apparent. Ainsi donc que nul no s'abuse à ce qu'il pourra alleguer devant les hommes. Car il faut que tout cela soit abbatu, quand Dieu nous aura adiournez devant luy. Or par ceci Iob signifie en somme, qu'il ne nous faut point mesurer la iustice de Dieu selon celle dos hommes. Et pourquoy ? Si nous plaidions à la façon des hommes, il est vray que nous aurions cause gaignee: voire comme nous cuidons. Tant y a quand tout le monde

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nous au oit absous, et iustifiez, voire, et qu'il nous auroit applaudi, et que de nostre costé nous aurions conversé en sorte qu'il n'y eust que redire: nous demourerons courts, estans venus à Dieu: la chance sera alors bien tournee. Apprenons donc, que tout ce que nous pouvons maintenant avoir d'avantage selon le monde, De sera que vanité. Et ainsi voulons nous subsister devant Dieu? Il nous faut bien noter en premier lieu que c'est de luy: il nous faut reduire en memoire sa force et puissance, de laquelle il a esté fait mention ci dessus: et alors nous serons desnuez de toute gloire, suivant ce que dit S. Paul (Rom. 3, 27): au lieu que nous pensions bien avoir quelque vertu qui suffise pour nous iustifier, nous trouverons qu'il n'y a point une seule goutte de bien qui merite d'estre prisé. Les hommes s'estans ainsi condamnez auront leur refuge à la misericorde de Dieu. Et c'est là aussi où le S. Esprit nous veut amener.

Or il s'ensuit , Quand ie l'auroye invoqué, et qu'il m'aura respondu, encores ne penseray ie point qu'il ait ouy ma voix, ne exauce. Voici une sentence estrange. Car encores que Dieu ne nous exauce point selon l'apparence: si est-ce qu'il nous fait sentir sa bonté, en sorte que nous ne sommes point du tout destituez d'aide. Or Iob dit, que quand il aura obtenu ses requestes, que Dieu aura eu pitié de luy, et qu'il luy aura respondu: encores croira il qu'il sera condamné de luy, et que ses oraisons n'auront rien profité. Comment prendrons nous ceci? Or il n'y a nulle doute, que Iob n'exprime quelles sont les tentations d'un homme, cependant que Dieu se monstre contraire à luy, comme nous avons veu par ci devant qu'il suivoit un tel style. Vray est que Iob ne s'est point là arresté:: mais si est-ce qu'il a esté touché d'une telle passion: et n'y a celuy qui ne se trouve en tel estat, quand Dieu le viendra appeller, qu'il luy fera tellement cognoistre son iugement, qu'il soit tout esperdu.. Nous ne venons point du premier coup si bas: il est vray: mais si Dieu nous vient combatre en telle sorte que nous le voyons là comme nostre ennemi, ou nostre partie adverse, il est certain que nous serons esperdus d'une telle frayeur, qu'il n'y aura rien qui puisse adoucir l'angoisse de laquelle nous serons surpris et troublez: combien que Dieu nous ait respondu, toutesfois si ne le cuidons nous pas: mais plustost qu'il nous persecute, et que quelque esperance qu'il nous ait donné, neantmoins il ne laissera pas de tousiours augmenter les coups. Voila donc en quelle confusion se trouvent tous ceux qui auront desia conceu que Dieu leur est contraire. l Or d'autant que ceste passion ici est horrible, nous l avons bien à nous munir à l'encontre pour y resister. Et comment sera - ce ? En premier lieu sachons que c'est d'avoir une telle condition qu'a

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eu Iob. Il y en a bien peu qui y pensent. Car selon que nous sommes sensuels, il nous semble qu'il n'y a mal ni adversité, que ce que nous sentons au corps, et quant à la vie presente. Nous n'allons point donc à ces combats spirituels, par lesquels Dieu nous esprouve, quand il tient nos consciences ainsi enserrees que nous ne savons que dire, sinon qu'ils s'est levé contre nous, qu'il foudroye, qu'il nous a mis comme un blanc contre lequel on veut tirer Combien que Dieu ne nous examine pas ainsi au vif du premier coup: si faut il neantmoins qu'un chacun y regarde, et que nous cognoissions, Helas! si Dieu nous envoye seulement quelques maladies, s'il nous afflige d'une autre façon quant au corps, cela est peu de chose au pris de ces torments qu'il fait sentir aux creatures, quand il ne leur propose que son ire et sa vengeance, quand il semble qu'il les vueille damner, et abysmer du tout. Puis qu'ainsi est, prions nostre Dieu, que quand il nous voudra amener iusques là' alors il nous donne force et vertu pour subsister. Et comment? C'est que ses promesses nous viennent en memoire. Il est vray qua l'ire de Dieu est un feu qui consume tout: il est vray que si tost qu'il nous en aura donné quelque petit signe, il faut que nous soyons esperdus: mais aussi il n'est point question que les hommes cerchent en eux force pour resister à tels combats' mais qu'ils l'empruntent de Dieu. Selon donc que Dieu nous rend confus, quand il nous donne quelque signe de sa vengeance, aussi à l'opposite, il nous releve du sepulchre, voire des abysmes d'enfer: et mesmes il nous leve par dessus les nues du ciel, quand il nous fait gouster sa bonté, voir par le moyen de ses promesses. Voila comme nous empruntons de Dieu la force pour batailler contre DOS tentations.

Or tant y a que Iob nous monstre ici que les plus fideles, les plus patiens, ceux ausquels Dieu aura eslargi de son Esprit plus qu'aux autres, ne seront point toutesfois exemptés de ceste tentation ici: c'est assavoir, qu'au milieu de leurs angoisses, quand Dieu les pressera, ils ne sauront que devenir. S'il les exauce, ils penseront, qu'ils soyent encores comme reiettez de luy, qu'il ne vueille point en avoir pitié. Si ces tentations ici estoyent perpetuelles, il est certain que nous ne pourrions sinon blasphemer contre Dieu: la foy estant esteinte, il faudroit que nous fussions esgarez: il y auroit une rage infernalle qui nous transporteroit. Mais quand Dieu navre ainsi ses fideles, il adoucit incontinent leurs playes, et y donne guarison: qui plus est, il ne faudroit qu'une minute de temps pour nous accabler, et nous mettre aux enfers, sinon que Dieu nous donnast quelque goust de sa bonté parmi de telles angoisses. Si Iob eust eu ceste apprehension ici toute conclue,

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que Dieu ne le vouloit point exaucer, il estoit perdu, et n'y avoit plus de remede aucun. Notons donc qu'il n'a point esté saisi ni opprimé d'un tel desespoir comme il le monstre, que cependant Dieu ne luy ait fait sentir sa bonté en quelque sorte. Nous voyons cela encore mieux en la personne de nostre Seigneur Iesus Christ. Il dit, Pourquoy m'as-tu laissé? Et de fait, il est là en extremité comme celuy qui porte le fardeau de tous les pechez du monde. Il faut donc, que Iesus Christ, pour peu de temps, se sente comme abandonné de Dieu son Pere. Or tant y a neantmoins qu'il a une consolation contraire, comme il Ie monstre en disant, Mon Dieu, mon Dieu. Cependant que nous pouvons invoquer Dieu, sachans qu'il est nostre Sauveur, et que nous avons accez à luy, la foy domine, et sommes lors persuadez que Dieu ne nous a point delaissez: mais cependant si ne laissons-nous point d'avoir ceste passion exorbitante, que nostre chair se trouve là comme en un gouffre, qu'il n'y a nulle clarté quant au sentiment naturel, quant à ce regard que nous pouvons avoir: que quand nous aurons bien disputé, nous ne pourrons conclure autre chose, sinon Dieu nous est contraire, Dieu est nostre ennemi, pour le moins il nous a ici mis en proye pour estre livrez à Satan, il n'y a plus d'esperance, il n'y a plus de moyen de salut. Voila donc où Dieu nous mettra, voire seulement l'apprehension charnelle, selon toute nostre raison, selon tout ce que nous pouvons voir de nature. Mais Dieu nous donne comme une estincelle de clarté, il nous donne quelque sentiment de foy, ouy sans que nous le cognoissions et le puissions discerner. Et voila pourquoy S. Paul dit (Rom 8, 25), que les gemissemens que Dieu suscite en nous, afin que nous le puissions prier, sont inenarrables, c'est à dire qu'ils ne se peuvent exprimer. Voila un fidele qui prie Dieu, il gemit et souspire, et en quelle sorte? Voila (dit S. Paul) quand le fidele supplie le Seigneur, il ne cognoist point ce qu'il fait: c'est une chose qui surmonte son esprit, et toutes ses pensees: non pas que nous soyons comme bestes brutes en priant Dieu, que nous n'ayons nulle intelligence, sainct Paul n'entend pas cela: mais il veut dire que Dieu besongne d'une façon estrange, quand nous sommes ainsi tourmentez de nos passions, et que nous ne savons que dire, et qu'il n'y a nulle apparence qu'il nous vueille estre favorable et propice. Quand donc nous serons constituez en tel estat, encores qu'il y ait une cognoissance si obscure que nous ne puissions appercevoir que Dieu suppleera à nos infirmitez: attendons neantmoins qu'il besongnera en nous, voire d'un moyen qui nous est incognu, et qui est trop haut pour nous. Voila comme Iob prononce qu'il ne cuidoit point que Dieu l'eust regardé, ne

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qu'il l'eust ouy, encores qu'il luy responde. Bref, il signifie que ceste tentation presente est si enorme, et si excessive qu'il perd tout goust de la bonté de Dieu, voire quant à son sens naturel, que sa foy est comme esteinte: non pas qu'elle soit perie du tout: mais elle est là comme un peu de feu sous les cendres, elle s'estouffe. Si Iob a quasi esté accable de ceste tentation helas? et que sera-ce de nous? Si celuy que le sainct Esprit nous propose pour un miroir de patience a esté mis si bas, qu'il soit descendu en un puits si profond d'horreur: ie vous prie, si Dieu nous touche au vif, ne faut-il pas que nous soyons encores plus engloutis en ce gouffre? D'autant plus donc avons-nous besoin de prier Dieu, qu'il nous fortifie: et si quelquesfois nous venons en telles tentations, ne perdons point courage, ce n'est pas signe que Dieu nous ait reiettez, ne que nous soyons destituez de son sainct Esprit. Et pourquoy ? Car il a une façon admirable à gouverner les siens, et à les racheter: combien que quant à leur nature ils ayent leurs sens et leurs pensees, qui les rendent confus, qui les mettent en abysme, voire iusques aux enfers, qu'il ne leur reste plus rien, sinon de dire que. le diable les tient là captifs. Mais quoy ? Pour un temps ils ont les yeux troublez, tellement qu'ils ne peuvent regarder à luy, qu'ils sont là comme esblouis: toutesfois si leur laisse il quelque sentiment de sa maiesté, pour tousiours les tenir en bride, afin qu'ils ne se desesperent point du tout. Voila ce que nous avons à noter en somme' qu'au milieu de ces grandes tentations, où le diable aura gagné ce poinct sur nous, qu'il semble que nous devions estre du tout opprimez, qu'il n'y ait plus nul moyen d'en sortir: il faut que nous perseverions à invoquer nostre Dieu, voire iusques à ce qu'il nous ait rendu la clarté, qui estoit comme cachée de nous pour un temps. Nos pas qu'elle soit esteinte, comme i'ay dit (car que deviendrions nous si Dieu nous avoit laissez du tout?) mais Dieu permet que ceste clarté de foy, et de son S. Esprit qu'il a mis en nous soit comme estouffee, ainsi que i'ay desia amené la comparaison d'un peu de feu qui est sous la cendre: cependant avec le temps le feu peut estre allumé. Ainsi la foy est obscure, tellement qu'elle ne monstre point une seule estincelle iusques à ce que Dieu nous illumine, et qu'il ait fait escarter les tenebres desquelles nous avions esté saisis et opprimés.

Or apres que Iob a prononce ceste sentence, il adiouste, Voici il m a accablé du tourbillon, et m'a navré sans propos. Quand Iob dit que Dieu l'a accablé du tourbillon, c'est pour signifier qu'il ne se faut point esbahir, s'il imagine que Dieu luy soit tellement contraire, qu'il ne puisse point de son sens naturel esperer aucune grace de luy.

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Vous estonnez-vous (dit-il) si ie di que ie ne cuideroye point que Dieu m'eust exaucé , quand il m'auroit respondu? Car ie regarde à ceste affliction presente do laquelle ie suis tellement saisi, qu'il n'y a rien qui puisse adoucir ma douleur. C'est ce que desia nous avons touche, que les playes que Dieu nous fait, quand il se monstre comme nostre ennemi' qu'il nous appelle en iugement, et que nous ne voyons qu'une face courroucée, sont merveilleusement sensibles. Quand donc nous en venons là, il est certain que nous sommes tellement accablés de douleur, qu'il n'y a rien qui noua puisse resiouir, ne qui nous puisse donner patience. Nous voyons maintenant quelle est l'intention de Iob`' c'est assavoir que pour ce temps-la, l'ire de Dieu et le sentiment qu'il en avoit, luy ostoit le moyen de se pouvoir resiouir, et d'escouter aucune remonstrance qui luy fust faite pour sa consolation. Or il nous faut tousiours retenir ce qui a esté declaré par ci devant, c'est assavoir que Dieu ne se monstre iamais si courroucé aux siens qu'il ne leur face sentir sa bonté en quelque sorte, mais non pas que tousiours ils l'apperçoivent. Et c'est une chose qui n'est point aisee à comprendre que ceste-ci. Si faut-il neantmoins , que pour estre enfans de Dieu, nous l'entendions: mais à grand' peine la comprendrons nous, sinon en pratique. Il y aura une povre personne assaillie de ces tentations: oh en est-il? Dieu me regarde-il? Non. Car me voici en langueur, et ie l'invoque, ie ne sens point de soulagement, c'est donc signe qu'il m'a reietté. Apres, les pechez viendront en avant, le diable suscitera tant de choses que c'est un horreur. Voila donc une povre creature qui se sentira comme accablée. Cela est-il fait? Dieu viendra remettre le tout en estat, la conscience qui estoit auparavant ainsi tormentée sera paisible: où il n'y avoit qu'obscurité, voila Dieu qui luira, qui monstrera une face douce et amiable comme un ciel serain. Assavoir mon si pour le temps que la personne estoit ainsi en telles tentations, Dieu avoit laissé perir sa foy, et qu'elle fust aneantie du tout? Nenni, il est impossible. Car la foy est une semence incorruptible en nos ames. Mais comme i'ay desia dit, selon tous les sens naturels de l'homme il faudra que nous soyons comme aveuglez, iusques à tant que Dieu nous monstre sa grace.

Or il nous faut bien noter ces mots, quand Iob dit, que Dieu l'a affligé de tourbillon: car il veut exprimer une façon extraordinaire. Ce n'est pas comme si Dieu m'avoit frappé à coups de baston, comme si i'avoye receu quelque coup d'espée de luy: mais il m'a eslourdi (dit-il) comme s'il avoit ietté quelque foudre sur moy, quelque tourbillon, les coups que nous recevons d'ici bas ne

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seront pas tousiours mortels: mais si la foudre tombe du ciel nous sommes peris. Iob donc signifie que la playe qu'il a receuë est comme s'il estoit mis aux abysmes. Et pourquoy? Car la foudre et le tourbillon sont tombez du ciel sur moy, dit-il. Or ceci est bien à noter. Car c'est l'astuce de Satan, de nous mettre en desespoir, en nous donnant à entendre que Dieu nous traite d'une rigueur non accoustumée, car Satan nous proposera, Que veux tu dire? Il est vray que Dieu chastiera bien les pecheurs, et puis il en a pitié: Dieu visite les siens, lesquels il aime: mais c'est d'une façon paternelle, il modere tousiours sa rudesse. Et toy, t'a-il ainsi traitté? Il foudroye à l'encontre de toy, et comment donc te persuades - tu qu'il te vueille iamais faire merci? Il est impossible. Quand donc le diable nous a donné à entendre que Dieu use d'une rigueur non accoustumée envers nous: il nous fait incontinent conclure, que nous n'aurons plus donc de recours à luy, qu'il ne nous faut plus esperer que iamais il nous doive recevoir. D'autant plus nous faut-il bien noter ce passage, quand Iob dit, qu'il a esté affligé de tourbillon. Or s'il a passé par là, et cependant nous voyons neantmoins que Dieu l'a secouru, attendons le semblable en nous. Et au reste, notons bien, que Iob parle ici selon son affliction, il n'a pas esté insensible. Dieu donc non seulement a foudroyé sur luy: mais il lui a donné ceste cognoissance-la Dieu foudroye. C'estoit bien pour l'abysmer: mais cependant il a eu un remede secret, comme nous avons dit. Esperons donc pour nous le semblable.

Quant à ce qu'il adiouste, que Dieu luy a {ait beaucoup de playes, sans propos, ceci semble bien rude. Car que Dieu sans cause tourmente ainsi les hommes, n'est-ce pas simple iniustice, ou une cruauté telle, qu'on ne trouvera point qu'il soit plus Iuge du monde, mais plustost un tyran? Il semble bien que Iob blaspheme ici contre Dieu, disant qu'il a esté afflige, et navre sans propos. Mais quand nous aurons retenu ce qui a esté dit, nous cognoistrons son intention, et comment il parle. Car le S. Esprit l'a conduit et gouverné en sa langue, afin que nous ayons une instruction qui nous soit bien utile. Iob donc en premier lieu parle ici selon son sentiment naturel, que Dieu l'à afflige sans propos: et puis au reste, notons que ce sans propos se rapporte à la cognoissance evidente des hommes. Nous avons desia dit ci dessus, que la iustice de Dieu se cognoist doublement. Car aucunesfois Dieu punira les pechez qui sont tout notoires aux hommes. Voila Dieu qui chastie quelqu'un. Et pourquoy ? On l'aura cognu un paillard infame, plein d'ordure et de vilenie: on l'aura cognu un blasphemateur, on l'aura cognu un yvrongne et dissolu, on l'aura cognu un homme

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abandonné à rapines et à toute desloyauté. Et bien, quand Dieu exerce sa iustice on telle sorte, il n'y a celuy qui ne voye bien, Voila, Dieu est iuste iuge, quand il ne permet point que les fautes demeurent impunies. La iustice de Dieu se cognoist aussi. en ses iugemens secrets, quand nous voyons des personnes où il n'y avoit point des vices notables, mesmes où il y avoit quelques vertus: Dieu les afflige et les tormente. Il y aura aucunesfois un sac d'une ville, ou d'un pays, voila tout qui est mis au feu, et à l'espee, voire iusques aux petis enfans, là où on ne voyoit qu'innocence. Et bien, voila des choses qui nous semblent estranges, Il nous faut glorifier Dieu en cest endroit: ouy, combien que la raison ne nous soit point patente. Dieu ne nous monstrera pas du premier iour pourquoy c'est qu'il permet telle chose, et qu'il l'ordonne. nous pourrons disputer contre luy, et pourquoy ceci se fait-il? Et y a-il raison? Voila donc comme lob a entendu ce mot, sans propos: non pas qu'il vueille dire que Dieu, quant à luy, afflige les hommes sans cause. Car (comme desia nous avons dit) ce seroit une tyrannie iniuste: mais il prend ce sans cause au regard de ce que nous entendons. Or il y a en ceci qu'il nous faut adorer la iustice de Dieu, combien qu'elle soit cachee, et mesmes que nous ayons des nuees obscures et espesses: si nous faut-il croire qu'il n'y a que toute equité et droiture: et combien que selon nostre sens nous ne trouvions point de iustice en Dieu, mais que sa iustice soit transfiguree comme en iniquité: si le faut-il neantmoins glorifier. Voila comme Iob dit qu'il a esté navré sans propos: c'est assavoir; si on me demande, Cognois-tu une raison evidente en toy, pourquoy Dieu t'afflige? Ie n'en voy point; Car lob soit traité d'une façon bien estrange: nous avons veu qu'il estoit là comme un miroir d'un homme reprouvé, qu'il sembloit que Dieu voulust desployer toute son ire et sa fureur contre luy. Iob donc ne voit point pourquoy Dieu fait cela: il n'y a point de raison, voire quant à luy. Et cela est vray: il ne parle point par hypocrisie. Et de fait aussi Dieu n'avoit point ce regard-la: il ne punit point Iob pour dire, Il est un meschant, il taut qu'il soit puni plus que les autres. Quoy donc? C'est que le diable l'accuse, qu'il n'a point d'integrité en soy ni de rondeur: et Dieu veut qu'il vienne à l'examen, et qu'on cognoisse quel il est. L'intention donc de Dieu n'est pas de punir les pechez de Iob en telle mesure qu'il l'avoit offensé. Car cependant il espargnoit beaucoup de meschans qui n'estoyent point traitez si rudement de luy. Et ainsi nous voyons maintenant que Iob ne blaspheme nullement, quand il dit que Dieu l'a navré sans propos, moyennant que ce mot soit simplement entendu comme il l'a prononce:

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c'est que Iob n'a point cognu raison speciale pour laquelle il soit ainsi affligé de Dieu, comme a la verité il n'y en avoit point. Or il est vray, que si Dieu exerce tout ce qu'il est possible de rigueur à l'encontre d'un homme qui ressemblera aux Anges du ciel, d'un homme gui cheminera en toute integrité, et perfection: si Dieu desploye sa rigueur contre celuy-la, encores sera-il iuste. Et voire: mais c'est sans propos. Il est vray quo si nous entrons au conseil en nostre cerveau si nous disputons comme il nous viendra en nostre sentiment charnel, nous dirons, C'est sans propos: mais sans inquisition, ne sans nous precipiter, il faut que nous concluyons, puis que Dieu est iuste, il sait pourquoy il fait cela. Nous n'y voyons point de propos: mais tant y a qu'il faut que nous le glorifions. Voila comme Iob en a esté.

Or il adiouste, Que Dieu ne luy donne point loisir de respirer, mais qu'il le soule d'amertumes. Ici Iob monstre qu'outre ce que le mal estoit grand et excessif, il y a qu'il continue, et que le principal de sa tentation c'est que Dieu le soule d'amertumes, c'est à dire qu'il le remplit tellement d'angoisses qu'il ne peut trouver seulement quelque petite saveur de bonté pour se recreer, et pour prendre courage. Or ici nous voyons encores mieux, comme Dieu quelquesfois iettera les siens iusques au profond du sepulchre. Et c'est une chose que nous devons bien noter. Car il n'y a celuy qui ne se trouve par trop empesché quand Dieu nous tourne le dos, ou bien que nous sentons comme une face espouvantable, qu'il se monstre comme despité envers nous: helas! les plus hardis, et les plus habiles sont alors tellement esperdus qu'il n'y a que mort qui se presente devant leurs yeux. Que sera-ce donc de nous, qui sommes encores tant debiles et foibles? Et ainsi d'autant mieux nous faut-il observer ces passages, c'est assavoir quand Dieu non seulement a donné quelque signe de son courroux aux povres creatures, mais qu'il les tient là enserrees, que quand elles veulent respirer, et reprendre leur haleine, qu'elles cuident avoir quelque peu de goust de grace pour adoucir leurs destresses, tousiours Dieu viendra augmenter le mal. Puis que Iob a esté en une telle extremité pourquoy n'y serons-nous ? Advisons donc quand nous serons en quelque affliction moyenne, de nous preparer à en recevoir de plus grieves, s'il plaist à Dieu de nous les envoyer, iusques à ce qu'il ait remedié à tous nos maux. Voila ce que nous avons à noter sur ce passage.

Mais Iob se declare puis apres plus ouvertement, en disant: S'il est question de force, qui est-ce qui sera pareil à Dieu? s'il faut venir en iustice, qui est-ce qui le pourra adiourner? Ou qui pourra trouver aucune raison, tellement que nous puissions

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plaider avec luy, comme ayant droit egal? Il n'en y a point. Ie conclu donc (dit-il) que Dieu consume et le iuste, et le meschant tout ensemble. Il y a deux moyens de recouvrer nostre droit, quand quelqu'un nous aura osté ce qui estoit à nous: car nous y allons, ou par force, ou par voye de iustice. Les princes demenent leurs querelles avec effusion de sang: les particuliers en feroyent bien autant s'il leur estoit licite: tousiours ils commenceroyent par voye de fait et encores ne s'en peuvent-ils abstenir, quoy que la punition leur soit toute apprestee. Or il y a aussi le moyen ordinaire de iustice. Iob prend ces deux choses ici: comme s'il disoit, Il est vray que ie me sens tourmenté iusques au bout: et cependant comment resisteray-ie à mon Dieu? Car si i'y procede par violence qu'y gaigneray-ie? Ie ne suis point pareil à luy: si i'y veux aller par voye de iustice, me recevra-il ? Qui sera iuge ou arbitre entre nous? par où commenceray-ie mon procez ? Bref, ie voy que Dieu consume le iuste et le meschant. Ce propos semble encores plus estrange, que celuy que nous avons propose: mais nous le pourrons aucunement applanir quand nous le regarderons bien: ce qui nous sera une chose bien bonne, et bien propre a nostre usage. Quand Iob dit qu'il n'y a nul qui se trouve pareil en vertu avec Dieu, et qui puisse plaider avec luy en iustice, d'autant qu'il ne s'y rendra point suiet: par cela il ne veut point attribuer à Dieu une vertu absoluë, que Dieu face ce que bon luy semblera, et qu'il le face iniquement. Il est vray qu'il ne nous faut point cercher autre raison en Dieu que sa bonne volonté: mais cependant si nous faut-il tenir pour certain, que la volonté de Dieu ne peut estre que iuste et equitable. Ouy, combien que nous De le voyons pas, mais tout le contraire. Iob donc prend ici son theme sur ce que desia nous avons deduit, c'est assavoir, que la iustice de Dieu ne consiste pas en la cognoissance que nous en avons, et qui puisse entrer au cerveau des hommes. En quoy donc ? Elle consiste en soy, qu'il faut dire, Dieu l'a-il ainsi fait? il est bien fait: Dieu l'a-il ainsi voulu? sa volonté est droite et equitable, il n'y a que redire. Et comment cela ? Si nous examinions ce que Dieu fait nous trouverions qu'il n'y a nul propos, que c'est tout au rebours de ce qui doit estre: et que là dessus nous le cognoissions iuste? comment sera-il possible? Et c'est ce que i'ay desia touche, que la iustice de Dieu consiste en soy-mesme, qu'il ne faut point qu'elle emprunte d'ailleurs son approbation. Et ne trouvons point estrange si Dieu demande ceste confession-la de nous, que nous soyons tout persuadez qu'il est iuste, quoy qu'il nous semblera estre inique. Et pourquoy ? Ie vous prie, quel est nostre sens ? Les hommes

IOB CHAP. IX

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mortels oseront-ils dire qu'ils soyent capables de mesurer la iustice de Dieu? quelle folie sera-ce? Or puis qu'ainsi est que nous avons la veuë trouble et que à grand' peine discernons-nous d'un pied loin, par maniere de dire, recognoissons nostre mesure et portee. Vray est quand nostre veuë se iettera en ce monde, qu'encores sera elle limitee: mais il y a nos phantasies qui sont plus habiles pour discourir et çà et là. Tant y a que quand nous aurions monté par dessus les cieux, encores n'aurions-nous point attaint à ceste maiesté si haute, comme elle est en Dieu. Et mesmes puis que nous ne pouvons porter la clarté du soleil, que nous n'en soyons esblouys: helas! et comment parviendrons-nous à une telle hautesse que de sonder la iustice de Dieu, qu'il n'y ait rien qui nous soit caché. et qui ne passe par nostre bureau ? Notons bien donc, que Iob n'a point parlé ici de ceste force et iustice de Dieu en telle façon et en ce sens, combien que la forme de parler dont il use, soit excessive. Qui est-ce qui plaidera contre Dieu ? Car il ne le voudra point escouter. Il s'ensuit donc que Dieu veut estre iuste à credit, qu'il veut qu'on se tiene à luy, et à ce qu'il dira de sa propre cause. Mais revenons à ceste conclusion-la, que ce seroit une chose trop absurde, et mesmes contre nature, que Dieu fust comme du reng des hommes, et qu'il ne fust point iuste, sinon d'autant qu'il nous monstre cela. Or il se feroit compagnon avec nous, il faudroit qu'il s'oubliast, il faudroit qu'il se devestit de sa propre divinité. Ainsi donc c'est bien raison que la iustice de Dieu ait ceste preéminence-la, que quand il ne voudra point venir en conte avec nous, qu'il ne nous voudra point rendre raison de ce qu'il fait, mesmes quand il fera tout à l'opposite de nostre sens, et de nostre raison: toutesfois que nous sachions que sa iustice demeure en son entier. Et pourquoy? D'autant (comme i'ay dit) qu'elle consiste en soy. Or là dessus Iob conclud, que Dieu consume (donc) le iuste, et l'inique. Comment? est-il dit, que si la iustice de Dieu surmonte toute apprehension humaine, que pourtant il doive ainsi mesler comme en un vaisseau les bons et les meschans? La bonté ne procede-elle point de luy? Pourquoy donc est-ce qu'il ne la cognoist et qu'il ne l'advouë? Pourquoy est-ce que mesme il ne l'a agreable? Si donc Dieu consume ainsi le

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bon avec le meschant, il semble bien qu'il n'y ait plus de iustice en luy. Et de fait, voila aussi comme Abraham argue au 18. de Genese (v. 23, ss.). Seigneur (dit-il) ce n'est pas une chose convenable, que tu destruises le iuste avec le meschant: cela est impossible. Comment donc est-ce que Iob parle ainsi? Or il nous faut tousiours retenir ce principe, c'est assavoir que Iob ne prend point ici l'inique et le iuste pour ceux qui se trouveront tels devant Dieu. Car où est le iuste quand nous venons-là? Mais il prend le meschant et le iuste, selon que nous le pouvons appercevoir. Voila donc un homme qui sera iuste, c'est à dire qui menera une bonne vie et honneste, qui cheminera en la crainte de Dieu, et en toute pureté et rondeur avec ses prochains: mais quand il viendra devant ce throne celeste, ô il faut que là se descouvre ce que nous ne voyons point. Tant y a donc que selon nostre sens nous voyons les iustes et les meschans perir, que Dieu frappera et les uns et les autres, que les punitions seront quasi indifferentes, comme il en est parlé en Salomon. Or cependant blasphemerons-nous Dieu ? Nenni: mais il nous faut tousiours retenir, que si la iustice de Dieu nous est notoire, c'est à dire qu'elle se declare quand il punira les meschans, et delivrera les bons, et ceux qui l'auront loyaument servi: et bien, nous avons à le glorifier en cest endroit. Mais si la iustice de Dieu ne nous est pas cognue, qu'il nous semble qu'il face tout en confus, et que selon nostre fantasie il punisse et le iuste, et le meschant tout ensemble: que nous ne laissions pas pourtant de cognoistre et de confesser qu'il est iuste en soy, et qu'il nous le faut glorifier en tout et par tout. Et quand nous y procederons ainsi, encores que les choses nous semblent estre bien confuses, si est-ce que Dieu nous donnera une telle prudence, que nous cognoistrons qu'il n'a rien fait sans cause: et mesmes que ce qui nous semble auiourd'huy nous estre contraire, nous sera converti à salut. Voila quels sont les exercices des Chrestiens: là il nous faut appliquer nostre estude, iusques à ce que Dieu nous ait retirez de tous combats. Mais le principal assaut où il nous veut exercer, c'est que nous luy donnions gloire, cependant qu'il semble qu'il nous vueille du tout foudroyer.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON XXXVI

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LE TRENTESIXIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE IX. CHAPITRE.

23. Si le fleau tue incontinent, se rira-il de la tentation des innocens? 24. La terre est donnee en la main du meschant, il couvre la face des iuges: sinon où est-ce? et qui est-ce? 25. Mes iours sont passez plus viste qu'un courrier, tellement que ie n'y ay rien veu de bien. 26. Ils sont decoulez plus qu'une barque à poste, ou qu'une aigle volante. 27. Si ie di en moy, i'oublieray ma complainte, i'appaiseray mon courroux, ie me conforteray: 28. Ie crains mes miseres: car ie say, que tu ne me iugeras point innocent.

Pour bien faire nostre profit de ceste doctrine il nous faut reduire en memoire ce qui a esté declaré par ci devant: c'est assavoir que Iob veut demonstrer. que la iustice de Dieu ne s'apperçoit point tousiours dos hommes, qu'elle n'est point cognue, pour dire, qu'on y touche au doigt: mais plustost que Dieu besongne par façons estranges, tellement qu'il nous semblera qu'il n'y ait ni raison ni equité en luy, et qu'il fait tout en confus. Or nous avons monstré que la iustice de Dieu quelquesfois se monstre, et qu'il y a certaines marques par lesquelles nous la discernons. Si Dieu punit un meschant, il n'y a celuy qui ne iuge qu'il nous advertit tous par un tel exemple, et nous sommes contraints de le glorifier: comme il en est parlé au Pseaume 107. Si Dieu delivre quelqu'un qui l'invoque, et qui ait cheminé en sa crainte, nous dirons, Dieu est iuste. Mais il n'a point une façon egale, pour faire tousiours ainsi. Car il a ses iugements secrets, et qui nous sont incomprehensibles, en sorte que nous ne pouvons estre sinon esbahis et estonnez, quand Dieu fera des choses qui nous semblent estre du tout contre raison. Voila donc l'intention de Iob: c'est qu'il se trouve comme esperdu, d'autant que Dieu ne se regle point à son iugement et phantasie: mais qu'il a une autre sorte de parfaire ses oeuvres, qui nous est du tout incognue.

Et voila pourquoy il dit, Si le fleau frappe pour tuer, comment Dieu se rira-il sur la tentation des bons? Ceste sentence pource qu'elle est obscure, et briefve, qui cause l'obscurité, a esté exposee en diverses sortes. Mais quand tout sera bien regardé, le sens naturel est cestuy-ci. Si Dieu s'esleve contre les meschans, comment se rit-il aux afflictions des bons? Or celuy qui avoit parlé, assavoir Baldad, pretendoit, que Dieu ne desploye point ses chastimens, que quand les hommes l'ont merité, que

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quand quelqu'un aura failli, Dieu le corrige: bref, il sembloit a l'ouyr parler que desia on fust venu au dernier iour, et que iugement se fist en toute perfection. Or est-il ainsi que Dieu reserve beaucoup de choses: et voila pourquoy il semble qu'il gouverne Auiourd'huy en confus. Car s'il punissoit tous les pechez des hommes nous estimerions estre desia venus iusques à la fin, il n'y auroit plus d'esperance que nostre Seigneur Iesus Christ nous deust recueillir à soy. Ainsi donc nous avons besoin que Dieu laisse beaucoup de fautes impunies: il est besoin aussi que les bons soyent affligez, et qu'il semble qu'ils ayent perdu leurs peines en servant à Dieu.

Or venons maintenant aux paroles de Iob. Si le fleau (dit-il) tue incontinent, c'est à dire, si Dieu ne differe point ses corrections: mais si tost qu'un homme aura peché, qu'il ait la main levee pour le punir, et qu'il face à chacun selon ses demerites, selon qu'il a desservi, pourquoy est-ce donc qu'il se rira sur l'affliction des bons? Car nous savons que la iustice et l'equité a deux parties: l'une c'est que les meschans soyent punis: et l'autre que les bons soyent soulagez, qu'ils soyent maintenus en leur droit et integrité. Si donc Dieu punit les meschans, il faut aussi à l'opposite qu'il maintienne les bons, qu'il les ait en sa garde, qu'il ne permette point qu'ils soyent affligez ne tormentez, mais si tost qu'ils crieront à luy ils sentent son secours. Or est-il ainsi que les bons sont affligez (comme nous le voyons) non point pour un iour ni pour deux, mais ils languissent tout le temps de leur vie, il semble que Dieu se venge d'eux, qu'il les vueille mettre en abysme, au lieu de monstrer quelque signe qu'il les veut aider. Concluons donc qu'il ne punit pas tout promptement les meschans, qu'il ne les amene pas là du premier coup pour dire, Un tel a failli, il faut donc qu'il en soit chastié. Car il faudroit que toutes ces deux choses fussent coniointes. Or l'argument dont use ici Iob est bon. Car c'est ce que S. Paul aussi remonstre aux Thessaloniciens en la seconde Epistre, en disant

I (2. Thess. 1, 6), que c'est une chose qui appartient à la iustice de Dieu, de punir ceux qui tormentent les bons, et de donner relasche et repos à ceux qui pour un temps auront esté iniustement opprimez. L'un (di-ie) ne se peut separer d'avec l'autre, c'est assavoir, que si Dieu est iuste, et qu'il le vueille monstrer parfaitement en ce monde, il faut que d'un costé il ait l'oeil sur tous ceux qui faillent, et

IOB CHAP. IX.

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qu'il DO permette point qu'ils puissent eschapper de sa main' mais les face venir à conte: aussi doit-il avoir pitié des bons quand on les moleste, quand on leur fait quelque tort ou violence, et monstrer qu'il les a en sa main. Voila (di-ie) comme ces deux choses doivent estre coniointes: autrement il n'y auroit qu'une partie de iustice en Dieu, elle ne seroit pas entiere. Nous voyons donc que Iob a bonne raison de parler ainsi. Or cependant ce n'est pas à dire qu'il s'esleve contre Dieu malicieusement. Comme desia nous avons declaré, il veut monstrer que la iustice de Dieu n'est pas tousiours apparente, et qu'il ne faut point que nous prenions ceste regle generale, Que Dieu si tost que les hommes ont peché, ait la main levee pour les punir: et aussi à l'opposite qu'il vueille tout du premier coup se monstrer le Sauveur des bons, qu'il les retire de toutes leurs miseres. Il ne faut point que nous en venions là. Et pourquoy? D'autant que Dieu ne veut point que sa iustice nous soit tousiours cognue, mais plustost il nous veut monstrer que ce n'est point à nous d'entrer encore en ses iugemens, qu'il nous faut humilier quand il aura des façons qui seront contraires du tout à nostre fantasie, qu'il ne faut point que nous attentions pour cela de murmurer contre luy: mais que nous adorions ses grands secrets qui surmontent toute nostre capacité, iusques à ce que nous puissions comprendre ce qui nous est caché auiourd'huy.

Voila donc quelle est l'intention de Iob. Il est vray qu'il n'a pas laissé d'avoir une passion excessive qui le tourmentoit. Apprenons donc par cela, qu'il nous faut humilier devant Dieu, cependant qu'il procede envers nous d'une façon sauvage, et en laquelle nous n'appercevions ny equité ny droiture: que toutesfois il nous faut baisser les yeux. Or si nous sommes enclins à murmurer contre Dieu, quand il fait des choses que nous ne comprenons pas en nostre entendement: cela se monstre sur tout quand il nous afflige: lors nous sommes picquez pour nous despiter contre luy: et que veut dire ceci? Et où en suis-ie! Pourquoy est-ce que Dieu n'a pitié de moi? Voila comme les hommes s'effarouchent, quand Dieu les traite autrement qu'ils ne voudroyent: mais si est-ce que Iob a bataillé contre une telle tentation. Notons donc que Iob a cognu, que Dieu estoit iuste et a esté bien persuadé de cela en general: mais quand ce vient à ioindre, et que le mal le presse, alors il est poussé et solicité à se despiter contre Dieu. Au reste il y a cest obiect, que nous avons dit, que ceux qui se veulent consoler en leurs afflictions, il faut qu'ils regardent tousiours à ceste regle que lob prend ici, c'est assavoir, Ie ne suis point persecuté de la main de Dieu pource que ie suis meschant: car Dieu ne

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punit point les hommes selon qu'ils l'ont desservi. Il ne faut pas que nous le vueillions ici renger à nostre façon ordinaire, car il a des iugemens qui nous sont incomprehensibles. Voila donc comme Iob parle et pour confermer son propos, il dit' Nous voyons les bons qui languissent, Dieu ne leur aide point: il souffrira qu'ils soyent là en angoisse un an et deux, tout le temps de leur vie: il ne fait point semblant d'approcher d'eux, ils sont comme povres gens desesperez. Si Dieu delaisse ainsi les bons en leurs necessitez, pourquoy dira-on que le fleau frappe incontinent? c'est à dire que Dieu soit ainsi precipitant à punir les offenses et pechez des hommes? nous voyons tout le contraire. Or de ceci recueillons, qu'il ne faut point que nous pensions estre eschappez de la main de Dieu, quand faisans outrage à nos prochains, nous serons à nostre aise pour un temps: et gardons de nous flatter si Dieu nous supporte: sachons que par ce moyen-la il nous veut attirer à repentance. Abuses-tu de la patience de Dieu? dit S. Paul (Rom. 2, 4) parlant à ceux qui estoyent obstinez en leur malice. Il est vray que Dieu aura pitié de ceux qui se retourneront à luy, et luy demanderont pardon de leurs fautes: mais ce n'est pas a di", que tous ceux qu'il afflige en ce monde il les reiette pourtant. Notons donc que Dieu ne punit pas si tost les hommes quand ils ont failli: mais ce n'est pas à dire, que pour cela ils soyent absous, et qu'ils ne doivent iamais rendre conte. Plustost c'est que Dieu nous baille ici espace de retourner à sa misericorde, et de luy demander qu'il noue reçoive à merci. Pourtant si nous voyons les meschans faire leurs triomphes, et se moquer de Dieu' et n'estre point pressez de sa main, que nous ne soyons point scandalisez en cela, comme si Dieu avoit quitté son office, qu'il ne fust plus iuge du monde: mais attendons iusques b. ce que le temps soit venu. Nostre Seigneur pourra bien differer les corrections qu'il veut faire, et le temps nous semblera long d'autre costé: mais si faut il que nous restraignions nos esprits, que nous les tenions en bride courte, sachans qu'auiourd'huy Dieu ne veut point punir tous les pechez du monde, et il sait pourquoy. Il y a une raison assez bonne, comme desia i'ay dit; car il nous veut tousiours tenir en suspens, à ce que nous l'adorions et invoquions, iusques à tant que toutes choses soyent remises en ordres et en estat. Voila pourquoy il y a beaucoup de meslinges cependant que le monde dure: c'est que Dieu nous veut exercer en foy et en esperance, afin que nous attendions la venue de nostre Seigneur Iesus Christ, quand il viendra restaurer tout à plein et en perfection les choses qui sont auiourd'huy ainsi meslees.

Quand à ce que Iob adiouste que Dieu se rit de la tentation des innocens, il parle selon l'apprehension

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humaine. Car il ne nous faut point imaginer, que Dieu se moque quand les bons sont affligez. Nous savons quel est l'amour qu'il nous porte, il ne peut assez exprimer combien elle est tendre, sinon en disant, que noua luy sommes comme la prunelle de son oeil. Ne pensons point donc que Dieu use de ceste cruauté envers nous de se rire quand nous sommes tormentez: mais si ne pouvons-nous par fois autrement imaginer selon Ia chair: Voire, Seigneur tu cognois la misere où ie suis, ie t'invoque, ie souspire à toy, ie sens combien ie suis fragile: et cependant tu me laisses là, ie n'apperçoy point que tu me vueilles assister en façon que ce soit. Nous concluons voyans telles choses, que Dieu ne fait que se rire au ciel: mais il faut que par foy nous cognoissions que Dieu dissimulant ainsi ne laisse pas d'avoir pitié de nous. Il est vray qu'il ne le monstre pas si tost: mais qu'il nous suffise que nous estant Pere, il nous aime autant que, nous pouvons souhaitter. Car si les peres charnels, comme Iesus Christ nous le monstre, qui sont malins de nature, aiment leurs enfans, que sera-ce de Dieu, qui est la fontaine de toute bonté? Ne pensons point donc que Dieu se rie de nous: mais plustost contemplons qu'en dissimulant il nous veut seulement exercer, et au reste qu'il ne laisse pas de veiller sur nous, pour nous secourir d'une façon que nous ne cognoissons point. Voila quant à ceste sentence.

Or Iob adiouste: Que la terre est livree en la main du meschant, et que les yeux des iuges sont couverts, c'est à dire, que ceux qui doivent mettre remede aux troubles, aux scandales, et dissolutions, qui se commettent, sont coulpables de tout. Sinon (dit-il) où est-ce, et qui est-ce? Iob en somme monstre ici que durant ceste vie presente les choses seront tellement meslees qu'on n'y cognoistra ny blanc ny noir, comme on dit. La terre donc sera livree en la main des meschans, c'est à dire, on verra que les meschans auront ici la vogue' que ceux qui seront les plus desbordez auront toutes choses à souhait, gens dissolus, bateurs matins, gens pleins de desloyauté: qu'il n'y aura ne foy De droiture, ny humanité en eux. Quand donc nous voyons que Dieu lasche ainsi la bride aux meschans, que dira-on? Il y a un seul remede: c'est assavoir, que ceux qui manient le baston de iustice, repriment ceux qui tormentent ainsi les bons. Or au contraire, on voit qu'ils sont tellement adonnez à eux mesmes, qu'ils laissent couler tout. Que peut-on dire, sinon que les magistrats qui doivent rendre le droit à un chacun, souffrent que les meschans facent du pis qu'ils peuvent? On n'a nul soulagement d'eux, et quand on attendra qu'ils facent leur office c'est tout un, ils sont des idoles: qui est cause dé tout cela? A qui est-ce (dit Iob) qu'on s'en peut

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prendre, sinon à Dieu? Car Dieu ne gouverne-il point la terre? ne faut-il point donc que tous les meschans en soyent exterminez? Ou bien s'il leur favorise, et qu'il leur mette la bride sur le col, à ce qu'ils tormentent et molestent les bons: et cependant qu'il ne les empesche point: ne faut-il pas dire que c'est Dieu qui fait tout cela? Au contraire n'est-il pas dit, que l'office de Dieu est de regir par son sainct Esprit ceux qui cheminent en crainte, et en modestie? Apres, il monstre qu'il a establi la police du monde et que les iuges ne peuvent avoir ny prudence ny discretion, sinon qu'ils la tienent de luy. Puis qu'ainsi est donc, que Dieu laisse ainsi les magistrats aveugles, qu'ils sont des idoles, qu'ils sont si lasches qu'il n'y a ny vigueur ne vertu en eux pour maintenir le bien, ne pour chastier le mal: on ne s'en pourra prendre qu'à Dieu, ainsi qu'il est dit ici par Iob. Il est vray que ceste sentence se pourroit exposer autrement: mais il ne nous faut point ici arrester aux expositions diverses, il nous faut regarder seulement au sens naturel. Or voila en somme ce que Iob a voulu dire. De ce verset nous avons à recueillir une bonne doctrine: c'est qu'en premier lieu quand nous voyons les choses ainsi estre troublees, que les meschans triomphent, qu'ils sont en delices, qu'ils occupent force biens, que personne ne leur contredit, qu'ils font leurs excez et violences, sans que nul s'y oppose: nous cognoissions que cela n'est point nouveau, pour n'estre point par trop estonnez d'une telle tentation. Car il est bon, voire necessaire que nous soyons armez contre une telle phantasie. Nous voyons que nostre esprit nous pousse à cela que si les choses ne vienent à nostre phantasie, ii nous semble que tout se tourne par fortune, et que Dieu ne regarde plus en ce monde, ou bien que Dieu ne face point son office, ou qu'il soit comme endormi, ou qu'il ne luy chaille ne de bien ne de mal. Voila donc ce que nous imaginons, si ce n'est que nous soyons retenus, comme l'Escriture nous monstre, qu'il ne faut point que nous trouvions trop estrange, si la terre est ainsi livree en la main des meschans. Et pourquoy ? Car nos pechez meritent bien que les meschans ayent la vogue sur nous. Si nous obeissions à Dieu comme il appartient, il est certain que les choses seroyent ici reglees en une façon telle que nous aurions à nous contenter: mais puis que nous sommes rebelles à nostre Dieu, que nous faisons des chevaux eschappez c'est bien raison aussi qu'il donne une licence desbordee aux meschans, à ce que nous soyons chastiez par leurs mains. Et pourquoy ? Car nostre ingratitude est bien digne que Dieu desploye ses verges, et qu'il nous les face sentir en toute rigueur Quand donc cela nous est cognu, ne trouvons point estrange de voir les choses ainsi confuses ici bas,

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tellement que nous puissions dire, que la terre est livree en la main des meschans: et au reste que nous gemissions quand cela advient, pource que Dieu nous advertit de nos pechez. Et mesmes nous avons bien occasion do gemir, voyans qu'il faut que les meschans, les contempteurs de Dieu non seulement soyent pollutions sur la terre, mais qu'ils y-ayent la vogue. Dieu a creé les hommes à son image, il leur a mis toutes choses en main, a ce qu'ils fussent ici comme ses lieutenans: or voila les meschants, ceux qui ne demandent qu'à despiter Dieu et aneantir sa maiesté et sa gloire, ceux-la tiennent la place de ses enfans, qu'il a constituez ici pour estre comme son heritage. Quand nous voyons que tout est ainsi renversé, ne devons nous point gemir? et cela no nous doit-il point inciter à prier Dieu, qu'il luy plaise do remettre toutes choses en leur estat?

Au reste quand il est dit, Que c'est Dieu qui ferme les yeux des Iuges: notons que c'est d'autant que ceux qui ont le maniement de iustice, ne peuvent pas avoir esprit d'eux-mesmes, sinon entant qu'il leur est donné d'enhaut. Car un homme ne sera point suffisant pour se gouverner: comment donc gouvernera-il tout un peuple? Et puis c'est une chose trop excellente que d'exercer l'office de Dieu en cc monde: il faut donc bien que Dieu besongne en ceux lesquels il a constitué en estat et dignité. Or quant à ceux qui sont la, ils doivent estre tant plus soigneux à invoquer Dieu qu'il luy plaise de les conduire, et de leur assister. Car si un homme pense estre assez habile, quand il sera au siege de iustice, et qu'il se confiera on sa prudence et en sa vertu, Dieu se moquera de luy, et Ie rendra du tout stupide. Il faut donc que ceux que Dieu choisit, s'humilient tant plus, ne presumans rien de ce qui est en eux: mais qu'ils demandent l'esprit de prudence, l'esprit de force, l'esprit d'équité, que Dieu leur donne la vertu de se pouvoir fidelement acquiter de Leur office. Voila comme les magistrats en toute solicitude et crainte se doivent recommander à Dieu. Et de nostre part nous tous qui sommes sous eux, devons aussi faire le semblable. Car s'il n'y a point iustice entre nous, voila une malediction de Dieu, il faut que la terre soit pollue, iusques à tant que Dieu desploye sa vengeance dernière dessus: et il faudra que nous souffrions cependant, et que nous voyons les bons souffrir et qu'ils ne soyent point maintenus comme il appartient. Voyans donc que c'est pour le salut de tout un peuple, que Dieu donne son Esprit aux princes et aux magistrats et à toutes gens de iustice, nous avons à l'invoquer, afin qu'il ne permette point qu'ils soyent comme des aveugles' ne discernans rien, qu'ils soyent stupides comme s'ils ne voyoyent goutte aux malefices oui se commettent.

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Or tout ainsi que nous avons à requerir la grace et bonté de nostre Dieu, qu'il luy plaise de donner son Esprit aux magistrats: nous le devons aussi prier qu'il nous donne telle force et vertu, que nous ne perdions point courage, si nous voyons (comme on le voit par trop) les choses aller mal, voire de mal en pis: que les magistrats au lieu de s'advancer quand ils voyent la necessité, et d'estre là pour maintenir le droit, sachans que c'est Dieu qui les a constituez, ils supportent le mal et le favorisent. Sachons que c'est Dieu qui les a délaissez, et que par ce moyen il nous monstre qu'il est eslongné de nous, d'autant que nous ne sommes pas dignes qu'il preside au milieu de nous, comme il a promis de faire à tous ceux qui se rengeront à luy.

Voila donc les fruicts de nostre desobeyssance et de tous nos pechez, c'est quand Dieu souffrira que toute police soit pervertie au milieu de nous afin que tout y soit confus, comme aussi nous en sommes bien dignes. Et ainsi quand nous verrons de tels troubles et confusions entre nous, sachons que c'est Dieu qui nous punit, quand il oste ainsi tout sens et entendement aux iuges, que c'est d'autant qu'il les a frappez d'un esprit d'eslourdissement, comme il en est parlé en l'Escriture (Isa. 19, 14). Hais si ne faut-il point pour cela que nous murmurions contre Dieu, sachans qu'il ne fait rien sans cause, encores que nous ne le puissions point appercevoir. Et c'est ce que dit Iob: Sinon, où est-ce ? et qui est-ce ? C'est pour monstrer, que nous aurons beau cercher apres toutes les raisons, pourquoy il y a tant de mal en ce monde: il faut tousiours venir à Dieu. Or nous ne dirons point que Dieu soit autheur de mal, entant que le mal cet à condamner. Car quand l'Escriture dit que Dieu fait le bien et le mal, elle entend que toutes choses procedent de luy, ou prosperité ou affliction comme aussi la vie et la mort, comme la clarté et les tenebres, ainsi qu'il en est parlé au Prophete Isaie (45, 7): tellement que tout ce que le diable fait, ainsi que nous avons dit, ou que les meschans attentent, il faut que nous le prenions comme de la main de Dieu. Car s'il ne leur laschoit la bride, ils ne pourroyent rien attenter: et quoy qu'ils machinent, ils n'en pourroyent iamais venir à bout. Ainsi donc on aura beau se tourmenter, quand on voudra cercher les moyens inferieurs en delaissant Dieu. Car il faut que Dieu gouverne, et que tout soit renversé, sinon qu'il ait tout empire souverain par dessus toutes creatures: et combien que les hommes ne demandent sinon à luy estre rebelles, si est-ce qu'il se sert d'eux en despit de leurs dents. C'est ce que Iob a voulu exprimer en disant, sinon, où est-ce? ou qui est-ce? . Quand il y aura des maux,

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qu'on cerche par tout, pour dire: Qui a fait ceci? Il est vray quo quand il adviendra du mal, nous saurons bien faire DOS discours, et cercher quelque origine ici bas: si nous sommes en pays là OU un roy ou un prince domine, on dira, Voila un prince qui pille son peuple et le mange: et cependant il ne tient conte d'administrer iustice: il a des officiers semblables à luy, qui ne demandent que d'en attraper: tout est perverti et confus: on voit qu'il ne reste sinon que le peuple soit du tout ruiné, et cependant à qui s'en prend-on ? Quelles complaintes orra-on là dessus? ou ne regarde point quo les hommes sont du-tout pervers et malins, qui ont provoque l'ire de Dieu à l'encontre d'eux, gens adonnez à tout mal, contempteurs de Dieu, dissolus en tout et par tout qu'il semble qu'ils vueillent allumer le feu de l'ire de Dieu pour consumer tout. On peut bien donc amener la malice des gouverneurs quand un peuple endure ainsi: mais si faut-il venir plus haut. Car ne pensons point que Dieu dorme au ciel, et qu'il ait mis le monde en oubly: sachons plustost qu'il besongne de sa main, et que cela se fait pour les pechez du peuple, quand les officiers et gens de iustice sont meschans, et qu'il faut aussi que Dieu les ait reiettez, et qu'ils soyent comme miroirs de son ire et de sa vengeance. Ainsi donc considerons tellement les causes et les moyens inferieurs, que nous pourrons appercevoir en nos sens et en nos esprits, que cependant Dieu demeure tousiours en son empire souverain: et que nous cognoissions que toutes choses procedent de luy. Or toutesfois nous ne savons point tousiours la cause pourquoy Dieu besongne ainsi: nous aurons beau à enquerir, et faire de grands circuits et discours, en la fin nous demourerons esblouys, et ne verrons nulle raison pourquoy Dieu fait ceci ou cela. Que faut-il donc? Que nous adorions ceste iustice qui nous est incognue. Vray est, que quelquefois Dieu besongnera en sorte que sa iustice sera toute patente, qu'on l'appercevra à l'oeil: mais quelquefois aussi elle sera cachee. Et en cest endroit nous n'avons sinon à l'adorer, pour dire, Helas! Seigneur, tes iugements sont un abysme or nous ne pourrons point parvenir: mais si est-ce que nous ne laisserons pas de confesser que tu es iuste, encores que nous n'appercevions la raison pourquoy. Tant y a qu'il ne nous faut point imaginer comme font beaucoup de gens mal exercez en l'Escriture saincte, qu'il se face icy bas des choses que Dieu permette, ne s'en souciant point, et ne s'en meslant point. Car c'est luy retrancher sa puissance, c'est comme s'il dormoit au ciel, et qu'il laissast gouverner ce monde ici on par Satan, ou par les hommes. C'est (di-ie) aneantir la maiesté de Dieu. Car il faut qu'il ordonne tout ce qui se fait, et que cela procede de sa volonté et bonne

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disposition. Vray est que nous ne verrons point tousiours, ainsi qu'il a esté dit, comment Dieu est iuste: mais si faut-il que nous le cognoissions tel et que nous cheminions en toute sobrieté et modestie, et à la fin Dieu nous fera cognoistre ce qui nous est maintenant caché.

Venons à ce que Iob adiouste. 11 dit, Que ses iours s'en sont allez plus viste que ne fait point un courrier, ou une barque à poste. Il y a Volante: mais ce mot est mis pour mieux exprimer que Iob ne parle point de quelque grosse navire qui seroit chargee: mais c'est comme un petit batteau qui sera pour s'esgayer et se pourmener sur l'eau, qu'on fera tourner çà et là, et qui va viste. Il accompare donc sa vie à un petit batteau lequel est leger, et qui courra viste sur l'eau: et puis il l'accompare à un courrier: et finalement à une aigle qui vole eu l'air pour trouver viande ou sa proye. Ici Iob monstre combien il a esté transporte en toutes ses passions: et le S. Esprit a voulu que ce tesmoignage nous fust rendu, afin qu'un chacun de nous contemple en la personne de Iob ce qui luy peut advenir. Quand donc Dieu nous afflige, comment en sommes nous? Voila l'une des tentations qui est pour nous mettre en desespoir: c'est quand nous oublions toutes les graces que Dieu nous a faites: Si nous pouvions reduire en memoire les biens que nous avons receus de la main de Dieu, comme nous avons veu que Iob en parloit cy dessus, il est certain que cela seroit-pour nous faire oublier toutes nos douleurs. Et bien, maintenant Dieu m'afflige: mais quoy? I'ay receu tant de biens de sa main, et il s'est monstré si liberal envers moy. N'a-ce pas esté afin que ie gouste tousiours la misericorde, que ie m'y confie, et que i'aye là mon refuge" Nous ne pouvons manger un morceau de pain, que ce ne soit autant de tesmoignage que Dieu nous donne de sa bonté, et qu'il nous veut estre tousiours Pere et Sauveur. Voila donc un remede inestimable pour nous faire adoucir toutes DOS douleurs, quand nous serons affligez, c'est s'il nous peut souvenir des biens et des graces que nous avons receuës de la main de Dieu. Or Satan qui voit bien cela, use d'une ruse tout au contraire: c'est qu'il nous fait oublier les biens que Dieu nous a faits et eslargis, afin que nous n'ayons en nous que torment pour nous faire despiter, qu'il n'y ait qu'amertume, et qu'il n'y ait rien qui nous puisse resiouyr ne consoler en nos afflictions.

C'est ce que maintenant nous monstre Iob. Mes iours (dit-il) se sont escoulez, comme un petit batteau qui s'en ira aval l'eau, OU bien comme une aigle volante en l'air, ou comme un courrier qui va la poste. Par cela il signifie qu'il ne luy souvient plus que Dieu l'ait fait naistre en ce monde, et qu'il luy ait donne tant de signes de son amour

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paternelle, qu'il avoit bien dequoy se consoler: voire, s'il eust eu ce regard et ceste consideration qui estoit requise. Il est vray que Iob a tousiours retenu quelque goust de la bonté de Dieu, que iamais il n'a esté desesperé: et mesmes il a tousiours eu ce sentiment, combien qu'il fust tourmenté et agité çà et là: et s'est tenu en ceste bride de cognoistre que Dieu estoit iuste, et s'est aussi attendu qu'il seroit delivre de ses miseres. Mais si est-ce que quand nous voyons de telles tentations en luy, il faut qu'un chacun de nous se regarde, et qu'il se mire ici. Et de fait combien que Dieu nous face la grace de gouster tousiours su bonté: toutesfois ai est-ce que noua ne cognoissons point bien vivement combien il nous aime: mais plustost quand il nous afflige, nous mettons en oubly le bien qu'il nous a fait, et nous semble que iamais nous n'ayons receu nul bien de sa main. Quand donc nous voyons qu'une telle tentation est advenue à Iob, d'autant plus nous faut-il estre munis devant le coup: que nous soyons advertis (di-ie) toutes fois et quantes que Dieu nous envoyera quelque affliction, que nous pensions, Voire, mais Dieu ne m'a-il iamais fait de bien? Le bien qu'il m'a fait est-il perdu', Et si ie n'en ay memoire, dequoy tout cela me peut-il servir, sinon qu'il faudra que mon ingratitude soit punie au double? Voila ce que nous avons à noter. Et au reste d'autant que nostre vie est tant et plus fragile, qu'un chacun s'efforce tant plus de penser aux graces et aux benefices de Dieu. Si nous endurons quelque mal, il faut incontinent recourir au remede, qui est de prier Dieu qu'il nous fortifie, et qu'il ne permette point que nous murmurions contre luy: voire, quelques afflictions qu'il nous faille endurer, sachans bien que si nous sommes de son Eglise, et du corps de nostre Seigneur Iesus Christ, il nous faut estre configurez à son image: et que la gloire qui nous est apprestee là haut au ciel' est bien suffisante pour recompenser toutes les afflictions que nous pourrions endurer en ce monde: et ceste consideration sera bien pour adoucir toutes nos tristesses.

Finalement Iob conclud: Que s'il dit qu'il oubliera ses complaintes, et qu'il se desportera d'estre fasché ainsi et tourmenté il ne peut. Pourquoy? dit-il I'ay horreur, sachant bien que tu ne me delaisseras point impuni, ou que tu ne me tiendras point pour innocent Iob en somme signifie en ce passage, que puis qu'il a affaire à Dieu, il ne peut point trouver de relasche à son mal et à sa tristesse

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qu'encores qu'il le propose, et combien qu'il s'y efforce: neantmoins Dieu le tient là enserré qu'il ne peut avoir nul repos en soy. C'est une sentence bien notable: car comme nous avons desia veu par ci devant, si nous avons affaire aux hommes, encores pouvons-nous avoir quelques subterfuges, nous pouvons nous retirer en cachette pour dire, Ie me trouveray quelque moyen pour sortir des mains d'un tel: combien qu'il soit comme' un lion, qu'il ait la gueule ouverte pour m'engloutir, ai est-ce qu'encores ie pourray eschapper. Si donc nous avons ainsi affaire aux hommes, encores pourrons-nous trouver quelque eschappatoire: mais si Dieu nous monstre qu'il est nostre partie adverse, et que nous soyons là tenus enserrez pour dire, Non, voici Dieu qui me punit' voici Dieu qui m'afflige: alors nous aurons beau tourner çà et là, et faire tous les circuits du monde: quand nous saurions voler iusqu'aux nues, si est-ce qu'il est encores plus haut: Si nous descendons iusques aux abysmes, sa main pourra bien parvenir iusques là. Si nous allons outre mer, sa main a encores une plus grande estendue. Cognoissons donc qu'il ne nous faut point user de subterfuges quand nous aurons affaire à Dieu: mais qu'il faut comparoistre devant luy quand il nous adiourne, que nous ne gaignerons rien de dilayer. Ainsi apprenons de ne nous point flatter, comme nous avons accoustumé de faire. Car voila à quel usage nous doit servir ceste doctrine: c'est que voyans l'hypocrisie qui est aux hommes, noua venions droit devant Dieu sans feintise, pour desployer là DOS coeurs. Car aussi bien faut-il qu'il nous sonde iusques au vif, et nous ne luy pouvons rien cacher, quoy que nous sachions faire. Si donc nous voulons noua tenir en paix avec nostre Dieu, advisons de ne point user de ces vaines phantasies desquelles nous avons accoustumé de nous tromper: mais que noua cheminions en crainte et en solicitude devant luy, et le prions quo s'il luy plaist de noua affliger, ce soit en telle mesure, que nous faisant sentir son ire, nous ne laissions pas pourtant de gouster sa bonté, afin que cela nous serve pour nous faire adoucir nos douleurs, et que nous ne doutions point qu'il ne nous soit prochain pour nous en delivrer, quand il cognoistra qu'il sera bon et utile pour nous: voire d'autant que nous l'avons invoqué. Voila comme non avons à prattiquer ceste doctrine. Le reste se deduira demain au plaisir de Dieu.

Or nous nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu, etc.

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LE TRENTESEPTIEME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE IX. CHAPITRE.

Ce sermon est encores sur les versets 27, 28 et ceux qui sont ici adioustez.

29. Si ie suis meschant, pourquoy travailleray-ie en vain? 30. Si ie me lave d'eaux pures, et que ie nettoye mes mains en pureté, 31. Tu me plongeras en la fange, et mes accoustremens me souilleront. 32. Car ce n'est point un homme comme moy, auquel i'ose respondre, et que nous allions ensemble en iustice. 33. Qui est l'arbitre qui mettra la main entre nous? 34. Qu'il oste sa verge arriere de moy, qu'il ne m'effraye plus. 35. Et alors ie parleray, et ne craindray point: or ie me tien ferme, pource qu'il n'est pas ainsi.

Nous avons ia commencé à exposer ceste sentence où Iob dit, qu'il n'a nul repos d'autant que c'est Dieu qui le persecute, et pourtant qu'il est confus en ses maux. Car si nous endurons quelque affliction du costé des hommes, encores pouvons nous avoir moyen de resister: mais si nous savons que Dieu nous est contraire, nous voila en tels troubles, que nous avons beau cercher çà et là remede: nous n'en trouvons point iusques à cc que Dieu se soit appaisé avec nous. Or d'autant que lob avoit esté accusé de se vouloir iustifier contre Dieu, et qu'on luy remonstroit qu'il ne gaigneroit rien: il adiouste, Et bien, ie suis meschant, qu'est-ce donc que ie me travaille en vain? Iob passe ici condamnation: mais non pas telle comme l'avoyent entendu ses amis, qui lors parloyent en effect comme ennemis. Pourquoy? Ils le vouloyent tenir comme meschant condamné, comme un contempteur de Dieu, un homme reprouvé. Or luy ne confesse point cela: mais il dit, qu'il est meschant, si on veut entrer en la iustice secrette de Dieu: comme s'il disoit, I'ay beau plaider ma cause, car quand i'auray approuve ma vie devant les hommes, si est-ce que tousiours ie seray condamné devant Dieu s'il veut entrer en rigueur contre moy. Car il nous faut tousiours retourner à ce propos que nous avons declaré par ci devant: c'est assavoir, que Dieu nous pourra bien approuver comme ceux qui l'auront servi et honoré, et cependant toutesfois quand il nous amenera à sa iustice secrette, à ceste iustice qu'il advouë, et qu'il approuve, nous ne serons rien, il faudra que tout ce qui est en nous soit anéanti. Ceci merite plus ample déduction: car autrement il De seroit pas entendu. Il est vray que selon la regle que Dieu nous a donnee en sa Loy, il n'y a creature mortelle qui se trouve iuste: car où cet

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l'amour parfaire qui cet là requise? Ie di, que nous aimions Dieu de tout nostre coeur, et nos prochains comme nous-mesmes? D'autant donc que nous defaillons et en l'amour de Dieu, et en charité envers Dos prochains, nous sommes condamnez par la Loy de Dieu. Et voila pourquoy sainct Paul (Galat. 3, 10) alleguant le passage, Maudit celuy qui n'accomplira point toutes les choses qui sont contenues en la Loy, conclud de là qu'il n'y a plus d'esperance de salut si on s'arreste aux oeuvres. Pourquoy? S'ensuit-il si les transgresseurs de la Loy sont maudits que pourtant tous hommes le soyent? Ouy bien, car trouvera-on qui ayent cheminé selon la Loy de Dieu? Nenni: i'enten en perfection. Car si nous avons defailli en un point, nous sommes coulpables de tout: pource que comme dit S. Iaques 2, 10. 11), Celuy qui a defendu de meurtrir, il a aussi bien defendu de desrober: quand nous aurons violé la maiesté de Dieu, que nous serons contrevenus à sa iustice, ne faut-il point que nous demourions courts? Voila donc un Item, c'est assavoir, que si Dieu entre en compte avec nous selon la regle qui est contenue en sa Loy, il ne se trouvera point un seul homme au monde qui soit iuste

Or cependant il y en a toutesfois qui cheminent en la crainte de Dieu, non pas de nature: car quelle belle apparence que nous ayons, iusques à tant que Dieu nous gouverne par son sainct Esprit, il est certain que toute ceste saincteté que les hommes apperçoivent n'est qu'hypocrisie et mensonge Mais si Dieu nous touche au coeur, et qu'il escrive là dedans sa Loi, alors nous lui obeissons: non pas du tout, ni en telle integrité que nous puissions venir la teste levee devant lui pour estre absous. Mais tant y a qu'il y a grande diversité entre les contempteurs de Dieu, et les fideles: car un homme fidele combien qu'il ait beaucoup d'infirmitez en soi, combien qu'il ne puisse pas cheminer si droit comme il souhaitte: neantmoins il a ce desir de servir à Dieu, il y aspire, il s'y efforce: un incredule se moque de tout bien, il reiette Dieu, et n'en tient conte, il a ses appetis. Ainsi donc nous voyons qu'on en peut appeller aucuns iustes, lesquels ne meritent pas d'estre reputez pour tels devant Dieu. Il n'est pas question de trouver ici une dignité parfaite aux hommes' ne de dire que Dieu leur soit redevable, et qu'ils

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puissent contester avec lui, qu'ils ont bien merité qu'il ne trouve que redire en eux et en leur vie. Nenni: mais nous parlons d'une iustice que Dieu accepte par sa bonté gratuite: nous parlons aussi d'une iustice qui n'est qu'à demi, laquelle pourroit estre condamnee à bon droit: mais elle ne l'est pas, pource que Dieu n'impute point les vices et imperfections qui sont en ses fideles. Or maintenant Iob n'entend pas d'estre meschant comme un homme dissolu sera. On verra un paillard qui sera adonné à toute vilenie, et qui se moquera pleinement de Dieu: on verra un homme cruel, adonné à rapines, on verra un blasphemateur: ceux - la seront meschans en leur vie. Car leur impieté est si enorme, qu'à bon droit nous les devons tenir comme detestables. Iob ne confesse pas qu'il soit tel: car il eust menti, comme noue verrons ci apres, qu'il proteste d'avoir esté comme tuteur aux orphelins, d'avoir esté le secours des vefves. d'avoir esté l'oeil des aveugles, d'avoir supporté les foibles et debiles. Bref il y avoit en luy une integrité angelique, si on l'eust accomparé avec les hommes. Comment donc, et en quel sens se condamne - il en ce passage d'estre meschant? car ce n'est point par feintise. Mais (comme desia nous avons dit) c'est pource que s'il entre en ceste iustice cachee de Dieu, là il faudra qu'il soit abbatu il aura beau alleguer, Seigneur, i'ay receu ce bien de ta grace, que ie me suis adonné à ton service, et si ie n'y ay point cheminé si parfaitement comme ie devoye, tant y a que ç'a esté mon but, et i'y ay appliqué mon estude, tellement que mon affection n'a esté sinon de m'adonner là du tout. Il est vrai que ie suis coulpable en beaucoup de choses: mais si est-ce que iamais ie ne me suis eslongné de toi. Iob pouvoit bien protester tout cela. Mais quoi? En ceste iustice de rigueur il faut qu'il ait la bouche alose: car combien que les hommes pourront bien remonstrer qu'ils ont eu quelque desir de bien faire, tout cela est reputé pour neant. Voila ce que Iob a entendu en ce passage. Or donc notons bien que quand nous aurons quelque belle monstre (ie ne di point devant les hommes, mais devant les Anges de paradis) et encores que nous ayons mis peine de servir à Dieu sans feintise, toutesfois cela n'est pas suffisant pour nous iustifier. Pourquoi? Car si nous entrons en conte avec Dieu, il faut que tout ce que nous pourrons avoir de iustice s'escoule. et soit aneanti. S. Paul parlant seulement de son office, et non pas de toute sa vie dit (t. Cor. 4, 4), qu'il n'a point de remors en soy et qu'il ne sera point tenu pour coulpable: neantmoins qu'il ne se veut pas iustifier. Il ne parle là que d'une chose, assavoir de ce qu'il a presché l'Evangile d'un bon zele. Or tant y a qu'il confesse qu'il ne sera point iustifié. Et pourquoi?

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Car Dieu trouvera bien des fautes en lui, lesquelles il n'avoit point cognues. Si S. Paul, parlant de l'office d'Apostre, demeure là, pource qu'il sait bien que Dieu le pouvoit condamner en beaucoup de choses, lesquelles luy estoyent incognues: que sera-ce si nous venons en examen de toute nostre vie? Quand Dieu nous voudra faire nostre procez non point d'une partie, mais du tout, voire de nos paroles, de nos pensées et non seulement des oeuvres: comment en serons-nous? Mais tousiours il nous faut revenir là, que Iob ne parle pas seulement de ceste rigueur de la Loy, qui est in. supportable, et qui est pour nous abysmer tous tant que nous sommes: mais il va encores par dessus, à ceste iustice qui nous est incognue. Toutesfois quand il adiouste, Pourquoy est-ce que ie travaille en vain? Ici il monstre qu'il avoit une passion excessive, non pas qu'il s'y accordast du tout: car il est certain qu'il y a resisté: mais si est-ce qu'il parle de l'affection qui estoit en luy selon la chair. II dit donc, Et bien ie passe condamnation, ie confesse que ie suis pecheur, ie confesse que ie suis meschant: mais pourquoy est-ce que ie travaille en vain? Car Dieu me persecute ici: et si ie suis condamné il n'y a plus de remede: faudroit-il pas que Dieu du premier coup m'abysmast? Pourquoy est-ce que ie ne suis raclé de ce monde? Pourquoy est-ce que Dieu prend plaisir à m'entretenir ici en langueur? Quand ie confesse que ie suis condamnable, que veut-il plus? Voila comme Iob parle ici en homme desbordé: mais (comme nous avons declaré par ci devant) les fideles, combien qu'ils bataillent contre leurs tentations, ne laissent pas d'estre esbranlez, et de sentir de tels assauts qu'ils ne savent où ils en sont.

Voila donc ce que Iob confesse: et mesmes il estoit plus incité à cela, par les tentations de ceux qui le picquoyent, comme s'il se fust voulu iustifier à l'encontre de Dieu. Et ce qu'il adiouste puis apres contient une declaration plus certaine. Car il dit, Si ie me lave d'eaux, que ie me nettoye bien, Dieu me iettera au bourbier: ie seray plongé en l'ordure, en sorte que mes habillemens me souilleront. C'est à dire, quand ie me serai bien nettoyé, ceste pureté-la qui a auiourd'huy belle monstre, ne sera qu'ordure et infection devant Dieu. Ici Iob continue son propos, pour monstrer que quand nous aurons bien examiné nostre vie, que nous aurons trouvé que Dieu nous a fait ceste grace de cheminer en sa crainte, et de luy obeyr: toutesfois ce n'est rien. Car nous avons tousiours a retenir, que Dieu a sa maiesté cachee, et qu'en ceste maiesté-la, il y a une iustice que nous ne comprenons point. Il est vray que Dieu nous a bien baillé en sa Loy un patron et une image de sa iustice, mais c'a este selon nostre capacité. Or

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savons-nous que nostre entendement est si rude, qu'il ne peut monter si haut, que de concevoir ce gui est en Dieu en perfection. Ainsi donc la iustice mesme qui est contenue en la Loy de Dieu, est une iustice qui est compassee à la mesure des hommes. Nous l'appellerons bien iustice parfaite, et la pourrons nommer ainsi: et l'Escriture la nomme iustice parfaite: voire au regard de nous, c'est à dire, au regard des creatures. Ie ne di pas au regard de nous, selon que nous sommes pecheurs, et que nous sommes tous maudits en Adam: mais selon que nous sommes creatures de Dieu: ou bien au regard des Anges, afin d'oster toute difficulté. Ceste iustice-la donc est une iustice que les Anges et les hommes doivent rendre à Dieu, pour luy obeir et complaire, voire entant qu'ils sont ses creatures. Mais tant y a qu'il y a encores une iustice plus haute en Dieu, c'est à dire une perfection, à laquelle nous ne pouvons pas attaindre, et de laquelle nous ne pouvons pas approcher, iusques à ce que nous soyons faits semblables à luy, et que nous ayons contemple ceste gloire, qui maintenant nous est cachee, et que nous ne voyons sinon comme en un miroir, et par obscurité: alors nous serons bien autre chose que nous ne sommes maintenant. Voila pourquoy Iob parle ici en telle sorte, que s'il se lave il sera trouvé pollu neantmoins. Or combien qu'il parle ici d'eau, et de neige, il signifie toutesfois par similitude toute la pureté qui est aux hommes, comme il est dit (Ps. 26, 6), Ie laveray mes mains en toute pureté David parlant ainsi, regarde à la ceremonie de la Loy, que Dieu vouloit que les hommes se nettoyassent venans au temple pour adorer: et la raison? Pource que nous sommes tons souillez, nous sommes pleins d'ordures: il nous faut donc purifier quand nous voulons nous presenter à Dieu. Et comment cela se fera-il ? L'eau pourra elle estre un lavement spirituel de nos ames? Nenni. Il faut donc que nous prenions la ceremonie de la Loy, comme une figure do ce gui doit estre en nous: c'est assavoir, qu'en renonçant à toutes meschantes affections, nous ayons un coeur pur: qu'en renonçant à toutes meschantes oeuvres, nous dedions tous nos membres à servir Dieu en integrité: et c'est ce lavement duquel parle ici Iob.

En somme il dit, que s'il s'efforce de servir à Dieu, voire tellement qu'il soit blanc comme neige: encores Dieu trouvera-il à redire en luy. Et pourquoy? Il me plongera (dit-il) voici une façon de parler estrange, Que Dieu le plongera au bourbier. Et comment cela? Car ce n'est point l'office de Dieu, de mettre en nous quelque souillure: nous savons qu'il est la fontaine de toute saincteté: et mesmes quand nous sommes pleins d'infection nous recourons à luy, afin qu'il nous purge et nettoye.

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Pourquoy donc est ce que Iob dit, Que Dieu le plongera au bourbier ? Il signifie que Dieu descouvrira en luy une pollution, qui n'estoit point apperceuë auparavant. Et comment la descouvrira-il ? Non point seulement selon la Loy. Il est vray que la seule Loy de Dieu suffit bien pour condamner les hommes, comme desia nous avons dit. Et voila pourquoy elle est appellee le message de mort: pource quo si nous n'avons quo la doctrine qui est contenue on la Loy, nous serons tous abysmez devant Dieu, nous serons perdus sans aucun remede. Si donc Dieu nous intente procez à la forme de la Loy, il descouvrira bien assez do pollution en nous: mais Iob passe encores plus outre: c'est assavoir, quo si nous avons ceste pureté-la devant Dieu selon la Loy, c'est à dire, que nous eussions accompli ce que Dieu commande là (ce qui est impossible aux hommes) nous ne pourrions pas encores subsister devant luy. Mais prenons le cas, quo lob fust comme un Ange, qu'il peust suffire envers Dieu selon la iustice de la Loy: si est-ce que selon ceste iustice secrette qui est en Dieu, il se trouveroit tousiours redevable. Car il est dit que les Anges mesmes ne pourront pas subsister devant luy, s'il veut entrer en conte avec eux. Iob donc entend en ce passage , que quand il n'y auroit que toute pureté en luy: ie di mesmes selon la iustice de la Loy: il n'y auroit qu'ordure et infection quand il se viendroit presenter devant Dieu. Or voici une doctrine qui doit bien humilier toute chair, quand nous aurons bien poisé les choses qui sont ici contenues. Il est vray que la doctrine ordinaire do l'Escriture saincte est, quo quand les hommes regarderont à eux pour voir s'ils ont accompli la Loi de Dieu ou non, là ils se trouveront tous condamnez: voila (di-ie) où l`Escriture saincte nous rameine - Et pourquoy ? Car nous savons l'orgueil qui est on nous, nous savons aussi l'hypocrisie: nous avons un tel orgueil, quo iamais nous ne baissons la teste devant Dieu, sinon par contrainte. Si donc nostre Seigneur nous pressoit de sa iustice secrette, dont il est ici fait mention, quo seroit-ce? Or nous viendrions faire des chevaux eschappez, nous dresserions les cornes pour heurter contre Dieu, ainsi que nous voyons les incredules qui blasphement à pleine bouche, encores qu'ils soyent convaincus, que leur conscience propre les redargue, et qu'ils ne sachent que repliquer: ils ne laissent point toutesfois d'avoir la bouche ouverte pour mesdire de Dieu, pour murmurer contre luy, et le despiter à pur et à plein. Et pourtant il faut que Dieu ait une façon de nous condamner, laquelle soit propre à nostre nature, pour oster ceste presomption qui est en nous, et ceste hypocrisie. Voila pourquoy Dieu nous ramene à la Loy, et qu'il nous monstre que nous

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sommes tous perdus: comme s'il disoit, et bien, ie voy qu'un chacun de vous se flatte, et se plaist par trop, on ne vous peut amener à raison pour vous humilier: ie ne contesteray point contre vous, mais ie vous baille un miroir en ma Loy, ie veux qu'un chacun de vous s'y contemple: regardez là si vous estes beaux. Venons-nous à la Loy de Dieu ? chacun voit-là ses pollutions: et au lieu qu'auparavant il nous sembloit qu'il n'y avoit que vie et salut et merveilles en nous: nous sommes morts, comme S. Paul en parle (Rom. 7, 9. 10). Voire si nous entendons la Loy de Dieu comme il appartient. Car il y en a beaucoup qui ont le voile devant leurs yeux, lesquels se font à croire qu'ils ont bien servi à Dieu: encores que la Loi leur soit leuë, ils pensent y avoir satisfait, et n'en ont iamais approché. Ceux-la ont le voile devant leurs yeux: mais si nous considerons que c'est de la Loi de Dieu, nous trouverons qu'il n'y a en nous quo toute puantise et iniquité. Voila donc pourquoi Dieu nous touche en ceste façon.

Mais voici une sentence plus haute: et c'est aussi pour les plus parfaits que Iob parle, c'est assavoir, qu'encores n'y aura-il point une iustice de la Loy qui soit suffisante pour subsister devant Dieu quand il nous voudroit traiter à la rigueur. Or ici on pourroit faire une difficulté, Dieu condamnerait-il les hommes quand ils auroyent accompli ce qu'il leur commande et ordonne? Nenni: il n'est pas question de ce que Dieu fera: mais il est question de ce qu'il pourroit faire. Or il ne le veut point. Qu'il nous suffise donc, que si nous avions reglé nostre vie à la Loy de Dieu, nous serions reputez devant lui comme iustes: il est certain. Car il est dit, Qui fera ces choses, il vivra en icelles. La promesse n'est point pour nous frustrer ne mentir. Quoi qu'il en soit, tousiours ceci demeure, que quand nous aurons obei pleinement à la Loi de Dieu, et que nous aurons eu ceste pureté si grande, comme elle est là requise, (ce qui est impossible aux hommes mortels) toutesfois que Dieu encores ne s'en pourra pas contenter s'il ne veut: c'est à dire, il pourra trouver en soy une telle perfection, que tout ce que nous aurons apporte ne sera rien: non pas qu'il le face, comme i'ay desia dit. Et c'est ce que Iob a entendu, disant, Que Dieu le plongera au bourbier, quand il se sera lave: c'est à dire, Dieu trouvera moyen de me reietter comme une povre creature infecte, encores que ie me soye estudié à toute pureté, que ma vie soit reglee à sa Loy, et à ce qu'il ordonne, et mes oeuvres soyent bonnes et sainctes: si est-ce que toute ceste pureté-la ne sera rien que puantise, si la iustice de Dieu passe par dessus. Or i'ay dit, que ceste doctrine ici nous doit bien rendre confus. Car quand nous serions semblables aux Anges,

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sachons qu'encores ne pourrions-nous subsister, que par la grace de Dieu, et entant qu'il nous supporte comme ses creatures, et n'use point de rigueur envers nous. Car s'il nous vouloit traiter comme nous en sommes dignes, où en serions-nous? Maintenant si Dieu nous pourroit abismer, quand nous ressemblerions aux Anges: veu que nous beuvons le peché, comme un poisson hume l'eau (ainsi qu'il en est dit en ce mesme livre) veu que nous ne cessons de contrevenir à la regle qu'il nous a donnee, et que nous voyons non pas une espece de condamnation, mais cent mille (le nombre en est infini), Helas! aurons nous dequoi nous eslever? que deviendra l'orgueil des hommes ? Par cela voyons-nous quelle rage, ou furie a esté et est encores en la Papauté, d'alleguer ainsi leurs merites. Car ces povres gens sont si enflez d'orgueil, qu'il leur semble qu'ils se peuvent acquerir paradis: et s'ils faillent en quelque endroit, ils ont leurs moyens pour recompenser Dieu, ils ont leurs satisfactions, ils ont leurs oeuvres de superabondant ou super erogation qu'ils appellent: ce leur sont autant de payemens, afin de s'acquiter envers Dieu. Il faut bien que le diable ait ensorcelé les hommes, quand ils se peuvent ainsi faire à croire, que par leurs oeuvres ils pourront obliger Dieu. Et ainsi poisons bien ceste doctrine: mais cependant que nous reprimions nos passions, et qu'elles soyent tenues en bride pour ne point venir là où Iob en est venu. Non point qu'il se soit arresté a ce propos (car c'eust esté un blaspheme) mais il confesse qu'il a esté tenté et esmeu pour dire, Or ça si Dieu estoit homme comme moy, que ie lui osasse respondre, que nous vinssions en iustice, qu'il y eust quelque arbitre pour mettre la main sur nous: alors ô ie parleroye, ie ne craindroye point quand Dieu me donnera ce congé-la, que ie le puisse appeller en iustice, et qu'il y ait un Iuge par dessus nous deux alors ie pourrai parler hardiment contre lui. Voilà une tentation bien dangereuse, et (comme i'ay desia dit) si Iob eust conclu cela en soi, c'estoit un blaspheme execrable. Il monstre donc qu'il a este agité de ceste tentation: mais cependant il y a resisté Or il se pourra faire que nous serons en tels troubles par fois: car c'est une chose bien estrange à l'esprit humain, que quand nous aurons observé la Loy de Dieu (c'est a dire, s'il se pouvoit faire) encores ne serons-nous pas absous devant lui. Les hommes auront ici tousiours quelque replique, et pour le moins ils voudront se lamenter, et faire leurs complaintes , Est-il possible que Dieu nous traite en telle rigueur, que ce ne soit rien quand nous aurons accompli sa Loy? Les hommes donc auront une cause qu'ils cuideront estre bien favorable , et laquelle aussi se trouve estre telle quant aux hommes: mais quand

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nous serons ainsi picquez, il faut nous tenir en bride, et que nous sachions que la iustice de Dieu, laquelle nous De comprenons pas maintenant, nous est cachee afin que nous l'adorions. Car nous avons à magnifier Dieu en deux sortes: la premiere est selon qu'il se manifeste à nous. Voila Dieu qui se declare iuge en sa Loy pour noua condamner: et en son Evangile il se declare Pere pour nous absoudre. C'est a dire, quand il nous commande de faire ce qui est bon et iuste, et qu'il nous menace que si nous avons failli en rien, il faudra que nous soyons maudits: quand donc Dieu se declare ainsi nous avons matiere de le glorifier, et de cognoistre qu'il est iuste, quoy qu'il en soit. Car quand nous peririons, si n'avons-nous pas cause de murmurer. Et puis si Dieu nous appelle à soy, nous presente sa grace en nostre Seigneur Iesus Christ, nous declare qu'il ne demande que de se reconcilier avec nous: voila encores plus ample occasion de le glorifier en sa iustice, puis qu'il nous a retirez des enfers, et qu'il nous a tendu la main. Voila donc desia comme nous devons glorifier Dieu doublement, quand il se declare à nous par sa parole. Autant en est-il de ses oeuvres. Quand Dieu nous supporte par su misericorde, que nous cognoissions qu'il pourroit foudroyer contre nous: et quand il ne le fait pas, que c'est autant de grace qu'il nous tait. Et puis quand il nous chastie de nos fautes afin de nous attirer à repentance, ne voila point autant d'argumens qu'il nous donne de lui chanter louange? Ouy bien. Et ainsi quand Dieu se declare à nous et bon, et iuste, et sage tant par sa parole que par ses oeuvres, nous avons à le glorifier. Mais avons-nous fait cela? Il faut venir encores plus haut: c'est assavoir, que nous glorifions Dieu, encores qu'il se cache à nous, encores qu'il ne nous monstre point ne sa iustice, ne sa bonté ne chose en quoy nous puissions dire, que ceste gloire lui soit deuë Exemple: Quand l'Escriture nous parle de son election, qu'il choisit ceux que bon lui semble, qu'il reiette aussi les autres, qu'il dispose du genre humain à son plaisir: aussi quand il afflige les bons et les laisse là opprimez, `que nous voyons les choses tant confuses au monde, là Dieu se cache, c'est à dire, qu'il ne se monstre pas à nous en telle façon, que selon nostre sens nous puissions apprehender sa iustice, sa bonté et vertu, et sagesse: et toutesfois si faut-il que nous lui rendions la gloire qui lui est deuë. Voila donc ce que nous avons à noter de ce passage.

Or en ce faisant nous pourrons bien corriger, et repousser ceste tentation de laquelle parle ici Iob. Il dit que Dieu viene en iustice et qu'il me donne ceste liberté de plaider contre luy, et ie le ferai hardiment. Helas! et comment en pourrons nous venir à bout? Iob ici a voulu exprimer (comme

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nous avons touché) qu'il estoit solicité à se despiter ainsi contre Dieu: mais il a resisté à un tel combat. Ainsi nous en faut-il faire. Et comment? Comme ie 1' y desia dit, car encores que Dieu nous donnast ceste liberté de plaider contre luy, si est-ce que nous demeurerons confus: et Iob a mal cognu cela, mais ç'a esté pource que son esprit estoit entortillé en telles angoisses, qu'il ne savoit pas ce qu'il disoit. Or si un homme si parfait qu'il estoit, qui nous est proposé comme un miroir de patience, a esté ainsi fasché. que sera-ce de nous? D'autant plus donc nous faut-il bien noter ce qui est ici dit, c'est assavoir que si Dieu se declare a noua, là noue le devons glorifier, et s'il se cache, qu'il nous faut adorer ses secrets qui nous sont incomprehensibles. Et ainsi en toutes sortes que nous ayons la bouche close, et que nous ne disions point, Si ie disputoye, i'auroye mon procez gagné. Or nous verrons bien quelquefois en l'Escriture que Dieu dit, Venez, plaidons ensemble, comme il en est parlé au Prophete Isaie (5, 3), Voici, ie suis content qu'il y ait un iuge entre nous deux, voir qui aura bonne cause, ou mauvaise. Pourquoi est-ce que Dieu dit cela? C'est pour clorre la bouche aux meschans qui estoyent envenimez contre lui, et qui pensoyent avoir tout gagné si les hommes les approuvoyent. Voire dit le Seigneur: afin que vous n'alleguez point que i'use contre vous d'une puissance tyrannique, que vous soyez opprimez sans cause et raison: Venez (dit-il) ie suis content qu'on me tiene comme du rang des hommes, que ie soye comme des creatures, ie me deporterai de mon droit, et de cest empire souverain, et maiesté qui est en moy. Ie suis content que pour ceste cause ici vous ne regardiez point à tout cela: toutesfois si est-ce que vous ne laisserez point d'estre comdamnez. Voila comme Dieu veut bien entrer en conte avec nous: mais quand il parle ainsi, c'est contre les contempteurs qui le despitent, et qui lai sont du tout rebelles. Or en ceux-la il trouvera assez à condamner. Iob de quel degré se met-il'' De ceux qui ont voulu servir Dieu, qui ont cheminé sous l'obeissance de sa Loy. Ouy bien: mais encores il se trompe de beaucoup. Car il n'y a celui si parfait auquel Dieu ne trouve beaucoup à redire, selon mesmes ceste reigle qu'il nous a donnee en sa Loy. Mais cependant nous avons aussi à noter un autre poinct: c'est que Iob monstre qu'il n'a point esté traité de Dieu si rudement, à cause de ses pechez qu'il avoit commis: et cela est vray. Car Iob n'estoit pas ai hebeté, qu'il ne cognust bien qu'il se trouveroit coulpable devant Dieu, si sa vie estoit examinee selon la Loy. Iob cognoissoit bien cela. Vray est qu'en ses douleurs il est transporté, il est comme aveuglé: mais quoy qu'il en soit, si cognoist-il bien que Dieu trouvera tousiours à redire en tous hommes.

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mes. Pourquoy donc est-ce qu'il dit qu'il parlera hardiment? Or il s'adresse à ceux qui l'avoyent accusé, et ce propos ici se tient plustost aux hommes (comme on dit) qu'il ne s'adresse point à la chose. Si Iob eust parlé sans partie adverse, il eust dit, Helas! ie confesse bien que ie suis deteur à Dieu: mais encores qu'il fust possible que ie ne lui deusse rien selon la Loy, c'est à dire, que ie me fusse acquité de mon devoir pleinement, si faudroit-il que i'eusse mon refuge à sa pure bonté. Voila comme Iob eust parlé: mais d'autant qu'on l'accusoit d'estre ainsi puni pour ses iniquitez, comme s'il eust esté un contempteur de Dieu, il dit, Non, non, quant à cela ie plaideray hardiment. Or en disant, Ie plaideray hardiment, il cet vrai que (comme nous avons dit) il estoit transporté de sa passion: mais pource qu'il regarde à ses parties adverses, il n'entend pas sinon cc que desia nous avons declaré. Voila quant au sens de cc passage.

Maintenant regardons comment nous en pourrons faire nostre profit. Desia nous avons monstré quo quand nous aurions fait tout ce que Dieu nous commande (ce qui est impossible à l'homme) si est-ce qu'encores pourroit-il trouver quelque moyen de nous condamner, voire et cependant il demoureroit iuste. Qu'avons-nous donc affaire sinon à nous humilier? Et au reste cognoissons que Dieu use envers nous d'une double bonté, quand il nous a donné sa Loy, et puis qu'il nous retire de ceste condamnation en laquelle elle nous met. Voila (di-ie) une bonté de Dieu, quand il parle ainsi familierement aux hommes, en leur disant, Or sus ie ne vous doy rien et vous m'estes redevables et obligez entant que vous estes miens: ie puis iouir de vous ainsi que bon me semble, et cependant vous n'avez point à me dire, Paye nous: car puis que vous estes miens. il faut que tout cc que vous avez me soit dedié. Or si est-ce qu'encores ie vous favorise iusques là, ie suis content si vous accomplissez ma Loy, de vous donner pour payement la vie eternelle, encores que ie puisse demander cela de vous sans aucune recompense. Quand donc Dieu parle ainsi en sa Loy, ne voila point desia une grande bonté? Car ceste iustice-la qu'il demande de nous, est au regard des creatures pures, ainsi que les Anges de paradis. Car il ne faut pas regarder à nostre nature telle qu'elle est vicieuse et corrompue: il nous faut tousiours retenir cela. Mais apres que Dieu a parlé ainsi, il faut que nous demourions tous confus et condamnez, sinon qu'il passe plus outre, et qu'il nous propose sa misericorde. Autrement nous demeurerions tousiours maudits, encores que nous ayons accompli toutes les choses qui sont contenues en la Loy. Mais d'autant que

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nostre bon Dieu nous supporte, encores que nous ayons failli en une sorte et en l'autre: voila qui nous retire de la malediction de la Loy. Ainsi donc retenons que Dieu nous donne bien occasion de venir à luy, non point pour y plaider, ne pour maintenir nostre cause (car il faudra que toutes bouches soyent closes) mais pour confesser qu'en toutes sortes nous luy sommes redevables. Encores mesme selon que nous le comprenons en nostre sens naturel, si faut-il que nous soyons condamnez: voire quand il ne parleroit point, c'est assez que nous ayons cc iugement engravé là dedans, qu'il n'y a celui de nous, qui ne soit son iuge, ou qui ne le doive estre, si nostre hypocrisie n'empesche de le cognoistre: il faudra en despit de nos dents que nostre conscience nous redargue. Voila un Item. Et au reste, au lieu d'arbitres pour plaider, cerchons Iesus Christ à ce qu'il soit moyenneur afin d'appointer. Que nous ne demandions point à Dieu d'avoir un luge qui mette la main sur lui, et sur nous: mais que nous lui demandions qu'il y ait un moyen pour nous reconcilier avec sa maiesté. Voila Dieu qui est eslongné de nous et separé, et qui en cet cause ? Nos pechez, dit le Prophete Isaie (59, 2). Car Dieu habite en nous par sa vertu. Comment est-ce que nous sommes, et que nous avons mouvement et vigueur? Comment est-ce que nous subsistons, sinon d'autant que sa vertu cet espandue par tout? Or cependant nous ne laissons pas d'estre separez de luy par nos pechez et iniquitez. Que faut-il donc ? que reste il plus ? Que Iesus Christ se mette entre deux: il faut que Iesus Christ soit un arbitre, non point pour aller par dessus la maiesté de Dieu, pour renger Dieu à nous: mais que par son moyen nous soyons reconciliez à Dieu' et que comme nostre chef il nous attire tous apres soi, pour nous conioindre tellement à Dieu que nous soyons tous un en lui, comme l'Escriture en parle (Iean 17, 11). Et que sur cela nous apprenions de nous humilier, pour dire, Seigneur nous venons à toi non point pour plaider, ne pour presumer de rien qui soit en nous ni en nos personnes: mais d'autant que tu nous es propice, et que tu nous veux recevoir au nom de ton Fils Iesus Christ. Voila on quoi nous voulons nous glorifier. Non pas que quant à nous il ne nous I faille demourer confus: mais puis qu'il te plaist de nous faire sentir ta bonté infinie, laquelle tu as desployee en ton Fils unique nostre Seigneur Iesus Christ, quand tu l'as exposé à la mort pour nous: nous ne douterons point maintenant que tu ne nous reçoives, encores que nous en soyons plus qu'indignes.

Or nous nous prosternerons devant la maiesté de nostre bon Dieu etc.

SERMON XXXVIII

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LE TRENTEHUITIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE X. CHAPITRE.

1. Mon ame est retranchee en ma vie: ie laisseray ma complainte sur moy, le parleray en mon amertume. 2. Ie diray à Dieu, Ne me condamne point: monstre moy pourquoy tu plaides contre moy. 3. l'est-il bon de me faire tort, ou de reietter l'ouvrage de tes mains, et d'esclaircir le conseil des meschans ? 4. As-tu?' des yeux de chair ? regardes-tu comme l'homme ? 5. Tes iours sont-ils comme des hommes tes ans sont-ils comme les temps de l'homme mortel? 6. Qu'il te faille enquerir de mon iniquité, et faire enqueste sur mon peché.

Les choses qui sont ici dites par Iob, peuvent bien estre dites d'un chacun do nous en sorte que ce sont prieres faites à Dieu, bonnes et sainctes, et qu'il approuvera. Or en premier lieu, si nous sommes pressez d'angoisse, nous pouvons bien dire, que nous no profiterons rien a nous eslever contre Dieu, si nous pretendons de l'amener en iustice. Apres nous ]lui pouvons demander qu'il nous face sentir nos pechez. Car la principale condamnation qu'il fera de noua, De nous servira rien à salut, sinon que nous soyons touchez pour estre abbatus on nous-mesmes. (:Car il faut que l'homme soit son propre iuge, et qu'il se condamne pour estre absous devant Dieu. Nous pourrons bien aussi faire toutes les remonstrances qui sont quant et quant adioustees, c'est assavoir que ce n'est point raison que Dieu donne occasion aux meschans de se plaire en leurs blasphemes ni en leurs iniquitez: d'autre costé, qu'il n'est point un homme terrien, qui se vueille venger: et aussi nous sommes l'ouvrage de ses mains. Apres qu'il ne faut point qu'il mette les gens à la torture pour cognoistre leurs forfaits, car tout luy est cognu. Ainsi donc nous pourrons bien user des propos qui sont ici touchez, en bonne sorte. Mais nous voyons, que Iob declare ses passions dont il estoit transporté, non pas qu'il n'y resistast (comme nous avons declaré, cy dessus) mais cependant ce n'est pas à dire, qu'il n'en fust troublé de prime face. Et il confesse ici qu'il est on telle amertume, que quand il ne gagnera rien, si faut - il encores qu'il se fortifie en ses complaintes, ou bien qu'il leur lasche la bride. Car le mot signifie Laisser, et signifie Fortifier. Notons bien donc que Iob parle ici comme un homme passionné: toutesfois si est-ce qu'il cognoist quelle est la nature de Dieu, et se retient, il ne tasche pas à faire sa cause bonne, en accusant Dieu. Mais au rebours il confesse qu'il est confus et

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comme au bout de son sens, ainsi qu'on dit. Et pourtant il a son refuge de prier Dieu, que devant que le condamner il luy monstre pourquoy il plaide contre luy, qu'il s'abaisse iusques là, de luy faire sentir la raison pourquoy il endure.

Or maintenant, poursuivons les choses de mot à mot, Il dit, Mon aine est retranchee en ma vie. Le mot signifie bien quelquesfois Detester, comme s'il disoit: Mon ame se despite en ma vie, ie suis fasché de vivre plus. Mais le sens est le plus naturel, de dire, Mon ame est retranchee en ma vie. Et pourquoy ? Car combien qu'il fust vivant, toutesfois il confesse que sa condition est egalle à celle d'un trespassé, Voila (dit-il) ma vie n'est point vie. Car ie suis en la mort. Voila ainsi qu'il l'a entendu. Or par cela il confesse qu'il est comme desesperé, voire s'il regarde comme Dieu le traitte. Il a bien son esperance en Dieu, mais pour s'y fier il faut qu'il sorte hors de sa personne. Et c'est un poinct que nous devons bien noter. Car si nous regardons à nostre condition presente que pouvons-nous faire sinon d'estre ]à abbatus pleinement? Et qu'ainsi soit, combien qu'un homme soit à son aise, si est-ce qu'il n'a point de duree pour pouvoir porter les incommoditez de ceste vie: et s'il regarde à sa fragilité il est assiegé de cent morts, et il n'a qu'un ombrage de vie. Mais sur tout quand Dieu nous afflige, et qu'il se monstre comme nostre partie adverse, qu'il semble qu'il vueille foudroyer sur nous, que nous cognoissons d'un costé nos pechez, et d'autrepart que nous regardons à ceste iustice tant parfaite et tant haute qui est en Dieu: il est certain que nous ne pouvons concevoir aucune esperance de salut en nous. Toutesfois ceux qui se laissent vaincre d'une telle tentation, monstrent bien qu'ils sont stupides, c'est à dire, qu'ils n'ont point d'apprehension du iugement de Dieu en la sorte qu'ils doivent. Car quiconques est vrayement touche, et au vif, celuy-la se pourra bien sentir comme aux enfers quand il pense à ses pechez: et sur tout si Dieu l'adiourne devant son siege, et qu'il lui face sentir combien il est coulpable. Ce n'est point donc sans cause, que i'ay dit, que Iob confesse, qu'il est comme desesperé, ouy, quant à soy: mais cependant si est-ce qu'il a gousté la misericorde de Dieu, et ceste amour paternelle à laquelle il a tousiours eu son recours. Voila comme il a esté soustenu, et comme il a surmonté une si grande tentation. Et c'est ainsi comme nous en devons faire: car apres

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que nous aurons contemplé nos pechez pour estre confus, il nous faut escouter ceste voix douce et amiable, par laquelle Dieu nous appelle à soy, car il ne promet point salut et vie seulement aux Anges, et à ceux qui se pourront trouver iustes. Car en ce monde il n'y auroit celuy qui ne fust forclos de vie et de salut, si ainsi estoit. Mais Dieu declare qu'il veut estre propice aux pecheurs, qui sont du tout abbatus en eux-mesmes, qu'ils ne savent que devenir. Voila donc comme hors de nous il nous faut cercher resiouyssance, quand nous aurons esté contristez voyans nos pechez, que nous sentirons un tel trouble, que nous ne verrons que les abysmes d'enfer ouvers pour nous engloutir. Alors il nous faut lever la veuë en haut pour sentir ceste bonté inestimable de nostre Dieu, par laquelle il nous veut appeller à salut, combien que nous soyons comme damnez desia. Voila ce que nous avons à noter en premier lieu.

Or Iob dit, puis qu'ainsi est, qu'il laschera la bride à son propos contre soy, ou sur soy, en ceci il declare qu'il veut exprimer les passions dont il estoit agité, lesquelles de soy estoyent mauvaises, et à condamner: mais Iob en a voulu faire une declaration, à ce qu'on cognust qu'il estoit accablé de tristesse, voire telle qu'il ne voyoit nul remede, qu'il falloit qu'il se lamentast ainsi, estant homme fragile. Et au reste le sainct Esprit a regardé plus loin. Car il a voulu que Iob nous fust Prophete et docteur, afin do nous mettre en avant quelles sont nos affections. Car il faut que les hommes se cognoissent, qu'ils soyent advertis de leurs infirmitez, pour estre sur leurs gardes, et pour se reprimer, voyans que s'ils se pardonnent ils ne tiendront ne moyen ne mesure. Voila comment il nous faut appliquer ceste doctrine a nostre instruction. Toutesfois nous avons bien à noter cc mot, quand Iob dit, qu'il se donne la liberté de taire ses complaintes contre soy. Comme s'il disoit, Ie say que ie ne gagneray rien si ie veux contester avec Dieu. Voila donc la preface dont il use, qui emporte une doctrine bien utile. Car il semble aux hommes qu'ils se deschargeront d'autant, s'ils se peuvent fascher contre Dieu et murmurer. Et voila en quoy les meschans se consolent, que quand ils auront vomi quelques blasphemes, ou bien qu'ils auront monstré leur impatience, les voila, ce leur semble, deschargez de leur fardeau. Et toutesfois si est-ce qu'ils n'ont rien profité, ils ont empire de beaucoup leur condition. Si nous avons quelque chose qui nous charge, et bien si nous la pouvons mettre à terre, nous sommes deschargez, il est vray: mais quand i'aurai un fardeau sur mes espaules ou en mes bras, et que ie le voise ietter sur ma teste, et que ie face, un grand hurt, ce sera pour me casser le cerveau. Et qu'est-ce que i'ay

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gagné en cela! Ainsi en est-il, que si nous voulons plaider contre Dieu, c'est autant comme si nous iettions un fardeau sur nostre teste, et il faut qu'il retombe là dessus en despit que nous en ayons: nous aurons beau fuyr ou ça ou là, si est-ce qu'il retombera sur nous. Nous voyons donc que les hommes ne font que se ruiner, quand ils vomissent ainsi, et desgorgent leurs murmures et blasphemes contre Dieu. Voila pourquoy i'ay dit que I este doctrine nous estoit bien utile. Il est vray que Dieu veut que nous usions de ceste privauté, de nous venir descharger en son giron: mais la façon d'y proceder est bien diverse, comme il en est parlé aux Pseaumes (62, 9), et en plusieurs autres passages de l'Escriture: c'est que nous regardions que Dieu pourvoira à tout, puis que son office est de gouverner le monde, qu'il pourra bien remedier à toutes nos necessitez, qu'il nous donnera allegement, quand nous en serons oppressez par trop. Voila comme nous pourrons remettre toutes nos solicitudes au giron de Dieu, et il les prendra en sa charge, et en serons allegez d'autant voire quand nous viendrons à loi avec prieres et oraisons. Si nous avons quelque tristesse, quelque fascherie qui nous presse: Et bien Seigneur, c'est à toy de secourir à tes povres fideles quand ils languissent: ie viens ici, ne sachant que devenir, sinon que tu ayes pitié de moy. Quand donc nous aurons ainsi requis nostre Dieu, et qu'il nous aura rendu tesmoignage, qu'il n'a point esté sourd à nos requestes, que nous serons certains d'estre exaucez de lui: voila une bonne descharge. Mais encores Dieu vient au devant de nous, et reçoit nostre fardeau que nous lui presentons: mais ceux qui s'endurcissent en leur orgueil, qui sont là enflez et comme transportez d'impatience: que font-ils? ils viene s'adresser à Dieu, comme si quelqu'un vouloit tirer une flesche au ciel, Ô il faut qu'elle reviene sur sa teste, et si quelqu'un vouloit ietter une pierre, il faut qu'elle retombe là aussi. Advisons donc quand nous ferons nos complaintes, que ce soit avec toute humilité, voire ayans nostre appui sur la providence de Dieu, estans fondez sur sa bonté et amour paternelle qu'il nous a monstree, et que nous y allions avec prieres et oraisons. Quand nous en ferons ainsi, alors nous serons deschargez, et Dieu pourvoirra à tout: mais si nous cuidons gagner nostre cause en nous despitant, et en iettant quelque propos d'amertume, Ô il est certain que par ce moyen tousiours nostre condition sera pire. Voila donc ce que nous avons à retenir de ce passage, quand Iob confesse que s'il lasche la bride à ses passions excessives, il faudra que cela reviene sur soy, ou contre soy. Or cependant il declare, que son intention n'estoit pas de s'eslever à l'encontre de Dieu, ains de confesser que toutes

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les complaintes qu'il fera, venoyent de la fascherie qu'il enduroit pour son mal. Cognoissons donc nos vices: mais apres les avoir cognu, il faut cercher le remede. Voyons-nous que nostre chair ne puisse porter les afflictions que Dieu nous envoye? Recourons à luy qui a l'Esprit de vertu, voire, non point pour soy; mais afin d'en distribuer à ceux qui en ont faute. Quand donc les hommes cognoissent leurs infirmitez qu'ont-ils à faire? Voila Dieu qui declare qu'il les peut secourir, qu'il les peut fortifier. Quand donc nous sommes ainsi advertis de nos maladies, que n'allons-nous au medecin ? Mais quoy? Il semble à la plus part quand ils diront par acquit' Vray est que ie peche, mais ie suis homme charnel, ie ne suis point de fer ne d'acier, et quand i'auray quelque mal, il faut que ie le sente. Tout cela est vray: mais cependant dequoy profident donc les admonitions qui nous sont faites en l'Escriture? N'est-ce que quand Dieu nous aura adverti de nos vices, il vent qu'on s'y desplaise, qu'un chacun se haysse voyant qu'il est tel? Et puis dequoy servent aussi les promesses qu'il adiouste, sinon afin que nous venions droit à luy, le prians qu'il les accomplisse en nous, et que nous ne doutions pas qu'il ne soit prest de nous donner secours, quand il verra la necessité qui nous presse? Voila donc ce que nous avons à faire: c'est non seulement de confesser nos vices' mais de venir à Dieu, afin qu'il les corrige par sa bonté et par la grace de son S. Esprit.

Or Iob dit, qu'il criera à Dieu, Ne me condamne point, mais monstre moy pourquoy tu plaides. Ici Iob parla tousiours comme un homme passionné: car il voudroit bien que Dieu ne procedast point avec lui en ceste iustice secrette et cachee, de laquelle nous traitasmes hier: mais il voudroit que Dieu l'examinast selon sa façon ordinaire. Or nous avons dit, que Dieu nous a donné en sa Loy une regle certaine: et si nous sommes traitez selon nos fautes, nous contemplons la iustice de Dieu qui est là declaree, nostre procez nous est donné par escrit et communique, tellement que nous voyons là les articles qui sont prouvez contre nous, voire et si bien prouvez, que nous en pouvons estre conveincus. Quand donc les hommes sont affligez de Dieu pour leurs pechez, alors ils voyent en la Loy non seulement leur sentence, mais tout leur procez: les choses sont là deduites de poinct en poinct , en sorte qu'il faut, qu'ils baissent la teste. Mais d'autant que Dieu n'avoit point afflige Iob d'une façon ordinaire: mais qu'il avoit promis à Satan de le molester, ainsi voila pourquoy Iob dit, Ne me condamne point, que premierement tu ne m'ayes fait mon procez. Or ceci est dit, d'autant que la iustice secrette de Dieu nous est bien estrange à cognoistre: car nos esprits ne peuvent parvenir iusques là. Et

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pourquoy? Car nous voulons tousiours savoir la raison pourquoy Dieu besongne ainsi, nous voudrions qu'il nous fust contable. Or quand Dieu nous afflige, et qu'il ne nous fait point sentir pourquoy: sur cela nous sommes estonnez, cela nous fasche. Et comment? Dieu n'est-il pas iuste? ne faut-il pas donc que tout ce qu'il fait soit reglé en raison, et en equité? or ie n'apperçoy point ceci, mais tout l'opposite. Voila donc comme les hommes, sont enflez pour plaider à l'encontre de Dieu ils font des disputes en eux-mesmes, voire des disputes de chagrin et de despit. Voila ce que Iob demande en ce passage. Mais tant y a que Dieu luy pouvoit bien monstrer, ie di mesme lui faire sentir (quelque iuste qu'il fust) que c'estoit bien raison qu'il fust ainsi chastié pour ses pechez. Et pourquoi donc est - ce qu'il conteste ainsi ? Car il semble qu'il pretende d'avoir bonne cause, si Dieu le vouloit chastier selon la regle de la Loy. Nenni: mais il regarde plustost au conseil de Dieu: c'est à dire, qu'il se confesse bien pecheur, et que ce que Dieu avoit iuste raison de le punir si griefvement, n'estoit pas neantmoins à cause de ses pechez. Et qu'ainsi soit, il en voyoit beaucoup de meschans au monde qui estoyent espargnez cependant qu'il enduroit: et quant à luy, il s'estoit estudié de tout son pouvoir à servir à Dieu. Pourquoy donc est-ce qu'il est ainsi afflige, sinon que Dieu a quelque autre consideration speciale ? Voila donc ce que Iob pretend ici, assavoir d'obtenir que Dieu le traite d'une façon ordinaire, afin de lui faire sentir ses fautes.

Or cependant nous avons bien à appliquer ceste doctrine ici à nostre instruction, et elle nous servira beaucoup: c'est que nous prions Dieu, qu'il nous monstre pourquoy il plaide contre nous, et pourquoy il nous appelle en iugement. Car sans cela tous les chastimens que nous pourrons souffrir nous seront inutiles: comme nous voyons que là plus part du monde s'endurcit contre Dieu. Nous voyons comme les verges de Dieu batent et grans et petis: et de fait chacun criera, Helas! que le povre monde auiourd'huy n'en peut plus: cependant où est la repentance ? Comment est-ce que tous ces chastimens profitent? Mais il semble que les hommes ayent conspire de resister à Dieu, de repousser les coups. Que si Dieu frappe à grands coups de marteau, nous voyons les coeurs estre comme des enclumes, tant s'en faut qu'ils s'amollissent que plustost ils s'endurcissent. Et d'où procede cela, sinon d'autant que nous n'avons point ceste prudence et advis de cognoistre, pourquoy Dieu plaide contre nous? Ainsi donc ceste requeste nous est bien utile, c'est quand nous demanderons à Dieu qu'il ne nous condamne pas simplement,

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mais qu'il nous face sentir en quoy nous sommes coulpables, qu'il nous esclaire par son sainct Esprit, afin que nous entrions en examen de nos consciences, et qu'apres avoir bien cognu nos pechez, nous gemissions, et que nous n'ayons nulle autre esperance, sinon de retourner à luy, et de nous rendre là confus, afin qu'il ait pitié de nous. Voila un Item.

Et puis il y a encores une autre requeste seconde: c'est que Dieu ne nous punisse point pour nous accabler du tout: mais qu'il plaide en sorte que nous ayons loisir de penser à nos pechez. Or ceste requeste ici differe d'avec l'autre. Pourquoy? Si Dieu du premier coup vient avec une violence grande et impetueuse, que nous soyons là tout esperdus, que sera-ce? Nous n'aurons point l'esprit de cognoistre, Helas! Dieu est mon iuge, et il ne laisse point toutesfois d'estre mon Pere. Mais comme un povre malfaiteur estant condamné quand on le traine au gibet, est là comme stupide, et comme un tronc de bois, si on luy presente quelque consolation, il n'est point capable de la recevoir: voila comme nous en sommes quand Dieu commence par ce bout si horrible, de nous declarer qu'il nous est contraire. Car nous apprehendons la mort eternelle, ce nous est une telle confusion que les tenebres nous saisissent, tellement que nous n'avons point une seule estincelle de bonne consolation pour venir à luy: nous sommes preoccupez d'une telle frayeur que nous n'avons point l'advis de penser, Helas! mon Dieu, encores donneras-tu lieu de repentance à ta povre creature qui se presente devant toy. Nous avons donc bon mestier de retourner à Dieu, à l'exemple de Iob, le prians que devant qu'il nous condamne, il nous face nostre procez: c'est à dire, qu'il nous traitte en telle mesure que nous ayons loisir de penser à nous. Et voila pourquoy aussi Ieremie (10, 24) demande à Dieu, Chastie moy Seigneur, mais par mesure. Car il voit bien que si Dieu veut proceder avec nous en rigueur, nous serons abysmez: c'en est fait. Il demande donc à Dieu, qu'il le chastie par mesure, c'est à dire, que le chastiment soit temperé et moderé iusques là, qu'il puisse lire et d'une façon paisible examiner ses fautes pour s'y desplaire: et purs qu'il puisse aussi prendre courage pour retourner à Dieu, esperant pardon de lui. Voila donc comme il nous en faut faire. Et ceci nous est plus que necessaire. Car nous voyons comme les verges de Dieu continuent à estre desployees par tout le monde: et la cause du mal est celle que i'ay desia nommee: c'est assavoir, qu'on ne regarde point pourquoy c'est que Dieu l'afflige, et qu'il le bat ainsi. Et mesmes nous voyons que les hommes sont enyvrez d'une vainc presomption, voire, d'une folle rage, qu'ils cuident

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tousiours se pouvoir iustifier devant Dieu. Puis qu'ainsi est donc, que cest orgueil est tant enraciné en nostre nature, d'autant plus devons-nous estre solicitez à faire ceste requeste que i'ay dite: c'est assavoir, Que Dieu nous monstre pourquoy il plaide contre nous: c'est à dire, qu'il nous face tellement sentir nos pechez, que nous soyons contraints de passer condamnation volontaire, et puis que nous soyons instruits de retourner à lui. Tant y a' que quand Dieu voudra monstrer aux hommes pourquoy c'est qu'il plaide contr'eux, il n'y aura celui qui n'ait son procez tout formé. Ie di les plus iustes, ie di aussi selon la regle de la Loy, tellement qu'il ne faudra point que Dieu nous amene iusques à ceste haute iustice, qui nous est incomprehensible: mais seulement que nous contemplions d'un costé nostre vie, et que nous regardions ce que la Loy de Dieu nous commande: que nous facions comparaison de nos oeuvres avec ceste regle que Dieu nous a baillee: alors il faudra que nous demourions tous confus. Et pourquoi est-ce donc, que les hommes presument ainsi, et de leurs oeuvres, et de leurs vertus, et de leurs merites? C'est pource que iamais ils n'ont cognu que c'estoit du iugement de Dieu. Car d'ou vient ceste hypocrisie qui est en la Papauté, qu'on preschera et le franc arbitre, et les merites, et les satisfactions ? Et que les hommes dressent ainsi les cornes, qu'il leur semble qu'ils peuvent venir le front levé devant Dieu, et y vienent comme des putains effrontees? Ils sont pleins d'infection et d'ordures, et toutesfois ils preschent leurs merites: il leur semble quand ils auront failli, ils pourront bien s'acquitter par satisfactions. Et d'où procede un tel orgueil, sinon d'autant que iamais n'ont este deuëment adiournez devant ce siege iudicial, pour sentir combien ils sont coulpables? Notons bien donc, quand nous demandons à Dieu qu'il nous monstre pourquoi il plaide contre nous, qu'il ne faut point que nous ayons ce but-la de nous pouvoir iustifier ne absoudre: mais plustost c'est afin de passer condamnation pour estre receus à merci. Car voila le seul remede que nous avons de residu, c'est assavoir, que nous demandions à Dieu, qu'il ait pitié de nous, d'autant que nous ne lui pouvons rien apporter de nostre part, sinon toute confusion. Voila ce que nous avons à noter de ce passage.

Or cependant Iob adiouste, T'est-il bon que tu me faces ce tort, et que tu reprouves l'ouvrage de tes mains, et que tu faces luire le conseil des meschans? Ou que tu sois tesmoin, ou conseil des meschans. Ici Iob parle de la nature de Dieu, voire afin qu'il obtiene sa requeste. Dieu nous permettra bien d'user d'un tel langage quand nous venons à luy (comme i'ay desia touché) c'est assavoir, que nous

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parlions privément: toutesfois si faut-il que cela se face avec humilité. Car quand Dieu nous est ainsi familier qu'il s'abaisse, afin que nous n'alleguions point que nous sommes par trop eslongnez de luy: ce n'est pas pour nous donner une audace d'outrecuidance, que nous venions à luy avec mespris, et que nous le dedaignions. Nenni: mais c'est afin que la douleur ne nous accable pas tellement que nous ne reprenions nostre halaine, et qu'encores nous n'esperions que Dieu nous regardera. Voila donc le moyen que nous avons pour trouver quelque allegement, quand il semblera que nous soyons du tout aneantis quant à nous: c'est que nous ne laissions pas toutesfois d'espandre nostre coeur ainsi privément, et de faire nos complaintes a Dieu, comme un enfant se retire à son pere, puis qu'il nous en donne le congé. Voila donc comme la foy des enfans do Dieu sera bien establie, non point en orgueil ny en arrogance, mais on droite humilité.

Or venons maintenant à ce que dit Iob: Gaigneras-tu rien à me faire tort, ou a reietter l'ouvrage de tes mains ? La iustice de Dieu est approuvee parce qu'il n'est point comme les hommes, qui sont menez d'affection. Pourquoy est-ce qu'un homme fera tort ou violence, ou quelque autre nuisance par fraude ou par malice à son prochain ? D'autant qu'il y profite. Pourquoy est-ce qu'un Iuge est corrompu? Pourquoy est-ce qu'il opprimera les bons pour supporter les meschans? Sera-il mené de credit et de faveur? C'est qu'il lui semble que cela luy est profitable, ou pour gaigner la bonne grace de quelqu'un, ou pour se venger. Mais toutes ces choses-la ne competent point à Dieu. Nous voyons donc sa iustice estre approuvee d'une part. Car quand Dieu affligera les hommes, s'adresse-il à ses ennemis? Il s'adresse à sa facture, car nous sommes l'ouvrage de ses mains, il nous a creez et formez. Destruira-il donc ce qu'il a fait ? Et ainsi il faut bien conclurre que Dieu ne peut user ne d'iniustice ne de cruauté contre nous. Il ne peut user d'iniustice: voire d'autant qu'il ne requiert rien des hommes qui ne luy soit deu. Et ils en sont convaincus: car combien qu'ils soyent malins et pervers, si est-ce qu'ils ont tousiours quelque regard à luy. Il est vray qu'il y en a qui sont si confits en malice, et s'y adonnent tellement, qu'ils ne pensent point à Dieu. Tant y a (comme i'ay dit) quo ce sentiment do nature est tousiours imprimé aux hommes, que s'ils cognoissent que cela ne soit bon et profitable pour eux, de faire quelque extorsion et violence à leurs prochains, ils no le feront pas. Si donc les hommes estans malins no font point de mal qu'à leur profit: Dieu qui est la fontaine de toute bonté, qui est la regle do toute droiture, pourra-il estre incité

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à nous mal-faire, et à nous affliger iniustement, sans qu'il y ait profit ? Ainsi donc nous voyons ici une approbation de la iustice de Dieu. Et puis qu'il ne puisse user de cruauté contre nous, il appert: nous sommes sa facture puis qu'il nous a formez: il est certain donc, puis que nous sommes son ouvrage qu'il ne nous destruira point sans cause. Nous voyons qu'un ouvrier qui aura fait une besongne, encores voudroit-il qu'elle fust gardee. Or Dieu nous a mis en ce monde: nous sommes comme tesmoignage de sa vertu et iustice, et bonté et sagesse. Nous destruira-il donc sans propos, C'est une doctrine qui nous est bien profitable moyennant que nous la puissions bien appliquer à nostre instruction. Voire: car nous serons tous les coups solicitez par Satan pour nous fascher contre Dieu, comme s'il usoit de trop grande rigueur envers nous, comme s'il estoit inique. Or il faut avoir ceste bride, pour dire, Comment povre creature, à qui t'adresses-tu ? Il te semble que ton Dieu te face tort, est-il possible? Tu es plein de pechez, tu es plein de malice, de fraude et de deception: et toutesfois tu regardes à ton profit, quand tu fais mal à quelqu'un: si tu nuis, c'est pour t'advancer au dommage d'autrui. Et ton Dieu peut-il rien gaigner en toy? Et le veux-tu faire compagnon de ton iniquité, et de ton peche ? Quand donc nous pourrons regarder là, il est certain quo nous aurons en horreur de traiter ainsi de la iustice de Dieu, et de l'amener en façon que ce soit, en dispute. Et puis quand nous considererons, comment? Dieu t'a mis en ce monde, il a desployé ses graces sur toy, les grands thresors de sa bonté: que si tu regardes en ton corps, il y a assez de matiere pour te ravir en admiration, ne faut-il pas que tu sois bien insensé, que le diable te possede, quand tu presumeras d'imputer quelque cruauté à ton Dieu, lequel s'est monstré si benin et si amiable envers toy? Voila donc comme il nous faut pratiquer ceste doctrine pour en savoir faire nostre profit.

Or le mot qui est adiousté est encores plus praticable. Car il n'y a rien qui nous soit plus commun que d'estre faschez, quand nous voyons que les meschans, et les contempteurs de Dieu s'esgayent ici, comme si toutes les choses leur venoyent à propos: qu'ils feront leurs triomphes en se moquant de Dieu et de l'Evangile, et de nous qui en faisons profession. Comme quoy ? Dieu affligera son Eglise: et bien, voila les rneschans qui triomphent, tellement qu'ils cuident avoir tout gagné: il semble que Dieu leur favorise. Apres il adviendra quelque trouble, les choses iront tout au rebours, et au lieu que nous devons estre confermez de plus en plus que le nombre des fideles croistra, quo nous devrions estre confermez en foy

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et en tout bien: nous voyons quo beaucoup qui auront fait semblant de croire à l'Evangile, se desbordent, et sont mesmes plus meschans et plus enormes, que ceux qui sont ennemis manifestes. Nous voyons d'autres choses où il n'y a gueres d'esperance qu'elles doivent estre amendees en mieux: cela nous fasche. Et comment est-ce (dirons-nous) que Dieu le permet? Il semble qu'il vueille ici eslever les meschans, qu'il leur vueille ouvrir la bouche, afin qu'ils desgorgent leurs blasphemes contre lui: il semble qu'il nous soit contraire, et qu'il prenne plaisir que nous soyons molestez et exposez à tout opprobre. Et Dieu veut-il ainsi esclairer le conseil des meschans? Se veut-il mettre de leur part? Veut il participer à leur corruption et ordure? Voila ce qui nous pourroit venir en phantasie. D'autant plus donc nous faut-il estre munis à l'encontre te telles tentations comme en ce passage Iob met tous les deux. Car ,d'un costé il confesse que ceci lui est venu en phantasie, Comment? Il semble que Dieu s'adioigne du costé des meschans, et qu'il ait fait complot avec eux pour leur donner tant plus d'audace. Iob donc confesse, que ceste tentation-la luy est venue au cerveau: mais cependant il y a resisté. Car il proteste qu'il est impossible que Dieu ne soit contraire au mal' car il le hait de sa nature, autrement il faudroit qu'il se renonçast. Ainsi donc d'autant que Dieu est Iuge du monde, il faut qu'il chastie toute iniquité. Parquoy sachons que iamais il n'esclairera le conseil des meschans, c'est à dire iamais il ne monstrera qu'il l'approuve. Et quoy donc? Il veut exercer nostre patience cependant. Que nous soyons donc armez contre tous scandales: quand nous voyons que les meschans, les ennemis de verité, prennent occasion de se moquer de Dieu, et de nous, par les choses qui sont confuses au monde, que nous disions, Et bien, ce n'est pas que i Dieu soit de leur costé pourtant, car il faudra en la fin qu'ils demourent confus on leur orgueil: mais il faut contempler, Voici un temps de tenebres, comme nostre Seigneur Iesus Christ l'appelle (Luc. 22, 53 quand le diable a une telle licence de mal-faire que les meschans ont la bride sur le col. 11 dit quo c'est le regne des tenebres quand i ]es choses sont confuses comme en obscurité. Mais Dieu fera passer les tenebres et nous esclairera en la fin, comme nous en avons la promesse toute certaine. Attendons donc et soyons paisibles, et concluons qu'il est impossible que Dieu favorise au conseil des meschans, voire, quoy qu'il nous, semble cependant qu'il dissimule. Mais il faut que nous soyons patiens iusques au bout. Car il nous monstrera en temps opportun, que nous n'avons point esté deceus en nous attendant à luy. Voila

ce que nous avons à noter quant à ce passage.

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Or touchant de ce que Iob adiouste: c'est assavoir, si Dieu a des yeux comme l'homme, ou bien s'il a le temps comme un homme mortel: c'est pour monstrer qu'il n'a point besoin de faire longues enquestes contre nous: comme s'il disoit, Seigneur toutes choses te sont cognues, mesmes elles t'ont esté presentes devant la creation du monde. Il ne faut point donc que tu ayes le style des Iuges terrestres, lesquels feront longs proces tenans les criminels à la torture. Car ils le font à cause de leur ignorance: mais toy tu n'en as nul mestier. Ainsi donques pourquoy me traites-tu en telle rigueur? Iob parle tresbien de la nature de Dieu: mais il conclud mal. Car il confesse sa passion qui est excessive, comme desia nous avons dit: mais le principal est que nous regardions comme il nous faut appliquer ceste doctrine à nostre usage. Au lieu que Iob demande d'estre soulagé, pource que Dieu n'a point les yeux comme un homme mortel, cognoissons que quand Dieu nous afflige, ce n'est point pour avoir certitude de ce qui luy est incognu ou caché: mais c'est pour nous le faire sentir. Pourquoy est-ce que Dieu nous laissera languir quelque espace de temps, veu qu'il nous pourroit du premier coup raser? Il le fait afin que nous pensions à nous tant mieux. Et mesmes Iob se contrarie ici. En quoy nous voyons que les passions des hommes sont ici diverses qu'ils se contredisent le plus souvent. Tout ainsi que nous voyons les vagues d'une mer qui se rompent l'une l'autre par leur impetuosité, ainsi en est-il de nos passions, qu'elles sont contraires et repugnantes en nous. Nous ne les voyons pas: mais si est-ce que si nous ouvrions bien les yeux nous cognoistrions qu'il y a de telles contradictions, que nous dirons tantost d'une sorte, tantost de l'autre. Et voila ce qui est advenu à Iob. Il disoit auparavant, Ne me condamne point: mais monstre moy pourquoy tu plaides. Et bien, Dieu luy veut monstrer, mais de son costé il ne le cognoist pas: tant y a qu'il dit, qu'il est pressé par trop, non pas qu'il n'ait tousiours eu patience (comme nous avons dit) mais elle n'a pas esté si parfaite comme il seroit requis. Ainsi donc toutes fois et quantes que nous serons batus de la main de Dieu' et quand nous serons eschappez d'un mal que nous rentrerons en l'antre, que nostre langueur continuera, que nous ne verrons nulle issue à nos maux, quand nous penserons retirer un pied de la fange que l'antre s'enfonce d'avantage: cognoissons, Or Dieu nous afflige, non point qu'il y prenne plaisir ne qu'il y ait quelque profit et advantage: mais c'est d'autant quo par ce moyen-la il nous veut retirer à soy. Et ainsi que cela soit pour nous faire trouver les afflictions douces et amiables, quand nous cognoissons qu'elles tendent à nostre salut. Mesmes que nous

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ne perdions point courage quand il nous affligera en diverses sortes et quand il nous aura frappé pour un coup, s'il y retourne pour la seconde et troisiesme fois, que nous disions, Et bien Seigneur, puis qu'il te plaist de nous tenir comme en la gehenne, que tu ne permettes point que nous soyons tellement confits en malice, que nous grincions les dents à l'encontre de toy, encores que nous soyons convaincus de nos pechez: mais que nous venions avec une droite mansuetude, implorer ta misericorde, afin de te trouver propice et pitoyable envers nous. Voila (di-ie) comme il nous en faut

faire. Et d'autant que nous n'avons point d'accez à Dieu sinon par le moyen de nostre Seigneur Iesus Christ, que nous ayons recours à luy, le prians qu'il nous y donne telle adresse, que nous soyons receus de luy. Et combien qu'il nous faille endurer durant la vie presente beaucoup d'afflictions et de miseres si nous les portons patiemment ne doutons point que le tout ne soit converti à salut, et qu'elles no nous servent de medecine.

Or nous nous prosternerons devant la face de I nostre bon Dieu etc.

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LE TRENTENEUFIEME SERMON,

QUI EST LE IL SUR LE X. CHAPITRE.

7. Tu cognois que ie ne feray point meschamment, et que nul ne me delivrera de ta main. 8. Tes mains m'ont formé, elles m'ont figuré tout à l'entour, et tu me defais? D. Regarde que tu m'as formé comme d'argille, et que tu me réduira en poudre. 10. Ne m'as-tu point coulé comme du laict ? ne m'as-tu point amassé comme un fromage? 11. Ne m'as tu pas vestu de peau, et de chair, composé d'os et de nerfs? 12. Tu m'as donné vie et grace, et ta visitation a gardé mon esprit. 13. Ces choses tu as celees en toy, et toutesfois ie cognoy qu'il est ainsi vers toy. 14. Si i'ay peché, tu m'emprisonnes: tu ne souffriras point que ie sorte impuni. 16. Si i'ay fait iniquement, malheur sur moy: si i'ay esté iuste, neantmoins ie ne leveray point la teste, me voyant soulé d'opprobres, et cognoissant mon affliction.

Suyvant ce qui fut hier declaré, Iob remonstre ici à Dieu qu'il n'est ia besoin qu'il use d'enquestes à la façon des iuges terriens. Pourquoy? Tu sais (dit-il) que ie ne puis mal faire, et que nul ne me peut delivrer de ta main. Si ou tient un malfaicteur, on craindra qu'estant eschappé il ne face pis que devant, et mesmes on tasche à se venger du passé. Voila pourquoy on est contraint d'occire ceux où il n'y a plus d'esperance do correction pour l'advenir. Or Iob dit que cela n'est pas quant à Dieu. Pourquoy ? Tu sais (dit-il) que ie ne puis malfaire, et tu sais, encores que tu me delivres de ceste affliction, ie suis tousiours suiet à toy: quand il te plaira tu me peux ramener encores là où ie suis en cest estat si malheureux. Puis qu'ainsi est, qu'est-ce

qui te peut inciter à me faire tant de torments? Or (comme nous avons dit) toutes ces requestes se peuvent bien faire à Dieu, moyennant que ce soit en toute humilité: que nous ne contestions point comme voulans l'accuser de ce qu'il nous traite en trop grande rigueur, ou bien voulans amener quelque raison de nostre part pour faire nostre cause bonne. Quand nous n'irons pas ainsi: mais que nous viendrons avec ces propos pour les avoir imprimez en nos coeurs, pour dire Helas! Seigneur, quant à toy ie say que tu n'y procedes point à la façon des hommes: car qui t'induiroit à ce faire? Tu sais qui ie suis, tu sais qu'il y a en mon coeur: et puis il est en toy mesme de me tenir bridé: encores que ie fusse le plus meschant du monde, si est-ce que ie ne puis eschapper, que gagneroye-ie donc do faire du rebelle contre toy ? Car qui suis-ie? Ie ne suis que poudre, ie suis une povre creature mortelle. Voila un Item. Mais sur tout, quand tu souffleras sur moy, ie ne seray rien du tout. Et Seigneur, ie cognoy donc et conclu, que tu n'es point mené d'affection charnelle quand tu m'affliges. Que reste-il donc? Fay moy sentir ta bonté. Quand nous tiendrons la iustice de Dieu toute certaine, et que cependant nous aurons ces propos pour nous induire à une bonne confiance, que nous n'imaginerons point que Dieu ne nous exauce, et qu'il ne nous face merci. Voila comme nous pourrons user des propos de Iob.

Or apres qu'il a ainsi parlé, il adiouste, Tes mains m'ont formé, elles m'ont figuré tout à l'entour, et cependant me desferas-tu? Il retourne à ce qui

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fut desia hier declare. Car ceste sentence avoit esté touchee auparavant: mais il la conforme derechef, et non sans cause. Car c'est un argument qui nous doit bien consoler, que si Dieu use de rigueur envers nous, ce n'est point par cruauté qu'il le fait. Pourquoy? Il regarde. à son oeuvre et à sa facture. Nous devons donc tousiours penser à ceci toutes fois et quantes que Dieu nous afflige, Or çà ie ne me suis point formé, Dieu ne s'esleve point contre une chose estrange, ie suis la facture de ses mains. Puis qu'ainsi est, il faut dire qu'il a iuste raison de me traiter ainsi. Car il n'est point cruel, il est certain qu'il recognoist son ouvrage. Dieu par maniere de dire, se mire et se contemple aux hommes: ce n'est point sans cause qu'il a regardé tout ce qu'il avoit fait, et qu'il l'a trouvé bon. Or est-il ainsi que l'homme est le principal ouvrage et le plus excellent qui soit entre toutes les creatures, Dieu a voulu là desployer ce qu'il n'avoit mis qu'en petites portions et au ciel, et en la terre, et on tous animaux: tellement que l'homme est appelle comme un petit monde, que là nous voyons tant de choses admirables qu'il faut qu'on en soit estonné. Puis qu'ainsi est, nous devons tousiours estre persuadez, que Dieu contemplant son ouvrage on nous, sera esmeu et enclin à nous bien faire, à nous maintenir. Car nous savons ce qui luy est attribué en l'Escriture saincte: c'est qu'il conserve ce qu'il a fait, et ce qu'il a commencé il l'amene à perfection. Puis qu'ainsi est donc qu'il a usé d'une grace tant singuliere envers nous, il n'y a nulle doute qu'il ne vueille continuer iusques à la fin. Nous voyons maintenant que cest argument nous doit et nous peut beaucoup servir, quand nous l'appliquerons à bon usage, c'est de considerer que Dieu nous a formez.

Et voila pourquoy aussi Iob en fait une plus ample deduction. Il dit en ce verset, Seigneur, me devoreras-tu? Car le mot emporte cela, c'est à dire, me desferas-tu, puis que tu m'as figuré tout à l'entour? Il entend qu'il n'y a que redire: car ou pourra bien faire un ouvrage de belle parure, mais ce ne sera par tout qu'il sera ainsi poly, il y aura une partie là où on n'usera point de tel artifice. Quand on fera une belle tapisserie, il n'y aura que le devant qui se monstrera beau, et ce qui est caché sera tout difforme. Mais de l'homme nous voyons qu'il est poly depuis le sommet de la teste iusques à la plante des pieds, qu'il y a un artifice egal (voire selon l'ordre de nature) et qu'on ne sauroit point trouver à redire au bout d'un ongle. Iob donc veut ici exprimer la sagesse infinie de Dieu, laquelle se declare en la forme humaine: comme s'il disoit, Et Seigneur destruiras-tu un ouvrage si excellent, là où on peut voir ta sagesse, ta vertu, ta bonté inestimable Pour te

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glorifier? Prendras-tu plaisir d'aneantir ainsi ta gloire, laquelle apparoist et reluit aux hommes?

Nous voyons maintenant quelle est son intention: mais il adiouste ce que i'ay desia touché: c'est assavoir, que Dieu l'a formé comme argille, et le remettra en poudre. Comme s'il disoit, Seigneur que ton ouvrage soit osté de moy, que restera il ? Car mon commencement est de la fange de la terre. Il est vray qu'il n'y a eu qu'Adam que Dieu ait formé de la terre: mais voila où nostre origine commence: il nous faut tous revenir là: quand nous pensons d'où les hommes sont sortis et de quoy ils sont composez, assavoir, de la terre, sachons que cela nous compete à tous en general. Or puis qu'ainsi est que Dieu nous a formez de la terre: qu'il oste ce qu'il y a mis, c'est à dire, qu'il separe sa vertu, sa sagesse, sa bonté qu'il a desployee sur nous, et il faudra que nous retournions de là où nous sommes venus. Puis qu'ainsi est donc, Dieu voudra-il nous destruire ? n'est-ce point comme aneantir sa gloire? Ouy s'il le fait sans raison. Car quand il destruit les meschans et les iniques, c'est d'autant qu'ils ont effacé (entant qu'en eux est) l'image qui estoit imprimee en leur nature. Et de fait, Moyse prononce, Que Dieu s'est despleu quand il a veu que les hommes s'estoyent ainsi corrompus. Voila Dieu s'est repenti (dit il) d'avoir fait l'homme. Non point qu'il y ait un changement en Dieu pour se repentir (car il avoit lion preveu tout devant que le monde fust creé) mais Moyse declare là, que Dieu mescognoist les hommes quand ils se sont ainsi pervertis, et qu'ils se sont destournez de ceste integrité et droiture, laquelle il avoit mise en eux. Par cela donc nous voyous que Dieu recognoist tousiours son ouvrage aux hommes: mais cependant qu'il d teste tousiours le peché, lequel no procede point de luy, et ne luy peut pas estre imputé.

Or apres cela lob adiouste, Ne m'as-tu point coulé comme du laict? Il parle ici de la generation humaine, qui est une chose admirable, et là où tous nos sens sont confus. Car de dire, que de la semence humaine il sorte une creature vivante, une creature qui soit ainsi polie, là où on apperçoit un ordre qui peut ravir les esprits en estonnement: ne faut-il point que Dieu soit ici magnifié? Quelle difference y a-il entre l'origine d'un homme et la facture d'un fromage? Car nous voyons que du laict quand il sera amassé, et qu'il est prins: bien, on en fera un fromage: mais de dire, qu'il viene une creature vivante, une creature qui porte l'image de Dieu en soy: une creature qui soit si bien disposee, qu'elle sorte de ce commencement qui est en la generation des hommes? D'autant donc qu'il n'y a nulle apparence, comme il semble

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qu'un homme doive estre formé de la semence humaine: d'autant plus voit-on que Dieu veut estre ici adoré. Que nous soyons donc comme ravis, pour dire, Helas, Seigneur, quel ouvrier que tu es! Que les hommes soyent ainsi composez d'ordure et d'infection, et cependant qu'il en vienne une chose si excellente? Car quand nous contemplons un homme, il faut que nous soyons esbahis maugré que nous en ayons. Et d'où procede-il? d'une chose honteuse, et dont on n'ose parler. Ainsi donc, voila Dieu qui nous a tellement humiliez en nostre generation, que cependant il veut que sa vertu, et iustice, et sagesse soyent tant mieux cognues. Voila ce que Iob a ici declaré. Et c'est pourquoy il adiouste, Et Seigneur, Tu m'as revestu et de chair et de peau. Or ces choses ici procedent-elles de la semence humaine? Il n'y a qu'infection et ordure, et cependant voila la peau, voila la chair, voila les nerfs, qui sont choses dont tout le monde peut estre rendu confus. Mais quand Dieu a recueilli tant de miracles en un corps, et qu'il nous monstre là une si belle image et tant vive de sa maiesté, n'avons-nous point occasion de dire: Seigneur, il y a ici des choses qui surmontent tout nostre sens et raison.

Or apres que Iob a parlé de la creation des hommes il adiouste, Et bien, Tu m'as donné vie, et grace, et ta visitation garde mon esprit. En cela il declare, que Dieu ne s'est point contenté de l'avoir. formé au ventre de sa mere, de luy avoir donné une figure si excellente: mais sur cela (dit-il) tu m'as donné vie et grace: il entend par ce mot de Vie, ce qui est en l'ame de vigueur, et de vertu Car le corps de soy n'auroit nul mouvement: ce seroit une chose morte. Tu m'as donc vivifié Seigneur, c'est à dire, le principal qui doit estre magnifié de ton oeuvre, ce n'est point la figure de mon corps. I] est vray qu'en cela desia on peut voir ta vertu, et ta sagesse admirable: mais l'ame est encores plus, elle surmonte. Et avec cela encores l'ame n'aura point une vie commune, comme auront les bestes brutes qui auront ame pour sentir et se mouvoir, pour boire et pour manger, pour aller et venir, il n'y a pas seulement ces sens exterieurs en l'homme, mais il y a intelligence et raison, il y a verité. Car nous voyons l'esprit qui est en l'homme qui comprend tant de choses. Voila pourquoy Iob outre le mot de Vie a mis grace, signifiant que la vie que Dieu a donnee aux hommes, ne leur est point commune avec les bestes brutes: mais qu'il y a une dignité beaucoup plus grande et plus à priser.

Et puis il declare que Dieu a continué. Ta visitation (dit-il) a gardé mon esprit. Car quand Dieu nous auroit mis en bon estat, si est-ce que nous ne pourrions pas subsister, sinon qu'il eust

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tousiours sa main estendue sur nous. Que faut-il donc pour demourer en l'estat où nous aurons une fois esté establis? Il faut que Dieu inspire sa vertu incessamment, qu'il soit comme prochain de nous. Et voila pourquoy Iob use du mot de Visitation, comme s'il disoit, Seigneur, si ce n'estoit que tu me regardes d'un oeil paternel, il est certain que ie seroye peri à chacune minute: mais tu me regardes tousiours, tu sais mes necessitez pour y pourvoir. Voila donc comme ie suis conservé et maintenu.

Or à la fin il adiouste, Combien que ces choses soyent cachees en toy, et que tu les tienes en ton conseil: si est-ce que ie say bien qu'il en est ainsi envers toy. Comme si Iob disoit, Seigneur, ie say bien que ces choses sont si hautes, que ie ne les comprend pas du tout, mais tant y a que si faut-il que i'en aye quelque apprehension. le say qu'il est ainsi envers toy: c'est à dire, ie n'en ay pas une cognoissance si parfaite qu'il seroit requis: mais ie say neantmoins qu'il en est ainsi. I'en ay quelque goust de mon costé: et cela me suffit pour conclure, que tu as monstré de si grands thresors de ta sagesse, et bonté, et vertu en moy, qu'il m'est impossible de les priser et magnifier tant qu'ils meritent. Or maintenant ie voy comme tu me traites: car ie suis malheureux, tu m'enclos ici en prison, ie ne pourray iamais sortir. Et pourquoy? ie regarde l'affliction où tu m'as mis: et quand ie n'y cognoy point d'issue, me voila confus, tellement que quand ie seroye iuste, ie n'oseroye pas encores lever la teste pour m'excuser devant toy. Il faudra que ie soye forclos du tout. Comme quand un Iuge ne voudra point recevoir ce qui luy sera proposé, il deboute la partie: il faut donc que la condamnation viene nonobstant toutes ses replicques. Ainsi en est-il, dit Iob. Car ie voy qu'encores que ie ne me sente point coulpable, neantmoins tu m'as ici trop grievement affligé. Or ceci est dit suivant ceste passion excessive dont nous avons traite: et cependant neantmoins il cognoist que s'il vient à ceste iustice de Dieu, laquelle nous est incomprehensible, là il ne trouvera point estrange, qu'il soit ainsi traité. Vray est qu'il ne peut pas comprendre cela en son sens naturel: mais tant y a qu'apres qu'il aura tout consideré, il faudra qu'il resiste à ceste tentation. Voila donc en somme ce qui est ici couché.

Or maintenant nous avons bien à observer et à retenir ce que Iob declare ici touchant la creation des hommes, et touchant ceste grace de Dieu par laquelle ils sont maintenus en leur estat. Pour un Item donc, quand il dit, Que Dieu nous a formez comme d'argille, et qu'il faut que nous soyons reduits en poudre, quand il aura retiré sa grace qu'il avoit espandue sur nous, cela nous doit instruire

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à humilité. Car nous voyons comme les hommes se prisent, qu'un chacun voudroit estre eslevé par dessus les nues. Et pourquoy? Qui bien se cognoist peu se prise (comme on dit) mais les hommes ferment les yeux, et se mettent en oubli, et ne veulent point regarder que c'est d'eux, ne quelle est leur condition, afin qu'ils se puissent priser. C'est merveilles que nous aimons ainsi de nous tromper: et cela se fait neantmoins. D'autant plus nous faut-il noter ceste doctrine, laquelle nous ramene là où nous ne voulons point venir de nostre bon gré: c'est que nous cognoissions, que Dieu nous a prins de fange et de bouë. Voila que c'est de nous. Que les hommes s'aillent vanter, pour dire, qu'ils ayent quelque dignité et vertu, si faut-il on la fin qu'ils cognoissent que ce n'est que fange, que ce n'est que bouë. Et puis cela ne nous sert-il point pour nous humilier? Il faut aussi que nous retournions encores en cest ` estat - la, non pas que Dieu nous y laisse (car nous avons l'esperance de la resurrection) mais ie parle maintenant de ce qui est en nostre nature: que tout cela est comme un bastiment de bouë, ce que nous avons digne d'estre prisé en nostre corps. Si nous avons maintenant quelque vigueur: et bien, c'est comme la verdure d'une herbe, ainsi qu'il en est parlé au Prophete Isaye (40, 6. 7). Nous florissons, mais c'est pour estre tantost flestris. Ainsi donc si nous n'avons regard qu'à l'ordre de nature, la mort aneantit tout ce qui est de dignité aux hommes, tellement que le tout retourne en bouë et en fange, et en terre. Puis qu'ainsi est donc, apprenons de souvent recorder ceste leçon, afin d'abaisser nos sourcils, et que nous ne soyons point enflez d'une vaine arrogance, comme nous en voyons la pluspart: mais que nous tenions de Dieu tout ce qui est en nous, et le tenans de luy, que nous luy en facions hommage, et non pas nous eslever. Car par cela nous monstrerions une ingratitude par trop vilaine, usurpans l'honneur qui appartient à Dieu usurpans ce en quoy nous n'avons rien. Ainsi donc, que ceci nous soit bien resolu: c'est de cognoistre d'où nous sommes venus, et où il nous faut retourner C'est une chose assez commune: mais d'autant que nous la prattiquons si mal, voila pourquoy l'Escriture saincte nous en parle souvent. Au reste de nostre costé aussi, que nous apprenions de considerer mieux que nous ne faisons pas la bonté de Dieu infinie envers nous: d'autant quo nous sommes ainsi pollus. Car si nous regardons la matiere dont les hommes sont faits, et là forme qui leur est donnee, et que nous facions comparaison l'un à l'autre, cela donnera tant plus grand lustre à ce que Dieu y a mis. Si Dieu nous avoit formez de la substance du soleil, ou des estoilles ou qu'il eust fait quelque matiere celeste dont les

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hommes fussent prins: et bien, nous aurions occasion de dire que nostre commencement est honorable: et par cela aussi la grace de Dieu seroit aucunement obscurcie: mais quand l'on se propose de la bouë, qui la regarde? Voila une chose qui est en opprobre: on ne daigne pas quasi à grand'' peine regarder do la fange. Si nous en avons quelque crotte mesmes au bout de la robbe, nous sommes polluez d'autant, si nous en avons aux mains nous ne pouvons pas porter cela, si nous en avons au visage, cela nous desplaist encores plus. Et qui sommes nous? nous sommes tous de fange, nous n'en avons pas seulement au pan de la robbe, ou au bout des talons, et en nos soulliers, mais nous en sommes tous pleins, nous ne sommes que fange et ordure et dedans et dehors. Et cependant toutesfois quand nous venons à regarder cest artifice admirable que Dieu a unis en nous (comme i'ay desia dit) en cela nous avons occasion de cognoistre tant mieux et tant plus clairement la bonté, la vertu, et la sagesse de Dieu. Voila donc comme les hommes en regardant d'où ils sont venus doivent baisser la teste, et s'aneantir du tout voyans quels ils sont, en quel estat et en quel degré d'honneur Dieu les a eslevez, ils doivent estre ravis en admiration, et magnifier Dieu, cognoissans qu'ils sont d'autant plus tenus à lui, de ce que les ayans prins d'une matiere tant mesprisee et contemptible, il y a mis toutesfois de sa grace si precieuse, si haute, et si noble qu'il faut que les hommes en despit de leurs dents cognoissent, Voici Dieu qui se declare tout à plein. Et ainsi toutes fois et quantes que nous pensons à nous, que ces deux choses nous vienent en memoire: c'est assavoir ceste matiere dont nous sommes prins, pour nous oster tout orgueil, pour nous despouiller de toute hautesse: et puis l'artifice, que Dieu a mis en nous, afin que nous cognoissions tant mieux combien nous luy sommes tenus et redevables: et qu'un chacun s'escrie, Helas! Seigneur, nous ne pouvons pas comprendre la centiesme partie des biens que tu nous as eslargis. Voila ce que nous avons à retenir en premier lieu.

Et sur cela aussi nous faut-il considerer ce qui est ici adiousté de Iob, quand il est dit, Tu m'as coulé comme du laict, tu m'as formé comme un fourmage en m'amassant, et tu m'as revestu de peau et d'os. Il est vray, que ce style ici de prime face semble assez estrange. Et comment? Ie S. Esprit n'avoit-il point des choses plus propres à dire ? n'avoit-il point un langage qui eust esté pour mieux exprimer que c'est de la creation des hommes? Voila des choses qui semblent ne respondre point, ny estre convenables à la maiesté de Dieu. Or ce n'est point sans cause que Iob a ainsi parlé. Car (comme desia nous avons declaré) il faut que

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les hommes soyent abaissez maugré qu'ils en ayent, ou ils seront tousiours eslevez en orgueil, tellement qu'ils no pourront iamais venir à ceste consideration, qui est toutesfois si necessaire, de penser, Qu'est-ce que Dieu a mis en nous? et qui serons-nous quand il aura retire sa grace, et quand nous serons separez d'avec luy? Iamais les hommes no pourront venir iusques là que par force. Et ainsi il faut que nous soyons amenez à ceste bouë, et à ceste fange de laquelle il est ici parle. Vray est que les subtils, c'est à dire, ceux qui cuident estre bien sages en leur cerveau, trouveront ici à repliquer, qu'il leur semblera que ce stile ne soit point tel comme ils desireroient. Car si on interrogue les philosophes, et bien ils parleront d'une autre façon: mais Dieu a cognu ce qui nous pouvoit mieux edifier. Car il n'est pas question ici de tenir escole de disputes subtiles: il n'est pas question de nous faire philosophes: mais il est question de nous apprendre combien nous sommes tenus à Dieu, de nous exercer en ces deux articles que i'ay touchez, c'est assavoir, Que nous ayons honte de nous, et de tout ce qui nous est propre: Que nous soyons confus en regardant que c'est de nostre nature. Et puis de l'autre costé, que nous soyons ravis, cognoissans la bonté, et la grace de Dieu, quand il nous a fait tels, que nous sommes d'un si beau et excellent artifice. Voila (di-ie) où il nous faut appliquer nostre estude, et non point s'enquerir par le menu et subtilement des causes, des raisons, et des moyens qui sont en la creation des hommes. Et comment? Nostre sens y pourra-il parvenir? Il est vray que quand les philosophes ont disputé de ces choses, ils ont dit qu'il faut que Dieu ait besongné extraordinairement en la creation de l'homme: car il n'y a nul propos que d'une chose si mesprisee en soy, il en ait tiré un ouvrage si parfait et si excellent, comme est le corps humain. Et combien que les philosophes diront bien qu'il faut commencer par corruption si on veut avoir quelque chose en nature. Tant y a que voila un beau commencement: il est tout contraire au sens humain. Il est vray: mais Dieu a voulu monstrer aux plus sages qu'ils seront confus en contémplant ses oeuvres. Neantmoins Dieu donne bien cependant aux philosophes do regarder et speculer beaucoup de choses, qui ne seront point apprinses du commun populaire et des idiots: mais ici Dieu ne nous a point voulu appeller en telle escole. Quoy donc? Il nous a voulu declarer ce qui nous estoit profitable pour nostre salut, c'est que nous cognoissions principalement que c'est de nous, de quelle matiere nous sommes formez: et puis quant à l'artifice qui y est, que nous contemplions la forme que Dieu nous a donnee pour le glorifier, afin que nous n'ayons nulle excuse, ne grands ne petis, ne les clercs, ne les ignorans et

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simples gens. Car si Dieu traitoit les choses par trop subtilement, les grans clercs cuideroyent qu'ils auroyent acquis une telle science par leur estude, ou par ce qu'ils auroyent esté plus sages. Or Dieu met ici les choses en tel sens qu'il ne faut pas beaucoup philosopher apres, où il ne faut point grandes speculations: tellement que les idiots ne peuvent dire, O ie n'ay point este à l'escole. Il ne faut point avoir ne lettres ne grand savoir pour comprendre ce qui est ici dit. Voila donc comme les grands clercs seront tant plus à condamner, s'ils n'apperçoivent point ce qui doit estre cognu des plus rudes: et ceux aussi qui n'ont point estudié n'auront nulle excuse pour se couvrir, d'autant que Dieu met ici ce qui nous doit estre cognu à tous.

Voila donc comme nous avons à prattiquer ce style dont use ici le S. Esprit par la bouche do Iob, quand il dit, Que Dieu a revestu I'homme de peau, et de chair, qu'il l'a composé d'os et de nerfs. C'est pour mieux exprimer ce qui avoit esté dit auparavant, c'est assavoir quelle distance il y a entre la matiere de la semence humaine, et ce que nous voyons au corps humain. Voila donc une semence qui n'est qu'ordure et corruption: et voila de la chair vive, voila la peau, voila les nerfs, voila les os. Regardons un peu quel artifice il y a seulement en la peau des hommes. Les Payens mesmes ont esté contraints de dire que ceux qui n'ont point cognu qu'il y a une deité souveraine, qu'ils en peuvent estre convaincus par un seul ongle de l'homme, qu'il ne faudroit point aller plus loin. Voila nos ongles qui sont comme une superfluité du corps, et toutesfois si nous regardons les ongles, nous verrons un artifice merveilleux en cela. Car ils servent pour pouvoir mettre les mains en oeuvre, pour les fortifier et pour savoir flechir les doigts, et pour tenir aussi ce qui est necessaire. Il est certain donc que l'ongle d'un homme, qui n'est qu'une superfluité, nous sera un miroir de la providence de Dieu: que par cela, nous pourrons cognoistre qu'il a tellement besongne en nous, qu'il est impossible que nous puissions cognoistre la centieme partie de l'artifice qu'il y a mis. Voila donc ce qui est ici exprimé: c'est qu'il y a une` grande distance entre la semence dont les hommes sont engendrez, et ce qu'on voit au corps humain. Mais encores le principal est en l'ame. Et voila pourquoy il dit, Tu m'as vestu. Or Iob signifie par cela, que le principal des hommes ne consiste point en ceste figure qu'on voit a l'oeil: mais en ce qu'il habite là dedans. Car qu'emporte ceste forme de parler, et qu'est-ce à dire, Tu m'as vestu? Il faut qu'il y ait un hoste qui soit logé en nos corps. Et qui est cest hoste-la? C'est l'ame. Ainsi donc nous voyons que la principale partie des hommes, c'est

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l'esprit que Dieu y a mis. Les corps ont un artifice tel et si excellent, qu'il faut que nous y soyons confus: que sera-ce donc de ce gui surmonte, et qui est beaucoup plus haut, et beaucoup plus digne? Voila les degrez que nous avons à tenir. Ainsi donc combien que ceste forme de parler soit rude et grossiere (selon que Dieu a voulu ici enseigner les plus idiots) tant y que nous y voyons encores des choses qui nous peuvent bien esmouvoir à y appliquer toute nostre estude, quand nous serions les plus subtils et aigus du monde.

Mais encores Iob exprime d'avantage, que c'est de l'excellence et dignité des ames, quand il dit, Tu m'as donné vie et grace, et ta visitation garde mon esprit. Quand il dit, tu m'as donné vie, en cela il monstre que ce ne seroit rien du corps (voire, combien qu'il y ait un artifice si beau que merveilles) s'il n'avoit vigueur qui fust infuse dedans. D'autant donc que Dieu nous a vivifiez, en cela il a desployé sa grande bonté, en cela nous le devons tant plus adorer, et cognoistre que nous sommes obligez a luy iusques au bout. Il est vrai que nous avons encores plus que la vie commune: mais quand il n'y auroit sinon ce mouvement, c'est desia beaucoup. Contemplons les bestes brutes: c'est grand cas de dire, Voila une beste qui sera sortie de semence, c'est à dire, de corruption: et combien qu'il n'y ait pas ce qui est aux hommes ie di selon le corps, si est-ce que Dieu y a mis ce mouvement. Nous voyons en la nourriture des bestes, que quand elles mangeront de l'herbe, cela sera converti en sang, en laict, et en chair: et puis quand les bestes auront vescu, elles nous nourrissent aussi bien. Quand nous contemplons toutes ces choses: voila desia ceste vie animale qu'on appelle, qui porte un tesmoignage excellent de la vertu et sagesse de Dieu: mais il y a beaucoup plus en la vie des hommes. Et voila pourquoy notamment Iob dit, que Dieu lui a donné vie et grace. Par cela il specifie, que la vie des hommes est coniointe avec intelligence et raison. Et voila pourquoi il est dit au premier chap. de S. Iean (v. 4), Que la vie estoit la clarté des hommes. Quand Iean a declaré que par la parole de Dieu toutes choses sont vivifiees, que ceste sagesse eternelle qui est en Dieu est la fontaine de vie et de vertu, il monstre que les hommes n'ont point seulement une vie pour boire et pour manger: mais il y a (dit-il) aussi une clarté qui leur reluist. Par ce mot de clarté il signifie, que l'image de Dieu est imprimee en nous, d'autant que nous avons intelligence et raison, que nous discernons entre le bien et le mal, que les hommes sont nais pour avoir quelque ordre, quelque police entre eux: qu'un chacun a sa conscience qui lui rend tesmoignage que cela est mauvais, que cela est bon. Voila donc un

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privilege que Dieu a donné aux hommes, c'est qu'il ne les a point seulement vivifiez: mais il a illuminé leurs ames tellement qu'ils iugent et discernent, mesmes ils apprehendent la vie eternelle. Quand donc nous penserons bien à ce qui est aux hommes, il est certain que nous en serons esbahis: mais il n'y a rien qui nous puisse plus estonner que ceste raison que Dieu a mise en nous. Car voila un homme qui oit des choses que iamais il n'a veuës, il les comprend en son esprit. Quand les hommes regardent aux choses à venir, et qu'ils les conferent avec les choses passees, ils mettent tout cela en memoire: et puis quand on lira ou qu'on dira quelques choses, encores iugent-ils par dessus. Voila donc une grace que Dieu a mise aux hommes qui ne se peut assez priser. Et ainsi apprenons de bien contempler ce que Dieu nous a donne: et nous aurons assez dequoy pour le magnifier, voire sans que nous ayons besoin de sortir de nous mesmes. Et voila pourquoy saint Paul aussi en ce beau sermon qu'il feit en la ville d'Athenes dit (Act. 17, 27. 28), qu'il n'est ià mestier quo les hommes aillent bien loin pour cognoistre Dieu: C'est en luy (dit-il) que nous sommes, que nous vivons, et que nous avons mouvement: et quand nous serions aveugles, allons seulement à tastons, que nous tastions des mains ainsi qu'un pauvre aveugle: car combien qu'il ne voye goutte, si est-ce qu'il taste, et apres cela il marche. Quand donc nous serions aveugles (dit S. Paul? encores pouvons-nous taster les oeuvres de Dieu, puis qu'il nous a donné sens et raison: tellement que nous sommes inexcusables, sinon que nous facions valoir ceste grace, de laquelle il est ici fait mention.

Or pour conclusion, nous avons aussi bien à noter ce que Iob met, Ta visitation, Seigneur, a conservé mon esprit. Iusques ici il avoit parlé de ce que nous pouvons voir en nostre creation. Quand chacun de nous est engendré, voila la bouë qui se monstre, c'est à dire, que nous sommes pleins d'infection et d'ordure. Et puis il y a cest artifice que Dieu y met quant au corps, et aussi quant à l'ame. Mais quoy? Si Dieu ne nous conservoit, il faudroit que nous perissions à chacune minute de temps: comme il est dit au Pseaume (104, 29. 30), Seigneur, quand tu espans ton Esprit, toutes choses sont renouvelees: et si tu le retires, elles s'en vont à neant et en decadence. Il faut donc que Dieu nous maintienne, qu'il nous visite et qu'il nous soit tousiours prochain: ou autrement nous sommes perdus. Voici un article qui merite bien d'estre poisé, de ceste visitation de Dieu qui garde nos esprits. Notamment il est parlé des esprits. Pourquoi ? S'il estoit dit, Seigneur, ta visitation garde mon corps, mon corps ne s'en va point du premier

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coup en pourriture. Et pourquoi? Pource que tu le maintiens par ta vertu. Si cela estoit dit, et bien ce seroit beaucoup: mais c'est plus sans comparaison, quand Iob parle de l'ame. Et pourquoy? Car il nous semble que nostre ame a ceste vertu en soy, de vivifier le corps, et luy donner vigueur. Or cela est bien vray en partie: mais il faut cognoistre la dessus que nos ames ne sont point immortelles de leur propre vertu, que leur vie n'est point là enclose, comme si elle y avoit sa racine. Où est-ce donc qu'est leur vie? En Dieu. Entant donc que Dieu met quelque goutte et quelque estincelle de vie en l'ame des hommes, voila comme il y a vigueur, et non autrement. Voila donc cc que nous avons à noter, quant à ce passage. Et mesmes en ce mot de Visitation escoutons ce que le sainct Esprit a voulu exprimer: c'est assavoir, que Dieu nous maintient continuellement, qu'il nous visite pour nous conserver, ou autrement que nous defaillons. Les philosophes diront bien que Dieu nous a créez et formez, que nous avons nostre estre de luy: mais il leur semblera cependant,

qu'apres qu'il nous aura mis en train, un chacun se conduit et se gouverne de soy-mesme. Voila comme ils obscurcissent la bonté de Dieu et sa vertu: et les hommes sont enclins à ceste malice-la D'autant plus donc nous faut il bien marquer ce mot de visitation: c'est à dire, que quand Dieu nous a mis en ce monde, il ne nous laisse point là pour dire, Cheminez comme chacun pourra: mais il demeure tousiours avec nous, il a sa main estendue pour inspirer tousiours sa vertu afin que nous no defaillions point. Il faut donc que nous apprenions de regler tellement nostre vie, que nous soyons tousiours comme en la presence de Dieu, puis qu'ainsi est que nous ne pouvons pas subsister, sinon qu'il ait tousiours l'oeil sur nous, et qu'il nous visite. Et que cela nous face cheminer en la crainte de Dieu, pour le magnifier et luy rendre la louange qui luy appartient, quand nous aurons cognu sa bonté infinie laquelle il monstre envers nous

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE QUARANTIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE X. CHAPITRE.

ce sermon est encores sur les versets 14 et 15 et sur le texte qui est ici adiousté

16. Qu'elle croisse, tu viendras comme un lion, et te monstreras merveilleux sur moy. 17. Tu renouvelleras tes playes contre moy, ton indignation croistra à l'entour de moy: le glaive du changement et multitude seront sur moy..

Nous vismes hier comme nous sommes conservez de Dieu en l'estat où il nous a mis: et que ce n'est pas assez qu'il nous ait creez pour un coup, qu'il nous ait donné vigueur, mais faut qu'il continue. Or si cela doit estre recognu quant à la vie presente: par plus forte raison il faut bien que Dieu ait la louange de ce qu'il luy a pleu nous renouveller par sa bonté infinie, qu'il a reparé son image en nous, et qu'il nous conduit comme par la main, iusques à tant que nous ayons achevé nostre course. Car il faut qu'il besongne là encores d'une plus grand' vertu, qu'en l'ordre de nature. Apprenons donc de magnifier les graces de Dieu telles que nous les sentons. Et au reste notons bien,

que si lob, ayant senti que Dieu luy avoit eslargi tant de biens, n'a pas laissé d'estre tellement angoissé, qu'il faut qu'il monstre des passions excessives: il noua en pourra advenir beaucoup plus, quand nous n'aurons i point medité, comme il appartient, la bonté de Dieu, et les graces qu'il nous distribue iournellement. Car c'est aussi le vray remede que nous avons declaré ci dessus, pour adoucir tous nos maux, de sentir combien Dieu nous est liberal, et quelles richesses de sa bonté il desploye sur nous. Quand nous aurons cela bien cognu, c'est pour remedier à toutes tentations, tellement que nous pourrons prendre courage pour l'invoquer quand nous serons quasi iusques aux enfers. Or Iob avoit bien cognu ces choses, neantmoins l'affliction ion est si grande et si horrible qu'elle domine par dessus. Pensons bien donc à nous, et notons que Dieu punira nostre ingratitude, quand nous n'aurons point prisé les biens qu'il nous fait iournellement: et qu'il ne faudra pas une grande

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affliction pour nous accabler: mais si tost que nous aurons senti quelque petit mal, nous serons esperdus. Et qu'ainsi soit, venons à ce que Iob adiouste Si i'ay peché tu m'emprisonneras (dit-il) et ne me laisseras point aller impuni. Comme s'il disoit Seigneur, tu me tiendras comme en langueur. Car il oppose la prison à une punition soudaine que Dieu pourroit faire, et laquelle luy seroit plus aisee à souffrir: ouy, comme il luy sembloit. Nous savons que les maux presens nous sont griefs à porter: celuy qui endure grand froid, voudroit estre bruslé de chaleur, et s'il a chaud, il desire le froid en extremité. Ainsi donc Iob estant pressé d'une telle violence de la main de Dieu, qu'il sembloit bien qu'il n'y eust nul espoir de salut, voudroit bien que Dieu l'eust fait mourir, et qu'il ne languist plus: comme un povre criminel qui sent desia sa condamnation, il voit qu'il ne peut eschapper et neantmoins on le laisse là, mesmes on lui renouvelle ses maux, qu'il sera mis à la torture, et puis il semble qu'on lui vueille faire de iour en iour nouveaux procez. Iob donc estant en tel estat se plaint que Dieu le persecute, et que du premier coup il le devroit oster du monde. Par ceci nous sommes admonnestez, quo si Dieu ne modere ses verges quand il nous veut corriger de nos fautes, ou bien quand il veut exercer nostre patience, nous sommes tellement abbatus, qu'au lieu de profiter sous ses corrections, nous ne ferons que tempester, ou qu'il n'y aura que troubles en nous et rebellions. Iob a esté patient, et toutesfois si est-ce qu'il n'a pas laisse de faire un grand bruit, comme s'il se vouloit rebecquer à l'encontre de Dieu. Or son infirmité le poussoit à cela, sinon que Dieu l'eust conservé par la grace de son sainct Esprit. Puis qu'ainsi est donc, notons que nous avons matiere de prier Dieu, que quand il nous voudra chastier, ou bien qu'il voudra esprouver nostre patience, il lui plaise d'user d'une telle douceur envers nous, que nous sachions principalement cognoistre sa main, et en faire nostre profit, et que nous ne soyons point transportez de nos passions trop excessives. Et au reste encores que Dieu permette que nous soyons agitez çà et là, et que nostre | chair nous transporte, que neantmoins il nous subvienne, et que nous ayons dequoy pour resister, que nous ne laschions point du tout la bride à nos affections Et cependant ne perdons point courage, quand nous sentirons en nous de tels troubles, | qu'il nous semblera que nous soyons là escarmouchez contre Dieu, qu'il sera impossible de retourner à lui, de nons renger en son obeyssance. Nous voyons ce qui est advenu à lob: invoquons donc celui qui nous peut remettre au dessus, quand nous serons abbatus. Voila ce que nous avons à noter de ce passage.

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Or venons maintenant au principal. .Si ie suis meschant (dit Iob) malheur sur moy: si ie suis iuste, encores ne leveray-ie point la teste, voyant mon affliction et estant saoulé d'opprobres. Iob continue ici le propos que nous avons desia exposé par ci devant. Car il considere que s'il est meschant, la Loy de Dieu le condamne: s'il est iuste, il y a encores une iustice par dessus, et en laquelle il faudra qu'il demeure confus. C'est une chose, laquelle n'est point assez cognue que ceste-ci: et ne s'en faut point esbahir. Car combien que Dieu nons ait declaré en sa Loy que nous sommes tous damnez, et que la chose soit manifeste, encores à grand' peine en trouvera-on de cent l'un qui vienne là. Et pourquoy? L'hypocrisie nous empesche et nous bande les yeux, voire nous aveugle du tout tellement que nous ne cognoissons pas ce qui nous doit estre tout notoire et familier. Voila sainct Paul qui confesse, combien qu'il eust esté enseigné dés son enfance en la Loy de Dieu, et qu'il fust du reng et de la compagnie des docteurs en grande reputation: toutesfois qu'il n'a point entendu que la Loy de Dieu vouloit dire, et s'est flatté, qu'il estoit enflé d'orgueil cuidant estre iuste. Ie vivoye (dit-il [Rom. 7, 917)) c'est à dire qu'il pensoit estre iuste devant Dieu, et se plaisoit en ses merites Et pourquoy? Et d'autant que ceste vertu n'estoit point entrée en son coeur, pour dire, que Dieu nous a donné sa Loy, en laquelle il veut qu'un chacun se mire, et que nous sachions tous qu'il n'y a qu'iniquité en nous, et que nous demourions là confus. Sainct Paul n'estoit point parvenu iusques là. Si un homme qui estoit enseigné en la Loy de Dieu, et qui mesmes estoit irreprehensible, a esté toutesfois esblouy d'orgueil: que sera-ce de nous? Que sera-ce de ceux ausquels il ne chaut gueres de penser à Dieu, ne à sa parole, qui sont confits en leurs vices, et qui menent une vie dissolue, ou bien de ceux qui se glorifient sans savoir pourquoi ? Comme nous voyons auiourd'huy ces moines, et ces caphards, et toute ceste prestraille de la Papauté: comme nous voyons ces bigots et ces bigotes, qui auront leurs belles devotions: et cependant les uns seront paillards, les autres yvrongnes, les autres pleins de cruauté, les autres pleins de trahison, et d'envie. Ainsi donc ils ne laissent pas de se tenir pour iustes, et ont leurs merites à revendre pour en departir aux autres. Il ne nous faut point donc trouver cela estrange veu que sainct Paul en a esté abusé. Et en cela voit-on comme l'hypocrisie est si lourde aux hommes qu'il se faut plustost esbahir, comme Dieu est si patient de les supporter si long temps comme il fait. Or si ceste condamnation que Dieu nous declare en sa Loy nous est incognue, comment est-ce que nous apprehenderons une iustice plus

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haute et plus estrange que ceste-la? Quand il nous est dit, Tu aimeras Dieu de tout ton coeur, et de tout ton sens, et de toutes tes forces, et ton prochain comme toy-mesme: il n'y a celuy qui ne confesse que c'est bien raison que nous observions ceste regle. Car nature mesme nous enseigne à cela, que nous sommes creez afin de nourrir ceste communauté que Dieu a mise au genre humain.

Voila donc les choses qui devroyent estre communes iusques aux petits enfans. Or venons faire comparaison de nostre vie avec ce que Dieu a commandé en sa Loy, nous trouverons qu'un chacun est coulpable en son endroit: tant s'en faut que nous puissions accomplir tout ce que Dieu nous ordonne, que nous ne pourrons point venir à bout d'un seul article, voire iusques à penser de bien faire. Car nous ne sommes point suffisans d'avoir une seule bonne pensee, dit sainct Paul (2. Cor. 3, 5) et nous l'experimentons par trop. Ayans fait ceste comparaison, Si est-ce qu'encores demourons-nous stupides. Qui est-ce qui se sent navré d'une playe mortelle pour dire: Helas! il faut quo ie vienne devant Dieu, qu'il soit là mon Iuge, que ie ne puisse rien apporter 7 sinon une confession que ie suis plus que convaincu devant luy? Qui est celuy qui y pense ? Nul. Encores que les hommes n'ayent point commis un acte qui puisse estre condamné, ou qui soit reprehensible: si est-ce qu'ils ne laissent pas d'estre coulpables, quant à ce qui nous est dit, Tu ne convoiteras point. Dieu ne nous a point seulement defendu d'estre meurtriers, et larrons, et paillards, et blasphemateurs, et rebelles contre sa parole: mais il nous a defendu de ne point consentir an mal. Quiconques aura seulement en quelque regard impudique, le voila paillard devant Dieu: Quiconques aura maudit son frere, ou hay en cachette, le voila meurtrier: Quiconques souhaitte d'avoir du bien d'autruy, encores qu'il ne s'y efforce point, le voila desia larron. Et Dieu encores n'a point defendu seulement la volonté de mal faire, mais il passe plus outre. Car il a defendu la concupiscence, c'est à dire, quand nous serons chatouillez et incitez à quelque appetit mauvais, desia nous sommes transgresseurs de la Loy de Dieu. Or cela est mal cognu des hommes comme nous avons dit. Puis qu'ainsi est, que nous sommes tant stupides que de ne point regarder à nous, que la Loy nous est un miroir si clair et si patent pour nous contempler: ie vous prie, qui est-ce qui se pourra vanter d'estre si iuste, qu'il puisse accomplir tout ce qui est en la Loy, et que Dieu nous commande ? Ainsi il ne faut point trouver estrange, si les hommes ne se peuvent acquiter de cc qui est là contenu.

Or au reste pour bien faire nostre profit de ceste doctrine, il nous faut reduire en memoire, ce

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que nous avons desia declaré, c'est assavoir, que la Loi de Dieu nous est bien une regle parfaite de bien vivre et sainctement voire quant à nous. Notons donc que la iustice qui est contenue en la Loi sera bien nommee parfaite: oui, au regard des hommes, c'est à dire selon leur capacité et mesure. Mais ce n'est pas une iustice qui soit correspondante à celle de Dieu, ne qui y soit egale, il s'en faut beaucoup. Comme quoy ? Cela sera mieux cognu aux Anges. Voila les Anges qui n'ont point de Loy escrite, mais tant v a qu'ils se conforment à l'obéissance de Dieu. Et voila pourquoy nous disons aussi en nostre oraison, Ta volonté soit faite ainsi en la terre comme au ciel. Car il n'y a point de contredit, Dieu est là obei pleinement, il a son regne au ciel. Nous demandons donc d'estre conformez aux Anges: et cela nous doit bien suffire, car alors nous aurions une perfection telle qu'elle doit estre aux creatures. Voire, mais assavoir si les Anges ont une iustice qui se puisse egaler et accomparer à celle de Dieu? Il y a aussi longue distance, qu'entre le ciel et la terre. La iustice des Anges combien qu'elle soit parfaite au regard des creatures, si est-ce que ce n'est rien, ce n'est que fumee quand on voudra venir devant la maiesté infinie de Dieu. Notons bien donc que quand la Loy nous a esté donnee, ç'a bien esté une regle certaine de bien vivre: et quand nous pourrions faire et accomplir ce qui nous est là ordonné, alors

nous serions tonus et reputez pour iustes devant I Dieu en toute perfection, ouy bien, mais tant y a I encores que nous ne serions point iustes, pour dire qu'il y eust quelque dignité en nous, pour dire, que nous eussions rien merité devant luy. Et pourquoy ? C'est de pure grace quand il dit Qui fera ces choses il vivra en icelles. Car Dieu pourroit exiger de nous tout ce que bon luy semblera, et cependant nous ne pourrons iamais dire que nous ne luy soyons redevables. Car nous sommes siens, et s'il veut, encores n'acceptera - il point ce que nous luy apporterons,

i combien que nous le tenions tant iuste que rien | plus, et qu'il nous semble qu'il D'y ait que redire: Dieu ne daignera pas le regarder d'un bon oeil s'il ne veut, c'est à dire, qu'il ne soit esmeu de sa pure grace et libéralité à ce faire. Nous voyons

I donc maintenant, comme il y a double iustice en Dieu, l'une c'est celle qui nous est manifestee en la Loy, de laquelle Dieu se contente, pource qu'il

I luy plaist ainsi: il y a une autre iustice cachee I qui surmonte tous sens et apprehensions des creatures. Suivant cela lob dit ici, Quand ie seray I meschant malheur sur moy. Et pourquoy ? Car il est dit, Maudit sera celuy qui ne fera pas toutes les choses qui sont contenues en cc livre: Maudit sera celuy i qui n'adorera point Dieu: Maudit sera

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celuy qui violera les sabbats: Maudit sera celuy qui n'honorera pere et mere: Maudit sera celuy qui desrobera ou ravira la substance d'autruy: Maudit sera celui qui tuera, ou fera nuisance à son prochain: et il faut que tout le peuple responde, Amen, c'est à dire, que nous soyons tons là pour confesser, que nous avons bien merité que Dieu nous maudisse et nous reiette. Car combien que la Loy ne fust pas possible escripte du temps de Iob (comme nous n'en savons rien) si est-ce que desia ce tesmoignage estoit engravé aux coeurs des hommes. Voila donc pourquoy il dit, qu'il est malheureux quand il sera trouvé meschant, c'est à dire quand il aura contrevenu à la volonté de Dieu, et aura mené une vie dissolue.

Or il adiouste en second lien, Encores que ie fusse iuste, si ne leverai-ie point la teste. Et pourquoy ? Voyant (dit - il) mon affliction, estant soulé d'opprobres. En quoy il signifie, que quand Dieu augmentera l'affliction qu'il luy envoye, c'est d'autant qu'il a droit souverain sur les hommes: et combien qu'ils soyent iustes, encores peut-il exercer une rigueur sur eux , qui pourra estre trouvee estrange: mais quoy qu'il on soit, les hommes no gaigneront rien à se rebecquer, ils auront beau plaider et amener cecy et cela: mais si faudra-il qu'ils demourent confus, et que Dieu soit le maistre. Pour ceste cause Iob dit qu'encores ne levera-il point la teste, quand il sera trouvé iuste. Or cependant on pourroit icy faire une question' comment c'est que Iob entend qu'il fust trouvé iuste, car il est impossible, il se cognoist mal s'il s'est voulu attribuer une perfection qui fust un vrai accomplissement de la Loy de Dieu. Et pourquoy? Comme desia nous avons dit, si les hommes demourent en leur nature, tant s'en faut qu'ils s'acquitent de leur devoir envers Dieu, ou d'une partie, qu'on ne trouvera que rebellion en eux: comme sainct Paul dit (Rom. 8, 7): Que les affections de nostre chair sont autant d'inimitiez contre Dieu. Suivons-nous donc nostre naturel? Nous allons tout au rebours de la volonté de Dieu, nous n'avons point une seule pensee qui ne soit meschante et à condamner. Et ainsi iusques à tant que Dieu nous ait tendu la main, iamais nous ne viendrons à luy. Or a-il commencé de nous faire grace ? C'est en quelque portion: et alors il est vray que nous aspirons à luy, d'autant qu'il noue y attire, d'autant qu'il nous y conduit: mais si est-ce que nous n'y venons point comme il seroit requis. Car nous aurons quelque affection bonne, mais elle sera debile, nous clocherons en faisant beaucoup de faux pas, nous tomberons, nous serons esgarez souvent du droit chemin. Voila donc comme les hommes en sont. Or venons au plus grand degré qui soit de ceste iustice. Prenons on Abraham

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ou les sainct Peres, qui ont cheminé en telle perfection qu'ils estoyent comme Anges: ceux-la assavoir s'ils ont accompli la Loy? Nenny, il n'y a celuy qui ne se trouve coulpable, quand sa vie sera examinee devant Dieu. Et comment donc est-ce que Iob dit icy, que s'il est iuste encores ne levera - il point la teste ? Il est vray que Dieu repute bien pour iustes ceux qui ne le sont pas, c'est à dire, quand il nous a fait la grace de cheminer selon sa volonté, combien qu'il y ait des vices en nous, et bien, il ne regarde point là, et ne veut point nous tenir la rigueur. Si nous n'avons en tout et par tout fait nostre devoir, il ne nous, reiette pas, mais il nous supporte en nos infirmitez, il allouë ce qui n'est pas bon en nous et le tient pour bon.

Voila donc comme Dieu en use envers ses fideles: mais Iob a icy parlé d'une chose impossible, comme s'il disoit, Il est vrai que ie ne suis pas si iuste que ie me vienne presenter devant Dieu pour dire, Contons, et que ma vie soit bien esprouvee, et on trouvera que ie n'ay en rien offensé, quo depuis un bout iusques à l'autre ie me suis pleinement acquité: cela seroit impossible: mais encores que i'eusse accompli la Loy, si est-ce que ie n'oserai point lever la teste. Et pourquoi? Ie voy ici mon affliction, ie suis soulé d'opprobres: comme s'il disoit, Dieu exerce une telle maistrise sur moy, que ie no say quo ie doy devenir: si ie replique, ie n'y gagnerai rien. En cela Iob monstre sa passion, Car il devoit confesser, Bien, Dieu est iuste, et non seulement sa Loy me servira d'une bride, mais ie cognoy qu'il y a une iustice plus haute, que celle qui nous est cognue par sa volonté, et par le tesmoignage qu'il nous donne du bien et du mal pour regler nostre vie. Ie cognoy donc que Dieu a une iustice plus haute que celle-la: et ainsi il faut que ie m'humilie sous luy. Iob devoit ainsi parler, mais il monstre que c'est quasi par contrainte qu'il cognoist qu'il y a une iustice on Dieu plus haute que la Loy. Car il dit, Ie voy mon affliction, ie suis soulé d'opprobres, ainsi donc ie ne sonnerai mot. Si cela est advenu à un tel personnage, que sera-ce de nous? Exerçons nous donc à bien considerer la vraye iustice de Dieu, laquelle nous est incomprehensible, et que nous l'adorions en tous ses secrets: que nous ne concevions point ce qui est en luy selon nostre sens, car nous voyons nostre petitesse. Et en somme que nous faut-il faire? Il est vrai que pour nous condamner tous, il ne faut point que nous venions iusques là de dire, Dieu a une iustice, laquelle ne se comprend point par les creatures, et à laquelle le sens humain ne peut atteindre. Nous n'avons que faire de cela pour nous condamner, car la Loy nous suffira: comme desia il a esté demonstré. Toutes

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fois et quantes donc qu'un homme aura cest orgueil, de cuider qu'il pourra estre maintenu devant Dieu en ses propres oeuvres: qu'il pense bien à sa vie, et qu'il regarde à la Loy de Dieu. Car il n'est point question de dire, Nous sommes iustes, pource qu'il nous le semble, pource qu'on nous trouve tels et qu'on nous approuve. Nenni: mais il faut que l'examen soit fait selon la Loy de Dieu. Quand tout le monde nous aura canonizez, si est-ce que nous n'aurons rien gagné, si le Iuge celeste nous condamne. Car Dieu ne veut point que nous allions ailleurs qu'à sa Loy, il no veut point decliner ne çà ne là. Et ainsi toutes fois et quantes, que nous serons tentez, ou d'orgueil ou d'hypocrisie, advisons ce que la Loy nous dit, et nous trouverons une telle confusion en nous et si horrible, qu'il ne nous restera sinon la mort eternelle.

Voila comme il nous faut pratiquer ceste doctrine: Malheur sur nous si nous sommes meschans. Car il ne nous faudra pas venir alors au second article, Que si nous sommes iustes que nous n'oserons lever la teste. Et pourquoy? Car où se trouvera celuy qui sera iuste? Et au reste notons bien que quand nous serons iustes, c'est à dire que nous ne serons point du tout meschans, et desbordez: toute la iustice qui sera en nous est une acception gratuite et liberale. Comme quoy? Il est vray que les fideles sont appellez iustes, non seulement d'autant que Dieu leur pardonne leurs fautes, et qu'il les reçoit à merci, mais pource aussi que leur vie luy est agreable. Il est dit, que Simeon a esté homme iuste, Zacharie, et Elisabeth sa femme ont esté iustes. Et pourquoy ? D'autant qu'ils ont cheminé selon la Loy de Dieu, et ses commandemens Cela est dit aussi bien des saincts Patriarches. Voire, mais notons que c'est d'autant que Dieu les a receus par sa bonté gratuite, ne leur imputant point leurs pechez. Quand nous disons que ]es hommes Sont iustifiez par foy: c'est d'autant que Dieu leur pardonne leurs fautes, et qu'il les quitte au nom de nostre Seigneur Iesus Christ. Ainsi en faut-il entendre, que nous sommes iustes en nos oeuvres, d'autant que Dieu nous accepte. Car nos oeuvres meritent tousiours d'estre reiettees de luy. Ie ne parle point des oeuvres que feront les hommes de leur propre vertu, car il n'y a là que toute vilenie et rebellion. Hais encores quand un homme sera gouverné par l'Esprit de Dieu, et qu'il chemine on bonnes oeuvres par la grace d'iceluy: si est-ce que toutes les bonnes oeuvres qu'il fait sont imparfaites, et Dieu les peut repousser: tant s'en faut qu'il y ait dignité ou merite (comme les Papistes imaginent) qu'il n'y a qu'infection. Voire, mais Dieu les reçoit: Ouy, comme un pere recevra ce qui procede de son enfant, encores qu'il no vaille rien. Ainsi donc quand nous

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serons iustes, c'est à dire, encores que nous eussions quelque apparence de iustice notons bien que cela ne merite pas d'estre reputé devant Dieu. Et pourquoy? D'autant qu'il est escrit, Maudit sera celuy qui n'aura accompli toutes ces choses. Or il n'y a nul qui en accomplisse une seule: ie di accomplisse d'une affection pure et entiere. Il s'ensuit donc que Dieu nous peut tous condamner. Et ainsi il faut que nous baissions la teste, ouy, sans outrepasser les limites do la Loy: et toutesfois cela n'est encores rien si nous venons à ceste iustice de Dieu qui nous est incomprehensible. Prenons le cas qu'un homme s'acquitast comme il appartient: quo cera-ce do luy? Peut-il encores plaider contre Dieu? Nenni: il faut qu'il demoure là court. Et pourquoi? Car Dieu no nous doit rien. Voire, mais il a promis, Qui fera ces choses, il vivra on icelles. Ouy: mais cognoissons qu'il l'a promis de ceste libéralité. Nous voyons ce que nous dit nostre Seigneur Iesus Christ (Luc. 17, 7): Quand un serviteur aura fait tout cc qu'il peut pour son maistre: il parle des Serviteurs qui estoyent do ce temps - la, c'est à dire esclaves, qui estoyent en servitude, à vendre et changer. Si un serf donc a fait tout ce qu'il peut pour son maistre, assavoir si son maistre se levera de la table, pour dire, ie te veux servir à mon tour Nenni. Car c'est l'office du serviteur de servir son maistre, et non pas quo le maistre s'assuiettisse au serviteur, ni qu'il lui soit oblige on rien. Ainsi (dit-il) quand vous aurez fait tout ce qui vous est commande, sachez que vous estes encores serviteurs inutiles. Or Iesus Christ parlant ainsi, n'entend pas qu'un homme mortel se trouvera iamais, ou se puisse trouver qui ait fait tout ce quo Dieu commande, mais il prend le cas qu'ainsi fust. Ainsi nous en faut-il faire. Prenons le cas, qu'un homme eust observé la Loy: si faut-il qu'il adore Dieu avec tout humilité, disant, Helas ? Seigneur, ie veux encores me renger sous ta main, sachant bien quo tout ce que i'ay fait est de toy, qu'il ne peut sortir do moy une seule goutte do bien. Et encores quo tu m'acceptes, ce n'est point que ie soye digne, no que ie l'aye merité: mais c'est do ta pure liberalité. Voila comme il nous en faut faire. Au reste gardons-nous bien de ceste passion excessive, qui a este en Iob. Il nous faut bien apprehender ceste iustice souveraine do Dieu en telle sorte que i'ay dit: mais c'est afin que nous soyons tant plus induits à humilité, et non pas pour dire, Si ie suis iuste, encores no leveray-ie point la teste, voyant mon affliction. Car il est certain que Dieu nous tiendra ce qu'il a promis: voire, quand il a dit, Qui fora ces choses il vivra on icelles. Et bien si nous sommes si habiles que nous puissions accomplir toute la Loy: sachons que Dieu a son loyer

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tout prest pour nous remunerer. Il ne faut point donc que nous disions comme Iob, Que voyans nostre opprobre, voyana qu'il nous afflige, nous sommes confus d'une puissance, qui nous est incognue. Et combien qu'elle soit exorbitante, que nous n'oserons point murmurer à l'encontre, pource que nous n'y gagnerons` rien. Nenni, ne soyons point transportez iusques là: mais sachons quo Dieu n'afflige iamais les siens qu'il n'ait iuste raison, voire combien qu'il n'ait point esgard à leurs pechez comme Iob, il est certain qu'il est affligé non point comme un meschant. Il est vray que Dieu avoit inste occasion de le punir encores cent fois plus: mais si est-ce que Dieu n'a point eu ce regard ni ceste intention. Quoy donc? Il a voulu esprouver sa patience: il a voulu oster ceste calomnie de Satan qui disoit, Iob obeit à Dieu, pource qu'il est en prosperité: Dieu donc a voulu monstrer le contraire. Ainsi apprenons, quand nous parlerons de la iustice souveraine de Dieu, d'en parler non point pour cuider qu'il nous presse outre mesure, et pour nous eslever contre luy comme par force: mais que ce soit pour l'adorer en ses secrets admirables: voire tellement que nous ayons cependant tousiours cela resolu en nons, Helas! il ne faut point que nons alleguions, Si i'estoye inste encores n'oserai-ie lever la teste: car nous avons bien à baisser la teste tousiours. Et pourquoi? Car encores que Dieu ne se mette point en son throsne pour nous condamner, nous avons nostre ie là dedans: chacun ne se pent-il pas condamner? Chacun n'a-il pas ceste raison pour sentir qu'il est plus que coulpable? Advisons donc qu'il ne faut point qu'il y ait d'autre condamnation, que ce qui est contenu en la Loy, qui doit estre familier et à petis et à grands.

Or quand Iob a parlé ainsi, il adiouste, Qu'il voudroit bien que son mal creust. Voire, mais quoy? Encores qu'il crosse (dit-il) tu vendras à moy comme un lion, et te monstreras merveilleux contre moy. Ici Iob traite comme auparavant de ces iugements secrets de Dieu, lesquels l'homme ne peut comprendre: la raison est, pource que cela outrepasse son sens et son esprit. Voila pourquoy il appelle Dieu Merveilleux. Il est vray que desia nous trouverons la Loy de Dieu estrange, pource qu'elle nous resveille outre nostre phantasie. Et nous voyons aussi que les plus sages quand ils parleront d'integrité et perfection, ils ne viendront pas à la rigueur de la Loy de Dieu. Et ainsi quand Dieu nous enseigne par sa parole, desia cela est par dessus nostre mesure: mais quand nous avons esté enseignez, et que nous cognoissons comme il en va, si est-ce que nous sommes conveincus qu'il est ainsi. Si Dieu nous a lasché la bride sur le col, que nous n'ayons point esté à son escole, pour

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apprendre de la Loy que c'est de la volonté de Dieu, nous serons la comme bestes brutes à demi: mais si est-ce que quand nous avons cognu, Tu aimeras Dieu de tout ton coeur, de tout ton sens, et de toutes tes forces: Tu aimeras ton prochain comme toy-mesme: alors nons voyons que Dieu ne demande rien que nous ne luy devions. Et pourquoy? Car nous sommes-siens, et n'avons rien que nous n'ayons receu de luy. Voila (di-ie) comment nous ne trouverons rien estrange, quand nous aurons rapporté le tout ceste parole de Dieu: ains nous trouverons qu'il n'y a que raison et equité en tout ce qu'il fait. Mais quand nous viendrons à ceste iustice qui est incognue, pour dire, Encores que nous eussions tout accompli, si est-ce que nous n'aurons rien fait au regard de ceste iustice de Dieu, cela nous est encore plus estrange en sorte que nous ne savons que dire que tous nos sens defaillent, qu'ils sont là esblouys. C'est ce que Iob a entendu, disant, Tu te monstreras merveilleux contre moy.

Or combien que Dieu soit merveilleux en ses iugemens admirables, si faut-il que les hommes fideles apprenent à ne point trouver cela estrange. Comme quoy? Prenons l'exemple en l'election de Dieu, en sa providence, et en tout ce qu'il fait par dessus nostre sens. Car voila une partie des secrets qui nous sont comme un abysme. Dieu eslit les hommes qu'il veut amener à salut, il reprouve les autres. Il nous trouve tous semblables, tellement qu'il ne faut point que nul se vante d'estre meilleur que ses prochains. Et pourquoy donc est-ce que nous sommes ainsi separez? De dire que Dieu choisit les uns pour les faire heritiers de son royaume: et reprouve les autres pour les faire aller en perdition: qui est cause de cela sinon que c'est sa volonté? Or de prime face nous trouverons cela fort estrange. Comment? que nous soyons tous creatures de Dieu, qu'il n'y ait rien qui nous discerne, quant à nous: que l'un ne soit point plus advancé que l'autre: et cependant que Dieu ait pitié de ceux que bon luy semble, et que les autres soyent là delaissez de luy? Y a-il propos? Voila donc comme les hommes seront incitez de murmurer contre Dieu. Or il faut bien que cela nous soit admirable: car s'il ne nous estoit admirable, tousiours nous aurions no' esprits entortillez en beaucoup de questions, et en la fin nous desgorgerions des blasphemes: comme noue voyons ces mutins qui plaident tousiours, et font leurs discours phantastiques: pource que Dieu ne besongne point a leurs guises, ils le voudront condamner. Il faut donc que ceste election de Dieu, quand on nous en parle, nous soit un acte merveilleux, et que nous en soyons estonnez. Et pourquoy? Afin d'estre induits à l'adorer. pour dire.

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Helas!, nous ne pouvons pas parvenir à des secrets si hauts pour entrer en ton conseil estroit, et savoir ce qui est là enclos: mais il faut que nous adorions ce qui nous est maintenant incognu. Il faut donc que nous confessions que tu es iuste et bon: et encores que la raison ne nous soit point patente. Quand nous serons là. venus, alors nous n'aurons point une temerité volage pour iuger des secrets de Dieu à nostre phantesie: mais nous en ferons comme nous voyons qu'en ont fait les fideles de tous temps. Il est vrai que quand ils disputent de l'election de Dieu, c'est avec sobrieté et modestie, et s'escrient avec sainct Paul (Rom. 11, 33), tes iugemens admirables! ils sont là ravis, ils ne s'enquierent point subtilement de ceci et de cela: mais ils cognoissent, Et bien nous entendons maintenant en partie ce que Dieu fait, mais c'est attendant le iour que le tout nous soit revelé. Voila comme les fideles ont tousiours dispute de l'election, et ne se sont point esgarez pour s'enquerir subtilement des choses. Vray est qu'ils ont bien trouvé cela estrange, et il leur a esté admirable: mais ça esté, afin de rendre à Dieu l'honneur qui lui appartient, cognoissans quo ses oeuvres sont trop hautes pour presumer d'atteindre iusques là: et en ce faisant ils sont demourez paisibles, ils ont esté ravis en admiration: ces actes de Dieu leur ont esté admirables, et si ils ne leur ont point esté admirables, ils leur ont esté admirables, d'autant qu'ils ont cognu qu'il y a la, des secrets qui surmontent toute capacité de l'entendement humain: et puis il ne leur ont point esté admirables, d'autant qu'en leur election ils ont cognu la bonté et misericorde de Dieu, en ce qu'il les a choisis à Salut, les appellant à soy, et qu'il a reprouvé les autres. Voila ce que nous voyons en l'election de Dieu. Autant en est-il de sa providence. Il est dit que Dieu dispose toutes choses en ce monde. Et bien, est-il possible que quand il se meine des guerres, Dieu les suscite? Que Dieu conduise ceux qui sont agitez de passions enragees: comme nous voyons les princes, qui sont pleins d'ambition, ou avarice, qui espandent le sang, qui pillent, qui ravissent, tellement qu'il y a une confusion infernale, et que ceux qui les vont servir là ne font nulle conscience ne scrupule de tuer, de violer, de piller? Voila donc les hommes qui sont comme bestes sauvages, et pires encores. Et que Dieu use de tels instruments? Et comment cela se peut - il faire ? Apres, nous voyons que l'Eglise mesme est tourmentee: voila les persecutions qui se dressent: et qui est-ce qui les suscite? Apres nous voyons que la doctrine de l'Evangile sera comme ruinee par la tyrannie des meschans, que les mensonges regneront au lieu de la verité. Et qui est-ce qui fait de tels troubles? C'est une iuste vengeance

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de Dieu. Nous ne verrons point la raison pourquoy, nous ne verrons point comment, et en quelle sorte il besongne: mais il faut que nous appercevions sa main par foy. Cela nous est estrange, et aussi il faut qu'il soit ainsi, afin de nous humilier: Mais quand nous aurons esté enseignez en la parole de Dieu, encores que nous ne cognoissions pas la raison de ses oeuvres, si est-ce que noue serons accoustumez à le magnifier, sachans qu'il ne fait rien sans iuste occasion.

Voila donc comme nous avons à pratiquer ce passage, là où il est dit, Tu te monstreras merveilleux contre moy. Or Iob a excedé mesure: il est certain, il monstre icy qu'il estoit tenté d'une passion enorme. Car il dit, Tu te monstreras merveilleux: il declare et confesse que de sou costé il estoit tout esperdu, qu'il trouve estrange que Dieu l'afflige ainsi. Or il ne faut point qu'il nous soit merveilleux en telle sorte. Il est vrai quand nous appercevons les merveilles et les sec rets de Dieu que nous pouvons bien estre esbahis pour dire Helas! Seigneur, nous voyons nostre debilité et rudesse, d'autant que nous trouvons estranges les oeuvres de tes mains. Mais quoy? tu nous esclaireras petit à petit, iusques à tant que nous soyons venus en ton Sanctuaire. Nous y avons maintenant un pied: il est vrai que nous ne sommes qu'au parvis, nous te voyons de loin: mais tu nous donneras une cognoissance plus familiere. Et pourtant qu'il ne nous face point mal, quo Dieu ait ainsi ces secrets qui surmontent nostre sens. Or cela encores nous estonne: car on pourroit alleguer, et comment? Et tout nostre bien et felicité consiste à cognoistre nostre Dieu, à cognoistre sa volonté? Ouy bien, entant qu'il nous est expedient. Mais notons que Dieu nous a donné une façon de le cognoistre qui nous et propre et convenable: il nous pourroit bien bailler une clarté entiere et parfaite auiourd'hui: mais il voit que cela ne nous est point utile: et pourtant il nous en donne quelque portion certaine, il s'accommode à nous. Et ainsi qu'il ne nous face point mal d'avoir maintenant par mesure ceste cognoissance de Dieu, comme elle nous est donnee en l'Escriture, attendans qu'il nous ait despouillez de ce corps mortel, qu'il ait mesmes du tout reformé nos ames, qu'elles ne soyent plus ainsi enveloppees de ce qui est de l'homme, et de la terre, et mesmes de ce qu'il y a des vices procedans du peché d'Adam.

Or Iob se declare quant et quant: et c'est pour la fin et conclusion, il declare (di-ie) en quoy Dieu s'est monstré merveilleux contre luy: c'est à savoir, d'autant qu'il renouvellera ses playes (dit-il) et qu'il viendra au changement. Il est vray que le mot Hebrieu de Playes emporte autant comme tesmoins: et non sans cause, car les playes que Dieu envoye

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aux hommes, sont comme les tesmoins qui sont produits contre eux, ce Sont autant d'examens que Dieu fait pour amener les choses en cognoissance. mais tant y a que lob parle ici des playes, et entend les chastiemens que Dieu luy avoit desia en voyez. Il dit d on c q u e cela estoit renouvellé, tellement qu'il v avoit des chastiemens nouveaux. Cecy est bien digne encores d'estre noté. Car combien que nous trouvions les oeuvres de Dieu estranges selon nostre esprit: toutesfois il n'y a rien qui nous soit plus difficile pour empescher que la iustice de Dieu ne soit cognue, que ceste tentation. Voila (di-ie) en quoy les hommes se trouvent plus empeschez. Il est vray, que toutes fois et quantes qu'on nous mettra un poinct de l'Escriture saincte en avant qui ne respond point à nostre phantasie, cela nous fasche: incontinent nous venons à repliquer contre Dieu: mais nous montrons nostre rebellion, sur tout quand nous sommes

frappez et batus de la main de Dieu, et nous ne pouvons venir iusques là de confesser que Dieu est iuste en tous ses chastiemens. Voila (di-ie) une chose à laquelle nons ne pouvons estre rengez. Et ainsi voila pourquoy Iob ayant parlé des merveilles de Dieu, adiouste, Tu redoubles tes playes contre moy. Or pource que ceste doctrine ne se peut pas despescher pour auiourd'hui tout au long, notons qu'il ne nous reste sinon de recourir à Dieu, le prians qu'il nous donne un tel goust de sa parole, que nous recevions paisiblement tout ce qui est là contenu. mais encores quand il lui plaira d'user de rigueur contre nous, qu'il modere tellement ses verges, que combien qu'il nous les face sentir, nous ne laissions pas de recourir à luy comme à nostre Pere, afin qu'il nous reçoive tousiours comme ses enfans.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE QUARANTE ET UNIÈME SERMON.

QUI EST LE IV. SUR LE 2. CHAPITRE.

18. Pourquoy m'as-tu tiré de la matrice? ie fusse expiré devant que nul oeil m'eust veu. 19. I'eusse esté comme si iamais n'eusse esté, on m'eust tiré du ventre au sepulchre. 20. La portion de mes iours ne finira-elle point bien tost? Qu'il se retire bien tost, à ce que ie reprenne mon haleine, 21. Devant que d'aller en la region obscure, en .obscurité de peste, dont on ne retourne point: 22. En la region obscure, où il n'y a que tenebres, et espesseur d'obscurité, où il n'y a que desordre, et quand il doit luire, il n'y a que tenebres.

Il nous doit souvenir de ce gui fut hier traitté, touchant le changement des playes de Dieu, ce est à savoir, quand Dieu afflige les hommes, qu'il a divers moyens pour ce faire: et quand il a usé d'une espece de correction, il en a une autre toute apprestee. Ne pensons point donc estre eschappez de sa main, quand il vous aura delivrez d'un mal: mais apprestons-nous iusques à tant qu'il lui plaise nous faire merci. Car voila le seul moyen pour nous mettre en repos, c'est que Dieu nous soit propice, autrement il nous fera sentir ce qui est contenu au cantique de Moyse (Deut. 32, 34), qu'il a diverses sortes de chastiemens en ses coffres, et en

ses thresors. Or cependant vous voyons que Iob estant pressé, demande que Dieu le face plustost mourir soudain. Desia nous avons veu ceste sentence: mais il conferme son propos, comme s'il disoit, Ce n'est point sans cause que i'ay un tel souhait, veu que lieu me persecute si asprement que ie n'ay relasche en aucune façon, mais que ie suis du tout confus. Or quand Iob dit, Pourguoy m'as-tu tiré hors de la matrice ? Il n'y a nulle doute qu'en .cela il ne peche. Car c'est une ingratitude aux: hommes, encores qu'ils soyent plus que miserables vivans ici bas, s'ils ne cognoissent que quand Dieu les a creez et formez, en cela ils sont plus que tenus à lui. Est-ce peu de chose, que Dieu nous ait mis en ce monde pour y regner, pour avoir la iouyssance de ses creatures, pour y porter son image, pour cognoistre qu'il est nostre Pere, et afin que nous le sentions tel par experience ? Devons-nous mespriser un tel honneur qu'il nous fait? Nous voyons donc que Iob ne doit pas estre excusé en tout et par tout, quand il desire d'avoir esté tiré au sepulchre de !a matrice, ou bien n'avoir point esté du tout nay. Vray est qu'il n'a point fait ceste conclusion pour s'y arrester pleinement, mais il declare les passions desquelles il a esté

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esmeu, combien qu'il n'y ait pas consenti. Or les docteurs de la Papauté disent que cela n'est point peché: mais c'est une grande bestise à eux. Ils diront que si un homme est solicité ou à vengeance, ou a larrecin, ou à choses semblables, en cela il ne peche point moyennant qu'il n'en face point un arrest, ou une conclusion en son coeur: mais plustost ils rapportent cela a vertu: pource qu'ils disent que ce sont tels combats, ausquels l'homme resiste. Il est vray qu'ils confessent bien que devant le Baptesme cela est peché: que si on prend un Turc ou un Payen qui soit tenté à mal-faire, que desia il est coulpable devant Dieu: mais ils disent que par le Baptesme toutes telles fautes sont effacees en nous, tellement que nous meritons plustost louange devant Dieu quand nous avons esté tentez sans y consentir: que d'estre tenus pour pecheurs et estimez avoir failli. Or comme i'ay desia touché, c'est une bestise par trop lourde. Car à qui est-ce' que Dieu a parlé quand il a dit, Qu'on l'aime de tout son coeur, et de toutes ses forces? N'est-ce pas aux Iuifs qui estoyent do son Eglise? Et auiourd'huy cela ne nous appartient-il point? N'est-ce pas une regle qui nous est commune? Si nous sommes tenus d'aimer Dieu de toutes nos forces, et de tous nos sens, et s'il est ainsi que les affections mauvaises dont nous sommes touchez, sont autant de repugnances et inimitiez à l'amour que nous devons à Dieu: il faut bien conclure que ce sont autant de pechez, ou ce ne seroit point peché de noue estre rebellez contre lui, et d'avoir transgressé ses commandemens. Voila donc une chose contre nature. Vray est que nos pechez ne nous sont point imputez: mais il ne s'ensuit pas que devant Dieu nous ne soyons dignes d'estre punis, n'estoit que par sa pure bonté il nous accepte. Cognoissons donc que quand nostre chair noue solicite a mal, encores qu'il n'y ait point d'arrest ny conclusion, desia Dieu nous pourroit punir à bon droit: mais par sa bonté gratuite il nous espargne, que cela ne vient point en conte Iob donc a failli . Et de nostre costé , cognoissons que Dieu nous pourroit appeller en iugement et à conte, quand nous aurons une tentation qui ne nous fera que passer, encores que nous en venions à bout, et que nous n'en soyons point vaincus, desia nous sommes esgarez, il faut confesser nostre coulpe: mais tant y a qu'il nous faut reposer sur ceste misericorde gratuite que Dieu nous fait, d'autant qu'il oublie` et ensevelit tout cela.

Or venons maintenant à ces propos de Iob. Il dit, pourquoy m'as-tu tiré de la matrice? Vray est que quand nous regardons la vie humaine, il faudra tousiours venir à ce proverbe qui est commun entre les Payens, au moins entre beaucoup, Qu'il seroit bon aux hommes de n'estre iamais nais: et

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le second bien est, d'estre bien tost abolis. Ceux qui ont conté les misères et calamités ausquelles nous sommes suiets vivans ici bas, ont pensé, Comment? Il vaudroit mieux que les hommes ne nasquissent point iamais. Car quel est le commencement de leur vie, sinon pat pleurs et gemissemens? Les petis enfans declarent devant que rien sentir, qu'il y a en nous un abysme de tant de povretez, que c'est une pitié, et une horreur: et puis avec l'asge les maux s'augmentent en nombre, et en quantité. Il vaudroit mieux donc que les hommes ne nasquissent iamais: et s'il faut qu'ils naissent il leur seroit bon d'estre bien tost expirez afin qu'ils n'eussent point affaire long chemin. Or ce propos en partie a quelque raison, mais il n'est pas sans ingratitude. Et pourquoy? Car combien qu'il y ait des miseres infinies dont les hommes sont accablez: si est-ce qu'il nous faut mettre en la balance cest honneur que Dieu nous fait, quand il nous constitue par dessus ses creatures, qu'il veut que nous dominions icy bas comme ses enfans, qu'il se fait sentir pere envers nous: et au reste qu'il ne nous met point en cc monde sinon pour tendre plus haut, c'est assavoir, à ceste vie celeste, de laquelle il nous donne quelque sentiment et apprehension. Quand cela sera bien cognu, il est certain que c'est pour surmonter toutes les miseres et afflictions qui peuvent advenir aux hommes en ce monde. Voila pourquoi i'ay dit, combien que ceste sentence sembleroit estre fondee sur quelque raison, Qu'il vaudroit mieux, que les hommes ne nasquissent iamais: qu'elle n'est pas toutesfois sans ingratitude. Car il ne faut point que nous mettions en oubli ce que Dieu nous donne, pour en faire comme une recompense. Tant y a que Iob revient la, qu'il voudroit n'estre iamais nay. Et pourquoy ? D'autant qu'il estoit en tel trouble, son esprit estoit si confus, qu'estant ainsi saisi et preoccupé de fascherie, il ne peut avoir ceste consideration que Dieu toutesfois l'a creé à son image, qu'il l'a tenu au monde comme l'un de ses enfans, qu'il lui a fait gouster la vie eternelle à laquelle les hommes sont conviez. Iob ne peut parvenir iusques là. Et pourquoy ? 80n esprit est tellement enserré en angoisse, qu'il ne regarde à rien sinon à son mal. Et ainsi notons bien que si les afflictions sont grandes, nous serons tousiours suiets à ce vice, lequel Iob confesse avoir esté en luy: c'est que nous oublions les graces de Dieu: et encores combien qu'elles nous soyent mises au devant, nous n'y prendrons ne goust ny saveur: cela ne nous touchera point, afin de nous resiouyr, ou bien de nous adoucir nostre tristesse, tellement que nous puissions respirer, pour dire, Et Seigneur, combien que ie soye batu de ta main, et que ce me soit un fardeau si pesant que ie n'en puisse plus, neant

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moins ie considere d'autre costé, que tu m'as osté si bon que ie t'ay senti un Pere si pitoyable: cela me resiouyt et me console. Voila donc ce que nous avons à observer en premier lieu, c'est que nous cognoissions que ce vice est de nature enraciné en nous: et que si ce n'est que Dieu nous secoure, et qu'il nous donne ceste consolation-la, qui soit pour adoucir nos afflictions, il ne faudra rien pour nous mettre en telle contusion, qu'il n'y aura que desespoir en nous, et que nous voudrions n'avoir iamais esté nais.

Or Iob adiouste, Ou bien que i'eusse esté au ventre de ma mere tiré au sepulchre, et que i'eusse esté comme n'ayant iamais esté. C'est la seconde partie de ce proverbe que nous avons dit avoir esté en usage entre les incredules: Que si les hommes sont nais, il leur seroit bon d'estre bien tost retirez de ceste vie, et estre abolis. lais comme i'ay desia touché, c'est mal regardé à cest honneur que Dieu nous fait, quand il nous donne une telle dignité et préeminence par dessus toutes ses creatures. Et quand il n'y auroit que cela, qu'il nous met comme au reng de ses enfans et heritiers, ne voila point un privilege inestimable, qui doit bien appaiser toutes les afflictions qui nous pourroyent advenir? mesmes regardons à quel propos Dieu veut que nous vivions en ce monde. Car si nous mourons en nostre enfance, nous n'avons n'intelligence ne raison: mais avec l'asge nous apprenons ce qui nous estoit incognu: c'est que Dieu nous a formez à son image, qu'il nous a donné intelligence pour savoir que nous n'avons pas seulement à passer par icy bas: mais qu'il y a une vie permanente au ciel, que c'est là où Dieu nous appelle. Or si nous sommes retirez de ce monde, comme Si iamais nous n'avions esté, nous sommes frustrez d'un tel bien, c'est de ceste cognoissance que Dieu nous veut estre Sauveur eternel et que desia il nous donne quelque signe de son amour cependant que nous sommes en ce pelerinage terrien. Voila donc une ingratitude insupportable, quand les hommes voudroient avoir esté abolis, comme si iamais ils n'avoyent vescu. Or il ne faut point que nous pensions de la vie humaine simplement en soy: mais il faut regarder la fin où elle tend, c'est assavoir que nous soyons conduis à ceste esperance qui nous est encores cachee au ciel: combien que Dieu nous en donne icy quelque goust, voire entant que selon nostre rudesse nous le pouvons comprendre. Or il y a aussi à noter comment c'est que nous pouvons desirer la mort, et en quelle sorte nous devons non seulement estre patiens à vivre, mais nous resiouir, combien que nous vivions en langueur. Nous pouvons desirer la mort (comme il a esté declaré par cy devant) au regard de cc que nous ne cessons

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d'offenser Dieu, que nous sommes environnez de tant de corruptions que c'est pitié: nous pouvons bien gemir desirans que Dieu nous delivre d'une telle servitude, et non seulement cela nous est licite, mais nous le devons faire. Car si l'Esprit de Dieu nous gouverne, nous devons hayr le peché et tout mal. Or est-il ainsi que l'homme cependant qu'il est au monde ne cesse d'offenser Dieu. Ie di qu'on prenne les plus vertueux, il y aura tousiours à redire. Il faut donc qu'en hayssant le mal et Ie peché nous soyons faschez de nostre vie. Et pourquoy? D'autant qu'elle nous tient en captivité, et en ceste prison de tant d'infirmitez, qui sont contraires à la volonté de Dieu. Voila donc comme les fideles seront tousiours faschez de vivre et languir en ce monde, veu qu'ils ne peuvent servir pleinement à Dieu, comme ils le souhaitent. Or ie di que non seulement cela nous est licite, mais il nous est necessaire. Et nous voyons aussi que S. Paul ne dit pas qu'il a peu faire ainsi: mais il declare (Phil. 1,- 22 s.) que cela lui seroit beaucoup meilleur, que Dieu le retirast bien tost de ce monde, s'il n'avoit esgard qu'à soy. Et mesme quand il dit (Rom. 7, 24), Malheureux que ie suis' qui est-ce qui me delivrera? Il confesse que s'il n'a esgard `qu'à son estat present, il est malheureux. Et quand il demande d'estre delivré d'ici, il ne parle point d'une passion humaine, mais de ce zele qu'il avoit estant poussé par l'Esprit de Dieu, de ce regard qu'il avoit pour s'adonner au bien. Car il voit que cela ne se pouvoit faire iusques à tant qu'il fust despouillé de ceste chair. Voila donc pourquoi c'est qu'il a regretté sa vie.

Et voila comme nous y devons proceder, c'est assavoir, que nous cognoissans estre vicieux nous detestions nostre vie. Or pource que les hommes ne peuvent parvenir iusques là, il faut que Dieu les presse pour leur faire detester le peché. Et pource qu'il nous y faut ainsi contraindre par force, voila desia un vice en nous: et puis encores que Dieu nous chastie, et que nous soyons advertis par telles corrections de detester nos pechez, encores ne les hayssons nous pas, sinon qu'il continue à nous les faire sentir. (Car s'il retire sa main c'est comme auparavant, nous voudrions croupir en nos oeuvres moyennant qu'il nous y souffrist. Voila donc encores un second vice. Et puis quand nous hayssons ceste vie presente, c'est pource que nous ny pouvons pas estre selon nos appetits charnels, lesquels toutesfois sont meschans et corrompus. Nous voudrions que Dieu nous donnast congé de l'offenser, voire, quand nous pourrions faire une telle paction avec luy, nostre vie nous seroit douce, nous ne demanderions qu'à demourer ici bas. Nous voyons donc quand les hommes se faschent de vivre, que c'est d'autant qu'ils ne peuvent pas

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avoir tous leurs souhaits. Ils ne hayssent point le mal qui cet en eux, et ceste corruption de leur nature qu'ils commettent: mais ils sont marris que Dieu ne leur donne point une licence de faire tout ce que bon leur semblera qu'il ne les tient point ici en delices, et voluptez, comme ils y sont enclins. Et puis il y a encores une autre chose qui y est à condamner, assavoir, que nous ne tenons iamais mesure: encores que nous avons bonne raison de hayr nostre vie, toutesfois si nous venons à la regretter, ce sera d'une façon desbordee. Or sainct Paul au passage que i'ay allegué, nous amene bien tout au rebours. Car combien qu'il s'appelle Malheureux, qu'il demande d'estre delivré de la prison de son corps: si est-ce qu'il revient là, qu'il se contente de la grace qui lui est faite Voila (dit-il) ie ren graces à mon Dieu par Iesus Christ. Car il savoit que Dieu ne le delaisseroit point qu'il ne luy assistast: il savoit quo Dieu lui donneroit une vertu pour resister au mal: et puis que l'infirmité qui estoit en lui seroit ensevelie devant Dieu, qu'elle ne lui seroit point imputee. S. Paul donc ne regrette point sa vie comme par despit et estant impatient, il ne se desborde point en des bouillons tels, qu'il viene à se rebecquer contre Dieu: mais tout à l'opposite, il se remet à la bonne volonté de Dieu. I1 se contente de ce que Dieu ne lui impute point le mal, et de ce qu'il Lui tient la main forte, afin qu'il ne soit point vaincu de Satan et du peché. Et c'est comme il nous en faut faire: mais nous ne le faisons pas. Voila comme il nous seroit licite de hayr la vie presente: à cause (di-ie) que Dieu nous tient en captivité de peché: et puis il nous faudroit tenir ceste mesure-la, de languir sous la main de Dieu, tant qu'il lui plaira de nous tenir en ce monde, sachans qu'il nons doit bien suffire, d'autant qu'il nous est prochain pour nons secourir au besoin.

Or Iob disant, Ie voudroye n'avoir pas' esté nay, ou bien que du ventre de la mere on m'eust tiré au sepulchre, a une passion excessive: encores qu'il ne s'arreste pas à une conclusion telle., si est-ce qu'il offense Dieu. Et voila pourquoi il nous faut bien noter ce qui est ici dit. Car nous ne garderons iamais mediocrité et temperance, quand nous hayrons la vie presente, si nous ne regardons comme elle nous est donnee de Dieu, afin que lui nous faisant sentir son amour paternelle, nous face aussi passer plus outre. Vrai est que ceste vie presente nous est un tesmoignage, que Dieu se monstrant ainsi bon envers nous, desia nous promet ce que nous ne voyons point encores, c'est ceste gloire immortelle qu'il nous a acquise. fais nous n'y pensons point: nous n'appetons point de vivre pour cela, mesmes il n'est point question de servir à Dieu, et que nous facions comme il nous est monstré en

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l'exemple des saincts Peres, Ie vivrai et reciterai les louanges du Seigneur: ie vivrai pour venir au temple, afin de magnifier mon Dieu. Nous n'avons point ce regard-la, et ce n'est point de merveilles: car nous sommes du tout corrompus, et avons oublié l'excellence de nostre premiere creation. Quoy donc? Nous appetons de vivre d'une affection brutale, pour estre ici à nostre aise, pour y boire et manger, pour satisfaire à noe, cupiditez, comme chacun est mené de sa complexion. Voila donques comme les hommes sont retenus en eux-mesmes sans avoir esgard à Dieu, et c'est une extremité bien mauvaise, si nous n'avons autre fascherie de vivre, sinon à cause que nous ne sommes pas à nostre aise. Ce n'est pas pource que nous sommes ici retenus en peché: mais c'est pource que Dieu ne nous complaist point, que nous n'avons point ce que nostre chair desire: car nous voudrions que Dieu fust subiet à nous: et quand il ne se veut point assubiettir tellement que les choses vienent tout au contraire: voila qui nous fasche, qui nous picque, et qui nous tourmente, nous iettons nos despitemens par tout. Et ainsi d'autan plus nous faut-il bien noter ceste doctrine: c'est que nous honorions la vie presente, d'autant que Dieu nous y a mis, afin qu'elle nous fust comme un tesmoignage qu'il nous tient comme ses enfans, et qu'il nous veut estre Pere. Apres, que nous cognoissions, voila ce qui est en nous: c'est assavoir, que nous sommes tellement corrompus en Adam, que nous sommes ici tousiours comme tenus captifs de Satan, que nous ne cessons de mal-faire: et pourtant cognoissans ce}a, que nous-nous solicitions à une affection bonne et saincte, tellement qu'au milieu de nos fascheries nous retournions, tousiours à nostre Dieu, sachans qu'il remediera à tous nos maux: et que quand il nous aura une fois fait sentir son amour paternelle, il augmentera tousiours ses graces de plus en plus, et parfera ce qu'il a commencé. Mais d'autant que nous sommes tant enclins à nous despiter contre Dieu, advisons de tousiours bien avoir ses benefices imprimez en nostre memoire, tellement que nous ne tombions point en ceste tentation, de laquelle il est ici parlé: c'est assavoir, que nous souhaitions de iamais n'avoir vescu. Vrai est qu'il vaudroit mieux aux reprouvez que leur mere les eust avortez, ou bien que la terre les eust engloutis, ou bien que iamais n'eussent esté conceus, comme Iesus Christ parle de Iudas: mais cependant si nous faut-il tenir ceste regle, c'est assavoir que la vie humaine en soy est un don de Dieu si precieux et si noble, qu'elle merite bien d'estre prisee. Car il nous faut tousiours retourner là, que Dieu ne crée iamais un homme, qu'il ne lui imprime son image. Il est vrai que par le peché ceste image-la est effacee: mais quant à

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l'ordre de nature, si est-ce que la bonté de Dieu va tousiours au dessus, et doit avoir ce degré de préeminence, qu'il faut que nous la magnifions, et recognoissions comme il appartient.

Venons maintenant à ce que Iob adiouste. n dit que s'il eust esté ainsi tiré du ventre au sepulchre, l'oeil ne l'eust point veu. Voila encores une autre ingratitude. Car non seulement ceste vie ici doit estre desirable, pource qu'un chacun de nous cognoist à quelle condition, et à quelle fin il a esté creé: mais d'autant que Dieu doit estre glorifié en nous. Quand nous regardons une creature que Dieu a mise au monde, n'avons-nous point là comme un miroir de sa bonté? Si donques nous pouvons regarder des yeux un homme, nous devons faire servir cela à la gloire de Dieu. Or Iob voudroit avoir este mort du premier coup: et c'est d'autant obscurcir la gloire de Dieu, cc qui n'est pas sans ingratitude. Et ainsi en toutes choses nous voyons comme il s'est ietté hors des gonds, qu'il n'a pas tenu la mesure qu'il devoit: et d'autant plus devons nous bien penser à nous. Car si ceste tentation est advenue à un tel personnage, combien y serons nous plus transportez, estans ainsi fragiles que nous sommes? Il dit quant et quant: Ou bien que Dieu retire de moy sa main, et qu'il s'eslongne un peu, afin que i'aye quelque respit, devant que descerdre en la region obscure, en ceste ombre de mort, là où il n'y a que contusion. Nous voyons tousiours ici comme Iob a esté transporte, c'est assavoir, d'autant que le iugement de Dieu le pressoit. Et c'est ce que nous, avons dit par ci devant, qu'il n'avoit point seulement ceste apprehension des maux corporels, comme chacun de nous, le sentira: mais que son principal regard estoit, que Dieu lui estoit contraire, comme s'il lui eust fait la guerre mortelle. Voila donc ce qui pressoit Iob d'une telle angoisse, et qui le tormentoit tellement, qu'il n'estoit pas si patient comme il eust esté requis. Bref, quand Dieu nous amene à ces combats spirituels, alors il nous esprouve et nous examine au vif. Et c'est une chose bien à noter. Car il nous semble que nous soyons vaillans gensdarmes, que nous avons esté esprouvez iusqu'au bout: quand nous aurons enduré quelque maladie, ou quelque autre affliction, il nous semble alors que Dieu ne doive point recommencer: mais que nous sommes quittes, que nous sommes vaillans champions. Et toutesfois ce n'est rien de tout ce que nous pourrons souffrir d'afflictions corporelles, au prix de ceste destresse en laquelle est un povre pecheur, quand il apprehende que Dieu est là comme sa partie adverse, qu'il le persecute, qu'il n'y a nul moyen de trouver accord avec luy ne d'appointer. Quand donques nos pechez nous viennent ainsi au devant, et que le diable nous fait sentir l'ire de Dieu, et puis que d'autre costé nostre conscience

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nous redargue, que Dieu se monstre là comme courroucé: voila (di-ie) une angoisse qui est plus grande et plus espouvantable, que ne sont pas tous les maux que nous pouvons endurer en nostre chair. Et ainsi apprestons-nous, à tels combats spirituels, et prions Dieu qu'il nous fortifie, puis que nous voyons que toutes les vertus des hommes defaudront en cest endroit, et que nous serions bien tost abysmez, si ce n'estoit que nous fussions soustenus d'enhaut, et que Dieu nous relevast quand nous sommes cheus, qu'il nous redressast au droit chemin quand nous en sommes esgarez.

Cependant quand Iob dit, Qu'il s'eslongne un peu de moy: nous voyons encores mieux combien la condition des povres pecheurs est miserable, quand ils ont ceste apprehension, que Dieu les persecute, et qu'il leur est contraire. Car aussi où est-ce que gist tout nostre bien et toute nostre ioye, sinon que Dieu nous soit prochain, et que nous sentions que iamais sa vertu n'est separee d'avec nous? Or tout au rebours, un povre pecheur, quand il est ainsi effrayé du iugement de Dieu, ne desire sinon de se pouvoir cacher, et d'avoir quelque retraite, afin que Dieu ne le voye plus, afin qu'il ne luy face plus sentir sa main. Ainsi le plus grand bien que puissent avoir les povres pecheurs, quand ils sont ainsi tormentez du iugement de Dieu, c'est de s'approcher de luy afin de luy demander secours et aide: et leur plus grande ruine, c'est de s'en eslongner. Nous voyons donc que c'est des hommes quand Dieu se monstre courroucé contre eux: car ils n'ont nul meilleur refuge sinon le comble de toute iniquité, d'entrer aux enfers. Car c'est un vray enfer quand nous sommes ainsi eslongnez de Dieu: et toutesfois voila que souhaitent tous les povres pecheurs quand Dieu les tient là, qu'il leur fait sentir qu'il n'y a en luy sinon ire, sinon malediction. Or par cela nous devons estre solicitez à prier Dieu, quelque vengeance que nous ayons merité pour nos pechez, que iamais nous ne mettions en oubli ceste grace qu'il nous offre, que nous ayons tousiours recours à sa bonté: et combien qu'à bon droit il soit courroucé contre nous, que nous sachions neantmoins qu'il ne laisse pas de nous convier. Car sa bonté surmonte la rigueur de sou iugement, qui nous est deu pour nos pechez, et que par cela nous soyons consolez, iusques à ce qu'il ait retiré sa main de nous. Que donc nous ne reculions point s'il s'eslongne de nous: mais plustost que nous disions, Seigneur, eslongne ton ire: car si tu nous monstres ta face courroucee, c'est comme si nous estions desia abysmez aux enfers. Voila ce que nous avons à noter de ce passage. Et ainsi advisons à en faire nostre profit, afin de n'estre point vaincus quand Dieu nous voudra esprouver, et examiner au vif quelle sera nostre force et constance

SERMON XLI

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en telles tentations. Et voila comme nous pouvons dire avec sainct Paul (Rom. 8, 37. 38), il n'y a ne choses presentes, ny chose â venir, ne vie, ne mort, ne rien qui soit, qui nous puisse separer de l'amour de Dieu: c'est à dire, que nous ne sentions tousiours son amour paternel, duquel il use envers nous, afin de moderer nostre tristesse et de l'adoucir. Sainct Paul met les choses à venir: comme s'il disoit, Il est vray que les hommes sont subiets à des miseres tant et plus, tellement que nous n'en pouvons mettre le nombre ne la quantité. C'est comme un labyrinthe des calamitez qui sont en nostre nature: mais tant y a que ai nous avons nostre Seigneur Iesus Christ, qui soit le lien entre Dieu et nous, que nous le regardions comme celuy qui nous conioint a Dieu son Pere, il n'y aura rien qui nous empesche que tousiours nous n'ayons dequoy nous resiouir. Voila la requeste que nous ayons a faire à Dieu, quand nous aurons cognu que c'est de nous.

Or Iob en la fin parle de la condition des trespassez, et dit, Devant que i'alle en la region obscure, en 1a fosse tenebreuse, où il n'y a que confusion et desordre, là où la nuict est quand le iour doit luire. Iob parle ici comme un homme qui n'avoit nulle esperance ne de l'immortalité des ames, ne de la resurrection qui nous est promise. Où est-ce donc qu'il en est? Or notons qu'il exprime ici les passions d'un povre pecheur, lequel n'apprehende sinon l'ire de Dieu: comme desia nous avons touché ci dessus: mais il faut que cela nous soit reduit en memoire souventesfois: car nous en avons besoin. Iob donques est ici amené en ceste gehenne, que Dieu est son Iuge, qu'il est là comme un homme reprouvé, qu'il n'y a nulle esperance de grace ni pardon pour luy. Voila pourquoy en parlant de la mort, il n'y sent que toute confusion. Et comment La mort est pour renverser l'ordre de Dieu, comme le peché l'avoit renversé. Quand Dieu a crée l'homme, ce n'a pas esté à ceste condition, qu'il fust mortel. Il est vray que nous n'eussions pas tousiours vesou en ce monde en l'estat auquel estoit Adam. Car Dieu nous eust changez en immortalité glorieuse. Mais tant y a qu'il ne nous eust point fallu estre mortels, il n'eust point fallu que ce qui est mortel en nous eust esté renouvelle. La condition d'Adam estoit telle, qu'ayant vescu au monde, il avoit son heritage eternel avec Dieu. Or le peché est-il survenu? Voila la mort que Dieu adiouste quant et quant, voire une mort, oh il n'y a que confusion. Et pourquoy? Car l'homme ne la pouvoit sentir, sinon que la malediction de Dieu fast dessus, laquelle a comme retranché l'homme du nombre des creatures. Voila Dieu qui nous a establis en ce monde pour y vivre comme ses enfans: il nous en oste quand il nous prive de ceste

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vie: c'est donc comme s'il nous deschassoit de sa maison, qu'il nous declarast qu'il ne nous veut plus tenir au reng de ses creatures. Ne voila point une confusion horrible? Or est-il ainsi, que quand nous n'avons sinon cognoissance de nos pechez et du iugement de Dieu, il nous en faut demourer là.

Ainsi donques il ne nous faut point trouver estrange, que Iob parlant de la mort, dise, Qu'on va en une region obscure, qu'il n'y a que tenebres et desordre. Et pourquoy I Car il conioint le peché avec la mort, il conioint la malediction de Dieu: et cependant que Dieu le tient là enserré en angoisse, il a comme un despit, tellement qu'il ne cerche point le moyen de sa grace, qui est le vrai remede pour nous monstrer qu'il y a clarté en la mort, et qu'au milieu des tenebres si obscures qu'elles sont, il y a quelque ordre: d'autant que nous serons ressuscitez apres avoir esté ainsi aneantis. Iob n'apprehende point cela. Et pourquoy? Pource qu'il falloit que Dieu luy fist sentir sa rigueur aspre et severe, et puis apres qu'il le consolast. Et c'est un passage que nous devons bien noter. Car si nous voulons bien recevoir la grace qui nous est donne, et que Dieu nous offre tous les iours en nostre Seigneur Iesus Christ: il faut auparavant que nous ayons senti que c'est de nous et de nostre condition. Voulons nous (di-ie) bien gouster que c'est de la vie celeste ? Il faut en premier lieu que nous cognoissions à quelle fin nous naissons, voire selon que nous sommes pecheurs en Adam. Et de fait, ce n'est point sans cause que S. Paul dit (1. Cor. 15, 46), Que ce qui est corruptible va devant. Car il ne parle point seulement de cest ordre que Dieu tient en nature: mais qu'il nous le faut aussi considerer de nostre part. cognoissons donques que combien que nous naissions en ce monde, combien que nous soyons creatures de Dieu, tant nobles, tant excellentes que rien plus: toutesfois par le peché la mort a comme aneanti et renversé ceste noblesse qui estoit en nous, tellement que nous desplaisons à Dieu, qu'il nous desadvoue comme si nous n'estions point formez de sa main, d'autant que nous sommes desfigurez, et que le diable a mis et imprimé ses marques en nous: et au reste qu'estans subiets â- la malediction qui a esté prononcee sur Adam, nous sommes comme bannis de tout le monde, qu'il n'y a ne ciel ne terre qui ne nous tiene comme detestables. Voila (di-ie) ce que nous avons à regarder en nous.

Or si nous entrons en ce combat, il est certain que nous serons plus que confus. Voila pourquoy les hommes se plaisent tant: c'est pource qu'ils ne peuvent mediter le iugement de Dieu comme ils devroyent. Or si est-ce qu'il nous faut là venir.

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mais quand nous aurons cognu combien nostre vie est miserable, et que la mort l'est encores plus, d'autant que c'est le grand gouffre, qui est pour nous monstrer qu'emporte la malediction que Dieu a prononcee sur nous de sa bouche: quand nous aurons (di-ie) cognu cela, il nous faut aussi garder d'estre du tout engloutis de tristesse. Et le remede quel sera-il? C'est quand nous tournerons les yeux à nostre Seigneur Iesus Christ. Car voila comme Dieu nous esclaire au milieu des tenebres: c'est à dire, que nostre Seigneur Iesus se presente à nous, qu'en luy nous avons le vray soleil de iustice. Quand donc nous aurons ce regard-la, il n'y aura nulle mort qui nous espouvante. Et voila pourquoy David dit (Ps. 23, 4), Que la houlette de Dieu le consolera en l'ombre de mort et en l'obscurité. Quand il parle de la houlette, il entend que quand Dieu se monstrera pasteur envers luy, il ne craindra rien . Et comment se monstrera-il, sinon en la face de nostre Seigneur Iesus Christ? Ainsi donques cognoissons en premier lieu de quelle action Iob parle ici. Il cognoist que c'est de la nature des hommes, quand elle sera consideree en soy, qu'il n'y a que toute confusion et en leur vie et en leur mort. Mais quand nous avons le Fils de Dieu, encores que nostre estat semble estre bien miserable, que nous soyons comme des povres vermines subiettes à corruption et pourriture: si est-ce que nous venons à gouster le bien que Dieu nous a fait, quand il a fait sortir la clarté du milieu des tenebres, comme il est dit en la creation du monde, Que Dieu a converti les tenebres en clarté. Cognoissans cela nous avons à nous resiouyr, que par le moyen de son Fils unique il a fait luire sa bonté et sa grace en nostre mort, voire plus qu'en nostre vie. Car quand il semble que nous devrions entrer aux abysmes et aux goures d'enfer, voila Dieu qui nous ouvre la porte de son royaume: alors il nous fait entrer en un logis duquel nous sommes maintenant comme bannis. Voila donc comme nous avons à y proceder. Et non seulement Iesus Christ nous esclaire en la mort, afin que l'obscurité qui est là ne nous soit point tenebreuse, que nous n'en soyons point accablez: mais en nostre vie encores nous esclaire. Ce monde ici (comme l'Escriture nous declare) est plein de tenebres, et nous y sommes povres aveugles: cependant Iesus Christ ne laisse point de nous y esclairer par son Evangile. Nous avons la Loy et les Prophetes qui nous sont comme lampes ardentes: nous avons l'Evangile

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qui nous est encores une clarté plus ample, voire comme un plein midi. Voila donc, nostre Seigneur Iesus qui nous servira do clarté suffisante en nostre vie et en nostre mort, moyennant quo nous regardions à luy: mais comme i'ay desia touché, il faut que nous sentions auparavant que c'est du desordre et de la confusion qui nous environne, iusques à tant que Iesus Christ nous ait tendu la main.

au reste, quand Iesus Christ nous aura esclairez, et que nous aurons cheminé en l'espérance de la vie eternelle, estans en ce monde: encores que Dieu nous en retire, et que la mort nous soit devant les yeux, que nous ne laissions pas pourtant d'invoquer Dieu, attendans qu'il resiouysse nos ames en son royaume. Car elles sont tousiours aucunement confuses, et n'ont point leur parfaite resiouyssance pendant qu'elles habitent en nos corps, et iusqu'à-ce que Dieu les recueille du tout à soy. Vray est que quand nous penserons simplement à la mort, sans nous eslever plus haut, Dieu par fois nous pourra bien amener où il a amené Iob. Iob avoit eu et foy et esperance de, la vie eternelle: mais pour un peu de temps il est saisi d'une telle frayeur, qu'il ne conçoit en la mort sinon toute confusion et désordre: car quand il regarde le sepulchre, il voit l'enfer ouvert pour l'engloutir. Or quand Iob a telles apprehensions, cela lui est beaucoup plus grief, que tous les tormens qu'il pouvoit endurer en son corps. lais comme Dieu l'en a finalement tiré, lui donnant victoire contre telles tentations: aussi fera-il en nostre endroit. Tant y a que par cela nous sommes admonestez, que nous avons besoin de cheminer en sollicitude, prians nostre bon Dieu quo quand il luy plaira nous appeller à conte en son iugement, ce ne soit pas pour nous traiter h la rigueur, et comme nous l'avons merité: mais qu'il nous face sentir la grace de laquelle il a accoustumé d'user envers les siens: et que tousiours nous revenions là, que combien qu'il nous faille cheminer en ce monde, comme au milieu des tenebres et de l'obscurité de mort: neantmoins nous ne devons point craindre, puis que nous avons devant les yeux Iesus Christ qui est le vray soleil de iustice. Et que cela soit pour nous faire aspirer à oest heritage du ciel, auquel Dieu nous appelle pour nous y faire participans de son immortalité glorieuse.

Or nous nous prosternerons devant la maiesté do nostre bon Dieu etc.

SERMON XLII

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LE QUARANTEDEUXIESME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XI. CHAPITRE.

1. Et Zophar Naamathite respondant dit, 2. Ne respondroit-on point à l'homme langagier, et l'homme babillard gaignera-il sa cause? 3. Voire tes propos feront taire les hommes: et quand tu te seras moqué, nul ne te fera honte. 4. Tu as dit, a façon est droite, et ie suis pur en ta presence. 5. Mais à la miene volonté que Dieu parle à toy, et qu'il ouvre contre toy ses levres: 6. Qu'il te revele la secrets de sagesse: car son iugement est droit au double, et Dieu t'a mis en oubli pour ton iniquité.

Pour bien faire nostre profit de ceste doctrine, il nous doit souvenir de ce qui a esté declaré par ci devant: c'est, que les propos qui sont ici contenus sont vrais en soy, combien qu'ils soyent mal applicquez à la personne Iob. Voila donc une instruction qui nous est bonne et utile, moyennant que noue ayons la prudence et discrétion de savoir quel en est le droit usage. Or en somme il nous est ici monstré, que quand nous traitons comme l'homme peut consister devant Dieu, il ne faut point que nous mettions nostre babil en avant, et que nous pensions gaigner nostre cause par une vaine rhetorique: mais qu'en cognoissant la maiesté de Dieu, nous soyons abbatus et estonnez. Pour ce faire que nous cognoissions, qu'il est impossible de nous enquerir de ceste sagesse laquelle nous est incomprehensible, mais qu'il faut que tout le monde s'humilie sous icelle. Voila donc en somme ce qui nous est ici monstré. Or si ceste doctrine eust esté bien retenue et prattiquee, nous n'aurions pas auiourd'hui telles disputes qui regnent par le monde, Comment les hommes peuvent estre iustifiez et sauvez devant Dieu. Pourquoy? Ceux qui establissent quelques merites pour acquerir grace devant Dieu, et faire h croire que les hommes se peuvent sauver par leur propre vertu, ne cognoissent point la maiesté de laquelle il est ici fait mention: mais ils disputent comme de menus fatras. Car s'il estoit question d'avoir affaire aux hommes, il n'y auroit point une telle audace comme nous la voyons, quand on dispute, Quel est le moyen par lequel nous pouvons subsister devant Dieu. Bref, les hommes ont esté si eslourdis qu'ils n'ont point cognu que c'estoit ne de la iustice, ne du iugement, ne de rien qui soit, quand ils ont traité, comment c'est que Dieu nous aime, qu'il nous est propice, et comment nous-nous pourrons presenter devant sa maiesté pour y trouver grace.

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D'autant plus nous faut - il bien noter ceste doctrine, quand il est dit, Ne respondra-on point à I'homme langagier? ou le babillard gaignera-il sa cause? Ici nous voyons que le caquet des hommes est rabbatu: voire, combien qu'ils s'y plaisent et qu'ils ayent leur rhetorique vaine et frivole. Car voila qui abuse ceux ausquels il est aisé de iustifier les hommes, et d'en faire des Anges, où il n'y a que toute povreté et ordure. Vray est qu'ils auront quelques raisons apparentes, ausquelles on applaudit: car de fait selon la raison humaine, quand on demande que c'est de iustice, on dira, Il faut que l'homme vive sans reprehension, qu'il s'acquite de son devoir, qu'il face droit à chacun. Voila donc que c'est de iustice. Si on dit, Un homme est iustifié devant Dieu combien qu'il soit un povre pecheur, ses pechez lui sont pardonnez: voila une chose estrange, qui ne peut entrer au sens charnel. Comment? De dire que ie soye reputé inste, et cependant que ceste iustice-la soit hors de moy? Qu'il faille que ie l'emprunte d'ailleurs ? Combien que Dieu me recognoisse un povre damné, toutesfois qu'il me sauve? A quel propos? Quand donc les sophistes et les caphars establissent les merites des hommes et qu'ils font à croire, que nous pouvons acquerir paradis par nos vertus: cela a quelque belle couleur, et est facilement receu de la pluspart du monde. Et voila pourquoy ils s'endurcissent et s'enveniment tant plus. Car il leur semble, puis qu'on trouve bon et qu'on accepte ce qu'ils disent, qu'il faut aussi que Dieu s'en contente. Or nous ne gaignerons point nostre cause, encores que pour un temps Dieu permette que nous ayons beau babil, et qu'il semble que nous ayons tout surmonté, si est-ce qu'en la fin il faudra que tout aille bas. Car quand Dieu apparoistra en son siege, alors il faudra bien que toutes ces disputes cessent, ausquelles les hommes auiourd'hui se plaisent et se glorifient. Qu'est-il donc question defaire? Quand nous parlerons comme les hommes peuvent consister devant Dieu, il ne faut point que nous amenions des raisons probables, et que le monde reçoive: mais qu'un chacun entre en soy et en sa conscience. Voila par quel bout il faut commencer. Ceci sera encores mieux entendu, quand nous aurons deduit les choses par quelque ordre familier. I'ay desia dit, que quand on vient à ceste question, Comment c'est que nous sommes iustes, incontinent selon la

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raison humaine, on dira, Il faut que nous vivions iustement. Il est vray que iustice à parler proprement, c'est quand la vie des hommes est bien reglee, qu'il n'y a que redire, qu'ils accomplissent pleinement la Loy de Dieu, et ce qui leur est commande voire, mais (comme il sera exposé plus à plein) il nous faut passer outre pour avoir une autre iustice, d'autant que ceste-ci nos defaut. Or cependant les hommes, apres avoir cognu qu'il se faut acquiter de son devoir, et qu'il faut cheminer selon Dieu et sa parole, vienent à entrer en ces fantaisies, Or ça il faut donc que i'accomplisse la loy de Dieu, et leur semble qu'ils en viendront à bout: cependant ils ne peuvent pas remuer un doigt: c'est merveilles qu'ils se font à croire qu'ils porteront les grosses montagnes sur leurs espaules, et ils ne pourront pas remuer un seul festu. Tant y a qu'ils ont ceste folle outrecuidance, qu'ils s'efforcent d'accomplir la Loy de Dieu par leur franc-arbitre. Et bien, en la fin si faut-il qu'ils cognoissent par experience leur debilité. Vray est que pour un temps ils iettent leurs bouffees: et mesmes il y a un autre vice, c'est que les hommes imaginent qu'ils pourront bien se iustifier sans observer la loy de Dieu. Et comment ? Par leurs folles devotions: comme nous voyons en la Papauté, qu'il n'est pas question de conformer sa vie aux commandemens de Dieu, quand on veut acquerir sainteté et iustice. Quoy donc ? Chacun prend quelque belle devotion en sa teste: il y aura des ceremonies: il y aura les superstitions qui regnent là, qu'on appelle service de Dieu: moyennant qu'on oye tous les iours la messe, qu'on barbotte beaucoup, qu'on ieusne, qu'on face ceci et cela, il semble à ces povres bigots, que les voila tres-bien acquitez devant Dieu: mesmes ils le tiendront comme obligé à eux. Or ils s'endorment en cela pour un temps: mais si on leur remonstre que c'est peine perdue, ils s'aigrissent, ils s'enveniment, Comment ? une si belle chose ne profite rien? Et Dieu seroit iniuste: il faut donc qu'il accepte le service que ie luy offre avec telle peine et solicitude. Voila comme les idolatres plaident à l'encontre de Dieu, et leur semble qu'il leur fait grand tort, sinon qu'il accepte et qu'il trouve bon tons leurs menus fatras, ausquels ils se sont abusez. Voila ceste yvrongnerie qui regne pour un temps aux cerveaux des hommes: mais si faut-il (comme i'ay desia dit) qu'en la fin ils soyent conveincus que ce n'est rien de tout cela: et quand Dieu les presse et les met à l'examen, qu'alors Ils cognoissent, Helas! c'est peu de chose que d'avoir ainsi amassé beaucoup de ceremonies: et qui plus est quand i'auroye tout fait, encores i'ay ma conscience qui me redargne, que si en un endroit i'ay tres-bien servi à Dieu, si est-ce que i'ay defailli en beaucoup d'autres. Les hommes

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donc estans redarguez par leurs consciences propres, cherchent puis apres des remedes, Et bien, ie voy que si Dieu veut entrer en conte avec moy, ie luy serai redevable de beaucoup. Comment ferons-nous donc? Alors on invente des satisfactions. Comme en la Papauté chacun confessera bien, que nulle creature vivante ne peut accomplir la loy de Dieu: cependant on ne laisse pas toutesfois de s'endormir, d'autant qu'il semble à ces povres bigots qu'ils peuvent recompenser Dieu en lui apportant quelque payement. Il est vrai qu'en cest endroit i'ay failli, mais Dieu se contentera de moy, quand ie luy satisferai en telle sorte. Et voila comme ont esté inventees toutes les oeuvres de supererogation (qu'ils appellent) c'est à dire qu'ils en donnent plus à Dieu qu'ils ne doivent. Les hommes en ce faisant ne cuident point que iamais il faille venir à conte devant un tel iuge, et il leur est bien aisé de dire, Quoy? Nous faisons tout ce qu'en nous est: car pourquoy est-ce que nous travaillons sinon pour servir à Dieu? Et pensons-nous que tout cela soit reietté de lui, et qu'il n'en tienne conte? Et, au reste encores que nous soyons debiles; et qu'il y ait des vices et imperfections en nous: si est-ce que quand nous aurons tasché de recompenser nos pechez, il faut bien que Dieu ait esgard à cela. Les hommes babilleront ainsi, cuidans estre plus qu'absous. Et (comme i'ay desia dit) ils s'enveniment et s'enflambent à l'encontre de toutes reprehensions. Nous voyons maintenant ce qui est ici condamne par le sainct Esprit: c'est assavoir, que les hommes - se flattent tellement et s'endorment en leurs vaines imaginations, qu'il leur semble qu'ils ayent gagné leur cause devant Dieu, quand elle sera approuvee des hommes. Or ce n'est rien de tout cela: car quand nous serons-venus devant le siege céleste, tous ces menus fatras n'auront point de lien. Que faut donc ? Que nous sachions, voire et que nous soyons resolus, que toutes les iustices du monde ne seront rien qu'abomination, que Dieu les pourra reietter comme puantes: ainsi que de fait encores qu'il nous ait fait la grace d'aspirer: au bien, si est-ce que nous n'y sommes point encores parvenus. Car si nous y tendons, c'est avec une telle foiblesse que nous sommes â condamner tant et plus. Et nous doit souvenir de ce qui a esté traité par ci devant, que si nous amenons un seul poinct, Dieu en aura mille pour nous rendre confus. Voila donc ce que nous avons à noter quant à; ce passage. Et voila pourquoy i'ay dit, qu'il n'est point question de babiller, et d'amener-quelque raison qui ait belle couleur devant les hommes. Mais sur tout qu'un chacun de nous entre en soy, et que nous facions examen de nostre vie, comme nous sommes adiournez devant Dieu: et alors tout

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babil cessera, alors chacun pensera de plus pres à soy, sachants que nous n'avons autre moyen d'estre absous devant Dieu, sinon de nous condamner, et estre du tout confus.

Or venons maintenant à ce qu'il adiouste pour mieux comprendre ce propos: Tu as dit, Ma façon est iuste, et droite, et e suis entier devant ta presence. Ici Zophar monstre quel est ce babil lequel il condamne. Vray est' comme desia nous avons adverti, qu'il approprie mal ce propos à la personne de Iob, et luy fait grand tort, et l'accuse iniustement: mais la doctrine en soy est bonne, et saincte, et utile. Notons donc, que tous ceux qui se veulent iustifier et estre veus sans reproche, n'ont qu'un vain babil, voire, combien qu'on les repute sages devant le monde. Et c'est un article que nous devons bien noter. Car si on ne venoit à l'application, ce seroit peu de chose de dire, Et bien, il ne faut point babiller quand il est question des secrets de Dieu, quand il est question de sa parole: c'est une chose trop sacree pour en causer à plaisir, il y faut proceder avec toute sobrieté et reverence. Vray est que ce seroit une admonition bien utile: mais ici Zophar specifie, assavoir, que tous ceux qui veulent eslever la vertu des homme, pour persuader qu'il n'y a en eux que iustice devant Dieu, ne sont que babillars, voire quelque belle apparence qu'ils ayent. Et pourtant apprenons qu'il n'y a doctrine ferme ne bien fondee, laquelle puisse persister devant Dieu, sinon celle qui aneantit les hommes, qui monstre qu'ils n'ont rien dequoy ils se puissent glorifier: bref, qui les rende confus en sorte qu'ils n'ayent autre refuge qu'à la pure bouté, et miséricorde de Dieu. Cependant nous avons ici deux articles à observer: l'un est, que quelque propos qu'on tiene de l'Escriture saincte et de tout ce qui appartient à la religion, il faut que nous apprenions de parler sobrement, et ne lascher point la bride à nos langues pour eu disputer à plaisir. Gardons nous (di-ie) d'une telle intemperance: comme nous voyons que ce vice a esté cause de pervertir toute la verité de Dieu, et la tourner en mensonge. Et qu'ainsi soit, en la Papauté qu'est-ce qu'on appelle Theologie sinon une façon prophane de se mocquer pleinement de tous les secrets de Dieu? Car il est licite là de babiller, comme si on se iouoit d'une pelote. Et de fait les Papistes disent bien vrai, quand ils usent de ce proverbe, Que l'Escriture saincte leur est comme un nez de cire. Voila comme ils blasphèment Dieu, et n'ont point de honte de le mettre en lents livres: voire, quand ils veulent prouver qu'il ne se faut point tenir à l'Escriture saincte, et que nous n'avons nulle certitude de foy par la parolle de Dieu, mais qu'il faut recevoir ce qui a esté determiné-par les hommes, O comment (disent-ils) l'Escriture saincte n'a

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elle pas un nez de cire? Vray est qu'ils en ont fait un nez de cire quant à eus, la tournans à tors et à travers, pour se mocquer pleinement de Dieu et de sa verité. Et comment cela est-il advenu? sinon d'autant qu'ils n'ont point cognu, que quand Dieu nous a revelé sa volonté, ça esté afin qu'un chacun entre en soy, et que nous examinions bien nos consciences, et que nous appliquions à nostre usage et instruction tout ce qui est contenu en l'Escriture saincte, que nous sachions que Dieu n'a point voulu repaistre nostre curiosité, qu'il n'a point voulu chatouiller nos aureilles: mais qu'il a voulu edifier nos ames, voire comme il appartient. Et ainsi retenons cest article: c'est assavoir, que quand nous parlons de Dieu, nous y devons proceder avec toute reverence et crainte: mais sur tout venons à ce qui est ici dit, c'est assavoir, que quiconques veut magnifier les hommes pour les faire absous et iustes devant Dieu celuy la n'est qu'un babillard, voire, quelque belle raison qu'il puisse mettre en avant. Notons donc que tous ceux qui sont enflez de presomption, pour approuver les merites des hommes, n'ont iamais esté resveillez à bon escient pour cognoistre que c'est de Dieu, et combien nous sommes redevables à son iugement. Et pourquoy ? Car quiconque aura une fois bien e s ami né sa conscience, il faudra qu'il ait la bouche close, et qu'il cognoisse que tout le genre humain est confus, et que nous n'avons que toute malediction . Et par cela nous pourrons hardiment prononcer, Que tous les docteurs do la Papauté sont abbrutis du tout, que ce sont moqueurs de Dieu, et contempteurs de sa iustice. Et pourquoy? Nous voyons comme ils sont hardis a exalter le franc-arbitre, à magnifier les vertus des hommes, a faire à croire que nous pouvons meriter ceci et cela: que si nous avons quelques fautes, nous pouvons bien encores nous acquerir pardon par nos bonnes oeuvres. D'autant qu'ils parlent ainsi, il ne faut que ce mot qui est ici couché, pour monstrer qu'ils sont contempteurs de Dieu, chiens qui abbayent, qui iamais n'ont eu un seul remords, ne scrupule de conscience: mais que le diable les a aveuglez. Et pourquoy? Car s'ils avoyent quelque sentiment et apprehension du iugement de Dieu, il et certain qu'ils ne babilleroyent point ainsi pour eslever leurs merites, qui ne sont que menus fatras. Or de nostre costé, apprenons d'aller à une autre escole meilleure, si nous voulons subsister devant Dieu. Et pourquoy? Car comme il est ici dit en la fin, nous aurons une response qui sers pour nous abysmer du tout. Si auiourd'huy nous avons bec affilé, pour nous vanter de nos iustices, que nous soyons enflez de ceste vaine opinion (voire rage plustost) que nous pourrons bien subsister devant Dieu: si faudra-il en la fin qu'il nous responde

IOB CHAP. XI.

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voire, qu'il nous responde en sorte que nous demourions là confus, suivant ce qui est ici dit, L'homme babillard pourra il gaigner sa cause? Nous le pourrons cuider: mais nous y serons trompez. Et pourquoy? Car, comme desia nous avons exposé, celuy qui se veut faire inste en la presence de Dieu, n'a qu'un vain babil: c'est à dire, qu'il monstre que iamais il n'a esté touché vivement, qu'il a sa conscience endormie, qu'il ne sait que c'est ne de bien faire, ne de bien vivre, qu'il prend une ombre au lieu de la substance: bref, qu'il n'a point pensé que Dieu seroit son iuge. Et voila pourquoy les hommes content ainsi sans leur hoste, comme on dit en proverbe.

Or venons maintenant à ce que Zophar adiouste, Voire à la mienne volonté (dit-il) que Dieu parle contre toy, et qu'il ouvre sa bouche. Voila comme les hommes sont redarguez pour demeurer confus: c'est assavoir, quand Dieu aura la bouche ouverte. Cependant que nous disputons contre les hommes, et bien, chacun pensera avoir bonne cause: mais si tost que Dieu ouvre la bouche, nous sommes sans replique. Il faut (di-ie) que tout ce que nous avions pensé estre tant ferme que rien plus, s'en aille bas, et qu'il s'escoule, tous nos propos ne seront quescumes. Il y aura de grans bouillons: mais cela coule, et se passe tantost. Pesons donc bien ce passage, qu'il faut que Dieu parle, pour faire taire les hommes, et pour les rendre du tout muets en cest endroit: c'est à dire qu'ils ne presument plus de rien mettre en avant de leurs propres phantasies. Et comment est ce que Dieu parlera? Desia il a prononcé siffisamment en l'Escriture saincte ce qui nous doit humilier. Car nous voyons comme les hommes sont là condamnez, comme ils sont tous maudits en Adam. Voila un Item: et puis qu'il faut qu'un chacun en son particulier se rende plus qu'infame, quand Dieu nous monstre que nos pechez - sont si detestables, que nous ne pouvons nous desplaire assez: et qu'encores qu'un homme se despite en soy, qu'il ait sa vie en abomination, si ne cognoit-il point la centieme partie du mal qui est en luy. Dieu nous declare cela: nous voyons comme sainct Paul au troisieme chapitre des Romains met tout le genre humain en tel opprobre, que quand nous lisons ce passage-la, les cheveux nous devroyent dresser en la teste: que nous sommes 1à condamnez de tous maux: et combien qu'un chacun ne soit point coulpable de fait, si est-ce que nous en avons la semence en nous. Voila donc Dieu qui a donné sentence de condamnation sur toutes creatures. Et cela nous doit bien suffire pour nous faire baisser la teste, pour nous rendre du tout muets, comme i'ay dit. Mais quoy? Les hommes sont si arrogans qu'ils ne se peuvent renger, combien que l'Escriture

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les rende confus: comme nous voyons que, cela n'a point empesché, que tousiours on n'ait cuidé se iustifier devant Dieu. Et c'est le plus grand different que nous ayons avec les Papistes. c'est assavoir, que si on demande, Quel est le moyen de nostre salut, les Papistes n'auront que leur franc-arbitre, leurs merites, leurs satisfactions: et de nostre costé nous disons; que l'homme estant destitué de toute iustice, n'ayant en soy que toute malediction, doit avoir son refuge à la pure grace de Dieu, qu'il doit cercher en nostre Seigneur Iesus Christ ce qui n'est point en sa personne. Nous voyons donc, que tout ce qui est contenu en l'Escriture saincte, touchant de nos pechez, touchant de nous humilier devant Dieu, encores ne nous peut matter, qu'il ne peut oster ceste fierté et presomption de nostre chair. Pourtant il faut que Dieu parle d'une autre façon: c'est assavoir, qu'il nous face sentir par experience ce qui est contenu en l'Escriture saincte, afin que nous sa: chions que c'est à nous que cela s'adresse:` et sur tout qu'il nous oste le bandeau d'hypocrisie, lequel nous tient les veux clos et fermez. Car quand nous lisons en l'Escriture, qu'il n'y a pas un seul qui cerche Dieu, que tous sont adonnez à mal, tous sont puants et infects en leurs pechez et corruptions apres, qu'il n'y a que vanité aux hommes, que toute leur sagesse n'est que folie, que toutes leurs pensees et toutes leurs affections ne sont que mal, et inimitié contre Dieu et contre toute droiture: quand nous oyons cela, O il est parlé des meschans, ie ne suis pas du nombre, chacun s'en exempte. Et puis nous cuidons avoir ie ne say quoy de bien, et quand il y en aura une seule goutte nous estendons cela au long et au large, tellement qu'il nous semble que nous pourrons bien contenter Dieu. Or il faut donc que Dieu nous vienne oster ce bandeau: c'est à dire, il faut que nous n'ayons plus ceste apprehension de cuider estre et valoir quelque chose: mais que nous sachions que toutes ces maledictions qui sont contenues en l'Escriture, nous competent et appartiennent: et qu'il faut que nous en soyons navrez, comme de playes mortelles, pour cognoistre nostre confusion. Voila ce que nous avons à noter en ce passage.

Ainsi donc advisons bien quand nous voudrons savoir que c'est de iustice, c'est à dire, comment nous sommes iustes, et comment nous pourrons obtenir grace devant Dieu: qu'il n'est point question de nous enquerir de ce qui semblera bon aux hommes, de ce qui pourra estre approuvé par leur raison, et par tout ce qui pourra estre mis en avant des creatures. Quoy donc? Escoutons Dieu parler: c'est à dire, recevons l'Escriture saincte, ou autrement il faudra en despit de nos dents que ceste

SERMON XLII

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parole de Dieu soit nostre iuge si nous la mesprisons. Il faut donc qu'elle ait son authorité envers nous, et qu'un chacun s'y submette, que Dieu parle, et que nous soyons là faisans silence, sans faire nos repliques accoustumees. Et au reste pource qu'il y a ceste hypocrisie, de laquelle il faut que nous soyons despouillez, advisons aussi qu'il faut que le iugement de Dieu nous soit horrible, et que nous en soyons estonnez. Pourtant prions-le, que quand il aura parlé â. nous d'une façon espouvantable, qu'il nous console puis apres, afin que nous puissions prendre quelque goust en sa bouté. Quand nous aurons cognu cela, il est certain que nous n'aurons point beaucoup de disputes quant à cest article: et que nous ne nous enquerrons point curieusement pour dire, Comment est-ce que les hommes seront iustifiez? Car en premier lieu il faudra que nous sachions qu'il n'y a en nous que tout mal, oyans qu'il est dit, Que celui qui s'osera plus eslever il trouvera que depuis le sommet de la teste iusques à la plante des pieds, il n'y a que toute malediction en lui. au reste, quand encores Dieu nous trouveroit pleinement disposez pour cheminer en sa crainte, et qu'est-ce que cela? nous serions neantmoins tousiours imparfaits. Mais le mal est, quoi que Dieu dise en sa parole, encores demourons-nous tousiours la: que nous avons les yeux clos, et nous semble quoy qu'il en soit, qu'il y a tousiours quelque chose en nous, et que nous pouvons nous asseurer en nos propres oeuvres. Il faut donc que Dieu se presente là devant nos yeux et qu'il nous monstre qu'il n'y a rien en nous dont nous puissions nous enorgueillir. Que sera-ce alors quand les hommes seront ainsi confus? Il est certain que rien ne les empeschera plus d'accourir à nostre Seigneur Iesus Christ. Mais si nous sommes enflez d'orgueil, nous n'aurons nul appetit: ce sera comme un estomac plein de vent, lequel se trouvera si debiffé qu'il ne pourra rien recevoir: au contraire si nous sommes vuides de toute presomption, nous serons affamez et ne demanderons sinon que Dieu remedie à nos defauts. Ainsi donc tous ceux qui auront ainsi ouy parler Dieu à bon escient, c'est à dire, qui premierement auront cerché ce qui nous est monstré en l'Escriture saincte, et puis qui se seront employez pour appliquer cela à leur instruction, qui auront cognu que c'est à eux que ces lettres s'adressent: tous ceux-la (di-ie) s'accordent aisement à ceste doctrine: c'est à dire Que nous n'avons nulle iustice sinon celle qui nous est donnee par lu grace de nostre Seigneur Iesus Christ, et que combien que Dieu nous trouve pecheurs, maudits, perdus, damnez, il nous rachete de ceste confusion là, comme le prix en a esté payé, quand Iesus Christ a espandu son sang pour

nostre redemption et salut: et que maintenant

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quand l'obeissance, que Iesus Christ a rendue à Dieu son Pere, nous est allouee, c'est autant comme si nous avions accompli la Loy.

Voila donc comme c'est que nous avons à profiter en ceste doctrine: bref, iamais un homme ne saura que veut dire ce mot D'estre iustifié par foy, ' iusques à tant qu'il ait ouy Dieu parler, et qu'il l'ait ouy pour s'abaisser, et se despouiller de ceste folle hautesse de laquelle les hommes presument et s'enyvrent. Voila ce que Zophar a entendu en disant, Que Dieu parle, et qu'il ouvre ses levres (dit-il) contre toy. Notamment, il dit, Que Dieu ouvre ses levres. Vray est que c'est une façon de parler Hebraique: mais si est-ce qu'elle emporte une vehemence de parler: comme quand on traitte à bon escient d'un propos, qu'on n'en dit pas seulement un mot en passant, mais qu'on deduit le tout, tellement qu'il y a une conclusion faite. Or i'ay dit, que ceci doit bien estre pesé, pource que nous voyons comment c'est que les hommes escoutent parler Dieu à demi seulement. Il est vray que nous orrons bien quelque mot: mais quoy ? Cela n'est pas de grand poids, d'autant que nous ne retenons point tout ce que Dieu nous monstre, pour prendre une conclusion certaine de tout ce qu'il nous dit. Pourtant ce n'est pas assez, quand nous aurons presté une aureille à Dieu, et que nous aurons entendu quelque mot de ce qu'il nous dira: mais il faut que nous soyons attentifs pour suivre en tout et par tout ce qu'il dit. Quand donc il aura ainsi ouvert les levres pour nous condamner nous ne serons plus adonnez à babiller, c'est à dire, nous n'aurons plus ceste vaine outrecuidance qui nous donne la hardiesse de magnifier nos iustices. Car nous demourerons du tout confus.

Il est dit puis apres, Que Dieu revelera les secrets de sagesse, parlant ainsi, voire monstrant que Iob pouvoit bien estre puni au double, c'est à dire qu'il y avoit un iugement double sur lui, et que Dieu le mettoit en oubli pour ses iniquitez, ou bien, qu'il le cerchoit. Car le mot aussi signifie Exiger quelquesfois demander conte et reliqua. Pourtant on le pourroit exposer, que Dieu lui pourroit mettre des choses en conte pour lui faire sentir qu'il y en avoit le double: et tout revient à un. Or en premier lieu quand il est dit, Que Die` revelera une sagesse qui a esté incognue auparavant à lob: c'est pour nous monstrer, que la cognoissance que nous avons de nos pechez, et de la bouté inestimable de nostre Dieu, surmonte toute nostre capacité: que c'est une sagesse qui ne s'apprendra iamais par raison humaine, mais qu'il faut que cela nous viene d'enhaut du ciel. Nous avons desia adverti, que ceci est mal approprié à Iob: et de fait il a bien cognu qu'il ne faut point que les hommes mesurent la iustice de Dieu à leurs sens propre. Iob a tres-bien

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deschiffré cela, et comme nous avons monstré, il avoit bonne cause combien qu'il la deduit mal. Mais nous avons à suivre ce fil: c'est assavoir, de prendre ceste doctrine ici en general, afin d'en faire nostre profit. Voila donc un Item: c'est, que ce que l'Escriture nous monstre de la iustice de la foy, c'est un secret qui est plus haut que les hommes ne peuvent parvenir. Que faut-il donc? Que Dieu nous le revele. Et voila pourquoy les Papistes ne s'y peuvent accorder. Car ;ils se tienent tousiours à leurs fantasies. Ils savent que c'est de iustice, comme ont fait les philosophes Payens. Quand on demandera à un philosophe Payen, Qu'est-ce de iustice? C'est une vie bien reglee selon toute vertu, respondra-il. Et voila aussi comme en disputent les theologiens de la Papauté. Nous disons bien que cela est vrai en soy: mais il faut venir plus loin, c'est assavoir, à une autre iustice qui n'est point aux hommes, et ne s'y en trouvera point une seule goutte. Il faut donc qu'ils ayent une autre iustice: c'est que Dieu nous ayant condamnez en nos personnes, nous prenne à merci au nom de nostre Seigneur Iesus Christ: que nous luy soyons agreables par ce moyen, et que nous luy soyons sanctifiez, d'autant que l'obeissance que Iesus Christ a rendue, nous est imputee. Or, comme i'ay dit, cela n'entre point au cerveau des hommes. Et voila pourquoy ceux qui pensent estre trop subtils, d'autant qu'ils le veulent comprendre par raison humaine, se confient en leurs propres vertus.. Mais quoy ? Ne trouvons point cela estrange, veu qu'il est dit, Que c'est à Dieu de reveler sa sagesse: comme s'il estoit dit, Il est vrai que cependant que les hommes imagineront à leurs sens propres, et qu'ils voudront iuger ce que bon leur semble, iamais ils ne comprendront que c'est d'estre iustes devant Dieu, ils ne feront que babiller: et quand ils ameneront de belles couleurs, tout cela ne sera que fumee. Et pourquoy? D'autant que c'est une sagesse inestimable et cachee a la raison humaine, de savoir comment nous sommes iustifiez devant Dieu, iusques à tant qu'il ait-parlé à nous, et qu'il nous ait revelé que c'est de nostre confusion, iusques à tant qu'il nous ait fait sentir que nous ne pouvons pas consister devant lui, que nous sommes du tout reiettez comme detestables, et qu'il n'y a autre moyen d'avoir accez à lui, sinon d'y

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venir au nom de nostre Seigneur Iesus Christ son fils unique. Iusques a tant donc que Dieu nous ait declaré cela, nous serons tousiours adonnez à babil, c'est à dire, à ceste vaine presomption, de laquelle nous sommes esmeus et tentez. Pourtant il faut que Dieu nous revele ceste sagesse qui nous est incognue, afin de ne point passer nos limites et ce que nous devons savoir. Voila en somme ce qui est ici touché.

Apprenons donc toutes fois et quantes que nous aurons ces folles présomptions , que nos vertus doivent valoir quelque chose, et que nous pourrons bien contenter Dieu par nos merites: apprenons (di-ie) de retourner à ce qui nous est ici declaré, c'est assavoir, que c'est a Dieu de reveler ses secrets et de nous enseigner sa sagesse. Et tant s'en faut que nous puissions atteindre à une telle cognoissance de nostre propre vertu, que nous la fuyons tant qu'il nous est possible, que nous avons les yeux bandez, afin de nous oster tout sentiment et apprehension du iugement de Dieu. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ceste rigueur, de laquelle parle ici Zophar au nom de Dieu, comme un messager, ou un heraut envoyé de par luy, qui nous adiourne devant son siege iudicial: que nous sachions quelle est ceste rigueur-la, assavoir insupportable, quand Dieu en voudroit user envers nous. Que faut il donc? Que nous apprenions de sentir quels nous sommes et de nous humilier, afin de retourner en vraye repentance a nostre Dieu, lequel ne demande sinon que nous y venions au nom de nostre Seigneur Iesus Christ. Venons y donc gemissans de nos pechez, et estans tellement navrez de ceste apprehension de son iugement, que nous ne demandions sinon qu'il lui plaise de nous recevoir à merci: et nous y recevoir, non point seulement afin de nous pardonner nos fautes passees: mais de nous en corriger tellement pour l'advenir, que nous puissions cheminer en son obéissance, combien que ce ne soit point pour lui en faire un payement de nos merites, et de nos oeuvres: mais pour nous faire retourner à sa grace, et le prier qu'il nous gouverne tellement par son saint Esprit, que nous le puissions tousiours invoquer et requerir comme nostre Pere.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

SERMON XLIII

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LE QUARANTETROISIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XI. CHAPITRE.

7. Trouveras-tu Dieu en le cerchant? Trouvera-tu la perfection accomplie du Tout-puissant? 8. Elle surmonte la profondeur des cieux, que feras-tu? Elle est plus profonde que les abysmes, comment la comprendras-tu? 9. Son estendue est plus ample que la terre, sa largeur est plus grande que la mer. 10. Quand il remuera pour enfermer, et pour mettre hors, qui est-ce qui l'empeschera? 11. Et puis qu'il cognoist les hommes vains, qu'il voit ceux qui ne valent rien: n'entendroit-il pas, 12. Que l'homme vuide est doué de coeur, et l'homme est nay comme un asnon sauvage?

Pource que ce n'est point une chose facile à comprendre que de nous humilier, voila pourquoy Dieu insiste tant sur ceste doctrine, afin que nous ayons tant plus d'occasion de nous y exercer. Hier nous vismes que si Dieu nous punit, il ne faut point que nous replicquions à l'encontre: car nous trouverons à la fin qu'encores nous a-il espargnez, et qu'il pouvoit de droit exercer plus grande riguer sur nous. Mesmes si nous ne sommes point exaucez de luy, c'est d'autant que nos pechez l'ont separé arriere de nous, et que nous ne sommes plus dignes qu'il nous exauce: mais qu'à cause de nos iniquitez il nous mette en oubli: comme il est dit (Ps. I8, 42), que les meschans ne gagnent rien, quand ils cuideront avoir leurs recours à lui, comme aussi de fait ils n'y vont pas en verité. Et quant aux bons, si Dieu les exauce, ce n'est pas si tost: pour le moins il ne le leur fera pas sentir, a cause qu'il est bon qu'ils soyent humiliez. Or apres que cest article là a esté exposé, touchant qu'il n'est pas licite aux hommes de se iustifier devant Dieu: maintenant en general il est dit, que nous travaillons en vain, si nous voulons nous enquerir de sa sagesse. Pourquoy? Car elle outrepasse les cieux, elle est plus profonde que les abysmes, son estendue est par tout. Regardons à nostre mesure: voici l'homme qui voudra surmonter toute la terre, et il ne luy faut que six pieds pour le cacher: l'homme voudra enclorre plus que la mer en sa phantasie cependant il n'est rien. Il voudra surmonter les cieux, comment y parviendra-il? Il voudra sonder les abysmes: quel moyen a-il de ce faire ? Mais encores prenons le cas, que nostre esprit peust voler par dessus les cieux, qu'il n'y eust rien qui luy fust caché: encores ne venons nous point à ceste sagesse de Dieu, pource qu'elle est infinie: on ne la peut

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point accomparer ni aux abysmes, ni aux cieux: car elle surmonte de beaucoup. Pourtant cognoissons que nostre presomption sera folle, quand nous pretendrons de cognoistre la raison de ce que Dieu fait. Voila en somme ce qui nous est ici monstré. Pourtant notons que ce mot de Sagesse est ici prins pour le conseil de Dieu, lequel nous est incomprehensible. Vrai est que nous gousterons bien quelque petite portion de ceste sagesse de Dieu, comme quand nous contemplons les creatures, là Dieu se declare à nous, voire en partie. Seulement que nous prenions un brin d'herbe nous verrons comme Dieu a besongné là, et de quel artifice: voila un vray miroir de sa sagesse. Par plus forte raison, quand nous viendrons aux oeuvres plus grandes et plus exquises, là nous cognoistrons bien que c'est une chose admirable que ceste sagesse de Dieu, si nous en avons quelque goust. Mais cependant il est ici parlé de la perfection, c'est assavoir, que si nous voulons savoir pourquoy Dieu fait toutes choses, ou qu'on regarde à quelle fin il pretend, et de quelle cause il est esmeu, il faudra que nous soyons du tout confus.

Or ici en premier lieu, nous sommes admonnestez de la rudesse de nos esprits et de nos entendements, afin que nous ne passions point nos bornes, que nous ne facions point des chevaux eschappez: comme nous voyons que l'arrogance et l'orgueil de nostre nature nous y pousse. Mais de là nous avons aussi à considerer la bouté de nostre Dieu, lequel s'accommode à nous, et à nostre faiblesse, tellement que ce qui nous est imcomprehensible, pour le moins nous le goustons: et si nous ne l'apprehendons du tout, et ne le goustons pleinement: si est-ce qu'entant qu'il nous est utile, il nous le monstre et le nous fait sentir. Voila donc deux articles qui sont bien à observer. Quant au premier, i'ay dit qu'il faut que les hommes pensent combien ils sont rudes, et ont l'esprit debile, qu'ils ne presument point de s'ingerer trop avant, pour s'enquérir des oeuvres de Dieu plus qu'il ne veut et qu'il ne permet. Ie di plus qu'il ne veut, et qu'il ne permet. Car (comme i'ay desia touche) Dieu par sa bouté ne nous exclud pas de tout, que nous n'ayons quelque apprehension de sa sagesse, mais il y faut tenir mesure. Advisons donc à nous, qu'un chacun regarde sa faculté, et combien nous sommes subtils et aigus, adonnez à ceste audace, à laquelle nostre nature nous solicite tousiours.

IOB CHAP. XI.

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Comme quoy ? Nous voudrions tousiours amener Dieu en conte de tout ce qu'il fait. Quand nous trouvons quelque chose estrange, et qu'on nous dit, si est-ce que le bon plaisir de Dieu est tel, puis qu'il en a ainsi disposé: il ne faut point que nous plaidions contre luy, Et voire? Mais pourquoy est-ce qu'il ne fait autrement? Car il viendra de ceci un tel mal, les choses pourront tirer tout au rebours de ce qui nous seroit utile. Voila donc comme tous les coups nous voudrions bien que Dieu nous rendist raison pourquoy il fait cecy ou cela. Apres, encores que nous n'ayons rien pour alleguer, si est-ce que nous voudrions que Dieu ne nous celast rien, que nous deussions entrer aux plus grands secrets qu'il a. Et noue voyons combien nos esprits sont chatouilleux en cest endroit. Vray est que les uns sont plus fretillans que les autres mais tant y a que c'est un vice commun duquel nous sommes tous entachez depuis le plus grand iusques au plus petit. Notons bien donc ce gui nous est ci monstré, c'est à savoir que la sagesse de Dieu surmonte les cieux: qu'elle est plus profonde que les abysmes: et ainsi que c'est en vain que nous voudrons l'enclorre en nostre cerveau. Car ceste mesure-la est trop petite: quand l'homme auroit cent fois plus d'intelligence qu'il n'a, si est-ce qu'encores ne pourroit-il parvenir à la centieme partie de la sagesse de Dieu.

Voyans donc que ce n'est rien que de nous, et que c'est un abysme infini que de ceste sagesse de Dieu, n'avons-nous point tant plus d'occasion de nous tenir en bride courte, -et de ne suivre point nos phantasies pour nous enquerir plus que Dieu ne permet? Que donc ceci nous viene au devant, Oh vas-tu, povre creature? tu entres en un abysme dont tu ne pourras iamais sortir. C'est l'admonition que nous avons à suivre de ce passage. Mais cependant retenons aussi ce qui a este declaré touchant ceste grace que Dieu nous fait, quand il s'accommode à nous, qu'il nous declare ses oeuvres, entant qu'il nous est utile et profitable de savoir pourquoi il fait ceci ou cela. Or Di eu s'accommode ainsi à nous, non point qu'il y soit tenu (quelle obligation y a-il? comment le pourrons nous sommer de ce faire?) Mais en cela il nous monstre combien il nous aime, quand il s'approche de nous si privément. Nous oyons ce que nostre Seigneur Iesus Christ disoit à ses disciples (Iean 15, 15: Ie ne vous appellerai plus mes serviteurs: vous estes mes amis à cause de la privauté qui ie vous ay monstree: car ie vous ay declaré familierement tout ce que i'avoye commission de Dieu mon Pere. Et ainsi quand Dieu approche de nous avec telle familiarité nous avons un tesmoignage grand et singulier de son amour. Apprenons donc de nous enquerir des oeuvres de Dieu, entant qu'il nous conduit et nous

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regle à ce faire. Or ceci est bien à noter: car nous voyons les hommes decliner tousiours à quelque extremité. l'ay desia dit, qu'il y a une telle fierté en l'esprit humain qu'il voudroit tout savoir, que rien ne lui eschappast, et chacun de nous est adonné à ce vice: et bien, Dieu nous monstre qu'il ne nous faut point estre trop sages, qu'il nous faut savoir ce qu'il nous monstre à sobrieté. Or nous cuidons nous abstenir de ce vice là: nous entrons à l'opposite en l'autre extremité pour dire, Il faut donc clorre les yeux, et ne nous faut point enquerir de rien: ouy: mais il y a grande distance entre mediocrité, et entre rien. Car Dieu ne nous a point creez à son image, pour dire qu'un chacun de nous s'abbrutisse à son escient, et que nous ne regardions point à ceste clarté qu'il nous monstre, qu'elle soit du tout esteinte en nous: mais apprenons de savoir autant qu'il luy plaist de nous enseigner. Quand Dieu sera nostre maistre, et que nous l'escouterons parler, il est puissant pour nous donner prudence et discretion pour comprendre sa doctrine, et nous ne pourrons faillir en cela: mais quand nostre Seigneur aura la bouche close, il faut aussi que nos sens soyent fermez, et que nous les tenions captifs, que nous ne prenions point ceste licence pour dire, Ie voudroye savoir ceci, ie voudroye savoir cela. Car Dieu ne veut point que nous cognoissions plus qu'il ne nous a monstré. Voyans donc que ces deux vices regnent au monde, d'autant plus nous faut-il observer ce que i'ay dit, c'est assavoir, que nous usions de ceste grace et privilège que Dieu nous fait quand il nous monstre ce qui nous est utile de cognoistre. L'on usera de ce proverbe commun, Qu'il ne se faut point enquerir des secrets de Dieu: il est vray qu'il ne s'en faut point enquerir, sinon d'autant qu'il nous les communique, et alors ils ne sont plus secrets. Comme quoy? Voila l'Evangile que sainct Paul (Ephes. 3, 9. 10) appelle un secret admirable qui a esté caché en Dieu, et mesmes que les Anges en sont ravis en estonnement, et qu'ils l'adorent: neantmoins ce nous est une doctrine facile. Car Dieu nous exprime la sa volonté, mesmes il nous masche la viande (comme on dit) tellement qu'il ne reste plus qu'à l'avaller, il condescend à nostre rudesse, et se declare familier tant et plus. Voila donc l'Evangile en soy, qui est une sagesse si haute que nous n'y pourrons iamais parvenir veu que les Anges ne la comprennent pas: et toutesfois c'est une doctrine qui nous doit estre cognue, voire aux rudes et idiots (comme sainct Paul en parle en un autre lieu) c'est assavoir d'autant que Dieu s'est accommedé là à nous.

Or il y a d'autres secrets qui nous sont cachez, et ausquels Dieu ne nous permet point de venir encores. Il est vrai qu'au dernier iour toutes choses

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nous seront cognues: mais maintenant il nous doit souvenir de ce que dit sainct Paul (1. Cor. 13, 9), c'est assavoir, Que nous cognoissons en partie, voire en obscurité: que Dieu nous donne maintenant quelque goust de ce qui nous sera revelé en perfection, quand nous serons transfigurez pleinement en son image et en sa gloire. Estans donc vestus de nostre chair mortelle, cognoissons nostre petite rapacité, et contentons-nous de ce qu'il plaist â Dieu nous donner et reveler. Il y a donc des secrets de Dieu, lesquels il nous veut tenir cachez durant ceste vie mortelle, comme nous ne pouvons point savoir ce qu'il a disposé de faire de cestuy-ci, ou de cestuy-la. Quant aux fideles, ils ont un tesmoignage suffisant, que Dieu les a choisis et adoptez pour ses enfans en l'heritage de salut. Mais tant y a qu'ils ne peuvent point voir les registres du ciel pour savoir s'ils sont là escrits: ce leur est assez que Dieu leur a donné une bonne copie de leur election, et faut qu'ils la contemplent en nostre Seigneur Iesus Christ, qu'estans ses membres, ils ne doutent pas que Dieu ne les advouë pour ses enfans. Mais nous ne cognoissons pas la compagnie des esleus, nous ne cognoissons pas ceux qui sont reprouvez encores: nous ne savons point pourquoy Dieu fait ceci ou cela: et quand nous ferons nos discours de sa providence, et des choses que nous voyons par tout le monde, nous y serons confus. Car ce conseil estroit de Dieu est trop haut pour nous. Voila donc des secrets qui nous sont cachez: il faut que les hommes apprennent que c'est de modestie: bref, nostre sagesse sera d'escouter Dieu pour suyvre simplement ce qu'il nous dit, et de ne point passer outre. Il y a (di-ie) deux choses en quoy la vraye sagesse des hommes consiste: c'est d'escouter Dieu parler, et de suivre sans contredit ce qui est contenu en sa parole, qu'elle ait authorité de nous faire craindre Dieu, et de nous humilier sous luy. Voila un bon moyen d'estre sages: mais tout ainsi qu'il nous faut obeir à Dieu et suivre ce qu'il nous monstre: aussi ne faut-il point que nous vueillions plus savoir que ce qui est contenu en sa parole. Car les hommes deviennent du tout enragez, quand ils veulent estre sages contre Dieu. Nous voyons ce qui est advenu à nostre Pere Adam, voire du temps qu'il estoit en son integrité estant creé à l'image de Dieu, il avoit bien une condition plus excellente et plus noble, que celle qu'ont auiourd'huy les hommes: car l'image de Dieu est tellement obscurcie en nous, qu'il n'y a plus de clarté, il n'y a plus quasi que tenebres. Adam ne s'est pas voulu contenter de cola, mais a voulu avoir une perfection plus haute: et où est tombé? En un bourbier si vilain, que maintenant nous devons avoir honte de nostre condition. Or cependant (ie vous prie) si

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nous tendons à ceste hautesse de laquelle dam a esté tenté, et que ceste povreté en laquelle nous sommes cheus ou trebuchez plustost, ne nous puisse pas humilier: ne faut-il pas que nous soyons punis au double? Et ainsi apprenons de ne point appeter de savoir plus que ce que Dieu nous monstre, comme i'ay desia dit.

Cependant ne laissons pas de nous enquerir des secrets contenus en l'Escriture saincte: et ne faisons pas comme les Papistes, qui diront qu'ils s'abstiennent de rien savoir, pource que la doctrine de l'Escriture saincte ne peut estre comprinse de tous, et qu'il y a grand danger qu'on ne s'entortille en beaucoup d'erreurs et heresies: et que voila d'où toute la confusion est venue au monde, quand les hommes ont esté transportez d'un fol appetit, qu'ils n'ont point eu ceste modestie en eux d'avoir une foy enveloppee, de croire simplement ce qui estoit tenu par la saincte Eglise. Il semble bien de prime face que cela ait quelque couleur: mais si est-ce que ce sont autant de blasphemes execrables contre Dieu. Et pourquoy? Car (comme i'ay desia dit) combien que la doctrine gui est en la Loy et en l'Evangile, soit si haute que nos esprits n'y pourroyent atteindre: si est-ce que Dieu n'a point publié en vain sa Loy, et n'a point commandé en vain qu'on preschast l'Evangile à toutes creatures, voire iusques aux plus idiots: d'autant qu'il se revele là d'une façon amiable et si douce, qu'il n'y a celui qui ne puisse privément cognoistre ce qui est là monstré. Ainsi donc que nous ne soyons point ingrats à nostre Dieu, que nous ne l'accusions point d'avoir parlé comme au fond d'une bouteille. Car il proteste par son Prophete Isaie (40, 19), Que ce n'est point en vain qu'il nous convie â soy, qu'il n'a point parlé en cachette: mais que sa voix sonnant haut et clair doit estre ouye de tous et que nous la devons tous recevoir. Puis qu'ainsi est donc, estudions hardiment en la parole de Dieu, appliquons-y tous nos sens: et nostre labeur ne sera point inutile. Au reste que nous ayons tousiours ceste sobrieté que i'ay dite. Et voila pourquoy sainct Paul voulant corriger ceste folle curiosité et temeraire qui est aux hommes, leur monstre (Eph. 3, 18) à quoy ils se doivent appliquer: c'est de bien cognoistre quel est l'amour de Dieu qu'il nous a monstré en nostre Seigneur Iesus Christ, qu'il ne nous faut point tout le temps de nostre vie autre chose, sinon de nous enquerir diligemment de ceste grace qui nous a esté manifestee en nostre Seigneur Iesus Christ, comme nous avons esté retirez de la tyrannie de Satan, et affranchis de la servitude du peché et de la mort: qu'au lieu que nous estions damnez pleinement de nature, et povres pecheurs detestables devant Dieu, nous sommes maintenant iustifiez devant lui, qu'il nous reçoit et

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lui sommes agreables: comme nous sommes gouvernez par son sainct Esprit, afin de batailler contre les cupiditez de nostre chair: comme nous sommes preservez sous sa main et protection, combien que le diable machine de nous ruiner à chacune minute de temps, toutesfois que nous le pouvons repousser, d'autant que nous sommes en la bergerie et en la garde de ce bon Pasteur Iesus Christ, lequel a promis que de tout ce que le Pere lui a donné en main, il ne souffrira point que rien perisse. Que donc nous cognoissions ces choses: et puis, comme nous devons maintenant approcher de Dieu, qu'il nous est licite de l'invoquer à pleine bouche, qu'il nous a donné un Mediateur lequel nous donne accez à luy: que Iesus Christ porte la parole pour nous, et que quand nous prions Dieu en son nom nous sommes exaucez sans aucune doute. Si donc nous cognoissons bien ces choses, voila nostre temps bien employé. Pour ceste cause sainct Paul adiouste, que c'est nostre hautesse, nostre profondeur, et nostre largeur. Bref (dit-il) voila comme les hommes seront sages en perfection, c'est assavoir, quand ils auront bien cognu la grace qui leur a esté revelee et faite en nostre Seigneur Iesus Christ.

Cependant cognoissons qu'il ne faut point que nous pretendions de monter si haut, pour cognoistre que c'est de ceste sagesse de Dieu en soy. Car c'est un abysme profond: et qui est-ce qui pourra atteindre là? Sachons que toutes nos vertus y defaudront. Il faut donc que les hommes s'humilient. Et ainsi retenons ce que nous dit sainct Paul: c'est, que quand nous monterons haut par dessus les cieux nous ne pretendions point de savoir autre chose, sinon de cognoistre la bouté paternelle de nostre Dieu, sachans qu'en cela nous aurons une perfection de toute sagesse, qui aura son estendue de haut et de large, et de long, et de tous costez. En ces mots S. Paul se moque de ces esprits curieux, qui voltigent çà et là, qui voudroyent monter bien haut et descendre bien bas, aller à tors et à travers, voire mais cependant il n'y a que vanité: et d'autant qu'ils sont plus legers, d'autant moins y a-il d'assurance et de fermeté. Sainct Paul donc se moque de ce que les hommes font ainsi leurs discours frivoles: et cependant leur monstre que s'ils s'adonnoyent à retenir ce qui leur est profitable, ils apprendroyent alors de se contenter de ce qui leur est simplement monstré en l'Escriture. Et voila pourquoy Moyse aussi disoit (Deut. 30, 12), apres avoir publié la Loy, N'interroguez plus disans, Qui est-ce qui montera sur les nues? qui est-ce qui passera la mer? qui est-ce qui descendra aux abysmes? Car vous avez la parole en vostre bouche et en vostre coeur. S. Paul applique cela à la doctrine de l'Evangile et

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non sans cause: car la Loy en say est trop obscure et n'eust peu contenter les hommes et leur bailler ce qui leur faisoit besoin, sinon que Dieu les eust amenez à Iesus Christ. Or maintenant nous avons ce que les Peres anciens n'ont pas eu qu'en partie. Car Dieu nous met sa parole en la bouche et au coeur, non point pour nous en donner quelque petit goust, mais pour nous en rassesier, sinon que nous fussions insatiables en nos appetits, comme ce sont des gouffres que les cupiditez des hommes: ie di en toutes choses. Mais quand il est question de nous enquerir, voila le plus grand goure qui soit en nous, que nous voudrions engloutir toute la maiesté de Dieu, nous voudrions empaqueter en un monceau toute sa gloire, et qu'il ce se reservast rien. Voyans donc que nous sommes tels, que nous retenions bien le passage de sainct Paul, et que tout le temps de nostre vie nous appliquions là nostre estude, et que de plus en plus nous profitions en la cognoissance de nostre Seigneur Iesus Christ, afin que puis qu'une fois il nous a entez en son corps, il nous augmente de iour en iour ses graces, iusques à ce que nous en soyons du tout remplis. Voila ce que nous avons à noter quant à ce passage.

Or il s'ensuit puis apres, Qu'est ce qui empeschera Dieu s'il veut clorre? s'il veut relascher, s'il veut remuer tout, qu'il vueille faire un ordre tout nouveau, qui est-ce qui le pourra divertir? Qui est-ce qui s'opposera à son bon plaisir? Apres qu'il nous a esté monstré que nous ne devons pas nous conquerir par trop et outre mesure de ]a sagesse de Dieu: mais seulement entant qu'il nous en donne congé et liberté, ici ceste cognoissance-la nous est déclarée: assavoir qu'il ne nous est point licite de murmurer contre ce qu'il fera, comme si nous le pouvions retenir. La raison c'est, que nous devons trouver bon tout ce que Dieu fera, encores que nous ne sachions point pourquoy, et qu'il nous tiene cela caché, non pas qu'il nous porte envie, que nous ne concevions la raison de ses oeuvres: mais il faut qu'il esprouve nostre obeyssance, et que nous cognoissions aussi qui nous sommes. Si Dieu nous donnoit maintenant une pleine declaration de toutes ses oeuvres qui est-ce qui pourroit porter nostre fierté ? qui penserions nous estre ? Car combien que nous voyons nostre esprit tant debile, que nous sentions que nous sommes enveloppez de tenebres ou de nues, que nostre sens ne s'estend point trois pieds loin: encores voit-on que nous ne laissons point de nous eslever par trop: et que seroit ce donc si Dieu ne nous tenoit la bride courte? Au reste quel honneur ferions-nous à Dieu, quand nous comprendrions tout ce qu'il fait? Il nous sembleroit que nous serions ses compagnons. Car nous voyons l'orgueil qui est desia en nous. Et

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ainsi donc il est bon que Dieu esprouve nostre obeyssance, afin que nous apprenions de le glorifier en tout ce qu'il fait. Ouy, combien que ce nous soyent choses incognues, combien que nous les trouvions estranges du premier coup pour dire, Il semble que ceci doive aller autrement: mais disons, Puis que le bon plaisir de Dieu est tel, il faut que ie me renge là. Quand les hommes viendront à une telle raison ils auront beaucoup profité. Voila donc pourquoi Dieu ne nous monstre point pourquoy il fait ceci ou cela.

Et au reste quand il est ici parlé de remuer, d'enclorre et d'enserrer, c'est autant comme s'il estoit dit, Quand Dieu changera tout ce que nous voyons, si ne faut-il point que nous venions à l'opposite, que nous presumions de plaider, ne d'amener rien à l'encontre. Il est vray que desia quand nous voyons l'ordre de nature tel que Dieu l'a constitué, nous le devons bien glorifier. Et de fait Dieu noue a mis en ce monde, afin que nous soyons comme en un grand theatre pour contempler ses oeuvres, pour confesser qu'il se monstre et sage, et iuste et puissant, voire d'une façon admirable. Car il Saut que non seulement les hommes soyent instruits avec toute reverence de luy donner gloire: mais qu'ils soyent tous ravis par dessus leurs sens et apprehension, qu'ils confessent et s'escrient avec David (Ps. 104, 24)' Qu'il est impossible d'atteindre à ceste sagesse de Dieu, laquelle apparoist en ses oeuvres: mais encores quand Dieu changeroit tout cest ordre auquel il veut estre contemplé de nous, et auquel il nous veut auiourd'hui exercer: neantmoins si faudroit-il nous assuiettir là, que ce n'est point sans cause qu'il le fait. Si nous le trouvons estrange, comme i'ay desia dit, que nous apprenions de dire: Voire, mais qui es-tu povre creature? Ie vous prie quand l'homme aura beaucoup comprins et entendu, et qu'il ne se cognoisse point, dira-on qu'il soit sage ? Quand (di-ie) un homme aura appliqué son estude aux lettres, et mesmes qu'il sera exercé aux affaires, tellement qu'il pourra donner bon conseil pour autrui: et cependant qu'il soit du tout fol, et comme insensé, en ce qui le concerne, en ce qui attouche sa personne, ne dira-on pas, Voila un homme qui n'a nulle cervelle. Il est vrai qu'il a sens et memoire pour les autres, mais il n'a nulle prudence pour soy. Ainsi en est-il de ceux qui voudroyent restraindre la puissance de Dieu à leur phantasie. Et pourquoy ? Il leur semble qu'ils sont bien suffisans pour comprendre tout et le principal leur defaut, assavoir d'autant qu'ils se mescognoissent. Car celui qui entrera en soy, et qui se regardera bien, trouvera qu'il est tout rude et tant foible que rien plus: et pourtant qu'il faut bien qu'il chemine en modestie et humilité devant Dieu. Voila donc les hommes qui

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seront comme transportez, ils n'auront ni raison ni memoire, quand ils voudront ainsi compasser la puissance de Dieu par leurs apprehensions. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ceste doctrine: c'est assavoir, que si Dieu enclost, s'il relasche, qu'il change tout, que nous ne laissions pas pourtant d'adorer sa puissance selon qu'il nous la monstre: et combien que nous ne cognoissions point la raison pourquoy il besongne ainsi: toutesfois que nous apprenions de le glorifier en tout et par tout: Seigneur, c'est bien raison que tout te soit licite, que tu puisses user des creatures comme il te plaira: que tu puisses mettre le ciel bas, et eslever la terre en haut. Bref quand tu feras de tes creatures selon ton bon plaisir, tu n'outrepasses point ton droit, tu n'usurpes point rien d'autrui: car tout cela t'est deu. Voila (di-ie) comme les hommes doivent glorifier la bouté et la puissance de Dieu.

Or cependant si ne faut-il pas que nous attribuons à Dieu une puissance absoluë, comme les docteurs de la Papauté la nomment. Car c'est une chose detestable et diabolique que cela. En leurs escoles ils confesseront bien que Dieu de sa puissance absoluë pourroit foudroyer sur les Anges, et les damner: mais ils appellent ceste puissance absolue de Dieu, une puissance iniuste et tyrannique. cardons nous bien d'imaginer que Dieu soit comme m tyran: car il fait toutes choses avec equité et droiture. Hais cependant il a son conseil qui nous est cache: et pourtant il nous faut adorer sa iustice quand elle nous sera incognue, et que nos esprits et tous nos sens ne pourroyent parvenir iusques là. Et c'est ce que nous avons à retenir de ce passage. Or puis qu'ainsi est, que ce n'est point aux hommes mortels de s'eslever contre Dieu pour resister à sa puissance, et accuser sa iustice, quand il luy plaira de changer l'ordre de nature, et tout remuer: ie vous prie en ceste disposition, que nous voyons si belle, et à laquelle il n'y a , à redire, ne faut-il point que nous soyons bien ingrats et pervers quand nous murmurerons contre Dieu? Prenons le cas que Dieu convertist la clarté en tenebres, que le soleil trebachast aux: abysmes, que la terre s'eslevast en haut, que tout fust confus: si est-ce qu'encores faudroit-il glorifier Dieu, et dire, Seigneur, il est ainsi que nous sommes ici estonnez: ces choses nous sont bien sauvages: mais quoy? qu'il te plaise nous tenir en bride, iusques à tant que tu nous ayes monstré que ceci est bon. Voila donc ce que nous avons à faire. Or maintenant il y a une disposition telle au monde, que nous sommes contraints en despit de nos dents de dire, que c'est un artifice tel que nulle creature ny peut attaindre: ne faut-il pas donc que nos esprits soyent plus que malins, quand

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nous pourrons glorifier Dieu en toute humilité? Vray est qu'en cest ordre de nature nous voyons quelque confusion: mais d'où procede-il que Dieu ne dispose point les choses comme il seroit à souhaiter, mais qu'il semble que tout doive renverser? D'où procede cela? de nos pechez: nos sommes cause que ce que Dieu avoit ordonné dés le commencement ne continue pas, que nous faisons beaucoup de meslinges confus. Tant y a qu'en cest endroit nous devons sentir que Dieu est iuste Iuge. Cependant que nous cognoissions qu'il ne confond point tellement l'ordre de nature, que tousiours il ne nous face sentir sa bonté et son amour paternelle: et tant plus devons nous estre induits à humilitè, quand nous cognoissons que sa bouté et misericorde surmonte la grandeur et l'enormité de nos pechez. Voila quant à ceste sentence.

Or il adiouste aussi, Que Dieu cognoist les hommes de vanité, les hommes qui ne valent rien: comment donc n'entendra-il, que l'homme qui est nay comme un petit asnon sauvage, ne se cognoisse et qu'il cuide estre pareil et egal à sa puissance ? C'est la conclusion de la doctrine, que nous avons ouye. Il a esté traitté de la puissance de Dieu, laquelle a son estendue par dessus les cieux, et est plus profonde que les abysmes: il faut donc quand les hommes presument de s'enquerir par trop qu'ils cognoissent qu'il sont comme engloutis: et s'ils veulent lascher ]a bride à leur curiosité pour sonder quelle est la puissance de Dieu, qu'il leur monstre qu'il n'est point licite aux creatures de s'eslever contre luy, quoy qu'il face. Or maintenant voici une declaration pour appliquer ceste doctrine generale au propos qui est ici tenu: c'est assavoir, que Dieu de son costè cognoist ce qui est aux hommes, et puis apres que les hommes ne sont pas tels qu'ils ayent occasion de s'eslever pour appeller Dieu à conte. Car qui sommes noue, Regardons un peu quelle est nostre naissance: les hommes sont comme des asnons sauvages, c'est à dire, qu'ils n'ont nul sens, sinon ce que Dieu leur en donne. Or quant au premier, ce n'est point sans cause qu'il est dit, Que Dieu cognoist les hommes de vanitè, et ceux qui ne valent rien. Car c'est afin que nous apprenions de ne nous point priser selon nostre sens, et comme nous avons accoustume de faire. Quand les hommes se prisent, c'est selon leur phantasie: ils se font à croire ceci et cela, et puis ils en prononcent. Or tout cela ne vaut rien: mais il faut que nous-nous estimions selon que Dieu en a prononcè. Car il n'y a que luy seul qui soit iuge competant pour savoir quels nous sommes, et qui ait l'authorité d'en dire. Ce que nous avons bien à noter. Car quand les hommes se priseront selon ce qu'ils auront cuidè, et à leur opinion, qu'auront-ils gaignè? C'est comme un fol qui

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s'appellera roy d'un pays, et cependant chacun s'en moque: nous sommes doubles fols quand nous pensons estre quelque chose: et cependant Dieu nous monstre qu'il n'y a que toute vanitè en nous. Retenons donc quand les hommes voudront savoir, que c'est d'eux, quelle est leur condition, et que c'est qu'ils valent en somme: il faut qu'ils demandent à Dieu, Seigneur tu nous cognois, tu nous as formez. Or là nous aurons breve response et resoluë. Nous voyons ce que l'Escriture dit (1. Cor. 3, 19), Qu'il n'y a que folie en toute la prudence que les hommes cuident avoir, que d'autant plus qu'ils cuident estre. sages, ils sont eslourdis, que Dieu se moque de leurs vanitez: quand ils pensent parvenir bien haut, qu'il s'eslongne d'eux, et qu'il faut qu'ils s'esvanouissent en leurs discours. Voila ce que l'Escriture prononce. Et ainsi sachons qu'il n'y a que Dieu seul qui nous cognoisse, et qui puisse prononcer à la verité que cest de nous. Et voila pourquoy il est dit, Dieu cognoist. Il semble bien de prime face que ceci soit vulgaire: car chacun confessera, Dieu cognoist bien les hommes de vanité, mais cependant nous ne regardons point à la substance que ceci emporte: pource que les hommes ont les yeux crevez, ils ne cognoissent point qu'ils sont pleins de vanitè, et pourtant qu'il faut que Dieu leur face sentir quels; ils sont, afin qu'ils apprennent à s'humilier. Voila quant au premier.

Or il y a le second, Que l'homme vuide sera doué de coeur, et qu'il sera comme un asnon sauvage. Ici nous sommes ramenez à nostre naissance, pour noue monstrer que tout l'esprit que nous avons est un don de Dieu outre nostre nature. Et pourquoy? Regardons la puissance des hommes. Quand un petit enfant sort de ventre de la mere, quelle sagesse apporte-il avec soy? Il est vrai que quelques philosophes ont bien imaginè, que ce que nous avons d'intelligence n'est que memoire: et qu'il faut bien que nous eussions un sens enclos auparavant: mais si est-ce qu'on voit qu'un enfant est moins que la plus povre beste qui soit. Qu'on regarde par tout, et on ne trouvera point une beste si brutale, si despourvenë de raison et d'intelligence, que sont les hommes quand ils vienent au monde. Voila donc l'homme qui est en soy comme un asnon sauvage: qu'il s'estime tant qu'il voudra: mais nous voyons neantmoins ce qui en est. Et comment est-ce que nous avons l'esprit d'intelligence quand nous sommes venus en asge? Il faut que Dieu nous le donne. Et voila pourquoy il est dit que l'homme vuide sera douè de coeur. Car ce mot de coeur en l'Escriture emporte intelligence. Notons donc qu'ici il nous est monstré, que quand nous avons quelque sens et raison, cela n'est point de nostre naturel, nous ne le possedons point comme s'il estoit de nostre creu, cognoissons que c'est un

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bien excellent que Dieu nous fait. Puis que nous le tenons de luy, si nous en abusons contre luy, qu'elle ingratitude sera-ce ? Cognoissons donc le bien qu'il nous fait, quand estans venus en asge, il nous donne prudence et discrétion pour cognoistre que c'est de luy et de nous, afin de l'honorer. Apprenons donc de nous tenir tousiours en humilité, et selon qu'il plaist à Dieu de nous donner intelligence cognoissons que cela vient de luy: que

nous le prions qu'il nous face appliquer nostre esprit à tel usage, que ce soit tousiours pour cheminer selon luy, et pour nous tenir sous sa bride, iusques à cc qu'estans delivrez de ceste captivité de peché, nous soyons introduits en sa gloire celeste pour le contempler tel qu'il est en toute perfection.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu ect.

LE QUARANTEQUATRIESME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XI. CHAPITRE.

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13. Si tu appareilles ton coeur, et que tu estendes tes mains vers luy, 14. Si tu ostes loin de toy l'iniquité qui est en ta main, et qu'iniustice ne demeure point en ton tabernacle: 15. Adonc pourras-tu lever ta face sans macule, et seras ferme, et ne craindras point. 16. Car tu mettras la misere en oubli, et n'en auras non plus de memoire, que des eaux qui sont passees outre: 17. Et le temps s'eslevera plus clair que du midi, si resplendiras, et seras comme la matinee. 18. Tu seras asseuré, pource qu'il y a esperance, tu caveras la fosse, et te coucheras seurement. 19. Tu reposeras, et n'y aura personne qui t'espouvante, et plusieurs te requerront. 20. Mais les yeux des meschans defaudront et perdront leur refuge, et leur esperance sera angoisse de l'ame.

Nous avons veu par ci devant l'humilité qui doit estre aux hommes, quand ils pensent aux oeuvres de Dieu: c'est assavoir qu'il ne faut point qu'ils prennent en iuger à leurs phantasie: mais qu'ils cognoissent, d'autant que la sagesse de Dieu est infinie, qu'ils ne comprennent point la raison de cc qu'il fait: d'autant qu'il peut tout, qu'il ne faut point qu'on présume de l'empescher: mais qu'il ait authorité de faire ce que bon luy semblera, et que tous hommes baissent la teste. Or maintenant voici un second poinct qu'adiouste Zophar, c'est assavoir, que si nous voulons que Dieu nous soit propice et qu'il ait pitié de nous, et nous benisse, et face prosperer en toute nostre vie, il nous le faut cercher d'une affection pure et droite, et sans feintise. Voila en somme ce qui cet ici declaré. Et puis il adiouste pour conclusion, que ceux qui sont persecoutez de la main de Dieu ne se peuvent pas excuser, quoy qu'il en soit, que Leurs iniquité ne soit cause de tout Le mal qu'ils endurent. Or

il est vrai que telle chose est mal appliquée à la personne de Iob: mais cependant elle ne laisse pas d'estre bonne pour nous. Ainsi advisons d'en faire nostre profit: et en premier lieu, quand il est declaré que Dieu sera propice à tous ceux qui le cerchent en verité, ceci nous est assez souvent testifié par toute l'Escriture saincte: et Dieu ne convie point ici hommes à soy pour les frustrer quand il dit, Retournez à moy, et ici retourneray à vous. Par cela il declare, qu'il est tousiours prest et appareillé de nous bien faire, si nous ne l'empeschons point de nostre costé. Ainsi donc notons, que quand nous cercherons Dieu, il nous sera prochain, voire, avec toute grace et benediction. Mais il nous faut aussi noter Le moyen de cercher Dieu: car nous voyons comme ici hommes se font à croire, qu'ils n'ont demandé sinon que Dieu Leurs fust propice, qu'ils se veulent renger à luy, que c'est Leurs principal desir de l'honorer: et cependant ils tirent tout au rebours. Mais en cc passage il cet declaré en quelle façon Dieu veut estre servi, et ce qu'il demande et approuve. Il dit donc, Qu'il nous faut disposer nostre coeur (en premier lieu) et tendre nos mains à luy, et puis chasser toutes iniquitez de nos mains, et qu'elles n'habitent point en nos maisons. Voila (di-ie) comme les hommes pourront obeir â Dieu et qu'ils ne seront point destournez de luy: c'est quand ils commenceront par l'integrité de coeur, pource que Dieu a toute feintise en abomination. Or au contraire nous voyons que l'hypocrisie regne tellement en nostre nature que le coeur demeurera tousiours derrière, que nous ferons beaucoup de mines, beaucoup de singeries, qu'il semblera que cc soit tout feu que de nostre zele pour aller à Dieu, et il n'y aura que ceremonies par dehors, il n'y aura que trop

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d'apparence, mais cependant nulle verité, nulle droiture.

Voila pourquoy nous avons tant plus à noter ce qui est ici dit, que ceux gui veulent cercher Dieu ne font rien qui vaille, et au lieu d'advancer qu'ils reculent, sinon que leur coeur soit disposé à cela: c'est à dire, qu'ils ayent une affection pure, et non point un coeur double. Or pour mieux estre confirmez en ceste doctrine, il nous doit souvenir des autres passages de l'Escriture, où Dieu prononce qu'il n'est point semblable aux creatures mortelles, lesquelles s'arrestent à ce qui apparoist. Selon que nous sommes charnels nous trouvons beau ce qui a belle monstre, mais Dieu n'est pas tel. Il ne faut point donc le mesurer à nostre aune: mais pource que son propre office est de sonder les pensees cachees, et qu'il faut que tout soit descouvert devant luy, voila pourquoy ses yeux regardent la foy et verité: ainsi qu'il en est parlé en Ieremie (17, 10). Bref, le service de Dieu doit estre fondé en ceste simplicité dont l'Escriture parle tant souvent, quand il est dit, Tu seras entier devant moy. Et ce n'est point sans cause que Dieu a baillé ceste regle a Abraham, c'est afin qu'elle fust generale à tous fideles: et quand tant souvent cela est reiteré, c'est pour monstrer que si Dieu veut discerner ses enfans d'une certaine marque d'avec les hypocrites, il met tousiours ceste integrité. Ainsi donc notons bien, puis que Dieu est verité, qu'il veut estre servi en esprit et verité. Puis que le service de Dieu est spirituel, il faut que toute feintise et mensonge soit loin de nous, autrement, encores que nos oeuvres plaisent aux hommes, et qu'on les magnifie tant et plus, ce n'est rien qu'ordure ou vanité: et Dieu reiettera tout ce que nous aurons, sinon que premierement nous ayons mis peine a disposer nostre coeur. Il est vray que les Papistes prennent ceci pour approuver leur franc-arbitre: et leur semble qu'ils ont belle couleur de dire, Puis que les hommes sont exhortez à disposer leur coeur, que cela donc cet en leur puissance et faculté. Mais c'est un argument trop sot et trop frivole, de vouloir mesurer les forces et vertus des hommes par ce qui leur est commandé. Car quand Dieu nous monstre ce que nous avons à faire, il ne regarde pas ce que nous pouvons et ce qui est en nous: mais il regarde à quoy nous sommes tenus et obligez, il regarde ce qui est de nostre office. Quand il dit que nous l'aimions de tout nostre coeur, de toutes nos forces, et de toutes nos vertus, est-ce qu'il se trouve homme vivant, qui puisse appliquer tout son coeur à cest amour-la? Nous voyons que c'est l'opposite. Car nostre nature est du tout contraire à Dieu. Ainsi donc si Dieu ne vouloit demander de nous sinon ce que nous pouvons, il nous laisseroit

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aller droit en perdition. Mais ne pensons pas que Dieu perde son droit quand les hommes n'ont dequoy payer: mesmes s'il y a quelqu'un qui doit, prenons le cas qu'il soit appovri, qu'il ait mangé et gourmandé tout son, bien: assavoir si ses creanciers perdront leur droit? Il est vray qu'ils ne le pourront pas recouvrer: mais si est-ce que la dette demeure tousiours. Puis qu'ainsi est pensons nous que Di en soit privé de ce qui luy appartient, combien que les hommes soyent du tout malins et pervers, que le diable les tiene en servitude, qu'ils soyent adonnez à mal et iniquité? Il ne faut point donc conclurre que les hommes puissent disposer leurs coeurs d'eux-mesmes et de leur propre mouvement, quand Dieu leur commande de ce faire: mais seulement il nous monstre que nous sommes tenus à cela, et que tout ce que nous pouvons attenter ne sera point prisé de Dieu ne receu, iusqu'à tant que nous ayons ceste pureté de laquelle il est ici fait mention. Or que chacun maintenant s'examine, et nous trouverons que nous avons des coeurs de pierre, qu'il n'y a que dureté, que non seulement la malice y regne: mais qu'il y a une obstination quant et quant qui ne se peut nullement fleschir pour obeir à Dieu. Puis qu'ainsi cet il faut que Dieu y mette la main, comme aussi il le promet de faire: car il dit qu'il nous donnera des coeurs de chair qui seront mols, qui seront ployables afin que nous le servions. Il dit qu'il engravera sa Loy en nos coeurs et en nos entrailles, tellement que nous tendrons à ce qu'il approuve, qu'il y aura une conformité et accord en tons nos desirs et affections, avec ceste iustice qui est contenue en la Loy. Voila, di-ie, le propre ouvrage de Dieu: et ainsi il faut qu'il nous dispose à son service, d'autant que nous y sommes inutiles de nostre costé, que nous tirons tout au rebours, qu'il n'y a que toute contrarieté au bien en nos appetits. Voila comment c'est à Dieu de nous appliquer à soy, de nous rendre idoines et suffisants pour le servir, veu que nous n'en' avons ne faculté ne moyens en nous.

Or apres qu'il a ainsi parlé de ceste pureté et droiture de coeur, il dit, Que nous estendions nos mains à Dieu. Ceci emporte beaucoup: car sous une espece Zophar a voulu comprendre le principal du service de Dieu, et de la premiere table de la Loy en somme. Car l'oraison qu'est elle, sinon un tesmoignage de nostre foy que nous avons en Dieu? Car quand nous invoquons Dieu sans hypocrisie, nous protestons que tout nostre bien est en luy, que c'est à luy auquel nous devons avoir tout nostre recours: bref nous attribuons à Dieu la gloire qui lui appartient et qu'il se reserve, en l'invoquant. Et ainsi sous ceste espece d'invoquer Dieu. notons que Zophar a voulu comprendre tout

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le contenu de la premiere table: c'est que Dieu nous remonstre qu'il doit estre seul adoré de nous et qu'il ne peut sourir d'avoir aucun compagnon et qu'il ne faut point que nous abusions de son nom, ne qu'il soit prophané de nous: mais que nous lui rendions l'honneur duquel il est digne, que nous suivions l'ordre qu'il a constitué en son Eglise. Quand tout sera bien consideré donc, il est certain que nous protestons d'avoir un seul Dieu en l'invoquant, et nous renonçons à toute idolatrie et superstition, monstrans nostre fiance estre là appuyee du tout, nous declarons que et iustice et vertu et vie, tout cela est en nostre Dieu: que c'est de ceste fontaine-la dont il faut puiser, que nous lui sommes tant tenus et redevables qu'il est impossible de nous acquitter envers luy. Voila comme son nom sera honoré. Et puis en nous remettant à lui et à sa providence en nos prieres, voila comme son repos spirituel sera observé. Et puis l'oraison emporte confession de foy. Aussi nous ne requerons point seulement à Dieu, qu'il lui plaise de nous secourir: mais nous luy rendons graces des benefices que nous avons receus de luy. Et ainsi nous voyons que sous l'invocation de nostre Dieu est comprins tout ce qui appartient à son honneur. Or par cela nous voyons comme en la Papauté le service de Dieu a esté non seulement perverti et corrompu, mais comme aneanti du tout. Il est vray qu'on dira bien qu'il faut prier Dieu: mais en quelle sorte ? Devant que venir là il faudra courir et trotter de sainct à saincte: la vierge Maire sera mere de grace, thresauriere de salut: chacun sainct aura son office, et a on là son recours et toute sa fiance. Dieu aura seulement quelque petites asperges, voire tellement qu'à grand' peine sera-il cognu en si grand nombre. Et encores il ne faut point commencer par luy: car il leur semble que s'ils ne sont venus aux saincts et aux sainctes, Dieu les reiette. De Iesus Christ il n'est point question de le cercher comme Mediateur, afin qu'il nous face avoir accez envers Dieu son Pere: de tout cela on ne sait que c'est. Puis qu'ainsi est donc que le principal qui appartient à l'honneur de Dieu, n'est point là observé, cognoissons qu'il en est ainsi de tout le reste, qui est inférieur. Et ainsi remercions nostre bon Dieu quand il nous a retirez de ces horribles abysmes et puis qu'il nous a declaré que c'est à luy qu'il nous faut tenir, que c'est luy que nous devons invoquer comme nostre Pere, que nous advisions de tenir le moyen qu'il nous monstre pour y parvenir: c'est que nous soyons certains que son siege ne nous est point espouvantable pour nous faire fuir, mais qu'il nous est amiable, que nous y pouvons venir puis que nostre Seigneur Iesus Christ nous tend la main: que son office est d'interceder

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pour nous: que Dieu nous a ouvert aussi la porte, et que tous les iours il ne demande sinon que nous venions à luy. Cognoissons (di-ie) que ce nous est un bien inestimable, et cependant que nous ayons pitié de ces povres aveugles qui vont ainsi à l'esgaree, tellement que quand il est question d'invoquer Dieu, ils ne savent par quel bout commencer. Et mesmes en cela voit-on que leur condition est plus que miserable. Car où gist tout le bien des hommes? où est toute leur felicité? si ce n'est qu'ils ayent leur recours à Dieu comme il est dit, Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé? (Ioel 2, 32.) Or est-il ainsi que les povres Papistes ne savent que c'est d'invoquer Dieu: il faut donc conclure que les voila privez de toute esperance de salut et bannis du royaume de Dieu' quand ils ne cognoissent point que c'est d'invoquer Dieu. Et il appert: car ils n'y vienent qu'en doute et en tremblement: et puis ils ont mille circuits devant que venir à Dieu: d'autant qu'ils n'ont point Iesus Christ pour leur conduite et adresse. Ainsi donc notons bien ce passage oh il est parlé d'estendre les mains à Dieu. Pourquoy? D'autant que nous ne pouvons point monter aux cieux selon nostre infirmité, il faut que nous ayons quelque signe qui soit pour faire protestation de l'acte qui est interieur et caché. Voila nostre coeur qui ne se peut voir: or si nous prions sans feintise, nostre coeur s'esleve là haut, et c'est autant comme si nous venions comparoistre devant Dieu pour luy exposer tout ce que nous avons là dedans. Cela (comme i'ay dit) est invisible: mais nous declarons par les mains que nous tendons à Dieu, que c'est à luy que nous avons tout nostre refuge. Voila pourquoy par le signe l'oraison est signifiee en l'Escriture saincte: non pas que ce soit le tout ne le principal. Car les hypocrites sauront bien estendre et les mains et les bras: il semble que ce soit tout feu ardent que d'eux: et neantmoins il n'y a que mensonge, ils se moquent de Dieu. Il faut donc que ce signe soit veritable, et l'Escriture aussi le presuppose. Et voila pourquoy aussi il a esté dit, qu'il faut que nostre coeur soit disposé. Si Zophar ne disoit sinon, Esten tes mains à Dieu, encores on pourroit disputer, si Dieu se contente quand les hommes seront venus à luy en ceremonies: mais quand il dit, Que devant toutes choses, il faut que nostre coeur soit rond, qu'il n'y ait rien de tortu ne d'oblique, c'est bien à dire qu'il faut que cela soit mis comme le fondement sur lequel nous avons à bastir. Et en cela voyons nous, que d'eslever nos mains an ciel, ce n'est rien sinon que nostre coeur aille devant, et que les mains soyent un vray tesmoignage de ce qui est en l'homme, et de ce que Dieu mesme y cognoist. Car quant à tout le reste de nostre

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vie, et bien, les hommes nous regardent et nous pouvons avoir quelque regard à eux. Ii est vrai que ce ne doit point estre par ambition: car nous recevons nostre salarie en ce monde, comme dit nostre Seigneur Iesus Christ, si nous voulons estre approuvez des creatures: mais encores en tout le reste de nostre vie les hommes nous voyent: mais quand nous prions Dieu, il faut qu'un chacun se retire et se recueille, qu'il cognoisse, Mo voici devant Dieu, me voici au siege de sa maiesté et ainsi l'oraison doit estre l'acte de toute nostre vie le plus eslongné d'hypocrisie et de mensonge. cepandent ceci est tres-mal prattiqué. Car qu'en regarde en la Papauté comme les bigots se moquent de Dieu: il y aura des barboteries, et c'est là où on se monstre le plus. S'il y a feintise en toutes autres choses, les oraisons des Papistes se ont encores plus. Et de nostre costé pleust à Dieu que nous eussions ceste consideration telle comme i'ay dit: c'est qu'il faut qu'un chacun se retire quand il est question de prier Dieu, et que nous soyons là comme enserrez, que nous ne regardions point au monde. Il y auroit autre integrité en nos prieres qu'il n'y a pas: et ceux qui n'ont nulle crainte de Dieu, ne seroyent point si hardis à invoquer son nom à pleine bouche comme ils sont. Et comment? Ils l'invoquent devant les hommes: il leur semble que c'est assez quand on cuidera qu'ils ayont un bon desir de retournez à Dieu: et cependant Dieu n'y voit goutte. Au reste, combien qu'il nous faille estre retirez en priant Dieu, ce n'est pas qu'en nos prieres publiques nous ne devions inciter les uns les autres par nostre exemple. Car autrement il suffiroit qu'un chacun priast Dieu en sa chambre, ou en son cabinet: mais Dieu veut que nous le prions en commun, et comme d'une bouche, afin qu'il y ait une confession solennelle de nostre foy, et qu'un chacun soit édifié par son prochain. Cependant nous devons tellement prier en public, que toutesfois nous soyons retirez, qu'un chacun regarde Dieu là haut, comme si nous estions devant luy. Voila donc quant à ce mot, D'eslever les mains.

Or Zophar descend puis apres à la seconde table de la Loy, et dit, Qu'il faut oster toute iniquité de nos mains, et qu'elle n'habite point en nos maisons. C'est une façon de parler assez commune, de dire, Que nous avons les mains pures: car par les mains nous traitons et manions les affaires que nous avons avec nos prochains. Et ainsi celuy qui desrobe, ou qui fait quelque violence à son prochain, ou quelque nuisance, celuy-la a les mains souillees: comme au contraire il est dit (Pseau. 26, 6), Que les enfans de Dieu avent leurs mains, quand ils gardent equitè et droiture, qu'ils ne s'adonnent point à mal-faire:

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mais plustost qu'ils regardent de s'employer envers chacun. Et c'est ce que Zophar dit ici, Que l'homme qui voudra estre benit de Dieu, et qui voudra prosperer, il faut qu'il retire ses mains de toute iniquité, ou qu'il dechasse l'iniquité de ses mains. Avons-nous donc invoqué Dieu? avons-nous protesté que c'est celui seul dont nous attendons salut et tout bien? L'avons-nous glorifié comme il appartient? Il reste que nous communiquions aussi avec les hommes sans faire tort à nul: que nul ne se puisse plaindre que nous luy ayons fait ne dommage ne nuisance, que nous soyons purs de toute violence et fraude. Quand donc nous converserons ainsi avec nos prochains, voila comme Dieu aussi approchera de nous. Voila comme nous sentirons qu'il est appareillé de nous eslargir toue les biens que nous pouvons desirer, et qui nous sont propres pour nostre salut. Or d'autant que les hommes se pardonnent volontiers, et mesmes qu'il y a tant de cavillations et de subterfuges que c'est un horreur, pour nous excuser en mal-faisant: il est dit, Qu'il faut que l'iniquité soit chassee et bannie de nos tabernacles: c'est à dire, que non soulement un homme ne face nul mal directement qu'en luy puisse reprocher: mais qu'il advise que sous son ombre nul mal ne se face. Que s'il y a quelque famille, qu'il tienne en bride et femme et enfans, et serviteurs, qu'il regarde bien que par moyens obliques, par trafiques meschantes en ne face tort à aucun. Voila pourquoy notamment il est adiousté, que l'iniquité n'habite point en nos tabernacles.

Or maintenant nous avons en somme ce qui est ici dit. Mais il reste qu'un chacun y pense mieux que nous n'avons point fait. Car ceste doctrine ne consiste point en paroles: mais il faut qu'un chacun la mette en usage, et que nous la meditions. Il n'y a rien ici qui ne nous doive estre assez commun et familier: pourquoi donc est-ce que nous en sommes si loin? D'autant que la pluspart se contente d'en avoir ouy parler: et cependant ils laissent le principal. Pour donc estre mieux touchez et plus au vif, notons en premier lieu qu'il ne faut plus aller par circuits à Dieu: mais qu'il faut tenir le droit chemin qui nous est ici monstré. Quand ie di cela, c'est pour nous retirer de toutes superstitions, et de ces vaines singeries, où les hommes se trompent trop volontiers. Car de ces principes generaux en les confessera assez, que c'est bien raison que Dieu soit servi et honoré, et que sans cela nous devons estre maudits et reiettez de luy, et qu'il ne se faut point esbahir s'il nous chastie, si nous sommes ici consumez d'afflictions. Car quand nous avons despité Dieu, ne faut-il point qu'il nous abysme? Chacun, di-ie, confessera bien cela. Et puis pour le second, en

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ne niera non plus, que quand nous nous serons retournez à Dieu, il aura pitié de nous: et que si nous le servons comme il faut, il ne nous traitera pas si mal, que nous ne le cognoissions par experience et Pere et Sauveur. On dira cela: mais quand ce vient au fait, en cognoist bien qu'il n'y a eu que hypocrisie en toutes ces belles protestations, et que les hommes ont esté bien loin de Dieu, cependant qu'ils le cuidoyent contenter par leurs vaines phantasies. Apprenons donc que la vraye conversion que Dieu approuve, n'est pas qu'en se tourmente en choses vaines et superflues: mais il faut que nous venions à luy en une droite integrité. Or regardons maintenant les cachettes qui sont en nos coeurs: qu'un chacun (di-ie) examine ce qui cet en luy: ne nous flattons point pour nous faire à croire que le noir cet blanc: car nous n'y gagnerons rien pour cela. Veu donc qu'il y a tant de subterfuges en nous, nous avons bien à batailler. Car ce n'est point une chose aisee que d'avoir le coeur pur, et une telle rondeur que Dieu la demande. Quand les hommes s'efforcent à ceci tout leur temps, ce sera beaucoup quand ils seront venus au milieu du chemin devant qu'ils trespassent. Tant y a qu'il nous faut travailler, et demander à Dieu qu'il nous fortifie, afin qu'en la vertu de son sainct Esprit nous en puissions venir à bout. Voila donc pour un Item.

Or pour ce faire, advisons de nous desplaire toutes fois et quantes que nous sentirons en nous quelque feintise: comme si chacun se regarde de pres, o il est certain que nous gemirons cent fois le iour, là-où nous sommes assopis, et mesmes là où nous voulons nous iustifier fort et ferme: il y en aura beaucoup qui voudront bien qu'en estime qu'ils cerchent Dieu d'une affection pure et franche et qu'ils appliquent là toute leur estude: mais cependant si est-ce que s'ils espluchent bien ce qui est en eux, ils verront ce que les autres cognoissent. Car en appercevra manifestement qu'ils sont pleins de fointise, qu'il n'y a pas une seule goutte de bon zele. Quand les hommes mortels cognoistront cela en ceux-la, ne faut-il pas bien qu'ils le cognassent en eux-mesmes, sinon qu'ils se trompent de leur bon gré? Ainsi donc (comme i'ay dit) quand chacun de nous s'examinera comme nous devons, il est certain que nous ne serons point endormis: mais plustost que nous serons picquez et solicitez pour nous advancer de plus en plus au droit chemin. Et hantons-nous quand Dieu nous appelle a soy, et qu'il nous donne ceste licence et hardiesse d'estendre nos mains à luy. N'abusons point donc d'un tel bien, lequel est inestimable: car si Dieu ne nous previent par sa bouté infinie, et donne accez à luy, qui cet celuy de nous qui en osera approcher? Et de fait nous serons reiettez:

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car ce seroit une audace diabolique, si un homme venoit à Dieu de soy-mesme et de son mouvement propre, et que Dieu ne luy eust point donné liberté. On n'osera point approcher d'un prince mortel, qui D'est qu'une charogne: et comment viendrons nous devant la maiesté de nostre Créateur? Voire, attendu que nous luy sommes ennemis mortels, et que nous ne pouvons venir là, que nous n'apportions tant de pechez que rien plus: et qu'il faut que nous luy soyons detestables par cc moyen, qu'il se despite de nous voir, comme il nous renonce et nous desadvoue pour ses creatures, entant que nous sommes pecheurs. Il faut bien donc que nous ayons liberté de luy, qu'il nous appelle, qu'il nous declare que nous serons les biens venus, et que la porte nous cet ouverte: cognoissans que cela nous est si necessaire, que nous en usions ainsi que i'ay desia dit: c'est assavoir, que nous ayons nostre refuge à nostre Dieu, sachans que nous sommes destituez de tout bien, et que nous sommes si povres que rien plus, et au reste que nous aurons beau cercher ce qui nous defaut et à et la, que nous ne trouverons que vuidange par tout, que nous serons affamez: que ceux qui cuident subvenir a, leurs indigence, cerchans le remede aux creastures, ne se font que paistre de vent. Allons donc à nostre Dieu, et cerchons le moyen d'y venir: c'est que nostre Seigneur Iesus Christ intercède pour nous, qu'il nous y face trouver grace, d'autant qu'il faut que nous soyons hays en nos personnes, et que Dieu à bon droit nous ait execrables: mais nous luy plaisons, et aussi il nous est propice, d'autant que nous y venons au nom du Seigneur Iesus. Et si cela a esté dit sous la Loy, quand les ombrages estoyent encores tant obscurs: maintenant ne devons-nous pas beaucoup plus estre affectionnez, attendu que le voile du temple est rompu? Si ceste doctrine ici servoit du temps de la Loy, quand le peuplé demouroit au parvis du temple, et estoit là de loin, qu'il y avoit aussi le voile qui cachoit tout: combien songneusement la devons-nous pratiquer auiourd'huy? Il est vray que le souverain Sacrificateur portoit bien sur ses espaules et en son estomac les noms des enfans d'Israel: mais maintenant voici Iesus Christ qui a rompu le voile du temple, il a dedié la voye, tellement que nous pouvons nous presenter à face levee devant Dieu. Car lu voye est tousiours fresche (comme dit l'Apostre [Heb. 10, 20]) par son sang, qu'il n'y a ne ronces, ni espines qui soyent pour nous empescher, que le chemin n'est point si tortu ne raboteux qu'il nous faille sauter par dessus beaucoup d'empeschemens, nenni non: mais la voye est maintenant toute egale, moyennant que nous y venions par Le sang du Seigneur Iesus. Voila quant à cc poinct. Et au reste notons bien aussi, que pour invoquer purement

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nostre Dieu monstrant que nous faisons une vraye confession de foy, et que nous luy rendons l'honneur qui luy appartient: nous avons aussi à communiquer avec nos prochains en toute droiture. Car si nos prochains sont formez à l'image de Dieu, et cependant nous pillerons l'un et mangerons l'autre, chacun sera adonné à soy: ie vous prie ne crachons nous point contre Dieu entant qu'il nous est possible, quand nous faisons quelque nuisance à ceux qu'il a formez à son image? Si nos prochains sont membres de Iesus Christ, et que nous leur facions quelque extorsion et violence qu'il ne soit question que de regarder à nostre profit particulier: n'est-ce point deschirer le corps de Iesus Christ par pieces? Et ainsi nous conduira-il à Dieu son Pere pour nous y faire trouver grace? Notons bien donc, que pour avoir accez à nostre Dieu, il faut que nous conversions en toute droiture avec nos prochains. Et notamment il est parlé des mains, afin que nous cognoissions quel est le moyeu par lequel Dieu esprouve, quelle est nostre Chrestienté. Car chacun de la langue se fera bien habile, il n'y aura celuy qui ne soit bon serviteur de Dieu, si en nous croit: mais quand ce viendra aux affaires, là en voit tout l'opposite. Celuy qui aura presché de charité, et qui en aura dit merveilles, quand ce vient à ioindre avec ses prochains, il monstrera qu'il est du tout adonné à soy. Comme de fait il en y a de si effrontez, qui ne cessent de dire, Charité: ils ont tant accoustumé qu'en exerce charité envers eux, qu'ils ne preschent autre chose, mais si en leur demande ce qu'ils doivent, en n'aura autre raison d'eux, sinon Charité, charité. Et comment? Ils ne font nul scrupule de piller le bien d'autruy, et faire tout ce que bon leur semble, tellement qu'ils sont coulpables devant Dieu et devant les hommes, encores n'ont-ils nulle honte de prescher charité. Voire, mais ce sera pour attraper le bien d'autruy. Notamment donc il est ici parlé des mains: car voila le vray examen si nous aimons Dieu pour l'honorer comme il appartient: c'est quand en cognoist qu'il y a droiture et equité en nous, bref, qu'il y a humanité, que nous conversons tellement avec nos prochains, qu'un chacun selon son estat et faculté s'employe pour subvenir à ceux qui ont faute, que par ce moyen la conionction que Dieu a mise et dediee entre nous s'observe.

Voila donc ce que nous avons à noter, quand il est parlé de ietter loin de nos mains toute iniquité. Un homme sera-il d'art mecanique? Et bien, qu'il face loyaument sa besongne, et qu'il se contente de gain honneste de l'ouvrage de ses mains. Celuy qui achete, qu'il advise, il faut que i'aye la peine d'autruy: quand mon frere travaille pour moy, et qu'il employe sa peine, ce n'est pas

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raison qu'il perde son temps: autrement c'est autant comme si ie luy venois arracher le pain de la bouche: car Dieu a mis sa substance en l'ouvrage de ses mains, Si ie luy fais tort, c'est autant comme si ie succeoye le sang de celuy qui m'est recommandé de Dieu, et auquel ie suis tenu de subvenir. Voila donc comme il faut qu'un chacun regarde à son estat. Mais ie pren quelques exemples afin qu'un chacun le deduise par le menu: selon que nous aurons à communiquer avec nos prochains, que nous facions en sorte que nous ne donnions occasion à nul de se plaindre de nous. Et au reste qu'un chacun regarde aussi à sa maison. Car Dieu ne se contente point que l'homme fidele s'abstienne de mal faire directement: mais il veut aussi que toutes voyes obliques soyent loin de nous: et mesmes que nous ayons le soin de gouverner nos maisons, à ce que Dieu soit honoré, et des enfans et du mari, et de la femme, et du maistre et des serviteurs et chambrieres. Et pleust à Dieu qu'en pensest mieux à ceci qu'en ne fait point: mais tout ainsi que les chefs d'une maison sont esgarez, et qu'il n'y a nulle crainte de Dieu, nulle religion, aussi voit-on que tout va de plat, que les enfans ne font point d'honneur à leurs peres. Car ils ne sont point meilleurs: mais devant qu'avoir nulle discretion en les voit confits en malice: les serviteurs et chambrieres seront pleins de corruption. Il est vray que les maistres et les maistresses savent bien se plaindre, quand les serviteurs feront quelque chatterie, qu'ils feront quelque larrecin, et qu'ils ne le serviront pas comme ils voudroyent: mais cependant que Dieu soit offensé en mille sortes, c'est tout un, en laisse couler cela. D'autant plus donc faut-il bien noter ce que i'ay dit, qu'il ne faut point que nous pensions contenter Dieu, quand nous aurons seulement soin de le servir en nos personnes: mais il faut que nous ayons l'oeil sur ceux qui nous sont en charge: que nous gardions de nourrir le mal en façon que ce soit: sachans que si nous y consentons, il faudra que nous soyons enveloppez en une mesme condamnation avec les meschans. Or si nous sommes si diligens que d'adviser à cela, ne doutons point que nostre Dieu ne nous regarde en pitié, et qu'il ne soit prochain de nous, avec toute benediction et grace comme il est ici promis. Vray est que nous avons à noter un poinct, c'est que la grace de Dieu ne se monstrera point du premier coup, les promesses qui sont ici contenues sont prinses de la Loy, au moins c'est de la mesme substance. Car nous ne savons pas (comme il a esté dit) en quel temps ce livre a esté escrit: mais quoy qu'il en soit nous voyons que l'Esprit de Dieu a parlé. Car voici une doctrine conforme à celle qui est contenue en la Loy de Moyse, oh nostre Seigneur promet

SERMON XLV

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de benir ceux qui le serviront, et d'habiter au milieu d'eux, et leur faire sentir que vaut sa presence: c'est assavoir, que leur vie sera heureuse. Mais retenons ce que i'ay desia touché, c'est que Dieu ne nous fera point sentir sa grace du premier coup. Quand donc il est dit que ceux qui chemineront en la crainte de Dieu seront benits, qu'il les fera prosperer: ce n'est pas à dire, que Dieu quelquesfois ne visite les siens, tellement qu'il sera comme eslongné d'eux: et s'ils l'invoquent, il faudra qu'ils languissent, qu'ils ne sachent où ils en sont, et qu'il semble que Dieu les ait abandonnez du tout. I1 faut donc que nous cheminions en ce monde parmi beaucoup d'afflictions, encores que nous servions à Dieu. Mais au reste, nous avons double consolation: c'est que d'un costé il est certain qu'encores que nostre coeur tende à Dieu, ce n'est point d'un tel zele qu'il faudroie, et que nous ne le servons point d'une telle affection comme nous y sommes tenus. I1 faut donc que nous sentions les punitions et chastimens de nos vices: mais Dieu par ce moyen-la, nous fait regarder nos povretez pour nous humilier, et nous en corriger: et fait que nous retournons à luy, estans ainsi exercez par les afflictions qu'il nous envoye. Voila

une consolation grande. l'autre c'est que nous sommes conformez à nostre Seigneur Iesus Christ, que tout ainsi que par la croix, et par la mort il est entré au royaume des cieux, aussi maintenant nous qui sommes ses membres, quand nous serons affligez en ce monde, nous portons ses marques, afin qu'il nous face parvenir à la gloire de sa resurrection. Nous voyons donc que tous nos maux nous sont convertis en bien. Et cependant aussi nous devons-nous consoler en ce qui nous est dit, Que nostre Dieu ne nous tentera point plus qu'il cognoist nous estre propre et utile: et combien qu'il nous faille endurer beaucoup de povretez et miseres, et qu'il semble que nostre condition soit la plus miserable du monde: si est-ce que Dieu ne laissera point de nous faire tousiours sentir qu'il nous est prochain, qu'il ne nous a point abandonnez: mais qu'il veille tousiours sur nous, et qu'il nous gardera iusques en la fin, quand nous l'aurons requis, et que nous aurons pretendu à le servir et honorer, voire d'une affection droite et pure, estans despouillez de toute hypocrisie, comme nous avons declaré.

Or nous-nous prosternerons devant nostre bon Dieu etc.

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LE QUARANTECINQUIESME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XII. CHAPITRE.

1. Iob respondant dit: 2. Voire, vous estes un peuple, et la sagesse mourra avec vous. 3. l'ay esprit comme vous, et ne suis en rien. inferieur: et qui est ce qui n'a les choses que vous amenez en avant? 4. Ie suis en moquerie à mes amis, à celuy qui invoque Dieu, et lequel il exauce: le iuste et parfait sont en dérision, 5. Comme une torche mesprisee à l'homme riche, celuy qui est prochain que le pied luy glisse. 6. Les tabernacles des pillars prosperent, et ceux qui tienent Dieu en leurs mains, le provoquent hardiment.

Il semble bien de prime face que ces deux sentences soyent du tout contraires: c'est assavoir, que ceux qui craignent Dieu seront benits de luy, et que les meschans seront en prosperité. Et de fait Iob respondant comme nous avons ouy, c'est assavoir, que les contempteurs de Dieu souventesfois seront à leur aise, contredit à ce qui avoit esté

proposé cy dessous par Zophar. Or Iob respond au contraire de ce qui avoit esté dit, pour monstrer que ceste doctrine, combien qu'elle soit prinse de la Loy, neantmoins est mal appliquee. Il nous faut bien donc considerer comment cela doit estre entendu. Quand Dieu declare et prononce en la Loy, qu'il aura en sa protection les bons, qu'il leur donnera tout à souhait, qu'il ne leur defaudra en rien, que leurs personnes, leur bestail, et tout leur bien seront benits: il n'entend pas que les bons ne soyent iamais affligez. Car où seroit la patience? et comment cognoistroit-on qu'il delivre les siens en la necessité? Si toutes choses nous venoyent à propos, nous ne saurions que c'est d'invoquer Dieu, et le requerir qu'il ait pitié de nous, et nous ne sentirions point aussi sa bouté, quand il nous tend la main. Notons bien donc que Dieu n'a point promis aux fideles une telle prosperité qui soit du tout exemptee en ce monde des afflictions communes,

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ausquelles il faut que nous soyons subiets: mais toutes telles promesses de Dieu tendent à ceste fin-la, que nous sachions que communement Dieu fera preparer ceux qui cheminent en sa crainte. Et de cela nous le voyous: mais cependant nous avons ces deux poincts à noter: c'est assavoir, que nos pechez sont dignes que Dieu ne nous benisse pas en toutes sortes et en tout temps. Car il n'y a celuy qui ne provoque Dieu: ie di des plus parfaits, esquels il nous semblera que nous ne trouverons que redire. Car les plus iustes se trouvent coulpables devant Dieu. Si donc il les chastie, c'est à bon droit. Apres, il n'est pas dit que Dieu mesure tousiours les afflictions qu'il nous envoye selon nos pechez que nous avons commis. Il a d'autres raisons pour nous visiter: c'est qu'il veut mortifier ce qui est de mauvais en noue. Car il faut que Dieu previenne souventesfois les vices qui nous sont cachez: combien que nous n'ayons point encores offensé, Dieu voit bien que nous tomberions en quelque mal: il va au devant et y remedie. Apres, il nous veut humilier, afin que nous n'ayons point nostre confiance en ce monde que nous ne soyons point trop liez à la terre. Apres, il veut cognoistre si nous luy serons obeissans en affliction, aussi bien qu'en prosperité: il veut savoir aussi quelle est nostre foy, et si nous aurons recours à luy: bref, il nous veut faire regarder au royaume celeste afin que nous cognoissions que c'est là nostre salut. Or donc quand ces deux poincts seront bien observez il nous sera aisé de conclurre, que Dieu benit ceux qui observent ses commandements et leur envoye tout ce ;qu'il cognoist leur estre propice. Ouy: mais ce n'est pas selon leur appetit, c'est selon sa cognoissance, il en est tousiours iuge. Et au reste, s'il les afflige, il le fait pour cause: et cela n'empesche point que tousiours ils ne sentent sa grace et sa bouté, et qu'ils n'ayent dequoy se resiouir en luy.

Voila comme se doivent prendre toutes les promesses de la vie presente: non pas que Dieu s'oblige à nous traiter d'une mesme façon et egale: mais en somme il veut dire, et monstrer que nous le sentirons estre propice aux siens et leur estre prochain. Quand donc il est dit en la Loy, Que nous serons en paix et en repos, quand nous aurons suivi la Loy de Dieu: qui est cause que nous soyons tourmentez et faschez du ceste des hommes, sinon d'autant que nous avons fait la guerre à Dieu? Il faut quand l'homme mortel s'est enlevé contre son Createur, qu'il ait aussi des ennemis qui le tourmentent et lui donnent de la nuisance. Sommes-nous donc persecutez du costé des hommes? regardons si nous avons esté paisibles avec Dieu, regardons que nous avons provoqué son ire: et pourtant ne nous esbahissons pas s'il permet

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que les hommes nous faschent ainsi de leur costé. Et voila pourquoy il est dit en la Loy, Quo Dieu envoyera la guerre à ceux qui seront ainsi contrevenus à sa volonté. Et au reste, encores que personne ne les poursuive, et ne leur face mal, ils ne ]laisseront pas de porter leur bourreau là dedans. Car il est dit aussi entre les maledictions de la Loy, et c'est la principale et celle qui nous doit plus estonner, Tu seras tousiours comme en tremblement, tu auras les yeux encavez en la teste, ta vie sera pendante comme d'un filet: Tu diras le matin, Et comment viendrai-ie iusques au soir? Et le soir tu diras, Et qui est-ce qui me donnera à passer la nuict? Tu seras tousiours effrayé, dit le Seigneur. Voila une iuste punition sur ceux qui ne sont point rengez à ceste mansuetude de servir purement à Dieu, qu'il faudra qu'ils soyent leurs propres bourreaux. Notons bien donc, que ce n'est pas sans cause que ceste benediction est donnee en la Loy Que nous serons en paix si nous adherons à Dieu sans contradiction, que personne ne nous tourmentera. Car Dieu tiendra les meschans bridez, qu'ils ne pourront pas nous nuire, encores qu'ils machinent tout ce qu'ils pourront contre nous. Notons aussi que cependant, encores que nous soyons assaillis par dehors, combien que nous soyons comme en proye, nous devons estre certains neantmoins que Dieu nous aura en sa protection. Ceste promesse-la n'est point frustratoire: mais quelquesfois Dieu ne laissera point de souffrir que les meschans nous picquent et nous molestent, voir' pour esprouver nostre constance: il ne laissera pas aussi de permettre que nous soyons tentez en nos esprits, que nous soyons en quelque doute et defiance. Et pourquoy? Afin que nous l'invoquions, que nous le prions de nous fortifier. Tout cela donc adviendra: mais cependant les fideles sentiront qu'ils ne seront point abandonnez de Dieu au milieu de leurs troubles, qu'il leur sera prochain: et les incredules seront du tout espouvantez, tellement qu'ils sentiront en la fin, que Dieu les a delaissez comme ils le meritent. Autant en est-il de tout le reste des benedictions de la Loy. Bref, toutes fois et quantes que nous sommes affligez, regardons à nos fautes, humilions-nous devant Dieu, sachans que les chastimens qu'il nous envoye sont iustes. Voulons-nous qu'il adoucisse nos maux? recourons à luy, cessons de mal faire. Tant y a qu'il ne faut point pourtant que nous estimions que Dieu tienne une mesure egale (comme desia nous avons dit) à punir ceux qui l'ont offensé. Nous voyons comme il chastie les hommes en ce monde, les uns plus, les autres moins, et mesmes il reserve beaucoup de punitions au dernier iour. Il ne faut point donc que nous prononcions une telle sentence en general comme a fait Zophar.

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Et voila pourquoy Iob luy contredit. Voire, (dit-il) vous estes un peuple. Aucuns exposent ce passage, comme si Iob avoit entendu que ceux qui ont parlé n'apportent rien, sinon ce qui estoit cognu de tous iusques aux idiots: mais c'est tout l'opposite. Car il veut dire, Il semble que vous soyes tout le monde, il semble que la sagesse doive mourir avec vous. Et pensez vous que ie n'aye point d'esprit? M'estimez-vous inferieur? Et les choses que vous amenez sont tres bien cognues. Il faut donc que ie soye en mespris de ceux qui invoquent Dieu et sont exaucez de luy, c'est à dire, de ceux ausquels Dieu semble estre favorable, d'autant qu'il leur accorde tous leurs souhaits. Il faut que ie soye en moquerie à telles gens: il faut que ie soye comme une torche qui defaut, qui est mesprisee, à vous qui estes riches: bref, ceux qui tiennent Dieu en leurs mains (dit-il) ceux-la le despitent hardiment et le provoquent. Or cependant le tabernacle des meschans et des pillards prospere. Par ceci Iob monstre que c'est une grande folie de prononcer en general et sans exeption, que Dieu punisse en la vie presente tous ceux qui l'ont offensé, et que si tost qu'un homme aura mal fait, Dieu le redresse, qu'il ait sa main dessus pour prendre vengeance telle qu'il l'a merité. Nous voyons tout l'opposite. Il semble bien comme i'ay desia touché que ceci soit repugnant à la doctrine de la Loy, où il est dit, Que Dieu maudira tous transgresseurs de sa iustice, et qu'il monstrera sa faveur et sa bouté sur ceux qui auront observé ses commandemens. On voit que les pillars sont comme favorisez de Luy: en voit que les bons sont mesprisez et affligez: qu'est-ce que cela veut dire? Dieu s'est-il moqué quand il a promis de benir ses fideles, et qu'il a prononcé une telle malediction sur les contempteure de sa parole? Nenni: mais i'ay desia solu ceste difficulté, en monstrant que les iugements de Dieu ne se font pas d'une mesure egale en ce monde. Et pourquoy? Il nous doit tousiours souvenir de ce qui a esté traitté par ci devant: c'est assavoir, que si Dieu punissoit ceux qui ont failli ric à ric (comme ou dit) que s'il y a une faute grande, la punition fust telle, et s'il y avoit quelque faute legere, que le chastiement fust soudain de mesmes: que les bons fussent ici traittez à souhait: dequoy nous serviroit la venue de nostre Seigneur Iesus Christ, et la resurrection que nous attendons? Il n'y auroit plus d'esperance: nous conclurions: Voici Dieu qui se monstre iuge du monde: et face bien qui voudra s'il veus recevoir bien de Dieu: il n'y auroit plus de vie celeste, nous aurions ici nostre paradis. Aussi donc nous voyons que Dieu pourvoirroit bien mal à nostre salut s'il faisoit les punitions egales de tous ceux qui l'offensent. Pourtant il faut qu'il y ait des chastiemens reservez,

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voire la pluspart. Quand Dieu punit les meschans et bien, c'est pour nous instruire à cheminer en crainte et sollicitude: il nous monstre aussi, que nous ne pouvons pas eschapper de sa main. Car il iuge sans acception de personnes. Il faut donc conclurre, que toutes les fautes qui se commettent auiourd'huy, et qui demeurent impunies quant à la vie presente, viendront à conte en la fin: voire, quand les grandes assises se tiendront.

Voila comme Iob ne contredit pas à la doctrine de la Loy: mais il contredit à la fausse exposition qui est donnee par Zophar, lequel vouloit que Dieu maintenant fist une telle execution de ses iugemens qu'il n'y eust que redire, qu'il ne fallust plus rien attendre. Or cela ne vient point à propos, comme il a esté monstré. Par cela nous sommes enseignez de prier Dieu qu'il nous donne esprit de prudence, pour bien appliquer à nostre usage la doctrine qui est vraye et bonne, que nous en sachions faire nostre profit. Car voici une doctrine qui nous est bien utile pour nous edifier, quand Dieu nous monstre que si nous le servons ce ne sera point peine perdue: mais qu'il maintiendra tousiours les siens, et fera que nous sentirons cela en toute nostre vie. Car que seroit-ce si nous cuidions que Dieu ne nous regardast point? Ou que tout ce que nous luy ferons de services s'en allast escoulé sans qu'il daignast regarder? Il faut donc que nous venions à ce qui est dit en Isaie (3, 10), Contentez vous: car le iuste recevra son salaire. Car autrement il nous en adviendroit comme David confesse de soy (Pse. 73, 2), Qu'il s'est comme escoule, que son pied a glissé, qu'il a esté prest de tomber comme s'il eust esté sur la glace, quand il a pensé que c'estoit en vain qu'il s'estoit efforcé de laver ses mains en toute pureté, qu'il avoit mis peine de servir à Dieu. Il faut bien donc que nous cognoissions que Dieu veille sur tout le monde, et qu'il cognoist ceux: qui cerchent de le servir et honorer: que aussi il a les yeux sur les meschans, comme il est dit au Pseaume (34, 16): qu'il faudra qu'il monstre en la fin, qu'il ne peut porter un tel mespris de ses graces. Mais cependant attendons que Dieu envoye ses iugemens en temps opportun. Car ce n'est pas à nous de precipiter: c'est une grande sottise quand nous voudrons que Dieu auiourd'huy, si tost qu'il nous viendra en la phantasie, punisse les fautes' de ceux qui auront provoqué son ire. Et voire: mais il veut differer en un autre temps. N'est-il pas en luy? Est-ce à nous de luy oster sa liberté? Voila pourquoy i'ay dit, que nous avons à le prier qu'il nous donne esprit de prudence, afin que nous ne prenions point à nostre sens Ceste sentence de la Loy: mais que nous en soyons bons expositeurs, que nous ne facions point comme a fait ici Zophar, lequel conclud qu'il faut que tous ceux

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qui servent à Dieu soyent remunerez quant et quant, et que ceste vie ici leur soit comme un paradis, et que Dieu leur soit propice visiblement, et qu'il le monstre par effect. Non fait, dit Iob. Pourquoy? Car en voit que les meschans sont en prosperité, et ils provoquent Dieu tant plus hardiment. Puis qu'ainsi est, l'expérience nous monstre, que Dieu n'exécutera pas ses iugemens si tost: mais qu'il les tient cachez et en suspens iusques à l'heure que bon luy semble. Cependant les bons, et les enfans de Dieu, ceux qui auront cheminé devant luy en simplicité de coeur, pourront estre affligez iusques au bout: il ne faudra pas pourtant imputer cela à leurs pechez comme s'ils estoyent les plus enormes, pour dire, O cestui-la est puni en telle rigueur, il faut donc conclurre qu'il soit meschant iusques à l'extremité, il faut dire que Dieu l'ait comme detestable. ce n'est. point cela, mais Dieu cognoist pourquoy il afflige les bons, il a diverses raisons, et ce n'est pas a nous d'en prononcer. Ce n'est point donc nous de dire, Celuy-la a peché plus griefvement que les autres, puis que Dieu use envers luy d'une telle rudesse.

Voila comme il nous faut ramener les promesses et les menaces de la Loy, à la providence de Dieu, et au cours d'icelle, tel que nous le voyons iournellement. Les menaces de Dieu sont vrayes, quand il dit, Qu'il maudira les transgresseurs. Voire, mais cela ne s'execute point du premier iour: il faut que Dieu face son oeuvre selon qu'il luy plaist, en telle portion et en telle mesure qu'il cognoistra estre propre. Dieu promet qu'il benira les siens qui le servent, et cheminent selon sa volonté: ouy mais il aura neantmoins authorité de les affliger. Et pourquoy ? Pour leur bien, et pour leur salut. Il ne laissé point de leur estre tousiours prochain, et les exaucer au besoin, pour leur faire sentir combien leurs afflictions leur sont profitables: mais pour un temps ils sont comme aux abysmes, ils sont agitez çà et là, tellement qu'ils ne savent que devenir. Et pourquoy? Il est bon qu'ils soyent humiliez pour leur salut. Voila comme Dieu est veritable en ses promesees, et en ses menaces: et toutefois il gouverne tellement le monde par sa providence, qu'il semblera que ici bons ayent perdu leurs peines à le servir, ici meschans ayent la bride sur le col, qu'ils puissent se moquer de Dieu, qu'ils soyent eschappez de sa main: il nous semblera ainsi, si nous voulons iuger de ce qui se monstre auiourd'huy, et selon que nous mesurons à nostre esprit. Humilions nous donc pour dire, Et bien, Dieu est iuge du monde: mais cela n'apparoist point du premier coup: il faut donc, combien qu'il se tiene caché, que neantmoins nous ayons ceste foy et esperance en

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nous pour conclure, que ce qui auiourd'huy noue est incognu se monstrera en la fin.

Or venons maintenant aux mots de Iob comme ils sont ici comprins: vous estes un peuple, et la sagesse mourra avec vous. Par cela il a voulu rabattre la folle hautesse et presomption de ceux qui ont parlé. Car autrement ne pourroit-on venir à bout de ceux qui sont ainsi enflez d'une vaine confiance en leurs prudence: il faut qu'en leurs monstre leurs folie. Vray cet qu'en ne profite gueres souventesfois. Car celuy qui sera enyvré d'un fol cuider, quelque chose qu'en luy monstre, s'opiniastrera neantmoins, et cuidera estre ce qu'il n'est point. Mais tant y a que quand nous avons à combatre contre ceux qui pervertissent la verité de Dieu, il faut aussi que nous leurs monstrions leur folie et leur ignorance. Il est vray que ceci ne se doit point faire, comme quand les hommes veulent monstrer quel est le plus aigu et le plus habile. Car voila comme en font ceux qui n'ont qu'ambition et vanité en eux: un chacun voudra faire grande parade, celuy qui commence voudra estonner chacun de son dire, celuy qui respond voudra s'advancer: et bien voila un combat de fols. Or ce n'est pas ainsi que nous avons à proceder: pourtant si nous rencontrons de ceux qui corrompent la verité de Dieu et la tournent en mensonge, et que nous venions à leur monstrer leur ignorance, il ne faut point que nous le facions pour estre trouvez plus habiles, et afin qu'en nous prise d'avantage: mais contentons-nous d'avoir donné lieu à la verité, afin qu'elle soit receuë, et qu'en ce se tiene plus à ceux qui sont en quelque reputation pour ruiner ce qui estoit bien edifié. Comme quoy? Auiourd'huy en verra beaucoup de povres simples gens qui sont retenus en leurs superstitions, d'autant qu'ils disent, Comment? Tant de grands docteurs ont tenu la doctrine qu'en suit auiourd'huy, et encores auiourd'huy ils persistent en cela: et seront-ils abusez? Voila oh en sont beaucoup de povres infirmes, d'autant qu'ils sont preoccupez de ceste phantasie, qu'il n'est point possible que les Prelats de l'Eglise, les docteurs, ces grands personnages ayent peu estre abusez. Or si nous voulons enseigner telles gens, pour les faire venir à la cognoissance de Dieu, il est besoin qu'ils cognoissent la bestise et l'ignorance de ceux qu'ils ont tant estimé par ci devant: et que ceux qui s'eslevent contre Dieu, comme ici caphards qui maintiennent auiourd'huy ici abominations de la Papauté, soyent convaincus de leurs bestises. Car quelque audace qui soit en eux, si est-ce qu'ils sont si lourds que les petis enfans mesmes, quand ils en seroyent advertis, pourroyent appercevoir leurs moqueries: et ils sont marris quand cela se fait. Il est vrai qu'ils le savent assez, mais si veulent-ils que la verité de Dieu

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n'ait nul accez aux simples gens, et à ceux qui sont desia trop entortillez en ceste fausse opinion que i'ay dite.

Voila donc en quelle sorte Iob redargue ici ceux qui ont esté mauvais expositeurs de la Loy de Dieu, et qui l'ont tournee en un sens du tout estrange: car il leur monstre que ce n'est rien, qu'ils n'ont rien mis en avant qu'il ne doive estre cognu de tous: et toutesfois qu'ils veulent faire des grand-clercs. Il se moque d'eux en somme, disant, vous estes tout un peuple, la sagesse mourra avec vous. Quand il dit Ie ne suis pas inferieur à vous, i'ay coeur ou esprit "Aussi bien: par cela Iob ne se veut point magnifier: comme desia nous avons dit, qu'il y a une folle ambition si chacun de son costé se veut monstrer plus habile et plus aigu: Et quoy? Quel est cestoy-ci? Or cependant les hommes combattront beaucoup: mais la verité de Dieu demeurera là. Seulement Iob veut ici monstrer, que Dieu luy a donné grace pour mieux cognoistre et discerner ce qui est vray, que ceux qui sont ainsi remplis d'outrecuidance. Et voila comme il nous sera licite de nous glorifier: non point afin qu'en noue applaudisse comme à gens bien lettrez, a gens de grand esprit et de grand savoir. Laissons toutes ces vanitez la: car il est impossible que nous appliquions nostre estude pour servir à Dieu, si ce n'est que nous ayons mis en oubli tout ce qui nous concerne. Cependant que nous aurons aussi regard à nous que nous voudrons qu'en nous prise, il est certain que nostre Seigneur permettra que nous tombions en beaucoup d'ingnorances et que nous soyons ridicules, et exposez à tout opprobre. Car voila aussi le salaire de tous ceux qui veulent estre prisez. Et c'est bien raison qu'ainsi soit quand la verité de Dieu est là comme couchee par terre et que cependant les hommes n'ont regard qu'à leur honneur. Que faut-il donc ? Que nous oublions nos personnes: mais cependant que nous facions valoir les graces de Dieu, voire, afin que quand nous aurons bonne cause elle soit maintenue: et que ce que nous mettrons en avant soit receu avec authorité. si un homme est estimé comme un idiot et qu'il n'ait pas ny savoir ny esprit, que sera-ce? tout ce qu'il dira, ne sera point receu, nous le dedaignerons. Il faut donc quand en voudra faire son profit de ce qui est mis en avant, qu'en cognoisse, Et bien, Dieu a fait quelque grace à cest homme ici: ceste grace là n'est pas a mespriser. Car nous ferions iniure à Dieu: cela procede de son S. Esprit. Puis qu'ainsi est, gardons de nous eslever à l'encontre de Dieu. Voila qui est cause que nous recevons la bonne doctrine avec humilité: c'est quand nous cognoissons que l'homme qui nous enseigne, a esté enseigné de Dieu auparavant. Voila à quelle intention Iob declare, qu'il

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a coeur et qu'il n'est pas inferieur à ceux qui se sont tant prisez et estimez. En somme apprenons de faire valoir les graces que Dieu a mises en nous: voire non point pour nous exalter: mais afin que ce que nous avons receu profite et fructifie. Voila quant à la personne de Iob. Or cependant aussi les fideles sont admonnestez, quand ils voyent qu'un homme aura receu des dons excellens du S. Esprit, qu'il peut advancer l'honneur de Dieu et edifier son Eglise, qu'en l'escoute, et qu'il soit receu en toute reverence en ce qu'il dira. Pourquoy? Ce seroit mespriser Dieu autrement.

Venons maintenant à ce que dit Iob, Ie suis (dit-il) comme en mespris à mes amis. Il est vrai qu'il dit de mot à mot, qu'il est comme à mespris d'iceluy, qu'il est reiette de son ami: mais il parle de soy en la tierce personne. Apres cela il s'accompare à une torche ou à un falot qui defaut et est mesprisé. Que peut-on attendre d'une torche quand elle vient sur sa fin? Car la cire decoule: en s'en recule qu'en n'en soit entaché: et puis si cela tombe c'est pour gaster la robbe. On iette là donc un falot ou une torche, quand elle a allumé pour un temps, et qu'elle a servi iusques au bout: un chacun s'en recule, il n'y a mesmes plus que puanteur. C'est ce que Iob signifie disant qu'il en a esté ainsi: Voila, pource que ie suis prest à tomber (dit-il) ie suis mesprisé de vous. Il monstre la raison de ceste similitude: D'autant que vous voyez que ie suis comme au bord du sepulchre. Voila pourquoy ie suis ainsi reietté de vous. Or il dit Que les riches se moquent aussi de l'homme afflige. Et pourquoy? Ils invoquent Dieu (dit-il) et il les exauce. Par cela Iob ne signifie point que les meschans attendent nul bien de Dieu, ne qu'ils le cerchent en luy: mais il signifie qu'ils auront tous leurs souhaits, qu'il semble qu'ils tienent Dieu en leurs mains qu'ils le portent en leur manche, comme en dit, ainsi que nous verrons qu'il est adiousté cy apres. I1 est vray qu'en expose ce passage ici des idolatres qui font venir Dieu en leurs mains: mais c'est une exposition sotte et aborde. Car Iob n'a regardé sinon à ceste prosperité qu'ont les meschans. Car tout bien procede de Dieu, et les meschans y abondent plus que les autres: ne semble-il pas donc que Dieu soit là comme allié avec eux, et qu'il leur applaudisse, et s'assuietisse à leurs appetits? On diroit proprement que Dieu les veut datter quand ils sont ainsi en repos, et qu'ils prosperent qu'ils ont bref tout ce qu'ils desirent. Iob donc dit, Que ceux-là provoquent Dieu tant plus hardiment, et que cependant leurs maisons sont heureuses. En quoy il a voulu signifier ce que nous avons declaré ci dessus: c'est assavoir que c'est à tort que Zophar a prononcé qu'il estoit si grand pecheur.

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Pourquoy Car en voit (dit-il) tout le contraire.

Venons maintenant à ce qu'il dit touchant le mespris. Ie suis en mespris (dit-il) comme un falot ou une torche qui defaut. En la personne de Iob nous sommes ici instruits que nostre Seigneur permet que le monde se moque de nous, et que nostre condition soit tant miserable qu'il semble que nous defaillions: si faut-il que nous soyons patiens. Et pourquoy ? Nous voyons ce qui est advenu à Iob: voudrons nous estre plus precieux que lui? Puis qu'ainsi est donc qu'un tel serviteur de Dieu et si excellent a esté reietté, qu'en se soit moqué de lui, qu'en ait pensé qu'il fust un homme perdu: si Dieu nous laisse venir iusques là, ne soyons point estonnez et ne murmurons point contre luy: et ne pensons point qu'il soit trop cruel quand nous serons ainsi traitez, mais cognoissons qu'il nous est bon d'estre ainsi humiliez, cela nous resveille, et nous apprenons que nostre esperance ne doit point estre enracinee ici bas au monde: mais qu'il faut qu'elle ait son ancre au ciel: comme dit l'Apostre. Ne voila point une bonne instruction, quand les moqueries du monde nous sont ordonnees à salut? Il est vrai que telles risees retomberont finalement sur la face des meschans qui les iettent auiourd'huy contre nous: mais cependant elles nous sont encore profitables en ce que i'ay dit qu'elles nous font alors regarder à Dieu, et cognoistre que nostre attente gist et consiste du tout en luy. Voila ce que nous avons à retenir quand il est dit, Et bien ie suis en derision à ceux qui m'ont esté amis. Il est vrai que ceste tentation est encores plus griefve, quand ceux qui nous ont aimez auparavant nous tienent comme execrables: cela est dur à digerer. lais puis qu'il est advenu à lob, suivons ses pas et baissons la teste quand Dieu nous voudra ainsi humilier. Notamment il dit, Que son pied defaut: signifiant que du temps qu'il a esté debout il a esté comme une torche ou un falot. Car en sera bien aise d'avoir une torche ardente, en se sert de sa clarté: voire cependant qu'elle est en son entier: mais si elle vient à defaillir, en la iette là au milieu des bouës: car celuy qui la porte n'en peut avoir sinon les mains bruelees, il n'y a plus qu'obscurité ou quelque fumee obscure.

Ainsi donc Iob veut monstrer que du temps que Dieu l'a tenu debout il estoit honoré et prisé: maintenant qu'il defaut, il est comme reiette. Or par cela nous sommes advertis, que quelquesfois nous pourrons bien estre comme defaillans, qu'en ne verra plus nulle clarté en nous, il n'y aura plus qu'une fumee, il semblera que nous decheons par pieces, il n'y aura plus rien d'entier' nous viendrons iusques au bout: mais prenons en patience,

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cognoissans que Iob y est venu devant nous. Et puis qu'il nous a monstré le chemin, suivons-le, et prions Dieu qu'il nous fortifie tellement que nous ne defaillions point du tout. Touchant de ce qui est dit, Que les contempteurs de Dieu l'invoquent, et qu'il les exauce: ceci (comme desia nous avons touché) se rapporte au sens commun des hommes. Car il semble que les meschans ayent complot avec Dieu afin d'obtenir de luy tout ce qu'ils demandent. Vray est que les plus hypocrites, ou les plus dissolus invoquent bien Dieu: mais ce ne sera que par moquerie, Et ie voudroye que Dieu me donnast cela. Quand un meschant souhaitera de ravir le bien d'autruy, Et ie voudroye que Dieu me donnast le bien d'un tel: cela n'est pas prier Dieu, mais plustost le transfigurer et profaner sa maiesté: bref les hommes sont du tout encagez, quand ils n'ont nulle honte de se moquer ainsi de Dieu pour l'envelopper en leurs pechez: ils sont detestables, et cependant ils voudront que Dieu soit meslé parmi leurs desirs ainsi exorbitans qu'ils sont. Il n'y a point donc une droite invocation du nom de Dieu aux meschans, il n'y a point une vraye priere. Voila comme il faut prendre ce que dit ici Iob, que quand les meschans demandent à Dieu tout ce que bon leur semble et qu'ils le reçoivent, il semble que Dieu les ait exaucez, c'est à dire, il semble qu'il leur vueille donner tous leurs appetis. Cependant notons que quand les meschans demandent ainsi à Dieu ce qu'ils souhaitent, voire sans aucune reverence, ne foy, ne sans aucune forme legitime de prieres: mais qu'ils iettent cela à la volee comme un propos desbordé: c'est à leur plus grande condamnation. Pourquoy? Car nature noue enseigne que nous devons aller à Dieu pour obtenir ce qui nous defaut. Vray est que les meschans n'ont point premedité ceci en leur coeur, pour dire, Il faut que Dieu soit honoré de nous, il tient tout bien en sa main, il en est la fontaine, c'est de là qu'il faut puiser: pourtant c'est raison qu'en toute humilité nous lui demandions. Les meschans ne cognoistront point cela: mais si est-ce que Dieu les presse d'un mouvement aveuglé, qu'ils sont contraints de cognoistre que c'est à Dieu qu'il faut demander ce qui nous defaut: comme nous voyons qu'ils disent, Ie voudroye que Dieu me donnast ceci. Ils ont donc ceste cognoissance engravee en leur nature, qui est pour les rendre tant plus coulpables devant Dieu, quand ils auront ainsi prophané son sainct nom, le meslant parmi leurs desirs, et leurs souhaits enormes et detestables. Or par cela nous sommes admonnestez que quand il est question de prier Dieu, nous y venions avec toute reverence, que nous l'invoquions ayans ceste resolution enracinee en nos coeurs, que nous sommes miserables, et qu'il n'y a rien qui puisse

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remedier à nos miseres et à nos calamitez, sinon que nous ayons refuge à la pure bouté de nostre Dieu, et qu'il luy plaise nous eslargir des biens qu'il a en ses mains.

Or il y a puis apres que Iob dit, Que les tabernacles des meschans seront paisibles: voire d'autant (dit-il) qu'ils tienent Dieu et le font venir en leurs mains: et toutes fois ceux-la le provoquent tant plus hardiment. Voila d'où vient le mespris des incredules, et qui fait que les meschans ne se contentent pas da se glorifier comme si Dieu leur estoit favorable: mais ils foulent aux pieds avec un orgueil et cruauté tous ceux qui cheminent en simplicité et droiture, Et qui est cestoy-ci? Et qui est cestuy-ci? D'autant qu'il leur semble que Dieu les a exaltez, afin qu'ils puissent mespriser les autres, et les reietter. Or voila une tentation qui est fascheuse et difficile à surmonter: mais d'autant plus nous faut-il bien noter ce passage. Cognoissons donc que ce n'est point une chose nouvelle, quand auiourd'huy les meschans pour un temps seront exaltez, qu'ils s'esgayeront et feront leurs triomphes. Cela a esté tousiours: mais Dieu le permet pour leur plus grande ruine: il le permet aussi pour nous humilier. S'il advient donc que les meschans ayent la vogue, que nous ne perdions point courage pour cela, que nous servions constamment à nostre Dieu, et que nous-nous glorifions en ceste esperance qu'il nous a donnee de la vie permanente, encores qu'auiourd'hui il permette que nous soyons tormentez. Or quand nous ne sommes point desbauchez lors que Dieu advancera ceux qui ne valent rien, qu'il les mettra comme par dessus les nués: quand nous ne serons point abbatus de cela, mais que nous demourerons tousiours fermes

et constans en nostre vocation, voila une bonne approbation de nostre foy. Et c'est aussi ce que i'ay desia dit, qu'il est bon et utile que Dieu nous examine en quelque façon: et que quand cela adviendra, nous ne le trouvions point nouveau, veu que desia du temps de Iob il estoit ainsi. Ceux donc qui font venir Dieu en leurs mains, ceux-la le provoquent tant plus hardiment. Ceste façon de parler n'est pas pour dire, que Dieu favorise aux meschans, ne qu'il les aime, voire, mais nous le iugeons ainsi selon la chair, pource que nous disons, que Dieu aime tous ceux qui prosperent. Mais tant y a que ce n'est que perdition et ruine pour les meschans quand ils prosperent en ce monde, d'autant que Dieu n'est point de leur costé. Encores qu'il semble qu'il leur favorise, et qu'ils soyent ses bien-aimez: si est-ce qu'à la fin ils cognoistront que tout leur sera converti en perdition. Or apprenons de nostre costé encores qu'il semble que Dieu se recule de nous, qu'il ne face point semblant de nous aider, et qu'il se sera comme separé d'avec nous: apprenons (di-ie) de nous humilier sous sa main forte, de nous assuiettir à sa bonne volonté, et suivre sa parole, attendans qu'il nous monstre par effect, qu'il a tousiours esté prochain de nous: et que cependant nostre foy persiste tousiours en une vraye constance: et encores que Dieu nous afflige, que nous ne soyons point faschez de l'avoir servi, mais continuons tousiours nostre course, iusques à. ce qu'il nous ait fait sortir de tous les combats, et de toutes les tentations que nous avons à souffrir en ce monde.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE QUARANTESIXIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XII. CHAPITRE.

7. Interrogue le bestial, et il t'enseignera: interrogue les volailles du ciel, et elles le te declareront: 8. Ou parle à la terre, et icelle t'enseignera: et les poissons de la mer le te raconteront. 9. Qui est-ce qui ignore ces choses, que la main de Dieu n'ait fait ceci? 10. En la main duquel est toute ame vivante, et tout esprit. 11. L'aureille ne discerne-elle pas les propos, comme lé palais la saveur des viandes ? 12. n y a sagesse aux anciens, et l'aage apporte la prudence. 13. C'est en luy qu'il y a sagesse, et force:

c'est en luy qu'il y a conseil et prudence. 14. Il destruira, et ne pourra-on redifier: il enfermera, et ne pourra-on point delivrer. 15. Il restraindra les eaux et tout desseichera: il les envoyera, et elles feront ravine sur la terre. 16. Il y a en lui force et puissance: c'est de lui que vient le deceu, et le decevant.

Iob pour monstrer qu'il n'y a eu que pure ambition eu tout ce que luy a dit Zophar, declare qu'il cognoist bien ce qu'emporte la providence

IOB CHAP. XII.

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de Dieu à gouverner tout le monde, et que c'est une doctrine par trop patente, qu'il ne falloit point que l'autre fist un si grand cas de ce qu'il vouloit mettre en avant. Car ce sont choses cognues, dit-il. Voire, et que ç'a esté une folle vanité qui a esté en Zophar, quand il luy sembloit qu'il avoit grand esprit d'ainsi magnifier la providence de Dieu. Iob donc monstre, que tout cela est assez commun et vulgaire: et puis pour le second il monstre, qu'il est esbahi que ses amis n'ont mieux entendu ses propos qu'il avoit tenus auparavant. Dequoy vous sert-il (dit-il) d'avoir des aureilles? Car si vous mangez, ou que vous beuviez, vostre palais pourra bien discerner les viandes s'il y a saveur ou non. Tout ainsi donc que le palais est donné à l'homme pour gouster ce qu'il mange: aussi les aureilles sont pour escouter les propos. Et il semble que vous soyez sourds, et que vous n'ayez rien entendu. Voila pour le second. En troisieme lieu il est dit, Que si en veut cercher la vraye sagesse, il ne faut point s'arrester aux hommes ni au: creatures. C'est en luy (dit-il) qu'est toute sagesse: à cause qu'en lui avoit reproché auparavant, qu'il ne daignoit pas s'enquerir des anciens, qu'il ne regardoit point au temps passé. Voire (dit-il) si ie vous croy, il faudra que ie me tiene du tout aux hommes. Or leur sagesse s'esvanouira: mais il faut venir plustost à Dieu, c'est là où il nous faut cercher tout ce que nous pourrons avoir d'appui ferme: nous serons tousiours en branle iusques à ce que nous soyons sages ayans esté enseignez en son escole. Et au reste cognoissons encores que tout ce qu'il nous aura monstré n'est rien au pris de ceste sagesse infinie laquelle il se reserve. Et que ainsi soit, il destruira, et nul ne pourra edifier: quand il voudra enclore un homme et le tenir captif, nul ne le pourra delivrer

Ainsi donc cognoissons qu'il y a une sagesse en Dieu qui nous est par trop haute et secrette. Mesmes (dit-il) C'est lu qu'apartient celui qui trompe, et celui qui est deceu: comme s'il disoit, Dieu envoyera esprit d'erreur (qui est une chose estrange et que nous trouvons bien dure), il aveuglera ceux qui devroyent se garder de tromperie, tellement qu'ils seront stupides: et cela n'advient point sans sa volonté. Or nous y sommes confus: il faut donc conclurre que ceste sagesse est trop subtile pour parvenir si haut que sont les grans secrets des iugements de Dieu. Et cela ie l'enten (dit-il) afin que nous ne debations point ici en vain. Nous voyons maintenant quelle est la somme des propos de Iob. Mais pour recevoir bonne instruction de ce passage, notons en premier lieu, que Iob signifie, Qu'en tout le monde, et en chacune creature la gloire de Dieu reluit tellement, que si nous avions

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telle prudence comme nous devrions, il y auroit assez de doctrine pour nous. Qui est donc cause que nous sommes ainsi abbrutis, et que nous ne cognoissons pas ce qui est de Dieu ? Et c'est d'autant que nous ne regardons pas à ce qui nous est tout visible et patent. Chacun dira pour s'excuser, O ie ne suis point clerc, ie n'ay point esté en l'escole. Ouy bien: mais il faudroit apprendre seulement des bestes brutes: la terre qui ne parle point, les poissons qui sont muets, ceux-la nous pourront enseigner de Dieu: non pas tout ce qui en est, mais pour en donner quelque intelligence. Or est-il ainsi que nous sommes du tout hebetez: il faut donc conclure qu'il ne tient qu'à nostre ingratitude, et que nous ne daignons pas ouvrir les yeux pour contempler ce que Dieu nous monstre. Voici un passage qui est bien digne d'estre observé. Et ce n'est pas seulement ici, que le sainct Esprit prononce que la gloire de Dieu se declare par tout: mais il est dit (Pse. 19, 2), Que les cieux la racontent. Ce bel ordre que nous voyons entre le iour et la nuict, les estoilles que nous voyons au ciel, et tout le reste, cela nous est comme une peinture vive de la maiesté de Dieu. Et de fait, combien que les estoilles ne parlent point, si est-ce qu'en se taisant elles crient si haut qu'il ne faudra point d'autres tesmoins contre nous au dernier iour: d'autant que nous n'aurons point entendu ce qui nous estoit là monstré. Voila donc ce que nous avons à retenir, comme sainct Paul aussi en parle au premier chapitre des Romains (v. 20), Que Dieu estant invisible en soy et en son essence; s'est assez manifesté aux creatures, afin que nous soyons rendus inexcusable (et Comme il est dit aux Actes [14, 17]) il ne s'est point laissé sans tesmoins, il crie haut et clair par ses creatures, que tout bien est procedé de luy. Or si Dieu a creé ce monde, et que tout Boit en sa main, et en Sa subiection: ie vous prie, n'est-ce pas raison quand nous tenons nostre vie de luy, et que nous sommes du tout bien, que nous luy facions hommage? et si nous le faisons, qu'est ce qu'il faut faire de si long procez pour nous condamner? Car nostre malice est par trop commune, d'autant que nous aurons denié l'obbeissance qui estoit deuë à nostre Createur: nous aurons tasché de nous substraire de lui: et au lieu de l'honorer nous lavons despité par nos vices et par nos corruptions.

Quand donc cela est tout notoire, ne sommes nous point plus que confus? retenons bien donc ce qui est ici dit: c'est assavoir. qu'il n'y a point d'excuse d'ignorance aux sommes, quand ils voudront alleguer qu'ils n'ont point cognu Dieu, et que c'estoit une chose trop haute pour eux. Que n'alloyent-ils à l'escole des bestes? Car elles leur eussent esté docteurs, suffisans: il n'y a ni asne, ni

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boeuf, qui ne nous puisse apprendre que c'est de Dieu. les bestes se sont-elles creées d'elles-mesmes? Ne voit-on pas bien cela? Or quand il est dit, que Dieu a tout fait, n'avons-nous point à regarder à quelle fin c'est qu'il a appliqué tout à nostre usage? Cela ne monstre-il point que nous luy sommes obligez tant et plus ? Qu'est-ce de tout ce qu'il nous a donné par dessus tout le reste des creatures? Quand il s'est monstré ainsi liberal envers nous, faut-il qu'il ait desployé ses richesses, pour les ietter comme en la boue? N'est-ce pas raison que nous facions valoir ceste bouté qu'il nous a fait sentir? Ainsi donc la comparaison que nous ferons entre nous et les bestes nous doit bien amener là, que Dieu soit adoré et servi de nous comme il a en gravé en nos consciences la discretion de bien et de mal. Mais par nostre nonchalance, stupidité et ingratitude nous ensevelissons tellement tout, qu'en verra souvent, que mesmes les bestes auront plus de sans et de raison que nous n'aurons pas. Il est vray que quand il est ici dit, Que les bestes nous enseignent, ce n'est point par leurs exemples, mais c'est pource que là nous avons à contempler la gloire de Dieu. Ils reste (comme i'ay desia touché) les bestes mesmes nous monstrent quel est nostre office: elles font mieux leur devoir que nous: et par là nous sommes condamnez au double. Et voila aussi où le Prophete Isaie nous renvoye. Un asne (dit-il) (1, 3) cognoistra l'estable de son maistre, et un boeuf cognoistra sa creche: et mon peuple ne m'a point cognu. Nous dirons que nous sommes de l'eglise de Dieu et de sa maison, nous voudrons mesmes estre des plus advancez. Or il dit qu'en son Eglise il se fait ouir, sa voix resonne là haut et clair: et cependant nous ne le cognoissons point. Et d'où vient cela, qu'il y aura plus de sens et de raison en un boeuf, ou en un asne, qu'aux hommes mortels? Pourquoy nous a-il donné raison? Pourquoy mesmes avons nous esté enseignez de sa parole, et de sa volonté? N'est-ce point par trop pervertir la bouté de Dieu, que cela? Nous voyons donc, comme quand les hommes sont lasches à s'acquitter de leur devoir envers Dieu, ils pourroyent estre redarguez par l'exemple des bestes: et cela (comme i'ay dit) nous tourne à double confusion. Mais en ce passage Iob a entendu, que nous sommes assez enseignez par les creatures comment c'est qu'il nous faut honorer Dieu. Et pourquoy? Seulement ouvrons les yeux, dit-il. Il ne faut point que nous soyons lettrez, ne que nous ayons grand esprit. Car nous ne pouvons point ietter la veuë ne haut ne bas, que Dieu ne se presente de tous costez. En quelle sorte? l'ay dit que sa gloire est par tout visible. Et la gloire de Dieu, en quoy consiste-elle? En sa vertu, en sa bouté, et en sa sagesse, et iustice.

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Nous voyons que Dieu a si bien disposé le monde que rien plus. Voila une sagesse admirable, nous y devons estre ravis: il y a une vertu infinie en ce que Dieu maintient, et conserve ce qu'il a fait, et que le tout est soustenu en son estat. Car il semble bien que ce soit chose impossible.

Voila donc comme nous devons adorer Dieu en sa puissance. Il y a aussi sa bouté. Car pourquoy a-il fait le monde? Pourquoy i'a-il rempli de tant de richesses? Pourquoy l'a-il ainsi orné? N'est-ce pas pour declarer son amour envers les hommes, et mesmes sa misericorde? comme il est dit aux Pseaumes, qu'elle s'estend iusques aux bestes brutes. Et que sera-ce donc de nous, qui luy sommes beaucoup plus prochains, et où il a mis plus de noblesse sans comparaison? Voila donc la bouté de Dieu qui se monstre et declare: nous voyons sa iustice, comme il veille sur ses creatures, qu'il a le soin de nous: et cependant nous voyons aussi d'autre costé ses iugemens, nous voyons qu'il gouverne le monde d'une façon si admirable, qu'encores que les meschans ne cerchent qu'à y mordre, si faut-il qu'ils demeurent là confus. Apprenons donc de mieux appliquer nostre estude à contempler les oeuvres de Dieu: quand le soleil luist, sachons que Dieu allume ceste clarté-là, afin qu'en contemplant et le ciel, et la terre, et toutes choses qui y sont contenues, nous soyons conduits à luy: que nous lui facions hommage des biens qu'il nous eslargist: que rien ne nous empesche qu'ils ne soyent bien notez et marquez de nous. Voila Dieu qui veut que nous comprenions quel il est: non pas que nous puissions venir iusques au bout de ceste sagesse (car c'est un abysme trop profond) mais tant v a que selon nostre mesure il nous faut estre diligens, et mettre peine que nous soyons bons escoliers de Dieu. Si cela n'est, au dernier iour il ne faudra que ceste reproche contre nous, que nous n'avons point comprins ce que les bestes et creatures muettes et insensibles nous ont monstré. Les Anges de paradis sont apparus pour declarer la volonté de Dieu: elle nous a esté testifiee par les Prophetes et par les Apostres, mesmes par nostre Seigneur Iesus Christ. Si nous ne profitons en cela, quelle excuse? Mais encores quand nous serions privez de l'Escriture saincte, que nous n'aurions nulle doctrine, si est ce que ce que les bestes nous monstrent, est assez pour nous condamner, et nous oster toutes excuses. Afin donc que ceci ne nous soit point reproché au dernier iour, que nous ayons voulu fermer les yeux à nostre escient, quand Dieu nous a voulu attirer à soy, qu'il s'est rendu familier à nous, afin que nous le cognussions: que nous pensions mieux à cela que nous n'avons fait par ci devant: et que nous suivions ceste admonition de Iob, Interrogue

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le bestial, et il te respondra, tien propos, à la terre, et elle te monstrera, les oyseaux du ciel te respondront, les poissons de la mer en sauront à parler, voire quelques muets qu'ils soyent. Voila quant à ce passage.

Or venons maintenant au second poinct qu'amene ici Iob, Le palais espreuve la saveur des viandes, et l'aureille (dit-il) les propos. Par ceci il redargue ses amis, de ce qu'ils avoyent laissé passer tout ce qu'il avoit dit auparavant, que iamais ils n'avoyent daigné prendre garde oh il tendoit comme s'ils eussent esté sourds. Iob donc les accuse d'une telle nonchalance: mais c'est à nous tous que Ceci s'adresse. Qu'ainsi soit, regardons combien nous avons le palais aigu pour discerner les viandes: chacun saura bien dire, cela m'est bon, i'y pren appetit: et non seulement nous aurons assez de subtilité au palais, mais en tous nos sens: car si nous voyons une chose qui nous soit delectable, là nos yeux sont vigilans: si mesmes il nous faut aller et courir nous n'espargnerons ne bras ne iambes. Bref l'homme en tout ce qui luy est propre à sa chair et au contentement de ses folles cupiditez sera assez aigu, et par trop. Mais quand il est question de iuger de quelque doctrine, qui estoit pour nostre salut, de laquelle nous devions recevoir edification: là nous sommes stupides, tellement qu'il semble que nous soyons des trones de bois. Et d'oh procede cela que nous sommes ainsi lourds, sinon d'autant que nous n'y appliquons point tout nostre sens, comme il seroit requis? Qui plus est, nos oreilles monstrent qu'elles ne tienent point mesure egale, si en devise de quelques folies, ou mesme de quelques meschans propos qui sont comme poison pour nous infecter (ainsi que Sainct Paul en parle [1. Cor. 15, 33]) là nous avons les aureilles dressees: il ne faudra point qu'en nous dise un mot deux fois, nous le comprendrons incontinent. Car nous y venons comme des affamez, tellement qu'en ne nous peut point souler de choses frivoles et de menus fatras, voire de choses nuisibles et meschantes. Voila donc où c'est que l'homme se iette du tout. Et cependant si Dieu nous propose ce qui nous estoit bon pour nous edifier: là nous en sommes comme il est dit par le Prophete Isaie, Qu'en nous reitere une chose trois fois, encores la laissons nous escouler, et ne la comprenons pas. Car le Prophete Isaie (28, 9. 10) accompare ceux qui sont ainsi eslourdis et hebetez (pource que Dieu les prive de sens et de raison pour leur malice) à des petis enfans ausquels en dira, a. Et bien, quand en leur aura dit cela quatre ou cinq fois, qu'en les aura bien records, ils diront bien a: mais quand en leur demande, quelle lettre est-ce? ils n'en savent plus rien. On viendra puis apres, s b. Cependant qu'en leur prononcera la lettre, ils diront une fois

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b: mais si en leur demande puis apres que c'est, ils l'oublient incontinent. Le Prophete Isaie dit qu'il faudra ainsi reiterer les choses à ceux qui n'ont point profité en l'escole de Dieu, qu'il leur faudra mascher chacun mot, chacune syllabe: mais encores n'en sauront-ils rien, que iamais cela ne leur entrera au cerveau: ainsi en sommes nous.

Notons bien donc que le S. Esprit par la bouche de Iob n'a point ici accusé seulement trois hommes: mais il nous condamne tous, à cause que nous sommes si attentifs à ouyr les choses qui nous sont propres à nostre vie corporelle, et que là il ne faut point attendre que nous ayons esté à l'escole, que nous soyons cleres. Car chacun sera maistre et docteur pour son plaisir et pour son profit. Et bien ceci me vient à propos, il me vient à gré: incontinent nous avons conclud. Il ne faut pas qu'en use de longues admonitions, ne de longues prefaces encores tant moins. Car nous prevenons, nous sommes hastifs, il n'y a rien plus agile que nostre entendement, quand il est question de l'appliquer à choses frivoles. Mais quand ce vient à la doctrine de Dieu, nous sommes pires que les bestes. Et d'où procede cela? Le palais iugera des viandes: et là doctrine de Dieu n'aura nulle saveur envers nous: nous ne la goustons point, tellement que nous ne pouvons discerner entre la verité et le mensonge. Notons bien donc, qu'au dernier iour il ne faudra sinon cest article pour rendre tout le genre humain confus: c'est quand sous aurons esté tellement adonnez aux choses de ce monde, que nous n'aurons pas pris le loisir d'escouter ce qui estoit pour le salut eternel de ces ames: que nous aurons esté ici du tout abbrutis, à cause que nos esprits estoyent enveloppez ou aux richesses, ou aux delices, ou à autres vanitez ou affections mauvaises. Voila un homme qui convoite des biens de ce monde. Que fera-il? On ne le trompera pas d'un denier, il sera tousiours apres ses contes, et ceci et cela. rien ne luy eschappe qu'il ne regarde, Ie pourroye de ceci faire mon profit: et son esprit vague: il entreprend: il fait ses discours. Et d'oh vient une telle subtilité? C'est que l'affection mene l'homme et le transporte en telle sorte qu'il ne sait oh il en est. Autant en voyons-nous de ceux qui taschent de parvenir et de se faire valoir, de se mettre en credit et en dignité: ceux-la aussi recueilliront tous les moyens qu'il est possible pour s'advancer, ils auront leurs raisons qu'ils amassent de costé et d'autre. Mesmes les paillards qui seront transportez d'une cupidité brutale, ou les yvrongnes qui sont comme des pourceaux, ceux là encores auront-ils saveur en leurs palais, comment ils pourront parvenir à leurs meschancetez. Et que sera-ce donc, quand nous n'aurons nul sens pour nous retirer à Dieu? n'est-ce pas d'autant que nous

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ne daignons pas (comme i'ay desia dit) user de ce que Dieu nous avoit donné? Or il y a encores ici une autre accusation contre les hommes, c'est que nous en verrons auiourd'huy beaucoup qui pensent avoir un beau subterfuge pour ne rien cognoistre de Dieu, et pour mettre sous le pied toute doctrine, quand ils diront, O voila, ie ne puis pas discerner, en me pourroit tromper sous ombre de Dieu et de la religion, il vaut mieux donc que ie n'en cognoisse rien. Voire? mais quelle ingratitude est-ce? Dieu nous a donné les aureilles pour l'escouter en toute obeissance: et nous dirons, O de moy, ie ne me veus point enquerir. Et c'est comme si en disoit, Ie ne veus point manger: car il y a des viandes mauvaises: en me pourroit donner d'une herbe qui seroit mauvaise, et ie seroye empoisonné: il vaut mieux donc que ie ne mange point. Si un homme estoit si fol de faire une telle conclusion en soy, ne seroit-il pas digne de mourir ? Voila comme en font ceux qui disent, Ie ne veux point cognoistre l'Escriture saincte, i'en pourroye estre trompé. Et c'est la pasture de ton ame, povre creature: nostre Seigneur nourrit les corps du boire et du manger: et il nourrit les ames par sa parole: et cependant nous voudrons reietter ceste viande-la, de peur de quelque corruption: et n'est-ce pas tenter Dieu manifestement? Et (comme i'ay dit) les aureilles pourquoy nous sont elles donnees sinon pour ouyr et escouter, et recevoir ce que Dieu nous dira? est vray que de nous-mesmes nous ne serons point capables de ce faire, sinon que Dieu nous esclaire: mais si est-ce que si nous venons avec toute humilité pour ouyr ce qu'en nous propose au nom de Dieu, que nous luy demandions qu'il nous gouverne par son 8. Esprit, afin que nous ne soyons point abusez de mensonge: il monstrera qu'il ne nous a point creé les aureilles en vain, et que c'est afin que nous l'escoutions pour recevoir ce qu'il nous propose en toute crainte et reverence. Voila donc ce que nous avons à noter en ce passage. Et ainsi en somme le S. Esprit nous exhorte d'escouter Dieu quand il parle à nous, d'estre diligens à recevoir la doctrine de salut, ne doutans point qu'il ne la face valoir en nous, quand nous aurons les airelles dressees et bien disposees pour escouter ce qu'il nous dira.

Or venons maintenant à ce que Iob adiouste: La sagesse est au anciens, l'aage apportera prudence: c'est en lui qu'il y a sagesse, qu'il y a prudence, qu'il y a conseil, qu'il y a te, ut. le; Iob fait comparaison entre Dieu et les hommes. Car ci dessus il avoit esté accusé, qu'il ne regardoit point au temps passé, qu'il ne consideroit point les choses anciennes, que mesmes il ne retenoit point ce qui avoit esté enseigné par cous qui avoyent vesou long temps au monde. Et sur cela il dit, Voire, il y a sagesse

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aux anciens. Il est vrai que ceci pourroit estre pris comme par moquerie, vous m'alleguez les anciens et les vieillards, afin que ie me tienne à eus: et Dieu que deviendra-il? Il faudra donc que Dieu soit privé de son honneur, afin que les hommes succedent en son lieu. Mais Iob accorde ici, qu'il y peut bien avoir quelque sagesse aux hommes, moyennant qu'en ne les exalte point outre mesure: comme s'il disoit, Il est vray que si un homme a vescu ici long temps ayant beaucoup veu il pourra acquerir quelque prudence: mais faut-il que cela derogue à Dieu ? Nenni, ce n'est que vanité de toute la sagesse des hommes, combien qu'elle merite d'estre prisee en soy. Car si en fait comparaison des hommes avec Dieu, et il faut que tout ce qu'ils ont soit mis bas, et que Dieu seul soit alors reputé sage, qu'en cognoisse qu'il n'y a sagesse qu'en luy. Voila l'intention de Iob. Or nous avons à recueillir de ce passage une bonne leçon et bien utile. En premier lieu, il est vray que nous ne devons pas mespriser la prudence qu'auront les hommes, lesquels Dieu nous envoye comme aides. s'il y a gens qui ayent beaucoup veu, Dieu nous veut instruire par eux: et si nous ne daignons pas faire nostre profit de ce qu'ils nous monstrent, à qui faisons-nous iniure? C'est au Dieu vivant. Aussi quand Dieu aura donné bon esprit à un homme, que mesmes il luy aura donné conseil et advis, qu'il luy aura donné faculté et grace pour instruire les autres: si en n'en tient conte, et qu'en repousse tout cela: il est certain que le sainct Esprit est comme foulé aux pieds. Car l'homme qui nous pourra instruire, n'a point cela de soy ne de son creu: il luy est donné d'enhaut: c'est afin que nous en soyons aidez. Car quand Dieu departit de ses graces, ce n'est pas afin qu'un chacun les retienne pour soy, et qu'il n'en communique point aux autres: mais c'est pour l'edification commune de tous. Quand donc nous serons si arrogans, de ne point souffrir que ceux qui ont bonne doctrine nous instruisent, que ceux qui ont bon conseil nous guident: en cela nous esteignons la clarté de Dieu, nous repoussons le bien qu'il nous vouloit faire. Nous devons donc, quand il y aura des hommes qui seront pour nous enseigner, les escouter volontairement pour nous rendre dociles ayans un esprit debonnaire pour n'estre point revesches comme nous en voyons la pluspart. Mais tant y a qu'il ne se faut point tenir là du tout et indifferemment. Et pourquoy? Nous voyons comme le povre monde est auiourd'huy aveuglé à ce credit, qu'en dira, Quoy et la façon de vivre qu'en tient n'est-ils pas de toute ancienneté? combien y a-il de temps qu'en la garde? Ceci n'a-il pas esté en usage par si longue espace de temps? Et sur cela les povres gens se iettent en perdition, quand

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Dieu estoit prest de les amener au droit chemin: comme nous voyons que sa parole nous est preschee afin qu'elle ait toute authorité sur nous, que nous ne soyons point menez à la pipee, comme S. Paul en parle au 4. des Ephesiens (v. 14), Que les hommes ne nous seduisent point à leur poste, mais que Dieu nous gouverne, et que nous soyons sages en luy obeissant.

Voila donc le moyen que nous avons à tenir: c'est quand nous aurons receu des hommes ce qu'ils nous peuvent apporter comme ministres de Dieu, et comme instruments de son sainct Esprit: que nous sachions toutes fois qu'il doit avoir toute preeminence sur nous: que c'est de luy que procède toute sagesse, que nous ne soyons point transportez au credit des hommes, pour estre agitez çà et là tout soudain: mais que nous soyons confermez pleinement en ceste certitude, que c'est de luy que nous tenons la doctrine. Pour mieux comprendre ceci, il nous faut noter qu'il y a double extremité. Car nous en verrons des escervelez, qui mespriseront tout ce que Dieu aura donné de graces aux hommes: et les plus ignorans seront les plus outrecuidez en cest endroit, et cela est trop commun, tellement qu'ils feront gloire de leur bestise. Voila un homme qui n'a iamais rien cognu: or il luy semble qu'il ait tant plus d'occasion de se priser. Et nous voyons, qu'il y en a auiourd'hui qui prendront les passages de l'Escriture pour s'eslever en plus grand orgueil. Voila il est dit, Que Dieu cache ses secrets aux sages du monde et aux grands, et les revele aux petis, il y en aura qui seront povres bestes. `Or ils se glorifient en cela comme s'il n'y avoit theologie que pour eux. Et comment? Dieu a-il voulu que les hommes s'eslevassent en leur petitesse, pour mespriser les dons qui sont de lui et qui meritent d'estre approuvez? D'où vienent toutes les sciences? D'oh vient mesme ce iugement qui sera en un homme plus qu'en l'autre? Ne sont-ce pas autant de ruisseaux qui decoulent de ceste fontaine, c'est assavoir, de l'Esprit de Dieu, il est bien certain. Ainsi donc apprenons de ne point mespriser les graces de Dieu, quand elles apparoissent aux hommes: mais d'en faire nostre profit, et les appliquer à nostre usage. Car si sans discerner nous reiettons tout ce qui est des hommes, voila une sottise trop grande. On dit, De fol iuge breve sentence: et quand nous iugerons sans rien cognoistre ne discerner, ne sommes-nous pas doubles fols? Et toutes fois nous en voyons beaucoup de tels: voila en alleguera, Telle chose a esté tenue et observee, et mesmes il y aura raison, or puis qu'elle vient des hommes, ie la reiette. Et voire, mais que sais tu si elle est venue de Dieu auparavant par le moyen des hommes? il ne faut point donc quand en nous mettra

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quelque doctrine en avant, que nous soyons si soudains et hastifs de la reietter, mais que nous discernions. Voila donc une modestie qu'il nous faut observer pour eviter ceste extremité que i'ay dite.

Or il y a aussi l'autre extremité que i'ay desia touchee: c'est assavoir comme nous la voyons aux Papistes. Voila ie me veux tenir à ce qui m'a esté monstré dés mon enfance, ie veux suivre mes peres et mes ancestres, et ceci est ancien. Et Dieu perdra-il son authorité cependant? faut-il que les hommes soyent eslevez iusques là, que Dieu soit mis sous leurs pieds ? Ne vaudroit-il pas mieux qu'en arrachast le soleil du ciel pour le mettre au plus profond de la mer? Car voila une plus grande confusion et plus enorme. cardons-nous bien donc de faire cest outrage à Dieu, que nous-nous tenions du tout aux hommes pour le laisser en arriere. Car il nous faut tellement recevoir ce qui vient des hommes, et ce que Dieu nous donne par leur moyen, que tousiours il demeure en son entier, qu'en l'exalte, et que grans et petis soyent enseignez de luy, et que nous protestions que ce que nous sommes dociles aux hommes, ce n'est pas pour deroguer en rien à Dieu, ni à la maistrise qu'il a par dessus nous: mais que c'est afin que nous soyons conduits à lui, et que toutes bouches sont closes quand il parle. que nous lui facions silence, et qu'il ne soit point empesché de nous mener où il voudra: que nous recevions sans contredit tout ce qui sera procedé de sa bouche. Voila donc la modestie qui doit estre en nous. Et par cela voit on quelle sottise c'est en la Papauté, de dire, O voila l'humilité est une si grande vertu que iamais elle ne peut estre condamnee de Dieu. Ouy bien: mais quelle est l'humilité des Papistes? C'est de s'assuiettir aux hommes, et de reietter le ioug de Dieu, voire et le despiter en tout et par tout. Et quelle humilité diabolique est cela? Que les creatures soyent eslevees, qu'en leur obeisse: et que le Createur n'ait plus rien qui soit? Apprenons donc de nous humilier tellement, que pour avoir ceste mansuetude envers les hommes, nous soyons d'un esprit debonnaire afin de recevoir ce qui nous est bon et utile. Mais cependant que Dieu domine par dessus tous et qu'il soit maistre et docteur unique, tellement que l'authorité qu'il baille aux hommes ne luy derogue en rien. Que nous ne soyons point preoccupez de quelque fantasie, pour dire, O cestuy-la l'a dit, il le faut donc tenir ainsi. Et cestoy-la qu'est-il? N'est-ce pas un homme mortel? N'est-il pas une creature fragile où il n'y a que vanité? Ainsi donc gardons-nous de nous tenir aux hommes tellement, que nous ne retournions tousiours à Dieu, que nous ne soyons fondez en lui, et que certitude de nostre foy ne soit coniointe et unie

SERMON XLVII

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à sa parole: voila ce que nous avons à noter. C'est donc et lui qu'il y a sagesse et prudence, et esprit et conseil. Quand il est dit, C'est en lui, c'est pour exclure tout ce qui est aux hommes. Car quand le soleil luit, il obscurcit la clarté des estoilles: et qu'est-ce que pourront les hommes, quand Dieu viendra en avant? Et voila pourquoy il est dit par le Prophete Isaie (24, 23), Qu'il faut quand Dieu luira que toutes creatures cessent. Et notamment Iob a ici voulu reiterer par plusieurs mots, qu'il y a une perfection de toute sagesse en Dieu, afin que nous Deduisions point qu'il y faille suppleer, comme nous voyons les hommes estre si fols que s'ils ont receu quelque benediction de Dieu, il y faut adiouster, il y faut faire quelque meslinge. Non, non, il n'est point question ici de ravauder ou de raptasser. Quand Dieu met en avant sa sagesse il faut qu'elle soit pure et simple, il ne faut point que les hommes y adioustent rien qui soit, Mais Iob a encores voulu passer plus outre, comme nous avons touché, c'est qu'il y a une sagesse en Dieu, secrette et qui surmonte tout esprit humain, et à laquelle nous ne pouvons encores parvenir. Il est vray que Dieu, quant à moy n'est point sage en une sorte et en l'autre: (car c'est une chose inseparable, et qu'en ne peut point diviser ne partir, que la sagesse de Dieu) mais quant à nous et à nostre regard, Dieu est sage en deux sortes, c'est assavoir, que nous pouvons dire qu'il y a deux especes de la sagesse de Dieu, voire quant à nous. Et comment cela? Il y a Ceste sagesse qui est contenue en sa parole, laquelle il nous communique tellement, que. nous sommes sages quand nous avons

receu l'instruction qu'il nous don ne. Voila donc la sagesse de Dieu, laquelle il communique aux: creatures: et puis il y a Ceste sagesse laquelle il retient en soy. Et qu'est-ce cela? C'est ce conseil admirable, par lequel il gouverne le monde par dessus tout ce que nous concevons. Voila Dieu qui dispose les choses que nous trouvons bien confuses quant à nostre sens. Quand les tyrans dominent, ainsi qu'il en sera parlé cy apres, qu'il y a des meschans qui seduisent les povres gens, qui menent les ames en perdition, et que les autres sont sauvez: tout cela se fait par le conseil admirable de Dieu. Or si nous enquerons quelle est la raison de tout ceci, nous voila en un tel abysme, qu'il faudra que tous nos sens soyent engloutis. Voila donc une sagesse que Dieu retient vers soy, laquelle il ne communique point aux hommes: comme aussi il est impossible d'y parvenir. Ainsi donc, quand nous aurons esté enseignez en l'escole de Dieu, et que nous serons sages, en comprenant selon nostre mesure et portion ce qu'il luy aura pleu nous enseigner par sa parole: sachons qu'il y a encores des secrets en luy qu'il nous faut adorer, pource que nous n'en pouvons avoir cognoissance, et qu'il nous est impossible de monter si haut. Voila comme en deux sortes nous devons considerer la sagesse de Dieu. Et voila aussi comme Iob en a voulu parler selon qu'il en fera la deduction plus ample ci apres: mais pource que le temps ne le porte point, nous reserverons le reste a demain.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE QUARANTESEPTIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XII. CHAPITRE.

Ce sermon est encores sur les versets 1l, 15, 16, qui ont esté touchez au Sermon precedent.

Quand nous voyons advenir les choses qui sont ici recitees il nous semble que Dieu ne gouverne point le monde: mais que tout se mene à l'adventure, ou bien qu'il n'y a ne raison ne propos que Dieu face ainsi: et voudrions, s'il estoit en nous, luy chanter sa leçon, et luy monstrer ce qu'il doit faire, et le corriger comme s'il failloit. Voila donc comme les hommes sont confus en leurs sens, où ils sont si temeraires de vouloir redarguer Dieu. Or à l'opposite ici Iob veut approuver ceste puissance

que Dieu de laquelle il avoit fait mention, et ce conseil et sagesse. Il nous declare donc que quand nous voyons les choses confuses en ce monde, qu'il ne faut point que nous attribuyons rien à fortune: mais que nous sachions que c'est Dieu qui est par dessus, et qu'il conduit tout. Au reste, combien que nous trouvions estrange qu'il besongne ainsi: ne soyons pas si outrecuidez de repliquer à l'encontre: mais que nous adorions ceste sagesse secrette et incomprehensible, qui est en luy. Voila

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les deux articles qu'il avoit desia attribuez à Dieu I par ci devant, assavoir quo c'est en luy qu'il y a vertu, c'est en lui qu'il y a conseil, sagesse, et prudence. Il avoit mis notamment ces trois mots, afin de reprimer ceste folle hautesse qui est aux hommes quand ils veulent avoir plus de conseil et de raison que Dieu n'a, et ne se peuvent contenter de ce qu'il fait le trouvant bon. Il noua faut donc bien noter l'intention de IOB, qui est de nous faire cognoistre la providence de Dieu en toutes choses qui se font en ce monde. Or ce n'est pas tout que nous sachions que Dieu gouverne: mais il faut que nous luy attribuyons ceste sagesse de laquelle il a esté parlé. Vray est que souvent nous pourrons appercevoir quelques raisons aux oeuvres de Dieu: et il veut aussi qu'on cognoisse pourquoy il fait ceci ou cela: mais ce n'est pas tousiours: et ne faut point que nous en facions une regle generale. Dieu aveugle quelquesfois ceux qui ont reietté sa verité, et bien, voila une vengeance qui est toute evidente, nous cognoissons que les hommes ont bien merité que Dieu les prive de toute cognoissance, d'autant qu'ils n'ont point voulu estre enseignez de luy Or quelquesfois nous ne savons pourquoy Dieu retire sa parole, et nous trouvons eslourdis: là il nous faut adorer son conseil estroit: et combien que nous ne cognoissions point encores la raison ni la fin de son oeuvre, si faut-il que nous sachions et confessions qu'il ne peut estre que iuste: et que cependant l'infirmité de nos esprits nous vienne au devant, à ce que nous ne presumions point d'enclorre et de vouloir mesurer à nostre sens ce qui est infini. Maintenant deduisons on particulier les choses qui sont ici mises. Il est dit, Que si Dieu demolit, nul ne redifiera. En quoy il est signifié, que si la main de Dieu nous est contraire, encores que nous puissions avoir secours de tontes creatures, tout cela ne nous profitera rien qu'il faut que nous perissions. Voila en somme ce qui est contenu en ceste sentence.

Or de prime face nous dirons bien qu'ainsi est: mais nous n'en sommes point touchez. Et qu'ainsi soit, si Dieu nous afflige nous ne pensons point à qui nous avons affaire: mais nous allons cercher des moyens pour nous subvenir: et nous semble que nous pourrons bien eschapper du mal par nostre industrie, ou moyennant que les hommes nous vueillent secourir. Il est vray que Dieu n'empesche point que nous ne pensions de pourvoir à BOUS, de regarder, d'y donner remede, et Dieu fait bien valoir cela: mais non point en telle sorte comme nous avons accoustumé. Car le premier remede quand Dieu nous afflige, c'est de nous humilier sous sa main, et de cercher paix avec luy. Avons-nous fait cela? Nous pouvons bien luy demander qu'il luy plaise de nous donner les moyens

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pour pourvoir à nos necessitez: mais de nous armer contre luy, ce n'est point pour repousser les coups de sa main. Voila quel seroit nostre devoir: mais tout au rebours de faire cela, nous voyons qu'il n'y a que rebellion au monde, quand Dieu le veut humilier. Si nous pensions bien donc à ceste doctrine nous n'aurions pas telle façon de faire comme nous avons. Car ceci nous viendroit en memoire: Dieu nous veut-il destruire? et qui est-ce qui nous pourra redifier? Il faut donc que luy mesme y mette la main. Et ainsi, l'avons-nous offensé? demandons-luy pardon, afin qu'il ait pitié de nous, Et si ses iugemens nous sont occultes, tant y a qu'il nous faut humilier sous luy, afin qu'estans ainsi abatus il nous reçoive. Et de fait nous devons bien escouter les menaces que Dieu fait à ce propos sur les reprouvez, quand il dit d'Edom qu'il l'a voulu destruire: et quand on voudra s'efforcer pour le remettre au dessus, que ce sera peine perdue. En cela nous voyons que si la main de Dieu est contre nous, il faut que tous les secours qui nous viendront du costé des hommes et des creatures, soyent vains et inutiles. Nous pourrons bien avoir pour nous maintenir (ce nous semblera) mais nous ne sentirons nul profit: tout ira au rebours de nostre esperance. Il est dit encores d'avantage de Babylone, Quiconques la voudra redifier il faudra qu'il mette les fondements sur son premier nay: c'est à dire, que tous ceux qui voudront resister au iugement de Dieu, suivront ceux qui auparavant avoyent esté affligez, et leur tiendront compagnie eux-mesmes. Pensons donc bien à nous, et demandons d'estre fortifiez de la main de Dieu, et maintenus eu nostre estat par icelle. Car sans cela il faut que nous perissions: voire, combien que tout le monde nous fust favorable, comme desia nous avons dit. Et voila pourquoy aussi il nous est monstré au Pseaume (127, 1), Que les hommes auront beau bastir, quand ils auront toutes choses à commandement, si est-ce qu'ils ne pourront advancer, Dieu fera reculer tout, si ce n'est qu'il les benisse. Et par ce mot d'Edifier, il n'y a nulle doute que IOB ne comprenne tout ce qui concerne l'estat humain comme s'il disoit, Que c'est à Dieu seul qu'il appartient de nous edifier: quand il nous aura mis en quelque train, il faut que nous y soyons confermez par sa vertu: et quand il nous voudra aneantir, et ruiner du tout, nous aurons beau faire: car tout ce qui nous viendra du costé des hommes, tout cela sera inutile. Au contraire, ayans Dieu de nostre costé, nous pourrons despiter toutes choses qui nous sont contraires: aussi quand Dieu nous sera ennemi, que nous ayons toutes les commoditez qu'il est possible, tout nous viendra à confusion. Voila quant à ce poinct.

Il est dit aussi bien, Que si Dieu enserre un

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homme, nul ne luy pourra faire ouverture. Comme si Iob disoit, Que c'est à Dieu seul de nous donner liberté: que quand il voudra (combien qu'il semble que nous ayons et pieds et mains à delivre) nous serons perclus de tous nos membres, et ne pourrons point remuer un seul doigt: et combien qu'on tasche de nous retirer, qu'on ne profitera rien, cependant que Dieu nous tiendra enserrez et enclos. En somme il signifie ce que i'ay desia touché: c'est assavoir, qu'il faut que Dieu nous soit propice, ou autrement tout ira mal pour nous: que nous ne ferons qu'empirer: que si nous ne trebuchons du premier coup, si est-ce que nous serons minez petit à petit, iusques à ce que Dieu nous consume du tout. Or ayant parle ainsi, il met aussi bien, que si Dieu retient les eaux, et les empesche, il y aura secheresse: si Dieu veut lascher les eaux, qu'il y aura des raveines qui seront pour tout emporter: comme pour renverser la terre, qu'il n'y aura arbres ne maisons, que tout cela De soit abbatu. Or notamment Iob parle de retenir les eaux et de les lascher pource que nous ne cognoissons point assez la main de Dieu, quand elle besoigne d'une façon egale et qui nous est accoustumee. Le soleil se leve-il du matin? ce nous est une chose ordinaire, nous D'y pensons point, et n'en sommes point assez resveillez pour venir iusques à Dieu. Fait-il quelque pluye? cela ne vient en nos esprits. Quand nous voyons la pluye, si on nous interrogue qui l'envoye, nous confesserons bien que c'est Dieu: mais tant y a que ceste consideration n'entre point au vif en nous, et pour cela nous ne sommes point touchez pour nous humilier sous la providence de Dieu, cognoissans que tout est en sa main, et qu'il dispose de nostre vie: il en y a bien peu qui pensent à cela. Ainsi donc Iob a ici choisi des oeuvres qui nous sont plus rares, qui ne sont point tant accoustumees aux hommes. Apres quand nous voyons une secheresse qui dure, alors chacun est touché: s'il fait beau temps, et que cependant on ait quelque pluye, et que la terre ne seche point du tout, on n'y pense pas: mais s'il y vient une si grande secheresse, qu'on apperçoive, les bleds ne peuvent pas croistre, ils ne profitent point, voila les semences qui sechent en terre, et qui perissent, il n'y a fruict qui y puisse venir. Quand donc il y a une telle secheresse qui vient outre la coustume: alors nous voila touchez. Autant en est-il des grosses eaux. S'il fait quelques pluyes, et qu'elles ne nuisent point: et bien, cela nous passe, nous ne regardons point à Dieu: mais s'il y a des pluyes qui continuent, tellement que toutes les rivieres se desbordent, qu'il semble que ce soit une espece de deluge: alors nous notons et marquons cela. C'est ce que Iob a voulu dire, Quand telles choses adviendront qu'il semblera que l'ordre de nature

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vueille changer, qu'il y aura des secheresses si excessives qu'il semble que tout doive brusler: cognoissons que Dieu n'a point lasché la bride à fortune: mais que c'est luy qui besongne ainsi. Quand aussi il envoye des pluyes si grandes qu'on cuidera que tout doive perir, sachons que c'est Dieu qui besongne. Or il est vray que la secheresse pourra bien advenir quelquesfois pour des pechez tous notoires, tellement qu'on sentira pourquoy la vengeance de Dieu est advenue: comme il nous menace en sa Loy de clorre le ciel en sorte qu'il sera comme d'airain, qu'on n'en pourra tirer une seule goutte d'eau: que la terre sera endurcie comme si c'estoit fer, que les semences seront languissantes, et que la terre ne leur donnera nulle substance ne vigueur: que le ciel aussi sera sourd: quand la terre ouvrira la bouche, et sera fendue comme ayant soif, que le ciel ne lui respondra point. Nostre Seigneur donc menace bien en sa Loy d'exercer de telles punitions sur nous, voire à cause de nos pechez: mais il adviendra quelquefois que nous ne pourrons point discerner pourquoy Dieu besongne ainsi, nous n'aurons point une cognoissance telle, que nous puissions iuger Voila Dieu qui nous monstre une telle raison. Si faut-il neantmoins que nous adorions sa vertu et sagesse, combien que la fin nous soit incognue. Nous avons donc à nous humilier en toutes sortes quand nous voyons que la terre sera comme abysmee d'eau, ou bien qu'elle sera bruslee de secheresse, que Dieu soit tousiours glorifié. Et en quelle sorte? Que nous confessions que c'est luy qui fait cela. Car il faut que nous recognoissions sa vertu premierement, et puis que nous adioustions avec sa vertu une telle sagesse que nous ne murmurions point contre lui, que nous ne l'accusions point de tyrannie ne d'excez. Car ce n'est point le tout de dire, Il est vray que Dieu gouverne le monde, et cependant que nous imaginions en luy une puissance tyrannique Mais (comme i'ay desia touché) il faut que pour bien glorifier Dieu, nous cognoissions qu'il est tout puissant, et avec cela que nous ayons en admiration sa sagesse qui est infinie, et à laquelle nous ne pouvons pas parvenir: et pour ceste cause qu'il ne faut pas qu'elle soit assuiettie à nos sens, et que Dieu nous rende conte de tout ce qu'il fait.

Or Iob reitere encores, Que c'est en luy qu'il y a toute vertu, et toute dexterité, avec droiture. Le mot second qui est ici vient bien d'Estre, tellement qu'il signifie Essence, et alors on le pourroit exposer pour toutes choses qui ont quelque apparence, et cependant n'ont point de fermeté: comme les creatures auront bien quelque monstre, il semble bien qu'elles florissent: mais ce n'est qu'un ombrage cela perit tantost, et elles sont escoulees si Dieu Dé les maintient. Or en Dieu il y a une fermeté permanente

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car c'est luy qui a tousiours esté et sera: c'est lui aussi qui donne à toutes creatures d'avoir quelque puissance, tellement qu'elles demeurent en leur estat. Ce mot donc est bien deduit de là: mais souventesfois il est prins pour la loy de Dieu, et pour l'instruction: il est prins aussi pour un mandement de Prince, pour un edit. Or nous avons veu par ci devant, comme Iob n'a point seulement parle de la puissance de Dieu pour penser qu'il a tout en sa main: mais il a dit, qu'il estoit sage en perfection, que son conseil estoit admirable. Notons bien donc aussi, qu'en ce passage il ne veut point parler de l'essence de Dieu, mais plustost de ceste droiture, ou du regime qu'il a. Car nous savons qu'entant qu'il est Iuge du monde, il faut qu'il gouverne toutes choses en equité. Et ainsi ce n'est sinon une repetition du propos qui avoit este tenu ci dessus: mais non sans cause Iob le reitere. Car combien que les oeuvres de Dieu nous soyent devant les yeux: si est-ce qu'il nous est difficile de venir à ceste consideration: et quand nous y sommes venus, tantost nous l'avons mise en oubli, si ce n'est que la memoire nous en soit refreschie. Notons bien donc que veut dire ceste sentence: c'est assavoir, qu'en Dieu il y a toute vertu, qu'à luy aussi appartient le regime du monde pour disposer de toutes choses en equité et droiture. Quand nous aurons bien recordé ceste leçon, nous aurons beaucoup profité, non point seulement pour un iour mais pour tout le temps de nostre vie. Il y à aussi une raison speciale pourquoy Iob reitere ceste doctrine. Car il veut entrer en des iugemens de Dieu qui nous sont plus estranges que ceux dont il a parle: et sur tout quand il dit, Que Dieu a en sa main celuy qui trompe, et celuy qua est trompé.

Voila une chose qui nous semble contre toute raison, Que Dieu ait en sa main ceux qui trompent et qu'il les pousse a cela. Il semble que ce soit un poinct qui repugne du tout à sa nature. Notamment donc Iob a usé de ceste preface, comme s'il nous mettoit une bride afin que nous ne venions point à nous precipiter contre Dieu: et encores que nous ayons quelque tentation qui nous trouble de prime face, toutesfois que nous soyons reprimez, que nous ne soyons pas comme beaucoup de bestes sauvages qui s'eslevent contre Dieu, et le despitent, et blasphement, sinon qu'il se despouille de sa puissance: ainsi que nous en voyons qui n'ont nulle honte de desgorger ce propos si vilain et execrable, Qu'ils ne croiroyent pas que Dieu fust iuste s'il faisoit toutes choses, iusques à pousser ceux qui font mal. Car par ce moyen (disent-ils) il seroit autheur de peché. Et qui est-ce qui leur a revelé? C'est d'autant qu'ils veulent renger Dieu à leur fantasie et qu'ils n'apprehendent point sa sagesse

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admirable pour l'adorer combien qu'elle nous soit cachee. Voila donc des bestes arrogantes qui ne peuvent point accorder à Dieu qu'il soit tout-puissant, sinon qu'ils l'assuiettissent à leur guise et à leur appetit: et ceux qui sont les plus ignorans sont les plus hardis, selon le proverbe. O voila (diront-ils) ie ne le compren point. Et qui es-tu? Nous avons veu ici de povres sots: car combien qu'ils facent des docteurs ou en une science ou en l'autre, neantmoins ils sont si tres-ignorans que c'est pitié: et on cognoist bien qu'il n'y a en eux que bestise. Toutesfois si est-ce qu'encores auront ils bien ceste hardiesse de dire, Ie ne compren point cela, et pourtant ie ne m'y sauroye accorder. Et quand ce seroit le plus savant homme du monde et le plus subtil, encores faudroit-il qu'on lui crachast au visage, et qu'on l'eust en detestation, quand il oseroit ainsi lever les cornes à l'encontre de Dieu. Or donc nous voyons maintenant que Iob nous a ici baillé instruction bien propre et utile, c'est assavoir, entant que quand il a voulu dire, que Dieu a en sa main et ceux qui sont deceus, et ceux qui deçoivent: il a mis ceste preface Qu'en lui est puissance et dexterité.

Venons maintenant faire comparaison de nos esprits avec la puissance de Dieu: la pourrons-nous enclorre en nostre cerveau? S'il est question de l'enclorre au ciel et en la terre, ceste mesure seroit trop petite. Or maintenant un homme se viendra eslever iusques là: et ie vous prie, n'est-ce pas un monstre qui ne cognoist plus s'il y a un createur ou non, et qui ne regarde point que c'est de luy? Retenons bien donc ce qui est ici declaré, c'est assavoir, que combien que nous trouvions ceci bien difficile que Dieu a en sa main et en sa conduite ceux qui deçoivent et ceux qui sont deceus: il est ainsi neantmoins. Pourquoy? Car Dieu ne seroit pas tout-puissant, si les choses se faisoyent en ce monde contre sa volonté, et sans qu'il s'en mesle. Car comment seroit-il tout-puissant? O voire, mais quelle raison y a-il? dira quelqu'un: il faut que tu cerches la raison ailleurs, et d'autant que tu n'y peux point parvenir, qu'en toute humilité tu adores ce qui surmonte ta capacité: tu ne peux point monter par dessus les nuës. Il faut que Dieu soit recognu sage et puissant: et si tu n'apperçois point encores la raison, et bien, atten en silence et repos que Dieu te revele ce qui t'est maintenant incognu. Car qu'est-ce que veut dire, Que nous verrons face à face ce que maintenant nous ne pouvons contempler, sinon comme en un miroir ou en obscurité? Voulons nous falsifier l'Escriture? Ces glorieuses bestes qui corrompent et obscurcissent la providence de Dieu, sous ombre qu'ils ne comprennent point la raison, et qu'ils ne peuvent digerer ce qui est contenu en l'Ecriture saincte, voudroyent

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que Dieu ne reservast rien au dernier iour. Et que ne l'accusent-ils donc qu'il ne les a faits plus grands clercs, quand on les voit ainsi ignorans et lourds? Combien qu'ils se contrefont: car il n'y a iugement, ni discretion: et qu'on les estime' soit par despit ou autrement, tant y a qu'on les voit si lourdes bestes que rien plus. Que n'accusent-ils Dieu de ce qu'il ne leur a point donné un esprit plus subtil? Qu'ils n'ont point eu le moyen d'aller à l'escole pour y mieux profiter? Car il leur semble bien qu'ils soyent les plus dignes du monde, et toutesfois Dieu les a delaissez: que ne l'accusent-ils de ce qu'il ne les traitte à leur appetit? Car il leur semble qu'ils soyent si habiles gens qu'on les devroit faire chevaucher en chariots triomphans: et cependant on les voit tels qu'ils sont. Ainsi donc ils auroyent beaucoup de repliques pour accuser Dieu quand ils voudroyent l'amener en conte. Mais de nostre costé retenons ce qui est ici dit: c'est assavoir, qu'il nous faut avoir ceste simplicité d'adorer le conseil et la sagesse qui est en Dieu, combien qu'elle nous soit cachee. Au reste, venons à ce que Iob dit ici quant à celui qui erre, et celui qui deçoit Quand il dit que tous les deux sont en la main de Dieu, celuy qui trompe et celui qui est deceu, il n'entend pas que c'est pource qu'ils sont ses creatures, et qu'il leur donne vie. Car ceste sentence-la seroit trop froide, elle n'emporteroit rien. Car nous savons qu'il traitte ici des iugemens de Dieu qui sont incomprehensibles, et que nos sens ne peuvent comprendre. Et ce seroit un iugement si estrange de dire, Que Dieu a fait tous hommes, et qu'il contemple celui qui est si meschant et trompeur, et celui qui est trompé? Et cela ne seroit point outre l'ordre commun de nature. Nous voyons donc que Iob a voulu passer plus outre: c'est assavoir: que quand quelqu'un erre, et qu'il est trompé, cela n'avient point sans la volonté de Dieu et sans qu'il l'ordonne: et aussi quand il y a un trompeur qui vient à bout de ses finesses et astuces, Voila Dieu qui gouverne par dessus. Ceux qui veulent excuser Dieu d'iniustice alleguent pour couleur, qu'il permet bien ce que les hommes font, et toutesfois qu'il ne le fait pas. Mais ie vous prie, donneront-ils solution à ce passage? Car Iob apres avoir dit, Qu'il y a vertu et droiture en Dieu, adiouste, Qu'en sa main sont ceux qui sont trompez et ceux qui deçoivent. Voila Iob qui approuve la puissance de Dieu, et comme il a le regime du monde, quand il dit, Qu'en sa main sont ceux qui sont trompez et ceux qui trompent. S'il v avoit une simple permission, Iob auroit bien mal parlé. Il faut donc conclure, que Dieu a tellement la conduite de tout, que rien ne se fait sinon d'autant qu'il l'a ordonné.

Or cependant nous avons à retenir ce qui a

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desia esté touché: que quelquesfois Dieu voudra bien que les hommes soyent trompez, et le voudra pour une raison notoire: mais quelquesfois aussi nous ne savons point d'où cela procede ni à quelle fin il tend. Et là il nous faut tenir nos esprits enclos et bridez, confessans que nous sommes trop ignorans et infirmes pour parvenir si haut. Que Dieu veut que les tromperies regnent, et que les hommes soyent abusez, l'Escriture saincte le monstre. Il n'est point question-là, que Dieu donne seulement un congé, pour dire, Ie n'y pense point, ie ne m'en veux point mesler: mais il commande: quand il dit, Qui est-ce qui ira pour tromper? Voila Dieu qui cerche des trompeurs, et veut que les tromperies ayent la vogue: l'Escriture parle ainsi. Quelle glose pourra-on amener pour obscurcir un passage si evident? Et le diable se presente, et dit I'iray, et serai un esprit menteur en la bouche dé tous les prophetes, pour seduire Achab. Et Dieu envoye Satan, et veut qu'il trompe et aveugle et le roy et tout le peuple. Nous voyons bien donc maintenant, Dieu ne se retire point en un anglet, pour dire, Ie laisserai faire: mais qu'il ordonne, qu'il dispose. Car sans cela (comme i'ay dit) il ne seroit point tout-puissant. Quand l'Escriture attribue ce tiltre à Dieu, ce n'est pas qu'il puisse faire s'il vouloit, et qu'il ne face rien, qu'il se repose au ciel: mais elle entend la puissance de Dieu avec l'effect: c'est à dire, qu'elle est presente à toutes choses et que rien ne se fait, sinon d'autant que Dieu l'a disposé. Voila donc comme Dieu est tout puissant: et ceux qui veulent ainsi barbouiller pour aneantir la providence de Dieu, ou pour la restraindre, ils nient le premier article de nostre foy comme gens insensez qu'ils sont, et possedez d'une rage diabolique. Ainsi c'est un poinct resolu, et nous faut tenir là, si nous ne voulons falsifier l'Escriture, c'est que Dieu veut que les hommes soyent seduits. Et ce n'est point seulement en ce passage qu'il en est ainsi parlé: mais par toute l'Escriture saincte: il y a sur tout le lieu de sainct Paul qui est notable, et qui nous doit estre tant plus familier, d'autant que nous en avons l'experience et pratique. Car sainct Paul traittant de l'estat à venir de l'Eglise Chrestienne, prononce (2. Thess. 2, 9), Qu'il y aura une revolte, que les hommes' apres que l'Evangile aura esté presché, deviendront apostats qu'ils quiteront Dieu, et qu'il y aura une horrible dissipation sur toute l'Eglise, ce que nous voyons. Cependant les Papistes ne laissent pas de dire, Et Dieu auroit-il permis que l'Eglise errast par si longue espace de temps? Et voila sainct Paul qui declare qu'il sera fait ainsi. Or si cela procede de Dieu, est-ce une simple permission ? Nenni, mais notamment S. Paul dit , Que Dieu donnera efficace d'erreur. Il ne dit pas seulement,

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qu'il laschera la bride à Satan pour tromper les hommes: mais il faut (dit-il) que les tromperies et les mensonges ayent vertu, et que les hommes ne s'en puissent garder, mais qu'ils en soyent seduits. Nous voyons donc devant nos ;yeux la vengeance de Dieu horrible, que les hommes ont este aveuglez, qu'ils n'ont point apperceu les mensonges et tromperies de Satan, mais ont esté transportez comme bestes brutes. Qui a fait cela? Dieu. Notamment Sainct Paul le prononce. Or il est vrai que là il y a raison apparente. Car Sainct Paul dit, Que ceste dissipation se fera pour l'ingratitude des hommes, d'autant (dit-il) qu'ils auront refusé d'adorer Dieu, il faudra qu'ils portent le ioug des hommes, et qu'ils soyent subiets à leur tyrannie. Ils n'ont point voulu obeyr à la verité: et Dieu les abbruvera de mensonges: comme aussi il en est traité au 1. chapitre des Romains (v. 28). D'autant donc que le monde appete d'estre deceu et mesmes qu'il ferme les yeux quand Dieu le veut esclairer par sa parole, il faut bien que Satan le trompe et le seduise. Mais quelquefois cela adviendra, et nous ne saurons pourquoy: si on s'enquiert de la raison, quand on aura fait de longs circuits, si est-ce qu'on y sera confus. Notons bien donc, que si nous n'appercevons point la raison pourquoy Dieu fait quelque chose, encores nous faut-il faire ioug (comme on dit) et adorer sa puissance, sachans que elle est reglee en toute droiture et equité, iaçoit que cela nous soit incognu: et mesme quand Dieu aveuglera les hommes, et qu'il suscitera des seducteurs pour les tromper, que les fausses doctrines, les abus, les heresies auront la vogue, et que Dieu donnera une telle efficace à Satan pour punir nos pechez.

Au reste on pourroit encores esmouvoir beaucoup de questions. Comment ? Est-il possible que Dieu se serve de Satan? Il n'y a que malice en luy. Et d'autre costé voila un meschant qui n'aura autre intention que de pervertir tout bien et le destruire: et qu'il le face, et qu'il en vienne à bout: ne semble-il pas qu'il soit absout, d'autant qu'il a servi à la volonté de Dieu? On fera ces questions qui sont pour embrouiller nos esprits: mais pour ceste cause (comme i'ay desia dit) Iob a usé de ceste preface, qu'il y a vertu en Dieu et regne: c'est à dire, que d'autant qu'il a tout en sa main, c'est raison qu'il dispose de ses creatures à sa volonté: et que d'autant qu'il est Iuge du monde, il ne peut mal faire: qu'il est impossible qu'il decline ne ça ne là, il n'y aura que droiture. Car sa volonté (combien qu'elle nous soit incognue) est la fontaine de toute iustice. Quand un homme aura fait quelque chose, on examine ce qu'il aura fait. Et pourquoy? Car nous avons une regle qui est par dessus noue: et de fait nos volontez sont

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muables de bien en mal: et qui pis est, de nature elles sont du tout mauvaises, tortues, obliques, là oit il n'y a nulle droiture. Car nous sommes subiets à estre transportez de nostre phantasie et çà et là. Pour ceste cause il faut, que ce que nous faisons soit examiné et qu'il y ait une regle superieure. Car si les hommes se gouvernent d'eux-mesmes, il est certain qu'il n'y aura que confusion en leur cas. Et voila pourquoy les Payens mesmes ont dit, Qu'il faut que la Loy soit comme Dieu par dessus nous, et que Dieu soit nostre Loy. Mais de Dieu, il n'en est pas ainsi. Quand donc nous venons à sa volonté, c'est une regle de toute iustice. La iustice à laquelle nous devons estre reglez et suiets, est par dessus nous: mais la volonté de Dieu est encores par dessus: ainsi que nous avons desia traite, qu'il y a double iustice de Dieu: l'une est celle qu'il nous a declaree en sa Loy, selon laquelle il veut que le monde se gouverne: l'autre c'est une iustice incomprehensible, tellement qu'il faut par fois que nous fermions les yeux quand Dieu besongne, et que nous ne sachions point comment ne pourquoy. Et ainsi quand la raison d'un fait de Dieu ne nous est point revelee, sachons que c'est une iustice qui est en sa volonté secrette, laquelle surmonte ceste regle qui nous est manifeste et cognue. Or il est vray que ceste doctrine ici sera difficile à beaucoup: mais contentons nous de ce qui en est prononcé. Puis que l'Escriture en parle ainsi, il faut que nous respondions tous Amen' et cognoissions ce qui nous est ici declaré: c'est assavoir, quand nous voyons les gens errer, que nous voyons des trompeurs qui ont aussi la vogue, que cela n'advient point sans la providence de Dieu. Hais outre ce qui a esté dit qu'il nous souviene encores de l'admonition que fait Sainct Paul (Rom. 9, 20), et mesme le Prophete Isaie (45, 9), Que si les hommes se regardent bien, ils ne seront point si hardis de s'eslever contre Dieu, et de se rebecquer contre sa verité. Car qui sommes nous? nous Hommes terre et fange. Et Dieu quelle authorité a-il ?

Ainsi donc, si les hommes regardoyent bien à leur condition, il est certain qu'ils ne presumeroyent point de s'eslever ainsi contre Dieu: et qu'aussi ces chiens qui ne cessent d'abbayer, encores qu'ils ne puissent mordre, n'auroyent point telle audace: mais laissons les là: s'ils ne se contentent de ce qui est dit en l'Escriture saincte, qu'ils aillent cercher des responses ailleurs. Car il y en a qui travaillent beaucoup pour respondre à leurs questions, or cela n'est pas utile. Et pourquoy? Car nous tentons Dieu manifestement si nous voulons passer nos limites. Voila Dieu qui nous declare qu'il fait beaucoup de choses dont la raison noue est cachee pour maintenant. Si noue la voulons savoir, n'est

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ce pas comme rompre par force la muraille que Dieu avoit mise? Il nous mot la barre pour dire, Vous ne passerez point outre: et si nous le faisons n'est-ce point despiter Dieu que cela? Ainsi donc que nous ne prenions point trop de peines pour contenter la folle curiosité de ceux qui s'eslevent ainsi contre Dieu: mais plustost apprenons de les rembarrer à la façon et au stile de sainct Paul, Qui es-tu homme ? il ne faut que ce seul mot pour clorre la bouche à ceux qui s'eslevent ainsi contre Dieu, homme, homme. Car il y a tant de povreté sous ce mot-la, que non seulement nous devons baisser la teste, mais si la terre se pouvoit ouvrir, nous devrions estre là engloutis aux abysmes, quand nous avons ceste arrogance diabolique en noua de nous eslever contre Dieu. Au reste notons que ceste doctrine nous apporte grande consolation, moyennant que nous la puissions appliquer à nostre usage. Quand il est dit, Qu'à Dieu appartiennent ceux qui faillent et ceux qui deçoivent, par cela nous cognoissons que Dieu tient la bride à Satan et à tous seducteurs: que sans sa volonté nous ne pouvons estre tormentez ne de fausses doctrines ne d'heresies, ne d'autres zizanies qui sont pour nous divertir de la pureté de l'Evangile. Et pourquoy', Car Dieu tient en sa main ceux qui deçoivent: voire, depuis Satan qui est leur chef, iusques à ceux desquels il se sert. Puis que Dieu les tient ainsi en sa main, sinon qu'il leur lasche la bride il est certain qu'ils ne pourront rien attenter. Et encores qu'ils attentent, si est-ce qu'ils n'auront point d'avantage sur nous, d'autant que ceux qui sont deceus sont en la main de Dieu. Or puis que nous sommes en sa main, remettons nous à luy: et il ne permettra point que nous soyons du nombre de ceux que Satan suppedite: mais nous serons tousiours victorieux par dessus les mensonges qu'il nous viendra mettre en avant. Voila comme nous devons pratiquer ceste doctrine: non point pour murmurer contre Dieu, non point pour nous vouloir monstrer et avoir une sotte

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pompe pour dire, O ie disputerai contre tout cela, et si on ne me rend raison, iamais ie ne fleschirai. Gardons nous de faire telles bravades: mais plustost (comme i'ay dit) humilions-nous pour adorer en toute crainte ce qui nous est incognu. Et combien que nous voyons les choses confuses au monde, qu'il ne nous reste sinon de tomber en perdition: ne craignons point: mais d'autant que Dieu gouverne tout, et qu'il a l'empire souverain par dessus toutes creatures, asseurons-nous en cela. Car Dieu pourra bien renverser l'astuce de nostre ennemi mortel Satan, et toutes les astuces et tromperies des hommes, tellement que nous en aurons la victoire. D'autre costé encores que Dieu nous vueille affliger, et qu'il permette que les heresies trottent, et qu'il y ait beaucoup de troubles, que nous voyons tout confus en ce monde: ô si est-ce qu'il nous pourra bien preserver que nous ne serons point seduits. Car c'est à lui à faire de donner efficace d'erreur à Satan: s'il ne le fait nous sommes munis: et il est impossible que les esleus (comme nostre Seigneur Iesus Christ en parle) soyent iamais destournez du chemin de salut. Puis qu'ainsi est donc remettons nous en la protection de nostre Dieu: et d'autant qu'il luy a pleu donner la charge de nostre salut à nostre Seigneur Iesus Christ, contentons nous do cela, que nous soyons en repos, que nous ne soyons point agitez d'inquietude pour dire, Et comment eschapperons-nous? Il y a danger que nous succombions: il est vrai que nous devons bien estre sur nos gardes, et avoir la solicitude d'invoquer Dieu: mais quand nous l'aurons invoqué, et que nous cheminerons en pureté de vie, ne doutons point quo nous ne soyons maintenus par lui, tellement que tous les troubles du monde ne nous pourront nuire, que nous ne soyons tousiours fermes en sa verité, et qu'elle ne nous soit une forteresse invincible comme aussi S. Paul en parle.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon D, m etc.

IOB CHAP. XII.

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LE QUARANTEHUITIESME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XII CHAPITRE.

17. Il mene les conseillers en proye, et rend les iuges estourdis. 18. Il destache le lien des Rois, et serre leurs reins de ceintures. 19. Il mene les princes en proye, et renserre les puissans. 20. Il oste le propos aux veritables, il oste le coeur aux Princes. 21. Il espand mespris sur les nobles, il oste la force des puissans. 22. Il met en clarté les choses cachees, et en lumiere l'ombre de mort. 23. Il eslargit les peuples, et les destruit: il dilate les gens et les reduit. 24. Il oste le coeur aux gouverneurs du peuple de la terre, il les fait errer comme en un desert. 25. Il les fait tastonner comme en tenebres sans clarté, et les fait chanceler comme des yvrongnes.

Comme nous vismes hier que Dieu a en sa main ceux qui deçoivent, et ceux qui sont trompez, aussi maintenant Iob poursuit à declarer que les changemens et revolutions qu'on voit au monde ne vienent point par cas fortuit: mais que c'est Dieu qui le dispose ainsi, et qu'il faut que nous cognoissions quand le monde est ainsi troublé qu'il y a une bride secrette d'enhaut, que les choses ne sont iamais si confuses que Dieu n'ordonne par dessus comme bon luy semble. Or il prend les choses plus notables, afin que là nous puissions mieux appercevoir la providence de Dieu. Il semble bien que les Princes soyent privilegiez par dessus le reste du monde, et qu'ils soyent quasi retirez du reng commun. Or Iob monstre que c'est là principalement que Dieu desploye sa vertu, et qu'il veut qu'elle soit cognue. Si quelque povre homme estoit affligé, ou qu'il luy advint quelque calamité, on n'y prendra point garde (car nous sommes tout accoustumez à ces choses) mais quand un Prince qui semble estre eslevé en haut est abbatu, là nous sommes plus touchez, et faut que nous cognoissions la providence de Dieu, si nous ne sommes bien stupides. Quand ceux qui auront aussi à gouverner le peuple, deviennent comme eslourdis, qu'il n'y a ni intelligence ne raison en eux, et cela est digne d'estre observé: que donc nous y regardions de plus pres, que si c'estoyent personnes privees. Et sur tout quand des gens ont eu bon esprit, qu'il y a eu quelque doctrine avec l'experience, qu'ils estoyent tout façonnez pour manier un gouvernement public: et soudain on les voit tous hebetez, et ce n'est plus ce que ç'a esté auparavant: ce changement-la est notable, tellement que nous sommes contraints de regarder à Dieu. Et voila pourquoy Iob ne parle pas ici du commun peuple:

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mais des gouverneurs: il ne parle point de ceux qui sont simples idiots: mais auxquels on a cognu grande prudence en sorte qu'il sembloit bien qu'ils fussent assez habiles pour conduire un monde, et toutes fois ils sont destituez de sens et de raison. Voila en somme ce qui nous est ici monstré.

Or pource qu'il est parlé de choses notables' et qui emportent beaucoup, Iob De se contente point d'exprimer en un mot ce qu'il dit: mais il le reitere, Que Dieu envoye les Princes, et les forts et robustes en proye, qu'il destache leur lien, qu'il n'y a plus de suiection, leurs alliances sont nulles, quand ils auront l'espee au costé qu'elle tombera par terre, bref que les moyens qu'auront les Princes de la terre ne leur serviront de rien, quand il plaira à Dieu de les mettre bas. Iob donc insiste là dessus pource qu'il v a ceste lascheté et d'autrepart qu'il voit que nous sommes aveugles à ce qui devoit fit estre consideré beaucoup mieux. Car encores qu'en partie nous cognoissions que Dieu besongne quand tels changemens advienent, si est ce que Cl la ne peut entrer en nos esprits, ainsi que dit Iob: et combien que nous l'ayons medité nous n'en pouvons faire nostre profit. Si faut-il neantmoins que nous cognoissions que si Dieu gouverne ainsi les principautez du monde, que son bras a aussi bien son estendue aux choses qui sont plus petites, et que rien ne lui eschappe. Voila ce que nous avons à retenir en somme. Or comme i'ay desia lit, si les principautez changent, chacun sera esmeu, mais tantost apres nous n'y pensons gueres. Et de fait nous voyons que les histoires sont pleines de cc qui est ici contenu: et neantmoins le monde n'a point profité iusques là, qu'il ait esté persuadé comme il appartenoit, de ceste providence de Dieu, et qu'il a le souverain empire par dessus tous: cela n'a iamais esté bien cognu. Et qui en est cause sinon nostre stupidité? Mesmes notons bien que Dieu ne prend point plaisir à changer: ainsi comme on imagine la rouë de fortune, et que les gens prophanes diront, Que Dieu se il iouë des hommes, comme en un ien de paume on fera trotter les pelottes. Ce n'est pas ainsi: mais tels changemens advienent pource que les hommes ne peuvent souffrir que Dieu continue sa grace sur eux. Quand tout sera ordonné en bon estat, voila les hommes qui ne se peuvent tenir à leur aise: ils s'esgayent, ils regimbent comme des chevaux qui sont trop bien nourris: ceux qui sont en dignité s'oublient. et mesprisent

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Dieu, il leur semble qu'il n'y a plus de bride par dessus eux. Voila pourquoy nostre Seigneur envoye des changemens du monde, d'autant que nous ne pouvons souffrir qu'il tiene un ordre egal et continuel sur nous. Et puis il faut aussi bien qu'il nous face cognoistre quel il est, et que nous le sentions estre maistre sur toutes ses creatures. Car encores que les Princes qui sont en honneur n'abusassent point de leur estat pour s'avancer avec toutes meschancetez: si est-ce qu'ils seront enflez d'orgueil, et leur semblera qu'ils soyent bien dignes de parvenir en ce degré si haut, qu'ils ont acquis par leur industrie, tellement que Dieu n'est plus rien. Et d'autre costé nous estimerions qu'il n'y auroit que fortune qui domine. Il faut donc que Dieu revele les choses qui estoyent comme ensevelies, afin que nous sentions qu'il a le manie

ment de tout. Et voila pourquoy de si grandes mutations sont advenues au monde. On s'estonnera quand on lit les histoires, Gomme il est possible que là où il y avoit une monarchie si grande, les choses ayent esté abbattues en si peu de temps, et d'une façon si estrange, et que iamais on n'eust pensé. Suivons les monarchies premieres qui ont esté des Assyriens et des Chaldeens, prenons celle qui a esté si grande qu'il sembloit bien que ce fust un estat perpetuel, et que iamais il ne deust estre renversé: et nous trouverons ce que ie di. Voila les Perses et les Medes qui dominoyent en toute l'Asie, tellement que quand on eust gagné cent lieuës de pays, ce n'estoit rien: armees estoyent prestes de cinq cens mille hommes, et cela est assez testifié, tellement que ce ne sont point ne fables ne choses qu'on ait inventees: mais (comme i'ay dit) la certitude en est toute claire. Or cependant, voila un homme avec trente mille hommes qui defait une armee de trois cent mille, l'autre une armee de sept cens mille. Et comment cela? On s'esbahit quand on lit telles choses, voire mais Dieu avoit aveuglé ceux qui auparavant cuidoyent estre parvenus iusques au comble de toutes forces, tellement qu'il leur sembloit bien que personne n'osoit plus gronder, qu'en soufflant ils pouvoyent abysmer tous leurs ennemis. Dieu s'est voulu moquer d'une telle fierté. Et voila comment ceste grande monarchie a esté abbatue, comme si Dieu avoit rompu la ceinture d'un homme et son espee luy tombe. Ainsi (di-ie) en est-il advenu aux Perses et Medes. Or bien, Alexandre le grand a-il gaigné telles victoires de tous costez? est-il comme une foudre, que quand on en oit parler on est desia vaincu? On voit qu'en la fleur de son auge Dieu l'oste du monde. Et qu'est-ce qui luy demeure ? Il a des enfans masles, il a sa femme, sa mere, ses freres: bref il a un parentage si grand qu'il sembloit que sa race ne deust iamais faillir: il avoit

acquis un tel empire, que pour le moins ses enfans estoyent dignes de succeder. Car on ne l'estime plus homme mortel, il est adoré comme Dieu, ses gensd'armes luy portent une telle reverence, qu'il ne leur coustera rien de se faire mourir et pour luy et pour tout son lignage. Or il n'en demeure point la queue d'un de toute sa race, il faut que tout cela soit tué, et que le sang soit espandu, comme il avoit rempli la terre de sa cruauté: Dieu extermine toute sa maison.

Quand nous voyons cela, ne voila point des iugemens admirables? Ceux qui n'ont iamais leu l'Escriture saincte, ne peuvent-ils pas contempler une vertu divine, tellement qu'il faut que nous confessions en despit de nos dents, qu'il y a un Dieu qui domine aux cieux, et qui execute de telles vengeances que iamais on n'eust attendu? Or i'ay allegué seulement un exemple: mais comme i'ay dit, toutes les histoires sont pleines de cela: et cependant, comment les hommes en font-ils leur profit? Quand on viendra à cest Empire Romain, c'est encores un estat dressé en sorte qu'il semble que iamais ne doive estre remué Car ceux qui avoyent authorité en ceste Republique et communaute de Rome iamais n'eussent permis, qu'un autre eust diminué de leur estat: et il faut neantmoins que cela adviene. Et comment est-ce que l'Empire est devolu à celuy qui l'a obtenu? Il est vray que quand la liberté fut opprimee, ce fut par force de guerres: mais celuy qui l'a eu, n'a n'heritier ne successeur apres soy, pour dire qui soit Prince ou Empereur, tellement qu'on esperoit que les choses seroyent remises en leur premier estat. Or tant y a que les choses se meslent tellement qu'un enfant devient Empereur. Car quand Auguste Cesar commença à dominer, il n'avoit ne prudence, ne sens, ne rien qui soit, tellement que l'Empire lui est apporté comme en son giron en dormant Et de fait, quand il falloit batailler, il estoit au lict, il le fa oit lever par force. Il lui semble donc qu'il devienne Empereur comme par songe. Or cela ne s'est point fait de cas d'aventure: mais Dieu a voulu abbatre cest orgueil qui estoit en ceste ville de Rome, tellement qu'apres cela il faut qu'un bouvier des champs soit Empereur, un fils de putain qui ne se peut glorifier sinon d'estre fils de son frere propre, et que sa mere soit une inceste. Et de qui est il ? de quel parentage ? On ne sait d'où ils sont venus, s'ils sont sortis de la terre ou de l'eau. Voila donc des choses si vilaines que quand on lit les histoires les cheveux en dressent en la teste. Or Dieu l'a ainsi disposé, afin qu'on cognoisse tant mieux que tels changemens ne vienent pas sinon pour instruire les hommes: comme il en est parlé plus à plein au Pseaume cent septieme (43). Notons bien donc, que cc n'est

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point sans cause que Iob insiste tant sur ce passage quand il dit, Que Dieu aveugle les Princes qu'il n'y a ne prudence, ne discretion ne rien qui soit: qu'il semble qu'ils soyent comme insensez: voire, et que cela adviendra en une minute de temps et puis quand il. couppera leur ceinture, l'espee tombe tellement qu'il n'y a plus de vertu. Apres, que si ou les a eu en reverence, Dieu les rend contemptibles, tellement qu'il est dit, Qu'il espand ignominie sur eux

Il y a ici trois choses mais il y en a deux visibles qui maintienent les Princes: et la troisieme est secrette. Les deux choses visibles sont, la force et la prudence. Voila un Roy qui domine: comment est-ce qu'il a authorité? S'il est sage, ou bien s'il a conseillers expers, que les choses soyent bien conduites, qu'ils advisent de pres à ses affaires, et qu'ils y prouvoyent, voila un moyen. Le second est, quand un Roy aura gens, qu'il aura grandes munitions de guerre, qu'il sera bien allie qu'il aura forteresses en son pays. Voila donc les deux choses que nous appercevons, qui sont pour maintenir les royaumes, les principautez, les estats en ce monde: c'est assavoir la force et la prudence. Or Dieu renverse la force, et ainsi ce n'est plus rien: il ostera la sagesse à ceux qui sont bien entendus, et les voila tous eslourdis, tellement qu'ils ont moins de sens que les petis enfans. Il y a la troisieme chose qui est secrette au monde: c'est assavoir, que Dieu imprime une maiesté aux Princes , qu'ils sont honorez, et mesmes qu'on ne saura point pourquoy: comme il est dit en Daniel Que quand Dieu avoit voulu establir ceste grande monarchie de Chaldee, il avoit donné crainte et frayeur à toutes creatures. Voila Balsasar, voila Nabuchadnesar, qui estoyent Rois: Dieu les magnifie tellement, que les oiseaux du ciel les craignoyent et les redoutoyent: et d'où vient une telle apprehension? d'autant que Dieu avoit imprimé sa marque en eux. Ne pensons point qu'en tel orgueil qu'il y a en tous hommes, les principautez puissent estre fermes, n'estoit que Dieu les maintient par ce moyen que i'ay dit. Chacun veut dominer, et nul ne peut souffrir ioug: il y a ceste hautesse de nature en tous hommes, qu'un chacun s'estime digne d'estre roy. Comment donc advient-il qu'on permet qu'un petit nombre ou un seul domine sinon d'autant que Dieu veut que cest ordre-la soit entre les hommes?

Or maintenant il est dit, Que l)ieu espandra mespris et ignominie sur ceux qui auront esté nobles, et ausquels on portoit reverence, que Dieu les rendra ridicules, qu'on se moquera d'eux, qu'on n'en tiendra conte. Pourquoy ? Pource que c'est a luy d'exalter, et c'est à luy d'abbatre. Notons bien donc les trois choses qui sont ici dites. Les

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Princes de ce monde se confient-ils en leurs munitions et forteresses, en leurs gens, en leurs revenus, et en tout ce qu'ils pourront avoir pour se maintenir? Or il est dit, Que Dieu couppera les liens, qu'il abbatra les forces, qu'il destachera la ceinture. Ainsi donc c'est en vain que les Princes pensent estre perpetuels, à cause qu'ils sont bien munis et equippez de toutes choses comme il leur semble.

prophetes car quand Dieu aura soufflé dessus, rien ne pourra profiter. Si les Princes se confient en leur sagesse, il en adviendra autant. Et nous voyons aussi comme les Prophetes se moquent de ceste vaine présomption qui a esté aux incredules et aux ennemis de Dieu. Et où sont les sages conseillers de Pharao? Egypte n'a elle pas eu le bruit iusques à maintenant, en sorte que s'il y avoit grande industrie au monde elle estoit là ? Et les voila hebetez, et privez de tout iugement: et comment se sont-ils ainsi esvanouys? Qui l'eust pensé? O c'est Dieu qui y a besongné: (dit le Prophete Isaie). Ainsi donc que ceux qui sont les plus grans du monde apprenent de s'humilier, et qu'ils ne soyent point transportez de ceste folle arrogance, comme s'ils se pouvoyent maintenir ou de leur prudence, ou de leur vertu: puis que nous voyons que tout cela n'est que fumee devant Dieu. Mais si les grans de ce monde ne se peuvent renger là, et qu'ils ne puissent escouter ceste doctrine: pour le moins que leur exemple nous serve d'instruction: pensons y, et cognoissons que Dieu nous fait une grace qui n'est point petite, quand il met les Rois et les Princes sur un eschaffaut pour nous enseigner, afin qu'un chacun de nous s'humilie, et que nous cheminions en crainte, cognoissans que Dieu gouverne tout, et qu'il dispose de ses creatures comme il luy plaist. Les Princes donc seront aveugles, mais Dieu en leurs personnes nous donne une instruction qui nous est utile, s'il ne tient à nous. Il faut donc que les petits cognoissent, que c'est une grace singuliere que Dieu leur fait quand il les instruit ainsi en son escole, et que cependant il laisse en arriere ceux qui sont les plus eslevez au monde. Cependant aussi notons bien que si Dieu change ainsi les principautez, s'il oste la force à ceux qui semblent estre si puissans et robustes que tout tremble sous eux: et que sera-ce de ceux qui ne sont rien au prix ? Allons nous glorifier de nostre grandeur, ou de nostre puissance. Voila ces grans Rois et Monarches qui ont dominé par tout, lesquels Dieu a confondu en un moment: et ceux qui n'ont rien à comparaison, quand sous ombre de ie ne say quoy, ils cuideront estre merveilles, et se feront à croire qu'ils doivent voler par dessus les nues, pour ce qu'ils ont un demi doigt par dessus les autres (les voila comme des idoles) et que sera-ce. ie vous prie de tels glorieux ?

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Il ne faut point que Dieu desploye là un grand iugement et digne de memoire: car leur folie est ridicule iusques aux petits enfans. Et pensons nous donc, que Dieu laisse une telle arrogance et fierté impunie, veu quelle-est puante au monde, et qu'on ne la peut souffrir, veu aussi qu'elle n'a nul fondement ny couleur? Et de nous qui sommes personnes privees, advisons bien de ne point lever les cornes. Car c'est le propre office de Dieu d'abbatre tous orgueilleux, et de leur resister: et d'autant plus qu'ils taschent et s'esforcent à s'eslever, il faut que la main de Dieu soit tant plus rude pour les rendre confus. Craignons donc de nous eslever contre Dieu. Car sa main est trop pesante, si nous venons la rencontrer.

Au reste, comme i'ay desia touche, cognoissons qu'il ne faut point que les hommes se glorifient en leur esprit ni prudence. Car nous voyons ce qui est ici declare des Iuges et des conseilliers et des Rois. Dieu pour maintenir la police (qui est une chose saincte en ce monde) eslargist de son Esprit à ceux qui n'en sont point dignes: les Rois, ou leurs conseilliers, ou ceux qui ont charge de gouverner les peuples auront quelque prudence: voire, non point d'eux: mais c'est d'autant que Dieu les met en cest estat, il faut qu'ils ayent ie ne say quoy qui n'est point de leur nature. Et Dieu fait cela combien que les hommes n'en soyent point dignes: la raison est, qu'il veut maintenir l'ordre qu'il a constitue: et toutes fois si est-ce qu'il ne laisse pas puis apres de despouiller et les Rois et les Princes et ]leurs conseillers de sens et de raison. S'il fait cela envers ceux ausquels il eslargist de son Esprit extraordinairement, et que sera-ce des personnes privees? Ainsi donc apprenons de cheminer en toute modestie, et de ne point cuider estre tant habiles, que par nostre sens et raison nous facions ceci ou cela. Car Dieu nous pourra priver du tout. Il est vray que quelquesfois Dieu laissera sens et raison aux hommes, et cependant il n'y aura nul effect: comme nous en voyons l'exemple en Achitophel: Dieu permet bien qu'il est tousiours homme advisé comme il estoit, et c'estoit une grande ruse que du conseil qu'il donnoit à Absalom. Et bien, voila Achitophel qui a l'esprit assez aigu, et Dieu ne luy en diminue rien: toutes fois si est-ce qu'il ne vient à bout de son entreprise. Et pourquoy? Car Dieu aveugle tant Absalom, que tout son conseil, tellement qu'Achitophel n'est pas creu. Nous voyons donc que Dieu oste l'effect et la vertu à ceux qui avoyent des ruses et finesses comme il sembloit: mais quelquesfois aussi il les rend hebetez et eslourdis, comme Iob en parle. Ainsi en adviendra il aussi à des personnes privees si on y regarde. Comment? Voila un homme qui savoit si bien pourvoir à son

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cas, il n'y avoit que redire: et toutes fois il n'a point prosperé. Et pourquoy? Dieu a oste l'effect de la sagesse de cestuy-la et l'a rendue inutile. Nous cognoissons donc quand cela advient, la providence de Dieu: mais aussi il adviendra qu'un homme qui sera bien fin et bien habile, fera un acte si sot qu'on s'en estonne. Est-il possible (dira-on) qu'un homme si pourvoyable, qui eust donné conseil à tout le monde, soit tombé en une telle folie et si lourde? Et qui est cause de cela? Dieu y a besongné, Ainsi donc qu'est-il de faire? Si Dieu nous a donné esprit et prudence, en premier lieu usons en comme nous devons: c'est à dire, que nous n'appliquions point nostre esprit à mal pour tromper l'un, pour faire ne fraude, n'iniure, ne dommage: mais que ce soit pour maintenir le bien, pour reprimer le mal: et cependant qu'encores nous prions Dieu que l'esprit qu'il nous a donne, il nous le conferme: sachans que ce n'est pas un heritage perpetuel, mais qu'il faut que Dieu continue sa grace tout ainsi qu'il a commencé. Car du iour au lendemain nous en pourrons estre du tout destituez, Et bien mon Dieu, tu m'as assisté, et ie suis d'autant plus redevable à toy: mais ne m'oste point ton Esprit. Si un homme a bien servi de son esprit, un iour, un an, tout le temps de sa vie, qu'il en face hommage à Dieu, Seigneur ie tien cela de toy, et ce n'est pas de moy que j'y persiste: mais il faut que tu me soustienes, ie ne puis de moy rien qui soit.

Voila donc ce que nous avons à faire, quand il est dit, Que c'est Dieu qui oste l'esprit à ceux qui estoyent bien advisez auparavant, Qui les fait tastonner comme en tenebres, tellement qu'ils sont et aveugles et yvrongnes, et ceste vertu qu'ils avoyent auparavant s'escoule, et ils ne sont plus rien, que s'il plaist à Dieu, il faudra qu'ils soyent ruinez. Oyans cela, que nous y prenions exemple, comme i'ai dit. Mais il ne nous faut laisser l'autre premier article, Que l)ieu espand aussi opprobres sur ceux qui estoyent nobles auparavant, et ausquels on portoit reverence, qui estoyent honorez, que Dieu espandra mespris sur eux, et les voila pleins de vergongne , tellement qu'on se moquera d'eux et i qu'ils n'auront plus nulle authorité. Par cela nous |sommes instruits, que quand nous aurions tout ce qu'il est possible de souhaitter, rien ne nous servira quand ce mespris viendra: que nous serons comme I si nous n'avions ne forme, ne semblance, ne rien | qui soit, quand on nous verra en tel mespris. Et si on demande d'où cela est venu, on ne saura pourquoi. On verra (di-ie) des gens eslevez en grand estat et dignité, des rois les plus puissans du monde: et ils seront mesprisez, non pas qu'ils n'ayent un bon iugement et conseil, qu'ils n'ayent tous moyens, et force, et dexterité: mais on ne

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saura comment cela est advenu, quand donc ils seront ainsi mesprisez et deiettez, et ne cognoistrons point que la main de Dieu est par dessus? Qu'on choisisse, et on trouvera que des princes quelquesfois auront esté si vilains et dissolus, qu'ils n'estoyent pas dignes d'estre au fond d'une taverne ou d'un bourdeau: et cependant ils estoyent maintenus en authorité: d'autres qui estoyent gens et d'aage et de grande prudence, et de grande authorité auparavant: et Dieu les rend contemptibles, tellement qu'il faut que d'eux mesmes ils tombent bas. En cela donc contemplons les iugemens de Dieu, et apprenons que si telles choses advienent en ceux qui sont eslevez par dessus le rang commun des hommes, Dieu nous pourra bien abaisser quand il lui plaira, et nous remplir de vergongne, encores que nous eussions esté en grande dignité et reputation. Au reste quand Iob a ainsi parlé des princes, et des changemens qui advienent en leurs estats il adiouste, Que nous contemplions aussi bien les iugemens de Dieu aux corps des peuples. Il a parlé des chefs, il vient maintenant au corps. Voila (dit-il) un peuple qui sera grand et puissant: or Dieu le reduit à neant. Un autre s'eslargit et estendra ses limites bien loin, et puis Dieu le renserre. Vrai est qu'on attribue cela à fortune communement: mais c'est pource que les hommes s'aveuglent de leur propre ingratitude. Car si nous ouvrions les yeux, il est certain que les iugemens de Dieu sont en cest endroit si patens, qu'on n'y peut contredire. Et voila pourquoi aussi en la fin du Pseaume 107 (v. 42) ou la providence de Dieu nous est declaree, il est dit que l'iniquité aura la bouche close. Les meschans auront beau obscurcir tant qu'ils voudront la maiesté de Dieu, si faut-il qu'ils soyent convaincus quand ils auront bien regardé les choses qui se demenent ainsi par tout le monde: il faudra qu'ils ayent les bouches closes. Or tout ainsi que nous avons dit Que quand Dieu frappe sur ces hautes testes et orgueilleuses, il faut que les petits prenent occasion de trembler et de s'humilier: aussi quand Dieu visite tous les corps entiers, c'est à dire les peuples, que sera-ce d'un chacun membre et d'une chacune personne? Dieu n'espargne point un pays: et que fera-il de moi? Voila comme il nous faut appliquer dos choses grandes aux petites, afin qu'un chacun soit enseigné en son particulier, de cheminer humblement sous la main forte de Dieu et de s'y renger. Car si nous cognoissons que Dieu a toute maistrise sur nous, il nous traitera d'une autre façon qu'il n'a pas ici dit, c'est assavoir, que nous sentirons que sa protection nous sera admirable. Car si les hommes se presentent à Dieu qu'ils souffrent d'estre gouvernez de luy, il estendra sa main pour les maintenir en leur estat: ils seront

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mesmes soustenus par sa vertu, il leur sera un bouclier et defense contre toutes mauvaises rencontres. Mais si les hommes veulent voler trop haut, il faut que Dieu les rembarre.

Ainsi donc quand nous voyons que Dieu frappe en telle sorte sur les peuples, ne faut-il pas qu'un chacun de nous se renge? Mais en premier lieu il faut que ce qui est ici contenu nous soit bien persuadé. Car comment prendrons nous instruction de cc que nous avons exposé? Cognoissons quand nostre Seigneur aura multiplié un peuple, qu'il le pourra bien diminuer en moins de rien: et mesmes quand il viendra de grandes mutations en un peuple, cognoissons que cela n'est pas advenu de cas d'aventure, mais c'est Dieu qui y a besongné. Il faut donc que ces deux choses nous soyent bien resolues. Il est vray que nous en parlerons: mais ce n'est pas à bon escient, iusques à ce que nous ayons bien estudié ceste leçon, et qu'un chacun s'y soit bien exercé, en sorte que cela ne se puisse iamais effacer de nostre memoire. Que nous cognoissions, quoi qu'il en soit, que Dieu gouverne tellement toutes choses, qu'il ne faut point que nous soyons si insensez d'attribuer rien à fortune. Voila (di-ie) par quel bout nous devons commencer, c'est que nous avons pleine certitude de la providence de Dieu: et puis que nous l'appliquions à nostre usage. Or i'ay dit qu'il nous en faut faire nostre profit, d'autant que nous voyons des phantastiques lesquels quand ils parlent de la providence de Dieu, ce n'est sinon pour s'entortiller eu des speculations qui sont si lourdes que c'est pitié, et n'en rapportent nulle edification. Ils diront assez Dieu change, Dieu remue: mais quoi? ce n'est pas pour estre edifiez en sa crainte. Or il est ainsi, que quand l'Escriture saincte nous traite de la providence de Dieu, elle veut que là nous cognoissions sa puissance. Et en quelle sorte la cognoistrons nous, et à quel propos? C'est pour adorer celuy qui nous tient en sa main , et qui a tout Empire et en la vie et en la mort: c'est que nous lui soyons subiets, veu qu'il a toute authorité par dessus nous. l'Escriture d'autre costé nous monstre que Dieu est sage quant à ce regime du monde, selon que nous avons dit. Il n'est pas question donc de dire, Dieu fait ce quo bon luy semble, et nous ne savons point si c'est bien ou mal: ains an contraire confessons que tout cc qu'il fait est bien, encores que nous n'en sachions les raisons, que nous adorions ceste sagesse secrette. Et au reste que nous attendions qu'il nous revele pourquoy il change ainsi et remue les estats du monde: et aussi que nous ayons les yeux ouvers, quand les choses seront manifestes. Voila Dieu qui a benist un peuple. Et pourquoy ? C'est par sa pure bonté: il ne nous faut point cercher aux

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hommes dos merites: quand Dieu leur fait quelques graces. Ainsi donc voila Dieu qui a desployé sa bonté sur ce peuple: il faut qu'il en soit magnifié d'autant. Mais si un peuple est desbordé à tout mal' et que Dieu le visite: là ne faut-il point aussi penser quelle en est la cause? Comme auiourd'huy nous voyons les confusions si grandes au monde, que c'est pitié: mais nous voyons aussi l'iniquité qui est comme un deluge. On verra un pays qui aura esté desbordé en de grans vices et enormes, et les verges de Dieu viennent quant et quant, c'est à dire quelque temps apres: ne faut-il point que nous cognoissions là, Dieu est iuste Iuge ? Nous pouvons ainsi condamner ceux qui perissent. Mais les avons-nous condamnez? Il faut venir à nous quant et quant Car c'est le principal que nous profitions aux despens d'autruy, quand Dieu nous fait ce bien - la de nous advertir devant le coup' afin qu'un chacun se reduise. Voila donc comme nous avons à profiter en la providence de Dieu, selon qu'elle nous est monstree en ce passage.

Or il est dit quant et quant, Que Dieu amene les tenebres en clarté, voire des tenebres obscures comme de mort: c'est à dire comme les tenebres d'enfer: qu'il ramene cela en clarté quand bon luy semble. Ici Iob exprime quelle a este son intention: c'est assavoir de nous reciter les oeuvres de Dieu qui sont les plus memorables. Car s'il parloit des oeuvres communes et ordinaires, nous serions comme endormis, cela ne nous toucheroit gueres, comme desia il a este expose. Il faut donc que nous soyons advertis d'une telle façon, que nos sens s'estonnent: ouy, quelque paresse, ou quelque lourdise qu'il y ait en nous, que nous en soyons touchez. Voila ce que Iob a signifié en disant que Dieu amenera les tenebres de mort en clarté. Or il eust bien peu dire, Dieu fait luire son soleil tous les iours: nous voyons la nuict qui a son cours, le iour succede: voila un changement qui est grand et admirable. Iob pouvoit parler ainsi: mais d'autant que cela nous est vulgaire, nous n'y pensons point. Il a donc voulu ici toucher une chose extraordinaire: comme s'il disoit, Dieu fera de tels changemens,

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que c'est comme si les enfers estoyent eslevez en haut: si la mort estoit eslevee, et qu'on la contemplast. Quand donc les tenebres changeront ainsi en clarté, ce sera une façon estrange et que iamais on n'eust attendue. Or alors Dieu nous resveille, et nous donne occasion de penser mieux à sa vertu, que nous n'avons point fait. Ainsi donc retenons bien ceste leçon. Car aussi nous ne profitons pas assez à tant d'enseignemens que Dieu nous donne tous les iours, voire, combien qu'il face de tels miracles que nous en devons bien estre esmeus quand nous y pensons: et toutes fois nous n'en sommes point touchez. Il faut donc qu'il besongne d'une autre façon, et qu'il crie plus haut. Nous sommes comme quand un homme est couché en son lict, et qu'il est endormi: et bien, mille choses seront' dites aupres de luy, qu'il n'y entendra rien: on parlera, on tiendra beaucoup de propos, et celui qui dort ne sait que c'est de tout cela: mais si on fait un grand bruit, le voila resveillé: et alors on ne sauroit parler si bas, qu'il n'entende tout ce qu'on dit. Ainsi en est-il de nous: car Dieu nous monstrera beaucoup de choses qui nous devroyent servir d'instruction: mais nous avons les yeux fermez: il parle à nous, mais nous n'entendons rien. Et pourquoy ? D'autant que nous sommes endormis. Pourtant il faut qu'il face un grand bruit pour nous resveiller, afin que nous pensions tant mieux à sa providence, et que nous cognoissions, Voila Dieu qui nous resveille: il n'est point donc question d'estre maintenant paresseux, que nous ne regardions à lui pour faire nostre profit des iugemens qu'il nous monstre Advisons donc de nous retirer sous sa protection, ne doutans point que s'il a toutes creatures en sa main, voire iusques aux petis passereaux qui sont de petite valeur et estime: iamais il ne nous mettra en oubli: non point seulement entant que nous sommes ses creatures formees à son image: mais que nous sommes ses enfans, ainsi qu'il nous a adoptez par nostre Seigneur Iesus Christ.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

IOB CHAP. XIII.

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LE QUARANTENEUFIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE III. CHAPITRE.

1. Voici, mon oeil a veu toutes ces choses, mon oreille les a ouyes et les a entendues. 2. Ie cognoy autant que vous: Ie ne suis point inferieur à vous. 3. Mais Ie veux parler avec Dieu, et disputer avec luy. 4. Vous estes forgeurs de mensonges, et medecins de nulle valeur. 5. A la miene volonté que vous-vous taississiez, et ceci vous sera reputé à sagesse. 6. Escoutez ma dispute, et entendez ce que Ie debas. 7. Faut-il que vous proferiez iniquité en faveur de Dieu, que vous parliez en mensonge pour luy ? 8. Luy voulez-vous gratifier voulez-vous plaider sa cause? 9. Est-il bon qu'il vous approuve? et que vous-vous soyez iouez à lui, comme à un homme? 10. Il vous reprendra, si vous luy favorisez en secret.

C'est une chose bien mauvaise, quand chacun de nous se voudra monstrer, et qu'il ne voudra point estre inferieur à son compagnon. Car il est impossible quand nous avons ce fol appetit d'estre veus et reputez sages, que cela n'engendre beaucoup de contentions entre nous: comme aussi sainct Paul en parle (Phil. 2, 3). Ceste ambition est mere et source de tous debats: car les hommes ne s'accordent iamais paisiblement ensemble, sinon que par modestie un chacun se submette à ce qui est bon et raisonnable, et qu'il ne se vueille point faire valoir par dessus les autres. Mais si nous avons ceste vanité qu'un chacun pretende d'estre le plus I prisé il faut que le feu s'allume incontinent. Et au reste nous voyons ce que l'Escriture nous propose, que nous devons estimer les graces de Dieu en ceux qui les ont receuës Pourtant qu'un chacun pense à ses infirmitez, et à ses vices, et cela nous fera baisser la teste, et fera que nous estimerons ceux que nous avons presumé de reietter: et craindrons de faire iniure à Dieu, en mesprisant ceux qui ne sont point du tout destituez de ses graces. Or il semble bien ici que Iob se vueille preferer à ceux qui ont parlé. I'enten autant que vous (dit-il) Ie ne suis point moindre, mon aureille a ouy ces choses, mes yeux les ont veu. Il semble bien que Iob vueille avoir ici reputation d'estre plus sage et plus habile que ces trois ausquels il parle. Mais il n'est point mené d'ambition: c'est d'autant que ceux ici par leur outrecuidance le vouloyent opprimer, et mesmes pervertir la verité de Dieu à leur phantasie. Iob donc est contraint de dire, qu'il a entendu mieux qu'eux les choses: et il fait cela

afin que si ceux ici sont capables de profiter, ils le facent s'estans humiliez. Car iusques à tant que les hommes se soyent rengez là de n'estre plus enflez d'une vaine presomption, il est impossible, quelque chose qu'on leur remonstre, qu'on y gaigne rien: car ils s'estiment trop. Quand donc un homme se voudra rendre capable d'escouter la verité de Dieu, et de la recevoir, il faut qu'il soit humilié auparavant. Voila à quoy Iob a pretendu. Mais quand ceux ausquels ils parle eussent esté endurcis et qu'ils fussent demeurez en leur presomption aveugle de leur propre sagesse: si est-ce que Iob veut que la verité soit ouye, et si ceux ici la reiettent, qu'elle ne laisse pas d'avoir authorité. Voila donc l'intention de Iob en somme. Suivant cela nous voyons que sainct Paul quelquefois est contraint de faire comparaison de soy avec ceux qui s'estoyent avancez entre les hommes. Il est certain que sainct Paul n'estoit point incité à vaine gloire qu'il n'estoit point mené d'un tel esprit qu'il voulust ou appetast d'estre prisé entre les hommes. Pourquoy donc est-ce, qu'il se compare à ceux qui avoyent accoustumé de se magnifier? S'ils sont Hebrieux (dit-il [2. Cor. 11, 22; Philip. 3, 5]) et moy aussi: s'ils sont d'ancienne lignée, Ie pourray bien aussi conter mon parentage: s'ils sont zelateurs de la Loy, Ie le suis autant ou plus qu'eux, i'ay vescu sans reprehension: s'ils se vantent qu'ils ont quelque savoir, et i'ay esté enseigne dés mon enfance, i'ay eu un bon maistre. Il semble là que Sainct Paul assemble toutes les choses qui ont accoustumé d'estres estimees, afin qu'on luy applaudisse, afin qu'on le tiene bien grand et qu'on l'estime. Or il n'a point pensé à cela. Car il prononce mesmes que c'est folie. Et bien (dit-il) vous me contraignez d'estre fol, et faire à la façon de ceux qui estendent leurs ailes, et qui prenent ceci et cela pour estre magnifiez entre les hommes: il faut que i'en use (dit-il) mais ce n'est pas de mon propre vouloir. Et pourquoy? Car il voyoit que les Corinthiens et leurs semblables estoyent preoccupez de quelque vaine reputation de gens qui ne valoyent rien: et ils n'aimoyent sinon de tels docteurs, d'autant qu'ils avoyent les aureilles chatouilleuses: ainsi l'Evangile de l)ieu estoit mesprisé et ces brouillons avoyent la vogue. Et ceux qui n'avoyent ne prudence, ne discretion pour noter ce qui estoit profitable, se laissoyent mener par ceux qui n'avoyent sinon belle parade et nulle saincteté.

SERMON XLIX

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Sainct Paul donc voyant cela, monstre, Non, non, si ceux-ci se font valoir par tels moyens, ie le puis faire comme eux: mais ie m'en deporte. Car ce n'est point en cela que nous devons estre prisez: comme il conclud en la fin, Si quelqu'un veut estre reputé en l'Eglise de Dieu, il faut qu'il soit nouvelle creasture (2. Cor. 5,17). Voila donc ce qui est à priser devant Dieu (dit-il) et non point toutes ces fanfares ausquelles les hommes s'amusent. Mais tant y a cependant (comme nous voyons) sainct Paul a bien voulu monstrer qu'il n'estoit pas inferieur à ceux qui alleguoyent de grans titres, pour estre en quelque preéminence et dignité selon le monde: ainsi maintenant qu'en fait Iob. Il voit que ces gens vouloyent mettre sous le pied la verité de Dieu, d'autant qu'ils estoyent en reputation. Or Iob de son costé declare qu'il a bien entendu les choses comme-eux: et sur cela il les veut admonnester d'estre plus humbles, et se rendre dociles: mais encores qu'ils fussent du tout incorrigibles et obstinez en leur folie, Iob neantmoins veut que la verité de Dieu, laquelle a esté comme pervertie par eux, ait son authorité pleine comme elle merite. Voila quant au premier poinct.

Or cependant nous devons estre advertis de ne point cercher une gloire ne reputation devant les hommes. Car si nous-nous proposons cela, il est certain que an lieu de maintenir la verité, nous corromprons tout: et Dieu aussi permettra que nous soyons eslourdis en nostre folie, et du tout ridicules. Gardons-nous bien donc de cercher nostre gloire: mais quand nostre Seigneur nous fera la grace de pouvoir enseigner les autres, que ce soit pour tendre à ce but, qu'on l'honore, et que ce qui est de luy soit accepté comme bon, qu'on s'y assubiettisse et que nous monstrions aux autres l'exemple de ce faire: comme aussi nostre Seigneur Iesus Christ met ceste marque pour discerner une bonne doctrine et vraye: c'est assavoir, que quand l'homme cerche la gloire de Dieu, on cognoit en cela qu'il est ministre de verité: mais s'il demande d'estre exalté et prisé, il faudra qu'il desguise, et qu'il corrompe tout, et que la pure doctrine soit obscurcie par son ambition. Voila pour un Item.

Or venons maintenant à ce que dit Iob. Vous estes (dit-il) forgeurs de mensonges, et medecins de nulle valeur, et ie desireroye bien que vous vous teussiez: car cela vous seroit reputé à sagesse. Quand Iob appelle ceux qui ont parlé ci dessus forgeurs de mensonges nous verrons tantost à quel propos il le dit. Maintenant prenons le mot qui est adiousté, Qu'ils sont medecins de nulle valeur. Pourquoi? D'autant qu'ils appliquent tres-mal les remedes que nous avons veu. Desia il a esté declaré que ceste doctrine qui est mise en avant par ces gens ici. estoit bonne et saincte: mais elle estoit

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mal appropriee à la personne de Iob. C'est comme si un medecin choisissoit de bonnes drogues: mais sans avoir cognu la maladie d'une personne, ou bien sa complexion et nature, il dit, O voila une medecine qui est bonne, elle est approuvee, elle profitera donc à cestui-ci. Mais il en tuera l'un, quand il aura sauvé l'autre, s'il y procede en telle façon. Il faut donc qu'un medecin soit prudent, pour savoir quelle est la complexion de celui qu'il panse: et quelle est aussi la maladie. Or ceux ci n'ont point eu un tel regard. Voila pourquoi Iob les appelle medecins de nulle valeur. Et voici un passage qui est bien digne d'estre noté. Nous savons que la parole de Dieu est la pasture ordinaire des ames, c'est leur viande: mais elle nous doit aussi servir de medecine quand nous sommes malades. Le pain aura tousiours son usage accoustumé: mais la parole de Dieu non seulement nous doit nourrir: elle a outreplus qu'elle doit guarir nos maladies, et nous en purger. Or maintenant il faut qu'elle soit appliquee prudemment. Car sans cela nous confondrons tout. Comme quoi? Si un povre homme est desolé, et qu'il ait sa conscience troublee, et que nous le voyons prochain à desespoir: si on lui propose les menaces de Dieu et sa vengeance, que fait-on sinon de le precipiter plus avant? Ie verrai une muraille qui desia tremble, et ie frapperai à grands coups de marteau dessus, et ne voila point pour la ruiner? Nous devons donc regarder comment sont disposez ceux ausquels nous avons à faire. Car s'il y a un povre homme, qui soit desia espouvanté de l'ire de Dieu, et qu'il ne sache quo devenir: il a besoin d'estre consolé et resiouy par les promesses que Dieu donne aux povres pecheurs, quand il les appelle tant doucement à soi. Il faudra donc approprier ceste medecine-là à ceux qui en ont besoin. Or il y en aura d'autres impudents, et qui despitent Dieu, et se moquent de tout ce qu'on leur dira: si on les vient amadouer là dessus, et qu'on leur presente la grace de Dieu, et qu'on leur propose qu'il aura pitié de nous: et n'est-ce point sottement proceder ? Car telles gens ont besoin d'estre touchez au vif, qu'on les menace, voire qu'on les navre, s'il estoit possible, iusques au profond du coeur, afin qu'ils cognoissent que c'est de despiter Dieu ainsi.

Nous voyons donc maintenant, comme l'Escriture saincte estant une medecine spirituelle de nos ames, doit estre appliquee selon qu'on voit chacun estre disposé. Or regardons maintenant en quel estat estoit Iob. Il est pressé iusques au bout de l'affliction que Dieu lui a envoyé: et nous avons veu la raison pourquoi, assavoir qu'il falloit que sa patience fust exercee. Dieu lui donne patience, mais ce n'est pas qu'il n'y ait de l'infirmité beaucoup: car le povre homme s'esgare, il iette des

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bouillons et des escumes contre Dieu. Non pas qu'il se desborde pleinement: mais si est-ce qu'il ne tient pas une telle attrempance, ne mesure qu'il devoit. Il y a donc de l'infirmité en Iob, quoi qu'il en soit. Il sait bien que Dieu l'afflige: mais pource qu'il ne voit point la raison pourquoi, il lui semble que Dieu le presse par trop, et qu'il le devoit plus espargner. Or que vienent faire ceux qui le consolent? Ils lui proposent que Dieu est iuste: il est vrai. Mais sur cela ils concluent, que Dieu ne punit point les hommes qu'il n'y ait de bonnes raisons (tout cela est vrai) que les hommes sont ainsi traittez rudement de Dieu à cause de leurs fautes. Et bien: mais ils font mauvaises applications en particulier, quand ils concluent qu'un chacun est traitté de Dieu selon qu'il a desservi: et nous voyons tout le contraire. D'un principe general, qui est bon et vrai, ils en tirent une mauvaise consequence. Car il ne s'ensuit pas, si Dieu est iuste, et les hommes pecheurs, et s'ils ont merité, que Dieu les afflige tant et plus: que cependant il y ait une mesure esgale, et que Dieu punisse auiourd'hui tous ceux qui ont failli, et qu'il ne reserve rien au dernier iour: il ne s'ensuit pas aussi que Iob soit un meschant, qu'il soit un hypocrite, et que Dieu monstre evidemment, qu'il soit reprouvé: qu'il n'y a eu que feintise auparavant en lui. Toutes ces choses là sont fausses combien que ceux ici les prenent et les deduisent d'un principe qui est vrai. Et voila pourquoi Iob les appelle medecins de nulle valeur. Nous sommes donc admonnestez par ce passage, de prier Dieu qu'il nous donne prudence, afin que nous prenions l'Escriture saincte à telle fin comme il appartient; et qu'il y ait ceste dexterité en Dons de la savoir approprier, à ce que nous y profitions, et qu'elle ne soit point tiree par les cheveux (comme on dit) et à tors et à travers, ainsi qu'il y en a beaucoup qui en abusent. Et au reste quand nous avons à enseigner nos prochains, regardons bien ce qui leur est propre. l'Ecriture saincte est utile (dit S. Paul [2. Tim. 3,16]) pour enseigner, pour exhorter, pour admonnester, pour redarguer, et pour reprendre. Ouy: mais il faut regarder quelle est la personne à laquelle on s'adresse: comme i'ai dit desia. Si nous voyons un povre pecheur qui soit abbatu, qui gemisse de ses fautes, qui ne demande sinon de retourner à Dieu: qu'on lui remonstre que Dieu est prest de l'accepter, et le recevoir. Voila donc comme il en faut faire. Au contraire si nous en voyons un qui soit fier et arrogant on doit marteler sur sa dure teste, afin de le faire humilier devant Dieu: si on voit quelque paresseux il le faut picquer comme un asne. Voila donc comme l'Escriture saincte aura son utilité envers tous.

Hais cependant il faut aussi que nous tenions

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une mesme façon de proceder à l'endroit do nous mesmes. Car nous devons estre à nos prochains ce qu'un chacun est à soi. Nous en verrons quand leur conscience les tourmente, et qu'ils sont effarouchez, ils se nourrissent en cela: car ils prendront les menaces de Dieu en telle rigueur, qu'il leur semble qu'il ne viendra iamais assez à temps en desespoir. Or gardons - nous de telle chose: mais quand nous verrons l'astuce de Satan, qui est de nous faire à croire que nous sommes tons desesperez, et qu'il n'y a plus de remede pour nous adoucir: resistons - luy, et appliquons le remede. C'est Satan qui besongne: il faut donc à l'opposite que nous cerchions quelque douceur qui nous rameine à Dieu, que nous entrions en ses promesses, que nous soyons là du tout attentifs, que nous y appliquions tous nos sens. Et au reste quand nous verrons qu'il y a de la paresse en nous par trop, tellement qu'il nous faudra picquer et aiguillonner: que nous advisions de prendre les exhortations qui sont en l'Escriture saincte. Voila donc comme nous devons estre bons medecins et envers nous et envers nos prochains, regardans ce qui nous est propre et convenable.

Or quant à ce que Iob dit, Qu'il voudroit bien que ses amis se teussent, afin que cela leur fust reputé à sagesse: c'est selon le proverbe commun duquel use aussi bien Salomon, Que quand un fol se taira on l'estimera sage (Prov. 17, 28). Il est vray qu'un homme n'aura gueres gagné quand il aura couvert sa turpitude, si sa folie demeure tousiours en luy, et qu'il la nourrisse en cachette: mais c'est desia un commencement de profiter, quand un homme se peut retenir et moderer sa langue: c'est un signe qu'il ne se plaist pas du tout en sa folie. Il est vray qu'on en verra d'aucuns qui pourront couvrir leur folie pour quelque temps: mais en la fin si faut-il qu'ils se descouvrent, et qu'on les cognoisse tels qu'ils sont, c'est assavoir fols. Tant y a que si un homme sait garder silence, encores qu'il Boit de cerveau debile, et qu'il n'ait point une telle prudence qu'il seroit requis, c'est une grande sagesse à lus quand il se cognoist, afin de ne se point plaire en son vice, mais qu'il tasche plustost de le corriger. Ie di qu'encores quand ceste folie demeure en un homme, si est-ce que c'est desia un signe de sagesse quand il ne s'avance point outre sa mesure, mais se cognoist pour se desplaire, et s'humilier. Mais si un homme se monstre fol par sa langue, c'est signe qu'il est fol en extremité: comme nous voyons souvent que ceux qui ont le moins de prudence, babillent sans raison, qu'on ne les peut tenir en façon que ce soit: mais aussi quand on aura parle à eux: une heure on les cognoist tels qu'ils sont. Quand donc on apperçoit cela en un homme, c'est signe qu'il y a une extremité

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de folie. Et pourtant, que par ce proverbe nous soyons admonnestez de ce que sainct Iaques aussi nous remonstre, c'est assavoir, Que c'est une grande vertu, quand l'homme sait retenir sa langue et qu'il en peut user sobrement. Et pourquoy ? Car si nous sommes si legers a parler, cela nous empesche que nous ne pouvons pas escouter ce qui nous est utile. Qui est cause que beaucoup de gens ne profitent iamais en la parole de Dieu ? C'est qu'ils s'avancent par trop, que là où ils devroient astre paisibles, là où Dieu seul devoit avoir audience, ils viendront barbouiller et ietter leur propos en avant, voire des propos esgarez. Ils se ferment donc la porte tellement qu'ils no peuvent pas estre enseignez, combien que la doctrine leur soit offerte. Pour ceste cause notons bien que quand sainct Iaques nous exhorte à brider nos langues, il a regardé à ce que nous soyons paisibles et prudens pour escouter, si nous voulons profiter en ce qui nous est dit. Et au reste qu'entre les hommes mesmes nous ne soyons point importuns, et que nous ne les faschions point par nostre babil qui sera inutile: mais il faut qu'un chacun pratique cela. Il n'est ia besoin d'en faire de longs sermons, d'autant que ce sont choses qui meritent plus d'estre meditees, que d'estre deduites amplement par paroles. Et d'autant plus que nous voyons qu'il est bien difficile de nous y renger, tant plus devons-nous priser ceste vertu en l'homme, quand il saura parler tant qu'il doit, et non plus.

Or venons maintenant au principal qui est ici touché. Iob dit, Qu'il parlera neantmoins à Dieu, et qu'il veut disputer contre luy: mais il reproche à ceux qui avoyent tasché de le vaincre par leurs disputes, qu'il semble qu'ils veulent parler en faveur de Dieu. Assavoir, s'il a besoin de vos mensonges? que vous veniez ici estre ses procureurs et advocats? Et Dieu a-il besoin qu'on luy favorise en telle façon ? Quand il vous viendra esprouver, pensez-vous que cela vous profite? Il faudra que vous soyez abysmez par luy, quand vous faites maintenant semblant que vous le voulez iustifier: il monstrera que telles choses luy sont detestables, et qu'il veut estre maintenu en sa propre iustice, sans emprunter des moyens pour estre absous ne des hommes ne de leurs mensonges et advertissemens qu'ils auront forgez. Quand Iob dit qu'il parlera avec Dieu, et qu'il veut disputer contre luy: il est vray qu'il y a de l'exeez en ceste sentence, mais notons aussi le bien qui y est, pour le discerner d'avec le mal. Voici le bien qui est en ce propos de Iob, c'est qu'il se veut destourner des hommes. Et pourquoy? Car ceux ausquels il avoit affaire n'entendoyent pas ce combat spirituel qu'il avoit en soy, qu'il eust voulu endurer cent fois plus, moyennant que Dieu luy eust adouci ses

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playes par telle consolation qu'il eust cognu, Dieu m'est proprice et iamais ne me defaudra. Si Iob eust esté bien persuadé de cela, et que Dieu luy eust tenu la main forte, il n'y eust eu nulle doute qu'il ne se fust appresté à endurer cent fois plus: mais d'autant qu'il n'apprehende en Dieu que toute rigueur, qu'il luy semble que Dieu luy est contraire, qu'il le persecute iusques au bout, il ne sait où il en est, le voila effarouché. Or ce n'est pas une chose qui soit cognue aisement des hommes, que tels combats spirituels. Iob donc pour Geste cause dit, Qu'il parlera avec Dieu: c'est à dire, qu'il se retirera en soy, et que s'estant ainsi recueilli en son secret il se retiendra là. Car les hommes prenent à la volee ces propos, et les destournent comme ils veulent: mais que Dieu saura bien à quelle fin il tend, quand il parle. Voila pour un Item.

Et au reste notons aussi, que quand il est question de nous confermer en patience: si nous endurons quelque mal, de nous consoler en Dieu: si nous sommes tentez, et que le diable nous sollicite et pousse a desespoir, il n'y a rien si bon que de nous recueillir. Et pourquoi ? Cependant que nous regarderons les hommes nous ne profiterons gueres: qui plus est, cela nous nuit. Si ie suis troublé tant que ie n'en puisse plus: et bien, si ie me console seulement par belle monstre, et que ie face de grandes protestations devant les hommes, Dieu se moquera de ma vanité, tellement que quand ie reviendrai à moi, et que ie serai seul, ma conscience me pressera, ie sentirai alors que tout ce que i'ai monstre n'estoit que fumee. Et pourquoi ? D'autant que i'aurai eu plus d'esgard aux hommes qu'à Dieu. Ainsi donc il est bon qu'on se retire en soi, comme si on s'estoit separé de tout le monde quand on voudra se confermer en patience: qu'on se remette du tout à Dieu, et qu'on se laisse aussi gouverner par lui. Et de fait nous avons à invoquer Dieu estans en telles necessitez: or comment l'invoquerons nous si nous ne sommes comme retranchez d'avec les hommes? Car cependant que ie m'affiche ici ou là, ie suis autant destourné de Dieu. Nous voyons donc qu'il faut coupper tous ces cordeaux qui nous retienent, et que nous avons à nous presenter devant la maiesté de Dieu, comme s'il n'y avoit que lui seul qui nous regardast. Vrai est que nous devons bien avoir esgard à nos prochains, pour les edifier, et pour recevoir consolation d'eux: mais Cependant si faut-il que nous commencions par ce bout, c'est assavoir, que nostre conscience soit desployee devant Dieu, que nous deschargions là toutes nos affaires, douleurs, et solicitudes. Voila donc en quelle sorte nous avons à parler avec Dieu, afin que les hommes ne nous distrayent point ne çà ne là: mais tout ainsi que Dieu nous

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voit, que noue ayons les yeux appuyez et fichez sur lui seul: et que tout ce qui est caché dedans nos coeurs se purge et se vuide, quand nous serons là venus et comparus devant lui. Voila le bien que nous avons à recueillir de ce propos de Iob, et que ,nous voyons nous estre profitable pour nostre instruction. Or il y a aussi du mal, c'est qu'il veut entrer en dispute avec Dieu. Vrai est qu'encores Dieu nous donne bien liberté que nous disputions avec lui: voire, mais il ne faut point que nos disputes soyent longues: et aussi il faut que la conclusion soit tousiours pour le glorifier. Comme quoi? nous voyons bien que les Prophetes se complaignent des calamitez et desolations qu'ils voyent: car ils disent, Seigneur comment ceci pourra-il estre que tu perdes ton peuple? Permettras-tu que les choses soyent ainsi confuses ? n'y donneras-tu iamais ordre? Voila donc comme une espece de dispute avec Dieu: voire, mais les Prophetes et les saincts ne fie nourrissent point en cela: car quand ils ont ainsi declaré leurs infirmitez, ils ont tousiours conclud, Seigneur que tu en faces et que tu en disposes selon ta sagesse admirable, ce n'est pas à nous de repliquer contre toi Ainsi donc nous attendrons en patience quelle sera l'issue de ton oeuvre. Vrai est que nous sommes maintenant fort effarouchez voyans les choses aller en telle confusion: mais tant y a Seigneur que tu pourvoiras bien à tout, et ainsi que ton nom soit benit: iusques à tant que tout soit remis en ordre, nous serons ici comme baissans la teste en terre: ainsi qu'il est dit (Lam. 3, 29), Ie mettrai ma bouche en la poussiere, et qu'il faut que les saincts soyent ainsi humiliez. Ieremie estoit on une horrible extremité quand il parloit ainsi. Car il voyoit la desolation extreme de l'Eglise de Dieu, tellement qu'il sembloit que son alliance fust abolie, que tout son service fust renversé, que le salut du monde fust enseveli. Et pourtant Ieremie ayant fait ses complaintes, dit, Qu'il mettra sa bouche en terre, qu'il mangera plustost la poudre, et la bouë que de lever le bec en haut pour desployer sa langue contre Dieu. Voila donc comme il nous sera licite quelquesfois de nous arraisonner avec Dieu: voire, moyennant que ce soit en toute modestie, et que la conclusion soit telle que i'ai dite: c'est assavoir de glorifier Dieu, nous remettans du tout à lui. Voila en somme ce que nous avons à noter

Or revenons à la personne de Iob. Il veut disputer contre Dieu: et en quelle façon ? C'est que combien qu'il cognoisse qu'il y a double iustice en Dieu: c'est assavoir, celle qui nous est manifestas par la Loi, et celle qu'il tient cachee: neantmoins il ne peut concevoir pourquoi c'est que Dieu le tormente ainsi: et lui semble que Dieu le devroit l

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plus supporter. En ceste dispute donc il se fasche, et ceste passion là est exorbitante en Iob: or la dispute est coniointe avec et en depend. Voila donc comme Iob faut, et est à condamner, quand il dispute en telle sorte avec Dieu. Pourtant notons

bien que quand Dieu nous traitera rudement, et l que nous serons tentez de nous piquer et aigrir contre lui, il faut nous tenir en bride. Il est vrai que Dieu encores nous pardonne comme i'ai desia dit, si nous lui desployons nos douleurs: Helas! Seigneur tu vois qui ie suis, ie n'en puis plus, et sera-ce à iamais ? me faudra-il encores languir longtemps? Nous pourrons (di-ie) faire telles complaintes à Dieu: mais quand il nous a donné une telle liberté, si veut-il neantmoins que nous facions tousiours ceste conclusion, Seigneur, nous sommes tiens, et tu feras de nous ce qu'il te plaira, et ne nous reste sinon de te glorifier en tout et partout. Voila ce que nous avons à noter, mesmes quand il ne sera point question seulement de nos personnes: mais qu'en general il nous semblera que les oeuvres de Dieu n'ayent nulle raison. Pour exemple: si nous voyons de grands scandales, et que les meschans ayent la vogue, et que Dieu n'y pourvoye point, que les bons soyent affligez qu'il ne leur donne nul allegement: alors nous disons Et comment ? Dieu a declaré qu'il assisteroit à ceux qui l'invoquent, et nous voyons tout le contraire. Nous ne cessons de recourir à lui, et quelques prieres que nous lui presentions, il est comme sourd. Apres il a promis d'estre protecteur de son Eglise, et la voila exposee en proye. Nous voyons l'horrible tyrannie qui domine: et où est la main de Dieu, laquelle devroit secourir les siens ? Et monstre-il qu'il vueille maintenir sa cause, quand on voit l'Eglise qui est opprimee, on voit que les ennemis de toute religion auiourd'hui dominent en telle furie que c'est pitié, et Dieu ne les reprime pas? Si donc telles tentations noue vienent à la phantasie, que nous apprenions d'aller au devant, et de n'entrer point en dispute avec Dieu, Voila ce que nous avons à observer de ce passage.

Venons au second article. Iob dit, Que ceux qui avoyent parlé vouloyent favoriser à Dieu: comme quand nous voudrons supporter un homme mortel. Car le mot d'Approuver ou Recevoir la face, ou la personne, est ici mis. Pourquoi est-ce que nous avons acception des personnes quand il est question de iuger ici bas? Si un homme a mauvaise cause, et qu'il nous soit parent ou ami, qu'il nous soit recommandé, que nous attendions quelque profit de lui, qu'il soit en dignité: et bien, nous sommes esmeus d'un tel regard charnel et sommes transportez tellement que la cause ne nous est plus rien: mais la faveur de l'homme nous aveugle. Aussi ce mot de Face ou de personne se rapporte aux choses

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externes, qui sont pour nous rendre enclins à aimer quelqu'un, ou pour noua le faire hayr. Voila donc ce que dit Iob, Il vous semble que Dieu ait besoin que vous le supportiez, ainsi qu'un homme mortel qui auroit mauvaise cause. Et bien, si on lui veut donner faveur, on regardera, Il est mon parent, il est mon ami, il m'est recommandé, il m'a fait du plaisir, ou il m'en fera. Là dessus on desguise les choses tellement qu'on n'y procede plus en droiture ni equité, mais obliquement. Et ie vous prie (dit lob) faut-il qu'on soustiene ainsi Dieu, et qu'on le supporte à la guise des hommes? Or il nous faut bien noter cela, que Dieu ne veut point que sa cause soit ainsi demenee. Car il a en abomination toute acception de personnes. Nous savons ce qu'il nous declare, que si nous voulons iuger droitement, il faut que nous soyons destournez de tout regard humain: car ces considerations nous ostent tousiours ceste droiture et discretion que nous devons avoir. Pourquoi est-ce qu'un homme quand il fera une loi, il la fera raisonnable, et quand il sera assis pour iuger d'une cause, il donnera une sentence cornue souventesfois ? Car si un homme fait une loi il regarde à la chose: voila l'equité, il ne se peut pas destourner qu'il ne suive le bien. Il est vrai que tous n'auront pas ceste consideration: mais tant y a que quand nous ne regarderons point aux hommes, et qu'on nous pro posera un cas en sorte que les personnes ne sont point meslees parmi, nous iugerons de la chose droitement, quand elle nous sera mise toute nue: mais si deux personnes vienent, et que l'une soit riche, que ce soit de nostre parentage, ou qu'il y ait quelque autre tel respect: et qu'il y ait une personne povre, ou qui ne soit point tant recommandee, voila le iuge qui est transporté: et mesme quand on lui aura proposé le cas auparavant, et qu'il en auroit droitement iugé, il renverse tout. Et pourquoi ? Car les personnes le despouillent de ceste droiture qu'il avoit. Et voila pourquoi aussi nostre Seigneur Iesus Christ dit, Iugez en verité et non point en acception de personnes (Iean 7, 24). Or il monstre que ce sont choses incompatibles, quand nous sommes preoccupez de quelque affection humaine (soit de haine, soit de faveur) que nous prononcions une bonne sentence et equitable: car nos passions nous iettent en des tenebres telles, que nous ne voyons pas le droit comme nous faisions auparavant. Voila donc Dieu qui a condamne toute acception de personnes: c'est à dire, ce regard que nous avons aux hommes.

Or puis qu'ainsi est qu'entre les hommes Dieu ne veut point que l'acception des personnes ait lieu, mais qu'il la deteste: l'acceptera-il envers lui quand il n'en a point de besoing? Il est bien certain que non. Ainsi donc nous voyons l'intention

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de Iob. Mais il reste maintenant que nous cognoissions l'utilité de ceste doctrine. Car elle est plus profitable qu'on ne penseroit avant qu'on l'eust appliquee en pratique. Prenons les exemples que nous voyons auiourd'hui à l'oeil. Il y en a qui establissent à demi le franc arbitre. Et pourquoi? C'est afin de bien plaider la cause de Dieu. Or qu'on suive purement ce que l'Escriture nous monstre. Il est dit que les hommes sont malins et pervers, qu'ils ne peuvent pas avoir une seule bonne pensee, qu'ils ne peuvent remuer un doigt pour bien faire, qu'ils sont esclaves de peché, quo toutes leurs pensees ne sont qu'une machination contre Dieu, que toutes leurs affections sont ennemies à bien. Voila ce que l'Escriture saincte nous declare. Or il y en a qui alleguent là dessus: Voire? Et pourquoi donc est-ce que Dieu nous a donné la Loi, où il requiert que nous l'aimions de tout nostre coeur, de tout nostre sens, de toute nostre vertu et puissance? Car si nous sommes adonnez à mal, et pourquoi est-ce que Dieu nous commande le bien? n'est-ce pas se moquer? Les autres diront, puis que nous ne pouvons bien faire, ne sommes-nous pas excusez ? Car le peché ne nous doit point estre imputé, sinon que nous nous en poissions abstenir. Puis donc que ceste vertu n'est pas en nous il s'ensuit qu'il n'y a plus de peché au monde. Là dessus il y aura des moyenneurs, qui voudront faire des philosophes, pour louër Dieu et l'excuser de toutes ces calomnies. O (diront-ils) il est vrai que nous sommes debiles, et que nous ne pouvons rien sinon que Dieu nous aide: mais sa grace est appareillee à tous, la reçoive qui voudra: et nous la pourrons faire valoir, ou il ne tiendra qu'à nous. Voila donc comme les hommes veulent favoriser à Dieu, en desguisant la doctrine de l'Escriture saincte: comme si Dieu avoit mestier de leurs mensonges. Autant en est-il de l'election de Dieu, quand on parle de ce que Dieu eslit ceux que bon lui semble, et qu'il reprouve les autres, et qu'on ne sait pourquoi, sinon qu'il lui plaist ainsi, et que sa seule volonté nous doit suffire pour toute conclusion: et que nous avons à considerer, en ceux qui sont esleus de Dieu, sa bonté et misericorde: et quant à ceux qui sont reprouvez, qu'ils nous sont comme des miroirs de sa vengeance: quand on parle ainsi c'est suivant l'Escriture. Or maintenant, voici les malins qui s'enveniment et desgorgent leurs blasphemes à l'encontre de Dieu, Voire, et s'il eslit ceux que bon lui semble, il est accepteur de personnes. Pourquoi choisit-il plustost l'un que l'autre ? Voire, comme ai Dieu avoit regard à nos beaux yeux pour nous eslire, et qu'il ne print point la cause en soi, c'est à dire, en sa pure bonté. Mais voila comme les hommes se veulent tousiours rebecquer

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contre Dieu. Or sur cela ces moyenneurs desquels i'ai parlé viendront pour adoucir cela, O il DC faut pas dire que Dieu eslise ainsi ceux que bon lui semble (car cela donneroit tant plus grande occasion aux meschans de se desborder d'avantage), mais il faut nager entre deux eaux, pour contenter les uns et les autres. Et bien, il est vrai que Dieu eslit: mais ce sont ceux qu'il a veu estre disposez pour recevoir sa grace: d'autrepart ceux qu'il a cognus estre meschans, et qu'il ne profiteroit rien en les eslisant, il les laisse là pour tels qu'ils sont, voyant bien qu'ils estoyent perdus par leur franc-arbitre.

Voila donc comme les malins parleront de l'eslection de Dieu, voire en pervertissant toute verité: et leur semble qu'ils sont bien agreables a Dieu par ce moyen-là. Mais cognoissons plustost qu'ils lui sont detestables, comme ce passage le monstre. Et voila à quel usage il nous faut appliquer ceste doctrine, pour en faire nostre profit. Il est vrai qu'elle merite d'estre deduite plus au long, et le sera au plaisir de Dieu: mais maintenant le temps ne le porte pas, qu'on en dise d'avantage.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE CINQUANTIESME, SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XIII. CHAPITRE.

Ce Sermon est encores sur les versets 7, 8, 9, 10, et puis ce qui s'ensuit.

11. Sa maiesté ne vous estonne-elle point? sa crainte ne tombe - elle point sur vous ? 12. Vostre memoire est accomparee à la cendre, et vos corps aux corps d'argille. 13. Taisez-vous devant moy, et que ie parle: et m'adviene ce qui pourra. 14. Pourquoy tiendray-ie ma chair entre mes dents, et mettray mon ame entre mes mains ? 15. Encore qu'il me tue, i'espererai en lui: toutes fois ie redarguerai mes voyes devant sa face.

Nous avons à poursuivre le propos qui fut hier commencé: c'est que l'Escriture nous monstre plusieurs choses, qui ne convienent point à nostre esprit. Car quand on nous parle ainsi de Dieu, il y a un desdain en nous tellement qu'il nous semble que nous ne sommes point tenus de recevoir ce que nous ne trouvons pas bon. Là dessus il y en a qui veulent faire des sages, et desguisent les choses afin que tout plaise: comme nous alleguasmes hier deux exemples. L'un est quant au franc arbitre. Car voila que l'Escriture nous monstre: c'est, Que les hommes ne peuvent rien qui soit, mais qu'ils sont du tout tenus captifs au mal. Il semble à beaucoup, que si ainsi estoit, les pecheurs seroyent excusez et absous, veu qu'ils n'ont point en eux puissance de bien faire. Or il y a des forgeurs de mensonge qui nagent entre deux eaux, et disent, Qu'il vaut mieux donc attribuer aux hommes quelque franc-arbitre, afin qu'ils soyent tenus coulpables quand ils auront failli. Voire: mais l'Escriture en parle autrement. Pourquoy

est-ce qu'ils vienent à un tel subterfuge, si ce n'est qu'ils mentent en faveur de Dieu? Et a-il besoin de leurs mensonges? faut-il que sa verité soit maintenue par ce moyen-la? Autant en est-il de ceux qui obscursissent la grace de Dieu, quant à ce qu'il a esleu ceux que bon luy a semblé devant la creation du monde, et qu'il a reietté les autres. Et comment cela? C'est une chose trop rude, et nous voyons que beaucoup de gens en sont scandalisez. Voila qu'allegueront ces sages et cependant ils moyennent: Voire, nous dirons que Dieu a esleu ceux qui doivent estre sauvez. Mais pourquoy ? Il les a bien veu disposez à cela. cognoissant donc qu'ils estoyent apprestez pour recevoir sa grace, il les a marquez pour dire, Ceux ici sont miens. Or l'Escriture parle elle ainsi? c'est tout le contraire. Car elle dit que Dieu nous trouve tous semblables, et que c'est luy qui nous discerne: que l'un ne vaut pas mieux que son compagnon mais que Dieu par sa bonté infinie nous retire dé la mort.

Voila donc la doctrine pure et simple de l'Escriture saincte. Pourquoy les hommes vienent-ils ici barbouiller? c'est, comme i'ay desia dit, qu'il leur semble qu'ils excuseront Dieu: voire ? mais faut-il que Dieu emprunte nos mensonges, et que nous luy soyons advocats pleins de cavillations ? comme nous voyons que les mauvaises causes ont besoin d'estre colorees, et qu'on y desguise tout, afin d'esblouyr les yeux des iuges tellement qu'ils ne cognoissent plus rien. Faut-il besongner en

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telle façon quant à Dieu ? Notons bien donc ce qui est ici dit, Que quand nous aurons appliqué tous nos sens pour desguiser ce que les hommes autrement reiettent et condamnent, afin qu'il n'y ait nul article en l'Escriture saincte qui soit trouvé mauvais, Dieu nous condamnera en telles inventions sophistiques. Ceci s'estend encores plus loin. Car nous voyons combien il y en a auiourd'huy qui se veulent mesler de faire un moyen entre les Papistes et nous. Voire (disent-ils) il est vray qu'il y a beaucoup d'abus en l'Eglise (ils confessent tout) et les choses sont par trop lourdes et insupportables: il est besoin d'y mettre quelque reformation. Ils confesseront cela. Or cependant si on leur demande que c'est que nous preschons: ils ne trouvent point à redire en nostre doctrine une seule minute, que nous n'ensuivions la pure simplicité de l'Evangile sans y adiouster ne diminuer: toutes fois ils voyent Gela estre reietté dé beaucoup, et qu'on ne s'y peut accorder, et que ce seroit une chose trop difficile de reformer tout rie à rie, et que les hommes ne sont point si maniables. Sur cela ils trouvent et forgent une invention pour dire Il vaudroit mieux donc moyenner. Comme nous avons veu cest Interim. Qui a este cause de nous apporter ceste diablerie-la, sinon que ceux qui l'ont controuvé ont voulu faire des alchymistes, et trouver quelque quinte essence, et ie ne say quoy ? Car ils estoyent assez conveincus qu'en tonte la Papauté il n'y a que confusion horrible, et que ce sont choses par trop desbordees: l'idolatrie est là si lourde que rien plus: apres, le service de Dieu est du tout aneanti: nous voyons que les hommes mettent leur fiance en leurs merites: qu'ils ont imaginé que Iesus Christ est comme enseveli: qu'on trotte apres les saincts et les sainctes pour les avoir comme patrons devant Dieu: que les sacremens sont exposez en vente: qu'on fait foire et pratique des ames: qu'on attribue aux menus fatras et aux ceremonies plus qu'il n'appartient, tellement qu'on en fait des idoles. Voila donc ces moyenneurs qui ont bien cognu tout cela, et qu'il y falloit remedier. Et en quelle sorte? O, ce que les Lutheriens ont voulu iusques ici, est comme impossible: le monde ne pourroit souffrir un tel changement. Il faut donc qu'il y ait quelque moyen. Et bien, il est vray qu'on a corrompu le service de Dieu, quand on s'est arresté à ce qui estoit commandé des hommes: il faudra donc dire que pour obeissance on sera tenu d'ainsi faire: mais non point qu'on tiene une telle obligation, ne si estroitte comme par ci devant. Et puis on s'est par trop fié aux merites des oeuvres: il faut maintenant dire, que nous devons bien commencer par la grace de Dieu, et que c'est le principal ou il nous faut arrester. Si Iesus Christ a este comme

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aneanti, et qu'on n'ait point eu son refuge à sa grace: maintenant il faut declarer qu'il est advocat: voire souverain, mais non pas seul. Cependant on pourra mesler les merites parmi la grace do Dieu et les commandemens des hommes seront tousiours observez en quelque façon: aussi on ne laissera point d'avoir les saincts trespassez pour advocats, tellement qu'ils seront compagnons de Iesus Christ. Quant est d'adorer les images, on n'y sera plus si lourd: mais on pourra bien dire que les images sont pour les idiots et simples, afin de les inciter à devotion: et mesmes quand on a ainsi couru en pelerinage, il y a eu de la sottise trop lourde: mais cependant on retiendra bien encores quelque devotion pour les infirmes et les ignorans. Et des sacremens, on monstrera qu'ils ne doivent point estre en si grande estime: mais qu'on doit cognoistre qu'on ne tient rien sinon pour la memoire de Iesus Christ: mais si est-ce qu'on y retiendra tousiours ie ne say quoy. De la messe, et bien elle ne sera plus ainsi en vente, on n'aura plus les messes particulieres pour les trespassez, d'un tel sainct, ne de ceci ne de cela: mais il y aura une messe commune: et on dira tousiours que c'est sacrifice non point que Iesus Christ ne soit le vray Sacrificateur qui s'est offert à Dieu son Pere: mais la messe se rapportera à la mort et passion de Iesus Christ. Voila comme il a semblé à ces bastisseurs de mensonge, qu'ils avoyent besongné subtilement quand ils ont fait un tel meslinge, à ce que l'Evangile ne fust point trop rude au monde. Au contraire il est dit, Que Dieu ne se veut point aider ne servir de nos mensonges. Que faut-il donc ? Cheminons en rondeur et simplicité, que nous ayons les bouches closes, que quand il aura parlé nous-nous tenions à ce qui procede de sa bouche sans replique aucune. Voila (di-ie) comme nous serons approuvez de luy: mais il nous condamnera avec tous nos subterfuges, quand nous aurons pensé de luy porter faveur selon nostre phantasie, et que nous aurons decliné tant peu que ce soit de la pureté de sa parole, que nous aurons desguisé ses iugemens, combien qu'ils soyent estranges au sens humain.

Or maintenant venons à ce qui est adiousté. Sa maiesté ne vous estonne-elle point? et sa frayeur ne tombe-elle point sur vous? dit Iob. Et puis ii adiousté, Que leur memoire est accomparee à la cendre, et que leurs corps sont comme corps d'argille. Il signifie par cela, que quand en faveur de Dieu nous mentons, c'est d'autant que nous n'apprehendons point sa maiesté, et que nous le voulons faire semblable à nous, et que nous l'attirons ici bas comme si nous estions en pareil degré avec luy. Voila (di-ie) qui pousse les hommes. Pourquoy sont-ils si impudens de falsifier la verité de Dieu?

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pource qu'ils le veulent mesurer à leur aulne. Et quelle distance y a-il entre Dieu et nous? Apprenons donc de concevoir quelle est la maiesté do Dieu: et là dessus que nous ne soyons plus si fols de vouloir rien attenter ny sur sa parole ny sur ses iugemens. Que nous soyons là baissans la teste et que Dieu dise ce qu'il luy plaira: et quand nous aurons entendu sa parole, qu'il face aussi ce qui sera bon, et que nous l'adorions en toutes ses oeuvres: et sur tout quand nous serons entrez en ceste consideration de nostre foiblesse et fragilité, pour dire, Qu'est-ce de nous? Voila donc les deux choses qu'accompare ici Iob. En premier lieu (dit-il]) la maiesté Dieu ne vous estonne-elle pas? Quand il parle de la maiesté ou dignité, il monstre que les hommes doivent un peu mieux estre advisez, quand on parle de Dieu: mais quoy ? Nous y procedons à l'estourdie, et nous semble que Dieu souffrira qu'on se iouë avec luy, comme il adiouste quant et quant. Or donc apprenons quand on parle de Dieu, de concevoir ceste gloire infinie qui est en luy. Car quand nous l'aurons conceuë, il est impossible que nous ne soyons humiliez pour dire, Helas! il n'est pas question ici de parler de Dieu à la façon dos hommes, ne d'en faire quelque parangon. Car que seroit-ce ? où le mettrion-nous? en quel degré? qu'il fust meslé parmi les creatures? Ne voila point comme l'aneantir ? Et que sera-ce de sa maiesté, quand on l'aura ainsi mise bas? Si donc nous avions ceste prudence de concevoir, ou de gouster tant seulement que c'est de la gloire infinie de Dieu: Ô il est certain que nous apprendrions de nous humilier sous icelle, et de n'estre plus tant outrecuidez, pour nous faire à croire ceci ou cela. Et au reste que nous pensions à nous. Car la foiblesse et la povreté qui est en la nature des hommes donne encores tant plus grand lustre à la maiesté de Dieu, tellement qu'il faut que Dieu soit magnifié d'avantage, quand nous aurons bien cognu quels nous sommes. Si nous avions la gloire des Anges en nous, nous approcherions tant plus de Dieu, et toutes fois si faudroit-il que nous fissions comme les Anges: ainsi qu'il en est parlé sous la figure des (:Cherubins, que il faut qu'ils ayent leurs faces cachees, qu'ils ne peuvent point contempler Dieu en perfection. Il est vray que l'Escriture dit bien qu'ils voyent la face de Dieu: mais comment est-ce qu'ils la voyent? ils n'en sont point capables, sinon en baissant les yeux, sinon en se cachant comme de leurs ailes: c'est à dire, qu'ils ayent ceste modestie d'adorer Dieu, comme celui qui est par dessus eux, et auquel ils ne peuvent attaindre, qu'ils cognoissent ceste hautesse qui soit pour les humilier. Voila que c'est des Anges de paradis.

Et maintenant qu'est-ce de nous, qui ne sommes

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que pourriture? Quant à nos ames; ce sont comme petites estincelles qui seroyent tantost esteintes et s'en iroyent en ombre: n'estoit que Dieu les conservast en leur estat, et qu'il le fist par sa pure bonté. Nous n'aurons point donc ceste vertu en nous pour consister une seule minute de temps: mais il faut que Dieu nous conserve, d'autant qu'il n'y a en nous que fumee et toute vanité. Quand nous aurons cognu cela, il est certain que toute presomption sera bien abbatue en nous, que nous n'aurons plus ce, te folie de vouloir disputer à nostre guise, pour peindre Dieu de nos couleurs: ainsi que

| nous voyons qu'il est transfiguré par les hommes

I et deschiré par pieces. Nous n'aurons plus donc ceste presomption ny audace, quand nous aurons cognu que c'est de sa gloire, et pensé à la foiblesse qui est en nous. Voila comme nous serons estonnez de sa crainte, ainsi qu'en parle ici Iob. Car il est impossible que ceste cognoissance de Dieu soit oisive aux hommes, qu'elle ne les abaisse tellement qu'ils ne seront plus si hardis à babiller de Dieu. Car quand ils en parlent ainsi à l'esgaree, c'est signe que iamais ils ne l'ont cognu, que iamais n'ont senti que 'est de sa maiesté. Et pourquoi? Comme i'ai dit, voila une apprehension vive quand une fois nous aurons entendu, Voila Dieu qui nous a creez, nous sommes a lui: et regardons haut et bas, il n'y a rien qui ne soit en sa main, il y a en lui une iustice admirable, il y a une sagesse qui nous est cachee, il y a une bonté incomparable. Quand nous aurons cognu toutes ces choses, il est impossible que nous ne soyons là comme estonnez, estans abbatus en nous-mesmes, pour nous abaisser du tout devant lui, et adorer sa hautesse qui est infinie. Ainsi donc apprenons de cognoistre mieux que c'est de Dieu, afin que nous soyons instruits à toute modestie et sobrieté: et cependant examinons aussi qui nous sommes. Quand nous voyons que nostre chai nous chatouille pour nous applaudir, que nous sommes enclins à nous flatter, que nous cerchons à nous complaire: que nous nous incitions nous-mesmes pour dire, Et d'où vient une telle faute? C'est que tu ne t'es pas encores cognu: regarde qui tu es, entre seulement là dedans, et que tu sois iuge de ta condition. Là nous trouverons qu'il y a un abysme de pechez en nous, que nous sommes enveloppez en tant d'ignorances que c'est un horreur: ce sont comme des tenebres si espesses qu'elles nous suffoquent du tout, et nous estranglent: tant s'en faut que nous ayons les yeux ouverts pour cognoistre Dieu, que ce qui est devant nostre nez nous ne le voyons pas. Quand donc les hommes auront ainsi pensé à eux, ô il est certain qu'alors ils seront touchez de la Maiesté de Dieu tellement que sa crainte tombera sur eux, au lieu qu'on les voyoit pleins d'orgueil, et qu'ils estoyent

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comme esgarez quand il estoit question de parler de Dieu, qu'il n'y avoit ne reverence ne modestie qui soit. Au lieu donc d'une temerité si grande et si estrange qu'on la voit au monde, on y trouvera une reverence de Dieu. Et pourquoi? Car (comme i'ai dit) quand nous concevrons que c'est de Dieu, nous serons abbatus BOUS lui: voyans d'autre costé que c'est de nous, nous n'aurons plus occasion de nous plaire, no de nous. eslever en quelque maniere que ce soit. Voila ce que Iob a voulu noter par ces deux sentences.

Or pour plus grande confirmation, il dit, Voire, pensez-vous qu'il vous doive supporter si VOUS VOUS iouez avec lui comme à un homme? Il monstre que les hommes sont trompez en cela, que n'ayans point cognu la maiesté de Dieu pour l'honorer comme ils devoyent, ils se iouent à lui: au lieu qu'il devoit estre honoré de nous, nous en faisons comme nous avons accoustumé de nous en donner les uns aux autres, que celui qui peut tromper il le fera hardiment, moyennant qu'il ne soit point apperceu, c'est tout un. Or selon que nous appliquons nos astuces entre les hommes, nous voudrions aussi faire valoir ce mestier-là quant à Dieu: et c'est un abus trop grand. Ne pensons point donc nous pouvoir iouer à un tel maistre, et demeurer impunis. Car combien que Dieu souffre pour un temps que les hommes s'esgayent, si est-ce qu'en la fin il faudra qu'il leur monstre qu'il n'est pas cc qu'ils ont pense, mais bien autre. Il n'est pas ce qu'ils ont pensé, d'autant qu'il n'est pas comme les creatures qui se doivent assuietir à une regle commune, en sorte qu'on puisse les faire venir à conte, et mesurer selon la Loi qu'il nous a donnee: à nous, di-ie, car il compasse sa Loi à nostre mesure, mais il ne faut pas qu'il y soit suiet. Cependant que les hommes aussi cognoissent qu'il est tout autre qu'ils ne l'ont imaginé: car ils n'ont point eu esgard à ceste gloire infinie qui est en lui. Ainsi donc gardons-nous de ce ieu ici. Car Dieu nous monstrera, comme nous y devons proceder à bon escient, quand il est question de traiter tant de sa parole comme de ses oeuvres.

Or maintenant Iob dit: Taisez-vous devant moi, ie parlerai: et qu'il m'advienne ce qui pourra. Ici Iob monstre, qu'il n'est pas comme ces babillars qui causent de la parole de Dieu et de ses iugemens, voire loin des coups. Comme on en verra qui auront la langue aiguisee à bien parler, mais ce sera pour debattre de questions frivoles et loin de la pratique. Or Iob monstre qu'il n'est pas ainsi. Et pourquoi? Vous voyez (dit-il) Comme ie porte ma chair aux dents: comme si i'estoye tout desciré par pieces, et qu'il me falust prendre ma peau aux dents et ma chair pour la porter. I'ai mon ame, dit-il, entre mes mains. Quand vous me

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voyez en tel estat, ne pensez point que ie cause ici comme un rossignol en cage. Non: mais il faut que ie parle de coeur: car Dieu m'examine, qui me tient ici comme à la torture. Il faut donc que ie desploye mes affections. Car quant à moi ie parle comme experimenté, et Dieu m'examine en telle sorte, qu'on voit bien que ie n'ai pas loisir de desguiser les choses, et de dire l'un pour l'autre. Ainsi donc laissez moi parler. Car vous ne porterez pas mon fardeau, c'est Dieu qui me traite c'est à lui aussi que i'ai à respondre: ainsi de vos disputes ie les laisse là pour ce qu'elles valent, c'est à dire comme inutiles du tout et frivoles. Mais quant à moi ie parlerai suivant ce que Dieu me monstre, et me monstre par effect. Voila en somme ce que Iob veut dire.

Or ici notons ceste façon de parler dont il use. Qu'il tient sa chair entre les dents pour la porter. Car il estoit comme du tout deschiré par pieces, comme si on avoit deschiré la peau à un homme, et qu'il ne seust que faire, sinon de la prendre aux dents. Voila donc comme Iob dit qu'il a este: et en cela il exprime qu'il estoit en une condition si miserable, qu'il n'estoit plus comme creature vivante. Quand il adiouste, Qu'il tient son ame (ou sa vie) entre ses mains, c'est à dire, qu'elle estoit là comme à la volee, qu'elle estoit comme à l'abandon et en proye. En cela voit-on la sottise des Papistes, quand ils ont cuidé que Tenir son ame entre ses mains, signifiast avoir puissance de bien et de mal. Machine ce qu'on voudra, i'ai mon ame entre mes mains, disent-ils, c'est à dire, ie ferai ce que bon me semblera, i'ai une condition libre. Bref ils ont voulu bastir leur franc arbitre sur ceste sentence. I'ai mon ame entre mes mains. Or nous savons que quand Dieu menace les hommes, s'il leur dit, qu'il les laissera entre leurs mains, c'est la plus griefve affliction qui leur puisse advenir. Voila Dieu qui foudroye quand il dit qu'il nous laissera entre nos mains. Et pourquoi? Car il faut que nous soyons precipitez en perdition, et n'y a plus remede, sinon que Dieu nous retienne. Nous voyons donc quelle a esté la sottise des Papistes, quand ils ont ainsi depravé l'Escriture saincte. Mais le sens est tout clair en ce passage quand Iob dit, Qu'il porte son ame entre ses mains comme si elle estoit là au vent. Nostre ame est cachee dedans nostre corps comme en un estui, et c'est le moyen de la conserver: mais si nous l'avons en la main c'est comme si elle estoit à l'abandon. Iob donc declare qu'il est plus mort que vivant, que Dieu le traite en sorte qu'il est comme une povre charongne pourrie, qu'il n'y a plus de vigueur en lui, qu'on l'a en detestation. Voila (dit-il) ie sai bien que ie ne suis plus estimé du rang des homme qu'il faut qu'on m'estime comme un corps

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trespasse. Or par cela comme nous avons dit, Iob nous monstre qu'il n'est point un docteur speculatif: mais qu'il est un vrai praticien des choses dont il parle: c'est à dire, des iugemens de Dieu. Et de fait sans ceste experience ici, nous ne pouvons pas cognoistre ne Dieu, ne sa main, ne sa vertu, ne sa iustice, ne rien qui soit. Il est vrai que tous ne seront point examinez comme Iob, c'est à dire, d'une telle rigueur: mais si faut-il que nous venions à l'espreuve, on nous n'aurons que des vaines speculations. Si Dieu ne nous a adiourné quelquesfois, et que nous ayons senti que c'est de nos pechez, que c'est de la mort eternelle, que nous ayons cogneu que nous sommes destituez de salut, et que nous sommes forclos de toute esperance, quant à nous: iamais nous ne saurons traiter à la vérité que c'est de Dieu: nous ne saurons pas (di-ie) un seul mot de lui, ouy d'affection. Car ces babillars qui s'en iouent, il est vrai qu'ils auront assez belle apparence, ils auront leurs fanfares devant les hommes: mais il n'y aura nulle fermeté. Voulons nous donc parler de Dieu à bon escient et comme nous devons? Il est besoin que nous ayons esté exercez auparavant: et que nous soyons venus à la pratique: c'est à dire, qu'il nous ait pressez, afin que nous cognoissions que c'est de lui et de nous. Voila en somme ce que Iob a entendu en ce passage.

Or au reste notons bien, que quand nostre Seigneur nous amenera à telles espreuves, il faut bien que nous ayons une vertu plus qu'humaine pour subsister. Quand nous oyons quelques mots que Iob a prononcez, nous le voudrions condamner, et à bon droit: mais cependant si devons nous bien regarder l'extremité en laquelle il estoit, pour ne point trouver estrange, s'il y a eu quelques tentations qui ayent par trop dominé en lui. Encores qu'à la fin il ait resisté aux: combats, si est-ce qu'il y a eu de la foiblesse parmi, qu'il a esté là comme espouvanté: et combien que sa foi ne soit pas tombee du tout, si est-ce qu'elle a esté agitee, il y a quelques vices qu'il sent bien. Il faut donc qu'il surmonte do telles tentations encores qu'elles soyent bien griefves à supporter: pourtant ne trouvons estrange son langage. Car qui est l'homme auiourd'hui qui puisse parler comme Iob, qui soit là comme un povre desesperé, qu'il tienne sa peau et sa chair aux dents, qu'il ait son ame en sa main'! Il est vrai que David parle bien ainsi au Pseaume cent dixneufieme: mais encores en comparaison Iob estoit iusques aux abysmes, comme nous voyons. Si nous ne regardons qu'à ce qu'il a enduré en son corps estant en telle pourriture qu'on ne daignoit pas le regarder, mesmes que son regard estoit pour faire dresser les cheveux en la teste, et que c'estoit une chose si hideuse qu'on en avoit honte

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et mesmes qu'on l'avoit en detestation. Quand donc Iob n'eust enduré sinon ces torments-là en son corps, n'estoit-ce pas beaucoup? Mais le principal, comme nous avons dit, estoit ceste apprehension du iugement de Dieu, et quo c'estoit Dieu qui le persecutoit, qu'il ne trouvoit nulle grace en lui, qu'il lui sembloit qu'il voulust tousiours adiouster mal sur mal, iusques à l'avoir mis au profond de la mort et de damnation. Quand donc Iob est assailli si rudement, ne trouvons point estrange s'il y a quelques tentations par trop exorbitantes en lui. Car il a falu que Dieu y parfist sa vertu avec l'infirmité de l'homme. Mais de nostre part appliquons ceci à nostre instruction. Et en premier lieu, si Dieu nous envoye des afflictions, si grandes et si excessives que nous soyons comme engloutis: que cela ne nous face point desesperer (comme il sera encore tantost declaré plus à plein) mais que nous resistions, sachans que Dieu encore reserve sa misericorde, qui nous est apprestee en temps opportun. Et si nous languissons plus qu'il ne seroit à desirer, sachons que Dieu veut laisser mourir le mal, afin d'y donner meilleure guerison. Quand il y aura une apostume, et bien, on voit bien que voila de l'infection puante, et que c'est pour corrompre toute la santé de l'homme: toutes fois un medecin, ou un chirurgien ne percera pas du premier coup l'apostume. Et pourquoi? Il y feroit une inflammation, pource que la matiere n'est pas encore meurie: mais il y fera une attraction auparavant, il y mettra quelque emplastre pour faire mourir l'apostume: et alors il y mettra la lancette hardiment. Ainsi est-ce que Dieu en use envers nous. Car il voit que nous avons des apostumes bien mauvaises: mais quoi? S'il ne les guerit pas du premier coup, ne le trouvons point estrange: car il faut que le mal soit meuri, et apres Dieu y pourra mettre la main, et il trouvera les remedes tout propres. Cognoissans donc que Dieu sait ce qui nous est bon et propre, attendons-le en patience: mais si nous sommes trop excessifs pour nous precipiter, quand nous endurerons quelques afflictions, quelle excuse y aura-il pour nous? Quand nous voyons Iob estre venu iusques au gouffre d'enfer , et neantmoins qu'il s'est humilié devant Dieu: que combien qu'il endurast si griefs torments, qu'il fust en douleur si excessive, combien qu'il sentist un si extreme torment: si est-ce qu'il s'est retenu. Si (di-ie) un homme qui estoit ainsi affligé s'est encores retenu en bride: ie vous prie, quand nous voudrons nous despiter en nos maux ne serons-nous pas plus qu'inexcusables' Cognoissons donc ces choses, et qu'un chacun regarde à soi. Quand nous voyons qu'un tel serviteur de Dieu a esté ainsi examiné iusques au bout, nous devons estre tant plus moderez en nos maux, et

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non pas despiter Dieu, comme nous avons accoustumé; Voila ce que nous avons à retenir quant à ce passage.

Or Iob dit, Que quand Dieu le tueroit qu'il aura esperance en lu`: toutes fois qu'il redarguera ses voyes devant la face de Dieu. Il est vrai que ce mot Lo, que nous traduisons En lui, se pourroit prendre pour Non, et signifie cela proprement: mais quelquesfois c'est un relatif (qu'on appelle) et une lettre se change en l'autre: et cela est en usage assez commun aux Hebrieux. Tant y a qu'en une sorte ou en l'autre le sens est tousiours un. Car si on lit Non, il faudra quo ce soit avec interrogant, Qu'il me tue, n'espererai-ie point? Ouy i'espererai. Ou bien quand il y aura, l'espererai en luy, nous voyons que la substance n'est point changee. En somme donc Iob signifie combien qu'il soit abbatu, et qu'il soit comme effarouché en ses passions, que ce n'est pas qu'il ait perdu toute esperance: 06 n'est pas qu'il pretende de plaider contre Dieu, ou bien s'aliener de luy, et qu'il le vueille despiter pour n'avoir plus que faire avec luy. Pourquoy ? Il proteste d'esperer, quoy qu'il en soit. Encores (dit - il) qu'il me tue, qu'il me confonde, si ne laisserai-ie point d'esperer en luy: mais toutes fois ie redarguerai mes voyes devant sa face. Voila, il faut que ie mesle ceste vehemence que vous voyez, et que vous apprehendez, il faut que ie la mesle avec l'esperance que i'ay en Dieu. Or ici nous avons un beau miroir et excellent des oeuvres de Dieu. Car il laisse tomber les fideles, afin que leur foy soit tant mieux esprouvee. Il semble qu'il y ait des choses incompatibles en eux: mais Dieu les accorde lui-mesme. De primeface on diroit, Voila le feu et l'eau: mais en la fin Dieu ramene le tout à telle fin qu'il n'y a rien de discordant. Il y en a qui voudroient en leurs disputes faire tousiours des conclusions à la façon des Philosophes, que tout fust mis par ordre, tellement qu'il n'y eust point de diversité, et qu'il y eust paction par tout: mais telles gens n'ont iamais cognu que c'est d'avoir esté maniez de Dieu et d'avoir passé par ses iugemens. Et pourquoy? Comme i'ay dit, Dieu nous traite d'une façon si sauvage que tout y est confus. Et de fait aussi il y aura en nous des choses comme incompatibles. Car aucunesfois nous desirerons de vivre, et aucunesfois nous desirerons de mourir: et ce sont choses contraires: voire, mais les regards sont divers: car nous appetons naturellement d'estre, dit S. Paul, et par consequent nous fuyons la mort, elle nous est horrible, d'autant qu'elle est contraire à nostre nature: voila qui espouvante l'homme.

Or d'autrepart nous voyons que nous sommes ici tenus comme en une prison, cependant que ce corps nous environne nous sommes en servitude de

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peché: pourtant nous sommes contraints de gemir, et en ce faisant aspirer à ceste eternité qui nous est promise quand Dieu nous aura retirez de ce monde (car quand nous approchons de la mort, nous y venons: comme c'est aussi l'entree de la vie) sachans que puis que Iesus Christ a passé par là, il ne faut plus craindre que la mort ait nulle vertu sur nous, que c'est comme une espee qui est rebouchee, ou bien dont la pointe est rompue qu'elle ne peut nous navrer: et combien qu'il y ait quelque saignee, que toutes fois cela ne sera que pour nous delivrer de toutes nos infirmitez. Il semble bien que ces affections soyent contraires, et aussi sont-elles: mais Dieu les accorde bien, en sorte que 3e que nous avons apprehendé de nostre sens naturel, est mis bas, d'autant que la foy est maistresse. Autant en est de ce que Iob traite on ce passage. Car voila les fideles qui ont ce poinct resolu, d'esperer en Dieu et d'obtenir salut de luy quoy qu'il en soit. Or ils ne le peuvent faire qu'ils ne le tienent pour leur Pere, qu'ils n'ayent leur refuge à luy: Voila, Dieu m'a esté Pere iusques en la fin, et puis il m'a donné ceste liberté de venir à lui. Il faut donc que ie l'invoque, que ie me remette en sa garde, et que ie ne doute point que tousiours il ne me soit propice. Voire: mais il m'afflige, et quand ie cuiderai approcher de lui ie ne sentirai point qu'il m'ait exaucé. Or il est vrai que ceste apprehension est dure et fascheuse à porter: mais si faut-il que i'attende mon Dieu en silence, et que ie lui face cest honneur de me reposer en ses promesses. Voila donc les fideles qui auront ce poinct tout conclud. Or de l'autre costé il faut qu'ils se cognoissent: et il est impossible qu'ils cognoissent leurs infirmitez, qu'ils no facent aussi leurs complaintes, qu'ils ne disent, Et comment? Ceci est contraire: car si nous devons attendre Dieu en silence, faut - il qu'il y ait des disputes, que nous entrions en des complaintes ? Car cela contrarie à la foy. Il est vrai qu'il y contrarie de primeface: mais si est-ce que Dieu accorde bien le tout. Voire d'autant qu'apres qu'il y aura eu quelques bouillons qui nous auront agitez çà et là: Voici la foy qui nous recueille en silence, tellement que nous concluons finalement: Or si est-ce que la bonté de Dieu ne nous delaissera iamais, quoy qu'il en soit: nous le sentirons tousiours propice, combien qu'il ne se monstre pas tel du premier coup. Voila donc ce que nous avons à recueillir en somme de ce passage. Maintenant nous voyons à quoy Iob a pretendu, en disant, Encores que Dieu me tue i'espererai en lui: toutes fois si disputerai-ie avec Dieu, et redarguerai nues voyes. Car ce mot dont il use signifie Arguer: il signifie aussi Disputer et Plaider. Ainsi donc il dit et proteste, qu'il n'est pas comme ceux qui ont

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parlé ci devant l'estimoyent. Car il leur a semblé que c'estoit un homme qui vouloit iouer au quitte ou au double, n'ayant plus nulle esperance en Dieu, qu'il disoit ces choses comme par despit. Il declare qu'il n'est pas ainsi: car il retient tousiours l'esperance en Dieu. Or puis qu'il a esperance en Dieu il faut qu'il se renge à luy. Car esperer en Dieu ce n'est pas à dire qu'il se retire de moy, et quo ie soye bien loin de luy. Car au contraire, l'esperance consiste en ce que nous venions à Dieu, et que quand il semble estre loin de nous, que nous facions tous nos efforts pour venir là: et puis qu'outre plus nous cognoissions ce qui est dit en l'Escriture saincte, de nous cacher sous l'ombre de ses ailes, de retourner à lui, afin qu'il nous reçoive comme en son giron, ainsi qu'un enfant sera receu de son pere. Voila donc quant à ce qui est ici contenu

Or quand Iob dit, Qu'il esperera tousiours en Dieu, il monstre qu'il n'est pas comme ces esgarez qui s'esgayent, d'autant qu'ils veulent faire des chevaux eschappez. C'est tout an rebours (dit-il) car ie ne demande que d'estre prochain de lui, et qu'il ait sa main sur moy. Par cela donc il est absout de ceste fausse calomnie dont-il estoit chargé. Or tant y a qu'il dit puis apres, Voila, si faut-il que ie dispute de mes voyes: c'est à dire, ceste esperance que i'ay n'est pas telle, qu'elle ne soit meslee parmi ces complaintes, que ie ne m'esleve contre Dieu, et que ie ne murmure. Il est vrai que ceci procede d'infirmité, voire d'une infirmité vicieuse qui est à condamner: mais quoy qu'il en soit, Dieu ne le laisse point du tout aller: car (comme nous avons dit) la foy domine par dessus

nos passions. Quand nous esperons en Dieu, quand nous l'invoquons, ce n'est pas que nous n'ayons tousiours des combats: mais il faut que la foy soit victorieuse, il faut que ceste paix de Dieu dont parle Sainct Paul (Colos. 3,15), ait la palme: c'est à dire, qu'elle surmonte en nos coeurs. Quand il parle de la paix de Dieu et lui attribue la victoire, il monstre bien que nous aurons des tourbillons, que nous serons agitez de costé et d'autre. Mais quel remede y a-il à cela? Il faut que ceste paix de Dieu ait telle vertu qu'elle domine à la fin, et que toutes nos passions soyent tenues sous bride. Notons bien donc que Iob en confessant qu'il esperera en Dieu, confesse aussi son infirmité, et monstre qu'il n'a point une telle perfection qu'il n'y ait tousiours beaucoup à redire. Tant y a neantmoins qu'il a tousiours son refuge à Dieu. Puis qu'ainsi est, cognoissons aussi de nostre costé, quand nous avons des phantasies de nostre chair dont nous sommes esbranlez, que nos passions nous transportent aucunement: qu'il ne nous faut point desesperer pour cela, ne penser que Dieu ne nous vueille plus aider: mais advisons que nous esperions en luy: et encores que ce ne soit point en telle perfection comme il seroit requis, sachons que neantmoins il nous fera sentir que ce n'est point en vain que nous-nous sommes attendus à lui: d'autant qu'il nous confermera tousiours de plus en plus en foy, et fera qu'elle soit victorieuse par dessus toutes les tentations du monde et de la vie presente.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE CINQUANTE ET UNIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XIII. CHAPITRE.

16. Il me sera encores en salut: et l'hypocrite ne viendra point devant sa face. 17. Escoutez mes propos, et recevez ce que ie vous annoncerai. 18. Quand i'auray ordonné ma cause, ie say que ie serai iustifié. 19. Qui debatra contre moy? Car si ie me tay, ie defaudray. 20. Seulement fay moy ces deux choses, et alors ie ne me cacherai point de ta face. 21. Retire ta main loin de moy, et que ta fureur ne m'espouvante point. 22. Et si tu parles ie respondrai, ou ie parlerai, et tu me respondras.

Nous avons veu par ci devant la protestation que faisoit Iob: c'est assavoir, qu'encores espereroit-il en Dieu quand il seroit abysmé de sa main. Or c'estoit pour monstrer (comme nous avons dit) qu'il avoit une pensee et une apprehension plus haute du iugement de Dieu, que n'ont pas communement les hommes, selon aussi qu'il cognoissoit double espece de iustice en Dieu. Maintenant il conferme et ratifie ce propos derechef, disant, Que Dieu luy sera en salut, voire: car l'hypocrite (dit-il)

SERMON LI

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ne viendra point devant lui, comme s'il disoit, Ie say comme ie me presente à Dieu, ainsi ie m'asseure qu'apres m'avoir traité ainsi durement et affligé iusques au bout, encores se monstrera-il mon sauveur. Sur quoy donc est-ce que Iob fonde l'esperance de son salut? C'est pource qu'il ose approcher de Dieu. Il est vrai que les hypocrites approcheront bien de Dieu, comme aussi il en est parlé au cinquantehuitieme d'Isaie (v. 2), (Je peuple ici me cerche de iour en iour, il approche de moy comme s'il desiroit savoir mes voyes. Nous verrons que ces bigots qui n'ont nulle affection ne zele, toutes fois feront beaucoup de circuits, et se tormenteront, et semblera qu'il n'y ait que feu et flamme en eux pour cercher Dieu, voire: mais ils ne font que tourner à l'entour du pot: ce n'est pas qu'ils desirent de venir droit à lui, mais ils voudroient bien estre quites avec Dieu, sans toutes fois s'en approcher. Comme quoy ? Nous voyons que les hypocrites ont beaucoup de devotions: ils feront ceci et cela. Et à quoy pretendent-ils? Quand les Papistes orront trois messes le iour, qu'ils barbotteront beaucoup, qu'ils prendront de l'eau benite, qu'ils trotteront d'autel en autel: il est certain qu'ils pretendent servir à Dieu: mais ils y pretendent en telle sorte que Dieu ne les regarde point de trop pres, et qu'ils s'eslongnent et s'esgarent loin de lui. Et voila pourquoi le Prophete Ieremie (7, 11) accompare toutes ces fanfares, tant d'agios, tant de ceremonies qu'ont les hommes, à la caverne d'un brigand. Tout ainsi qu'un brigand se retire en sa cachette, afin de n'estre point apperceu, que son peché ne soit point descouvert: aussi les hypocrites prendront beaucoup de couleurs, et de subterfuges en ceci et en cela, et en tout ce qu'ils appellent service de Dieu. Mais quoy? C'est afin que Dieu ne leur demande rien, et qu'il les laisse pour tels qu'ils sont, et qu'ils se couvrent de ceste mommerie - là. Voila donc comme les hypocrites feront bien semblant d'approcher de Dieu: mais ce no sera pas en verité. Apres quand ils seront enflez d'une vaine presomption, ce n'est pas qu'ils approchent de Dieu, combien qu'ils ayent la teste levee, qu'ils soyent hardis de faire beaucoup de protestations, tellement qu'il semble qu'ils vueillent hurter contre lui: ce n'est pas qu'ils en approchent: mais d'autant qu'ils sont eslourdis, et d'autant qu'ils ne pensent point à Dieu: que s'ils y pensoient, ils n'auroient point une telle audace. Nous voyons donc les hypocrites, quand ils auront badiné en leurs menus fatras, et qu'ils se, seront iouëz avec Dieu comme si c'estoit un petit enfant: il leur semble qu'ils sont iustes comme des Anges, qu'il n'y a plus que redire: et que si Dieu leur demande d'avantage, il ne fait que les presser par trop: que tant s'en faut qu'ils lui soyent redevables,

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qu'encores il est tenu à eux ce leur semble. Voila donc les hypocrites, qui ietteront feu et flamme, tellement qu'il semble qu'ils doivent hurter contre Dieu: mais pourquoi est - ce ? Pource qu'ils ne pensent point à lui, et qu'ils n'ont point eu de sentiment vif en leurs consciences. Bref, iamais un homme n'approchera de Dieu d'un bon coeur, d'une affection pure et franche, sinon qu'il l'honore et en l'honorant qu'il le craigne, et en le craignant qu'il se confie en lui. Il faut (di-ie) que toutes ces choses-la soient au coeur de l'homme, devant que iamais il viene à Dieu, et qu'il puisse avoir aucune accointance avec lui. Le premier (di-ie) c'est d'honorer Dieu: c'est assavoir, de cognoistre quelle est sa maiesté, et qu'il faut que nous soyons tous rengez-là, de lui faire hommage. Iusques à tant que nous ayons conceu ceste maiesté de Dieu qui est par dessus nous, iamais nous ne voudrons approcher de lui. Il faut que la crainte y soit quant et quant: c'est à dire, qu'apres lui avoir attribué toute superiorité et maistrise, nous demandions de le servir et de cheminer comme il le commande. Or ceste crainte-la seule ne suffit point. Il faut donc que nous sachions, que c'est de la bonté de Dieu, pour nous y fier: comme aussi c'est le moyen d'approcher de Dieu. Et pour ceste cause Iob dit, Les hypocrites iamais ne comparoistront devant la face de Dieu: c'est à dire, ils fuiront Dieu tant qu'il leur sera possible: comme nous voyons aussi que quand on leur parle de la mort, ils se tormentent: et toutes fois c'est le moyen de venir a Dieu: mais tant y a qu'ils le fuyent. Iob donc apres avoir dit, que les hypocrites n'approcheront point de Dieu, proteste qu'il n'est point de ce nombre-la. Qu'ainsi soit, il vient à Dieu: et mesmes il voit qu'il n'a nulle raison avec les hommes mortels: et pourtant il ne s'y arreste plus: plustost il voudroit que Dieu l'escoutast, et qu'il eust la liberté de parler, comme s'il estoit devant sa face. Par cela il presuppose que Dieu lui sera encores en salut.

Or cependant les propos dont il use sont assez estranges: comme desia nous en avons veu do semblables, et comme nous en verrons encores: mais afin d'en avoir la vraye exposition suivons l'ordre qui est ici tenu, Escoutez moy (dit-il) et recevez mes propos: car quand i'aurai ordonné ma cause, ie say que ie serai iustifié. Ici Iob presuppose qu'il aura de si bonnes raisons pour se defendre qu'il sera absout devant Dieu, moyennant qu'il lui soit licite de plaider sa cause. Or il ne la plaide point devant les hommes (car il avoit affaire à des aureilles sourdes) mais il veut que ceux ausquels il l parle facent silence, et qu'ils oyent ce qu'il debatra, | et qu'ils attendent la fin et l'issue de ce qui en sera prononcé de Dieu. Nous voyons donc quelle

IOB CHAP. XIII.

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cet la somme de ce propos: c'est assavoir, qu'il veut dire qu'il sera absout, moyennant qu'il ait lieu et liberté do pouvoir debatre sa cause. Et dequoy est-ce quo cela depend? Il nous faut souvenir de ce qui a desia esté exposé, c'est assavoir, de ces deux especes de la iustice de Dieu. Que Dieu iugera quelquesfois les hommes selon sa Loy. Car là il nous a donné, une iustice, qui nous est cognue et toute notoire. Dieu entre comme en paction avec nous quand il nous donne ceste regle-la. Voila comme ie veux qu'on vive: quiconques ne fera toutes ces choses qu'il soit maudit: quiconques accomplira ma Loy il vivra. Quand donc nostre Seigneur nous a ainsi certifiez de sa volonté, il nous a donné une iustice qui nous est toute patente. Or s'il nous iuge là dessus, il faudra que nous entrions en conte, que nous examinions nostre vie à chacun commandement: que nous pensions, Or ça, en quoy est-ce que tu as failli? Voila ton Dieu qui te demande telle chose, l'as-tu accomplie ? Nenni. Voila donc en quoy tu es coulpable. Voila (di-ie) comme nous serons condamnez par la Loy. Comme à l'opposite, si nous savons que nous avons accompli la Loy de Dieu (ce qui est impossible: mais ie pose le cas qu'ainsi fust) quand (di-ie) un homme aura bien espluché toutes ses oeuvres, s'il trouve que sa vie ait esté conforme à la Loy de Dieu, le voila iustifié selon la iustice qui nous est notoire et cognue. Mais cependant Iob a protesté ci dessus, qu'il y a une iustice plus haute en Dieu, par laquelle il pourroit condamner les Anges. Pourquoy cela? Car combien que Dieu approuve la vie de l'homme quand elle sera du tout reglee à sa Loy: ce n'est pas qu'il v soit tenu, ce n'est pas que nous ne lui devions d'avantage, et qu'il nous tiene quittes. Car si nous faisons comparaison de ceste perfection qui est en Dieu, avec ce qui est en la creature, que sera-ce? Le soleil pourra estre obscurci combien qu'il esclaire tout le monde: c'est à dire, qu'il n'y aura rien qui puisse suffire ni satisfaire. Ainsi donc notons bien, quo quand Dieu nous voudra iuger par dessus sa Loy, alors encores que nous ne cognussions nul mal ne vice en nous, si ne serons - nous pas iustes pourtant.

Or venons à ce que dit Iob. Il dit, Quand i'aurai liberté de plaider ma cause, et digerer tout mon cas par ordre, et que i'aurai mis en avant toutes mes raisons: ie say alors que ie serai iustifié. C'est à dire, si Dieu me veut seulement iuger selon sa Loy, et que ie puisse respondre pour monstrer qu'elle est ma vie: alors ie serai iustifié. Or nous avons dit, que ceci est impossible. Car il ne faut point d'autre preuve, pour monstrer quo tous hommes sont maudits et damnez, sinon d'autant que Dieu a dit, Quiconques n'accomplira toutes ces

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choses il sera maudit. S. Paul, quand il veut prouver quo nul ne peut estre iustifié par les oeuvres de la Loy: mais que nous sommes tous coulpables devant Dieu, qu'il faut que toutes bouches soyent closes: allegue ceste sentence-la (Gal. 3, 10). Voire? mais s'ensuit-il par cela que nous soyons tous damnez? Il faut regarder si nous faisons la Loy de Dieu, ou non. Or S. Paul presuppose quo non, c'est à dire, qu'il n'y a nul qui s'acquitte do son devoir et quo nous on sommes tous bien loin. Ainsi donc quo veut dire Iob, Qu'il sera iustifié quand Dieu le voudra recevoir à ses defenses: comme s'il n'avoit dequoy l'accuser, comme s'il n'estoit en rien coulpable? Et nous savons qu'estant homme mortel, il est vestu do beaucoup d'infirmitez et de vices. Comment donc entend-il qu'il puisse estre absout? Or en premier lieu nous avons à reduire en memoire ce qui a esté traité par ci devant: c'est assavoir, quo Iob ne regarde pas simplement à ce qu'il a merité, no quo c'est de lui: mais il regarde à l'intention de Dieu en ce qu'il l'afflige. Comme quoi? Nous avons veu, quo si Dieu trouve des pechez en nous qui soient dignes d'estre punis, et bien, il les supporte, il noua les pardonne: cependant il nous voudra affliger pour quelque autre raison, comme il en est advenu à Iob. Il est vrai qu'il estoit un povre pecheur, il est vrai que Dieu selon sa Loy le pouvoit persecuter iusqu'au bout: mais cependant il n'a point eu un tel regard. Nous avons veu par ci devant, que Dieu n'a point puni les pechez de Iob de propos deliberé, comme ayant ce but, Ie veux affliger cest homme d'autant qu'il en est digne, d'autant qu'il a mal vescu. Nenni: Dieu n'a point regardé à tout cola. Quoy donc ? Il a voulu quo Iob fust un miroir pour tons hommes, afin qu'en voyant sa personne, nous ayons occasion de nous humilier, cognoissans que la main de Dieu nous est pesante et insupportable: cognoissans aussi quelle est nostre fragilité, et que selon ses iugemens secrets et incomprehensibles il nous pourroit traiter cent mille fois plus rudement qu'il ne fait pas: et puis que nous regardions aussi à la patience de l'homme. Dieu donc a voulu user de Iob à toutes ces choses-la: et ainsi nous voyons que son intention n'estoit pas de le punir. Voila pourquoi Iob dit, Que s'il avoit congé de parler et de deduire toute sa cause, il seroit trouvé iuste, voire selon l'intention de Dieu: c'est à dire, que quant à ceste affliction presente qu'il endure, il ne se trouvera pas en lui iniquité en cest endroit: mais au contraire, quo Dieu l'approuvera comme l'un do ses serviteurs. Or Iob en parlant ainsi ne reiette point la remission des pechez, sur laquelle toute nostre iustice est fondee. Nous disons que les hommes sont iustifiez par la seule foy, d'autant que nous sommes tous damnez en nos

SERMON 1,1

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oeuvres (cela est vrai) et apportons tous damnation et malediction devant Dieu: et pourtant qu'il faut que nous demeurions tous confus. Pour ceste cause il est question d'emprunter une iustice qui soit agreable à Dieu et approuvee de lui: et cela se fait quand nostre Seigneur Iesus Christ nous revest de sa iustice propre, et qu'elle nous est allouee devant Dieu. Voila donc comme nous sommes iustes par la foy, d'autant que nous sommes purs et nets de nos pechez, en vertu de la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ.

Or cependant Dieu nous conduit par son S. Esprit, et en nous conduisant il accepte le service que nous lui rendons, c'est à dire, les biens qu'il a mis en nous. Il les accepte: car il n'y a pas une seule goutte de bien en nous qui ne nous soit donné d'enhaut. Tout ainsi donc que Dieu nous eslargist de ses graces, aussi il les accepte. Mais comment nos oeuvres pourront-elles plaire à Dieu? Ce sera quand il n'aura point esgard à toutes les imperfections qui y sont. Car il ne se trouvera rien en nous qui n'ait quelque macule devant Dieu: mais il ne regarde point à tout cela: il nous supporte d'une amour paternelle. Voila donc comme nous serons iustes devant lui: voire selon qu'il lui plaist de nous avoir agreables: non pas qu'il y soit tenu, ne que nous l'ayons desservi. Iob en ceste façon-la dit, Qu'il sera trouvé iuste n'excluant point la grace et la misericorde de Dieu, laquelle il fait aux siens, quand il les supporte, et qu'il ne les veut point traiter à la rigueur, qu'il n'appelle point leur vie en conte rie à rie. Or cependant notons aussi que Iob parle excessivement, comme il a fait par ci devant. La raison ? Il estoit comme un homme ravi, il estoit en un estonnement si grand, qu'il ne savoit où il en estoit. Pour ceste cause il ne dispute sinon de ceste iustice de Dieu secrette, et laquelle lui estoit par trop rude: et dit, Que d'autant que Dieu le persecute sans lui monstrer pourquoi, ce n'est point merveilles s'il est ainsi troublé, s'il est comme englouti en desespoir. Iob donc est là comme estonné, en sorte qu'il ne regarde point à ce qu'il sait estre veritable, que quand Dieu l'examineroit seulement selon sa Loy qu'il lui feroit bien sentir ses pechez: mais il considere, que veu que Dieu pardonne aux siens qui cheminent en integrité, c'est merveilles que lui l'ayant fait, et d'affection, est neantmoins traité rudement, et sent la pesanteur de sa main Pour mieux comprendre ceci, regardons à ce qu'il adiouste. Il demande à Dieu qu'il lui ottroye deux articles: et alors (dit-il) ie ne me cacherai point de devant ta face: c'est a dire, ie serai prest à recevoir telle punition que tu voudras, ie ne me plaindrai plus que ta main me soit trop rude, ie ne me debatrai plus quand tu me presseras, moyennant

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que i'aye ces deux poincts. L'un est, Que ta I main (dit-il) soit loin de moi, et que ta frayeur ne m'espouvante plus. Par cela il veut dire, qu'il le

prie de n'executer point sa sentence devant que lui avoir fait son procez. Iob trouve estrange, que Dieu l'afflige si fort sans avoir entendu pourquoi. C'est donc tout ainsi comme un prisonnier qui demande d'estre restitué en son estat, quand il cognoist qu'il est du tout reietté, et qu'on ne lui veut donner aucune audience. Que sera-ce ? Si un prisonnier est tormenté, sans qu'on ait fait aucun examen contre lui, qu'il n'ait point esté interrogué, qu'on n'ait ni preuve ni information à l'encontre, et cependant qu'il soit mis en une basse fosse, qu'il soit mis aux ceps (comme Iob s'en plaint ici) mesmes qu'il soit mis à la torture, qu'il semble qu'on le doive desmembrer: si (di-ie) un povre prisonnier est traité en telle façon, que dira-il ? Iob donc maintenant se plaint, que Dieu execute une telle rigueur contre lui, et cependant qu'il ne lui est fait nul procez. Voila donc le premier article dont il parle.

Le second est, Que Dieu I'appelle, c'est à dire, que sa cause soit deduite par ordre, quand l'execution cessera, et qu'on ira par voye iuridique. Et bien, Que le procez se demene (dit il) et alors ie ne me cacherai plus de ta face: c'est à dire, Ie ne refuserai rien qui soit, que tu disposes de moy comme il te plaira, et ie serai patient, et t'obeirai en tout et par tout. Nous voyons donc ici que lob est excessif, comme un homme qui a l'esprit estonné. Pourquoi? Car s'il eust bien regardé à soy, il est certain qu'il eust cognu qu'il n'avoit point dequoi pour se presenter devant la face de Dieu: mais qu'il faloit qu'il y vinst la teste baissee. Comme il faut que tous hommes quand ils viennent là, cognoissent la povreté qui est en eux, pour demeurer confus devant lui. Iob donc n'useroit point d'un tel style, sinon qu'il eust esté preoccupé d'un grand estonnement à merveille, tellement qu'il n'a point en de discretion moderee en soy pour s'humilier devant Dieu, comme il estoit besoin. Or cependant nous avons à recueillir de ce passage ici une bonne doctrine et bien utile. Et en premier lieu cognoissons ce que nous avons dit, c'est assavoir, que quand Dieu nous voudroit traiter en plus grande rigueur, que celle qui est contenue en sa Loy, encores a-il l'autorité de ce faire, comme Iuge du monde. Nous aurons beau replicquer à l'encontre: mais nous ne gaignerons rien en tous nos murmures. Sur cela n'avons-nous point bien occasion de nous humilier? Et au reste, regardons un peu comme nous en serions quand Dieu nous traiteroit seulement selon la mesure qui nous est convenable Car nous avons dit, que Dieu nous a donné sa Loy, non pas considerant ce que nous

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luy devons. non pas aussi on nous declarant la perfection de sa iustice: mais en regardant ce qui est convenable aux creatures Or tant y a qu'au lieu que nostre vie soit approuvee de lui, quand on la iugera selon sa Loy, il faut que nous demeurions là tons confus: voire non point en une sorte, mais en mille. Car c'est un abysme que de nos pechez et transgressions.

Puis qu'ainsi est donc, il ne nous reste sinon de nous humilier et gemir, et avoir honte de nostre turpitude. Car nous aurons beau (comme i'ay dit) nous rebecquer ce sera tousiours pour provoquer d'avantage l'ire de Dieu sur nous. Mais au reste retenons que les visitations de Dieu sont bien dures à porter, puis que nous voyons que Iob en est transporté, en sorte qu'il ne sait qu'il fait, et il est comme un homme hors du sens. Pourquoy ? D'autant que Dieu le presse do sa frayeur. Et par cela nous sommes admonnestez, que si Dieu nous punit à la rigueur, il faut que nous soyons abysmez en desespoir, et du tout confus. Il est vrai que loin des coups nous Guiderons estre assez robustes: mais quand Dieu vient iouster contre nous à bon escient, nous sentons quelle est sa force, laquelle nous avions mesprisee auparavant: et ce que nous avions imagine estre en nous, sera moins que rien, il n'y aura que fumee et une folle imagination. Il est besoin de cognoistre ceci. Car nous savons qu'il n'y a rien plus contraire à nostre salut, que ceste presomption de laquelle nous sommes enyvrez. Cela fait que nous sommes temeraires, et nous iettons aux champs: et mesmes non seulement nous ne nous contentons de passer nos limites: mais nous voudrions voler par dessus les nues. Voila donc qui est cause de nostre ruine: c'est assavoir, ceste folle outrecuidance de laquelle nous sommes esblouis. Et puis cela nous ernpesche d'invoquer Dieu, tellement qu'au lieu que nous devrions aller au refuge à lui, et nous cacher sous ses ailes, chacun de nous s'esgare, et nous semble que c'est monts et merveilles que de nous. Voila donc le principal de nostre salut qui defaut: c'est qu'au lieu que nous devrions avoir nostre refuge à Dieu par prieres et oraisons, sur tout quand nous sommes pressez de quelque mal, et que nous sommes esperdus: nous allons cercher les aides du monde ou bien, nous donnons lieu à nos vaines phantasies, lesquelles nous ont deceu. Voulons-nous donc estre exemptez de telles illusions et vaines pensees ? Mirons-nous en l'exemple de Iob, et cognoissons puis qu'il a enduré ces combats spirituels, c'est à dire, que Dieu l'a pressé en sorte, qu'il le sentoit comme son ennemi: que quand auiourd'huy Dieu se monstrera nostre Iuge, nous ne pouvons point fuir sa main, n'eschapper sa rigueur. Il est vrai que quand nous aurons une telle conception, nous

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serons tellement esperdus que nous ne verrons que les abysmes d'enfer devant nous, et nous sera impossible d'avoir ni raison, ni modestie, ni attrempance, ni mesure qui soit. Et nous devons bien cognoistre cela, afin de trembler. Voire: mais il nous faut trembler tellement, qu'un tel effroy no demeure point en nous: mais que nous venions au remede: c'est assavoir, que nous prions Dieu qu'au milieu de nos troubles il nous face la grace de trouver repos en lui, et que nous y soyons asseurez, combien qu'il semble pour un temps qu'il se soit voulu dresser contre nous pour nous abysmer. Voila donc comme nous avons à prier Dieu qu'il ne nous traitte point en rigueur.

Or au reste, quand il est dit, Fay moi ces deux choses, et alors ie viendrai la face levee, ie ne me cacherai point devant toy: notons que ce n'est pas à nous de demander à Dieu comme en le sommant, qu'il ne nous punisse point devant que nous avoir fait sentir nos pechez. Et pourquoi ? Car ce seroit par trop attenter contre sa iurisdiction. Un povre criminel imposera-il loy à son iuge ? Vrai est qu'encores un iuge terrien peut estre excessif (car un homme pourra estre pressé trop cruellement) mais ce n'est pas ainsi de Dieu envers nous: car s'il nous punit, il nous supporte: tant y a que iamais il n'y a excez en lui. Il est vrai que nous n'appercevons point pourquoi il fait, les choses, nous ne voyons point la balance ne le poids dont il use: plustost il nous semble qu'il renverse tout: mais si est-ce qu'il nous le faut adorer en ses iugemens secrets. Et cognoissons que les choses que nous pensons estre bien estranges, sont toutes fois reglees en toute equité et droiture, quand elles procedent de lui, et que cela nous sera manifesté à la fin. Il ne faut point donc que nous ayons ceste fierté ici de vouloir renger Dieu à nostre phantasie, et lui demander qu'il face ainsi, ou ainsi: mais contentons nous de sa bonne volonté, le prians qu'il nous donne patience, et qu'il nous donne pleine obeissance, iusques à ce qu'il nous ait fait sentir que tout ce qu'il fait est bon. Vrai est que nous pouvons bien demander à Dieu, qu'il nous face nostre procez devant que nous punir. Pourquoi ? afin que nous soyons nos iuges. Car que profitera-il si Dieu nous punit iusques au bout, et que cependant nous demeurions obstinez en nos maux, ou que nous soyons eslourdis et stupides pour n'y point penser? Ce sera tousiours à nostre plus grande condamnation. Dieu frappera sur nous, et nous ne plions point le dos! Le coeur sera encores moins plié, tellement qu'il sera comme une enclume qui repousse les coups! Ainsi donc les chastiemens de Dieu ne nous seront iamais profitables pour nostre salut, sinon que nous soyons nos iuges pour nous condamner les premiers. Et

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comment cela se fera - il, sinon que nous ayons cognu nos fautes? Car ceux qui diront, Ie say que ie suis un povre pecheur, et que i'ay bien merité I la punition que i'endure: et cependant ne seront I point entrez là dedans en leurs coeurs, pour sentir leurs pechez: ceux là no sont qu'hypocrites, en disant, l'ay bien desservi ce chastiement ici, sans savoir Gomment ne pourquoi. Il est vrai, qu'il nous faut bien condamner en nos pechez qui nous sont incognus: mais si faut - il commencer par ce bout, quo nous examinions nostre conscience, que nous aillions cercher là dedans ce dequoi nous sommes assez conveincus. Autrement il est impossible, que iamais l'homme se puisse humilier devant Dieu, et se condamner en verité et sans feintise.

Ainsi donc voila à quelle fin nous pouvons requerir Dieu, que devant que nous punir, il entre en cause avec nous: c'est à dire, qu'il nous face la grace de nous produire nos pechez, afin que nous voyons quelle est nostre condamnation, et que premierement nous soyons abbatus en nous-mesmes. Voila en quelle sorte nous pourrons faire ceste requeste, et non pas estans ainsi estonnez comme Iob, quand nostre affliction nous transportera. Or tant y a qu'encores qu'il nous soit licite, voire utile de faire une telle priere à Dieu, c'est assavoir qu'il nous admette et reçoive à debattre nostre cause: toutes fois si ne faut-il point que nous lui demandions qu'il retire sa main. Car Dieu pourra bien faire toutes ces deux choses ensemble: c'est assavoir, qu'il nous fera nostre procez, qu'il nous monstrera qu'il a iuste raison de nous punir, quand nous verrons nos pechez: et cependant nous ne laisserons pas aussi de sentir les coups de sa main Dieu donc pourra bien faire toutes ces choses ensemble: et puis qu'elles sont compatibles, il ne faut point trouver estrange de les recevoir. Or i'ay dit, qu'en cest endroit nous ne devons point estre du tout semblables à Iob. Et pourquoi? Car quand il demande d'estre ainsi receu à ses defenses, c'est (comme desia nous avons touché) comme s'il vouloit plaider contre Dieu.

Or selon qu'il a dit, Qu'il seroit iustifié et absout, il adiouste, Qu'il parlera le premier si Dieu lui donne pouvoir de parler, ou bien quand Dieu aura commencé, qu'il respondra. Ici lob ne fait point sa requeste à la fin que nous avons dit: c'est assavoir, que nous prions Dieu qu'il vueille moderer sa rigueur, et que cependant il nous face sentir nos. fautes, et quand il nous aura amené à ceste humilité - la, que nous soyons nos iuges, qu'un chacun passe condamnation volontaire. Mais Iob veut ici entrer en procez tout à l'opposite. Nous voyons donc en quoi il a failli: et cela nous est

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monstre à ce que nous suivions ceste mesure que i'ay desia dite. Nous voyons maintenant le profit qui nous revient de ceste doctrine, si nous la pouvions bien appliquer à nostre usage: c'est assavoir, que quand nous demandons à Dieu d'estre ouys, ce ne soit point pour amener des excuses comme si nous n'estions point coulpables, que nous puissions amoindrir nos fautes, ou bien les aneantir du tout: mais que ce soit pour entrer en cognoissance, et y entrer en sorte que nous soyons abbatus au tout, qu'il ne nous reste rien sinon de recourir a ceste bonté de Dieu: et que quand nous aurons passé condamnation en toute nostre vie, nous ne laissions pas toutes fois d'esperer en ceste misericorde, laquelle il a promise aux povres pecheurs, quand ils se desplairont en leurs vices, et qu'ils les condamne ont, et qu'ils ne de manderont sinon que Dieu les reçoive à merci. Voila donc comme nous avons à pratiquer ceste requeste.

Mais il est bien difficile de venir à une telle raison, et pourtant nous y faut - il efforcer. Car ceste difficulté ne nous doit point faire perdre courage: mais plustost que cela nous sollicite de recourir à Dieu, le prians qu'il nous face la grace de nous toucher tellement de sa doctrine, que par le moyen de sa parole, nous lui puissions presenter de telles requestes, que nous en sentions ie fruit. Tous les iours on nous remonstrera nos fautes et toutes fois il y en a bien peu qui y pensent. Or Dieu voyant que nous sommes ainsi tardifs, voire tellement qu'il ne nous peut esmouvoir par sa parole, il leve la main, il nous envoyera quelque chastiement. Et, pource que quand ce sera quelque petite affliction, cela ne nous sera rien, nous ne ferons que secouer l'aureille, comme l'on dit: Dieu redouble les coups, il nous afflige d'avantage, il nous tient là comme enserrez, il se separe de nous, que son Esprit est comme estaint, nous sentons qu'il ne nous gouverne plus, que nous sommes là comme gens desesperez pour dire, helas! et qu'est ceci? Alors nous sommes effarouchez en telle sorte, que nous voudrions bien que Dieu nous donnast quelque relasche: et mesmes s'il ne nous en donne, nous voila tous confus, qu'il n'y a point de remede en nostre estat. Nous pouvons donc bien demander a Dieu qu'il retire sa main et nous donne un tel congé, Helas Seigneur ! tu vois que ie suis une povre creasture, maintenant ie sens ici des chastiemens qui sont par trop grands, voire selon mon infirmité: il est vrai que ce chastiement m'est bien deu, et mesme i'en devroye sentir beaucoup d'avantage: mais si est - ce que ma vertu est si foible et si debile, qu'il me semble que ie soye desia enclos aux abysmes d'enfer: helas mon Dieu qu'il te plaise donc adoucir un peu ta rigueur,

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iusques à ce que i'aye loisir ' de reprendre mon haleine, et penser mieux à moi que ie n'ai pas fait: quand i'aurai une telle relasche ie viendrai à toi, mes playes seront adoucies.- Car voila le vrai moyen pour faire profiter tes verges, à ce que ie ne demeure point incorrigible sous ta main. Voila donc le bien que Dieu nous fait quand ils nous permet de venir à lui. Mais encores quand nous lui faisons une telle requeste, si faut-il que ceste condition soit adioustee, Et bien Seigneur, il est vrai que ce que ie demande est pour ma necessité, tu vois que ie n'en puis plus, et si tu ne previens mon mal, il faudra que ie tombe en un abysme et confusion dont ie ne pourrai iamais sortir. Toutes fois Seigneur ie me remets du tout à . toy, tu cognois ce qui m'est bon et propre, tu pourras encores remedier à telles extremitez où ie suis, comme tu as des moyens infinis pour retirer mesmes les tiens de la mort. Quand donc nous adiousterons ceste condition, Dieu nous permet bien de lui faire une telle requeste, voire et lui sera agreable. Voila ce que nous avons à noter en ce passage.

Or cependant n'estimons pas que Iob ait esté si outrecuidé de se faire accroire qu'il n'y eust que redire en lui, qu'il fust prest d'entrer en cause et de parler le premier, et de plaider contre Dieu pensant qu'il gagneroit. Ne pensons point que Iob ait esté enyvré d'une telle folie. Quoy donc? c'est qu'il a parlé sans y penser: tout ainsi que nous avons accoustumé do faire quand les passions dominent par trop en nous. Car nous avons les yeux esblouys en sorte que nous ne discernons point. Exemples. Si un homme est tant fasché et angoissé qu'il ne se cognoisse plus, il lui eschappera d'aucuns mots volages: et bien, si on lui dit, il confessera, Il n'est pas ainsi. Il est vrai qu'il aura parlé: voire, mais ce sera selon son sens: ouy, et selon son sens troublé et confus. Car comme nous avons dit, les passions nous transportent tellement, que nous sommes là comme aneantis: et cependant Dieu ne laisse point de garder tousiours une cognoissance en nous, laquelle sera comme estouffee. Quand on couvrira un feu de cendre et de terre, s'il y a eu un grand brasier, il demeurera là caché dessous et n'y voit-on rien, on n'apperçoit point de chaleur. Ainsi Dieu permet quelquesfois que toute discretion est comme estouffee en nous: et là nous voyons seulement des cendres, c'est à dire, les passions qui sont par dessus: nous voyons quelque fumee, le feu ne se monstre point. Ainsi donc en est-il de nous, et Iob s'est trouvé en telle extremité en ceste protestation qu'il fait qu'il pourra venir devant Dieu, disant, qu'il parlera le premier. Cognoissons qu'il dit cela comme un homme qui est du tout esgaré en ses passions. Puis qu'ainsi est apprenons de

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cheminer tousiours en humilité, gardans bien que nos passions ne nous transportent en sorte, que nous ne sachions que nous ferons ne dirons. Or voici un passage qui est bien utile et d'une bonne instruction. Car nous voyons en premier lieu, que nos passions sont comme bestes sauvages lesquelles nous iettent contre Dieu. Que nous venions là nous ruer, et que gaignerons nous? Sommes nous plus durs que luy? Le pourrons nous faire reculer ou le rompre ? Helas! il faudra que nous soyons cassez et brisez, quand nous aurons butté contre luy, avec une telle furie. Et non seulement cela: mais il nous renversera de son souffle: il ne faut sinon qu'il souffle comme dit l'Escriture, et nous serons tous perdus et deffaits et aneantis. Cognoissons donc, qu'il faut que nos passions soyent reprimees, et nous les faut tenir en bride, voire qu'il nous les faut comme enchainer, c'est à dire qu'il nous faut faire tous efforts pour abbatre ceste impetueuse phrenesie qui est là. Car autrement que sera-ce? Nous voyons ce qui est advenu à Iob,

ce sainct personnage qui est un miroir de patience, qui a persisté en une affection d'obeir à Dieu: et neantmoins encores voit on qu'il y a une telle violence meslee parmi, qu'il se vient la ruer tellement qu'il ne sait où il en est. D'autant plus donc devons nous estre attentifs de prier Dieu qu'il modere nos passions, quand nous voyons qu'elles sont si excessives que nous n'en pouvons venir à bout, qu'il les reprime tellement, qu'elles ne vienent point à s'eslever contre luy. Au reste si quelquesfois il nous advient que nous ayons esté desbordez, que nous ayons passé nos limites pour ne point escouter Dieu: que nous ne perdions point courage pour cela: car il y a remede, c'est quand nous prierons Dieu qu'il nous ramene à raison. Et au reste rallumons le feu qui s'amortist: c'est à dire, d'autant que nous voyons que la bonne conscience est là comme assopie, qu'elle est comme estouffee, que nous n'avons point une seule estincelle de clarté, que nous sommes gens confus: cognoissans (di-ie) cela que nous mettions peine de venir à raison pour dire, Où en es-tu povre creature? tu vois que tu t'es iettee ici comme à l'abandon, voire à l'encontre de ton Dieu, qu'il n'y a nul propos en tes paroles. Il faut bien donc que tu te restraignes, moderant ces passions qui sont par trop vehementes et excessives en toy. Voila donc comme il nous faut revenir à raison, quand nous -nous trouvons ainsi effrayez, que nous ne savons quo nous disons: que nous cognoissions que c'est là où il nous faut de plus pres penser en nous, afin de nous abstenir de telles paroles excessives comme nous voyons que lob les a ici proferees, voire, sans y penser. Que nous apprenions donc de moderer tellement nos passions, que nous ne demandions sinon que

SERMON LII

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Dieu nous face la grace, de prendre tel goust en sa bonté et misericorde, qu'encores qu'il semble que nous devions demeurer. confus, nous ne laissions pas pourtant de nous resiouir et nous appuyer sur

sa bonté, pour nous glorifier au milieu de toutes nos afflictions.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc..

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LE CINQUANTEDEUXIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XIII. CHAPITRE.

23. Combien ay - ie de pechez et d'iniquitez ? Monstre moy mon forfaict et ma transgression 24. Pourquoy caches-tu ta face, et me reputes-tu ton ennemi? 25. Ne poursuis-tu pas une fueille rompue? ne persecutes-tu pas un chaume sec? 26. Tu escris contre moy amertumes, et me fais posseder les iniquités de ma ieunesse. 27 Tu enserres mes pieds aux ceps, qua n'eschappent point: tu les imprimes en la racine de mes pieds. 28. Ainsi il sera pourri comme un arbre de vieillesse, et comme une robbe, qui est mangee de la tigne.

Iob a declaré par ci devant une chose qui est bien vraye, comme aussi nous en touchasmes hier: Que si Dieu nous afflige, et que nous ne voyons point raison pourquoy, quand nous voudrons entrer en cause contre luy, si nous avons un article, il -on aura tant et plus à l'encontre, tellement qu'il faudra que nous demeurions confus: ie di les plus iustes. Et cela est aussi vray, qu'encores qu'il ne semble point que nous soyons coulpables selon sa Loy, et la regle commune: tant y a qu'il faudra que Dieu soit declaré et cognu iuste, et que nous ne rapportions que nostre vergogne apres avoir bien plaidé. Et cela despend de ce qui fut encores hier traitté, c'est assavoir, que Dieu a une iustice secrette par dessus celle que nous cognoissons, comme elle nous est declaree en sa Loy. Car quand les Anges mesmes seront examinez à ceste iustice-la, tous seront condamnez, il n'y a nulles creatures tant pures qu'elles soyent, qui y satisfacent. Et c'est ce que maintenant Iob poursuit derechef. Car il dit, Monstre-moy mes forfaits, et mes iniquitez, combien i'ay de pechez et de transgressions. Il est vray qu'ici il confesse, puis qu'il est affligé de la main de Dieu, qu'il faut qu'il s'humilie: mais tant y a qu'il ne peut porter patiemment que Dieu l'afflige sans luy monstrer la raison. Et voila en quoy il y a faute. Car si Dieu nous fait sentir nos pechez, et que nous voyons comme à l'oeil

que nous soyons chastié à cause que nous l'avons offensé en telle sorte et en telle, c'est autant d'avantage, en cela il nous fait grand grace, voire moyennant que nous ayons le sens et advis de nous condamner, afin de luy demander pardon. Mais si nous sommes endurcis, qu'est-ce que nous aurons gagné en cognoissant nos fautes? Cependant si Dieu nous tient là enserrez, quand nous serons batus de ses verges, que les coups nous seront griefs à porter, et que nous ne sachions point à quoy il pretend, ne pour quelle cause il nous afflige ainsi: il ne faut point encores que nous murmurions, il faut baisser la teste, et dire, Seigneur i'attendray iusques à tant que tu me monstres quelle est la fin de ces afflictions ici. Il est vray que nous pourrons bien souhaiter qu'il plaise à Dieu de nous faire sentir que c'est qu'il veut dire, que cognoissant sa volonté nous y profitions: il nous sera bien licite de faire telle requeste. Mais cependant si faut-il que nous ayons ceste modestie de nous taire iusques à tant qu'il luy ait pleu nous declarer plus avant ce qui nous est incognu. Or donc pour bien faire nostre profit de ce passage, notons que lob a senti que c'estoit Dieu qui l'affligeoit. Voila pour un Item.

En second lieu, il a esté tout persuadé qu'il ne gagneroit point sa cause, en plaidant contre Dieu: mais au reste il a eu aussi ceste cognoissance que Dieu ne l'affligeoit point d'une façon ordinaire, comme il a accoustumé de punir les hommes, il ne traitte point Iob en ceste façon-la. Il cognoist donc que ce qu'il enduroit n'estoit pas un chastiement commun, et qu'on puisse regler à l'accoustume, qu'il y avoit un conseil de Dieu secret et caché: Iob a cognu cela, or il devoit estre patient. En toutes ces choses que nous avons dites il n'a point failli. Car c'est une grande chose, quand non seulement nous cognoissons la main de Dieu qui nous frappe, et que nous sentons les coups: mais que nous cognoissons dont ils procedent. Voila

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donc une chose qui est bonne et bien utile. Et puis que nous Cognoissions que Dieu sera tousiours trouvé iuste, et que nous aurons beau murmurer contre luy, que nous n'avancerons point nostre cause, qu'il faudra que tousiours nous soyons condamnez. Ne voila pas une bonne leçon, quand elle sera apprinse et retenue de nous? Cc sera aussi pour nous humilier, que nous aurons la bouche close, afin que nous ayons nos esprits retenus et bridez pour ne nous point despiter à l'encontre de Dieu. Et que nous cognoissions qu'il y a des iugemens secrets en luy lesquels nous ne pouvons appercevoir: qui cet encores pour nous tenir tant plus subiets, afin que nous ne soyons point incitez de presomption et audace pour disputer à l'encontre de luy. Voila donc de bonnes choses. Mais cependant si faut-il que les hommes se contienent quand ils auront senti que Dieu les punit, et qu'ils ne savent point pourquoy. Il faut, di-ie, qu'ils ayent leurs esprits paisibles, attendans que Dieu leur revele ce qui leur est maintenant cache. En cela Iob a failli. Mais notons qu'il estoit preoccupé du mal qu'il sentoit si grand qu'il ne se faut esbahir s'il s'en estonne, et s'il demande que Dieu le traitte pour le moins selon ses pechez, et qu'il ne le persecoute point plus outre. Car quand Dieu s'adresse ainsi a une povre creature, et qu'il desploye son bras, qu'il semble qu'il la vueille foudroyer: et quand un homme n'a point de relasche, mais qu'il est tormenté de plus en plus, qu'il ne voit nulle issue en son mal, qu'il est là comme abysmé: helas! il ne se faut point esbahir s'il luy eschappe quelque propos extravagant: ainsi en a esté Iob. Et pourtant apprenons de prier Dieu, quand il nous voudra amener à de tels combats, qu'il no permette point que nous défaillions: et mesmes quand nostre infirmité se monstrera, que nous serons prests d'entrer en des phantasies mauvaises qu'il nous recueille à soy, et qu'il nous remette à ce poinct la, que nous luy donnions gloire en ses iugemens incomprehensibles. Voila ce que nous avons à noter en premier lieu sur ce passage.

Or maintenant on pourroit ici demander, pourquoy Iob n'use point simplement d'un mot de peché pour dire, monstre moy combien i'ay de pechez mais il adiouste Iniquitez, transgressions, forfaits à quel propos cela? C'est comme s'il disoit, Quand Dieu m'aura bien examiné en tout et par tout, il ne trouvera point pourquoy il me doive traitter si rudement. Non pas (comme desia nous avons dit) que Iob se reputast iuste: mais il parle d'un sens confus, qu'il n'a point esgard a ces choses: mais il s'adresse à ceste consideration seulement, qu'il n'est pas ainsi que ses amis en ont disputé, c'est assavoir que Dieu le punit d'autant qu'il est plus grand pecheur que les autres. Et en cela il a une cause

bonne: mais cependant il ne regarde point à tout comme il devoit. Iob en somme declare, que quand Dieu aura bien espluché tout le mal qui est en luy, qu'il ne trouvera point que les punitions qu'il endure soyent à cause de ses forfaits. Il y en a qui distinguent ici entre le peché de volonté, et celuy qui se commet par ignorance: celuy qui se commet contre Dieu, et celuy qui se commet par omission (qu'on appelle). Mais cela n'a gueres de fermeté: plustost (comme i'ay desia touché) Iob a voulu specifier la chose iusques au bout. Et pour mieux comprendre cela, notons, que quand Dieu parle de sa Loy, et de ses commandemens, il usera de plusieurs mots, comme Ordonnances, Statuts, Decrets, Iustices, et choses semblables: car il y a sept ou huit mots qui se rapportent quasi à un. Et pourquoi cela? En premier lieu, il veut monstrer que si nous ne cheminons droit, nous ne pourrons pas alleguer ignorance: et pourquoy? Car il nous donne pleine instruction comme nous devons vivre. Ceux donc qui se fourvoyent ne tienent conte d'obeir à Dieu. La raison? Quand nous voudrons bien estudier en sa parole, iamais nous ne pourrons faillir: car il nous conduira en tout et par tout. Voila donc en premier lieu à quoy tend ceste diversité de mots, quand il est dit, Statuts, Ordonances, Gardes, Edits, Decrets, Tesmoignages, Iustices, c'est pour monstrer que Dieu nous guide si soigneusement, que nous ne pourrons iamais faire un faux pas, si nous suivons ce qu'il nous enseigne. Et au reste quand nous aurons failli, nous serons tant plus inexcusables: Dieu nous aura mis beaucoup de barres pour nous retenir, il nous aura fait un chemin tout certain: et puis il nous aura mis des bornes de tous costez, mesmes il nous conduira que nous ne pourrons decliner ni à dextre ni à senestre et avec la doctrine il nous donne les admonitions, il conferme le tout à nostre usage. Si donc nous allons au contraire, l'on voit bien que est d'une malice deliberee, voire comme

d'une rage.

Voila donc comme les hommes sont rendus plus qu'inexcusables, quand Dieu declare qu'il n'a point commandé en un mot cc qui est bon: mais qu'il l'a ratifié, qu'il a fait des ordonnances, des statuts , des gardes, voire à ce que les hommes soyent conveincus d'une rebellion trop meschante, quand ils seront contrevenus à tout cela. Or à l'opposite, quand il est ainsi parlé des pechez, c'est afin que les hommes soyent tant mieux touchez, et qu'ils cognoissent qu'ils n'ont point commis une petite faute et legere, mais qu'ils ont merité d'estre punis à la rigueur, que leurs transgressions sont enormes. Exemple: Quand David au Pseaume trentedeuzieme dit: Que l'homme cet bien-heureux à qui Dieu a pardonné ses pechez, duquel les iniquitez

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sont couvertes, et les transgressions sont ensevelies, duquel Dieu n'a plus de memoire des forfaits, que voila ou gist la felicité des hommes: pourquoi est-ce que David parle des pechez, des iniquitez, des transgressions? N'estoit-ce pas assez d'avoir dit en un mot, Bien-heureux est l homme à qui Dieu a pardonné les pechez: mais il a voulu exprimer la grace infinie que Dieu nous fait, quand il nous pardonne nos fautes. Et pourquoi ? Car s'il veut entrer en conte avec nous, helas! il n'y aura point de fin, et nous ne serons point redevables en un seul Item: mais apres qu'il nous aura condamné en un endroit, ce sera à recommencer. David donc a cognu que les hommes estoyent plongez en une condamnation si profonde et si horrible que rien plus, sinon que Dieu les en retire par sa bonté infinie: et quand il le fait, qu'il ne faut point passer cela legerement, comme s'il leur avoit quitté une debte de cinq sols: mais il faut qu'ils pensent bien à leurs forfaits, à leurs iniquitez, à leurs transgressions, qu'ils les meditent, qu'ils les reduisent en memoire. Nous voyons donc en tout cela pourquoi il y a une telle diversité de mots. Or maintenant Iob en est à l'opposite comme s'il disoit, Il est vrai que les hommes peuvent faillir en beaucoup de sortes, il est vrai qu'ils sont coulpables tant et plus devant Dieu: mais tant y a, apres que ma vie aura esté bien examinee il n'y aura ne forfaits, ne transgressions, ni iniquitez qui meritent que Dieu me traitte en telle façon. Or il nous faut estre attentifs à retenir ce qui a este dit, c'est assavoir, quo Iob ne s'est pas voulu iustifier comme s'il en fust venu au bout: mais il a regardé l'intention de Dieu pourquoi il le punit. Or il est certain (comme desia nous avons veu) que Dieu n'avoit point eu esgard à ses pechez, combien ils estoyent grands: mais il vouloit esprouver sa patience: voila pourquoi il l'afflige. Mais pour bien faire nostre profit de ceste doctrine, notons en premier lieu, que si Dieu veut user de rigueur contre nous sans nous faire tort, il est certain que pour un seul peché il nous pourra affliger tellement, que nous ne saurons oh nous en serons. Or par plus forte raison, s'il nous veut punir de toutes nos fautes, il n'y aura nulle fin. Et tiercement, encores qu'il no nous punisse point ayant regard direct à nos fautes que nous avons commises, encores sera-il iuste, et faut que nous demeurions là abbatus devant lui en fraye humilité.

Voila donc trois poincts quo nous avons à observer: le premier c'est, quand Dieu nous voudroit seulement iuger pour une seule faute, que nous n'ayons point à repliquer contre lui; pour dire, La punition est trop grande. Nous voyons que c'est qu'a Profité Cain. quand il s'est ainsi rebecqué il

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est vrai qu'il ne pouvoit pas nier le faict, il en est desia conveincu auparavant: il avoit bien dit, Et suis-ie gardien de la vie de mon frere? mais quand il voit que son iniquité est toute notoire, il se despite, il grince les dents, et en grondant il dit, Et ma peine est plus grande que ie ne la pourroye porter. Car me voici comme un povre homme desesperé: tu me chasses, et où irai-ie? Quiconque me rencontrera, me tuera. Voila donc Cain qui murmure à l'encontre de Dieu, de ce que sa punition est trop grande, mais (comme nous avons dit) pour cela en a-il meilleur marché ? non, au contraire son iniquité s'augmente tant plus. Gardons nous donc de nous despiter, encores que nous ne eussions qu'une seule faute en nous. Car ce n'est point à nous de monstrer que c'est que nos fautes ont desservi, c'est Dieu seul qui en est iuge competant. Il faut donc qu'il nous punisse, non pas à nostre appetit, ne selon que bon nous semble: mais à son iugement. Voila pour un Item. Au reste, pour le second nous avons à noter, que tout ainsi que nos fautes sont innumerables: qu'aussi il ne faut point trouver estrange quand Dieu nous persecutera en une sorte et en l'autre, et que les coups redoubleront, et que nous serons plongez tousiours plus profond en tant de maux, et que nous defaudrons là comme accablez: ne trouvons point cela estrange. Et pourquoi? Car nos fautes sont infinies. Voila le second poinct que nous avons à retenir. Pour le troisieme notons, que Dieu pourra bien desployer sa main sur nous, voire pour exercer des iugemens secrets, quand nous aurons tasché de le servir en bonne conscience, et nous serons employez envers nos prochains fidellement, voire aurons conversé entre les hommes sans fraude, sans malice, sans violence. Quand donc nous aurons ainsi adoré Dieu purement et invoqué, que nous aurons aussi cheminé avec nos prochains en toute droiture: si Dieu nous afflige, encores faut-il que nous confessions que Dieu est iuste. Nous ne verrons point pourquoi: mais si ne faut-il point plaider: demeurons là tous courts, Et bien Seigneur, tu me reveleras la raison de ce mal que i'endure: le temps toutes fois me semble long: mais Seigneur ie serai assez sage quand ie me pourrai humilier sous ta main forte. Et au reste, que tu me faces encores ce bien pour l'advenir, que ie cognoisse à quoi tu as pretendu, et que i'y profite de plus en plus: mais quoi qu'il en soit, si ne veux-ie point laisser de te glorifier. Voila comme nous avons a y proceder.

Or Iob apres avoir demandé que Dieu entre ainsi comme en procez ordinaire, il adiouste, Pourquoy caches-tu ta face, et me reputes-tu ton ennemi? n'est-ce pas poursuivre une fueille qui est desia rompue? n'est-ce pas persecuter un chaume qui est desia

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sec? Ici Iob allegue sa fragilité à Dieu afin d'obtenir quelque relasche en ses afflictions, que ses playes soyent adoucies, comme il en a usé par ci devant et fera encores apres Or quand il y fust procedé comme nous voyons quo les fideles ont fait, ceste façon de prier seroit bonne et saincte. Et de fait, voila ce que nous pouvons apporter à Dieu quand nous voudrons obtenir grace de luy, afin qu'il nous delivre de nos maux, afin qu'il nous secoure, c'est de luy mettre en avant nostre foiblesse. Au lieu que les fols amenent leur dignité, et qu'ils veulent obliger Dieu à eux: nous ne pouvons rien dire sinon que nous sommes miserables. Comment donc obtiendrons nous misericorde? Ce sera en disant, Helas Seigneur regarde qui nous sommes, et il faudra que tu en ayes pitié, d'autant que nous sommes tes creatures. Quand l'homme allegue, Helas! en mon corps il n'y a rien que pourriture: si tu ostes ta vertu, Seigneur, me voila reduit à neant: et de mon ame qu'est-ce qu'elle a? ce n'est qu'un petit souffle, que si tu en retires aussi ton Esprit, c'est à dire, ceste vertu que tu m'as donnee, ie ne suis plus rien. Et au reste, il y a tant d'ignorances, il y a tant de vices, il y a tant de povretez, helas! mon Dieu, quand tu vois que ie suis ainsi plein de miseres, ne voila point matiere pour exercer ta misericorde? Nous voyons donc quand nous voudrons obtenir grace de Dieu qu'il nous y faut proceder comme fait ici Iob, ouy, moyennant que ce soit d'une autre affection. Car Iob estoit poussé d'une vehemence trop grande d'autant qu'il estoit fasché d'estre ainsi pressé dé la main de Dieu: et là dessus il se despite. Ce n'est pas ainsi qu'il nous en faut faire: mais c'est afin que Dieu soit enclin à avoir pitié de nous quand nous luy mettrons en avant nos miseres. Et l'Escriture saincte est pleine de telles sentences que les fideles disent: Helas! Seigneur qu'est-ce que de l'homme? Voila David qui dira, Pource que ma vie n'est qu'un souffle qui va sans revenir: et Seigneur n'auras-tu point pitié pour nous secourir, puis que tu vois que nous sommes ainsi fragiles? Or que Dieu exauce telles requestes, il appert par les autres tesmoignages, Il s'est souvenu qu'ils estoyent chair, un esprit qui passe et ne revient point. Voila donc Dieu qui testifie quand il a fait merci aux enfans d'lsrael, et qu'il ne les a point traitez selon leur demerites, que ç'a esté d'autant qu'il a veu qu'ils estoyent chair, qu'il n'y avoit que corruption en eux, et pour ceste cause qu'il les a supportez. Si donc la volonté de Dieu est telle de nous espargner, voyant les povretez qui sont en nous, il est certain que nous pouvons mettre ce poinct-la en avant, et devons aussi, quand nous voulons obtenir de luy misericorde.

Notons bien donc que les mots dont use Iob,

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nous seront licites, et que c'est une bonne forme de prier Dieu, moyennant que nous y allions en humilité: Seigneur regarde qui ie suis, car ie suis comme une fueille, voire, une fueille qui est desia 'flestrie: toutes fois tu me veux racler et abysmer du tout, et qui suis-ie? ie suis comme un chaume qui est desia sec, ou une herbe fauchee, il n'y a plus ne vigueur ne substance: helas mon Dieu, et si tu me persecutes d'avantage, et que deviendray-ie? Si nous parlons ainsi, Dieu acceptera de telles complaintes: non point quand nous viendrons à luy en fierté comme s'il estoit obligé à nous: mais quand nous luy mettrons nos miseres en avant, afin qu'il y subvienne et qu'il y mette remede: telles prieres donc seront exaucees de luy. Mais cependant gardons nous de contester comme fait Iob, Pourquoy est-ce que tu me reputes ton ennemi? Or Iob met ceci comme une chose qui n'est point decente à Dieu, Voici Seigneur, tu es tout-puissant: et qui suis-ie? moins que rien: et si tu viens ici contester avec moy, et ie suis un povre arbre pourri, il n'y a plus ne vigueur, ne substance en moy: veux-tu donc esprouver contre moy ta vertu? ainsi qu'il en parle ci dessus: il reitere son propos. Voila pourquoy i'ai dit qu'il nous faut garder d'estre ainsi transportez par nos passions. Car encores que Dieu soit tout puissant, et que nous soyons si fragiles que rien plus, neantmoins ce n'est point sans cause qu'il entre comme en combat avec nous Si nous trouvons cela estrange, si nous faut-il clorre les yeux, c'est à dire, il ne faut point que nous soyons si subtils en nos sens pour dire, O si veux-ie savoir la raison pourquoy ie suis ainsi traité de Dieu. Gardons-nous d'une telle presomption. O voire, mais que est-ce à dire que Dieu qui a tout en sa main, quand il veut regarder les montagnes il les fait decouler comme cire devant le feu ou comme neige: qu'il abysmera le monde, seulement quand il voudra dire le mot: et que cependant il se viene lever contre moy pour batailler main à main: contre moy (di-ie) qui suis une povre creature: et qu'est ce que cela veut dire? O nous pourrons disputer en telle sorte, mais Dieu fera une conclusion pour nous rendre confus. Ne soyons point donc trop sages comme i'ay dit: mais tenons bon quand Dieu nous afflige, quelque grand, quelque robuste qu'il soit, combien quo sa maiesté nous soit espouvantable, ne laissons point de luy donner gloire, cognoissans qu'il est iuste et qu'il fait tout par raison, encores qu'il se viene dresser contre nous, et qu'il semble qu'il nous vueille abysmer. Or de fait il y a bien cause pourquoy Dieu se declare nostre ennemi, voire combien que nous ne Soyons pas pour luy resister, et qu'il nous mesprisera. Car cependant, puis que nous sommes si orgueilleux de ne point

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fleschir sous luy, et que nous voulons tousiours apparoistre iustes: il faut bien qu'il nous monstre nostre leçon, voire et qu'il nous la monstre par force: nous ne voulons point de nostre bon gré passer condamnation, et Dieu nous y contraint quand il nous afflige selon que nous l'avons merité. Ne voila point une iuste raison pourquoy Dieu se monstre nostre ennemi ? Apres, prenons le cas qu'il ne nous vueille point affliger pour nos pechez, s'il se monstre nostre ennemi et nostre contraire, c'est afin que nous combations contre ceste tentation qui est bien grande et bien fascheuse, de ne savoir pourquoy nous sommes ainsi condamnez. Dieu donc veut voir si nous demeurerons fermes et constans à son service, encores qu'il semble qu'il soit nostre ennemi. Et s'il a ce regard - la, pourquoy est-ce que nous ne le porterons patiemment ?

Voila donc comme nous devons estre retenus pour ne point plaider, encores que Dieu se declare nostre ennemi, et qu'il n'y ait nulle vertu en nous ne resistance. Car il a iuste raison de ce faire encores que nous ne la cognoissions pas, et puis il nous la monstre en partie et nous faut contenter de ce petit goust qu'il nous en donne. Cependant nous devons estre admonnestez par ces deux similitudes, que c'est de nous: voire, afin que nous apprenions de cheminer en solicitude, que nous cognoissions aussi le besoin que nous avons d'estre soustenus et aidez de la main de Dieu, d'estre confermez par sa bonté. Qu'est-ce que de l'homme quand Dieu l'aura laissé en son estat naturel? Or il est vray qu'il se plaira tant et plus: Car nous voyons comme les hommes sont enyvrez d'outrecuidance, et qu'ils se font à croire monts et merveilles de leur sagesse, de leur vertu et de tout. Et qu'est-ce que l'Escriture en prononce? Voila une fueille rompue, voila une herbe flestrie, voila du chaume seché: c'est à dire, que nous sommes sans vigueur, sans substance, que ce n'est rien de nous: et quelque gloire que nous cuidions avoir cela n'est qu'une bouffee. Voyans donc que Dieu nous propose de tels miroirs, que nous contemplions quelle est nostre foiblesse, que nous apprenions de nous humilier, et d'estre denuez et vuides de toute arrogance. Car qu'est-ce que font les hommes quand ils s'attribuent et ceci et cela, sinon qu'ils se deçoivent, comme à leur escient? Voila Dieu qui vient au devant, et nous declare qu'il ne veut point que nous soyons ainsi trompez de vaines opinions et folles: et pourtant il nous declare que ce n'est sinon comme une herbe fauchee qui flestrira incontinent' que nous sommes sans nulle vigueur, que nous serons destituez de toute vertu et de toute grace. Voila quant à ce poinct.

Or Iob adiouste, Que Dieu le tient enserré

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comme aux ceps: mais cependant il met aussi, Que Dieu escrit contre luy des amertumes, et qu'il lui fait posseder tous les pechez de sa ieunesse: tu m'enserres (dit-il) aux ceps. Et pourquoy cela ? Il dit, que Dieu ne monstre sinon que tous signes de courroux à l'encontre de luy. D'autant que les sentences se donnent souvent par escrit, Iob regarde au style commun, et dit, Que Dieu escrit contre luy les amertumes, c'est à dire, qu'il met contre luy les crimes les plus griefs dont on se puisse adviser. Comme un iuge qui detestera un povre criminel qui sera devant luy, il voudra aggraver ses pechez et voudra monstrer qu'ils sont si enormes qu'on né le pourroit punir trop à la rigueur. Suivant cela donc Iob se complaint, Que Dieu escrit contre lui une sentence trop rigoureuse, qu'elle est comme pour faire dresser les cheveux en la teste. Et il adiouste aussi, qu'il luy ramentoit les pechez de sa ieunesse, voire pour les luy faire posseder. Et qu'emporte cela, Faire posseder? c'est à dire, que ie n'en puisse estre devestu: mais que i'y soye comme attaché. Ainsi qu'un homme quand il sera en sa maison, quand il sera en ses champs, le voila comme revestu de ses possessions, ainsi tu me fais posseder, Seigneur: c'est à dire, ie ne puis estre quitte de ceste maudite possession et malheureuse de mes pechez: ains i'en suis enveloppé, et n'en puis sortir. Ici Iob recognoist bien que Dieu avoit iuste cause de l'affliger: mais si ne laisse-il pas encores d'estre fasché et se despiter. Et d'autant plus devons nous estre sur nos gardes, voyans que celuy qui est un miroir singulier de patience, est toutes fois incité à telles tentations. Or maintenant venons savoir pourquoi il parle des pechez de sa ieunesse. Il y a deux raisons, l'une c'est qu'en cest aage-la on voit les cupiditez qui sont plus bouillantes. Et voila pourquoy il est dit au Pseaume, Comment est-ce qu'un ieune homme adressera ses voyes? ce sera en observant tes paroles. Pourquoy est-il parlé des ieunes gens plustost que des autres? C'est pource que la nature humaine qui est tousiours vicieuse et mauvaise, alors iette ses grandes escumes, qu'il y a des passions plus bouillantes: et pourtant il est besoin d'avoir une bride plus forte. D'autant donc qu'en la ieunesse on commet beaucoup de fautes, Iob notamment en parle. Et voila pourquoy David aussi dit, Seigneur que tu oublies les fautes de ma ieunesse, au Pseaume, vingtcinquieme: notamment il parle de cest aage-la, sachant bien qu'il ne l'a point passé, qu'il n'ait offensé Dieu en beaucoup de sortes. Car il y a de l'inconsideration grande, il y a des appetits desbordez, qu'un ieune homme est aveugle, rien ne luy est impossible: il n'y a point de temperance pour le moderer: mais il y a de l'outrecuidance tant et plus, et autres choses semblables. Et ainsi donc

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voila une raison desia pourquoy il est ici parlé des pechez de la ieunesse.

Or la seconde raison c'est, que Iob veut dire que Dieu luy ramentoit toutes ses iniquitez, qu'il luy fait un procez, comme depuis son enfance: et en cela il se plaint d'une trop grande rigueur, comme s'il disoit, Et Seigneur si i'ay autresfois failli, et bien, tu m'as fait la grace de me reduire et de me redresser en ton service: pourquoy donc me fais-tu un amas de mes fautes qui devroyent estre mises en oubli? Pourquoy est-ce que tu me les viens mettre encores au devant? puis que tu me les as pardonnees, faut il que i'y soye encores maintenant enveloppé? Voila donc à quoy Iob a pretendu. Mais par ceci nous sommes enseignez, que quand Dieu escrira des amertumes contre nous, c'est à dire, qu'il nous monstrera tous signes de rigueur, qu'il nous declarera que nous luy sommes detestables: si ne faut-il point que nous pensions avoir rien gaigné en nous plaignant. Car nous en avons bien merité d'avantage, il nous faut tousiours revenir là. Et au reste, à quoy tient-il que Dieu escrit des amertumes contre nous, et qu'il n'use point de sa douceur, dont il a accoustumé d'user envers les siens? A quoy (di-ie) tient-il qu'il ne se monstre ainsi doux, sinon à nous, Car ce que Dieu nous presse de son iugement, c'est pource qu'il voit bien que nous avons necessité d'un tel remede et si violent. Et qu'ainsi soit, ce n'est point chose aisee d'humilier un homme qui est ainsi adonné à orgueil. Dieu donc escrira des amertumes contre nous, afin que nous soyons du tout confus: mais cependant si est-ce qu'il ne laissera point de nous recevoir à merci. Il est vray qu'il se cachera pour un temps, comme il s'est caché de Iob: comme il dira ci apres: Pourquoy est-ce que tu caches ta face? Hais notons, que quand Dieu aura ainsi caché sa face pour un peu de temps, il se monstrera benin et pitoyable envers nous: voire quand il cognoistra que cela nous sera propre. Il est vray qu'il differe, et nous laissera languir, mais il nous aidera en temps opportun.

Notons bien donc, que toutes fois et quantes que Dieu escrit contre nous des amertumes, c'est afin de nous adoucir puis apres le mal, comme son office est, quand il nous a mis au sepulchre de nous en retirer. Et ceux qui demeurent en condamnation, ne veulent point venir à la misericorde de Dieu, et à la redemption qu'il nous a acquise: et voila pourquoy ils en sont exclus. Cependant nous avons bien à remercier Dieu, quand nous voyons qu'estans dignes d'estre condamnez par luy, neantmoins nous son mes absous. Voila Dieu qui nous sollicite tous les iours: quand nous venons au sermon, il nous monstre quels nous sommes, et quels sont nos pechez et nos vices, il nous condamne

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et prononce iournellement beaucoup de sentences contre nous, tellement que nous ne pouvons ouvrir l'Escriture saincte, que là nous ne trouvions en chacun fueillet quelque condamnation. D'autre part nous ne pouvons pas couvrir nos vices, que Dieu ne nous monstre, voila une telle faute, voila un tel peché commis. Voila (di-ie) comme nostre Seigneur en fait. Mais nous a-il ainsi rendus confus en nos pechez? il nous monstre puis apres, qu'il nous veut estre propice au nom de nostre Seigneur Iesus Christ. Voila donc qui nous doit bien faire magnifier sa bonté. Et au reste, combien qu'il nous ramentoive nos vieux pechez, cognoissons qu'en cela il ne nous fait point de tort, que nous n'avons rien à repliquer contre lui: mais d'autant plus avons nous à le benir, quand nous voyons qu'apres nous avoir pardonné nos pechez anciens' tous les iours encores il nous reçoit à merci. En quel estat est ce que Dieu nous trouve quand nous sortons du ventre de la mere? Il est vrai qu'on n'apperçoit pas encores la malice qui est en nous: mais si est-ce que nous en avons la semence enclose, que nous sommes desia maudits, pource que nous sommes d'une race maudite et perverse. Or Dieu nous pardonne le peché originel, c'est à dire, celui que nous tirons de la racine du genre humain. Nous a-il pardonné ce peché là? Il nous pardonne les pechez de nostre enfance, et de nostre ieunesse: et puis sommes nous venus à l'aage de quarante, cinquante, et de soixante ans? Et bien ce sont tousiours plus de pechez pardonnez. Car Dieu ne se contente point encores de nous pardonner un peché que nous aurons commis il y a vingt ans: mais venons-nous devant lui pour un peché que nous aurons commis auiourd'hui? Il nous reçoit, il nous est propice. Quand donc nous voyons qu'il est tant tardif à ire, et si prompt à nous faire merci, helas! ne 'devons-nous point estre ravis pour le glorifier en sa misericorde? Voila comme quand nous lisons ce passage, nous devons estre admonnestez de ne point gronder à l'encontre de Dieu, s'il nous est aucunesfois trop amer et trop aspre: mais le prier qu'il adoucisse sa rigueur, et quand il l'aura adoucie, que par cela nous soyons tant plus incitez à venir à lui.

En la fin Iob adiouste ce que nous avons dit. Que Dieu le tient aux ceps, et qu'il a ses talons (qu'il appelle la racine de ses pieds) comme imprimez dedans. Le voila (dit-il) comme un arbre pourri, et une robbe mangee de tignes: il parle en tierce personne, Et que sera-ce donc quand tu voudras poursuivre un arbre pourri, et une robbe mangee de vermine? Nous voyons encores mieux ce que nous avons declaré par ci devant, de ce trouble qui estoit en lob. Car il a eu une telle patience, que toutes fois il a esté agité, et agité d'une telle

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sorte, qu'il se fasche et chagrine à l'encontre de Dieu: nous voyons cela, quand il se plaint d'estre mis aux ceps, d'estre comme enserre. Or notons qu'il nous en adviendra bien autant pour le moins. Car nous n'avons pas si bien profite en l'escole de Dieu, qu'avoit ce sainct homme. En nos afflictions donc nous pourrons estre tormentez en sorte, que l'impatience se descouvrira, encores que nous ayons un vrai desir de nous tenir subiets sous la main de Dieu. Et pourtant que nous ayons tousiours ce but devant les yeux, de ne nous point lascher la

bride, pour nous eslever à l'encontre de Dieu, quand il nous semblera qu'il passe mesure en nous affligeant: car il cognoist nostre portee, il ne nous pressera point plus qu'il cognoist que nous le pourrons porter. Et pourtant ne perdons point courage: mais demandons à Dieu, qu'en nos infirmitez il nous fortifie tellement par son S. Esprit, que nous surmontions toutes les tentations, desquelles nous pourrons estre esbranlez pour un temps.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE CINQUANTETROISIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XIV. CHAPITRE.

1. L'homme né de la femme court en iours, est soulé de troublemens. 2. Il sort comme une fleur, il est couppé, et s'enfuit comme une ombre, et n'a point d'arrest. 3. Et tu viens mettre tes yeux sur un tel, pour m'appeler en cause. 4. Qui est-ce qui produira une chose nette d'immondicité? Il n'y en a pas un seul.

Nous vismes hier comme il nous est licite de mettre en avant nostre fragilité, c'est en priant Dieu qu'il luy plaise d'avoir pitié de nous. Car de fait, voila qui l'esmeut à misericorde, quand il cognoist que nous sommes si miserables que rien plus. Mais cependant (comme il fut dit) nous avons à nous garder de murmurer quand nous venons à Dieu: il ne faut point que nous lui facions des plaintes, pour alleguer nostre bon droit: mais seulement tendons à ceste fin, qu'il nous soit pitoyable. Or Iob n'y a pas du tout ainsi procedé. Et voila pourquoi le sainct Esprit nous met ici les complaintes que Iob a faites, afin que nous n'ensuivions point ce qui est à condamner en lui. En ce passage il y a de belles sentences et qui tendent à une bonne fin: mais le moyen n'est pas du tout bon, et ne peut estre approuve. Ici Iob parle de la condition des hommes quelle elle est: L'homme (dit-il) a une vie brefve et caduque. Voila un Item.

Et qu'ainsi soit, il le conferme par similitudes. Car il sort comme une fleur (dit-il) il est couppé, il est flestri, et seche, et s'esvanouit comme une ombre qui n'a nul arrest. Nous voyons donc quelle est la brieveté de la vie humaine: c'est autant comme

une fleur qui est incontinent sechee, ou une ombre qui passe et s'escoule. Et cependant encores il y a (dit-il) que ceste vie est pleine de troubles, et d'inquietudes, que ce peu que nous sommes au monde nous ne cessons d'estre tormentez, d'estre picquez de beaucoup de fascheries, tellement quo nous n'avons nul repos: nostre condition est ainsi miserable en soi, de fait nous le voyons. Nous avons bien donc à prier Dieu, attendu la briefveté de nostre vie, attendu que nous sommes aussi pleins de troubles et d'inquietudes, qu'il ne veut point user de si grande rigueur sur nous, mais qu'il nous supporte, afin que nous ne soyons point pressez outre mesure. Voila ce qui nous est licite de faire. Or Iob passe plus outre: et en cela nous voyons l'excez qui est à condamner. Voire (dit-il) dois-tu ietter ton regard et ta veuë sur une pauvre creature, quand elle est ainsi caduque, qu'il n'y a que toute povrete? Et pourquoi t'adresses-tu là, pour me prendre en cause? suis-ie une partie qui te soit pareille? Nous voyons que Iob, sous ombre de son infirmité, voudroit n'estre point affligé de Dieu: non pas qu'il ait eu ceste resolution-la toute prinse et conclue: mais il nous monstre quelles sont les passions qui nous tormentent, et ausquelles nous avons à resister, comme aussi il y a bien resisté, mais cependant si ne laisse-il pas de declarer comme il a esté agité de beaucoup de mauvaises pensees: comme chacun de nous l'experimente en soi. Or consequemment il adiouste encores une sentence: car on pourroit replicquer là dessus, Que Dieu non sans cause afflige les hommes, d'autant qu'ils sont pecheurs. Et que ferons-nous à cela?

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(dit il) car nous sommes sortis d'une masse corrompue et mauvaise, et comment serions-nous purs et nets? Il ne se faut point esbahir si nous sommes pleins de souilleure. Car de quelle source sommes-nous venus? Il semble bien a ouyr parler lob, que les hommes doivent estre excusez, a cause que le peché est en eux do nature: mais tant s'en faut que cela doive valoir pour alleger nostre mal, que tant plus sommes-nous coulpables. Quand nous entrons en ce monde, desia nous sommes ennemis de Dieu, il n'y a que malice et rebellion en nous, il n'y a que semence de peché. Venons-nous en aage? Le mal croist et s'augmente: il n'y a pas une seule goutte de bien. Concluons donc, que les hommes quand ils diront, qu'ils naissent pleins de pollutions, doivent tant plus estre maudits et reiettez de Dieu. Nous voyons donc encores ici une autre passion vicieuse en Iob, et laquelle nous est recitee par le sainct Esprit, afin que nous en sachions faire nostre profit, quand nous aurons consideré quelle est nostre nature.

Or maintenant puis que nous savons en somme l'intention de Iob, regardons quelle instruction cet contenue en ce passage, quand il est dit, Que l'homme est de courte vie: et cependant qu'il est soulé de troublemens. Par cela nous sommes instruits en premier lieu, de ne nous point par trop arrester au monde, veu que nous ne faisons qu'y passer. Or ceci est assez commun: mais tant y a que nous ne le concevons pas comme il seroit requis. Et qu'ainsi soit, combien que nous n'ayons quo trois iours à estre ici, encores ne nous peut-on desvelopper des affections et solicitudes de ceste vie presente, qui est caduque et transitoire. Un homme ne pensera iamais avoir assez de biens: celui qui veut parvenir à quelque honneur, machine et pratique de costé et d'autre: bref, c'est un abysme et un gouffre insatiable que l'homme, tellement qu'il n'est question de se contenter de toutes choses de la terre, il n'y a ne fin ne mesure en lui. Et qui en est cause? Or si nous pensions à la brefveté de nostre vie, il est certain que nos cupiditez seroyent attrempees, que nos appetis ne seroyent point ainsi bouillans: quand (di-ie) nous pourrions cognoistre que ce n'est rien de nostre vie. Mais cependant nous sommes si aspres pour amasser des biens, et ceci et cela, que nous ne pensons à autre chose. Et qui en est cause? Nous pensons tousiours ici bas. Et ainsi nous voyons que ceste confession qu'un chacun fait, n'est que pure hypocrisie et mensonge, c'est assavoir, que nostre vie n'est rien qu'une ombre qui passe tantost. La verité est bien tel]e, mais nous ne l'avons pas imprimee en nos coeurs, nous n'en sommes pas resolus. Ce n'est point donc une chose superflue, quand l'Escriture nous parle souventesfois que nostre vie n'est rien,

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qu'elle s'esvanovyt tantost: cognoissons que ce n'est point sans cause que ceci nous est ramentu et reduit en memoire, d'autant que nous le mettons en oubli, et mesmes qu'il ne nous en demeure rien au coeur. Voila donc ce que nous avons a retenir en premier lieu. Et ce n'est point assez d'avoir cognu la brefveté de nostre vie, mais il faut que nous tendions puis apres plus loin. Car ce ne seroit sinon nous fascher quand nous aurons cognu que nous ne faisons que passer en ce monde, et que nostre aage s'escoule, n'estoit que nous eussions l'esperance de la vie à venir: car autrement nous serions plus miserables et plus mal-heureux que les bestes brutes. Pourtant nous avons à faire comparaison de la vie celeste, à laquelle Dieu nous appelle tous les iours: et en ce faisant, nous pourrons mespriser les choses basses et corruptibles de ce monde, nous n'y pourrons pas estre attachez comme nous sommes: et puis nous pourrons estre eslevez en haut, pour prendre là tout nostre contentement et repos. Il y a pour le second, que nous pourrons bien alleguer ceci à Dieu, toutes fois et quantes que nous demandons qu'il ait pitié de nous: car Dos miseres sont celles qui l'induisent à nous secourir et pourvoir à toutes nos necessitez. Voila l'infirmité et briefveté de la vie humaine. Or il y a aussi le troublement qui est mis. Et sous ce mot Iob a comprins toutes nos passions, desquelles nous sommes agitez, toutes les concupiscences et appetis desbordez, qui sont comme des tortures: car l'homme n'a pire bourreau que soi-mesme, d'autant qu'il s'afflige par ses passions desbordees. Si un homme est adonne à ambition, voila un feu qui est allumé en lui, qu'il lui semblera que iamais ne parviendra assez tost en credit et honneur: que si quelqu'un ne lui porte point honneur, le voila picqué: si un autre empesche qu'il ne soit exalté, voila une envie: bref, il ne faut sinon un seul appetit pour en engendrer en nous mille autres. Et ainsi donc' quand nous aurons conioint ces deux choses, nous aurons alors tant plus d'occasion de nous desplaire en ceste vie presente.

Il est vrai (comme i'ay desia touché) que ce propos n'est pas du tout estrange au monde (car nous en sommes tous convaincus par experience) mais si est-ce qu'un chacun y doit bien appliquer son estude toutes fois: ce n'est point sans cause que l'Escriture saincte en parle, disant que combien que l'homme viene iusques à quatre vingts ans ou plus, qu'il ne faut point que nous estimions cela grande longueur. Et pourquoi 't Cognoissons que c'est de nostre enfance. Nous avons vescu quelque espace de temps au monde, devant que nous soyns entrez vrayement en vie: car nous n'avions ne sens ne raison: et mesmes les ieunes gens, combien qu'ils ayent discretion du bien et du mal, si est-ce

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qu'ils sont comme desbordez, qu'ils s'esgayent, et n'y a nulle constance rassise en eux. Voila donc une partie de nostre aage qui se passe, et s'escoule devant que nous ayons commence à vivre, d'autant que nous ne savons que c'est. Car de fait, quand un homme ne cognoist point pourquoi il a esté creé de Dieu, qu'il n'a pas cest advis en soy de cognoistre à quelle fin il a esté mis au monde, ie vous prie, lui doit-on attribuer vie, à proprement parler? Car il n'y a qu'une cognoissance confuse. Or sommes-nous venus en cest aage moyen? Nous voyons qu'alors les solicitudes croissent tant - plus. Car si un homme a quelque regard, il pense, I'ay esté iusques ici volage. i'ay tant folastré que rien plus, et maintenant comment recouvrerai-ie le temps perdu? Il sera bien difficile. Apres, si un homme est chargé d'enfans, il pense, Or ça, il no reste plus sinon que ie pense à mettre ordre à mon cas, et encores n'y pourrai-ie venir à temps que ie ne soye incontinent ravi. Voila donc les sollicitudes qui commencent à gehenner les hommes. Or est-on approché de cinquante ans ? On diroit qu'on voit la mort qui nous adiourne tous les iours. Encores qu'il n'y ait point de maladies qui nous assaillent, si voit-on bien que nous sommes prochains de nostre fin. Est-ce venu à l'aage de quatre vingts ans ? On voit le sepulchre prochain, que ce n'est plus quasi une vie: car un homme sera troublé à cause qu'il se voit inutile au monde, il se voit en charge, et s'il apporte beaucoup de molesties, et s'il est fascheux aux autres, encores plus à lui. Ce n'est point donc sans cause que cela nous est remonstré. Et pourquoy? Comme i'ay desia dit, nous estimons un an en ce monde, plus que nous ne devrions faire cent: et puis nous ne regardons pas comme nostre vie est mal conduite, quand elle ne se rapporte point à son droit usage. D'autant plus donc nous faut-il bien penser à telles sentences et admonitions, c'est assavoir, que l'homme nay de femme est d'une vie bien brefve et courte. Mais pour bien comprendre ceste brefveté, il faut aussi que nous conioignions les troubles qui y sont. Car prenons le cas que nostre vie fust plus longue, encores que nous y soyons ainsi tormentez: quelle occasion avons-nous de nous y plaire ainsi? Plustost ne devons-nous point cercher le repos, qui nous est appresté au ciel? Et cependant nous avons aussi à noter d'oh ces troubles ici nous viennent, c'est assavoir, de nos mauvaises affections: car si nous estions seulement troublez d'ailleurs, et que cependant nous eussions repos en nous-mesmes, voire et que nous l'eussions à la verité: nous pourrions-nous plaindre de ce que nous ne serions point paisibles, que ceste vie presente n'auroit point son cours, et qu'elle n'iroit pas son train? Mais quand chacun est son bourreau (comme i'ay desia dit) et

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que nos cupiditez, et nos passions, et nos appetis nous sont cause d'inquietude, et que nous en sommes faschez, à qui dresserons-nous nos complaintes ou contre qui? Apprenons clone quand nous aurons tout consideré, qu'il ne faut point que nous venions accuser Dieu, n'intenter procez contre lui: mais seulement nous avons à nous desplaire: car voila la conclusion à laquelle il nous faut revenir, cognoissans la brefveté de nostre vie, de demeurer là confus quand nous y pensons.

Toutes fois cela est encores mieux exprimé en ce qui s'ensuit, quand il est dit, qui est-ce qui fera pur et net ce qui est sorti de immondicité, ou de pollution? Or par ceste sentence nous sommes advertis que tous les maux que nous endurons, procedent de la corruption de la nature humaine. Et pour bien comprendre ceste doctrine, notons que quand on parle de 'homme, et de ce qui est en lui, qu'il n'est point question de l'oeuvre de Dieu: car Adam a esté creé tout autre, que nous ne sommes pas auiourd'hui. Nous sommes decheus de ce degré auquel Dieu avoit constitué Adam, et en sa personne tout le genre humain. Adam a esté creé à l'image de Dieu, doué de graces excellentes, et mesmes il n'estoit pas subiet à la mort. Car ceste image de Dieu qu'emporte-elle? Une droiture, une iustice et integrité, que Dieu avoit là desployé ses grans thresors, tellement qu'en somme l'homme estoit comme un miroir de ceste gloire excellente qui reluit pleinement en Dieu. Or par le peché nous sommes alienez de toutes ces graces, nous sommes bannis du royaume de Dieu: et d'autant qu'il nous a reiettez, nous sommes aussi destituez de la vie, dont il est la source et fontaine. Car oh est-ce que gist perfection de tous biens, sinon en Dieu seul? Estans donc retranchez d'avec lui, il faut bien conclure que nous sommes en toutes miseres, voire en la mort. Or ie di, que cela ne procede point de nostre creation, mais de ce que nous sommes destituez du bien que Dieu nous avoit donné, maintenant nous ne l'avons plus. Et comment en sommes-nous privez? Par le peché. Maintenant on pourroit ici faire une question: Il semble que Iob note, que la cause de nostre incredulité, et de tous les pechez et vices qui sont en nous, c'est d'autant que nous sommes sortis et descendus de ceste race d'Adam: et nous ne sortons pas de la race d'Adam sinon quant au corps. Le peché oh habite-il? Oh a-il son siege propre? En l'ame. Or que les ames descendant ainsi de la race et lignee d'Adam, il n'y a nulle apparence ne raison. Il semble donc quo Iob n'argue pas bien. Mais nous avons a observer, que comme Dieu en la personne d'Adam avoit creé à son image tout le genre humain: ainsi Adam par le peché n'est pas seulement privé et banni des graces qui lui estoient conferees:

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mais tout son lignage par consequent. Et d'où procede cela? Pource que nous estions tous enclos en sa personne, selon la volonté de Dieu. Il ne faut point ici disputer par raisons naturelles, pour savoir si ainsi est, ou non: il nous faut cognoistre que telle a esté la volonté de Dieu, de donner à nostre premier pere ce qu'il vouloit que nous eussions: et quand il lui a esté osté, nous avons esté en une mesme ruine et contusion avec lui. Regardons donc à ce iugement de Dieu, arrestons-nous là, et ne croyons point à nostre sens et fantasie. Voila ce que nous avons à retenir en bref.

Vrai est que ceste matiere se pourroit bien deduire plus au long: mais c'est bien assez que nous entendions en trois mots ce qui est le principal, qui est de mediter ce qui est ici contenu, c'est assavoir, qu'il ne se faut point esbahir si les hommes sont pleins de souilleure, et qu'il n'y a que puantise en eux. Et pourquoy? Car ils sont prins d'une masse corrompue, il n'y en a pas donc un seul, qui ne se trouve tel. Vray est que Iesus Christ, combien qu'il ait esté vray homme, a esté exempté de toutes nos pollutions: mais c'est pource qu'il a este conceu du sainct Esprit. Notamment Dieu a ordonné que nostre Seigneur Iesus Christ fust conceu de la vertu d'enhaut. Et pourquoi? Afin que ceste souilleure d'Adam ne parvinst point iusques à lui, et qu'il n'en fust point entaché. Mais quand nous sommes conceus, voire par l'ordre humain et commun à nature, nous sommes subiets à ceste corruption: excépté nostre Seigneur Iesus Christ, il est impossible qu'en trouve creature mortelle, qui ne soit pleine de toute iniquité. Et pourquoi? Car regardons d'où nous sommes sortis. Ainsi maintenant nous avons à reduire en memoire ce qui a esté touché c'est assavoir, comme nous devons alleguer à Dieu la brefveté de nostre vie et les miseres ausquelles elle est subiette, c'est assavoir, afin qu'il ait pitié de nous, et non point pour murmurer contre lui. Mais cependant nous avons aussi à nous desplaire en nostre vie. Et c'est ce que i'ai desia touché, que si nous cognoissions bien que nostre vie est si caduque, et que nous pensissions aux povretez dont elle est pleine, et comme farcie, nous n'y serions pas ainsi adonnez comme nous sommes: mais voila pourquoi il nous faut tant mieux resveiller. Toutes fois nous avons ici à tenir mesure. Car il y a bien eu des Payens qui ont cognu à la verité ce qui est ici dit, et ont eu une telle persuasion, qu'ils se sont faschez et despleus de vivre au monde, et mesmes nous en voyons qui se sont tuez. Et comment cela? Ils voyoyent bien les miseres qui sont ici. Or il ne faut pas que nous venions à une telle extremité. Quoi donc? Quand nous pensons que nostre vie

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s'escoule en un moment, regardons d'où cela procede, c'est assavoir, du peché. Car nous n'avons point esté creez à telle condition, que la mort dominast sur nous: cela est survenu de nostre pere, tellement que nous en sommes tons coulpables. Il faut donc entrer en ceste cognoissance du peché originel, quand il nous est parlé de la brefveté de nostre vie. Et puis, d'où viennent tant de miseres qui nous environnent, sinon d'autant que nous sommes bannis du royaume de Dieu, où gist toute nostre felicité? Nous sommes donc miserables estans separez de Dieu. Or c'est à cause de nos pechez, il faut tousiours retourner là. Quand nous aurons apprins de nous accuser ainsi, nous ne ferons pas comme ceux qui murmurent contre Dieu. Comment? disent-ils, On voit les hommes qui sont comme chef-d'oeuvre de toutes les creatures de Dieu: il a ici voulu monstrer plus d'excellence beaucoup et de dignité qu'en tout le reste: et cependant qu'ils soyent tormentez tant et plus? Et qu'est-ce que cela veut dire? Voila donc beaucoup de gens prophanes qui ont prins occasion de murmurer contre Dieu, comme s'il avoit mis l'homme sur un eschaffaut, afin de l'exposer en moquerie et opprobre, combien qu'il semble que ce soit la plus noble creature de toutes. Or quand nous aurons cognu, que tous les maux ausquels nous sommes subiets, procedent de nostre vice, et que nous en sommes coulpables: alors nous aurons la bouche close, que nous n'entreprendrons plus de murmurer contre Dieu. Voila pour un Item.

Mais encores ce n'est pas assez: car si nous ne regardons au remede que Dieu nous a donné il n'y a doute que nous serons transportez d'un tel desespoir, que nous ne pourrons sinon blasphemer Dieu. Et de fait, ceux qui se sont meurtris eux-mesmes, il est certain que ç'a este comme en despitant Dieu. Et pourquoi ? Encores qu'ils cognussent qu'ils estoyent coulpables de leurs miseres, ils n'ont rien eu pour adoucir leurs tristesses et fascheries. Si donc nous ne voulons tomber en desespoir, regardons à ce qui nous peut adoucir toutes nos angoisses. Pour exemple: en premier lieu, combien que nostre vie soit miserable, si est-ce neantmoins que Dieu nous y fait gouster sa bouté en tant de sortes, que nous pouvons conclure que nous sommes bien-heureux, d'autant qu'il nous fait participans de ses benefices. Nostre vie est brefve: mais elle n'est pas si brefve, que Dieu ne nous donne le loisir de cognoistre qu'il est nostre Pere et Sauveur, et de gouster quelle est sa vertu en nous, et qu'il nous appelle à soy. Quand nous n'aurions ce bien-la que pour un quart d'heure, et que la iouissance n'en dureroit point plus: ie vous prie, ne devons-nous pas priser un tel bien? Et puis. combien que nous avons froid et chaud. une

SERMON LIII

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nous ayons faim et soif, que nous soyons persecutez en beaucoup de sortes, qu'outre les maux qui nous viennent d'ailleurs, là dedans nous en ayons un abysme, comme nous avons tant de tentations qui nous adviennent: et bien, voila beaucoup de fascheries: mais si est-ce que cependant Dieu nous donne quelque goust de sa misericorde, quand nous voyons qu'il nous supporte, et que s'il lui plaist nous affliger, ou il nous donne patience, ou il modere sa rigueur, tellement que tousiours nous sentons sa bouté. Quand donc parmi les troubles et inquietudes de ce monde nous avons quelque occasion de nous consoler, et nous resiouir en Dieu, ne voila point une recompense qui nous doit bien suffire? Nous complaindrons nous maintenant de ce que Dieu nous a mis au monde? N'avons-nous pas plustost dequoi le benir et le glorifier? Notons bien donc qu'il nous faut garder de tomber en ceste extremité-là, de dire, L'homme est malheureux, qu'il vaudroit mieux que iamais il ne nasquist, que d'estre ainsi tormenté au monde. Si nous n'avons ceste consideration-la, il est certain que nous demeurerons confus. Que faut-il donc? Que nous conioignions les deux ensemble, pour dire, Helas! et qu'est-ce de la vie presente? Car nous n'y sommes pas entrez, que nous sommes desia expirez. N'avons-nous demeuré que quelque temps? nous ne voyons devant nos yeux que toutes miseres, non seulement le sepulchre nous assiege de tous costez, mais il vaudroit mieux mourir d'une espece de mort, que d'estre ainsi assaillis d'un million: et puis quand nous aurons passé par tant de fascheries, nous ne ferons en somme que languir. Quand donc nous aurons bien pensé en nostre condition, nous aurons bien occasion de nous desplaire en ce monde, à cause que tous les maux que nous endurons procedent de nos pechez. Mais quoy? Si est-ce que cependant il nous y fait sentir sa bouté, et ne veut point que nous soyons tellement accablez d'angoisse, que nous n'ayons dequoi nous resiouyr en lui. Et an reste quand il nous monstre, que nous sommes seulement pelerins en ce monde, et que nos maux ne dureront pas tousiours: la brefveté de ceste vie ne nous doit pas fascher alors, mals plustost consoler. Et comment? Car ceux qui s'arrestent à ceste phantasie, pour dire, Et quoy? Qu'est-ce lu` de la vie humaine? Il ne faut que tourner la main et la voila aneantie. Ceux qui s'attachent là, ils se despitent, Faut-il que nous vivions si peu te temps? Dieu s'est-il moqué de nous, pour dire, Retournez incontinent à moi? Et ne nous pouvoit-il pas donner une vie plus longue, ou que nous cognussions pour le moins quel est le terme de nostre vie? Mais nous n'avons pas un iour de bon temps: car nostre vie est pendante d'un filet, la mort est tousiours entre nos dents.

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Voila (di-ie) où en sont ceux qui s'attachent du tout, et s'arrestent à la brefveté de la vie humaine. Mais que nous cognoissions, Or ca, Dieu ne veut pas que nous languissions ici tousiours: il est vrai que nous y sommes suiets à beaucoup de povretez, en sorte que celui qui cognoist bien sa condition, doit tousiours gemir et souspirer cependant qu'il est au monde: mais Dieu y a mis fin, et quand il nous appelle à soy, voila un bon repos et seur. Il n'est point question là que nous ayons une vie egale à Ceste-ci en longueur de temps: mais Dieu nous fait participans de sa vie propre, qui est immortelle. Et pourtant consolons-nous quand nous avons dequoi nous reslouir en la brefveté de nostre vie, que nous avons matière d'estre patiens, et de ne nous point fascher par trop. Et pourquoi? Car si nous avons ceste esperance de la vie celeste, alors nous cognoistrons que ce monde n'est rien. Et si nous y sommes quelquesfois faschez, et bien, nous gemirons, mais il y aura consolation quant et quant, pou ce que nous serons certains que Dieu nous amenera à une bonne fin, quand il nous recueillira à son repos eternel. Voila donc comme nous avons à noter ceste doctrine, si nous en voulons bien faire nostre profit.

Au reste, quand nous voyons que les hommes sont ainsi agitez d'inquietude, et qu'eux-mesmes se tourmentent de leurs propres passions et cupiditez: d'autant plus avons-nous à brider nos passions charnelles. Car qui est celui de nous qui ne desire d'estre en paix? Nous confesserons bien que quand nous aurions toutes choses à souhait, toutes fois si nous-nous troublons en nous, voila une fascherie si grande que tout le reste ne nous est plus rien: nous confesserons cela. Or où est-ce que gist nostre paix? C'est quand nous regarderons à Dieu, et qu'estans appuyez en l'amour qu'il nous porte, voire ceste amour gratuite, nous recognoistrons que nous sommes tousiours mal-heureux, iusques à tant qu'il nous reçoive à soy: et au reste, que nous tendrons à lui et à son royaume, n'ayans nos coeurs arrestez en ces choses corruptibles. Voila où gist la paix des hommes. Mais au lieu de cela, il semble que nous voulions faire la guerre à Dieu, afin qu'il se leve contre nous et qu'il nous face sentir quel ennemi nous aurons quand il faut qu'il nous assaille. Et pourtant qu'un chacun advise de restraindre la bride à ses passions et appetits: car si nous venons comme bestes sauvages nous eslever à l'encontre de nostre Dieu, ne faut-il pas que nous soyons plus qu'insensez? Meditons bien donc ce qui est ici dit touchant du trouble qui est en la vie humaine: que nous y pensions tellement que cela nous serve de moderer et corriger tous nos mauvais appetits, lesquels nous poussent et incitent à tout mal. Voila donc en quelle sorte nous avons à prattiquer ceste

IOB chap. X IV.

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doctrine, pour en recevoir bonne instruction et utile pour nostre salut.

Sur tout quant à ce poinct où il est dit, Que nul ne fera pur et net ce qui est sort d'immondicité et pollution, notons bien qu'ici nostre Seigneur nous a voulu mettre en confusion, afin que nous n'ayons rien dequoy nous glorifier, sinon en lui seul, et en sa pure bouté. Or il est besoin que les hommes soyent ainsi diffamez, d'autant qu'ils se bandent les yeux, et se font à croire qu'il y a beaucoup de dignité en eux. Nous voyons que le diable n'a cesse de tousiours obscurcir ce qui est contenu en l'Escriture saincte, touchant ceste corruption qui est aux hommes. Il y a eu des heretiques assez, qui ont voulu faire à croire, que le peché originel n'estoit rien, sinon entant que nous suivons Adam de nostre volonté propre Et bien, Dieu n'a point voulu que ceux-la gagnassent du tout. Mais encores en la Papauté en a fore le franc arbitre, en a basti des vertus morales: la raison est là mise en avant. Et à quelle fin tend tout cela, sinon à ce que les hommes se plaisent, et qu'ils cuident avoir quelque bien en eux ? Non pas qu'en ose dire que l'homme est suffisant pour se sauver. Car en confessera en la Papauté que nous aurons besoin de la grace de Dieu, non seulement à ce qu'il nous pardonne nos pechez, mais qu'il nous aide de son S. Esprit. Cependant toutes fois, ce n'est pas qu'ils disent que tout procede de lui. Les Papistes ne confesseront pas cela: mais ils disent, qu'ayans quelque portion de bien, nous avons besoin que Dieu nous subviene. Voila donc Dieu qui sera coadiuteur: c'est dire, il nous aidera en nos infirmitez, mais il faut que de nostre part nous soyons ses compagnons. Le diable a tellement ensorcelé les hommes, qu'il leur a fait à croire, qu'ils sont ici ie ne say quoy: mais cependant nous voyons aussi quant à ce monde comme les hommes se plaisent. Ceux qui ont quelque esprit, quelque savoir, commet est-ce qu'ils s'eslevent? Ceux qui sont en credit et autorité ne sont-ils pas comme des idoles qui s'adorent eux-mesmes? Bref, il ne faut rien aux hommes pour leur persuader qu'ils ont grande dignité en eux: et encores qu'en ne le leur dise point, si est-ce qu'un chacun se forge, et se bastit beaucoup de mensonges, et se trompe: et Si puis apres il y a des flatteries, nous les recevons tant aisement que rien plus, c'est tout succre. Il faut donc que Dieu frappe à grans coups de massues sur nos testes, afin de nous humilier: car s'il nous laissoit pour tels que nous sommes, l'orgueil demeureroit tousiours en nous, et ne pourrions l ployer le col, iamais ne confesserions la dette, comme en dit. Voila pourquoi le sainct Esprit nous parle de ceste pollution qui est en nous de nature, comme quand David au Pseaume 51 (v. 7)

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dit, Qu'il a este conceu en peché, que sa. mere l'a conceu en iniquité: il n'accuse point ni pere ni mere, il passe condamnation pour soy, comme s'il disoit, Que des sa naissance il a esté pollu devant Dieu.

Or cependant nous voyons comme Iob en ses premieres passions a esté tellement transporté qu'il a appliqué ceci à l'opposite. Pourquoi est-ce qu'il dit, que ce qui est sorti de pollution ne pourra pas estre pur et net ? Il veut cercher quelque subterfuge, afin d'amoindrir la condamnation qui est sur tous hommes. Or c'est tout au rebours, comme nous voyons bien en ce passage que i'ay allegué de David: car David apres avoir cognu son peché estre si enorme, et par lequel il avoit offensé Dieu, ne se contente point de cela, mais il passe plus outre, Helas! Seigneur, ce n'est pas seulement en ma vie que i'ai failli, mais dés ma naissance i'ai apporté une possession de peché, tellement que depuis que ie suis nay en ce monde, i'ay tousiours augmenté de plus en plus le mai, duquel i'avoye la semence en moi. Voila donc comme David s'est proposé le peché originel, non point pour avoir quelque couleur de se iustifier devant Dieu, mais pour passer la condamnation en laquelle il estoit. Ainsi donc nous en faut-il faire quand nous parlons du peché originel: que ce ne soit point pour nous exempter du iugement de Dieu: ainsi que nous verrons des gaudisseurs qui diront, Et quand l'homme est ordonné a peché, qu'il est perverti de nature, qu'il n'y a qu'ignorance en lui, qu'il n'y a que rebellion contre Dieu, et que fera une povre creature? Et faut-il que Dieu nous viene condamner là dessus? Car de fait, combien que nous soyons ainsi miserables, si est-ce que nous n'avons nul subterfuge pourtant, et mesmes cela est pour aggraver tant plus nostre mal. Quand S. Paul dit (Eph. 2, 3), Que nous sommes enfans d'ire de nature, est ce qu'il vueille iustifier les hommes, à ce qu'ils ayent bonne cause contre Dieu, et que nos pechez ne nous soient point imputez, d'autant que nous en avons la racine en nostre nature? S. Paul ne pretend point cela, afin (dit-il Rom. 3, 19l) que toute chair soit confuse, et que toute bouche soit close devant Dieu. Voila donc où il nous faut venir, toutes fois et quantes qu'en nous parlera du peché originel: que de iour en iour nous entrions en examen pour cognoistre que nous avons offensé Dieu en tant de sortes, que nous avons merité la mort: et que nous disions, Helas! quand nous aurions amassé toutes les fautes que nous avons cognues, encores en y a-il une infinité d'avantage: car il est impossible que les hommes concoivent la centieme partie de tant d'offenses qu'ils ont commises contre Dieu. Mais outre cela que nous sommes nais en peché. nous y

SERMON LIV

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sommes tous confits, devant que nous ayons eu une telle discretion nous voila pecheurs devant Dieu. Quand donc nous penserons à cela, nous aurons dequoi nous humilier et donner gloire à Dieu.

Quand il dit, Qui est celui qui pourra faire sortir une chose pure et nette d'immondicité? par cela il nous monstre que les hommes sont bien enragez quand ils se font à croire qu'ils sont purs et nets Cognoissons donc que quant à nous, il ne nous reste sinon confusion et ruine, d'autant que nous sommes tant chargez d'iniquitez et de vices, que Dieu à bon droit nous peut reietter: toutes fois puis qu'il s'attribue oest office de nous laver et nous nettoyer de toutes nos macules, que nous ayons nostre refuge à lui: et sur tout d'autant qu'il nous a donné nostre Seigneur Iesus Christ, lequel a en soy toute pureté. Dieu voyant que nous estions ainsi pollus et infects, et que le chemin estoit trop long pour parvenir à lui là haut, nous a voulu donner en Iesus Christ une saincteté telle, que quand nous pourrons nous laver en son sang, nous serons purs et nets de toutes nos ordures. Quand donc nous aurons cognu de quelle masse nous sommes sortis, et qu'il n'y a que pollution en nos ames et en nos corps: venons prier à nostre Seigneur Iesus Christ, qu'il lui plaise de nous arrouser de son sang, qu'il lui plaise d'espandre sur nous ses eaux nettes, dont il est parlé en Ezechiel: c'est assavoir, que par son S. Esprit qui lui a esté donné en plenitude, nous soyons tellement lavez de iour en iour, que nous venions à la fin à ceste pureté qu'il nous a promise. Maintenant nous avons besoin de double purgation: l'une c'est, que Dieu nous pardonne nos fautes, voila comme nos macules seront lavees: l'autre c'est que par son S. Esprit il nous renouvelle, qu'il nous purge de toutes nos mauvaises affections et cupiditez. Or a-il fait cela pour un iour`, il faut qu'il continue tout le temps de nostre vie, iusques à ce qu'il nous ait amenez à ceste perfection à laquelle nous aspirons, et qu'il nous monstre que ce n'est point en vain que nous y avons esperé, et que nous ne serons point frustrez de nostre esperance, moyennant que nous nous y soyons attendus comme il le requiert.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

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LE CINQUANTEQUATRIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XIV. CHAPITRE.

5. Ses iours ne sont-ils point definis? Ie nombre de ses mois n'est-il point vers toy? N'en as-tu pas fait l'ordonnance, laquelle il ne passera point ? 6. Destourne toy de luy, et qu'il demeure à requoy, iusques à ce que son iour desiré viene, comme le iour du mercenaire. 7. Car l'esperance est en l'arbre qui est coupé, qu'il reverdira, et que ses surgeons reprendront. 8. Encores que la racine vieillisse, que son tronc soit desseché et mort, 9. Par vigueur d'eau il germera, et alors il iettera ainsi comme une plante. 10. Mais si l'homme defaut, qu'il expire, il ne sera plus. | 11. Comme si les eaux se retiroient de la mer, et I qu'une riviere passast: 12. Ainsi les hommes ne se relevent point: iusques à ce qu'il n'y ait plus de ciel, ils n'y pensent point, et ne se relevent point de leur somne.

Nous vismes hier la requeste que Iob faisoit à Dieu, à cause de l'infirmité de la vie humaine. La somme estoit, puis que l'homme est une creature ainsi fragile et caduque, qu'il ne semble point qu'il y ait raison que Dieu le doive poursuivre avec telle rigueur, et là desployer ses forces. Comme nous avons veu auparavant, il a declaré que la vie, qui estoit si courte, estoit encores plus miserable, et que en y e toit comme en tourmens continuels. Or maintenant il adiouste encores, que Dieu a la vie des hommes en sa main, que c'est lui qui a mis le terme, lequel ne se peut point passer. Si un homme vivoit pour bien peu de iours, et que Dieu ne l'eust pas ordonné, encores pourroit-on dire, Et bien, Dieu qui est offensé, ne peut porter qu'un peu de temps se passe, qu'il ne punisse ceux qui ont failli. Mais quand il a ordonné que nous vivions, et le tout sous son plaisir et conseil, et qu'il a marqué le dernier poinct de nostre vie, et qu'il veut que nous parvenions iusques là: puis qu'ainsi est (dit lob) qu'il ne puisse endurer que l'homme acheve son cours, et que son iour vienne comme d'un louanger, pourquoi ne me traite-il plus doucement

IOB CHAP. XIV.

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Or puis que nous sommes ainsi troublez d'inquietude en la vie presente, en peut bien dire que nous sommes semblables à quelqu'un qui seroit à iournee. Voila un homme qui travaille, et bien, pour gagner une piece d'argent il s'employe: mais quand le iour est passé il est à repos, il a son payement. ainsi en est-il, que nostre vie durant, pource qu'elle est suiette à tant de povretez, en espere que quand elle sera passee nous serons quites. Car la mort vient-elle ? c'est comme si nous avions achevé nostre tasche: il y a occasion de nous resiouir, d'autant que nous venons à repos. Voila donc quelle est l'intention de Iob. Mais cependant nous avons tousiours à noter ce qui a este dit, qu'il declare ici les passions qu'il a eues, que nos ne devons point les approuver, comme de fait Dieu les condamne. Et pourquoi sont-elles escrites ? En premier lieu afin que nous voyons que les plus parfaits, quand Dieu les afflige, combien qu'ils soient patiens, ne laissent pas d'avoir grande difficulté à batailler contre les passions de leur chair. Ne pensons point que Iob et ses semblables ayent esté de fer, ou gens insensibles: combien qu'il y ait eu une vertu singuliere en eux, combien qu'ils ayent mis peine d'obeir à Dieu: toutes fois ce n'a pas este sans contradiction, car il a falu qu'il ayent senti de merveilleux aiguillons en leur chair. Et quand ils ont resisté aux tentations, combien qu'ils en ayent esté victorieux, si est-ce que cependant il y a eu des tourbillons, et qu'ils ont esté agitez ça et là. Et c'est ce qui nous est ici declaré, afin que nous soyons tant plus sur nos gardes, et que nous prions Dieu qu'il nous fortifie, sachans bien qu'encores que nous eussions bon desir de l'honorer, nous serions tantost vaincus, n'estoit que nous fussions soustenus de sa main, qu'il nous donnast force d'enhaut, afin de batailler constamment Et puis nous sommes aussi admonnestez de ne point perdre courage: encores qu'il semble que nous defaillions, ne soyons point descouragez pour cela. Car les plus excellens qui furent iamais, ont bien esté ainsi affoiblis pour un temps: mais Dieu leur a assisté en sorte qu'ils sont venus à bout de tous leurs combats. Et Dieu nous donnera aussi une telle victoire, moyennant que nous l'invoquions, et que nous ne soyons point si fols de nous flatter en nos vices.

Au reste, regardons à quel usage nous devons appliquer ce qui est ici dit, Dieu a determiné le temps de la vie humaine. Et bien, est-ce pourtant que nous puissions dire qu'il nous doit laisser pour tels que nous sommes? et qu'il se doit deporter de nous? comme hier Iob disoit, Qu'il ne semble point qu'il y ait raison, que Dieu ouvre les yeux sur des creatures si povres: qu'il doit là laisser les hommes: car ils ne sont pas dignes qu'il s'attache à eux: car

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quelle vertu y a-il? Et bien, mais regardons si Dieu se deporte de nous, quel mesnage nous ferons? Ie di s'il ne nous conduit point pour nous redresser quand nous aurons failli. Si nous avons esté seulement un iour sans que Dieu nous visite nous sommes endormis en nos pechez: encores plus s'il nous a espargnez long temps. Comme nous voyons que les hommes estans en prosperité, ne cognoissent point qu'il y ait un Dieu qui iuge par dessus eux, ils ne veulent point estre retenus en ioug ni en bride, ou n'en peut venir à bout en façon que ce soit. Puis qu'ainsi est, si Dieu nous laissoit tout le temps de nostre vie, quelle rebellion y auroit-il? Comment ferions nous des chevaux eschappez? Il n'y auroit nul moyen de nous faire cognoistre quels nous sommes, afin de retourner à Dieu. Il faut donc le prier qu'il ait pitié de nous, et qu'il lui plaise de donter tellement toutes les cupiditez de nostre chair, que nous lui soyons dociles et obeissans. Ainsi donc notons bien, que Ç'a esté une passion excessive en Iob, alleguer qu'il seroit bon et convenable que Dieu laissast les hommes pour tels qu'ils sont, d'autant que leur vie est briefve et caduque, et d'autant que luy-mesme y a assigné un certain terme. Apres il est bien mestier, que Dieu veille sur nous, et qu'il nous regarde ainsi de pres, d'autant que nos pas ne sont point en nostre puissance. Et si ce n'estoit que nous fussions en sa protection, ie vous prie que deviendrions-nous? Car nous sommes assiegez de tant de morts, que c'est pitié. Ne faut-il pas donc que Dieu ait un soin paternel de nostre vie? Ainsi au lieu que Iob demande que Dieu se retire de lui, prions-le qu'il approche de nous, voire en deux sortes. La premiere est, que d'autant que nous ne vivons sinon en lui, et que nous ne sommes soustenus que par sa vertu, d'autant qu'il faut qu'il nous ait en sa garde pour nous maintenir: il lui plaise nous faire sentir sa presence, et que nous cognoissions qu'il est prochain de nous, afin de nous aider, et de nous secourir. Et au reste (qui est la seconde sorte) qu'il soit aussi prochain de nous, pour nous chastier quand il voit que nous sommes trop esgarez. Vrai est que nous le devons bien prier, qu'il use d'une telle douceur envers nous, que nous ne soyons point pressez plus que nous ne pouvons porter: mais cependant si avons-nous à le requerir, qu'il luy plaise de lever la main, quand il voit que nous avons besoin de quelque correction: car s'il nous laissoit là, ce seroit pour nous endormir, et nous rendre du tout stupides. Voila donc quant à ce poinct.

Mais sur tout nous avons bien à peser ce qui est ici dit, Que la vie de l'homme est determinee de Dieu, qu'il " le conte de nos mois entre ses mains, qu'il y a mis ordonnance qui ne se peut point passer.

SERMON LIV

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Or de là nous avons a prendre une grande consolation, d'autant que nostre vie est en la main de Dieu. Voila qui est cause que les hommes sont ainsi craintifs, et qu'ils n'osent pas remuer un doigt, que ce ne soit en tremblant, qu'il leur semble que ceci ou cela leur peut advenir: assavoir, qu'ils ne cognoissent point que Dieu les a en sa garde, que c'est à luy de les retirer de ce monde, comme il les y a creez. Car si cela nous estoit bien persuadé, il est certain que nous irions nostre train, que nous ne serions pas ainsi tourmentez comme nous sommes. D'autant plus donc nous faut-il bien priser ceste doctrine qui est ici contenue, c'est assavoir, que nos iours sont determinez de Dieu. Or il est vray que nous avons ici à tenir un moyen. Car combien que nous devions estre asseurez, puis que nostre vie est en la main de Dieu: si est-ce qu'il ne nous faut point estre temeraires, pour nous ietter à l'estourdie en quelque danger: mais nous faut cheminer prudemment selon que Dieu nous commande. Il y aura des phantastiques, lesquels oyans que les iours de l'homme sont contez, et que nous ne pouvons pas ni accourcir ni allonger nostre vie, d'autant quelle est en la main de Dieu, et à son bon plaisir: diront incontinent, Or bien, quand ie feray donc tout ce qui me viendra en la teste, c'est tout un: Celuy qui doit estre pendu, ne peut estre noyé: comme ce proverbe est en la Papauté. Et mesme ces desbauchez qui sont ici au milieu de nous, quand ils se veulent moquer de Dieu, encores en useront-ils: et pleust à Dieu qu'il ne fust pas tant commun, mais il est par trop: et en sait bien de qui ie parle. Ainsi donc voila ces contempteurs de Dieu, qui prendront occasion de dire, que nous pouvons bien clorre les yeux, et passer par feu et par eau, d'autant que Dieu a limité nos iours. Voire, mais ce n'est point à ceste occasion-la que l'Escriture en parle: Elle dit, Que Dieu nous ayant mis en ce monde, sait combien il nous y doit tenir: et que nous sommes en sa main, et qu'il faudra que nous partions d'ici bas toutes fois et quantes qu'il luy plaira: comme il en est parlé aussi bien au Pseaume nonantieme (v. 3). Et pourquoy cela nous est-il dit? Afin que nous apprenions de nous remettre entre les mains de Dieu. Et bien, Seigneur, puis qu'ainsi est que tu disposes de nous à ton bon plaisir, fay nous seulement la grace de vivre et de mourir selon ta bonne volonté, que nous n'appetions point de vivre plus qu'il te plaira, et que nostre vie aussi ne nous semble point trop longue quand tu nous y voudras tenir: et cependant que nous te servions pour employer le temps que tu nous as donné, attendu mesmes qu'il est si court. Et puis là dessus, Et bien Seigneur, puis que tu tiens nostre vie en ta main, et que cependant tu ne veux point que nous sachions

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quel en est le terme, cela est reserve à ton conseil: fay-nous la grace de cheminer en crainte et en solicitude. In nous as donné les moyens pour conserver este vie transitoire, tu nous as donné le boire et le manger: fay nous grace d'en user sobrement, et avec toute attrempance. Et puis, tu nous as donné les remedes: si nous sommes malades, tu ne veux point que nous soyons destituez de rien: fay nous donne la grace que nous ne demandions point de demeurer en ceste vie caduque, sinon afin de t'y servir et honorer. Ainsi Seigneur, nous cheminerons par tout où tu nous commandes. Suivant ce qui est dit au Pseaume nonante et unieme (v. 11), Que Dieu envoyera ses Anges pour nous garder, que nous ne chopperons point: et ne ferons de faux pas, voire cheminans en nos voyes, . c est à dire ne faisans point des chevaux eschappez, ne courans point çà et là, comme font ces desbauchez qui ne se veulent nullement assuiettir à Dieu. Quand donc nous demeurerons au chemin qu'il nous monstre, alors nous serons gardez de lui et de ses Anges.

Or cela fait, nous avons aussi à concevoir une hardiesse bonne et saincte, quand Dieu veut que nous entrions en quelque danger. Comme quoy? Auiourd'huy nous voyons quelle est la condition des povres Chrestiens: c'est assavoir, qu'ils sont comme brebis en la gueule des loups. Et si nous voulons prendre excuse de ne point servir Dieu, et ne point faire confession de nostre foy, d'autant que cela n'est point sans hazard de nostre vie: assavoir, si Dieu acceptera une excuse si frivole? Nenni. Et pourquoi? Il a nostre vie en sa main, fions-nous en lui qu'il la gardera ainsi qu'il est bon et fidele: s'il lui plaist que nous endurions, cela ne sera pas sans sa volonté, et alors il nous donnera force et vertu. Voila donc comme il nous faut appliquer à nostre usage ce qui est ici dit: ou autrement il nous en adviendra, comme nous voyons que beaucoup se retirent et quitent le service de Dieu d'autant qu'ils fuyent la croix. Et pourquoy cela? Leur incredulité en est cause, d'autant qu'ils ne cognoissent pas, ou pour le moins qu'ils ne sont pas vrayement persuadez que Dieu a assigné leur terme, et qu'ils ne le peuvent pas allonger quoy qu'ils facent. Car si nous avions ce poinct bien resolu, il est certain que nous serions plus hardis à nous employer, quand il seroit question de l'honneur de Dieu et de nostre devoir, selon qu'il est convenable chacun en son estat. Nous aurions (di-ie) une autre constance et magnanimité que nous n'avons point. Vray est que cela ne nous fera point temeraires, en sorte que nous allions cercher les dangers de nous-mesmes et sans propos. Mais si est-ce quand il sera besoin, que nous ne ferons nulle difficulté d'aller à la mort, puis

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qu'ainsi est que nous savons que les hommes (quoy qu'ils attentent et machinent sur nous) n'y pourroyent rien. Ainsi donc, d'autant que Ceste doctrine nous est utile, advisons de la bien mediter: et sur cela conclure (comme aussi nostre Seigneur Iesus Christ nous, monstre) que les cheveux de nostre teste sont contez, que Dieu nous tient tellement en sa garde, qu'il ne faut point que nous craignions que rien nous adviene sans son bon plaisir. Il est vray que Satan essaye tout ce qu'il peut: nous voyons d'autrepart les hommes qui cuident tout renverser, il leur semble qu'ils mesleront le ciel et la terre. Voire, mais quand ils auront fait tous leurs efforts, si est-ce qu'ils ne pourront venir à bout de nostre vie, si ce n'est que Dieu l'ait permis, et qu'il le vueille. Et comment pourrions-nous resister? Ainsi donc regardons seulement ce que Dieu demande de nous, regardons ce que nostre vocation et nostre devoir porte, et qu'un chacun s'employe fidelement, sachant que nous acheverons nostre course, voire d'autant que nous sommes en ]a main de Dieu. Voila ce que nous avons à. noter de ce passage.

Or apres que Iob a parlé ainsi, il adiouste, Q? il y a espérance pour un arbre: quand ?un arbre sera seché, encores peut-il reietter, et sur tout s'il a substance d'eau, il pourra verdoyer derechef. Mais de l'homme il n'y a point d'esperance semblable: quand il est mort (dit-il) c'en est fait: et pourtant Dieu doit avoir pitié d'une creature si povre. Ici de prime face en pourroit trouver estrange, que Iob oste toute esperance à l'homme quand il est trespassé Car il semble qu'il n'y ait ici nulle mention de la vie eternelle, comme si les ames mouroient avec le corps. Or notons en premier lieu, que quand Iob parle des hommes, il en parle en ses passions et tourments (comme desia nous avons veu) et puis il ne regarde qu'à ceste vie presente: comme quand nous serons pressez de quelque mal, nous ne pensons qu'à cela. Si nous sommes en este, et qu'il face grand chaud, il nous semble que c'est la chose la plus desirable et saine qui soit, que de geler. Et pourquoi? Pource que nous sommes preoccupez de ceste passion qui nous presse et nous tormente Ainsi donc Iob d'autant que Dieu le pressoit, ne regarde sinon de sortir des afflictions presentes: et quant à l'esperance de la vie à venir, il n'y regarde point. Et en cela voit-on que c'est des hommes' quand ils sont ainsi troublez du mal, sinon que Dieu les releve et qu'il les fortifie. Vray est que Iob ne peut estre accuse là., comme s'il concluoit que Dieu exterminast les hommes du tout, quand il les retire de la terre. Iob (di-ie) n'a point eu ceste conclusion finale. Mais cependant notons qu'il a este tellement esbloui en ses passions, que cecy pour lors ne luy est pas venu au devant, que

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l'homme apres sa mort persiste en Dieu, et qu'il a une vie cachée, et que ceste vie-la a une bonne semence, afin que nous soyons pleinement restaurez en une perfection, de laquelle nous sommes maintenant bien loin: cest assavoir, en su gloire celeste et en son immortalité glorieuse. Iob donc n'a pas eu ceste apprehension-la, voire pour s'y arrester, mais pour un temps il a este esbloui en ses passions. Et pourtant nous avons à regarder a nous, afin d'estre tant plus sur nos gardes, comme nous avons dit. Ainsi en est-il du reste de ces propos. Voila Iob qui cognoissoit bien que Dieu fait une grace singuliere aux hommes quand il les visite. Quand on luy eust demandé, Et quoy ? n'est-ce pas un grand honneur que Dieu nous fait, veu que nous ne sommes que povres charongnes, qu'il daigne bien encore, ietter l'oeil sur nous, et que si nous avons failli il nous chastie comme un pere ses enfans? lob eust respondu, Ouy. Mais cependant il ne peut pas du premier coup apprehender cela, afin de resister à ses passions: mais il faut qu'il soit tormenté, et qu'il y ait de la difficulté grande. D'autant plus donc devons-nous recourir a cest advertissement, Helas Seigneur! nous sommes d'une. vie si brefve et caduque, il n'y a que toute ordure et corruption en nous, et cependant encores De nous mets-tu point en oubli. Valons nous que tu nous regardes? Sommes-nous dignes que tu nous visites ? Helas ! non Seigneur. Car les Anges de paradis mesmes n'ont pas une telle dignité: et comment l'aurions-nous attendu que nous ne sommes que pourriture et infection? Mais quoy? Par ta bouté infinie tu nous veux estre prochain et familier, tu nous regardes en pitié: et quand nous avons failli, au lieu de nous plaquer là, encores tu nous retires à toy, et essayes tous les moyens pour nous amener à repentance. Et Seigneur, quelle bouté est cecy ? Voila comme nous avons à dire.

C'est de mesme aussi en ce present passage pour en bien faire nostre profit. Car si les hommes en eux-mesmes n'ont nulle vertu, et qu'ils ne puissent point verdoyer derechef, ni reietter quelques branches : comme feront les arbres qui auront quelque racine en terre: mais qu'il s'en aillent du tout en pourriture? cognoissons le bien que Dieu nous fait, quand il luy plaist de preserver nostre vie selon l'ordre commun de nature, et aussi qu'il la garde là haut cachee, en sorte qu'elle sera manifestee en temps opportun. Cognoissons donc que c'est un privilege inestimable que cestui-cy. Mais pour mieux comprendre ceste doctrine, notons en premier lieu que les hommes, combien qu'ils soyent immortels, toutes fois n'ont point cela de leur vertu. Car ce n'est point sans cause que sainct Paul (1. Tim. 6. 16, ) attribue ce titre a Dieu

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specialement, qu'il est immortel, et que lui seul a immortalité. Et que sera-ce donc des Anges? Et que sera-ce donc des hommes? Sont ils mortels comme les bestes brutes? Il est certain que nous sentons bien que Dieu inspire vertu à nos ames. Voila donc comme nous avons d'ailleurs, et comme d'emprunt, Ceste vie spirituelle. Or ce n'est pas tout. Car combien que nos ames ne s'en aillent point à neant, et en pourriture comme le corps: si est-ce qu'estans alienees de Dieu, elles sont en une mort beaucoup plus horrible, que si elles estoyent du tout aneanties. Nostre condition seroit meilleure si nous perissions du tout, que d'estre separez de Dieu, et le sentir contraire à nous. Il faut donc que Dieu nous donne encores une autre vie, c'est qu'il nous conioigne à soy par la grace de son sainct Esprit, que mesmes il vive en nous, et qu'il y regne. Quand nous aurons cela, c'est le principal bien, auquel nous puissions nous esiouir. Or cependant, Dieu besongne d'une façon estrange et qui n'est point cognue du sens humain. Car regardons quelle est la condition des fideles cependant qu'ils vivent au monde, non seulement ils sont egaux aux incredules, mais ils sont encores plus povres et plus miserables. Car si en regarde les enfans de Dieu, en trouvera qu'ils sont affligez qu'il semble qu'ils doivent estre retranchez du genre humain, comme s'ils n'estoient pas dignes d'estre dessus la terre. Voila donc comme Dieu permet que les siens soyent traitez. Que faut-il donc ? Que nos revenions à ce que dit sainct Paul aux Colossiens (Colos. 3, 3), c'est assavoir, que nous sommes morts, mais nostre vie est cachee en nostre Seigneur Iesus Christ, et Dieu la manifestera quand il sera temps.

Et de cela nous en voyons une belle similitude en ce que Iob met. Car il dit, que les arbres dessechent quand l'hyver approche, il n'y a plus nulle apparence de verdure, il semble quand les feuilles sont tombees et que les arbres sont ainsi morfondus, que tout soit mort: mais cependant la vie ne laisse pas d'estre cachee, et en la racine et au coeur dedans. Nous voyons quand le printemps est venu, que tout reiette, que ceste vigueur qui n'estoit point apparue pour un temps, se monstre. Et si Dieu nous monstre cela aux arbres, ne desployera-il point une vertu plus grande envers nous qui sommes creatures si excellentes? Et de fait quand sainct Paul parle de la resurrection (1. Cor. 15, 36), il argue les hommes de leur bestise, d'autant qu'ils ne cognoissent pas comme Dieu naturellement nous monstre comme des figures de nostre resurrection, quand le blé croist en terre. Voila un grain qui aura esté au grenier, il est sec: il sera ietté en terre, et quand il est là, il pourrit: nous voyons comme il reiette, et que pour un grain

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il en viendra ou vingt, ou trente, ou dix. Puis qu'ainsi est donc que Dieu renouvelle les grains, et de blé, et d'autres semences, et cela par pourriture: que fera-il des hommes? Ne desployera-il point là une plus grande vertu? Ne sommes-nous pas donc insensez et abbrutis, quand nous ne concevons point comme Dieu besongne, afin d'estre confermez en esperance de la vie qu'il nous a promise? Autant en est-il de ce qui est ici dit maintenant. Car quand nous voyons les arbres, qui sont ainsi morts en hyver (au moins ce semble) et qui verdoyent sur ie printemps, nous devons estre confermez en ce que Dieu nous declare, que si nostre vie est cachee, et que nous soyons ici comme sous une obscurité de mort, cela n'empesche pas que nous ne devions tousiours avoir la teste levee, aspirans à ceste resurrection qu'il nous a promise. Et mesmes maintenant combien qu'il semble que nous soyons morts, nous avons l'Esprit de Dieu qui habite en nous, qui nous est une assez bonne arre de vie. Et quand il plaira à Dieu de nous retirer de ce monde, combien que nos corps s'en aillent en pourriture: toutes fois veu qu'il a imprimé la marque de son sainct Esprit en nos ames, pensons-nous qu'elles doivent perir, quand il en est le protecteur? Ainsi donc ceste fragilité qui se monstre en la vie humaine, nous doit tant plus inciter à magnifier la bouté de Dieu envers nous. Si Dieu besongnoit d'un autre ordre, c'est assavoir que quand il nous reduit soi par foi, il nous mist ici comme en un petit paradis, et que nous fussions semblables aux Anges, et que sa vertu se demonstrast envers nous, et que nous n'eussions point toutes ces infirmitez que nous voyons, que nostre vie ne fust point semblable à un ombrage qui s'esvanouyt, que nous ne fussions point environnez de tant de miseres: mais que Dieu habitast au milieu de nous, et qu'il y eust son regne paisible: il est vrai que ces graces-là seroyent bien à priser: mais cependant elles seroyent mescognues de nous, nous ne saurions d'où cela nous viendroit nous serions comme transportez en une vaine gloire. Maintenant quand Dieu nous humilie en tant de sortes, veu que si nous regardons à l'estat present, nous ne voyons que la mort: et d'autrepart toutes fois il nous monstre et nous fait sentir par experience, et par la foi que nous sommes vivans, voire en lui, que nous sommes participans de sa vie, il nous fait voir comme en un miroir ceste immortalité que nous attendons: quand donc Dieu apres nous avoir humiliez, nous ramene à une telle esperance que i'ai dite, n'avons-nous point plus d'occasion de magnifier sa boute envers nous ? Helas! Seigneur, que ton Esprit habite ici dedans ces povres corps, qui ne sont que vermine ? et quant à nos ames il n'y a rien que toute iniquité:

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et cependant Seigneur, tu as esleu et nos corps et nos ames, pour les temples de ta maiesté, tu les as dediez à oest usage-là. Et Seigneur, qu'est-ce que nous te devons? combien sommes nous obligez à toi? Apres, combien que ces corps ici s'en aillent en decadence, si est-ce que nous sommes certains qu'ils seront restaurez une fois, et qu'il y a un edifice qui nous est appresté au ciel, au lieu de ceste loge caduque: tellement qu'il ne nous doit point faire mal si nous declinons petit à petit, iusques à ce que nous defaillions du tout. Quand nous avons cela, ne devons -nous point estre tant plus incitez à louer Dieu?

Ainsi donc nous voyons comme nous devons appliquer à nostre instruction ce que Iob a ici tourné en mauvais usage, voire d'autant qu'il nous a voulu exprimer les passions qu'il a senties, et contre lesquelles il a combatu. Or au reste, quand nous parlons de nostre estat, notons bien qu'il nous faut d'un costé regarder que c'est de nous, et d'autre costé que c'est que Dieu peut, et quelle est sa vertu. l'ai desia dit, qu'il est bien besoin que les hommes se cognoissent, et se contemplent. Et pourquoi ? Ie l'ai aussi desia monstré: assavoir, pource qu'il ne faut rien pour nous enyvrer d'une folle gloire. Car quelque fragilité qu'il y ait en nous, encores voit-on que la pluspart s'esgayent et se desbauchent, et oublient mesmes les povretez qui les devroyent tenir en bride. Nous voyons cela a l'oeil, et chacun de nous seroit entaché de ce vice, sinon que Dieu y prouveust. Nous ne pouvons donc faillir à regarder quelles sont nos miseres, quelles sont nos foiblesses, bref que nostre estat est si povre que rien plus. Quand nous aurons cognu cela, nous avons matiere de nous desplaire, et d'invoquer Dieu, et le prier qu'il ait pitié de nous. Et puis cependant il nous faut regarder quelle est sa puissance. Et pourquoi ? Car si nous mesurons ce qu'il nous faut esperer, par ce que nous concevons, que sera -ce ? Que deviendra la resurrection? Que deviendra le salut eternel qu'il nous a promis? Que deviendra sa gloire celeste? Car est-il vrai-semblable, quand nos corps sont pourris, qu'ils doivent estre participans de Ceste gloire de Dieu? quand nous-nous voyons estre auiourd'hui si fragiles, que nous devions estre compagnons des Anges de paradis ? mesmes que nous devions estre unis au Fils de Dieu ? Nous savons que toute maiesté lui est donnée, et l'Empire souverain au ciel et en la terre: que nous lui ressemblions? que nous soyons membres de son corps pour participer à tout ce qui lui est donné? Cela pourra-il entrer au sens humain? Que faut-il donc ? Cognoissons ce que dit sainct Paul aux Philippiens (3, 21), Que Dieu nous ressuscitera, voire selon sa puissance, par laquelle il fait toutes

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choses. Voila où sainct Paul nous renvoye quand il nous veut confermer en l'esperance de la resurrection. Comme s'il disoit, Mes amis, ne regardons pas ce qui est possible à nostre phantasie, car Dieu ne veut point qu'en s'arreste là: mais entrons en une consideration plus haute, c'est que Dieu dispose toutes choses, voire par dessus nos esprits, tellement que quand nous pensons à ses oeuvres, nous sommes estonnez, et non sans cause: car il besongne miraculeusement: voire, selon la puissance (dit-il) par laquelle il fait tout, nous sommes transfigurez en la gloire de nostre Seigneur Iesus Christ: et combien que nos corps soyent auiourd'hui debiles, subiets à tant de povretez, si est-ce qu'ils seront recueillis en la gloire celeste. Voila donc les deux choses que nous avons à considerer pour nous humilier d'un costé, et pour avoir une esperance certaine et infaillible de ce qui surmonte nostre sens, et qui ne se peut concevoir selon l'estat oh nous sommes.

Or cependant recueillons ce que Iob pretend ici: car d'autant que l'homme ne peut revivre, et qu'il n'est pas restauré comme les arbres, mais qu'il est comme si une riviere sechoit, ou que les eaux se retirassent de la mer: il voudroit pour cela que nous ne fussions point affligez de la main de Dieu, cependant que nous sommes en ce monde. Voire, mais c'est tout le contraire. Car si les hommes es ans ainsi povres, ne se peuvent tenir encores de s'enorgueillir et s'esgayer, et de se ietter hors des gonds: et que seroit-ce s'il n'y avoit nulle correction, comme nous avons dit? Ainsi donc tant plus faut-il que Dieu abbate l'orgueil des hommes, et ceste fierté qui est en eux laquelle ne se corrige pas facilement. D'autant donc que les hommes s'eslevent ainsi contre Dieu, et qu'un chacun s'oublie, voire et senile quand il est à repos et à son aise: il est besoin que nous soyons chastiez, et que nous ayons tous les iours des corrections nouvelles. Voire: car si Dieu nous laissoit achever les cours de nostre vie sans nous faire sentir ses verges, et qu'il ne nous relevast point quand nous avons failli, helas! il n'y viendroit iamais à temps Les corrections que Dieu nous envoye auiourd'hui, à quoi tendent-elles, sinon à nous convier à penitence? Et si Dieu attendoit iusques apres la mort, la porte seroit close, il ne seroit plus temps de retourner à lui. Voici, dit sainct Paul (2. Cor. 6, 2), les iours acceptables, et les iours de salut, c'est quand nous sommes en nostre chemin. Si donc Dieu voyoit les hommes s'esgarer, et courir Çà et là, et qu'il les laissast aller iusques à ce qu'ils fussent precipitez en ruine, et qu'ils fussent tombez en la fosse dont iamais ne pourroyent sortir, et que seroit-ce? Ainsi donc il nous faut arguer tout au contraire de ce que Iob a fait: c'est assavoir, que puis qu'ainsi est

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que nostre vie est si brefve, et qu'elle n'est pas encores comme d'un arbre (prenons le cas qu'ainsi fust) pource que quand nous sommes sortis du monde, il semble que tout soit peri: il est bon, cependant que nous vivons, que Dieu nous chastie. Et pourquoy? Afin de nous convier à repentance: car apres la mort il ne sera plus temps. Et au reste, ne doutons point (comme i'ay desia touché) que Iob n'ait senti qu'il estoit bon que les hommes lussent visitez de la main de Dieu. combien qu'ils fuyent cela. Or il y a des gaudisseurs qui alleguent l'exemple de Iob, pour prendre une couverture: O voila des saincts personnages, qui ont oublié esperance de la resurrection, ils se sont despitez à l'encontre de Dieu, et se sont plaints de ce que Dieu les pressoit par trop, tellement qu'ils ne pouvoyent avoir loisir de domter leurs imperfections: et pourquoy donc le semblable ne nous sera il licite ? Or (comme desia nous avons declaré) encores que nous soyons patiens pour soustenir les chastiemens de Dieu, et pour les porter paisiblement comme nous devons: si ceste que nous ne laissons pas d'estre esmeus, et que nostre chair monstrera tousiours quelque rebellion en nous. Nous ne pouvons point donc approcher de Dieu pour le servir, que nous ne soyons assaillis et picquez de toutes parts. Mais quoy? Il nous faut batailler, suivant ce que nous dit l'Apostre (2. Tim. 2, 5), Que nous n'aurons point de victoire sinon en combatant. Or le principal combat que nous ayons à faire c'est contre nous-mesmes, et contre nos vices: et c'est où i! nous faut efforcer. Ainsi donc notons bien, que Iob, quand il parle ici de la vie humaine comme un homme qui n'a point d'esgard à la resurrection à venir, ne s'est point arresté là du tout (car il avoit bien preveu ce qui en est) mais il a voulu exprimer quelle passion il a senti' afin qu'un chacun de nous pense à soy, pour n'estre point transporté quand telles tentations adviendront. Et au reste si Iob a esté infirme en cest endroit cognoissons que nous le serons encores tant plus mais Dieu qui luy a assisté, pourra faire le semblable envers nous: car sa vertu est aussi bien invincible auiourd'huy pour nous maintenir, comme elle estoit alors. Il nous convie maintenant, voire par sa bouté, laquelle n'est point amoindrie, qu'il ne nous face sentir aussi bien qu'il a fait anciennement aux siens. Et pourtant quand nous voyons que tout est auiourd'huy tellement confus aux choses humaines, que nous ne savons que dire ne que devenir: recourons à nostre bon Dieu, iettans les yeux sur nostre Seigneur Iesus Christ, lequel nous delivrera de toutes nos miseres et de tous les troubles qui sont auiourd'huy au monde. Et ainsi, nous sentons-nous foibles et debiles? Voila nostre Seigneur Iesus Christ qui est la vertu de Dieu sou Pere. Nous voyons-nous desia comme morts ? C'est la fontaine de vie qui est venue à nous, quand Dieu a envoyé son Fils unique. Et pourquoy? Afin de nous retirer des abysmes de mort, afin de nous retirer, qu'estans unis à luy, nous ne pourrons iamais estre privez du salut qui nous est appresté. Voila donc comme en regardant à nostre Seigneur Iesus Christ, nous ne laisserons point de nous asseurer au milieu de la mort, et de tous les troubles de ce monde, d'autant que par ce moyen nous sommes certains de parvenir en ceste gloire celeste, en laquelle il nous a precedez, quand nous aurons achevé la course que nous aurons à faire laquelle est subiette à tant de miseres.

Or nous-nous prosternerons devant la face de notre bon Dieu ect.

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L E CINQUANTECINQUIEMES SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XIV. CHAPITRE.

13. A la miene volonté que tu me cachasses au sepulchre, que tu m'eusses serré iusques à tant que ton ire soit relaschee, et que tu me donnes terme, auquel il te souvienne de moy. 14. L'homme estant tres-passé, revivra il? tous les iours de mon combat i'attendray, iusques à ce que mon changement viene. 15. Que tu me respondes quand ie t'appelleray, que tu agrees l'oeuvre de tes mains.

Le Prophete Isaie (2, 19) monstrant combien l'ire de Dieu est horrible et pesante à porter, dit que ceux qui la sentent seroyent contens de se cacher aux montagnes, voire et desirent qu'elles tombent dessus leurs testes: nostre Seigneur Iesus Christ aussi a usé de ce propos (Lue 23, 30). Or c'est pour nous monstrer qu'il ne nous faut point estre ainsi stupides que nous sommes: car nous ne

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savons que c'est d'avoir Dieu contraire à nous. Il est vrai que nous sentirons assez, quand il nous persécute, le mal que nous endurons: mais ce n'est pas le tout ne le principal. Il est besoin de bien peser que c'est de son ire. Et pourquoy? Car quand nous apprehendons la main de Dieu, alors nous pensons à nos pechez: et sur cela nous sommes confus, et cognoissons bien qu'il nous faut perir, si ce n'est que Dieu ait pitié de nous. Or d'autant que nous fuyons ce sentiment-la, nostre Seigneur nous y exerce, pour nous bien resveiller, quand il nous veut faire misericorde. Voila ce qui doit estre entendu au propos de Iob, quand il dit, Ie voudroye bien que tu me cachasses au sepulchre. Car il prefere la mort à sa vie, telle qu'elle estoit. Et pourquoi? D'autant qu'il voudroit eschapper la main de Dieu, s'il estoit possible. Car il sait bien que c'est une chose beaucoup plus terrible d'avoir Dieu pour son iuge, que de mourir cent fois. Et ceci nous doit bien toucher de penser mieux à nos pechez que nous ne faisons pas, afin que nous sachions, quand nous endurerions tous les maux du monde, que cela n'est rien, au prix de comparoistre devant le siege iudicial de Dieu, quand ce viendra à rendre conte. Nous crions bien, Helas! quand il y a quelque maladie: en orra. bien les plaintes s'il nous advient quelque accident: mais cependant nos pochez demeurent là comme ensevelis, et ne nous viennent point en pensee ni en memoire. Par cela nous monstrons combien nous sommes pervers à iuger des choses. Pourtant toutes fois et quantes que nous orrons, que ceux qui auront esté affligez de la main de Dieu ont desiré la mort, et d'estre cachez au sepulchre: sachons que c'est cela que nous devons craindre sur tout, c'est assavoir, que Dieu se declare comme nostre partie adverse. Or quand nous aurons ceste persuasion, que cela est le plus grand danger qui puisse advenir à l'homme, nous tascherons par tous moyens de nous retirer à luy. Quand nos pechez nous viendront au devant, Helas! (dirons-nous) oh en sommes-nous? Car si Dieu se declare nostre ennemi, que sera-ce? quelle sera nostre condition ? Prevenons donc, et voila comme nous serons solicitez à cercher Dieu pour obtenir grace de luy, tellement que iamais nous n'aurons repos, iusques à tant qu'il nous soit reconcilié. Voila donc l'usage auquel nous devons appliquer ceste doctrine.

Or il nous faut bien noter ce qu'il dit, Ie voudroye que tu m'eusses caché au sepulchre, que ie fusse là enserré, iusques à tant que fusse retranché. Il monstre pourquoy il desire la mort: c'est assavoir, d'autant qu'il se trouve enserré sous le iugement de Dieu, et qu'il ne peut trouver nulle eschappatoire. Or par cela nous sommes admonnestez que nos subterfuges en la fin ne nous serviront

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rien: et quand nous aurons beaucoup tracassé Çà et là, qu'il faudra que nous soyons tenus comme enclos. Ce seroit bien profité pour un iour, si nous avions retenu ceste leçon. Pourquoy? Combien que Dieu nous menace, si voit-on qu'il ne faut rien pour nous faire à croire que nous en pouvons sortir, comme chacun imagine ou ceci ou cela, tellement que nos hypocrisies sont cause, que nous ne sommes point touchez de menaces de Dieu, comme il seroit bien requis. Or il n'y a rien qui provoque plustost la, vengeance extreme de Dieu, que quand il voit que nous ne tenons conte de son ire: voila qui le provoque iusques au bout. Ainsi donc, apprenons par ce qui est ici dit, que quand Dieu nous voudra presser à bon escient, il ne sera plus question d'eschapper par ceci ni cela: mais qu'il faudra que nous soyons tenus enserrez. Or maintenant quand Dieu nous donne quelque relasche, et mesmes qu'il nous monstre comme nous pourrons obtenir grace de luy, que nous usions de ceste opportunité. Il est dit quant et quant, Ie voudroye que tu m'eusses caché au sepulchre. On pourroit ici demander, Et la mort donc n'est-elle pas un signe de l'ire de Dieu, et de sa malediction? Quand nous venons là, est-ce pour avoir quelque relasche? Que nous profite-il? Mesmes il semble que ce soit l'extremité, et que Dieu ne puisse executer plus grande rigueur sur nous, qu'en nous faisant mourir. Mais Iob a ici conceu la mort sans une droite apprehension, comme nous avons declaré par ci devant: et il nous en doit souvenir. Il estoit là angoisse, d'autant que Dieu luy faisoit sentir son mal. Là dessus il pense comme il pourra estre quitte Ie m'esgayeroye pour le moins (dit-il) en ceste obscurité: mais cependant que ie porte ma chair (comme il le dit en la fin pour conclusion) cependant que mon ame est en moy, ie travaille, ie me tormente, ie n'ay que destresse. Si Dieu m'avoit retiré de ce monde, i'auroye quelque respit, ce seroit la fin: et (comme il a dit ci dessus) il auroit son terme, comme le temps d'un louagier, lequel quand il est à iournee, et que le terme est venu le voila à repos. Voila donc pourquoy il demandé ici d'estre enserré au sepulchre. Au reste notons, qu'il a bien cognu que les hommes en decedant ne laisseront pas d'estre sous la main de Dieu, et qu'il faut qu'ils soyent iugez de luy, et qu'ils le sentent. Iob a bien cognu cela: mais cependant il regarde au mal dont il estoit pressé, et est là comme attaché, tellement qu'il ne pense point à tout le reste. Voila donc comme un povre pecheur, quand Dieu le persecute, n'a autre regard, sinon de dire, Helas! faut-il que ie soye ici enclos, et qu'il n'y ait nul remede, et que mon mal s'augmente, et qu'en la fin ie perisse, d'autant que tousiours Dieu me poursuivra? Un pecheur ne regarde sinon à

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ce qui luy est si dur à porter. Pour ceste cause la mort ne luy est rien, mais il luy semble qu'elle luy serviroit de quelque medecine. C'est ainsi que Iob a parlé, en desirant qu'il fust couvert du sepulchre, et qu'il fust là ainsi comme enserré.

Or quand il dit, Iusques à ce qu'il te souvienne de moy, et que tu m'assignes le terme: par ceci il monstre qu'il y a bien quelque apprehension mesmes apres la mort, mais il lui semble, selon qu'il estoit transporte et ravi, qu'il y aura quelque espace où il pourra reprendre son haleine: que quand il sera decedé de ce monde, alors il ne sera point en telle confusion, ne si dure, ne si pesante comme il la sent. Or i'ay dit, qu'il faut bien que Iob ait cognu que mesmes apres la mort nous avons à rendre conte: car il dit, l'attendroye an sepulchre, que tu m'assignasses terne pour te souvenir de moy. Ce souvenir ici n'est sinon quand Dieu appelle ses creatures pour les iuger. Mais si est-ce que Iob a esté confus, et que Ceste passion l'a tellement agite, qu'il ne iugeoit pas d'un sens rassis, comme nous devons. Et pourquoy ? En premier lieu, cependant que nous sommes en ce monde, qu'avons-nous plus à desirer, sinon que Dieu ait memoire de nous? Car s'il nous met en oubli, que sera-ce ? Pierre disoit, Retire-toy arriere de moi Seigneur: car ie suis un povre homme pecheur (Luc. 5, 8). Voire, mais il nous faut aller tout au contraire, pour dire, Seigneur approche-toi de nous, d'autant que nous ne sommes rien que par ta grace. Ainsi donc il nous est bon mestier que Dieu ait souvenance de nous. Et comment ? Pour nous maintenir et conserver, afin qu'il nous soustiene, et qu'il ait pitié de nos foiblesses pour y subvenir, qu'il nous guide par sa providence. Voila donc comme il faut que Dieu ait memoire de nous, ou nostre condition est bien miserable. Car il n'y a rien que l'homme doive plus craindre que d'estre mis en oubli de Dieu. Voila un Item. Apres, encores que Dieu nous retire de ce monde, si ne nous met-il point en oubli, encores qu'il le semble, car il a les siens tousiours en sa main et en sa garde: et quant à ceux qui sont damnez, ils sont tenus comme enchainez iusques au iour de l'execution de la sentence. Voila donc Dieu qui a tousiours memoire de nous: et quand l'Escriture dit, qu'il nous a oublie, c'est que nous ne sentons pas son secours present: comme si un povre homme languit, et qu'il demande à Dieu aide et qu'il n'en sente point, il ne semble point que Dieu l'ait exaucé. Voila comme il est dit, qu'il nous a mis en oubli assavoir selon nostre apprehension: mais si est-ce qu'il a tousiours memoire de nous. Iob donc a failli en cela, qu'il lui a semblé que quand il seroit mort, il seroit mis comme en oubli, iusques a tant que Dieu au dernier iour appelle toutes ses creatures

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et les adiourne devant son throne iudicial. Iob donc n'a point lors consideré ceste memoire de Dieu envers nous comme il appartient: mais nous le pourrons bien contempler, moyennant que nous soyons persuadez de ce que i'ai dit: c'est assavoir, que Dieu ne laisse point de penser à nous, encores qu'il nous laisse là pour un peu de temps, que nos corps soyent pourris en terre, et que nos ames soyent en suspens, attendans le iour auquel tout le monde sera restauré.

Au reste, cependant que nous vivons, que ceci nous soit bien resolu, qu'il n'y a rien meilleur pour nous, que quand Dieu pense de nous: voire et fust-ce mesmes pour nous punir. Si Dieu pense de nous, afin de nous faire sentir sa grace, voila où consiste toute nostre ioye et nostre gloire; comme il est dit au Pseaume huitieme (v. 5), Helas! qu'est-ce que de l'homme, que Dieu daigne bien le regarder et veiller sur lui? Nous sommes comme un petit ombrage, ce n'est rien de nous: et cependant Dieu veut avoir un soin paternel de nostre vie. Et ne nous faut-il pas cognoistre une bouté admirable en lui quant à cela? Ainsi donc nous devons bien priser ceste misericorde que Dieu nous monstre, entant qu'il a memoire de nous, voire pour nous faire sentir sa bouté: mais comme i'ai dit, s'il nous chastie de nos pechez, encores nous fait-il grace: car il monstre par cela qu'il ne veut point que nous perissions, veu que quand il nous voit en train de perdition, il nous rappelle à soi: car ne sont-ce point autant d'advertissemens qu'il nous donne pour venir à repentance, quand il nous chastie? Voila donc comme nous devons mieux priser la grace de Dieu en ce qu'il a memoire de nous, et non point desirer qu'il nous mette iamais en oubli. C'est en somme ce que nous avons à retenir de ce verset.

Or il s'ensuit: L'homme estant trespassé, vivra-il? Car tous les iours de mon combat (ou de mon travail) i'attendrai mon changement. Ici Iob monstre mieux que par ci devant, combien il estoit passionne. Car il estoit en telle destresse, qu'il ne savoit qu'elle estoit l'issue des hommes, et si apres qu'ils sont morts, ils doivent ressusciter ou non. Or il est vrai que de prime face ceci seroit trouvé estrange: mais il nous faut noter ce que nous avons desia dit, c'est assavoir, que Iob parle de ses premieres tentations ausquelles il a resisté. Il y a grande difference d'estre abbattu du tout en une tentation, ou bien de la sentir, et d'en estre esbranlé, et que cependant en y resiste. Combien nous viendra-il de mauvaises opinions en nostre phantasie, et au cerveau? Comme nous savons que les hommes reçoivent beaucoup de tromperies de Satan. Voila une phantasie mauvaise qui nous vient en la teste: nous aurons beaucoup de deffiance

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de Dieu, Et que sais-tu si Dieu pense de toi? Et que sais tu s'il t'a mis à l'abandon? Et que sais tu s'il daigne bien regarder vers les creatures humaines? Voila des pensees que les hommes auront tous les coups: et cela est afin de nous faire humilier. Quand nous voyons que nous sommes si pleins de vanité, tant plus avons nous à cheminer en crainte devant Dieu: Helas ! et qu'est-ce ici ? Ie devroye dedier tous mes sens à glorifier mon Dieu: et Voici une partie de mon sens qui s'applique à telles pensees. Et mesmes il y a des blasphemes enormes qui viennent au cerveau: les hommes donc ont bien occasion de se desplaire, quand ils conçoivent de telles phantasies. Mais les fideles les repoussent incontinent: car aussi tost que le diable nous aura ainsi voulu brouiller, nous sommes armez de la parole de Dieu, nous faisons un bouclier de la foi, comme l'Escriture en parle. Encores que Satan iette des dards de feu contre nous, ainsi que sainct Paul en parle (Ephes. 6, 16) toutes fois ils ne viennent point dedans nos ames tellement que nous en soyons navrez, ce venin-là ne s'adresse point iusques à nous. Il est vrai que Satan nous assaudra bien, mais ceste picqueure là ne sera point mortelle ne venimeuse. Nous repousserons donc toutes ces phantasies mauvaises, quand nous en serons ainsi assaillis. Or les autres en sont du tout saisis, et defaillent là tellement, que les uns doutent de la providence de Dieu, les autres pensent que Dieu les ait reprouvez du tout, et sont là comme entierement abbatus. Il y a donc une grande difference entre une phantasie volage qui nous viendra en la teste, et à laquelle nous resisterons: et une persuasion qui tiendra son siege, et que prendra racine en nous. Il est vrai que nous ne laissons pas d'estre coulpables, quand nous aurons bataillé contre toutes les tentations de Satan, et que nous en serons venus à bout: encores nous faut-il gemir devant Dieu, d'autant que nous ne l'aurons pas glorifié en telle perfection comme il seroit requis: mais si est ce qu'il accepte une telle constance, quand nous aurons ainsi resisté au mal. Voila comme Iob en a usé: il recite les tentations desquelles il a esté assailli, mais ce n'est pas pourtant qu'il en ait esté vaincu. Et de fait, il y a trois degrez à noter: car quelquefois il nous viendra des choses en phantasie, et nous les repousserons incontinent: quelquefois nous serons en peine et en difficulté, tellement que nous ahannerons là Et comment viendrai-ie à bout de ceste tentation ici? Mais neantmoins à la parfin, quand Satan nous presse là, et bien, encores Dieu nous fortifie Il y a le troisieme degré, c'est quand nous sommes opprimez du tout, et vaincus. Quant à Iob, il n'a pas seulement eu, selon le premier degré que nous avons dit, ceste phantasie volage, pour dire, Et

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les hommes ressusciteront-ils ou non? Mais il est venu au second degré de tentation. Car se voyant ainsi pressé de son mal, il a pensé, Helas! qu'est-ce que Dieu veut faire de moi? Il semble qu'il me vueille racler du tout. Et quand ie l'ai pour ennemi, que deviendrai-ie? Iob donc a esté tormenté de ceste tentation (qui est mauvaise) d'autant qu'il regardoit que Dieu lui estoit ainsi contraire. Or si est-ce qu'il n'a pas esté vaincu: et combien que l'assaut lui fust rude et difficile à soustenir, il a esté superieur neantmoins.

Voila comme nous devons prendre ce passage: car quand Iob se fust arresté à ce propos, c'estoit un blaspheme execrable, de dire, L'homme doit-il ressusciter ou non? Mais il est certain qu'il a esté tellement assailli qu'il a persisté en la foy qu'il avoit conceuë, et que l'Esprit de Dieu luy a donné victoire. Il ne faut point donc que nous luy imputions ceci à blaspheme, et mesmes nous ne le devons pas estimer incredule pour cela. Car la foy n'est iamais sans combats, il faut bien qu'elle soit bien exercee. Et comment cela se fait-il? Quand le diable nous propose beaucoup de matieres d'incredulité. Voila donc la vraye approbation de nostre foy: tant s'en faut que Iob doive estre reietté du nombre et de la compagnie des fideles, pour avoir es ainsi assailli. Or il, y a aussi à noter qu'il n'a point douté simplement, mais il estoit ainsi transporté d'autant qu'il estoit pressé de la main de Dieu. Quand Iob eust esté interrogué, Or ça, l'homme en mourant perit-il du tout? Il eust respondu, Non: car si le corps s'en va en pourriture, il ressuscitera, et l'ame est reservee iusques au dernier iour, auquel nous serons tous restaurez. Iob eust bien respondu cela, quand en l'eust examiné en general de la mort: mais pource qu'il y a ceste qualité speciale en luy, que Dieu le presse si rudement, qu'il ne sait où il en est, qu'il semble que Dieu ait deliberé de le confondre et de l'abysmer du tout, estant là effrayé ainsi, voila pourquoy il doute. Notons donc que Iob a regardé ce qui estoit en sa personne, c'est assavoir, une rigueur de Dieu si grande, qu'il sembloit bien qu'il n'y eust iamais apparence de sortir du mal auquel il estoit.

Pour ceste cause il dit. L'homme estant mort, ressuscitera-il? Voire il comprend la mort en ceste qualité la, quand Dieu desploye toutes ses forces pour aneantir l'homme. Et qu'est-ce? Comme s'il disoit, Helas Seigneur, il semble que tu me vueilles exclurre de l'esperance que tu nous as donné de ressusciter. Ca en ceste façon si estrange dont tu uses envers moy, quand tu me traites en telle rigueur, n'est-ce pas pour m'aneantir du tout? Et quand tu m'auras aneanti, qui est-ce qui me pourra restaurer ? Il presuppose donc que Dieu ne le

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vouloit point remettre au dessus, mais qu'il le vouloit du tout exterminer du rang des creatures. Voila pourquoy il dit, Est-il possible que l'homme revienne en vie, quand il sera trespassé? C'est pource que Dieu usoit envers luy d'une façon si estrange, qu'il sembloit qu'il le voulust du tout mettre à neant. Or par ceci nous sommes bien advertis de prier Dieu, qu'il nous traite tellement par mesure que nous ayons tousiours Ceste esperance pour nous asseurer, que nos maux ne seront point perpetuels, et que Dieu y mettra remede, et que c'est son office de retirer du sepulchre ceux qui y sont. Car si nous n'avons cela il faut que nous tombions en un desespoir horrible, qui nous rende confus, comme nous voyons qu'il en fust advenu à lob, sinon que Dieu lui eust tenu la main forte. Et voila pourquoi aussi il est dit, Seigneur, chastie moi, mais que ce soit par raison. Non pas que Dieu soit iamais desraisonnable: mais Ieremie par ce mot de Raison ou de Iugement signifie une façon attrempee et convenable à nostre infirmité, quand nous ne serons point tentez si fort que nous De cognoissions tousiours que Dieu en la fin aura pitié de nous, et qu'il mettra remede à nos maux. Voila donc dequoi nous sommes admonnestez en ce passage, quand il est dit, L'homme reviendra-il en vie, apres estre trespassé?

Quant à ce qui s'ensuit, l'attendrai iusques à ce que le iour de mon changement vienne: en l'expose, que si Iob pensoit que Dieu voulust ressusciter les morts, et qu'il eust quelque esperance de la resurrection et du renouvellement, il attendroit ce iour-la: mais il le faut prendre plus simplement, c'est assavoir, Seigneur console moy. Or maintenant ie suis confus, ie ne voy que toute force et violence de laquelle tu uses, et que tu executes sur moy: ainsi il faut que ie combate et que ie m'efforce, et que ie n'aye autre consolation, sinon d'attendre le iour de mon changement. Voila donc en somme comme lob a entendu ce propos. Il dispute plustost avec soy, qu'avec Dieu. L'homme rentrera-il en vie, quand il sera mort? Comme s'il disoit, Ie me voy ici en si povre estat, qu'il me semble bien que ie doive demeurer confus, qu'il n'y ait plus de moyen d'estre restauré. Car puis que Dieu m'est contraire, et qu'il me veut aneantir, et qu'est-ce à dire? Or là dessus toutes fois il s'efforce et s'esvertue, et prend ceste conclusion, Or si attendray-ie le iour de mon changement. En cela donc voyons-nous, que Iob a este superieur' et qu'il a gaigné ce combat.

Car non obstant qu'il soit entré en dispute, s'il devoit revenir au dessus: si est-ce qu'en la fin il dit, Voila, i'attendrai le iour de mon changement, voire tout le tens de mon travail. Comme s'il di

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soit, Il est vrai que le temps me dure, ie souhaite que Dieu me tienne enserre au sepulchre qu'il me mette en quelque abysme, qu'il face tomber les montagnes sur moi: mais si est-ce qu'il faut que ie l'attende, voire au milieu des afflictions où ie suis: et combien qu'elles soyent dures et insupportables, si est-ce puis qu'il y a changement, cela me doit bien suffire pour me donner quelque consolation, et pour me nourrir en l'obeissance de Dieu. Nous voyons maintenant quel est lé sens des paroles de lob. Or nous avons à recueillir une bonne doctrine et bien utile de ce passage. En premier lieu, quand nous sommes assaillis de Satan, et tourmentez de mauvaises phantasies, et sur tout quand il nous vient quelque deffiance pour nous mener en desespoir: il ne faut point que nous facions ces disputes, . mais que nous facions une conclusion brefve et courte pour nous resoudre en la verité de Dieu. Comme quoy ? Il y en a qui prenent plaisir à s'envelopper en beaucoup de mauvaises phantasies: il leur viendra en la teste quelque opinion, voire mauvaise et qui tiendra mesmes à le. pousser contre Dieu. Or là dessus ils disputent et imaginent, cela est-il possible ou non? Et comment en va-il? Quand donc nous phantastiquons en telle sorte, et que nous rongeons nostre frein, ayans ainsi de mauvaises opinions, lesquelles sont du tout contraires à la foy: c'est autant comme si en parlementoit aux ennemis quand ils viendront assieger une ville: car si en les escoute parler, qu'en leur applaudisse, c'est la ruine de toute la ville. On ne leur ouvrira point encores les portes, mais autant vaut. Ainsi en font ceux qui s'enveloppent en leur mauvaises opinions lesquelles Satan leur propose: s'ils demeurent là, l'issue sera de les mener à perdition. Que faut-il donc? Suivons l'experience qui nous est ici monstree par lob. Il est vrai qu'il est assailli d'une façon dangereuse, quand Il doute si iamais il pourroit ressusciter, puis que Dieu l'avoit mis si bas: et s'il eust continué en cela iusques au bout, qu'eust-ce esté? Mais apres avoir esté ainsi assailli, il coupe broche viste: Non (dit-il) i'attendrai quoi qu'il en soit le iour de mon changement. Voila ce que nous avons à faire, c'est de conclu e selon la verité de Dieu. Quand nous concevons aussi des phantasies mauvaises qui nous pourront destourner de ]a foy, et du chemin de salut, il nous faut bien tost revenir pour prendre quelque sentence de l'Escriture: et quand nous voyons que nous sommes munis de la verité de Dieu, Conclusion, il ne faut point disputer là dessus, quand Dieu en prononce. Voila donc le souverain remede que nous avons pour repousser Satan en cest endroit, c'est assavoir, quand il tasche de nous divertir de la foy et de l'obeissance de la parole de Dieu.

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Au reste, quand Iob dit, Qu'il attendra son changement, ce mot merite bien d'estre pesé. Il est vrai qu'il parle de la resurrection, d'autant qu'il faut que nous soyons renouvellez du tout, que ce qui est de corruption en nous à cause du peché d'Adam, soit aneanti, et que Dieu nous reçoive en l'immortalité de son royaume. Voila le changement dont parle Iob. Et c'est là aussi où nous avons à regarder: car sans la resurrection nous ne pouvons nous consoler nullement, et tout ce qu'en nous amenera ne sera point suffisant pour nous resiouir. Comme nous voyons aussi que l'Escriture saincte renvoye là les fideles, quand elle les veut contenter, et leur donner un repos certain et ferme. Non, cognoissez (disent les serviteurs de Dieu) que nous sommes appellez pour estre participans de la gloire celeste que Dieu a promise aux siens: resiouyssez vous donc en cela. Mais encore pour estre bien asseurez de ce changement dernier, il nous faut considerer ceux que Dieu fait auiourd'hui et durant le cours de ceste vie: comme il y a beaucoup de changemens que Dieu fait en nous, par lesquels desia il nous donne quelque goust de ce changement dernier. Exemple, Nous serons en quelque affliction, et bien, nous sommes comme enserrez : quand nous regardons à l'issue, nous n'en voyons point, il n'y a point de remede, c'est fait, nous sommes perdus: et Dieu soudain aura pitié de nous, tellement que nous serons incontinent delivrez. Ne voila point un changement qui nous doit conduire plus loin? C'est que nous sachions qu'il y a une delivrance beaucoup plus parfaite, que ne sont pas toutes celles que nous sentirons auiourd'hui en particulier. Apprenons donc de bien cognoistre les changemens que Dieu fait tous les iours, afin d'estre eslevez en haut, et que par ce moyen nous soyons paisibles, iusques à tant que nous soyons renouvellez au royaume des cieux. Et voila comme David en a parle (Pseau. 77, 11). Et ce mot pese beaucoup, combien qu'il ne le semble pas, quand il parle des changemens de la main de Dieu, soit pour estre retirez de quelque mal, ou pour y tomber: car les hommes ont tousiours ceste folle opinion de fortune, O voila une mauvaise fortune qui m'est advenue, ou voila une bonne fortune, Non, ce sont changemens de la main de Dieu: et faut que nous soyons tousiours menez là. Mais entre tous les changemens qui se font en ce monde, cestui-ci est une image vive du renouvellement dernier, c'est assavoir, quand Dieu nous vivifie par sou Sainct Esprit, qu'il nous illumine en la foy, et que nous sommes faits nouvelles creatures en nostre Seigneur Iesus Christ, comme l'Escriture en parle. Regardons quelle est la naissance des hommes. Quand nous venons au monde, il est vrai que nous apportons encores quelque trace de l'image de Dieu, en la

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quelle avoit esté creé Adam, mais ceste image-la est tellement desfiguree que nous sommes pleins d'iniquitez, en nostre esprit il n'y a qu'aveuglement et ignorance. Voila donc quelle est la condition des hommes quand ils naissent. Or Dieu nous illumine par son S. Esprit, voire tellement que nous le pouvons contempler entant qu'il nous est expedient pour estre transfigurez en sa gloire par son S. Esprit, et pour estre reformez.

Quand donc Dieu nous aura ainsi changez que nous sentons qu'il habite en nous, -et que par ce moyen nous bataillons contre nos mauvais appetits, qu'au lieu que les hommes ordinairement se plaisent en leurs vices, et qu'ils se baignent là dedans: nous demandons tout l'opposite: que s'il y a du mal en nous, il nous desplaist, et nous en gemissons, aussi nous poursuivons le bien, et du tout desirons de nous dedier au service de Dieu: ne voila point un changement admirable? Car telles affections ne viendront iamais de nostre costé. Quand nous goustons la bouté de Dieu, que nous sommes certifiez de son amour paternelle qu'il a envers nous, et que mesmes nous avons ceste certitude de salut pour l'invoquer comme nostre Pere: et ne voila point un changement pour monstrer combien la main de Dieu est vertueuse? Car les hommes de leur nature ne pourront iamais ouvrir la bouche pour invoquer Dieu en verité. Il est vrai qu'ils auront bien quelques ceremonies, comme les Payens prient Dieu les Papistes aussi barbotteront, et feront des oraisons qui seront assez grandes: mais tout cela n'est rien, d'autant qu'ils ne sont point asseurez en leurs prieres, ils ne sont point persuadez que Dieu leur doive estre pere. Voyons-nous donc que Dieu nous vueille exaucer? demandons-nous de le servir et honorer? C'est comme s'il nous avoit changez et refondus: qu'il eust mis une nouvelle creation. Car de fait, ce n'est point sans cause que l'Escriture nous appelle nouvelles creatures en nostre Seigneur Iesus Christ: et autres passages, que nous sommes sa facture, d'autant qu'il nous a creez à bonnes oeuvres. S. Paul n'entend point là que Dieu nous ait creez seulement pour estre hommes mortels, mais il dit, que Dieu nous a creez à bonnes oeuvres. Voila donc une oeuvre de Dieu speciale, là où il desploye sa vertu par dessus toute nature, quand il rechange ainsi ses fideles. Et voila pourquoi i'ay dit, que nous devons apprehender un tel changement, pour avoir certaine esperance de la resurrection: si nous doutons, assavoir si Dieu nous renouvellera au iour dernier, que nous devons nous mettre au devant, Comment est-ce que desia Dieu nous a changez? Il a mis maintenant sa grace en nous: à quel propos Dieu nous auroit-il donné courage de le servir et honorer, aussi nous auroit donné l'esprit d'adoption, sinon

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pour estre certifiez de l'esperance que nous avons de la gloire immortelle? tout cela seroit inutile. Ainsi donc ce changement que nous appercevons auiourd'hui en nous, est un tesmoignage infallible de ceste gloire celeste que nous ne voyons point encores, et laquelle nous est cachee: mais Dieu nous en donnera une bonne arre, comme il est dit que le S. Esprit en est l'arre et le gage. Et pourquoi? Cela est à cause des effects: car le S. Esprit n'est point oisif en nous, mais plustost il nous declare qu'il habite en nous, afin que nous soyons enfans de Dieu: et nous ne le pouvons estre que quant et quant nous ne mettions peine de nous adonner à bonnes oeuvres, et suivre sa volonté. Voila donc comme les fideles doivent prattiquer ce passage.

Et notamment Iob dit, Que tous les iours de son travail il attendra ce changement. Or ce mot doit encores estre bien noté. Car si nous sommes agitez de beaucoup d'afflictions, ce n'est point assez quand nous aurons quelque bon mouvement et affection pour dire. Or il faut esperer en Dieu: mais cela ne sera rien, si nous ne continuons, voire au milieu de tous nos combats. En premier lieu donc, notons que l'esperance n'est point pour un iour, ne pour un mois, mais il faut qu'elle continue iusques en la fin. Et de fait, quand nous sommes appuyez sur les promesses de Dieu, il nous entretient en cela, afin que nous ne defaillions point chacun iour, mais quand nous aurons passé quelque temps, que tousiours nous soyons confermez de plus en plus, iusques à ce que Dieu accomplisse les choses qui sont différences encores pour un autre temps. Voila donc comme ce ne sera rien d'avoir eu quelque bonne affection, d'avoir esperé en Dieu, si la perseverance n'y est. Iob donc a encores exprimé cela plus à plein sous ce mot de Travail ou de Combat. Et pourquoi ? Car il signifie que nous n'allons point à Dieu à nostre aise, comme nous le voudrions bien. Si nous n'endurions rien, nous serions contens de vivre en ce monde, et de prolonger le temps au double s'il nous estoit possible. Nous avons donc cela, que nous voudrions estre traitez sans aucune fascherie, que Dieu nous compleust en tout et par tout' qu'il nous obeist en nos desirs. Voila comme nous passerions le temps bien aise, quand nous irions nostre train, quand nous n'aurions nulle tentation, qu'il n'y auroit ne tristesse, ne crainte ne rien qui soit: mais il est dit qu'il nous faut attendre tous les iours et avec combat. En ce mot de tous les iours, il nous est monstré que si le temps nous dure et nous semble loin, il ne faut pas que nous prenions excuse de mal-faire, et nous despiter, pour quitter tout là au milieu du chemin: mais il faut que nous continuyons

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iusques à la fin. Sous ce mot de Combat, la condition de la vie presente nous est exprimee, c'est qu'estans pelerins en ce monde' il faut que nous bataillions, que nous soyons assiegez de toutes parts, que nous soyons en peril continuel, que nous soyons tentez maintenant de solicitudes, maintenant de quelque affliction, maintenant de quelque danger: que donc nous pensions à cela. Cependant aussi cognoissons que nous avons à batailler contre les affections de nostre chair. Mais nonobstant toutes ces difficultez, si faut-il que nous attendions nostre changement. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or pour conclusion Iob dit, que tu respondes à celui qui t'appelle, et que tu ayes à gré l'oeuvre de ta main. ce n'est sinon pour plus ample declaration du propos que nous venons de tenir. Il veut donc monstrer quel est ce changement auquel il s'est attendu, c'est que Dieu ait à gré l'oeuvre de ses mains. Il est vrai qu'aucuns exposent ce passage ici, comme si Dieu vouloit presser l'oeuvre de ses mains: mais cela est contraint. Il ne veut donc signifier, sinon qu'il attendra paisiblement iusques à ce que Dieu declare par effect, qu'il le recevra comme sa creature. Et voila pourquoi il dit ici, Ie respondrai quand tu m'appelleras: car Iob proteste qu'il ne fuyra plus qu'il ne voudra plus reculer quand Dieu l'appellera, à soy, mais qu'il sera prest de venir, ouy d'un courage allegre. Et pourquoi? Car il cognoistra que Dieu se voudra monstrer pitoyable envers lui. Voila donc ce que nous avons a noter en somme de ce passage, c'est assavoir, qu'au milieu de nos troubles, quand il semble que Dieu soit despité contre nous, et que nous ne lui venons plu à gré, mesmes qu'il ne nous tiendra plus au nombre de ses creatures: quand cela sera, que nous bataillions neantmoins contre un tel desespoir, iusques à tant que nous ayons gaigné ce poinct, d'esperer ce changement que nous attendons. Voila donc comme nous devons estre incitez par ce passage de nous consoler en nos afflictions, et de prier Dieu qu'il nous y fortifie tellement par sa vertu, qu'encores que nous soyons agitez ça et la de beaucoup de tourbillons, nous ne laissions pas pourtant de tousiours tendre à lui, et ne faire nulle difficulté d'y venir, quoy qu'il en soit. Car combien qu'il semble qu'il nous ait reiettez, et qu'il soit fasché contre nous, si est-ce que quand nous retournerons à lui, et que nous l'invoquerons, il nous respondra, et nous confermera l'esperance de salut, nous faisant gouster l'amour qu'il nous porte, pour en estre bien persuadez et resolus.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

IOB CHAP. XIV.

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LE CINQUANTESIXIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XIV. CHAPITRE.

Ce sermon contient le reste de l'exposition du 15. verset et le texte qui s'ensuit.

16. Maintenant tu contes mes pas, et ne differes point sur mon peché. 17. Mon forfait est cacheté comme en un faisseau, et as adiousté à mon iniquité. 18. Une montagne en tombant perit, un rocher defaut. 19. Les eaux cavent des pierres, tu destruis la terre par inondations d'eaux, tu ostes l'esperance à l'homme miserable. 20. Tu desployes tes forces pour le surmonter, tu lui caches la face, et le renvoyes. 21. Il ignore si ses fils sont exaltez, ou bien s'ils sont opprimez d'angoisse. 22. Mais sa chair cependant qu'elle est sur lui se dueilt, et son ame est en lamentation.

Nous vismes hier comme nous pouvons respondre à Dieu, c'est à dire, comme nous pouvons venir franchement à lui, c'est assavoir, quand nous cognoissons qu'il nous aime, et nous a, à gré comme l'ouvrage de ses mains. Ainsi cependant que nous ne savons si Dieu nous reiette, il faut que nous soyons en frayeur, et que nous fuyons sa presence tant qu'il nous est possible: et voila comme en sont toutes povres creatures qui n'ont point de goust de la bouté de Dieu pour se fier en lui, afin qu'elles se puissent consoler. Ainsi donc notons bien, qu'il faut que nous soyons persuadez de l'amour de Dieu envers nous, afin que de la nous concevions une telle fiance, que nous puissions nous presenter à lui, et que nous cognoissions que nostre souverain bien est de lui respondre, c'est à dire, de ne nous point cacher de sa face, mais estre tousiours prests d'estre conduits de sa main, que nous ne demandions sinon qu'il nous gouverne, et que nous soyons sous sa conduite. Mais cependant nous avons aussi à peser ce mot, De l'ouvrage des mains. Car voila en quoy nous pouvons constituer la fiance que nous sommes agreables à Dieu, c'est d'autant qu'il nous a formez, et que nous sommes siens. Il ne faut point donc que nous pretendions d'estre aimez de Dieu pour aucuns merites qui soyent en nous, mais d'autant qu'il voit que nous sommes son ouvrage. Or il est vrai, entant que nous sommes hommes, que desia nous sommes sa facture: mais il y a plus, c'est qu'il nous a reformez à son image par la grace de nostre Seigneur Iesus Christ. Quand le S. Esprit nous enseigne comme nous devons prier Dieu, il nous met ceci en avant, Seigneur, nous sommes ta facture. Voila comme il en est parlé eu Isaie (64, 8), et puis au Psaume 9D (V. 6. 7).

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Nous sommes ton troupeau, nous sommes l'ouvrage de tes mains: et en d'autres passages, Seigneur, tu ne despriseras point l'oeuvre de tes mains, tu n'abandonneras point ce que tu as commence, que tu ne le parfaces. Voila donc dont nous devons prendre occasion de nous fier en Dieu, quand nous lui sommes agreables, et que venans à lui, nous savons qu'il sera prest à nous recevoir. Et pourquoi ? D'autant que nous sommes ses creatures qu'il nous a formez, et qu'il ne voudra point reietter ce qui procede de lui. Voila pour un Item. Mais comme i'ai dit, il ne faut pas que nous regardions seulement à nostre creation premiere (car la fiance que nous devons prendre seroit bien maigre, d'autant que l'image de Dieu est comme effacee en nous par le peché d'Adam) mais puis que Dieu par sa misericorde infinie nous a reformez, et nous a adoptez pour ses enfans en nostre Seigneur Iesus Christ, qu'il a imprimé son image en nous: voila comme nous sommes sa facture, afin que nous puissions venir la teste levee pour l'invoquer, que nous puissions estre asseurez qu'il ne nous reiettera point, mais que nous lui serons à gré. Notons bien donc ce passage selon qu'il est utile, c'est assavoir, que c'est une condition miserable quand les hommes ne cognoissent point si Dieu les aime ou non. Et pourquoi? Car il faut qu'ils soient en une frayeur, et que ceste frayeur leur cause et engendre en eux une rebellion, qu'ils fuyent Dieu, qu'ils repoussent sa main tant qu'ils peuvent, qu'ils lui resiste t. Voila donc les hommes qui sont comme bestes sauvages, et ne se peuvent renger à Dieu, iusques à tant qu'ils ayent cognu qu'ils sont aimez de lui. Or au contraire quand nous savons que Dieu nous a, à gré, alors nous pouvons approcher de lui hardiment, voire pour lui respondre: assavoir, pour nous renger simplement à sa volonté, et pour trouver bon ce qu'il fait et dispose de nous: voire encores que nous soyons affligez de lui, que nous soyons tourmentez, et angoissez: toutes fois si faut-il que nous recourions à lui, comme à celui qui a le soin de nostre salut, et qui nous y fera parvenir. Il, t comment cela se fera-il? O ce ne sera point pour nos merites, mais d'autant que Dieu a accoustumé de desployer ses graces envers nous, et que nous tenons de lui tout ce que nous avons de bien. Voila donc comme nous pouvons esperer que Dieu parfera ce qu'il a commencé,

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si nous cognoissons que nous sommes desia obligez à lui tant et plus, et toutes fois qu'il veut augmenter ses graces en nous, iusqu'à-ce qu'il nous ait amenez à perfection. Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce passage. Or Iob là dessus entre encores en ses complaintes: et il ne s'en faut point esbahir. Car combien que les enfans de Dieu se consolent au milieu de leurs tristesses, et qu'ils se mettent devant leurs yeux ce qui leur peut donner bonne esperance: tant y a que si faut-il qu'ils ayent quelques troubles qui les agitent, et quand ils auront soustenu un combat, qu'ils rentrent encores au second et au troisieme.

Voila comme en est Iob. Il a prins ceste sentence que nous avons veu, pour se resoudre qu'il pouvoit venir à Dieu franchement. La raison ? C'est Qu'il eust à gré l'oeuvre de ses mains. Or maintenant le voila encores assailli de nouveau. Comment? Tu contes mes pas, et ne differes point mon peché. Il y a, Tu ne gardes point mon peché, mais ce mot de Garder, signifie faire le guet ou attendre. En somme donc Iob signifie, que le iugement de Dieu le presse trop excessivement. Or il parle en homme passionné: car il est certain que Dieu sera tousiours tardif à ire, comme il le declare, et nous le voyons aussi. Qui est celui de nous qui ne sente que Dieu use d'une grande patience et longue envers nous, quand nous l'avons offensé ? Car s'il estoit continuel à nous punir, que seroit-ce? Ainsi nous voyons que Dieu garde assez nos pechez, c'est à dire, qu'il les reserve pour n'en point faire une punition si rigoureuse comme nous l'aurions merité. Pourquoi donc est-ce que Iob se plaint ainsi? C'est d'autant qu'il se sentoit enserré en une telle angoisse, qu'il n'en pouvoit plus. Il ne regarde pas droitement à ce que Dieu fait, et aussi il n'en peut iuger en tel trouble, mais il se complaint selon sa passion. Nous voyons par ceci, que quand nous sommes ainsi violents en Nos affections, nous ne pouvons pas iuger d'un sens rassis des oeuvres de Dieu. Pourtant aussi ce n'est pas de merveille, si nous ne glorifions point Dieu pour la plus part du temps, ainsi qu'il seroit requis, et comme nous le devons faire. Et pourquoy ? Car nos passions nous transportent tousiours, tellement que si Dieu nous fait du bien, encores ne nous peut-il contenter: car nous sommes comme des gouffres insatiables, et il nous semble que c'est trop peu, et qu'il devroit faire ceci et cela. Au reste s'il nous afflige, nous sommes si delicats que c'est pitié, incontinent nous venons aux murmures sa rigueur nous semble trop grande: encores qu'il nous traitte d'une façon assez douce et amiable, nous n'en pouvons iuger ainsi. Et qui en est cause ? Nos passions exorbitantes. Voila donc

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comme Dieu n'est point glorifié de nous comme il appartient: c'est d'autant que nous sommes aveuglez aux affections de nostre chair, qu'elles nous troublent tellement, que nous ne pouvons pas avoir un iugement moderé et certain. D'autant plus nous faut-il batailler contre telles tentations, et les repousser: afin que nous puissions cognoistre que Dieu nous traite en iustice et en equité, que tout ce qu'il fait est avec raison, qu'il n'y a que redire. Afin donc que nous concevions cela, il faut que nos passions soyent mises bas, et qu'elles soyent tenues captives. Car si ceci est advenu à Iob, qu'il ait mal iugé des iugemens de Dieu, comme nous voyons: et que sera-ce de nous qui n'avons pas autant profité que lui de la centieme partie?

Cependant Iob est aucunement à excuser, pource que Dieu (comme nous avons dit desia par ci devant) le traitoit d'une façon extraordinaire: et quand cela sera bien cognu, c'est pour la plus grande condamnation de ceux qui se mescontentent de Dieu, encores qu'il les ait attendus en longue patience. Comme quoy? Voila un homme qui aura commis beaucoup de fautes, Dieu l'a espargné: et bien, en la fin il faut qu'il sente quelque correction, ou bien autrement il iroit tousiours son train: Dieu le punira. Or si tost que nous sommes touchez de sa main, c'est à crier, Helas! et à se lamenter, comme s'il estoit trop rigoureux contre nous: et tant y a que nous ne pouvons pas nier, qu'il n'ait esté doux et benin à differer la punition qui nous estoit deuë. Que s'il punit un peché, nous en avons commis cent: et s'il nous envoye quelque correction, il est certain qu'elle sera bien legere au prix de ce que nous avons desservi. Si nous estion comme Iob, que Dieu nous pressast, voire, et que nous De sceussions pourquoi, qu'il ne nous fist point sentir nos pechez, (comme nous avons veu) mais qu'il nous voulust mettre en exemple comme sur un eschaffaut: s'il nous affligeoit ainsi sans nous monstrer pourquoi, combien chacun de nous se oit-il fasché et angoissé? Ainsi donc toutes fois et quantes que Dieu nous visite par afflictions, advisons de bien penser à nos pechez, de regarder que desia de long temps nous avons merité que Dieu nous monstre telle rigueur: si nous avons esté supportez, et que du premier coup nous n'ayons point esté touchez, cognoissons que nous lui sommes redevables d'autant, et que cela est venu de sa misericorde infinie: et que si maintenant il nous afflige, c'est d'autant que nous l'avons contraint à ce faire, et que nous l'avons irrité par trop en nos pechez: bref, que nous avons abusé de sa bouté et grace, de laquelle il nous a soustenus et supportez par longue espace de temps. Voila ce que nous avons a noter. Au reste, ne contestons point si Dieu ne fait point de reserve

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de nos pechez. Car que profitera-il à un homme quand il aura du mal caché en soy, et qu'il n'en sera point purgé? car le mal qui est là pour devenir incurable, au lieu qu'il y avoit bon remede quand en n'eust point differé par trop Nous voyons comme il en advient a ceux qui fuyent les medecines. Car

quand en prevoit quelque inconvenient qui nous est prochain, si nous sommes refusans de prendre quelque purgation, afin que ce mal-la soit prevenu, si en attend iusques à l'extremité d'y pourvoir, il n'est pas temps quand en sera venu là: car la maladie aura gagné. Il y aura une forte fiebvre pour emporter l'homme: ou bien s'il y a quelque mal qui deust sortir par dehors si en le laisse là, voila une apostume qui s'enflambe, et ce sera pour faire perdre un membre, voire tout le corps: car cela allumera une fiebvre chaude, tellement qu'il n'y aura plus de moyen de guarison. Ainsi donc en est-il de nous: que quand Dieu voudroit faire reserve de nos pechez, ce seroit une pourriture pour augmenter la douleur: et quand ce viendroit à nous purger, le temps ne seroit plus opportun, et ainsi Dieu nous fait une grande grace, quand il nous purge de nos fautes, selon qu'il cognoist qu'il nous est propre pour nostre salut. Nous n'avons point donc de quoy nous plaindre de lui, mais plustost le glorifier en ce qu'il a le soin de nous: mesmes qu'il n'attend pas que nous lui demandions ce qui nous est profitable, mais qu'il provient pour corriger ceste maladie cachee qui est en nous. Voila quant à ce passage.

Or Iob adiouste, Que son peché est cacheté, et que Dieu a adiousté à son forfait. Le mot d'adiuster ne se prend point comme l'exposent beaucoup: c'est assavoir que Dieu fait les iniquitez de Iob plus grandes qu'elles ne sont: ainsi qu'un homme qui sera cruel, quand en aura commis une faute legere, et qui seroit à pardonner il en feroit un crime excessif et irremissible. Voila comme en a entendu ceste sentence, que Dieu adioustoit au forfait de Iob, d'autant qu'il le disoit plus grand et plus enorme qu'il n'estoit à la verité. Mais le texte monstre qu'il a tendu à une autre fin. Car ce n'est pas une chose nouvelle, sur tout en Iob, et aux Pseaumes, de voir nos repetitions: et cela est assez commun au langage Hebraique. Or regardons maintenant au contenu du verset. Iob prend ceste similitude, que Dieu a mis ses pechez comme en un faisseau, et que tout cela a este enserré, et que Dieu y a mis son cachet, pour dire que rien n'eschappera: et là dessus il adiouste, que Dieu y a mis un bon poids dessus, comme quand en Zacharie (5, 8) il est signifie que Dieu enferme l'iniquité il est dit, Que Dieu met une masse de plomb sur le vaisseau où elle est, qu'apres qu'il l'a

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enserree dedans un vaisseau, voila une masse de plomb dessus afin qu'elle ne puisse sortir. Ainsi donc maintenant Iob continue ceste similitude qu'il avoit mise, disant que Dieu a cacheté son peché afin que rien n'eschappe, qu'il n'y ait point un seul article qui ne demeure là. Et pour exprimer cela, il dit que Dieu y a mis un bon contrepoids, qu'en n'en pourra rien tirer, il faut que tous ses forfaits demeurent devant Dieu pour venir en conte, et pour estre iugez et condamnez. Nous voyons donc maintenant quel est le sens naturel du passage. Or il est vrai que Iob n eu quelque occasion de parler ainsi, d'autant (comme nous avons dit) qu'il estoit pressé d'une façon extraordinaire, que cela n'estoit point accoustumé, que Dieu traitast les hommes si rudement. Iob donc avoit quelque occasion de se lamenter ainsi: mais tant y a qu'il nous faut tousiours revenir à ce que nous avons touché, qu'il estoit pressé de passions excessives, et pour ceste cause qu'il ne tenoit nulle mesure, car il est certain que si Dieu l'eust voulu punir à la rigueur, il eust trouvé en lui des pechez beaucoup plus grans, et lui eust fait sentir un chastiement plus grand. Mais quoy? Il considere seulement ce que Dieu a accoustumé de faire aux hommes, et là dessus il se plaint.

Or de nostre costé nous avons en premier lieu à cognoistre, que nous sommes bien loin de la perfection qui estoit en Iob. Quand donc nostre Seigneur punira nos pechez, cognoissons que s'il nous afflige pour un, ou pour deux, qu'il y en aura trois ou quatre, voire plus grand nombre beaucoup, qu'un chacun entre en conte, et quand nous aurons bien examine nostre vie, ne trouverons-nous point qu'il y ait un abysme de pechez en nous? chacun ne sera-il point contraint de confesser qu'il est confus en soy? Qu'on s'adiourne, et qu'en espluche un peu quelle est nostre vie. Et comment en sommes nous avec Dieu? Nous serons bien hypocrites et bien stupides, si nous n'avons honte de nous-mesmes, et que nous ne soyons là comme accablez de contusion. Puis qu'ainsi est que Dieu lui mesme nous condamne, pourrons-nous dire que nous ne endurons pas pour nos pechez, et qu'il nous fait tort? Helas! nenni. Mais il faut que nous cognoissions qu'il laisse eschapper beaucoup de fautes, voire la plus grande part: et qu'il ne nous veut point punir à la rigueur, mais qu'il nous donne occasion de penser à nos pechez, et que nous ayons loisir de nous y desplaire pour luy en demander pardon. Voila ce que nous avons à noter de ce passage. Mais cependant notons aussi que Iob a cognu ses pechez: et c'est afin que nous n'estimions point que ci dessus il se soit voulu iustifier, qu'il ait fait comme font ces effrontez qui cuident estre du tout sans macule, voire qui pensent mesmes que

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Dieu leur soit redevable. Iob n'y a pas ainsi procedé. Et comment donc est-ce qu'il s'est iustifié? Nous avons desia declaré en quelle sorte, c'est en cognoissant ce que Dieu faisoit envers lui. Mais tant y a qu'ici Iob se met du reng des pecheurs, et cognoist bien que Dieu trouvera assez à redire en lui: mais cependant il est fasché que Dieu le traitte d'une rigueur si excessive, et qui n'estoit point accoustumee.

Or là dessus nous devons estre advertis de ne point regarder à ce que Dieu fait envers les autres. Car voila qui nous pousse souvent à impatience et à murmure. Nous voyons que Dieu ne punit point, ce nous semblera, ceux qui ont failli comme nous et qui mesmes sont plus coulpables: Voila Dieu qui supporte un tel, et ie voy si en fait comparaison, en trouvera qu'encores il a plus failli que moi. Nous concluons là dessus, que Dieu ne tient point telle equité et droiture comme il devoit: ou bien si nous avens honte de le blasphemer ainsi si est-ce que nous ne laissons point de nous chagriner, Et qu'est-ce que ceci veut dire ? Pourquoi est-ce que Dieu me punit de mes pechez, et que cependant i'en voy qu'il laisse là, qui ne sont pas meilleurs que moy? Si ie regarde à mes voisins, ie trouverai qu'ils sont plus coulpables que ie ne suis, et toutes fois ie ne voy point que Dieu les traitte si rigoureusement que moi. Voila donc comme les tommes seront faschez, quand ils regarderont çà, et là. Mais quoy? C'est une sotte façon de proceder à nous, d'autant qu'un chacun devroit fermer les yeux pour ne point contempler ce que Dieu fait envers les autres. Contentons-nous qu'il est iuste: et que s'il me traittoit d'une plus grande rigueur que ceux que i'estimerai avoir plus failli que moy, et bien, il sait que cela m'est bon et propre, il a une raison qui m'est cachee, et il faut que ie me contente de sa volonté, et sur cela que ie me submette simplement à lui. Au reste' nous faillons aussi bien, quand nous voulons estre iuges de nos prochains: car en aggravant leurs fautes, nous amoindrissons les nostres, et ne cognoissons point la dixieme partie des offenses que nous avons commises, et sommes par trop aigus à marquer et noter ce que les autres font: qui pis est, encores qu'une chose soit bonne, nous ne laissons pas de la condamner tant sommes malins. Abstenons-nous donc de ces condamnations-la: et quand il plaira, à Dieu de nous traiter en rigueur, que nous cognoissions qu'il le fait pour iuste cause, combien qu'elle nous soit incognue pour maintenant. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or Iob adiouste quant et quant Qu'une montagne s'en va en decadence, que les rochers se fondent, que les eaux cavent les pierres, et que l'homme mise

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rable est destruit de Dieu, voire mesmes que Dieu desploye ses forces contre lui. Aucuns entendent qu'ici Iob fait comparaison de la mort avec les montagnes, et les rochers, et les pierres, comme s'il disoit, Et comment? Les montagnes defaillent, et les rochers: mais la mort dure tousiours, elle demeure en sa vertu et vigueur. Qu'est-ce que Ceci veut dire? Mais ce sens-la est trop contraint, comme en le peut voir. Les autres pensent que Iob soit ici fasché de languir si longuement, et que sur cela il dise, Et comment? Ie ne puis voir ma fin, ie desire la mort, et elle ne vient pas. Si i'estoye une montagne, encores ie pourroye estre miné avec le temps: si i'estoye un rocher, ie pourroye tomber bas: comme nous voyons les rochers qui tombent au profond de la mer: si i'estoye une pierre, il ne faudroit sinon de l'eau pour me caver. Et nous voyons mesmes quand la mer sera desbordee, qu'elle gastera tout un pays: il ne faut qu'une raveine, et voila un degast, qu'il n'y a ne champs, ne terres, ne possessions, ne maisons, que tout ne soit renversé. Et ie suis une povre creature fragile, ie ne suis pas robuste comme les montagnes: et toutes fois ie ne puis pas mourir. Il est vrai que ce sens est assez convenable, et mesmes il approche du vrai sens naturel. Mais tant y a que Iob a voulu dire simplement que les montagnes defaillent, et que Dieu use d'une force envers lui: comme il faut grande violence pour abbattre les montagnes, et les rochers. Voila donc l'intention de Iob. Qui suis-ie Seigneur? Tu vois qu'il n'y a que foiblesse en moi: or comment est-ce que tu me chasties? I1 ne faudroit sinon que tu me touchasses du petit doigt, encores ne faut-il point que tu approches de moy, seulement que tu souffles, et me voila peri. Car quand Dieu nous regarde d'une face courroucee, il n'y a plus d'attente pour nous, sinon de mort et perdition. Ainsi donc il ne faut pas que Dieu s'arme, qu'il se munisse de grand pouvoir pour venir à bout de si miserables creatures qui sont moins que rien. Quand donc il use d'une grande violence' comme s'il vouloit foudroyer contre les montagnes, comme s'il vouloit renverser et fendre les rochers, et amolir les pierres, il n'y a point de propos en cela. Voila donc ce que Iob a voulu dire. Or nous avons tousiours à noter ce qui a este declaré, c'est assavoir que lob ne parle point comme un homme qui sera de sens posé, comme un homme qui regarde les choses ainsi qu'il doit pour les mediter en toute raison: mais il se desborde à l'encontre de Dieu. Et pourquoy? Car il monstre comme il a este agité et esbranlé: non pas qu'il ne resistast aux tentations (comme nous avons dit) mais si est-ce qu'il faloit qu'il sentist de telles vehemences en soy estant fasché et

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tormenté, cependant ai a-il persisté par la grace de Dieu. Par cela cognoissons que si tost que Dieu nous afflige, il De se peut faire que nous De soyons troublez, regardans aux autres: et cela nous fait augmenter nostre mal. D'autant plus devons nous tenir toutes nos affections bridees, et sur cela recourir à Dieu, afin qu'il lui plaise nous tenir serrez en nos appetits, qu'il De permette pas que iamais nous soyons desbauchez. Et au reste quand il voudra encores nous humilier, et que il nous laschera la bride, tellement que nous ne pourrons pas nous tenir de nous despiter quand il nous affligera: qu'il nous face la grace de resister et de combattre: qu'il ne permettre point que nous demeurions là en ces murmures, que nous rongions nostre frein: mais, que nous nous moderions, et que la vertu de son S. Esprit se monstre, afin que nous poissions donter nostre chair, et nous tenir en vraye suiettion, afin qu'il dispose de nous, et que nous luy donnions gloire en tout ce qu'il fait. Voila ce que nous avons à retenir en premier lieu de ce passage.

Au reste quand il dit. Que l'homme est miserable, et qu'il y a tant de miseres en luy qu'elles ne se peuvent point assez exprimer: il veut conclurre par cela, que Dieu ne devroit point tant poursuyvre les hommes. Mais cependant regardons un peu la durté qui est en nous, quand Dieu nous afflige, combien que nous soyons batus tant et plus, voit en que nous soyons amolis? que nous plions le col? qu'il gaigne sur nous ce poinct de nous avoir dociles, et obeissans? Helas nom Mais nous voyons auiourd'huy que Dieu peut faire ceste complainte qu'il faisoit du temps du Prophete Isaie (1, 6), Que ferai-ie plus? Car depuis la plante des pieds iusques au sommet de sa teste il n'y a point de santé en ce peuple. Dieu se fasche d'autant qu'il avoit tant chastié ce peuple, et qu'il avoit essayé de l'amener à quelque correction. Et bien, voila un peuple qui a esté batu et rebatu, il est miné et de peste, et de guerres, et de famine, et en general et en particulier, ils sont là comme des povres ladres pourris en leurs afflictions: et cependant si est-ce qu'ils sont rebelles tant et plus que iamais. Qu'ayie gaigné? Voila donc nostre Seigneur qui est là comme un pere qui ne voit nul amendement en ses enfans, qui est tout despité, de ce que pour quelque correction dont il use, il voit que ses enfans luy Sont tousiours rebelles et incorrigibles: il se complaint là dessus, Helas! Et qu'est-ceci? I'ay. bien perdu ma peine. Et ainsi Dieu se complaint de ce peuple. Et auiourd'huy n'en voyons nous pas autant en nous? Ainsi donc notons que si nous sommes miserables, et s'il y a beaucoup de povretez en nous encores: pour cela nous ne laissons pas d'estre durs et robustes, voire quant à ceste fierté

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et à ceste presomption aveugle et enragee qui est en nous: quant à nostre rebellion et malice, en tout cela nous surmontons et les montagnes et les rochers, combien que nous ne soyons qu'une petite ombre, ou une fumee. Et ainsi ne trouvons point estrange si Dieu desploye une telle vertu pour nous corriger. Et pourquoy? Car il De regarde point à l'infirmité qui est en nous, mais il regarde à ceste durté malicieuse par laquelle nous luy voulons resister. Les montagnes sont elles bien hautes? Regardons un peu le coeur de l'homme: il y a une telle felonnie que nous voulons surmonter les nues, nous voulons mesmes venir iusques au siege de Dieu pour l'arracher de là, et nous ne sommes que povres charongnes: cependant toutes fois il y a une telle audace en nous, que nous voulons controller Dieu en toutes ses oeuvres, que nous De pouvons pas nous assubiettir à lui, pour dire, Et bien Seigneur, que tu ayes tout empire sur tes creatures, que nul ne murmure contre toy: mais nous voulons faire à Dieu son procez tous les coups: et puis s'il ne fait tout à nostre guise et à. nostre gré, c'est à nous rebecquer. Et puis quand il ne nous permet pas ce que nous desirons, mais nous tient en bride. Et voire, faut-il que nous soyons en une captivité si estroite? il semble que Dieu vueille de propos deliberé ici fascher les hommes, sans avoir esgard à nostre condition: et s'il nous ordonne de vivre ici bas, que ne permet-il pour le moins que nous ayons ce que nostre nature appete, ou bien que ne nous a-il donné autre inclination? Voila une fierté diabolique qui est aux hommes. Et puis il y a la malice obstinee, que quand Dieu taschera de nous reduire à soy, en peut-il chevir? sommes-nous dociles? De quelque costé qu'il nous tourne, ce n'est rien fait: car nous avons tousiours ceste hautesse et fierté de coeur: et combien que nous ayons fait des chathemites pour un peu de temps, qu'en tourne la main, et en trouvera qu'il y a eu du venin caché là dedans, tellement que nous retournons a faire comme auparavant.

Nous voyons donc comme ceste durté a besoin d'estre corrigee d'une façon estrange. Et c'est ce que nostre Seigneur dit en Ieremie: car il se plaint du peuple qui estoit incorrigible, mais c'est sous une autre similitude que ne fait point le Prophete Isaie, selon que nous avons allegué: et la comparais, n que Dieu donne là, est bien propre pour ce que nous traitons maintenant. Dieu dit, que le peuple est semblable à un gasteau qui est bruslé d'un costé, et cru de l'autre. Comme, prenons le cas qu'en ait eschauffé le foyer, voila l'autre qui est tout bruslant et estincelant: et bien, en prendra le gasteau, en le met dessus, il ne se cuit point, mais il se brusle d'un costé, et de l'autre c'est paste molle. Ainsi en est-il de nous: il n'y

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a que fragilité d'une part comme en voit qu'en dira assez, Helas! et qu'est-ce que des hommes? Il n'y a rien que povreté et misere. Nous disons bien vray en parlant ainsi: mais quand Dieu nous visite et nous chastie, monstrons-nous que nous puissions cuire sous ses corrections? Mais devant que cuire nous bruslerons plustost: c'est à dire, Dieu ne pourra tirer une bonne correction de tous les chastiemens qu'il fera, mais plustost nous entrerons en nos coleres et despits: et sur cela nous allumerons le feu de son ire et de sa vengeance. Voila donc la bruslure, au lieu que Dieu vouloit que nous fussions bien cuits. Voila pourquoy il use d'une telle violence en nous chastiant. Allons maintenant nous plaindre que Dieu foudroye sur des montagnes, et qu'il n'y ait point de propos: et gagnerons -nous nostre cause ? Que profiterons-nous en plaidant ainsi Ce sera pour tousiours augmenter nostre condamnation. Cognoissons donc que quand Dieu voit une durté obstince en nous, il faut bien qu'il y mette sa main forte: et ne faut point qu'il use d'un moyen gratieux: car cela ne serviroit rien. Voila donc ce que nous avons à noter de ce passage. Et au reste cognoissons que si Dieu ne frappe pas si rudement, comme sur une montagne ou sur un rocher, quand il nous chastie: cela procede de sa misericorde. Or voyons-nous qu'il s'en faut beaucoup que Dieu use d'une telle rudesse: car nous ne pouvons pas dire qu'il ne regarde nostre salut quoy qu'il en soit, ie di, en nos plus grandes afflictions: car quand il semble qu'il nous ait amenez iusques aux enfers, si est-ce qu'il nous donne dequoy nous consoler et resiouir. Mais nous devons attribuer cela, à sa misericorde paternelle cognoissans qu'il faut bien que Dieu use d'une merveilleuse grace, quand au lieu qu'il devoit foudroyer contre nous, il se monstre si doux et si benin qu'il ne demande sinon de nous faire sentir sa bouté. Voila donc en somme ce que nous avons à noter de ce passage.

Or Iob adiouste quant et quant, Que Dieu desploye ses forces iusques à ce qu'il luy change sa face, et qu'il desparte de luy, et qu'il ne sache quels seront ses heritiers, ou povres ou riches, s'ils seront nobles OU mesprisee. Iob poursuivit sa complainte, et monstre, que quand Dieu aura affligé les hommes tout le temps de leur vie, leur issue aussi sera semblable: et que quand ils seront decedez de ce monde, ils n'auront plus cognoissance des choses ici bas. Et puis il adiouste pour conclusion, cependant que sa chair sera sur luy, qu'il faudra qu'elle se dueille, et que son ame soit en tristesse et il se lamentera. Il est certain que ceste compleinte n'est pas sans ingratitude, car lob devoit cognoistre que Dieu mesle tousiours de ses graces parmi les afflictions qu'il nous envoye, tellement

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que nous avons dequoy le benir. Or il n'a point consideré cela. Pourquoy ? D'autant qu'il estoit passionné et contristé par trop. Et ainsi il nous faut retenir encore ce que nous avons dit auparavant, c'est assavoir, que toutes fois et quantes que Dieu nous afflige, nous devons reduire en memoire les benefices que nous avons receus de luy: et cela sera pour temperer nos douleurs, car quand nous ne pensons sinon an mal que nous avons à endurer, nous sommes saisis d'angoisse, tellement que nous ne pouvons pas benir Dieu, l'invoquer, et nous reposer sur luy: mais si nous regardons à l'opposite, Et Dieu nous a fait tant de biens: ne continuera-il pas? voila nos douleurs qui sont adoucies. Et puis nous avons aussi la hardiesse d'invoquer Dieu. Sur cela nous faisons conclusion, qu'il nous faut estre patiens, que c'est bien assez de ce qu'il s'est monstré nostre bon Pere envers nous, et que ce qu'il nous a corrigé de sa main, ç'a esté d'autant qu'il aime nostre salut. Voila donc ce que nous avons à noter en premier lieu, que pource que Iob n'a regardé qu'à ces maux, il s'est desbordé en un tel despit, et pourtant nous faut-il bien reduire en memoire les benefices de Dieu cependant qu'il nous afflige, afin que nostre douleur soit attrempee et adoucie d'autant. Or si nous en faisons ainsi, nous trouverons que Dieu ne nous envoye point un tel dueil, et au corps et à l'ame qu'il n'y ait tousiours matiere de ioye. Et comment? Car combien que nous soyons suiets à beaucoup de maladies, à froid, à chaut, à telles passions: quand nous avons ce moyen d'approcher de Dieu, et luy pouvoir declarer nos infirmitez, ne voila point une recompense qui doit bien adoucir toutes nos tristesses, que nous aurons conceuës ? Nous voyons donc comme nous pourrons resister à telles compleintes qui sont pleines d'ingratitude: c'est assavoir, quand nous penserons aux graces que nous avons receues auparavant de la main de Dieu, et que là dessus nous espererons qu'il continuera pour l'advenir.

Or il est vray que nous devons estre admonnestez que durant Ceste vie il nous faut gemir, et que quand nostre chair nous dueil, nous devons bien lamenter. Et pourquoy? Afin que nous n'appetions point d'estre ici à nostre aise, et à nostre souhait. Dieu nous a declaré qu'il veut qu'en ceste vie presente nous soyons affligez, et quant à nos corps, et quant a nos ames: il faut donc que nous facions nostre conte de cela. Mais notons, qu'au milieu de toutes nos tristesses nous aurons dequoy benir Dieu, comme S. Paul en fait (Rom. 7, 24). Il s'appelle bien miserable, O malheureux que ie suis (dit-il) qui est-ce qui me delivrera de ceste prison de mon corps? Mais quant et quant il rend graces à Dieu par nostre Seigneur Iesus Christ.

IOB CHAP. XV.

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Quant à ce que Iob dit, Que l'homme estant trespassé ne sait qu'en fait ici bas, si ses successeurs Sont povres ou riches: cela n'est point pour fonder un article de foy, que ceux que Dieu retire de ce monde ne sachent quel est nostre estat: car Iob a parlé comme un homme qui estoit troublé. Il ne faut point donc que nous prenions d'ici certitude de doctrine: et aussi nous n'avons pas beaucoup à faire de nous enquerir de telles choses. Et pourquoy? Qu'il nous suffise que Dieu nous a mis en ce monde, afin que nous communiquions ensemble: et aussi chacun se doit employer pour les prochains: Dieu m'a donné telle faculté, il faut donc que ie m'applique là. Et puis nous pouvons prier Dieu les uns pour les autres. Mais quand il nous a retirez de ce monde, ceste communauté-là nous est ostee, et il n'y a plus de communication comme elle estoit auparavant: et ne faut point que nous facions comme en la Papauté, là où en a accoustumé de recourir aux saincts trespassez, comme s'ils n'avoyent point achevé leurs courses. Maintenant puis que l'Escriture nous donne instruction de ce que nous devons faire en cest endroit, que nous laissions en doute et en suspens ce dont nous n'ayons point resolution certaine par la parole de Dieu: car c'est aussi la simplicité en laquelle nous devons cheminer. Mais quant à ce passage, nous voyons en somme que Iob ne signifie sinon que l'homme est miserable. Et pourquoy? Car durant sa vie (dit-il) il est plein de dueil et d'angoisse. Et à la mort qu'est-ce qu'il y a? C'est l'extremité de toutes miseres, d'autant qu'il semble que l'homme doive estre exterminé. Et Iob a ainsi parle, d'autant (comme nous avons dit) qu'il estoit transporté de ses passions. Mais de nostre part contentons-nous que si durant ce te vie nous sommes en langueur, que nostre chair se dueille, que nous soyons en tristesse: et bien, nous avons dequoy nous resiouir en Dieu, d'autant qu'il nous promet de nous estre tousiours Pere et Sauveur. Mourons-nous? Nous savons que }a mort nous est profitable, comme dit sainct Paul, d'autant que Dieu par ce moyen-la nous retire des povretez de ce monde, pour nous faire participans de ses richesses, et de son immortalitè glorieuse.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu etc.

LE CINQUANTESEPTIEME SERMON,

QUI EST LE I. SUR LE XV. CHAPITRE.

1. Eliphas Themanite respondant, dit, 2. L'homme I sage profera-il science de vent, et remplira-il les ventres de vent d'Orient? 3. Arguera-il de propos non convenables, et de paroles illicites. 4. Or tu distraits la crainte, et destournes la priere à Dieu: 5. Ta bouche te redarguera d'iniquité, et tu as prins la langue des rusez. c. Ta bouche te condamnera, et non pas moi, et tes levres rendront tesmoignage contre toi. 7. Es-tu le premier homme né? As-tu esté creé devant les montagnes? 8. As-tu entendu les secrets de Dieu, et la sagesse est-elle restrainte à toi? 9. Que cognois-tu que nous ne sachions? qu'entens-tu qui ne soit en nous? 10. Car nous sommes chauves et anciens. Il y a homme aagé entre nous plus que ton pere.

Quand nous savons que nous avons parlé en verité, et selon Dieu, et toutes fois qu'en reiette tout ce que nous avons dit, c'est une tentation tort dure et pesante. Car là nous ne sommes pas seulement blasmez en nos personnes: mais nous voyons I Calvini opera. Vol. XXXIII.

qu'en reiette ce qui est de Dieu. Or il a fallu que Iob soustint un tel combat, comme nous voyons en ce passage. Il avoit maintenu sa cause, non point par finesse, ni malice, ni aussi par ignorance: et toutes fois il lui est reproché, Qu'il a prins la langue des rusez, des contempteurs de Dieu' et que tout ce qu'il dit est comme vent, qu'il n'y a nulle fermeté, qu'il n'y a nulle raison. Iob donc est ici griefvement accusé, pource qu'il soustenoit la doctrine laquelle il cognoissoit estre de Dieu. Or oest exemple nous doit auiourd'hui servir: car il y en a qui se troublent, voyans qu'en ne reçoit point la parole de Dieu, mesme que la plus part du monde la condamne Mais quoi? Puis que de tout temps les hommes ont esté rebelles à Dieu, et qu'il n'est point venu à bout de leur faire recevoir ce qui estoit bon: ne trouvons point estrange s'il nous faut encores passer par là: et que l'authorité de Dieu et de sa parole, ne soit point amoindrie pour nostre rebellion et par la malice des hommes. quand ils

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ont le iugement ainsi perverti, et qu'ils ne se peuvent addonner au bien. Et quant à ceux qui ont la charge de porter et d'annoncer la parole de Dieu, s'ils voyent qu'en les reiette, qu'ils persistent constamment toutes fois, et que cela ne les desbauche point. Car non seulement Iob a este condamné en sa parole, mais le propre Fils de Dieu. Nous voyons que tant s'en faut qu'en ait accepté sa doctrine, qu'en s'est eslevé à l'encontre furieusement, qu'il a esté accusé de blasphemes. Si auiourd'hui cela se fait encores, il n'est pas nouveau. Mais cependant advisons à faire ce que Dieu nous commande. Que les hommes s'eslevent tant qu'ils voudront, et qu'ils resistent à Dieu, et à sa verité: si faut-il que cela se passe, et que nous ne laissions point de faire nostre devoir. Voila pour un Item. Or cependant il nous faut noter, que combien que les propos qui sont ici recitez d'Eliphas ayent esté mal appliquez à la personne de Iob: neantmoins en general nous en pouvons recueillir une bonne doctrine et utile.

Et en premier lieu quand il est dit, Que l'homme sage ne profere pont paroles de vent, et qu'il ne remplist pas le ventre des auditeurs d'un vent d'Orient: c'est ce que nous voyons communement en l'Escriture saincte, c'est assavoir, que nos propos ne doivent pas estre inutiles: mais qu'ils doivent estre confits en sel: comme S. Paul use de ceste similitude-là: et puis pour exprimer son intention, il dit (Colos. 4. 6), Que nos propos doivent estre fermes, pour edifier, pour apporter profit à ceux qui nous escoutent, afin qu'ils soyent enseignez en la crainte de Dieu, qu'ils soyent conduits quand ils seront en chemin, qu'ils soyent exhortez. Voila donc ce que nous avons à noter de ceste sentence d'Eliphas, c'est assavoir, que nos propos doivent estre d'edification. Or si cela y est, ils ne seront point semblables à vent, c'est à dire, ils n'auront pas une enflure vaine, mais il y aura une fermeté qui sera pour paistre les ames. Et de fait voila pourquoi il est dit, Que la doctrine bonne et saincte est comme pasture. Si nous prenons viande convenable, nous sommes rassasiez, nous cueillons vigueur, nous n'avons point nostre estomac enflé mais il y aura nourriture bonne et propre. Ainsi en est-il de la parole de Dieu, quand elle sera bien appropriee à nostre usage nous en serons rassasiez, nous en serons substantez, et n'y aura pas cependant une enflure qui nous rompe l'estomac, et qui n'apporte nulle substance ne nourriture. Voila donc les deux articles que nous avons noter. Le premier, est que si en ne prend goust en nos propos, quand nous aurons mis en avant ce qui est bon et utile, et de Dieu: pour cela nous ne devons point estre desbauchez, veu que le semblable est advenu non seulement à Iob, mais à tous les serviteurs de

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Dieu, que leur doctrine n'a eu nulle saveur au monde, qu'en s'en cet moqué, qu'il a semblé que cela ne fut que vent, et chose frivole. Mais au contraire advisons de nostre coste quand nous parlerons, que ce soit pour edifier nos prochains, que cela apporte une utilité ferme: voire mesmes en nos propos communs, il nous faut observer ceste reigle, car combien que là nous ayons plus de liberté, si est-ce toutes fois que Dieu condamne ceste vanité qui est en nous, quand nous sommes adonnez à babiller de choses inutiles: et nous voyons neantmoins qu'en ne s'en peut tenir, et qu'en ne prend nulle resiouissance, sinon qu'en s'esgare en paroles de vent. Or les hommes sont-ils ainsi adonnez à cela? Ce n'est pas à dire qu'il leur soit licite pourtant: car Dieu les en redargue, comme nous voyons.

Retenons donc la doctrine que nous avons desia allegué de S. Paul, c'est que nos propos ne doivent point estre inutiles, mais confis en sel, qu'ils puissent edifier, qu'ils puissent apporter quelque profit à ceux qui les oyent. Mais sur tout quand il est question de traiter de la parole de Dieu, il faut qu'elle soit plus privilegiee sans comparaison. Regardons donc en cest endroit, d'user d'une telle sobrieté, que nous ne profanions point ce que Dieu a ordonné à nostre salut. Car il est certain que quand nous parlons de Dieu, et traitons de sa parole, si nous ne faisons que nous iouer, et que nous demenions des questions inutiles, et des disputations vaines, c'est un sacrilege. Et pourquoy? Car nostre Seigneur a declaré que sa parole nous doit est: profitable. Or si nous l'allons traitter en sorte, que nous ne l'appliquions point à son usage droit et legitime, mais qu'en s'en iouë comme d'une pelotte, et qu'en ne regarde point qu'il y ait quelque bonne instruction, mais qu'en ait les aureilles comme remplies de vent, que cela ne soit que pour satisfaire à la couriosité vaine des hommes: ne voila pas polluer une chose saincte? Quand ce qui est pour nostre salut est mesprisé, et mis sous le pied, ne voila point une grande iniure et deshonneur qu'en fait à Dieu? Ainsi donc regardons à nous de plus pres: et quand il est question de traitter des choses sainctes, que ce soit avec telle reverence, qu'il y ait tousiours instruction bonne et solide, c'est à dire, qu'il y ait telle fermeté, que les ames en soyent nourries. Et mesmes il nous faut noter ceste similitude de vent, dont parle ici Eliphas. Car (comme desia i'ay dit) si une doctrine est bonne, elle aura telle substance que nous en serons rassasiez, nous trouverons qu'il y a là bon appuy. Au contraire qu'est-ce de toutes ces curiositez? Il est vray qu'il y aura beaucoup de vent, il y aura belle monstre, et grande apparence: mais cependant si est-ce que nous y defaudrons. Et

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aussi voila pourquoy sainct Paul dit (1. Cor. 8, 1) Que la science de soy quand elle n'a point dé charité, ne fait qu'enfler: mais charité (dit-il) edifie, quand nous oyons la parole de Dieu pour estre instruits deuëment, ou en parlons tellement que les autres en sont aussi instruits. Mais si nous voulons estre reputez savans, et que chacun appete par folle ambition estre tenu d'esprit aigu, et qu'en iuge qu'il est bien exercë en l'Escriture: que serace? Vent, et enflure, dit S. Paul. Et voila quelles sont les theologies que les hommes se sont forgees et basties par leur ambition. Comme nous voyons qu'en toute la Papauté, ce qu'en appelle theologie n'est sinon une enflure de vent d'Orient, qui desseche, et n'a nulle substance pour repaistre et nourrir les povres ames. Or en en peut faire une distinction generale en deux poincts. Les papistes ont une partie de leur theologie de questions et querelles qui n'apportent nul fruit. En premier lieu ils s'y tormentent tout le temps de leur vie, et n'y peuvent trouver aucune resolution. Pourquoy? Ils se veulent enquerir de ce que Dieu n'a iamais revelé, et mesmes de ce qu'il nous veut estre caché. Or nous savons quand il n'a point parlé, qu'il veut que nous ayons la bouche close, il ne veut point aussi que nous ayons les aureilles chatouilleuses, pour demander que c'en sera: mais que nous soyons ignorans, quand il ne nous enseigne point. Voila quelle est nostre vraye sagesse, c'est, que nous ne desirions point de plus savoir que ce que Dieu nous monstre en son escole. Voila donc les theologiens Papistes qui font des questions de choses que Dieu nous veut estre incognues. Ils ont beau en debatre, iamais il n'en seront resolus: car il n'y a que coniectures. Mais prenons le cas qu'en en peust avoir certaine resolution, et qu'en peust dire, Il est ainsi: si est-ce qu'il n'y a nulle edification ne profit quand en seroit resolu de ce qu'ils debatent en leurs escoles. Qu'ainsi soit, en ne demandera pas là, si nous sommes sauvez par la seule misericorde de Dieu: en ne monstrera pas qu'estans asseurez de la remission de nos pechez, nous devons avoir tant plus grande occasion de leur et magnifier sa bouté envers nous: en ne declare pas quelle consolation nous devons prendre en nos afflictions. Nenny. Car il n'est pas là question sinon de voltiger en l'air: et ceux qui sont les plus inutiles, en les estime les plus savans: ils sont habiles gens, car ils sont speculatifs, c'est à dire, qu'ils se transportent en l'air, et qu'ils n'ont nulle fermeté. Voila donc une profanation vilaine de la parole de Dieu, et quand il n'y auroit en la Papauté nulle doctrine mauvaise de soy, et qui fust pleinement fausse: si est-ce neantmoins qu'il faut detester un tel style qu'ils ont controuvé, car par ce moyen ils ont perverti le vray

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usage et naturel de la parole de Dieu, comme i'ay desia dit.

Ainsi donc retenons bien, que tout ce qui ne peut servir que d'enflure, et qui desseiche au lieu de repaistre, et donner bonne nourriture et substance aux ames, soit entierement reietté de nous. Or la seconde partie de la theologie Papale est d'establir un franc arbitre aux hommes, pour leur faire a croire qu'ils ont quelque vertu en eux d aspirer au bien: ou s'ils n'y peuvent du tout aspirer que quand la grace de Dieu les a prevenus, ils sont ses coadiuteurs et compagnons, et qu'ils s'avancent de leur vertu propre, tellement que de là procedent les merites: et quand ils auront fait ce qui est en eux, que la grace de Dieu ne leur defaudra point (voire comme s'ils le pouvoyent obliger) et d'autre costé qu'ils peuvent acquerir par leurs bonnes oeuvres graces envers Dieu: et s'il y a quelque d faut, qu'ils auront les satisfactions pour recompenser. Quand donc les Papistes enseignent ainsi aux hommes, qu'ils peuvent ceci et cela: n'est-ce pas les enfler de presomption et arrogance, à ce qu'ils s'eslevent à l'encontre de Dieu, qu'ils se flattent en leurs vertus, comme s'ils pouvoyent merveilles? Voila un poinct qui est encores plus pernicieux, qu'il n'est pas aux questions inutiles comme i'ay desia touché. Il est vray que tous les deux sont bien à reprouver: mais cependant il y a icy plus grand mal: car si les hommes se confient en eux-mesmes, et qu'ils se flattent en leurs propres vertus, c'est pour les ruiner du tout, c'est un venin mortel: il n'y a point seulement une enflure simple, mais il y a une arrogance diabolique, qui est pour mener les povres ames à perdition. Nous voyons donc par ce moyen que toute la theologie Papale n'est que vent, voire qui enfle les povres an s, et ne leur donne nulle nourriture. Que faut-il donc? Apprenons d'avoir des propos qui soyent pour bien edifier, et pour rassasier les povres an 3S: que nous soyons enseignez en Is crainte de Dieu, et cependant que nous cognoissions que de nous-mesmes nous ne pouvons rien: mais qu'il nous faut puiser de ceste fontaine de toute iustice et droiture, qu'il faut que Dieu nous communique de sa grace: car sans cela nous serions du tout v ides de bien. Quand une telle doctrine sera mise en avant, elle sera pour edifier, et nous en serons nourris et substantez. Et puis que nous advisions aussi d'attirer nos prochains à une mesme nourriture, tellement que nous soyons repeus de la verité de Dieu, comme elle est une viande ferme, et qui nous doit bien edifier. Voila donc ce que nous avons à retenir en somme de ce passage.

Or il y a puis apres une declaration que nous devons bien noter: car Eliphas monstre, pourquoy il accompare une doctrine frivole à du vent oui

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desseche. Il dit, Tu ostes la crainte, et soustrais l'oraison à Dieu. Il est vray que le second mot dont il use, signifie quelquefois meditation: mais il est prins communement pour oraison et prieres. Et icy il n'y a nulle doute qu'Eliphas n'ait voulu noter les deux parties principales de l'edification que nous avons à recevoir d'une bonne doctrine. Car à quoy est-ce que Dieu tend, quand il nous propose sa parole? C'est de nous tenir en bride, et nous faire cheminer en sa crainte, et en son obeissance: et puis que nous ayons du tout nostre fiance en luy, que nous l'invoquions, veu que nous sommes destituez d'esprit de sagesse, de iustice, de vertu, et de vie Voila donc les deux poincts que nous avons à observer, quand nous voudrons tendre à un droit but: et c'est aussi à quoy Dieu nous appelle. Il est vray que nous orrons beaucoup de choses quand en nous traittera la parole de Dieu: mais (comme i'ay dit) le tout revient là. Eliphas donc voulant conclurre qu'une doctrine n'est que vent qui enfle et confle l'estomac, dit qu'elle oste la crainte, et soustrait l'oraison à Dieu. Comme s'il disoit, Quand nous sommes destournez de la crainte de Dieu, et que nous ne sommes point advertis de l'invoquer, et de recourir à sa bonté voila du vent qui est pour nous faire crever, et qui n'apportera nulle nourriture. Par cecy donc nous pouvons mieux voir quelle est l'edification dont i'ay parlé. Il est dit souvent par. S. Paul, que nous devons estre edifiez. Or quel est cest edifice ? C'est que nous soyons enseignez en la crainte de Dieu, et que nous y soyons confermez de plus en plus: et puis secondement que nous soyons instruira, à l'invoquer, que nous soyons admonnestez de cercher tout nostre bien en luy seul, comme c'est là aussi que nous le trouverons. Touchant de la crainte, cela emporte que nostre vie soit reglee selon la volonté de Dieu. Car qu'est-ce des hommes, quand ils ne cognoissent point qu'ils sont suiets, à leur Createur? Ils se desbordent à tout mal: nous savons quelles sont nos cupiditez. Si donc la crainte de Dieu nous domine, c'est que nous cognoissions qu'il ne nous a point mis au monde, pour y vivre en telle liberté que bon nous semblera: mais qu'il se reserve tout droit sur nous, que nous lui obeissions. Voila (di-ie) qu'emporte ce mot de crainte: c'est, que nous apprenions de regler nostre vie à la volonté de Dieu. Nous avons sa Loy, par laquelle il nous conduit, il nous monstre comme nous avons à discerner entre le bien et le mal. Si donc nous ne voulons estre du tout confus, il faut que nous commencions par là. Mais cependant qui est-ce qui nous pourra advancer en la crainte de Dieu, sinon que nous soyons gouvernez par son Esprit? Car nous sommes vuides de tout bien, et nous ne tendons qu'à mal. Et quand

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nous ferons comparaison entre la Loy de Dieu, et la vie des hommes, voire toute leur nature, en trouvera un combat mortel comme entre le feu et l'eau: et qu'il n'y a rien plus contraire à la iustice de Dieu, que toutes les affections de nostre chair: car ce sont autant d'inimitiez contre luy comme sain t Paul en parle au huitieme des Romains (v. 7).

Puis qu'ainsi est donc, il nous faut venir à ceste priere: veu que nous tirons du tout à mal, que mesmes nous y sommes transportez, et ravis d'une furie, que nous requerions, à Dieu qu'il mette la main sur nous, afin de nous guider, qu'il face que son sainct Esprit domine, en aorte que nous puissions adherer à sa iustice d'une franche et simple volonté, et à tout ce où il nous appelle. Aussi qu'il ne permette point que toutes les tentations de Satan, et du monde nous destournent de bien faire: qu'il luy plaise de nous pardonner nos fautes, et nous estre tousiours propice et amiable. Voila donc la priere qui doit estre coniointe à la crainte de Dieu: car ce n'est point assez qu'en nous monstre ce que nous devons faire, ce que Dieu requiert de nous; et quel est nostre office: mais faut que nous soyons aussi exhortez d'aller a luy, et d'y avoir tout nostre recours, d'y cercher ce qui nous de ut, afin qu'il subvienne à nos povretez, et qu'il y mette remede, comme il en est le seul et souverain medecin. Or quand nous aurons bien retenu ce passage, nous aurons beaucoup profité pour un iour. Nous viendrons souvent au sermon. Ma quoy? Nous ne faisons que vaguer, ai nous n'avons ces deux articles, et que nous soyons là attentifs: que venons-nous icy faire? C'est que nous cognoissions ce que Dieu demande de nous, comme nous avons à cheminer, que nous ne soyons point comme bestes en ce monde. Or il n'y a nulle regle que Dieu approuve, sinon qu'en luy obeisse qu'en se renge à sa volonté: car toutes les devotions que les hommes pourront avoir ne sont qu'autant de folies: comme nous voyons que les povres Papistes se tourmenteront beaucoup, qu'il n'y a nulle fin, qu'il faut faire ceci et cela. Mais quoi? qu'y gagnent-ils, Car ce sont toutes choses controuvees, aussi la Loi de Dieu est comme ensevelie entre-eux. Ainsi donc advisons de ne nous point abuser: mais quand nous venons un sermon, que ce soit pour avoir une vraye certitude en laquelle nous ne puissions faillir: ce qui sera quand nous n'aurons que la seule volonté de Dieu pour regir et gouverner toute nostre vie. Mais ce n'est pas encore le tout. On aura beau nous battre les aureilles de predications, pour dire, Voila ce que vous avez à faire, voila ce que Dieu vous commande: iusques, à ce que nous ayons apprins

que c'est lui qui imprime sa Loi en nos coeurs,

IOB CHAP. XV.

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qui l'engrave en nos entrailles, c'est lui qui nous donne vertu pour adherer à ses commandemens, que c'est lui qui par son sainct Esprit donne vertu et efficace à la doctrine, c'est lui qui nous accepte par sa bouté, nous pardonnant nos pechez, iusques à ce que nous ayons apprins cela, et que nous ayons esté instruits de recourir à lui pour lui demander toutes les choses dont nous avons besoin. Ce ne sera point assez quand en nous dira, Voila ce que vous devez faire: mais il faut (comme i'ai dit) que Dieu nous donne la vertu d'accomplir ce que nous lui demanderons.

Au reste par ceci nous sommes admonnestez, que nostre foi n'est point edifiee en mal, mais qu'elle engendre tousiours une affection de louër Dieu, et d'avoir nostre recours à lui. Quand on nous dira que nostre Seigneur Iesus nous a reconciliez à Dieu son Pere: et que quand il a espandu son sang, Q a esté pour nostre lavement, afin que nous soyons purs et nets, qu'il a payé le prix de nostre rançon, afin que nous soyons acquitez par sa iustice, que par icelle nous soyons aggreables à Dieu, et qu'il use de sa misericorde envers nous: quand, di-ie, nous cognoissons toutes ces choses, c'est afin que nous V adherions pleinement, pour dire, Et bien, comment est-ce que nous pouvons estre sauvez, sinon par la pure grace de Dieu, quand nostre Seigneur Iesus a satisfait pour nous? Et afin qu'il faut que nostre fiance soit appuyee là. Or cependant devons-nous demeurer endormis ? Nenni non mais il nous faut estre reveillez pour recourir à Dieu, pour dire, Nostre bien où est il? En la mort et passion de nostre Seigneur Iesus Christ: il le faut donc là cercher: car nous ne le trouverons point aux hommes Et comment le devons-nous cercher sinon par prieres et oraisons? Que donc nous venions à Dieu: Seigneur puis que tu nous vois vuides de tout bien, que tu nous remplisses de ta grace. Il est vrai que nous sommes povres pecheurs: mais quand nous serons membres du corps de ton Fils, nous serons iustifiez par lui. Il est vrai que nous sommes pleins de macules, mais il a dequoi nous nettoyer, il a bon lavement. Il est vrai que nous sommes redevables de la mort eternelle, nous y sommes obligez: mais nostre Seigneur Iesus Christ nous en a affranchis. Seigneur donc que tu nous faces ce bien, que nous soyons participans de ce qui nous a este acquis par ta bouté infinie. Voila donc comme nous avons à recourir à Dieu. Et Seigneur que tu nous rem. plisses de ton sainct Esprit, lequel par sa vertu nous conduise: que tu ne permettes point que nous defaillions pour quelques tentations qui nous pourront advenir. Voila en somme ce que nous avons à noter de ce passage.

Or Eliphas reproche puis apres à Iob, Qu'il a

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esleu la langue des rusez. Ce mot ici emporte qu'il ne fait que se moquer de Dieu, comme ceux qui sont despouillez de toute crainte et reverence, qui n'ont plus nulle raison en eux: car quelquesfois les hommes pecheront par simplicité, ils auront quelque crainte de Dieu: mais ils seront eslourdis. Comme nous en verrons beaucoup qui ne seront point touchez vivement, qui seront à demi bestes brutes: mais cependant si est-ce qu'il y a quelque crainte de Dieu qui est cachee en eux, et laquelle est comme estouffee: et bien, ceux là ont plus de simplicité que de ruse et de malice. Mais les autres pensent estre bien aigus quand ils se moqueront de toute religion et qu'ils se iouënt de Dieu, et de toute sa maiesté, et qu'ils se permettent une licence desmesuree pour suivre tout mal de propos dl liberé. Voila donc quels sont ces rusez dont Eliphas fait mention en ce passage, c'est assavoir, ceux qui ne faillent point par ignorance ne sottise, mais qui se deliberent à leur escient de ne tenir conte de Dieu, de traiter sa parole en mespris, d'en faire comme un ieu, ou une farce: car voila le comble de toute iniquité que ceux ici.

Ainsi donc notons bien, que si Dieu lasche la bride aux hommes iusques là, qu'ils facent des fins a l'encontre de lui, lors Satan en a prins une telle possession, qu'il est bien difficile de iamais les ramener au droit chemin, voire et quasi impossible. Et noue voyons aussi comme le Prophete Isaie (29, 15) foudroye contre telles gens, Malheur sur vous qui faites vos cachettes: car il use de Ceste similitude parlant de ces rusez qui penseront bien tromper Dieu. Quand ils aiguiseront leurs esprits, ils inventeront des subtilitez, O voila: ils s'efforceront par tous moyens d'aneantir la crainte de Dieu. Car voila par où ils commencent, Si nous sommes retenus en telle bride, que quand il y aura un mot en l'Escriture saincte, il faille que nous passions par là sa s contredit, et que sera-ce? Car il y a beaucoup de choses qui ne sont point entendues, et puis en peut douter de ceci ou de cela. Et que sera-ce, quand nous serons contraints de donner telle authorité à la parole de Dieu, qu'il ne soit point licite de nous enquerir comme il en va? Ces rusez donc qui veulent faire ainsi des fins contre Dieu, commenceront par ce bout, de se donner licence, pour faire qu'en ne voye point ce qui est de la parole de Dieu qu'en appelle, et que toutes bouches soyent closes, et qu'en la racle en tout et par tout. Or sont-ils entrez en telle doute? Apres ils s'endurcissent la. Et c'est bien raison aussi que Dieu les laisse, et que Satan les transporte. Et sont ils là venus ? Ils ne fout que tirer la langue contre toute doctrine, il n'y a plus de doleance, il n'y a plus de scrupule, bref ils ont despouillé toute humanité, ils sont abbrutis. Voila

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pourquoi i'ai dit, qu'il est presqu'impossible, que ceux que Dieu a delaissez iusques-là, retournent iamais au chemin de salut. Et pourtant advisons de nous tenir estroitement en la subiection de Dieu pour porter telle reverence à sa parole, que nous fuyons, et ayons en horreur et en abomination toutes ces finesses et subtilitez, ausquelles se plaisent et se baignent les meschans: car il leur semble qu'ils ne seront point assez aigus iusques à tant qu'ils ayent mesprisé Dieu. Or nous verrons aussi de ces esprits phantastiques et volages, ausquels il semble qu'ils sont trop lourds, et qu'ils ne seront point bien renommez iusques à ce qu'ils ayent apprins à se moquer de Dieu, qu'ils n'ayent plus nulle religion en eux, pour se tenir là attentifs, et pour dire, Voici Dieu qui parle, il faut qu'en lui obeisse. Nous en voyons auiourd'hui beaucoup de te]s qui cuident que c'est une simplesse trop grande de s'assubiettir ainsi volontairement à Dieu. Et quoy donc? Reiettons toute crainte de Dieu. Nous sommes venus à un tel abysme: et d'autant plus nous faut-il tenir sur nos gardes, et que nous ayons en recommandation ceste simplicité que Dieu demande de nous. Vrai est qu'il ne veut point que nous soyons hebetez: car la foy n'est pas ce que les Papistes imaginent, qu'en s'en aille comme des oysons. Quand les Papistes disent, Il faut vivre simplement: Et quelle est ceste simplicité? C'est qu'en ne discerne point entre le blanc et le noir, qu'en ne sache point ce qu'en doit tenir ne suivre. Or Dieu (comme i'ay dit) ne veut point que nous soyons ainsi ignorans, il faut que nous soyons enfans en malice, et non pas en sens (comme dit sainct Pierre [1. Pier. 2, 2]) estans enseignez de Dieu, estans illuminez de la clarté de son sainct Esprit, et de sa parole, que ne vivions point de malice, mais que nous demandions d'estre nourris comme de laict, et de viande de simplicité et droiture. Car tout ainsi que Dieu a anciennement traité de ceste sorte ses enfans, aussi il veut qu'auiourd'huy ceste mesme viande nous soit proposee.

Or cependant nous avons à noter qu'il faut que les serviteurs de Dieu soyent armez contre un tel scandale, si en leur reproche qu'ils mesprisent Dieu, qu'ils ne tendent qu'à mettre confusion par tout: comme auiourd'hui les Papistes sont si effrontez de nous reprocher que nous ne demandons qu'à mener les gens à une licence charnelle, qu'il n'y a plus d'honnesteté, mesmes entre les hommes, qu'il ne chaut plus à personne de louër Dieu, ne de s'exercer en fraternité. Et bien, cela nous est reproché: mais ce n'est pas à nous seulement. Nous voyons que Iob a esté assailli de telles tentations: portons les donc en patience, tellement que nous puissions monstrer devant Dieu et devant le monde,

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que c'est à tort qu'en nous impute ce mal-là: comme nous pouvons bien ainsi respondre, moyennant que nous ayons eu ce regard-la, de nous conformer à ce que Dieu nous monstre, et estre attentifs à ce qu'il nous dit. Et au reste, que nous ne sachions sinon ce que nous aurons apprins en son escole, que nous continuons en cela: car il ne faut que ce seul mot, pour rembarrer toutes les calomnies que nous imposent les adversaires de la verité. Cependant que nous destournions les hommes de la fiance d'eux mesmes. Car quand il nous est commandé de servir purement à Dieu, n'est-ce pas afin que nous ayons là tout nostre repos, que nous entendions qu'il ne faut point que nous facions ce que bon nous semble pour decliner ni à dextre ni à senestre: mais que nous suivions simplement en tout et par tout ce que Dieu nous commande ? Voila donc comme nous devons estre purs devant Dieu, et avoir aussi tesmoignage devant les hommes, que nous cheminons droitement. Mais si les meschans nous calomnient, il faut que nous portions cela en patience, et cependant que nous cognoissions qu'ils sont impudens et effrontez.

Eliphas ayant parlé ainsi, adiouste que Iob ne se devoit pas ainsi fier en son sens, Es-tu le premier homme, es-tu nay devant les montagnes? 11 y a ici des anciens, et des chenus voire qui sont plus aagez que ton pere. Sais-tu bien le conseil de Dieu? Quand Eliphas reproche ceci à Iob, qu'il n'est point assez vieil, et qu'il ne faut pas qu'il s'attribue une telle liberté de iuger: il est vrai qu'il y a bien quelque couleur en son propos, comme nous avons veu Ci dessus. Car quand Dieu aura fait grace à un homme de vivre ici long temps, il pourra bien avoir apprins quelque chose: et puis nous savons que le sens est plus r assis avec l'aage, que les ieunes gens iettent beaucoup de bouillons, et l'aage modere tout cela. Ainsi donc il est à presumer qu'un homme aagé quand il aura profité vivant en ce monde, devra estre plus parfait que les autres, et avoir doctrine plus certaine. Mais nous voyons cependant comme la plus part en vivant au lieu de profiter recule. Car les hommes avec l'aage pourroient bien souvent acquerir bon savoir et intelligence, et quelque prudence. Mais d'autant que de nature nous allons de pis en pis, sinon que Dieu nous retienne: voila pourquoi en en voit la plus part qui ne laissent pas avec l'aage d'estre pires, encores qu'en ne voit la ieunesse. Voila pour un Item. Et puis il n'est pas question aussi de nous fier en nostre veillesse quant à ceste sagesse de Dieu: car il en distribue à ceux qu'il lui plaist, et aux ieunes, et aux vieux: comme il le dit au Prophete Ioel (3, 1), Voici les iours viendront que i'espandrai mon Esprit sur toute chair. Vos anciens (dit-il) songeront songes: c'est à dire, qu'ils seront

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mes Prophetes, que ie les instruirai: mesmes vos fils et vos filles auront des visions. Nous voyons là que Dieu appelle, pour recevoir ceste sagesse, laquelle il envoye au monde, tant les ieunes comme les vieux, tant les femmes comme les hommes. Et ainsi il faut que toute gloire soit ici abbatue: et que lés vieilles gens quand ils auront beaucoup vescu, et eu longues experiences, sachent que pour cela il ne s'ensuit pas qu'ils doivent cognoistre les secrets du royaume des cieux: car cela est en la main de Dieu, il ne faut point que les hommes presument de le cognoistre par longue espace de temps. Vrai est que quand Dieu nous aura appellez en nostre enfance, il faut bien que nous soyons confermez de plus en plus: mais ce n'est point l'asge qui nous apporte cela: c'est d'autant que Dieu besongne par sa grace, et que le tout procede de lui. Nous n'avons point donc à nous plaire, ni à nous vanter, comme s'il y avoit rien du nostre. En cela voyons nous quelle est la sottise des Papistes, lesquels mettent tout le fondement de leur foy en l'ancienneté: O voila nous n'avons point une doctrine nouvelle, elle n'est pas venue d'hier, ne depuis un an, mais le monde a ainsi vescu long temps, et en sommes en possession. Mais qu'est-ce que cela vaudra devant Dieu? car il est question d'avoir une verité eternelle, et qui ait este devant la creation du monde. Et ainsi il faut venir à Dieu, et à nostre Seigneur Iesus Christ si nous voulons avoir un ferme appui de nostre foi car il n'est point question ne de vingt ne de quatre cens ans, ne de mille: il nous faut avoir une verité permanente qui nous ait esté revelee dés la creation du monde. Car quand nous aurons cela, nostre foy sera bien appuyee: mais si cela n'y est, il n'y aura que vanité, et nous serons tousiours en suspens, il ne faudra sinon qu'un petit vent souffle, et voila nostre foy abbatue. Retenons donc, que l'ancienneté doit tellement valoir envers nous, que les ieunes gens ne se doivent point du tout laisser gouverner par ceux qui ont plus veu qu'eux, voire quand ils les voudront destourner de ce qu'ils auront apprins de Dieu seul, et de sa verité. Voila ce que nous avons à noter. Mais cependant que ceux qui ont vescu long temps en ce monde ne se glorifient point en leur asge, pour dire, qu'ils doivent suppediter les autres: mais qu'ils cognoissent plustost qu'ils sont d'autant plus tenus à Dieu, quand il leur a donné les moyens et occasions d'estre rassis et moderez: et puis qu'ils tiennent toute leur sagesse de Dieu, que tout orgueil soit mis bas, qu'ils ne pensent point que par longueur de temps, ne par subtilité d esprit, ne par rien qui soit, ne par leur sens, ne pour avoir este bien experimentez, ils ayent acquis quelque savoir. Quoy donc? D'autant qu'il a pleu à Dieu d'espandre de son S. Esprit sur tous, afin que nous cognoissions combien nous lui sommes redevables. Et que les ieunes gens aussi de leur costé cognoissent que si Dieu leur a fait quelque grace, que c'est aussi d'autant qu'il ne les vent pas priver de son S. Esprit, non plus que les vieilles gens, et ceux qui ont vescu plus long temps: mais qu'il nous veut monstrer qu'en nous faisant tous participans d'une mesme grace de son S. Esprit: il nous veut aussi faire tous heritiers de son royaume celeste, et nous faire parvenir en sa gloire immortelle, laquelle il nous a maintenant revelee comme en partie.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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LE CINQUANTEHUITIEME SERMON,

QUI EST LE II. SUR LE XV. CHAPITRE.

Ce sermon est encores sur les versets 8, 9, 10, et puis ce qui s'ensuit.

11. Les consolations de Dieu te semblent-elles peu de chose? et cela est-il estrange en toy? 12. Comment ton coeur est-il ravi, et comment tes yeux font-ils signe, 13. Que tu te dresses contre Dieu, et mets en avant paroles de ta bouche? 14. Qu'est-ce que de l'homme qu'il soit pur, ou celui qui est nay de femme, qu'il soit iuste? 15. Voici, il ne trouve point fermeté en ses saincts, et les cieux ne sont pas nets devant luy: 16. Et combien plus sera l'homme abominable et puant, lequel hume l'iniquité comme eau?

Nous vismes hier la reproche qui a este faite à Iob, quant à son asge: et là dessus nous dismes, que c'est bien raison que les ieunes gens se gouvernent par le conseil des vieux, qui ont plus experimenté de long usage, et qu'ils les escoutent. Et

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aussi que les vieilles gens, pource que Dieu leur a fait la grace de vivre long temps, regardent qu'ils sont tenus d'instruire les autres, et leur monstrer le chemin. Mais cependant que ieunes et vieux cognoissent, qu'il n'y a vray sagesse sinon de Dieu qui la donne d'enhaut et que Dieu en distribue ainsi que bon lui semble, et ne faut point qu'on le tienne obligé: car il a promis d'estendre son Esprit sur grans et sur petis, comme il lui plaira, afin qu'en cognoisse que c'est un don gratuit, et que la louange en doit estre rendue à lui seul. Or ici en second lieu, il a esté reproché à lob par Eliphas, Qu'il n'a point ouy les secrets de Dieu. Cela s'adresse en general à tous hommes. Car il nous faut cognoistre la rudesse et debilité de nos esprits: et le vrai moyen, c'est, que nous adorions les secrets de Dieu, cognoissans qu'ils nous sont incomprehensibles, et que nous ne pouvons pas atteindre si haut. Car cependant que les hommes presument de leur sens, et qu'il leur semble qu'ils parviendront iusqu'au plus haut des secrets de Dieu, il cet certain qu'en ne les pourra humilier, ni amener à. nulle modestie. Voila donc où il nous faut venir, c'est que les secrets de Dieu nous soyent admirables, que nous les adorions, puis que nous n'avons pas une telle prudence en nous, pour les comprendre: ainsi qu'il ne reste sinon que nous confessions nostre infirmité, et que un chacun s'escrie avec David, Seigneur que tes conseils sont hauts! que c'est une chose que nous devons bien adorer! Voila donc en somme ce qu'a ici entendu Eliphas, disant à Iob, Qu'il n'avoit point ouy les secrets de Dieu. Or ceste doctrine est souvent repetee, et si commune en l'Escriture saincte que rien plus, d'autant qu'il cet difficile d'abattre l'orgueil, lequel de nature est enraciné en tous, car non seulement chacun pretendra d'estre plus sage que son compagnon: mais quand nous venons à Dieu, encores ne pouvons-nous recognoistre nostre petitesse pour nous abbaisser. Nous avons donc besoin d'estre abbaissez, et d'en estre admonnestez, comme l'Escriture le fait: c'est assavoir, qu'il ne faut point que nous pretendions de comprendre le conseil de Dieu: car aussi c'est une chose trop haute, et trop profonde pour nous. Que reste il donc? Que nous l'adorions, confessans (comme i'ay dit) nostre rudesse et debilité. Or cependant il nous faut venir à ce que dit sainct Paul en la premiere au Corinthiens (2, 11), c'est assavoir, que nostre Seigneur nous a donné de son Esprit, par lequel nous cognoissons et comprenons ce qui surmonte toute nostre capacité. Combien donc que nous ne soyons point conseillers de Dieu, toutes fois si nous a-il fait la grace et cest honneur, de nous reveler ce qui nous est incognu et caché. Comment cela? Il n'y a nul qui cognoisse ce qui est en l'homme,

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que l'esprit qui habite en loi, dit sainct Paul: mais l'Esprit qui habite en Dieu nous est donné. Voila donc comme nous sommes faits participans des choses qui estoient du tout separees de nous, et desquelles nous ne pouvions nullement approcher. Voila une grace singuliere, et que nous devons bien estimer c'est assavoir, que nostre Seigneur nous ait illuminez, nous qui estions povres aveugles. Et combien que nous ne comprenions point les choses d'ici bas, si est-ce que nous sommes eslevez par dessus les cieux: et ce que les Anges ont en admiration nous est cognu et revelé. Ne voila point un honneur inestimable? Or sainct Paul disant, Que cela se fait quand l'Esprit de Dieu nous est donné, n'exclud pas la parole: car quand Dieu nous veut reveler ses secrets, il ne nous envoye point seulement des inspirations, mais il parle à nous.

Au reste, ce n'est point sans cause que sainct Paul attribue cela, à l'Esprit: car nous aurons beau lire et escouter: nous ne profiterons rien, si ce n'est que Dieu nous ouvre l'esprit, afin que nous entendions ce qu'il nous declare de sa bouche. Tant y a qu'il nous faut conioindre l'Esprit avec la parole: c est à dire, que nous sachions que nostre Seigneur nous a desployé les thresors de sa sagesse infinie, quand il nous a donné sa Loy, et enseigné sa volonté par ses Prophetes, et sur tout en l'Evangile. Mais de nostre costé cognoissons aussi qu'il nous ouvre les yeux, afin que ce qui cet contenu en l'Escriture saincte ne nous soit point comme en langage estrange: mais que cela nous soit familier, d'autant que nostre sons ne parviendroit iamais iusques-là. Nous voyons donc maintenant comme les hommes se doivent humilier, sachans bien qu'ils n'ont point esté conseillers de Dieu, et pourtant doivent adorer ses secrets. Et au reste, d'autant qu'il a pleu à Dieu de nous faire participans de sa volonté, que nous comprenions son conseil, selon qu'il nous le monstre. Mais cependant il ne faut point que nous soyons sages outre mesure: car quand Dieu nous eslargit son Esprit, afin de nous manifester les choses qui nous sont cachees, et qui outrepassent le sens de la raison huma ne, ce n'est pas afin que nous cognoissions tout ce qui est en lui: car il nous faut bien contenter de cognoistre maintenant en partie, comme dit Sainct Paul (1. Cor. 13, 12). Regardons donc de ne point passer nos limites, mais seulement nous enquerir soigneusement de ce que Dieu veut que nous cognoissions. Or nous trouverons cela par l'Escriture saincte, ne passons pas outre. Et au reste, encores que nous n'entendions pas la dixieme partie de ce qui est en l'Escriture saincte, prions Dieu que de iour en iour il nous revele ce qui nous est auiourd'hui caché: et cependant que

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nous cheminions sons sa subiettion, que nous ne soyons point temeraires pour passer outre. Car il faut que les plus advancez, et les plus parfaits cognoissent, que ce n'est point encores à eux de savoir tous les secrets de Dieu: car cela est reservé au dernier iour. Et de fait, ce n'est point sans cause que David s'escrie (combien qu'il fust un Prophete si excellent) que c'est une chose admirable que des conseils de Dieu. Par cela il nous monstre, qu'il est impossible que nous parvenions iusques à ce but d'une telle intelligence, iusqu'à ce que Dieu nous ait despouillez de ceste chair mortelle: et ainsi cependant que nous vivons au monde, cognoissons que nous sommes seulement au chemin. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or Eliphas adiouste, Te semble-il que ce sot peu de chose des consolations de Dieu? et y a-il quelque secret en toy, ou cela t'est-il estrange? Car ce mot de Secret, emporte chose estrange. Eliphas a ici voulu redarguer Iob d'orgueil et d'ingratitude: car il lui dit, Comment? Il semble que tu mesprises les consolations de Dieu, et tu trouves estrange qu'il te console. Si cela estoit en un homme, il est certain que ce seroit un orgueil par trop grand, voire et un mespris de la grace de Dieu, qui seroit insupportable. Et pourquoy? Car nous avons à priser les consolations de Dieu sur toutes choses. Si nous sommes troublez, quel moyen y a-il, et quel remede, sinon que Dieu nous ramene au droit chemin? Ainsi donc aurons bien, que quand nous aurons quelque perplexité qui nous fasche, et que nous serons confus en quelque chose, ne pouvans pas nous resoudre, il n'y a autre moyen sinon que Dieu nous appaise, qu'il nous contente: mais ce moyen-la est tel, que nous le devons priser par dessus tout. Car quand nous serons les plus troublez du monde, Dieu nous pourra bien esclarcir nos entendemens, et nous mettre à repos. Il ne faut donc sinon que Dieu se monstre, et nous serons hors de tous troubles. Quand le ciel et la terre seroient tous meslez, par maniere de dire, quand il n'y auroit que abysme par tout: s'il plaist à Dieu de nous apparoistre, il remettra tout en ordre, tellement que ce qui estoit auparavant tant enveloppé que rien plus, sera tout liquide, que nous ne verrons rien qui nous fasche, qui nous tourmente. Voila pourquoi nous avons à priser les consolations de Dieu. Or ceci gist en pratique plus qu'en parole: car ceux qui ont leur refuge à Dieu, cognoissent combien valent les consolations, et quelle vertu elles ont pour nous appaiser. Si nous avons la moindre fascherie du monde, nous voila en tourment et angoisse: comme nous savons que les hommes sont adonnez a inquietude, et si tost qu'ils ont quelque petite occasion de se fascher, il semble qu'ils allument le feu pour se tormenter

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iusqu'au bout. Voila (di-ie) en quel estat sont les hommes, cependant que Dieu les laisse songer. Mais quand nous sommes en tels troubles, tous les iours nous appercevons comme Dieu nous reduit. Vrai est qu'il nous semble que nous ne pouvons point sortir d'une perplexité: et pourtant nous sommes là estonnez, pour dire: Helas! que doy-ie devenir? Nous sommes fourrez si avant, qu'il ne nous semble pas que iamais nous puissions nous retirer d'une telle confusion: mais toutes fois Dieu y met tel ordre, que nous sommes tout esbahis que nous avons nos esprits à repos, et qu'ils sont appaisez. Comment donc se fait un tel changement, sinon que Dieu besongne si puissamment en nos coeurs, que nous devons magnifier ses consolations tant et plue? Mais quoy? Combien que nous soyons convaincus par experience, qu'il n'y a que Dieu qui nous puisse consoler en nos perplexitez et angoisses, et que quand il lui plaist de ce faire, nous avons bien dequoi nous contenter: nous avons toutes fois mis cela en oubli en une minute: et si nous avons quelque fascherie, il n'y a celui qui ne s'y nourrisse, qui ne ronge son frein. Il n'est point question de recourir à Dieu, pour dire, Et comment? Voici ton Dieu qui t'a desia monstré que c'est à lui qu'il te faut adresser, et toutes fois tu n'y penses point. D'autant plus donc faut-il bien noter ce passage, c'est assavoir, que quand les hommes ne prisent point les consolations de Dieu, pour estre delivrez de leurs angoisses et perplexitez et troubles d'esprit, ils sont par trop ingrats: et mesmes outre l'ingratitude il y a un orgueil trop vilain, de ce qu'ils ne sentent point leur necessité pour cercher le remede. Or l'orgueil est encores mieux exprime en ce mot de Secret, quand Eliphas dit, Quel secret y a-il en toy? comme s'il disoit, Povre creature, ne sens-tu point ta fragilité? Or il est certain que si les hommes se cognoissoient tels qu'ils sont, il faudroit qu'ils appointassent avec Dieu, et qu'ils y fussent enflammez d'un tel desir, qu'ils n'auroient iamais repos, iusques à tant que Dieu leur eust fait sentir sa grace. Mais quoy ? Nous sommes tellement stupides, que nous cuidons estre sages, là où il n'y a que folie et vanité en nous: nous cuidons avoir les remedes de nos maux en nos manches: s'il nous vient quelques troubles dont nous soyons empeschez, noue irons aiguiser nos esprits, il faut inventer ici quelque chose: voire comme si tout cela se pouvoit forger en nostre boutique. Or tant y a que les hommes sont ainsi outrecuidez. Et pourtant il est ici dit, Quel secret y a-il en toi? si donc nous appercevions combien nous sommes grossiers, ignorans et idiots, il est certain que nous ne serions point si fols, de cuider que nous delivrer en nos angoisses et troubles:

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mais nous irions droit à Dieu, sachans bien que lui seul y peut donner ordre, comme aussi nous le sentons de fait, et il nous le monstre assez. Voila donc quant à ceste sentence. Mais (suivant ce que i'ay desia dit) prattiquons-la: et d'autant que nostre vie est subiette à tant de povretez, qu'il est impossible que l'homme (sinon qu'il se transporte, et qu'il s'oublie) ait en soy une seule minute de repos: allons à Dieu, afin qu'il nous console, et prisons les admonitions qu'il nous donne, comme elles le meritent. Or Dieu nous console en diverses sortes: car (comme i'ay desia dit) il liquide les troubles, desquels il nous sembloit que nous ne devions iamais sortir, et les esclarcist, tellement que nous sentons qu'il nous en a delivrez.

Venons maintenant à ce qu'Eliphas adiouste. Il dit, Que le coeur de Iob est transporté, et qu'il fait signe des yeux pour s'eslever à l'encontre de Dieu. Ici Eliphas redargue l'orgueil de Iob, combien que ce soit à tort, et sans propos. Mais suivant ce que nous avons desia dit, combien que ce propos soit mal approprié à la personne de Iob, si est-ce que nous en pouvons recueillir une doctrine utile, et qui nous compete à tous. Il dit donc, Comment ton coeur est-il ravi, ou t'a-il surprins? Car il y a ainsi de mot à mot, Comment ton coeur t'a-il saisi? Et comment est-ce que tu fais signe de l'oeil pour plaider contre Dieu ? Faire signe de l'oeil, c'est avoir une telle fierté, que nous ne facions que le niquet (comme en dit) que nous hochions l aureille quand en nous dira quelque chose. Or nous savons que cela se fait, quand quelqu'un mesprise ce qu'en lui met en avant, et lui semble que cela est superflu, qu'en ne lui peut rien apporter qu'il ne cognoisse desia. En somme, nous voyons qu'Eliphas a ici voulu condamner une arrogance telle en Iob, qu'il ne s'humilioit point sous Dieu, afin de recevoir ce qui lui seroit dit. Cependant il monstre qu'un tel orgueil est mal fondé quand il dit, Que le coeur de Iob est ravi. Il est certain donc que tousiours ceste fierté sera un vice aux hommes: et pourtant quand nostre Seigneur voit que les hommes se plaisent, et s'endurcissent en leur arrogance, il faut qu'il leur monstre qu'ils sont bien fols, et bien desprouveus de sens, de presumer ainsi d'eux, et se faire à croire qu'ils ayent dequoy se priser. Car si nous avons quelque apparence, qu'il y ait dequoy, nous voila incontinent eslevez si haut, qu'en ne nous peut retenir, et nous voltigeons iusques à estre prests de nous rompre le col. Nostre Seigneur, voyant que nous sommes ainsi adonnez à nous enfler de presomption, monstre, Or ça qui estes vous ? Qu'est-ce que vous avez Desployez ici toute vostre boutique, qu'en voye tout ce qui y sera. Or si les hommes viennent à un tel examen, on cognoist

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alors, qu'il n'y a eu qu'un fol cuider en tout , ce qu'ils ont imaginé estre en eux. Voila ce que nous avons à recueillir de ce passage, quand il est dit, Que si les hommes ouvrent leur bouche à l'encontre de Dieu, ou pretendent de se faire valoir et qu'ils ne humilient point comme il appartient cela procede d'une phrenesie, et qu'ils ne sont point dé sens rassis. Car s'ils avoyent quelque peu de cognoissance et d'advis, il est certain qu'ils seroient abbatus, qu'ils ne pretendroient pas de resister ainsi à Dieu, et ne presumeroyent aussi rien quant à eux, veu. qu'ils n'ont sinon condamnation en eux, et qu'il faut qu'ils demeurent confus en leur honte. Voici un passage excellent, quand nous le saurons bien appliquer à nostre instruction. Que faut-il donc? Apprenons, apprenons de nous cognoistre, et selon le proverbe ancien nous serons aussi humbles quant et quant, pour ne nous point priser. Mais quoy? Les hommes ne se peuvent tenir de sortir d'eux-mesmes: et voila qui est cause de nous precipiter, comme nous faisons, voire de nous ietter en telle outrecuidance' qu'il faille que Dieu se rue sur nous, comme il est ennemi des orgueilleux. Or ceci ne nous sera point trop difficile, quand nous ne serons point ravis ne transportez, pour nous saisir de nous-memes. Car qui est cause que les hommes sont ainsi aveugles, cependant qu'ils ont quelque vertu, ou iustice, ou sagesse? C'est pource qu'ils se captivent d'eux-mesmes, c'est à dire, qu'à leur escient ils se bandent les yeux, ils s'aveuglent, car celui qui ne se veut point abuser, mais qui se regarde comme Dieu le commande, trouvera là assez pour s'humilier: mais nous voulons clore les yeux à nostre escient, nous voulons estre trompez de nostre bon gré. Quand donc les hommes se transportent ainsi, il faut qu'ils facent le niquet à Dieu, qu'il ne leur chaille de nulle remonstrance, qu'ils se moquent de tout ce qu'en leur propose: mais finalement il faut que le tout revienne à leur confusion.

Venons maintenant au principal. Car iusques ici Eliphas a use d'une preface pour monstrer que rien n'empeschoit Iob de faire son profit des admonitions qu'il avoit ouyes, sinon qu'il estoit enflé d'orgueil, et qu'il estoit ingrat à Dieu. Maintenant il adiouste: Qu'est-ce que l'homme, qu'il se puisse iustifier devant Dieu, ou qu'il soit trouvé pur et net? car Dieu ne trouve point de fermeté en ses saincts, c'est à dire en ses Anges, les cieux ne sont pas nets devant lui: Que sera ce de l'homme puant et abominable, et corrompu, lequel boit l'iniquité comme l'eau? Ainsi qu'en poisson se nourrist d'eau, les hommes sont confits en peché et iniquité: pretendront ils donc de se iustifier devant Dieu? Car il faut en premier lieu qu'ils soyent plus nets et

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purs que les Anges, il faut qu'ils surmontent la clarté du soleil, et des estoilles: veu que les cieux mesmes sont infects devant Dieu quand en voudra faire comparaison. Ceci a desia esté traité par ci devant en partie: mais comme il n'est point reiteré sans cause, aussi nous avons besoin de reduire en memoire les choses qui ont esté dites: et c'est une doctrine notable, et qu'en ne peut pas trop mediter. En premier lien, il nous faut savoir, comment c'est que les Anges n'ont point de fermeté devant Dieu. Aucuns ont exposé ceci des diables: mais il n'y a point de propos, car que seroit-ce de dire, les diables ne sont point iustes, il ne faut point donc que les hommes pretendent de l'estre? Nous savons que le diable est prince de toute iniquité et malice. Mais notamment il est ici parlé des Anges. Et voila pourquoi en ce lieu ils sont nommez les saincts de Dieu, comme l'Escriture saincte aussi leur attribue ce titre-la, et quelquesfois elle les appellera Anges esleus (1. Tim. 5, 21).

Or regardons maintenant comment c'est que Dieu ne trouve point de fermeté en eux. Ce n'est point seulement pource qu'ils n'auroient pas de constance de persister en bien, n'estoit que Dieu les preservast par sa vertu: mais d'autant qu'à la verité ils n'ont point une iustice si entiere ne si esquise, qu'ils puissent estre appuyez sur icelle, quand il est question de venir devant Dieu, et de rendre là conte, cela (di-ie) ne se trouvera point aux Anges. Et comment? car nous voyons qu'ils n'ont autre affection que d'obeir à Dieu, ils ne sont point subiets à mauvaises cupiditez, comme nous sommes, il n'y a nulle tentation en eux pour les divertir. Et quand nous demandons que la volonté de Dieu soit faite en la terre comme au ciel: par cela nous entendons que l'obeissance que les Anges rendent à Dieu est sans contredit, que ce n'est point une chose imparfaite et debile: comme quand nous aspirons au bien, nous y allons comme en clochant, nous ne sommes pas de la dixieme partie si adonnez à servir à Dieu comme il seroit requis. Comment donc entendrons-nous que Dieu ne trouvera point de fermeté en ses Anges, c'est à dire, qu'ils ne seront pas suffisans pour respondre devant lui? Or nous avons declaré que Dieu en nous iugeant use de ceste mesure qu'il a mise en sa Loy, c'est assavoir que nous l'aimions de tout nostre coeur, de tout nostre sens, et de toutes nos vertus. Voila donc une iustice moyenne, de laquelle Dieu se contente, quand il est question de iuger les Anges, et les hommes. Or selon ceste iustice-la nous sommes tous coulpables: car qui est celui qui se pourra vanter de s'estre adonné de toute son affection à Dieu? de n'avoir point esté distraict par quelque mauvaise concupiscence? Helas! tant s'en faut que nous soyons venus iusques-là, que

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c'est beaucoup quand nous serons au chemin. Voila donc comme les hommes sont tout condamnez devant Dieu, quant à ceste iustice moyenne. Et voila pourquoi sainct Paul quand il allegue ce passage, Maudit sera celui qui n'accomplira point toutes les choses qui sont là contenues, dit, que c'est une sentence qui nous condamne tous. Or les Anges selon ceste iustice-la sont acceptez de Dieu. Et pourquoy? D'autant qu'il n'y a nulle tache en eux, ne macule, que tous leurs desirs ne s'adonnent qu'à ce but que Dieu soit servi et honoré qu'ils s'employent là entierement. Et ainsi selon la iustice de la Loy, Dieu les accepte comme nous avons dit. Mais il y a une iustice plus haute en Dieu laquelle surmonte toutes creatures, qu'il n'y a Anges qui y puissent satisfaire, et ne se faut point esbahir de cela: car quelle comparaison y a-il d'une chose infinie à celle qui est finie? Voila les Anges, combien qu'il y ait une gloire grande en eux: toutesfois si est-ce qu'ils sont creatures. Et qu'est-ce de Dieu? C'est une chose infinie, que quand nous y pensons il faut que nous soyons ravis en estonnement. Ainsi donc ne nous esbahissons point que la iustice de Dieu soit si haut, que quand toutes creatures viendront là, lors tout ce qui sera trouvé en elles ne sera rien, mais meriteront d'estre aneantis. Il est dit donc ici que Dieu ne trouvera point de fermeté en ses Anges, c'est a dire, s'il vouloit user envers eux de cest examen extreme, qu'il faudroit que les Anges s'esvanouissent, que tout cela fust mis bas et abysmé: mais d'autant que Dieu se contente d'estre honoré et servi par eux selon la reigle qu'il nous a ordonne en sa Loy: ils consistent devant sa face, et il les advoue pour iustes, comme ils le sont à la verité, et qu'ils sont approuvez ainsi. Mais ce sont choses diverses, que Dieu ait une iustice, laquelle il ait mesuree à nostre sens, et qu'il viene à ceste rigueur pour dire, Qui est-ce qui l'aura gagné? Nous voyons donc maintenant que si nous venons devant Dieu, nous serons là condamnez et maudits: tant s'en faut que nous y puissions subsister, que les Anges mesmes de paradis y sont confus. Et pourquoi? D'autant que les cieux mesmes ne sont pas nets. Car quand Dieu a cree le soleil pour esclairer le monde, qu'il a donné aussi quelque lumiere aux estoilles, ce n'est pas à dire qu'il y ait une perfection divine. Il nous faut retenir ce qui a esté touché, que toutes creatures estans creées de Dieu retienent bien encores quelques marques de sa grace: mais quand en voudra comparer ce qui est aux creatures avec ce qui est en Dieu, en trouvera que l'un n'est rien, et l'autre est tout. Voila comme les cieux ne seront pas nets, c'est a dire, qu'il y aura tousiours de l'imperfection aux creatures, qu'il n'aura rien pourquoi elles puissent consister devant

SERMON LVIII

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Dieu, voire au regard de Ceste gloire infinie qui est en lui.

Or maintenant il est dit, Puis qu'ainsi est, que sera-ce des hommes ? Et c'est ce que i'ay desia touché, qu'encores que Dieu nous vueille examiner selon ceste iustice moyenne qu'il nous a declaré en sa Loy, que nous serons tous coulpables, il y a une condamnation universelle sur tout le genre humain, sous laquelle nous demeurons accablez. En somme, Voici les hommes qui sont rembarrez en deux sortes: car si nous voulons venir a Dieu la teste levee, et que nous pretendions de nous faire valoir devant lui, il faudra que nostre confusion apparoisse tant plus: car serons-nous plus iustes que les Anges de paradis? Or nous voyons qu'il n'y a creature qui puisse suffire quand elle viendra devant le Createur, il faut qu'il engloutisse tout de sa gloire, et qu'il face esvanouir tout ce qui a apparence d'estre quelque chose, et tout ce qui semble mesmes estre admirable: comme il est dit: Que le Soleil ne donnera plus sa clarté, que la Lune sera obscurcie. Et pourquoi? D'autant que la gloire de Dieu apparoistra tant plus. Or le Prophete Isaie (13, 10) tend à ceste fin, que nous sachions quand Dieu desploye sa gloire, qu'il faut que tout ce qui est aux creatures (combien qu'en l'ait prise auparavant) se esvanouisse. Si le Soleil (qui n'est qu'une creature insensible) fait obscurcir la clarté des estoilles tout au long du iour, et combien qu'elles soyent tousiours au ciel, neantmoins elles n'apparoissent point quand le Soleil luit: que sera-ce de la maiesté de Dieu? Les creatures en pourront-elles approcher? Si une creature le gagne par dessus les autres, que sera-ce de Dieu mesme ? Voila donc comme nous sommes rembarrez en premier lieu, si nous presumons de nostre iustice, que nous venions avec une folle outrecuidance, pensans que Dieu doive estre oblige à nous, et que nous lui puissions rien apporter de dignité. Car quand nous serions plus iustes que les Anges de paradis, quand nous serions plus nets et purs que les cieux, ce ne sera encores rien de tout ce que nous cuidons avoir. Voila pour un Item. Mais encores n'allons point à ceste iustice si parfaite: venons seulement à ceste iustice moyenne que Dieu nous a declaree: qu'on regarde ce qui peut estre aux creatures, il ne demande sinon que nous l'aimions de tout nostre coeur, et de tous nos sens et vertus. Or nul ne pourra nier que cela ne soit plus que raisonnable: cependant le faisons-nous? quoy est-ce que nos coeurs s'adonnent? Tendent-ils de tout à Dieu? Sont-ils desliez de ces liens terrestres tellement qu'ils s'eslevent aux cieux? Menons-nous ici une vie spirituelle, renonçans à tout ce qui nous divertit de Dieu! Il s'en faut beaucoup. S'il est question seulement de prier Dieu, prenons oest

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exemple-la, comme l'Escriture nous monstre, que quand l'homme doit prier Dieu, il faut alors qu'il se retire de soy, et qu'il se despouille de toutes solicitudes, de toutes passions, et choses semblables, qui le peuvent empescher, qu'il ne faut sinon que nous soyons là abbatus, sentans nos povretez pour requerir l'aide de Dieu. Voila l'oraison qui est une chose plus privilegiée que tout le reste de nostre vie. Or venons-nous à prier Dieu? Nous voyons que nous sommes tant charnels, que nous regardons à beaucoup de phantasies mauvaises, lesquelles nous ne pouvons pas laisser du tout: et encores si nous avons quelque bonne affection en priant, si est-ce qu'il ne nous faut gueres pour estre distraits et ça et là. Quand donc nous sommes si volages en une chose tant sacree comme l'Oraison, que sera-ce de tout le reste de nostre vie? Et de fait chacun le doit assez sentir: et c'est grand honte qu'il nous faille remonstrer ces choses, qu'il n'y a celui qui ne le cognoisse par trop.

Puis qu'ainsi est donc, helas! pourrons nous consister devant Dieu? Sera-il question maintenant de nous faire valoir en nos iustices? Il est vrai que Iob ne l'a point pretendu, et Eliphas lui a fait tort et iniure en l'accusant de ceste arrogance. Mais cependant nous avons à faire nostre profit de ceste doctrine, et notons bien ce qui est ici dit des hommes. Car ils ne sont point seulement accusez de fragilité: comme les Papistes mesmes confesseront bien que nous sommes infirmes, et pourtant qu'il n'y a pas une iustice suffisante en nous pour satisfaire à Dieu. Mais ici nous sommes menez plus avant, c'est assavoir, que les hommes sont tous confits en peché. Il n'est pas dit en ce passage, Et comment les hommes se pourront-ils iustifier, veu qu'ils ne sont pas ci habiles pour accomplir la Loy, qu'ils sont enveloppez de beaucoup d'imperfections, qu'ils ont tant d'infirmitez, qu'ils sont inconstans et volages: et autres tels termes qu'en pourroit dire contre les hommes sans toutes fois venir au poinct? mais il est dit: Les hommes se pourront-ils iustifier, attendu qu'ils sont abominables, qu'ils sont puants, ils hument l'iniquité comme l'eau? c'est à dire, leur propre nourriture est peché, et en ne trouvera point une seule goutte de bien en eux: bref tout ainsi que le corps tirera sa substance de la viande, et du boire: ainsi les hommes n'ont autre substance en eux que peché, tout y est corrompu. Non pas que la substance (comme en appelle) de nos corps, et de nos ames soit une chose mauvaise: car nous sommes creatures de Dieu. Mais ici nous parlons grossierement, pour exprimer que tout ce qui est en nous est confit en mal. Il est vrai que nos corps en leur essence sont creatures de Dieu bonnes. Autant en est-il de nous ames: mais le tout y est perverti. Car

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nos ames estans créees de Dieu bonnes, toutes fois elles sont infectees du mal, et n'y a point une seule goutte de bien qui ne soit infecté, qui ne soit aneanti.

Voila en somme ce qui nous est ici. monstré. Nous avons donc a noter en premier lieu, qu'il y a grande difference entre infirmité et corruption. Car ai en dit, que les hommes sont infirmes' comme les Papistes en parlent: les Payens en ont bien autant dit. Et qui est-ce qui ne le dira? Les payens ont dit, que les hommes estoient inconstans, que c'estoit une chose difficile que de suivre vertu, que nous | sommes enclins à vices. Les Payens (di-ie) ont bien cognu tout cela: et les Payens auiourd'hui le confesseront. Mais ce n'est pas qu'ils cognoissent à la verité, qu'il n'y a point une seule goutte de bien aux hommes et qu'ils sont abominables devant Dieu, iusques à ce qu'il les ait receus par sa grace. Or afin que les hommes ne presument de rien qui soit en eux, le S. Esprit les appelle ici abominables, puants, infects, et inutiles. Et voila aussi comme il en est parlé aux Pseaumes (14, 2 et 53, 4), Dieu a regardé du ciel, s'il verroit un homme droit, et il n'en a point trouvé iusques à un seul. Tous ont decliné, tous sont rendus abominables et puants. Il est vrai que le second mot est translaté par aucuns, Inutiles: mais c'est que nous sommes flestris, qu'il n'y a en nous rien qui soit, que c'est comme une chose-qui est toute corrompue. Or notamment il est dit au Pseaume, Que Dieu a cognu cela aux hommes. Et pourquoy, D'autant que les hommes veulent tousiours estre leurs iuges. Et quel propos y a-il? Tant y a neantmoins que nous voulons que Dieu se tiene à nostre phantasie: quand il nous semblera que nous soyons habiles gens, nous voudrions que Dieu se contentast de nostre opinion. Mais au contraire il est dit, que les hommes se iustifient tant qu'ils voudront, qu'un chacun gratte les rongnes de son compagnon, et qu'ils s'applaudissent en leur maux, qu'ils y soyent comme enyvrez: tant y a que Dieu ne laisse point de regarder du ciel. Et qu'est-ce qu'il y trouve? Puantise, abomination. Nous sommes detestables à Dieu, et cependant nous penserons avoir merveilles. Et que gagnons-nous en cela? Ainsi donc toutes fois et quantes que nous serons tentez d'orgueil et de hautesse, que nous cuiderons avoir quelque apparence de vertu: qu'il nous souviene de nous adiourner devant Dieu, que ceste sentence horrible nous vienne en memoire, Que quand Dieu a regardé, qu'il a fait examen sur les hommes, qu'il n'y a point eu un seul, non iusques à un qui ne soit infecté et puant devant luy, et lequel il n'ait en abomination. Voila donc comme nous devons entendre ce passage. Et quand il est parlé, que nous humons l'iniquité comme eau, c'est encores

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pour mieux exprimer que toute nostre vie s'adonne à mal: tout ainsi qu'un poisson se nourrit d'eau ainsi les hommes ne feront sinon que se nourrir en peché. Il est vray qu'il ne nous faut point attribuer à Dieu le mal qui est en nous: car Adam n'a pas es creé en la corruption de laquelle il est ici parlé, il se l'est acquise de soy: car les choses que Dieu a faites il les a trouvees bonnes. L'homme donc qui est excellent par dessus toutes creatures n'estoit pas ainsi perverti, iusques à ce qu'il se soit aliené de Dieu: mais quand il s'est separé de la fontaine de iustice, que lui a-il peu rester, sinon toute iniquité et corruption ? Ainsi nous voyons d'où procede tout nostre mal, et qu'il ne faut point que nous imputions a Dieu les vices ausquels nous sommes suiets, et sous lesquels nous sommes tenus captifs: comme l'Escriture dit, Que nous sommes vendus sous peché, que nous sommes esclaves de Satan: il ne faut point que cela soit imputé à Dieu, mais que nous cognoissons que c'est l'heritage que nous avons de nostre pere Adam: et pourtant faut-il que nous-nous rendions tous coulpables devant Dieu. Voila comme nous devons prendre ceste corruption et servitude du peché, de laquelle il est ici parlé: non point qu'elle nous serve d'excuse: pour dire, helas! qu'y ferions-nous? Comme nous en voyons qui blasphement contre Dieu, Et puis que les hommes sont ainsi adonnez à mal, qui peuvent il faire? Ils n'ont point vertu de resister aux tentations: et ne faut-il pas donc qu'ils soyent absous? Et si Dieu les condamne là dessus n'est il pas trop cruel ? On verra des gens qui blasphement ainsi. Et pourtant que nous ayons la bouche close, cognoissans que tout mal reside en nous, que nous sommes du tout confits en iniquité: et que de nostre bon gré nous venions passer condamnation si nous voulons estre iustifiez devant Dieu. Car autrement ce qui est dit au Pseaume 51 (v. 6) sera tousiours accompli, Que Dieu sera tousiours iustifié en iugeant: si nous voulons nous rebecquer à l'encontre, si est-ce qu'il demeurera tousiours iuste, voire à nostre confusion. Voulons-nous donc estre iustifiez devant luy? Il n'y a qu'un seul moyen, c'est que nous venions confesser qu'il n'y a en nous que confusion horrible, que nous n'avons point une seule goutte de bien. Et pourtant que nous demandions à Dieu qu'il nous reçoive par sa misericorde, et qu'au nom de nostre Seigneur Iesus Christ il nous iustifie, c'est à dire, que nous ayant lavez de toutes nos ordures au sang de son Fils, il nous impute sa iustice: comme à la verité quand nous serons revestus de sa robbe, nous serons agreables à ce bon Dieu, d'autant que nous aurons une iustice parfaicte, et plus qu'angelique.

Or nous nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON LIX:

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LE CINQUANTENEUFIEME SERMON,

QUI EST LE III. SUR LE XV. CHAPITRE.

17. Ie te declareray, escoute moy: i'ay veu, et te raconteray' 18. Ce que les sages ont declaré, et ne l'ont point caché l'ayans receu de leurs peres: 19. Ausquels seuls la terre a este donnee, et l'estranger n'est point passe au milieu d'eux. 20. Le meschant est tous les iours comme en travail d'enfant, et le nombre des ans est caché à l'outrageux. 21. Voix de frayeur est sur ses aureilles: quand il est en paix, voici le pilleur surviendra. 22. Il ne croira point qu'il doive sortir des tenebres: il verra le glaive.

Nous vismes hier quel est l'estat des hommes quand ils demeurent sans la grace de Dieu: c'est assavoir, qu'il n'y a que toute confusion et puantise: tant s'en faut qu'ils puissent avoir quelque iustice pour subsister devant Dieu. Or cependant nous avons à cognoistre le bien que Dieu nous fait, quand il nous revest d'une iustice qui surmonte celle des Anges. Nous sommes povres pecheurs, si miserables que rien plus: et cependant Dieu nous iustifie d'une façon plus excellente, et plus precieuse, que les Anges mesmes n'ont seulement quant à leur nature (car ils sont participans de la gloire de Iesus Christ, d'autant qu'il est le chef commun de tous) car il y a ceste Iustice de Iesus Christ qui nous est donnee, laquelle est plus qu'Angelique. Et en cela nous avons bien à magnifier la bouté de nostre Dieu. Or cependant venons au propos que poursuit ici Eliphas. Il traitte une chose qui est vraye en soy, moyennant qu'elle fust bien appliquee: c'est assavoir, Que les meschans n'ont iamais repos, mais sont en telle iniquietude, qu'il ne leur faut point d'autre bourreau qu'eux-mesmes pour les tormenter. Or par cela il conclud mal, que Iob est meschant: car combien qu'il fust estonné de ses douleurs, si est-ce (comme il a esté proposé ci dessus) qu'il ne laissoit point d'esperer en Dieu. Ceste doctrine donc (comme nous avons dit) est bonne et saincte: mais il la faut approprier comme il appartient. Et pour ceste cause avons-nous dit, qu'en lisant l'Escriture saincte, nous devons tousiours prier Dieu qu'il nous donne prudence et discretion, pour cognoistre à quel but il tend, quelle est son intention, afin que nous puissions faire nostre profit de ce qui nous aura esté monstré: car nous irons tousiours au rebours, si ce n'est que Dieu nous pousse.

Or pour mieux faire nostre profit de ce qui st ici contenu, suivons le fil du propos d'Eliphas.

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Escoute-moy (dit-il) et ie te raconteray ce que i'ay veu. Il parle de son experience propre: et puis il adiouste, que ceste doctrine a esté ainsi tenue et receuë entre les sages, ausquels Dieu a fait grace voire non seulement de se pouvoir gouverner, mais aussi d'avoir le maniement des pays et regions: et adiouste, Qu'ils en ont iouy paisiblement, sans que nul estranger soit passe au milieu d'eux: c'est à dire sans qu'en ait usurpé ce que Dieu leur avoit mis en main. Or il est vray que quand Dieu aura doué des hommes de graces excellentes, nous ne devons point mespriser ces dons-la, sachans que l'Esprit de Dieu habite en eux: et que si nous sommes si malins de ne point recevoir ce qu'ils nous disent, ceste iniure-la ne s'adresse point à une creature mortelle, mais au Dieu vivant, car selon que Dieu desploye ses graces, il veut aussi qu'elles soyent receuës de nous, afin que le profit en soit commun. Quand donc Eliphas met en avant l'authorité de ceux qui ont gouverné les pays et regions, il a bien quelque couleur et apparence: mais cela ne suffit pas sinon que nous sachions que c'est Dieu qui parie. Et qu'ainsi soit se doit-on fier à l'authorité des hommes? Vray est que Dieu nous commande bien d'estre dociles, et que quand nous aurons cognu que ce qu'en nous dit est vray nous n'ayons point un esprit de contradiction, que nous ne soyons point difficiles à obeir. Voila donc comme l'authorité des hommes doit estre receuë: mais quand ils viendront renverser la verité, et la convertir en mensonge, que lors en s'arreste du tout à eux, il n'y a point de propos Il nous faut bien donc retenir ce poinct: car nous voyons qu'il v a deux extremitez qui sont mauvaises: l'une c'est quand en reiette tout savoir, et toute prudence. Car s'il y a gens entre nous que Dieu ait eslevez par dessus les autres, et ausquels il ait communiqué de son sainct Esprit en plus grande abondance: si en les mesprise, il est certain (comme desia nous avons declaré) qu'en fait iniure à Dieu. Neantmoins nous voyons beaucoup d'estourdis qui ne veulent s'assubiettir nullement ni à conseil, ni à advis de personne. Or il y a une autre extremité, assavoir, quand apres avoir esté preocupez d'une opinion que nous aurons conceuë, qu'un homme est savant, qu'il a grand esprit, qu'il est bien experimenté: nous sommes là comme abbrutis, tellement que nous ne discernons plus. Or i! n'est pas question de nous laisser ainsi mener: car Dieu se

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reserve tousiours son droit. Et quel est-il? C'est que nous soyons subiets à lui seul, voire quant à. la doctrine de salut. Il est vray qu'il y aura les ordonnances et pollices humaines, ausquelles il se faut assuiettir: mais encores le tout se rapporte à luy, et en depend. Cependant voici un point resolu, c'est assavoir, que Dieu veut que nous soyons enseignez par luy: car quand nous attribuons une telle maistrise aux hommes: qu'est-ce que nous faisons, sinon de despouiller Dieu de son authorité et preeminence? Ceste extremité donc est à condamner aussi bien que l'autre. le moyen entre ces deux vices est, que quand nous verrons des gens ausquels Dieu aura fait quelque grace, nous les ayons en estime, que nous prenions volontiers conseil d'eux, que nous sachions qu'en les mesprisant nous faisons iniure à Dieu, pource qu'il veut que nous les honorions. Cela est-il? Que toutes fois nous ne laissions point de discerner, afin que nous ne soyons point circonvenus, sous ombre de quelque opinion que nous aurons conceue d un homme mortel: que nous ne soyons point par cela destournez du droit chemin, et que cependant aussi Dieu ne soit point debouté de sa preeminence. Voila quant à ce point.

Or Eliphas adiouste: Que ceux ici n'ont point caché ce qu'ils avoyent apprins deleurs ancestres. En quoy il monstre qu'ils se sont portez fidelement. Car aussi quand Dieu nous a fait la grace d'estre bien enseignez, ce n'est pas seulement pour nous, mais c'est afin que les autres soyent attirez aussi bien en une mesme cognoissance, que nous communiquions ce qui nous a esté donné à tous ensemble. Et voila aussi à quelle condition Dieu nous instruit les premiers, c'est que quand nous verrons nos prochains ignorans, nous taschions de les conduire avec nous au mesme chemin auquel nous serons desia advancez. Celui qui aura cognu. la verité de Dieu, ne doit pas la tenir enserree, comme si c'estoit pour lui seul. Quoi donc ? Il est obligé à ses prochains: pourtant s'il voit qu'ils soyent encores eslongnez, qu'il leur tende la main, qu'il les convie, et leur monstre ce qu'il aura cognu, car il ne faut point craindre que cela nous porte preiudice ne dommage, si tous sont faits participans I de ce que Dieu nous a donné en premier lieu. Quand un homme aura quelque peu de bien, il est vray que s'il le veut communiquer à tous, il en verra bien tost la fin: mais quand Dieu nous a illuminez en sa parole, et nous a eslargi aussi de son Esprit: d'autant plus que nous tascherons d'en donner aux autres, nous serons enrichis de nostre costé. Voici donc un passage que nous devons bien noter, quand Eliphas dit, Que ceux ausquels Dieu avoit fait une grace singuliere par dessus les autres, n'ont point caché ce qu'ils avoyent apprins de leurs

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ancestres. Et voila aussi la marque que Dieu donne à son serviteur Abraham, pour monstrer qu'il usera bien et loyalement du tesmoignage qu'il a receu. Abraham (dit-il) taschera d'instruire sa maison, et ceux qui viendront apres luy: il leur monstrera les ordonnances, statuts et loix du Seigneur. Notons bien donc que quand Dieu nous ouvre les yeux, et qu'il nous fait la grace de nous enseigner sa verité, ce n'est point afin qu'un chacun retienne cela, à soi, et que les autres n'en ayent ni part ni portion: mais nous devons, entant qu'en nous est, attirer tout le monde. Or puis qu'ainsi est que nous sommes obligez en general à tous, mesmes à ceux que Dieu De nous a point mis en nostre charge: que sera-ce d'un pere de famille à l'endroit des serviteurs, et des enfans ? Que sera-ce d'un ministre de la parole de Dieu qui est specialement deputé à cest office? Que sera-ce d'un magistrat quand le glaive lui est donné, qu'il est assis au siege de Dieu, afin de gouverner le peuple ? Notons bien donc que quand nous n'aurions ne femme, ni enfans, ne serviteurs: toutes fois que nous sommes obligez, quand Dieu nous a fait quelque grace, d'en distribuer, et faire que cela soit communiqué en edification de tous. Voila pour un Item. Mais par plus forte raison, quand un homme aura mesnage, il doit estre tant plus vigilant, avoir tant plus de soin à instruire et enseigner ceux qui lui sont commis de Dieu, et dont il aura, à rendre conte. Ceux qui sont ordonnez Pasteurs pour enseigner le peuple de Dieu, doivent. appliquer là toutes leurs forces et vertus, et en general et en particulier ils ne doivent point celer ce qu'ils ont receu: comme aussi sainct Paul monstre, Qu'il est pur du sang: c'est à dire, qu'il ne sera point coulpable devant Dieu, d'autant que par les maisons, et en public il n'a point cessé de fidelement enseigner la verité de Dieu. Un magistrat aussi de son costé qu'il regarde à soi, et qu'il n'esteigne point par sa nonchalance la clarté que Dieu a mise en lui: mais entant qu'il pourra, qu'il s'efforce que la iustice domine, qu'elle ait son cours, que Dieu soit honoré, que la verité soit receuë, que les mensonges soyent abolis, et tout ce qui est contraire à la vraye religion. Voila ce que nous avons à. retenir de ce passage.

Or quant à ce que dit Eliphas, Que Dieu a donné la terre à ceux-ci, sans que nul estranger ait passé parmi: c'est pour exprimer qu'ils ont receu une grace excellente d'enhaut. Car il est certain que si un homme peut maintenir un gouvernement qui lui sera mis entre mains, c'est un signe que Dieu lui favorise, et faut bien que ceste benediction ici soit recognue: car il n'y a industrie de creature qui puisse suffire à cela. Et ainsi quand Eliphas dit, que ceux desquels il parle ont dominé paisible

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ment, et que Dieu les a benits en sorte qu'ils n'ont point este molestez, ains ont conduit les peuples qui leur estoyent subiets, tellement que leur seigneurie est demeuree paisible. Par cela nous sommes admonnestez que quand Dieu maintient les estats, et qu'il y aura un pays paisible, il ne faut point que nous attribuons cela aux hommes mortels: mais que nous cognoissions que c'est un bien special de Dieu: et que nous le cognoissions non point seulement pour honorer les hommes desquels il s est servi pour ce faire, mais afin de lui rendre la louange qui lui est deue.

Venons maintenant à cest article principal que nous avons touché. Eliphas dit, Que le meschant tous les iours est comme en travail d'enfant, qu'il n'a iamais repos, qu'il est en tourment continuel, qu'il contemple tousiours le glaive, et qu'il ne sait le nombre de ses iours. Or nostre Seigneur use de ceste menace en sa Loi, contre les transgresseurs d'icelle: c'est assavoir, qu'il leur envoyera une telle frayeur, que leur vie sera pendante d'un filet devant eux, qu'ils auront les yeux encavez, qu'ils seront en solicitude telle, que le matin ils diront, Qui est-ce qui me pourra conduire iusques au soir? quand la nuict viendra: Comment pourrai-ie venir iusques au matin? Voila comme Dieu punist ceux qui n'ont point cheminé purement selon sa Loi. Et de fait quelle est la pureté de nostre vie? Si nous desirons d'estre à repos, et de n'estre point agitez de solicitudes, il faut que nous cognoissions que Dieu nous a en sa garde, que cela nous soit bien resolu: et alors il est certain que nous pourrons passer par le feu et par l'eau: c'est à dire, quoi qu'il nous advienne, nous aurons tousiours un bon appui, et ferme. Mais si nous ne cognoissons point que Dieu veille sur nous, mesmes s'il nous semble qu'il nous soit contraire' il faut bien que nous soyons en frayeur, et que nous ne sachions que devenir. Ce n'est point donc sans cause que Dieu use de ceste menace ici contre les transgresseurs de sa Loi. Et ainsi le propos d'Eliphas est bien vrai, Que le meschant n'a iamais que tremblement: comme aussi le Prophete Isaie (57, 20) accompare les pensees des meschans à des vagues qui s'entre-battent: quand il y aura une tempeste, voila l'eau qui sera esmue, les vagues se viendront ruer l'une contre l'autre, et se rompent. Ainsi en est-il qu'un homme qui ne sera point assisté de Dieu, n'aura point seulement une passion qui le transporte et qui le tourmente, mais il en aura plusieurs contraires, il sera là en telle perplexité qu'il sera tout confus. Et ainsi quand il nous est parlé, que le meschant est en telle inquietude: cognoissons que c'est une iuste vengeance de Dieu sur tous ceux qui n'ont point cerché d'avoir paix avec luy. Et comment aurons-nous paix avec Dieu? Quand nous

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cheminerons en bonne conscience et pure: et sur tout quand nous cognoistrons que nous n'avons autre fondement pour subsister que sa seule misericorde, et d'autant que nous lui sommes aggreables au nom de nostre Seigneur Iesus Christ: et que sur cela nous l'invoquerons, sachans qu'en la vie et en la mort nous sommes bien heureux, puis qu'il lui plaist de nous estre prochain, et de nous recevoir et recueillir a soi. Voila (di-ie) comme les hommes auront paix avec Dieu, c'est qu'apres avoir esté certifiez de la remission de leurs pechez, ils invoquent Dieu: et cependant qu'ils cheminent en son obeissance, qu'ils taschent d'avoir une bonne conscience et pure avec leurs prochains. Et ceste paix là est coniointe avec une ioye que sainct Paul appelle du sainct Esprit (Rom. 14, 17), quand nous sommes confermez par foi. Sainct Paul dit que ceste paix est spirituelle: et expressement il use de ce mot, pource que les meschans quelquesfois s'esiouyront: c'est à dire qu'ils s'esgayeront, qu'ils ne feront que rire et gaudir quand tout ira bien pour eux, qu'ils s'oublieront tellement, qu'ils ne sentiront point leur mal, qu'ils seront stupides: voire mais Dieu les remplit d'une paix qui ne leur profite de gueres. Et ceste paix quelle est elle? Ce n'est pas qu'ils approchent de Dieu, mais il lui tournent le dos. Or la vraye paix laquelle est heureuse et beniste de Dieu, c'est quand nous regardons à lui, et que nous en approchons: et cependant que nous sommes en repos, sachans qu'il nous reçoit, et qu'il nous tient et advoue pour siens, qu'il ne nous laissera point à l'abandon, et que en la vie et en la mort nous serons tousiours guidez de lui. Voila ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or il est bien vrai que souvent les fideles sont en tels troubles, qu'à grand' peine en pourra-on discerner entre-eux et les contempteurs de Dieu: mais tant y a, qu'en la fin Dieu les remet en repos: car les ayant ainsi traittez, il leur fait cognoistre leur infirmité, afin qu'ils s'humilient, et qu'ils apprennent de l'invoquer, et de se remettre du tout a luy, et se fier en sa bouté. Et au reste, il nous picque ainsi et nous aiguillonne quelquesfois, afin que nous venions à luy avec tant plus grand' ardeur, et que nous le requerions qu'il nous tende la main, et qu'il nous monstre qu'il a le soin de nous, et que quand nous serons ainsi agitez, qu'il ne nous faut sinon remettre nos solicitudes dedans son giron pour nous reposer là du tout, et y prendre tout nostre contentement et resiouissance. Voila donc comment c'est que les fideles pourront bien estre saisis de frayeur et de tremblement: mais si est-ce que Dieu leur fera sentir, que c'est de ceste paix qu'il a accoustumé de donner aux siens. Et si cela ne se monstre du premier coup, en la fin

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tant y a qu'ils seront tousiours resiouis: comme il est dit au Pseaume (94, 19), Selon les destresses de mon ame Seigneur, tu m'as resiouy. Car Dieu nous tiendra bien enserrez quelquesfois, mais il nous eslargira finalement.

Et voila mesmes comme ce qu'Eliphas adiouste doit estre exposé, Que l'outrageur, celuy qui sera plein de violence, ne cognoistra poin le nombre de ses ans. Les fideles en seront bien ainsi. Qui plus est, nous oyons la requeste que David fait (Ps. 39, 5), Monstre-moy (pour le moins) quel est mon temps, afin que ie prene en gré les afflictions, quand ie sauray qu'elles ne doivent gueres durer. Nous avons veu la semblable requeste avoir esté faite par Iob, disant, Qu'il ne savoit quel estoit le nombre de son temps, ne combien Dieu le vouloit tenir ici. Pourquoi donc est-ce qu'Eliphas attribue specialement cela aux contempteurs de Dieu, et à ceux qui sont pleins d'orgueil et d'outrage? C'est pource qu'ils sont en souci, et s'ennuyent de leurs vie, et cependant il ne savent point le conte. Et de nostre costé nous cognoissons que nous n'avons point ici de terme certain, que nous y serons tant qu'il plaira, à Dieu de nous y maintenir. Quand nous sommes entrez au monde, puis que c'est Dieu qui nous y a mis, il faut que nous luy laissions la liberté de nous y tenir, ou de nous en oster quand bon luy semblera. Cependant nous oyons ce qu'il nous monstre par sa parole, c'est qu'il guide nos pas, que les cheveux de nostre teste sont contez, qu'il ne faut point que nous craignons rien, combien que nous soyons environnez de beaucoup de dangers: il ne faut pas que nous estimions que les choses soyent meslees en ce monde, et que fortune y domine: car combien que nous soyons povres vers de terre, si est-ce que Dieu pense de nous, qu'il a nostre vie en sa main, et qu'il en fera bonne garde et seure. Quand nous cognoissons ceste protection de Dieu, cela ne nous doit-il pas bien suffire ? Quand (di-ie) nous sommes asseurez que Dieu a conté nos ans et nos iours, que mesmes il a conté les cheveux de nostre teste: et ne voila point une certitude assez grande?

Et ainsi ce n'est point sans cause qu'Eliphas dit, Que les outrageurs ne savent oint le nombre de leurs iours. Et pourquoy ? Car ils s'enquierent avec une destresse si grande que rien plus, Et comment ? Pourrions-nous encores vivre ? Sommes-nous asseurez de cecy et de cela? Mais apres qu'ils ont fait toutes leurs longues disputes, et leurs grands discours, ils reviennent tousiours là en une inquietude continuelle, d'autant qu'ils ne s'appuyent point sur la providence de Dieu. Or de nostre part ce n'est pas ainsi qu'il nous en faut faire. Mais prions Dieu qu'apres luy avoir recommandé nos esprits, nous soyons paisibles, quelques troubles

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qui nous puissent advenir: cognoissans que puis l qu'il nous a creez et formez, qu'il est puissant pour l nous delivrer de tous dangers, quand il se voudra I monstrer nostre redempteur: et que sur cela nous facions ceste conclusion, qu'il veillera cependant que nous serons endormis. Autant en est-il de ce qu'Eliphas adiouste: c'est assavoir, Que l'homme outrageux contemple tousiours le glaive, c'est à dire, qu'il voit les dangers infinis qui l'environnent et sur cela qu'il tremble, et est effarouché. Ceci convient proprement aux tyrans. Il est vray que

leur condition semblera estre heureuse: mais ils | sont tellement troublez en leurs coeurs, qu'ils savent qu'il leur vaudroit beaucoup mieux qu'ils fussent de petite condition et basse, que d'estre honorez, et redoutez: et cependant mesmes ils craignent, non seulement les hommes, mais une fueille quand elle branlera en l'arbre. Mesmes il y a un tyran qui a fait confession de cela, quand en luy applaudissoit, et qu'on luy attribuoit une telle authorité, qu'il sembloit qu'il fust un Dieu en ce monde, et qu'un chacun desiroit sa condition. Si (dit-il) tu estois semblable à moy, que tu cogneusses ce que ie cognoy, tu ne souhaiterois pas ma condition pour estre changee à la tienne. Sur cela il fait apprester un beau banquet, et met là un de ses plus familiers, et luy fait pendre une espee sur sa teste, qui le menaçoit de la poincte: or celuy-la ne pouvoit ne boire ne manger, voyant le danger auquel il estoit, il n'estoit plus question alors de toutes ces bravetez qu'il avoit tant prisé auparavant. Et c'est ce que dit maintenant Eliphas, que les tyrans et gens cruels seront tousiours en tremblement, encores qu'il semble qu'ils soyent bien à leur aise, qu'ils ayent grande force et munitions. Et pourquoy ? Car ils ont tousiours le glaive devant leurs yeux. On demandera, Et les fideles n'apprehenderont ils pas les dangers qui les menacent? Il est certain: et mesmes il nous est bon de sentir, car si nous cuidons estre bien asseurez, nous ne tiendrons conte de recourir sous les ailes de nostre Dieu, nous ferons des chevaux eschappez. Il faut donc que Dieu nous admonneste et advise que nous sommes assiegez de mille morts, que nous ne saurions point faire un pas que ce ne soit pour tomber au sepulchre. Quand nous aurons entendu cela, et que cependant nous verrons les pestes, les guerres, les famines, tant de povretez, tant de maladies, tant d'autres inconveniens de bestes, et autres, qu'autant que nous voyons de creatures et au ciel et en la terre, ce sont autant de morts, ou qui nous sont contraires: et bien, alors nous cognoissons, Helas! nous sommes bien miserables creatures si Dieu n'avoit pitié de nous. au reste, nous sommes incitez de recourir à lu, Seigneur, tu vois que si ie n'estoye gardé sous ta main je n'auroye point une minute

SERMON LIX

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de temps à vivre: il te plaira donc Seigneur me conserver. Voila comme les fideles contemplent le glaive: mais en le contemplant, ils contemplent aussi la grace de Dieu: et quand en leur a remonstré les dangers oh ils sont, ils recourent à ceste seureté qui nous est taut souvent monstree en l'Escriture: c'est que quand nous mettrons nostre fiance en Dieu, il nous sera non seulement muraille, et double rempart (comme il en est parlé au Prophete Isaie) mais une muraille d'airin, ou de fer, bref, il nous sera une forteresse invincible. Voila comme les fideles apres avoir contemplé le glaive contemplent neantmoins ceste protection de Dieu, sachans bien qu'encores qu'il semble que la mort les menace de toutes parts, si est-ce que le glaive ne parviendra point iusques à eux, et quand il y viendra, qu'ils ne tomberont que debout comme-on dit. Mais les meschans pour leur salaire auront cest espouvantement, que quand ils contempleront les glaives, ce sera pour regarder, Voila un tel danger, voila un telle chose qui advient: n'y aura-il nul moyen d'y pouvoir? Ils verront d'autre part Dieu qui les persecute: il aura ses dards tout apprestez pour ruer contre eux, il aura ses ares tendus, voire la foudre pour les abysmer, sur cela donc il ne se faut point esbahir s'ils sont en grand trouble, et en grand destressé. Ainsi nous voyons quelle difference il y a entre l'apprehension des dangers qu'ont les enfans de Dieu, et les troubles et espouvantements des incredules. Il est vray que les fideles quelquesfois verront les glaives, et sur cela seront effrayez: mais c'est pour venir à ce que i'ay touché par cy devant, c'est assavoir que Dieu les admonneste de s'humilier, et puis il les retire à soy, et leur donne ce repos, duquel pour un peu de temps ils estoyent destituez pour leur profit.

Voila donc ce que nous avons à retenir de ceste sentence d'Eliphas. Et quand nous aurons cogneu ces choses, alors nous pourrons bien appliquer ceste doctrine à nostre instruction et salut. Et comment ? Car en premier lieu nous voyons quelle est la condition des hommes. Voici une peinture vive où nostre Seigneur nous declare, qu'estans en ce monde il faut que nous soyons effrayez, que nous n'ayons pas tousiours repos, mais soyons en inquietude. Et bien, cependant chacun s'esgare, chacun s'eslongne de Dieu, et voila le mal qui croist et redouble, il faut que les frayeurs s'augmentent, et qu'elles soyent beaucoup plus terribles pour nous espouvanter. Pourquoy? Nous avons fait la guerre à Dieu, c'est bien raison qu'il nous en face autant: que toutes creatures mesmes soyent armees contre nous. Or avons-nous cela ? Il faut venir au remede quand nous voyons le mal: c'est que nous cognoissions, Or si est-ce que nostre Dieu ne nous veut point abandonner: et mesmes

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il n'attend pas que nous le venions cercher, mais il nous previent par sa bouté, et nous declare, que quand nous l'aurons invoqué, lors nous pourrons bien remettre nostre vie entre ses mains, qu'il en sera bon gardien et fidele. Quand nous aurons cognu cela, ô nous verrons alors que Dieu en nous maintenant, et en prenant la charge et office de nous conserver, nous fera beaucoup plus de bien que si nous estions exemptez de tous dangers. Prenons le cas que les hommes fussent en ce monde comme en un paradis terrestre, qu'il n'y eust rien qui les peust fascher: ils ne seroyent pas si heureux, que quand au milieu de beaucoup de troubles et d'afflictions, ils cognoissent que Dieu descend, c'est à dire, qu'il s'abaisse iusques là de penser d'eux, et de veiller afin de prevenir les inconveniens, et de repousser tous les dangers qui leur pourroyent advenir, et qu'il se viendra mettre entre deux, afin qu'ils n'en puissent estre desbauchez et troublez outre mesure. Au reste cognoissons si quelquesfois Dieu nous laisse, et qu'il se retire, et qu'il se cache tellement que nous n'appercevions point son secours, et que nous ne puissions point estre asseurez de sa protection: qu'il ne nous faut point estonner pour cela, mais le prier qu'il luy plaise monstrer sa face, et que nous le contemplions pour estre asseurez. Comme nous voyons que David en parle (Ps. 4, 7): Seigneur (dit-il) fay luire ta face sur nous, et cela nous sera plus que si nous avions abondance de tous biens. Quand David se voit ainsi esperdu, et qu'il semble que Dieu ait lasché la bride à Satan et aux meschans, et que mesmes il soit affligé en son esprit, qu'il n'y ait plus d'aide d'enhaut: Seigneur ie ne demande sinon que tu faces luire ta face sur nous: c'est à dire, que tu me donnes un petit goust de ta bouté pour cognoistre que tu m'as receu. Voila donc comme il nous faut demander à Dieu qu'il oste ces nues grosses et espesses qui nous empeschent de cognoistre l'amour qu'il nous porte.

Au reste, quand nous voyons que les meschans sont ainsi en trouble et en inquietude, que cela soit pour nous tenir en bride: car il nous faut faire nostre profit des vengeances de Dieu, quand nous les contemplons de loin sur les meschans. Il ne faut pas attendre que Dieu s'adresse à nous, qu'il frappe à grans coups sur nos testes. Nenni non: mais s'il nous espargne, et que cependant nous voyons qu'il punisse ceux qui l'auront mesprise, qui auront reietté son ioug: que cela soit pour nous tenir en crainte et en solicitude, pour dire, Helas! nous voyons ici ces povres malheureux qui se sont eslevez en orgueil et en arrogance contre Dieu: et quel payement en ont-ils? Nous voyons qu'il ne leur faut point de bourreau pour les gehenner. Et qui est-ce qui les tormente? C'est Dieu

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qui les persecute ainsi. Par cela donc que nous soyons reveillez et retenus afin de ne nous point ietter hors des limites. Et cependant aussi que nous soyons tant plus addonnez à cercher ceste paix, qui est un bien et un thresor inestimable, et que nous la cerchions tant plus soigneusement, reduisant en memoire ce que dit sainct Paul. La paix de Dieu (dit-il) qui surmonte tout entendement humain vous conserve vos coeurs, et vos sens, c'est à dire, quand nous serons asseurez de ceste protection de Dieu, que nous pourrons recourir à luy, ne doutans point qu'il ne nous reçoive comme ses propres enfans. Il dit, Que ceste paix-la surmonte tout sens humain. En quoy il signifie, que nous ne la comprendrons point si ce n'est que Dieu nous la donne par son sainct Esprit: comme defait il faut bien qu'il besongne en nous pour nous faire parvenir iusques là. Or cependant nous avons aussi à noter pour conclusion ce qui est icy dit, c'est assavoir, que la voix de frayeur sonnera tousiours aux aureilles des meschans et contempteurs de Dieu, et mesmes quand ils seront en paix, que le pillard se ruera sur eux. Ici Eliphas dit deux choses: l'une c'est, que quand les meschans seront en prosperité' soudain ruine tombera sur eux comme un orage qu'ils n'auront point attendu, ainsi qu'il en est parlé: que quand ils diront paix et asseurance, qu'ils se desborderont contre Dieu, se mocquans de toutes ces menaces, ce sera alors que Dieu les accablera quand ils n'y auront point pense. Il est vray qu'il faut que l'Escriture s'accomplisse, que le meschant sentira ce qu'il a craint: mais aussi au contraire Dieu leur envoyera ce qu'ils n'ont pas craint pour en estre soudain exterminez. Voila donc ce qu'a entendu Eliphas, qu'au milieu de la paix il y viendra pillages et ravissements sur les contempteurs de Dieu: mais le principal c'est de ceste voix de frayeur qui les estonnera tousiours, et les tiendra comme à la gehenne. Et quelle est ceste voix-là? Ce n'est point de voix d'homme ne voix des bestes, mais c'est une voix sourde que Dieu leur envoye quand il y aura silence par tout, que nulle clameur ne les molestera: car il faudra

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neantmoins que cela les persecute, et ils fremiront, et seront là tremblants: ainsi que nous en voyons l'exemple en Cain. Voila Cain qui n'a nul repos: qui est-ce qui le persecute? Dieu ne lui ordonne point de iuge pour faire son procez, il n'a point de partie adverse. Il est vrai que le sang d'Abel crie bien vengeance: mais quant aux hommes il est asseure, il triomphe, il bastist ville au nom de son fils' chacun le redoute: et cependant si est-ce qu'il tremble comme la fueille en l'arbre. Et d'où vient cela? C'est ceste voix cachee, une voix qui n'est point entendue: mais c'est un son effrayant, que les meschans ne cognoissent point ce que Dieu leur monstre, et toutes fois ils ne laissent pas d'estre tousiours esperdus. Or quand nous oyons cela, prions Dieu qu'il nous face ouyr ceste voix douce et amiable, quand il nous envoye le message de sa bouté et de son amour paternelle. Voila donc le seul remede comme nous pourrons estre delivrez de cest effroi et estonnement dont les meschans sont esperdus: c'est assavoir, que nous demandions à Dieu qu'il nous face ouyr la voix de son Evangile, où il nous declare qu'il nous reçoit en son amour, qu'il nous est Pere, qu'au nom de nostre Seigneur Iesus il nous accepte comme iustes, que et en la vie et en la mort il nous tiendra tousiours en sa main. Quand donc ceste voix là sonnera, à nos aureilles, qu'elle sera bien entendue de nous, nous ne serons point estonnez de ces effrois sourds et aveugles, comme sont les incredules: mais nous serons asseurez contre tous les espouvantemens qui nous pourront advenir. Pourtant quand nous aurons ainsi nostre recours à Dieu, qu'il nous fera la grace que par son sainct Esprit nous serons appuyez sur ses promesses' ne doutons point que de plus en plus il ne nous conferme en tous les biens qu'il nous aura eslargis, et qu'il ne nous fortifie par sa vertu, tellement que parmi tous les effrois de ce monde nous demeurerons tousiours fermes, iusques à ce qu'il nous ait recueillis en son repos eternel.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON LX

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LE SOIXANTIEME SERMON,

QUI EST LE IV. SUR LE XV. CHAPITRE.

23. Il trottera apres e pain ça et là, sachant que le temps des tenebres est en sa main. 24. L'angoisse l'estonne et le surmonte, comme le Roi qui est equippé au combat. 25. D'autant qu'il a eslevé sa main contre Dieu, et s'est corcé contre le Tout-puissant. 26. Il lui sautera sus le col, et l'estreindra au plus fort de son bouclier. 27. Il a couvert sa face de graisse, et a engraissé ses boyaux. 28. Il a habité les villes desertes, les maisons dissipees, qui estoyent en ruine. 29. Il ne s'avancera point' ses richesses ne seront point fermes, et n'y aura point de residu.

Nous monstrasmes hier, à combien de povretez et dangers nostre vie est suiette, en sorte qu'il faut que nous tremblions tousiours, sinon que nous cerchions nostre repos en Dieu, cognoissans qu'il a le soin de nous, et qu'il nous veut maintenir. Sans cela il faut que nous soyons en inquietude continuelle. Et au reste quand nous daignons escouter le message de paix que Dieu nous adresse et envoye, il faut que nous soyons effarouchez par les hommes. Et c'est une iuste punition sur l'ingratitude de tous ceux qui ne reçoivent pas un tel bien, et il est impossible que Dieu le souffre. Voici Dieu qui nous declare en premier lieu qu'il nous veut pardonner nos pechez: et combien que nous meritions d'estre abysmez de lui, toutes fois il ne demande sinon à se reconcilier avec nous par sa misericorde. Il adiouste qu'il nous prend en sa protection, qu'il veut estre gardien de nostre vie. En reiettant cest honneur et ce privilege, ne sommes nous pas dignes d'estre livrez à Satan? et que non seulement nous soyons troublez par les hommes, mais sans qu'en nous persecute que nous tremblions, que nous soyons en frayeur? Apprenons donc de nous appuyer en Dieu, et nous tenir aux promesses qu'il nous donne, afin de pouvoir cheminer ici bas au milieu des dangers en seureté et en repos.

Or maintenant Eliphas adiouste Que le meschant trottera apres le pain ça et là, sachant que le iour des tenebres est en sa main. On expose ce passage comme s'il disoit, que Dieu appovrira les meschans, quelques riches qu'ils soyent, tellement qu'il faudra qu'ils mendient. Vrai est que ceste malediction ici est contenue en la Loy, et nous oyons aussi ce qui est dit au Pseaume, Que le iuste n'est iamais destitué, ne sa semence, que

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Dieu nourrit les siens en temps de famine. Si Dieu prouvoit ses fideles tellement que en la necessité ils soient secourus de lui: l'opposite, nous ne devons pas trouver estrange qu'il reprime le bien d'entre les mains des meschans, pource qu'ils s'en sont enyvrez, et en ont fait leurs idoles. De fait, nous voyons que les riches de ce monde deviennent affamez, combien qu'ils mesprisent Dieu et les hommes, et qu'il n'y ait que pour eux ce semble. Et c'est cola pourquoi Dieu les despouille par fois et les desnue tellement qu'en les voit mendier encores qu'auparavant ils ayent eu abondance pour se crever. Mais ici Eliphas a voulu dire d'avantage: car il ne parle point seulement de la necessité en laquelle sont reduits les contempteurs de Dieu: mais il signifie qu'au milieu de leurs richesses encores seront-ils en souci qu'ils seront comme povres gens, qu'ils regarderont, Or ça ie pourroye avoir faute: comme nous en voyons l'experience. Car combien que Dieu donne aux incredules tout ce qu'ils pourroyent souhaiter, qu'ils ayent leurs greniers pleins et leurs caves, qu'ils ayent dequoy acheter et blé et vin, encores qu'ils en ayent leur provision pour eux, si est-ce qu'il leur semble que terre leur doive faillir. Il est vrai que par fois il leur semble quand tout le monde mourroit de faim, qu'ils en ont trop comme nous voyons que nostre Seigneur Iesus en monstre l'exemple de ce riche qui dit, Or ça mon coeur esiouy toy, sois à ton aise, tu peux t'esgayer à ton plaisir, car i'ay ici du bien à superflu. Les riches donc se pourront bien confier en leur abondance: mais ce n'est pas que cependant ils ne soyent encores en doute, et qu'ils ne pensent, Or ça ie pourroye tomber en tel inconvenient, et cela me pourroit advenir. Bref (comme desia nous avons touché) ce sont des gouffres insatiables: quand ils auroient tout le monde, encores ne leur seroit-ce point assez. Voila ce qu'a entendu Eliphas, disant, Que les meschans trotteront apres le pain: comme nous le voyons. Voila un homme bien riche, toutes fois s'il lui vient quelque petite perte, il fera des circuits, il n'a point de repos, iusques à ce qu'il soit venu à bout de ce qu'il entreprend, il faut qu'il languisse, et qu'il se tormente tant et plus: et puis s'il vient à bout de son entreprinse, il faudra qu'il ait argent nouveau pour acquerir d'avantage, il n'osera point manger un morceau que ce ne soit à regret: pour le moins quand il ne mangera qu'à demi son soul, il portera

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envie à ceux qui mangeront. Et pourquoy? Iusques à ce qu'il ait espargné pour faire ce qu'il a entreprins, il ne sera, à son aise. N'est-ce pas bien trotter apres le pain que cela, quand un homme (combien qu'il ait à nourrir un demi peuple) ne pense point rien avoir, d'autant qu'il ne peut satisfaire à son desir? mais Dieu le punist ainsi par une vengeance contraire. Quand donc nous voyons cela, nous devons bien cognoistre (si nous ne sommes plus qu'aveugles) que Dieu exerce une vengeances notable, et digne de memoire sur telles gens. Car un homme prendra-il plaisir à n'avoir iamais repos? Si en nous plaind le boire et le manger, il nous semble qu'en nous estrangle, et accusons de cruauté ceux qui le font. Et quand un homme ne se donnera point liberté de se bien faire à lui-mesmes, et qu'il lui semblera qu'il n'en ait pas à moitié, combien qu'il en ait cent fois plus qu'il ne lui en est de mestier, ne voit-on pas que Dieu l'a aveugle? Et toutes fois ce vice-la a regné de tout temps. Ce n'est point donc sans cause qu'Eliphas nous propose ici un iugement de Dieu, en disant, que les meschans trotteront c, à et là apres le pain.

Or il adiouste, Qu'ils sauront que le iour de tenebres est en leurs mains. On expose ceci, que le iour des tenebres est prochain, ou bien que l'affliction est en leurs mains, c'est à dire, que Dieu leur rendra tel salaire qu'ils ont merite: car d'où vient qu'ils sont ainsi affamez au milieu de leur largesse que Dieu leur a donnee, et quand il les a remplis de biens, qu'ils n'osent neantmoins ne boire' ne manger? D'où vient cela? Ils sont punis de leurs cruautez, de leurs rapines, et des fraudes qu'ils ont exercees envers leurs prochains. Il ne faut point aller cercher la cause bien loin pourquoy ils sont ainsi troublez: car tout ainsi qu'ils ont moleste les povres gens, qu'ils ont attiré la substance d'autrui à eux, qu'ils ont ravi ce qu'ils ont peu, il faut que Dieu les recompense. Voila donc les tenebres qui sont en leurs mains, c'est à dire, tous les maux qu'ils endurent procedent de ce qu'ils ont ainsi exercé tyrannie contre les povres gens, et qu'ils ne les ont point espargnez. Mais le sens naturel est, qu'ils cognoistront que le iour des tenebres est en leurs mains: c'est à dire, que quoy qu'ils facent et travaillent, combien qu'ils soient riches et puissans, neantmoins si ne se pourront-ils point desvelopper de ceste affliction que Dieu leur envoyera. Il est-certain que tout ce que font les avaricieux, c'est pour iamais n'avoit faute. Or s'ils estoient bien advisez, ils se contenteroient de ce qu'ils ont: mais ils ne peuvent. Et pourquoy? Car Dieu (comme desia nous avons dit) les aveugle, qu'ils sont tellement enragez, qu'ils ne peuvent cognoistre que le bien qu'ils ont leur devroit suffire. Sur cela ils

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machinent tout ce qu'ils peuvent, ils essayent s'ils pourront pro voir a leur cas, et quand ils n'en sont point venus à bout d'un costé, ils tournent bride. Les avaricieux donc n'ont pas les mains oisives, mais ils entreprenent de remuer le monde plustost qu'ils ne viennent à bout de leurs entreprinses: tousiours ils feront manage nouveau (comme en dit) mais cependant ils voyent les tenebres en leurs mains: c'est à dire, quand ils auront mis peine à se prouvoir, quand ils auront use de tous moyens qu'il est possible, si est-ce qu'ils ne peuvent empecher qu'ils ne soyent tousiours en affliction: car Dieu les a privez de ce bien-la. Comme il est dit au Pseaume (127, 2), Que Dieu donnera repos à ses bien-aimez (cependant que les povres incredules se leveront de matin, et se coucheront tard, n'osans point manger du pain qu'en angoisse, et toutesfois par cela n'advanceans rien) que sans difficulté grande, ils pourront sentir que Dieu les a benis, et qu'il les a multipliez en l'ouvrage de leurs mains. Nous verrons donc à l'opposite ce qui est ici couche, que les meschans auront beau s'efforcer en leurs labeurs. Et pourquoy? Car leurs mains sont contre Dieu: c'est à dire, tout leur labour est reprouve, et faudra (en despit de leurs dents) qu'ils cognoissent que l'affliction est là couchee sur eux, et qu'ils ne s'en pourront despouiller. Nous avons donc ici une sentence bien notable: c'est assavoir, que l'abondance des biens n'est pas pour nous ras sasier: il ne faut point que nous facions nostre conte quand nous aurons largesse de bled et de vin et d'argent, d'estre à nostre aise ni en repos. Et pourquoy? Car là en n'y trouvera point la matiere: mais le comble de toute felicité est, quand Dieu donne repos à ses fideles. Apprenons donc de ne nous point adonner à ceste convoitise enragee, dont nous voyons que la plus part du monde est ravie et transportee. Mais apres nous estre recommandez à Dieu, que nous le prions qu'il nous face sentir qu'il nous est Pere nourrissier, recevans ce qu'il nous donne, que nous lui demandions nostre pain ordinaire, que nous n'attentions point des moyens illicites, que nous-nous abstenions de rapines, de violences, et de fraudes, et de choses semblables: mais que nous demandions d'estre nourris comme il lui plaira nous en faire la grace. Voila ce que nous avons à noter en premier lieu. Et au reste, qu'il benisse tellement le labeur de nos mains, que nous sentions que les choses ne sont point là encloses: mais plustost qu'il face luire sa face: c'est à dire, que nous cognoissions sa faveur et sa bouté quand il nous donnera bonne issue. Car quand ceux qui travaillent gaignent leur vie honnestement, ils ont bien dequoy rendre graces à Dieu: et en cela ils apperçoivent que Dieu les a esclairez, et que sa faveur leur est comme une lampe pour les

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guider. Nous avons donc à prier Dieu de cela. Et au reste, si quelquefois nous reculons au lieu d'advancer, prenons ce iugement de Dieu, et recourons à lui, le prians qu'il ne permette point que nous soyons du rang de ceux qui voyent ainsi tant de tenebres en leurs mains: mais quand il nous aura donné quelque moyen, qu'il le face prosperer en sorte, que nous cognoissions qu'il nous est prochain. Voila en somme ce que nous avons à retenir de ce passage.

Or Eliphas adiouste: D'autant qu'il a levé sa main contre Dieu, et qu'il s'est fortifié contre le Tout puissant, Dieu le saisira au col, et l'appreherndera par le plus fort de ses armures, et par le plus espez. Ici la raison est adioustee pourquoy nostre Seigneur envoye frayeur sur les meschans, et pourquoy il les tourmente, et aussi les rend frustrez de toutes leurs attentes, et les met tout au rebours de leur intention: c'est d'autant qu'ils se sont eslevez contre lui. Or il est vrai qu'un homme mortel auroit honte de penser à faire la guerre à Dieu: tant s'en faut que les meschans confessent qu'ils ont voulu s'eslever contre le Tout-puissant, qu'ils ont le mot en horreur: mais ils ne laissent point de le faire. Qu'ainsi soit il ne faut point que nous envoyons une trompette à Dieu pour le defier, quand nous lui faisons la guerre: si nous molestons iniustement nos prochains, si nous usons de fraudes, et de rapines, voila Dieu qui s'y oppose. Si nous pensions faire la guerre contre lui, et non point contre les creatures, serions-nous si enragez de nous y desborder en telle sorte comme nous faisons? Si nous regardions, Voila Dieu qui se declare ennemi des outrageurs, nous viendrions-nous ainsi eslever contre lui ? Et quand nous outrageons (ie vous prie) n'est-ce pas s'attacher pleinement à Dieu? Nous ne l'entendons pas ainsi: mais la chose est telle neantmoins. Qu'est-ce qu'il faut ici user de sophisterie? Comme i'ay desia dit, quand il est parlé, que nous faisons la guerre à Dieu, ce n'est pas que nous le sommions à la trompette par quelque heraut: mais Si nous sommes Si arrogans de presumer de nos forces et vertus, de nous attribuer plus que Dieu ne nous donne de congé, il est certain que nous venons heurter contre lui. Autant en est-il quand nous molestons ici povres gens, que nous taschons de leur mettre le pied sur la gorge. Quand donc nous venons nous eslever ainsi outre nostre mesure c'est autant comme si nous despitions Dieu tout manifestement. Et ainsi ceste sentence est digne de memoire, quand Eliphas dit, Que Dieu envahira au col ceux qui se sont ainsi eslevez contre lui. Notamment il dit, Qu'ils ont dresse leurs mains contre Dieu. Il est vrai que ceste similitude est prinse de ceux qui combatent, mais cependant ce propos s'estend plus loin. Car Eliphas signifie, que

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quand les hommes entreprennent ce qui ne leur est point permis, usans de quelque outrage et iniure, Dieu sera leur partie à l'encontre de leurs prochains: il cet vrai que n'estans point venus à bout de leurs entreprinses, par ce moyen-la, ils y procederont par quelque fraude et malice: et adonc encores qu'en ne l'apperçoive point, si ne laisseront-ils point d'avoir Dieu pour leur ennemi, quand ils auront nourri là dedans des mauvaises affections en secret: mais ils seront d'autant plus inexcusables quand leurs iniquité se monstrera par dehors Celui donc qui pillera le bien d'autrui sera tenu comme pour meurtrier devant Dieu: voire combien que l'iniquité qu'il commet pourra estre excusee des hommes. Ainsi Eliphas a voulu ici declarer, qu'en ne doit point trouver estrange si Dieu se venge ainsi des mechans, lesquels n'ont point dissimulé leur iniquité, car elle est toute cognue des hommes. Et de fait, quand ils se seront ainsi ruez à tors et à travers, qu'ils auront mangé l'un, qu'ils auront esgratigné l'autre, qu'ils auront exerce beaucoup d'extorsions et de cruautez: n'est-il pas temps alors, ou iamais, que Dieu vienne au devant? Car ce n'est point sans cause qu'il a declaré, qu'il vouloit estre le protecteur des povres gens qui estoyent molestez à tort. Or cela se voit: mesmes nous crierons quelquefois Vengeance envers Dieu. Et pourquoy est-ce que les povres gens endurent ainsi? Il leur semble que Dieu les laisse-là, et qu'il n'en vueille faire nulle raison. Or en telles tentations il nous faut recourir à ce que nous dit l'Escriture saincte, que ce n'est pas encores le temps opportun, il sait pourquoi il differe, et ne fust sinon pour donner temps de repentance à ceux qui font mal, pour ici rendre tant plus inexcusables: et aussi pour inciter les povres gens oppressez à l'invoquer, et qu'ils ayent leur refuge à lui, qu'ils se remettent du tout à sa providence, sachans qu'ils seront aidez et secourus de lui quand il cognoistra qu'il sera bon et expedient pour leur salut. Mais quand nous voyons que Dieu besognes apres avoir long temps attendu, ne faut-il pas ouvrir ici yeux pour cognoistre ses iugemens ? faut-il que nous soyons là stupides?

Et puis il adiouste, Qu'ils se sont fortifiez contre le Tout-puissant. Quand il dit, qu'ils se sont fortifiez, il entend qu'ils se sont endurcis. Car comment est-ce c 1e ici hommes pourront cueillir force pour s'eslever à l'encontre de Dieu ? Sera-ce quand ils Circuiront et terre, et mer, et qu'ils s'assembleront toutes ici aides qu'il cet possible de trouver ? Nenni. Et comment donc se fortifieront-ils ? Par une fausse imagination, quand les hommes sont si outrecuidez qu'il leur semble qu'ils pourront resister à Dieu: non point qu'ils ayent ceste phantasie directe (comme en dit) mais

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tant y a qu'ils ne cognoissent point que Dieu leurs puisse mal-faire. Et qu'ainsi soit, ils ne seroyent pas tant endurcis à mal, comme ils sont, ils ne seroyent pas tant obstinez quand en leur remonstre leurs fautes, et qu'en tasche de les reduire. L'orgueil donc et la rebellion qu'en voit aux hommes, est un certain tesmoignage, qu'il leur semble qu'ils sont assez forts et robustes pour repousser la main de Dieu, quand elle leur seroit contraire. Voila comme doit estre entendu ce mot, Qu'ils se sont fortifiez: non point de fait (car il est impossible) mais par arrogance diabolique, pource qu'ils reiettent toute crainte, et qu'il leur semble qu'ils ne doivent plus endurer de iuge: bref, qu'il leur semble qu'ils ne doivent plus estre subiets à Dieu pour venir à conte devant lui: et suivant cela ils prenent tant plus grande hardiesse de s'adonner à tout mal comme si tout leur estoit licite. Or notamment Eliphas attribue ce titre de Tout-puissant à Dieu, selon la circonstance du lieu: non pas que Dieu puisse iamais estre vaincu: mais ici Eliphas s'est voulu moquer de ceste arrogance qui est aux meschans, quand ils se fortifient ainsi. Et lui qui est-il ? A qui en voulez-vous ? Il est le Tout-puissant: voire, et vostre force que deviendra elle? Si vous aviez combat aux creatures, il faudroit savoir qui est le plus fort: mais d'autant que c'est à Dieu que vous faites la guerre, ne faut-il point que devant qu'approcher vous soyez confus ? Il n'y a force que de luy: voire et quand vous la lui aurez empruntee, vous la viendrez convertir à l'encontre? Et pensez-vous qu'il permette que la vertu qu'il vous a donnee diminue rien de sa maiesté? Ne faudra-il point qu'elle lui serve pour vostre confusion ?

Voila donc pourquoy notamment Eliphas a mis ici ce mot de Tout-puissant, quand il reproche aux hommes qui se sont fortifiez contre Dieu. Or nous avons ici à recueillir encores une bonne doctrine, et utile: c'est que si nous ne voulons faire la guerre à Dieu, nous advisions bien de nous abstenir de tout malefice, et de toute iniure: vivans avec nos prochains sans nuire à nul, sans faire aucun tort. Car si tost que nous aurons remué un doigt pour piller le bien d'autrui, pour tourmenter l'un, pour devorer l'autre: voila Dieu qui est comme solicité de nous à nous faire la guerre, d'autant que nous aurons machiné tout mal à ceux qu'il avoit mis en sa sauvegarde. Nous voyons que les Princes terriens quand ils auront mis leur sauvegarde en quelque maison, si en y va faire quelque violence, ce n'est pas un simple larrecin, mais un crime public, duquel ils se vengent. Or pensons-nous que Dieu vueille estre moins privilegie? Il a mis ses armoiries sur toutes povres gens, d'autant qu'il ici a en son soin et en sa

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sauvegarde: si en les vient tormenter et affliger, le permettra-il? Apprenons donc (comme i'ai dit) de nous tenir en bride, afin que nous n'usions de nul excez contre nos prochains. Et au reste, gardons-nous aussi de ceste frenesie dont il est ici parlé: car nous serons bien enragez si nous prétendons d'estre forts et robustes à l'encontre de Dieu. Advisons donc de cheminer en modestie: cognoissans aussi la fragilité de nostre nature: humilions-nous, et que cela soit pour nous retenir en nos limites: et que cognoissans ce que Dieu nous permet, nous-nous contentions de cheminer simplement par nostre voye, sans courir à travers champs comme bestes esgarees, car qu'est-ce que cola, sinon de nous fortifier contre Dieu? Quand nous presumons de faire ce que Dieu nous a defendu, estimerons-nous cela une simple desobeissance? N'est-ce point une furie plus que diabolique? Et ainsi donc que nous soyons desveloppez de tout orgueil et presomption, pour suivre simplement ce que Dieu nous monstre: et quand nous serons tente quelquefois de Ceste vaine phantasie, notons bien ce mot de Tout-puissant, pour nous reprimer. Comment? povre creature que veux-tu faire? A quoy penses-tu ? car tu te fortifies ici en ton mal: et voici Dieu qui declare, qu'il s'eslevera contre toi, et qu'il faudra que tu sentes qu'il t'est contraire et ennemi mortel. Ainsi donc que tu te reprimes, si tu ne veux sentir sa main forte qui sera pour t'accabler du tout, et te mettre en ruine. Voila (di-ie) ce que nous avons à noter de ce passage.

Et au reste, oyons ce qu'Eliphas adiouste, Quo Dieu envahira les meschans par le col, qu'ils auront beau estre armez, que s'ils ont et heaume, et bouclier, Dieu viendra les empoigner par le plus espez de tout leur equippage. Quand il dit' que Dieu envahi les meschans par le col, c'est pour monstrer qu'ils seront saisis tellement qu'ils ne pourront eschapper: car en dira, qu'en tient un homme par le col quand il sera là enserre en extremité, en angoisse. Dieu donc declare qu'il en fera ainsi aux meschans, qu'il ne les traitera point à coups de bastons, qu'il ne leur donnera point quelques buffes tant seulement, mais qu'il les saisira au col pour les estrangler. Et c'est bien raison: car nous voyons aussi comme ils ont esté cruels envers leurs prochains, qu'ils leur tenoyent le pied sur la gorge tant qu'ils pouvoient. Il ne faut point donc que Dieu use de chastiemens humains envers eux, mais que ce soit avec une confusion extreme qu'il les assaille. Et d'autant que les meschans se confient en leurs munitions pource qu'ils sont bien equippez, et qu'ils veulent faire tousiours barre à Dieu à ce qu'il n'approche point d'eux: il est dit notamment qu'il les empoignera par le plus espez

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quoy qu'ils lui resistent, et qu'ils se munissent à l'encontre de lui, si est-ce qu'ils ne profiteront rien contre la puissance de Dieu: ils auront bouclier et harnois, mais cependant Dieu en viendra, à bout. Or par ceci nous sommes tousiours admonnestez de cheminer en crainte: car les punitions de Dieu nous doivent estre horribles (comme l'Escriture saincte en parle) c'est une chose espouvantable de tomber entre les mains du Dieu vivant (Heb. 10, 31). Ne pensons point avoir affaire à un homme mortel. Si tost donc qu'il y aura une menace de Dieu, que nous soyons abbatus du tout, que nous n'ayons point les courages si durs que de nous envenimer à l'encontre. L'ire d'un Roy est message de mort (dit Salomon [Pro. 16, 14]) et que sera-ce de l'ire de Dieu mesme Quand Dieu nous envoye un message de son ire, ne voila point la mort qui nous est presentee ? Et ainsi ne nous abusons point en toutes les aides que nous aurons du costé des hommes, ou des creatures. Ne pensons point avoir rien gaigné quand nous cuiderons bien avoir prouveu à nostre cas: car si nous avions à combatre contre les creatures, cela nous pourroit profiter: mais quand c'est Dieu qui nous fait la guerre, nous servirons-nous contre lui de ce qu'il a en sa main, et de ce qu'il dispose à sa volonté? Quand nous cuiderons marcher d'un costé, il nous fera tourner bride quand bon lui semblera. Voila donc ce que nous avons à considerer, que si nous nous armons contre Dieu, il faudra que nostre glaive propre nous coupe la gorge, car Dieu n'envoyera point d'armee contre nous, et il ne faudra point qu'il face nul appareil pour nous destruire: mais nous serons nous-mesmes cause de nostre ruine. Ne nous fions point donc (comme i'ay desia dit) en toutes nos munitions, et en tous les moyens que nous aurons ici bas, sachans que tout cela ne nous peut rien apporter quand nous aurons affaire à Dieu. Et au reste, si nous voyons que les meschans soyent eslevez, qu'ils ayent le col enflé (comme le Pseaume septantetroisieme en parle [v. 6. 7]) qu'il semble qu'ils doivent crever avec leur col enflé: attendons tousiours neantmoins patiemment que Dieu y mette la main: car il saura bien les estreindre, en sorte que toute leur enflure s'escoulera en vent. Si nous voyons les meschans avoir tant d'equippage, que nous cuidions qu'ils soyent asseurez, et que nul mal ne leur puisse advenir: ne pensons point que cela empesche que Dieu ne les destruise et ruine quand leur temps sera venu. Il ne faut point donc que nous soyons effrayez quand nous verrons les meschans estre en fleur et en vogue, ou bien estre tellement soustenus et appuyez qu'il semble qu'en n'en puisse venir à bout. Ii faut, il faut que Dieu y besongne: et quand il y mettra la main, ils auront beau cercher aide et se

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cours du costé des creatures, il faudra qu'ils soyent ruinez et abbatus du tout. Voila comme les fideles ont à se consoler, quand ils voyent les meschans se desborder en un mespris de Dieu, et estre mesmes envenimez en toute rebellion, ou endurcis iusques au bout, en sorte qu'en ne les peut faire plier, qu'ils cognoissent qu'en la fin Dieu accomplira ce qu'il a dit et prononcé. Car ce qui a esté dit par Eliphas est comme une sentence que le sainct Esprit prononce, voire pour les deux raisons que i'ay dit: c'est assavoir, que les fideles se tiennent en toute modestie et humilité, et n'attentent rien contre Dieu: et que s'ils voyent que les meschans ayent la vogue au monde, et mesmes qu'eux soyent opprimez par beaucoup d'iniures, qu'ils souspirent à Dieu, en demandant qu'il parface ce qu'il a une fois prononcé: comme il est bon aussi qu'ils l'invoquent, et qu'ils ayent du tout leur refuge à lui.

Or il est dit consequemment, que l'angoisse saisira l, e meschant, et viendra au dessus de lui comme un Roy qui est prest à combatre, ou bien comme à l'environ, car le mot dont use ici Eliphas signifie une pelotte, une boule, et toutes choses rondes. Car nous savons que quand ce vient à donner une bataille, quelquefois en se mettra en rond, selon que la chose le porte, et anciennement cela se faisoit. On pourroit donc exposer ce passage, que l'angoisse sera comme un Roy bien equippé: et que quand Dieu envoyera affliction sur les meschans, il ne sera point comme un ennemi, qui n auroit ne force ne vertu: mais qu'il sera comme un prince qui aura assez de soldats pour ruiner son ennemi. Ou bien en peut rapporter ceste rondeur ici au meschant, qui sera environné de tous costez, c'est à dire, qu'il n'aura nul eschappatoire: car quand Dieu le saisira, ce ne sera point pour l'assieger d'un costé ou d'autre mais devant et derriere a dextre et à senestre, il sera de toutes parts enclos, tellement qu'il n'aura nulle issue. Et c'est le sens le plus convenable que cestui-ci. Notons bien donc quelle est l'intention d'Eliphas: c'est assavoir que quand Dieu voudra punir un homme, apres lavoir attendu long temps et l'avoir espargné, il ne se monstrera point alors courroucé seulement pour estre appaisé tantost: mais viendra l'environner de tous costez, en sorte que iamais ne pourra eschapper de sa main. Voila quelle est la somme de ceste Sentence. Or d'ici nous avons encores à recueillir une bonne doctrine. Car nous sommes admonnestez qu'il n'est point question de nous iouër avec Dieu, veu que quand nous sommes oppressez de sa main, nous avons beau faire de tours de subtilitez, nous ne serons iamais Si habiles que nous eschappions de l'angoisse dont il nous aura voulu saisir, de l'affliction à laquelle il nous aura assubiettis, mais faudra que nous demeurions là en despit de

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nos dents. Et pourquoi? Car Dieu a un merveilleux equippage: il n'est point comme les hommes I mortels qui ietteront leur cholere par la bouche, et cependant n'ont pas les mains assez longues: ie di mesmes les Rois, et les princes: ils pourront assez tempester, mais la force leur defaut au besoin. Or ce n'est pas ainsi de Dieu: il a tousiours un I equippage assez grand pour venir à bout de ses ennemis. Que reste-il donc? Advisons de ne lui point faire la guerre. Et pour ce faire, abstenons-nous de toute iniure et malefice: car si nous voulons faire des chevaux eschappez, nous trouverons à la fin que Dieu a des moyens assez pour nous retenir par force, si de nostre bon gré nous ne voulons nous assubiettir à lui.

Or il est dit quant et quant, Pource qu'il a engraissé ses yeux, qu'il a rempli sa face de graisse, qu'il a farci son ventre, qu'il a bien engraissé ses tripes, qu'il a habité les villes desertes, et maisons desolees, qu'il sera en ruine, et qu'il ne prosperera point. Il est vrai qu'il nous faut resoudre ceste sentence en telle sorte, afin qu'elle soit bien entendue: Le meschant a engraissé et son ventre et tout son corps, combien qu'il habitast aux villes desertes: et semble qu'il doive renouveller le monde, que ce soit merveilles de ses entreprises: mais si est-ce que tout ira en decadence: combien que pour un temps il ait belle monstre, neantmoins il ne continuera pas, il faudra que Dieu renverse tout. Mais encores nous ne comprendrions point l'intention d'Eliphas, si nous ne savions en premier lieu que c'est de remplir sa face de graisse. Ici Dieu ne condamne point la graisse qui sera au corps des hommes: mais il use souvent de ceste similitude, quand il veut exprimer que les hommes sont enflez d'orgueil, quand ils sont en prosperite, pource que c'est cela qui nous fait oublier nostre infirmité. Voila pourquoy nostre Seigneur dit, que la graisse nous aveugle. Et de fait, nous en avons un proverbe commun. Et aussi quand les Hebrieux veulent parler d'un homme humble, ils ont ce mot, d'Affligé: car nostre Seigneur nous donte par afflictions, tellement que nous apprenons de nous humilier devant lui, et de nous despouiller de toute fierté et audace. Ainsi donc en ce passage, comme en toute l'Escriture saincte, quand il est dit, Que les meschans sont engraissez' ce n'est pas qu'ils ayent graisse simplement en leur corps, mais c'est pource qu'ils prenent une telle presomption de leurs richesses et de leurs biens qu'ils sont comme enflez à l'encontre de Dieu, ils sont pleins de venin et d'orgueil: et encores qu'ils soient maigres quant au corps, ils ne laissent pas

Calvini opera. Vol. XXXIII.

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de crever d'une graisse maudite, entant qu'ils sont enflez à l'encontre de Dieu. Et mesmes nous voyons que la graisse, c'est à dire, ceste audace diabolique qu'ils ont, leur poussera les yeux: comme il en est parlé au Pseau. 73 qu'ils auront la veuë crevee à demi, d'autant qu'ils s'esblouissent en leurs delices et voluptez, et ne regardent point qu'ils en pourront estre despouillez en une minute de temps. Voila (di-ie) comme la graisse aveugle les meschans, et qu'ils en sont comme crevez à leur confusion et ruine. Or venons maintenant à l'autre sentence.

Eliphas dit, Que le meschant ne prosperera point. Et la raison? (J'est pource qu'il est enflé de graisse. Voulons-nous donc estre benits de Dieu, et estre maintenus en estat et vraye felicité? Gardons-nous bien de nous remplir de graisse: c'est à dire, gardons-nous d'estre conflez d'arrogance, de rien usurper pour faire de nous-mesmes ceci ou cela: mais cheminons en toute modestie, sachans que nous dependons de la main de Dieu, et que quand il nous aura eslevez il nous pourra bien aussi tost abbatre. Que nous soyons donc tant plus incitez à le servir et honorer, et que nous ne soyons point si malheureux de lui donner occasion de nostre coste de renverser ce qu'il aura edifié, et de le mettre en ruine, à cause que nous aurons voulu faire une tour de Babylone, et presumons iusques à nous eslever à l'encontre de lui. Ainsi en advient-il, dit Eliphas, combien que les meschans ayent habite les villes desertes, c'est à dire, combien qu'ils ayent eu un telle vogue, qu'il sembloit qu'ils voulussent renouveller le monde, car habiter les villes desertes, c'est de ne se contenter point d'avoir possession des choses qui sont en bon estat: mais quand les hommes veulent batailler contre Dieu, pour estre des nouveaux createurs du monde, et remettre en estat les choses confuses. Les meschans donc pourroyent bien avoir tout cela en apparence, mais il n'y aura nulle duree, d'autant qu'ils s'eslevent à l'encontre de Dieu. Mais à l'opposite quand nous serons desfaicts et desnuez, Dieu nous fera la grace de reedifier les choses desolees: moyennant que nous n'y procedions point avec une vaine arrogance, que nous ne presumions rien de nous, mais que nous lui demandions qu'il nous tiene la main forte, qu'il nous conduise, et gouverne tousiours par son sainct Esprit, tellement que quand il aura commencé de monstrer sa saincte grace envers nous, il la continue, et l'ameine à sa perfection.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

SERMON LXI

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LE SOIXANTE ET UNIEME SERMON,

QUI EST LE V. SUR LE XV. CHAPITRE.

30. Il ne sortira point des tenebres, la flamme sechera ses branches, il sortira au souffle de sa bouche. 31. Estant deceu en vanité, il ne consistera point: car vanité est son changement. 32. Il sera consumé devant le temps, ses branches ne fleuriront point. 33. Il sera despouillé de son aigret, comme une vigne: et Dieu le iettera comme un olivier ses fleurs. 34. L'assemblee de l'hyocrite sera desolee, le feu devorera la maison des presens. 35. il conçoit fascherie, il enfante vanité, son ventre appreste fraude.

Nous vismes hier, comme les contempteurs de Dieu s'advancent en sorte qu'il semble bien qu'il n'y ait que pour eux, et que Dieu leur donne grand avantage: et qu'il leur favorise tellement que non seulement ils se maintienent en leur estat, mais ils font comme un monde nouveau: tant y a que la fin n'en peut estre que maudite et confuse. Et c'est ce qu'Eliphas adiouste derechef: Que le meschant ne sortira point des tenebres. Et en cela il discerne les enfans de Dieu et les afflictions qu'ils endurent, d'avec ceux qui sont du tout deiettez de Dieu. Car il adviendra que nous pourrons estre en tenebres comme nous voyons que les saincts Prophetes se plaignent que Dieu a retiré sa clarté d'eux, et qu'ils tastonnent, et qu'ils ne savent de quel costé tourner: mais Dieu leur donne issue apres qu'ils ont langui quelque temps, et leur tend la main et les retire. Or il est dit des meschans, que iamais ne sortiront des tenebres, et qu'ils demeureront là accablez sans fin: et par cela (comme i'ay dit) ils sont ici discernez d'avec ceux que Dieu afflige pour un temps, et lesquels il veut secourir. Il est dit, Que Dieu devorera leurs branches: c'est à dire, combien qu'ils se soyent eslevez, que Dieu les consumera. Car ie n'enten point ici par les branches, les enfans et successeurs, mais c'est tout leur estat. Et mesmes sous ce mot est comprins tout ce qui s'esiette d'un arbre: pour signifier que les meschans pourront bien concevoir beaucoup d'esperances quand Dieu les aura chastiez, et qu'il leur semblera qu'ils se doivent relever: mais c'est en vain, dit Eliphas, Pourquoy ? Le feu consumera tout: c'est à dire, l'ire de Dieu sera là comme un feu pour les brusler, et quand il semblera qu'ils se doivent relever ce ne sera rien.

En la fin il adiouste, Que le meschant sortira en l'esprit de sa bouche. Il est vrai qu'en pourroit

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rapporter ceci à Dieu: car l'Escriture dit bien, Que Dieu consumera les meschans seulement de son souffle, pour monstrer quelle vertu il a pour punir les meschans et ses ennemis. Il ne faut donc point que Dieu s'arme, il ne faut point qu'il se prepare pour punir ceux qu'il voudra: seulement qu'il ouvre sa bouche, qu'il souffle sur ses ennemis, et les voila abysmez et perdus. Car tout ainsi que la parole de Dieu nous vivifie, quand il lui plaist de nous esclairer par sa grace (comme là consiste tout nostre salut: et si auparavant nous avons esté comme morts, nous sommes restaurez si tost que Dieu nous monstre sa faveur) ainsi à l'opposite quand il de are son ire contre les meschans, il ne faut sinon que sa bouche soit ouverte, pour les abysmer en perdition. Et c'est aussi pourquoi sainct Paul dit, Que quand l'Antechrist aura dominé en l'Eglise, il sera finalement consumé par l'Esprit de la bouche de Dieu: suivant ce que i'ay amené du Prophete Isaie (2. Thess. 2, 8; Is. 11, 4), Que c'est le baston duquel Dieu usera. pour rompre et lasser tous ses ennemis quand il voudra que son Fils regne. Ce passage donc est entendu par aucuns, que les meschans ne peuvent iamais sortir de leurs afflictions, que iamais ne seront delivrez des tenebres où ils sont entrez, d'autant que Dieu les poursuit, ou qu'il a la bouche ouverte pour les consumer' et que sa parole est de telle vertu, qu'il faut qu'ils perissent malheureusement. Toutes fois le sens le plus naturel et convenable, c'est que le meschant s'en ira par l'esprit de sa bouche, c'est à dire, comme un souffle. Il est vrai qu'aucuns aussi entendent que les meschans auront beau grincer les dents, et se despiter: tant y a que Dieu ne laissera pas de les destruire: comme nous voyons que les incredules sont pleins d'orgueil, et si Dieu les touche, qu'il mette la main dessus, ils sont comme des taureaux, ils sont comme des sangliers qui escument. Nous verrons donc un grand souffle qu'ils auront voire en se despitant: mais que gagnent-ils pour cela? Toute la rebellion et la resistence qu'ils feront à Dieu, sera-elle pour les sauver? Non. Et ainsi la doctrine seroit bien vraye et bien convenable, Que les meschans, quelque chose qu'ils se rebecquent contre Dieu, et combien qu'ils soyent pleins de fierté et d'amertume, encore n'eschapperont point pourtant la main de Dieu, et ne se sauveront point pour un tel remede. Or tant y a qu'il nous faut venir au sens que i'ay dit,

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pource qu'il est le plus convenable: c'est assavoir que les meschans s'en iront comme en leur souffle, qu'il ne faudra sinon qu'ils ouvrent la bouche, et les voila esvanouis. En somme Eliphas a voulu dire, que quand les meschans devant les hommes auront grand. monstre, et qu'il semblera qu'ils doivent là persister sans fin, ce sera alors leur changement: que si tost qu'ils respireront ils seront accablez, que ce sera comme si une halaine sortoit de la bouche d'un homme. Or nous savons quand un homme iette son souffle, que cela s'escoule soudain et que ce n'est rien. Notons bien donc combien que les contempteurs de Dieu semblent avoir une vie permanente, qu'elle sera bien tost esvanouye, en sorte que ce n'est pas sans cause qu'ils sont accomparez à leur souffle. Vrai est que ceci est commun à tous hommes. Qu'est-ce que de nous? Quelle fermeté y a-il en nostre nature? Nostre vie en quoy consiste-elle? Il est vrai que nos ames sont créées à l'image de Dieu: mais tant y a que la vie de l'homme est comme un souffle, et si nous ne respirons point, nous voila deffaits, si nous iettons seulement un souspir, nous voila morts. Ainsi ceste fragilité dont parle ici Eliphas n'est point seulement aux contempteurs de Dieu, mais elle est en tous hommes. Au reste nous avons dequoi nous consoler quand Dieu nous conserve: et combien que nostre vie soit si transitoire que ce n'est qu'une ombre ou une fumee, toutesfois puis qu'elle est en la main de Dieu que nous soyons asseurez. Voila donc où gist toute nostre consolation: et pourtant cognoissons tous les deux, c'est assavoir, que de nature nous ne sommes rien, que à chacune minute nous pouvons perir: et toutesfois que Dieu par sa bouté infinie nous discerne d'avec ses ennemis. Car quand ils auront bien ietté leurs escumes, en un souffle il faudra qu'ils perissent: et si nous languissons qu'il ne semble point que nous devions vivre plus que si nous iettions un souspir, Dieu neantmoins nous fortifiera encores de sa vertu: voire d'une vertu cachee qui n'aura point d'apparence quant aux hommes: mais tant y a que nous serons maintenus par lui, que nous vivrons cependant que les meschans s'en iront estre consumez. Voila ce que nous avons à retenir en ce passage.

Or il est dit consequemment, Que le rneschant estant deceu en vanité ne consistera point, pource que la vanité sera son changement. Vray est que ce passage ici est entendu en diverses sortes: car le mot que nous translatons, Consister, se prend pour Croire. Ainsi aucuns entendent le meschant estant deceu en vanité ne croira point que vanité soit son changement. Et puis il y a double lecture quant à un mot, tellement qu'au lieu que nous lisons, Vanité, il y a Droiture ou Certitude: comme s'il

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estoit dit, que le meschant ne croira point que ceci soit vray. Pourquoy? Pource que vanité est son changement. Or si est-ce que ceste lecture est plus receuë et commune, c'est assavoir, que celui qui est ainsi deceu en vanité ne consistera point, ou ne croira point que vanité soit son changement. Quant à ce mot de Croire, si nous suivons ceste exposition-la, nous pourrons recueillir une bonne doctrine: c'est que quand Dieu aura osté le sens et discretion aux hommes, ils ne peuvent iamais recevoir nulle bonne admonition ne conseil utile. Pourquoy? Car ils sont obstinez. Voila donc une punition de Dieu laquelle nous devons bien observer pour la craindre: c'est que si Dieu ne nous donne adresse, iamais nous ne saurons ce qui nous est bon et profitable. Qui plus est, encores que nous ayons gens à l'entour de nous qui nous donnent bon conseil, qui taschent à nostre profit, qui nous monstrent ce qui est bon: toutes fois nous serons si pervers, que tout ce qui nous sera dit n'aura point de lieu envers nous. Et nous voyons cela iournellement: car quand Dieu a privé les hommes d'intelligence, pour monstrer plus sa vengeance sur eux, et pour les rendre tant et plus inexcusables, il permettra qu'encores en parle à, eux, qu'en les advertisse, qu'en les exhorte à bien: mais ils demeureront là endormis. Car si en leur demandoit, Veux-tu perir de ton bon gré ? ils respondront, que non: mais qu'en les admonneste de leur salut, qu'en leur monstre Voila le chemin: ils aiment mieux se rompre lé col, et tomber en une fosse qui leur sera toute apprestee, que de s'en aller au chemin auquel en les convie. Nous voyons cela: et tant plus devons nous bien noter un tel iugement de Dieu pour cheminer en solicitude. Car est-ce peu de chose quand nous aurons tenté nostre Dieu, qu'il faille qu'il nous creve les yeux, et que nous ne sachions de quel costé nous tourner, et encores qu'il nous tende la main, et qu'il nous monstre par où il est bon de marcher, que nous allions tout au rebours? voila une vengeance horrible. Or si est-ce que nous appercevons tous les iours, que ceux qui sont obstinez, et qui auront bien tenté Dieu, reiettans sa grace, il faut qu'en la fin ils tombent en un tel aveuglement qu'ils ne discernent plus, et qu'ils ne puissent adiouster foy à la doctrine. Et voila aussi pourquoy ce n'est pas un don commun à tous que de croire à l'Evangile. Nous voyons que la parole de Dieu se presche: or si les hommes n'estoyent bien corrompus et pervertis, y auroit-il nulle contradiction? Quand Dieu se declare Pere et Sauveur, et sur tout que nous voyant pleins de pechez, il nous donne le gage de nostre salut en la personne de son Fils, qu'il nous declare, combien que nous soyons pleins de toute iniquité, neantmoins que

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nostre Seigneur Iesus Christ a satisfait pour nous, tellement que nous sommes acquitez par le moyen de sa mort et passion, et que nous pouvons comparoistre devant le siege iudicial de Dieu, que là nous sommes tenus pour iustes et innocens: ie vous prie, si nous D estions du tout abbrutis, qui est-ce qui ne l'escorterait avec un desir ardent? Or on voit que l'Evangile est mesprisé, mesmes que beaucoup s'enveniment à l'encontre, qu'ils voudroyent avoir arraché Dieu de son siege, plustost que de s'assuiettir à la doctrine. Et d'où procede cela? sinon d'autant que ce n'est point aux hommes de croire le bien, iusques à tant qu'il leur soit donné de Dieu: et quand les hommes Sont delaissez, qu'ils Sont mis en sens reprouve, il faut qu'ils reiettent tout bien, et choisissent le mal, et le tout à leur perdition. Quand nous voyons cela, humilions-nous: d'autant que qui se voudra eslever en son sens propre, il faudra, à la fin qu'il soit despouillé de toute intelligence. Car il nous faut faire hommage à Dieu quand il nous a donné une droiture d'esprit, intelligence et bonne raison, c'est pour le moins que nous confessions que cela procede de luy: et que nous le prions qu'il continue en nous, qu'il ne permette point que nous abusions d'un tel don et si singulier, mais que nous l'appliquions à son droit usage, voire pour nous renger à luy, pour adherer pleinement à sa doctrine.

Voila donc ce que nous avons à faire, quand nous voyons qu'il y a tant de povres aveugles qui tracassent à travers-champs, qui De discernent rien que si mesmes en les veut conduire, et qu'en leur monstre le droit chemin, ils tirent tout au contraire. Ie di qu'il nous faut bien recognoistre qu'autant en seroit-il de nous, sinon que Dieu nous tient la main forte, et qu'il nous attirast à soy. Car ce n'est point assez qu'il nous y convie, et qu'il nous monstre par où il nous faut aller: mais il faut qu'il nous y attire, comme l'Escriture en parle: c'est à dire qu'il donne telle vertu à la cognoissance qui nous est offerte, que nous en soyons touchez, que nostre coeur soit là comme lié. Apres donc que Dieu nous a enseignez de ce que devons faire, il faut quant et quant qu'il nous donne l'affection de suivre le bien. Et ainsi (comme i'ay dit) nous pouvons recueillir une bonne doctrine et utile de ce mot, Que le meschant ne croira pas. Et pourquoy? Pource qu'il est deceu en vanité. Or la raison est adioustee notamment, à cause que quand un homme est preoccupé de mauvaises affections et qu'il est entortillé en beaucoup d'erreurs et dé corruptions, le voila comme un desesperé, en n'aura point d'accez à luy pour luy monstrer son erreur. lais tant y a que de nature nous sommes desia deceus en vanité. Qu'apportons nous du ventre de la mere, quand il est dit qu'il n'y a que folie et

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mensonge en nos entendemens ? Voila une sentence generale pour monstrer, que si tost que nous naissons en ce monde, que desia la verité n'a point de lieu en nous, iusques à tant que Dieu nous ait reformez. Et pourquoy? Nous tendons du tout à mal. Nous serions donc enclos en ceste condamnation tant que nous sommes, n'estoit que Dieu nous en retirast par sa misericorde: car nous sommes tous de eus en vanité, nous ne sommes point capables nul de nous pour recevoir ce qui est bon et vray et profitable à nostre salut. Mais tant y a que quand nous serons solicitez à beaucoup de tromperies, Satan nous aura tantost deceus. Comme quoy? Voila un homme qui aura vescu en simplicité tout le temps de sa vie, ou bien il n'aura pas vescu long temps: comme il y aura quelque ieune homme en l'asge de vingt ans, il aura esté bien nourri du commencement, en ne l'aura point abbreuvé de fausses doctrines, ne de choses mauvaises: celuy-la combien qu'il semble estre assez disposé pour recevoir le bien, et pour se rendre docile, si est-ce qu'il faut que Dieu y besongne, ou iamais ne pourra parvenir à bien. Et pourquoy ? Car nostre nature tend à mal, et y est du tout adonnee, comme nous avons dit. Mais s'il y a quelqu'un qui soit rusé et plein de malice, qui ait esté nourri en mauvaises doctrines et superstitions, comme nous voyons les Papistes, c'est bien d'avantage. Ces caphards et bigots qui sont armez à l'encontre de Dieu de longue main, qui se sont transportez en leurs erreurs, ceux-la ont tellement appliqué toutes leurs estudes à cela pour s'entortiller aux filets de Satan, qu'en ne les peut faire sortir. Il est donc certain que ceux-la croyent beaucoup moins: comme nous le voyons par experience. Car encores Dieu fait grace a ceux qui ont eu quelque simplicité: mais ceux qui se sont ainsi deceus en erreurs, et qui s'y Sont adonnez du tout, il faut que le iugement de Dieu soit declaré là, Sinon qu'il vueille besongner d'une façon miraculeuse: comme il retire bien ceux que bon lui semble du profond d'enfer: mais quand il le fait, c'est un miracle qui est bien digne d'estre cognu et magnifié. Tant y a que nous appercevons ce qui est dit, c'est assavoir, que le meschant apres qu'il sera deceu en vanité ne croira point: nous appercevons (di-ie) que Dieu executera ceste sentence sur ceux qui de longue main se Sont endurcis à mal. Or quand nous oyons ceci, nous avons à rendre graces à Dieu, d'autant qu'il nous a attirez à la cognoissance de son Evangile, et que nous avons eu ceste affection d'y adherer: car cela ne procede point de nous, c'est un don singulier du sainct Esprit. Au reste nous sommes aussi admonnestez d'avoir les yeux ouverts, afin que Satan De nous les esblouysse, et qu'il ne nous vienne mettre ces erreurs et deception

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au devant. Et pourquoy? Car si à nostre escient nous souffrons d'estre seduits et trompez, il faudra que le mal s'augmente, iusques à ce qu'il soit venu à ce comble duquel parle ici Eliphas: c'est assavoir, que nous soyons destituez de toute raison, et que nous ne puissions plus croire ce qui nous est bon pour nostre salut, mais que nous y soyons du tout contraires. Si nous ne voulons tomber en ceste horrible vengeance de Dieu, prevenons-la. Et comment ? Qu'un chacun advise d'estre sur ses gardes. Et puis que Dieu a prins ceste office de nous garder si soigneusement, qu'il nous declare que Satan ne tous ces efforts ne pourront rien contre nous: soyons asseurez sur ceste promesse, ne doutans point qu'il ne l'accomplisse, et qu'il ne nous en face sentir le fruict en temps et lieu.

Or venons maintenant à ce que nous avons dit, c'est que le meschant ne consistera plus (car le mot emporte cela comme Croire, comme le mot de Verité aussi peut signifier Fermeté) car c'est une chose bien vraye que le meschant ne consistera point quand il sera deceu en vanité. Et pourquoy? Car vanité est son changement. La raison est bien propre pour nous confermer ceste doctrine, que les meschans n'auront point d'arrest, et qu'ils ne pourront pas prosperer finalement: car Dieu les fait tourner tousiours en vanité. Or ce mot de Vanité est ici prins en double sens: car quand il est dit, Que le meschant ne consistera pas estant deceu en vanité: c'est à dire, qu'estant rempli de mensonges, estant aveuglé en ses deceptions, il ne pourra point consister. Et pourquoy Vanité (voici maintenant où ce mot change de signification) est son changement, c'est à dire qu'il n'y aura que tromperie pour luy, et que quand il cuidera avoir quelque chose à son appetit, tout cela s'esvanouira en une minute de temps, qu'il ne trouvera ni secours ni aide en ses afflictions, qu'il ne trouvera nul remede en ses maux. Voila donc qu'emporte ce mot de Vanité en second lieu. Et en ce sens le mot de Changement sera convenable: c'est à dire, quand Dieu menera les meschans par beaucoup de revolutions, quand ils auront bien tournoyé ça et là, de quel costé qu'ils aillent tousiours ils ne tomberont qu'en vanité, c'est à dire, qu'ils seront frustrez de toute leur attente. Vray est qu'ils pourront mettre devant leurs yeux de belles esperances, et se feront à croire qu'ils ont tout gagné: mais il ne faudra que tourner la main, et les voila deceus, et ils verront bien que ce n'est que folie

pour eux de s'attendre à ceci ou à cela.

Venons maintenant à recueillir en somme ce qui est ici dit, Le meschant ne consistera pas, c'est à dire, il n'aura point d'arrest en sa fermeté. Combien que pour un temps les contempteurs de Dieu

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soyent eslevez, et qu'ils triomphent, si est-ce qu'ils n'auront point de fermeté en eux. Et pourquoy? Car Dieu les menera tousiours par revolutions, en sorte qu'ils se trouveront deceus et trompez de leur attente. Ceste doctrine aussi nous est bien utile. Car qui est cause que nous portons envie aux meschans, et que nous voudrions estre participans de leur condition? Pource que nous n'avons point la patience d'attendre l'issue: comme il en est parlé au Pseaume (73, 17). Car si nous avions nos esprits à repos, il est certain que nous aurions horreur de l'issue le qui est apprestee à tous contempteurs de Dieu, d'autant qu'il faut qu'en la fin leur ioye se convertisse en pleurs et grincements de dents: Dieu a maudit toutes leurs ioyes, et il faudra que la fin en soit malheureuse. lais quoy? Nous apprehendons seulement les choses presentes et courons apres, nos appetis sont si bouillans qu'il ne nous chaut le ce qui peut advenir du iour au lendemain. Et d'autant plus devons nous bien noter ceste doctrine, quand il est dit, Que le meschant n'aura point de fermeté. Nous sommes donc enseignez par ce mot de nous tenir en bride, quand

nous voyons que les contempteurs de Dieu ont la vogue et qu'ils sont à leur aise, et cependant mesmes que nous pleurons et gemissons: que pour cela nous ne soyons point desbauchez, mais attendons que Dieu face son oeuvre. Et au reste advisons aussi de ne nous point trop complaire en nostre prosperité, mais que nous soyons fondez en Dieu. Si un homme prospere, qu'il ne s'enyvre point en sa bon e fortune (comme on dit) et que nous ne soyons point depravez iusques là de mettre Dieu en oubli, mais cerchons nostre fondement en luy: car sans c la, il n'y aura point de fermeté. Mais la raison qu'adiouste ici Eliphas doit bien estre pesee quant et quant, c'est assavoir, Que le changement des meschans sera vanité. Et pourquoy? Car nous verrons des revolutions beaucoup en ce monde, et il nous semblera tousiours qu'il ira mieux pour nous, d'autant que les hommes se paissent tousiours de vent: quand Dieu les afflige ils se font à croire merveilles: mais il n'y a point de substance ne de fermeté en toutes leurs entreprises. Voila donc ce que nous avons à noter en somme, et c'est le sens naturel.

Or il est dit puis apres, Que le meschant sera consumé devant son temps, et qu'encores ses rameaux ne fleuriront point, il sera comme une vigne despouillee

en son aigret, et comme l'olivier qui iette sa fleur, voire et que ceste fleur est escoulee quand il vient quelque gelee, que tout cela perit. Or il n'y a nulle doute que par ces deux similitudes Eliphas n'ait voulu confermer la sentence prochaine, c'est assavoir que le meschant perira avant qu'il soit meuri: et c'est tousiours pour revenir au propos que nous

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avons desia tenu. Ainsi donc nous voyons que nostre Seigneur en nous mettant devant les yeux qu'il n'y a nulle fermeté au meschant, nous appelle à une fermeté permanente, laquelle ne sera point frustratoire, laquelle ne sera point pour nous chatouiller seulement d'un appetit vain et frivole. Dieu ne veut point que nous soyons frustrez d'une imagination vaine quand nous cuiderons estre bien heureux, mais il veut que nous soyons heureux à bon escient. Or comment cela sera-il? Quand nous serons fondez en luy, et en son amour. Voila où il nous appelle. Et au contraire, il nous monstre que nous ne devons point estre adonnez à toutes ces choses pour nous arrester là où il n'y a point d'arrest, et que nous serons bien fols si nous y attachons nos esprits. Tant y a que nous n'en pouvons estre divertis, combien que Dieu nous monstre que ce n'est rien que tromperie de tout ce que les hommes cuident avoir de bon temps et de felicité en ce monde, quand ils sont separez de luy. D'autant plus donc nous faut-il bien noter ceste doctrine, quand il est dit, Que le meschant perira devant son temps. Et quand ces comparaisons sont adioustees, qu'il sera comme la vigne qu'en despouille en son aigret, comme l'olivier iettant ses fleurs devant son temps, en sorte qu'elles ne produisent point leur fruict: par cela nostre Seigneur a voulu exprimer l'apparence qui sera aux meschans, de laquelle nous serons esmerveillez, voire scandalizez. Car quand nous voyons que les meschans prosperent, nous sommes incontinent ravis et le feu est allume en nous, en sorte que nous aimerions d'estre semblables à eux, Et que ne suis-ie comme un tel? et voila ce meschant ici qui est tant à son aise, et cependant ie suis reculé: et ie voi qu'il me tient le pied sur la gorge, et que n'ai-ie moyen de m'en venger? Voila donc comme nos appetis sont eschauffez sans mesure, si tost que nous voyons les meschans prosperer. Or au contraire nostre Seigneur nous dit, Et bien, il est vrai que vous pouvez estre aucunement tentez, quand vous voyez ceste belle apparence: car les convoitises des hommes sont soudaines et impetueuses. Mais quoi? Vous voyez une vigne qui sera despouillee en son aigret: quand elle aura bien bourionné, il ne faudra qu'une gelee: ou bien quand elle aura desia les aigrets tous formez, voila un orage qui tombe, qui raclera tout, il n'y demeure ni aigret ni fueille, voila une vigne du tout desolee. Voila un olivier, où est-ce qu'est sa beaute? N'est-ce pas en la fleur? Et toutes fois quand la fleur est gelee, ou qu'il tombe quelque tempeste, tout est mis bas. Ainsi en est-il donc de la felicité des meschans. Il est vrai qu'elle sera telle, voire au cuider des povres ignorans, qu'il semblera bien qu'il n'y ait rien si desirable que d'estre en telle condition:

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mais si est-ce que la fleur et le fruict s'en ira avant qu'il soit meuri: Dieu raclera tout devant qu'il vienne à la perfection: comme nous avons dit que la perfection ne sera point seulement de ietter quelques fleurs ou quelque fruict qui soit osté devant que de venir à la raison.

Voila donc en somme ce qui nous est ici monstré. Et c'est (comme i'ai desia touché) pour confermer le propos qui avoit esté n'agueres tenu. Par ainsi donc apprenons de ne point desirer une felicité qui ne dure sinon un iour, ou peu de temps: mais apprenons d'estre bien-heureux, comme nostre Seigneur le veut: c'est assavoir, que nous soyons bien appuyez, et que nous sachions qu'estans benits de Dieu, ce ne sera point pour prosperer seulement un iour, mais en la vie et en la mort. Il est vrai qu'il nous pourra advenir beaucoup d'adversitez cependant: mais quel privilege avons-nous? quand nous pouvons nous recommander à Dieu, et que nous savons qu'il ne nous pressera point outre nostre portee, et mesmes qu'il convertira toutes nos afflictions en bien et en salut? Quand donc nous aurons cela, n'avons-nous pas dequoi nous contenter? Si les meschans sont auiourd'hui à leur aise, quelle certitude ont-ils pour le temps à venir? Encores qu'ils s'eslevent, et qu'il leur semble que Dieu ne les pourra point esbranler: comme il est dit au Pseaume (10, 6): si est-ce qu'ils ont des pointes là dedans, car Dieu les navre et les picque, ou bien les agite de costé et d'autre en des tourbillons qu'ils ne peuvent pas eviter. Ainsi donc notons que si nous desirons d'estre en ]a grace de Dieu, et d'avoir une felicité permanente, il faut que nous soyons fondez en lui, et alors nous ne pourrons iamais faillir. Nous savons ce qui est dit en l'autre passage du Pseaume (37, 3), quand il est parlé des meschans, qu'ils sont comme des grands arbres, lesquels en couppe, et qu'il n'y demeure nulle trace, mesmes que la racine en est arrachee. Or au contraire il nous faut estre (ainsi que dit David) comme un olivier en la maison du Seigneur qui verdoye tousiours. Comme ceste similitude est prinse aussi au Pseaume premier, et en Ieremie, que si nous avons esperance en Dieu, recourons à lui, et en dependons, nous serons tousiours arrousez, nous serons comme des arbres plantez aupres d'un ruisseau ou d'une riviere, voire nous aurons tousiours bonne substance pour verdoyer et apporter faict. Puis qu'ainsi est que Dieu (apres nous avoir retirez des corruptions et vains allechemens de ce monde) nous presente ceste felicité perpetuelle:- ne faut-il pas que nous soyons desprouveus de sens si nous ne tendons-là? Pensons donc à nous, et que nous apprenions de nous despouiller de tous les appetis de nostre chair, qui ne sont que pour nous decevoir, et mesmes nous

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mener à perdition, et que nous cognoissions où gist nostre bien. Voila donc ce que nous avons à retenir. Mais quoi? C'est une chose difficile, comme i'ai dit: nous sommes tantost attirez à ce qui a belle monstre: et pourtant nous faut-il bien noter ces similitudes qu'ameine ici Eliphas. Nous verrons un olivier qui nous semblera beau: mais il n'est point de duree. Regardons aussi à l'orage qui est prochain sur les meschans: car Dieu les tient là pour les accabler: et combien que nous ne l'appercevions pas du premier coup, tant y a que si nous contemplons le iugement de Dieu par l'oeil de la foi, nous verrons que tous ceux qui ne sont point enracinez en Dieu, ne pourront venir iusques à meurir, et iamais n'apporteront bon fruict, mais viendront à estre soudain raclez. Et pourquoi ? Dieu l'a ainsi prononcé: nous verrons qu'ils seront abysmez en leur orgueil. Et pourquoi ? Car la parole de Dieu ne peut mentir. Ainsi donc quand nous serons esmeus par nos sens et folles imaginations, retirons-nous à la parole de Dieu, et contemplons ce que nous n'appercevons point encores: mesmes de ce qui nous est caché, que nous le cognoissions afin de nous divertir de toutes vaines conceptions qui nous deçoivent. Voila que nous avons à retenir de ce passage.

Or en fin il est dit, Que le message de l'hypocrite sera desolé, et que le feu devorera la maison de presens de corruption. Sous ce mot d'hypocrite Eliphas a comprins (comme aussi le sens est tel en d'autres passages) que tous ceux qui ont les coeurs pervers et desloyaux à Dieu, il faudra qu'ils perissent, voire avec toute leur maison et assemblee. Et puis il adiouste, Que la maison de presens sera i consumee. Quand il parle de la compagnie des hypocrites, c'est pour mieux exprimer, combien que, les meschans et les contempteurs de Dieu ayent grande suite, grande queue et longue, qu'ils ne laisseront point pour cela d'estre consumez. On verra donc les plus meschans qui ne seront pas povres simples gens, mais auront compagnie et bande avec eux, qui fera une grande monstre: ils auront leurs coniunctions et assemblees, et ainsi tireront une longue queuë. Mais notamment Eliphas dit, que ceste assemblee-là perira: pour monstrer, Il est vrai que les meschans se conservent à temps , pource qu'ils sont conioincts: ils se munissent, et pensent bien qu'ils se pourront maintenir, tellement qu'un chacun d'eux cuidera estre bien assez fort pour repousser tout mal: mais l'ire de Dieu est enflammee pour les allumer tous. Et mesmes nous voyons comme le Prophete en parle (Nahum 1, 10), quand il accompare les meschans à des faisseaux d'espines. Quand en aura amassé des ronces et des espines, et qu'en en aura fait un faisseau, elles seront tellement entortillees, qu'en n'y osera pas

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mettre la main, en ne saura de quel coste les prendre, mesmes si en en veut tirer une branche en ne peut: mais si en y met le feu, incontinent il s'allume et esclattera, et sera beaucoup plustost emprins que si c'estoit un bois uni et poly. Ainsi en est il des meschans, ils sont comme des espines et des ronces, et quand ils sont entortillez, en ne sait comment les deffaire, et n'en peut on approcher: mais quand Dieu y mettra le feu, il faudra lors que tout cela s'esclatte, et qu'il consume tout tant plustost. Voila donc ce qu'a entendu Eliphas, en disant, Que l'assemblee des hypocrites peri a: car il signifie que le meschant pourra attirer grande suitte, et grand' bande, mais, cela ne lui servira de rien pour le maintenir contre l'ire de Dieu. Ceci nous doit asseurer quand nous voyons les meschans estre ainsi en leur equippage, et en leurs ligues, et en leurs bandes: d'autant qu'ils ne laissent point pour cela d'estre soudain ruinez et consumez, en sorte que nous verrons que ceci n'est point dit en vain. Et par cela nous sommes admonnestez de nous unir ensemble en la droite crainte de Dieu, et de n'avoir autre lien pour nous tenir conioints sinon en bonne conscience servans à Dieu, et nous fians du tout en luy, aidans les uns les autres: en somme d'avoir une telle concorde par ensemble, qu'un chacun advise de cheminer fidelement devant Dieu et avec les hommes. Quand nous y procederons ainsi, Dieu benira nostre concorde: autrement il faudra que tout s'en aille en feu et en flamme. Notamment il est dit, Que la maison des presens ou de corruption perira. Car il faudra que tous ces bastimens qui Ont esté edifiez de rapine perissent et se destruisent d'eux-mesmes. le ne di pas seulement leurs maisons qui seront basties de pierres et de bois mais i'enten que quand un homme se sera enrichi par corruption, par present, qu'il aura attiré d'un costé, ravi de l'autre, qu'il se sera adonné à pillages, à fraudes, a violences: qu'aura-il fait? Il aura amassé du bois, et il ne faudra sinon qu'une petite flammette vienne de l'ire de Dieu pour tout consumer car s'il n'y avoit point de bois, le feu ne se pourroit pas prendre: mais les meschans amassent un tel monceau de ceste et d'autre, que c'est autant de bois pour les consumer et eux et toute leur suite. Ainsi donc ce passage doit bien estre medité de nous, afin que nous cheminions en integrité et rondeur. Voila le premier.

Et puis que nous soyons advertis quand les meschans s'enrichissent par dons et presens, que tout cela s'en ira en la fin en perdition: afin que nous De leur portions point d'envie. Que donc chacun regarde à soy, et que nous cheminions en nostre vocation. Que ceux qui sont appellez en estat de iustice regardent de se maintenir sans

SERMON LXI

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estre corrompus, et qu'il leur souvienne de ce qui est dit, Que les presens aveuglent les yeux des sages, et pervertissent le iugement des droituriers. Par ainsi donc, qu'ils s'abstiennent de toute corruption, afin de se maintenir en integrité et rondeur. Voila pour un Item. Et puis que ceux qui sont en estat privé cheminent aussi en droiture. Qu'un chacun regarde, Or ça ie me pourray advancer au monde quand ie voudray user de meschantes trafiques: mais puis que ce sont choses condamnees de Dieu, que feroy-ie sinon d'allumer son ire contre moy? Voila donc comme tous fideles se doivent tenir en bride. Et au reste, quand nous voyons que les meschans attrapent et çà et là, qu'il leur semble qu'ils ont beaucoup gaigné quand ils auront acquis force biens par dons et presens: disons, Tant y a qu'en la fin Dieu monstrera que ce n'est point en vain qu'il a prononcé ce que nous oyons ici, et que le sainct Esprit a declaré par la bouche d'Eliphas. Car aussi Dieu ne veut point que ses menaces souvent frivoles, mais que l'execution soit coniointe quant et quant. Voila donc comme nous devons estre paisibles voyans ceux qui

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ravissent et qui pillent de costé et d'autre: assavoir cognoissans que cela ne sera point de duree, et que Dieu y mettra tel ordre qu'il leur vaudroit beaucoup mieux avoir mangé du pain et s'estre contentez de peu, que d'avoir ainsi gourmandé aux despens d'autruy, et d'avoir tout attiré à eux pour s'enrichir, car il faudra que tout cela s'en aille à neant, et que leurs maisons tombent sur leurs testes: c'est à dire, que les biens qu'ils auront amassez leur seront en ruine et en perdition. Vray est que pour un temps il auront telle vogue, qu'il semblera bien que leur estat doive durer à perpetuité: mais soyons patiens, et attendons (comme desia i'ay dit) que Dieu accomplisse son oeuvre. Et cependant que nous ne demandions sinon d'estre en sa grace et qu'il nous favorise. Car voila le seul moyen par lequel nous pourrons estre maintenus en nostre estat, non seulement tout le temps de nostre vie, mais apres la mort mesme, pour nous donner une vie meilleure, comme il nous l'a promise, au royaume des cieux.

Or nous-nous prosternerons devant la face de nostre bon Dieu, etc.

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